Il était une fois, la rue des Rosiers... - Amazon Simple Storage Service

Des souvenirs de familles à jamais brisées par la folie ... familles entières entassées dans une seule pièce. ... Bougnat, Jeannine Maison-Abadie, dans mon livre ...
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LIVRES

Il était une fois, la rue des Rosiers... France puisse les trahir. Surtout ceux qui avaient fait la guerre de 14, qui étaient très bien intégrés et patriotes. Les Juifs se sont donc fait recenser, ont porté l’étoile, se sont rendus aux convocations de la police, en pensant qu’il s’agissait d’une simple formalité. “Puisqu’ils étaient français”, croyaientils, “ils ne risquaient rien”. Pour les Juifs qui émigraient en France, la République était un idéal. Ils n’avaient qu’une devise en tête : “Heureux comme Dieu en France”, le pays des droits de l’homme, de Napoléon, de Hugo ou de Zola qui avait défendu le capitaine Dreyfus. En travaillant dur, en envoyant les enfants à l’école de la République, ils étaient convaincus qu’ils s’en sortiraient. Ils croyaient dur comme fer à la méritocratie républicaine.

(© Wikipedia/DR)

Noémie Taylor Taylor

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7, rue des Ecouffes. 36, rue des Rosiers. 20, rue FerdinandDuval (anciennement rue des Juifs)... Derrière ces numéros du plus ancien quartier juif de Paris, surnommé le Pletzl - la place, en yiddish - se cachent des histoires douloureuses. Des souvenirs de familles à jamais brisées par la folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale. Dans son dernier livre, Les Larmes de la Rue des Rosiers (Ed. des Syrtes), l’historien Alain Vincenot nous livre une série de témoignages poignants de survivants du quartier, enfants cachés, pour la plupart. Nous l’avons rencontré... rue des Rosiers justement. Jerusalem Post : en se promenant

avec vous dans le Marais, on ressent votre attachement pour ces lieux... Est-ce le point de départ de votre livre ? Alain Vincenot : C’est un quartier que je trouve fascinant... Le seul qui ait vraiment une âme juive à Paris, même si aujourd’hui, son visage a beaucoup changé : les librairies, boulangeries et autres commerces, cèdent de plus en plus la place aux boutiques de vêtements de luxe malheureusement. Mais dans le cœur des gens, cela demeure un endroit mythique, une référence, où l’on vient faire ses courses de Shabbat, acheter des livres à thèmes juifs... En écrivant Les Larmes de la Rue des Rosiers, je voulais montrer, à travers la vie d’un quartier, ce qu’avait été très concrètement la Shoah. Celle-ci est en train de devenir un champ de l’Histoire désincarné. Pour moi, les chiffres parlent parfois moins que les histoires humaines. Mon livre donne donc la parole à des témoins directs qui ont vécu la plongée progressive des habitants du Pletzl dans l’horreur : d’abord, en 1940, le recensement obligatoire, puis l’aryanisation des biens, l’étoile jaune, l’interdiction d’accès à certains lieux, les rafles, dont celle du Vel d’Hiv, qui a frappé le quartier, le 16 juillet 1942, les camps d’internement et, enfin, la déportation. J.P. : Comment décririez-vous la vie au sein du Pletzl à l’aube de la Seconde Guerre mondiale ? A.V. : C’était un village, un shtetl en plein Paris ! Peuplé de commerçants, d’artisans... des Bundistes fuyant les pogroms et la misère, venus des quatre coins d’Europe de l’Est. Le quartier était loin de ressembler au Marais “bobo” d’aujourd’hui. A l’époque, les gens vivaient dans une extrême pauvreté et dans l’insalubrité. Des

familles entières entassées dans une seule pièce. Malgré tout cela, ils avaient foi en la France... J.P. : A travers plusieurs témoignages du livre, on est justement frappé de constater à quel point les habitants du Pletzl ont, pendant très longtemps, fait confiance aux autorités françaises. A.V. : C’est normal. Pour beaucoup, il était inconcevable d’imaginer que la

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J.P. : Le Pletzl était donc assez ouvert sur l’extérieur ? A.V. : Bien sûr ! C’était un quartier, certes juif, mais qui n’avait rien d’un ghetto ! Le témoignage de la fille du Bougnat, Jeannine Maison-Abadie, dans mon livre, le montre très bien. Elle allait à l’école avec les enfants juifs du quartier, jouait avec eux dans la rue. Leurs pères buvaient des schnaps ensemble. Car le judaïsme était alors plus culturel que cultuel et si l’on s’installait rue des Rosiers, c’était principalement parce qu’on venait à Paris, avec comme seul point de chute, l’adresse d’un cousin ou d’une connaissance... Un peu comme les Bretons à Montparnasse ! Chez Goldenberg (ndlr : ancien restaurant aujourd’hui remplacé par une jeanerie), il arrivait que Jo, le patron demande à ses musiciens yiddish de jouer une bourrée limousine à la fille du bougnat ! On m’a même raconté qu’une coiffeuse du

LIVRES Place au cabaret yiddish ! Le vieux Café des Psaumes, fermé depuis des années, vient de rouvrir ses portes en “café social” intergénérationnel

(© Wikipedia/DR)

David Shapira (à gauche) et Yvan Adler. (© Noémie Taylor)

quartier, qui n’était pas juive, avait fini par prendre l’accent yiddish ! J.P. : A l’heure où l’on débat beaucoup de laïcité en France, vous racontez une anecdote étonnante sur l’école publique des Hospitalières-Saint-Gervais... A.V. : Oui. Contrairement aux autres établissements, cette école primaire laïque du Pletzl (ndlr : d’abord ouverte par la Fondation Rothschild et le Consistoire de Paris), était fermée le samedi, jour de Shabbat au lieu du jeudi, jour de repos des écoliers. On s’arrangeait un peu avec la laïcité en somme. Mais cela n’a pas empêché l’école publique d’être, pour les enfants juifs débarqués fraîchement de l’Est, l’un des tous premiers vecteurs d’intégration, où ils apprenaient le Français aux côtés de leurs petits camarades. J.P. : La plupart de vos témoins

sont les seuls ou rares rescapés de leurs familles. Certains ont du mal à parler du passé, même avec leurs enfants. Comment parvenez-vous à libérer leur parole ? A.V. : La plupart du temps, je me tais. J’attends que cela vienne. Cela peut prendre des heures. La plupart du temps, je ressors de ces interviews complètement éreinté. Il faut être d’une extrême patience et attendre le déclic. Je me rappelle d’une femme, qui s’était montrée extrêmement réticente à témoigner puis avait fini par accepter. Quelque temps plus tard, elle m’a confié qu’après notre entretien, elle avait enfin eu la force de relire la dernière lettre écrite de la main de ses parents. Elle n’avait jamais eu le courage de la déplier... depuis 1945. ■ Alain Vincenot, Les Larmes de la Rue des Rosiers, Edition des Syrtes, 2010. Préfacé par Elie Wiesel.

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u 12 bis, rue des Rosiers, flotte une odeur d’enduit et de peinture fraîche. Ce soir-là, c’est dans un Café des Psaumes flambant neuf, que se presse, dans un joyeux brouhaha, la cinquantaine de personnes venue participer au premier “cabaret yiddish” inauguré par l’OSE. Tous les premiers et troisièmes jeudis du mois, l’association caritative juive d’Œuvre de Secours aux Enfants, transforme le sous-sol de son café social en salle de spectacle, où résonnent, pêle-mêle, morceaux klezmers, chansons israéliennes et autres mélopées russes. “Vous savez, vous pouvez parler pendant les morceaux ! C’est un cabaret, alors faites comme chez vous !”, lance, taquin, le guitariste-chanteur de la soirée, David Shapira, à un public visiblement plus accoutumé aux sages salles de spectacles parisiennes qu’aux bruyants cabarets d’Europe de l’Est. Cet ancien délégué du KKL en France, reconverti, pour son plus grand plaisir, en cabarettiste, est accompagné au violon du musicien Yvan Adler.

L’an prochain à Massada Paula Haddad

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n rocher d’un assez vaste pourtour et d’une grande hauteur est de toute part isolé par de profonds ravins dont on ne voit pas le fond”. C’est ainsi que l’historien Flavius Josèphe décrit Massada dans La Guerre des Juifs où en 73 de notre ère, un millier de Juifs ont préféré le suicide à la reddition. Massada, cet endroit mythique que l’on arpente dès l’aube pour apercevoir les premières lueurs du soleil en remontant à pied le fameux “Snake Path”, le “sentier du serpent”. Et une comédie musicale en “carton-pâte” imaginée par Ron Uchovski, producteur fictif de spectacles à Tel-Aviv, hanté par la guerre du Liban de 1982. Lorsqu’il croise Klara, jeune chanteuse de cabaret à Paris, il voit en elle le personnage de sa “tragédie musicale”, Les Oiseaux noirs de Massada. Celle qui pourra incarner la femme du dernier homme de Massada. Séduite, elle décide de le suivre en Israël, un pays inconnu où “en hébreu, les

verbes avoir et posséder n’existent pas”. Commence alors un roman très cinématographique, entre passé et présent, qui vient d’être nommé pour le prix du “meilleur roman adaptable au cinéma”, lors d’un festival français. Il confronte le parcours de deux femmes amoureuses, Klara, qui doit connaître son passé familial pour accomplir sa vie, et Mouna, sa grandmère énigmatique, dépositaire de lourds secrets également liés à Massada. Klara n’a pas élu par hasard le chant pour s’exprimer, condamnée depuis toujours au silence par les siens. La parole bâillonnée est donc au centre de ce roman qui, lui, offre une belle langue, travaillée, mais sans fioritures, ni descriptions inutiles. Au fur et à mesure, on découvre tel un puzzle qui se reconstitue une histoire émouvante que la mémoire de Mouna laisse échapper par bribes. Klara pourra enfin créer l’arbre généalogique dépossédé jusqu’alors de son tronc et de ses branches. Le lecteur reste, lui, presque sur sa faim, tant il aimerait poursuivre le dialogue avec ces personnages féminins

attachants, ancrés dans une réalité où l’on pourra reconnaître une grand-mère que l’Histoire n’a pas épargnée, une mère absente, une fille en quête de ses origines. Olivia Elkaim, romancière, chef du service politique du journal La Vie avait déjà choisi un cadre historique pour son premier roman, Les Graffitis de Chambord, ouvrage remarqué, inspiré par la Seconde Guerre mondiale et prix Montalembert. Ici, elle entraîne le lecteur entre le Paris des années 1930, Israël des années 2 000 durant l’opération Plomb durci à Gaza et les rives de la mer Morte, paysage omniprésent et fantomatique du récit. La réalité rejoint la fiction. Ou l’inverse. Massada le musical, le rêve du personnage de Ron existe bel et bien, créé par une troupe d’artistes israéliens et européens. Il sera joué de nuit et au lever du soleil les 23 et 24 avril prochains sur les lieux mêmes de l’Histoire. ■ Les Oiseaux noirs de Massada, d’Olivia Elkaim, Grasset

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“Je me souviens de cet air, ma mère le fredonnait souvent”, glisse dans un murmure, une dame à sa voisine. La salle tout entière ne tarde pas à se laisser entraîner. Ce soir, on est venu entre amies ou en couple, grâce au bouche à oreille.” “Le Café des Psaumes se veut un espace intergénérationnel de rencontre, de convivialité, de lien social”, explique le responsable des lieux Michael Rapaport. “Nous ne sommes pas un café communautaire. Nous sommes ouverts à tous, juifs ou non. En semaine, aux personnes du 3e âge, auxquelles nous proposons différentes activités : informatique, jeux de société, gym du cerveau... Le weekend, c’est pour tout le monde, avec notamment, chaque dimanche, un café littéraire retransmis sur Judaïque FM”. Appuyé par la mairie du IVe, l’OSE entend participer au travail de revivification du quartier, transformé ces dernières années par la flambée des prix de l’immobilier et l’installation de boutiques de luxe. Pour Michael Rapaport, la rue des Rosiers ne doit surtout pas devenir une carte postale figée, uniquement fréquentée par les touristes. “La plupart des gens qui viennent au café habitent d’autres arrondissements que le IVe. Mais ici, ils peuvent se retrouver entre amis, avant d’aller au Mémorial, ou pour y échanger des souvenirs. Combien de fois ai-je entendu : j’habitais à tel numéro, je venais faire mes courses ici, mes parents étaient propriétaires de cette boutique» raconte le responsable de l’OSE. Ceux qui s’y arrêtent en journée pour boire un café, y restent trois, parfois quatre heures. Fort de son succès, en attendant le retour des beaux jours, le Café des Psaumes envisage déjà d’installer une terrasse sur le trottoir de la rue des Rosiers. ■