JUIN 1916 - VERDUN - 106° BCP

le lieutenant Couzinet qui nous fit marcher à travers champs, dès que nous eûmes quitté les dernières maisons de la ville. Beaucoup d'à-coups au cours de ...
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JUIN 1916 - VERDUN 106° Bataillon de Chasseurs à Pieds

Le S/Lieutenant Aragno se souvient également de ce qu'il appelle « Les rudes affaires de juin 1916 », lorsqu'il écrit quelques années plus tard à son ancien commandant (le commandant Burtschell, qui commandait alors le 106e B.C.P.). Il cite : « En qualité de plus ancien, je conduis la compagnie depuis la Citadelle jusqu'aux tranchées, avec les sous-lieutenants Boisset et Pillorget. Le Chef de Bataillon et les Commandants de Compagnies étaient partis pour reconnaître les emplacements que devaient occuper leurs unités. Le bataillon était commandé par le lieutenant Couzinet qui nous fit marcher à travers champs, dès que nous eûmes quitté les dernières maisons de la ville. Beaucoup d'à-coups au cours de cette marche, provoqués tant par les va-et-vient de groupes de travailleurs que nous rencontrions, que par l'obscurité, les ravitaillements, et l'arrivée fréquente d'obus fusants. Nous eûmes à la compagnie dès cette soirée, quelques tués et blessés dont parmi ces derniers un agent de liaison. Enfin, séparés du gros du bataillon (nous fermions la marche au départ), nous arrivâmes à hauteur de la ferme de la Folie, où un guide envoyé par le corps que nous relevions, et qui nous attendait, nous conduisit directement en ligne. Un petit incident à la rencontre des guides ; un Commandant de Compagnie du Bataillon qui n'avait pas encore son guide voulait m'empêcher de partir, sous prétexte qu'il devait monter en ligne avant la 6e Compagnie. Je n'en continuai pas moins mon chemin vers l'avant, et plus tard par son attitude vis-à-vis de moi, je pus remarquer qu'il se souvenait de cette discussion. Cependant vers la ferme de la Folie, un officier d’E.M. nous avait recommandé d'activer notre mouvement, et de ne pas nous fier au calme apparent et très momentané du secteur, ajoutant que celui-ci pouvait se transformer « en enfer » d'un moment à l'autre. La relève s'opéra sans incident notable, et au petit jour chacun était à son poste de combat. La 6e Compagnie n'eut pas l'honneur de participer à l'attaque du surlendemain, où devaient mourir héroïquement les Capitaines Constantini et Sturm, les Lieutenants et Sous-lieutenants Couzinet, Dinaison, de la Grandière et Stetter (ce dernier disparu ou tué). Après cette attaque la 6e Compagnie joue un rôle plus actif, et vers la fin du jour qui suit, je dois me porter avec un peloton (section Pillorget et la mienne) auprès de la 1e Compagnie. Nous allons nous mettre à la disposition du Lieutenant De Quatrebarlie qui doit tenter une attaque à la grenade sur un élément de tranchée en avant du front occupé par sa Compagnie. Peu de renseignements pour me rendre auprès de lui, sinon des cadavres de Chasseurs qui dans un boyau défoncé, jalonnent ma route. Notre colonne doit être visible dans son évolution, car en plus des tirs de mitrailleuses, fréquemment de petits obus explosent autour de nous. J'arrive auprès de De Quatrebarlie. Il était avec les Sous-lieutenants Claude et Plongeron qui étaient venus pour diriger l'attaque. Tous trois envisageaient les dispositions à prendre pour attaquer l'ennemi avec succès. De Quatrebarlie s’informe de mon effectif et dépêche le Sous-lieutenant Claude auprès du Capitaine Pernet pour lui exposer la situation. Finalement l'attaque n'a pas lieu et De Quatrebarlie, pour la sécurité de son front nous place, sous forme de petits postes, dans une tranchée bouleversée en avant de sa ligne, en gardant auprès de lui la section Pillorget. Dès la tombée de la nuit, des

coups de fusil sont tirés devant nous, des grenades ou engins de tranchée, ainsi que de petits obus explosent aux abords de l'ouvrage que nous gardons. Il fait très noir, mes hommes ripostent avec des grenades et des coups de fusil, quelques-uns prétendent voir des soldats ennemis. Enfin la majeure partie de la nuit se passa sans autres incidents. Et la nuit suivante, relevés par des éléments du 297e ou 359e, je reconduis mes hommes à leurs premiers emplacements de combat, à gauche du P.C. Dessirier. C'est là, à quatre ou cinq pas derrière moi, que devait mourir Pillorget un ou deux jours après, en réserve où il était installé dans un boyau qui venait se raccorder à ma tranchée, quelques mètres à ma droite. Son trou comme le mien, approfondi tous les jours par son ordonnance, était recouvert par un énorme tronc d'arbre et plus d'un mètre de terre vierge. Un gros obus l’enterra dans ce trou, et malgré nos efforts (Balland un caporal s'était précipité le premier), nous ne pûmes le dégager. Plus tard, à notre retour dans ces parages, une corvée envoyée par vos ordres ou par Dessirier, et confiée à un sergent qui vous rendit compte, ne put parvenir à le découvrir, et je me souviens bien que vous fûtes très mécontent de ce résultat. Je fus légèrement blessé au genou gauche par un éclat d'obus. Le lendemain, 24 h après les autres Compagnies du Bataillon, survint notre relève. Dessirier devait rester pour passer les consignes. J'eus encore une fois à conduire la Compagnie à la Citadelle, où nous arrivâmes vers 5 h du matin. Dans la journée il y eut remise de quelques médailles militaires, et le soir il nous fallut de nouveau monté en ligne (en réserve à la côte de Froideterre). Les Chasseurs de la 6e Compagnie (je crois que la C.M. Cholet était dans le même cas) étaient forcément plus fatigués que leurs camarades des autres unités, puisqu'ils avaient tenus les lignes 24 h de plus et n'avaient pas comme eux, bénéficiés d'une nuit de sommeil. À l'heure fixée pour le départ, ils mirent sac au dos et partirent aussi décidés que lors de notre départ pour la première relève. Dessirier ne devait rentrer que le lendemain matin, aussi j'eus encore l'honneur de conduire la Compagnie aux emplacements qu'elle devait occuper. Là, avec un « repos » de deux ou trois jours, nous eûmes à subir un bombardement par gaz. Puis sur votre ordre transmis par le Capitaine Clausse, note Compagnie vint renforcer la Compagnie du Capitaine Poussin qui occupait une tranchée à proximité d'un ouvrage cimenté (cet ouvrage devint votre P.C.). Il y avait là le reste de la 4e Compagnie avec Bretville et Lauthiome, et la C.M. Cholet avec Lhuillier. Le trajet fut très pénible car nous étions sous un feu violent d'obus de gros calibre. Notre Compagnie fut répartie en deux endroits, à droite une fraction avec Boisset, auprès de vous le reste avec Dessirier et moi, le Lieutenant Maguillat qui commandait le peloton des pionniers et le médecin auxiliaire Genez étaient également aux abords immédiats de votre P.C. La nuit suivante le Capitaine Clausse prescrivit au Lieutenant Dessirier une forte reconnaissance, elle devait suivre la tranchée occupée par le Capitaine Poussin et les différentes fractions du Bataillon (je crois qu'il y avait déjà dans cette tranchée des éléments du 61e ou d'un autre régiment du Midi), explorer le ravin qui se trouvait au bout de la tranchée et chercher les troupes voisines amies, afin d'assurer la liaison. Je partis à la tête de cette reconnaissance ayant avec moi environ 30 Chasseurs et le sergent Laroche (le dernier qui restait à ce moment à la Compagnie, et tué un ou deux jours après). Le ravin fut fouillé dans toute sa partie voisine de la tranchée, il y avait de nombreuses petites cases ou abris légers. En continuant ensuite plus à droite, nous reçûmes quelques coups de fusil auquel des Chasseurs qui prétendaient voir des ombres se mouvoir, répondirent par une

dizaine de grenades. Plus loin d'autres coups de feu suivis de «Halte-là ! » et « Qui vive ! » en bon français nous arrêtèrent. Il fallut nous terrer dans des trous d'obus, parlementer quelques instants, nous nommer, citer notre corps et des noms d'officiers de la Division pour convaincre ceux qui venaient de nous arrêter, et qui n'étaient autres que des soldats du 297e en patrouille. Il y avait à leur tête un officier dont je ne me souviens plus du nom, et un adjudant nommé Caille. Le chef de cette patrouille appris que le 106e Bataillon était peu éloigné sur un des flancs de son régiment, et il vint reconnaître la partie extrême de notre tranchée afin disait-il de pouvoir guider avant le jour un des bataillons de son régiment, qui devait se lier à nous. Je rentrais ensuite auprès de votre P.C. et je donnai au Capitaine Clausse tous les renseignements que je viens de porter ci-dessus. Ma section était restée dans la tranchée aux ordres du Capitaine Poussin, je vins le rejoindre sitôt après avoir rendu compte de ma mission. Au petit jour, j'étais à côté de l'adjudant Girardeau, et tous les trous en ligne faisaient face vers un ouvrage que nous devions attaquer quelques jours plus tard, et que Boisset avec Plongeron parvint à enlever. Le jour commençait à poindre, au loin et dans la direction donnée ci-dessus, à 200 m, quelques casquettes ennemies apparaissaient de temps en temps, et nos soldats dessus, armé d'un fusil allemand, et avec Girardeau nous en faisions autant. Soudain autour de nous, et tout près du Capitaine Poussin retentit un cri : « Les Boches, les boches derrière nous ! ». Toute la ligne, sans se soucier du vrai front (tout au moins bien loin à ma droite et à ma gauche) fit demitour sur place et exécuta un feu très nourri dans cette nouvelle direction. Il y avait en effet devant nous, à 50 ou 100 m (je les ai bien vus), des soldats allemands qui essayaient de se dissimuler dans des trous d'obus, plus au loin et légèrement à gauche de ce nouveau front, des soldats avançaient, ils étaient nombreux et difficiles à reconnaître, parce que les premiers, mieux visibles et faciles à identifier étaient des ennemis, nos soldats et leurs chefs présents en conclurent que ceux qui venaient au loin étaient également des prussiens. La fusillade fut dirigée contre eux, et une mitrailleuse du peloton Lhuillier pointée contre le gros de cette troupe. Qu'allait-il se passer ? Malgré la distance (environ 200 m), pour peu que la fusillade fut prolongée, cette troupe allait subir des pertes. Brusquement, me souvenant de ma patrouille de la nuit précédente, je pense aux 297e et au même instant, capotes et casques de cette troupe me révélèrent de véritables soldats français. Je sortis de la tranchée suivi de quelques Chasseurs, et en me dirigeant franchement vers le groupe de soldats allemands, je me mis à crier de toutes mes forces en montrant du doigt la troupe qui au loin venait vers nous : « Ne tirez plus, ne tirez pas, ce sont des Français, des soldats du 297e ! ». Aussitôt les gradés s'étant rendu compte, les coups de fusil devinrent moins nombreux, et peu après nos soldats faisaient de nouveau face vers le vrai front. Dès notre sortie de la tranchée, les Chasseurs ne tardèrent pas à me dépasser, et se mirent à tirer sans pitié et presque à bout portant sur les soldats allemands que nous avions devant nous. Ceux-ci jetaient leurs armes, l'un d'eux lança un couteau fermé à mes pieds, d'autres se mettaient à genoux et levant les bras au ciel ne cessaient de gémir : « Kamerad, kamerad, bons Franzous ! ». En marchant, j'avais remarqué un grand gaillard qui d'une tenue mieux soignée que ceux qui l'entouraient, me semblait un gradé. Je me dirigeais vers lui, la férocité et l'ardeur de nos Chasseurs l'avaient terrifié, aussi il ne fit aucune résistance lorsque je le pris par sa ceinture. Tout près de moi, un Chasseur tira un coup de fusil, son canon appuyé sur le bas de la tunique d'un allemand qui était également un officier. Je fis cesser cette tuerie, d'autant plus que mes adversaires étaient

disposés à se rendre. Je donnai ordre de rentrer, et je fis porter par un Clairon de la 6e Compagnie l'officier qui était blessé au ventre et me suppliait du regard. J'étais plein de joie. Je fis conduire le groupe de soldats et les deux officiers à votre P.C. (je continuais à tenir le grand par son ceinturon et je ne l'ai lâché que devant vous), en ma présence vous avez posé quelques questions, en allemand, à l'officier que j'avais conduit, le second était dans le Poste de Secours du Médecin auxiliaire Genez. Je me souviens qu'il donna environ 20 francs au Clairon qui l'avait porté. Je revins dans la tranchée, et peu après Dessirier fit rentrer autour de votre P.C. les hommes de sa Compagnie. Dans le courant de cette matinée, ou de celle du jour qui suivit (c'était le 25 juin), Dessirier, d'après des instructions qu'il venait de recevoir, me chargea d'exécuter un coup de main sur un petit ouvrage (Four à Chaux ? Quatre Cheminées ?), non loin d'un fort, et en avant de notre ligne. Je partis avec une vingtaine d'hommes de la 6e et un guide de la 4e Compagnie. Les renseignements donnés au départ étaient très vagues : « Marcher droit devant moi en partant d'un point indiqué, et en suivant le guide qui la nuit précédente avait fait une patrouille, traverser une route et reconnaître plus loin si l'ouvrage avait des défenseurs, au besoin m'en emparer et l'occuper. Notre mouvement exécuté en plein jour ne pouvait échapper aux sept Drachens (ballons d'observation ennemis) qui étaient loin sur notre flanc droit, aussi dès la sortie de notre tranchée un violent barrage d'obus explosifs, fusants et percutants, sur la zone où nous devions évoluer, gêna considérablement notre progression. L'ennemi qui était sans doute disposé à neutraliser toute action de notre part, devait croire notre opération plus importante qu'elle n'était en réalité. Quelques instants après avoir quitté notre ligne, le guide très grièvement blessé au bras gauche du nous quitter. Au moment du départ et pendant les premiers sauts de trous d'obus en trous d'obus, les hommes qui m'accompagnaient se groupaient autour de moi, et malgré mon insistance, je ne pouvais pas leur faire prendre une formation moins dense. Il n'y avait pas un sergent avec moi, à peine un jeune caporal, enfant du Nord, qui s'appelait Jolly, et qui ne me quittait pas d'un pas. Y eut-il des pertes par la suite, blessés ou tués ? Je ne saurais le dire. Mais après plusieurs bonds, mon effectif avait sérieusement diminué, à peine avec le caporal Jolly, pûmes-nous réunir quelques Chasseurs. Il en manquait plus de la moitié. Blessé légèrement à l'épaule gauche, n'ayant plus de guide, je décidais de revenir dans la tranchée de départ pour rendre compte de ma situation à Dessirier qui, avec Cholet, attendait le résultat de notre entreprise. Il examina ma blessure, qui n'avait qu’alourdi un peu mon bras mais ne me faisait pas trop souffrir, et me conseilla de faire faire un pansement au Poste de Secours. Le Médecin auxiliaire Genez m'examina et m'envoyait plus loin au P. S. du Bataillon, d'où le Médecin aide-major de 1e Classe du Bataillon et le Médecin auxiliaire Chevalier m'évacuèrent sur Bras. L'opération qui m'avait été confiée fut tentée par la suite par les Souslieutenants Boisset et Plongeron, qui heureusement purent la mener à bonne fin. Le 26 j'étais à Queue de Mala et le 28 à Vittel. Mon diagnostic porte : « Plaie contuse épaule gauche par éclats d'obus » Pour sa conduite au feu, il est cité à l'ordre du Bataillon le 8 juillet 1916, par le Chef de Bataillon Burtschell, commandant le 106e B.C.P.

LE 106e B.C.P. À VERDUN - Juin 1916 Commandant Burtschell Capitaine Clausse Lieutenant Comby (Adjoint) Lieutenant Pradelle (Payeur) Lieutenant Guérini (Approvisionnement) Lieutenant Maguillat (Pionniers) Médecin Laverrière Médecin Auxiliaire Chevalier Médecin Auxiliaire Genez

6 Compagnies - 1e Cie Lieutenant De Quatrebarlie Sous-lieutenant Claude ? Diraisin Seylor - 2e Cie Capitaine Poussin ? Piquot Sous-lieutenant Stetter Sous-lieutenant Plongeron - 3e Cie Capitaine Queny ? Coursier Sous-lieutenant De la Grandière ? Thuilliez - 4e Cie Capitaine Constantini ? Bretville ? Lauthiome - 5e Cie Capitaine Sturm ? Boussard ? Pichon - 6e Cie Capitaine Dessirier Sous-lieutenant Aragno Sous-lieutenant Boisset Aspirant Pillorget 2 Compagnies de Mitrailleuses - 1e C.M. Capitaine Pernet Lieutenant Couzinet ? Singet - 2e C.M. ? Cholet ? Lhuillier ? Firmin -- -- -- -- -- -Après la relève de Verdun, le 106e B.C.P. est réduit à 3 compagnies, entraînant la suppression de la 6e Compagnie. Il ne restait plus un seul officier de la 6e Compagnie ; le Capitaine Dessirier venait d'être évacué, le Sous-lieutenant Boisset était muté au 121e B.C.P., l'Aspirant Pillorget était tué et le Souslieutenant Aragno était évacué le 25 juin.