Faire face à Boko Haram dans la région du lac Tchad

le développement de la pensée salafiste. ... principalement des soldats du Nigeria, principale puissance de la région23. ..... s'agit d'une mesure plus positive que négative, car sans celle-ci, Boko Haram serait ...... Migration-2015-13-29.pdf.
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Faire face à Boko Haram dans la région du lac Tchad : politiques, coopération et moyens de subsistance Omar S. Mahmood et Ndubuisi Christian Ani

RAPPORT DE RECHERCHE DE L’ISS Juillet 2018

Faire face à Boko Haram dans la région du lac Tchad : politiques, coopération et moyens de subsistance Rapport de recherche de l’ISS Omar S. Mahmood et Ndubuisi Christian Ani Juillet 2018

Rédigé à la demande du Bureau des initiatives de transition de l’USAID, le présent rapport constitue une initiative de recherche et de plaidoyer qui vise à sensibiliser le public et à alimenter le débat sur l’évolution des organisations extrémistes violentes dans le bassin du lac Tchad. Le Bureau des initiatives de transition de l’USAID a financé certaines sections spécifiques du rapport. Les opinions exprimées par les auteurs dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles du Bureau des initiatives de transition de l’USAID ou du gouvernement des États-Unis.

Matières Remerciements...........................................................................................................................................2 Résumé........................................................................................................................................................3 Introduction.................................................................................................................................................5 Méthodologie...........................................................................................................................................5 La région du lac Tchad : un aperçu............................................................................................................6 Une présence étatique faible et une gouvernance limitée..........................................................................6 Le sous-emploi et le sous-développement...............................................................................................7 Désertification et pressions environnementales.........................................................................................8 Le contexte social et religieux...................................................................................................................8 Les efforts régionaux et nationaux dans la lutte contre Boko Haram................................................... 10 Les interventions militaires régionales : la FMM et les opérations conjointes........................................... 11 Ripostes militaires au niveau national...................................................................................................... 12

Le Nigeria.......................................................................................................................................... 12



Le Cameroun.................................................................................................................................... 14

Les initiatives non-militaires..................................................................................................................... 17 Les populations locales face aux restrictions liées à la sécurité............................................................... 17

Le gouvernement est-il en train de perdre la bataille des relations publiques ?................................... 18

Les comités de défense et les groupes d’autodéfense............................................................................ 19

Les groupes d’autodéfense dans le Nord du Cameroun.................................................................... 21

Le défi de la réintégration des anciens militants repentis......................................................................... 22 Les politiques de reconstruction............................................................................................................. 24 Conclusion................................................................................................................................................. 25 Recommandations.................................................................................................................................... 26 À l’attention des acteurs nationaux......................................................................................................... 26 À l’attention des partenaires internationaux............................................................................................. 27 Notes.......................................................................................................................................................... 28

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Remerciements L’ISS souhaite remercier le Dr Christian Pout et le Centre africain d’études internationales diplomatiques économiques et stratégiques (CEIDES) pour leur travail de terrain réalisé dans le Nord du Cameroun. Le Dr Ousman Ramadani Zakaria du Centre tchadien des études stratégiques et analyses perspectives (CETES) a également apporté une contribution essentielle concernant le Tchad. L’ISS remercie tout particulièrement Timothy Ali Yohanna de la Grassroots Researchers Association (GRA) pour son soutien inestimable pendant les recherches de terrain au Nigeria. Sans son aide dévouée, de nombreux entretiens clés n’auraient pu être effectués. L’ISS tient également à remercier Chitra Nagarajan et Abdul Kader Naino pour leur relecture d’une version préliminaire de ce rapport. Leurs critiques et suggestions en ont considérablement amélioré le contenu.

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FAIRE FACE À BOKO HARAM DANS LA RÉGION DU LAC TCHAD : POLITIQUES, COOPÉRATION ET MOYENS DE SUBSISTANCE

Résumé Ce rapport, réalisé par l’Institut d’études de sécurité (ISS), est le deuxième d’une recherche en deux volets sur la dynamique des organisations extrémistes violentes (OEV) qui opèrent actuellement dans la région du lac Tchad (Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger). Une première analyse porte sur les dissensions au sein de Boko Haram, tandis que la seconde s’intéresse aux mesures adoptées et aux défis actuels. La région du lac Tchad présente un certain nombre de caractéristiques qui favorisent la présence d’acteurs non étatiques. Aucune d’elles n’explique à elle seule l’émergence et l’essor de Boko Haram dans la région, d’où l’importance de comprendre le contexte dans sa globalité pour mieux appréhender le groupe lui-même. Parmi les principaux éléments qui ont favorisé l’essor de Boko Haram, l’on peut citer une présence étatique limitée, alliée à une mauvaise gouvernance, au sous-développement et au chômage, aux contraintes environnementales exacerbées par le recul des eaux du lac Tchad et la désertification, et à une tradition islamique profondément ancrée dans le conservatisme. Bien que ces facteurs définissent le contexte général dans lequel Boko Haram a opéré et prospéré, les mesures adoptées pour le contrer ont différé dans la région. La mise en place de la Force multinationale mixte (FMM) a joué un rôle déterminant sur le plan de la coordination militaire, mais celle-ci s’est en grande partie limitée à ce secteur et plus précisément à l’organisation d’opérations militaires conjointes dans les zones frontalières. Pourtant, certains effets positifs du renforcement de la coopération militaire ont commencé à se faire sentir. En outre, les forces nigérianes ont entrepris plusieurs offensives sur leur territoire. Toutefois, il reste à voir dans quelle mesure l’armée a pris la mesure de la scission ayant affecté Boko Haram et adapté ses méthodes de travail en conséquence. L’attention des forces armées semble jusqu’ici s’être davantage concentrée sur la faction Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati wal - djihad (JAS) et son chef Abubakar Shekau, que sur l’État islamique d’Afrique de l’Ouest (EIAO), bien que depuis peu la même vigilance s’exerce vis-àvis des deux factions. Au Cameroun, deuxième pays le plus touché par les violences militantes, la riposte a mobilisé les acteurs de la sécurité à tous les niveaux, ce qui a également permis à l’État de restructurer et de renforcer sa présence dans des communautés frontalières jusque-là laissées pour compte. Quelques initiatives non militaires ont été menées ponctuellement, mais sans grande coordination au niveau régional, malgré les efforts de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT). Ces efforts ont d’ailleurs permis d’identifier d’importants obstacles à cet égard. Le présent rapport met en exergue un certain nombre de préoccupations, dont en premier lieu celle de s’assurer que les considérations sécuritaires ne portent pas atteinte aux moyens locaux de subsistance. Étant donné la précarité de ces moyens de subsistance dans la région du lac Tchad, en particulier pour les personnes déplacées, certaines politiques gouvernementales ou certaines initiatives militaires pourraient avoir des répercussions négatives inattendues sur les populations civiles. Bien que décidées pour des questions de sécurité, les restrictions de circulation ou de transport et la limitation de certaines activités commerciales ont pour effet de renforcer la dépendance de ces populations et d’empêcher la région de se relever du conflit. Des organisations d’autodéfense étaient déjà implantées dans toute la région du lac Tchad avant la crise liée à Boko Haram, mais elles ont, depuis, gagné en importance. De nombreuses interrogations demeurent néanmoins quant à leur avenir, compte tenu des attentes des membres mêmes de ces milices, au vu de leur

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implication dans la lutte et des sacrifices qu’ils consentent. La faible présence étatique a rendu nécessaire le recours à ces milices, mais des services de base devront être rétablis et renforcés pour faire en sorte que les miliciens demeurent des membres productifs de la société. Au cours des dernières années, un nombre important d’anciens combattants ont quitté l’une ou l’autre des factions de Boko Haram. Cependant, la réintégration de ces individus constitue un défi de taille que les pays de la région ont traité différemment. Pour être couronné de succès, tout projet de réintégration doit prendre en compte les besoins des communautés locales. Il s’agit-là d’un test décisif pour évaluer la capacité de la région à mettre un terme à ce chapitre violent de son histoire. Enfin, de nombreuses zones de la région du lac Tchad, en particulier l’État de Borno au Nigeria, ont été dévastées par le conflit. Les efforts de reconstruction en cours sont de plus instrumentalisés à des fins politiques alors que le pays se prépare aux élections générales et régionales (au niveau des États) qui auront lieu début 2019. Les dirigeants nationaux, régionaux et locaux ne doivent pas laisser le calendrier électoral compromettre les projets visant à résoudre le conflit durablement en leur substituant des mesures à court-terme et superficielles. De telles mesures, bien que pouvant leur apporter un gain politique, ne contribueraient guère au relèvement du pays à long terme. La réponse à la crise provoquée par Boko Haram constitue un véritable test pour les pays de la région qui doivent se remettre des destructions subies au cours des dernières années, mais qui, plus important encore, doivent également pourvoir aux besoins de leurs citoyens. Alors que la scission de Boko Haram a entraîné l’apparition d’une faction (l’EIAO) désireuse de fonder une nouvelle relation avec les populations civiles, les gouvernements de la région doivent faire en sorte que leurs initiatives supplantent celles des militants. Ces mesures doivent donner un nouvel élan au pacte social liant les citoyens et leurs gouvernements respectifs à travers la région du lac Tchad, pour qu’à long terme le militantisme islamiste ne soit plus vu comme une alternative attrayante.

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Introduction Ce rapport est le deuxième d’une recherche en deux volets visant à combler les lacunes dans la compréhension des organisations extrémistes violentes qui opèrent actuellement dans la région du lac Tchad. Le premier étudie les trajectoires des deux factions depuis leur scission, en s’intéressant plus particulièrement aux répercussions sur les populations civiles. Le second examine les principaux facteurs qui ont favorisé l’émergence de groupes militants dans la région, avant d’analyser les réponses des gouvernements de la région et de leurs forces armées aux défis posés par ces groupes. Une attention toute particulière est portée aux impacts de ces réponses gouvernementales sur les populations civiles. Par souci de simplicité, le rapport établit une distinction entre les factions de Boko Haram dirigées respectivement par Barnawi et Nur et par Shekau : la première est dénommée État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et la seconde Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awati waldjihad (JAS).

Méthodologie L’Institut d’études de sécurité (ISS) a entrepris des recherches documentaires approfondies, qui s’appuient sur des sources secondaires telles que la couverture médiatique locale, des articles académiques et d’autres rapports sur les dynamiques de conflit dans la région du lac Tchad. En outre, l’équipe de recherche a eu recours à des sources primaires telles que des mises à jour émanant de l’armée et des messages provenant des acteurs extrémistes violents eux-mêmes. L’ISS a également utilisé des données quantitatives afin d’établir une approche fondée sur des méthodes mixtes, s’appuyant sur une base de données dans laquelle sont répertoriés les incidents violents attribuables à Boko Haram. Cette base de données permet d’analyser les tendances des conflits et de les recouper avec d’autres outils similaires1. L’ISS et ses partenaires ont complété leur recherche documentaire avec des visites de terrain au Nigeria (Abuja et Maiduguri), au Cameroun (Maroua, Mora et Kolofata) et au Tchad (N’Djamena) durant les mois de mars et avril 2018. Afin de s’assurer de la solidité et de la cohérence de sa démarche régionale, l’ISS s’est également appuyé sur des travaux de terrain antérieurs menés dans la région de Diffa au Niger, en plus d’entretiens de suivi réalisés auprès de résidents de Diffa et de Niamey. La recherche de terrain a été combinée à un examen documentaire afin de trianguler les informations. Des relectures ont également été effectuées par des pairs et des examinateurs externes pour valider les analyses. Au total, ce sont plus de 75 entretiens qui ont été conduits dans les quatre pays de la région du lac Tchad, y compris avec des représentants gouvernementaux, du corps diplomatique, des officiers de l’armée et de la police, des membres d’organisations humanitaires, de la société civile, de groupes d’autodéfense, ainsi qu’avec des chefs traditionnels et des chercheurs. Au cours du séjour de recherche entrepris au Nigeria, 45 répondants additionnels, originaires de huit districts de l’État de Borno durement touchés par le conflit, ont été interrogés2. Ils provenaient notamment des districts de Mobbar, Magumeri, Bama, Dikwa, Damboa, Gwoza, Ngala et Konduga. L’objectif était d’assurer une représentation géographique équilibrée et d’obtenir des témoignages directs de la part des populations les plus affectées par le conflit. Les entretiens ont été principalement menés sur une base individuelle, bien que des groupes de discussion aient été organisés à l’occasion. Un questionnaire ouvert et semi-structuré a été soumis aux personnes interrogées, afin de leur permettre de s’exprimer librement. Leur identité a été gardée confidentielle afin de les protéger et de préserver le caractère anonyme des informations fournies.

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La région du lac Tchad : un aperçu La région du lac Tchad est un ensemble géographique qui couvre certaines parties du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun. Les liens qui unissent les populations de cette région transcendent les frontières nationales qui leur ont été imposées. C’est dans cet espace que Boko Haram a pu prospérer, profitant de l’existence de problèmes communs, mais variables, à ces quatre États. Si aucun facteur ne peut à lui seul expliquer la plus récente apparition du militantisme islamiste qui touche la région, il est important d’en comprendre le contexte et l’environnement afin de mieux cerner le mouvement.

Une présence étatique faible et une gouvernance limitée Il est important de noter que les zones d’action des deux factions de Boko Haram sont situées à la périphérie des pays où elles sont basées (Nord-Est du Nigeria, région de Diffa au Niger, province de l’Extrême-Nord du Cameroun, région du lac Tchad au Tchad), et que les liens qui les unissent sont plus étroits que ceux qui les attachent à leurs capitales. Historiquement, beaucoup des communautés qui les habitent n’ont eu que des interactions limitées avec les gouvernements de leurs États, d’où la faiblesse de leurs relations avec les autorités3. Ce désintérêt a suscité un sentiment de marginalisation et de rupture avec l’État, d’où la faiblesse de ces relations. Là où l’État était présent, les accusations, avérées ou non, de corruption, combinées à la mauvaise gestion généralisée, ont renforcé l’idée que le rôle du gouvernement n’était pas d’être au service des populations. Finalement, ces pratiques ont érodé le sentiment d’allégeance envers l’État et ont pu générer une vive opposition à son égard, un grand nombre d’individus préférant « faire cavalier seul ». Ce sentiment est confirmé par divers indicateurs. Ainsi, l’édition 2017 de l’Indice de perception de la corruption, un projet porté par l’ONG Transparency International, place le Nigeria, le Cameroun et le Tchad parmi les pays les plus mal classés, seul le Niger obtenant un score supérieur à 112 sur 1805. Par ailleurs, les nombreuses accusations d’abus envers des civils par les forces de sécurité alimentent le ressentiment à l’égard des gouvernements6. Conséquence de cet état de fait, la faible présence étatique a, au fil des ans, permis à des réseaux criminels d’opérer dans les régions frontalières, et ce, avant même l’apparition de Boko Haram. En effet, la région du lac Tchad était déjà connue pour être un haut lieu du crime organisé, l’absence de l’État en faisant un véritable refuge pour les organisations criminelles violentes. Aujourd’hui encore la contrebande y est très répandue, y compris les trafics de produits de consommation courante (alimentés par les différences de prix d’un pays à l’autre), de véhicules, de cigarettes, de médicaments contrefaits ou non, d’armes (surtout légères), de drogues, etc.7 Le banditisme y est également fréquent, au point que le Cameroun a développé une unité spéciale, la Brigade d’intervention rapide (BIR), pour y remédier. Par ailleurs, l’idée de créer une force régionale selon un modèle semblable à l’actuelle Force multinationale mixte (FMM) remonte aux années 1990 et aux efforts pour lutter contre les activités criminelles dans la région8. Outre les acteurs criminels, des groupes armés ont également profité de l’absence de l’État, bien avant la création de Boko Haram, pour établir leurs sanctuaires dans la région. Par exemple, le lac Tchad a été la base arrière du Mouvement pour la démocratie et la justice (MDJ), qui ciblait le gouvernement tchadien dans les années 1990.

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C’est donc la combinaison de la défection de l’État, de la mauvaise gouvernance caractérisée par la corruption et de la mauvaise gestion des ressources dans les rares zones où l’État est présent qui offre un terrain propice aux comportements antiétatiques. Si l’on tient également compte des particularités géographiques de la région – les eaux du lac Tchad sont difficiles à contrôler de fait de leur superficie –, de la porosité des frontières internationales et de l’intensité des liens transfrontaliers, il n’est pas surprenant que cette région ait offert, avant même l’apparition de Boko Haram, un environnement favorable aux acteurs qui souhaitaient l’utiliser comme base arrière pour contester l’autorité étatique9. Chercheur local au sujet de l’isolement de certaines communautés au Tchad Au Tchad, les personnes interrogées par l’équipe de recherche ont noté que les communautés habitant sur les nombreuses îles du lac Tchad, comme les Boudouma, étaient isolées et bénéficiaient peu des services de base publics. Les populations ne connaissent que très peu les autorités administratives locales et le pays auquel elles appartiennent. Elles sont surtout au fait des structures traditionnelles de gouvernance. Certaines des personnes interrogées dans les camps de personnes déplacées ne connaissaient même pas les couleurs du drapeau tchadien, qu’elles n’ont vu pour la première fois que lorsqu’elles ont dû quitter leur lieu de résidence pour fuir les combats entre les insurgés de Boko Haram et l’armée tchadienne.

Le sous-emploi et le sous-développement La négligence de l’État a pour conséquence la précarité économique. Les pressions environnementales sur le lac Tchad (voir ci-dessous), le chômage et le manque de services publics contribuent au cycle de la pauvreté et du sous-développement. Les taux de pauvreté dans la région tendent à être élevés, en particulier si on les compare aux autres régions. Par exemple, le taux de pauvreté dans l’État de Borno au Nigéria – épicentre de la crise de Boko Haram – a été mesuré dans une étude de 2017 à 70 %, un taux significativement plus élevé que dans de nombreux États du Sud du pays où il est parfois inférieur à 20%10. Certains acteurs non étatiques, comme Boko Haram, ont pu profiter des privations des populations locales en leur offrant, entre autres, des contreparties financières, afin de les attirer dans leurs rangs. D’autres mesures incitatives, comme des récompenses matérielles ou financières provenant du partage des butins du groupe, contribuent également à renforcer cette dynamique. Bien que, dans le contexte actuel, il ne soit pas certain que l’EIAO et le JAS puissent poursuivre ces recrutements contre rétribution, cette approche a, sans aucun doute, été à un moment donné un facteur de motivation pour des individus. Le sous-développement de l’Extrême-Nord du Cameroun : les commentaires de chercheurs locaux La région de l’Extrême-Nord du Cameroun incarne les vulnérabilités engendrées par le sousdéveloppement. Avec près de quatre millions d’habitants, elle est la plus peuplée du Cameroun. C’est aussi la plus pauvre, avec 74 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, contre une moyenne nationale de 37,5 %11. Dans la région, comme dans le reste du pays, le sous-emploi touche plus de 75 % des jeunes. La pauvreté incite ces derniers à considérer les opportunités offertes par le groupe terroriste12. Le sous-développement de l’Extrême-Nord se traduit par un accès limité des habitants aux services de base, tels que les soins de santé et l’éducation. Dans cette région, où vivent 17,9 % des Camerounais, le taux d’alphabétisation est l’un des plus bas du pays. Les communautés de l’Extrême-Nord se méfient généralement du système éducatif occidental et les parents préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles coraniques et leur transmettre par la suite leurs métiers. Du fait de la sous-scolarisation qui touche plus particulièrement les zones rurales et les communautés situées le long de la frontière avec le Nigeria, une part importante de la population de la région peut lire et écrire le Coran mais ne parle aucune des deux langues officielles du pays. De plus, faute de formation professionnelle, les jeunes se tournent vers la contrebande de produits contrefaits en provenance du Nigeria. Pourchassés par la police, ils doivent souvent négocier avec celle-ci pour récupérer leurs biens saisis ou pour éviter d’être arrêtés. Tout cela engendre un climat de méfiance et de haine.

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L’insuffisance de la présence de l’État et le sous-développement sont flagrants dans les communautés frontalières. Le marché local n’y a lieu qu’une fois par semaine, à la convenance de certains commerçants itinérants. Sur le plan économique, le Nigeria offre plus de débouchés dans ces régions que le Cameroun. La monnaie utilisée est le naira nigérian : son cours influence le prix des marchandises et tous les habitants, y compris les femmes âgées et les enfants, en connaissent le taux de change. Dans certaines localités comme Makary, Hilé Alifa et Blangoua, les fonctionnaires doivent changer leur salaire en nairas afin de pouvoir l’utiliser. C’est dans ces zones qui échappent au contrôle des autorités que Boko Haram s’est installé en s’appuyant sur l’éloignement de l’État. Le groupe a réussi à se substituer à l’État dans les zones entourant le lac Tchad (où les autorités n’avaient même pas pris la peine d’établir une présence militaire ou policière) en exerçant une forme d’autorité basée sur la force et la déstabilisation.

Désertification et pressions environnementales La région du lac Tchad souffre également d’énormes pressions environnementales, exercées par l’assèchement des eaux du lac au cours des dernières années et l’augmentation de la population de la région qui devrait doubler au cours des 25 prochaines années13. Cette dégradation environnementale a un impact à la fois sur les moyens de subsistance et sur les mouvements migratoires. Environ 60 % de la superficie du lac Tchad se situe dans le Sahel, un écosystème touché de plein fouet par les changements climatiques et l’impact des activités humaines sur l’environnement, telles que la déforestation, la désertification et la diminution de la biodiversité. En moins d’un demi-siècle, le lac Tchad a perdu près de 90 % de sa superficie en eau14. La carte des isohyètes annuelles montre une chute des précipitations annuelles et un déplacement des pluies vers le sud ainsi qu’une augmentation spectaculaire des températures moyennes15. Le déboisement à des fins agricoles et la déforestation à des fins domestiques (bois de chauffage) viennent s’ajouter aux dégradations environnementales. La forte demande de terres à usage agricole a réduit les superficies et la durée des jachères avec pour principale conséquence l’augmentation de l’érosion causée par le vent et l’eau. À cela s’ajoutent les épisodes de sécheresse extrême, comme au Sahel en 1973 et en 198416. Le couvert végétal dans un rayon de plus de 150 km autour du lac Tchad a disparu, soumettant les terres agricoles, les pâturages et les eaux de surface aux effets néfastes de la désertification. La précarité des équilibres géographique, écologique et socio-économique de la région a engendré d’importants mouvements de population dans les quatre pays riverains du lac Tchad, provoquant des bouleversements démographiques. Certaines communautés riveraines du lac se sont déplacées pour continuer à pratiquer la pêche et l’agriculture, entraînant des mouvements transfrontaliers et une intensification des relations interethniques17. En outre, la raréfaction des ressources naturelles et la forte croissance démographique ont exposé les communautés à la pauvreté, aux privations et aux conflits entre éleveurs, agriculteurs et pêcheurs18. Bien que le lien direct entre pauvreté et insécurité soit ténu, la situation actuelle offre aux acteurs non étatiques la possibilité de canaliser le mécontentement des personnes touchées par la précarité de leurs moyens d’existence, ainsi que par le manque d’alternatives et la faiblesse du soutien des pouvoirs publics19.

Le contexte social et religieux La région du lac Tchad est dotée d’une forte tradition religieuse, l’introduction de l’islam remontant à plusieurs siècles. Le Nord du Nigeria, en particulier, a connu au cours de son histoire différents mouvements de renouveau religieux, allant du djihad peul de Dan Fodio au début des années1800, aux soulèvements des Maitatsine à Kano dans les années 1980 et à l’émergence des prêches antigouvernementaux de Muhammad Yusuf à Maiduguri dans les années 2000. Toute mode ou tout phénomène populaire au Nigeria tend à se propager dans la région du lac Tchad, comme en témoignent le succès du mouvement réformiste et anti-soufi Izala au Niger et les racines du fondateur du mouvement Maitatsine, Mohammed Marwa, dans

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le Nord du Cameroun. Ces liens sont renforcés par les fréquents déplacements des étudiants du Cameroun, du Niger et du Tchad au Nigeria pour parfaire leur éducation religieuse. Au Nigeria, la colonisation britannique a laissé intactes de nombreuses institutions locales dans le Nord du pays, ce qui a permis à des systèmes éducatifs, tels que le modèle tsangaya, de subsister. Ce système scolaire islamique, qui donne la priorité à la mémorisation du Coran, a laissé nombre de musulmans du Nord du Nigeria peu préparés à un État nigérian postcolonial. Dans les années 1960, Abubakar Gumi, Grand Khadi de la région du Nord, a commencé à promouvoir le développement de la pensée salafiste. Elle a donné naissance, dans les années 1970, au mouvement Izala, caractérisé par la haine des soufis et des bida, ou tout ce qu’il considérait comme des innovations outrepassant le Coran. Dans les années 1990, certains religieux salafistes ayant suivi un enseignement en Arabie saoudite sont revenus pour plaider en faveur de formes plus pures de salafisme, affirmant que le mouvement Izala n’était pas conforme aux grandes institutions salafistes. Dans les années 2000, Ja’afar Mahmud Adam, ecclésiastique populaire et mentor de Muhammad Yusuf, s’est rendu célèbre en plaidant pour un engagement politique. Lors d’une série de conférences publiques données au milieu des années 2000, il a publiquement exprimé son désaccord avec son ancien disciple Yusuf, ce qui a entraîné son assassinat en 2007, probablement sur ordre de ce dernier. Yusuf a, à son tour, préconisé une opposition active sur des questions très spécifiques comme l’éducation occidentale ou la participation démocratique, tout en insistant sur le fait que la voie du changement passait par le djihad. Avec la mort de Yusuf, Abubakar Shekau a pris le contrôle du mouvement, le conduisant sur la voie de l’expansion de la violence. En ce sens, les racines idéologiques du mouvement dont provient Boko Haram sont à rechercher en grande partie dans ce courant salafiste du Nord du Nigeria dont le conservatisme ne cesse de s’accentuer depuis l’indépendance. Les enseignements de Yusuf et l’apparition de Boko Haram constituent les manifestations les plus récentes et les plus violentes de ce phénomène, mais appartiennent aussi à une tendance plus large. Celle-ci traverse d’autres parties de la région du lac Tchad, jouant des influences et des liens transfrontaliers, tout en illustrant la longue tradition de conservatisme religieux de la zone.

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Les efforts régionaux et nationaux dans la lutte contre Boko Haram Les facteurs exposés ci-dessus illustrent la région du lac Tchad et les vulnérabilités que les acteurs non étatiques, y compris Boko Haram, ont été en mesure d’exploiter. Ces vulnérabilités doivent être prises en compte quand on examine les efforts pour lutter contre Boko Haram et son expansion dans la région, sujet sur lequel portera le reste du rapport. Avant même d’étendre ses attaques au-delà des frontières nigérianes (voir le premier volet de la recherche pour un aperçu des activités du groupe dans chaque pays de la région), Boko Haram entretenait déjà des liens transfrontaliers dans la région du lac Tchad. Ces liens se sont maintenus malgré la scission du groupe en deux factions. Du côté des gouvernements, la coopération régionale nécessaire pour contrer la menace que représente le groupe n’a pas toujours été de mise. A ses débuts, Boko Haram était plutôt considéré comme un problème exclusivement nigérian, compte tenu de ses origines et de sa zone d’opération20. L’expansion continue du groupe démontre pourtant l’évidence des interconnections au-delà les frontières des pays de la région et souligne la difficulté d’empêcher la propagation des violences d’une zone à une autre. La coopération entre les pays de la région du lac Tchad est restée limitée jusqu’à l’élection du président nigérian Muhammadu Buhari, début 2015. L’arrivée au pouvoir de Buhari a marqué un tournant décisif, celuici ayant pour priorité de redynamiser les relations avec les pays voisins du Nigeria, se rendant au Niger et au Tchad lors de ses premiers voyages officiels à l’étranger, afin de mobiliser des appuis pour mettre en place une riposte concertée à la menace de Boko Haram. La FMM, force régionale chargée de combattre Boko Haram, est devenue opérationnelle après l’élection de Buhari en 2015 et a permis de freiner son expansion dans toute la région. Toutefois, la plupart des efforts régionaux déployés jusqu’ici ont été consacrés au renforcement de la coordination des opérations militaires. Aucune réelle stratégie régionale sur les aspects non militaires n’a été élaborée, en dépit des liens existant à travers la région et de la menace commune à laquelle elle est confrontée. Cette lacune pourrait toutefois être comblée, car la Commission du bassin du lac Tchad a organisé depuis fin 2017 deux ateliers régionaux sur l’élaboration d’une stratégie régionale de stabilisation. Par ailleurs, un nouvel organe, le Forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad, a été créé en mai 2018 dans le but de renforcer la coordination sous-nationale dans la région21. Court historique de la FMM et de son déploiement Avant l’apparition de Boko Haram, la Commission du bassin du lac Tchad avait créé en 1994 une Force multinationale conjointe de sécurité, avec pour mandat de lutter contre le banditisme et de permettre la libre circulation des personnes dans la région du lac Tchad22. La force était toutefois composée principalement des soldats du Nigeria, principale puissance de la région23. En 1998, elle a été consolidée afin de faire face aux incidents transfrontaliers et a intégré le Tchad et le Niger. Les opérations se limitaient néanmoins aux frontières nationales24. En avril 2012, lorsque la rébellion de Boko Haram a pris de l’ampleur, le mandat de la force a été revu pour se concentrer sur cette nouvelle menace. Ce n’est pourtant qu’en octobre 2014 qu’elle a été

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réactivée pour combattre le groupe, rebaptisée à cette occasion « Force multinationale mixte » (FMM). Ce changement répondait à la nécessité de riposter à la prise de contrôle par Boko Haram de pans entiers de l’État de Borno et à la menace de voir le groupe étendre davantage son emprise. La FMM est composée de soldats provenant du Nigeria, du Niger, du Cameroun, du Tchad et du Bénin. En janvier 2015, son quartier général a été transféré à N’Djamena, au Tchad, mais, jusqu’ici, elle a été dirigée uniquement par des officiers nigérians. L’Union africaine (UA) a soutenu la mission en autorisant son déploiement et en mobilisant en sa faveur les appuis internationaux25. La FMM offre un cadre de coopération militaire dans la région, bien que cette coopération puisse fluctuer. La distinction entre les opérations militaires au niveau national et celles de la FMM peut également être floue, les forces armées de chaque pays menant chacune de leur côté des opérations anti-Boko Haram en dehors du cadre de la FMM. Dans l’ensemble, il est néanmoins possible de dire que la coopération s’est considérablement améliorée dans la région, y compris dans les opérations transfrontalières26. En ce sens, la FMM a eu un impact manifeste dans la lutte contre Boko Haram, ouvrant la voie à une coopération régionale axée sur les opérations militaires, mais pouvant éventuellement s’étendre à d’autres domaines.

Les interventions militaires régionales : la FMM et les opérations conjointes La FMM a effectué quelques opérations majeures pour contrer Boko Haram. La scission du groupe en deux factions a eu un impact sur la mission, l’une de ses plus importantes opérations, baptisée « Gama Aiki » (« Terminer le travail » en langue haoussa), ayant été lancée en juin 2016 en réponse à l’attaque dévastatrice à Bosso, au Niger (pour une analyse de cette attaque et du mode opératoire de l’EIAO, dont la création n’était pas encore publique à cette époque moment, voir la première partie de l’étude). À la suite de cet incident, des troupes tchadiennes ont été déployées au Niger, ce qui témoigne à la fois du niveau de coopération militaire face à la menace commune que représentent les groupes extrémistes violents sévissant dans la région du lac Tchad, mais aussi du rôle central que les forces armées tchadiennes ont joué dans le lancement des opérations militaires contre les militants. L’opération Gama Aiki s’est prolongée jusqu’en septembre 2016 puis a été remplacée par l’opération Rawan Kada (« La danse du crocodile », également appelée « Gama Aiki II »). Rawan Kada a davantage mis l’accent, toujours dans la même zone, sur les efforts de stabilisation27. La concentration des deux opérations sur la zone du lac Tchad et sur la frontière entre le Niger et le Nigeria semble indiquer que la FMM a principalement combattu les militants de l’EIAO, alors que les opérations conjointes des armées camerounaise et nigériane, conduites plus au sud, auraient plutôt ciblé le JAS (voir ci-dessous). L’opération Rawan Kada s’est achevée mi-2017, la FMM affirmant que ses objectifs avaient été atteints. La fin de l’opération a coïncidé avec le retrait des troupes tchadiennes stationnées au Niger28. Le Tchad a expliqué ce retrait par son implication le long de la frontière libyenne dans le cadre de la nouvelle force du G5 Sahel, laquelle pèse lourdement sur ses capacités, nécessitant une réduction de ses effectifs militaires au Niger29. Aucune opération de l’ampleur de celle de Bosso n’a été lancée par l’EIAO depuis juin 2016, signe du succès relatif des opérations de la FMM. Pourtant, des attaques de moindre envergure se poursuivent et les militants conservent certains de leurs fiefs dans le Nord de l’État de Borno et certaines zones du lac Tchad, d’où ils mènent de fréquentes incursions de l’autre côté de la frontière nigérienne. Ces violences témoignent des limites de ce succès et de la nécessité d’une pression militaire continue dans la région. La FMM a annoncé en avril 2018 le lancement de l’opération Anmi Fakat dont l’objectif est de consolider les acquis de Rawan Kada30. Cette opération n’en étant qu’à ses débuts, il est trop tôt pour évaluer son impact sur les actions de l’EIAO dans la région. La coopération militaire le long de la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, à proximité des zones d’influence du JAS, s’est effectuée à la fois dans le cadre de la FMM et au niveau bilatéral. Par exemple, les forces camerounaises ont pris part en février 2016 à des combats en territoire nigérian à Ngoshe et ont

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participé, dans le cadre de l’opération Deep Punch 2, à une opération de ratissage dans la forêt de Sambisa au Nigeria, pour laquelle 497 soldats camerounais avaient été positionnés à l’avance, à Pulka, à 12 km de Kerawa31. L’opération Thunder 1, qui a débuté en décembre 2016, a également été menée avec le concours des armées nigériane et camerounaise le long de la frontière, près des monts Mandara où les militants se réfugiaient. Le Nigeria a récemment invité les troupes camerounaises à intervenir sur le sol nigérian dans le cadre de l’opération Lafiya Dole, une opération militaire intérieure contre Boko Haram32. Au début de l’année 2018, des troupes camerounaises étaient déployées dans la région de Gwoza, et l’armée nigériane a reconnu le rôle joué par les forces camerounaises dans la réouverture de l’axe routier menant à Banki33. Cette coopération s’est étendue, en particulier vers les pays dont les troupes sont déployées au Nigeria dans le cadre de la FMM, ce qui représente un changement spectaculaire par rapport à il y a quelques années seulement. Ainsi, en avril 2018, l’armée de l’air nigériane a effectué un raid dans le Nord de l’État de Borno, sur la base de renseignements d’un avion de reconnaissance nigérien. Toujours en avril 2018, trois soldats tchadiens ont été tués en territoire nigérian dans le district d’Abadam, signe d’une coordination naissante34.

Ripostes militaires au niveau national Au niveau national, les pays du bassin du lac Tchad ont entrepris diverses initiatives militaires pour affaiblir Boko Haram. Les attaques du groupe se produisant majoritairement au Nigeria et au Cameroun, cette section se concentrera sur les réponses sécuritaires de ces deux pays.

Le Nigeria Au Nigeria, l’armée a entrepris, par l’intermédiaire de l’opération Lafiya Dole, une série d’actions à l’encontre des deux groupes. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure elle a pu tirer parti de la scission ou à tout le moins intégrer ce nouveau paramètre dans sa planification opérationnelle, chaque groupe ayant des tactiques bien distinctes35. Les militaires ont dans un premier temps réussi à reconquérir le territoire que contrôlait Boko Haram, mais une sorte de statu quo s’est installé depuis lors, avec de modestes avancées. La reprise de nombreuses grandes villes a permis un retour progressif des civils et des autorités administratives dans certains districts. Cette dynamique s’est toutefois limitée aux centres urbains, la sécurité dans la plupart des districts ruraux de Borno restant trop incertaine36. Certains craignent ainsi que l’armée n’applique une stratégie de « villes garnisons » et ne déserte les campagnes37. L’armée a également donné la priorité à la sécurisation des voies de transport, comme en témoigne la réouverture, en mars 2018, de l’axe routier reliant Maiduguri à Banki. Pourtant, les militants demeurent en mesure de mener des attaques tant le long des routes rouvertes que contre les centres urbains libérés. Au début de 2018, le président Buhari a toutefois créé la controverse en approuvant le retrait d’un milliard de dollars du compte d’excédent du pétrole brut du pays, notamment pour acheter du matériel militaire afin de relancer la lutte contre le militantisme islamique38. L’objectif est d’affaiblir le groupe à un niveau tel que la sécurité puisse s’améliorer également dans les zones rurales. Les forces terrestres ont joué un rôle crucial dans la riposte militaire, en particulier dans la zone centresud de l’État de Borno, où plusieurs incursions dans la forêt de Sambisa ont pu être effectuées grâce aux opérations Deep Punch I et II. De leur côté, les forces aériennes n’ont pas été en reste avec le lancement d’une série d’opérations baptisées « Ruwan Wuta » (« Pluie de feu »), dont l’importance est aussi à souligner. Avec le manque d’informations sur la situation des secteurs nord de l’État de Borno et notamment des districts de Marte et d’Abadam qui demeurent inaccessibles, il est difficile de dresser un bilan de la campagne menée contre l’EIAO39. On sait cependant que plusieurs frappes aériennes ont visé ces zones au cours des 18 derniers mois et certains accidents tragiques, tels que le bombardement malencontreux d’un camp de personnes déplacées à Rann en janvier 2017, ont démontré les risques inhérents à cette approche40.

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Les principales opérations de l’armée nigériane contre Boko Haram depuis août 2016 Depuis mai

Niger

Last Hold

Objectif : retour des personnes déplacées et reprise des activités économiques | Lac Tchad

Tchad

2018 Fév.

Ruwan Wuta IV Frappes aériennes | Bordure nord du lac Tchad

État de Borno

Nigeria

Déc.

Ruwan Wuta III

Oct.

Ruwan Wuta II

Depuis oct.

2017 Aoûtsept.

Juill.

Avril

Nov.

2016 Oct.

Cameroun

Frappes aériennes | District de Monguno

Frappes aériennes | Sambisa et district de Damboa

Deep Punch II

Opération terrestre avec appui aérien | Sambisa & Lac Tchad

Ruwan Wuta

Frappes aériennes | Sambisa et districts de Damboa & Bama

Chikin Gudu

Objectif : chasser les militants des zones visées | District de Marte

Deep Punch

Opération terrestre avec appui aérien | Dans la région de Sambisa

Crackdown

Objectif : chasser les militants des zones visées Sambisa

Rescue Final

Objectif : secourir les otages Sambisa

Karya Gwuiwa

Objectif : chasser les militants des zones visées Sud de l’État de Borno

Hard Knock

Objectif : chasser les militants des zones visées Frontière entre le Niger et le Nigeria et le district de Marte

Forest Storm Frappes aériennes | Sambisa

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Bien que les opérations militaires contre les deux factions se poursuivent, la lutte contre le JAS a pris une tournure publique avec la diffusion de déclarations concernant Shekau. En décembre 2016, Buhari a annoncé en fanfare la libération de la forêt de Sambisa et en juillet 2017, il s’est donné 40 jours pour capturer Shekau41. De son côté, l’EIAO n’a pas attiré le même intérêt du public. Si de telles déclarations ne sont que le reflet d’un aspect de l’approche globale adoptée par l’armée nigériane, l’attention toute particulière accordée à Shekau semble témoigner d’une plus grande obsession pour sa faction42. D’une certaine manière, celle-ci est à mettre sur le compte de la nature même du JAS. En effet, la faction est responsable d’un nombre plus élevé d’attentats suicides perpétrés par des mineurs ou des femmes kamikazes. Bien que faisant moins de victimes, ces attentats qui se produisent sur une base quasi quotidienne dans la région, attirent davantage l’attention des médias. Le ciblage fréquent des civils exige également des mesures plus énergiques que les attaques moins fréquentes de l’EIAO contre les forces de sécurité. Il est également utile de rappeler que Shekau a représenté, au cours des sept dernières années, le visage du militantisme islamique au Nigeria, en raison de ses fréquentes apparitions dans les médias43. Désormais indissociable de Boko Haram, la forêt de Sambisa est également devenue un lieu évocateur au Nigeria, au point que l’annonce de Buhari, fin 2016, du démantèlement d’un camp important dans la forêt a été interprétée comme signifiant la fin du groupe. Le JAS affirme par ailleurs détenir les écolières de Chibok qui n’ont pas encore été libérées, symbole le plus marquant du conflit sur le plan international. La médiatisation du JAS contraste donc avec celle de l’EIAO, dont la notoriété est bien moindre. En ce sens, toute victoire sur le JAS représente une avancée symboliquement avantageuse dans la guerre du Nigeria contre le terrorisme et pourrait donc inciter les autorités à viser cette faction plutôt que l’EIAO44. Néanmoins, certaines personnes interrogées par l’équipe de recherche ont indiqué que si l’armée nigériane a, dans un premier temps, porté davantage ses efforts sur le JAS, ceux-ci ont visé également les deux factions au cours des derniers mois45. Fin avril 2018, l’armée nigériane a ainsi annoncé le lancement de l’opération Last Hold, qui doit se dérouler jusqu’au mois d’août. Son objectif est de chasser les militants présents sur les rives nigérianes du lac Tchad, de permettre le retour des personnes déplacées et la reprise d’une activité économique normale. Cette opération dénote le regain d’intérêt de l’armée nigériane pour les zones d’influence de l’EIAO. Elle doit également être considérée à l’aune de l’impératif politique que représente le retour des personnes déplacées en amont des élections générales de 2019 (voir la section « Les politiques de reconstruction »)46. Quoi qu’il en soit, aucune des deux factions ne semble avoir été amoindrie de façon significative à la suite de leur regroupement au lendemain de la scission. De plus, il est à craindre que les opérations visant le JAS dans la forêt de Sambisa aient eu pour principale conséquence de déplacer le groupe plutôt que de l’affaiblir47. Au cours des dernières années, le nombre d’attentats suicides du JAS a fluctué, tout comme leur efficacité, mais le groupe a jusqu’ici toujours été en mesure à la fois de trouver des candidats (volontaires ou non) et de se procurer des explosifs48. L’EIAO a aussi démontré sa capacité à accroître son rayon d’action tout en continuant à tenir tête aux forces de sécurité (pour en savoir plus sur les modèles d’attaque et les capacités opérationnelles de chacune des deux factions, voir le premier volet de la recherche). Cette double dynamique est révélatrice de la résistance du groupe, malgré les fréquentes déclarations selon lesquelles Boko Haram serait vaincu ou sur le point de l’être. Globalement, les capacités du Boko Haram ont été constamment sous-estimées, du moins publiquement, par les dirigeants militaires et politiques nigérians, et ce, depuis sa création. Elles demeurent sous-évaluées depuis la scission du mouvement en deux factions49.

Le Cameroun Les militaires camerounais interrogés estiment que le conflit avec Boko Haram a permis de redynamiser et d’équiper l’armée camerounaise, de renforcer la présence de l’État sur le territoire national et, surtout, d’intensifier les interactions avec les communautés locales50.

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Le Cameroun, qui s’est officiellement engagé dans le conflit en 2014, avait déjà subi d’énormes pertes en vies humaines et en ressources avant cette date. Cet engagement a entraîné une réorganisation de l’armée camerounaise qui a permis au gouvernement d’intervenir de manière plus appropriée dans les zones affectées de l’Extrême-Nord avec le matériel et le personnel militaire adéquats. Le 14 août 2014, le chef de l’armée camerounaise a décidé de créer une quatrième Région militaire interarmées (RMIA4) à Maroua en réduisant à deux le nombre de régions administratives couvertes par la RMIA3, afin de doter la région de l’Extrême-Nord de sa propre RMIA. Cette décision a permis au Cameroun de renforcer sa présence militaire permanente dans la région en plus d’y acheminer du matériel neuf et du personnel militaire plus expérimenté51. Grâce à cette réorganisation, une région de gendarmerie a pu également être instituée dans l’Extrême-Nord, avec la même structure organisationnelle que la RMIA. Au sein de la RMIA localisée à Maroua, le président de la République a créé la 41e Brigade d’infanterie motorisée, dont le siège est actuellement situé à Kousséri, dans le département de Logone-et-Chari. Au moment de sa mise en place, il a été recommandé de « tout mettre en œuvre pour relancer l’activité socio-économique de cette région administrative », en insistant donc sur l’existence de besoins autres que sécuritaires52. Selon les entretiens avec les autorités militaires de la RMIA4, toutes les forces de sécurité concernées ont été mobilisées lors de cette campagne contre Boko Haram, sur la base d’un système à trois catégories. Les escadrons de gendarmerie ou unités territoriales de gendarmerie font partie des forces dites de première catégorie. Les unités de police mobiles et spéciales ou unités mobiles de gendarmerie et leurs unités spéciales font partie des forces dites de deuxième catégorie. La troisième catégorie est, quant à elle, composée de l’infanterie, de l’armée de l’air et de la BIR (Brigade d’intervention rapide), cette dernière participant également à la FMM. Cet effort de collaboration est représentatif de l’approche collective adoptée pour contrer Boko Haram. Compte tenu de leur présence dans les communautés et sur l’étendue du territoire national, les forces de police camerounaises se consacrent principalement à la collecte de renseignements, à leur transmission auprès des autorités administratives et militaires, ainsi qu’au maintien de l’ordre public53. Un haut responsable de la gendarmerie pour la région de l’Extrême-Nord interrogé par l’équipe de recherche a précisé que la police et la gendarmerie mettaient l’accent sur la surveillance notamment des axes routiers, des villages frontaliers, des personnes et des biens, sur le contrôle renforcé des frontières et le confinement des personnes de retour dans la région. L’objectif pour la police et la gendarmerie est de collaborer avec d’autres forces et de centraliser les renseignements collectés au sein d’un seul quartier général. Il s’agit de réduire les effets négatifs liés à la multiplication des corps d’armée et des services spéciaux impliqués dans la lutte contre Boko Haram54. Outre quelques exploits lors d’opérations de ratissage, dont la plupart ont été menées conjointement avec la FMM, la police et la gendarmerie ont également participé à l’opération Emergence 455. Cette opération, qui regroupe les forces des 1re, 2e et 3e catégories, est sous l’autorité du commandant de la RMIA456. Elle englobe donc ce secteur militaire, de même que la 41e Brigade d’infanterie motorisée (BRIM) et l’opération Alpha (qui est en fait une opération de combat direct de l’ennemi dirigée par la BIR). Cette pression militaire a restreint la capacité des militants à lancer des attaques directes dans le Nord du Cameroun. Leur riposte a consisté à s’appuyer davantage sur des tactiques de guerre asymétrique. Les opérations militaires ont cherché à rompre les sources d’approvisionnement des militants afin de les priver d’armes, de munitions, de nourriture, de pièces de rechange, de carburant, de véhicules et de motos, en bloquant leurs itinéraires habituels et en fermant les marchés de bétail frontaliers57. L’une des grandes réussites de cette pression militaire accrue a été la réouverture de certains axes commerciaux (Fotokol Gambaru ; Banki-Maiduguri) et du couloir Maiduguri - Bama - Banki - Amchidé - Limani - Mora, permettant la reprise du commerce dans les marchés. Pour les populations de l’Extrême-Nord, la présence de l’armée favorise également une reprise progressive des activités de la vie quotidienne58. D’une certaine manière, celle-ci conduit les communautés à compter

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davantage sur la présence de l’État59. Ainsi, la réorganisation des forces armées et la riposte camerounaise ont permis aux autorités de s’impliquer plus avant dans le quotidien des populations de la région. Si la présence des forces de sécurité devait être réduite, notamment en cas de disparition de la menace terroriste dans la région, le gouvernement devra également gérer cette augmentation des attentes de la population à son égard. De l’utilisation de tranchées pour freiner Boko Haram Au cours de ses opérations, la BIR a opté pour une guerre des tranchées. Elle a ainsi creusé des fossés longs de trois mètres et larges de quatre mètres sur une centaine de kilomètres le long de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, de Kolofata à Gambaru. Ces tranchées bloquent l’accès aux motos, aux piétons et aux véhicules. Elles permettent aussi à l’armée de surveiller et de contrôler à distance les déplacements à partir d’un seul point, en collaboration avec des comités de vigilance qui utilisent des mégaphones (50 mètres minimum). Elles constituent l’un des principaux éléments des mesures préventives prises à l’encontre du groupe60. Les forces de sécurité ont notamment creusé une imposante tranchée dans la ville de Kolofata. Le commandant de la BIR dans la zone sud a souligné, qu’après avoir subi plus de dix attentats suicides en une semaine seulement, l’ouverture de cette tranchée et l’installation d’un point d’entrée unique et sécurisé avaient considérablement réduit le nombre d’attentats perpétrés en ville. Par conséquent, que ce soit dans des endroits proches de la frontière, comme Kolofata et Waza, dans des lieux stratégiques comme la base militaire de Salak ou le campus de l’université de Maroua à Kongola, les tranchées se sont imposées comme une option privilégiée pour la sécurisation et le contrôle du territoire. Que ces tranchées soient essentiellement utilisées contre les kamikazes semble indiquer que cette tactique vise en grande partie les opérations du JAS. Malgré des signes de succès, des habitants ont signalé, début avril, que des militants avaient pu pénétrer dans la ville frontalière d’Amchidé après avoir comblé une partie de la tranchée creusée autour de la ville – une preuve de leur capacité d’adaptation face aux nouvelles tactiques adoptées et de la nécessité de procéder régulièrement à leur réévaluation61.

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Les initiatives non-militaires Les pays du bassin du lac Tchad ont adopté une série de mesures pour contrer Boko Haram, notamment en soutenant la création de réseaux de milices d’autodéfense, en imposant l’état d’urgence, en adoptant des programmes de réintégration des anciens combattants et en lançant des projets de reconstruction. Cependant, ces mesures ont jusqu’ici surtout été prises au niveau national plutôt que régional et ont été conçues spécifiquement en réaction aux tactiques adoptées par Boko Haram. Certaines d’entre elles ont pu avoir un impact négatif sur les civils, suscitant l’irritation des populations locales. Ce mécontentement met en évidence le dilemme auquel sont confrontées les autorités : prendre des mesures permettant d’améliorer la sécurité sans toutefois porter préjudice aux communautés locales. La section suivante présente quelques exemples de politiques gouvernementales adoptées en vue d’accroître la sécurité dans la région du lac Tchad, mais ayant également des incidences négatives et inattendues sur les populations locales62.

Les populations locales face aux restrictions liées à la sécurité Depuis 2013, l’état d’urgence imposé dans les États de Yobe, d’Adamawa et de Borno, dans le Nord-Est du Nigeria, est assorti de restrictions de circulation et d’un couvre-feu. Le Tchad et le Niger ont également imposé l’état d’urgence dans les zones frontalières avec le Nigeria. Au Nigeria, les mesures prises face à la crise ont été diverses, allant de la prise en charge des urgences humanitaires aux efforts de reconstruction de l’initiative Bama (voir ci-dessous), en passant par le lancement d’un programme de réintégration d’anciens militants dans le cadre de l’opération Safe Corridor. Néanmoins, les habitants de la région interrogés par l’équipe de recherche ont surtout insisté sur les restrictions liées à la sécurité. La plupart des personnes rencontrées ont déclaré n’avoir pas ou peu bénéficié des initiatives gouvernementales, et ont plutôt évoqué les mesures qui les affectaient négativement telles que les contraintes sur les moyens locaux de subsistance et l’absence de sécurité qui prévaut dans les zones rurales. Les considérations du gouvernement en matière de sécurité et ses préoccupations concernant le financement et l’approvisionnement des deux factions du groupe l’ont conduit à prendre des dispositions qui, en retour, limitent les moyens locaux de subsistance et génèrent du ressentiment. Parmi ces dispositions notons par exemple les couvre-feux nocturnes, les interdictions relatives au commerce du bétail et du poisson (pour plus de détails sur ce point, voir le premier volet de la recherche) et les restrictions de commercialisation de certains articles, comme les engrais et le carburant. Touchées par ces restrictions, la majorité des personnes interrogées ont une opinion négative de la gestion de la crise par le gouvernement, excepté certains aspects (voir ci-dessous). Le Cameroun, le Niger et le Tchad ont adopté des restrictions similaires, sous couvert de l’état d’urgence en ce qui concerne les deux derniers. Par exemple, le Niger a promulgué des interdictions sur le commerce de la pêche et du poivron rouge, dont les militants tireraient profit. Ces mesures ont eu un impact négatif sur les habitants de la région de Diffa qui dépendent de ces activités pour survivre. Des cargaisons de poissons ou de poivrons rouges ont été saisies ou détruites et des personnes impliquées arrêtées63. Comme le Nigeria, le Cameroun et le Niger ont interdit la circulation des motocyclettes afin de prévenir les attaques, alors que les jeunes de la région dépendent de ce mode de transport pour subvenir à leurs besoins64.

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Bien que ces mesures soient motivées par des considérations sécuritaires, les personnes interrogées ont surtout insisté sur leur impact sur les moyens locaux de subsistance, compte tenu notamment de la situation précaire dans laquelle se trouvent bon nombre d’entre elles et des options limitées dont elles disposent. Cela est d’autant plus vrai pour les personnes déplacées par le conflit qui se retrouvent dans un nouvel environnement dans lequel, malgré les opérations humanitaires menées à grand échelle, leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits65. Commentaires d’un chercheur local au sujet des restrictions adoptées par le Niger Au Niger, les autorités administratives ont interdit la vente libre de carburant et ont exigé que toute personne souhaitant s’en procurer en justifie l’utilisation. Cette mesure a été prise pour restreindre la mobilité de Boko Haram. Cependant, au vu des liens étroits tissés par le groupe avec les réseaux de contrebande, ce sont finalement les civils qui en ont le plus souffert. Une autre disposition administrative a interdit la circulation des engins motorisés à deux roues. Celle-ci a généré d’énormes frustrations, particulièrement chez les jeunes, dont beaucoup sont employés en tant que coursiers. Cette mesure avait pour objectif de faciliter l’identification des combattants qui se déplacent dans les zones frontalières sur des motocyclettes. Cependant, les autorités n’ont pas tenu compte du fait que tous les motocyclistes n’étaient pas membres du groupe extrémiste violent. Le gouvernement a par ailleurs fermé certains marchés afin de limiter les risques d’attentats et le nombre de victimes potentielles. Certaines de ces mesures, mises en œuvre pour affaiblir Boko Haram sur le plan économique, ont en fait entraîné d’innombrables désagréments à la population locale. Selon un jeune de Diffa, des pêcheurs ont même été contraints de vendre leurs stocks de poisson à Boko Haram à prix réduit pour s’en débarrasser66. Toutefois, les autorités ont procédé à certains ajustements à la requête des populations locales. Par exemple, le gouvernement a mis au point un programme visant à remplacer les motos à deux roues par des tricycles. Ils ont également adopté des mesures pour sécuriser les marchés et en ouvrir davantage, et pour raccourcir la durée du couvre-feu. Ces exemples démontrent la capacité des autorités locales à réagir et à faire preuve de flexibilité, tout en se concentrant sur la nécessité d’assurer la sécurité des populations. Par exemple, certaines personnes interrogées dans l’État de Borno se sont plaintes d’une récente interdiction de faire entrer du charbon de bois dans la ville de Maiduguri, les militants étant soupçonnés de tirer profit de ce commerce. Ramasser du bois de chauffe et produire du charbon de bois est devenu une source de revenus pour de nombreux civils du Nord-Est du Nigeria à la recherche d’un moyen de subsistance. Pourtant, ces activités ont éveillé la méfiance du gouvernement de l’État de Borno. Selon un fonctionnaire, « il est impossible pour un simple citoyen de ramasser du bois de chauffe dans la brousse sans être attaqué à moins qu’il ne passe un accord avec le groupe... Ces individus utilisent l’argent récolté pour acheter de la nourriture pour Boko Haram et leur rapporter ces vivres dans les zones rurales ». Toujours selon ce fonctionnaire, « il s’agit d’une mesure plus positive que négative, car sans celle-ci, Boko Haram serait plus puissant ». Cette réflexion résume bien le dilemme auquel le gouvernement est confronté quand il s’agit de prendre des mesures pour restreindre les activités du groupe, mais qui peuvent également affecter la population67.

Le gouvernement est-il en train de perdre la bataille des relations publiques ? Au cœur de cette question se trouve la nécessité de conquérir les cœurs et les esprits de la population, ce que l’EIAO s’attache à faire. Selon certains témoignages, le gouvernement jouit d’un avantage fondamental puisque c’est bel et bien Boko Haram qui est responsable des destructions. Néanmoins, l’inadéquation des réponses apportées menace de gommer rapidement cet avantage, une perspective inquiétante à long terme pour toute la région (pour en savoir plus, voir le premier volet de la recherche). Lorsque l’équipe de recherche les a interrogés sur leurs attentes face au gouvernement, les habitants ont fait part en très grande majorité de leur souhait de voir la sécurité s’améliorer afin qu’ils puissent retourner dans leurs villages et subvenir à leurs besoins. Ainsi, ils ne demandent qu’à reprendre leur vie d’avant la crise et estiment que le

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gouvernement ne fait pas assez pour atteindre cet objectif. L’incapacité des autorités à sécuriser les zones rurales fait obstacle à la reprise de l’agriculture dans la région, maintenant la population dans la dépendance vis-à-vis des donateurs et entravant les efforts de reconstruction. Comme l’a souligné un résident de Konduga, « nous mettre en cage pour nous protéger de l’insécurité est la pire des choses à faire, car cela fait de nous des mendiants ». Cependant, quelques progrès ont été relevés. Les habitants de Ngala en particulier ont mentionné que leur situation était meilleure depuis la nomination d’un nouveau commandant en janvier 2018. Celui-ci est parvenu à améliorer les relations avec la communauté en assurant un engagement proactif de ses troupes et en multipliant le nombre de patrouilles, y compris pendant les heures de couvre-feu. L’un des principaux points positifs concerne cependant les déplacements à destination et en provenance de Maiduguri qu’effectuent beaucoup de résidents de Ngala pour s’approvisionner ou pour travailler et s’assurer un revenu. Auparavant, ils devaient s’arrêter à Dikwa, parfois pendant des jours et à leurs propres frais, car l’armée ne permettait à personne de passer pour des raisons de sécurité. Le nouveau commandant a mis fin aux restrictions de déplacement au-delà de Dikwa, permettant aux voyageurs d’effectuer le trajet en quelques heures. Les habitants de Ngala interrogés par l’équipe de recherche ont exprimé leur grande satisfaction face à ce changement – un exemple type de la façon dont un ajustement mineur, décidé à la lumière d’une réévaluation de la situation sécuritaire, peut avoir des répercussions importantes sur les populations locales et susciter leur sympathie.

Les comités de défense et les groupes d’autodéfense Une autre initiative majeure impliquant les populations civiles dans toute la région du lac Tchad est la mise en place de comités d’autodéfense qui ont changé la nature de la lutte contre Boko Haram68. Au Nigeria, la plupart des personnes interrogées ont insisté sur le fait que les succès militaires n’auraient pu être remportés sans le soutien de la Force opérationnelle interarmées civile (CJTF), créée à la mi-2013. Avec sa parfaite connaissance des terrains d’opération, la CJTF fournit des renseignements aux militaires et combat les insurgés avec des armes comme des poignards, des couteaux, des arcs et des flèches. Son succès remarquable a conduit le gouvernement nigérian à reconnaître son existence en septembre 2013. Elle est désormais implantée dans 22 des 27 districts de l’État de Borno69. Toutefois, certains membres de la CJTF se sont également rendus coupables d’abus et notamment d’exécutions extrajudiciaires, de violences sexuelles, d’extorsions et d’actes de vengeance et d’intimidation70. Des cas de recrutement et d’utilisation d’enfants ont également été rapportés, ce qui a conduit l’UNICEF à négocier avec la milice un plan d’action pour prévenir et mettre fin à ces pratiques. La CJTF a signé ce document en septembre 201771. L’avenir de la milice, lorsque la lutte contre Boko Haram prendra fin, est source d’inquiétude. Le gouvernement de l’État de Borno a déclaré avoir élaboré un plan pour répondre aux besoins de la CJTF. L’assemblée régionale a adopté, en 2015, la loi relative à l’agence d’autonomisation des jeunes et des membres de comités de vigilance afin de créer des emplois pour les membres de ces groupes d’autodéfense. Interrogé par l’équipe de recherche, un fonctionnaire du Bureau des affaires concernant la sécurité intérieure du Nigeria a indiqué qu’un comité avait été créé par le gouvernement fédéral pour établir un plan de réintégration des membres de la CJTF. Les membres de la CJTF interrogés sont toutefois sceptiques quant à la volonté du gouvernement de tenir ses promesses et sont inquiets pour leur avenir au vu de la faiblesse du soutien des autorités à leur égard.

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Témoignage d’un habitant de Damboa au sujet des restrictions touchant aux moyens de subsistance Maintenant, nous ne pouvons pas aller à plus cinq kilomètres de la ville de Damboa pour cultiver nos parcelles parce que les membres de Boko Haram peuvent nous tuer. Mais les militaires nous empêchent également d’y aller pour éviter d’être tués par Boko Haram ou d’être pris pour des militants et tués par l’armée. Nous vivons dans la faim. Il n’y a pas d’autres moyens de gagner de l’argent. L’armée nous interdit de transporter du charbon de Damboa à Maiduguri. Pourtant, ce que les ONG nous fournissent n’est pas suffisant et en plus, elles ne donnent pas à tout le monde. Le gouvernement a dit que la faction Mamman Nur [l’EIAO] avait passé des accords avec ceux qui ramassent du bois de chauffe dans la brousse pour qu’ils leur achètent des choses à Maiduguri, et qu’en échange, la faction Nur leur permette de couper le bois de chauffe. Les gens commencent à détester le gouvernement, et certains disent qu’il vaut mieux rejoindre Boko Haram. Commentaires d’un habitant de Konduga sur la nécessité d’améliorer la sécurité pour permettre une reprise de l’agriculture Je vis dans un camp depuis trois ans maintenant. Nous recevons assez de nourriture pour survivre six à sept jours par mois. Il y a aussi des travaux pénibles que nous pouvons faire en échange d’un peu d’argent supplémentaire, mais cela reste insuffisant. Nous ne voulons rien de la part du gouvernement. De toute façon, nous savons qu’il ne tiendra pas ses engagements. Mais qu’il assure au moins la sécurité pour me permettre de cultiver. Si je peux faire ça, je peux me procurer tout ce dont j’ai besoin. Rien de ce qui vous est donné ne peut rivaliser avec la satisfaction d’être indépendant en travaillant seul. Nous retournerons dans notre village si nous y sommes à nouveau en sécurité. Un habitant de Dikwa se plaint de l’insécurité En août 2014, Boko Haram est venu et a pris le contrôle de Dikwa. Je me suis échappé en bicyclette et je me suis réfugié dans le village voisin. Ils sont restés à Dikwa pendant deux ans avant que les soldats ne viennent et ne reprennent la localité. Par la suite, ils ont attaqué plusieurs fois, mais les soldats les ont toujours repoussés. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus cultiver. Les soldats nous ont dit de ne pas aller à plus de cinq kilomètres de la ville pour éviter d’être tués par Boko Haram, donc nous ne pouvons pas aller cultiver pour nous nourrir. Le gouvernement aurait dû faire plus pour assurer notre sécurité afin que nous puissions cultiver. La nourriture fournie par les ONG n’est pas suffisante et de nombreuses personnes ne reçoivent pas le soutien des ONG parce que le processus d’attribution n’est pas transparent. Le gouvernement a également déclaré nous avoir aidés à rénover nos maisons, ou nous avoir donné une aide d’au moins 10 % pour reconstruire nos maisons. Ce ne sont que des paroles en l’air. Témoignage de membres de la CJTF concernant le manque de soutien du gouvernement Il n’y a pas d’argent pour nous permettre de travailler. Nous avons perdu beaucoup de nos membres, mais il n’y a pas de soutien pour leurs familles. Quelques-uns de nos membres reçoivent moins de 30 dollars (environ 10 000 nairas) par mois. Nous payons même de notre poche pour mener ce combat. Il y a plus de 26 000 membres au sein de la CJTF, y compris environ 750 forces spéciales qui ont été entraînées, mais qui n’ont jamais été déployées et n’ont jamais rien reçu. Seulement 30 de nos membres ont rejoint le Département des services de l’État (DSS) et 450 ont intégré l’armée. Nous sommes en train de négocier l’intégration de nos membres au sein du Service de sécurité et de défense civile, de l’administration pénitentiaire, ainsi que des services des douanes et de l’immigration. Nous voulons aussi que la CJTF devienne une institution à part entière. Certains collègues veulent faire des études et d’autres veulent devenir charpentiers ou mécaniciens : eux aussi ont besoin d’un soutien. Ces préoccupations devraient être portées à l’attention du gouvernement parce que nous ne savons pas ce qu’il adviendra de nos membres.

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Les groupes d’autodéfense dans le Nord du Cameroun Au Cameroun, les communautés locales ont également endossé la responsabilité d’assurer leur propre sécurité en formant des groupes d’autodéfense face à la menace de Boko Haram. La constitution de groupes d’autodéfense fait traditionnellement partie des mécanismes de protection ce qui complexifie la situation. Ce phénomène a émergé à nouveau depuis plus de 20 ans dans la région de l’Extrême-Nord à la suite d’une forte recrudescence du nombre d’enlèvements. Pendant la période coloniale, des groupes d’autodéfense protégeaient les villages, leurs habitants et plus généralement les biens (surtout le bétail). Que ce soit dans les départements de Logone-et-Chari, de Mayo-Tsanaga ou de Mayo-Sava – les plus touchés par l’insurrection –, de nombreuses communautés se sont dotées de plusieurs organisations de défense communautaire, toutes vouées à la protection des biens et des personnes, mais dont les origines, la composition, les modes de fonctionnement et l’efficacité diffèrent. Parmi les Kotoko de Makari, à proximité du lac Tchad dans le département de Logone-et-Chari, une unité de défense communautaire connue sous le nom de « Confrérie des chasseurs » (nkuradaji) s’est constituée en secteurs (ngare) sous la direction d’un chef (salala) afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes à travers le sultanat72. Selon une personne interrogée, « l’insécurité croissante, l’expansion du banditisme et la menace de Boko Haram ont poussé les chasseurs kotoko à s’organiser en comités de vigilance. Chaque chasseur appartenant à un comité est inscrit dans un registre conservé à la gendarmerie ou à la sous-préfecture et reçoit une carte de milicien73 ». Les membres se voient ensuite confier des tâches de surveillance aux entrées des villages, assurant la sécurité des marchés à bestiaux et, plus récemment, fouillant les fidèles lors de cérémonies religieuses. Dans le secteur de Mayo-Moskota du département de Mayo-Tsanaga, la composition sociale des comités de vigilance est très différente. Ces comités, auparavant formés dans le cadre d’une confrérie ou d’une autre corporation, sont réapparus en réponse à la menace de Boko Haram. Dans le département de MayoSava, bien que la plupart des comités de vigilance actuels existent depuis 2012, certains d’entre eux se sont constitués autour d’anciens dogas, c’est-à-dire des individus « endurcis » qui étaient responsables d’un village et appartenaient au dispositif de sécurité du sultanat. À la suite des premières attaques de Boko Haram, le nombre de ces comités de vigilance et de candidats à leur adhésion a fortement augmenté. Lors d’une étude sur le comité de vigilance des cantons de Mozogo et de Mayo-Moskota, un chercheur a recensé plus de 300 membres sur une population d’environ 3 000 personnes74. Il s’agit principalement de jeunes, issus en grande partie de milieux défavorisés. Sous l’autorité du préfet adjoint, on leur fournit des téléphones portables et des armes blanches pour qu’ils puissent travailler aux côtés des forces de l’ordre75. Les membres de ces unités de défense communautaire travaillent en équipes tournantes, se relayant toutes les huit heures dans leur quartier. Chaque groupe est composé en moyenne de 20 personnes et certains d’entre eux réclament une taxe de 100 francs CFA au passage des barrages routiers qu’ils mettent en place. Les informations collectées par le groupe sont transmises au chef du comité de vigilance, qui alerte l’armée ou les autorités locales en cas de besoin. Le chef du comité de vigilance de la localité de Mora a indiqué que 24 quartiers étaient quadrillés par 305 hommes et cinq femmes munis de badges délivrés par le préfet adjoint et équipés de torches, d’arcs et de flèches, de gourdins, de lance-pierres et de talismans. La relève des équipes s’effectue à 6 h, 13 h et 20 h. Un système particulièrement efficace de surveillance des entrées et de contrôle d’identité a été mis en place, permettant l’identification et la détection rapides d’éventuels kamikazes76. Dans le département de Mayo-Tsanaga, les miliciens sont appelés à la rescousse lors de grands rassemblements et les comités des différents villages parviennent même à se coordonner lorsque les villageois sont invités à des rencontres départementales à Mora. Les comités de vigilance qui ont été (r)établis semblent opérer partout où leur présence est jugée nécessaire, que ce soit dans les départements concernés ou dans les grandes villes comme Maroua. Leur efficacité, en

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tant que police de proximité, est régulièrement citée en exemple par les autorités. Les personnes interrogées par l’équipe de recherche ont ainsi mentionné les actes de bravoure du chef du comité de vigilance du canton de Mayo-Moskota qui, à mains nues, aurait neutralisé des terroristes de Boko Haram. Sur la base de preuves écrites et d’entretiens réalisés avec leurs membres, l’étude de ces groupes soulève toutefois plusieurs interrogations. En effet, ces milices suscitent de nombreuses inquiétudes, le gouvernement n’exerçant pas un contrôle total sur leurs membres et certains groupes pouvant provoquer de nouveaux désordres sécuritaires dans la région. Par ailleurs, les dossiers des membres de ces comités de vigilance ne sont pas actualisés, certains groupes pouvant compter jusqu’à deux fois plus de membres que le nombre déclaré. Certaines milices érigent également des barrages routiers payants et effectuent parfois des perquisitions sans qu’aucun représentant des forces de l’ordre ne soit présent. Plus inquiétant encore, des personnes interrogées ont signalé que les membres de certains comités de vigilance avaient un casier judiciaire et que d’autres avaient déjà fait l’objet d’arrestations77. Par exemple, le chef du comité de vigilance de Kolofata, Tchamaya Sarina, a été détenu pendant 58 jours dans le camp de Kolofata de la BIR pour collusion avec Boko Haram78. Certains comités de vigilance se font également une haute opinion de l’aide qu’ils apportent aux autorités et s’attendent à des contreparties importantes, comme être intégré dans les forces armées ou de la police, percevoir une retraite, bénéficier d’une offre d’emploi ou une formation. Si ces attentes venaient à être déçues, ils pourraient à l’avenir poser des problèmes de sécurité, ce qui rend risqué le recours à de tels comités. Les comités de paix au Niger Outre le développement de groupes d’autodéfense, d’autres initiatives visant à améliorer les relations communautaires et à sensibiliser la population à la menace Boko Haram ont été lancées dans la région du lac Tchad. Avec l’appui des communautés locales, la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP) du Niger a mis en place des comités de paix présidés par les maires et composés de chefs religieux et de représentants de la communauté et du milieu des affaires. Ces comités, qui constituent de véritables lieux de coordination entre militaires et populations civiles, jouent également un rôle de premier plan en matière d’alerte précoce. Selon un responsable de la HACP, ils sont opérationnels dans chacune des 12 communes de Diffa. Ces mesures renforcent les relations entre les communautés locales, les acteurs de la sécurité et le gouvernement, permettent de débattre de la menace de Boko Haram et de diffuser des informations pertinentes à son sujet afin de susciter l’adhésion des populations locales.

Le défi de la réintégration des anciens militants repentis Les pays du bassin du lac Tchad ont adopté des approches diverses pour la réintégration des anciens militants, un enjeu dont l’importance croît avec l’augmentation du nombre de militants rendant les armes ou capturés par les forces de sécurité. Il s’agit là d’un autre aspect essentiel et éminemment politique de cette crise qui touche diversement les populations locales. Les gouvernements régionaux peinent à trouver un juste équilibre entre justice et réconciliation, avec l’élaboration de programmes pour inciter les militants à quitter le groupe afin de l’affaiblir. Au Nigeria, le gouvernement a mis en place un projet d’amnistie pour les anciens combattants repentis de Boko Haram dans le cadre de l’opération Safe Corridor. Cette opération englobe un programme de réhabilitation d’une durée de 16 semaines. En février 2018, 95 anciens combattants ont reçu un certificat après l’avoir suivi79. Bien que l’amnistie encourage les défections, les populations locales touchées par les crimes de Boko Haram ont un avis partagé. Certaines personnes interrogées par l’équipe de recherche ont estimé que les efforts de réhabilitation accordaient la priorité aux anciens militants plutôt qu’aux victimes de l’insurrection, lesquelles ne reçoivent qu’un très faible soutien de la part du gouvernement80. Certains membres de la CJTF ont également

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partagé leur consternation face à ce programme de réhabilitation qui offre de nouvelles compétences aux terroristes repentis alors que les miliciens ne reçoivent qu’un appui limité81. D’autres cherchent, quant à eux, à obtenir justice pour des crimes perpétrés par d’anciens militants et doutent des effets du programme de réhabilitation. Cette accumulation de frustrations a provoqué, dans certains cas, le rejet d’anciens militants par leur communauté d’origine82. Au Cameroun, les autorités traditionnelles ont cherché à dissiper les craintes des communautés au sujet des membres repentis de Boko Haram en organisant des cérémonies publiques. En général, l’armée les confie aux autorités traditionnelles de leurs villages qui ont instauré un mécanisme permettant aux anciens membres de renoncer à Boko Haram. Au cours d’une cérémonie qui rassemble tout le village, les repentis reconnaissent leurs erreurs, jurant sur une copie du Coran qu’ils regrettent leur choix et qu’ils renoncent définitivement à tout lien avec la secte. La validité de ce mécanisme est source de division pour la population qui, encore sous le coup de la colère, ne tient pas à ce que les anciens militants de Boko Haram s’en tirent à si bon compte. Pour de nombreux habitants interrogés par les chercheurs, cette cérémonie fait fi des victimes de Boko Haram et de leurs familles. D’autres ont raconté comment un groupe de jeunes s’était mobilisé contre le transfert à Maroua d’anciens militants de Boko Haram, affirmant : « Si les soldats ne les tuent pas, nous le ferons nousmêmes ! ». Que le chemin choisi soit la vengeance ou la réparation, le besoin de justice est grand dans la région de l’Extrême-Nord. La réintégration au Niger En décembre 2016, le ministre de l’Intérieur du Niger a annoncé le lancement d’un programme de réintégration. Mi-2017, environ 150 repentis ont été placés dans un camp de la localité de Goudoumaria, où sont dispensées des sessions de « déradicalisation »83. Pour augmenter le nombre de défections, le gouverneur de la région de Diffa, d’où viennent la plupart des membres nigériens de Boko Haram, a fixé une date-limite, sommant les membres de Boko Haram intéressés par le programme de se manifester avant la fin 201784. Au total, plus de 1 000 personnes soupçonnées d’appartenir au groupe ont été arrêtées et détenues séparément dans les prisons de Niamey, Kollo et Koutoukalé. Leurs procès ont débuté en 2017 et ont abouti à la condamnation d’environ 300 d’entre eux, tandis que d’autres ont été libérés85. Ces divergences dans les verdicts mettent en évidence la différence de traitement des ex-militants, selon la manière dont ils ont quitté le groupe et le rôle qu’ils y ont joué. Entre désir de justice et exigences pratiques inhérentes au traitement d’un grand nombre d’ex-militants, le Niger et les autres pays de la région sont confrontés à de fortes tensions. Au Niger, la HACP, le ministère de l’Intérieur et le gouverneur de Diffa ont été les instigateurs du programme d’amnistie et de défection. Un élément clé de ce programme consiste à obtenir l’appui des communautés touchées et à apaiser leurs griefs. Nombre de problèmes subsistent néanmoins au niveau local, de même qu’un certain mécontentement. Les détails concernant le programme d’amnistie demeurent par exemple flous. De plus, le nombre de repentis rassemblés dans le camp de Gougoumaria est bien faible par rapport à celui des anciens militants qui répondent de leurs faits devant la justice. Le programme nigérien de défection est également conçu dans une perspective à long terme, afin d’encourager d’autres désertions parmi les factions et ainsi affaiblir ces dernières. En ce sens, la poursuite des activités du camp de Goudoumaria, combinée à des efforts soutenus en communication et en sensibilisation – tant vers les militants actuels que les communautés locales – aidera le Niger à mettre fin aux violences destructrices de Boko Haram sur son territoire. Les pays de la région du lac Tchad ont adopté des approches très différentes face au défi que représentent les ex-militants. La Commission du bassin du lac Tchad s’efforce actuellement de jeter les bases d’une approche commune et de définir des lignes directrices au niveau régional. Néanmoins, celles-ci doivent tenir

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compte des expériences et des solutions des victimes des violences de Boko Haram au niveau local, car, sans leur adhésion, de tels programmes restent voués à l’échec.

Les politiques de reconstruction Alors qu’un nombre croissant de communautés se libèrent du joug des militants et que la situation sécuritaire s’améliore, en particulier dans les centres urbains de l’État de Borno en dehors de Maiduguri, les efforts de reconstruction s’intensifient. Épicentre des destructions, l’État de Borno est au cœur des efforts visant à remettre la région sur pied. Malgré le nombre de reconstructions déjà entreprises, nombreux sont ceux qui craignent que les élections de 2019 n’entraînent la politisation des efforts engagés. Ainsi, dans l’État de Borno, l’attention particulière que portent les militaires à la sécurisation des centres urbains et des voies de transport serait liée à la nécessité de démontrer les avancées réalisées par le gouvernement dans ses efforts de reconstruction. La réouverture de l’axe routier Maiduguri-Banki en mars 2018 a permis le retour de 3 000 personnes déplacées à Bama, en prévision de la planification du retour de 120 000 citoyens dans le district86. Bama étant l’une des villes qui a le plus souffert de la crise, elle a été choisie fin 2016 comme point de lancement des opérations de reconstruction, grâce à l’initiative Bama dont le modèle doit être étendu à tout l’État. Le gouvernement régional a consenti à d’importants efforts à travers ce programme et a affirmé, en janvier 2018, avoir reconstruit 11 000 logements, ainsi que certains bâtiments publics87. Néanmoins, les personnes interrogées dans le cadre de cette recherche ont en grande partie minimisé la portée des actions du gouvernement. L’une d’entre elles les a même qualifiées d’impostures, affirmant que les maisons détruites avaient seulement été repeintes88. Les individus interviewés dans d’autres localités en reconstruction ont expliqué que seules les personnes ayant des relations avec les responsables politiques avaient pu faire réparer leur maison. Par ailleurs, des bâtiments situés dans des endroits symboliques, tels que la rue principale, semblent avoir été juste assez rénovés pour faire illusion89. Un représentant de l’État de Borno a admis que seulement une partie de la ville de Bama avait été reconstruite, mais a souligné que ceux qui souhaitaient revenir s’installer dans la localité recevraient des fonds pour que se poursuive la reconstruction de la ville90. Alors que des élections régionales sont prévues en mars 2019, différentes personnes interrogées ont partagé leurs craintes de voir l’armée subir des pressions politiques pour enregistrer des gains sécuritaires notables afin de démontrer l’ampleur des efforts réalisés, au détriment d’autres programmes et d’une approche approfondie de la sécurité et de la reconstruction91. Un représentant du gouvernement de l’État de Borno a confirmé que la réinstallation des personnes déplacées constituait la priorité avant l’échéance électorale de 2019, ce qui témoigne des liens entre efforts de reconstruction et politique locale92. Les élections de 2015 avaient, elles aussi, été précédées, conformément à la volonté de l’administration du président sortant Goodluck Jonathan, d’un regain d’efforts pour reprendre le contrôle des zones détenues par les militants de Boko Haram. Cette initiative avait rencontré un certain succès, mais sa réalisation dans la précipitation avait aussi engendré des complications93. Ainsi, de nombreuses personnes interrogées se sont inquiétées que la reconstruction de l’État de Borno était désormais soumise à des objectifs politiques liés à la campagne électorale à venir. Si en théorie un tel contexte peut générer un surcroît d’activités, l’empressement dans lequel elles s’effectuent démontre le piège de leur instrumentalisation à des fins politiques, apportant des gains à court terme au détriment d’efforts à même de générer une stabilité durable. Tout manquement à cet égard ne ferait qu’attiser le mécontentement dans la région, surtout si les civils voient leur retour, après les destructions causées par Boko Haram, politisé par les gouvernements locaux. Cela contribuerait à leur perception que les mesures de façade sont plus importantes que les changements réels.

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Conclusion La durée du conflit, débuté il y a neuf ans, et la scission de Boko Haram en deux factions montrent que l’extrémisme violent demeure une menace considérable pour le bassin du lac Tchad. Bien que les personnes interrogées dans le cadre de cette étude aient souligné que Boko Haram s’était en grande partie délégitimé, force est de constater que les facteurs ayant favorisé sa montée en puissance demeurent très présents. Si les ripostes régionales ont fluctué entre approches militaires et non militaires, la terrible crise humanitaire et les importantes destructions laissent une situation désastreuse, alors que l’insurrection continue de faire rage dans certaines zones de la région. Une meilleure coordination des efforts est nécessaire, de même que la mise en place de solutions à long terme, pour que les pays de bassin du lac Tchad puissent vaincre les insurgés et s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme violent afin de tarir les sources du militantisme. Il est donc impératif de mettre en œuvre des politiques conciliant considérations sécuritaires et besoins des populations locales, en évitant de prioriser les succès rapides, mais non viables, dictés par l’imminence de cycles électoraux.

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Recommandations À l’attention des acteurs nationaux • Définir des approches militaires adaptées aux trajectoires et aux activités de chaque faction. Par exemple, cibler les lieux de confection d’explosifs peut être une priorité judicieuse pour contrer les attentats suicides du JAS, tandis que l’amélioration des relations avec les populations civiles et de la collecte de renseignements peuvent se révéler utiles en ce qui concerne l’EIAO, afin de prévenir d’éventuelles attaques contre des avant-postes des forces de sécurité. • Améliorer la communication et la sensibilisation du public au sujet des opérations militaires en cours, afin de renforcer sa compréhension de la lutte contre l’extrémisme et des autres actions qui y sont liées. Par ailleurs, veiller à ce que les zones fermées pour cause d’opérations militaires soient à nouveau ouvertes aux acteurs humanitaires dès que la situation le permettra, afin de fournir une assistance vitale à ceux qui n’y ont pas accès. • Donner la priorité à la fois à l’action humanitaire et aux efforts de reconstruction, sans les hiérarchiser. Un niveau satisfaisant de sécurité doit être atteint avant que la reconstruction puisse débuter, tandis que des besoins humanitaires non satisfaits viendront alimenter la frustration de la population civile envers les structures de gouvernance. • En contrepartie, les effets des programmes doivent être analysés jusqu’au niveau de la plus petite unité de mise en œuvre, à savoir le village. Les districts et même les villages de la région du lac Tchad ont pu connaître des expériences diverses au cours de la crise provoquée par Boko Haram, d’où la nécessité de réponses variées et adaptées. Les programmes doivent faire preuve de la flexibilité nécessaire pour intégrer ces différences, afin de s’assurer que les besoins sont pris en compte de manière appropriée. • Donner priorité à la sécurité dans les zones rurales au même titre que dans les centres urbains et pour les voies de transport. L’absence de patrouilles militaires au-delà d’un rayon d’un à cinq kilomètres en dehors des centres urbains permet aux militants de se déplacer en toute liberté, tout en perpétuant le principal obstacle à la reconstruction dans les campagnes, à savoir l’incapacité de cultiver. La poursuite de la stratégie actuelle dite de « ville garnison » entrave le développement à long terme de la région et retarde la reconstruction. • Trouver un meilleur équilibre entre la nécessité d’imposer des restrictions pour des raisons sécuritaires et leur impact sur les moyens locaux de subsistance, en tenant compte des préoccupations des communautés déplacées dont les options sont réduites. L’endiguement du financement et le tarissement des sources d’approvisionnement des militants constituent des résultats positifs, mais ces progrès ne représentent que des gains à court terme, lorsque réalisés au détriment de la population civile. • S’abstenir de toute mesure guidée par des intérêts politiques qui ne tiennent pas compte des considérations à long terme. Le Nigeria s’apprêtant à entrer dans un nouveau cycle électoral, il est à craindre que la priorité accordée à des progrès apparents (par exemple le retour des personnes déplacées) alors que les conditions requises ne sont pas encore réunies sur le terrain (par exemple la sécurité sur le plan local) fournisse des succès électoraux à court terme, mais s’avère préjudiciable à long terme.

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À l’attention des partenaires internationaux • Encourager et soutenir les initiatives de reconstruction visant à améliorer les moyens de subsistance dans la région du bassin du lac Tchad dans le cadre d’une stratégie dont l’objectif serait de conquérir les cœurs et les esprits des populations civiles susceptibles de devenir des cibles pour le recrutement de militants. • Soutenir les pays du bassin du lac Tchad dans leurs efforts d’élaboration d’un cadre régional concernant l’amnistie, la réhabilitation et la réintégration, afin d’encourager les défections des militants de manière coordonnée. • Collaborer avec les gouvernements de la région pour inciter l’élaboration de programmes exhaustifs de désarmement, démobilisation et réintégration des unités d’autodéfense dans la société, afin d’éviter que ces groupes ne constituent une future menace sécuritaire.

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Notes 1

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L’équipe de recherche s’est entretenue tant avec des membres de communautés affectées par les violences de Boko Haram qu’avec d’autres personnes travaillant sur Boko Haram ou dans des zones touchées afin d’aider les communautés. Dans ce rapport, les personnes tombant dans la première catégorie sont appelées « habitants » ou « résidents » et les autres sont appelées « interlocuteurs », afin de distinguer les expériences personnelles des expériences professionnelles du conflit. Les expériences des habitants interrogés ont mis en lumière les dynamiques locales des groupes extrémistes violents opérant dans le nord-est du Nigeria ainsi que leur impact sur les populations civiles. Si les dynamiques du conflit diffèrent considérablement d’une région à l’autre, voire d’une ville à l’autre, des caractéristiques transversales essentielles sont apparues. Par ailleurs, les différences relevées demeurent pertinentes, car témoignant également de certaines tendances.

vanguardngr.com/2017/03/nigeria-lake-chad-region-porousborders-pose-threats-security-lives/. 10 Néanmoins, le taux de pauvreté ne doit pas être considéré comme le seul indicateur d’une éventuelle insécurité future. D’autres États du Nord, comme ceux de Sokoto et de Zamfara, avaient des taux de pauvreté plus élevés que celui de Borno, mais n’ont pas été affectés par la crise de Boko Haram ; Country Briefing 2017: Nigeria, Oxford Poverty and Human Development Initiative, juin 2017. 11 International Crisis Group, Cameroon: Confronting Boko Haram, 16 novembre 2016, p. 3. 12 Cameroun : 8 millions de pauvres, 3,2 millions de personnes en besoin d’assistance d’urgence en 2017, Cameroon Voice, www.cameroonvoice.com/news/article-news-27548. html#7CsIW6Dz4ObBZ6QV.99. 13 United Nations Population Fund, Demographic Dynamics and the Crisis of Countries around Lake Chad, 2017. 14 A Coghlan, Did shrinking Lake Chad help Boko Haram grow?, New Scientist, 21 janvier 2015, www.newscientist. com/article/dn26829-did-shrinking-lake-chad-help-bokoharam-grow/. 15 Boko Haram terrorists thriving on climate crisis: report, Climate Change News, 20 avril 2017, www. climatechangenews.com/2017/04/20/boko-haram-terroriststhriving-climate-crisis-report/. 16 TC Lake Chad Basin: Sustainable Water Management, www. bgr.bund.de/EN/Themen/Wasser/Projekte/abgeschlossen/ TZ/Tschad/tschad-I_fb_en.html.

3

Formbui Zina Antimbom, Transnationalization of terrorism in the Lake Chad Basin: The case of Boko Haram, mémoire de maîtrise, Pan-African Institute for Development - West Africa, Buea, Cameroun, juin 2016, www.paidafrica.org/paidwa/ images/data/Formbui_Zina_Antimbom_Thesis.pdf%20.

17 A Shrinking Lake and a Rising Insurgency: Migratory Responses to Environmental Degradation and Violence in the Lake Chad Basin, http://labos.ulg.ac.be/hugo/wp-content/ uploads/sites/38/2017/11/The-State-of-EnvironmentalMigration-2015-13-29.pdf.

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Entretiens avec des habitants, Maiduguri, du 24 au 31 mars 2018.

5

Transparency International, Corruption Perceptions Index 2017, 21 février 2018, www.transparency.org/news/ feature/corruption_perceptions_index_2017#table.

18 Climate Change, Conflict and Crisis in Lake Chad, FriEnt, 30 octobre 2017, www.frient.de/en/news/details/news/ climate-change-conflict-and-crisis-in-lake-chad/.

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L’ISS tient à jour une base de données sur les violences perpétrées dans la région du lac Tchad et probablement imputables à Boko Haram. Cette base de données apporte un éclairage sur les principales caractéristiques et les grandes évolutions du conflit. Elle n’est toutefois pas exempte de limites, car elle s’appuie sur la couverture médiatique du conflit : au vu de la difficulté d’accéder aux zones reculées de la région, il est fort probable que la base de données ne recense qu’une fraction des violences perpétrées. En ce sens, les données présentées ici ne doivent en aucun cas être considérées comme répertoriant chaque attaque perpétrée dans la région, mais plutôt comme un indicateur des grandes tendances et des caractéristiques générales du conflit.

Par exemple, voir « Cameroon’s Secret Torture Chambers: Human Rights Violations and War Crimes in the Fight Against Boko Haram », Amnesty International, 20 juillet 2017 ; Human Rights Watch, Spiraling Violence : Boko Haram Attacks and Security Force Abuses in Nigeria, 11 octobre 2012. Des habitants du district de Ngala ont fait remarquer que la contrebande de biens de première nécessité entre la ville frontalière de Gamboru et le Cameroun ou le Tchad était une activité courante ; entretiens avec des habitants de Ngala à Maiduguri, le 26 mars 2018.

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W Assanvo, EJ Abatan et WA Sawadogo, Assessing the Multinational Joint Task Force against Boko Haram, ISS West Africa Report, 15 septembre 2016.

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Ndahi Marama, Nigeria, Lake Chad region porous borders pose threats to security, lives, Vanguard, 6 mars 2017, www.

19 A Coghlan, Did shrinking Lake Chad help Boko Haram grow?, New Scientist, 21 janvier 2015, www.newscientist. com/article/dn26829-did-shrinking-lake-chad-help-bokoharam-grow/. 20 Virginia Comolli, “The evolution and impact of Boko Haram in the Lake Chad Basin”, Human Practice Network, octobre 2017, https://odihpn.org/magazine/the-evolutionand-impact-of-boko-haram-in-the-lake-chad-basin/ 21 Uthman Abubakar, Governors of Lake Chad area establish forum, Daily Trust, 3 mai 2018, www.dailytrust.com.ng/ governors-of-lake-chad-basin-area-establish-forum.html. 22 Challenges before the Multinational Joint Task Force, The Nerve, 12 mars 2018, http://thenerveafrica.com/15452/ challenges-before-the-multinational-joint-task-force/. 23 IO Albert, Rethinking the Functionality of the Multinational Joint Task Force in Managing the Boko Haram Crisis in the Lake Chad Basin, Africa Development : XLII, 3, 2017, www.

FAIRE FACE À BOKO HARAM DANS LA RÉGION DU LAC TCHAD : POLITIQUES, COOPÉRATION ET MOYENS DE SUBSISTANCE

jstor.org/stable/pdf/90018137.pdf?refreqid=excelsior%3A72e 3b02505325a41a9b74055b155ceb1. 24 Lt Col Sagir Musa, BAGA: Multinational Joint Task Forces, BHTs And Host Community, Sahara Reporters, 7 mai 2013, http://saharareporters.com/2013/05/07/baga-multinationaljoint-task-forces-bhts-and-host-community-lt-col-sagir-musa. 25 Union africaine, Communique of the 484th meeting of the PSC on the Boko Haram terrorist group, 30 janvier 2015, www.peaceau.org/en/article/communique-of-the-484thmeeting-of-the-psc-on-the-boko-haram-terrorist-group ; par exemple, le 29 octobre 2016 l’UA a donné à la FMM 15 véhicules, 30 motocyclettes and huit générateurs électriques. Ces articles ont été achetés en utilisant de l’argent du Royaume-Uni versé à la Facilité de paix de l’UA dans le but d’accroître les efforts des pays contributeurs de troupes de la FMM. 26 W Assanvo, EJ Abatan et WA Sawadogo, Assessing the Multinational Joint Task Force against Boko Haram, 15 septembre 2016. 27 Union africaine, Press statement on the 680th PSC meeting on the Operations of the Multinational Joint Task Force against the Boko Haram terrorist group, 21 avril 2017, www. peaceau.org/en/article/press-statement-of-the-680th-pscmeeting-of-mnjtf. 28 Entretien avec des fonctionnaires de l’UA impliqués dans les dossiers de sécurité, Addis Abeba, 21 juillet 2017. 29 Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, January 2018 Monthly Forecast, 28 décembre 2017, www.securitycouncilreport.org/monthly-forecast/2018-01/ west_africa_and_the_sahel.php ; Le Tchad a-t-il retiré ses forces du Niger ?, Radio France internationale (RFI), 15 octobre 2017, www.rfi.fr/afrique/20171015-tchad-nigerredeploiement-troupes-wour-tibesti-boko-haram-lac-diffa. 30 MNJTF Kills 52 terrorists, loses 22 soldiers in Lake Chad, Press Nigeria Release, 26 avril 2018, https://prnigeria. com/2018/04/26/mnjtf-kills-52-terrorists-loses-22-soldiers/. 31 Des soldats camerounais ont également participé à l’opération Deep Punch I, qui a abouti à la mort de dizaines de terroristes et à la destruction d’ateliers de fabrication d’explosifs. 32 L’Œil du Sahel, Twitter, 9 janvier 2018, https://twitter.com/ loeil_du_sahel/status/950653356204322816. 33 O Nwachukwu, General Rogers Inducts Cameroonian Defence Forces into Operation Lafiya Dole, Press Nigeria Release, 5 février 2018, https://prnigeria.com/2018/02/05/ general-rogers-inducts-cameroonian-defence/ ; Boko Haram: Army reopens Maiduguri-Bama-Banki int’l highway, Vanguard, 28 mars 2018, www.vanguardngr.com/2018/03/ boko-haram-army-reopens-maiduguri-bama-banki-intlhighway/. 34 NAF Jets Bombard Terrorists Hide-Outs with Intelligence from Niger Republic, Press Nigeria Release, 10 avril 2018, https://prnigeria.com/2018/04/10/naf-aircrafts-bombardterrorists-hide-outs/ ; Boko Haram kills three Chadian soldiers, Vanguard, 18 avril 2018, www.vanguardngr. com/2018/04/boko-haram-kills-three-chadian-soldiers/. 35 Comme l’a expliqué un interlocuteur de l’équipe de recherche, les militaires estiment que si des civils ne sont pas attaqués dans la zone d’opérations de Barnawi, c’est qu’ils collaborent avec lui. Une telle vision reflète une compréhension limitée des divergences à l’origine de la scission entre les deux factions. Entretien avec un chercheur local, Maiduguri, le 27 mai 2017 ; entretien avec un chercheur travaillant pour le gouvernement, Abuja, le 30 mai 2017. 36 Gouvernement du Nigeria, Nigeria’s counter insurgency strategy: Boko Haram in perspective, http://ctc.gov.

ng/wp-content/uploads/2017/10/NIGERIA-COUNTERINSURGENCY-STRATEGY.pdf. 37 P Carsten et O Lanre, Nigeria puts fortress towns at heart of new Boko Haram strategy, Reuters, 1er décembre 2017, https:// af.reuters.com/article/topNews/idAFKBN1DV4H8-OZATP. 38 Buhari approves $1bn to purchase equipment to fight Boko Haram, PM News, 13 avril 2018, www.pmnewsnigeria. com/2018/04/04/buhari-approves-1bn-to-purchaseequipment-to-fight-boko-haram. 39 Marte demeure l’un des deux districts dont l’accès est encore interdit, malgré les promesses répétées de l’armée nigériane de leur prochaine réouverture. Entretien avec un travailleur humanitaire, Maiduguri, le 29 mars 2018. 40 En août 2016, l’armée de l’air nigériane a estimé que deux frappes aériennes dans le Nord de l’État de Borno avaient tué près de 300 militants, tandis qu’une autre réalisée en juillet 2017 a ciblé ce qui pourrait être un camp de Barnawi à Alagarno ; À Famuyiwa, Video: NAF Jet Kills 300 Terrorists in Northern Borno, 23 août 2016, https://prnigeria.com/ security/video-naf-jet-kills-300-terrorists-northern-borno/ ; À Famuyiwa, NAF Aircraft Attacks Location of Boko Haram Leadership, 1er septembre 2016, https://prnigeria. com/security/naf-aircraft-attacks-location-boko-haramleadership/ ; O Adesanya, NAF jets bombard terrorists’ facilities, 5 juillet 2017, https://prnigeria.com/security/naf-jetsbombard-terrorists/. 41 Il est possible que Buhari ait simplement voulu dire « capturer le Camp Zéro », le camp principal de la faction Shekau situé dans la forêt de Sambisa. Cette faction demeure néanmoins clairement active dans la forêt et ses alentours ; Capture Shekau Dead or Alive in 40 days Buratai orders war commander, This Day, 23 juillet 2017, www.thisdaylive. com/index.php/2017/07/23/capture-shekau-dead-or-alivein-40-days-buratai-orders-war-commander/ ; Boko Haram leader Shekau injured, deputy dead in air strike, Daily Trust, 3 mai 2017, www.dailytrust.com.ng/news/general/ boko-haram-leader-shekau-injured-deputy-dead-in-airstrike/196128.html ; O Adesanya, NAF airstrike kills Shekau’s wife, Press Nigeria Release, 25 octobre 2017, https:// prnigeria.com/security/naf-airstrike-kills-shekaus-wife/. 42 Entretien Skype avec un travailleur humanitaire fortement impliqué dans le nord du Nigeria, Addis Abeba/Paris, le 27 novembre 2017 ; un interlocuteur de l’équipe de recherche a indiqué avoir entendu parler d’opérations quotidiennes autour de Sambisa, mais beaucoup moins dans le Nord, entretien avec un travailleur humanitaire, Maiduguri, le 27 mai 2017. 43 Entretien avec un travailleur humanitaire, Abuja, le 22 mai 2017. 44 L’EIAO reste relativement discret en matière de communication. Ainsi, d’après un décompte effectué par les auteurs de ce rapport, si le JAS a publié 26 vidéos depuis août 2016, l’EIAO n’en a publié que quatre depuis la scission. De plus, Barnawi lui-même évite de se mettre en lumière et apparaît rarement dans les vidéos. Cela était déjà le cas lorsqu’il opérait sous les ordres de Shekau, puisqu’à l’occasion de sa seule apparition à l’écran, il s’était couvert le visage. 45 Entretien avec un chercheur local, Maiduguri, le 24 mars 2018 ; entretien Skype avec un travailleur humanitaire, le 5 avril 2018. 46 Army launches Operation Last Hold to totally destroy Boko Haram, Press Nigeria Release, 20 avril 2018, https://prnigeria. com/2018/04/20/army-operation-last-hold-destroy-bokoharam/. 47 Entretien avec un chercheur local, Maiduguri, le 24 mars 2018.

RAPPORT DE RECHERCHE DE L’ISS

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48 Deux résidents de la région ont mentionné à l’équipe de recherche que le JAS ne forçait pas physiquement les femmes à devenir des kamikazes, mais que ses membres les harcelaient constamment et les soumettaient à des prêches jusqu’à ce qu’elles acceptent ; entretiens avec des habitants de Bama, à Maiduguri, le 23 mars 2018 ; entretien avec des habitants de Gwoza, à Maiduguri, le 25 mars 2018. 49 Par exemple, après l’attentat suicide qui a frappé Mubi en novembre 2017, l’attaque la plus meurtrière dans le pays depuis un an et qui plus est dans une zone qui n’avait connu aucune violence depuis près de trois ans, le président nigérian Muhammadu Buhari a qualifié l’attentat de « dernier soubresaut » du groupe ; L Opoola, B/Haram bombings last kicks of dying horse – Buhari », Daily Trust, 27 novembre 2017, www.dailytrust.com.ng/b-harambombings-last-kicks-of-dying-horse-buhari.html. 50 Entretiens avec des responsables militaires à Kousséri, le 26 mars 2018. Selon ces gradés, l’armée n’était pas outillée pour combattre Boko Haram. Sans aucune expérience opérationnelle de ce type de conflit, les hommes ont eu beaucoup de mal à s’ajuster au début, tout comme l’institution militaire. Au fil du temps, le haut commandement a appris quels équipements et quelles ressources fournir à ses soldats. 51 Entretiens avec des responsables militaires à Kousséri, juin 2017. 52 Entretiens avec des responsables militaires de retour d’opérations de terrain, août 2016 ; Kousséri : les nouveaux commandants de la 41e Brigade d’infanterie motorisée et de la légion de gendarmeries du Logone et Chari installés, Actu Cameroun, https://actucameroun.com/2017/07/24/ cameroun-kousseri-les-nouveaux-commandants-dela-41e-brigade-dinfanterie-motorise-et-de-la-lgion-degendarmeries-du-logone-et-chari-installs/. 53 Entretien avec Chetima Malla Abba, délégué à la sécurité nationale pour la région de l’Extrême Nord.

64 International Crisis Group, Cameroon’s Far North: Reconstruction amid Ongoing Conflict, 25 octobre 2017, www.crisisgroup.org/africa/central-africa/cameroon/ b133-extreme-nord-du-cameroun-le-casse-tete-de-lareconstruction-en-periode-de-conflit. 65 Entretien avec des jeunes de Diffa, mars 2018. 66 Il s’agit-là du point de vue prévalant dans les entrevues menées à Maiduguri auprès des habitants, du 22 au 31 mars 2018. 67 Entretien avec un fonctionnaire de l’État de Borno, Maiduguri, le 29 mars 2018. 68 Certaines communautés ont décidé d’elles-mêmes de former des unités d’autodéfense tandis que d’autres y ont été encouragées par le gouvernement et des membres d’autres unités déjà formées ; entretiens réalisés à Maiduguri, du 22 au 31 mars 2018. 69 International Crisis Group, Double-edged sword: Vigilantes in African counter- insurgencies, 7 septembre 2017, www. crisisgroup.org/africa/west-africa/sierra-leone/251-doubleedged-sword-vigilantes-african-counter-insurgencies. 70 Nigeria’s Boko Haram-fighting vigilantes losing heart, The Irish Times, 7 août 2017. www.irishtimes.com/news/world/ africa/nigeria-s-boko-haram-fighting-vigilantes-losingheart-1.3179531. 71 UNICEF (15 septembre 2017), Civilian Joint Task Force in Northeast Nigeria Signs Action Plan to End Recruitment of Children, , www.unicef.org/media/media_100837.html. 72 Entretien avec des chercheurs locaux, Maroua, le 2 avril 2018. 73 A Mahamat, La confrérie des guerriers-chasseurs kotoko dans la lutte contre l’insécurité dans le département du Logone et Chari (Cameroun), communication présentée lors du XVIIe Colloque du réseau Méga-Tchad sur les insécurités dans le bassin du lac Tchad, Paris, 15 juin 2017.

54 R Tongue, Lutte contre Boko Haram : un commandement opérationnel à l’Extrême-Nord, Le Messager, 21 juillet 2014.

74 Entretien avec des membres impliqués dans la sécurisation du territoire, Nord Cameroun, mars 2018.

55 Comme l’opération spéciale de ratissage menée du 26 au 28 novembre contre Boko Haram, laquelle a permis de neutraliser plusieurs djihadistes, de libérer 900 otages, de saisir une grande quantité d’armes de la secte et de confisquer son drapeau. Deux autres opérations de ratissage ont été menées du 26 février au 7 mars 2017 sur une cinquantaine de kilomètres dans les villages frontaliers de Mayo-Sava, et du 27 au 28 avril 2017 à Ndaba, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun.

75 Ces téléphones sont parfois mis sur écoute, comme l’ont appris à leurs dépends certains membres des comités de vigilance qui communiquaient des informations sensibles à Boko Haram ; voir Tilouine, Joan, Cameroun : les comités de vigilance contre Boko Haram, de la défense à l’attaque, Le Monde, www.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/20/ cameroun-les-comites-de-vigilance-contre-bokoharam-de-la-defense-a-lattaque_4972366_3212. html#iK6lguRjjz6hPjm5.99.

56 Entretien avec le commandant de la légion de gendarmerie de la région d’Extrême-Nord, le colonel Ngouyamsa.

76 International Crisis Group, In the Tracks of Boko Haram in Cameroon, , 2 septembre 2016, www.crisisgroup.org/africa/ central-africa/cameroon/tracks-boko-haram-cameroon.

57 Entretien avec Saibou Issa, Nord Cameroun, mars 2018. 58 Entretien avec le lamido de Kolofata, Kolofata, mars 2018. 59 Ibid. 60 Entrevue du lieutenant-colonel Nko’o Ella, commandant de la zone Sud de la BIR à Kolofata diffusé sur France 24 le 22 mars 2018 et disponible sur YouTube. 61 D Martin, Une incursion de Boko Haram repoussée à Amchidé, L’œil du Sahel, www.camer.be/67434/11:1/ cameroun-une-incursion-de-boko-haram-repoussae-aamchida-cameroon.html (consulté le 6 juin 2018). 62 Il ne s’agit en aucun cas ici de réaliser un compte rendu exhaustif des activités gouvernementales face à Boko Haram dans la région, mais plutôt de mettre en lumière certains aspects clés de ces activités afin de donner un aperçu des défis auxquels la région est confrontée. 63 Red gold and fishing in the Lake Chad Basin, Oxfam Briefing Note, février 2017, www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/

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files/file_attachments/bn-red-gold-fishing-lake-chad-010217en.pdf.

77 Dans une entrevue avec L’œil du Sahel datant du 17 avril 2017, Viché Yatahad, le maire de la commune de Mozogo estime que « le gouvernement doit ouvrir l’œil sur les actions des soldats et des comités de vigilance », semblant vouloir souligner l’existence de problèmes dans certains secteurs de Mayo-Moskota à même de générer de nouvelles tensions. Plus de 2 000 jeunes de cette commune ont rejoint les rangs de Boko Haram. 78 Tchamaya Sarina, le chef du comité de vigilance de Kolofata, a été détenu pendant 58 jours dans le camp de Kolofata de la BIR pour collusion avec Boko Haram, Actu Cameroun, 14 février 2017, https://actucameroun.com/2017/02/14/ cameroun-extreme-nord-le-president-du-comite-devigilance-de-kolofata-enfin-relache-par-larmee/. 79 95 former Boko Haram insurgents graduate in Gombe, Daily Trust, 28 février 2018, www.dailytrust.com.ng/95-formerboko-haram-insurgents-graduate-in-gombe.html.

FAIRE FACE À BOKO HARAM DANS LA RÉGION DU LAC TCHAD : POLITIQUES, COOPÉRATION ET MOYENS DE SUBSISTANCE

80 Un interlocuteur de l’équipe de recherche a tourné en dérision ce programme qu’il a qualifié de « country club » pour membres de Boko Haram, alors que les personnes déplacées à l’intérieur du pays en sont réduites à mendier pour obtenir de la nourriture ; entretien avec un conseiller du gouvernement, Abuja, le 19 mars 2018. 81 Nigeria Boko Haram militants offered olive branch by army, BBC, 7 avril 2016, www.bbc.com/news/worldafrica-35989401. 82 Stakeholders’ Dialogue on Government Approaches to Managing Defecting Violent Extremists, Centre for Democracy and Development, 2016. Par exemple, au début du programme, deux anciens militants ayant obtenu leur diplôme auraient été tués à leur retour dans leur communauté d’origine, O Anyadike, Boko Haram : Nigeria winning the battle but losing the war?, IRIN, 4 mai 2017, www.irinnews.org/feature/2017/05/04/boko-haram-nigeriawinning-battle-losing-war. 83 La mise en place de formations professionnelles a également été recommandée en complément des sessions de « déradicalisation ». Ces formations n’auraient toutefois pas encore débuté, alors que les sessions de « déradicalisation » elles-mêmes ne sont pas proposées de manière systématique ; Regional Stabilization Strategy for the Lake Chad Basin Region Affected by Boko Haram, conférence organisée par l’Union africaine et la Commission du basin du lac Tchad, Niamey, 30-31 mai 2018 ; O Anyadike, How jobs can help Niger win the war against Boko Haram, IRIN, 17 juillet 2017, www.irinnews.org/analysis/2017/07/17/howjobs-can-help-niger-win-war-against-boko-haram. 84 Dans les faits, il semble toutefois que cette amnistie ait toujours cours ; entretien avec un individu basé dans la région et impliqué dans le programme de défection, Niamey, le 30 mai 2018 ; Les combattants de Boko Haram ont jusqu’au 31 décembre pour se rendre, Jeune Afrique, 16 octobre 2017, www.jeuneafrique.com/483417/politique/ niger-les-combattants-de-boko-haram-ont-jusquau-31decembre-pour-se-rendre/. 85 Niger : une attaque attribuée à Boko Haram dans la région de Diffa, RFI, 3 juillet 2017, www.rfi.fr/afrique/20170703-nigerune-attaque-attribuee-boko-haram-region-diffa. 86 Organisation internationale pour les migrations, Nigeria Flash Report: Reopening of Maiduguri-Bama-Banki Road, www.globaldtm.info/iom-nigeria-flash-report-vii-reopeningof-maiduguri-bama-banki-road-3-april-2018/ ; Borno

Security Council Approves Return Of 120,000 IDPs To Bama, Channels Television, 27 mars 2018, www.channelstv. com/2018/03/27/borno-security-council-approves-return-of120000-idps-to-bama/ 87 Dans le cadre d’un partenariat avec le gouvernement fédéral, l’État de Borno aurait financé la reconstruction d’un tiers de ces logements et Abuja aurait financé le reste. I Gusau, Boko Haram : Shettima, UN-DSG Amina Tour Bama as Borno Rebuilds Homes, Classrooms, Press Nigeria Release, 11 janvier 2018, https://prnigeria.com/2018/01/11/bokoharam-shettima-un-amina-tour-bama-borno/ ; Osinbajo Meets Service Chiefs, Dandal Kura, www.dandalkura.com/ news/osinbajo-meets-service-chiefs-borno-state-governorreconstruction-northeast/. 88 Entretien avec un universitaire, Maiduguri, le 29 mars 2018. 89 Entretien avec des habitants de Damboa, à Maiduguri, le 25 mars 2018 ; entretien avec des habitants de Ngala, à Maiduguri, le 26 mars 2018. 90 Entretien avec un représentant du gouvernement de l’État de Borno, Maiduguri, le 29 mars 2018. 91 Néanmoins, un fonctionnaire impliqué dans les efforts de reconstruction a noté que le prochain cycle électoral pouvait également être une bonne chose, car il pourrait inciter les responsables politiques à faire preuve d’une plus grande volonté politique pour atteindre certains objectifs clés ; entretien avec un fonctionnaire, Maiduguri, le 26 mars 2018 ; entretien avec un travailleur humanitaire, Maiduguri, le 23 mars 2018. 92 Entretien avec un représentant du gouvernement de l’État de Borno, Maiduguri, le 29 mars 2018. 93 Le gouvernement de Goodluck Jonathan a notamment soustraité une partie des activités militaires à des mercenaires d’autres pays et n’a pas réussi à assurer une bonne coordination avec les voisins. Certaines zones reprises par les armées des pays de la région, comme celle de Damasak, ont ensuite été reconquises par Boko Haram, forçant l’armée nigériane à mener de nouveaux combats pour en reprendre le contrôle ; Nigeria : Boko Haram reprend la ville de Damasak, RFI, 16 juillet 2015, www.rfi.fr/afrique/20150716tchad-boko-haram-reprise-damasak-nigeria/ ; A Nossiter, Nigerian army noticeably absent in town taken from Boko Haram, New York Times, 20 mars 2015, www.nytimes. com/2015/03/21/world/africa/nigerian-army-noticeablyabsent-in-town-taken-from-boko-haram.html.

RAPPORT DE RECHERCHE DE L’ISS

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À propos de ce rapport Ce rapport, réalisé par l’Institut d’études de sécurité (ISS), est le deuxième d’une recherche en deux volets sur la dynamique actuelle des organisations extrémistes violentes (OEV) opérant dans la région du lac Tchad (Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger). Une première analyse porte sur les dissensions au sein de Boko Haram, tandis que la seconde s’intéresse aux mesures adoptées face à la crise et aux défis actuels.

À propos des auteurs Omar S. Mahmood est chercheur à l’ISS. Il est basé à Addis Abeba. Il a travaillé en tant que consultant dans le domaine de la sécurité internationale, spécialisé dans les régions du bassin du lac Tchad et de la Corne de l’Afrique. Il a aussi été analyste principal dans un cabinet de conseil situé à Washington DC et volontaire au Burkina Faso dans le Corps de la Paix. Omar est titulaire d’un master en études de sécurité et résolution des conflits de l’École Fletcher de l’université Tufts à Boston. Ndubuisi Christian Ani est chercheur à l’ISS. Il est basé à Addis Abeba. Ses domaines de recherche portent sur la paix et la sécurité, la démocratie et la gouvernance, la cohésion sociale ainsi que les systèmes autochtones. Ndubuisi est titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud.

À propos de l’ISS L’Institut d’études de sécurité (ISS) établit des partenariats pour consolider les savoirs et les compétences en vue d’un meilleur futur pour l’Afrique. L’ISS est une organisation africaine non lucrative dont les bureaux sont situés en Afrique du Sud, au Kenya, en Éthiopie et au Sénégal. Grâce à ses réseaux et à son influence, l’ISS propose aux gouvernements et à la société civile des analyses pertinentes et fiables, ainsi que des formations pratiques et une assistance technique.

Remerciements L’ISS remercie les membres de son Forum pour le Partenariat pour leur appui : la fondation Hanns Seidel, l’Union européenne et les gouvernements de l’Australie, du Canada, du Danemark, de la Finlande, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Suède et des États-Unis d’Amérique.

Image de couverture : USAFRICOM/Flickr Les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut, de ses fiduciaires, des membres du Conseil consultatif ou des bailleurs de fonds. Les auteurs contribuent aux publications de l’ISS à titre personnel.