groupe de médecine de famille - RCPI

Après les infirmières, ce sont les pharmaciens et les travail- leurs sociaux qui vont venir en renfort dans les groupes de médecine de famille (GMF).
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GROUPE DE MÉDECINE DE FAMILLE QUELLE AIDE PEUVENT APPORTER LES AUTRES PROFESSIONNELS DE LA SANTÉ ? Déjà à l’essai dans plusieurs groupes de médecine de famille (GMF), l’interdisciplinarité entre professionnels de la santé s’installe dans l’ensemble des GMF de la province. Un nouveau cadre de gestion qui promet. Claudine Hébert

particulièrement dans les urgences. Cette transformation a également amélioré la qualité des résultats sur le plan des soins et de la santé, notamment pour les patients souffrant de maladies chroniques. Plusieurs GMF goûtaient toutefois déjà à ces collaborations interprofessionnelles. Grâce à une mesure d’octroi de ressources professionnelles instaurée à la fin des années 2000, les services de quelque 179 professionnels de la santé ont été accordés à une soixantaine de GMF au cours des cinq dernières années. Comment s’est effectuée cette collaboration interdisciplinaire ? Quels résultats a-t-elle donnés ?

UNE PHARMACIENNE BIEN UTILE Dr Antoine Groulx

Après les infirmières, ce sont les pharmaciens et les travailleurs sociaux qui vont venir en renfort dans les groupes de médecine de famille (GMF). Mais d’autres professionnels de la santé pourraient aussi se joindre à eux selon les besoins : kinésiologues, nutritionnistes, inhalothérapeutes, psycholo­gues, physiothérapeutes... Depuis peu, le tout nouveau Programme de financement et de soutien professionnel pour GMF, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a discuté des grandes lignes avec la FMOQ, permet concrètement le travail interdisciplinaire. D’où vient l’idée ? « Ce nouveau programme pour GMF s’inspire du travail mené par l’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ), une organisation américaine équivalant à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux », indique le Dr Antoine Groulx, directeur de l’Organisation des services de première ligne intégrés, au MSSS. L’AHRQ prône entre autres, données probantes et expériences à l’appui, le quatuor médecin, infirmière, travailleur social et pharmacien, souligne le Dr Groulx. Selon les conclusions d’un rapport publié en juillet dernier1, la transformation des pratiques de soins de première ligne aux États-Unis réunissant ces quatre professionnels de la santé, a permis de réduire le recours à des soins inutiles,

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« Comment a-t-on pu travailler sans l’aide d’un pharmacien aussi longtemps en clinique ? », se questionne le Dr Martin Lacasse, médecin responsable du GMF de la Basse Lièvre, à Buckingham. Depuis juin 2012, ce GMF bénéficie des services de la pharmacienne Josée Bergeron environ 15 heures par semaine. Ce qui se voulait au départ une simple participation au sein d’un projet pilote s’est rapidement transformé en une révélation pour le Dr Lacasse. « Il y a tellement de médicaments sur le marché que les conseils avisés du pharmacien sont devenus une nécessité, un service indispensable pour s’y retrouver. On gagne du temps et surtout on offre une bien meilleure médecine à nos patients. » Ce dernier a d’ailleurs bien hâte de bénéficier du soutien de la pharmacienne plus de 30 heures par semaine. Le GMF de la Basse Lièvre regroupe une trentaine de médecins. Chacun a trouvé sa façon d’employer les services de la pharmacienne. « Pour certains, je suis très utile pour améliorer l’observance des patients à leur traitement. Pour d’autres, je fais tout simplement le suivi des médicaments que prennent déjà les patients pour éviter des interactions », explique Mme Bergeron. La pharmacienne peut également faire de l’enseignement au patient. Prenez le cas d’une personne qui doit apprendre à s’injecter de l’insuline, indique la Dre Mélanie Lacasse, qui travaille

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dans le même GMF que son père, le Dr Martin Lacasse. « Il n’est plus nécessaire de monopoliser du temps clinique pour ces explications. C’est maintenant la pharmacienne qui indique au patient la manière de procéder », mentionne l’omnipraticienne. En fait, précise-t-elle, la présence de la pharmacienne lui permet de consacrer au moins une heure de plus par jour à d’autres patients. Plus d’une centaine d’ordonnances par jour sont produites par les médecins du GMF de la Basse Lièvre. « C’est bien pratique de pouvoir compter sur les avis de notre pharmacienne. Je suis convaincu que cette collaboration permet d’éviter des erreurs », affirme le Dr Lacasse. Pourquoi avoir d’abord établi une collaboration médecinpharmacien ? « La pharmacienne en chef de l’hôpital de Buckingham recevait quotidiennement des appels de la part de médecins en clinique pour des demandes d’information sur les médicaments, leurs effets indésirables. Elle a suggéré à l’agence régionale d’attribuer des pharmaciens à mi-temps aux GMF qui le désiraient », explique Mme Bergeron. Quatre GMF de la région de l’Outaouais ont accepté l’offre.

LES MULTIPLES AVANTAGES DU TRAVAILLEUR SOCIAL

S P É C I A L

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ciaux de première ligne », juge le Dr Guy Verreault, médecin responsable de la Clinique GMF-Réseau Alma. Le travailleur social permet de prendre en charge le patient qui présente un ou des troubles psychosociaux, qu’ils s’agissent de problèmes familiaux, de dépression, de difficultés liées à la maladie d’Alzheimer. « Ce sont généralement les cas qui prennent le plus de temps en clinique. En consultation et en suivis. La collaboration d’un travailleur social facilite la gestion de crise. Ces professionnels peuvent plus rapidement orchestrer le service de santé mentale et d’aide psychologique. Cela nous permet de nous concentrer sur le traitement médical », précise la Dre Julie Gauthier, responsable du GMF Rocher-Percé en Gaspésie, qui depuis trois ans, s’est adjoint les services d’un travailleur social. Le travailleur social peut aussi effectuer une évaluation du fonctionnement social du patient. Il dispose également d’une bonne vue d’ensemble des programmes d’intervention et des outils cliniques qui existent, ce qui lui permet de mieux diriger la personne, observe le Dr Verreault. Le médecin cite, par exemple, le cas d’une famille dont un parent âgé est atteint de troubles de mémoire. « D’avoir sur place une travailleuse sociale permet d’aider plus rapidement ce patient et son entourage. »

Il y a cinq ans, au Lac-Saint-Jean, un patient qui souhaitait avoir recours à un professionnel en santé mentale pouvait attendre jusqu’à six mois pour bénéficier d’une première rencontre. Depuis que la Clinique GMF-Réseau Alma, en collaboration avec le centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la région, a intégré une travailleuse sociale au sein de son équipe en 2010 et que le GMF Lac-Saint-JeanEst a fait de même en 2012, le temps d’attente pour obtenir de l’aide psychosociale est désormais réduit à zéro. Depuis déjà 2006 que la population du Lac-Saint-Jean réclamait un meilleur accès à des professionnels de la santé mentale. « En favorisant l’intégration des travailleurs sociaux plutôt que des psychologues, on permet au patient de bénéficier d’une approche plus générale. Ces professionnels répondent plus aisément aux besoins généraux psychoso-

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Dr Guy Verreault

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Toute la clientèle du GMF n’a cependant pas accès sans frais aux services des physiothérapeutes et des psychologues. Seuls les moins nantis, sans assurance médicale, peuvent s’en prévaloir gracieusement.

Dre Julie Gauthier

Ce sont des surplus de budgets qui ont permis au GMF du Lac Saint-François de conclure, jusqu’au printemps 2016, une entente de services avec une clinique de physiothérapie et un cabinet de psychologues. Des cabinets externes, tient à souligner le Dr Leblanc, « qui n’entraînent aucun conflit ni manque d’espace au sein du GMF » (encadré). Que va-t-il se passer une fois l’accord arrivé à échéance ? « On espère trouver une solution avec le CSSS afin de prolonger ces services qui nous ont été bien utiles jusqu’ici et qui ont fait une nette différence auprès des patients concernés », affirme le médecin.

UN KINÉ QUOI ? Les médecins du GMF peuvent également adresser instantanément les personnes qui vivent un deuil, une dépression, une séparation ou une perte d’emploi au travailleur social du GMF. « Ce dernier reçoit les demandes du médecin directement par le logiciel du dossier médical électronique de la clinique. S’il y a débordement, le travailleur social peut adresser le cas à d’autres collègues, dans un autre GMF de la région ou au CLSC », explique le Dr Verreault. Les projets mis en place au sein de la Clinique GMF-Réseau Alma et du GMF Lac-Saint-Jean-Est prévoyaient qu’un patient puisse avoir droit à au moins douze rencontres avec un travailleur social. « Selon nos évaluations, il leur suffit bien souvent de sept, maximum huit rencontres, pour surmonter leur problème », indique Guylaine Roy, chef du Programme services généraux au CSSS de Lac-Saint-Jean-Est. Chaque travailleuse sociale voit en moyenne quatre patients par jour.

L’AIDE DE PSYCHOLOGUES ET DE PHYSIOTHÉRAPEUTES Obtenir un rendez-vous avec un psychologue au CLSC de la région de Salaberry-de-Valleyfield pouvait prendre de six à douze mois. « Depuis que le GMF du Lac Saint-François dispose d’une entente avec un cabinet de psychologues, ce temps d’attente a été réduit à moins de deux semaines », annonce fièrement le Dr Daniel Leblanc, responsable du GMF.

Comme ce fut le cas avec les infirmières, les médecins des GMF ayant expérimenté l’interdisciplinarité ont appris à mieux connaître, voire à découvrir les fonctions et les avantages des autres professionnels de la santé. C’est le cas notamment des médecins du GMF du Grand-Portage qui ont fait connaissance avec le kinésiologue Florian Delorme devenu rapidement un de leur plus précieux allié en clinique. « C’est génial, on offre un ‘‘coach’’ gratuit à nos patients. Cet expert en activité physique propose une évaluation globale au patient, en plus de faire un suivi. Il m’aide à faire bouger des patients, devant lesquels, je l’avoue, j’avais baissé les bras », rapporte la Dre Isabelle Lang, médecin responsable du GMF du Grand-Portage, à Rivière-du-Loup. La pratique de l’omnipraticienne a, de son propre aveu, littéralement changé. « D’abord, je gagne du temps. Je n’ai plus à consacrer quinze, voire vingt minutes à expliquer au patient l’importance de bouger pour sa santé. Ce qui me permet de voir plus de patients par jour, dont des nouveaux. Et bien que je ne puisse le quantifier, j’estime avoir diminué le nombre de prescriptions et avoir réduit les doses de médicaments

Des patients de ce groupe de médecine de famille peuvent, de la même manière, avoir accès gratuitement aux services d’un physiothérapeute. Depuis juin 2009, ce sont plus de 300 patients du GMF du Lac Saint-François, soit une cinquantaine par année, qui ont pu en profiter pour traiter leurs entorses à la cheville, à un genou ou leur douleur au dos. « Dans 85 % des cas, l’état du patient s’est amélioré. Dans les autres, l’état est demeuré stable, sans aucune détérioration », précise le Dr Leblanc. Dr Daniel Leblanc

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ENCADRÉ

OÙ TRAVAILLERONT TOUS CES PROFESSIONNELS ?

Où logera-t-on tous les professionnels de la santé qui se joindront à l’équipe médicale du GMF ? Voilà une question qui hante beaucoup de médecins, comme ceux du GMF de la clinique médicale d’Alma, où omnipraticiens et infirmières se trouvent déjà à l’étroit. Certains GMF, comme celui du Lac Saint-François, collaborent avec des professionnels dont les bureaux sont situés à l’extérieur de la clinique. Toutefois, les nouvelles orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) prévoient que cette formule ne sera plus possible. Que conseille alors le MSSS ? Le Dr Antoine Groulx, du Ministère, reconnaît qu’une analyse et une optimisation de la disponibilité des locaux et des horaires dans une clinique seront des pistes de solutions à envisager pour plusieurs GMF. « Certains locaux, par exemple, peuvent être plus achalandés pendant la journée du lundi au jeudi et moins occupés les vendredis, les soirs et les fins de semaine. Une révision des horaires et des locaux, en lien avec les besoins des patients, sera sans doute une avenue à évaluer. » Cette solution ne pourra cependant s’appliquer à tous les GMF. « La FMOQ discute actuellement avec le Ministère pour régler cette question. Le problème est moins une question financière, puisque la subvention que reçoivent les GMF couvre en partie les frais d’installation et de location de locaux, que de manque d’espace », explique Mme Marianne Casavant, conseillère en politiques de santé à la FMOQ.

de mes patients depuis l’arrivée du kinésiologue et de la nutritionniste », affirme la Dre Lang. Selon le kinésiologue Florian Delorme, les patients qui appliquent ses conseils sont moins essoufflés et éprouvent moins de raideurs dans leur quotidien. Il cite en exemple trois patients âgés, incommodés par une piètre condition physique. Ces derniers prévoyaient quitter leur maison pour aller dans une résidence. « À la suite des exercices prescrits, ils ont changé d’idée. » Au GMF Rocher-Percé, la kinésiologue, elle, participe activement à la réadaptation des patients ayant des problèmes musculo-squelettiques. « Elle leur fournit des programmes d’exercices adaptés à leur état. Elle participe également à la prise en charge globale des patients atteints de maladies chroniques, comme le diabète », indique le Dr Bernard Demers, médecin du GMF.

UNE PRISE EN CHARGE PLUS GLOBALE Ayant déjà vécu l’expérience de l’interdisciplinarité, tous les médecins joints ont largement salué l’introduction du nouveau cadre de gestion en GMF. Chacun a su tirer profit de cette nouvelle collaboration pour améliorer sa pratique. « Depuis que nous bénéficions des services d’un travailleur social, d’une nutritionniste et d’une kinésiologue, en plus des autres modifications de la pratique médicale telles que l’Accès adapté, je peux voir au moins deux ou trois patients de plus par jour », souligne la Dre Gauthier, du GMF Rocher-Percé. Non seulement ce travail d’équipe libère des plages horaires dans l’agenda des médecins, mais il permet de favoriser pleinement la prévention. « Cela me faisait de la peine de ne pouvoir consacrer suffisamment d’énergie à aider et à conseil­ ler les patients. Grâce à l’arrivée de ces professionnels en clinique, les patients peuvent désormais obtenir davantage

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de conseils pour prendre soin d’eux », indique la Dre Gauthier. Cette collaboration, ajoute-t-elle, permet également aux médecins d’échanger au quotidien avec d’autres professionnels. « Ce qui améliore la qualité de nos soins. » L’interdisciplinarité rend d’ailleurs plus efficace le traitement de maladies chroniques comme le diabète. « Le patient a une prise en charge plus globale et beaucoup plus rapide. En une semaine, il peut avoir accès aux différents intervenants, explique le Dr Sylvain Drapeau, qui pratique dans le même GMF que la Dre Gauthier. Ainsi, quand j’ai un patient diabétique, je m’occupe du traitement médical et de l’ajustement des médicaments. Je le dirige ensuite vers la diététiste, qui est ici avec nous. Puis, je vais le faire prendre en charge par l’infirmière, qui va pouvoir lui enseigner l’utilisation du glucomètre et la prise de glycémie. Chacun va s’occuper de son domaine. Avant, j’aurais dû voir ce patient à plusieurs reprises pour tout lui enseigner. Cette collaboration diminue de beaucoup mon travail. » Au GMF du Grand-Portage, à Rivière-du-Loup, la Dre Isabelle Lang apprécie elle aussi l’apport des autres professionnels de la santé pour le traitement du diabète. « Avoir une nutritionniste qui se déplace pour rencontrer les patients en clinique, tout comme le kinésiologue d’ailleurs, c’est rendre un bien meilleur service aux patients », souligne-t-elle. Le nouveau cadre de gestion en GMF, enchaîne la Dre Lang, ne peut aider qu’à « déshospitaliser » le système, qu’à améliorer les services offerts en première ligne. « En fait, ça va surtout nous permettre de déléguer tout ce qui est ‘‘délégable’’ ! » //

BIBLIOGRAPHIE 1. Gerteis J, Kantz B. Findings From the AHRQ Transforming Primary Care Grant Initiative: A Synthesis Report. Rockville : AHRQ Publication ; 2015. 40 p. Sites Internet : http://www.ahrq.gov/sites/default/files/wysiwyg/professionals/ systems/primary-care/tpc/tpc-synthesis-report.pdf ou http://tiny.cc/qnj47x (Date de consultation : le 13 janvier 2016)