Le vieux et la mort

vieux, le dos courbé, ramassait du bois mort au bord de la forêt. Il grelottait. Ce temps n'était plus de son âge. Vers l'heure de midi il lia son fagot1, le chargea ...
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Le vieux et la mort Le vent, ce matin-là, détestait ciel et terre. Il crachait sur le monde une bruine griffue, échevelait les arbres, faisait la guerre aux vignes. Dans ses haillons serrés sur presque plus de corps un vieux, le dos courbé, ramassait du bois mort au bord de la forêt. Il grelottait. Ce temps n’était plus de son âge. Vers l’heure de midi il lia son fagot1, le chargea sur sa nuque et reprit le chemin de sa maison trouée. Il n’y put parvenir. Il était trop fourbu2. Il s’assit pesamment sous une croix de pierre. « Et tout cela pour quoi ? se dit-il, le front bas. Trimer, peiner, souffrir, pour quel bien, quelle grâce ? Il n’est pas de pitié ici bas ni ailleurs. Si je pouvais courir, je me réchaufferais, mais je suis trop noueux. J’ai froid, c’est pour toujours. Point d’enfant, plus de femme, un pauvre feu fumant pour dernier compagnon, un croûton de pain gris pour dîner tout à l’heure, voilà tout ce qui

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reste à ma vieille carcasse. Et toujours ce travail d’aller jusqu’à demain, sans espoir de repos. Misère de mes os ! Mieux vaut mourir ici, j’ai assez cheminé3. » Il pleura quelques larmes, il dit adieu au ciel, à la lumière, aux herbes, au village lointain, aux rochers alentour, puis pria Notre Père4 et appela la Mort. Elle parut devant lui dans son manteau pourri, s’appuya sur sa faux, pencha sa tête d’ombre où seuls luisaient les yeux sous l’ample capuchon. Elle lui dit : 1. Fagot : paquet de branches et de brindilles. 2. Fourbu : épuisé, éreinté. 3. Cheminer : parcourir, suivre un chemin. 4. Notre Père : prière chrétienne.

DOSSIER 6 — V a r i a t i o n s s u r l a p e u r

Expressions / Recueil 1 10771

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— Me voici. Que me veux-tu bonhomme ? Le vieux, épouvanté, sans souci des douleurs qui rongeaient ses genoux fit un saut de travers. Il mit entre elle et lui la haute croix de pierre, l’embrassa rudement, risqua son nez pointu et balbutia : — C’est toi ? — Qui d’autre ? dit la Mort. — Je n’ai pas souvenir de t’avoir appelée, répondit le bonhomme. Si je l’ai fait, pardon, les mots m’ont échappé. Mais puisque te voilà, ne voudrais-tu pas m’aider à porter mon fagot ?

Expressions / Recueil 2 10771

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Henri GOUGAUD, « Le vieux et la mort », La bible du hibou. Légendes, peurs bleues, fables et fantaisies du temps où les hivers étaient rudes, coll. Points, 1995. Paris, © Éditions du Seuil, 1993, p. 312-313.