La Suisse est devenue un refuge pour les

de la vente de diamants. Julie Zaugg New York. La tour Art déco coincée sous un échafaudage à l'intersection de la. Cinquième Avenue et de la 47e Rue ne ressemble pas à grand-chose. Mais, dès qu'on en franchit le seuil, ... terrogés, cinq ont dit avoir parmi leurs clients des diamantaires améri- cains avec des comptes ...
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22 DÉCEMBRE 2013

ÉCONOMIE 31

I LeMatinDimanche

La Suisse est devenue un refuge pour les diamantaires américains

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ENQUÊTE Trois filiales suisses

de banques israéliennes se trouvent sur la liste des établissements sous enquête aux Etats-Unis pour évasion fiscale. Elles ont notamment accueilli des fonds issus de la vente de diamants.

La majorité des transactions se font en argent comptant. L’argent ne touche jamais le sol américain et il est donc facile de le dissimuler au fisc»

Julie Zaugg New York

La tour Art déco coincée sous un échafaudage à l’intersection de la Cinquième Avenue et de la 47e Rue ne ressemble pas à grand-chose. Mais, dès qu’on en franchit le seuil, c’est comme si on avait pénétré dans une ruche globale. Des juifs hassidiques en long manteau et chapeau noir parlementent sur leurs téléphones portables. Une femme indienne en sari se faufile dans les couloirs pavés de marbre blanc et noir, frôlant un groupe de Moyen-Orientaux en pleine conversation. Cet immeuble, au cœur du Diamond District de New York, est l’un des quartiers généraux mondiaux de la pierre précieuse. Un étage abrite le prestigieux Institut américain de gemmologie. Un autre, la Bourse aux diamants fondée en 1931, l’une des vingtneuf qui existent dans le monde. Dans la rue, l’ambiance est plutôt celle d’un souk. Des dizaines de bijouteries sont alignées le long de la 47e Rue, à deux pas de Times Square. On y trouve de tout: un vendeur de perles, un diamantaire dont la famille œuvre ici depuis trois générations, un homme qui rachète de l’or pour le refondre et une multitude de réparateurs de montres. A l’étage, des ouvriers sont penchés sur des établis de bois, sertissant des bagues de diamants à l’ancienne, manuellement. «Près de 30% des diamants vendus dans le monde le sont aux Etats-Unis et 95% passent par ici, note Michael Grumet, directeur de l’association de promotion économique du Diamond District. Toutes les grandes maisons, comme Tiffany ou Harry Winston, se fournissent ici.» New York est l’une des grandes places du diamant, aux côtés d’Anvers, de Tel-Aviv, de Mumbai (Bombay) et de la Chine. «Elle a connu son essor dès la Seconde Guerre mondiale, lorsque de nombreux diamantaires juifs européens se sont réfugiés aux Etats-Unis pour échapper au nazisme», explique Ramon Cortes, fondateur du site Diams.ch. Si la taille des diamants s’est aujourd’hui largement déplacée vers l’Inde et la Chine, New York reste un centre mondial pour le trading de pierres. L’industrie du diamant y génère 24 milliards de dollars par an. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Une bonne partie des affaires initiées dans les alcôves discrètes du Diamond District se concluent à l’abri du regard de l’administration fiscale américaine. Et finissent sur des comptes en Suisse. «Les diamantaires américains se rendent fréquemment en Europe, notamment à Anvers, pour y vendre ou acheter des pierres, explique Robert McKenzie, avocat spécialisé dans les affaires d’évasion fiscale. Ils vont alors faire un saut de puce à Genève ou à Zurich pour déposer l’argent issu de ces transactions sur un compte suisse.» Cela leur permet d’éviter de Contrôle qualité

ASHER RUBINSTEIN Avocat spécialisé dans les affaires fiscales

nal. «Elles leur fournissaient des crédits aux Etats-Unis, garantis par les sommes contenues dans leurs comptes offshore», détaille Kevin Thorn, avocat spécialisé dans les affaires fiscales. Lorsque les ennuis d’UBS et d’autres banques suisses avec le fisc américain sont devenus de notoriété publique en 2008, Leumi, Mizrahi et Hapoalim ont en outre cherché à récupérer les clients qui les fuyaient. L’inculpation de trois ex-banquiers du Credit Suisse par une cour de Virginie, en février 2011, montre que la filiale suisse de Leumi a recueilli des fonds du Credit Suisse en 2008 et en 2009. Les trois banques ont aussi cherché à rapatrier en Israël de l’argent déposé auprès de leurs filiales suisses, convaincues que l’offensive américaine s’arrêterait aux frontières helvétiques. «Il existe un véritable schéma de transferts d’argent entre la Suisse et Israël, à partir de 2008», fait remarquer Joseph Septimus, avocat de la firme Kostelanetz Fink.

Volte-face

Diamond District, à New York. De nombreux diamantaires sont tombés dans les filets du fisc américain pour avoir détenu des comptes non déclarés en Suisse, notamment auprès des branches helvétiques des banques Leumi, Mizrahi et Hapoalim. Photos: Aline Paley

déclarer une partie de leurs revenus au fisc américain. Robert McKenzie a deux clients dans ce cas, qui sont allés jusqu’à dissimuler des pierres dans une poche de tissu pour les acheminer en Europe sans se faire repérer par les douanes. «La majorité des transactions se font en argent comptant dans le monde du diamant, précise Asher Rubinstein, un autre avocat spécialisé dans les affaires fiscales. Cela ne laisse pas de traces, l’argent ne touche jamais le sol américain et il est donc facile de le dissimuler au fisc.»

Offensive sur Los Angeles Les branches helvétiques de trois établissements israéliens, Leumi, Mizrahi et Hapoalim, semblent avoir été particulièrement actives dans ce domaine. Sur les sept avocats américains qui défendent des clients de banques suisses que nous avons interrogés, cinq ont dit avoir parmi leurs clients des diamantaires américains avec des comptes auprès de ces filiales. Sans surprise, ces trois banques se trouvent sur la liste des 14 établissements suisses visés par une enquête aux Etats-Unis pour évasion fiscale.

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Il existe un véritable schéma de transferts d’argent entre la Suisse et Israël, à partir de 2008» JOSEPH SEPTIMUS Avocat de la firme Kostelanetz Fink

Ce n’est pas la première fois que le monde de la pierre précieuse est accusé d’esquiver ses impôts. Près de 500 diamantaires d’Anvers sont dans le collimateur du fisc belge pour des comptes détenus à la banque HSBC en Suisse. Le diamantaire new-yorkais Richard Werdiger a, pour sa part, été condamné fin 2011 à un an de prison pour avoir dissimulé plus de 7 millions de dollars chez UBS, HSBC Suisse et LGT. Mais les filiales suisses de Leumi, Mizrahi et Hapoalim n’ont pas servi de havre que pour les diamantaires. «On y trouve aussi de nombreux comptes détenus par des survivants

de l’Holocauste – ou leurs descendants – ouverts durant la période nazie ou après la guerre pour réceptionner les réparations allemandes, relève Asher Rubinstein. Ils sont souvent dans la famille depuis plusieurs générations et n’ont jamais été déclarés.» Ces banques ont également mené une offensive de charme auprès de la communauté juive et perse de Los Angeles. Cinq de ses membres sont passés devant les tribunaux depuis cet été, accusés d’y avoir maintenu des comptes non déclarés, souvent au nom de sociétés-écrans dans les Caraïbes. Leurs cas illustrent les méthodes de ces établissements. Ils envoyaient régulièrement des employés aux Etats-Unis pour rencontrer des clients dans des hôtels, leur transmettre des relevés de compte et même de l’argent comptant. La femme d’affaires californienne Guity Kashfi, par exemple, s’était vu remettre un téléphone portable allemand pour communiquer incognito avec le gérant de son compte au Luxembourg. Pour permettre à ces clients d’accéder à leurs fonds, les trois banques avaient inventé un stratagème origi-

Mais, rattrapées par la justice américaine à partir de septembre 2011, Leumi, Mizrahi et Hapoalim ont effectué une volte-face complète. Début 2012, elles ont envoyé des lettres à leurs clients pour leur demander de se mettre en conformité avec le fisc. Certaines semblent avoir fourni aux Etats-Unis des listes de détenteurs de comptes. «Je suis convaincu que Leumi l’a fait, relève Kevin Thorn. Certains de mes clients ont été exclus du programme volontaire d’autodénonciation car leurs noms étaient déjà aux mains des enquêteurs du fisc.» La même chose est arrivée à des clients de Mizrahi. Les trois banques ont même commencé à geler des fonds. «Je reçois presque tous les jours des appels de clients paniqués dont l’argent a été bloqué», raconte Asher Rubinstein. Contactée, Leumi dit «coopérer avec les autorités américaines et agir en conformité avec (ses) obligations envers la clientèle et les législateurs suisses». Mizrahi et Hapoalim n’ont pas répondu à nos sollicitations. «Israël reçoit une grande quantité d’aide financière et de soutien politique de la part des Etats-Unis, fait remarquer Robert McKenzie. Il existe donc un impératif pour le gouvernement de pousser les banques à coopérer avec Washington.» La banque Leumi avait déjà annoncé qu’elle avait mis de côté 91 millions de dollars pour couvrir les frais liés à ses ennuis américains. Elle vient de revoir ce montant à la hausse, à 137 millions de dollars. x