Le Cin��ma allemand


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LES ALLEMANDS A CANNES, DE L’AN ZERO A 2010 (UNE HISTOIRE PERSONNELLE)

Par Wim Wenders*

Conçu avant la guerre en 1939 - Louis Lumière aurait dû être le premier Président ! - le Festival n’a pu commencer qu’en 1946, conséquence de la plus désastreuse contribution Allemande à l’Histoire, oui, et aussi du cinéma. Après, la chronologie des films Allemands sur la Croisette est aussi variée que le cinéma Allemand d’après-guerre lui-même. Il y a des auteurs et des œuvres oubliés, et ceux dont on se souvient avec surprise ou avec joie. (Et tout de suite je demande pardon à tous ceux qui n’apparaissent pas dans mon parcours des annales du festival.)

Le seul Allemand présent la première année, en 46, était un exilé : Billy Wilder avec « The Lost Weekend ». Qu’est-ce que j’aimerais revoir ou redécouvrir cette sélection ! Alfred Hitchcock, Roberto Rosselini, David Lean, George Cukor, Charles Vidor, René Clément, Jean Cocteau (avec « La Belle et la Bête » !), entre autres. On se demande comment ils ont ressenti cette première mondiale, ce festival inconnu sur la Côte d’Azur qui n’avait encore aucune tradition. Nous, on a toujours toute l’histoire de Cannes en tête. Étrange de l’imaginer comme invention… Un film Allemand qui aurait pu être montré cette première fois fut tourné en été 44, autours de Berlin, par Helmut Kaütner. « Unter den Brücken » a été présenté à Locarno en première mondiale au cours de cette année 46. C’est un petit miracle, cette histoire d’Amour entre une femme et deux hommes, mon film préféré dans toute cette période d’après-guerre. Le tournage avait lieu pendant que Berlin et Potsdam étaient sous le bombardement des alliés, et ce film est fait complètement sous le radar des contrôles des Nazis. L’absence de la guerre n’est pas une forme de refoulement, c’est plutôt une utopie. Ce film est un hymne à la paix comme il y en a trop peu dans le cinéma. Ce même Helmut Kaütner, largement oublié par l’histoire du cinéma, est quand même le premier représentant Allemand à Cannes un peu plus tard, avec « Der Apfel ist ab » en 49. (Et il revient en 55 avec « Ludwig II ».) Cette année 49 liste quatre films Allemands en compétition, étonnamment, avec des films (plutôt disparus) de Josef von Báky (« Der Ruf »), Kurt Maetzig (« Die Buntkarierten ») et Hans Betram « Eine Grosse Liebe ». Quand même, une vraie première « vague Allemande »…

Le cinéma Allemand des années Cinquante et soixante est représenté par des auteurs comme Staudte (« Rose Bernd » en 57 et « Der letzte Zeuge » en 61), Kurt Hoffmann (58) (avec un film très commercial comme « Das Spukschloss im Spessart ») Herbert Vesely (avec l’important « Das Brot der Frühen Jahre » en 62) Franz Peter Wirth avec « Helden » en 59, Harald Braun deux fois avec « Herz der Welt » en 52 et « Solange Du da bist » en 54 . Michael Pfleghar montre en 64 « Die Tote von Beverly Hills ». Bernard Wicki est là en 64 avec « The Visit » et encore une fois à la fin de sa carrière, en 89, avec « Das Spinnennetz ». (Il joue le rôle d’un médecin maudit dans mon « Paris, Texas » …) Ma génération, le soi-disant « Nouveau Cinéma Allemand » avait très peu de contact avec ces cinéastes. Ils auraient pu être nos pères, mais on ne les a pas cherchés ou acceptés. On a essayé de creuser plus loin dans l’histoire pour retrouver les grands-pères, les Fritz Lang et Friedrich Wilhelm Murnau. Ou les Américains… Les précurseurs d’un autre cinéma Allemand sont venus à Cannes au cours des années soixante. (Entre cette génération de cinéastes et « nous », les limites sont quelquefois un peu floues…) D’abord Edgar Reitz, déjà en 63, avec son court métrage« Geschwindigkeit ». Et puis Volker Schlöndorff en 1966 avec son début fracassant « Der junge Törless » ! « Es » de Ulrich Schamoni est présenté la même année et le film de son frère Peter Schamoni « Die Widerrechtliche Ausübung der Astronomie » un an plus tard, en 67. Schlöndorff revient dès cette année-là avec « Mord und Totschlag », puis montre « Michael Kohlhaas » en 69, et il gagne une Palme d’Or légendaire en 79 avec « Die Blechtrommel » ex aequo avec « Apocalypse Now », de Francis Ford Coppola. « Malatesta » de Peter Lilienthal est à l’affiche en 70, et « Das Unheil » von Peter Fleischmann en 72… Et alors c’est à nous, une bande de cinéastes sans pères, bientôt résumés sous le label de « Nouveau Cinéma Allemand ». Werner Herzog d’abord. Pour la première fois à Cannes en 1970, il montre « Auch Zwerge haben Klein angefangen ». Il revient souvent, avec « Aguirrre » en 73, « Kaspar Hauser » en 75, « Woyzeck » 79, gagne le Prix de la Mise en Scène en 82 avec le magnifique « Fitzcarraldo », et montre « Where the Green Ants Dream » en 84. Faßbinder appose son empreinte pour la première fois en 74 avec « Angst essen Seele auf ». Il revient en 78 avec « Despair » et 79 avec « Die Dritte Generation ». Et il apparaît comme acteur chez Daniel Schmidt (« Schatten der Engel ») en 76, ainsi que plusieurs fois à la Semaine de la Critique. Werner Schröter est présent à différentes reprises d’abord à la Quinzaine, puis en compétition avec « Tag der Idioten » en 82 et « Malina » en 91. Thomas Brasch montre deux films en compétition, « Engel aus Eisen » en 81, et « Welcome to Germany » en 88. Et n’oublions pas un autre film de l’Allemagne de l’Est passé en 75, « Lotte in Wimar », de Egon Günther.

Bernhard Sinkel présente « Kaltgestellt » en compétition en 80. Et pour parler de moi-même, si vous permettez, pour compléter le tableau : je montre mon premier film à Cannes en 76. « Im Lauf der Zeit ». Gilles Jacob me demande de la part du directeur du festival, Maurice Bessy, quelques heures avant la projection, si je ne pourrais pas renoncer à un moment du film (assez délicat, cette « défécation » vue d’une certaine distance, j’en suis d’accord) mais cette fameuse scène - quand Rüdiger Vogler fait caca - a été retirée du film si souvent pendant le montage que j’en ai marre. Je dis non. Je tiens à vivre ce moment qui au début n’était qu’une sorte de pari ou de blague entre mon acteur et moi… Nous arrivons (après des bagarres avec la police qui ne veulent pas nous laisser passer) avec les acteurs devant l’ancien Palais, dans le vieux camion qui est le décor principal du film. Notre premier tapis rouge, et personne ne nous prend au sérieux ! C’est qui, ces jeunes qui sortent d’un camion ?! Ma première apparition à Cannes « rapporte » le Prix de la Critique, ex aequo avec Alexander Kluge, qui présente « Der Starke Ferdinand » à la Quinzaine. Nous trouvons notre chemin à travers le labyrinthe du bâtiment pour aller chercher nos diplômes, et quand on sort, finalement, on déroule les parchemins, en descendant les marches, et on éclate de rire : Nos deux noms sont mal orthographiés… Ca n’arrivera pas une deuxième fois ! Depuis, je suis revenu plus de vingt fois à Cannes, comme metteur en scène en compétition et hors compétition, ou à Un Certain Regard, comme producteur (avec Peter Handke « La Femme Gauchère », Claire Denis « Chocolat » ou Holger Ernst « The House is Burning »), et ma Palme d’Or en 84 pour « Paris, Texas » a été certainement l’un des plus beaux jours de ma vie, mais mon plus grand plaisir fut l’année 89, quand Gilles Jacob m’a confié la Présidence du Jury ! Cette fois-là au moins j’ai pu voir tous les films, je n’ai pas eu à donner une seule interview, et j’avais mon propre chauffeur en permanence. On avait des discussions et des réunions tous les jours, intelligentes, animées, passionnées. Ces dix jours à Cannes sont devenus dans ma mémoire un véritable « paradis cinématographique ».

Évidemment, il y a eu aussi des temps plus difficiles. Là, rien ne pourra battre mon expérience avec « End of Violence », en compétition 1997, l’année du cinquantième Anniversaire du Festival. Gilles m’avait convaincu de montrer mon film la nuit même de la grande fête-anniversaire. Tous mes collègues metteurs en scène qui avaient gagné la Palme étaient présents et on avait posé tous ensemble dans une longue file sur scène. Et plein de discours, bien sûr, et des extraits et tout! Et puis après cette première partie déjà ultra émotionnelle, on passe donc mon film, devant tous ces géants du cinéma, (sauf qu’à ce moment-là, tout le monde est fatigué et veut aller diner !) Je suis plus anxieux que je ne l’ai jamais été de toute ma vie durant une projection. Je trouve le film trop long et mal mixé,

(une expérience que je partage certainement avec plein de metteurs en scène lors d’une première mondiale) et je veux disparaître sous mon siège. Et puis, inexplicablement, je ne vois plus les sous-titres ! Il y a une barre noire à la place, qui disparaît bizarrement si je regarde plus bas encore… Je suis trop nerveux pour prendre au sérieux cet effet visuel. Le lendemain, la barre noire est toujours là, mais plus grande. C’est inquiétant. Je vais voir un ophtalmo à Cannes qui me recommande de me rendre tout de suite à Paris pour me faire opérer d’urgence d’un décollement de la rétine ! Ma femme me met dans la voiture et on fait un voyage direct, interrompu seulement pour prendre de l’essence, jusqu’à Marburg en Allemagne, où réside un grand ophtalmo qui me connaît et qui m’opère tôt le lendemain. Pas trop tard. Je récupère une vision complète dans cet œil droit. Mais voici mon conseil à tous mes amis metteurs en scène : Ne montrez pas un film à tous les metteurs en scène et producteurs du monde entier en même temps ! Le « Nouveau Cinéma Allemand » n’a pas pu rester « nouveau » pour toujours. Toute une autre génération de cinéastes représente l’Allemagne dans ce nouveau siècle. Jan Schütte commence en 2000 avec « Abschied », Max Färberböck continue avec « September » en 2003, Hans Weingartner montre « Die fetten Jahre sind vorbei » en 2004, Angela Schanelec est là avec « Marseille » en 2004 (et déjà avec « Plätze in Städten » en 98,) Benjamin Heisenberg est invité avec « Schläfer » en 2005, Fatih Akin était là la même année avec « Crossing the Bridge », (quand il est aussi membre du jury sous la présidence d’ Emir Kusturica) et avec « Auf der anderen Seite » en 2007, quand Robert Thalheim est invité aussi avec « Am Ende kommen Touristen ». « Wolke 9 » de Andreas Dresen passe en 2008. Et ma liste se termine avec « Unter dir die Stadt » de Christoph Hochhäuser en 2010… Le Cinéma Allemand avec toutes ses facettes doit énormément au Festival de Cannes, c’est évident, même si plein de gens ont l’habitude de déplorer une « absence des Allemands » presque chaque année. Ben, moi je témoigne ! J’ai sûrement eu des relations privilégiées avec Cannes, et j’en suis reconnaissant à Gilles Jacob et sa Prés(id)ence gentille, compétente et discrète en haut des marches, et depuis dix ans à son Délégué Général, Thierry Frémaux qui porte tout le poids de la programmation admirablement. L’histoire du Festival de Cannes, depuis son début, est un miroir exemplaire de l’histoire de cinéma, y compris du Cinéma Allemand.

* Wim Wenders est réalisateur, producteur, scénariste de cinéma et photographe allemand. Le Festival de Cannes remercie les auteurs pour leur libre contribution.