Le rêve marocain de RATP Dev

Un tel tramway est-il à l'équilibre financièrement ? Casa Tram et. RATP Dev peuvent-ils maintenir cette qualité de service sur le long terme, et ne pas tomber ...
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Stratégie et entreprises Quelques chiffres Le Maroc Superficie : 710 850 km2. Population : 33,8 millions. Classement IDH : 126e sur 188. Salaire moyen : 441 €/mois. Croissance 2015 : 4 %. Répartition de la population active : 40 % agricole, 20 % industrie, 40 % services. Parti au pouvoir : le Parti de la justice et du développement (Abdel-Ilah Benkiran).

Place des Nations-Unies.

Le rêve marocain de RATP Dev REPORTAGE Avec le tramway de Casablanca, la filiale du groupe parisien a réussi à développer un transport moderne et populaire en moins de quatre ans. Décryptage d’un succès. 2PAR AYMERIC GUITTET

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ne vague d’applaudissements, et Élisabeth Borne, présidente de la RATP, remet à Amine le trophée symbolique du cent-millionième voyageur du tramway de Casablanca. Sous la lumière blanche du début d’après-midi, une atmosphère de fête flotte sur la place des Nations-Unies, près du grand marché de la médina. Les journalistes locaux sont venus nombreux pour couvrir l’événement, qui rassemble les responsables politiques de la ville, les responsables de Casa Transport (l’équivalent du Stif 42

N° 1001 | mai 2016 | Connexion

parisien) et de Casa Tram, la filiale de RATP Dev qui a remporté l’exploitation et la maintenance du tramway.

Un transport  rapidement adopté Avec son esplanade dégagée de la circulation agressive des automobiles et ses avenues affluentes en site propre, la station de tram Nations-Unies symbolise parfaitement la volonté de repenser la mobilité de la capitale économique du Maroc. Moins de quatre ans après son inauguration, le 12 décembre 2012, Casablanca

est en train de réussir son pari : grâce au tramway, fournir aux habitants un moyen de transport abordable, pratique et sûr. Abordable, avec un billet unitaire à 6 dirhams, soit 0,55 centime d’euro, et 3 formules d’abonnement, dont une à moitié prix pour les étudiants. Pratique, avec 48 stations et 31 km d’un seul tenant qui traversent six quartiers, dont les facultés et la gare de voyageurs. Sûr, avec ses rames Alstom Citadis, similaires à celles de Montpellier et Strasbourg. Le voyage est lumineux et les espaces variés : on est très loin

de la promiscuité des bus vétustes et sombres. Les femmes ne s’y trompent pas : « 41 % empruntent le tram 2 à 3 fois par semaine, contre seulement 15 % pour le bus », chiffre Yacine Benm’barek, directeur commercial chez Casa Tram. Pour lui, les Casablancais dans leur ensemble ont rapidement été conquis : « entre 2013 et 2014, la fréquentation a augmenté de 36 %, puis de 13 % entre 2014 et 2015, pour atteindre 125 000 voyageurs quotidiens en moyenne ». Aucun fraudeur ne vient gonfler ces chiffres, le taux plafonnant www.connexiontt.fr

Élisabeth Borne, présidente de la RATP, remet le trophée symbolique du cent-millionième voyageur.

RATP Dev - 950 M€ de chiffre d’affaires. - 4 continents, 15 pays, dont le Brésil, l’Afrique du Sud et la Chine. - 14 500 collaborateurs, 80 filiales dans le monde. - 1,5 milliard de voyageurs transportés chaque année (France incluse). - 6 lignes de métro, 12 réseaux de tramway, 9 000 bus et cars.

à… 0,25 %. Le pourcentage n’est pas truqué. Il résulte d’une vérification très stricte de la montée à bord du tram : les stations sont fermées par des portiques et surveillées par deux agents de sécurité. Dans ces conditions, frauder relève de la roulette russe. Un système dont Paris, qui compte 13 % de resquilleurs sur ses lignes de tram, pourrait s’inspirer.

Arriver à l’équilibre financier Un tel tramway est-il à l’équilibre financièrement ? Casa Tram et RATP Dev peuvent-ils maintenir cette qualité de service sur le long terme, et ne pas tomber dans les travers du réseau de bus ? La réponse à ces questions dépend en grande partie des choix de la ville et de son autorité organiwww.connexiontt.fr

Fraude à 0,25 % : contrôle à l’entrée et à la sortie des quais.

satrice des transports. Si le taux de couverture de 60 % révèle une politique tarifaire adaptée à la fois au coût de la ligne et aux salaires locaux, la mairie de Casablanca comble seule les 40 % restants, soit 80 millions de dirhams (7,3 M€). Président de Casa Transport, Youssef Draiss envisage de récupérer « 10 millions avec la publicité, associée avec l’opération de naming d’une station. L’augmentation du prix du titre de transport n’est pour l’instant pas d’actualité ». Surtout, Casa Transport mise sur l’interconnexion future entre les modes pour augmenter le trafic voyageur et synchroniser les abonnements avec le bus. Yacine Benm’barek entrevoit « un équilibre financier à partir de 150 000 voyageurs quotidiens, et une plus grande

complémentarité avec le bus qui nous concurrence aujourd’hui ». Youssef Draiss rappelle que « l’appel d’offres pour l’exploitation de la deuxième ligne, longue de 16 km et dont le lancement est prévu fin 2018, a déjà été lancé. À terme, la municipalité et le roi du Maroc Mohammed VI veulent un réseau de 111 km et 7 lignes pour desservir la ville, avec des parkings urbains pour inciter les automobilistes à choisir le tram ».

Un fort ancrage maghrébin RATP Dev ne compte pas lâcher ce développement rapide. Pascal Garret, directeur de la zone Maghreb, trace les prochaines lignes de la stratégie : « Nous serons candidats à notre propre succession pour l’exploitation de

la ligne 1 et la prochaine ligne 2 en décembre 2017, et nous nous positionnerons certainement sur les futures lignes, voire pour l’appel d’offres sur le réseau de bus en 2019 ». Car au-delà de Casablanca et du Maroc, RATP Dev bénéficie d’un bon ancrage au Maghreb. RATP El Djazaïr exploite, sur le modèle de Casablanca, le métro d’Alger jusqu’en 2019. Toujours en Algérie, la Setram assure l’exploitation et la maintenance des tramways d’Oran et Constantine, ainsi que la première ligne de tram d’Alger. Quatre autres projets sont en cours, notamment les trams de Sidi Bel Abbés et Mostaganem. Faut-il pousser plus loin les ambitions dans la région ? « Que reste-il comme possibilités ? En Tunisie, nous sommes dans une logique d’assistance technique. Nous n’avons pas l’intention d’aller en Égypte. Le but est de se développer là où nous sommes déjà installés. S’implanter dans un pays, dans une culture, cela prend du temps », argumente Pascal Garret. Cinquième opérateur de transport en commun au monde, RATP Dev ouvre de nouveaux horizons avec Casa Tram. La filiale internationale du groupe a réussi à exporter son savoirfaire, tout en transférant progressivement ses compétences et en créant 600 emplois locaux directs. Dans une culture où posséder une voiture est synonyme de succès, le train urbain de Casablanca s’est fait accepter. Si aujourd’hui la circulation automobile n’a pas diminué, le tram a réussi à tisser des liens entre les quartiers de la ville. Voilà qui montre qu’un réseau digne d’un pays développé peut être exploité sur le long terme, à condition que l’État, la municipalité et l’opérateur travaillent ensemble. l N° 1001 | mai 2016 | Connexion

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