le cancer de la prostate

Le seuil à partir duquel une valeur d'APS est considérée comme élevée est également variable selon les différents protocoles. À titre d'exemple, l'étude PLCO ...
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LE CANCER DE L A PROSTATE DÉPISTAGE ENCORE PERTINENT EN 2014 ? Lors de sa visite habituelle, Monsieur Provencher, 66 ans, vous informe que son voisin vient de recevoir un diagnostic de cancer de la prostate métastatique. Il a effectué quelques recherches sur Internet et vous demande aujourd’hui un dosage d’APS. Allez-vous le lui prescrire ? Catherine Sperlich et Trung Nghia Nguyen

Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez l’homme, en atteignant un sur sept. Au cours des dernières années, le US Preventive Services Task Force, le Collège des médecins du Québec ainsi que plusieurs autres agences gouvernementales ont émis des recommandations remettant en question la pertinence du dépistage du cancer de la prostate, du moins sur une base populationnelle systématique1-4. Nous vous offrons un point de vue oncologique sur ce débat.

DOCTEUR, MON VOISIN A LE CANCER DE LA PROSTATE, DOIS-JE M’INQUIÉTER ? Le dépistage du cancer de la prostate au moyen du dosage sanguin de l’antigène prostatique spécifique (APS) sert à déterminer le degré de risque et ainsi à repérer les hommes qui ont besoin d’une évaluation plus approfondie. La recher­ che à ce sujet a regroupé principalement des hommes de 55 à 70 ans dont l’espérance de vie était d’au moins dix à quinze ans. Les données longitudinales de plus grandes études à répartition aléatoire (ERSPC, PLCO, Göteberg) montrent un effet bénéfique, mais modeste du dépistage sur la mortalité propre à ce cancer. Toutefois, elles ne révèlent aucun effet sur la survie globale. Plus spécifiquement, l’étude European Randomised Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) a observé une baisse de la mortalité liée au cancer de la prostate de 21 % sur un suivi de onze ans, sans accroissement de la survie globale5,6. L’étude de Göteberg, menée en Suède et incluse dans l’étude ERSPC, a quant à elle noté une diminution de la mortalité attribuable au cancer de la prostate de 44 % après quatorze ans7. À l’opposé de ces résultats, l’étude Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian Cancer Screening Trial (PLCO), réalisée aux États-Unis, n’a pas révélé de réduction de la mortalité par cancer de la prostate après treize ans par suite d’un dépistage annuel8. Les données modélisées de l’étude ERSPC

La Dre Catherine Sperlich et le D Trung Nghia Nguyen, hémato-oncologues, exercent au Centre intégré de cancérologie de la Montérégie de l’Hôpital Charles-Le Moyne et sont professeurs d’enseignement clinique à l’Université de Sherbrooke. r

lemedecinduquebec.org

NOMBRE DE DÉPISTAGES* ET DE DIAGNOSTICS† NÉCESSAIRES POUR ÉVITER UN DÉCÈS PAR CANCER DE LA PROSTATE

TABLEAU I

11 ans de suivi médian

Extrapolation à vie

NNS

1055

100

NND

37

7

*Number needed to screen (NNS) ; †Number needed to diagnose (NND) Source : Collège des médecins du Québec. Le dépistage du cancer de la prostate – Mise à jour 2013. Lignes directrices du Collège des médecins du Québec. Montréal : Le Collège : 2013. Site Internet : www.cmq.org/fr/ Public/Profil/Commun/Nouvelles/2013/~/media/Files/Lignes/Lignesdepistage-cancer-prostate-2013.pdf?51429. Reproduction autorisée.

suggèrent à long terme un accroissement plus important de la survie6,9 (tableau I 2). Puisqu’un dépistage à large échelle du cancer de la prostate ne comporte qu’un avantage modeste, une stratégie individualisée en visant la détection précoce paraîtrait plus souhaitable. En plus de cibler les hommes de 55 à 70 ans, dont l’espérance de vie dépasse dix ans, on pourrait aussi l’envisager à partir de 45 ans dans certains groupes de patients dont le risque est plus élevé : hommes comptant un parent du premier degré ayant un cancer de la prostate, particulièrement s’il est survenu avant 65 ans ; hommes de race noire et hommes porteurs de mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2. Le scénario inverse s’applique aux patients atteints de maladies concomitantes limitant à la fois leur qualité de vie et leur longévité et dont la survie probable est inférieure à dix ans comme ceux souffrant d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance rénale grave nécessitant une dialyse ou d’un cancer métastatique autre. On devrait ainsi s’abstenir de leur proposer le dépistage. À titre de référence, les lignes directrices 2013 du Collège des médecins du Québec ne recommandent pas le dépistage du cancer de la prostate chez les patients de plus de 70 ans, ni chez ceux dont l’espérance de vie est estimée à moins de dix ans2.

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TABLEAU II

TRÈS FAIBLE RISQUE DE CANCER DE LA PROSTATE5,6,8,10

Études

Valeur d’APS et risques cliniques

PLCO

h

ERSPC

h

MALMO 

h

APS , 1 : risque , 0,6 % de cancer de la prostate sur six ans8 APS , 1 , NNS* : 24 642 et NNT† : 7245,6 Sur 21 277 hommes, 75 % ont eu un taux d’APS , 1 à 45 ans. De ce groupe, moins de 1 % sont morts du cancer de la prostate métastatique sur quinze ans. • Si 2e dosage de l’APS , 1 : moins de 0,2 % de décès par cancer de la prostate métastatique • Si 3e dosage de l’APS , 1 : risque de décès très faible, dépistage devient discutable10

* Nombre de dépistages nécessaire ; † nombre de patients à traiter

Évidemment, en présence de symptômes urinaires (difficulté mictionnelle, pollakiurie, rétention d’urine ou métastases osseuses), la notion de dépistage n’est plus de mise. Ces éléments cliniques devraient déclencher plutôt un bilan diagnostique incluant le dosage de l’APS et tout autre test approprié.

QUELS TESTS DOIS-JE SUBIR ? Parmi les tests de dépistage du cancer de la prostate, on trouve le toucher rectal et le dosage de l’APS dans le sang. Le toucher rectal permet de repérer des nodules supérieurs à 0,2 ml dans la zone périphérique de la prostate. Jusqu’à 18 % des cancers de la prostate seraient découverts sur la base d’un toucher rectal anormal seul. En association avec un taux d’APS de 2 ng/ml, le toucher rectal anormal aurait une valeur prédictive positive de 5 % à 30 %. Il existe également un lien entre la découverte d’un nodule et la possibilité d’un cancer de la prostate dont le grade de Gleason est plus élevé. Ainsi, un nodule palpable au toucher rectal indiquerait un cancer de la prostate déjà de stade T2 selon le système TNM (Tumors, Lymph Node, Metastasis). Lorsque le taux d’APS est élevé, mais que le toucher rectal est normal, le cancer serait alors de stade T1. L’APS constitue un marqueur spécifique à la prostate, mais non au cancer. En effet, l’augmentation du taux d’APS peut être le signe d’une hypertrophie bénigne de la prostate ou d’un autre problème d’inflammation de la prostate. Il faut se rendre compte que l’APS est un paramètre continu. Bien que le risque de cancer soit plus important lorsque les valeurs sont plus hautes, il est possible, mais rare, d’avoir un cancer de la prostate lorsque les valeurs sont faibles. Un premier résultat peu élevé au dosage de l’APS permet de repérer un groupe de patients à très faible risque, de sorte qu’un dépistage ultérieur deviendrait discutable (tableau II 5,6,8,10). L’intervalle idéal entre les divers dosages d’APS reste controversé puisque ce paramètre n’était pas très homogène parmi les grandes études à répartition aléatoire. On

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Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 11, novembre 2014

pourrait raisonnablement répéter les dosages tous les deux ans et moduler cet intervalle entre un et quatre ans selon le risque du patient par rapport à la moyenne. Le seuil à partir duquel une valeur d’APS est considérée comme élevée est également variable selon les différents protocoles. À titre d’exemple, l’étude PLCO utilisait un seuil d’APS comme indication d’une biopsie de la prostate à 3 ng/ml alors que la plupart des centres de l’étude ERSPC fixaient le seuil à 4 ng/ml. Il peut donc devenir complexe de décider de procéder ou non au dépistage du cancer de la prostate en raison de ces multiples facettes et controverses. Afin de mieux aider les patients à en arriver à une décision personnalisée, le médecin dispose de plusieurs outils cliniques. Le Collège des méde­cins du Québec a produit un dépliant intitulé : « Le dépistage du cancer de la prostate : une décision qui VOUS appartient ! »11. Une boîte à décision intitulée : « Le dosage de l’antigène prostatique spécifique (APS) pour le dépistage du cancer de la prostate »2 ainsi que le site Internet www.prostatecancer.ca peuvent s’avérer fort utiles pour informer les patients.

SI MON TAUX D’APS EST ÉLEVÉ, QUE POURRAIT-IL M’ARRIVER ? En présence d’un taux d’APS élevé, le patient est dirigé vers un urologue qui discutera avec lui du rôle de la biopsie. Au moins huit échantillons doivent être prélevés sous guidance échographique et envoyés en pathologie dans le but de diagnostiquer le cancer, un adénocarcinome dans 99 % des cas. La biopsie peut entraîner des coûts et des risques non négli­ geables, notamment en ce qui a trait à l’intervention, au sur­diagnostic et au traitement. Des infections conduisent parfois à l’hospitalisation du patient dans de 0,6 % à 4,1 % des cas12. Une étude a établi à 33 % le taux de complications modérées ou graves, comme la douleur, la fièvre et les symptômes urinaires13. La mortalité associée à l’intervention

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TABLEAU III

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CATÉGORIES DE RISQUE DU CANCER DE LA PROSTATE LOCALISÉ Score de Gleason

Catégorie de risque

Stade clinique

APS (ng/ml)

Très faible