Le décès écologique expliqué aux vivants

Elkas, directeur de la Maison funéraire Steve L. Elkas, à Sherbrooke, ... Le décès écologique expliqué aux vivants. [illu s t r a t io n. : g a b r ie l d a w e. // h o m m.
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urbania 15 // vert

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[illustration : gabriel dawe // hommage à saul bass]

capsula mundi Le bonheur de reposer en paix dans un cercueil ovoïde et biodégradable, pendant qu’un arbre pousse sur nos restes...

Le décès écologique expliqué aux vivants Toute la vie est une affaire de choix. Cela commence par : « La tétine ou le téton ? »et cela s’achève par : « Le chêne ou le sapin ? » – Pierre Desproges

Vous pourriez quitter votre vie terrestre réduit en compost, à bord d’un grand œuf ou d’un sarcophage en papier recyclé. Et que diriez-vous de léguer votre ADN à une plante ? Votre engagement environnemental pourrait vous suivre jusque dans la tombe. Texte : Sophie Massé

Raoul Bretzel et Anna Citelli, deux designers italiens, sont fiers de présenter la Capsula Mundi. Un cercueil organique. Un grand œuf de bioplastique pouvant accueillir le corps en position fœtale. « Pour nous, la mort est un moment de transformation, qui scelle notre appartenance au monde naturel. C’est une renaissance sous une autre forme, le point d’entrée dans le monde spirituel. » Ainsi, à mesure que la « capsule » se dégrade, l’arbre planté au-dessus étend ses racines. Cet objet insolite, vu dans plusieurs expositions de design en Europe, redéfinit les paradigmes de la « dernière demeure ». La mort telle que nous la pratiquons pollue. Le corps embaumé est shooté au formaldéhyde. Il est ensuite enterré dans un cercueil verni, muni de poignées de métal pas particulièrement biodégradables. L’objet aura servi un gros quatre jours. L’incinération n’est pas une porte de sortie plus honorable. Les puristes vous diront qu’elle consomme de l’énergie (le plus souvent, du gaz naturel) et transforme les plombages en mercure, lequel est relâché dans l’atmosphère. Avouez que ça ne donne pas le goût de mourir.

Finir ça en vert « Les rituels funéraires actuels ne correspondent plus aux besoins d’une partie de la société », explique en entrevue Gerard Moliné, codessinateur avec Martin Ruiz de Azua de la Bioa Urn, une urne écolo faite de carton recyclé et de terreau, auquel on a ajouté des semences d’arbre. Mike Salisbury, président fondateur de la Natural Burial Cooperative du Canada, soutient qu’il est logique que les gens s’intéressent aux rites funéraires verts. « En donnant leur corps à la terre, ils retournent d’où ils viennent. Le fait que cette décision ait des répercussions financières ou écologiques est un plus », dit-il. Son organisme travaille activement à fonder le premier cimetière écologique au Canada, sorte de forêt du souvenir où le corps serait enterré sans être embaumé. Un arbre serait ensuite planté sur la sépulture. L’ensemble donnerait un lieu protégé, propice au recueillement. Berceau de la mort verte Au Royaume-Uni, où l’industrie de la mort naturelle fleurit depuis 1993, on compte maintenant plus de 200 écocimetières. L’industrie funéraire, là-bas, n’a jamais eu autant de pouvoir qu’ici, selon Mike Salisbury. C’est là un contexte idéal pour le développement d’une industrie alternative. Pour Hazel Selina, créa­ trice d’Écopod, le mouvement de la mort verte au Royaume-Uni a des racines historiques. « Nous avons un héritage victorien austère qui nous vient de notre bonne vieille Reine, en particulier en ce qui concerne l’industrie funéraire. La mort naturelle est peut-être un simple retour du balancier, la renaissance de rituels moins protocolaires et collet monté. » L’Écopod qu’elle fabrique est un cercueil ultra léger fait de papier recyclé et qui rappelle vaguement un sarcophage égyptien. Il devrait être offert au Canada dès 2008. Donner son corps au compost Certaines idées vont très loin. Ainsi, le projet suédois Promessa, créé par la biologiste Susanne Wiigh-Mäsak, consiste à refroidir le corps à des températures cryogéniques en le plongeant dans l’azote liquide pour le rendre friable avant de le faire vibrer doucement pour le réduire en poudre. L’eau est ensuite retirée de cette poudre, ainsi que toutes les pièces superflues (dents avec plombages, prothèses chirurgicales, stimulateur cardiaque, etc.). Les restes, devenus entièrement organiques, sont placés dans un contenant d’amidon, qui est enterré. Cette idée surprenante vient d’une conception autant pratique que scientifique de la décomposition. Pour Wiigh-Mäsak, le corps doit être préparé avant d’être enfoui si l’on souhaite qu’il revienne à sa forme organique et qu’il soit absorbé par le sol. Sinon, parce qu’il est trop gros et qu’il empêche l’action de l’oxygène, le corps se décompose lentement et peut nuire à l’équilibre naturel du sol. « J’ai trouvé cette méthode, mais il en existe peut-être d’autres. Je voulais pouvoir l’expliquer à un enfant de 5 ans sans qu’il soit terrorisé; il fallait donc que ce procédé nous semble acceptable d’un point de vue psychologique. » Cette approche biologique, qui n’a encore jamais été testée, présente aussi l’avantage d’accélérer le processus de décomposition, ce qui s’impose comme une solution à la surpopulation des cimetières... Sépulture transgénique Aucune initiative ne va cependant plus loin que le projet Biopresence, des artistes Shiho Fukuhara et Georg Tremmel, qui se donnent pour mission de transférer de l’adn humain à celui d’un arbre, et qui testent les possibilités infinies de la biologie moléculaire afin de créer ce qu’ils nomment un « monument vivant » ou une « sépulture transgénique ». En effet, selon le principe naturel de la « mutation silencieuse », il serait possible de stocker de l’information dans l’adn d’un arbre sans en affecter le code génétique. Au terme d’une telle métamorphose, votre essence serait en quelque sorte « hébergée » dans l’arbre sans que celui-ci ne puisse être considéré comme un organisme génétiquement modifié. En bref, votre destin posthume serait scellé à celui d’un autre être vivant. Quand on demande à Georg Tremmel s’il croit que l’art a des réponses à des questions aussi fondamentales que la mort, il nous met en garde : « La mort est une expérience beaucoup plus immédiate, plus directe que l’art ne sera jamais. L’objectif de Biopresence, c’est de faciliter notre rapport difficile à la mort en célébrant la vie. » Ce projet pourrait devenir réalité au Japon d’ici quelques années.

Pas légal Toutes ces idées sont bien jolies. Le hic : la mort verte ne serait sans doute pas tout à fait réglementaire au Québec, où la loi exige, notamment, qu’un cercueil ait un couvercle, qu’il soit doté de poignées, et qu’il soit recouvert de 1,5 m de terre. « La loi prévoit par ailleurs que le corps du défunt ne peut pas être en contact avec le public plus de 18 heures après le décès, indique David Émond, responsable de la coordination départementale et enseignant du programme de thanatologie du Collège de Rosemont. Au-delà de ce délai, le corps doit être embaumé. » Ces règles excluent d’emblée la possibilité d’exposer le corps si l’on pratique un rituel écologique. En revanche, l’exposition est encore si courante que beaucoup de gens pensent qu’elle est exigée par la loi. Nenni. « Demandez à n’importe quel psychologue spécialiste du deuil; il vous dira que voir le corps est la première étape d’un deuil réussi », dit David Émond. Pour Mike Salisbury, il y a là un paradoxe : « La première étape du deuil, c’est le déni. Or, l’embaumement présente le mort comme s’il dormait paisiblement. Comme s’il pouvait, à tout instant, se réveiller. L’exposition est d’abord une idée qui nous a été vendue par l’industrie funéraire. » Pour l’heure, un compromis idéal pourrait donc être l’embaumement éco­ lo­gique. « Il existe un dérivé d’iode, le Aard Balm, qui pourrait remplacer le formaldéhyde, mais il n’est pas encore offert ici », précise David Émond. Cercueil en bois récupéré La mort verte n’est cependant pas un concept sans vie au Québec. Stéphane Elkas, directeur de la Maison funéraire Steve L. Elkas, à Sherbrooke, a accepté un partenariat avec les cercueils Le Vertsant. Depuis janvier 2006, cette entreprise québécoise fabrique, selon une méthode artisanale, des cercueils et des urnes de bois récupéré sans clou ni vis, ni teinture. « J’ai remarqué que si les gens étaient plus attirés par les cercueils de bois que par les cercueils en métal, c’était d’abord pour des raisons écologiques », raconte M. Elkas. * Du reste, en attendant que la mort verte frappe à notre porte, on peut toujours aller finir ses jours aux États-Unis, où l’on compte déjà six cimetières écologiques. Mike Salisbury se donne, quant à lui, deux ans pour ouvrir le sien, sans doute en Ontario. Or, il pourrait être devancé par le Royal Oak Burial Park à Victoria, qui annonçait dans le Victoria Times l’ouverture du premier cimetière écologique canadien d’ici 2009. Toutes ces ambitions sont dignes d’intérêt. D’ici à ce qu’on trouve le secret de la vie éternelle, bien entendu...