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rappelle Benoît Dedieu, conserver des marges de manœuvre ou développer la diversité sur la ferme sont des facteurs qui peuvent limiter la vulnérabilité (voir ...
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L'ACQUISITION DES REFERENCES EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE POUR RENFORCER LA RESILIENCE DES FERMES EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE Table Table ronde ronde

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LES INTERVENANTS : Marc Benoît, INRA Clermont-Ferrand et co-animateur du comité interne AB de l’INRA, Benoît Dedieu, chef du département Sad de l’INRA, Gabrielle Sicard, chargée de mission de l’InterAFOCG et François Théry, agriculteur bio dans le Nord-Pas de Calais en polyculture, près d'Arras.

Entre les changements climatiques, la fin des outils de régulation des marchés tels que les quotas laitiers et l'instabilité des marchés, l'incertitude pèse sur de nombreuses fermes. Pour y faire face, la notion de résilience a intégré le champ agricole. L'acquisition de références peut-elle aider à renforcer cette dimension dans les fermes en bio  ? La question est posée.

«  Aborder la notion de résilience, c'est se demander si un système peut encaisser et faire avec les aléas climatiques, sanitaires, économiques ou politiques  », résume Benoît Dedieu, chef du département SAD à l'Inra. Pour le co-auteur de «  L'élavage en mouvement  : flexibilité et adaptation des exploitations d'herbivores  » et «  Agir en situation d'incertitudes en agriculture », les aléas peuvent arriver de l'extérieur. « Il existe aussi le cas des systèmes qui arrivent à une situation critique et doivent intrinsèquement changer pour survivre à des changements anticipés », précise-t-il. En filigrane de la résilience, les notions de vulnérabilité et de flexibilité apparaissent  : quelles sont les points de fragilité d'une ferme ? Quel degré d'agilité est conservé ou favorisé par l'agriculteur pour réagir face aux changements ? Comme le rappelle Benoît Dedieu, conserver des marges de manœuvre ou développer la diversité sur la ferme sont des facteurs qui peuvent limiter la vulnérabilité (voir encadré page 16).

LA RÉSILIENCE DÉFINIE DANS LE PROJET REFAB La résilience a été retenue en 2013 comme un des principes de la durabilité des fermes bio dans le cadre du projet RefAB. Il s'agit de « la capacité d'un système à s'adapter aux fluctuations et à supporter les perturbations, à se prémunir contre les risques et à anticiper ceux qui peuvent l'être ». À côté d'elle, deux autres notions émergent : la vulnérabilité et la flexibilité.

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Focus

MIEUX COMPRENDRE LA RÉSILIENCE : L'APPROCHE DE BENOÎT DEDIEU Lors de la table ronde dédiée à « l'acquisition des références en agriculture biologique pour renforcer la résilience des fermes bio  », Benoît Dedieu, chef de service du SAD-INRA est largement revenu sur cette notion. Il a notamment rappelé que la résilience est l'un des « concepts utilisés pour traiter de la capacité d'adaptation des systèmes dans un milieu ou une durée dans lesquels apparaissent un certains nombres de perturbations ». Pour lui, la notion perd de sa vigueur, car elle est très utilisée mais elle garde de sérieux fondements en écologie et en psychologie. Complexe, la notion de résilience renvoie également à la flexibilité et à la vulnérabilité. Notamment traitée par les socio-économistes, la vulnérablité renvoie, quant à elle, « à la capacité des systèmes à faire face à des chocs violents ». Selon Benoît Dedieu, la question de la capacité d'adaptation renvoie à deux questions : l'échelle de temps et la nature des perturbations (crise dans la famille, changements politiques, réglementaires, revenus insuffisants, etc.). Ainsi, sur le long terme, on ne parle plus d'aléas mais d'incertitude complète sur l'avenir. En revanche, trois dimensions se dégagent. L'étude d'exploitations sur 25 ou 30 ans révèle plusieurs échelles d'adaptation : ππ À court terme : s'adapter pour faire face à des aléas ; ππ À moyen terme : s'engager dans le changement ; ππ Dans le long terme : choisir des trajectoires même si l'on ne connaît pas le futur. Plus concrètement, chez certains, face à la disponibilité des terres, l'engagement de la famille dans le travail, les opportunités de marché, les contextes des fermes restent relativement inchangées. Les personnes, pour se préserver ne sont jamais à l'optimum et elles se préservent des marges de manœuvre. D'autres fermes en revanche, reconfigurent leur système tous les 10 ou 15 ans : organisation de la famille, activités de la famille, projets de production, grands éléments de conduite. Pour tenir, elles sont capables de négocier des changements de systèmes quand la nécessité se présente. Enfin, certains systèmes changent tous les deux ou trois ans : main d'oeuvre, activités, contenu du projet de production, comme s'ils s'exerçaient un ajustement permanent. C'est surtout le cas dans des systèmes confrontés à un marché, un contexte réglementaire ou à des prix très variables. Parler de résilience, de flexibilité ou de vulnérabilité, c'est enfin se poser la question de la nature et de l'objet de cette résilience : est-ce celle du sytème technique, de l'exploitation, du ménage ? Et dans quelle dimension : la production, l'économie, le travail ? Il faut toujours savoir quel cadre est concerné : est-ce le système technique, système famille-exploitation, le ménage ?

LES 5 POINTS POUR LIMITER LA VULNÉRABILITÉ DES SYSTÈMES* ∆

« La recherche de l'optimisation et de l'efficience peut être antagoniste au développement d'une capacité à faire face aux aléas, au maintien de leviers pour s'adapter »

∆ Il faut savoir préserver des marges de manœuvre pour ajuster des décisions ou absorber des chocs. ∆ La diversité est un facteur favorable pour s'adapter aux aléas. ∆ Il faut être capable de changer de manière radicale : trouver une cohérence entre des valeurs et des pratiques, apprendre des difficultés passées.

∆ Sans oublier l'importante des réseaux de réassurance pour s'entraider ou apprendre. *Intervention de Benoît Dedieu, chef du département du SAD à l'Inra.

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LES FERMES BIO PLUS RÉSILIENTES ? Dans les systèmes bio, plusieurs caractéristiques touchent à la vulnérabilité, la flexibilité et la résilience. Le renouvellement des techniques agronomiques est continu, l'absence de recours aux produits phytosanitaires de synthèse oblige à une réactivité importante vis-à-vis de la météo. De quoi se demander si les fermes bio sont plus résilientes que les fermes en conventionnel ? Pour Benoît Dedieu : « Impossible de savoir. À chacun d'interroger les cinq principes qui limitent la vulnérabilité d'un système. C'est un sujet pour la recherche », juget-il. La diversification des ateliers et des productions est également prégnante dans les systèmes en bio. Est-elle une contrainte davantage qu'un atout ? « La diversité engendre une complexification par rapport à la spécialisation. C'est certain. En revanche, en termes d'activités, de ressources et de production, la diversité a des avantages. Par exemple, dans le Sahel où la contrainte climatique est extrême, on constate que les troupeaux qui durent sont composés de races très diverses. Certaines sont improductives pendant des années, mais elles seront les seules à produire en cas d'extrême sécheresse. Mais globalement, nous sommes encore démunis sur cette question. Pour y répondre vraiment, il faudrait savoir mesurer l'impact de la complexité sur le travail agricole. Il faudrait travailler avec des ergonomes sur ces questions ».

LA RÉSILIENCE EN QUESTION À L'INTERAFOCG Réfléchie dans le domaine de la recherche, la résilience a aussi investi des groupes d'échanges de producteurs. C'est le cas à l'InterAfocg. « Nous avions une interrogation, explique Gabrielle Sicard, chargée de mission dans l'association. Certaines fermes qui avaient de bons résultats technico-économiques se retrouvaient rapidement fragilisées lors de crise ou de contextes incertains et changeants ». Pour se familiariser avec la résilience, l'association croise alors des observations de terrain et invite des intervenants extérieurs au monde agricole à expliciter le sujet, comme la chercheuse autrichienne Ika Darnhofer, spécialiste de la question. A la clé, deux exemples. Dans le Loiret, dès 2007, 60 adhérents se réunissent pour réfléchir à des références qui les aident à aller vers plus de résilience. Dans le groupe, les fermes sont à 70 % en bio et à 50 % en vente directe, notamment en maraîchage, volailles et grandes cultures. La méthode a d'abord consisté à créer des cas-types. En 2011, dans le Pays-Basques, les producteurs de lait de brebis s'interrogent : entre 2006 et 2008, leur revenu courant a été divisé par deux. Quelles sont les fermes qui s'en sont le mieux sorti ? Selon quels ressorts ?

QUELS INDICATEURS ET QUELS RÉSULTATS ? Résultats ? Quelques données clé ressortent : « La question du temps est majeure dans le cas du Loiret. Il est, par exemple, ressorti que pour se dégager deux semaines de vacances, et gérer au mieux sa fertilisation, les lots de volailles doivent être planifiés deux ans à l'avance ». Dans le Pays-Basques, l'étude menée auprès des 27 fermes débouche sur un questionnaire avec 73 critères et des indicateurs à l'échelle de la ferme : ils sont liés au système (autonomie, diversité, flexibilité, etc.) mais aussi à l'agriculteur lui-même. « Ces études nous ont permis de nous interroger et de changer notre regard sur la performance des fermes, témoigne Gabrielle Sicard. Celles qui ont les meilleures résultats technicoéconomiques ne sont pas forcément les plus résilientes  ». D'après l'association, plusieurs dimensions entrent également en jeu : le degré d'ouverture de l'agriculteur sur les attentes de la société ou la veille sur l'évolution des pratiques culturales. Enfin, à l'issue de ces travaux, l'Inter-Afocg conclut : « la résilience d'un système passe d'abord par la capacité de résilience de son pilote ».

En terme de pédagogie créative, comment imagine-t-on   un monde demain qui soit différent de celui d'aujourd'hui. Comment sortir du cadre ? Gabrielle Sicard, chargée de mission à l'Inter-Afocg

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LE TÉMOIGNAGE DE FRANÇOIS THÉRY QUELLE EST TA VISION DE LA RÉSILIENCE ? « Quand je me suis installé comme agriculteur, j'ai commencé à faire de l'intensif dans un système spécialisé. Ce n'était pas ma vision de l'agriculture. Quand j'ai voulu changer, j'ai essayé de faire ça dans la sécurité. J'ai d'abord commencé à travailler sur l'autonomie. J'étais en Gaec sur 110 ha et je suis passé à 50 ha avec 11 cultures et 6 variétés différentes de pommes de terre, sans irrigation. Du coup, je n'avais plus d'endettement. J'ai aussi mis en place des rotations en fonction de la qualité de mes terres : pommes de terre et chicorées sur mes terres les plus productives par exemple. J'ai introduit de la luzerne sur 20 ha. La marge de manœuvre existe aussi dans la manière de construire ses itinéraires techniques de production. Vu le coût de l'azote, et l'incertitude sur la minéralisation, j'ai pensé à l'économie sur ce poste : je ne priorise pas toujours le rendement. Je ne joue pas au poker. Côté commercialisation, je me suis engagé directement dans un coopérative 100% bio pour la chicorée. Sur la PDT je fais 5050 entre demi-gros et gros. Pour avoir un bon équilibre agronomique, je savais qu'il fallait que je mette de l'élevage parce que je restais sur un système spécialisé mais je ne l'ai pas fait. Il y a aussi des aspects sur lesquels je n'ai pas pu travailler comme le travail du sol et la fertilisation. Ce n'est pas le manque de références qui a joué, c'est que j'étais seul en bio dans un rayon de 15 kilomètres. Idem sur le temps de travail : j'aurais aimé aller plus loin sur cette question mais ce n'est pas dans la culture de mon secteur. Or, c'est plus facile d'avancer quand on est pas tout seul. Le fait d'être isolé, ce n'est pas simple. Pour moi, l'autonomie financière a été la première étape vers la résilience. Avant j'étais dans un système risqué, surtout pendant la conversion. La mise en place de la diversité m'a aidée. Ça a été ma marge de manœuvre : plus d'espèces, plus de variétés, plus de débouchés. Cela fait 15 ans que je suis en bio, et je n'ai pas à me plaindre. Ce sont les convictions et les valeurs qui m'ont guidé : il faut s'appuyer sur des valeurs pour changer. »

UNE QUESTION : LA RÉSILIENCE EST-ELLE RÉFÉRENÇABLE ? François Théry : «  Dans le Nord, nous avons eu des tornades ces dernières années. Je ne peux pas travailler là-dessus, c'est trop imprévisible. Mais quand je sais qu'un opérateur veut revoir les prix à la baisse, alors là, je peux travailler sur le sujet. Les références doivent toujours être ciblées. Vous pouvez avoir toutes les références possibles, tant qu'un agriculteur ne ressentira pas le besoin de changer, il ne changera pas et il ne pourra pas être résilient. Ma référence, je l'ai pas mal trouvée chez les producteurs bio. Je pense aussi que plus on est nombreux et solidaire, plus on est résilient. Car, être isolé rend les choses plus difficiles. » Benoît Dedieu : «  La question est  : quelles sont les ressources utiles pour changer ? La notion de référence est-elle la plus adaptée pour aborder la résilience  ? Sur le long terme, nous démarrons les recherches donc on ne sait pas. Seule certitude, il va probablement falloir se préparer à encaisser des chocs et pouvoir opérer des changements radicaux avec une capacité d'apprentissage. D'autant qu'une réalité pèse : la prévisibilité. Excepté chez celui qui est totalement autonome dans sa commercialisation, les producteurs sont dépendants de l'aval ».

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