La stratégie américaine dans l'économie de la connaissance

20 févr. 1998 - Forces et Faiblesses du Modèle Américain : une Analyse Comparée ..... et Sylvain Utard (architecte logiciel et manager chez Exalead et enseignant de Text mining/Web ...... mail sauvegardé sur un serveur tiers depuis plus de 180 jours par ..... Nous nous sommes ici essayé à une synthèse comparative des ...
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2013 Mémoire d’Intelligence Economique Sous la direction de Monsieur Christian HARBULOT

La stratégie américaine dans l’économie de la connaissance

ESSEC MS SMIB – Mixed Track Myriam CARAT, Chloé FAURIE, Laura GUERIN, Julien MARQUEGNIES, Antoine VIZE

Remerciements Nous souhaitons remercier : Sylviane Bähr, Pierre Gueydier, Véronique Mesguich, Olivier Ricou, Ravi S. Sharma, Sylvain Utard, Pour nous avoir accordé leur temps au travers de 6 interviews 1

1

Si nous avons pu les interviewer, ces personnes n’ont en aucun cas validé nos propos ni ne cautionnent l’intégralité du mémoire. Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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FICHE SYNTHÈSE La recherche des dates clés de la stratégie américaine dans l’économie de la connaissance montre une mise en place progressive d’un ensemble d’acteurs hétérogènes en réseau avec des interactions fortes orientées vers la production et la diffusion massive de connaissance. Dès la seconde guerre mondiale, les Américains se sont en effet attachés à produire des connaissances flexibles et transposables pour lutter contre la propagande soviétique. La puissance américaine s’est ensuite efforcée de consolider ses capacités nationales de production et d’échange de savoir à travers la promotion de la recherche, des dépôts de brevets et des liens entreprises-universités2. Très rapidement, cet arsenal réglementaire et fiscal a encouragé la formation de clusters régionaux puissants (gouvernement-universités-entreprises) qui se distinguent par une forte compétitivité au regard de leur vitesse d’exécution, de la rapidité de leurs échanges et de leur 3 forte collaboration . Cette structuration est facilitée par la politique du gouvernement Clinton (et le National Information Infrastructure program [NII] de 1993) dont la démarche se traduit en véritable catalyseur de l’innovation technologique, de l’investissement privé, de la protection de la propriété intellectuelle, de l’accès à l’information, ou encore de l’informatisation de l’administration. Forts de cette économie puissante en formation, les Américains vont dans un second temps s’intéresser à l’export massif des connaissances qu’ils produisent, sous l’impulsion du Global Information Infrastructure program [GII], une version mondiale du NII. Sous couvert de la sécurité économique de leurs intérêts, les Etats-Unis vont progressivement s’imposer sur la scène internationale de la connaissance. La première étape de cette stratégie consiste alors à valoriser la recherche américaine via le contrôle de l’édition scientifique : les Américains ont en effet verrouillé un système de cotation des publications sur la base de critères tels que le facteur d’impact, permettant d’hisser leurs publications et leurs revues scientifiques aux premiers rangs des classements. Dès lors, l’Amérique influence et attire des chercheurs et des étudiants du monde entier, prêts à se plier aux critères de l’élitisme américain. Ce pouvoir d’attraction est renforcé par le business model unique du système universitaire américain, capable d’imposer ses normes et d’étendre son influence grâce à des financements massifs, des réseaux d’anciens puissants et des politiques marketing audacieuses. Il faut reconnaître ici la capacité du pays à mondialiser ses contenus et à imposer ses standards (MBA, AACSB) pour inciter au conformisme américain. La dernière étape concerne enfin la gouvernance de l’internet et la production de connaissances. En tant que first-mover sur l’architecture technique, les Américains ont un véritable contrôle à la source des contenus diffusés, qu’ils ont inséré au sein d’une politique publique mondiale. Par ailleurs, le modèle interconnecté ainsi que la culture entrepreneuriale et d’innovation américaine permettent aisément de justifier la nationalité américaine quasisystématique des géants de l’internet. Ces derniers entendent désormais élargir leur influence sous couvert du droit à la culture et de la neutralité de l’internet. Retracer ces différentes étapes nous a enfin permis de réaliser une cartographie des acteurs au cœur de cette stratégie (gouvernement, congrès, lobbies, start-ups, entreprises privées, universités, …) et leurs interactions fortes. Il faut bien comprendre que cette domination américaine de la connaissance est porteuse d’enjeux et de risques majeurs pour le pays mais aussi et surtout pour le reste du monde. Plus particulièrement, l’effacement des cultures et le conformisme systématique aux standards américains paraissent dangereux dans la mesure où ils contribueraient à un appauvrissement culturel et une perte d’influence. Il est d’ores et déjà possible d’identifier les conséquences de la domination de la langue anglaise dans le milieu éducatif, académique et de l’entreprise. Si aucun autre modèle n’a vu le jour, la France et l’Europe peuvent actionner une dynamique vertueuse dans ce domaine à travers une politique commune, un desserrement des contraintes pour l’innovation et le développement d’une influence normative. 2 3

Bay-Dohle Act, SBIR et STTR, Economic tax recovery Act pour la recherche industrielle, etc L’exemple parfait étant la Silicon Valley Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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SYNTHESIS When looking for key dates in the establishment of the knowledge economy strategy of the United States, we can observe a gradual evolution towards a heterogeneous set of actors, organized in network with strong interactions and oriented on massive diffusion of knowledge. After World War II, Americans aimed at producing flexible and transferable knowledge in order to fight against Soviet propaganda. The American power sought then to consolidate its national capabilities to produce and exchange knowledge through the promotion of academic research, patents and the enactment of businessuniversity links. Quite rapidly, this fiscal and regulatory basis fostered the establishment of strong regional clusters, formed by the government, universities and businesses. These clusters are characterized by a high competitiveness regarding with execution and exchange speed as well as their strong collaboration. This structure has been facilitated by the policy established by the Clinton’s administration as well as the National Information Infrastructure (NII) Program, whose approach acts as a catalyst for technological innovation, private investment, access to information and also the computerization of the administration. Building on their growing knowledge economy, the Americans focused in a second time on a massive export of the knowledge they produce through the Global Information Infrastructure program, a global version of NII. In order to secure its economic interests, the United States progressively imposed itself as a leading nation in the field of knowledge economy. The very first step of this strategy consisted in accentuating the American academic research by taking over scientific publishing. In fact, they adopted a rating system of the publications based on criteria such as the impact factor, allowing thus their scientific journals and publications to be pushed at the forefront of rankings. Therefore, the United States has been able to generate a strong attraction and influence over scientists and students all over the world, strong enough to convince them to comply with the criteria of American elitism. This power of attraction is strengthened by the unique business model of the American university system, which is able to broaden its influence and to establish its standards thanks to large funding, powerful networks of alumni or aggressive marketing policies. One has to acknowledge that the country has successfully been able to export its knowledge and contents and impose its standards, such as MBA or AACBS, throughout the world, encouraging thus American conformism. The last step of the aforementioned strategy concerns the Internet governance and the production of knowledge. As the inventor of the Internet, the United States still has nowadays a deep control of its root as well as the contents available; the overall being wrapped into a global public policy. Moreover, the interconnected model, the strong entrepreneurial and innovation cultures in the U.S. as well as the fact that, technologically speaking, the country has often been a first-mover can easily explain why nowadays all the major Internet companies are American. Those are currently expanding their influence on behalf of the right to culture access as well as the neutrality of the Internet. Hence, identifying all these steps has allowed us to map all the major actors involved at the core of the American strategy (government, congress, lobbies, start-ups, private companies, universities,…) and their strong interactions. One has to thoroughly understand that the American domination in terms of knowledge economy unveils major risks and stakes for both the nation itself and the remainder of the world. More specifically, cultural dwindling as well as the trend to conform to American standards appear as a major threat to cultural diversity and a loss of influence. It is already possible to measure the consequences of the domination of English as the main language in education, academic institutions or businesses. While no alternative has been encountered yet, France and Europe have a role to play in knowledge economy by setting up a common policy, loosening constraints on innovation and establishing a normative influence.

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SOMMAIRE Fiche Synthèse .................................................................................................................................2 Synthesis...........................................................................................................................................3 Présentation de la Problématique ....................................................................................................6 Périmètre du Sujet ............................................................................................................................7 Introduction .......................................................................................................................................9 1.

Fondements et Organisation de la Stratégie Américaine dans l’Economie de la

Connaissance ...................................................................................................................................9 1.1.

Historicité technique, tactique et stratégique de la formation du modèle américain ...............9

1.1.1.

Les premières pierres d’une stratégie américaine dans l’économie de la connaissance :

une politique culturelle contre la propagande soviétique ..............................................................9 1.1.2. Le renforcement des capacités nationales dans l’économie de la connaissance ............... 10 1.1.2.1.

La transformation des dispositifs institutionnels et réglementaires au service de la

recherche

10

L’incitation à la recherche à travers une plus grande souplesse pour les brevets .............................. 10 Un renforcement des liens industrie / universités ............................................................................. 11 La formation de clusters régionaux incluant gouvernement, industrie et universités........................... 11 La capacité à attirer les scientifiques étrangers et les investissements internationaux ....................... 12 1.1.2.2.

La formalisation d’une politique globale : le « National Information Infrastructure » de

Clinton

12

1.1.3. La diffusion planétaire de l’économie américaine de la connaissance : soft ou smart power ? ..................................................................................................................................... 13 1.1.3.1.

La valorisation de la recherche et le contrôle américain de l’édition scientifique .................... 14

La création de revues cotées et du facteur d’impact pour les publications ......................................... 14 L’obligation de conformisme américain ............................................................................................ 15 1.1.3.2.

La compétitivité des systèmes universitaires américains ............................................................. 15

Un business model unique : financement et moyens, réseau d’anciens, gestion d’entreprise............. 17 Une capacité normative pour imposer les standards américains ....................................................... 18 Une capacité à mondialiser les contenus ......................................................................................... 18 1.1.3.3.

La production de connaissances sur Internet et sa gouvernance............................................... 19

Gouvernance de l'Internet par les Etats-Unis : de la centralisation d'un moyen technique à une politique publique mondiale ............................................................................................................. 19 Des géants américains au service de l'Internet mais aussi des Etats-Unis ........................................ 22 La maîtrise de l’Internet sous couvert du droit à la culture et de la neutralité du net ........................... 25

1.2.

Une tentative de cartographie des acteurs, de leurs objectifs et de leurs relations .............. 26

1.2.1. Le rôle du gouvernement ................................................................................................. 26 1.2.2. Le Congrès américain...................................................................................................... 27 1.2.3. Les entreprises innovantes « start-up »............................................................................ 27 1.2.4. Les universités américaines ............................................................................................. 27 Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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1.2.5. L’implication des industriels américains et des entreprises privées ................................... 28 1.2.6. Les lobbies ...................................................................................................................... 28 2.

3.

Forces et Faiblesses du Modèle Américain : une Analyse Comparée avec la France ......... 29 2.1.

Les forces et faiblesses du modèle américain .................................................................... 29

2.2.

Les forces et faiblesses du modèle français ....................................................................... 30

Enjeux et Risques associés à l’Hégémonie Américaine........................................................ 31 3.1.

Du côté des Américains….................................................................................................. 31

3.1.1. La pérennisation du modèle ............................................................................................. 31 3.1.2. Le renforcement de l’influence mondiale américaine ........................................................ 31 3.1.3. L’éveil de certaines nations : vers un contre-modèle ? ..................................................... 31 3.1.4. La multiplication des critiques envers le modèle américain ............................................... 32 3.2.

Du côté des Européens… .................................................................................................. 32

3.2.1. Des enjeux et risques multiples pour les Européens......................................................... 32 3.2.2. Zoom sur la domination de la langue anglaise : un enjeu aux implications conséquentes . 32 4.

Quid de l’Europe et de la France ? ......................................................................................... 35 4.1.

La nécessaire définition d’une stratégie européenne commune .......................................... 35

4.1.1. La création d’un espace européen de la recherche pour pallier aux déficits de l’Union Européenne .............................................................................................................................. 36 4.1.2. Evaluation de la stratégie de Lisbonne : un succès en demi-teinte définissant malgré tout un cap commun aux pays de l’Union Européenne ..................................................................... 36 4.1.3. La stratégie 2020 : nouvelle feuille de route pour une nouvelle décennie.......................... 37 4.2.

Surmonter les obstacles administratifs, réglementaires, fiscaux et financiers ...................... 37

4.2.1. Le rôle stratégique des brevets dans le positionnement de la France dans l’économie de la connaissance ............................................................................................................................ 38 4.2.2. Raviver l’esprit d’entreprise en Europe et plus particulièrement en France ....................... 39 4.3.

Le développement d’une influence normative..................................................................... 40

4.3.1. Pourquoi la France doit-elle s’armer en matière d’influence normative ?........................... 40 4.3.2. Des pistes de réflexion..................................................................................................... 40 4.4.

Peser davantage parmi les géants de l’Internet et l’informatique ........................................ 41

Conclusion ...................................................................................................................................... 43 Bibliographie ................................................................................................................................... 44 Webographie ................................................................................................................................... 46 Annexes .......................................................................................................................................... 51

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PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE Nous sommes au début des années 1990 lorsque de nombreux auteurs, chercheurs et penseurs s’accordent sur l’avènement d’une nouvelle ère : une ère où l’information devient « la matière 4 5 première essentielle » , et le patrimoine de connaissances une véritable « ressource stratégique » . Ce virage s’accompagne de profondes modifications des règles du jeu mondial, au sein duquel l’accès à la connaissance, sa production, sa diffusion, son traitement et son utilisation déterminent les nouveaux rapports de forces. Dans ce contexte, « la civilisation de l’information »6, celle qui dominera cette nouvelle configuration géostratégique, sera celle qui maîtrisera les « connaissances et processus cognitifs » selon Baumard (1993)7, mais surtout celle qui, outre la gestion de l’information, sera capable de transformer les flux d’informations en connaissances utiles et étendues. Les Etats-Unis étant aujourd’hui déclarés vainqueurs de la première manche de la guerre des contenus, il semble intéressant d’investiguer les différents ressorts utilisés pour bâtir leur stratégie dans l’économie de la connaissance. Entre soft et smart power, l’attitude protéiforme américaine révèle de multiples facettes et requiert, pour en comprendre la puissance, l’analyse des interactions entre les différents acteurs, infrastructures, institutions, entreprises dans une perspective d’ensemble mais également de continuité à travers les différentes présidences américaines. Pour reconstituer le puzzle américain, celui permettant de comprendre l’hégémonie des Etats-Unis dans l’information dominance, nous suivons, à chaque instant, l’approche de J. P. Bouchez (2012)8, à savoir l’identification du triptyque : acteurs – espaces – supports. Elle nous permet de répondre en profondeur à la problématique qui guide notre mémoire : Comment, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont-ils développé et inscrit le concept de l’économie de la connaissance au cœur de leurs enjeux stratégiques ? Quelles en sont les conséquences au niveau mondial ? Cette ligne directrice nous conduit, d’une part, à appréhender les fondements et l’organisation de la stratégie américaine dans l’économie de la connaissance à travers les axes historique, technique et stratégique et, d’autre part, à évaluer dans quelle mesure et sous quelle forme l’avance des Etats-Unis leur donne un avantage stratégique majeur en termes de domination culturelle et scientifique. Elle nous invite également à identifier les défis et éventuelles modifications des rapports de force basées sur la maîtrise des savoir-faire liés à la connaissance. Face à de tels enjeux, il paraît intéressant d’évaluer les latitudes laissées à la France et, dans une plus large mesure, à l’Union Européenne sur cet échiquier à la fois stratégique, politique, culturel et scientifique : peut-on contrer l’hégémonie américaine ? la reproductibilité d’un tel modèle est-elle envisageable, sinon souhaitable ? Pour enrichir notre démarche, nous avons fait appel à six experts de différentes facettes de l’économie de la connaissance : Sylviane Bähr (journaliste et conseillère en communication), Pierre Gueydier (enseignement-chercheur, professeur d’intelligence culturelle à l’EGE et membre de l'Institut Interdisciplinaire de l'Innovation - Telecom ParisTech/Mines ParisTech), Véronique Mesguich (présidente de l’ADBS), Olivier Ricou (Directeur du laboratoire de recherche et de développement de l’EPITA et enseignant-chercheur), Ravi S. Sharma (professeur en management de la connaissance à la Kim Wee School of Communication and Information, Nanyang Technological University, Singapore) et Sylvain Utard (architecte logiciel et manager chez Exalead et enseignant de Text mining/Web mining à l’EPITA). 4

M. Catinat (1999), « Entrer dans la société de l'information. L'enseignement américain », Futuribles, Mai 1999 G. Guillon et J. L. Levet (2003), « De l’intelligence économique à l’économie de la connaissance », Editions Economica 6 A. et H. Toffler, « Créer une nouvelle civilisation : la politique de la Troisième Vague », Fayard, Paris, 1995 7 P. Baumard (1993), « Learned Nations: Seeking National Competitive Advantages Through Knowledge Strategies», Economic Intelligence: it's culture that matters, pp175-200 8 J. P. Bouchez (2012), « L’économie du savoir : construction, enjeux et perspectives », Méthodes & Recherches, éditions de boeck 5

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PÉRIMÈTRE DU SUJET Les origines de l’économie de la connaissance apparaissent dès les années 1960 aux Etats-Unis suite aux publications de Fritz Machlup en 1962. Dans son livre The production and distribution of knowledge in the United States, l’auteur s’intéresse à l’importance et à l’influence de l’industrie de la connaissance, représentant, selon lui à l’époque, près de 30% du PIB américain. Cette « nouvelle » économie serait la résultante d’un double phénomène progressif selon D. Foray (2009) 9 : l’augmentation de la proportion de ressources dédiées à la production et à la diffusion des connaissances (notamment à travers la R&D, l’éducation, la formation) et le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Concept, phase historique, discipline, secteur, type d’économie… la définition de l’économie de la connaissance est à la fois vaste et multiforme et présente des contours relativement flous, rendant 10 difficile l’élaboration d’un périmètre d’analyse. Comme l’explique F. Machlup (1962) , la difficulté rencontrée lors de l’analyse de l’économie de la connaissance est double : d’une part, elle n’implique aucun rendement physique, et d’autre part, les services qui y sont rattachés ne sont pas vendus mais distribués et diffusés gratuitement au sein de la population. Nous pouvons néanmoins tenter de la délimiter à l’aide : -

De définitions institutionnelles : o L’OCDE qualifie en 1996 les économies fondées sur la savoir en tant qu’ « économies qui reposent directement sur la production, la diffusion et l'utilisation du savoir et de l'information »11, o En 2009, la Présidence Suédoise de l’Union européenne organise une conférence intitulée « Le triangle de la connaissance à la source de l'avenir de l'Europe », définissant la recherche, l’éducation et l’innovation comme les trois piliers de l’économie de la connaissance, o La Banque mondiale définit quant à elle, au sein de son Skill and Innovation Policy Program12, quatre grands piliers (« Knowledge Economy Pillars ») pour aborder la transition vers une économie du savoir : les régimes économiques et institutionnels, l’éducation, l’innovation et les TIC.

-

De la classification des stades de développement : o L’économie de la connaissance serait un stade basé sur la création, la diffusion, la protection et l’utilisation de savoir. La connaissance est ici interprétée comme étant elle-même un actif pouvant être négocié ou générant des gains de productivité. Dans ce cadre, l’accumulation de capital immatériel stratégique est considérée comme un avantage compétitif pour les nations, o En amont du négoce de ce savoir, la création de connaissance apparaît comme un enjeu majeur dans la stratégie d’empire que peuvent développer certaines puissances, telles que les Etats-Unis. En effet, dans un monde où les flux monétaires, d’information et de technologie circulent très rapidement, avoir la primauté du savoir peut offrir un certain nombre d’opportunités par rapport aux concurrents.

-

D’approches théorisées :

9

D. Foray (2009), « L’économie de la connaissance », Collection Repères, pp 5-6 F. Machlup (1962), « The Production and Distribution of Knowledge in the United States”, p. 44 11 OCDE (1996), « Les économies fondées sur le savoir », Diffusion générale, Accessible sur : http://www.oecd.org/redirect/dataoecd/51/48/1913029.pdf 12 World Bank, Accès : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/WBI/WBIPROGRAMS/KFDLP/0,,menuPK:461238~pagePK:64156143~piPK:641 54155~theSitePK:461198,00.html (consultée le 18 décembre 2012) 10

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o

Selon un groupe de réflexion lié au commissariat au Plan, on distingue trois types d’approches complémentaires pour l’économie de la connaissance : l’approche centrée sur l’innovation, l’approche centrée sur le mode de production du savoir, et l’approche centrée sur les externalités de connaissance.

-

De concept : o L’économie de la connaissance réfère à une rupture, une transition vers de nouvelles façons d’innover, de produire et de diffuser les connaissances.

-

De discipline et/ou de secteur : o L’économie de la connaissance est une discipline scientifique visant à développer les actifs productifs des entreprises et des nations, à travers la collecte et la compréhension de l’information. En tant que secteur, elle regroupe l’ensemble des activités visant à produire ou diffuser de la connaissance.

-

D’identification d’une phase historique ou d’une « nouvelle ère » : o L’entrée dans l’économie de la connaissance se situerait dans les années 80 via une transition vers un nouveau mode de développement mobilisant davantage de connaissances.

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INTRODUCTION Pierre angulaire des capacités nationales d’intelligence économique américaine, la stratégie des Etats-Unis dans l’économie de la connaissance a contribué à la formation d’un modèle robuste d’influence mondiale. Prenant ses racines au sein du gouvernement Clinton en 1993 via le National Information Structure qui sera ensuite relayé au niveau planétaire à travers le Global Information Structure, cette dynamique gouvernementale pose les fondations d’un dispositif américain incrémental et puissant, s’inscrivant dans une politique anticipative et de long-terme complétée par l’implication d’une multitude d’acteurs. Organisée autour d’axes clés regroupant le financement, le législatif, l’enseignement ou encore la recherche, cette stratégie est supportée par un réseau de relations et d’infrastructures interconnectées, facilitant son export massif. C’est justement la diffusion globale du modèle qui permet de mesurer l’ampleur de son influence et de son avance par rapport aux autres pays, à l’instar de la France. Cette comparaison permet de souligner l’avantage compétitif et stratégique américain et sa capacité à s’imposer au-delà des frontières. Elle met néanmoins en lumière des similitudes en termes de stratégies et de plans d’actions, invitant à creuser davantage pour identifier les raisons de la prédominance américaine. Impérialisme culturel, guerre des contenus et des formats ou info-guerre, cette expansion forcée et les réactions qu’elle génère redéfinissent les contours géostratégiques de l’économie de la connaissance et sont porteurs d’enjeux majeurs à l’échelle mondiale, au sein desquels les Etats-Unis ont démontré leur puissance et leur capacité à produire et diffuser de la connaissance. A l’heure des premiers bilans, les rapports de force entre les différentes nations s’avèrent transformés et les risques liés à l’hégémonie américaine encore mal identifiés. Dans ce contexte, la France et surtout l’Europe ont encore des cartes à jouer. L’étude de la reproductibilité du système américain ainsi que les enseignements à tirer de son indéniable succès nous serviront de cap pour bâtir nos recommandations. Ils nous permettront également d’identifier les garde-fous nécessaires pour capitaliser sur les erreurs américaines, en évitant leur reconduction.

1. FONDEMENTS ET ORGANISATION LA CONNAISSANCE

DE LA

STRATÉGIE AMÉRICAINE

DANS L’ÉCONOMIE DE

1.1. Historicité technique, tactique et stratégique de la formation du modèle américain 1.1.1.Les premières pierres d’une stratégie américaine dans l’économie de la connaissance : une politique culturelle contre la propagande soviétique « Je crois en une Amérique qui n’aura pas peur de la grâce et de la beauté. Je crois en une Amérique qui récompensera les réussites dans les arts, comme nous récompensons celles dans les affaires ou la politique. Je crois en une Amérique qui étendra constamment les possibilités culturelles à tous ses citoyens. Et je crois en une Amérique qui inspirera le respect au monde entier, pas seulement par sa force, mais aussi par sa 13 civilisation » -- J.F. Kennedy (1963)

Déjà en 1951, Robert Schlesinger, historien américain et assistant spécial de l’administration américaine, retranscrivait dans « Entertainment vs. The People » (The Reporter)14 les craintes des intellectuels américains face au développement accéléré de la culture de masse et le besoin de se 13

J. F. Kennedy (1963) « Remarks at Amherst College Upon Receiving an Honorary Degree », 26 octobre 1963, Accessible sur : http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=9497 14 A. Schlesinger Jr. (1951) « Entertainment vs. the People: Television », Accessible sur : http://www.unz.org/Pub/Reporter1951feb06-00036?View=PDF Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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distinguer en termes de production de connaissances. Quelques années plus tard, suite au boom culturel des années 50, Kennedy annonce en 1960 son souhait de catalyser et d’étendre les 15 ressources culturelles des Etats-Unis dans son discours sur la « Nouvelle frontière » . Cette dimension deviendra d’autant plus stratégique en 1961 après le lancement réussi du satellite Vostok et sa mise en orbite, Youri Gagarine à son bord. Dès lors, l’arme culturelle et la production de connaissance constituent une offensive puissante et privilégiée pour lutter contre la nation soviétique - autoproclamée patrie intellectuelle - et sa propagande. Les investissements culturels se multiplient sous l’ère Kennedy, autour de la promotion des arts (artistes, chorégraphes, écrivains) au-delà des frontières et d’actions favorisant des conditions propices à la libre création. Il faudra toutefois attendre le début des années 1980 pour que se mette en place une série d’actions s’inscrivant dans un cadre plus concret en termes d’économie de la connaissance.

1.1.2. Le renforcement des capacités nationales dans l’économie de la connaissance Avant d’exporter leur économie de la connaissance au-delà des frontières, les Etats-Unis se sont d’abord intéressés au renforcement des forces nationales de production, traitement, diffusion et utilisation des connaissances. Une succession d’étapes, notamment dans les champs de la recherche et des technologies de l’information et de télécommunication, ont permis de créer un modèle robuste, repoussant toute influence externe. 1.1.2.1. La transformation des dispositifs institutionnels et réglementaires au service de la recherche “Possibly the most inspired piece of legislation to be enacted in America over the past half-century was the BayhDole Act of 1980”16 -- The Economist (2002)

Les premières décisions revêtent un caractère principalement institutionnel et réglementaire et amorcent une refonte du système et de certains dispositifs, à l’initiative du Congrès américain. Elles ont pour but de favoriser la compétitivité américaine dans le domaine de la recherche à l’échelle internationale. Cette dynamique concerne dans un premiers temps les universités, les entreprises et leur collaboration dans le domaine de la recherche. L’incitation à la recherche à travers une plus grande souplesse pour les brevets

L’année 1980 marque, en ce sens, un premier tournant dans l’économie américaine de la 17 connaissance, lorsqu’est promulgué le Bayh-Dole Act , autorisant les organismes à but non lucratif (principalement les universités) bénéficiant de fonds fédéraux pour la recherche à breveter leurs découvertes, en échange d’un droit de licence conféré au gouvernement fédéral. Si cette loi a été vivement critiquée pour son caractère restrictif du libre-accès à la connaissance, elle a néanmoins fortement contribué à la multiplication des activités universitaires de commercialisation de la recherche 18 aux Etats-Unis financée par des fonds publics, du transfert de technologie vers le secteur privé et renforcé leur capacité à déposer des brevets, notamment dans les biotechnologies. Témoignant l’intérêt américain pour l’innovation technologique et industrielle et la production de connaissances, le Stevenson-Wydler Technology Innovation Act de la même année a doté le pays des ressources

15

F. Martel (2006), « De la culture en Amérique », Editions Gallimard The Economist (2002), « Innovation’s golden goose », Technology Quarterly, Accessible sur : http://www.economist.com/node/1476653 (consultée le 16 janvier 2013) 17 Aussi connu sous le nom du “Patent and Trademark Act” 18 R. Hendersen, A. B. Jaff et M. Trajtenberg (1998), « Universities as a source of commercial technology : a detailed analysis of universities patenting, 1965-1988 », The Review of Economics and Statistics, pp 119-127 16

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nécessaires à cette ambition, notamment via des subventions et le soutien à la création de Cooperative Research Centres affiliés aux universités ou tout autre organisme à but non lucratif19. Parallèlement en 1982, l’intérêt se porte également sur les PME avec le programme Small Business Innovation Research (et par la suite Small Business Technology Transfer). L’objectif affiché de ces deux programmes (SBIR et STTR) est « de soutenir l’excellence scientifique et l’innovation technologique à travers l’investissement de fonds pour la recherche fédérale dans les priorités américaines essentielles afin de bâtir une économie nationale forte »20. Il s’agit en fait de dynamiser le tissu industriel à travers les jeunes entreprises via le financement public de la recherche privée. Un renforcement des liens industrie / universités

Par ailleurs et à la même époque, le gouvernement a cherché à renforcer les liens industrie/université, en encourageant davantage de collaboration. Particulièrement en 1981, the economic tax recovery act élargit les exonérations d’impôt sur la R&D industrielle pour encourager leurs interactions, et par làmême améliorer la compétitivité américaine. Les universités apparaissent alors comme de véritables « parc de recherche sur lequel peuvent s’implanter des entreprises. Celles-ci permettant à des chercheurs, mais parfois aussi à des étudiants comme dans le cas de Google, d’aller jusqu’au bout de 21 leur recherche » . On reconnaît souvent que de telles dispositions émanent d’une volonté de compétitivité à l’échelle mondiale et incarnent finalement un outil de défense des intérêts américains sur la scène internationale. Soulignons toutefois les inquiétudes de certains face à cette évolution réglementaire et que nous aurons l’occasion d’aborder par la suite : According to an article in Fortune magazine, the Bayh-Dole Act has had « unintended consequences » in that « universities have evolved from public trusts into something closer to venture capital firms. What used to be a scientific community of free and open debate now often seems like a litigation scrum of data-hoarding and suspicion »22. La formation de clusters régionaux incluant gouvernement, industrie et universités

Ces premières actions ont clairement permis d’encourager la recherche en associant les universités et le secteur privé dans cette dynamique, autour d’un écosystème tourné vers l’innovation, mais encore régionalement segmenté. On remarque notamment la formation de clusters régionaux à l’image du Research Triangle de la Caroline du Nord et de la SiIlicon Valley, laquelle illustre parfaitement l’interconnexion et les interactions fortes permises par la mise en réseau d’acteurs très différents (privés, institutionnels, etc). Celle-ci a d’ailleurs été modélisée en 2000 par Henry Etzkowitz et Loet Leydesdorff23 comme une « triple hélice » incluant universités – industrie – gouvernement. Ces clusters intègrent une forte capacité de production de connaissances et d’innovation via la mutualisation des ressources - que l’on qualifiera plus tard de « glocales » - et par la prolifération des partenariats publics/privés. Cette tendance s’est pérennisée pendant les années 90 et a contribué à la réforme profonde des dispositifs réglementaires et institutionnels particulièrement sur la propriété intellectuelle, les brevets et les transferts de connaissances. Selon Cohen et al. (1998), ces mutations ont permis un 19

Stevenson-Wydler Technology Innovation Act of 1980, Public Law 96-480, October 21, 1980, 96th Congress, 94 Stat. 2311, 15 U.S.C. 3701, Accessible sur : http://www.csrees.usda.gov/about/offices/legis/techtran.html (consultée le 22 décembre 2012) 20 US Department of Energy (2012), « About SBIR and STTR »,Accessible sur : http://science.energy.gov/sbir/about/ (consultée le 22 décembre 2012) 21 B. Belloc (2011), « C’est une hypocrisie de penser que notre système est uniforme sur le territoire », article de l’Etudiant.fr, Accessible sur : http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/bernard-belloc-cest-une-hypocrisie-de-penser-que-notre-systeme-estuniforme-sur-le-territoire.html (consultée le 16 janvier 2013) 22 Washington Post (2005), Accessible sur : http://www.washingtonpost.com/wpdyn/content/article/2005/10/10/AR2005101001642.html (consultée le 16 mars 2013) 23 H. Etzkowitz et L. Lleydesdorff (2000), “The dynamics of innovation: from National Systems and ‘‘Mode 2’’ to a Triple Helix of university–industry–government relations”, Research Policy 29 (2000) 109–123 Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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triplement des dépôts de brevets par les 100 premières universités américaines de 1984 à 1994 25 associé à un doublement des dépenses réelles de R&D par les PME américaines alors que l’on dénombrait plus de 1 000 university-industries R&D centres dépensant près de 3 milliards de dollars en 1990. Le graphique de l’US Patent and Trademark Office illustre cette tendance amorcée dans les années 80. Une certaine transition s’est également dessinée à cette période, assurant le passage d’une recherche post-guerre focalisée sur les sciences dures des années 50 et 60 (radars, semiconducteurs, etc) à une recherche privilégiant davantage les sciences molles. La capacité à attirer les scientifiques étrangers et les investissements internationaux

On pourra également souligner que la promotion du modèle américain et son indéniable attractivité ont également amplifié cette réussite en démultipliant l’arrivée de scientifiques étrangers (on parle souvent de brain drain) et les investissements internationaux. Il faut prendre en considération le nombre croissant d’universités et de laboratoires de recherche faisant appel aux talents du monde entier pour mener à bien leurs projets. Ces échanges génèrent la formation d’équipes de travail provenant de différentes sphères linguistiques au sein desquelles la langue anglaise est fréquemment l’instrument de fluidification des échanges. Cet état de fait est un élément générateur de l’influence exponentielle de l’anglais dans la recherche et contribue à son expansion. Mais c’est également la conséquence d’un système verrouillé un échelon plus loin dans le processus de création de connaissances. En effet, le processus de validation d’un résultat scientifique, sa notoriété ainsi que sa diffusion sont régis dans le cadre d’un large schéma rarement remis en cause par la communauté scientifique dans la mesure où aucun autre modèle n’a pour le moment été mis en œuvre. Nous aurons l’occasion d’examiner ce point dans la partie 2.1.3.1.

1.1.2.2. La formalisation d’une politique globale : le « National Information Infrastructure » de Clinton

“Development of the NII can help unleash an information revolution that will change forever the way people live, work, and interact with each other” -- National Infrastructure Information: Agenda for Action, 1993

En 1993, Clinton et Al Gore annoncent l’importance de suivre « une nouvelle direction pour construire la force économique »26 des Etats-Unis, orientée vers la technologie de l’information et s’accompagnant d’un objectif de leadership en matière de connaissances scientifiques, mathématiques et techniques. L’observation à la loupe des grands axes suivis par l’administration Clinton à partir du début des années 90 offre un premier point d’entrée sur la compréhension d’une politique plus ou moins formalisée et « officielle » des Etats-Unis dans l’économie de la connaissance. C’est dépourvu de ressource budgétaire supplémentaire que Clinton et Al Gore posent les contours de la stratégie américaine en la matière sous la forme du « National Information Infrastructure (NII) » en 1993. Cette initiative, financée par redéploiement budgétaire et amorcée par l’exécutif, vise à « créer un réseau intégré de communication, d’ordinateurs, de bases de données et de produits électroniques grand public qui mettront de grandes quantités d'informations à portée de main des utilisateurs […] [afin de] libérer la révolution de l'information qui changera à jamais la façon dont les

24

W. M. Cohen, R. Florida, L. Randazzese, J. Walsh, "Industry and the Academy: Uneasy Partners in the Cause of Technological Advance," in Challenges to Research Universities. Roger G. Noll, ed. Washington, D.C: Brookings Institution Press, pp. 171-200. 25 National science foundation (1997), "Research and Development in Industry 1997", Division of Science Resources Studies NSF 99-358. Project Officer and Principal Author, Raymond M. Wolfe. Arlington, Virginia. 26 President William J. Clinton, Vice President Albert Gore, Jr (1993), “Technology for America’s Economic Growth, A New Direction to Build Economic Strength”, The White House Office of the Press Secretary Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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gens vivent, travaillent et interagissent les uns avec les autres » . Selon Glenn J. McLoughlin 28 (1996) , travaillant pour la Division américaine de la Recherche en sciences politiques, l’objectif du NII est triple : établir une politique de dérégulation afin d’impulser l’entrée des Etats-Unis dans l’économie de la connaissance, encourager la recherche orientée vers les technologies de l’information et de la communication (CIC R&D program) et accentuer le déploiement des applications informatiques et de communication à travers le développement d’infrastructures dédiées (Department of Commerce's information infrastructure grants program). Concrètement, cette démarche s’est traduite en véritable catalyseur de l’innovation technologique à travers la multiplication des programmes de recherche et des information superhighways (HPPC29 et TIAAP30 notamment), de l’investissement privé à travers des actions réglementaires (Telecom Act) et fiscales, de la protection de la propriété intellectuelle, d’un accès facilité à l’information, ou encore de l’informatisation de l’administration. Elle a également contribué à façonner l’interconnexion du gouvernement, de l’industrie, de l’éducation, de la recherche et de chaque foyer américain aux réseaux d’information et de communication. Une fois leurs capacités nationales renforcées, les Etats-Unis se sont ensuite consacrés à leur expansion à l’échelle mondiale afin d’imposer les standards américains.

1.1.3. La diffusion planétaire de l’économie américaine de la connaissance : soft ou smart power ? “Let us build a global community in which the people of neighboring countries view each other not as potential enemies, but as potential partners, as members of the same family in the vast, increasingly interconnected human family” -- Vice President Al Gore, 1994

Avant de retracer les grandes étapes de l’expansion américaine en termes de connaissances, il est nécessaire d’évoquer la toile de fond sur laquelle ces évènements se sont développés. La stratégie américaine trouve en effet une certaine cohérence à travers le Global Information Infrastructure (GII) de l’administration Clinton en 1993, qui correspond à une déclinaison internationale du NII évoqué précédemment. Le GII correspond pour certains à une véritable « politique d’export avec une stratégie ciblée sur dix marchés émergents et une politique offensive de recueil d’information », pour d’autres à « une politique de promotion de la société de l’information qui, bien sûr, sert d’abord les américains et suscite donc de nombreuses négociations internationales »31. Sous couvert de la « sécurité économique et nationale des Etats-Unis », l’administration américaine a souhaité mettre en place un réseau d’accès à l’information d’ordre mondial et reposant sur cinq grands piliers : la promotion de l’investissement privé, de la concurrence, de l’ « open access », d’un environnement réglementaire flexible, et de services universels. Précisons que le gouvernement américain n’est pas clairement à l’origine des étapes qui ont été identifiées dans la suite de cette partie, mais davantage un facilitateur, un catalyseur, et plus rarement un décideur (ce qui vient conforter ici l’opinion de certains observateurs niant le caractère « organisé, stratégique et coordonnée » de cette politique). S’il n’est pas un acteur de premier plan dans les 27

President William J. Clinton, Vice President Albert Gore, Jr (1993), “The national information infrastructure : agenda for action”, White House Virtual Library, Accessible sur : http://clinton6.nara.gov/1993/09/1993-09-15-the-national-informationinfrastructure-agenda-for-action.html (consultée le 15 décembre 2012) 28 G. J. McLoughlin (1996), “The National Information Infrastructure: The Federal Role”, Science Policy Research Division 29 L’HPPC, « High Performance Computing and Communications », vise à créer les différentes « autoroutes de l’information » en fournissant à la fois l’infrastructure technique et physique ainsi que les composantes logiques 30 Le TIIAP, « Telecommunications and Information Infrastructure Assistance Program », a fourni 210 subventions aux organismes à but non lucratif tels que les écoles, les universités, les hôpitaux, les administrations locales (etc) pour financer des projets de développement d’infrastructures favorisant l’accès à l’information (« Lessons learnd from the telecommunications and information infrastructure assistance program », U.S. Department of commerce M. Kantor and National telecommunications and information administration (NTIA) L. Irving) 31 M. Catinat, op. cit. Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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actions évoquées ci-après, le gouvernement a néanmoins créé les conditions favorisant leur réalisation, à commencer par la valorisation de la recherche et le contrôle américain de l’édition scientifique pour une domination mondiale sur les connaissances.

1.1.3.1. La valorisation de la recherche et le contrôle américain de l’édition scientifique

« L'empire américain – et par extension sa langue – règne en effet sans partage sur des pans entiers de la communication scientifique. Tout le monde le dit et le sait, il "faut" être publié dans les revues américaines pour 32 asseoir sa réputation » . 33

Sans rentrer en détails dans la théorie de la connaissance et dans les thèses de Karl Popper , il est généralement admis qu’une science ne peut être définie comme telle qu’à partir du moment où les connaissances qu’elle produit ont une valeur universelle, sont caractérisées par un domaine et une méthode déterminée, et sont fondées sur des relations objectives vérifiables, notamment par l’expérience (« empirisme logique »). Ainsi, la légitimité d’une découverte repose en partie sur la vérification de celle-ci par la communauté scientifique. Conscients de ce levier, les Américains se sont très tôt positionnés en leader suite au déclin post-guerre de l’Europe en façonnant le monde de la publication et de l’édition scientifique. Particulièrement, ils ont contribué à la création d’un système anglo-saxon de revues cotées, adossé à des critères standards et des indicateurs de notoriété qu’ils ont eux-mêmes prédéfini. Ce système, tel qu’il est bâti aujourd’hui, génère un cercle vertueux pour la sphère anglophone. En effet, l’enjeu d’une publication au sein de ces revues est tel qu’elles sont devenues incontournables. La création de revues cotées et du facteur d’impact pour les publications

Pour mesurer la domination des Etats-Unis sur l’édition scientifique, il faut revenir aux bases du processus imposé aux chercheurs afin de publier leurs recherches. Pour obtenir la validation du caractère scientifique de sa démarche, son archivage et référencement, un chercheur peut soumettre son travail à une revue scientifique. Les plus réputées disposent d’un comité de lecture (peer reviewers) composé de chercheurs experts dans le domaine évoqué, qui valideront ou non l’article et sa publication au sein de leur revue. Or, un système de cotation des revues scientifiques d’influence américaine a été progressivement mis en place avant de s’imposer au niveau mondial. En effet, l’Américain Eugène Garfield crée en 1960 l’Institute for Scientific Information (ISI) par la suite acquis par Thomson Reuters. L’ISI publie notamment la base d’information identifiée par la communauté scientifique comme étant l’outil de référence permettant de valider la recherche scientifique : le Science Citation Index (SCI), qui couvre, dans sa version élargie, plus de 6 500 revues de 1900 à aujourd’hui portant sur plus de 150 disciplines. Par ailleurs, l’ISI publie au sein de ses Journal Citation Reports le facteur d’impact (ou impact factor), un indice désormais très influent bien que controversé au sein de la communauté scientifique. Ce ratio rapporte le nombre de citations faites d’un article publié dans un journal sur le nombre d’articles publiés par ce même journal, sur une période de deux ans, permettant ainsi d’évaluer la performance du journal en termes de citations (et donc d’impact sur la communauté scientifique). Il permet dès lors de classer les revues selon un critère quantitatif (notons que Sciences et Nature ont le plus grand facteur d’impact), et par extension les universités, à l’instar du classement de Shanghai qui utilise ce ratio pour son classement des 100 universités les plus performantes. Par ailleurs, en tant que first-mover et leader, l’ISI ne publie pas les données brutes sur lesquelles se base le calcul du facteur d’impact.

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CNRS (1991) "Le raz-de-marée", Le Journal du CNRS, octobre 1991, dans Michel Berry (1992), « Que faire de l’Amérique », Séance du 10 janvier 1992 33 K. Popper, Die beiden Grundprobleme der Erkenntnistheorie, 1930-1933 K. Popper, Logik der Forschung, 1934 Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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L’obligation de conformisme américain

En définissant eux-mêmes leurs indices et critères de cotation, les Américains ont pris le contrôle de la valorisation de la recherche et de l’édition scientifique, d’autant qu’une politique éditorialiste orientée peut influer sur le système. Le prestige des revues étant basé sur la quantité de citations, les maisons américaines disposent d’un avantage compétitif, notamment par la domination linguistique. Les revues américaines disposent en effet d’une base de lecteurs beaucoup plus importantes, facilitant leur citation. Ainsi, pour être publié dans les revues cotées, un chercheur lambda est largement incité à publier en langue anglaise et à se conformer aux standards des revues américaines pour trouver un écho dans la communauté scientifique, aboutissant à un modèle qui s’auto-alimente, comme l’explique Michel Berry, Directeur de recherche au CNRS : « Etre publié c'est bien, mais il faut aussi être cité. D'où l'intérêt de bien se positionner dans le mainstream. D'où aussi l'enjeu d'être rapporteur pour une revue établie parce qu'on augmente ses chances d'être cité. D'où enfin l'importance d'être inséré dans un bon réseau : c'est augmenter ses chances d'être cité et même d'être publié quand on a des têtes de pont dans les comités de lecture. Il y a ainsi des réseaux qui se 34 font une vive concurrence » . D’autres faits majeurs viennent renforcer cette dynamique : le rachat de 35 maisons d’éditions par des entités anglo-saxonnes et le système d’incitations économiques aux Etats-Unis permettant de renégocier son salaire à chaque publication dans une revue cotée. Outre un système d’incitation à la publication, les Américains sont donc à la source de la validation puis de l’édition scientifique, en influant sur la manière de mener une recherche, de la présenter, les méthodologies utilisées, les références faites (il semble évident de devoir citer un expert du comité de lecture de la revue convoitée pour la publication), les thèmes privilégiés, et les standards de publication. La plupart des chercheurs, désireux de communiquer sur leur recherche ou de donner une dimension internationale à leur carrière, sont donc soumis à l’obligation de conformisme américain.

1.1.3.2. La compétitivité des systèmes universitaires américains “Par la conception des savoirs, par leur légitimation et par leur diffusion, le système américain réussit à normer le système économique mondial, à instiller ses valeurs et ses réflexes entrepreneuriaux. L’enjeu de cette triple maîtrise est de taille. Dans un jeu à plusieurs joueurs, celui qui fixe les règles, définit les limites et organise les parties acquiert de ce fait une position de domination difficilement contestable ” -- E. H. Schloe et M. Warner (2000) et O. Basso et al. (2005)

Pour étudier la stratégie des Etats-Unis dans l’économie de la connaissance, il est nécessaire de s’arrêter longuement sur leur puissance éducative, qui s’illustre tant par son exemplarité que par son pouvoir d’attraction. Cette réussite se matérialise également par le flux d’étudiants étrangers venus des quatre coins de la planète pour intégrer le modèle universitaire américain. Le graphique ci-après de l’Institute of International Education américain dénote en ce sens la croissance exponentielle du nombre d’étudiants internationaux sur le sol américain au fil des années, qui a presque doublé en vingt ans (de 19991/1992 à 2011/2012). Les universités américaines ont progressivement affirmé leur compétitivité, grâce à un business model affuté leur Institute of International Education (US): Fast Facts Open Doors 2012, Available on: http://www.iie.org/en/Researchand-Publications/Open-Doors 34

M. Berry (1992), « Que faire de l’Amérique », Séminaire vie des affaires, Séance du 10 janvier 1992 M. Elhias et C. Brécourt (2009), « Edito : Main basse sur l’édition scientifique en France », Infoguerre, Accessible sur : http://www.infoguerre.fr/edito/les-editions-masson-menacees-par-la-multinationale-elsevier/ (consultée le 18 décembre 2012) 35

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permettant de se hisser en tête de tous les classements, parmi lesquels celui du Financial Times, devenu la référence en termes de classement des business schools. Par exemple, sur les 100 premières écoles de commerce classées par le Financial Times, 50 sont américaines dont 8 dans le top 15. Il faut attendre la 6e place pour rencontrer une école française – l’INSEAD – dont l’organisation et le fonctionnement se calquent de plus en plus sur le modèle américain. Pour le classement de l’université de Shanghai, 17 des 20 premières universités mondiales sont américaines. Si l’on peut nuancer ce type de classement dont les critères favorisent le modèle américain comme nous le verrons par la suite, il reste néanmoins légitime d’affirmer la supériorité de leur business model. Notre objectif devient dès lors de décortiquer les différentes dimensions de leur modèle économique leur permettant d’asseoir leur suprématie. Extrait du classement des 100 premiers MBA par le Financial Times en 2013 Rank in 2013 1 2 3 4 5

3 year average rank 2 2 2 3 6

Harvard Business School Stanford Graduate School of Business University of Pennsylvania: Wharton London Business School Columbia Business School

6

5

Insead

7 8 9 10 11 12 13 14 15 21 92

School name

Country

8 Iese Business School 8 Hong Kong UST Business School 8 MIT: Sloan 11 University of Chicago: Booth 9 IE Business School 17 University of California at Berkeley: Haas 17 Northwestern University: Kellogg 16 Yale School of Management 19 Ceibs 19 HEC Paris EM Lyon

US US US UK US France / Singapore Spain China US US Spain US US US China France France

Source : http://rankings.ft.com/businessschoolrankings/global-mba-ranking-2013

Extrait du classement des 500 premières universités mondiales par l’université de Shanghai en 2012 World Rank 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

Institution

Country

National

/Region

Rank

Harvard University Stanford University Massachusetts Institute of Technology (MIT) University of California, Berkeley University of Cambridge California Institute of Technology Princeton University Columbia University University of Chicago University of Oxford Yale University University of California, Los Angeles

1 2 3 4 1 5 6 7 8 2 9 10

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Cornell University University of Pennsylvania University of California, San Diego

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Source : http://www.shanghairanking.com/ARWU2012.html

Un business model unique : financement et moyens, réseau d’anciens, gestion d’entreprise

Un des principaux éléments différenciant le business model américain réside dans la collaboration d’acteurs hétérogènes, formant une alliance robuste au regard des blocs dispersés français et, dans une plus large mesure, européens. Le modèle universitaire américain repose ainsi sur la coalition du politique, de l’économique et de l’éducatif, les différentes parties ayant compris leurs intérêts communs et leurs interconnexions. Le modèle éducatif se charge de développer son attractivité pour attirer des étudiants du monde entier et de former la future élite capable de maîtriser les savoirs de demain, tandis que l’économique permet de créer des ponts vers les entreprises mais également de financer en lien avec le politique la recherche et le modèle éducatif actuel : on retrouve donc bien cette boucle qui s’autoalimente parfaitement. L’exemple Stanford, UC Berkeley/Silicon Valley est la meilleure illustration de cette collaboration. Ces relations se distinguent particulièrement sur le volet financier, le financement des universités étant un aspect clé du business model américain. Il faut comprendre qu’aux Etats-Unis, bien qu’elles soient très coûteuses, les prestations d’enseignement ne représentent pas la première source de revenus des institutions américaines. A titre d’exemple, les fameux MBA américains sont déficitaires et les frais de scolarités associés ne parviennent à couvrir que 40 à 50% du coût de formation36 : alors que les frais de scolarités du programme MBA d’Harvard en 2005 s’élevait à 31 800 dollars (53 500 dollars actuellement), le coût d’un étudiant pour HBS atteignait les 79 500 dollars, soit un besoin de 37 700 dollars. Les universités américaines possèdent en réalité de nombreux contributeurs financiers (réseau d’anciens, entreprises, gouvernement fédéral, fonds publics) qu’elles peuvent mobiliser selon différentes démarches : campagne de levée de fonds, dotations (endowment), allocation du gouvernement fédéral, de fonds publics et bénévolat étudiant. Ces financements de l’enseignement supérieur représentaient, en 2003, près de 2,3% du PIB américain, à comparer avec le faible 1% du PIB français. Dans un contexte de levée de fonds, on pourra noter le rôle prépondérant du réseau (ou communauté) des anciens élèves (alumni), par rapport aux écoles françaises, et qui revêt une double fonction : à la fois organisateurs et contributeurs, les anciens sont responsables du contrôle de gestion des universités américaines et à l’origine d’importantes donations. Cette responsabilité résulte de la composition des conseils d’administration, qui comprend en moyenne 80% d’anciens (cf. graphique ci-dessous). Ils se maintiennent en première position des contributions (avec en moyenne 30%), devant les fondations privées (type Gates), les individus isolés et les entreprises. Pour O. Basso et al., c’est l’observation du rapport à l’école des anciens élèves qui peut apporter un premier élément d’explication. Alors que les étudiants français de Grande 36

O. Basso, P.P. Dormier, J.P. Mounier (2005), « Tu seras patron, mon fils », Editeur Village Mondial, Collection Essais & Documents Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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Ecole semblent davantage attachés à leur classe préparatoire qui leur a permis l’entrée dans une grande institution, les étudiants d’une université américaine la perçoivent davantage comme la « matrice de [leurs] succès futurs », ce qui renforce leur implication (également en repassant par le politique). Cela peut également s’expliquer par l’organisation même des universités, ces dernières gérant directement le réseau des anciens en insufflant une dynamique collaborative qui se ressent ensuite au niveau institutionnel. Face à ce constat, nous pouvons ici rapprocher la taxe professionnelle versée en France face à cette véritable contribution des anciens aux Etats-Unis. Ces fonds peuvent prendre la forme d’endowment funds, une pratique courante aux Etats-Unis, qui suggère le placement de ces fonds sur les marchés financiers afin de générer des intérêts réguliers, disponibles pour le financement de projets de développement des institutions. En 2005, la Harvard Business School possédait plus de 800 fonds de dotation atteignant 1,4 milliards de dollars. Le gouvernement fédéral intervient également en finançant des contrats de recherche, en allouant des bourses et subventions mais tend à se dégager de plus en plus, induisant de ce fait une augmentation progressive des frais de scolarité. Une capacité normative pour imposer les standards américains

Fortes de cette manne financière, les universités américaines développent habilement leur compétitivité et leur attractivité. Partenariats, chaires, financement d’infrastructures, aménagement des campus à la pointe de la technologie, environnement vastes et propices à l’installation de partenaires, salaires élevés pour les professeurs et marketing permettent de créer un cercle vertueux et d’attirer les « grands noms » dans leurs domaines de prédilection et les étudiants qualifiés. Cette puissance leur permet également d’imposer les normes et standards américains à l’échelle internationale, à l’image du réputé MBA (Master of Business Administration) et de l’accréditation AACSB (créée par l’Association to advance collegiate schools of business). Cette capacité normative tend à asseoir leur domination dans la mesure où les critères associés sont en général largement calqués sur le modèle américain, tout comme les critères des classements. On relève généralement le nombre de prix Nobel, de médailles Fields, d’articles publiées dans les revues anglo-saxonnes, salaires des postes occupés à la sortie de la formation… . Cette divergence de vision entre les EtatsUnis et la France se ressent d’ailleurs parfaitement à travers les résultats produits par leur classement respectif : les classements français n’intègrent jamais l’INSEAD alors que le Financial Times positionne l’établissement en 6e position en 2013, considérant le MBA comme un moyen de consolider une première expérience terrain. Une capacité à mondialiser les contenus

Tout comme les autres secteurs économiques, l’enseignement américain a parfaitement suivi la dynamique de mondialisation, à travers quatre grands axes : 

La mondialisation de leur production d’enseignement : comme le soulignent O. Basso et al. (2005), les universités nord-américaines ont « exporté leurs normes, leurs professeurs, leurs méthodes, leurs cours et leurs cas pratiques dans le monde entier. Le doctorat anglo-saxon (Ph.D.) est devenu une référence en matière de formation à la recherche des futurs professeurs. La Harvard Business School (HBSà représente le symbole de la production de cas d’enseignement et de leur diffusion, la Stanford Business School et le MIT (Sloan School) sont des références en stratégie d’innovation, […] ». Dès lors, les écoles et universités étrangères ont largement accueilli et intégré ces contenus dans leurs formations afin de s’inspirer de l’enseignement américain. Cette réussite « marchande » a, on le verra, de nombreuses implications sur l’enseignement hors du sol américain.



Le recrutement élitiste d’étudiants et de professeurs à l’échelle internationale, grâce à l’attractivité de leur modèle, qu’il s’agisse des conditions matérielles, de la qualité des enseignements, des bourses, … .

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Le développement d’une stratégie marketing globale associée à la diversification de leur portefeuille d’enseignement, de formations, et de produits annexes.

1.1.3.3. La production de connaissances sur Internet et sa gouvernance Gouvernance de l'Internet par les Etats-Unis : de la centralisation d'un moyen technique à une politique publique mondiale

Internet est souvent considéré, à raison, comme étant un royaume d'anarchie bienveillante, accessible au plus grand nombre. Cette dimension a longtemps mis à rude épreuve sa gouvernance, à savoir la présence d'une entité qui serait en mesure de définir et de mettre en place un ensemble de règles qui s'appliqueraient à l'usage d'Internet et qui seraient renforcées par des sanctions. On peut, par exemple, se souvenir d'une affaire datant du début des années 2000 où Yahoo fut condamnée à détecter l'origine géographique de ses utilisateurs pour appliquer la législation sur les contenus en vigueur dans leur pays37. La représentation « ingouvernable » de l'Internet a pourtant bien évolué depuis l'ouverture au public de ce nouveau moyen de communication et d'échanges. Le développement le plus significatif est très certainement celui de l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) en 1998, où pour la première fois la volonté de « gouverner » l'Internet fut publiquement évoquée. Société privée de droit californien à but non lucratif, l'ICANN est le résultat de la volonté des Etats-Unis et du gouvernement Clinton en 1997 d'une privatisation de la gestion de l'Internet afin d'une part d'accroître la compétition mais également de faciliter la participation internationale à la gestion du système38 car, comme nous le verrons par la suite, étant le fruit de recherches américaines exclusivement, l'Internet fut dans un premier temps sous le contrôle d'un seul homme, à savoir Jon Postel. Ayant reçu le mandat d'assurer la coordination technique des ressources fondamentales de l'Internet et en particulier la gestion des noms de domaines, l'autorité de l'ICANN s'étend de facto au monde entier et lui permet de changer, à son gré, la nature de ce dernier. Ce schéma où s'articule un point de contrôle central pour une gouvernance globale soulève bien des questions de légitimité vis-à-vis de l'ICANN, notamment de par le fait que cette dernière soit implantée sur le sol américain et surtout que sa capacité de gouvernance puisse être perçue comme une menace de la maîtrise de la frontière technologique. Tous ces facteurs nous amènent à considérer, dans le cadre de la stratégie américaine dans l'économie de la connaissance, comment les Etats-Unis se sont servis de la coordination technique de l'Internet par l'ICANN comme levier de politique publique mondiale (Une description plus technique du fonctionnement de la gouvernance de l’Internet est fournie en Annexe I). De l'IANA à l'ICANN : vers un resserrement du contrôle des Etats-Unis A la fin des années 1990, la souveraineté des Etats-Unis en matière de gouvernance de l'Internet est fortement critiquée. D'une part le contrôle de l'Internet par un seul homme, Jon Postel, est remis en cause. D’autre part, diverses entreprises font pression pour casser le monopole de la NSI (Network Solutions Inc.) en proposant d'autres TLDs (top-level domains, cf. Annexe I) ou des registres indépendants, mettant ainsi en péril l'espace de nommage qui se retrouverait encore plus fragmenté. D'autre part, les États prennent conscience de la menace sur leur souveraineté que pose cette gouvernance américaine. Enfin, des conflits sérieux émergent autour des noms de domaines correspondant aux marques déposées. Ainsi, à mesure que le réseau croît, les enjeux politiques en font de même.

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Wikipedia (2013), « LICRA contre Yahoo! », http://fr.wikipedia.org/wiki/LICRA_contre_Yahoo! National Telecommunications & Information Administration (Juin 1998), « Statement of Policy on the Management of Internet Names and Addresses », http://www.ntia.doc.gov/federal-register-notice/1998/statement-policy-management-internet-namesand-addresses 38

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La gouvernance de l'ICANN

Le 1er juillet 1997, Bill Clinton charge le Secrétariat d'Etat au Commerce de privatiser le DNS (Domain Name Service, cf Annexe I) afin d'accroître la compétition et de faciliter la participation internationale à 38 la gestion du système . Il en résulte l'établissement d’une volonté de transférer le contrôle des noms de domaines du gouvernement vers une entité privée à but non lucratif. « Recognizing that no solution will win universal support, the U.S. government seeks as much consensus as possible before acting. »39. De cette réflexion sera proposé un Livre Vert, publié le 20 février 1998, qui sera immédiatement suivi par la mise en place de l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers. Au sein du livre est clairement exprimée la volonté des Etats-Unis de ne plus interférer dans la gouvernance de l'Internet : « The U.S. government should end its role in the Internet number and name address systems in a responsible manner. This means, above all else, ensuring the stability of the Internet. »39 (cf. Annexe II). Cependant, comme nous allons nous employer à le montrer par la suite, l'état des lieux qui peut être fait aujourd'hui montre très clairement que d'une part l'ICANN est restée sous influence du gouvernement américain tout en mettant en place les quatre mécanismes de la gouvernance. D'autre part, beaucoup de chemin a été parcouru depuis 1998...complètement à reculons, resserrant le lien entre la gouvernance de l'Internet et le gouvernement américain. L'ICANN résout le problème de stabilité en prenant le contrôle de la racine et fonctionne désormais indépendamment d'un seul individu. Quoique son autorité s’étende au monde entier, la nature de celle-ci est délibérément non gouvernementale et respecte ainsi la souveraineté des gouvernements nationaux. L'ICANN ne revendique ainsi aucune mission de politique publique. Cependant, le conseil d'administration de l'ICANN reste soumis à une autorité supérieure : le gouvernement des Etats-Unis. Le Département du Commerce (DoC) garde un droit de veto sur les décisions politiques de l'ICANN et de facto le contrôle de la racine. Dès lors, l'Internet n'est internationalisé et son contrôle privatisé que sous la direction des Etats-Unis. Malgré la fragmentation de l'autorité, la majorité des utilisateurs de l'Internet, regroupés dans les gTLDs (generic top-level domain, cf. Annexe I), sont soumis à celle de l'ICANN. D'autre part l'ICANN régule les utilisateurs mais sans être en contact direct avec eux. En effet, elle se base sur une structure hiérarchique à quatre étages : l'ICANN au sommet, les utilisateurs à la base et entre les deux, deux organisations appelées registries et registrars40. Ainsi l’ICANN utilise son autorité au sommet pour créer des régulations qu’elle transmet aux registries de manière contractuelle. Une cascade de contrats dévale ainsi tous les étages étant donnés que les régulations initiales sont à nouveau transmises des registries aux registrars de par les contrats qui les lient, puis aux utilisateurs finaux. De plus l’ICANN a habilement mis en place un système où il lui est possible de remodeler à sa convenance les règles en jeu, lui accordant de ce fait le droit d’exercer sa gouvernance sur un champ très large41 (cf. Annexe III). Ainsi les mécanismes nécessaires à la gouvernance sont ici assurés grâce à la circulation des contrats et aux sanctions applicables. Tout utilisateur récalcitrant se verrait tout simplement révoquer sont droit d’accès à son nom de domaine. L'ICANN, vecteur d’une politique publique mondiale

S’il ne fait aucun doute désormais que l’ICANN possède tous les éléments nécessaires à la gouvernance de l’Internet, il demeure tout de même nécessaire et important d’expliquer non seulement comment l’ICANN s’en sert mais également et surtout à quelles fins. La première décision que l’on peut juger à caractère politique et à visée mondiale de l’ICANN est très 39

National Telecommunications & Information Administration (Février 1998), « Improvement of Technical Management of Internet Names and Addresses; Proposed Rule », http://www.ntia.doc.gov/federal-register-notice/1998/improvement-technicalmanagement-internet-names-and-addresses-proposed40 Domain Tools (2013), « What is ICANN, and How is it Related to Registries and Registrars », http://www.domaintools.com/learn/what-is-icann-and-how-is-it-related-to-registries-and-registrars-420/ 41 Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Novembre 1999), « Registrar Accreditation Agreement », http://www.icann.org/en/resources/registrars/raa/raa-10nov99-en.htm Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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certainement l’Uniform Dispute Resolution Policy, prise dès 1999 . L’avènement de l’Internet fin des années 1990 a vu naître des sites d’envergure tels que www.amazon.com et de ce fait des conflits autour du droit des noms. L’idée était simple : un utilisateur enregistre le nom de domaine d’une marque, comme www.coca-cola.com, avec pour seul dessein la revente de ce dernier au prix fort à l’entreprise dépositaire de la marque sous peine de lui en priver l’accès. Le conflit étant potentiellement d’ordre international et la législation sur les marques étant propre aux différents pays, aucune solution évidente n’était à disposition. L’ICANN, par l’intermédiaire de l’UDRP, a défini les règles de résolution de ces conflits en établissant des règles de propriété. Selon la procédure, des arbitres privés et certifiés décideront de la question du droit, selon un critère de l’ICANN. Ainsi, l’UDRP représente parfaitement la gouvernance de l’ICANN, entre autres de par la manière dont cette décision a pris force de loi au sein de l’Accord d’Accréditation des Registrars en devenant une condition sinequanone d’accès à l’espace de nommage et également une nécessité d’être inscrite dans les contrats de détaillants. En ayant instauré l’UDRP, l’ICANN a institué une politique publique mondiale en réglementant un sujet d’intérêt global, à savoir le droit de propriété, et de ce fait pris une décision relative aux valeurs publiques. De plus, l’ICANN est très rapidement devenu un instrument de la politique nationale des Etats-Unis. En effet, pour faire face à la montée du terrorisme ainsi qu’aux différents conflits récents dans lesquels ils ont été engagés, i.e l’Afghanistan mais aussi l’Irak, les Etats-Unis n’ont pas hésité à faire usage de leur mainmise sur la racine de l’Internet. Ainsi, au début des deux conflits, les noms de domaine, respectivement en .af puis .iq, ont été fermés par l’ICANN afin de donner un avantage stratégique aux Etats-Unis43. Cet exemple démontre bien comment une entité « technique » peut être amenée à prendre des décisions géopolitiques majeures affaiblissant des entités «hostiles» tout en permettant au gouvernement américain de se cacher derrière elle. Un second exemple révélateur de cette dynamique se trouve dans l’autorisation donnée par le Département du Commerce américain quant à l’ajout du nom de domaine .ps, pour la Palestine, à la zone-racine44. D’autre part, on notera le fait que certains gTLDs soient strictement réservés aux Etats-Unis. Il s’agit des noms en .mil (réservé à l’armée américaine), .gov (réservé au gouvernement américain) et .edu (réservé aux universités américaines). Dans le cadre de l’économie de la connaissance, la restriction la plus pertinente est très certainement le .edu. Comme évoqué précédemment, ce nom de domaine est strictement réservé aux universités américaines, sauf cas très exceptionnel où il faudra que l’université étrangère soit à même de prouver qu’elle correspond aux standards américains45. On notera pour exemple que l’ESSEC possède le nom de domaine www.essec.edu. Les exemples suscités ont permis de mettre en exergue comment l’ICANN, en tant que simple entité à caractère technique, est en mesure de prendre de décisions à impact mondial. Nous nous emploierons désormais à montrer que la relation entretenue par l’ICANN et le gouvernement américain, en particulier le Département du Commerce, est à sens unique. Un exemple flagrant permettant d’illustrer les propos précédents tient sans doute dans le rejet puis l’adoption quelques années plus tard du gTLD .xxx, destiné aux sites web à caractère pornographique. En 2005, l’ICANN a émis la volonté d’ajouter de nouveaux gTLDs dont entre autres le .xxx46. Les conservateurs américains, voyant d’un très mauvais œil le déploiement de ce type de nom de domaines, ont exercé une très forte pression sur l’ICANN, résultant en une annulation de ce nouveau gTLD deux jours avant 42

Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Octobre 1999), « Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy », http://www.icann.org/en/help/dndr/udrp/policy 43 O. Ricou (Janvier 2013), « Les coulisses de l'Internet », http://www.ricou.eu.org/e-geopolitique/internet.pdf, Version 2.2α 44 Wired (Décembre 2001), « Dot-PS: Domain Without a Country », http://www.wired.com/politics/law/news/2001/01/41135 45 Educause (2013), « Eligibility for .edu domain », http://net.educause.edu/edudomain/show_faq.asp?code=EDUELIGIBILITY#faq145 46 ZDNet (Mai 2006), « Nom de domaine : l’ICANN refuse la création du « .xxx » », http://www.zdnet.fr/actualites/nom-dedomaine-l-icann-refuse-la-creation-du-xxx-39348062.htm Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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sa mise en place effective. De plus, dans une lettre adressée à l’ICANN en août 2008, le Département du Commerce américain a réaffirmé sans ambiguïté et avec force sa mainmise sur la racine de l’Internet. Ainsi, l’on pouvait lire en dernier paragraphe : « The Department believes strongly that it is important to clarify that we are not in discussions with either party to change the respective roles of the Department, ICANN or VeriSign regarding the management of the authoritative root zone file, nor do we have any plans to undertake such discussions. […] the Department […] has no plans to transition management of the authoritative root zone file to ICANN as suggested in the PSC documents »47 (cf. Annexe IV). Cette lettre a clairement mis fin à toute velléité de transition de la part de l’ICANN. Afin de me mettre en lumière le fait que l’ICANN soit lié au gouvernement, reprenons les conditions dans lesquelles l’institution fut créée en 1998. Lors de sa création, le gouvernement Clinton a approuvé le transfert du contrôle technique du DNS, incluant les fonctions de l’IANA, au secteur privé. Ainsi, deux accords légaux distincts ont été signés entre le Département du Commerce et l’ICANN. Dans un premier temps, le 25 Novembre 1998, a eu lieu la signature du Memorandum of Understanding48, reconnaissant ainsi cette dernière comme nouvelle organisation responsable de l’administration du DNS et assurant la transition de la coordination technique. Cet accord a été renouvelé à de multiples reprises jusqu’à 2006 où il a été remplacé par le Joint Project Agreement, puis en 2009 par l’Affirmation of Commitments49. Ce dernier accord réduit tout de même le droit de regard du Département du Commerce sur l’ICANN. Cependant, le Département du Commerce avait également fourni en 2000 à l’ICANN un second contrat, en dehors du premier, permettant la gestion des fonctions de l’IANA. Ce contrat a été renouvelé à diverses reprises, la dernière en date étant fin 201250. Ainsi, l’IANA demeure l’institution en charge du contrôle de la racine du DNS ainsi que de l’affectation des adresses IP. L’ICANN, par l’intermédiaire du Memorendum of Understanding, se positionne en tant qu’institution faisant fonctionner l’IANA. Dès lors, il importe peu du degré de privatisation de l’ICANN, cette dernière reste toujours sous contrat avec l’IANA par l’intermédiaire du bon vouloir de Département du Commerce, comme l’attestent les difficultés du dernier renouvellement51. En conclusion, l’ICANN a été à même de développer une politique publique mondiale au cours des dernières années et sa relation contractuelle avec le gouvernement américain soulève toujours des questions de légitimité. Des géants américains au service de l'Internet mais aussi des Etats-Unis

Après avoir développé la façon dont les Etats-Unis se servent d'un moyen technologique comme moyen de politique publique mondiale, nous poursuivons par l'identification d'acteurs majeurs américains de l'Internet. Même s’ils ne sont pas affiliés directement au gouvernement américain, ces derniers contribuent fortement à la stratégie de ce pays en matière d'économie de la connaissance. Dans un premier temps, deux grandes questions s’imposent à nos yeux :  

Pourquoi ces géants sont-ils américains ? Quelle est la stratégie américaine vis-à-vis de ses géants ?

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Adscriptor (Août 2008), « Gouvernance Internet: mainmise des Etats-Unis réaffirmée », http://adscriptum.blogspot.fr/2008/08/gouvernance-internet-mainmise-des-etats.html 48 Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Novembre 1998), « MEMORANDUM OF UNDERSTANDING BETWEEN THE U.S. DEPARTMENT OF COMMERCE AND INTERNET CORPORATION FOR ASSIGNED NAMES AND NUMBERS », http://www.icann.org/en/about/agreements/mou-jpa/icann-mou-25nov98-en.htm 49 Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Septembre 2009), « AFFIRMATION OF COMMITMENTS BY THE UNITED STATES DEPARTMENT OF COMMERCE AND THE INTERNET CORPORATION FOR ASSIGNED NAMES AND NUMBERS », http://www.icann.org/en/about/agreements/aoc/affirmation-of-commitments-30sep09-en.htm 50 Domain News (Juillet 2012), « ICANN Awarded New Contract to Continue Performing IANA Functions », http://www.domainnews.com/en/icann-awarded-new-contract-to-continue-performing-ianafunctions.html?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter 51 Domain Incite (Mars 2012), « NTIA says ICANN «does not meet the requirements» for IANA renewal », http://domainincite.com/8091-ntia-says-icann-does-not-meet-the-requirements-for-iana-renewal Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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La première question trouve une réponse toute faite des parties précédentes : la mise en réseau des acteurs, la facilitation de la recherche, le système universitaire américain, les clusters, les financements, mais également la multiplication des ventures capitalist favorisent l’émergence de tels acteurs. Selon Véronique Mesguich, c’est aussi une question de facteurs culturels et de mentalités, notamment l’appétence pour le risque. La seconde question s’incarne par les inquiétudes des autres pays concernant l’utilisation du Patriot Act par le gouvernement américain, vis-à-vis d’entreprises telles que Microsoft, Google ou encore Facebook. Elles émanent notamment des différentes significations attribuées au « patriotisme », en relation avec l’étendue du pouvoir gouvernemental pour accéder aux données récupérées par ces géants. Dans quelle mesure le gouvernement peut-il obtenir ces informations ? De quelle nature sontelles ? Afin de développer cette partie nous nous concentrerons sur trois entreprises en particulier : Google, Facebook et Cisco. Ces entreprises cristallisent aujourd’hui des enjeux majeurs en termes commerciaux, de géopolitique, d’information, de connaissance ou encore de désinformation, tout en partageant les caractéristiques communes d’être au service des américains et d’avoir un très fort rayonnement international. Google

Google n’est certainement plus une entreprise à présenter, sa forte présence sur l’Internet ainsi que la large gamme de services qu’elle offre, du moteur de recherche au service d’emails Gmail en passant par Google Maps ou encore le réseau social Google+, l’ont faite passée d’une petite start-up californienne à la fin des années 1990 au géant de l’Internet mondial que l’on connaît aujourd’hui. Le constat que l’on peut en tirer est clair: Google s’est ancré dans la vie d’une très large part de la population mondiale, à un point tel que faire une recherche, accéder à des connaissances se traduit désormais par « Googler » quelque chose, le moteur de recherche étant devenu quelque part notre seconde mémoire. Et tout comme Apple, l’entreprise a su créer habillement et subtilement un écosystème où, une fois entré dedans, il est quasiment impossible de sortir tant les synergies existantes entre les différents services proposés aux utilisateurs sont grandes. Il est indéniable que Google constitue désormais l’un des vecteurs principaux, si ce n’est le vecteur principal, de la centralisation de la connaissance sur Internet. Trois services, entre autres, permettent cette hégémonie : le moteur de recherche, la bibliothèque Google books ainsi que le service de recherche d’articles scientifiques et universitaires Google scholar. S’il ressort de l’Appendix 452 une écrasante domination de Google en matière de moteur de recherche dans le monde, il est tout de même à noter qu’il subsiste des zones géographiques où l’entreprise peine, et peinera sans doute encore longtemps, à s’imposer telles que la Russie ou encore la Chine. De plus, d’un point de vue strictement lié à la domination américaine, l’on constate que les alternatives à Google en matière de recherche ne sont autres que Bing (Microsoft) et Yahoo, ce qui au final ne laisse que très peu de marge de manœuvre. Enfin, de par ses services Google Books et Google Scholar, Google est en mesure d’étendre sa maîtrise des connaissances écrites en offrant la possibilité d’effectuer des recherches dans des livres, des thèses ou encore des articles universitaires. La forte dépendance qu’a su créer Google permet aujourd’hui de dégager des enjeux à la fois commerciaux pour l’entreprise mais aussi géopolitiques pour le gouvernement des Etats-Unis; l’élément moteur commun et sous-jacent étant la connaissance de la vie privée des personnes utilisant les services. En effet, Google enregistre un certain nombre d’informations relatives à ses utilisateurs telles que leur adresse IP, les recherches qu’ils ont effectuées, les sites qu’ils ont consultés ou encore leur position géographique. Si l’entreprise se défend d’utiliser ces informations à des fins 53 d’amélioration de ses services , la réalité tient surtout au niveau d’enjeux commerciaux. En retenant des informations sur les utilisateurs, Google est à même de leur proposer des publicités adaptées à 52

Le blog des nouvelles technologies (Janvier 2011), « Les parts de marché des moteurs de recherche dans le Monde », http://www.blog-nouvelles-technologies.fr/archives/1946/les-parts-de-marche-des-moteurs-de-recherche-dans-le-monde/ 53 Silicon Valley Watcher (Mars 2010), « Google Keeps Your Data Forever – Unlocking The Future Transparency Of Your Past », http://www.siliconvalleywatcher.com/mt/archives/2010/03/google_keeps_yo.php Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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leurs goûts, habitudes ou localisations géographiques . De plus, le moteur de recherche est accusé 55 de favoriser ses services dans les résultats de recherche . D’un point de vue purement géopolitique, l’ensemble des informations collectées par Google est une aubaine pour des agences comme le FBI, la CIA ou tout simplement le gouvernement américain, comme l’attestent les rapports de transparence édités par l’entreprise depuis fin 2009. Entre décembre 2009 et décembre 2012, le nombre de demandes effectuées par le gouvernement américain concernant des informations relatives à des utilisateurs a augmenté de 136%, passant ainsi de 3580 à 843856. 68% de ces requêtes ont été effectuées sous l’Electronic Communications Privacy Act (ECPA), qui, contrairement aux écoutes téléphoniques et aux perquisitions physiques, permet aux agents de contourner la demande d’autorisation à un juge. Google admet répondre à 90% de ce type de requêtes. L’ECPA, ayant été signé en 1986 et donc bien avant que les communications électroniques soient aussi répandues, est aujourd’hui fortement critiquée. En effet, sous cette loi, un email sauvegardé sur un serveur tiers depuis plus de 180 jours par exemple est considéré comme abandonné. Dès lors, pour accéder à l’information, il suffit aux agents d’une attestation écrite certifiant la pertinence de cette dernière dans le cadre d’une enquête. Ainsi, le gouvernement américain peut accéder aujourd’hui à quasiment tout ce que les individus ont en ligne sans avoir besoin de mandat. Pour le reste des requêtes, 22% provenaient de mandats de perquisitions sous la loi ECPA et émis par des juges et les 10% restants étaient des ordonnances de tribunaux. Dans l’actualité récente, le FBI a par exemple demandé l’accès au compte Gmail de Paula Broadwell dans l’affaire la liant au directeur de la CIA David Petraeus57. Facebook

Facebook n’est pas en reste en matière de data mining sur les données privées de ses utilisateurs. D’un point de vue quantité informationnelle, le site est tout aussi intéressant pour des organisations comme la CIA ou le FBI que ne l’est Google. En effet, la dimension sociale exacerbée de ce réseau ainsi que la quantité phénoménale d’informations échangées chaque jour permettent de dépeindre avec précision la personnalité de la plupart des personnes usant de ce réseau social. Ceci constitue donc une opportunité plus qu’intéressante en matière de surveillance ou collecte d’informations. D’autre part, le fort développement et rayonnement mondial de Facebook peut s’afficher comme la possibilité pour le gouvernement américain de se servir d’une interface publique comme continuation du programme IAO. Ce programme, arrêté dès 2003 du fait des critiques publiques qu’il suscitait, notamment de par le fait qu’il apparaissait comme un moyen de surveillance de masse de la population, avait pour but la connaissance complète de l’information58. Ainsi, un réseau comme Facebook permet aisément d’établir les relations entre différentes entités de par le monde et ne requiert au gouvernement américain strictement aucun effort dans le sens où toute personne en ajoutant une autre comme ami ajoute une brique à l’immense base de données électronique que constitue ce réseau. Ainsi, Google et Facebook constituent indéniablement aujourd’hui une interface parfaite pour les services de renseignement américains. Ceci soulève bien entendu la question du respect de la vie privée d’autant plus que, pour les deux entreprises, les données de personnes vivant en Europe par exemple sont stockée aux Etats-Unis et non pas dans la zone européenne comme l’on pourrait s’y attendre. L’Union Européenne s’intéresse sérieusement à ce problème et envisage la mise en place 54

The Guardian (Août 2012), « How Google and Apple’s mapping is mapping us », http://www.guardian.co.uk/technology/2012/aug/28/google-apple-digital-mapping 55 France Info (Janvier 2013), « L’hégémonie de Google sur la sellette », http://www.franceinfo.fr/high-tech/google-somme-dechanger-la-presentation-de-ses-recherches-857583-2013-01-11 56 Google Transparency Report (Février 2013), « Transparency report », https://www.google.com/transparencyreport/userdatarequests/US/ 57 CNN (Novembre 2012), « Google : « Government surveillance is on the rise » », http://edition.cnn.com/2012/11/13/tech/web/google-transparency-report 58 ERTA (2003), « L’Information Awareness Office et le projet « Total Information Awareness » », http://www.ertatcrg.org/analyses/tia.htm Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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d’une nouvelle loi beaucoup plus dure en termes d’exigence vis-à-vis de la vie privée des utilisateurs et surtout de leur droit à la suppression d’informations les concernant. Les lobbyistes américains clament qu’une telle mesure serait désastreuse d’un point de vue sécurité puisqu’elle rendrait plus difficile le combat contre le crime et poserait une sérieuse menace relative à la sécurité. D’autre part, ce type de régulation aurait un impact non négligeable sur l’économie et l’emploi, la principale source de revenus de Google et Facebook demeurant la publicité ciblée en ligne59. Cisco

Enfin, nous terminerons cette réflexion sur les géants de l’Internet en évoquant Cisco. Cisco est une entreprise d’informatique américaine vendant principalement du matériel lié au réseau tel des routeurs ou encore des commutateurs ethernet. Aujourd’hui l’entreprise est leader de son marché et équipe des systèmes d’information tout autour de la planète. D’après Olivier Ricou, le problème soulevé tient dans le fait que l’entreprise laisse dans ses routeurs des « backdoors », ou portes dérobées, 60 permettant officiellement à la justice américaine de surveiller l’activité internet de criminels . Outre le 60 fait que ce système ait été montré plutôt faible et aisément attaquable par des hackers , le problème principal réside dans le fait que l’entreprise est à même de cacher dans du matériel des portions de code potentiellement indétectables qui peuvent être mises en activité à l’insu du propriétaire du matériel. Ainsi, il ne serait techniquement pas impossible de re-router les paquets IPs d’une entreprise vers les Etats-Unis afin d’écouter le trafic sur le réseau ou tout simplement de causer des pannes matérielles. De plus, Cisco étant parmi les entreprises participant le plus à la rédaction des RFCs43 (Request For Comments), l’entreprise reste constamment à jour dans sa connaissance des standards de l’Internet et y contribue fortement. C’est pourquoi, elle voit aujourd’hui d’un très mauvais œil l’implication grandissante de son concurrent chinois direct, Huawei, dans le standards de l’Internet étant donné que les relations de cette entreprise avec le gouvernement et l’armée chinois sont bien connus61. La maîtrise de l’Internet sous couvert du droit à la culture et de la neutralité du net

Nous nous sommes employés à montrer que si de prime abord l’Internet peut paraître comme anarchique, ses spécificités techniques permettent bien une certaine forme de gouvernance aujourd’hui orchestrée par l’ICANN. A travers l’ICANN, ce sont des ingénieurs qui ont été à même de prendre des décisions d’ordre politique et de façonner une politique publique mondiale tout en laissant en coulisses une mainmise affirmée par le gouvernement américain. Si l’Europe tout comme une large partie des autres grandes puissances réclament un plus grand partage du contrôle de l’Internet, il y a tout de même peu de chances, d’après Olivier Ricou, que ce dernier passe sous l’égide de l’ONU et plus précisément à l’Union Internationale de Télécommunications (UIT). La raison sous-jacente étant tout simplement, qu’en l’état, l’Internet fonctionne et est stable. Tout changement d’autorité de contrôle laisserait fortement planer le doute sur les points suscités. Au final, il est beaucoup plus risqué de vouloir changer que de garder un statut quo. Enfin, vis-à-vis des acteurs majeurs de l’Internet, force est de constater qu’ils sont américains bien sûr mais surtout que ces derniers ont tout et sont partout. Des géants comme Google, Facebook et Cisco ont aujourd’hui un contrôle commercial et très certainement aussi géopolitique de l’Internet, bien qu’il leur reste des zones de non-droit comme la Chine ou la Russie. Comme nous l’a précisé Pierre Gueydier, il est intéressant de voir qu’ils justifient eux-mêmes leur expansion en ayant recours au droit à la culture et à la doctrine autour de la neutralité de l’Internet.

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Spiegel (Octobre 2012), « ‘The Right to Be Forgotten’: US Lobbyists Face Off with EU on Data Privacy Proposal », http://www.spiegel.de/international/business/us-government-and-internet-giants-battle-eu-over-data-privacy-proposal-a861773.html 60 Forbes (Mars 2010), « Cisco’s Backdoors For Hackers », http://www.forbes.com/2010/02/03/hackers-networking-equipmenttechnology-security-cisco.html. 61 ZDNet (Juillet 2012), « Former Pentagon analyst : Chine has backdoors to 80% of telecoms » , http://www.zdnet.com/formerpentagon-analyst-china-has-backdoors-to-80-of-telecoms-7000000908/ Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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1.2. Une tentative de cartographie des acteurs, de leurs objectifs et de leurs relations “« Une politique servant les intérêts industriels et les entreprises dynamiques prêtes à investir et à prendre des 62

risques : l’alchimie était parfaite ; la catalyse gouvernemental engendra le succès en chaîne » -- Catinat, 1999

Fondamentalement différente des grilles de lecture européennes, la compréhension des relations entre acteurs contribuant au modèle américain s’avère multiple et complexe du fait, tantôt de la spontanéité des interactions, tantôt du caractère planifié des actions, ou encore de la poursuite d’intérêts individuels. Comme l’explique F. Martel (2006) 63, la description du modèle revient à « expliquer comment une immense coalition d’entreprises privées, d’agences publiques, d’institutions à but non lucratif, de riches philanthropes, d’universités et de communautés, tous autonomes, finissent par faire « politique ». Comment ces acteurs, concurrents et partenaires, poursuivant leurs intérêts particuliers, peuvent-ils donner naissance à un intérêt général et constituer collectivement un système global redoutablement efficace ».

1.2.1. Le rôle du gouvernement “Not only do our economy and quality of life depend critically on a vibrant R&D enterprise, but so too do our national and homeland security”64 -- Hart-Rudman Commission on National Security, 2001

Comme évoqué précédemment, le gouvernement américain, en initiant le NII et le GII, a posé un cadre pour le développement de ce que l’on peut appeler une « stratégie américaine dans l’économie de la connaissance ». Tout d’abord, le NII et le recours au levier juridique, fiscal et réglementaire ont permis de renforcer les compétences et les capacités nationales : les subventions, les taxes, le financement privé, la décentralisation, et l’incitation à l’organisation en réseau des acteurs ont permis de créer un « système » redoutable. Par la suite, le GII s’est assuré d’internationaliser cette réussite. Cette politique volontariste d’expansion s’illustre dans les statistiques, les industries culturelles étant le premier poste d’export des Etats-Unis. L’enjeu et l’objectif de l’administration américain reposent sur la préservation et le développement des intérêts économiques américains à travers la promotion d’actions visant à les optimiser. Cette stratégie permet de repousser les frontières de son marché, d’offrir de nombreuses opportunités pour ses entreprises, et de garantir l’influence américaine sur la scène internationale. A ce titre, le gouvernement américain s’est parfois retrouvé en chef de troupe, et ce malgré lui. Par exemple, la dépendance récente de l’industrie cinématographique américaine aux marchés extérieurs pour l’amortissement des blockbusters américains a conduit le gouvernement, suite aux pressions des lobbys de studios (notamment le MPA) sur le Congrès américain, à s’inviter dans les négociations européennes. De nombreux diplomates, ambassadeurs et autres représentants américains ont ainsi tissé des liens avec l’économie audiovisuelle européenne. Cette stratégie a d’ailleurs fait l’objet d’une note de l’administration américaine (« Inside US Trade », cf. Annexe VI) précisant les modalités de l’offensive contre la politique européenne des quotas audiovisuels personnalisée selon les pays ciblés65.

62

M. Catinat (1999), op.cit F. Martel (2010), « Enquête sur la guerre globale de la culture et des médias », Champs Actuel, Editions Flammarion 64 Task Force on the Future of American Innovation (2005), “The Knowledge Economy: Is the United States Losing its edge”, Benchmark for our innovation future 65 Spinwatch (2004), “US government Global Audio-Visual strategy document leaked”, Accessible sur : http://www.spinwatch.org/-articles-by-category-mainmenu-8/48-lobbying/14-us-government-global-audio-visual-strategydocument-leaked 63

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Notons par ailleurs que le gouvernement a toujours travaillé en étroite collaboration avec un grand nombre d’acteurs. Par exemple, la Task Force NII intégrait des représentants des agences fédérales mais le Comité de conseil du NII incluait également des industriels, des académiques, des travailleurs, des autorités publiques locales et étatiques ou encore des groupes d’intérêts publics. Ce travail collaboratif a en outre permis d’impliquer l’ensemble de la société américaine afin de fluidifier l’implémentation de cette politique. En effet, si le NII et le GII ont été conduits par l’administration américaine, cette démarche s’est largement renforcée par l’appui du marché et du dynamisme industriel.

1.2.2. Le Congrès américain “The Congress shall have the Power […] to promote the Progress of Science and useful arts, by securing for limited Times to Authors and Inventors the exclusive Right to their respective Writings and Discoveries” – The Constitution of the United States of America, Article 1, Section 8

Le Congrès américain s’est fréquemment préoccupé des questions de droit en termes de propriété intellectuelle dans un souci de stimuler l’innovation et les projets, notamment à travers le Bayh-Dole Act. L’objectif du Congrès est d’accompagner les différents acteurs de l’économie de la connaissance en encourageant les interactions et la mise en réseau. Il a, par ailleurs, régulièrement servi de lien entre les lobbies et le gouvernement (on retrouve notamment ces relations dans le cas de la libéralisation des marchés européens de l’audiovisuel). Sa bibliothèque est en outre un symbole de l’économie américaine du savoir puisqu’elle contient près de 130 millions de volume d’une part et permet grâce à l’Open Achives Initiative de chercher rapidement des métadonnées.

1.2.3. Les entreprises innovantes « start-up » Les entreprises innovantes représentent finalement la consécration du modèle américain, les start-up les plus connues et dont le rayonnement est le plus étendu étant toutes américaines. Comme nous avons pu l’évoquer, cette réussite provient d’une part du facteur culturel et de la vision du risque (fondamentalement différente de l’aversion ressentie par les Français pour les risques associés à l’entrepreneuriat) mais aussi des ressources mises à leur disposition et de leurs liens forts avec les autres acteurs. Par ailleurs, ces entreprises exercent également une certaine pression sur le Congrès et le gouvernement américain pour appuyer leurs intérêts. A titre d’exemple, la lettre ouverte contre le projet SOPA (Stop Oline Piracy Act) signée par Facebook, Yahoo!, Google, Twitter, LinkedIn, Mozilla, Zinga ou encore eBay ainsi que le black-out temporaire du site Wikipedia auront contribué à la suspension de la procédure.

1.2.4. Les universités américaines Au cœur de la recherche, les universités américaines sont la clé de voûte de la puissance américaine dans l’économie de la connaissance. Au-delà de leur business model robuste, elles sont également au cœur de la compétitivité américaine dans de nombreux domaines. Nous n’avons pas manqué de souligner également le rôle des réseaux d’anciens dans cette démarche. Formation d’élites, recherche, pouvoir d’attraction des « cerveaux » étrangers, partenariat avec les entreprises, image de marque associée aux immenses campus sont autant de rôles et d’éléments caractéristiques des universités américaines. Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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1.2.5. L’implication des industriels américains et des entreprises privées Les industriels américains et entreprises privées sont essentielles à la dynamique collaborative pour la puissance américaine dans l’économie de la connaissance. Ils représentent un des piliers de l’alliance gagnante orientée vers la production et la diffusion de l’information. Ils font également, comme on l’a vu, partie intégrante du cercle vertueux qui autoalimente sans cesse le modèle américain.

1.2.6. Les lobbies Les industriels américains se regroupent généralement au sein de lobbies pour assurer leurs intérêts, notamment à l’étranger, par l’intermédiaire du gouvernement et de ses diplomates. Ils s’étaient notamment regroupés au sein du « Computer Systems Policy Projet » (CSPP) pour assurer un lobbying auprès du Congrès et publié divers rapports de propositions qui ont largement influencé les mesures prescrites dans la politique du NII. On peut évoquer une fois encore le MPA, le lobby veillant sur les intérêts d’Hollywood et dirigé par un conseil d’administration issu des six principaux studios (Disney, Sony-Columbia, Universal, Warner Bros, Paramount et 20th Century Fox). Ce lobby est très influant dans la mesure où il coordonne le travail de lobbying vers le Congrès américain pour influencer les régulations publiques mais également participer à la stratégie d’expansion mondiale de leurs contenus. Sa puissance réside dans la capacité à mobiliser les autres acteurs de l’économie américaine - notamment le Congrès, le ministère du Commerce extérieur, le département d’Etat et les ambassades américaines à l’étranger – pour représenter ses intérêts à l’étranger, diffuser ses standards (à l’image du système de rating des films) et imposer des pratiques anticoncurrentielles66.

66

F. Martel (2010), op. cit. Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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2. FORCES FRANCE

ET

FAIBLESSES

DU

MODÈLE AMÉRICAIN :

UNE

ANALYSE COMPARÉE

AVEC LA

Nous nous sommes ici essayé à une synthèse comparative des forces et faiblesses du modèle américain au regard du modèle français.

2.1.

Les forces et faiblesses du modèle américain

Modèle américain Forces / Opportunités

Faiblesses / Menaces 

Effets pervers de la course à la réputation : dégradation de la qualité des connaissances et des enseignements

Forte intelligence collective associée à une décentralisation des capacités d’intelligence économique



Discrimination et inégalités sociales, notamment pour l’accès à l’université suite à la hausse du coût des formations (cf. Annexe VII)



Continuité des activités universitaires et commerciales

culturelles,



Ethnocentrisme et faible ouverture sur les autres nations



Pouvoir d’attraction des talents et diversité culturelle



Remise en cause progressive de certains éléments du modèle



Politique d’exemptions fiscales massives (≠ subventions)



Montée en puissance d’acteurs comme la Russie, la Chine ou encore le Brésil et l’Inde



Système universitaire compétitif et connecté



Risque d’évoluer entreprises



Mise en réseau des acteurs



Ressources allouées conséquentes67



Capacité à produire une culture transposable 68 et flexible



Esprit entrepreneurial, culture de l’innovation



Avantage de first-mover dans de nombreux domaines



Universalité de la langue anglaise



Absence de réel contre-pouvoir sur la plupart des domaines



Puissance normative et hégémonique des institutions clés



contrôle

vers

des

universités-

67

D’après les chiffres de l’OCDE, le budget annuel par étudiant est de 7867 euros en France et de 19220 dollars aux Etats Unis. Ces chiffres sont bien entendu à comparer, nous choisissons de le faire avec les budgets dépensés par les universités par élève : en France, les grandes écoles d’ingénieur dépensent autour de 20 000 € par étudiant ; 50 000 dollars à l’université de Californie, 100 000 dollars dans les 5 universités les plus prestigieuses (Harvard, Yale, Princeton, Stanford, MIT) soit 5 fois plus qu’en grande école d’ingénieur française dans ce dernier cas. Ces différences considérables de moyens sont au cœur du manque de compétitivité des écoles françaises. Les étudiants américains disposent de meilleures installations, de bibliothèques très riches en ouvrages et bénéficient d’un grand nombre d’employés (documentalistes, informaticiens, préparateurs etc.) accompagnant chaque professeur : 3 à 6 aux Etats Unis contre 0,5 à 0,8 en France. 68 « C’est la force de la sphère nord-américaine que d’être capable de produire une véritable culture populaire parfaitement transposable et flexible. Investir dans la notion de divertissement reste sans doute une difficulté importante pour la conception française du rayonnement culturel ». Pierre Gueydier dans « Manuel d’Intelligence économique », PUF, Collection Major, sous la direction de C. Harbulot (2012), dans le Manuel d’Intelligence économique, sous la direction de Christian Harbulot (2012)

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2.2.

Les forces et faiblesses du modèle français

Modèle français Forces / Opportunités

Faiblesses / Menaces 

Morcellement de l’enseignement supérieur, divisé entre universités, grandes écoles et organismes de recherche



Cloisonnement et éloignement de l’enseignement avec les entreprises, entraînant une incapacité à formuler des projets pédagogiques et des modèles économiques

Création des PRES regroupant différentes catégories d’acteurs à travers un rapprochement public / privé



Absence de volontarisme affiché orienté vers l’économie de la connaissance



Capacité des entreprises à former les salariés69



Aversion au risque et absence d’une véritable culture entrepreneuriale



Nombre important de créations de PME (à relativiser lorsqu’on ôte les microentreprises)



Manque de moyens au niveau éducatif70



Forte compétitivité sur certains secteurs



Une fiscalité lourde71



Capacité à Think Out of The Box et à ne pas se conformer aux critères imposés



Stagnation des investissements en recherche privée



Système universitaire plus accessible



Faible performance en termes de dépôt de brevets (cf. Annexe VIII)



Mauvais classement lié à l’absence de conformisme à certains standards



Qualité des enseignements



Importants investissements dans la recherche publique dotée d’un système de financement attractif



69

« La formation initiale n’est pas tout et nos entreprises ont su, à usage interne, mettre en place des dispositifs d’apprentissage ou de suppléance, éventuellement conjugués avec des actions de formation permanente en entreprise ou à l’extérieur pour suppléer aux carences initiales », O. Basso et al. (2005), op. cit. 70 « Chacune dans leur coin, nos Grandes Ecoles et nos universités européennes d’enseignement de gestion n’ont pas plus de e moyens que la 500 université américaine et on attend d’elles qu’elles soient des modèles attractifs d’excellence internationale », Martin Schader (2003), Challenges n°214, 18 Décembre 71 Selon l’OCDE, la France est le pays dans lequel la fiscalité est la plus lourde, Accessible sur : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2012/11/05/20002-20121105ARTFIG00365-competitivite-les-forces-et-les-faiblesses-de-lafrance.php (consultée le 23 mars 2013) Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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3. ENJEUX ET RISQUES ASSOCIÉS À L’HÉGÉMONIE AMÉRICAINE 3.1.

Du côté des Américains…

3.1.1. La pérennisation du modèle L’enjeu principal des Américains réside dans la pérennisation de leur modèle, en usant du soft et smart power qu’ils ont commencé à déployer afin de limiter les volontés de proposition d’un autre modèle que le leur. A l’heure actuelle, le modèle tel qu’il existe permet aux Américains de diffuser leurs codes, leurs normes, leur façon de faire des affaires, et leur modèle de pensée. Leur propre modèle étant diffusé souvent en l’état, ils disposent donc d’un ascendant culturel et technique associé à l’avantage de first-mover par rapport à ceux qui les copient. L’étape suivante peut se traduire par la transformation de leur modèle de puissance en domination par la connaissance.

3.1.2. Le renforcement de l’influence mondiale américaine Les Etats-Unis contrôlant la plupart des contenus et des contenants, nous pouvons nous interroger sur le verrouillage complet du système de production et de diffusion des connaissances. En ce sens, la formation progressive de grandes nébuleuses autour d’entreprises comme Google et Facebook amorcent une dynamique en ce sens sur une succession de niveaux (production, diffusion, amélioration, modification, utilisation, …). En ce sens, les projets américains à venir, à l’image des Google glasses à venir, mettent le curseur encore plus loin dans la récupération d’informations72. Ce phénomène de data mining semble sans frontière et est amené à prendre de plus en plus d’ampleur. Les Etats-Unis étant le maillon centralisateur du système, son contrôle et son influence sont, par voie de conséquence, voués à se renforcer, à moins que d’autres acteurs n’émergent. Par ailleurs, la puissance normative américaine en amont des négociations permet largement de faciliter la diffusion de leurs connaissances. Il faut également noter la capacité des Américains à s’introduire dans les négociations qui leurs sont à l’origine fermées, à l’image des quotas audiovisuels européens. Aussi, ces deux éléments contribuent à asseoir leur domination et à tuer dans l’œuf toute initiative de contrepouvoir.

3.1.3. L’éveil de certaines nations : vers un contre-modèle ? Des nations comme la Chine, la Russie ou le Brésil ont progressivement compris l’enjeu lié à l’investissement dans l’économie de la connaissance. De premières initiatives prennent forment, à l’image du Brésil qui envisage une réutilisation massive du portugais. Comme l’explique Sylviane Bähr, la Chine tente de dupliquer une partie de la stratégie des USA : développer l'ère d'influence de la langue chinoise la plus large possible (Baidu, moteur de recherche en chinois, institut confucius, …), rapatrier au niveau national du savoir (joint-venture, partenariat universitaire, bourses pour les étudiants chinois pour qu'ils acquièrent le savoir délivré à l’étranger). Nous pouvons penser que ces démarches puissent contribuer à leur renforcement sur la scène internationale. Toutefois, cette dynamique doit être collective pour avoir une chance d’aboutir à un nouveau modèle. C’est pourquoi il sera intéressant d’étudier dans la dernière partie les intentions européennes dans ce domaine et les moyens alloués.

72

CNET France, « Google Glasses : des mouchards à chaque coin de rue ? », http://www.cnetfrance.fr/news/google-glassesdes-mouchards-a-chaque-coin-de-rue-39787799.htm, Mars 2013. Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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3.1.4. La multiplication des critiques envers le modèle américain Il est important de relever les vives critiques désormais formulées à l’égard du modèle américain. En effet, longtemps admiré, il attitre désormais les reproches dans la mesure où il commence à enraciner son avantage compétitif. Ainsi, si le modèle américain s’impose à tous et partout sous différentes formes, une prise de conscience germe peu à peu dans les esprits européens. Comme nous l’avons également évoqué, les critiques reposent également sur l’analogie parfois trop forte entre la gestion d’entreprise et la gestion du savoir et des connaissances (notamment envers les universités), entraînant la dégradation de la qualité des résultats produits (qu’ils s’agissent d’enseignements ou de publications). De même, l’on critique les fondements inégalitaires de la société de la connaissance américaine, renforcés par la nette hausse du coût des formations désormais réservées à une catégorie spécifique de population. Selon Bradley Smith, les Etats-Unis exercent par ailleurs un « contrôle idéologique », voire une corruption du savoir73. Cette critique se formule aussi en interne, dans la mesure où ce contrôle s’effectue également à l’intérieur des frontières, par exemple par les grands donateurs et les sponsors sur les orientations et les contenus des enseignements universitaires.

3.2.

Du côté des Européens…

3.2.1. Des enjeux et risques multiples pour les Européens “C’est bien en effet selon le degree d’instruction de leurs citoyens, l’excellence de leurs universities, la qualité de leur recherché que s’établit la hiérarchie des nations au plan économique, militaire, culturel et finalement 74 politique” – Roger Fauroux (2005)

En termes d’économie de la connaissance, les Européens et dans une plus large mesure, le reste du monde, font face à des enjeux considérables. Nous avons décidé de nous focaliser sur l’enjeu de l’universalité et l’imposition de la langue anglaise car il nous semble générer des conséquences lourdes sur une multitude d’acteurs (de la recherche à l’enseignement, du gouvernement aux entreprises). Notre dernière partie étant consacré aux possibilités de rétorque européennes, les enjeux seront donc implicitement analysés. Il apparaît néanmoins nécessaire d’évoquer ici les risques d’acculturation totale au modèle américain qui s’imposerait alors à tous, bridant ainsi toute initiative d’innovation non conforme aux standards américains. Selon Yvonne Mignot-Lefebvre et Michel Lefebvre, nous assistons déjà à une « vassalisation » des esprits75 à travers un alignement sur le modèle américain. Pour O. Basso et al, il y aujourd’hui un choix à faire entre un repli sur soi identitaire ou l’acceptation d’un leadership régional. Si l’on prend l’exemple de l’enseignement, l’alignement sur le modèle anglo-saxon signifierait en effet une entrée dans la compétition internationale, mais également un frein à la création de projets éducatifs, académiques et culturels différents.

3.2.2. Zoom sur la domination de la langue anglaise : un enjeu aux implications conséquentes Dans la stratégie américaine de la connaissance, il est un point crucial à étudier : le vecteur de communication des données scientifiques soit la langue de publication et d’expression des élites 73

Accès : http://www.contretemps.eu/interventions/%C2%AB-mod%C3%A8le-%C2%BB-am%C3%A9ricainuniversit%C3%A9s-change-we-cant-believe (consultée le 5 mars 2013) 74 Préface du livre d’O. Basso et al (2005), op. cit. 75 Y. Mignot-Lefebvre et M. Lefebvre, « Les Enseignements Supérieurs Etats-Unis / France, Europe - Le décrochage », Editions Adice Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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internationales. L’anglais s’impose aujourd’hui au rang de langue officielle de nombreux pays (61 76 Etats en 2002 ) et institutions internationales.

Carte des pays dont l’anglais figure au tableau des langues officielles au 9 juillet 2011

Imposé de façon pacifique par la domination culturelle et économique, l’anglais domine aujourd’hui de nombreuses entités. Cependant, il s’avère que parfois, la suprématie de l’anglais selon Claude 77 Hagège , linguiste, est plus réclamée que subie « Le rapport de force qui s'exprime aujourd'hui en faveur de l'anglais est ainsi encouragé par les pays non anglophones qui sont demandeurs d'anglais. Surtout lorsque, par fatalisme ou servilité, leurs locuteurs accentuent la domination de l'anglais en promouvant de façon étonnante une langue qui n'est pas la leur ». Cette promotion et adoption constitue pourtant une menace concernant le patrimoine de l’humanité et le risque de la monopensée. En effet, Claude Hagège met en alerte « Il se trouve que c'est aujourd'hui l'anglais qui menace les autres, puisque jamais, dans l'Histoire, une langue n'a été en usage dans une telle proportion sur les cinq continents78 ». Il défend la diversité linguistique avec un argument phare : l’apprentissage/la connaissance d’une langue va de pair avec un système de pensée particulier (« la langue structure la pensée d'un individu »), adopter une langue unique serait mettre à mort la diversité intellectuelle et mènerait donc à un appauvrissement des débats. Pour illustrer la puissance du système de pensée, il suffit, selon lui, d’observer comment les américain ont réussi à faire concevoir les objets culturels comme le livre ou le film comme de simple consommables. Ils mettent ainsi le pied à l’étrier de la guerre culturelle et, pour être sûrs d’écouler leurs produits et donc de remporter cette bataille, ils effectuent un formatage culturel leur permettant de classer le cinéma au premier poste d’exportation. L’anglais exerce la fonction de langue véhiculaire mondiale79 : langue officielle et langue de travail dans quasiment toutes les organisations internationales, cela en fait in fine la langue diplomatique internationale. Au-delà de ce constat, l’anglais est aussi la langue officielle des organisations multinationales, indispensable à toute entreprise ayant des velléités mondiales. Aussi présent dans le domaine de l’éducation, l’anglais est qualifié selon le sociologue Abram de Swaan de « bien 80 hypercollectif » , c'est-à-dire un bien appartenant à une collectivité qui cherche à développer son utilisation dans des groupes plus larges et dont la valeur augmente selon le nombre d’utilisateurs. La politique a aussi été un vecteur de cet apprentissage forcé de l’anglais notamment en Allemagne ou au Japon où certains groupes de pressions luttent pour la reconnaissance de l’anglais comme seconde langue officielle. Cet élan est aussi repris dans les politiques d’éducation nationale poussant 76

Accès : http://www.langue-francaise.org/Articles_Dossiers/Dos_Entretien_Hagege_mai_02.php (consultée le 24 février 2013) Accès : http://www.langue-francaise.org/Articles_Dossiers/Dos_Entretien_Hagege_mai_02.php (consultée le 24 février 2013) 78 L’Express (2012), « Imposer sa langue, c’est imposer sa pensée », Accessible sur : http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-hagege-imposer-sa-langue-c-est-imposer-sa-pensee_1098440.html (consultée le 24 février 2013) 79 Accès : http://www.leforum.de/artman/publish/article_166.shtml (consultée le 24 février 2013) 80 Accès : http://www.leforum.de/artman/publish/article_166.shtml (consultée le 24 février 2013) 77

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l’anglais à être appris dès le primaire. Dans ce cadre, l’anglais constitue donc une menace des langues autochtones mais aussi de la diversité des langues transmises par l’école. Au-delà de s’être imposé via les canaux classiques et historiques de colonisation, l’anglais s’insinue aujourd’hui au cœur des cultures nationales de par la puissance de la reconnaissance échue à l’usage de cette langue. Un exemple français récent dans le domaine de l’éducation est celui de la disparition du mastère spécialisé Management des Risques Internationaux d’HEC trop francofrançais81. En effet, le jeu des classements internationaux des écoles et de leur formation se fait en considération du nombre d’enseignants recrutés publiant dans des revues cotées. Ces dernières sont soumises à un système de contrôle maîtrisé par l’univers éducatif anglo-saxon. Ce cercle vicieux étend aujourd’hui son diamètre en France où de nombreux établissements (dont les grandes écoles) se laissent prendre au jeu. Si l’on poursuit cette logique de publication, il est nécessaire pour les enseignants-chercheurs de se faire traduire quel que soit leur niveau d’anglais pour prévenir une exclusion de ces revues due à une tournure maladroite par exemple. Ces frais supplémentaires peuvent être évités par le recrutement de professeurs natifs, réduisant ainsi aussi bien le risque d’erreurs de langue mais aussi la diversité culturelle dans la transmission de la connaissance. La pression pour la publication (un certain volume par professeur doit être publié par an afin de maintenir le niveau dans le classement selon la devise publish or perish) donne lieu à une diminution de la qualité des travaux publiés et à l’élagage de ceux présentant trop d’originalité pour la grille de lecture américaine qui sélectionne les données qui seront publiées. Ici le risque encouru pour la connaissance de manière générale est considérable : tout d’abord, on assiste à un alignement des savoir-faire sur le modèle américain, une dévalorisation de la recherche dans la langue nationale, une restriction/hiérarchisation accrue des champs de recherche afin de correspondre à la demande américaine mais au-delà de cela, nous nous dirigeons vers une stagnation dans la médiocrité à une place toujours secondaire dans le domaine de l’éducation et de la recherche. En effet, si les grandes universités américaines dictent la ligne à suivre elles seront toujours précurseur en la matière et les autres ne feront qu’imiter et copier leurs manières pour tenter de garder la tête hors de l’eau en bon second. Le risque est ici d‘anéantir la compétition dans l’éducation en se pliant à une loi hégémonique.

81

Knowckers (2012), « La colonisation culturelle anglo-saxonne marque des points en France », Accessible sur : http://www.knowckers.org/2012/12/la-colonisation-culturelle-anglo-saxonne-marque-des-points-en-france/ (consultée le 18 décembre 2012) Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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4. QUID DE L’EUROPE ET DE LA FRANCE ? « Le système culturel américain est donc à la fois un modèle et un contre-modèle, parfois un exemple à suivre, souvent un exemple à éviter »82 -- F. Martel.

Mitterrand est le premier président français à avoir compris les enjeux liés à l’affrontement sous-jacent entre la nature culturelle des pays, la connaissance qu’ils produisent, la propriété de cette connaissance, son usage et son échange. Mais face à hégémonie américaine, que peut faire la France et dans une plus grande mesure l’Europe ?

4.1.

La nécessaire définition d’une stratégie européenne commune

La prise de conscience de la nécessité pour l’Europe de définir une stratégie commune en matière d’économie de la connaissance naît au début des années 2000 par l’intermédiaire de la définition puis de l’établissement de la stratégie de Lisbonne. Par l’intermédiaire de cette dernière, les dirigeants européens se sont fixé pour objectif de faire de l’Europe en dix ans « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi dans le respect de l'environnement »83. L’objectif ainsi établi consistait à susciter un ensemble de réformes structurelles dans les domaines économiques (i.e. l’emploi, l’éducation et l’innovation), sociaux (i.e. la protection sociale et l’inclusion sociale) et environnementaux (i.e. le développement durable ainsi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre) afin d’accroître la compétitivité de l’Union Européenne sur la scène internationale et ainsi suivre le rythme d’une mondialisation galopante. Cet objectif très ambitieux ne pouvait être mis en œuvre au simple niveau européen et a donc impliqué la nécessité de réformes au niveau national puisque les États membres demeuraient compétents dans bon nombre des domaines politiques concernés. Ainsi, la stratégie de Lisbonne pourrait se résumer comme étant le « rêve européen », définit par l’essayiste américain Jeremy Rifkin84 comme centré sur les valeurs de la qualité de la vie et du développement durable, des droits de l’homme et de la communauté par opposition au « rêve américain ». En tout état de cause, l’économie de la connaissance demeure le cœur de la stratégie de Lisbonne et l’ensemble des éléments mis en œuvre pour réaliser cette stratégie permettent de l’identifier. Cependant, la stratégie initialement définie ayant progressivement pris de l’ampleur, devenant ainsi une structure extrêmement complexe avec une multiplicité d’objectifs et d’actions et un partage peu clair des responsabilités et des tâches, un examen de mi-parcours fût présenté en 2005. A l’issue de ce dernier, la stratégie fut renouvelée et centrée sur la croissance et l’emploi et accompagnée par une nouvelle structure de gouvernance fondée sur une formule de partenariat entre les Etats membres et les institutions de l’Union Européenne. A ceci s’ajoute également la proposition d’une liberté supplémentaire au sein de l’Union, celle de la libre-circulation de la connaissance, i.e. la création d’un espace commun et ouvert de recherche avec un Institut européen d’innovation et de technologie85.

82

F. Martel (2006), op. cit. Commission européenne (2010), « Document d'évaluation de la stratégie de Lisbonne », Accessible sur : http://ec.europa.eu/archives/growthandjobs_2009/pdf/lisbon_strategy_evaluation_fr.pdf (consultée le 15 décembre) 84 Culture Action Europe, « La stratégie 2020 : Enjeux et perspectives », Accessible sur : http://www.cultureactioneurope.org/lang-fr/component/content/article/41-general/597-the-eu-2020-strategy-analysis-andperspectives (consultée le 15 décembre) 85 Commission européenne (2008), « Rencontre parlementaire sur la stratégie de Lisbonne : appel à la libre circulation des connaissances », Accessible sur : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+IMPRESS+20080211IPR20875+0+DOC+PDF+V0//FR&language=FR (consultée le 15 décembre) 83

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4.1.1. La création d’un espace européen de la recherche pour pallier aux déficits de l’Union Européenne Au début des années 2000, l’Union Européenne a dressé un constat pessimiste de ses réalisations par rapport à ses principaux concurrents parmi les pays développés, dans un contexte de mutation de l’économie mondiale et de révolution technologique. On parle alors d’une « eurosclérose »86 se traduisant sous trois angles : une rigidité du marché du travail, une libéralisation insuffisante du marché des biens et des services et une insuffisance et une inadaptation en matière de politiques R&D. Concernant ce dernier point, 3 déficits majeurs sont mis en exergue :   

Déficit financier : faible budget alloué en termes de PIB par les pays de l’Union Européenne à la R&D comparé aux autres grandes puissances mondiales. Déficit institutionnel : faible implication des entreprises européennes dans la R&D, notamment dans le secteur privé, dû à l’inadéquation de l’environnement des entreprises. Déficit de coordination : manque de synergie et allocation sous-optimale des ressources résultant d’une fragmentation des activités de recherche entre le privé et le public, pénalisant ainsi le privé pour lequel les relations à la recherche publique et universitaire sont limitées.

Fort de ce constat, la stratégie de Lisbonne intègre dans sa définition la volonté de pallier aux déficits exposés précédemment dans l’optique d’une part d’avancer dans l’économie de la connaissance mais également de renforcer la compétitivité européenne. Ceci se traduit par la mise en place d’un espace de valorisation de la recherche afin de favoriser l’innovation ainsi que par la coordination des politiques des États membres de l’Union Européenne afin de définir des lignes directrices communes. D’autre part, à côté des 4 libertés fondamentales et caractéristiques de circulation dans l’Europe vient s’ajouter celle de la circulation des connaissances, visant ainsi à créer un marché intérieur de la connaissance. Enfin, des objectifs globaux en matière d’investissement R&D ont été fixés : les dépenses des États membres doivent atteindre 3% de leur PIB en 2010, les deux tiers de cet investissement devant être supportés par le privé.

4.1.2. Evaluation de la stratégie de Lisbonne : un succès en demi-teinte définissant malgré tout un cap commun aux pays de l’Union Européenne D’un point de vue global, le rapport édité par la Commission Européenne en février 201083 sur l’évaluation de la stratégie de Lisbonne met en lumière un succès relatif de cette dernière. En effet, quoique cette ligne directrice ait eu des impacts positifs sur l’Union européenne, il n’en demeure pas moins que les objectifs essentiels, à savoir atteindre un taux d’emploi de 70% et une part des dépenses en R&D de chaque pays équivalente à 3% du PIB, n’ont pas été atteints. En 2008, le taux d’emploi dans l’Union Européenne avait atteint 66%, soit 4% de plus qu’en 2000, avant de connaître un nouveau déclin induit par la crise économique mondiale. D’autre part, force est de constater que l’Union Européenne n’a pas été en mesure de combler l’écart de croissance de la productivité en comparaison avec les grands pays industrialisés. En effet, la part du PIB dédiée à la recherche a quasiment stagné entre 2000 à 2008, passant péniblement de 1.82% à 1.90%. Quoique les résultats ne soient pas à la hauteur des espérances insufflées lors de l’établissement de la stratégie de Lisbonne, il est tout de même important de signaler que cette stratégie a ouvert de nouvelles perspectives en favorisant des actions communes permettant à l’Union Européenne de faire bloc face aux autres grandes puissances mondiales, et en particulier les Etats-Unis. 86

Institut européen Est-Ouest (2011), « Stratégie de Lisbonne et économie de la connaissance dans les nouveaux États membres : une avancée en ordre dispersé », Accessible sur : http://institut-est-ouest.enslyon.fr/spip.php?article293&lang=fr#T003 (consultée le 15 décembre) Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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4.1.3. La stratégie 2020 : nouvelle feuille de route pour une nouvelle décennie En mars 2010 a été introduite la stratégie européenne pour 2020, se focalisant sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux de l’Union87 avec pour objectif « une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » incluant :     

Un taux d’emploi de 75% de la population. Un investissement à hauteur de 3% du PIB en R&D par les pays membres de l’UE. Les objectifs 20/20/20 en matière de climat et d’énergie. Une amélioration des niveaux d’éducation incluant une augmentation du nombre de diplômes d’enseignement supérieur obtenus. Promotion de l’inclusion sociale en réduisant la pauvreté.

Les 3 premiers objectifs faisaient déjà partie de la stratégie de Lisbonne. La grande nouveauté tient dans l’ajout d’un objectif sur l’éducation. Quoiqu’il ne fasse aucun doute que tout projet futur vis-à-vis de la croissance européenne inclut nécessairement un volet sur l’éducation, l’adoption de cet objectif de par les pays membres de l’Union Européenne reste tout de même délicate notamment à causes des disparités qui existent entre les pays. Pour exemple, si l’éducation en France est orchestrée à l’échelle nationale, elle l’est au niveau régional en Allemagne. Dès lors adopter des objectifs communs en matière d’éducation à l’échelle européenne risque de s’avérer délicat étant donné que les difficultés pour les atteindre varieront fortement d’un pays membre à un autre. En conclusion, l’Union Européenne a entrepris depuis le début des années 2000 un long processus de développement ayant à terme pour objectif la création d’une économie de la connaissance capable de rivaliser avec les grandes puissances mondiales et a fortiori avec les États-Unis. Quoique la stratégie de Lisbonne ait été en partie bénéfique pour les États membres, il n’en demeure pas moins que le chemin parcouru lors des dix premières en termes d’achèvement d’objectif reste discutable. Toutefois, cette première décennie aura eu pour effet positif de regrouper les États autour d’une cause commune qui devra dès lors se matérialiser de façon plus concrète sur la décennie tout juste entamée.

4.2.

Surmonter les obstacles administratifs, réglementaires, fiscaux et financiers

D’après Ravi S. Sharma, les États se doivent de mettre en place des politiques de long terme afin de profiter ou de développer leur avantage concurrentiel dans l’économie de la connaissance. Les EtatsUnis ont très clairement réussi à créer un système global leur permettant de générer de la valeur. En comparaison la France peine encore à déployer une stratégie efficiente lui permettant d’avoir un impact réel sur la création de valeur. Ainsi, s’il doit y avoir des priorités pour la France aujourd’hui, et par extension pour l’Europe, ces dernières tiennent dans le dépassement d’obstacles relatifs aux domaines suivants:    

Réglementaire : protection et diffusion des innovations. Administratif : formalités et coûts de création d’entreprises. Fiscal : simulation de l’investissement immatériel ou les transferts patrimoniaux. Financier : capital risque, marché boursier pour la haute technologie.

Au sein de cette partie, nous nous pencherons dans un premier temps sur ce que la France pourrait être amenée à réaliser en matière de protection et de diffusion des innovations par l’intermédiaire des 87

Culture Action Europe, « La Stratégie 2020 : Analyse et Perspectives », http://www.cultureactioneurope.org/langfr/component/content/article/41-general/597-the-eu-2020-strategy-analysis-and-perspectives Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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brevets. Dans un second temps nous nous intéresserons à l’assouplissement des contraintes liées à la création d’entreprises en France et en Europe.

4.2.1. Le rôle stratégique des brevets dans le positionnement de la France dans l’économie de la connaissance Le rapide développement de nos jours de l’économie de la connaissance s’accompagne d’une circulation des idées sous des formes nouvelles ainsi qu’un développement rapide des brevets, permettant ainsi une allocation plus fluide des actifs immatériels. Le brevet se définit en un titre garantissant à son possesseur l’exclusivité en termes d’usage d’une invention. Il s’agit d’ « une 88 privatisation d’une connaissance faisant partie du patrimoine commun de l’humanité » . Ainsi, on observe depuis plusieurs décennies une forte croissance en termes d’échanges inter-firme de brevet sous la forme de transactions marchandes, aussi bien par l’intermédiaire de contrats de licence que par des systèmes d’enchère de brevets. Les enjeux en matière de brevets sont donc aujourd’hui importants étant donné que ces derniers permettent une circulation facilitée des technologies, source de gains de productivité au niveau global. Ceci permet donc de penser que les marchés des brevets seront amenés à peser de plus en plus dans l’allocation de la technologie au niveau mondial. C’est pourquoi une insertion réussie de la France dans ces marchés lui permettra non seulement d’avoir accès au savoir mondial, mais également d’être à même de vendre ses inventions. Cependant, bien des questions entourent le développement de ces marchés telles que : Comment peut-on optimiser la valorisation de la recherche publique dans ce contexte ? Comment assurer le caractère concurrentiel des marchés et non l’apparition de monopoles mondiaux ? Comment peut-on améliorer l’insertion et non la subordination des PME dans les circuits de la connaissance ?89 Ainsi, il est nécessaire que tous ces développements ne se fassent pas indépendamment des acteurs français. C’est pourquoi le rapport Guellec89 introduit 12 recommandations concernant la position de la France, parmi lesquelles nous retiendrons : 1. La création de fonds publics de brevets : permettre un meilleur accès aux PME à la propriété intellectuelle et permettre la maîtrise de filières technologiques cruciales. 2. Création d’une place d’enchères de brevets et licences : mise en place d’une plateforme active de valorisation des brevets sous la responsabilité d’acteurs de la recherche publique et privée. La vocation première serait de permettre aux centres de recherche de mieux faire connaître leurs compétences et ainsi de trouver des débouchés pour leurs brevets. 3. Création d’un institut d’études sur les brevets : rassembler l’expertise nécessaire à la conduite des politiques publiques. 4. Développer une offre compétitive d’intermédiaires dans l’économie de la connaissance : l’intermédiation semble être le mode de coordination des échanges le plus approprié aux caractéristiques des brevets et la France accuse un retard non négligeable par rapport à ses voisins européens sur ce point.

88

J. Tirole (2003), « Protection de la propriété intellectuelle : une introduction et quelques pistes de réflexions », Juillet 2003 Conseil d’Analyse Economique (2010), « Les marchés des brevets dans l’économie de la connaissance », D. Guellec, T. Madiès, J.-C. Prager, Août 2010 89

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4.2.2. Raviver l’esprit d’entreprise en Europe et plus particulièrement en France La crise de 2008 a eu un impact non négligeable sur les entreprises en Europe qui en subissent encore aujourd’hui les conséquences. Ce ne sont pas moins de 25 millions de chômeurs au sein de l’Union Européenne aujourd’hui et, dans la majorité des États membres, les petites et moyennes entreprises (PME) n’ont toujours pas su revenir à leur niveau d’avant 200890. Les difficultés structurelles menaçant la croissance et la compétitivité de l’Europe ainsi que les difficultés liées à la création d’entreprises ne sont pas nouvelles et datent de bien avant le début de la crise. Quoique bon nombre de ces problèmes subsistent encore aujourd’hui, la crise de 2008 aura eu pour effet d’amorcer au sein de l’Union Européenne une réflexion entraînant de profonds changements et restructurations. La stratégie Europe 2020 pose ainsi les bases de la croissance et de la compétitivité de demain et souligne que ces objectifs ne pourront être atteints sans un plus grand nombre d’entrepreneurs. Ainsi le plan d’action proposé par l’Union Européenne s’articule autour de 3 piliers majeurs : le développement de l’éducation et de la formation à l’entrepreneuriat, la création d’un environnement économique favorable ainsi que la mise en avant de modèles à suivre et l’inclusion de groupes spécifiques90. Bien évidemment si ces mesures sont à prendre au niveau de l’Union Européenne, elles le sont également au niveau individuel de chaque État membre. Ainsi, la France a également mené une réflexion sur ce sujet et dégagé plusieurs axes d’intervention, méritant d’être renforcés aussi bien au niveau national qu’européen, afin d’améliorer les conditions de développement de l’entrepreneuriat91. Nous retiendrons en autres : 1. Faciliter la création d’entreprises : la France a déployé des mesures facilitant la création d’entreprises avec notamment le régime d’auto-entrepreneur lancé en 2009 (750828 autoentrepreneurs fin 2011). De plus, une meilleure valorisation du rôle des entrepreneurs dans la société s’avère nécessaire afin de donner l’envie de créer des entreprises. Enfin, les autorités françaises souhaitent la poursuite des efforts pour la réduction des charges administratives aussi bien au niveau de l’Union Européenne que des États membres. 2. Faciliter la transmission d’entreprises. 3. Promouvoir des procédures de faillite efficaces et accorder une seconde chance aux entrepreneurs honnêtes : traitement anticipé des difficultés et accélération des mesures de sauvetage. De plus les systèmes pénalisant l’accès au crédit des chefs d’entreprise ayant connu une faillite doivent être revus et l’accès aux informations historiques limité. 4. Apporter un soutien aux nouveaux entrepreneurs : développer des actions de mentorat pour les jeunes entrepreneurs. Inspirée du modèle canadien, la France a mis en place cette initiative dès 2007. Cet accompagnement des entreprises sur les marchés intérieur et extérieur doit être vu comme une priorité afin de permettre le développement de ces dernières. 5. Améliorer l’accès au financement : condition essentielle de la croissance et du développement des entreprises. Il est nécessaire de mettre en place au niveau européen des initiatives visant à favoriser et améliorer l’accès aux crédits pour les jeunes entreprises innovantes. D’autre part il semble pertinent de développer des actions permettant le développement du financement en fonds propres des entreprises, via notamment le renforcement du financement par le marché. 90

Commission Européenne (2013), « Plan d’action « Entrepreneuriat 2020 » », Janvier 2013 Secrétariat général des affaires européennes (2012), « Contribution des autorités françaises à la consultation de la Commission sur le plan d’action « Entrepreneuriat 2020 » », Octobre 2012 91

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6. Favoriser l’éducation à l’entrepreneuriat : le développement de l’esprit d’entreprendre chez les jeunes est une condition du développement de la compétitivité et de l’innovation des entreprises. La France accuse un très grand retard par rapport à d’autres pays notamment dû à la peur de l’échec et à l’aversion au risque, comme le souligne une étude réalisée par Ernst & Young92. Dès lors, la France a mis en place des initiatives au niveau de l’enseignement supérieur telles que « plan national en faveur de l’entrepreneuriat étudiant », mais aussi de l’enseignement primaire et secondaire avec par exemple la création de mini-entreprises. L’Europe et la France ont aujourd’hui pris la pleine mesure de l’intérêt de la dynamique entrepreneuriale et tentent, à travers le projet « Entrepreneuriat 2020 », d’apporter tous les outils et les mesures nécessaires. Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact réel du projet, mais face au retard qu’accuse l’Europe par rapport aux Etats-Unis par exemple en matière d’entrepreneuriat, il ne fait aucun doute que pour peser davantage dans l’économie de la connaissance mondiale, l’Europe se doit de tout mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs et suivre la ligne directrice qu’elle a tracé.

4.3.

Le développement d’une influence normative

4.3.1. Pourquoi la France doit-elle s’armer en matière d’influence normative ? Le développement d’une influence sur les règles et les normes internationales constitue une composante essentielle de la compétitivité des entreprises et des États. En effet, ce sont ces dernières qui fixent les modes de gouvernance, déterminent les marchés et donnent un avantage compétitif à ceux qui les possèdent. Ainsi, exercer du lobbying au niveau international requiert certaines stratégies et actions communes qui font aujourd’hui défaut à la France, pourtant à disposition d’une expertise pointue dans de nombreux domaines, comme le souligne le rapport Revel93. L’élaboration de régulations internationales fait l’objet d’une forte compétition, au même titre que les produits, puisque tous les marchés y sont soumis, incluant les marchés domestiques. D’autre part, la norme et la règle transportent des stratégies non seulement commerciales, mais également de puissance, des politiques et des modèles, renforçant ainsi leur importance croissante.

4.3.2. Des pistes de réflexion 93

Ainsi le rapport Revel fait état de 7 priorités d’action sur lesquelles il est impératif que la France se penche afin d’une part de saisir toute l’importance stratégique que représente l’influence normative mais aussi et surtout de ne plus demeurer simple spectateur. Parmi les 7, 5 ont été retenus pour cette réflexion. 1. Convaincre les entreprises de s’approprier l’influence normative comme outils stratégique : Les responsables d’entreprises en France ne sont pas particulièrement sensibles au caractère stratégique que représente l’établissement de normes internationales et se reposent très généralement sur l’État, contrairement à certains voisins européens tels que le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne. Une certaine forme de proactivité est dès lors attendue de la part des entreprises françaises étant acquis que l’État français n’est pas en mesure d’être le point unique de cette dimension stratégique. Il convient dès lors de promouvoir le travail en partenariat privé-public sur les sujets d’intérêt commun. Un moyen d’y 92

Newsring (2012), « Les Français ont-ils renoncé à l’esprit d’entreprise ? », Mars 2012, Accessible sur : http://www.newsring.fr/economie/547-les-francais-ont-ils-renonce-a-lesprit-dentreprise/reperes 93 C. Revel (2012), « Développer une influence normative internationale stratégique pour la France », Mission réalisée pour Madame Nicole BRICQ, ministre du Commerce extérieur Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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parvenir consiste en l’alignement du crédit d’impôt normalisation sur le crédit d’impôt recherche. 2. Réinvestir les institutions internationales créatrices et prescriptrices de normes et de règles : Le rapport fait état du fait que l’État français ne « paraît pas avoir pris la mesure de l’importance immatérielle cruciale [des] organisations » telles que la Banque mondiale, l’OCDE, l’OMC ou encore l’Union Européenne. Concernant l’Union Européenne, Revel préconise d’intervenir en amont des programmes de normalisation en partenariat public-privé ainsi que d’assurer un exercice de veille afin d’être en mesure de peser plus en amont des élaborations des règles. 3. Agir en amont de la règle : La coopération technique et l’aide au développement peuvent contribuer à promouvoir les règles et normes françaises à l’international. De plus, une amélioration du lien entre normalisation et recherche est pertinente. Il serait sans doute intéressant pour la France de développer une institution comme le National Institute of Standards and Technology (NIST) au Etats-Unis, dont le but est de promouvoir l’économie en développant des technologies et normes de concert avec l’industrie. 4. Maîtriser les accords internationaux en cours et sortir du défensif : il est impératif pour la France et par extension pour l’Union Européenne de faire attention au futur accord de libreéchange entre l’Europe et les Etats-Unis qui risque de voir le jour prochainement. En effet, les enjeux en termes de régulations sont très importants et jouent pour le moment en faveur des Etats-Unis. 5. Repenser la structure de pilotage de l’intelligence économique : renforcer la veille en matière de normes et de règles internationales afin de bénéficier d’une meilleure anticipation en amont de ces dernières. Il apparait comme impératif, sous peine de déclin sur le long terme, d’intégrer les sujets relatifs à l’influence normative dans une approche d’Intelligence Economique et d'influence de l’Etat. En conclusion, la passivité actuelle de la France en termes d’influence normative ne peut que lui être 93 fatale sur le long-terme. A l’image des propositions faites dans le rapport Revel , il est aujourd’hui impératif pour la France, de non seulement prendre conscience de tous les enjeux que portent les normes et les règles, mais également de se libérer de son statut de spectateur.

4.4.

Peser davantage parmi les géants de l’Internet et l’informatique

Comme évoqué dans la partie dédiée aux géants américains de l’Internet, il apparait aujourd’hui que l’Europe et a fortiori la France peinent fortement à imposer leurs entreprises en tant que leaders dans le monde de l’informatique et de l’Internet. Pourtant les enjeux sont grands et posséder un Google européen ne semble pas dénué de sens, bien au contraire. Ainsi, d’un point de vue purement orienté vers l’économie de la connaissance, il est à se demander si l’Europe ne devrait pas se pourvoir de son propre moteur de recherche afin d’au moins tenter de se libérer de l’emprise de Google, l’actualité récente en matière d’indexation d’articles de la presse française ayant réaffirmé la difficulté de la France à disposer d’armes pour s’imposer réellement. 94

En ce sens, nous nous sommes tournés vers la société Exalead , éditeur de logiciels français spécialisé dans les infrastructures permettant le développement d’applications pour les entreprises sur une base de moteur de recherche. Quoique la société soit majoritairement orientée vers les moteurs de recherche destinés au secteur privé, elle met tout de même à disposition des Internautes un 94

Exalead, http://www.3ds.com/fr/products/exalead/ Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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95

moteur de recherche web classique indexant 16 milliards de pages , ce dernier lui servant aujourd’hui principalement de vitrine technologique. En effet, d’après Sylvain Utard, si l’objectif initial d’Exalead était effectivement de développer un moteur de recherche à même de concurrencer Google, l’entreprise a changé sa ligne directrice en 2004, constatant la domination grandissante de ce dernier. Il ne semble plus d’actualité pour l’entreprise de se réorienter vers un moteur de recherche grand public. Exalead fait cependant partie depuis 2005 du projet Quaero96. Lancé en 2008 pour une durée de 5 ans, le projet a bénéficié de la volonté politique d’initier un programme d’innovation destiné à réagir face à la rapide montée en puissance des moteurs de recherches américains comme Google et Yahoo. Quaero vise à développer des technologies de traitement automatique de contenu multimédia permettant la recherche aussi bien de texte, d’images, de sons ou de vidéos. Plusieurs résultats dont Miiget, Voxalead ou encore Wikifier ont déjà été présentés. En revanche, la principale critique retenue vis-à-vis de ce projet tient dans son budget, environ 200M€, qui apparait faible par rapport aux dépenses annuelles de Microsoft et de Google. Ainsi, la France et l’Europe disposent aujourd’hui de tous les moyens techniques ainsi que de toute la connaissance pour être à même de rivaliser avec de grandes entreprises américaines en matière d’informatique et d’Internet. Cependant, une prise de conscience est nécessaire afin d’assouplir les différents obstacles qui barrent encore la route à la réussite internationale des entreprises françaises et européennes.

95 96

Exalead Search, Accessible sur : http://www.exalead.com/search/ Projet Quaero, Accessible sur : http://www.quaero.org/modules/movie/scenes/home Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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CONCLUSION La domination américaine se révèle dans de nombreux domaines sans que l’on puisse directement en saisir ses impacts. Notre travail de reconstitution du puzzle historique de la stratégie des Etats-Unis dans l’économie de la connaissance illustre un dispositif incrémental, parfois spontané, parfois très structuré mais surtout coordonné et relativement organisé, qui prend place dès la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, l’interconnexion et la mise en réseau des acteurs semblent démultiplier le rendement et la vitesse de production, d’exécution et de diffusion du modèle. Une fois la dynamique renforcée sur le territoire national (tant sur le plan fiscal et réglementaire, que dans la collaboration entre acteurs), les Américains ont mis en place une stratégie d’expansion mondiale en s’appuyant sur le gouvernement. Le concept de soft power de Joseph Nye prend ici tout son sens dans la mesure où le pays a su imposer ses idées à travers le lobbying, les partenariats, les alliances et les institutions. Les réussites successives dans divers secteurs illustrent bien ce que l’on peut décrire comme le cercle vertueux américain, mis en marche par un ensemble hétérogène d’acteurs (entreprises, gouvernement, lobbies, congrès, universités, …). Sous couvert de la sécurité économique des intérêts américains, les Etats-Unis ont finalement imposé leurs normes et leurs valeurs en tant que références universelles. Aujourd’hui, bien que certaines nations commencent à en mesurer les différents risques et enjeux et à envisager en conséquence une politique plus concrète, les démarches restent timides et peu conséquentes. C’est dans ce contexte que la France, à l’aide de l’Europe, peut réagir pour enrayer cette hégémonie aux conséquences de plus en plus prégnantes. Certains interviewés s’en réfèrent au rapport Revel et à l’importance de développer une influence normative. D’autres pistes concernent la promotion des créations d’entreprise et d’une culture de l’innovation à travers un desserrement des conditions fiscales et réglementaires.

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Annexes

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ANNEXES Annexe I De l'Internet à sa gouvernance Robert Dahl, dans son ouvrage « La démocratie et ses critiques » de 1989, définit ce qu'est la gouvernance et comment cette dernière peut être atteinte. Il en ressort quatre éléments nécessaires au « mécanisme de la gouvernance » Dans un premier temps est évoquée l'autorité, à savoir le besoin de l'existence d'un gouverneur qui prend les décisions qui s'appliqueront à la communauté. Puis, la loi apparaît comme le vecteur de l'autorité en mettant en œuvre les décisions politiques. De plus, le mécanisme de sanctions est requis afin de pouvoir punir ceux qui outrepassent les lois. Enfin, la juridiction permet de définir l'espace dans lequel l'autorité peut appliquer son influence. L'absence de ces quatre éléments a longtemps permis le caractère ingouvernable de l'Internet. 97 L'ICANN permet aujourd'hui de réaliser parfaitement les mécanismes évoqués par Robert Dahl (à savoir l’autorité, la loi, le mécanisme de sanctions et la juridiction) notamment à travers son contrôle du système de noms de domaine, à savoir le DNS. Quoique l'Internet soit complètement décentralisé, le DNS est quant à lui centralisé, fournissant un point de contrôle pour la régulation des utilisateurs. De plus, il permet d'appliquer des sanctions à ces derniers, dans le sens où il peut refuser l'accès à un nom de domaine ce qui équivaut à un bannissement de l'Internet. Enfin, le DNS définit les juridictions de l'Internet en divisant les noms de domaines en zones et ses fondements contractuels permettent d'établir des règles. En ce sens, l'ICANN possède tous les instruments nécessaires à la gouvernance de l'Internet. Le DNS : système distribué, point de contrôle centralisé et pierre angulaire de la gouvernance de l'Internet L'espace de nommage se définit comme une base de données distribuée du fait de la très forte quantité de requêtes effectuées chaque seconde sur l'Internet à travers le monde43. De ce fait il consiste en une collection de bases de données partielles réparties dans le monde. Chacune de ces bases de données partielles s'appelle une « zone » et contient un sous-ensemble de la liste générale de paires nom / adresse IP permettant le routage des connexions. Le rapport entre les différentes bases de données partielles se structure par une hiérarchie arborescente inversée liant toutes les zones entre elles. Au sommet de cette hiérarchie se trouve une zone unique, communément appelée la « racine ». La zone racine est ainsi reliée en dessous à d'autres zones, elles-mêmes reliées à d'autres zones... Les strates définies par cette représentation sont identifiées comme suit : la zone racine est liée aux zones de « haut niveau », elles-mêmes liées aux zones de « deuxième niveau »... Les sous-arbres de ce système sont appelés les domaines. Ainsi, un domaine est constitué d'une zone et de toutes les zones qui lui sont inférieures. Ceux qui relèvent des zones de haut niveau sont appelés les « domaines de haut niveau » (« top-level domains » ou TLDs). Dès lors on appelle « système des noms de domaines » ou DNS l'ensemble du système suscité. La hiérarchie distribuée définit des rapports de contrôle entre les différents fichiers zones de manière descendante. Dès lors, à tout niveau, n'importe quel fichier-zone peut être modifié afin d'inclure ou exclure les zones de son sous-arbre, lui conférant ainsi un pouvoir « de vie ou de mort ». L'administration globale du DNS est une hiérarchie multi-organisations où chaque administrateur exerce son contrôle sur les administrateurs des échelons inférieurs. Il en résulte d'une part une autorité en cascade au sein du système mais également un contrôle monopolistique de la part des administrateurs de chaque zone. Ainsi, chaque administrateur est soumis aux politiques des entités supérieures. De ce fait, des politiques décidées à la racine peuvent être transmises à l'intégralité de la hiérarchie et ainsi s'appliquer, directement ou indirectement, à tous les 97

H. Klein (2001), « ICANN et la gouvernance d’Internet : la coordination technique comme levier d’une politique publique mondiale » Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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administrateurs du DNS. L'administrateur à la racine délègue son autorité aux administrateurs des zones inférieures sous la forme d'un contrat. Ainsi des règles peuvent traverser toute la hiérarchie et même atteindre les utilisateurs finaux de l'Internet. De ce fait, on mesure toute l'importance que revêt le contrôle de la zone racine. L'autorité politique sur la racine confère à son possesseur un contrôle total sur les TLDs et de manière indirecte sur toutes les zones inférieures puisque, comme évoqué précédemment, ce dernier a le pouvoir d'ajouter ou de supprimer n'importe quel domaine de haut niveau. Dès lors, nous pouvons en conclure que le DNS correspond bien à un point de contrôle centralisé de l'Internet. Au-delà de l'aspect purement technique du DNS, l'analyse historique permet également de comprendre son évolution d'un point de vue hiérarchie administrative97. L’Internet est né d'un projet de recherche, dans un premier temps à but militaire puis universitaire, dans les années 1970 aux EtatsUnis. Parmi tous les acteurs, une personne en particulier a joué un rôle prépondérant dans le développement du DNS : Jon Postel. Ce dernier fût en charge du contrôle de la racine dans le cadre de l'Internet Assigned Number Authority (IANA), où il autorisait l'ajout de nouveaux TLDs. L'importance des décisions prises par Postel s'est accélérée de par le développement global de l'Internet. Malgré le fait qu'il était sous contrat avec le gouvernement américain, impliquant de facto que l'autorité finale résidait dans les mains de ce dernier, Postel exerça souvent son autorité personnelle sur le DNS. Pour exemple, en 1984 dans la RFC92098, Postel établit le nombre de zones de niveau supérieur à 250 : 6 pour les TLDs génériques (gTLDs : .gov, .edu, .com, .org, .mil, .net) et 244 pour les TLDs codes-pays (ccTLDs). Décidés bien avant que l'Internet n'accède à son apogée mondiale, le nombre de TLDs ainsi que la signification y étant rattachée vont avoir des conséquences sur le long terme. Bien que Postel et l'IANA possèdent l'autorité sur la racine, son administration est réalisée par une entreprise privée : Network Solution, Inc. (NSI, rachetée dans les années 2000 par Verisign), qui administre ainsi le .com, .org et .net99. Quoique NSI prenne ses ordres de l'IANA, la société est en réalité sous contrat avec le gouvernement américain. L'avènement de l'Internet commercial et l'explosion du .com, définit par la convention de nommage du DNS comme LE nom de domaine commercial, amène à la NSI richesse et puissance. Se basant sur un excellent marketing, l'entreprise transforme un service autrefois gratuit en un service payant, amassant ainsi des centaines de millions de dollars de par son monopole sur le seul domaine commercial de l'Internet47. Aujourd'hui, ce nom de domaine ne représente pas moins de 110 millions d'entrées, soit près de la moitié de l'espace de 100 nommage mondial, le tout sous contrôle américain . Enfin, le DNS constitue la pierre angulaire de la gouvernance de l'Internet97. Malgré le fait qu'il soit distribué, il permet néanmoins d'exercer de manière quasi totale les quatre mécanismes de la gouvernance évoqué précédemment. La loi et les sanctions ne sont pas particulièrement affectées par la décentralisation du système. La principale nuance tient dans le fait que la présence d'une hiérarchie pousse à une succession de contrats en cascade entre les administrateurs des différents niveaux. Quant aux sanctions, elles demeurent tout simplement dans le refus d'accès à un nom de domaine. Cependant, la répartition gTLDs et ccTLDs fragmente les deux autres mécanismes de la gouvernance, surtout au niveau des code-pays. En effet, puisque les ccTLDs sont associés à des pays, et de ce fait répondent à l'autorité politique des gouvernements nationaux, l'IANA n'est pas en mesure de revendiquer une quelconque autorité sur eux. Le fait que le DNS soit décentralisé a eu pour effet de donner naissance à des centaines d'autorités qui peuvent naturellement prétendre à disposer d'elles-mêmes au regard de la gestion de leur ccTLDs. Ainsi, l'organisation de l'espace de nommage comme choisi dans la RFC92098 a fragmenté l'autorité et la juridiction. Néanmoins, l'IANA peut revendiquer une gouvernance intégrée sur les gTLDs, puisque ces derniers ne répondent à aucune autorité extérieure au DNS. Or, il ne faut pas oublier que ces derniers comptent un très grand nombre d'utilisateurs comme suscité et de fait l'autorité effective de ces domaines s'étend à la majorité 98

Request For Comments (Octobre 1984), « Domain requirements », http://tools.ietf.org/rfc/rfc920.txt Living in Internet (2012), « NSI – Network Solutions, Inc. », http://www.livinginternet.com/i/iw_mgmt_netsol.htm 100 Enterprise Networking Planet (Janvier 2013), « Dot Com Domains Top 105 Million Names », http://www.enterprisenetworkingplanet.com/netsp/dot-com-domains-top-105-million-names.html 99

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des utilisateurs. Quoique la fragmentation vis-à-vis des deux derniers mécanismes existent, l'IANA est en mesure de la limiter davantage, notamment en visant les petits ccTLDs récalcitrants qu'elle peut intimider, sous peine de déconnexion de l'Internet, à accepter des politiques définies par les plus grands. Ainsi, nous avons montré que les quatre mécanismes de la gouvernance continuent à s'appliquer au sein du DNS. Cependant, l'intégration de ces derniers sans changement du statut des Etats-Unis reviendrait à confier à ces derniers l'autorité ultime sur l'Internet, et c'est ce que nous allons étudier. Annexe II Extrait du livre vert: « The U.S. government should end its role in the Internet number and name address systems in a responsible manner. This means, above all else, ensuring the stability of the Internet. [...] The U.S. government would gradually transfer existing IANA functions, the root system and the appropriate databases to this new not-for-profit corporation. This transition would commence as soon as possible, with operational responsibility moved to the new entity by September 30, 1998. The U.S. government would participate in policy oversight to assure stability until the new corporation is established and stable, phasing out as soon as possible and in no event later than September 30, 2000. The U.S. Department of Commerce will coordinate the U.S. government policy role. In proposing these dates, we are trying to balance concerns about a premature U.S. government exit that turns the domain name system over to a new and untested entity against the concern that the U.S. government will never relinquish its current management role. […] As these functions are now performed in the United States, the new corporation will be headquartered in the United States, and incorporated under U.S. law as a not-for-profit corporation. It will, however, have and report to a board of directors from around the world. […] The U.S. government recognizes that its unique role in the Internet domain name system should end as soon as is practical. We also recognize an obligation to end this involvement in a responsible manner that preserves the stability of the Internet. We cannot cede authority to any particular commercial interest or any specific coalition of interest groups. We also have a responsibility to oppose any efforts to fragment the Internet, as this would destroy one of the key factors-- interoperability--that has made the Internet so successful. Our goal is to seek as strong a consensus as possible so that a new, open, and accountable system can emerge that is legitimate in the eyes of all Internet stakeholders. It is in this spirit that we present this paper for discussion. » Annexe III Extrait du contrat des registrars avec l’ICANN : « Registrar shall comply, in such operations, with all ICANN-adopted Policies insofar as they relate to one or more of the following: (A) issues for which uniform or coordinated resolution is reasonably necessary to facilitate interoperability, technical reliability and/or stable operation of the Internet or domain-name system, (B) registrar policies reasonably necessary to implement Consensus Policies relating to the Registry, or (C) resolution of disputes regarding the registration of domain names (as opposed to the use of such domain names). » Annexe IV Extrait de la lettre du Département du Commerce américain à l’ICANN, Août 2008: « The Department believes strongly that it is important to clarify that we are not in discussions with either party to change the respective roles of the Department, ICANN or VeriSign regarding the management of the authoritative root zone file, nor do we have any plans to undertake such discussions. Consistent with public statements made by the United States government starting in 2000 and reinforced by the 2005 U.S. Principles on the Internet's Domain Name and Addressing System, the Department, while open to operational efficiency measures that address governments’ legitimate public policy and sovereignty concerns with respect to the management of their ccTLD, has no plans to transition management of the authoritative root zone file to ICANN as suggested in the PSC [(President’s Strategy Committee)] documents ». Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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Annexe V Les parts de marché des moteurs de recherché dans le monde101 :

Annexe VI

101

Greenlight (Janvier 2010), « How search engine market shares look around the world featuring Bing,Yahoo,Baidu and others », http://www.greenlightdigital.com/gossip/blog/how-search-engine-market-shares-look-around-the-world-featuring-bing-yahooand-baidu-and-others/ Mémoire d’Intelligence Economique Myriam Carat – Chloé Faurie – Laura Guérin – Julien Marquegnies – Antoine Vize

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Annexe VII

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« S’offrir une éducation universitaire aux USA coûte 439 % plus cher qu’en 1982, tandis que le salaire médian d’un foyer a augmenté de seulement 147 % (chiffres non-ajustés pour prendre en compte l’inflation) ».

Annexe VIII

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