La brute de Ryanairplie à Marseille et se brise à Berlin

10 août 2018 - Marseille et se brise à Berlin. FOOtBaLL / OM. COnFLit sOCiaL. intEMpéRiEs. C'est dans la cité phocéenne que les méthodes outrancières et.
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Et que la fête commence au stade Vélodrome ! Les Marseillais débutent la saison en recevant Toulouse ce soir (20h45), dans un Vélodrome archi-plein et désireux de revivre les émotions du printemps dernier. P. 15 et 16

1,30 €

conflit social

Intempéries

Premier recul pour McDo avec une décision de justice en faveur des salariés des 6 restos menacés de cession. Hier, le TGI de Marseille a ordonné la suspension de la vente des fastfoods. P. 5

Orages violents et vent de panique dans notre région

Coup de théâtre : la vente des 6 McDo de Marseille suspendue

photo allan B.

photo open flash

Football / OM

Vendredi 10 août 2018 - n°22470

photo C.I.

bouches-du-rhône et var

Placés en vigilance orange par Météo France, le Var et les Bouches-du-Rhône ont été frappés, hier, par des orages violents. Aucun drame majeur n’est pourtant à signaler. P. 4

Le journa l le plus chanté de France

Les salariés de la compagnie low cost en grève dans toute l'europe

photo afp

La brute de Ryanair plie à Marseille et se brise à Berlin

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C'est dans la cité phocéenne que les méthodes outrancières et antisociales du PDG Michael O'Leary ont d'abord été contestées et qu'il fut condamné en 2014. Le conflit social embrase aujourd'hui toute l'Europe. Lire P. 2 et 3

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La Marseillaise / vendredi 10 août 2018

L’événement

480 pilotes allemands de Ryanair ont rejoint le mouvement de grève européen. Une décision approuvée fin juillet à 96 % par les membres du syndicat Cockpit. Photo afp

Ryanair : la contestation des salariés gagne l’Europe Low-cost Partout en Europe, Ryanair fait face à un mouvement de grève d’une ampleur inédite. Le signe des limites d’un modèle low-cost intenable.

V

endredi 3 août, aéropor t de Mala g a. Le vol Ryanair en direction de Bruxelles est annoncé avec un important retard, sans plus d’explications. Le pilote manque à l’appel. Et pour cause, le commandant de bord Jouke Schrale vient de se donner la mort dans sa voiture sur le parking de l’aéroport réservé au personnel. Il travaillait pour la compagnie irlandaise depuis 10 ans. « Je le connaissais bien puisque c’était mon chef de base il y a quelques années. Après avoir joué le jeu de l’entreprise, il avait changé ces derniers temps », se rappelle « JF », un ancien pilote. « Je ne peux pas dire que Ryanair est responsable de sa mort, mais ce que je sais c’est qu’aucune autre compagnie ne

connait autant de suicides », lâche-t-il. Comme beaucoup, il tient à garder l’anonymat. L’omerta règne dans l’entreprise. « Ryanair possède des moyens illimités pour embêter le monde », raconte cet autre pilote, pourtant embauché ailleurs. JF est resté 10 ans chez Ryanair. Le modèle social de l’entreprise ? « Travaille et ferme ta gueule », résume-t-il crûment. « Ils ont réussi à dégoûter des pilotes dont c’était la passion d’une vie. Un ami a arrêté de voler, il ne pouvait même plus rentrer dans un avion », relate-t-il. Au sein de la compagnie, les commandants de bord payent leur uniforme et même les séances obligatoires de simulateur de vol. JF, lui, a eu la chance de partir. « Je n’en pouvais plus. J’étais épuisé physiquement et psychologiquement », détaille-t-il. Il a préféré quitter l’entreprise pour un poste de copilote et un salaire divisé par deux. « Mais c’était ça ou le burn-out », se rappelle-t-il aujourd’hui. C’est pour éviter de se retrouver dans la même situation que des centaines de pi-

lotes et de personnels navigants de Ryanair sont en grève partout en Europe aujourd’hui. L’entreprise fait face à une contestation sociale inédite dans son histoire. Irlande, Allemagne, Suède, Belgique et Pays-Bas : le ras-le-bol est général.

Modèle à bout de souffle

Au titre des revendications : les salariés demandent l’application du droit du travail du pays où ils sont employés et une hausse des salaires. Si la France ne figure pas parmi les pays où les salariés sont en grève, c’est que la compagnie aérienne n’y possède plus de base. « Parce qu’ici, les syndicats les ont attaqués », explique José Rocamora, responsable CGT Air-France à l’aéroport de Marseille-Provence. C’est dans la cité phocéenne que Michael O’Leary, le PDG atypique (lire ci-contre) a subi sa première défaite judiciaire. En 2010, des salariés d’Air France découvrent que le personnel de Ryanair dort dans un camping à proximité de l’aéroport, contredisant l’affirmation de la com-

pagnie selon laquelle les salariés français n’étaient pas basés sur place. La CGT porte plainte pour « travail dissimulé ». Ryanair est condamnée en première instance. Michael O’Leary crie au scandale et annonce quitter Marseille. Trois semaines plus tard, la compagnie est de retour. Dans un communiqué, Jean-Caude Gaudin, maire LR de Marseille déplorait alors «l’attitude des syndicats qui ont poussé la compagnie dehors ». Un vrai-faux départ qui n’empêchera pas Ryanair d’être condamnée en appel à verser 8,3 millions d’euros de dommages et intérêts. Après des années d’eldorado, la machine semble se gripper. « La croissance du transport aérien est repartie à la hausse. Désormais, les pilotes se font embaucher ailleurs et logiquement, ceux qui restent se mettent en grève », détaille Geoffroy Bouvet, président de l’Association des personnels navigants de l’aviation (Apna). Et JF de conclure : « on est à la fin du modèle low-cost tel que le pratique Ryanair depuis 25 ans ». Marius Rivière

Les dates clés l 1985 Création de

l’entreprise.

l 1994 Michael O’Leary

devient PDG.

l 2006 Ryanair s’installe à

Marseille.

l 2014 Ryanair est

condamnée en appel par la Cour d’Aix-en-Provence à 8,3 millions d’euros de dommages et intérêt pour travail dissimulé.

l Janvier 2018 Ryanair

reconnaît pour la première fois un syndicat au Royaume-Uni.

l Juillet 2018 Michael

O’Leary renonce à son bonus de l’année d’un million d’euros.

l Juillet/août 2018 Grève

inédite des pilotes. Environ 370 000 passagers sont concernés.

vendredi 10 août 2018 / La Marseillaise

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l’événement

Avec Michael O’Leary : « la brutalité et la vulgarité sont à la base du management dans l’entreprise... » 5 400

Portrait Adepte de déclarations tonitruantes, Michael O’Leary, patron de Ryanair s’est fait depuis 25 ans l’apôtre du low-cost. Mais la méthode touche désormais ses limites.

C’est le nombre de vols annulés par la compagnie entre septembre 2017 et juillet 2018 en Europe.

863

L’estimation en millions d’euros de la fortune de Michael O’Leary selon le classement 2018 des millionnaires publié par le magazine Forbes.

S

ans Margaret Thatcher, on vivrait dans une espèce de république à la française où personne ne travaille ». Michael O’Leary, PDG de Ryanair, affectionne ce genre de provocation. L’homme aime à se décrire lui-même comme un « sale petit con ». « J’en ai rien à foutre que personne ne m’aime. Je ne suis pas un aérosexuel. Je n’aime pas les avions. Je n’ai jamais voulu être un pilote, je veux juste bosser ». ça a le mérite d’être clair. Le patron ne s’en cache pas : il n’aime pas les pilotes. « Des chauffeurs de taxi bien trop payés qui se la pètent », comme il les appelle. Prononcer une énormité avec un maximum de cynisme, déclencher la controverse, observer le buzz créé et en profiter, la formule semble parfaitement rodée. « Il n’y a pas de mauvaise publicité » dit l’adage marketing. O’Leary l’a pris au pied de la lettre. Volontairement provocateur, l’Irlandais semble se complaire dans un rôle digne d’un méchant de James Bond. Entré à Ryanair en 1988 comme salarié, il part à Dallas en 1992 pour étudier le modèle low-cost de la compagnie américaine Southwest. « Sauf qu’il y a une idée qu’il n’a pas ramenée en Europe : la première ressource d’une entreprise ce sont les sa-

300 « Si les ventes de boisson baissent, on demande aux pilotes de provoquer des turbulences. ça fait monter les ventes » Photo World Travel & Tourism Council

lariés », détaille JF, ancien pilote, resté 10 ans chez Ryanair.

La brutalité pour système

Dans une vision cynique parfaitement assumée, il importe le modèle low-cost et fait de la réduction des coûts le principal levier de son modèle économique. Parmi les idées que l’Irlandais se plaît à évoquer en public : la suppression du copilote, la surtaxe pour les personnes obèses, la possibilité de voler debout ou de faire payer les toilettes au sein de ses avions… Cela pourrait sembler farfelu si ses décisions n’étaient pas sérieusement envisagées et n’impactaient pas la vie de milliers de salariés. Car le climat de terreur qui règne au sein de l’entreprise est bien réel. « La pression est volontairement insufflée par

O’Leary à ses managers qui, à leur tour, la reproduisent aux échelons inférieurs. La vulgarité et la brutalité sont à la base même du management dans l’entreprise », détaille JF. Avec les vagues d’annulations de l’automne 2017 et les grèves de cet été, Michael O’Leary est confronté à une fronde de ses salariés. Fidèle à sa méthode, il n’a pas hésité à lancer à ses pilotes irlandais : « Si les grèves persistent, les avions peuvent très bien aller ailleurs ». Pourtant, avec un mouvement social qui prend de l’ampleur, la donne pourrait changer. En 2018, le PDG, dont la fortune est estimée 863 millions d’euros, a renoncé à son bonus annuel d’un montant d’un million d’euros. Le signe que le vent tourne ?

Le nombre d’emplois en jeu menacés par la compagnie si celle-ci réduit ses vols au départ de Dublin pour l’hiver 2018.

12 000 C’est le montant en euros de la prime exceptionnelle qu’offre le PDG aux commandants de bord s’ils renoncent à leurs congés et s’engagent à rester dans la compagnie jusqu’en octobre 2018.

396 C’est le nombre total de vols annulés en Belgique, Irlande, Suède et Allemagne aujourd’hui en raison de la grève des pilotes de Ryanair.

Marius Rivière

paroles de professionnels de l’aviation 

propos recueillis par M.R.

Geoffroy Bouvet, président de l’Association des Professionnels Navigants de l’Aviation (Apna)

Christophe Tarot, président du Syndicat National des Pilotes (SNPL)

Serge Bodrero, secrétaire de section CGT chez Air France à l’aéroport Marseille-Provence

« Après des années de non respect des droits des salariés, Ryanair voit son modèle s’effondrer. Avec le retour de la croissance du transport aérien, les concurrents embauchent et leurs pilotes partent. Le personnel en grève demande seulement un contrat de travail ».

« La Cour de Justice Européenne a reconnu la possibilité des salariés de se tourner vers le code du travail de leur pays. Pourtant, en menaçant les pilotes irlandais en grève de délocaliser en Pologne, Michael O’Leary continue son management de la terreur ».

« Il n’est jamais trop tard pour les salariés pour revendiquer leurs droits. Ils n’ont pas à subir l’orientation ultralibérale de leur entreprise. D’autant que Ryanair bénéficie de 900 millions d’euros d’aides européennes. Cette compagnie ne vit que grâce aux subventions ! ».

Éditorial Françoise Verna

Les soutiers du ciel se rebiffent l Cynisme, brutalité et

appât du gain : la recette du patron voyou de Ryanair pour se remplir les poches est en train de virer à l’aigre. Michael O’ Leary est désormais submergé par un mouvement social européen d’une ampleur sans précédent dans l’univers du transport aérien à bas coûts. Ce mouvement démontre les limites et surtout l’échec d’un modèle économique basé sur l’exploitation des salariés. Les pilotes de plusieurs villes européennes sont en grève aujourd’hui. Le résultat d’une forte mobilisation motivée par de non moins fortes revendications : obtenir des contrats décents, de meilleurs salaires et des conditions de travail dignes.

Complicité des Etats et des collectivités L’origine de cette révolte, qui arrive aujourd’hui à maturité, prend sa source ici à Marseille en 2010. Les premiers à avoir fait plier le roi du low-cost aérien sont les salariés d’AirFrance de l’aéroport Marseille-Provence. Aujourd’hui, leurs collègues suédois, allemands, néerlandais et irlandais leur emboîtent le pas. Si le taulier de Ryanair est un affreux bonhomme qui d’ailleurs se revendique tel quel, Michael O’Leary n’est pas seul en cause. Pour prospérer sur le dos et des salariés et des clients – dont il se fout aussi royalement – il a bénéficié de la complicité active des États et des collectivités locales. Au nom de la « libéralisation » et appâté par la manne touristique, ils ont déroulé le tapis rouge et gavé l’entreprise d’aides publiques. Un encouragement à toujours aller plus loin dans l’irrespect des travailleurs. Aujourd’hui, ces salariés demandent des comptes. Ils ont raison.