Du PIB à l'indice de progrès véritable : de nouveaux

Équiterre et la fondation David-Suzuki soulignent la pénurie d'indicateurs ..... bien-être économique a été élaboré par les Canadiens Osberg et Sharpe en 1998.
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Université de Nantes Institut d’économie et de management de Nantes – IAE

DU PIB À L’INDICE DE PROGRÈS VÉRITABLE : DE NOUVEAUX INDICATEURS POUR UNE ÉCONOMIE ASSIMILANT LES LIMITES DE LA PLANÈTE (MÉMOIRE PROFESSIONNEL) Rapport et mémoire de stage

Thomas MARIN Année universitaire : 2009-2010 Master 2 APE spécialité EDD (« Économie du développement durable »)

Nature Québec 870, avenue De Salaberry, bureau 207 Québec (Québec) Canada

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

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Remerciements Je tiens à remercier toutes les personnes suivantes pour leur collaboration et leurs généreux conseils : Harvey Mead Christian Simard, directeur général, Nature Québec Mylène Bergeron, coordonnatrice aux communications et aux sollicitations, Nature Québec Christine Gingras, chargée de projet Agriculture, Nature Québec Édith Cadieux, chargée de projet Aires protégées, Nature Québec Greg St-Hilaire, chargé de projet Forêt, Nature Québec Emmanuelle Hetsch, stagiaire, Nature Québec Marie-Claude Chagnon, adjointe de projets, Nature Québec Denis Boutin, économiste agronome, MDDEP Éric Darier, Greenpeace Québec Gaël Virlouvet, France Nature Environnement Hugo Seguin, Équiterre Ramsey Hart, Mining Watch Canada Guillaume Billé, Greenpeace France Dorothée Brécard, Université de Nantes Toute l’équipe de Nature Québec

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Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

Résumé Au vu des crises actuelles, il semblerait que les outils avec lesquels nous apprécions l’état de la société et son évolution, et sur lesquels nous nous basons pour prendre des décisions, ne sont pas adaptés aux enjeux du développement durable (DD) ; nous faisons notamment la critique du PIB comme indicateur de progrès. La métaphore du pilote d’avion dont les instruments de bord ne lui fournissent pas les bonnes indications (Bennett, 1998) illustre bien cette problématique. La mise en place d’indicateurs de développement durable (IDD) s’inscrit dans la volonté de résoudre ces difficultés. Dans un premier temps, ce document présente une vue d’ensemble des défis dans l’élaboration d’indicateurs. Nous insistons sur la question du cadre théorique, sur lequel se fonde le système d’indicateurs, évoquant ainsi les fondements de l’économie écologique face à ceux, plus répandus, de l’économie néoclassique. Rappelons la nécessité du débat démocratique quant à la définition collective du développement durable, car il ne suffit pas de concevoir de nouveaux instruments, encore faut-il que les passagers s’accordent sur la destination de l’appareil ! Les démarches de l’Union européenne, de la France et du Québec dans la mise en place de leur système d’IDD sont ensuite présentées brièvement, complétées par un survol rapide des principaux indicateurs globaux de DD, tel que l’indice de développement humain ou l’empreinte écologique. Dans un second temps, nous détaillons la construction d’un indice synthétique développé par les économistes écologiques : l’indice de progrès véritable (IPV). Cet indice cherche à corriger les lacunes du PIB en intégrant les coûts sociaux et environnementaux de nos modes de vie. Nous prenons l’exemple du travail de Harvey Mead concernant la construction de l’IPV pour le Québec. Ses résultats offrent une toute autre image de l’économie québécoise ; il faut cependant souligner que ce travail se heurte à de nombreuses limites méthodologiques et statistiques. Enfin, nous abordons la question du rôle de Nature Québec et des autres associations environnementales face aux problématiques économiques, en particulier celle de l’évaluation des biens et services écologiques, ainsi que leur implication dans l’avènement d’une nouvelle économie « verte ». Nous terminons par quelques recommandations adressées à Nature Québec pour intégrer l’analyse économique dans sa démarche, à moyen et long terme.

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Table des matières Introduction ................................................................................................................ 1 Partie I — Les indicateurs de développement durable .................................................................. 3 1.1

Les IDD : enjeux et définitions .................................................................................................... 3 1.1.1 Les enjeux des IDD ......................................................................................................... 3 1.1.2

Les différentes catégories d’IDD .................................................................................... 4 1.1.2.1 Le tableau de bord ............................................................................................ 5 1.1.2.2 L’indice global.................................................................................................... 6 1.1.2.3 Quelques remarques......................................................................................... 7

1.2

Mise en place de système d’IDD : cas de l’Union européenne, de la France et du Québec ....... 9 1.2.1 Les recommandations des experts ................................................................................ 9 1.2.2 La démarche de l’Union européenne .......................................................................... 10 1.2.3 La démarche française ................................................................................................. 11 1.2.4 La démarche québécoise ............................................................................................. 12 1.2.4.1 Une première liste d’IDD................................................................................. 12 1.2.4.2 Critiques de la démarche gouvernementale................................................... 15

1.3

Les principaux indicateurs globaux de développement durable .............................................. 21 1.3.1 Les indicateurs sociaux................................................................................................. 21 1.3.1.1 L’indice de développement humain................................................................ 21 1.3.1.2 L’indice de santé sociale.................................................................................. 22 1.3.2 Les indicateurs environnementaux .............................................................................. 24 1.3.2.1 L’empreinte écologique ................................................................................... 24 1.3.2.2 L’indice de durabilité environnementale et l’indice de performance environnementale ................................................... 26 1.3.3 Les indicateurs de bien-être et les « PIB verts » .......................................................... 26 1.3.3.1 L’épargne nette ajustée ................................................................................... 26 1.3.3.2 L’indicateur de bien-être économique (IBEE) ................................................. 28 1.3.3.3 Les PIB « verts » .............................................................................................. 28

Partie II — L’indice de progrès véritable : exemple de son élaboration pour le Québec ................ 31 2.1

L’IPV comme alternative au PIB ................................................................................................ 31 2.1.1 Les limites du PIB comme mesure du bien être d’une société .................................... 31 2.1.2 L’IPV.............................................................................................................................. 34

2.2

La construction d’un IPV pour le Québec : le travail de Harvey Mead ..................................... 37 2.2.1 L’objectif du travail et la structure de l’IPV .................................................................. 37

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Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète 2.2.2

Construction de l’IPV : quelques étapes ...................................................................... 38 2.2.2.1 Quatre exemples de composantes détaillées ................................................. 38 2.2.2.2 D’autres composantes..................................................................................... 44 2.2.2.3 Quelques résultats .......................................................................................... 47

Partie III — Comment les associations/ONG environnementales s’approprient-elles la question de l’économie ? .......................................................... 53 3.1

Le rôle de Nature Québec ......................................................................................................... 54

3.2

Le lien entre économie et environnement ............................................................................... 56 3.2.1 L’enjeu de la valorisation des services écologiques ..................................................... 56 3.2.2

La notion de valeur économique totale ....................................................................... 57

3.2.3 3.2.4

Les principales méthodes d’évaluation ........................................................................ 58 L’émergence d’une nouvelle économie centrée autour de l’environnement .............. 60

3.3

Quel rôle peuvent jouer les ONG environnementales et Nature Québec dans la mise en œuvre de cette nouvelle économie ou économie « verte » ? ........................ 61 3.3.1 Les difficultés rencontrées ........................................................................................... 61 3.3.2 Exemple de Nature Québec ......................................................................................... 62 3.3.3 Cas d’autres associations ............................................................................................. 64 3.3.3.1 Équiterre ......................................................................................................... 65 3.3.3.2 Mines Alerte Canada....................................................................................... 65 3.3.3.3 France Nature Environnement ........................................................................ 66

3.4

Recommandations à Nature Québec ........................................................................................ 68 3.4.1 Nature Québec et l’économie aujourd’hui .................................................................. 68 3.4.2 Les possibilités pour Nature Québec ........................................................................... 69 3.4.2.1 Développer l’expertise économique au sein de Nature Québec .................... 69 3.4.2.2 Nature Québec et l’émergence d’une nouvelle économie verte .................... 70

CONCLUSION ............................................................................................................. 73 Références ................................................................................................................. 75 Documents ................................................................................................................................ 75 Sites internet ............................................................................................................................. 78

Annexes 1 — Tableau présentant quelques résultats des travaux sur l’IPV de Harvey Mead ............................. 79 2 — Tableau préliminaire des composantes de l’IPV pour le Québec ................................................... 81 3 — Interview de Gaël Virlouvet ............................................................................................................ 85

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INTRODUCTION L’homme a besoin de la nature pour vivre et se développer. Depuis toujours, ses activités ont des conséquences sur l’environnement. Il est même arrivé parfois que des civilisations sous-estiment cet impact, provoquant alors leur disparition1. Un tournant s’est produit avec la révolution industrielle du 19e siècle, qui marque l’avènement du capitalisme et d’un modèle économique basé essentiellement sur la croissance économique. Prônant les valeurs de production, de productivité et d’accumulation du profit, ce modèle permet la production de masse et aboutit, après la Seconde guerre mondiale, à l’émergence de la société de consommation, c’est-à-dire une société basée sur une consommation abondante de biens et services. C’est aussi à cette époque que se généralise l’élaboration de comptabilités nationales, dont l’agrégat principal est le produit intérieur brut (PIB) et dont l’objectif est de mesurer la capacité de production du pays. Ce nouveau modèle, qui nécessite notamment une consommation toujours plus importante de ressources naturelles considérées comme illimitées, accentue de façon substantielle notre impact sur la planète. En 1972, le club de Rome relance le débat en publiant le rapport The Limits to Growth 2, traduit en français par Halte à la croissance ou connu sous le nom de rapport Meadows3. Pour ce groupe de personnalités et d’experts en informatique de l’époque, le mode de vie des sociétés occidentales n’est pas durable du fait de la surexploitation des ressources qu’entraîne cette quête de croissance combinée à une augmentation démographique importante. Puis, en 1987, le concept de développement durable prend forme avec le rapport Brundtland 4. Se développe cette idée de concilier développement économique, protection de l’environnement ainsi que la cohésion sociale. On prend conscience, dans une plus grande mesure, des effets néfastes de notre modèle économique sur l’environnement et sur les liens sociaux. La conférence de Rio de 1992, organisée par les Nations Unies pour le cinquième anniversaire du rapport Brundtland, affine et officialise la notion de développement durable, et souligne la nécessité de disposer d’une information quantitative pour mesurer les progrès vers la voie de la durabilité. Dix ans plus tard, le sommet mondial du développement durable de Johannesburg avait pour but de faire le bilan des engagements pris à Rio. 1

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Référence à la civilisation sumérienne ou à celle de l’île de Pâques. Lecture complémentaire : Diamond Jared (2005), Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed. Rapport qui fût mis à jour en 1992, sous le titre de Beyond The Limits, et en 2004, sous le titre de Limits to Growth: The 30Year Update. Les auteurs sont Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens. Publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies.

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On comprend donc bien qu’à partir des années 90 tout le monde (ou presque) a conscience de l’affaiblissement des écosystèmes et de l’épuisement des ressources naturelles, donc des limites de notre modèle économique. D’où la nécessité de mener des politiques qui soient en accord avec ces principes du développement durable, par exemple avec la mise en place d’Agenda 215. Cependant, pour pouvoir définir ces nouvelles politiques, il faut avoir une idée de la situation présente, puis il faut être en mesure d’apprécier l’efficacité des mesures préconisées ou mises en œuvre, d’où le besoin d’élaborer des indicateurs. Le défi statistique est à la hauteur des enjeux auxquels nous devons faire face. Les crises économiques, écologiques – pour en nommer quelques unes : changement climatique, dégradation des océans, « rareté » croissante de l’eau – et sociales que nous subissons actuellement signalent l’urgence d’un véritable changement dans notre façon d’envisager le monde et notre développement. D’un côté, nous vivons donc cette prise de conscience de la nécessité de mettre en place des indicateurs pour les politiques de développement durable et, de l’autre, nous constatons que le PIB (et par conséquent la croissance économique) reste encore aujourd’hui l’indicateur phare qui guide l’élaboration des politiques, qui permet de juger si elles sont efficaces ou pas. Or, comme évoqué plus haut, le PIB a été construit pour mesurer la quantité de biens matériels produits dans le pays et, par conséquent, il est inapproprié pour rendre compte du bien-être de la société, qui comporte plus que les biens matériels. Le souci est que l’on associe un peu trop rapidement la croissance de ce PIB à l’amélioration du bien-être de la société, plusieurs considérant qu’il y a une corrélation positive entre cette croissance et la baisse du chômage. Un deuxième enjeu est alors d’élaborer un ou un ensemble d’indicateurs qui puissent, contrairement au PIB, mieux apprécier l’évolution du bien-être de la société, défini notamment à partir des principes du développement durable, pour pouvoir compléter, voire se substituer au PIB afin de mieux guider les décisions politiques. Dans la première partie de ce rapport, nous évoquerons la question des indicateurs de développement durable (IDD) d’un point de vue général, en établissant les enjeux de leur mise en place, les différents types d’indicateurs possibles, les systèmes d’indicateurs choisi par l’Europe et la France, puis par le Québec, et les principaux indicateurs synthétiques. Dans la deuxième partie, nous détaillerons l’élaboration d’un indice de progrès véritable (IPV) à travers l’exemple des travaux de Harvey Mead dans le calcul de cet indice pour le Québec. Enfin, en troisième partie, nous nous interrogerons sur l’appropriation des questions économiques par les associations environnementales en établissant tout d’abord le lien entre économie et environnement, puis en évoquant les difficultés qu’elles peuvent rencontrer et, enfin, en proposant des recommandations à Nature Québec pour mieux traiter de ces sujets. 5

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Les collectivités territoriales sont appelées, dans le cadre de l’Agenda 21 de Rio (plan d’action pour le 21 siècle), à mettre en place un programme d’Agenda 21 à leur échelle, intégrant les principes du développement durable.

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PARTIE I — LES INDICATEURS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE 1.1

Les IDD : enjeux et définitions

1.1.1

Les enjeux des IDD

Un indicateur est généralement défini comme étant une représentation simplifiée d’une réalité souvent complexe. Dit autrement, c’est une variable observable qui rend compte d’un phénomène inobservable. On peut distinguer 3 grandes fonctions de l’indicateur : D’une part, une fonction scientifique, car il est un outil d’évaluation d’un phénomène.

D’autre part, une fonction politique, puisqu’il est un outil d’aide à la décision permettant d’identifier les besoins, les priorités d’un territoire et de mesurer les performances des politiques publiques. Enfin, il a une fonction sociétale, car c’est un outil de communication, d’information pour les citoyens, qui permet d’alimenter les débats. Par les informations qu’il véhicule, il peut avoir une influence capitale sur la perception que les individus ont de la réalité et, par conséquent, influencer leurs comportements. On utilise différents critères pour juger de la qualité d’un indicateur. Les plus fréquemment retenus sont : La pertinence : il doit être utile, légitime, facilement compréhensible pour les acteurs, et représentatif du phénomène observé. La robustesse : pour qu’un indicateur puisse être légitime, il faut notamment que sa construction soit rigoureuse, basée sur des normes internationales. La transparence : la méthode utilisée pour sa construction doit être décrite et reproductible, et ses limites doivent être précisées. L’accessibilité et la disponibilité des données : les données doivent être de bonne qualité, disponibles et mobilisables à court terme, ainsi que régulièrement mises à jour. La comparabilité : l’indicateur doit pouvoir faire l’objet de comparaison dans l’espace et dans le temps. Nous pouvons distinguer différents enjeux dans l’élaboration d’indicateurs de développement durable (IDD). Les IDD jouent un rôle primordial dans la mise en place des stratégies de développement durable élaborées par la plupart des pays, ce depuis le sommet de Johannesburg en 2002. Ils doivent

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tout d’abord permettre de rendre compte de la situation actuelle afin de déterminer les enjeux et les objectifs à établir pour la mise en place d’un développement durable ; cela fait référence à la fonction scientifique. On doit d’ailleurs noter que l’on ne cherche pas à « mesurer » le développement durable, car il s’agit d’une démarche. Les IDD éclairent ainsi la prise de décisions et aident à la révision des politiques ou stratégies de développement durable en mesurant les progrès ou les reculs observables ; cela renvoie à la fonction politique. Un second enjeu, qui, réfère à la fonction sociétale d’un indicateur, est d’informer le citoyen quant à la situation réelle de la société, que ce soit du point de vue économique, social ou environnemental, les deux dernières dimensions étant souvent peu ou mal décrites. De bons indicateurs doivent permettre de faire évoluer les individus vers des comportements « durables ». Dans les travaux autour des IDD, un des objectifs est d’aboutir à un ou plusieurs indicateurs synthétiques qui permettent de mieux refléter la véritable « richesse » de la société6. Encore faut-il savoir ce que ce terme signifie. Dans son livre The Economics of Happiness, Mark Anielski définit la « véritable richesse » ou “genuine wealth” comme “the conditions of well-being that are true to our core values of life”7. Cela ne peut pas se mesurer uniquement par la valeur monétaire de la production de biens et services. Enfin, on fera remarquer que ces indicateurs doivent notamment rendre compte de deux éléments essentiels définis dans la notion de développement durable que sont la durabilité (considérée comme une condition du développement durable) et le bien être (étant l’objectif de ce développement durable). Pour le Comité économique et social européen, chacune des approches nécessitent un indicateur propre8.

1.1.2

Les différentes catégories d’IDD

Il existe de nombreuses approches, formes et structures dans les indicateurs de développement durable. Nous allons tenter de les résumer. Premièrement, les IDD peuvent se présenter sous différentes formes : Soit sous la forme d’un tableau de bord, c’est-à-dire un ensemble d’indicateurs qui ciblent chacun une information spécifique comme la population active, la participation civique, la qualité de l’air … Soit sous la forme d’un indice global, aggloméré. La démarche consiste à agréger plusieurs indicateurs de base en une donnée unique. Les indices les plus utilisés aujourd’hui sont des indices économiques : PIB, CAC40, indice des prix…

6 7 8

Gadrey, J. et F. Jany-Catrice (2005). Les nouveaux indicateurs de richesse. Anielski, M. (2007). The Economics of Happiness, p. 21. Comité économique social européen (2008). Dépasser le PIB – Indicateurs pour un développement durable.

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Le tableau de bord

Dans le cas où les IDD se présentent sous la forme d’un tableau de bord, plusieurs approches peuvent être distinguées : L’approche sectorielle ou par piliers. Elle consiste à déterminer des indicateurs pour chacun des 3 piliers du développement durable, avec des indicateurs concernant l’activité économique comme le PIB, puis les conditions sociales (chômage, sécurité sociale, éducation, pauvreté…) et, enfin, les aspects environnementaux (pollution, épuisement des ressources…). C’est une approche assez consensuelle qui a inspiré de nombreux systèmes d’IDD. L’approche par thèmes ou par domaines. On identifie différents thèmes comme la santé, l’éducation, les transports, la productivité, l’énergie… auxquels on associe un ou plusieurs indicateurs. C’est l’approche choisie par la France et l’Union européenne, ainsi que par l’Irlande et la Suède. L’approche par objectifs. Là encore, les indicateurs correspondent à des objectifs au préalable identifiés par les décideurs, comme par exemple le maintien de la biodiversité, la réduction de la pauvreté, l’amélioration de l’efficacité énergétique… La Finlande et la Grande-Bretagne ont opté pour cette approche. L’approche par capitaux. Cette approche distingue 5 types de capital : le capital humain, produit, social, naturel et financier, l’objectif étant de mesurer l’évolution de chacun de ces 5 capitaux. C’est cette approche qu’a choisi le Québec. L’approche en termes de ressources. L’exemple le plus connu est celui de l’empreinte écologique. Dans ces approches, on cherche à évaluer l’impact des activités humaines sur les ressources de la planète et la capacité de celle-ci à les soutenir. Elles peuvent soit s’appuyer sur un concept de soutenabilité faible, se restreignant à une gestion durable des ressources naturelles, soit se définir à partir du concept de soutenabilité forte, insistant sur la nécessité de transmettre un stock permettant aux générations futures de jouir des mêmes ressources. D’autres critères permettent de différencier les IDD. On peut distinguer les indicateurs en fonction de leur unité de mesure : monétaire, physique (permettant de définir des seuils d’alerte comme le niveau des nappes d’eau, de la biodiversité, de la mortalité…) ou qualitative (concernant en particulier les indicateurs sociaux). On peut noter que certains critiquent la démarche en cherchant à donner une valeur monétaire à des choses qui n’en ont pas, comme le travail domestique, le chômage, la criminalité, ou encore les impacts environnementaux. Ils considèrent que ces variables sont par nature « rebelles » à toute monétarisation, voire qu’exprimer tout monétairement marquerait la« victoire » de la monnaie9. Ce type de commentaires renvoie à la nécessité de reconsidérer notre vision, notre compréhension de la monnaie, ainsi que notre rapport de celle-ci. Patrick Viveret fait d’ailleurs référence au concept de « fétichisation » de la monnaie, consistant à donner de la valeur à 9

Gadrey, J. et F. Jany-Catrice (2003). Développement durable, progrès social : quels indicateurs ?

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la monnaie en elle même10. Par ailleurs, l’échelle pour laquelle ces indicateurs sont utilisés peut être différente. Un indicateur peut servir au niveau territorial, national, voire international. Enfin, on peut séparer les indicateurs voulant mesurer les progrès de la société dans sa démarche de développement durable (DD) et des indicateurs de suivi de la stratégie de développement durable elle-même11. 1.1.2.2

L’indice global

Dans le cas où on utilise un indicateur global, on distinguera les indices composites des indices synthétiques. Un indicateur synthétique ou agrégé consiste en l’agrégation de valeurs sur la base d’une unité de mesure commune (exemple : le PIB dont la monnaie est l’unité de mesure commune à ses composantes). L’indicateur composite quant à lui est une moyenne pondérée d’indicateurs élémentaires normalisés pour pouvoir être additionnés (exemple : indicateur de développement humain des Nations Unies). Les étapes de la construction d’un indice sont les suivantes : il faut, dans un premier temps, « identifier les dimensions qui constituent le concept [que l’on cherche à mettre en évidence ─ inégalité ou épuisement des ressources naturelles ─. Puis, dans un deuxième temps, ces] dimensions sont […] décomposées en variables dont certaines seront retenues au titre d’indicateurs. [Ensuite, les indicateurs] doivent faire l’objet de mesures »12. Dans le cas d’indices composites, chaque indicateur doit être normalisé13 afin de pouvoir procéder à la dernière étape qu’est l’agrégation des différents indicateurs en un indice global. Cette dernière étape soulève deux questions. Il y a celle de la pondération : faut-il accorder le même poids à toutes les variables et, sinon, comment choisir les différents poids ? Et elle pose aussi la question de la façon dont sont agrégées les variables : somme ou multiplication ? Les indicateurs globaux font l’objet de nombreuses critiques méthodologiques, en particulier quant à ces questions de pondération qui sont, la plupart du temps, le résultat de choix arbitraires. Par ailleurs, leur caractère réducteur est souvent évoqué. En effet, pour leurs détracteurs, l’agrégation d’indicateurs de nature ou de thèmes différents n’a pas de sens et soulève le problème de substituabilité entre les variables. L’augmentation d’une variable peut compenser la baisse d’une autre, et ainsi masquer des phénomènes importants. Tel qu’évoqué plus haut, certains jugent incompatibles, pour un même indice, les dimensions de durabilité et de bien être. De plus, ces indicateurs posent des problèmes méthodologiques quant au calcul des variables environnementales telles que la qualité de l’air ou de l’eau, mais aussi sociales, qui elles reposent sur des hypothèses plus subjectives. On peut souligner que certains de ces indices cherchant à corriger le PIB sont alors

10 11

12 13

Viveret, P. (2003). Reconsidérer la richesse, p. 161. Voir la démarche du Québec : ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), 2009. Une première liste des indicateurs de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de développement durable. Boulanger, P.M. (2004). Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique, p. 8-9. Transformation des indicateurs permettant leur agrégation.

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étroitement corrélés avec celui-ci. Par conséquent, un indicateur composite ne fournit pas toujours le bon signal aux décideurs et aux citoyens. Malgré ces difficultés et le caractère parfois grossier de ces indices, ceux-ci ont l’avantage de disposer d’un pouvoir de communication important auprès du public. Souvent simples et facilement compréhensibles, ils permettent d’attirer l’attention en fournissant une vue d’ensemble d’une situation et alimentent ainsi le débat. Ils ont aussi pour intérêt de permettre la comparaison entre les pays. Un indicateur global peut fournir une vision plus équilibrée du progrès que celle donnée par le PIB. L’approche d’une utilisation combinée des deux formes de mesure (indice global et tableau de bord) semble alors appropriée. 1.1.2.3

Quelques remarques

L’ensemble des critiques évoquées soulève plusieurs points importants. D’une part, il y a la question du public de ces indicateurs. Si ce sont les décideurs politiques, en effet, une analyse plus fine par l’intermédiaire de tableaux de bord semble la plus appropriée. Dans le cas où ce sont les citoyens, le grand public, qui sont concernés, alors le choix d’une limitation du nombre d’indicateurs est pertinent. Par ailleurs, on fait face au grand nombre de choix que requiert l’élaboration d’un système d’IDD : tableau de bord ou indicateur global, approche par domaine, objectifs ou capitaux, pondérations dans l’indicateur synthétique, indicateur monétaire ou non, etc. Il faut se demander qui est légitime pour répondre à l’ensemble de ces questions. Les statisticiens, les experts théoriciens seuls, doivent-ils relever ces enjeux (on peut penser à la commission Stiglitz mise en place en France à la demande du président Nicolas Sarkozy et composée d’un juriste, d’un sociologue et de 22 économistes, dont 2 femmes) ? Il semble que, dans une société démocratique, le citoyen ne peut être mis de côté dans le cadre d’une réflexion sur un sujet aussi important que celui-là. D’où la nécessité de trouver des modalités d’association des citoyens et de la société civile dans son ensemble pour déterminer leur élaboration. Pour Paul-Marie Belanger de l’Institut pour un développement durable en Belgique, « seule une délibération démocratique entre les citoyens sélectionnés de manière aléatoire et indépendants de tout groupe de pression, respectant les procédures expérimentées dans des mécanismes comme les jurys citoyens ou les cellules de planification, permet l’expression d’une véritables volonté générale »14. En effet, le but d’un débat public est que les indicateurs reflètent la volonté de vivre de façon durable, soit la représentation du progrès de l’ensemble de la société, et évitent le risque que ces indicateurs ne représentent que les valeurs propres au groupe d’experts. Cette démarche est d’autant plus importante qu’elle devrait permettre de clarifier le sens du concept de développement durable qui reste, somme toute, encore flou et peut être interprété de différentes façons.

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Belanger, P.-M. (2004). Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique.

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Enfin, il nous faut insister sur le fait que le débat démocratique est d’autant plus important que le choix des indicateurs se fera sur la base de certaines valeurs, et aussi selon une certaine conception de l’économie. Nous allons ici distinguer deux types de conception de l’économie, l’approche de l’économie néoclassique et l’approche de l’économie écologique, dont chacune pourra aboutir à des choix d’indicateurs différents car elles reposent sur des valeurs distinctes et visent donc des objectifs différents. Nous évoquons tout d’abord l’approche néoclassique, approche prédominante chez la grande majorité des économistes, donc prédominante dans la mise en place des systèmes d’indicateurs. Pour les économistes néoclassiques15, l’environnement est une composante de l’économie, de laquelle on extrait des ressources (l’économie des ressources naturelles analysant comment celles-ci doivent être utilisées) et dans laquelle on rejette des déchets (l’économie de l’environnement traitant de l’internalisation des externalités négatives que sont la pollution et autres problèmes environnementaux, ceux-ci étant considérés comme des défaillances du marché). L’objectif principal porté par l’économie néoclassique est d’atteindre la meilleure efficacité au moindre coût. Les économistes néoclassiques font confiance au progrès technique et à la régulation par les prix sur les marchés pour permettre à la croissance de se poursuivre grâce à une substitution entre le « capital naturel » et les autres formes de capital (« capital humain », « capital physique », « capital financier »). Ceci renvoie au principe de la soutenabilité faible et aboutit à l’hypothèse de la possibilité d’une croissance illimitée. Ils soutiennent ainsi l’idée d’une croissance « verte », croissance conciliant économie et environnement16. D’un autre côté, l’économie écologique, mouvement encore « composite » et largement marginal dans ses modes de pensée, se développe à partir de paradigmes opposés à ceux sur lesquels repose l’analyse néoclassique. En effet, pour les économistes écologiques17, c’est l’économie qui forme une composante de l’environnement. Elle prend en considération l’efficacité au moindre coût, mais également la contrainte environnementale (préoccupation absente chez les néoclassiques), ainsi que la redistribution des richesses (préoccupation réglée chez les néoclassiques par le fait qu’avec la croissance économique toute le monde « aura sa part » à un moment ou un autre). Ce courant connaît un nouvel essor dans les années 80, avec l’affirmation du concept de développement durable, surtout dans les pays anglo-saxons, aux États-Unis en particulier, mais aussi dans les pays scandinaves et germaniques.18 Les économistes écologiques mènent une réflexion basée sur la transdisciplinarité ; ils s’appuient sur la loi de rendements décroissants de la Terre, mais aussi sur les lois de la thermodynamique, mettant ainsi en relation le système économique et le système écologique. H. Georgescu-Roegen est un des pionniers qui utilisa la loi d’entropie (seconde loi de la thermodynamique), loi selon laquelle la capacité énergétique d’un flux décline de façon irréversible à chaque fois qu’il est utilisé. Une analyse selon ce principe aboutit à considérer une taille maximale et 15 16 17 18

Robert M. Solow, Arthur C. Pigou, Harold Hotelling, Vilfredo Pareto, Paul Samuelson, Joseph Stiglitz… Vivien, F. D. (1994). Économie et écologie ; Vallée, A. (2002). Économie de l’environnement. Herman E. Daly, Frank Dominique Vivien, Nicholas Georgescu-Roegen, Robert Costanza, René Passet. Denis Boutin, économiste écologique et agronome au MDDEP.

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aussi optimale de l’économie (celle-ci étant à l’intérieur d’un cadre fixe qu’est l’environnement et qu’elle ne peut dépasser). Les économistes écologiques réfèrent ainsi au concept de soutenabilité forte, considérant le capital naturel et les autre formes de capital non pas comme des facteurs substituables, mais comme des facteurs complémentaires. Ils rejettent ainsi la possibilité d’une croissance infinie (aussi bien économique que démographique) et suggèrent l’existence d’un état stationnaire optimal et durable19. Certains, croyant cet état maximal déjà atteint, voire dépassé, prônent même la décroissance20. Ainsi, en fonction de l’approche adoptée, le choix des indicateurs sera différent. En effet, les indicateurs vont être choisis afin de guider la stratégie de développement durable définie par le gouvernement, stratégie qui s’inscrit dans une vision de l’économie en générale. Si on considère l’approche néoclassique pertinente, les indicateurs feront référence, par exemple, à la maximisation de la productivité et du PIB, et on adoptera plus volontiers l’approche par capitaux dans un tableau de bord. Si l’approche des économistes écologistes est retenue, on privilégiera en particulier des indicateurs environnementaux en valeurs absolues (émissions globales de gaz à effet de serre ou GES, consommation d’énergie globale) plutôt qu’en unité de PIB, indicateurs qui seront priorisés dans le système d’IDD.

1.2

Mise en place de système d’IDD : cas de l’Union européenne, de la France et du Québec

1.2.1

Les recommandations des experts

Pour Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice, économistes à l’université Lille 1, les deux approches, celle du tableau de bord et celle de l’indice global, « ne doivent pas être opposées [car elles] peuvent, sous certaines conditions de transparence, enrichir le débat, se conforter mutuellement »21. Par ailleurs, un certain nombre de rapports concernant les imperfections du PIB – que nous développerons dans la seconde partie – et ses alternatives ont été publiés ces dernières années. Je me réfère ici au rapport du comité économique et social européen Dépasser le PIB – Indicateurs pour un développement durable, publié en octobre 2008, ainsi qu’au rapport Stiglitz, Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, publié en septembre 2009 et, enfin, à L’analyse comparative des systèmes d’indicateurs de développement durable du MDDEP, publié au Québec en juin 2007. Ces travaux aboutissent à un ensemble de recommandations, mais ne semblent privilégier aucune approche particulière parmi celles évoquées plus haut. 19 20 21

Daly, H. (1996). Beyond Growth ; Victor (2008). Managing Without Growth. Lecture complémentaire : Latouche, S. (2006). Le pari de la décroissance, Paris, éditions Fayard, 302 p. Gadrey, J. et F. Jany-Catrice (2003). Développement durable, progrès social : quels indicateurs ? p. 2.

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Parmi les recommandations, on peut citer : Définir deux indicateurs distincts pour chacune des approches : celle de la durabilité et celle du bien-être. Pour la mesure du bien-être, privilégier certains domaines comme l’intégrité physique et la santé, le bien-être matériel, l’accès aux services publics, les activités sociales et l’intégration des nouveaux arrivants, les loisirs et la qualité de l’environnement. Mettre l’accent sur la perspective des ménages, c’est-à-dire sur le revenu et la consommation, plutôt que sur la production, la façon dont est répartie la richesse, l’activité non marchande, les inégalités. Mettre en place des indicateurs de suivi des aspects environnementaux de la soutenabilité, en particulier, pour alerter si un seuil est dépassé, comme pour les ressources naturelles ou les changements climatiques. Limiter le nombre d’indicateurs pour faciliter la gestion et la compréhension des résultats. Faire une lecture d’ensemble des indicateurs afin d’avoir une perception globale des enjeux. Mettre en place une approche hiérarchique, c’est-à-dire mettre en évidence certains indicateurs « phares » pour cibler les priorités et visualiser les différents niveaux d’indicateurs. Favoriser l’élaboration d’indicateurs dit transversaux, c’est-à-dire se rapportant à plus d’une dimension, d’un domaine ou d’un objectif du développement durable. Améliorer la présentation et la diffusion de ces indicateurs et leurs conclusions. Développer des indicateurs permettant une meilleure comparaison à l’échelle internationale. Améliorer la collecte des données, ainsi que les instruments statistiques. Les systèmes d’indicateurs utilisés à travers le monde sont très variables d’un pays à l’autre. Nous allons nous concentrer sur la démarche de l’Union européenne, sur celle de la France, puis sur celle du Québec.

1.2.2

La démarche de l’Union européenne

À la suite de la révision de sa stratégie de développement durable en 2006, l’Union européenne à conçu un système d’indicateurs hiérarchisé en trois niveaux : Le premier niveau se compose de 12 indicateurs « phares » permettant le suivi des objectifs politiques « généraux » et qui sont adressés aux responsables de la stratégie, aux décideurs et au grand public. Le deuxième niveau comporte 45 indicateurs liés aux domaines d’actions prioritaires. Le troisième niveau présente 98 indicateurs qui permettent une analyse approfondie des politiques et une compréhension de l’évolution et de la complexité de la situation.

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Ces 3 niveaux sont complétés par des « indicateurs contextuels » fournissant des informations générales. L’ensemble du système est basé sur 10 thèmes, lesquels reflètent les 7 défis clés de la Stratégie, auxquels sont aussi associé des indicateurs clés22 : Développement socio-économique (taux de croissance réel du PIB par habitant). Changement climatique et énergie propre (émissions de GES ; proportion des énergies renouvelables dans la consommation brute d’énergie intérieure). Transport durable (consommation énergétique des transports par rapport au PIB). Production et consommation durables (productivité des ressources). Conservation et gestion des ressources naturelles (indice des oiseaux communs ; prise de poissons sur les stocks en dehors des limites biologiques de sécurité). Santé publique (nombre d’années de vie en bonne santé et espérance de vie à la naissance par sexe). Inclusion sociale (taux de risque de pauvreté par sexe). Changements démographiques (taux d’emploi des personnes âgées). Partenariat global (aide publique au développement proportionnellement au revenu national brut). Bonne gouvernance. Dans les indicateurs clés, la référence au taux de croissance du PIB, à la productivité des ressources et à la consommation énergétique des transports par rapport au PIB suggère que cette liste s’inscrit plus dans la logique de l’économie néoclassique que dans celle des économistes écologiques, bien que certains indices comme la prise de poissons sur les stocks en dehors des limites biologiques de sécurité et les émissions globales de GES y soient conformes.

1.2.3

La démarche française

En 2006, la Stratégie nationale de développement durable en France à été mise en cohérence avec le système européen, ce qui a abouti à la sélection de 12 indicateurs clés qui sont organisés en 9 thématiques, dont 7 reflètent les défis de la Stratégie européenne ; les deux dernières thématiques sont le « Développement économique » et la « Bonne gouvernance ». De plus, 11 de ces indicateurs sont tirés des 12 indicateurs de l’UE et sont : Taux de croissance du PIB par habitant. Émissions totales de gaz à effet de serre. Part des énergies renouvelables dans la consommation intérieure brute d’énergie. Consommation d’énergie des transports et PIB. 22

Eurostat [En ligne]

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Productivité des ressources. Indice d’abondance des populations d’oiseaux communs. Prises de poissons en dehors des limites biologiques de sécurité. Espérance de vie en bonne santé. Taux de risque de pauvreté après transferts sociaux. Taux d’emploi des travailleurs âgés (55-64 ans). Aide publique au développement. La remarque sur les fondements théoriques qui soutiennent la liste d’indicateurs faite pour l’UE est aussi valable pour la France. Par ailleurs, comme évoqué précédemment, la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a été créée en 2008 à la demande de Nicolas Sarkozy. Cette commission était formée par un groupe d’experts présidé par Joseph Stiglitz23, conseillé par Amartya Sen24 et coordonné par Jean-Paul Fitoussi25. Son objectif était notamment de cerner les limites du PIB et mettre à jour de nouveaux indicateurs sociaux plus pertinents. Son rapport fut rendu le 14 septembre 2009 et a abouti à un ensemble de recommandations, dont certaines ont déjà été mentionnées au début de cette seconde partie.

1.2.4

La démarche québécoise

Nous nous intéressons à présent à la démarche du Québec. Nous présentons dans un premier temps la première liste d’IDD choisie par le gouvernement en 2009 puis, dans un second temps, nous évoquerons deux mémoires critiquant cette liste et le choix de l’approche retenue. 1.2.4.1

Une première liste d’IDD

En avril 2006, le Québec s’est doté d’une loi sur le développement durable. Celle-ci prévoit que le gouvernement mette en place une stratégie gouvernementale de développement durable (SGDD). La SGDD 2008-2013 fut votée durant l’automne 2007 et entra en vigueur le 1er janvier 2008. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) devait ensuite soumettre au gouvernement une liste d’indicateurs. En janvier 2009, un premier document de consultation publique fut publié et proposa ainsi une première liste des indicateurs de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de développement durable26.

23 24

25 26

Économiste américain, il reçoit le prix Nobel d’économie en 2001. Économiste indien, prix Nobel d’économie en 1998 pour ses travaux sur la famine, sur la théorie du développement humain et sur l’économie du bien-être. Économiste français, il préside l’Observatoire français des conjonctures économiques. MDDEP (2009). Une première liste des indicateurs de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de développement durable.

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Ce document rappelle que le travail de réflexion autour de la question des indicateurs de développement durable a débuté dès 2004 avec la préparation du plan de développement durable du Québec. Par la suite, trois consultations publiques furent organisées, deux en 2005 et une en 2007 (concernant la SGDD). Certaines organisations ont ainsi pu donner leur point de vue sur cette question des IDD. Au printemps 2006, s’est tenue une rencontre des praticiens. Par ailleurs, une analyse comparative de 36 systèmes d’IDD développés dans différents pays a été publiée en juin 2007. Fin 2007, le Comité interministériel du développement durable (CIDD) 27 répertoriait « les données et les indicateurs dont ils disposent en lien avec les objectifs de la stratégie gouvernementale ». En avril 2007 et avril 2008, 51 groupes (universitaire, milieu environnemental, social, des affaires…) ont pu discuter des modalités de mise en place du système d’IDD. Enfin, des échanges auprès de 150 ministères et organismes ont eu lieu de janvier à juin 2008. À l’issue de ces consultations, de l’étude des systèmes d’IDD utilisé dans les différents pays et des travaux menés par les organismes internationaux (OCDE, Banque mondiale …), le ministère a décidé de distinguer 3 niveaux d’indicateurs : Indicateurs de développement durable pour mesurer les progrès de la société québécoise dans sa démarche de développement durable et dont le document cité fournit une première liste. Indicateurs et mesures de suivi de la stratégie gouvernementale. Indicateurs de suivi des actions des plans d’action de développement durable de chacun des ministères et organismes28. L’approche par capitaux a été retenue pour les indicateurs mesurant le progrès de la société québécois en matière de développement durable. Et une approche par objectifs sera utilisée pour les indicateurs de suivi de la stratégie et des actions de développement durable. Le Québec se distingue ainsi de la grande majorité des États, dont plus de 80 ont adopté une stratégie nationale de développement durable et dont une grande partie a opté pour l’approche par objectifs. Le ministère s’appuie sur les études des organisations internationales, selon lesquelles l’approche par capitaux est « plus approprié[e] pour mesurer le développement durable en raison de son caractère pérenne (au-delà des préférences politiques) et exhaustif (toutes les dimensions étant prises en compte) ». Il souligne par ailleurs que la Norvège, la Suisse et la Belgique utilisent aussi cette approche.

27

28

Le CIDD réunit, sous l’égide du MDDEP, des représentants de tous les ministères et de certains organismes gouvernementaux. Prévu par la loi sur le développement durable, ces indicateurs doivent évaluer si les différentes mesure prises par les ministères et organismes gouvernementaux contribuent à la SGDD.

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En ce qui concerne la mesure des progrès de la société québécoise dans sa démarche de développement durable, une liste de 17 dimensions du développement durable jugées « incontournables » a été établie et, pour chacune de ces dimensions, est associé un indicateur. Ces 17 dimensions sont réparties dans les 5 types de capitaux :

Capital naturel

Capital financier

Capital produit

Capital social

Capital humain

Tableau 1. Les indicateurs québécois de développement durable Dimension

Indicateur

1

Population active

Taux d’activité

2

Population en santé

Espérance de vie en bonne santé

3

Population scolarisée

Distribution du plus haut niveau de diplôme

4

Sentiment d’appartenance

Personnes ayant un niveau élevé de soutien social

5

Participation civique

Temps consacré aux activités organisationnelles

6

Équité

Répartition du revenu

7

Développement culturel

Part des secteurs de la culture et des communications dans l’économie

8

Infrastructures et machinerie

Stock net de capital fixe

9

Immeubles

Valeur foncière du parc immobilier

10 Actifs des ménages

Avoirs net des ménages

11 Actifs du gouvernement québécois

Actif financier du gouvernement

12 Biodiversité

Superficie du territoire en aires protégées

13 Territoire agricole et acéricole

Superficie du territoire zoné agricole

14 Forêt

État des écosystèmes forestiers

15 Eau de surface

Qualité de l’eau à l’embouchure des principaux bassins versants méridionaux

16 Qualité de l’air

Pourcentage annuel de jours sans smog

17 Climat

Tendance des températures moyennes annuelles

Le document admet que deux aspects n’ont pas été résolus. En effet, d’une part, concernant la prise en compte des flux entre les capitaux, ces capitaux représentent un stock à un moment donné ; les flux (la variation entre deux moments de mesure), eux, ne sont pas comptabilisés. D’autre part, ne sont pas non plus pris en compte les « débordements externes », c’est-à-dire les impacts de la

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consommation et des activités en générale des Québécois sur les territoires étrangers. Nous pouvons donner comme exemples de tels impacts la délocalisation d’entreprises québécoises, ou encore la consommation de produit importés. De plus, le document fait aussi remarquer que le choix de ces indicateurs s’est fait aussi à partir de la disponibilité des données. Cette liste d’indicateurs n’est donc pas définitive et est vouée à évoluer. D’autres rencontres et discussions avec les ONG sont prévues. 1.2.4.2

Critiques de la démarche gouvernementale

Ce document de consultation et cette première liste d’indicateurs pour mesurer les progrès de la société québécoise dans sa démarche de développement durable ont suscité plusieurs réactions. Nous évoquons deux mémoires déposés à la Commission des transports et de l’environnement de l’Assemblée nationale du Québec en septembre 2009 : d’une part, le mémoire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) et du Centre de droit international de développement durable (CDIDD) et, d’autre part, celui d’Équiterre et la fondation David-Suzuki. Ces deux exemples vont nous permettre d’insister sur deux enjeux majeurs dans le processus d’élaboration des IDD que sont le débat démocratique et la conception du développement durable, et les valeurs qu’il porte. a. Le mémoire de la CRSDD et du CDIDD

Le premier document critique tout d’abord le processus d’élaboration qui a permis d’aboutir à cette première liste d’indicateurs. Cette critique renvoie à la remarque faite dans la partie précédente, soit la nécessité d’un débat démocratique pour l’élaboration du système d’IDD. En effet, selon la CRSDD et le CDIDD, « l’élaboration d’un système d’IDD doit se faire dans le cadre d’un dialogue social structuré permettant au gouvernement de tenir compte des préoccupations de la population du Québec dans toute sa diversité »29. Ils soulignent que bien que l’ensemble du travail effectué a permis d’enrichir le débat, celui si ne saurait s’assimiler à une démarche structurée de dialogue social (table de concertation, groupe de travail indépendant et représentatif des différentes populations…) comme le prévoient la loi et la stratégie de développement durable. Ils précisent que même si cette démarche peut sembler contraignante, elle doit permettre de préciser la définition et le sens que l’on veut donner au concept de développement durable, concept qui reste aujourd’hui encore abstrait et controversé. L’objectif du processus est d’aboutir à un choix d’indicateurs qui reflètent la vision du développement durable telle qu’elle est partagée par l’ensemble de la population québécoise. Or, il semble aujourd’hui qu’aucun changement n’a eu lieu depuis les consultations, et la liste semble être définitive.

29

Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) et Centre de droit international de développement durable (CDIDD) (2009). Analyse comparative de systèmes d’indicateurs de développement durable, p. 8.

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Dans un deuxième temps, la Chaire et le Centre remettent en question l’approche par capitaux retenue par le ministère. Ils font remarquer ce choix « audacieux » du gouvernement d’opter pour une approche qui est plus l’exception que la règle, précisant que pour les trois pays donnés en exemple dans le document de consultation (la Norvège, la Suisse et la Belgique), l’approche par capitaux ne définit pas le cadre directeur de leur système d’indicateurs. Par ailleurs, cette décision ne découle pas, selon eux, d’un consensus au sein de la population. Ils reconnaissent certains avantages de l’approche par capitaux, comme la possibilité de « déterminer un stock final susceptible de remplacer, ou à tout le moins de faire contrepoids, à une mesure agrégée telle que le PIB »30, ou de prendre en compte « le principe d’équité intergénérationnel du DD selon lequel nous devrions léguer aux générations futures un capital au moins équivalent, et préférablement supérieur à celui qui nous a été légué par les générations antérieures »31. Cependant, ils insistent sur le fait que cette approche d’évaluation du développement durable est complexe et controversée, et est loin de faire l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique. Les limites évoquées sont les suivantes : Problème de la substituabilité des différents types de capitaux. Modèle agrégé devant utiliser la monétarisation, que certains critiquent32. Terme de « capital » utilisé pour désigner des éléments aux natures très diverses. Réduction des différentes réalités humaines et naturelles aux concepts de capital et de stock. Par ailleurs, ils évoquent le fait que certains chercheurs critiquent la définition même du développement durable à laquelle aboutit l’approche par capitaux, car la substitution du capital naturel par d’autre type de capitaux compromettrait le principe de « préservation des équilibres écosystémiques et le rapport avec l’environnement qu’induisent les différents types d’organisation sociale et économique »33 Enfin, ils soulignent la « totale déconnexion avec les outils développés jusqu’à maintenant par le Québec »34, notamment avec la Loi sur le développement durable articulée autour de 16 principes, et craignent que cette approche ne rende la lecture des enjeux plus compliquée. Ils recommandent donc une plus grande cohérence entre la loi et le système d’indicateurs. Un des derniers points qu’ils évoquent est la nécessité d’élaborer un système qui puisse varier dans le temps en fonction de l’évolution des valeurs, des priorités et de la conception du développement durable des générations futures. Finalement, ils font remarquer que, dans son document de consultation, le ministère évoque la restriction aux données disponibles pour construire les indicateurs. Or, selon eux, il est indispensable 30 31

32 33 34

Idem, p. 19. Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) et Centre de droit international de développement durable (CDIDD) (2009). Analyse comparative de systèmes d’indicateurs de développement durable, p. 23. Voir note 10. Idem, note 32, p. 25. Idem.

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de mettre en place une réflexion quant aux nouveaux besoins d’information et aux moyens d’y répondre, par la mise en place de groupes de travail par exemple. À la suite de ces remarques, et afin de contribuer au débat, la Chaire et le Centre proposent une réflexion autour d’une approche par dimension juxtaposée à un découpage hiérarchisé. Ils suggèrent ainsi un système d’indicateurs structurés autour de 5 dimensions (chacune rappelant certains principes de la Loi sur le développement durable) : Environnement : indicateurs traduisant notamment les « impératifs d’intégrité et de viabilité des écosystèmes tenant compte notamment des phénomènes de seuils ». Économie : contrairement aux paramètres habituels, on cherche à rendre compte de l’efficience des activités économiques « au regard de leur performance sociale et environnementale ». Sociale : indicateurs mesurant le bien-être des individus et de la société par l’éducation, la santé, la sécurité, la culture, etc. Équité : indicateurs cherchant à évaluer les disparités aussi bien intragénérationnelles qu’intergénérationnelles. Elle est considérée à la fois comme la condition, le moyen et l’objectif d’un développement durable. Gouvernance : elle fait référence au processus décisionnel, au principe de subsidiarité, à la vitalité démocratique… « inhérente à la mise en œuvre du développement durable ». Puis, ils présentent une distinction entre 2 niveaux d’indicateurs : les indicateurs d’avant-plan et les indicateurs d’arrière-plan. Les indicateurs d’avant-plan, appelés encore indicateurs clés ou phares, ont pour objectif de donner une vue d’ensemble facilement lisible des enjeux actuels. Ce groupe se limite en général à un petit nombre d’indicateurs, destinés aux responsables politiques, pour orienter leur décisions, et au grand public, pour faciliter la compréhension d’informations souvent techniques. Leur rôle est donc avant tout centré autour de la communication. Les indicateurs d’arrière-plan, eux, sont plus nombreux, plus « sectoriels », plus techniques, et sont destinés aux spécialistes du secteur qu’ils renseignent. Permettant un examen plus fin, « ils assurent la solidité d’un système d’information nécessaire aux analyses et aux décisions éclairées sur une perspective de long terme »35. En dernier lieu, ils soulignent l’intérêt de développer des indices globaux, notamment pour « faire contrepoids au PIB dans l’imaginaire collectif comme mesure du progrès social, dans une perspective de développement durable »36, mais aussi pour faire des comparaisons avec d’autres états et évoquer

35

36

Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) et Centre de droit international de développement durable (CDIDD) (2009), Analyse comparative de systèmes d’indicateurs de développement durable, p. 33. Idem, p. 35.

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aussi leur pouvoir de communication. Ils considèrent que ces outils peuvent enrichir un système d’indicateurs sans, bien sûr, s’y substituer. b. Le mémoire d’Équiterre et de la fondation David-Suzuki

Le second mémoire auquel nous nous référons, coécrit par Équiterre et la fondation David-Suzuki, revient lui aussi sur le document de consultation du ministère en insistant sur leur conception du développement durable et l’incapacité de l’approche par capitaux retenue par le gouvernement à satisfaire cette conception. La conception la plus répandue du développement durable est celle des trois piliers du développement durable (économique, écologique et social), dont l’intersection forme le développement durable.

Schéma 1. Représentation « classique » du développement durable

Les auteurs du mémoire rappellent que le développement durable, tel que défini par le rapport Bruntland en 1987, réfère à deux concepts fondamentaux : « Le concept de besoins, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité ». « L’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et venir »37. S’inspirant notamment des travaux de Corinne Gendron de l’UQAM38, ils évoquent une conception du développement durable sous la forme d’une pyramide avec rétroaction, hiérarchisée entre fondement, moyen et finalité : À la base, l’environnement et ses flux considérés comme la condition essentielle tenant le reste de la pyramide

37

38

Commission mondiale sur l’environnement et le développement (1988), Notre avenir à tous, Montréal, Éditions du Fleuve, p. 51. Université de Québec à Montréal.

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Puis l’économie vue comme le moyen par lequel l’homme satisfait ses besoins présent sans compromettre la capacité des générations futures a répondre aux leurs. Enfin, le développement social est l’objectif final recherché, dont l’équité est à la fois le moyen, la condition et la fin d’un développement durable.39

Schéma 2. Représentation pyramidale du développement durable

Ils font ainsi remarquer que la notion de « qualité de vie », introduite par le gouvernement et mesurée par un bien-être résultant « de la consommation d’une gamme élargie de biens et de services », est en contradiction avec la conception de développement durable qu’ils soutiennent. Selon eux, cette contradiction se retrouve dans l’approche par capitaux et dans les indicateurs présentés dans le document de consultation, car ces derniers n’intègrent « aucune considération de priorisation et de hiérarchisation, [et] ne reconnaissent pas le caractère fondamental de préserver l’intégrité des systèmes naturels et de leurs services »40. En effet, la liste d’indicateurs ne donne pas un poids plus important au capital naturel qu’aux autres types de capitaux et est donc, selon eux, sans cohérence réelle avec les fondements du développement durable. Selon ces organismes, les indicateurs de pratiques pouvant compromettre l’intégrité de l’environnement sont des indicateurs clés ! Ces pratiques sont : L’aménagement du territoire. Le développement des modes de transport. L’exploitation des ressources naturelles. Le développement agricole. La construction de bâtiments. La surconsommation, etc.

39 40

Conception correspondant à l’approche de l’économie écologique. Équiterre et la Fondation David-Suzuki, 2009. Une première liste des indicateurs de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de développement durable, p. 9.

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Ils donnent l’exemple des émissions des gaz à effet de serre (GES) comme indicateurs clé de telles pratiques et regrettent leur absence de la liste. Le gouvernement n’ignore pas totalement ce type d’indicateurs, auquel il donne un rôle d’indicateurs de « référence », c’est-à-dire d’indicateurs repère et non obligatoires. Selon les auteurs du mémoire, ceux-ci ne sont pas suffisants, car ils considèrent que la liste d’indicateurs devrait se construire autour des indicateurs capables de mesurer l’évolution des pratiques. De plus, ils considèrent que les indicateurs choisis peuvent donner une vision « erronée de la progression du Québec en matière de DD ». Les indicateurs servant d’exemples sont, d’une part, celui du territoire zoné agricole, dont la hausse ou le maintien peut ne pas refléter un « véritable » développement durable si les terres sont détériorées par une culture intensive ou encore par l’utilisation massive d’engrais et de pesticides. Le second exemple est celui des températures, dont on pourrait observer une augmentation, parallèlement à une baisse des émissions de GES imputables au Québec. Pour appuyer leur propos, ils décrivent 5 scénarios dans lesquels les indicateurs ne donneraient pas la bonne intuition quand au progrès réel de la société québécoise sur le chemin du développement durable. Nous reprenons juste l’exemple du premier scénario. Celui-ci décrit une situation dans laquelle la forte croissance économique, en induisant une forte augmentation des capitaux produits et financiers et une légère amélioration du capital humain, conduirait à une évaluation positive du progrès en termes de développement durable par le système d’indicateurs. Cependant, on constaterait simultanément une hausse des GES due à la hausse du parc automobile, celle-ci causant, par ailleurs, une plus grande congestion dans les villes. Prenant pour exemple la démarche de l’Union européenne qui, selon eux, donne une place prépondérante aux thèmes liés à la protection de l’intégrité de l’environnement, les deux associations recommandent alors la substitution de l’approche par capitaux par une approche par thèmes « regroupés et hiérarchisés sous des défis associés aux trois chapitres du développement durable : économie, équité sociale et environnement »41. Ils proposent ainsi une liste de thèmes et d’indicateurs représentant selon eux les défis du développement durable (émissions de GES, transports durables, consommation d’énergie par habitant, évolution des flux de biens et services environnementaux ou BSE…), auxquels ils associeraient des indicateurs socioéconomiques, tel le PIB par habitant, l’espérance de vie, etc. Pour résumer, les deux mémoires discutés rejettent l’approche par capitaux retenue par le gouvernement, car elle ne correspond pas à leur conception du développement durable, conception selon laquelle l’intégrité de l’environnement doit être privilégiée, ce que ne permet pas l’approche par capitaux, laquelle met le capital naturel au même niveau que les autres. Ils préconisent alors une approche par dimensions, avec des indicateurs hiérarchisés en fonction des priorités. 41

Équiterre et fondation David-Suzuki, 2009. Une première liste des indicateurs de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de développement durable, p. 16.

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Finalement, ces deux documents évoquent l’insuffisance des données actuelles. La CRSDD et le CDIDD font remarquer que, dans son document de consultation, le ministère évoque la restriction aux données disponibles pour construire les indicateurs. Or, selon eux, il est indispensable de mettre en place une réflexion quant aux nouveaux besoins d’information et quant aux moyens d’y répondre, par la mise en place de groupes de travail, par exemple. Équiterre et la fondation David-Suzuki soulignent la pénurie d’indicateurs environnementaux (qualité de l’environnement, flux de ressources naturelles…) et insistent quant à la nécessité d’améliorer la collecte de ce type de données. Cette « lacune » expliquerait d’ailleurs le manque de représentativité des indicateurs environnementaux comparativement aux indicateurs économiques et sociaux. Pour conclure, on pourra noter que ces deux mémoires prônent une vision du développement durable qui s’inscrit dans la conception de l’économie écologique puisqu’ils placent les enjeux environnementaux au centre de l’analyse.

1.3

Les principaux indicateurs globaux de développement durable

Nous allons à présent passer en revue les principaux indices globaux. Bien qu’il existe de nombreuses publications à ce sujet, il n’y a pas, aujourd’hui, de réel consensus.

1.3.1

Les indicateurs sociaux

1.3.1.1

L’indice de développement humain

L’indice de développement humain est sans doute le plus populaire et le plus reconnu parmi les indices globaux, notamment en tant qu’alternative au PIB. Initialement destiné aux pays en développement, il a connu un succès important à travers le monde. Développé par Amartya Sen, prix Nobel d’économie, il est publié pour la première fois en 1990 par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et figure dans le rapport sur le développement humain dans le monde que l’organisme publie annuellement. Cet indice est aujourd’hui calculé pour plus de 174 pays. Cet indice composite consiste à faire la moyenne de 3 indicateurs : La longévité mesurée par l’espérance de vie à la naissance. Le niveau d’éducation mesuré par une combinaison des taux d’alphabétisation des adultes et du taux de scolarisation dans les proportions 2/3 – 1/3. Le niveau de vie mesuré par le PIB par habitant, en parité du pouvoir d’achat.

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Ce calcul aboutit à un IDH compris entre 0 et 1 (1 étant le plus haut niveau de développement) Les principaux résultats montrent, la plupart du temps, un classement des pays différent de celui établi à partir du PIB par habitant. Cependant, cet indicateur a fait l’objet de nombreuses critiques42 : Imperfections de certaines données aboutissant, pour quelques pays, à des résultats qui heurtent le bon sens. Pondérations jugées « arbitraires » (en général le même poids pour chaque indice composant) pour obtenir les indicateurs synthétiques. Préoccupations jugées « tiers-mondistes », rendant l’IDH peu apte à produire des écarts significatifs entre les pays riches (les 20 premiers dépassent tous la valeur 0,9 en 1999, alors que le maximum est 1). Par la suite, le PNUD a publié d’autres indices complémentaires comme l’IPF, l’indicateur de participation des femmes à la vie politique et l’IPH, l’indicateur de pauvreté humaine. Ce dernier tient compte de 4 critères : la probabilité de décès avant 60 ans, l’illettrisme, le pourcentage de personnes en-dessous du seuil de pauvreté et le pourcentage de chômeurs de longue durée. L’IDH est donc un indicateur de développement plus social, puisque la dimension écologique y est absente. 1.3.1.2

L’indice de santé sociale

Parmi les autres indicateurs globaux plus « sociaux », on peut évoquer l’indice de santé social. Celuici a été développé en 1996 par des chercheurs américains, Marc et Marque Luisa Miringoff. Pour construire cet indice composite, dont l’objectif est de capter les performances sociales du pays, ils font la moyenne de 16 indicateurs prenant chacun une valeur comprise entre 0 et 100, 0 étant la plus mauvaise note. Ces indicateurs référent à plusieurs thèmes : La santé (la mortalité infantile, couverture de l’assurance sociale). Le chômage (taux de chômage). L’éducation (nombre d’élèves suspendus du lycée). Les inégalités entre pauvres et riches. La pauvreté (pauvreté des personnes de plus de 65 ans, taux de salaire hebdomadaire moyen, pauvreté infantile). Les accidents et risques divers (suicide des adolescents, abus de drogues, homicides).

42

Remarque relevée dans Développement durable, progrès social : quels indicateurs ? par Jean Gadrey et Florence JanyCatrice, p 3-4.

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En 1996, pour les États-Unis, le magazine Challenge publia un graphique présentant l’évolution de cet indice depuis 1959, au côté du PIB. On y constate un décrochage à partir de la fin des années 60, alors que le PIB continue tranquillement son ascension et que l’ISS stagne dans les années 70, puis décline jusqu’en 1994, avec une légère hausse en 1995 et 1996.

Figure 1. Indice de santé sociale aux États-Unis, 1959-1996

En France, Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti élaborent le baromètre des inégalités et de la pauvreté ou BIP 40 (en opposition au CAC 40), qui reprend la même méthodologie, avec 60 variables, et liste les thèmes suivant : Le revenu (taux d’ISF, taux de pauvreté monétaire des moins de 17 ans, rapport salaires (D9/D1)). Le travail et l’emploi (taux de chômage, part de l’emploi précaire, taux de maladies professionnelles…). L’éducation (taux des actifs sans diplômes, taux d’accès au baccalauréat). La santé (espérance de vie à la naissance). Le logement (part du recours à l’expulsion locative). La justice (crimes et délits contre les personnes et les biens par 100 000 habitants). L’étude, publiée dans Alternatives économiques en avril 2002, montre une dégradation de l’indice dans les années 80 et 90.

Figure 2. Le BIP40 français, 1985-200543 43

Baromètre des inégalités et de la pauvreté, http://www.bip40.org.

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1.3.2

Les indicateurs environnementaux

1.3.2.1

L’empreinte écologique

Nous allons évoquer maintenant les indices environnementaux. Celui qui à connu un développement et un succès retentissant ces dernières années est celui de l’empreinte écologique (EE). L’EE ne s’intéresse qu’aux ressources renouvelables. En effet, il nous indique si notre mode de vie ne porte pas atteinte à la renouvelabilité des ressources de la planète. « L’empreinte écologique correspond à la surface productive nécessaire à une personne ou à une population pour répondre à sa consommation de ressources et à ses besoins d’absorption de déchets. À l’échelle du globe, l’empreinte écologique de l’humanité est une estimation de la superficie terrestre ou marine biologiquement productive nécessaire pour répondre à l’ensemble de nos besoins »44. Élaborée par Mathis Wackernagel dans les années 90, elle consiste à convertir en unité de mesure commune, l’hectare global, chacun des 6 différents types de surface. C’est donc un indice synthétique physique (non monétaire). L’EE est un indice apprécié, car très « parlant » et facile à comprendre ; c’est un outil de communication puissant. La démarche d’utilisation consiste à distinguer 6 types de surface dont la productivité de biomasse ou « bioproductivité » est différente : Les terres cultivées. Les pâturages. Les forêts. Les zones de pêche. Les surfaces énergies ou carbones. Les terrains bâtis. Chaque hectare de ces différentes surfaces est converti en hectare global 45. On peut ainsi calculer le nombre d’hectare globaux d’un territoire, correspondant alors à sa biocapacité. Par ailleurs, on évalue le nombre d’hectares globaux nécessaires à l’activité, à la consommation d’une population. Celle-ci peut s’effectuer au niveau d’un pays ou au niveau individuel (on calcule l’équivalent en hectare global de la consommation d’un kilo de fruit, d’un kilomètre parcouru en voiture, d’une nuit à l’hôtel…), ce nombre correspondant à l’empreinte écologique de l’ensemble d’un pays ou à celle d’un geste particulier. Une empreinte écologique dépassant la biocapacité d’un territoire traduit une situation non durable dans laquelle les ressources sont consommées plus rapidement qu’elles ne se renouvellent.

44 45

Global Footprint Network, www.globalfootprint.org. Hectare dont la productivité égale la productivité moyenne d’un hectare dans le monde.

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Selon le WWF, l’empreinte écologique ne cesse d’augmenter depuis 1960. Les scientifiques considèrent que l’EE des hommes a dépassé la capacité de support de la planète au milieu des années 80. En 2005, l’EE d’un habitant était en moyenne de 2,5 hectares globaux, alors le la biocapacité moyenne était de 2,1 hectares.

Figure 3. Biocapacité et empreinte écologique au niveau mondial, 1961-200546

Mais l’EE et la biocapacité sont très variables d’un pays à l’autre. Ainsi, en 2005, l’empreinte écologique d’un Nord-Américain excédait sa biocapacité de 2,7 hectares globaux alors que celle d’un Européen hors de l’UE était inférieure à sa biocapacité de 2,36 hectares globaux.

Figure 4. Biocapacité et empreinte écologique : 47 comparaison des différentes régions du monde, 2005

Cependant, certains soulignent les limites de cet indicateur, comme par exemple le fait qu’il ne prenne pas en considération le problème de l’épuisement des ressources non renouvelables, ni l’accumulation du capital physique et le progrès technique, et que son calcul reste peu transparent…

46 47

WWF (2009). Newsletter Empreinte écologique, p. 2. WWF (2009). Newsletter Empreinte écologique, p. 4.

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1.3.2.2

L’indice de durabilité environnementale et l’indice de performance environnementale

Toujours dans la lignée des indicateurs environnementaux, l’indice de durabilité environnementale (ESI) et l’indice de performance environnementale (EPI) ont été développés par les universités Yale et Columbia dans les années 2000. Ces deux indices composites sont complémentaires et ont pour objectif d’aider à la prise de décision en matière d’environnement. Le premier indice permet de classer les pays selon leur capacité à assurer la durabilité de l’environnement. Il comprend 76 variables de base et 21 indicateurs intermédiaires, dont la qualité de l’air et de l’eau, la biodiversité, les déchets, la gestion des ressources naturelles, la politique environnementale, etc. Le 2005 ESI fût présenté à Davos, en janvier 2005, lors du Forum économique mondial. Le second indice, qui n’a été calculé qu’une seule fois, pour 133 états, cherche à évaluer l’efficacité des politiques environnementales d’un pays en agrégeant 16 indicateurs prenant une valeur comprise entre 0 et 100 et affectés de pondérations différentes. Ces 16 indicateurs font partie d’un ensemble de 6 politiques publiques traitant des thèmes suivants : Qualité de l’air (pollution de l’air). Ressource en eau (eau potable, consommation d’eau). Ressources naturelles (taux de coupe de bois). Énergies renouvelables. Biodiversité (protection des zones écologiques). Santé et environnement.

1.3.3

Les indicateurs de bien-être et les « PIB verts »

Les indicateurs de bien-être forment une troisième catégorie d’indices. Ils cherchent à prendre en compte à la fois la notion de bien-être, en intégrant des indicateurs sociaux, et la notion de durabilité, en tenant compte d’indicateurs environnementaux. La plupart de ces indicateurs sont des indices composites monétaires. 1.3.3.1

L’épargne nette ajustée

Nous évoquons en premier lieu l’épargne nette ajustée ou Genuine Saving Indicator, développé par la Banque mondiale depuis 1999 et qui « cherche à mettre en évidence le surplus de ressources dont dispose l’économie à l’issu d’un cycle annuel de production et de consommation, une fois compensée la dépréciation du capital économique, humain et naturel »48.

48

Bovar, O., Demotes-Mainard, M. et al. (2008). Dossier : les indicateurs de développement durable, p. 66.

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Il prend comme point de départ l’épargne brute (des ménages, des entreprises et des administrations publiques) de la comptabilité nationale, de laquelle il : soustrait la dépréciation du capital économique, évaluée par la consommation de capital fixe ; ajoute le capital humain, évalué par la part des dépenses d’éducation, considérées comme un investissement ; soustrait la dépréciation du capital naturel en prenant en compte le coût de l’épuisement des ressources naturelles évalué par la rente (charbon, gaz, pétrole, minéraux, forêt) et l’impact des émissions de CO2. Cette épargne nette ajustée est alors exprimée en pourcentage du revenu national brut. Plus l’indice obtenu (le taux « d’épargne véritable ») est élevé, plus la capacité du pays à accroître son patrimoine est importante. À l’inverse, s’il est négatif, cela signifie que le développement du pays est non viable. L’avantage d’un tel indice est qu’il prend simultanément en compte les 3 composantes du développement durable. Par ailleurs, il est plus facile à calculer, car il s’appuie sur des concepts et des chiffres tirés de la comptabilité nationale. Cependant, en pratique, on constate, pour les pays développés, une forte corrélation entre ce taux d’épargne véritable et le taux d’épargne brut, ce qui semble montrer une faiblesse dans la prise en compte des deux autres capitaux (le capital humain étant restreint à l’éducation). De plus, son interprétation est limitée par la substituabilité entre les différents types de capitaux. Enfin, pour certains pays, cet indice est faussé : L’ouverture économique49 n’étant pas prise en compte, son estimation pour les pays du Moyen-Orient, dont l’économie repose sur l’exploitation du pétrole, est négative. Pour la Chine et l’Inde, dont les bonnes performances économiques surévaluent l’indice, malgré une forte consommation du capital naturel qu’ils exportent. Pour les pays de l’Afrique subsaharienne, qui ont souvent une épargne brute proche de zéro. Cet indice a été calculé pour plusieurs pays, pour la période 1970-2003. Pour la France, on remarque qu’il atteint, en 2004, 11,29 % du PIB, alors qu’il été de 22 % en 1970 (la baisse s’est faite au cours de la période 1970-1985, alors que l’indice s’est stabilisé après cette date). Les États-Unis sont légèrement en-dessous de la France et ont aussi connu une baisse de leur ENA au cours des 40 dernières années50.

49 50

C’est-à-dire l’existence d’un marché international et le fait que la production d’un pays puisse être en partie exportée. Dossier : les indicateurs de développement durable, op. cit.

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1.3.3.2

L’indicateur de bien-être économique (IBEE)

L’indicateur de bien-être économique a été élaboré par les Canadiens Osberg et Sharpe en 1998. Il consiste à faire la moyenne de 4 indices portants sur les thèmes suivants : Les flux de consommations effectives par habitant, qui prennent en compte non seulement la consommation de biens et services produits sur la marché, mais également la production domestique et autres biens et services non produits sur le marché (0,4)51. Le stock de richesse, évalué par l’accumulation nette des stocks de ressources productives comprenant le capital tangible, le stock domestique, le capital humain, l’investissement en R&D, le stock de ressources naturelles, les coûts environnementaux, le niveau de la dette détenue à l’étranger (0,1). Les inégalités et la pauvreté économique, représentées par l’indice de Gini52 (0,25). L’insécurité économique, faisant référence aux risques économiques liés au chômage, à la vieillesse, à la maladie et au monoparentalisme (0,25). Ici, l’accent est mis plus sur le social que sur l’environnemental. L’évaluation de cet indice montre une augmentation beaucoup plus lente que celle du PIB au cours des 25 dernières années. Et, pour le Canada, on constate même une forte dégradation au cours des années 90. 1.3.3.3

Les PIB « verts »

Le PIB « vert », qui n’est pas un indicateur en soi, fait référence aux travaux cherchant à corriger le PIB dans le but d’obtenir un indicateur plus révélateur de la véritable progression ou dégradation de la situation d’un pays. On pourrait plus proprement parler de produit intérieur net ajusté en fonction de l’environnement. Les auteurs vont donc chercher à exprimer en termes monétaires des variables non prises en compte dans le PIB, que ce soit positivement, comme le travail domestique ou le bénévolat, ou négativement, comme les coûts sociaux et environnementaux. a. La mesure du bien-être économique (MBE)

Dans les années 70, deux économistes de l’université Yale, William Nordhaus et James Tobin, estimant que le PIB était un mauvais indicateur de bien-être, ont élaboré une mesure du bien-être économique (Mesure of Economic Welfare). Ils insistèrent sur le fait que c’était un indice de bienêtre économique et non social.

51 52

Pondération. « L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités de salaires (de revenus, de niveaux de vie...). Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite où tous les salaires, les revenus, les niveaux de vie... seraient égaux. », INSEE, www.insee.fr.

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Le MBE est calculé en partant des dépenses de consommation personnelles en biens et services, desquelles sont soustraits : Les dépenses instrumentales privées (trajet pour se rendre sur le lieu de travail, services bancaires et judiciaires …), considérées comme n’apportant rien au bien-être. Les dépenses de consommation en bien durables, qui seront remplacées par la valeur de leurs services. Les dépenses privées de santé et d’éducation inclues dans les dépenses d’investissement. Les coûts de l’urbanisation : pollution, accidents de voiture, criminalité… Auxquelles sont ajoutés : La valeur des loisirs. Les activités non marchandes (travail domestique, volontariat…). Les services de biens durables déduits du stock de leur consommation. Certaines dépenses publiques. Nordhaus et Tobin ont ainsi fait une estimation pour la période 1929-1965, pour les États-Unis. Leur conclusion est qu’il existe une corrélation positive suffisamment forte entre le MEW et le PIB pour que celui-ci soit un baromètre raisonnable du bien-être économique. b. L’indice de bien-être économique durable (IBED)

S’inspirant notamment des travaux de Nordhaus et Tobin, Daly et Cobb développent dans leur livre publié en 1989, The Common Good, un indice du bien être durable : l’indice du bien-être économique durable (Index of Sustainable Economic Welfare ou ISEW). Partant également des dépenses de consommation personnelles, qu’ils pondèrent par l’indice de Gini pour tenir compte des inégalités, ils ajoutent le temps de travail domestique, le bénévolat, et soustraient le coût de l’urbanisation et de la criminalité, et les dommages environnementaux. Cet indice est critiqué par son caractère grossier et la subjectivité dans le choix des pondérations et des variables prises en compte. Cependant, les auteurs, et d’autres, considèrent que cet indice, même s’il n’est pas parfait, est toujours plus pertinent que le PIB. c. L’indice de progrès véritable (IPV)

L’IPV est dérivé de l’ISEW. C’est la construction d’un tel indice que nous allons détailler dans la seconde partie, à travers l’exemple des travaux de Harvey Mead concernant la construction d’un IPV pour le Québec.

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Le tableau suivant reprend les indices évoqués plus haut. Tableau 2. Classement des principaux indices globaux Indicateurs globaux

Composites non monétaires

Indicateurs à caractère social IDH (3 dimensions) Indice de santé sociale (16 variables) BIP 40 (60 variables)

Indicateurs à dominante environnementale Empreinte écologique Indice de durabilité environnementale (76 variables de base) Indice de performance environnementale (16 variables)

Indicateurs de bien-être et PIB « vert »

Indicateur de bien-être économique (4 dimensions) Épargne nette ajustée (4 dimensions) Mesure du bien-être économique Indice de bien-être économique durable Indice de progrès véritable

Composites monétaires

Synthétiques monétaires

Le fait que tous ces indicateurs se soient dégradés depuis les années 70 semble montrer une défaillance dans notre modèle actuel et les déficiences des indicateurs actuels à mettre en évidence cette réalité. Nous terminerons par une figure qui met en relation l’IDH avec l’empreinte écologique pour différents pays. On constate que l’ensemble des pays ayant un IDH supérieur à 0,9 ont une empreinte écologique dépassant la biocapacité moyenne de la planète. C’est le cas de la France et du Canada. Inversement les pays comme la Chine et l’Inde, qui n’ont pas de dettes écologiques, ont un niveau d’IDH inférieur à 0,9. Figure 5. L’empreinte écologique et l’indice de développement humain en 200953

Le développement doit-il donc forcément se faire au détriment de l’environnement ?

53

Le Clézio (2009). Les indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique, p. 120.

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PARTIE II — L’INDICE DE PROGRÈS VÉRITABLE : EXEMPLE DE SON ÉLABORATION POUR LE QUÉBEC L’indice de progrès véritable (Genuine Progress Indicator) ou IPV poursuit deux objectifs. D’une part, il cherche à donner une mesure du bien-être économique réel d’une société, afin de permettre une meilleure appréciation de l’évolution de la qualité de vie d’une population que celle donnée par le PIB. D’autre part, il se veut un indicateur de la durabilité du chemin pris par la société : il surveille si celle-ci évolue sur une voie durable ou non. Certains de ses détracteurs, comme Neumayer 54, jugent d’ailleurs incompatibles ces deux dimensions, arguant par exemple que l’épuisement des ressources non renouvelables affectera les générations futures et n’a, par conséquent, pas d’incidence sur le bien-être des générations présentes. L’IPV est une variante de l’IBED, et est donc un indice synthétique et monétaire qui corrige le PIB en intégrant les conséquences sociales et environnementales du développement. Dans cette seconde partie nous rappellerons dans un premier temps que l’objectif des travaux sur l’IPV est avant tout d’établir un indicateur de développement et de bien-être alternatif au PIB. Nous verrons en quoi le PIB n’est pas un indicateur de bien-être de la société, puis nous présenterons rapidement les principes d’élaboration de l’IPV et les différents travaux menés jusqu’à présent. Dans un deuxième temps, nous présenterons le travail de Harvey Mead, qui élabore cet indice pour le Québec, en détaillant quelques-unes de ses composantes. Enfin, nous évoquerons mon travail de soutien auprès de H. Mead dans ses recherches. En conclusion, nous reviendrons sur les forces et faiblesses de la construction de cet indice.

2.1

L’IPV comme alternative au PIB

2.1.1

Les limites du PIB comme mesure du bien être d’une société

L’ensemble des travaux menés dans la construction d’indicateurs de bien-être ou autres PIB verts énumérés plus haut partent du constat selon lequel le PIB est un mauvais indicateur du progrès de la société, n’ayant d’ailleurs pas été conçu dans ce but. Or, la croissance du PIB est, depuis plusieurs décennies, l’objectif utilisé par les économistes et les décideurs politiques pour l’évaluation des politiques publiques. 54

Lecture complémentaire : Neumayer E. (1999). “The ISEW: Not an Indicator of Sustainable Economic Welfare”, publié dans Social Indicators Research.

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Nous allons donc rapidement revenir sur l’origine de l’élaboration du PIB et rappeler quelles sont ses défaillances lorsqu’il est utilisé pour donner une mesure de la qualité de vie et même de la durabilité de la société. C’est à la demande du Congrès américain, en 1932, que Simon Kuznets crée une comptabilité nationale aux États-Unis et élabore, en 1934, l’indice du produit intérieur brut, afin de mesurer l’effet de la Grande Dépression sur l’économie. Ainsi, à l’origine, le PIB à été conçu pour évaluer la production marchande pour une certaine période (en générale annuelle) d’une économie nationale. Comme toute statistique, elle n’est pas neutre en termes de valeurs et de modes de vie implicites (dans son cas, privilégiant la consommation et les activités marchandes, le travail rémunéré…). Le PIB peut se définir comme la somme des valeurs ajoutées produites par les unités productrices résidentes55. Autrement dit, c’est la valeur de tous les biens et services produits durant une période donnée, de laquelle on retire la valeur des biens et services intermédiaires utilisés pour leur création. Il comptabilise les biens et services marchands produits pour être vendus sur le marché. Depuis la fin des années 60, certains biens et services non marchands (notamment les biens produits par les ménages pour leur consommation propre et les dépenses des administrations publiques dans les secteurs de l’éducation et de la santé) sont aussi pris en compte. C’est après la Seconde Guerre mondiale que se de nombreux pays adoptent des systèmes de comptabilité nationale, dont le PIB est le principal agrégat. Celui-ci devient alors l’instrument privilégié de mesure de l’activité économique, aux États-Unis dans un premier temps, puis dans le cadre du système de comptabilité des Nations Unies, publié pour la première fois en 1953, ceci dans un contexte où l’on donnait priorité à la reconstruction et à la modernisation industrielle des infrastructures. Ce dernier sera révisé en 1968, puis en 1993. Peu à peu, le PIB s’impose comme l’outil de référence pour juger de l’efficacité des politiques économiques. Aujourd’hui, la croissance du PIB reste encore l’objectif à maximiser. Cette prédominance se vérifie notamment par la morosité ambiante lorsque celui-ci est en baisse. Par ailleurs, l’évocation du terme « décroissance »56 soulève encore de nombreuses protestations, tellement la croissance est visée partout. Comment expliquer que le PIB soit devenu ce « fétiche » ? Dominique Méda, philosophe et sociologue française, offre quelques pistes de réflexion57 :

55

56

57

Il existe en tout 3 manières possibles de définir le PIB, une étant de considérer le PIB comme la somme de la consommation finale effective, la formation brute de capital fixe, les variations de stocks, plus les exportations, moins les importations. Lecture complémentaire, Latouche, S. (2006). Le pari de la décroissance ; Georgescu-Roegen, N. (1971). Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie. Dans un article publié sur le site internet FAIR sur son intervention lors du colloque de Pekea, à Rennes les 30 et 31 octobre 2008.

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Pour elle, une des raisons est culturelle, voire philosophique, car on assimile la puissance de la nation à sa richesse matérielle, associant une production, donc une consommation maximale à un plus grand bien-être. D’où la nécessité peut-être de « reconsidérer la richesse » comme le suggère Patrick Viveret58. Par ailleurs, il est souvent fait l’hypothèse d’une corrélation positive entre le niveau de PIB et les indicateurs sociaux, le niveau de chômage notamment. Pour beaucoup, croissance et développement vont de pair. Enfin, elle évoque la difficulté des nations à s’accorder concernant d’autres dimensions du progrès. Le PIB est considéré comme un instrument qui facilite les comparaisons entre pays et, aujourd’hui, aucun consensus n’a été trouvé pour le remplacer. Comme le souligne Louis Gill, économiste québécois, en réponse aux critiques de Harvey Mead concernant sa référence au PIB pour évaluer la dette du Québec59, « faute d’une meilleure mesure, le PIB demeure, à l’échelle internationale, la norme de référence universellement employée »60. Cependant, le PIB souffre de limites majeures. Le PIB n’est pas un indicateur de la qualité de vie, donc du bien-être. En effet, il ne prend pas en compte un certain nombre de critères qui affectent, de façon non négligeable, le bien-être des individus : Le temps consacré aux activités non monétaires, comme les loisirs, la production domestique ou le bénévolat. La répartition des revenus. La référence au PIB par habitant permet de gommer l’effet de la démographie, mais c’est une valeur moyenne, qui masque les disparités de répartitions entre les individus. Les inégalités pour l’accès aux services publiques, l’éducation, la santé… Les atteintes à l’environnement (pollutions ou dégradations) et l’épuisement des ressources naturelles. En revanche, il comptabilise toutes les activités visant à remédier à ces atteintes ou à leurs conséquences négatives, sur la santé ou le confort par exemple. L’usure des équipements et de la nécessité de réinvestir pour maintenir la capacité de production.

58 59

60

Référence à son livre publié en 2003 : Viveret, P., Reconsidérer la richesse. Faisant référence au poids relatif de la dette par rapport au PIB, L’heure juste sur la dette du Québec (juin 2010) http://www.economieautrement.org/. Gill, L. (20 juillet 2010). L’heure juste sur la dette du Québec : les déplorables attaques de Harvey Mead, http://www.economieautrement.org/..

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Par ailleurs, il va comptabiliser positivement des activités qui n’ajoutent rien, voire même celles qui nuisent au bien-être de tous. Ainsi, le problème n’est pas uniquement la relation entre le niveau du PIB et le niveau de bien-être, mais aussi la relation entre la variation du PIB (la croissance économique) et la variation du bien-être : Une hausse du PIB peut donc une stagnation, voire une dégradation du bien-être ou de la soutenabilité d’une économie, dès lors qu’une activité passe du secteur non marchand au secteur marchand. La hausse du PIB peut aller de pair avec la hausse des inégalités, remettant en cause la cohésion sociale et cachant une hausse de la criminalité ou du stress. Les catastrophes naturelles ou écologiques, par exemple l’ensemble des activités de dépollution des côtes américaines à la suite de la marée noire dans le golfe du Mexique, sont comptées positivement dans le PIB. La hausse des accidents de la route, les ventes d’armes, d’antidépresseurs… font gonfler le PIB. Le PIB comme mesure de l’activité économique marchande d’un pays n’est pas une mauvaise chose en soi, mais la situation peut devenir problématique quand les médias et les personnalités politiques font de la croissance du PIB un objectif systématique et forcément positif, et l’utilisent pour résumer le progrès, le développement ou encore le bien-être de la société. Ainsi, bien que les limites du PIB soient aujourd’hui de plus en plus connues et reconnues, sans alternative solide, le concept de croissance économique semble avoir encore de beaux jours devant lui.

2.1.2

L’IPV

L’indice de progrès véritable (IPV) essaie donc de corriger les lacunes du PIB en intégrant ces coûts et bénéfices sociaux et environnementaux (l’intégration passe par une monétarisation nécessaire pour la comparaison avec le PIB), cette correction devant permettre de donner la bonne intuition concernant le caractère réel du progrès et la durabilité de l’évolution de la société. L’objectif est d’en faire un outil de pilotage dans la mise en œuvre des politiques de développement durable, voire de utiliser conjointement avec d’autres indicateurs, comme l’empreinte écologique. L’IPV, cette version « améliorée » de l’IBED évoqué en première partie, part des dépenses de consommation personnelles (composante principale du PIB) auxquelles est affecté un coefficient d’inégalité de distribution du revenu. Sont ensuite ajoutées les valeurs : Du travail domestique, des services parentaux et du travail volontaire. D’une partie des investissements d’éducation (hautes études). Des services d’infrastructures routières. Des services découlant de la consommation de biens durables.

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Puis sont soustraites : La valeur de la perte de temps dans les transports, perte de temps de loisir, du chômage, du sous-emploi. Les coûts du crime et des accidents de voitures. La valeur de la consommation de biens durables. Les coûts de la pollution de l’air, de l’eau, de la pollution sonore, de la dégradation de la couche d’ozone, de la dégradation environnementale de long terme (émission de CO2, épuisement des ressources), de la perte de terres agricoles, de forêts et de milieux humides. Puis sont pris en compte, dans l’ajustement, la formation nette de capital et la dette détenue à l’étranger. Pour Clifford Cobb, l’IPV est un indicateur de soutenabilité forte. Le principe de soutenabilité forte suppose un degré de substitution limité entre les différents stocks de capitaux, humain et naturel notamment. Il fait l’hypothèse que même si certaines substitutions sont possibles, la plupart des ressources naturelles (forêt anciennes, atmosphère, terres agricoles…) sont irremplaçables lorsqu’éliminées, car elles fournissent des services auxquels aucune autre forme de capital ne peut se substituer. Pour qu’il y ait soutenabilité forte, il faut donc que le stock de capital naturel reste, au pire, constant. À l’inverse, le principe de soutenabilité faible admet une possible substitution entre les différentes formes de capital ; ainsi, le stock de capital naturel peut décroître s’il est remplacé par du capital humain équivalent. En autant que le stock total ne décroit pas, il y a soutenabilité. L’IPV, en associant un coût à la perte définitive de terres agricoles, de milieux humides, de forêts primaires, de la couche d’ozone, etc., est alors, selon Cobb, plus dans la lignée du principe de soutenabilité forte que faible. Cependant, selon d’autres économistes comme Neumayer (1999), l’IPV est un indicateur de soutenabilité faible, puisqu’une hausse de leur coût, associée à l’épuisement des ressources naturelle, peut être masquée par l’amélioration d’autres composantes, comme celle de l’investissement net en capital. Rejetant de telles critiques comme non fondées, les utilisateurs de cet indicateur le voient comme inscrit dans les fondements de la théorie de l’économie écologique, notamment dans les principes de la thermodynamique. L’IPV, comme « amélioration de l’IBED » de 1989, à été développé en 1995 par Clifford Cobb (un des concepteurs de l’IBED) soutenu par Redefining Progress. Appliqué en premier aux États-Unis, une mise a jour ayant été faite en 1999 et en 2006, il a été calculé en Australie en 1998 par Clive Hamilton. Au Canada, il est calculé depuis 2001 en Alberta par Mark Anielski et en Nouvelle-Écosse par GPIAtlantic. Il a récemment été calculé pour 4 villes de 3 provinces de la Chine (Wen et al., 2007). Dans la version 2006 de l’IPV américain, John Talberth, Clifford Cobb et Noah Slattery aboutissent, pour les États-Unis, à une croissance de 1,33 % par année de l’IPV par habitant, ce pour la période

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1950-2004, l’IPV passant de 8 611 à 15 035 dollars ($2000). Pour la même période, le PIB par habitant est passé de 11 600 à 36 600 $, soit une hausse annuelle moyenne de 3,8 %. Deux périodes se distinguent : de 1950 à 1980, les deux indicateurs évoluent dans le même sens, avec un pic de 4 % en 1965. Puis, à partir de 1980, l’IPV se dégrade certaines années et reste plutôt constant, alors que la croissance du PIB est toujours positive. L’IPV australien a été calculé pour la période 1950-1996, puis comparé à l’évolution du PIB. Sur la période, le PIB connaît une croissance soutenue, passant de 9 000 $ par habitant à 23 000 $ ($1990), soit une hausse de près de 155 %. Mais si on regarde l’IPV par habitant calculé par Hamilton, là aussi 2 phases peuvent être distinguées. L’IPV est évalué à un peu moins de 9 000 $ au début de la période, comme le PIB, et il croît jusqu’en 1981, où il atteint un pic de 16 000 $. Cependant, à partir de cette date, l’indice se dégrade jusqu’en 1987, où il atteint environ 13 500 $, puis connaît par la suite une légère amélioration, pour retrouver une valeur d’environ 16 000 $ en 1996. Il s’agit d’une hausse globale de 78 %, deux fois moindre que celle du PIB. Les auteurs de l’IPV US concluent que, « depuis 1980, le bénéfice marginal associé à la croissance des dépenses de consommation personnelles, du temps de loisir et des services de capitaux a été éliminé par les coûts marginaux des inégalités de revenu, de l’épuisement du capital naturel, des dépenses défensives, des effets indésirables de la croissance des émissions de CO 2 et de la dette étrangère »61. Hamilton conclut de façon similaire, sauf que l’Australie a connu une amélioration dans la distribution des revenus ; l’IPV se serait d’ailleurs dégradé plus tôt si cette amélioration n’avait pas eu lieu. Donc, selon ces estimations, les États-Unis et l’Australie n’ont pas connu de réels progrès, une amélioration de la société sur le plan qualitatif ou de la durabilité, depuis les années 1980. L’ensemble des travaux sur l’IPV donne en général des résultats comparables, mettant en évidence une rupture à partir de la fin des années 70 qui marque, notamment, la fin des Trente Glorieuses, avec les chocs pétroliers ainsi que l’accélération du phénomène de mondialisation dont certains aspects, comme la hausse des transports, accentuent les effets néfastes sur l’environnement.

61

Talberth, J., Cobb, C. and Slattery, N. (2007). The Genuine Progress Indicator 2006, A tool for a Sustainable Development, p. 19

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2.2

La construction d’un IPV pour le Québec : le travail de Harvey Mead62

2.2.1

L’objectif du travail et la structure de l’IPV

37

Harvey Mead, diplômé en philosophie des sciences, fonde en 1981 l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), devenue Nature Québec en 2005. Il s’agit d’une association de protection de l’environnement dans le cadre des processus de développement, et Harvey Mead la présidera durant 25 ans. C’est durant son mandat de commissaire au développement durable auprès du Vérificateur général du Québec, poste qu’il occupa de janvier 2007 à janvier 2009, que Harvey Mead décide d’élaborer un IPV pour le Québec. Ce nouvel outil doit ainsi fournir un cadre permettant d’identifier les modes de développement non durable (que ne permet pas le PIB) et permettre de mieux orienter et évaluer les applications de la Loi sur le développement durable. La finalité était d’avoir un indice synthétique permettant de fournir, lors de ses vérifications comme commissaire, un meilleur reflet du bien-être des Québécois que le cadre fourni par le PIB. C’est sa démarche après son mandat comme commissaire – où il n’a pas pu élaborer l’IPV – que nous allons évoquer maintenant. Bien que s’inspirant des travaux des économistes écologiques qui l’ont précédemment élaboré, l’IPV de H. Mead se construit après une analyse de la situation actuelle et passée du Québec, afin de prendre en compte ses spécificités dans son élaboration. Ainsi, les composantes de l’IPV sont classées selon 3 catégories. Les indicateurs touchant le territoire (conditions au développement).

62



L’aménagement du territoire forestier.



L’aménagement du territoire agricole.



L’établissement d’aires protégées.



La gestion du territoire souterrain.



La gestion de l’air (urbain et atmosphérique).



La gestion des milieux hydriques.



La gestion de la pêche.



La gestion du fleuve Saint Laurent.



L’aménagement des établissements humains et services fournis par ces milieux.

Mead, H., Quand l’économie dépasse la capacité de l’écologie : une société à risque. L’indice de progrès véritable du Québec (titre provisoire, ouvrage à paraître).

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Les interventions de la société par des activités bénéficiant à la population (moyen d’assurer le progrès et le bien être).



Le travail domestique et tâches parentales.



Le bénévolat.

Les composantes touchant aux objectifs même du développement (finalité du développement).

2.2.2



Les dépenses de consommation personnelles.



L’endettement des ménages (pour la consommation).



Les dépenses gouvernementales en santé, éducation, services sociaux.



L’endettement de l’État pour les dépenses d’épicerie.



L’endettement de l’État après des prêteurs étrangers.



Les incidences de la démographie.



Les incidences sociales du chômage, suicides, accidents de la route.



La sécurité physique et psychologique.

Construction de l’IPV : quelques étapes

Nous allons maintenant détailler l’estimation de certains de ces indicateurs. Je précise que tous les chiffres qui seront évoqués sont exprimés en dollars canadien de 2002. 2.2.2.1

Quatre exemples de composantes détaillées

a. Les dépenses de consommation personnelles

Nous évoquons en premier lieu le point de départ du calcul de l’IPV : les dépenses de consommation personnelle. Pourquoi ce point de départ ? D’une part, elles sont la composante principale du PIB (=CF+FBCF+VS+X-M), ce qui facilite ainsi la comparaison des deux indices. Par ailleurs, elles semblent être la bonne première variable pour évaluer le bien-être associé à la consommation, alors que le PIB met l’accent sur la valeur monétaire de production. « La dépense de consommation se limite aux dépenses que les ménages supportent directement. Cette dernière comprend la part des dépenses de santé, d’éducation, de logement, restant à leur charge, après remboursement éventuel. On y inclut aussi les loyers imputés, c’est-à-dire les loyers que les ménages propriétaires de leur résidence principale se versent à eux-mêmes, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une dépense »63.

63

Définition INSEE, www.insee.fr.

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Les dépenses personnelles en biens et services de consommation des Québécois s’élevaient, en 1981, à 86 606 $ par habitant et ont augmenté progressivement pour atteindre, en 2007, 168 504 $, soit presque le double.

2005

2003

2001

1999

1997

1995

1993

1991

1989

1987

1985

1983

1981

200 175 150 125 100 75 50 25 0

Figure 6. Dépenses personnelles en biens et services de consommation au Québec, 1981-200764

b. L’aménagement du territoire forestier

Une des composantes de l’IPV cherche à déterminer si les activités d’exploitation de la forêt québécoise, comme ressource renouvelable, sont effectuées de façon durable. Dans son chapitre, Harvey Mead cherche à mettre en évidence un bilan du secteur forestier qui tienne compte à la fois des actifs de l’activité (valeur ajoutée, emploi), mais également des passifs (impacts sociaux et environnementaux, notamment), que l’IPV va prendre en compte. Au Québec, 90 % du territoire forestier est détenu par l’État, même si 20 % de la valeur des coupes est produite en forêt privée. Le gouvernement a mis en place un système de redevances payées par les compagnies voulant exploiter la forêt publique, système devant financer le programme de traitement sylvicole qui permet le maintien de la forêt comme ressource renouvelable.

64

Statistique Canada, Division des comptes des revenus et des dépenses, Comptes économiques provinciaux, novembre 2007 et avril 2008.

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Au terme de son analyse du secteur, Harvey Mead distingue 3 types de passifs de l’activité forestière. La dégradation de la forêt publique comme ressource économique, qu’il évalue en additionnant 4 coûts :



L’écart entre la valeur de la forêt privée et la forêt publique. En effet, cette dernière est plus élevée que la première, notamment en raison des coûts de transport plus importants du fait de l’éloignement entre les lieux de coupe en forêt publique, plus au nord, et les scieries. Ceci est un exemple caractérisant la mauvaise gestion de la forêt publique et la mise en place d’une stratégie non durable.



Le réseau de chemin forestier, qui représente une perte de stock forestier d’environ 5 %.



Le programme de sylviculture, évalué par le montant de la redevance globale, considérée comme une approximation de la valeur des impacts de l’activité forestière sur le renouvellement de la forêt.



La perte de rendement, liée au fait que les meilleurs peuplements ont été exploités et que, aujourd’hui, les forêts publiques sont principalement des forêts vierges du nord, et les forêts privées, des forêts de 2e ou 3e génération. Toutes ces forêts n’ont pas les mêmes qualités que les forêts d’origine, aboutissant ainsi à un rendement moindre. L’estimation du coût de ce rendement moindre se fait en multipliant le montant de la redevance par l’écart de rendement entre la forêt publique et la forêt Montmorency65, dont le rendement est jugé comme représentatif du rendement potentiel de la forêt publique en bon état.

Les coûts des impacts environnementaux et sociaux, comme « la perte de biodiversité en fonction des pratiques de coupe, les changements apportés par les pratiques de coupe au régime hydrique, la dégradation et l’impact sur l’écoulement des rivières ayant leur origine en forêt par l’érosion et par le flottage du bois, la destruction de village qui dépendent des scieries, etc. »66. Deux types de coûts servent à estimer ces impacts, difficiles à évaluer :

65

66



Les coûts impliqués dans la lutte contre les épidémies, estimés par les coûts des programmes d’arrosage. En effet ceux-ci sont jugés représentatifs des externalités négatives de l’activité forestière.



Les coûts associés au flottage du bois, technique utilisée au Québec pour sortir le bois coupé des forêts et qui a eu de nombreux impacts négatifs sur les écosystèmes aquatiques. Dans les années 90, un programme de dragage du fond de la rivière SaintMaurice à été mis en place pour en retirer les billots. Le coût de ce programme est utilisé dans l’estimation du coût de cette pratique.

La forêt Montmorency est une station de recherche de l’université Laval dont la gestion met certes l’accent sur la productivité, mais aussi sur une vision de long terme et en respect de l’environnement et des valeurs sociales. Mead, H., Quand l’économie dépasse la capacité de l’écologie : une société à risque. L’indice de progrès véritable du Québec, chapitre Foresterie (titres provisoires, ouvrage à paraître).

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La décision de ne pas générer une rente pour le bois de la forêt publique. Pour Harvey Mead, le fait que le gouvernement ne cherche pas à obtenir de rente pour l’exploitation de sa forêt (la redevance ne finançant que le programme de sylviculture), constitue un manque à gagner, donc une perte de bien-être potentiel. Cette rente permettrait de compenser les coûts que cette exploitation génère. Le coût de cette décision est estimé par l’écart de valeur entre la forêt privée et publique. Le calcul aboutit à chiffrer des passifs du même ordre de grandeur que les actifs évalué par le PIB forestier. Ainsi, pour 2006, le PIB forestier s’élevait à près de 1 200 millions de dollars67 et le calcul de H. Mead aboutit à une soustraction dans l’IPV, pour la composante « coûts de l’industrie forestières », de l’ordre de 1 247 millions de dollars. c. Le travail non rémunéré

L’IPV ajoute, dans son calcul, une estimation de la valeur du travail non rémunéré (TNR). Le travail non rémunéré se compose du travail domestique (cuisine, ménage, garde d’enfant …) et de l’activité bénévole. En effet, comme expliqué plus haut, le TNR est considéré comme un élément majeur de l’économie, non comptabilisé dans le PIB. Par exemple, en 1998, un Canadien consacrait 24,1 heures par semaine au travail non rémunéré, alors que le temps passé à un travail rémunéré était de 21,7 heures68. L’objectif est de monétariser ces activités afin de mieux en apprécier la réalité. Il faut tout d’abord définir ce qu’on entend par travail non rémunéré. On considère qu’une activité est « productive » si elle peut être déléguée à quelqu’un d’autre : c’est l’approche du critère de la tierce personne. Il faut donc évaluer le nombre d’heures consacrées à ces activités. Il existe ensuite plusieurs manières de valoriser ce temps de travail. D’une part, la méthode du coût d’opportunité (encore appelée coût d’option ou gain potentiel), selon laquelle l’heure consacré au TNR aurait pu l’être à une activité rémunérée. C’est ce manque à gagner que constitue le coût d’opportunité. On remarquera que le calcul peut s’effectuer avant impôts (on parlera de coût d’option sociale) ou après impôts (on parlera de coût d’option privée). D’autre part, on peut utiliser la méthode du coût de remplacement. Dans ce cas, on se réfère au salaire qu’un professionnel chargerait pour effectuer le même travail. Par exemple, pour l’activité de nettoyage, on prendrait le salaire horaire d’une femme de ménage. Là encore on peut distinguer deux variantes : la méthode du généraliste pour laquelle, comme son nom l’indique, on se réfère au salaire d’une personne polyvalente, ou la méthode du spécialiste, pour laquelle c’est le salaire d’un professionnel qui sert de référence. 67 68

Institut de la statistique du Québec. Statistique Canada (dans Hamdad, 2003), p. 14. Le tableau découle d’une approche « technique » qui établit une moyenne pour chaque subdivision en fonction de toutes les personnes de 15 ans et plus, y compris les chômeurs et les retraités, par exemple.

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Au Canada, depuis les années 1970, Statistique Canada fournit des données concernant la question. L’Institut utilise dans ses publications la méthode des coûts de remplacement avec variante du généraliste pour estimer la valeur du travail non rémunéré. C’est la méthode la plus conservatrice, car elle aboutit à des valeurs inférieures à celles des autres méthodes. Dans son travail, H. Mead opte pour cette approche. Il se réfère à plusieurs études de Statistique Canada69, lesquelles s’appuient sur des recensements menés dans les années 1981, 1986 et 1992 et fournissent des données sur la valeur du temps de travail non rémunéré des ménages. Des extrapolations sont faites pour les années 1961 et 1971. Après transformation en dollars constants de 2002, et extrapolation pour des années après 1992, le tableau suivant est obtenu : Tableau 3. Valeur du travail non rémunéré au Québec, 1961-2008 VTNR en millions de $ 2002 1961

16 740

1971

20 223

1981

23 995

1986

23 874

1992

27 058

1998

27 985

2004

29 432

2008

30 688

Selon ces estimations, la VTNR passe de 16 740 millions de dollars en 1961 à 30 688 millions en 2008. Ceci représentait 15,5 % du PIB en 1986 et 12,3 % en 2008, soit un pourcentage (et un montant) non négligeable. La hausse est principalement due à l’augmentation de la population, car il semble d’après les différentes études que le temps consacré au TNR n’a pas vraiment évolué sur la période. Cependant, il faut se rappeler que ces estimations sont imparfaites, car les résultats dépendent des méthodes d’évaluation utilisées et aussi de l’hypothèse faite quant à l’évolution de la productivité des ménages. Pour son travail, H. Mead retient l’hypothèse d’une croissance nulle, mais si on fait l’hypothèse d’une augmentation de ce paramètre au fil du temps, la VTNR aurait été plus importante.

69

Jackson et Chandler (1995). Travail non rémunéré des ménages : mesure et évaluation, Statistique Canada ; Hamad, M. (2003). La valeur du travail non rémunéré des ménages 1992-1998 : tendances et sources des changements, Statistique Canada.

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d. Les émissions de CO2

Il existe aujourd’hui un consensus au sein de la communauté scientifique pour dire que l’homme est responsable du réchauffement climatique du fait de ses activités émettrices de gaz à effet de serre (GES). L’IPV intègre dans son calcul le coût des émissions de GES. Cette évaluation est d’autant plus importante qu’elle permet à la population et aux décideurs politiques de mieux se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Harvey Mead cherche alors à estimer ce qu’il appelle la « dette écologique » du Québec. Il faut préciser que seules les émissions dépassant la capacité d’absorption de la planète sont prises en considération dans l’évaluation, et que ces GES « excédentaires » restant dans l’atmosphère ont un impact cumulatif (les émissions excédentaires nouvelles des années s’ajoutent à celles précédentes). Les scientifiques établissent que la capacité maximale de séquestration à été atteinte en 1964 quand les émissions étaient de 3 gigatonnes (Gt)70. Ce sont donc les impacts des GES émis au-dessus de cette limite, depuis cette date, qui constitueront une dette écologique. Le coût des impacts d’une tonne de GES provient d’une étude de Transports Canada de 2007, laquelle chiffre celui-ci entre 20,55 et 41,12 $ CAN par tonne de CO2 équivalent, en $ de 2000. La borne inférieure est retenue pour le calcul, afin de rendre le calcul conservateur, et transformé en dollars de 2002 (année retenue pour l’ensemble du travail), ce qui donne un coût de 21,45 $. L’estimation pour 2006 est la suivante : au niveau mondial, les émissions cumulatives étaient de 7 Gt71, soit 4 Gt au dessus de la capacité de séquestration des écosystèmes. Donc, 58 % des émissions cumulatives sont prises en compte. Au Québec, en 2006, les émissions cumulatives s’élevaient à 3145,8 Mt72. On multiplie 60 % de ces émissions par 21,45 $, ce qui donne une dette écologique, pour 2006, de 40,5 milliards de dollars, soit un coût qui a été multiplié par plus de trois par rapport à l’estimation de 1990, année de référence du Protocole de Kyoto, qui était de 12,35 milliards. Les prévisions faites pour 2020 font état d’un doublement de cette dette par rapport à aujourd’hui, ceci quelque soit le scénario concernant le respect ou non du Protocole de Kyoto (qui s’applique à la période 2008-2012) et les quelques résultats de Copenhague. Les scientifiques prônent une baisse de 40 % en 2020 par rapport à 1990, ce qui implique une augmentation importante des émissions cumulatives.

70

71 72

Mead, H., Quand l’économie dépasse la capacité de l’écologie : une société à risque. L’indice de progrès véritable du Québec, chapitre Changements climatiques (titres provisoires, ouvrage à paraître). Idem. Idem.

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2.2.2.2

D’autres composantes

Nous revenons à présent plus rapidement sur l’explication d’autres composantes, leur fondement et leur évaluation. a. L’aménagement du territoire agricole

Comme pour le territoire forestier, l’analyse du territoire agricole cherche à estimer les coûts des impacts sociaux et environnementaux des activités agricoles au Québec. Après avoir dressé le portrait de l’agriculture québécoise et de son évolution, pointant notamment la transformation de l’agriculture d’origine en une agriculture industrielle, Harvey Mead évalue les coûts environnementaux par les dépenses de base pour les intrants externes à la ferme (semences, engrais, pesticides…), et le coût social par les cotisations versées dans le cadre du programme ARSA73 qui est jugé avoir contribué à la déstructuration du milieu rural de la province. Ces résultats aboutissent à une composante de l’IPV d’un montant équivalent, voire plus important, que la valeur ajoutée du secteur agricole, tel que le démontre le graphique suivant74 :

millions $ constants 2002

3 500 IPV agricole (soustraction)

3 000 2 500

PIB agricole

2 000 1 500 1 000 500 2007

2005

2003

2001

1999

1997

1995

1993

1991

1989

1987

1985

1983

1981

0

Figure 7. IPV et PIB agricoles québécois, 1981-2007

73

74

Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles, ayant pour objectif de garantir un revenu annuel net positif aux entreprises agricoles québécoises. Mead, H., Quand l’économie dépasse la capacité de l’écologie : une société à risque. L’indice de progrès véritable du Québec, chapitre Agriculture (titres provisoires, ouvrage à paraître), figure 9.

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b. Les ressources minières

Dans son analyse du secteur minier, H. Mead considère l’exploitation des ressources minières (ressources naturelles non renouvelables) comme une perte de richesse. Il utilise la valeur des expéditions minières75 comme coût de l’épuisement de ces ressources naturelles non renouvelables. Son travail aboutit au graphique suivant76 : 3 000 Expédition de métaux et minéraux industriels

2 000 1 000 0 millions $ constants 2002

PIB de l’extraction minière (sans extraction de pétrole et de gaz)

-1 000 -2 000 -3 000 -4 000 -5 000

Figure 8. PIB et expéditions minières, 1984-2006

Alors que l’activité minière contribue à l’accroissement du PIB (courbe rouge), celle-ci est comptabilisée négativement dans l’IPV (courbe bleue), représentant donc deux visions opposée d’un même secteur. c. Les aires protégées

Par ailleurs, Harvey Mead justifie la nécessité d’établir des aires protégées comme moyen de contrôler les impacts de nos activités sur le territoire, probablement une première dans les travaux sur l’IPV. C’est la valeur des services rendus par les écosystèmes qui sert de variable proxy du coût associé à l’absence de contrôle dans les travaux sur les aires sous exploitation. Puisque ces coûts se trouvent dans les différents chapitres portant sur l’aménagement du territoire, le proxy retient comme coût seulement la valeur des services des aires elles-mêmes, manquante en raison de l’absence de protection. Partant des objectifs d’une superficie d’aires protégées de 877 et 12 %78 du territoire, il associe un coût à la partie du territoire en-dessous de ce chiffre. La valeur d’un km² non protégé est tirée d’un 75 76

77

La valeur de ces expéditions représente les ventes effectuées par les producteurs québécois. Mead, H., Quand l’économie dépasse la capacité de l’écologie : une société à risque. L’indice de progrès véritable du Québec, chapitre Activité minière (titres provisoires, ouvrage à paraître), figure 7. Objectif fixé par le gouvernement dans son Plan d’action québécois sur la diversité biologique 2004-2007.

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article publié dans Ecological Economics, dans lequel M. W. Ingraham et S. G. Foster estiment la valeur des services écosystémiques du couvert forestier à 42 608 $ par kilomètre carré. Les calculs aboutissent à un coût qui décroit au fil des ans, du fait de l’augmentation de la superficie d’aires protégées. Ce coût passe de 8,33 milliards de dollars en 1970 à 2,75 milliards en 2009 pour l’ensemble du Québec, si on se réfère à l’objectif de 12 %. Les chiffres sont de 5,49 et -0,09 milliards si on prend l’objectif de 8 % ; le coût devient négatif en 2009 car le pourcentage d’aires protégées a atteint 8,13 %79. Le calcul a aussi été effectué pour les différentes régions afin de ne prendre en compte que celle n’ayant pas atteint l’objectif. d. Les dépenses « défensives »

Le dépenses défensives ne sont pas une composantes à part entière de l’IPV, mais constituent une notion importante que le calcul de l’IPV prend en compte. La notion est introduite par Nordhaus et Tobin80 et fait référence aux dépenses nécessaires au maintien du niveau de consommation et de fonctionnement de la société, et qui n’apportent aucun bien-être supplémentaire à celle-ci. Or, ces dépenses sont comptabilisées positivement dans le PIB. L’IPV, dont les dépenses de consommation personnelles constituent le point de départ, va chercher à soustraire dans ces différentes composantes la partie de ces dépenses qui n’entraîne pas une amélioration du bien-être, mais sert simplement à en éviter une détérioration. Ainsi, par exemple, certaines dépenses de santé sont la contrepartie d’un mode de vie plus stressant et plus pollué. C’est aussi le cas d’une partie des dépenses d’éducation qui ne servent qu’au maintien du niveau général d’alphabétisation de la population – bien que l’autre partie soit considérée comme un gain pour la société. Sont aussi pris en considération les coûts liés aux accidents de voiture et aux accidents de travail, à la criminalité, aux suicides et au vieillissement. On notera que le mode de calcul de ces dépenses varie d’un auteur à l’autre. e. La consommation de biens durables

L’IPV cherche à prendre en considération uniquement la valeur des services fournis chaque année par les biens durables et équipements, plutôt que le prix initial d’achat. Pour faire cet ajustement, on enlève les dépenses en biens durables contenues dans la colonne des dépenses personnelles des ménages, puis on ajoute la valeur annuelle du service que fournissent ces biens. Cette dernière est estimée à partir de la valeur du stock net de biens durables. On reprend l’analyse de Talberth et Cobb pour l’IPV US81. En effet, ces derniers prennent la définition économique du service annuel fourni 78

79 80 81

Il existe un certain consensus international prônant la protection d’environ 12 % du territoire, suivant les grandes tendances mondiales. MDDEP, Portrait du réseau d’aires protégées au Québec, période 2002-2009, p. 26. Auteurs de la mesure du bien-être économique. Talberth, J., Cobb, C. et Slattery. N. (2007). The Genuine Progress Indicator 2006, A tool for a Sustainable Development, p. 10.

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par ces biens et font la somme du taux de dépréciation et du taux d’intérêt. Ceux-ci sont estimés respectivement à 15 % et 7,5 %. f. La dette à l’étranger

La durabilité d’une économie est aussi affectée par le fait qu’elle repose sur des capitaux étrangers pour financer sa consommation courante. Un pays qui emprunte à l’étranger pour payer ses dépenses se sentira riche, mais pour une courte période de temps. Cette illusion de richesse disparaît quand la dette doit être remboursée ou quand la valeur de la monnaie se déprécie au fur et à mesure que les investisseurs étrangers perdent confiance en la capacité du pays à rembourser ses emprunts. Cette composante mesure le montant que les Québécois investissent à l’étranger, moins les investissements des étrangers au Québec. La variation annuelle indique si le Québec passe d’une situation de prêteur net ou d’emprunteur net. g. L’indice de Gini

Contrairement aux autres travaux sur l’IPV, Harvey Mead a choisi d’appliquer un indice de Gini à la fin seulement du travail, comme exercice complémentaire. La pondération des dépenses personnelles de consommation par cet indice permet de tenir compte des inégalités dans la distribution des revenus. Faire cela à la fin se justifie, selon lui, par « l’effort de maintenir les chiffres en lien direct avec ceux du PIB ». 2.2.2.3

Quelques résultats

50000

Forêt (-)

40000

Agriculture (-)

30000

Mines (-)

20000 Aires Protégées (-) TNR (+)

10000 2007

2005

2003

2001

1999

1997

1995

1993

1991

1989

1987

1985

1983

0 1981

millions de dollars constans 2002

Nous présentons maintenant les résultats obtenus pour les composantes évoquées jusqu’à présent. La période retenue en fonction de la disponibilité des données est 1981-2007. L’annexe 1 présente le tableau à partir duquel le graphique suivant est construit. Des données pour la période 1960-1980 seront incluses dans le tableau final, mais ne seront pas prises en compte dans le calcul de l’IPV.

Figure 9. Quelques composantes de l’IPV pour le Québec, 1981-200782 82

(-) indique que la composante est soustraites aux dépenses de consommations personnelles (+) indique qu’elle est ajoutée.

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On constate que les coûts associés à l’industrie forestière ont augmenté jusqu’au milieu des années 90, puis sont restés plutôt stables depuis, avec une légère baisse ces dernières années. Les activités minières et agricoles, quant à elles, voient leurs coûts en constante augmentation au cours de la période étudiée. Cependant, ces trois composantes sont relativement faibles par rapport à 2 autres variables étudiées dans la partie sur l’aménagement du territoire. On constate que les coûts liés à l’absence d’aires protégées (par rapport à l’objectif de 12 %) commencent à décliner à partir de 2002 et que la dette écologique représentant les coûts relatifs aux émissions de GES explose durant la période. Enfin, la valeur associée au travail non rémunéré, seule composante « positive » présentée ici, est relativement élevée et montre une hausse régulière. Finalement, le graphique suivant présente la courbe associée aux dépenses de consommation personnelles des ménages et une courbe d’IPV1 qui prend en compte les six composantes.

160 000 Dépenses personnelles

140 000 120 000

IPV1

100 000 80 000 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007

millions de dollars constants 2002

180 000

Figure 10. Dépenses de consommation personnelles et IPV, pour le Québec, 1981-2007

On remarque que, jusqu’en 1990, la valeur du TNR fait plus que compenser les déductions des 5 autres composantes mais qu’ensuite, notamment à cause des coûts liés aux émissions de GES, la valeur de l’IPV1 passe en dessous de celle des dépenses personnelles. On constate déjà globalement une croissance de l’IPV moindre que celle des dépenses de consommation, base de calcul du PIB. Ces résultats sont bien sûr partiels, puisqu’ils ne prennent en compte qu’un nombre très limité des composantes de l’IPV. Il importait de fournir une idée de l’application des travaux, alors que ceux-ci restent à compléter et à publier au cours des prochains mois.83 Pour conclure cette partie, nous allons évoquer les avantages d’une démarche telle que la construction d’un indice de progrès véritable pour le Québec. Puis, nous parlerons des problèmes et limites, notamment statistiques, qui ont été rencontrés et qui sont souvent inhérents à l’élaboration d’un indice statistique.

83

Voir Annexe 2 - Tableau préliminaire des composantes de l’IPV pour le Québec.

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Tout d’abord, il faut souligner que le travail de Harvey Mead fournit un nouveau regard sur l’évolution du Québec par rapport à la vision que donnent généralement les indicateurs économiques « traditionnels ». D’une part, il remet en question la façon dont est géré le territoire. Il conclut par exemple que le secteur agricole, au Québec, n’est pas rentable économiquement, puisqu’une grande partie des producteurs ne vit que grâce aux subventions. Si on prend en compte les coûts sociaux et environnementaux induits par la transformation de « l’agriculture d’origine vers une agriculture industrielle », ceci est encore plus vrai. Il prône donc une réorientation de l’activité, en favorisant l’agriculture locale et respectueuse de l’environnement, l’objectif étant de redonner à l’agriculture sa dimension humaine et son rôle de « mère nourricière ». De plus, il critique la gestion de la forêt publique dont il remet également en cause la rentabilité. Il suggère ainsi une meilleure prise en compte des externalités par l’État afin de mettre en place « une nouvelle industrie forestière, à haute valeur ajoutée, à impacts environnementaux très réduits et à qualité sociale indéniable ». Enfin, dans son chapitre sur l’exploitation minière, il revient sur l’enjeu de l’utilisation de ressources non renouvelables. Contrairement à la logique actuelle qui donne à la production minière une valeur positive dans le calcul du PIB, Harvey Mead la considère – suivant la tradition des artisans de l’IPV – comme une perte de richesse pour la société et propose que les recettes du secteur soient investies de façon à générer un revenu permanent, investissement devant aussi servir à la recherche de substituts. Ces analyses sont par ailleurs une critique du processus de mondialisation. En effet, l’insertion sur les marchés internationaux oblige les producteurs à faire face à la concurrence internationale. Dans le cas de l’agriculture, celle-ci est désavantagée par rapport aux pays profitant d’un climat plus favorable, poussant les agriculteurs québécois dans la course au productivisme et ce, quels qu’en soient les coûts écologiques. Par ailleurs, ils doivent aussi faire face à l’instabilité des prix mondiaux, que ce soit des produits agricoles, miniers ou du bois, ce qui est un des facteurs en partie responsables des crises que connaissent actuellement ces secteurs. D’autre part, il dénonce certaines perversions ou incohérence du modèle économique actuel. Dans son chapitre sur le coût du chômage, il souligne l’incohérence entre la recherche d’une productivité toujours accrue et l’objectif du plein emploi. L’hypothèse selon laquelle la hausse de la productivité est synonyme de perte d’emploi pourrait être remise en cause. Il fait par ailleurs référence au phénomène de « surconsommation » des pays occidentaux, en partie à l’origine de la croissance économique. Il dénonce ainsi l’incohérence de la relance par la consommation qui peut, au final, fragiliser la stabilité économique si celle-ci s’appuie sur un

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endettement accru des ménages et la poursuite d’activités dépassant par leur empreinte écologique la capacité de support de la planète. Par ces deux remarques, c’est la croissance (tirée par la productivité et l’endettement) qui est remise en cause. Il montre aussi que la croissance continue depuis les années 80 n’a pas profité à tout le monde, rappelant qu’en 1999, les 20 % des Canadiens les plus riches détenaient 70 % de la valeur nette totale84. Ce chiffre représente assez bien la situation depuis 1980. Il conclut même que « la croissance de la richesse est presque sans intérêt pour environ la moitié de la population canadienne ». Enfin, cet exercice correspond aux besoins de mettre une valeur sur des effets, qu’ils soient négatifs ou positifs, mais qui sont jusqu’à présent invisibles, afin de donner à la population une meilleure information quant à l’ampleur de certains phénomènes. Ainsi, par les estimations d’une dette écologique (induite par les émissions de GES, entre autres) qui peuvent sembler exagérées, Harvey Mead cherche à mettre en évidence, par la recherche de données reconnues et par des évaluations et des calculs précis, le manque d’ambition des politiques, dont l’échec des négociations de Copenhague est l’exemple flagrant, mais aussi à attirer l’attention quant à l’enjeu de la mise en place de la société post-pétrole, dont le défi est plus important que celui de la « simple » réduction des GES. C’est également le cas pour le travail non rémunéré, dont la valorisation a pour but de mettre en évidence l’importance de ces activités par rapport à celles qui sont rémunérées. Cependant, il faut reconnaître que, sur un plan plus technique, statistique, un tel indice est très difficile à construire, et ceci pour plusieurs raisons : D’une part, il est très compliqué de valoriser certaines variables comme, par exemple. l’impact de l’émission d’une tonne de CO2. ou la valeur des services fournis par un écosystème. Pour ce dernier, Harvey Mead, tel que cité plus haut, fait référence aux travaux d’Ingraham et Foster, qui fournissent une estimation de la valeur des services écosystémiques du couvert forestier à 42 608 $ par km2, alors que Costanza et son équipe85 aboutissent à une valeur de 152 835 $ par km2 soit une valeur trois fois et demi plus importante, ce qui n’est pas sans conséquence sur des chiffres qui sont appliqués à des milliers de kilomètres carrés. Quant l’impact de l’émission d’une tonne de CO2, Harvey Mead considère la valeur retenue par le Conseil privé du Gouvernement du Canada.

84 85

Statistique Canada (2000). L’évolution de l’inégalité de la richesse au Canada, 1984-1999. Costanza, R., d’Arge, R., de Groot, R. et al., “The value of the world’s ecosystem services and natural capital”, Nature, vol. 387, 15 May 1997.

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Un autre exemple est celui du coût du chômage. Souvent, celui-ci fait référence aux coûts économiques, c’est-à-dire à la perte de production résultant de la hausse du chômage. Comme dans le cas de la valorisation du travail non rémunéré, il existe plusieurs méthodes de calcul possibles, aboutissant chacune à des résultats légèrement différents : la perte de production liée à 1 % de chômage supplémentaire allant de 3,486 à 587 milliard de dollars. Les coûts du chômage, même tels que mesurés par GPIAtlantique, font référence à un manquement dans la production de la machine économique. H. Mead insiste sur une interprétation qui souligne (i) que l’augmentation de la production ainsi signalée est à contresens par rapport aux travaux globaux de l’IPV, et (ii) que les coûts estimés, suivant des méthodes reconnues, pourraient représenter plutôt les coûts sociaux du chômage, le stress, l’anxiété, la démobilisation, etc., expérimentés par les chômeurs. Souvent, les données n’existent tout simplement pas. C’est le cas pour les coûts directs des impacts environnementaux des activités agricoles, forestières ou minières, ou de la pollution de l’air ou de l’eau. Il faut alors recourir à des variables proxy c’est-à-dire des variables considérées comme se rapprochant le plus de la variable que l’on cherche à valoriser. Ainsi, Harvey Mead utilise le coût des intrants comme variable proxy des coûts environnementaux des activités agricoles, puisque ce sont ces intrants qui finissent par causer les impacts en question. Le choix de ces variables est donc subjectif et peut ainsi faire l’objet de critiques. Certaines variables peuvent poser des problèmes éthiques. C’est le cas de la valorisation d’une vie humaine. Là encore, l’estimation peut aller de 1,762 millions de dollars par Transports Canada en 1991 à 6,19 millions par The Consumer Product Safety Commission en 2000, aux États-Unis. Ceci renvoie au débat : « tout peut-il faire l’objet d’une monétisation ? ». Il faut alors essayer de remettre les choses dans leur contexte et chercher à comprendre dans quel but cette démarche est effectuée. D’autre part, quand on sait quelles données utiliser, encore faut-il qu’elles existent et qu’elles existent pour l’ensemble de la période étudiée. Dans notre cas, l’objectif était de pouvoir construire un IPV à partir des années 1960. Mais très peu des données utilisées dans les différents calculs remontent jusqu’à cette date. De plus, certaines variables existent ponctuellement pour certaines années, correspondant par exemple aux années pour lesquelles des études ont été réalisées. On peut donner l’exemple de l’espérance de vie en santé, dont l’estimation n’a été faite globalement par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) que pour 3 années : 1987, 1993, 1998, même si le MESS y est revenu avec des travaux plus pointus pour 2001 et 2003. Par ailleurs, cet exemple soulève un autre problème, celui des changements dans les méthodes de calcul, puisque les données sur l’espérance de vie en santé qui existent pour les années 2001 et 2003 ont été élaborées avec des méthodes de 86 87

Méthode de Bernard Fortin de l’Université Laval. Calcul du Forum pour l’emploi, utilisant le coefficient d’Okun.

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calcul différentes de celles utilisées par le MSSS entre 1987 et 1998. Tout cela nous amène à utiliser des approximations, faire des interpolations et des extrapolations qui, là encore, seront jugées grossières par certains. Enfin, pour être cohérent et pouvoir comparer les données entre elles, celles-ci doivent être exprimées en monnaie constante. Or, la grande majorité des données sont fournies en monnaie courante. La transformation en dollars constants requiert l’utilisation d’indices de prix qui ne biaisent pas la véritable variation des données. Souvent, l’indice des prix à la consommation est utilisé. Cependant, là encore l’analyse se butte parfois sur la disponibilité de ces indices. Par exemple, l’IPC pour le Québec ne remonte qu’en 1979, ce qui limite notre analyse pour la période antérieure. Malgré tout ces problèmes, l’objectif de Harvey Mead est de montrer que les indicateurs à travers lesquels nous regardons notre société et son évolution, le PIB en particulier, ne sont pas appropriés à l’objectif que nous visons, et que les différentes composantes de l’IPV représentent autant d’outils pour l’usage des conseillers politiques afin de permettre un nouveau regard, une nouvelle analyse et de meilleures décisions. De plus, même si les calculs sont parfois grossiers, ils sont en général conservateurs. L’idée de H. Mead est que ces travaux soient repris par d’autres, spécialistes ou non, qui pourront améliorer les méthodes de calcul et rechercher des données qu’il n’a pas trouvées, afin de fournir un indice plus rigoureux. L’IPV n’est qu’une étape pour la prise de conscience des enjeux qui nous font face, un work in progress.

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PARTIE III — COMMENT LES ASSOCIATIONS/ONG ENVIRONNEMENTALES S’APPROPRIENT-ELLES LA QUESTION DE L’ÉCONOMIE ? Le mot « économie » vient du mot grec Oikonomia, qui signifie « administration (nomia) du foyer (oikos) ». L’économie est donc, à l’origine, l’art de bien administrer la maison qui peut être, par extension, un pays. Aujourd’hui, l’économie est définie comme l’« ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, la répartition, la distribution et la consommation des richesses d’une société »88. Nous sommes donc tous concernés par l’économie, dans notre vie de tous les jours. Nous avons déjà mentionné qu’une bonne définition du terme « richesse » est nécessaire ; il peut notamment ici faire référence aux ressources naturelles89 de la planète constituant « la richesse » de base permettant la production, la fabrication de nos biens de consommation. Ainsi, la manière dont sont utilisées et gérées les ressources, la façon dont elles sont réparties et distribuées, constituent un élément de base de l’économie. Il existe aujourd’hui différentes manières d’aborder l’économie et, plus précisément, les problématiques tournant autour du modèle économique, la façon dont est appréhendée la relation entre l’environnement et l’économie, la mondialisation, la croissance démographique… Ainsi, les choix économiques pris dans la société découleront de la doctrine économique à laquelle ses dirigeants adhèrent. L’économie écologique, en plaçant l’économie comme sous-composante de l’environnement, correspond parfaitement à l’approche de la plupart des ONG environnementales, et de Nature Québec en particulier. Dans cette troisième partie nous nous intéresserons donc aux associations environnementales, au lien qui peut s’établir entre environnement et économie et au rôle que ces ONG peuvent jouer dans la promotion de l’économie écologique, malgré les difficultés qu’elles rencontrent.

88 89

Définition dictionnaire Larousse. International Institute for Sustainable Development [En ligne] http://www.iisd.org/.

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3.1

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Le rôle de Nature Québec

L’action de Nature Québec est axée vers la protection de la nature et de la biodiversité, mais aussi vers la promotion du développement durable. Nature Québec est un organisme national à but non lucratif qui regroupe des individus et des organismes œuvrant à la protection de l’environnement et à la promotion du développement durable. Travaillant au maintien de la diversité des espèces et des écosystèmes, Nature Québec souscrit depuis 1981 aux objectifs de la Stratégie mondiale de conservation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), soit : Maintenir les processus écologiques essentiels à la vie. Préserver la diversité biologique. Favoriser le développement durable en veillant au respect des espèces et des écosystèmes. Nature Québec intervient pour protéger la nature lors de l’aménagement du territoire agricole et forestier, de la gestion du Saint-Laurent et de la réalisation de projets de développement urbains, routiers, industriels et énergétiques. Nature Québec regroupe six commissions : La commission Agriculture propose des solutions pour rendre la pratique de l’agriculture compatible avec le maintien des écosystèmes et pour minimiser son impact sur les sols, les cours d’eau, les eaux souterraines, les milieux humides et les changements climatiques. La commission Aires protégées travaille à établir un véritable réseau d’aires protégées représentatives de la biodiversité québécoise et couvrant un minimum de 12 % du territoire. Nature Québec s’implique dans plusieurs initiatives, coalitions et groupes de travail qui proposent des solutions pour accélérer la mise en place de ce réseau et en assurer sa saine gestion. La commission Biodiversité travaille à la protection et au maintien des écosystèmes, des espèces et de leurs habitats. Elle analyse les projets de développement selon l’environnement dans lequel ils s’insèrent et propose des mesures pour réduire leurs impacts sur la biodiversité. Elle travaille également à la protection d’habitats essentiels pour les oiseaux via le programme Zones importantes pour la conservation des oiseaux au Québec (ZICO). La commission Eau et programme Saint-Laurent / Grands Lacs s’intéresse aux activités et aux projets susceptibles d’avoir un impact sur la qualité de l’eau, les habitats aquatiques et les écosystèmes riverains. Le programme Saint-Laurent / Grands Lacs intervient et agit sur le Saint-Laurent et, en amont, sur les Grands Lacs. Il informe et sensibilise les populations, les villes et municipalités concernées et les organismes environnementaux quant aux enjeux transfrontaliers de l’eau.

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La commission Énergie et changements climatiques propose des alternatives pour réduire les impacts de l’exploration et de l’exploitation énergétique sur les milieux naturels, ainsi que pour réduire la consommation énergétique des Québécois. La commission commente les projets d’introduction de gaz naturel liquéfié sur le territoire québécois, le plan d’action sur les changements climatiques du gouvernement du Québec, ainsi que la politique des transports collectifs. La commission Forêt propose des solutions à l’exploitation forestière pour qu’elle respecte la capacité de renouvellement des forêts. La commission Forêt milite également pour un aménagement écosystémique de la forêt, ainsi que pour le développement durable de l’ensemble des ressources forestières. Enfin, l’association surveille de près les enjeux suivants, normalement via ses commissions : Production des biocarburants et bioénergies. Loi sur les mines (un obstacle à la création d’aires protégées). Loi sur les espèces menacées ou vulnérables et plans de rétablissement des espèces menacées (recours légaux au niveau canadien, lacunes importantes dans l’application de la loi au niveau du Québec). Nature Québec est membre de l’équipe de rétablissement du caribou forestier. Centrale nucléaire Gentilly-2 (aucune audience au BAPE pour sa réfection, possibilité de se voir imposer un site d’enfouissement de déchets irradiés sur le territoire québécois). Plan de régulation du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent. Révision du régime forestier du Québec (en cours). Réserves fauniques (non reconnaissance de leur mission de conservation par la Loi sur les forêts). Exploration et exploitation gazière et pétrolière dans le golfe Saint-Laurent. Exploitation des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. Politique énergétique du Québec (elle souhaite voir une politique énergétique globale). Harnachement des dernières grandes rivières sauvages du Québec (ex : rivière La Romaine). Projets de développement de petites centrales hydroélectriques sur plus de 13 rivières au Québec. Projets de développements éoliens dans des milieux naturels exceptionnels (ex : massif du Sud). Plan Nord du gouvernement québécois (développement industriel du nord du Québec, dont l’hydroélectricité et l’exploitation minière et de la forêt).

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3.2

Le lien entre économie et environnement

Quelle relation peut-on établir entre économie et environnement ? Nous abordons comme exemple plus spécifique ici le lien entre la biodiversité et l’économie.

3.2.1

L’enjeu de la valorisation des services écologiques

2010 est l’année de la diversité biologique et ceci n’est pas un hasard. En effet, nous oublions souvent, et les économistes en particulier, que la biodiversité est un élément essentiel à la vie humaine, notamment à ses activités économiques : agriculture, pêche, foresterie, tourisme… Aujourd’hui, avec une empreinte écologique de 2,5 planètes, l’homme tire de la nature plus que celle-ci ne peut fournir sur une base permanente. L’extinction des espèces est un phénomène naturel, cependant le rythme du nombre d’espèces qui disparaît s’est considérablement accéléré en raison de l’activité humaine couplée à l’explosion démographique, laquelle entraîne notamment une raréfaction des habitats à la suite des pressions accrues d’une population en croissance (avant même de parler des efforts de « développement »). En 2050, il ne restera que 62 % de la biodiversité d’origine90. Cette période de « grande extinction », la sixième selon l’astrophysicien Hubert Reeves91, amène même les scientifiques à considérer que l’on entre dans une nouvelle ère géologique, caractérisée par la domination de l’espèce humaine.92 L’environnement et la biodiversité fournissent ce que l’on appelle des biens et services écologiques ou écosystémiques (BSE). Ils désignent « les bienfaits que les écosystèmes procurent aux êtres humains »93. Le MEA distingue 4 catégories de BSE : Les services de régulation comme la purification de l’eau, de l’air, la pollinisation, ou encore la régulation du climat. Les services d’approvisionnement qui correspondent aux produits obtenus à partir des écosystèmes, comme la nourriture, l’eau, les fibres… Les services socioculturels, catégorie qui fait référence aux services de récréation, au tourisme, au patrimoine culturel, mais également à l’esthétisme, à l’inspiration, voire à la spiritualité. Les services de support, soit les services nécessaires à la production des autres services écologiques et incluant la formation des sols, le cycle des substances nutritives, etc.

90 91 92 93

Sukhdev, P. « Biodiversité, L’étalon PIB cache le passif », dans un article du quotidien Le Devoir, édition du 19 mai 2010. Lecture complémentaire : Reeves, H. (2003), Le mal de Terre, Les Éditions du Seuil, collection Science ouverte, Paris. Louis Fortier, professeur en océanographie à l’Université Laval. Millennium Ecosystem Assessement (2003), www.millenniumassessment.org.

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Benoît Limoges, biologiste et coordinateur au Centre de coordination de la biodiversité du Québec, fait également référence aux services « ontogéniques » relatifs au développement de l’individu, développement psychosocial faisant référence au « besoin de nature » de l’homme. Précisons que les différents écosystèmes ne fournissent pas les mêmes quantités de BSE. Par exemple, la valeur des BSE fournis par un hectare de milieux humides est supérieure à celle des BSE fournis par un hectare de champs de maïs, alors qu’en général on considèrera ce dernier comme économiquement plus rentable. On a donc conscience des services que nous fournit la nature (de nombreux travaux sur les BSE sont en cours) ; cependant, ces services sont ignorés dans les raisonnements économiques ou entrent dans la catégorie des biens publics94. La grosse problématique est alors de valoriser ces services afin que les utilisateurs de ces écosystèmes et de ces ressources naturelles – et encore plus, les décideurs politiques qui déterminent quels usages en seront faits et les économistes qui conseillent les décideurs politiques – intègrent leur valeur dans leur coût de production. En effet, prenons l’exemple d’un projet quelconque : construction d’un barrage. On sait en estimer la rentabilité économique. Cependant, pour pouvoir prendre une décision en toute connaissance de cause, il faut pouvoir valoriser la perte de services écologiques qu’un tel projet peut entraîner. Cela nous rappelle que, même si un projet peut sembler économiquement rentable, si on tient compte de l’ensemble des impacts sociaux et environnementaux, celui-ci peut être préjudiciable au bien-être réel de la société. Et pour que le rapport coûts-avantages puisse être effectif, il ne suffit pas de décrire ces impacts, encore faut-il pouvoir leur donner une valeur concrète. Ainsi, un des enjeux aujourd’hui est de pouvoir donner une approximation de la valeur monétaire fournie par ces BSE. Ceci n’est pas tâche facile et les méthodes utilisées peuvent être variables, mais cette évaluation est un argument pour donner plus d’importance au BSE afin que leurs pertes soient prise en compte dans l’analyse économique.

3.2.2

La notion de valeur économique totale

Nous allons présenter les principales méthodes d’évaluation, mais avant cela nous revenons rapidement sur la notion de valeur économique totale (VET) qui fait l’objet de l’évaluation. La VET d’une ressource ou d’un écosystème est considérée comme la combinaison des valeurs d’usage direct, valeurs de non-usage et valeurs des fonctions écologiques95.

94 95

Biens non appropriables, non exclusifs et souvent gratuits. Les définitions des différentes valeurs et le schéma sont tirés de Anielski, M. et S. Wilson (2005). Les chiffres qui comptent vraiment : évaluation de la valeur réelle des écosystèmes boréaux du Canada, The Pembina Institute et Initiative boréale canadienne.

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Valeurs d’usage direct

Valeurs des services écologiques Valeur économique totale Valeurs d’existence

Valeurs de legs Valeurs de non-usage Valeurs d’usage indirect

Valeurs d’option

Schéma 3. Décomposition de la valeur économique totale

La valeur d’usage direct découle de l’utilisation directe des ressources ou écosystèmes ; ainsi la valeur marchande est prise en compte, par exemple le PIB forestier, minier ou agricole. La valeur de non-usage comprend la valeur d’option (qui fait référence au maintien des éléments environnementaux dont pourront jouir les générations actuelles et futures), la valeur d’usage indirect (qui résulte de la satisfaction qu’ont certains de savoir que d’autre profitent de l’usage d’un environnement naturel), les valeurs de legs (qui découlent de l’existence permanente d’élément environnementaux dont pourront bénéficier les générations futures) et la valeur d’existence (qui correspond à la valeur attachée au fait de savoir qu’un bien existe). La valeur des écoservices fait références aux services écologiques décrits plus haut. Ce sont eux, ainsi que les valeurs d’usage direct, qui font le plus souvent l’objet d’évaluation.

3.2.3

Les principales méthodes d’évaluation

On distingue généralement deux grandes catégories dans les méthodes d’évaluation : les méthodes d’évaluation directe (tirée des préférences ou comportement des individus sur le marché) et indirecte. Les méthodes d’évaluation directe comprennent la méthode des préférences révélées et la méthode des préférences exprimées. La première tient compte « des comportements effectifs des individus observés sur le marché »96 alors que la seconde se base sur « les seules déclarations des individus concernant la valeur qu’ils attribuent à l’environnement ».

96

Vallée, A. (2002). Économie de l’environnement, p. 299.

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Tableau 4. Principales méthodes d’évaluation des biens et services écologiques Coûts de transport Préférences révélées Directe

Coûts de protection Préférences exprimées

Indirecte

Prix hédonistes

Évaluation contingente 97

Choice experiment

Évaluation « dose-réponse » ou évaluation monétaire des effets physiques

Il existe plusieurs sous catégorie dans la méthode des préférences révélées, dont la méthode des prix hédonistes : cette méthode consiste à observer la somme que les individus payent pour obtenir des biens ou services ayant des caractéristiques environnementales particulières. Cette somme est alors considérée comme la valeur attribuée au BSE. L’exemple le plus utilisé est celui des biens immobiliers, la méthode consistant à évaluer le BSE par la différence de prix entre un immeuble bénéficiant de BSE comme une bonne qualité de l’air, l’absence de bruit, des espaces verts … et un qui n’en bénéficie pas. Une autre méthode de préférences révélées est la méthode des coûts de transport, notamment utilisée pour évaluer la valeur donnée à des sites naturels en considérant que cette valeur équivaut aux coûts de déplacement supportés par les utilisateurs du site, révélateur de leur consentement à payer. La méthode d’évaluation des dépenses de protection mesure le coût supporté par l’individu à la suite d’une variation de la qualité de son environnement. « Si celle-ci se dégrade, l’individu tente de se protéger pour limiter les dommages en achetant des biens et services capables de les compenser. Inversement si elle s’améliore ces dépenses diminuent. » Ces dépenses (exemple : purification de l’eau) fournissent une estimation de la valeur accordée à l’environnement. L’évaluation contingente ne s’appuie plus sur l’observation des comportements sur le marché mais consiste à demander directement à l’individu son consentement à payer (ou son consentement à recevoir) pour préserver un BSE ou la qualité de son environnement. Par exemple : Quelle est la somme maximale que vous seriez prêt à donner pour éviter la disparition de l’ours polaire ou pour une meilleure qualité de l’air ? etc. Le questionnaire et la condition de son déroulement sont donc primordiaux. La méthode d’évaluation « dose-réponse » ne se réfère pas aux préférences des agents mais cherche à monétiser les effets physiques d’une modification de la qualité de l’environnement. Par exemple, la qualité de l’air peut être valorisée par l’impact sur la santé de sa dégradation, impact qu’il faut ensuite monétiser. 97

Jean-Pierre Revéret, ESG-UQAM.

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Cette question de l’internalisation des BSE dans l’analyse économique n’est qu’un exemple des nombreux liens qui existent entre économie et environnement. Il rappelle que la volonté de mettre en œuvre un développement durable nous amène à changer notre vision des choses, à penser plus globalement plutôt qu’uniquement en termes de rentabilité économique. Il faut aujourd’hui, plus qu’avant, prendre en considération toutes les conséquences, notamment environnementales, de l’activité économique – perte de biodiversité (disparition de BSE), réchauffement climatique (réfugiés climatiques) – et se poser ainsi la question de la pertinence du modèle économique actuel. L’utilisation de nouveaux indicateurs qui tiennent compte de ces « interactions » est nécessaire pour mettre en place des politiques adéquates, la carence de données dans ce domaine ayant déjà été soulignée dans la première partie. Cela passe, par exemple, par la mise en place de systèmes de subventions récompensant les protecteurs de services biologiques, par la facturation des dommages causés, etc. Tout cela pour, au final, faire évoluer les pratiques et les comportements.

3.2.4

L’émergence d’une nouvelle économie centrée autour de l’environnement

Depuis plusieurs années, de nombreuses associations, fondations et autres formes de regroupements98 se créent pour prôner la mise en place d’une économie « verte », responsable de son environnement et solidaire, soucieuse de limiter ses impacts sur la nature, s’inscrivant ainsi dans la démarche du développement durable. Leur objectif est de promouvoir une nouvelle logique économique basée sur une vision plus globale. Ces regroupements critiquent la théorie économique traditionnelle (pour certains les crises actuelles sont en partie dues aux outils économiques développés par les économistes néoclassiques), mais, d’après Harvey Mead, les solutions prônées par les économistes écologiques – économie centrée sur des bases écosystémiques – restent inconnues. Ces économistes prônent l’avènement d’une société plus solidaire, plus sobre, fondée sur une économie au service des individus et de la société plutôt qu’aux services des plus riches et des plus puissants ; une économie favorisant la protection de l’environnement, la consommation de produits locaux, la réduction des pollutions et du gaspillage. Ils encouragent aussi la mise en place de débats publics concernant les choix économiques. Nous pouvons donner l’exemple de Réseau pour une économie verte qui s’est constitué en 2009 et qui regroupe près de 25 organisations canadiennes (syndicales, environnementales et de justice sociale). Face au constat des crises sociale (hausse des inégalités) et environnementale (réchauffement climatique), le Réseau affirme « que le temps est venu de développer un nouveau modèle et une meilleure direction pour l’économie canadienne »99. La mise en place de cette économie verte doit se faire en repensant la place de l’environnement dans l’économie et, plus globalement, par une modification des modes de vie (tant du point de vue de la production que de la 98 99

Réseau pour un changement de logique économique, The New Economics Foundation, Économie Autrement… Réseau économie verte, www.reseaueconomieverte.ca.

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consommation). Elle suppose, selon eux, de se défaire de notre dépendance aux énergies fossiles et passe par la création d’emplois « verts », mais ces organisations soulignent aussi le rôle primordial des pouvoirs publics, seuls à avoir les moyens de mettre en œuvre de tels changements. Trois groupes de travail ont ainsi été constitués en fonction des sujets jugés prioritaires pour le mouvement : L’aménagement de réseaux de transports en commun et des réseaux intra-urbains de trains rapides. La stimulation d’investissements publics dans les sources d’énergie renouvelables. L’établissement d’un programme de modernisation de bâtiments et d’économie d’énergie. Ce mouvement qui vient de naître est un bon exemple de ce désir de changement qu’une partie de la société civile éprouve et des nouvelles directions qu’elle souhaite prendre.

3.3

Quel rôle peuvent jouer les ONG environnementales et Nature Québec dans la mise en œuvre de cette nouvelle économie ou économie « verte » ?

Comment les ONG environnementales peuvent-elles œuvrer concrètement pour faire émerger un nouveau modèle de société ? Doivent-elles rester cantonnées à leur analyse scientifique ou à leur rôle dénonciateur, ou doivent-elles chercher à s’approprier aussi les aspects économiques pour pouvoir fournir des propositions concrètes ? L’économie écologique pourrait-elle avoir plus d’ampleur si les ONG environnementales, qui s’inscrivent en grande majorité dans cette vision, fournissaient elles-mêmes des expertises économiques pointues dans ce domaine et, par conséquent, faisaient cheminer cette vision à plus grande échelle ?

3.3.1

Les difficultés rencontrées

Les associations environnementales sont en général constituées dans le but de protéger l’environnement, de rendre compte de l’importance de certaines espèces et de veiller à ce que cellesci soient préservées. Elles sont donc constituées de biologistes au sens large, voire de juristes, ce qui fait qu’elle développent rarement leurs propres analyses économiques des sujets qu’elles abordent puisqu’elles ne sont généralement pas « équipées » de personnel qualifié dans ce domaine. Elles peuvent donc rencontrer des difficultés pour faire face et répondre au discours économique. Cette situation peut les amener à prendre des positions en décalage avec la réalité économique, ou encore qui sont économiquement non opérationnelles.

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On leur reproche souvent, peut-être à tort, leur approche uniquement contestataire : slogans, dénonciations, oppositions au modèle actuel, mais qui, au final, n’apportent pas de solutions alternatives ou de propositions « réalistes ». Ces reproches viennent du fait qu’elles font entendre leur voix pour contester des projets qui sont jugés économiquement bénéfiques mais qui, selon elles, ont des impacts négatifs sur l’environnement, impacts souvent ignorés par les porteurs des projets.

3.3.2

Exemple de Nature Québec

Nature Québec a aussi rencontré ces difficultés de ne pouvoir fournir une expertise économique approfondie quant à certains dossiers, son personnel se composant essentiellement d’ingénieurs forestiers, de biologistes, d’agronomes… Ceux-ci doivent souvent se fier à des études extérieures alors que, si les données était fournies par l’organisme, leur fiabilité serait plus facile à juger. D’après Édith Cadieux, chargée de projet Aires protégées, la mise en place d’aires protégées est souvent vécue par la population comme une contrainte à l’économie, un frein à l’activité. En effet, il est difficile de comprendre l’avantage, dans notre vie de tous les jours, de maintenir les écosystèmes intacts. Dans ces cas-là, la valorisation des BSE (que vaut la forêt boréale ?), l’analyse d’impacts en termes touristique de l’existence d’aires protégées, en d’autres termes l’utilisation d’outils économiques, peut constituer un atout majeur pour argumenter et convaincre la population des bénéfices potentiels d’une telle démarche. Le secteur forestier développe très peu d’analyses économiques. Il raisonne principalement en termes de coûts sociaux (les emplois que l’activité forestière peut apporter) et en termes de volume produit. Mais l’utilisation d’outils économiques pourrait être utile à Nature Québec, qui prône la gestion écosystémique100 dans l’aménagement des forêts québécoises. Ainsi, le projet de La Triade101 propose une gestion de la forêt à 75 % écosystémique, ce qui est insuffisant selon Nature Québec. Pour Greg St-Hilaire, chargé de projet Forêt pour l’organisme, la Triade devrait être un moyen et non une fin, en ce sens où l’aménagement doit se faire en fonction des caractéristiques propres à chaque territoire. L’évaluation économique des différentes pratiques d’aménagement forestier et la valorisation des BSE fournis par la forêt sont deux arguments, parmi de nombreux autres, sur lesquels la commission Forêt pourrait s’appuyer pour étayer son argumentation. Le travail de la commission Agriculture consiste à fournir des recommandations aux agriculteurs dans la mise en place de pratiques compatibles avec le maintien des écosystèmes et minimisant l’impact sur l’eau, les sols ou encore le changement climatique102. L’utilisation d’outils économique peut lui être bénéfique sur plusieurs plans. 100 101

102

Gestion intégrant les dimensions économique, sociale et environnementale. Projet pilote initié en 2003 par la Table sectorielle de l’industrie forestière de la Mauricie et visant à mettre en application le concept de la TRIADE dans l’unité d’aménagement forestier Haute-Mauricie. Préconise une vision de l’organisation des activités dans l’espace forestier selon 3 grandes fonctions, soit la production forestière, l’aménagement écosystémique et la conservation. Voir www.projettriade.ca. Agriculture et climat : vers des fermes 0 carbone ! [En ligne] http://www.naturequebec.org/pages/fermeszerocarbone.asp.

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D’une part, la production d’études de cas analysant les impacts économiques de la mise en place des ces pratiques permettrait d’expliquer aux agriculteurs ce que cela change concrètement pour eux (modification des coûts, etc.). Or, à l’heure actuelle, les agronomes de la commission n’ont pas les connaissances nécessaires pour effectuer eux même ces études et, en général, le coût d’externalisation est trop important. Certaines études existent mais ne sont pas forcément applicable à la situation du producteur. L’objectif serait donc de pouvoir décrire la situation économique de l’agriculteur et de suivre son évolution, mais ce type d’étude prend du temps, toute une saison étant parfois nécessaire pour recueillir l’information requise. D’autre part, l’analyse économique peut être pertinente plutôt d’un point de vue macroéconomique. Si Nature Québec en avait les moyens, il lui serait intéressant d’évaluer économiquement l’impact de la baisse des émissions de CO2 résultant de la mise en place de ses projets. Ceci constituerait un atout pour obtenir des subventions ou faire du lobbying auprès du gouvernement. Par ailleurs, le projet de politique agricole est un sujet d’actualité au Québec, Nature Québec devrait pouvoir peser dans les négociations, par exemple dans les modifications du programme de l’ARSA, le renforcement de mesure d’écoconditionnalité, etc. Christine Gingras, chargée de projet Agriculture et directrice générale adjointe de Nature Québec soutient qu’en agriculture les enjeux économiques sont importants et ne doivent pas être négligés. Par ailleurs, Nature Québec prend position dans plusieurs dossiers comme le développement de l’hydroélectricité. Au Québec, la majorité de l’électricité est d’origine hydroélectrique. Ce mode de production est souvent louangé car il évite l’émission de GES. Nature Québec rappelle que ce n’est pourtant pas une énergie verte puisque « la construction de centrales détruit les écosystèmes fonctionnels que constituent les rivières, des superficies importantes de forêts ainsi que les habitats fauniques qu’elles recèlent. De plus, l’hydroélectricité affecte négativement les ressources marines en perturbant les rythmes naturels d’écoulement des eaux douces vers la mer et leurs effets fertilisants, et affecte ainsi l’écologie des estuaires. »103 En décembre 2008, s’opposant à la construction d’un complexe hydroélectrique sur la rivière La Romaine, Nature Québec publiait un mémoire dans lequel il développait une analyse économique comparant le projet déposé à la mise en place de solutions alternatives comme la diversification des sources d’énergie ou une meilleure gestion de la demande. Ne disposant pas des ressources internes pour effectuer cette analyse, Nature Québec l’avait commandée auprès de Jean-François Blain, analyste en énergie. Ainsi, la production de ses propres expertises économiques pourrait permettre à Nature Québec d’étayer son discours concernant la diversification des sources de production d’électricité et de proposer des solutions alternatives appuyées sur l’analyse comparative de projets. Cela lui permettrait aussi de solidifier ses positions en matière d’énergies vertes et d’efficacité énergétique. 103

Nature Québec (16 septembre 2009). Les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et l’hydroélectricité « verte » : quand les renards s’entendent pour changer la nature des poules.

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Toujours dans le domaine énergétique, Nature Québec est membre de la coalition Sortons le Québec du nucléaire. Cette coalition s’est notamment opposée au projet de reconstruction des réacteurs nucléaires de Gentilly-2 et à l’achat par Hydro-Québec du réacteur de Pointe-Lepreau, dans le cadre du projet d’achat d’Énergie Nouveau-Brunswick.. Encore une fois, dans de tels dossiers, l’analyse économique coûts/avantages des projets prenant en compte l’ensemble des impacts, comme ici la gestion des déchets nucléaires et le risque de catastrophe…, pourrait constituer un atout dans l’argumentation. D’autres associations engagées sur ce sujet, notamment Greenpeace, possèdent leurs propres sources de données. Le dernier exemple que nous évoquerons est la participation de Nature Québec au regroupement Pour que le Québec ait meilleure mine !. En effet, Nature Québec, comme l’ensemble des membres de la coalition, est très critique quant à la gestion actuelle du secteur minier par le gouvernement (impacts environnementaux peu pris en compte, redevances versées par les compagnies minières jugées largement insuffisantes, restauration des sites après leur fermeture généralement pas assumée par les compagnies...). En avril 2009, souhaitant compléter un mémoire publié par la coalition, Nature Québec publie son propre mémoire intitulé Le projet Canadian Malartic d’Osisko : neuf ans de prospérité éphémère, des décennies d’impacts négatifs, dans lequel il fournit notamment une analyse succincte des impacts économiques du projet de mine d’or à ciel ouvert de la compagnie Osisko. Mais, là encore, des études économiques pourraient être développées. Toutes ces études, qui seraient bénéfiques au discours de Nature Québec, lui font défaut tout simplement parce qu’elles ne sont pas évidentes à réaliser et demandent des compétences que ni les chargés de projet ni les dirigeants ne possèdent. Or, faire appel à des experts extérieurs comporte un coût souvent trop important. Comment répondre à ces difficultés ? Quelles stratégies mettre en place ? Comment construire un discours économiquement crédible (évaluation chiffrée, monétarisation des coûts environnementaux…) ? Voilà les enjeux auxquels Nature Québec cherche à faire face.

3.3.3

Cas d’autres associations

Nous allons à présent regarder comment l’analyse économique est traitée par d’autres associations environnementales. Tout d’abord, il faut préciser que toutes les associations environnementales ne cherchent même pas à fournir des analyses économiques des problématiques qui les préoccupent. Beaucoup sont des associations militantes qui ont un discours plus « écologique » et vont mener des actions de terrain : sensibilisation, dénonciations, opérations de nettoyage…

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Pour Greenpeace, par exemple, les enjeux économiques se situent plus au niveau international, comme les sommets des G8, l’OMC… Sauf lorsque nécessaire, Greenpeace ne fournit pas d’analyse au niveau microéconomique des analyses stratégiques d’un secteur économique auquel il s’intéresse, et sinon il fait appel à des experts extérieurs104. Même si, avec d’autres associations comme Les Amis de la Terre, ils sont conscients que l’économie peut être un « levier important lorsque l’on fait pression sur un groupe industriel »105 et disent intégrer au maximum cette dimension quand leurs campagnes le nécessitent, comme pour la lutte contre les OGM ou le nucléaire, ils engagent alors des chargés de campagne pouvant traiter de ce type de problématique. Ces associations « militantes » sont axées vers des actions plus pragmatiques et ne vont donc pas chercher à effectuer elles-mêmes une analyse économique poussée. Nous allons donc nous intéresser aux associations environnementales qui essayent de développer leur propre discours économique. 3.3.3.1

Équiterre

Pour Hugo Séguin, conseiller principal d’Équiterre, la question de l’économie dans les associations environnementales et de développement durable est récente. Cependant, il est souvent difficile pour des associations comme Équiterre, dont le budget est limité, de se payer les services d’un économiste, d’autant plus que peu d’entre eux souhaitent travailler dans ce secteur. L’expertise économique est donc externalisée, passant par des collaborations ponctuelles, un travail de fond étant effectué par des personnes polyvalentes qui traitent les données disponibles. Ceci aboutit à des travaux comme Pour un Québec libéré du pétrole en 2030, publié en avril 2009. 3.3.3.2

Mines Alerte Canada

MiningWatch Canada/Mines Alerte Canada est une association pan-canadienne qui veille au respect des bonnes pratiques par l’industrie minière, aussi bien sur le plan environnemental que social. Ainsi, les questions économiques sont au cœur de leur analyse. Cet organisme fait d’ailleurs partie de la Coalition du budget vert, regroupement d’associations environnementales qui font pression contre la réduction des budgets fédéraux et provinciaux accordés aux programmes environnementaux. Alors qu’il est souvent reproché à l’organisme d’être un frein au développement des activités minières, lesquelles se veulent créatrices de richesse et d’emplois, il est d’autant plus important que ce dernier fournisse des analyses solides pour appuyer ses arguments. Ramsey Hart, responsable du programme canadien et un des quatre codirecteurs du mouvement, reconnaît que l’évaluation de projets ou d’impacts économiques demande des connaissances particulières. C’est pourquoi certains travaux sont effectués en partenariat avec d’autres associations, comme The Pembina Institute ; sinon des 104 105

Éric Darier, directeur général de Greenpeace Québec. Guillaume Billé, Greenpeace France.

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contrats sont passés avec des experts pour les travaux ponctuels plus « techniques » requérant ce type de connaissances. Cependant, comme le soulignait déjà Hugo Séguin, le coût de ces expertises reste important pour l’organisme, ce qui peut limiter leur action. 3.3.3.3

France Nature Environnement

France Nature Environnement (FNE) est une association à but non lucratif créée en 1968 et reconnue d’utilité publique depuis 1976. Elle rassemble près de 3000 associations de protection de la nature et de l’environnement en France métropolitaine et outre-mer. Elle lance l’alerte chaque fois que l’environnement est menacé. FNE a depuis peu décidé de s’attaquer aux problématiques économiques. « Pour concilier les activités humaines avec la protection de la nature et de l’environnement, nous ne pouvons plus nous contenter de slogans, d’ignorance revendiquée ou d’approches dispersées. Nous devons à présent investir le champ économique, et porter des propositions réalistes, susceptibles d’être adoptées. »106 En mars 2010, lors de son 34e congrès, FNE a présenté un cahier de propositions intitulé De l’insupportable au désirable, vers une économie respectueuse de l’homme et de l’environnement. Ce document est issu de nombreuses contributions des différents pôles thématiques de FNE (bénévoles et salariés), ainsi que de contributions de ses associations régionales membres. Il s’appuie aussi sur de nombreuses discussions internes, notamment avec le président (Sébastien Genest) et les membres du bureau de FNE. Sa rédaction finale a été réalisée en particulier par Bruno Genty (membre du directoire de la mission économie, devenu président à la suite du congrès) et par Gaël Virlouvet, appuyés par une salariée, Camille Lecomte. La version finale a bénéficié de la relecture de José Cambou (pilote du réseau santé et environnement) et de Gilles Benest (naturaliste).107 Les auteur font, dans un premier temps, un constat des limites du modèle économique actuel, en rappelant notamment que la recherche de rentabilité à court terme, la spécialisation et la globalisation ont entraîné de nombreux effets pervers : hausse des GES, dumping social, épuisement des ressources, aggravation des inégalités... Ils suggèrent donc une « réorientation » de ce modèle économique, basé sur toujours plus de consommation et entraînant une insatisfaction permanente, vers un modèle « tourné vers la satisfaction des besoins humains », un modèle qui « prend soin de la biodiversité » et soit centré sur la « reterritorialisation des activités ». Ils répertorient ensuite les outils pour mettre en œuvre ce nouveau modèle : outils financiers (fiscalité verte), outils réglementaires, outils sociaux (sensibilisation) et outils de gouvernance.

106 107

France Nature Environnement, www.fne.asso.fr. Information de Gaël Virlouvet, FNE (cf. annexe 3).

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Ils finissent par donner une liste de propositions allant de la taxe sur la pollution de l’eau au soutien à l’agriculture biologique, en passant par l’instauration d’un programme d’éducation populaire à la consommation responsable. Enfin, dans ce document, FNE propose également l’utilisation de nouveaux indicateurs économiques qui tiennent notamment mieux compte de la biodiversité. Ils prônent une amélioration du calcul du PIB en ce qui a trait aux éléments environnementaux et sociaux. Ils suggèrent également l’utilisation simultanée de tableaux de bord et d’indicateurs synthétiques. Mais ils évoquent surtout l’emploi d’« un jeu d’indicateurs reliés entre eux par des liens de causalité » et fournissent une classification des indicateurs en 4 catégories, les indicateurs mesurant : Le niveau des activités humaines : production de biens, d’emploi… Les impacts sur les milieux : consommation des ressources. Les investissements pour répondre à ces impacts : sommes consacrées aux mesures préventives et curatives. Les résultats : espérance de vie en bonne santé. FNE est dotée d’une mission économie, crée en mai 2009. Son rôle initial était de préparer le congrès et de fortifier les compétences de FNE en matière d’économie (thème de forte actualité politique). Elle a également réuni un groupe de partenaires (BNP Paribas, Lafarge, Caisse des dépôts et consignations, CLCV, CFDT) qui ont travaillé sur le document de propositions communes108 et qui est le pendant « partenarial » du document économie FNE. La mission économie a fonctionné pendant un an avec une salariée (Camille Lecomte, bac + 5 en économie), et des bénévoles (de formations diverses : biodiversité, urbanisme…) regroupés dans un directoire piloté par Bruno Genty diplômé en économie et en environnement. Actuellement, la mission est dirigée par Gaël Virlouvet, vétérinaire et diplômé en environnement. Son rôle est celui de porter une réflexion générale cohérente sur l’économie, en lien avec les autres entités thématiques (pôle, réseaux et missions) de FNE. Aujourd’hui, la salariée ne faisant plus partie de la mission, l’analyse économique au sein de FNE est plutôt effectuée par des personnes polyvalentes, avec appel ponctuel à des experts qui apportent leur éclairage (marché du carbone, territorialisation de l’économie par exemple...). Cependant, cette situation constitue une phase de transition, FNE poursuivant plusieurs pistes de réflexion quant à la manière d’aborder la question économique.109 Tous ces témoignages nous montrent que la question de l’économie est de plus en plus présentes au sein des ONG environnementales, qui reconnaissent ce domaine comme important, mais font face à de grandes difficultés pour investir ce champ du savoir. Ceci provient en grande partie du fait qu’elles n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour mettre en place leurs propres analyses économiques, et doivent donc faire appel à des experts, lesquels coûtent cher. 108 109

http://www.fne.asso.fr/documents/economie/fne_cahier_de_propositions_partenaires.pdf. Information de Gaël Virlouvet, FNE (cf. annexe 3).

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3.4

Recommandations à Nature Québec

Comment rendre Nature Québec crédible dans le domaine économique ? Comment investir le champ de l’économie « verte » ou écologique ? Comment Nature Québec peut-il s’appuyer sur l’économie écologique pour étayer son discours ?

3.4.1

Nature Québec et l’économie aujourd’hui

Dans son plan stratégique 2010-2012, dans ses grands dossiers stratégiques, Nature Québec évoque un dossier économie et propose d’« Intervenir dans les débats économiques en soutenant notamment le développement d’un indice de progrès véritable (IPV) qui ferait face au PIB, perçu à tort comme un indice de progrès »110. Aujourd’hui, la participation de Nature Québec au domaine de l’économie se fait principalement par les contributions de Harvey Mead, fondateur et ancien président de l’association. À travers Harvey Mead, Nature Québec fait partie du réseau CLÉ, un regroupement pan-québécois d’organismes et d’individus formé en 2009, qui vise à promouvoir une approche économique au service de la société et des individus, en particulier au Québec. Mais leurs partenaires ont un accent plus social et restent parfois dans une logique plutôt traditionnelle face aux enjeux écologiques. Selon Harvey Mead, « ils sont bien intentionnés mais possèdent peu de compréhension de l’économie écologique comme fondement souhaitable pour le changement de logique économique ». Toujours par l’intermédiaire de H. Mead, Nature Québec participe à un groupe de travail sur l’économie face à la crise financière et économique, organisé par l’Institut du Nouveau Monde111. H. Mead fait aussi partie d’Économieautrement.org, un regroupement d’économistes « hétérodoxes », dotés d’un site internet. Ce groupe encourage et facilite une analyse critique des questions économiques. Encore là, selon lui, l’économie écologique est à toutes fins pratiques inconnue. Enfin, Nature Québec publie sur son site internet les travaux de Harvey Mead concernant les composantes de l’indice de progrès véritable. Nature Québec cherche actuellement à développer un ARUC (alliance de recherche universitairecommunauté) sur le thème « développement et environnement », alliance qui comporterait notamment un volet « social et économie »

110 111

Nature Québec, Plan Stratégique 2010 – 2012. p. 9. Institut du Nouveau Monde, http://www.vigile.net/Institut-du-Nouveau-Monde.

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3.4.2

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Les possibilités pour Nature Québec

Mes propositions pour Nature Québec vont s’orienter autour de 2 axes : un premier axe consistant à développer l’analyse économique à l’intérieur des travaux des différentes commissions. un second axe concernant l’implication de Nature Québec dans le débat sur la mise en œuvre d’une économie « verte ». Ces deux axes sont, bien-sûr, complémentaires et certaines recommandations pourront répondre à ces deux besoins. Dans les deux sous-parties suivantes, les propositions sont classées en fonction de leur application immédiate ou s’inscrivant comme un objectif à long terme. 3.4.2.1

Développer l’expertise économique au sein de Nature Québec

Tel qu’évoqué plus haut, l’analyse économique fait actuellement défaut à Nature Québec (comme à de nombreuses associations environnementales), alors qu’elle pourrait être un formidable atout à son discours en général. Comment corriger cette carence ? Tout d’abord, il semble que l’option qui consisterait à un recours plus systématique aux experts externes pour fournir des expertises économiques ponctuelles ne semble financièrement pas possible et ne résoudrait pas en profondeur le problème de Nature Québec. Une première étape consisterait alors à concevoir systématiquement, lorsque des projets sont élaborés, un « volet économique » c’est-à-dire différentes analyses économiques qui pourraient être développées dans le cadre du projet et qui pourraient être pertinentes pour celui-ci. Adopter en quelque sorte une « culture » de l’économie dans l’ensemble des commissions. Ainsi l’obtention des subventions pourrait être facilitée. Bien évidemment, cela nécessiterait l’aide d’une personne compétente afin d’accompagner les chargés de projet dans l’évaluation des possibilités en termes de travail économique dans le projet, d’estimation des coûts et des objectifs de ces études. Dans un premier temps, Nature Québec pourrait faire appel à des stagiaires formés en économie. Leur rôle consisterait à faire une évaluation des besoins d’une ou plusieurs commissions, puis soit en estimer les coûts si externalisés, soit, si ils en ont les compétences, les réaliser. Par ailleurs, Nature Québec pourrait se rapprocher du milieu universitaire et créer une collaboration en matière économique avec l’université Laval. En effet, chacun aurait quelque chose à apporter à l’autre, puisque Nature Québec pourrait fournir des sujets de thèse aux professeurs de l’université qui, eux, fourniraient en échange des étudiants stagiaires, etc. Les étudiants pourraient ainsi effectuer pour les chargés de projet des analyses économiques : rentabilité des aménagements écosystémique, évaluation de la sauvegarde du caribou forestier, étude de cas de l’impact économique des pratiques

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agricole préconisées dans le projet Agriculture et climat : vers des fermes 0 carbone !, etc. De plus, une collaboration pourrait s’établir avec le GREEN, le Groupe de recherche en économie de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles des professeurs de l’université Laval. Nature Québec pourrait par exemple suggérer des travaux concernant la valorisation de la biodiversité, lesquels, une fois complétés, constitueraient pour Nature Québec un atout majeur, sachant que les techniques d’évaluation ne sont souvent qu’au stage de la recherche. À échéance, un poste pourrait être créé au sein de Nature Québec, dont la mission consisterait à soutenir l’ensemble des chargés de projet pour leur fournir une analyse économique en fonction des sujets abordés. Il faudrait bien évidemment une personne suffisamment polyvalente pour comprendre les différents enjeux abordé par chaque commission. Cette personne, de préférence un économiste, pourrait également se pencher plus particulièrement sur les travaux en matière de techniques d’évaluation des BSE, son travail pouvant par la suite être utile à l’ensemble des chargés de projets. 3.4.2.2

Nature Québec et l’émergence d’une nouvelle économie verte

Un objectif pour Nature Québec serait de pouvoir contribuer plus activement aux réseaux dont il fait partie et prendre position dans le champ de l’économie. Comme le souligne Éric Darier, directeur général de Greenpeace au Québec, il est important aujourd’hui que les groupes environnementaux dépassent le stade de la protestation et puissent prendre l’initiative du débat idéologique en économie, notamment afin de s’opposer au néolibéralisme qui oriente le débat sur la « croissance durable ». Il faut investir la scène médiatique et diffuser la position des associations écologiques concernant les enjeux macroéconomiques, rejoignant ainsi les mouvements d’économie verte évoqués plus haut. Nature Québec pourrait lancer une démarche similaire à celle de France Nature Environnement, peut être en collaboration avec d’autres associations du réseau CLÉ, par exemple, et axée sur les réalités du Québec. Le rapport final ferait une critique du modèle économique actuel, sur lequel s’appuie la gestion des différents secteurs au Québec, puis établirait un ensemble de recommandations en rapport avec les différentes commissions de Nature Québec. Mais cette démarche ponctuelle devrait pouvoir perdurer dans le temps. Il pourrait être question d’un projet de coalition (peut être limité dans le temps, sur 2 ans par exemple) et dont Nature Québec serait le porteur, regroupant d’une dizaine de personnes (intéressées par le sujet), individus ou porte-parole d’un mouvement, qui se réuniraient régulièrement, et dont l’objectif serait d’accroitre la visibilité du mouvement environnemental concernant les enjeux macroéconomiques/écologiques. Serait ainsi créée une plateforme, sur le modèle du réseau CLÉ (mais plus axée sur l’environnement) ou du Réseau pour une économie verte (mais au niveau du Québec), regroupant différents type d’acteurs, comme d’autres associations environnementales bien

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sûr, mais également des syndicats (CSN, syndicat des enseignants, établissement vert Brundtland), des universitaires (UQAM, Normand Mousseau) ou des économistes écologiques (Société canadienne de l’économie écologique). La coalition disposerait d’un site internet qui diffuserait l’information sur les sujets d’actualité et privilégiés par les membres. Elle organiserait des évènements réguliers pour mettre à chaque fois sur la scène publique un débat particulier. Une personne, à mi-temps par exemple, serait responsable de gérer le suivi du site et les différents évènements. Bien sûr, même si la structure n’a pas besoin d’être très importante, il faut pouvoir financer ce type de plateforme avec un budget pouvant provenir de fondations voulant s’investir dans ce domaine. Si Nature Québec souhaite investir pleinement ce domaine, le processus d’appropriation du champ de l’économie pourrait aboutir, à terme, à la mise en place d’une commission « économie » pouvant développer une expertise économique propre applicable à de nombreux domaines d’expertise et soutenant ses interventions à caractère « politique ». Elle serait composée d’un chargé de projet et de bénévoles, dont le travail consisterait à se saisir des enjeux actuels de la mise en place d’une économie « verte » ; cela permettait à Nature Québec de développer des positions concrètes en la matière, comme la lutte pour la prise en compte de la biodiversité dans les choix économiques, pour de meilleurs indicateurs, etc. Cette commission se focaliserait sur un ou plusieurs thèmes définis au préalable comme prioritaires par Nature Québec La mise en place d’une telle commission semble peu plausible aujourd’hui car elle demanderait sans doute un investissement financier trop important, mais elle pourrait être un objectif de long terme que viserait Nature Québec. Ainsi, il serait intéressant que Nature Québec s’implique dans une réflexion autour d’une nouvelle logique économique, propager cette vision macroéconomique de l’économie « verte » tout en pouvant appliquer ces idées au niveau microéconomique et en proposant des solutions concrètes à travers les projets des ses différentes commissions. La démarche de Nature Québec est assez novatrice, car même si de nombreuses associations environnementales sont aujourd’hui conscientes de l’importance du rôle de l’économie peu d’entre elles ont adopté une véritable démarche afin de s’approprier pleinement les enjeux (d’où la difficulté de faire des propositions). Cependant, cette implications ne pourra que lui être bénéfique, même si les changements ne se feront pas du jour au lendemain et doivent s’inscrire dans une vision de long terme. Les travaux concernant l’évaluation de biens et services que nous fournit la nature, complexes, sont peu nombreux et encore au stade de la recherche, mais ils sont en plein expansion. Cependant, comme le souligne Harvey Mead, le temps presse et la situation s’aggrave rapidement. Bien que ces

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problèmes soient connus depuis longtemps, la crise est là ! Et bien que de nouveaux outils fourniraient une information décisive dans la compréhension des enjeux actuels, le changement de logique économique ne se fait pas au plus vite. La récolte de données qui font actuellement défaut, comme la qualité de l’eau, l’espérance de vie en bonne santé, la dégradation des sols… serait déjà plus facile à mettre en place ; elle constituerait une avancée vers la prise de conscience collective et dans le guidage politique de la mise en place d’un développement durable. Pour accélérer le changement, l’implication des associations, pleinement conscientes des enjeux et porteuses de projet, est primordiale. Le développement de mouvements prônant le changement du modèle économique est bon signe. Évitant souvent le débat théorique, les associations gagneraient à s’approprier ces questions. Un discours économique lui serait non seulement utile en ce qui concerne l’impact sur les BSE, mais également en ce qui concerne les problématiques comme la réduction de la consommation d’énergie. Nature Québec a un rôle à jouer et peut chercher à peser davantage sur les décisions politiques. Le frein vient souvent du manque de financement de ces organismes mais, pour Harvey Mead, « l’objectif, n’est pas de mettre plus d’argent en environnement – cause perdue, normalement, face aux budgets sans commune mesure, plus grande, des ministères, etc., à vocation économique – mais d’influer sur les instances de décision économique elles-mêmes ». Cela peut passer par le développement d’intrants des économistes écologiques et le distinguer ainsi des autres mouvements auxquels ces principes sont étrangers.

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CONCLUSION Dans un article publié le 2 juillet dernier, Éric Darier, directeur de Greenpeace au Québec, rappelait que « les symptômes de la crise économique actuelle (forte fluctuation de la bourse et des devises, instabilité des prix des matières premières, montée du chômage […]) révèlent un malaise plus profond.»112. Il est décrit à travers des films récents qui tirent la sonnette d’alarme : Une vérité qui dérange (2006) d’Al Gore, Le syndrome du Titanic (2007) de Nicolas Hulot ou encore Home (2009) de Yann Artus Bertrand. Pourtant, ce malaise n’est pas récent puisque, depuis plus de quarante ans, l’application du concept de développement durable est évoquée. Les indicateurs actuels sont inadaptés pour rendre compte de la véritable durabilité de nos modes de vie. L’enjeu est alors de faire émerger de nouveaux indicateurs pour mieux évaluer la situation, guider et informer politiciens et citoyens. Le but est également de fournir une meilleure appréciation de la richesse et du bien-être afin de répondre aux critiques faites à l’égard du PIB. Ces dernières n’ont cessé de croître ces dernières années, bien que le PIB reste aujourd’hui l’indicateur phare universellement utilisé. Dans la mise en place d’IDD, les tableaux de bord (ensemble d’indicateurs) se distinguent des indices globaux (agrégation d’indicateurs). Dans le premier cas, différentes approches sont possibles : par capitaux, par objectifs ou encore par piliers. Dans le second cas, nous avons identifié trois catégories : les indices sociaux (IDH, BIP40), environnementaux (empreinte écologique) et les indices de bien-être ou PIB « verts ». Dans tous les cas s’impose le choix des composantes. En ce qui concerne les indices globaux, des problèmes méthodologiques émergent quant à l’agrégation et la pondération de ces composantes. Ces difficultés expliquent l’absence actuelle de consensus. Il faut cependant noter que tous ces indices connaissent une dégradation depuis la fin des années 1970. L’étude des différents systèmes d’IDD mis en place par l’Union européenne, la France ou le Québec nous a permis d’insister sur la nécessité de l’instauration d’un débat démocratique dans l’élaboration de ces systèmes, débat d’autant plus nécessaire pour mieux définir le concept de développement durable. En effet, ce dernier peut être interprété de façon opposée113 d’où les nombreuses critiques qui s’élèvent actuellement à son égard. L’économie néoclassique – force dominante aujourd’hui – appuie l’idée de croissance « verte » durable, donc illimitée, alors que les économistes écologiques, insistant sur la limitation des ressources naturelles et la capacité des écosystèmes à soutenir l’activité humaine, rejettent cette possibilité et remettent ainsi en cause la logique actuelle. Finalement, se pose la question : quelle économie pour quel développement durable ? 112

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Darier É., 27 juillet 2010. Changer de paradigme économique. [En ligne]. http://actualites.ca.msn.com/chroniques/chroniques-eric-darier.aspx?cp-documentid=25006210. Cf. le débat entre croissance durable et décroissance : Darier É., 9 juillet 2010. Décroissance ou développement durable ? Pour le bonheur national brut ! [En ligne]. http://www.google.ca/search?sourceid=navclient&hl=fr&ie=UTF8&rlz=1T4GGLL_frCA371CA372&q=D%c3%a9croissance+ou+d%c3%a9veloppement+durable+%3f+Pour+le+bonheur+natio nal+brut+%21.

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Pour illustrer nos propos, nous avons pris l’exemple des travaux de Harvey Mead, lequel élabore un indice de progrès véritable pour le Québec. H. Mead s’inscrit dans la lignée des économistes écologiques en élaborant cet indice. Il part des dépenses de consommations personnelles – élément de base du PIB – auxquelles il ajoute un certain nombre d’éléments non pris en compte par celui-ci : travail domestique, dépenses d’éducation, puis soustrait les coûts environnementaux et sociaux d’une partie de l’activité économique également négligée par l’indicateur « fétiche ». L’objectif est de fournir un indice dont les variations reflètent de façon plus adéquate l’évolution du bien-être de la société et sa durabilité. Ce nouvel indicateur, bien qu’imparfait et ne demandant qu’à être amélioré, se veut un outil d’aide aux décideurs politiques en leur fournissant une meilleure analyse des enjeux actuels que ne le fait le PIB. À travers cet indicateur, H. Mead souhaite avant tout montrer les limites du modèle économique actuel. D’ailleurs, les premiers résultats montrent un tout autre portrait de certains secteurs, comme celui d’une agriculture non rentable, indiquant que de nouvelles politiques sont aujourd’hui nécessaires. Cependant, sa démarche se heurte à de nombreuses limites techniques, en particulier le manque important de données, aussi bien au niveau environnemental que social. L’absence de données n’est pas le seul problème auquel doivent faire face les analystes dans le domaine de l’environnement ; la question de l’évaluation des biens et services que nous procure la nature est un enjeu d’actualité complexe. Notons que différentes méthodes existent mais ne sont qu’au stade de la recherche. Cette évaluation est un outil d’argumentation pour les associations environnementales, celles-ci pouvant constituer un vecteur clé dans la mise en place d’un développement durable. Nous avons souligné l’émergence d’un mouvement pour la mise en place d’un nouveau modèle de société critiquant le modèle capitaliste, le productivisme, la surproduction, la surconsommation et l’hyperpollution. Cependant les associations ne possèdent pas les compétences nécessaires en matière économique ; elles pourraient pourtant être porteuses d’idées développées par les économistes écologiques, idées qui leur sont, à l’heure actuelle, plutôt étrangères. Ainsi, Nature Québec, s’il réussissait à développer un discours s’appuyant sur des études (externes ou internes) fournies par ces économistes, pourrait contribuer de façon plus active et concrète aux propositions des évolutions nécessaires, même si pas évidentes, que nos sociétés occidentales doivent prendre en compte. L’ensemble des indicateurs évoqués dans ce document peignent un portrait assez pessimiste du chemin vers lequel nous nous dirigeons. L’éveil de la population à cette réalité n’est pas évident. Combien de catastrophe BP ou d’ouragan Katrina faudra-t-il subir pour que les choses changent vraiment ? Pour finir, nous pouvons souligner que l’objectif de mise en place d’indicateurs de développement durable est aussi de fournir à chacun l’information nécessaire pour devenir un citoyen responsable conscient des problèmes qui l’entourent et des enjeux auxquels il doit faire face. La mise en place d’un nouveau modèle de société moins destructeur et plus équitable est un défi de taille, mais qui vaut la peine d’être relevé !

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ANNEXE 1 — TABLEAU PRÉSENTANT QUELQUES RÉSULTATS DES TRAVAUX SUR L’IPV DE HARVEY MEAD DONNÉES EN MILLIONS DE DOLLARS CONSTANTS 2002 Juillet 2010 Dépenses personnelle s

Forêt

Agriculture

Mines

Aires protégées

TNR

GES

IPV1

1981

86 606

592

1 165

9 738

23 870

4 401

94 581

1982

83 531

617

1 080

9 640

24 082

5 098

91 178

1983

86 192

649

1 097

9 640

24 237

5 818

93 225

1984

90 498

639

1 202

9 623

24 408

6 578

96 864

1985

94 968

711

1 287

9 605

24 613

7 379

100 599

1986

98 409

710

1 268

9 599

24 847

8 236

103 444

1987

102 038

742

1 616

9 598

25 167

9 136

106 113

1988

105 665

867

1 651

9 588

25 402

10 130

108 831

1989

108 263

549

894

1 781

9 588

25 762

11 225

109 989

1990

108 745

523

1 005

1 966

9 586

26 054

12 354

109 365

1991

106 760

482

920

1 907

9 573

26 321

13 520

106 679

1992

108 282

523

978

1 728

9 501

26 487

14 745

107 293

1993

110 082

622

877

1 799

9 498

26 690

16 041

107 934

1994

113 503

832

1 175

2 086

9 066

26 878

17 419

109 802

1995

115 384

1 266

1 285

2 608

9 052

27 064

18 862

109 374

1996

118 956

1 474

1 565

2 662

9 052

27 244

20 379

111 068

1997

123 914

1 608

1 578

2 695

9 040

27 445

21 976

114 463

1998

126 813

1 557

1 816

2 789

9 040

27 607

23 664

115 553

1999

131 252

1 688

1 634

2 898

9 013

27 812

25 424

118 406

2000

135 632

1 700

1 736

2 993

9 012

28 039

27 263

120 967

2001

138 491

1 712

1 940

2 890

8 991

28 289

29 162

122 084

2002

143 093

1 643

2 268

2 961

8 990

28 525

31 169

124 586

2003

147 513

1 560

2 521

2 949

8 095

28 762

33 325

127 824

2004

151 743

1 692

2 608

3 449

7 065

29 034

35 319

130 643

2005

156 469

1 471

2 455

3 379

6 943

29 324

37 854

133 691

2006

161 165

1 247

2 566

4 151

6 540

29 638

40 487

135 812

2007

168 504

2 965

5 193

5 648

29 949

41 562

143 085

Thomas MARIN

2009-2010

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

81

ANNEXE 2 — TABLEAU PRÉLIMINAIRE DES COMPOSANTES DE L’IPV POUR LE QUÉBEC DONNÉES EN MILLIONS DE DOLLARS 2002

Thomas MARIN

Coûts des activités agricoles

Coût de l'urbanisation

Sécurité psychique et physique

Coût de la croissance démographique

Coût des accidents de voiture et de travail

2 151

Coût des suicides

5 744

Coût du chômage

Endettement des ménages

Établissements humains et services fournis

Consommation de biens durables

Aires protégées 9 505 9 505 9 504 9 504 9 504 9 504 9 504 9 504 9 504 9 499 9 496 9 579

Coût des biens durables

320 659 1 007 1 380 1 800 2 208 2 642 3 079

Santé et services sociaux

86 606

20 146 20 558 20 983 21 457 21 928 22 390 22 734 22 981 23 275 23 598 23 870

Éducation

Valeur du travail non rémunéré

1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981

Consommation personnelle

Juillet 2010

592

2009-2010

1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

2009-2010

3 533 3 978 4 413 4 857 5 330 5 800 6 288 6 779 7 280 7 790 8 328 8 879 9 441 9 999 10 572 11 131 11 662 12 211 12 751 13 275 13 835 14 418 15 033 15 662 16 308 16 962

9 484 9 484 9 467 9 449 9 443 9 442 9 432 9 432 9 431 9 418 9 347 9 344 8 919 8 905 8 905 8 893 8 893 8 866 8 866 8 845 8 844 7 964 6 951 6 830 6 433 5 556 5 478 3 319

5 324 6 549 7 989 9 237 10 155 11 255 12 223 12 463 12 064 11 696 11 794 11 957 12 555 12 828 14 054 15 780 16 757 18 188 18 898 19 758 21 678 22 497 22 876 23 506 24 405

1 739 1 354 1 370 1 471 1 588 1 765 2 025 2 643 2 989 2 509 2 284 1 940 1 988 2 557 2 287 1 691 1 765 1 898 2 274 2 269 1 864 2 023 2 072 2 284 2 499 2 746

34 760 33 119 29 458 27 182 25 369 26 203 29 783 28 939 31 174 33 657 31 591 29 008 30 574 29 641 26 360 23 926 21 561 23 142 22 833 25 402 23 226 22 678 21 570 18 226 18 458 24 691

675 824 999 1 490 997 1 884 1 335 1 158 591 889 888 835 791 827 610 1 117 1 257 1 499 1 568 1 480 1 787 1 887 1 741 1 699 1 662 1 650

Coûts des activités agricoles

Coût de l'urbanisation

Sécurité psychique et physique

Coût de la croissance démographique

Coût des accidents de voiture et de travail

Coût des suicides

Coût du chômage

Endettement des ménages

Coût des biens durables

Établissements humains et services fournis

Aires protégées

Consommation de biens durables

24 082 24 237 24 408 24 613 24 847 25 167 25 402 25 762 26 054 26 321 26 487 26 690 26 878 27 064 27 244 27 445 27 607 27 812 28 039 28 289 28 525 28 762 29 034 29 324 29 638 29 949 30 274

Santé et services sociaux

83 531 86 192 90 498 94 968 98 409 102 038 105 665 108 263 108 745 106 760 108 282 110 082 113 503 115 384 118 956 123 914 126 813 131 252 135 632 138 491 143 093 147 513 151 743 156 469 161 165 168 504

Éducation

Valeur du travail non rémunéré

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète Consommation personnelle

82

617 649 639 711 710 742 867 894 1 005 920 978 877 1 175 1 285 1 565 1 578 1 816 1 634 1 736 1 940 2 268 2 521 2 608 2 455 2 566 2 965

Thomas MARIN

1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991

549 523 482

Thomas MARIN

0 15 311 378 462 477

1 202 1 287 1 268 1 616 1 651 1 781 1 966 1 907

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 138 481 881 1 317 1 820 2 367 2 963 3 594 4 291 5 011 5 772 6 573 7 429 8 330 9 323 10 419 11 547 12 713

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 -9 505 10 641 11 053 11 479 12 135 12 602 13 011 13 293 13 457 13 618 13 781 91 894 89 691 91 360 57 445 61 768 67 535 71 167 75 156 74 159 70 973 70 651

IPV par habitant ($2002) (avec pondération)

Indice de progrès véritable (avec pondération)

Consommation. personnelle pondérée

Indice de Gini

PIB par habitant ($2002)

IPV par habitant ($2002)

Indice de progrès véritable

83 Endettement de l’État auprès de prêteurs étrangers

Endettement pour dépenses d'épicerie

Coût des changements climatiques

Coût de la pollution de l'air

Coût de la pollution de l'eau

Coût des activités minières

Ressources halieutiques

Gestion du fleuve Saint-Laurent

(suite)

Coût de l'industrie forestière

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

144 835 150 541 155 042 162 282 169 129 171 825 172 657 168 250

2009-2010

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

2009-2010

523 622 832 1 266 1 474 1 608 1 557 1 688 1 700 1 712 1 643 1 560 1 692 1 471 1 247

509 545 556 556 556 572 572 572 600 622 684 684 701 747 758 758

1 728 1 799 2 086 2 608 2 662 2 695 2 789 2 898 2 993 2 890 2 961 2 949 3 449 3 379 4 151

13 939 15 235 16 613 18 056 19 572 21 170 22 858 24 618 26 456 28 355 30 363 32 518 34 513 37 047 39 680 0 0 0 0

70 229 68 785 72 618 74 542 74 332 78 036 82 104 85 868 90 080 89 021 90 748 91 094 95 935 99 171 102 059 183 464 4 676 -29 660 0

IPV par habitant ($2002) (avec pondération)

Indice de progrès véritable (avec pondération)

Consommation. personnelle pondérée

Indice de Gini

PIB par habitant ($2002)

IPV par habitant ($2002)

Indice de progrès véritable

Endettement de l’État auprès de prêteurs étrangers

Endettement pour dépenses d'épicerie

Coût des changements climatiques

Coût de la pollution de l'air

Coût de la pollution de l'eau

Coût des activités minières

Ressources halieutiques

(suite)

Gestion du fleuve Saint-Laurent

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète Coût de l'industrie forestière

84

169 425 173 491 179 494 181 301 181 988 187 599 193 826 206 257 215 608 218 322 223 850 226 805 232 260 236 228 239 668 246 300 249 428 246 908

Thomas MARIN

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

85

ANNEXE 3 — INTERVIEW DE GAËL VIRLOUVET PILOTE DE LA MISSION ECONOMIE AU SEIN DE FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT 5 août 2010

TM — Quel est votre rôle à FNE ? GV — Au sein de FNE, je suis trésorier (bénévole, élu au conseil d'administration). Je suis en outre pilote de la mission économie (je succède dans cette mission à Bruno Genty depuis son élection à la présidence de la fédération). TM — Comment est venu l'idée de l'élaboration du cahier de propositions « De l'insupportable au désirable, vers une économie respectueuse de l'homme et de l'environnement » ? GV — Le document, en lien sur notre site, a été élaboré dans le cadre de la préparation du congrès annuel de FNE (durée de 2 jours), qui s'est tenu fin mars 2010, à Toulouse, dont le titre était « Pour une économie supportable et désirable », et qui était centré sur l'économie. Ce document FNE est assorti d'un document « multipartenarial » qui, lui, a été élaboré (pour la même occasion) dans le cadre d'un travail avec trois entreprises (Lafarge, BNP, Caisse des dépôts et consignations), un syndicat (CFDT), une association de consommateur (CLCV). TM — Comment et par qui concrètement a t-il été élaboré ? GV — Ce document est issu de nombreuses contributions des différents pôles thématiques de FNE (bénévoles et salariés), ainsi que de contributions de nos associations régionales membres. Il s'appuie aussi, bien sûr, sur de nombreuses discussions en interne, notamment avec le président (Sébastien Genest) et les membres du bureau de FNE. Sa rédaction finale a été réalisée par le directoire de la mission économie (en particulier Bruno Genty, devenu président à la suite du Congrès, et moi-même, appuyés par une salariée, Camille Lecomte — la version ayant bénéficié de la relecture de José Cambou (pilote du réseau santé et environnement) et de Gilles Benest (naturaliste) ) TM — Les réflexions que lance ce document se poursuivent-elles ? GV — Oui, nous travaillons actuellement au sein de la mission économie sur cinq aspects principaux : - L'éco-consommation (affichage environnemental, éducation à la consommation responsable). - Les emplois verts (contribution à la dynamique lancée par la secrétaire d'état au développement durable, Valérie Létard). - L'idée d'une « sécurité environnementale », comme il existe une « sécurité sociale ». - La fiscalité verte. - La vaste thématique « économie et biodiversité ». Nous sommes cependant dans une phase de transition : notre salariée est partie fin juillet et nous nous interrogeons sur la manière d'aborder la question économique, transversale aux nombreux thèmes environnementaux (biodiversité, transport, déchets, industrie, urbanisme, pour n'en citer que quelques uns).

Thomas MARIN

2009-2010

86

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

Il y a plusieurs pistes possibles : - Un appui pour aider les spécialistes thématiques à développer une approche économique cohérente concernant leur thème d'action. - Une analyse économique des projets dommageables pour l'environnement pour contrer ceux-ci. - Un chargé de mission qui couvre 3-4 thèmes principaux identifiés dans les priorités de la fédération. - Un appui à la recherche chargé de développer une vision économique cohérente avec la protection de l'environnement. Nous n'avons pas encore tranché parmi ces 4 options. Actuellement, pour info, la mission économie de FNE est rattachée au pôle Industrie-Produits-Service (avec les réseaux « déchets » et « industrie »). Elle est composée d'un directoire d'environ 8 personnes aux compétences variées (naturaliste, santé-environnement, transport, urbanisme, déchets...) TM — Ce document a-t-il eu des impacts particuliers ? GV — Pour le moment, il a surtout permis que nous dégagions en interne une approche cohérente et partagée. Je pense aussi qu'il permet de faire émerger la question économique parmi nous (au sein de la fédération) et nous sert de première base. Il contribue également à la crédibilisation de notre prise de position sur l'économie. TM — Plus généralement, avez-vous déjà rencontré des difficultés d'argumentation face au discours économique ? GV — Pour le moment non. Nous développons une approche pragmatique, pas une approche de théoricien. Ce qui évite les difficultés d'argumentation. Nous sommes un mouvement citoyen. L'économie est pour nous un moyen, pas une fin en soi. Notre analyse n'est pas dogmatique, mais basée sur la réflexion et le dialogue, ce qui signifie que si nous estimons que nous ne sommes pas en mesure d'argumenter, c'est peut-être parce que nous avons tort. TM — Pensez vous que les associations environnementale ont des lacunes dans le domaine de l'expertise économique et pensez vous avoir ou avoir eu objectivement ce type de problèmes (ce qui pourrait être une raison de la rédaction d'un cahier de proposition) ? GV — Oui, évidemment, nous avons des lacunes. C'est un domaine nouveau pour nous. La réflexion sur l'économie au sein de FNE s'appuie sur 2 éléments principaux : d'une part l'émergence de la prévention des déchets, qui nous a obligés à poser les questions de consommation (en passant du déchet au produit), d'autre part le Grenelle de l'Environnement, dont l'un des 6 groupes de négociation était centré sur l'économie, et où nous avons donc envoyé des représentants (c'était en 2007). Le cahier de proposition nous sert de base commune et partagée (Cf. infra). Mais le problème principal n'est pas la technicité du domaine, mais plutôt les objectifs visés, sur lesquels nous devons être d'accord en interne. En effet, l'économie est un thème passionnel, et les grands mots du type « décroissance » ou « croissance verte » sont l'objet de débats complexes... Le premier objectif du document était de nous mettre d'accord collectivement sur une ligne commune et sur des objectifs communs. TM — Aujourd'hui, comment sont traitées les problématiques économiques au sein de FNE ? Experts ou personnes polyvalentes ? GV — Plutôt par des personnes polyvalentes, mais nous faisons aussi appel ponctuellement à des experts qui nous apportent leur éclairage (marché du carbone, territorialisation de l'économie par exemple...). Notre salarié avait un bac+5 en économie.

2009-2010

Thomas MARIN

Du PIB à l’indice de progrès véritable : de nouveaux indicateurs pour une économie assimilant les limites de la planète

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TM — Enfin, connaîtriez vous d'autres associations environnementales (françaises ou étrangères) qui cherchent à intégrer l'analyse économique dans leur démarcher ou qui cherchent à mettre en place une démarche particulière ? GV — Non, pas spécialement. Nous avons développé notre démarche à partir des problèmes auxquels nous étions confrontés ici, en France, et nous n'avons pas spécialement cherché à regarder ce qui avait pu se faire ailleurs (ce qui est sans doute une erreur !). TM — À propos de la mission économie, quand a-t-elle été créée ? GV — La mission économie a été créée, de mémoire, en mai 2009. TM — Quelle est son rôle ? Réflexion générale sur l'économie ou soutien aux autres missions ? GV — Son rôle est (pour le moment) celui de porter une réflexion générale cohérente sur l'économie, en lien avec les autres entités thématiques (pôle, réseaux et missions) de FNE. Son rôle initial était de préparer le congrès, et de fortifier les compétences de FNE en matière d'économie (thème de forte actualité politique). Elle a également réuni un groupe de partenaires (BNP Paribas, Lafarge, Caisse des dépôts et consignations, CLCV, CFDT) qui ont travaillé sur un document de propositions communes (accessible sur notre site Internet) et qui est le pendant « partenarial » du document économie FNE. TM — Comment fonctionne-t-elle ? Combien de personnes et leurs qualifications ? GV — La mission économie a fonctionné pendant un an avec une salariée (Camille Lecomte, bac + 5 en économie), et des bénévoles regroupés dans un directoire (pilote : Bruno Genty, bac + 2 en économie, bac + 5 en environnement) ; autres membres du directoire : José Cambou (très compétente en droit et santé), Gilles Benest (maître de conférences universitaire sur la biodiversité), Christian Garnier (urbaniste, professeur en école d'architecture), Thierry Dereux (consultant dans le domaine de l'habitat social), Gaël Virlouvet (vétérinaire, bac + 5 en environnement). Je suis devenu pilote il y a quelques mois, et nous nous sommes séparés de notre salariée. Une nouvelle personne (Céline Mesquida, Sciences politiques, Paris) est venue renforcer les rangs du directoire de la mission économie. TM — Comment est-elle financée ? GV — La première année, la mission économie était financée uniquement sur du partenariat avec les trois entreprises citées plus haut (Lafarge, Caisse des dépôts et consignations et BNP-Paribas), en lien avec leur implication dans le groupe « partenaires ». TM — Combien de missions y a-t-il en tout au sein de FNE ? GV — Pour info, nous appelons « mission les entités à vocation exploratoire. Ensuite, lorsque la thématique mûrit, un réseau est créé (avec de nombreux bénévoles appartenant aux associations membres de la fédération qui rejoignent le « réseau »). Un « pôle » regroupe des « missions » et des « réseaux » sur un thème général (nous avons 5 pôles au total, plus quelques réseaux transverses). FNE regroupe 5 pôles thématiques : biodiversité (réseau nature, mission biotechnologies), eau (réseau eau), agriculture-forêt (réseau forêt, réseau agriculture, mission forêt internationale), aménagement du territoire (réseau transport, mission outre-mer, mission mer et littoral, mission montagne), industrieproduits-services (réseau déchets, réseau industrie, mission économie). En outre, FNE compte 3 réseaux transversaux : - Un réseau juridique. - Un réseau santé-environnement. - Un réseau éducation à l'environnement. …et une mission transversale « Europe ». Nous avons, en outre, des services transversaux (uniquement composé de salariés) : communication, partenariat, évènementiel, vie associative, relations institutionnelles.

Thomas MARIN

2009-2010