La frontière entre l'Éthiopie et l'Érythrée reprend vie

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lundi 19 novembre 2018 LE FIGARO

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INTERNATIONAL

La frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée reprend vie peu à peu

Quatre mois après un accord de paix historique, les échanges ont repris de part et d’autre entre les habitants. ZALAMBESSA (ÉTHIOPIE)

CORNE DE L’AFRIQUE Nul panneau, nul drapeau, mais tous les Éthiopiens semblent le savoir. À Zalambessa, passé le muret en pierre, c’est l’Érythrée. Le 11 septembre, jour de la nouvelle année locale, il a été démoli en son centre et la frontière entre les anciens belligérants, en paix depuis le 9 juillet, a été ouverte en deux points. Depuis, la route de Zalambessa permet de relier l’Éthiopie enclavée au port érythréen de Massaoua, et le poste de contrôle de Bure, à celui d’Assab. Le va-et-vient des véhicules remplace peu à peu les patrouilles des soldats. « Il y a à nouveau du mouvement », s’enthousiasme Desta. Son bourg redevenu lieu de passage, ce quinquagénaire vend des bouteilles d’eau et des gâteaux aux voyageurs. « La langue commune des habitants du nord de l’Éthiopie et de la majorité des Érythréens facilite les échanges. Avant, les conducteurs étaient trop effrayés pour venir à la frontière : il n’y avait presque plus de commerce, et nous, on était bloqués ici. » Anciennement rattachée à l’Éthiopie, l’Érythrée devient indépendante en 1993. Cinq ans plus tard, les deux pays, en désaccord concernant le tracé de la frontière, entrent en guerre. Au moins 70 000 personnes sont mortes entre 1998 et 2000 pour défendre ces étendues montagneuses au sol aride et au sous-sol dénué de minéraux précieux. L’Éthiopie n’a jamais respecté l’arbitrage de la Commission frontalière mise en place par l’ONU, qui attribuait notamment la ville de Badmé, où avait éclaté le conflit, à l’Érythrée. Ce n’est qu’en juin que le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed nommé trois mois plus tôt, s’y est engagé. Durant dix-huit ans, Desta a entendu le son des kalachnikovs « au moins une fois par semaine », la nuit, lorsque les soldats tiraient à vue sur les Érythréens tâchant de franchir illégalement la frontière. Les déplacements dorénavant sûrs, ils sont 390 par jour à demander l’asile dès leur arrivée en Éthiopie pour fuir la circonscription illimitée dans leur pays. Face à cet afflux de réfugiés (voir ci-dessous), le système est saturé. Des centaines d’Érythréens sont entassées dans des hangars à Zalambessa, attendant d’être transférés en bus dans l’un des camps de la région.

Retour dans les ruines Des escarmouches éclataient auparavant régulièrement entre les deux armées. Face à cette situation instable, certains habitants s’étant réfugiés dans d’autres villes pendant la guerre n’ont jamais réemménagé. Non loin de la rue principale, une jeune femme contemple songeuse une maison en ruine, tandis que ses enfants escaladent les décombres. « Ma maison a été détruite par une bombe, se souvient Abrihet, qui habite dorénavant à Addigrat, à 40 km de Zalambessa. Je me posais la question de revenir, mais de voir que le quart des maisons sont encore en ruine… non… C’est trop triste. » Plus tôt dans la journée, Abrihet a revu sa sœur, qui habite de l’autre côté de la frontière. « C’est une joie immense d’avoir pu la serrer dans mes bras après vingt ans ! J’ai aussi pu voir ses enfants que je n’avais jamais rencontrés ! » L’ouverture de la frontière fait aussi le bonheur de nombreux commerçants improvisés. Ainsi, un vieil Érythréen repart avec un énorme sac de chaussures

en plastique, pour les revendre dans sa ville d’origine, Dekemhare. À l’aller, il est venu avec des vêtements, qu’il a vendus sur le trottoir. Ces affaires lui ont permis de payer le ticket de bus pour Addigrat où il a vu l’un de ses fils, qui a franchi illégalement la frontière il y a deux ans. Un jeune homme agite une liasse de billets devant lui, et lui propose de changer ses nakfas, la devise érythréenne, en birrs éthiopiens. « 100 nakfas pour 170 birrs… Je ne prends même pas de commission », assure-t-il. Le mois précédent, il a changé ses économies en nakfas auprès

Asmara Om Hajer (Éry.) Himora (Éth.) SOUDAN

Depuis la paix, les réfugiés érythréens affluent Maintenant « que l’on

peut quitter notre pays sans se faire tirer dessus, je suis venue avec mes enfants, rejoindre mon mari UNE RÉFUGIÉE ÉRYTHRÉENNE DANS LE CAMP DE MAI-AINI, EN ÉTHIOPIE

»

25 km Mer Rouge

Badmé Tserona Senafe Aksoum Zalambessa Addrigat

Gondar

ÉTHIOPIE

Weldiya

YÉMEN

Assab

DJIBOUTI

Golfe d’Aden

Kombolcha

A

jour. « La première semaine d’ouverture de la frontière, on a écoulé 30 000 litres par jour. » Face à la pénurie qui s’est ensuivie, le gouvernement a interdit le passage des jerricanes à Zalambessa. Depuis, Alexander vend « entre 15 000 et 20 000 litres par jour ». Cette demande grandissante a fait grimper les prix de l’essence, mais aussi des céréales, des matériaux de construction, des chambres d’hôtel… Si l’enthousiasme est globalement de mise, certains Éthiopiens commencent à émettre des réserves. Letrega s’empor-

te : « Non seulement tout est plus cher, mais en plus les Érythréens qui habitaient ma maison il y a vingt ans sont revenus pour la récupérer ! Ils ont frappé à ma porte, puis ils sont allés voir les autorités locales ! » Depuis, elle n’a plus de nouvelles. Les démarches des uns et des autres pour faire valoir leurs droits s’annoncent longues et ardues, mais concernent des milliers de citoyens. Avant la guerre, de très nombreux Érythréens résidaient en Éthiopie et y avaient des entreprises, avant d’être chassés et spoliés de leurs biens. ■

Sur une route d’Éthiopie proche de la frontière érythréenne, le 3 octobre. Réfugiés, commerçants et routiers peuvent désormais circuler librement d’un pays à l’autre.

ÉRYTHRÉE

Massaoua

des voyageurs, en vue d’aller acheter une télévision en Érythrée. « Un ami en a rapporté une, ce n’est pas le même voltage qu’ici… Du coup, je dois tout rechanger. » Mille à deux mille véhicules érythréens passent dorénavant la frontière quotidiennement, estime la chambre de commerce de la région Tigré. Tous repartent avec le réservoir plein, l’essence, rationnée, coûtant deux fois plus cher en Érythrée. Alexander Berhe, gérant de la stationservice NOC d’Addigrat, avait l’habitude de vendre 10 000 litres d’essence par

SOMALIE (Somaliland)

Addis-Abeba Infographie

« DANS quel pays la population fuit-elle quand la paix est déclarée ? » feint de se demander une jeune réfugiée érythréenne récemment arrivée dans le camp de Mai-Aini. Depuis l’ouverture de la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée le 11 septembre, 9 905 Érythréens ont demandé l’asile en Éthiopie, d’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). « Maintenant que l’on peut quitter notre pays sans se faire tirer dessus, je suis venue avec mes enfants, rejoindre mon mari. » L’Éthiopie accueillait déjà officiellement 174 000 réfugiés érythréens, fuyant la « campagne généralisée et systématique de réduction en esclavage, d’emprisonnement, de disparitions forcées, de torture, de persécutions et de viols » dénoncée par la commission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, en juin 2016. Depuis un mois, le nombre d’arrivées quotidiennes a été multiplié par sept. Le profil des nouveaux arrivants a changé : pour 90 % d’entre eux, il s’agit de femmes et d’enfants, d’après le HCR. Auparavant, la majorité des réfugiés étaient des jeunes hommes. « Depuis la paix, j’ai peur », confie Mohammed, réfugié dans le camp de Shimelba depuis cinq ans. Le fait que les quatre camps de réfugiés érythréens en Éthiopie, situés dans les recoins montagneux de la région de Shiré, soient isolés protège moins qu’une frontière fermée, et certains Érythréens craignent des incursions d’agents de leur gouvernement. D’autres redoutent que leur droit d’asile soit remis en cause. L’Éthiopie le leur accorde actuellement prima facie : ils n’ont pas besoin de prouver leur persécution. D’autres pays ont également

leur désertion. Dès lors, l’afflux changé leur approche. Le lenrécent de réfugiés permet aussi demain de la déclaration de d’obtenir des nouvelles de ceux paix entre l’Éthiopie et qui sont restés en Érythrée. Les l’Érythrée du 9 juillet, les juges camps accueillent même dorédu tribunal administratif fédénavant des visiteurs, telle cette ral de Suisse ont estimé que les vieille femme dans un abri en demandeurs d’asile érythréens dur, assise avec sa famille déboutés pouvaient être renautour d’une table vide. À voyés dans leur pays. En août, l’instar de tous les réfugiés un juge de la cour d’appel de érythréens, elle ne souhaite pas Jérusalem recommandait l’exdonner son nom, ni même son pulsion de tous les demandeurs prénom, comme la plupart de d’asile érythréens dans leur ceux qui viennent d’arriver. pays. « C’est absurde, poursuit Elle est venue rendre visite à Mohammed. La situation en ses enfants et petits-enfants, Érythrée n’a pas changé, et il y a tous réfugiés dans le camp de de plus en plus de gens qui fuient Mai-Aini. « Comme je suis parle pays. La décision logique, ce tie légalement, je pourrai revenir serait au contraire d’augmenter chez moi sans diffile nombre de reloculté », croit-elle sacalisations, estivoir. me-t-il. Cela fait Trop âgée pour déjà cinq ans que être soumise à la cirj’attends un transconscription forcée, fert en Europe ou elle compte revenir aux États-Unis. ont demandé l’asile en Érythrée. Sa fille, On n’a rien à faire en Éthiopie depuis elle, a quitté le pays ici, je vais devenir l’ouverture après deux ans d’arfou ! » Une étude de la frontière mée. « On nous y du HCR estime entre les deux pays, parlait tout le temps que 40 % des réle 11 septembre du danger que repréfugiés érythréens Source HCR sentait l’Éthiopie, et quittent illégalede la nécessité de dément les camps fendre le pays, se souvient-elle éthiopiens durant les trois preen allaitant sa fille. Ce système miers mois suivant leur arrin’a plus aucune justification dovée, et 80 % au bout d’un an. rénavant. » Avant l’ouverture de la frontièMais d’après les réfugiés arre, l’immense majorité des rivés après la paix, rien ne Érythréens arrivaient avec une change en Érythrée. La situadette de 2000 à 3 000 euros tion du pays à l’international, pour la traversée, qui les quant à elle, évolue malgré poussait à chercher des opportout. Ainsi le 14 novembre, le tunités d’emplois dans les villes Conseil de sécurité de l’ONU a éthiopiennes où ils ne sont pour levé les sanctions (embargo sur l’instant pas autorisés à trales armes, interdictions de vailler, ou à migrer dans voyage, gels d’avoirs, etc.) d’autres pays. contre le pays en vigueur deLa paix établie, les commupuis neuf ans. L’Érythrée a ausnications téléphoniques ont été si été élue membre du Conseil rétablies entre l’Éthiopie et des droits de l’homme des Nal’Érythrée, mais elles sont trop tions unies le 12 octobre. Deux onéreuses pour les réfugiés ans auparavant, l’organisation dans les camps. Un appel pourl’accusait de « crimes contre rait également être dangereux l’humanité ». ■ pour leurs proches, estimés C. G. « coupables par association » de (CAMPS DE MAI-AINI ET DE SHIMELBA)

14 107 Érythréens

ZOOM Californie : Trump exprime sa « tristesse » à Paradise

Fumée épaisse, maisons en ruines, voitures calcinées : Donald Trump a assisté à un spectacle de désolation à Paradise, petite ville presque totalement rasée par l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie. Le visage grave sous sa casquette « USA », le président américain a constaté les dégâts. « C’est très triste à voir », a-t-il dit après avoir été dans un camp de mobile-homes. Le « Camp Fire » a ravagé près de 60 000 hectares dans le nord de la Californie. Cinq morts en plus ont été comptabilisés samedi soir, portant le bilan à 76 personnes tuées dans l’incendie. Et plus de 1 000 personnes sont encore portées manquantes. Le feu, parti il y a dix jours et désormais maîtrisé sur 55 % de sa surface, a détruit près de 10 000 maisons et plus de 2 500 autres bâtiments.

EN BREF Washington saura bientôt qui a tué Khashoggi

Le président Donald Trump a déclaré samedi que les États-Unis détermineraient dans quelques jours qui a tué le Saoudien Jamal Khashoggi, assassiné le 2 octobre au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. « Nous avons l’enregistrement, je ne veux pas l’écouter […] car c’est un enregistrement de souffrance », a-t-il ajouté sur Fox News.

Madagascar : les deux exprésidents au second tour Deux anciens présidents, Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, sont arrivés en tête du premier tour de la présidentielle malgache du début du mois, se qualifiant pour le deuxième tour prévu en décembre, selon la commission électorale.

MICHAEL TEWELDE/AFP

CHRISTELLE GÉRAND