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HAITI SOUS DUVALIER: TERRORISME D'ETAT ET VISAOES DE LA RESISTANCE NATIONALE

Publié par l'Organisation Extérieure du Parti Unifié des Communistes Haïtiens (P. U..C. H.)

Jacques ROUMAIN "Les peuples sont des arbres. Ils fleurissent à la belle saison ... "Notre arbre it nous est jeune mais intrépide. A chaque pdntcmps il dépasse ses promesses. Le peuple haïtien a flemi de beaux hommes que toute l'Human.it.é reconnaît pour les siens. Il est cependant une immortelle produite par notre sève que les hommes vénèrent dans les coins Jes plus rP~ulP.s rl~ la planète. Elle est d'hier et dit que l'arbre a gardé la turbulence légendaire de ses essences... Un pe\lple qui vient de produire un Jacques Roumain ne peut pas mow·ir. Roumain est une immortelle qui ferttiise nos ramures par son amour universel. Tous les grands H aïtiens qui fleul·iront désormais sur notre sol ne pourront pas ne pas lui devoir quelque chose." Ja.c!lues-Stephen ALEXIS.

SOMMAIRE

Pages

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

PREMIERE PARTIE : FASCISME NEO·COLONIAL EN HAITI 1-

Faillite du système économique et social . . . . . . . . .

3

Il -

Le terrorisme d'Etat : l'appareil répressif . . . . . . . . . .

5

Ill -

La machine terroriste d'Etat en action

7

IV -

Un bilan des crimes du duvaliérisme

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DEUXIEME PARTIE: VISAGES DE LA RESISTANCE NATIONALE V -

Combattants de la lutte anti-di ctatoriale . . . . . . . . . .

10

VI -

Combattants de la Nouvelle Indépendance . . . . . . . .

11

VIl -

Portraits de résistants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

17

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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·. ~· 'i.

Voilà exactement 15 ans, le 22 octobre 1957 survenait dans le bassin des Caraïbes un événement qui passa presque inaperçu pour le reste du monde, mais dont /es suites ont, depuis, beaucoup défrayé la chronique internationale. Cette année-là, la tyrannie de M. Fulgencio Batista continuait à opprimer le peuple de CUBA mais trébuchait sous les coups de l'Armée Rebelle conduite par le fougueux Fidel Castro ; SAINT-DOM/NGUÈ gémissait encore sous la dictature sanglante du « chacal " Rafae.f L. Trujillo qui venait de se choisir M. J.oaquim Balaguer comme présidentdoublure. Ce jour-là, dans l'autre '' république " caraïbéenne, HAIT/, en état de siège, un médecin et éthnologue de 48 ans qui avait servi dans un organisme américano-haïtien de coopératien, disciple déclaré du fasciste portugais Salazar, admirateur passionné de Mustapha Kémal Attaturk qu'il plagiait sans vergogne, prenait avec son parti la direction de l'Etat. François Duvalier avait été hisse au pouvoir sur la pointe des baïonnettes d'un Conseil Militaire de Gouv(;:mement, avec l'appui de la plupart des grands propriétaires fonciers, d'une importante fraction de la bourgeoisie compradore, de très nombreux éléments des couches moyennes~ en quête d'enrichissement rapide et de jouissances faciles. L'opération avait bénéficié du concours capital des services techniques nord-américains en Haïti, de congrégations et sectes religieuses d'obédience nordaméricaine. Le pays venait de vivre dix mois d.e troubles d'une ampleur qu'il n'avait pas connue depuis la crise qui avait précédé l'intervention militaire américaine en 1915. Duvalier fut présepJé comme le moyen de sauver de la faillite un régime hybride, de type _féodal et néo-colonial, qui avait poussé sur le sol haïtien au dix-neuvième siècle, qu'avait renforcé la brutale Occupation américaine de 1915-1934, mais qui, sérieusement ébranlé depuis la fin de la seconde Gu.erre Mondiale, apparaissait de plus en plus incapable de résoudre ses contradictions. Le 22 octobre 1957, dans son premler message présidentiel à 1? nation, François Duvalier, désigné comme Président de la Républiqcre pour une durée non-renouvelable de six ans, déclarait : " Je veux qu'à.b terme de mon mandat constitutionnel les multitudes pour qui (auta'i transformé l'espoir en une réalité progressive me consacrent chaque jour, en pensant à leur condition humaine, une pensée virile, un attachement indéfectible "· Et plaçant son idéal bien bas, il proclama ouvertement son intention de transformer Haïti en un " autre Porto-Rico "• par référe/;Jce à la colonie américaine voisine dont on vantait la prospérité. Malgré ees déclarations suspectes, nul ne prévoyaitiEiors, même parmi lès nombreux adversaires de l'opération Duvalier, que, pour permettre au régime de type féodal et néo-colonial haïtien de survivre, son nouveau gérant allait fonder sa dynastie, rallier autour de lui une '' papadocratie " • adopter la forme politique d'une dictature dans le plus pur style fasciste, faire battre par son pays fe record (durable) du «sous-développement" et le rendre tristement célèbre sur toute la planète.

Gustave Granit

LE FASCISME NEO-COLONIAL EN HAïTI La production nationale baisse en volume et en valeur.

1. FAILLITE DU SYSTEME ECONOMICO·SOCIAL NEO·COLONIAL

Un journaliste français a intitulé un de ses articles sur l'Haïti de Duvalier : • La dictature pour rien •. Son opinion. qui a beaucoup d'adeptes, part du fait que si le • papadocquisme • a été efficace sur Je plan politique, en ce sens qu'il a pu se maintenir au pouvoir contre vents et marées. au point de vue économique il fournit J'exemple aberrant. exceptionnel sinon unique aujourd'hui , d'un pays en régression. Au fond, ~i quinze ans de dictature duvallériste ont nettement démontré la totale incapacité de cette dictature à sortir Haïti de l'archaisme et de la dépendance néo-coloniale pour la lancer dans la vole du développement. il faut bien y voir la faillite définitive du système économique et social qu'elle était chargée et qu'elle se proposait de renflouer. Expression politique d'une société en crise générale. le papadocquisme a été et reste un ultime instrument aux mains des classes réactionnaires haïtiennes et d'intérêts Impérialistes étrangers bien déterminés. Pour cela, il a servi et ne peut servir qu'à prolonger et à aggraver l'exploitation et la misère des masses populaires en favorisant, en contrepartie, l'enrichissement croissant et le luxe effréné d'une minorité de privilégiés. Certes le souci de durer J'a amené à opérer quelques changements de personnes dans les rangs des privilégiés dont certains le contestaient tandis que Je flot montant des revendications populaires et nationales menaçait de le submerger avec le vieux système tout entier. Mais il n'a en rien modifié la structure de classes. Toutes les déblatérations des rares thuriféraires du régime sur la • rénovation • ou la prétendue • révolution duvaliéris· te • ne sont que propos d'arrivistes et tentatives de mystification. Alors. • dictature pour rien • ? Rectifions : le papadocquisme est une dictature rétrograde de classes. Voyons les choses de plus près.

••• Qu'en est-il aujourd'hui des promesses. d'ailleurs équivoques, faites par François Duvalier aux HaHiens il y a quinze ans ? Les experts internationaux ont observé et le peuple haïtien vit dans sa chair la cruelle réllllté : la dynastie duvallériste a fait entreprendrE> au pays une marche à J'ablme. La fiche signalétique d'Harti accuse le plus bas nlveav de développement d'Amérique Latine.

Alors qu'en 1955. c'est-à-dire deux ans avant J'installation de la dynastie duvaliériste, la production agricole atteignait le chiffre de 410 000 tonnes. au cours des dernières années elle n'a pas dépassé 300 000 tonnes. La baisse permanente de la production de la principale denrée agricole d'exporta· tion, le café, ne permet même pas à l'Haïti duvaliériste de fournir son quota annuel dérisoire de 30 000 tonnes. L'in· dustrie, qui n'a point progressé, représente à peine 12 pour 100 du P.I.B. Le montant du commerce d'exportation est passé de 11 dollars per capita en 1955 à 6.5 dollars en 1970. Pour la même période, les dépenses budgétaires du gouvernement sont passées de 1 dollar à 0,5 dollar per capita. Les conditions de vie de la population de 5.000.000 habi· tants. rurale à 90 pour 100, s'aggravent chaque jour davantage. Le revenu per capita. de 70 dollars en 1955, n'est plus que de 60 dollars en 1970. Il est difficile de décrire la misère matérielle- que secrète l'Haïti duvaliériste, d'exposer la situation du nombre Incalculable de gens réduits à ne pas pouvoir même participer à la production et majoritaires dans les villes par rapport aux travailleurs mêmes. sans avoir J'air de forcer la note : la réalité concurrence la fiction. C'est par centaines de milliers que se comptent les travailleurs haïtiens acculés par le régime à aller employer leur force de travail en République Dominicaine et à New York notamment, à la recherche du pain quotidien et d'une certaine tranquilli té. En outre, comme des dizaines de professionnels qui refu· sèrent de se courber devant les turpitudes du papadocquis· me ont été froidement assassinés, des centaines d'autres, sentant leur sécurité menacée ont dû émigrer sur le continent américain, en Europe, et en Afrique. L'exode mas· si f des cadres nationaux les plus compétents, s'est réalisé surtout. mis à part la présence des enseignants haïtiens en Afrique. à J'avantage des grands pays impérialistes qui ne dédaignent pas de pratiquer le drainage des cerveaux à l'échelle mondiale. C'est ainsi qu'il existe, par exemple, plus de médecins haïtiens au Canada et aux Etats-Unis qu'en Haïti même. Cette situation illustre partiellement la faillite totale des quinze années de pouvoir duvalié_rlste sur Je plan culturel. Mais Il y a encore pis dans ce domaine de la culture. Le papadocquisme. qui a provoqué une hémorragie mortelle dans Je corps enseignant haîtlen par l'assassinat des uns et J'émigration des autres. s'est révélé, évidemment, lnc\1· pable de pr'omo'uv'oir J'éducation nationale : et ce n'est pas

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en demandant à la France ou au Québec des • coopéran ts " que le problème se1·a réso lu. L'analphabét isme affecte quelque 90 pour 100 de la population totale. Le taux de croissance de la population excède considérablement le rythme d'augmentation de la scolarisation . Seulement 27 pour 100 des enfants scolarisables de 5 à 19 ans fréquentent l'école. Moins de 10 pour 100 du budget est consacré à l'Education nationale. Le papadocquisme va jusqu 'à subtiliser pour le renforcement de l'appareil répressif, pour la rémunération de quelques sinécures et pour les dépenses somptuaires les prêts et dons reçus des organisations internationales au titre de l'alphabétisation. La grande misère faite à la santé publique sous la dynastie fondée par le docteu1· François Duvalier peut se résumer dans les chiffres suivants. En 1950 on comptait 1 médecin pour 10.000 habitants, en 1970 on en compte 1 pour 16.000 habitants. 33 pour 100 des nouveaux-nés meurent avant d'atteindre l'âge de 12 mois. par sous-alimentation ou par manque d'assistance médicale. Le tiers des malades enregistrés dans les hôpitaux est moissonné par le tétanos, la tuberculose pulmonaire et les maladies endémiques. Luckner Cambronne. fils spirituel de François Duvalier. a trouvé dans cette pénible situation une somce d'affaires lucratives : il a organisé à son profit la vente des cadavres à des hôpitaux des Etats-Unis. Plus encore, i l a mis sur pieds avec un laboratoire nord-américain un commerce de plasma sanguin prélevé à un prix dérisoire sur des malheureux, et que l'un de ses proches croit justifier en déclarant: • c'est une affaire qui rapporte •. Ce ne sont sûrement pas les dons de quelques colis d'all ments au gouvernement par des organisations ca th oliques américaines manipulées par la C.I.A., ni les 10.000 tonnes d'aliments dont on a annoncé la distribution dans le Nord par le Programme Alimentaire Mondial (P.A.M.) qui peuvent cacher la carence totale de la dictature duvaliériste devant le problème de la faim en Haïti, comme devant l'ensemble du problème éco· nomique et social que l'histoire pose devant la nation haïtienne.

* "'* On ne doit point s'étonner que les suppôts du reg1me ne se recon naissent pas dans ce t ableau de la misère. qui est une condamnation du système en général et du papadocquisme en particulier. Le fa it est que. mise à part l'ignorance (des sots ou des • sots savants »). la faim , le dénuement, la maladie, l'habitat insalubre etc. ne sont pas leur lot. Et surtout. la vérité - il faut le comprendre et le répéter est que l 'appauvrissement croissant du plus grand nombre, c'est-à-dire des classes et couches populaires rurales et urbaines. s'analyse comme la conséquence nécessaire de l'enrichissement d'une minorité rédu ite, c'est-à-dire des minces classes dominantes. Jugez-en. Dans la société haïtienne, rurale à 90 pour 100 avons-nous déjà souligné, l'idéologie dominante donne la réputation de propriétaire à l'ensemble de la paysannerie. En fa it, dans les années 50 et 60, seulement 1/ 1o• de la superficie cultivable appartient en propre à 60 pour 100 de la population agricole acti ve. 11 en résulte que la grande masse des paysans se compose de micro-propriétaires et de • sansterre ».·sous la dictature duvaliériste, la cascade des dépossessions arbitraires opérées par les hommes en place pour constituer ou agrandir leurs « habit ations • a grossi 1~ .nombre des • sans terre • . Pour essayer de gagner leur vie, les

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paysans pauvres sont obligés de travailler pour les grands propriétaires, les uns comme métayers, demi·serfs ..., les plus • chanceux , comme ouvriers-agricoles sur les plantations capitalistes. Le revenu annuel des micro-propriétaires confrontés au bas prix des denrées agricoles, à la baisse constante de la productivité des terres, à l 'archaïsme des moyens de production, à la rapacité des usuriers. n'excède pas 20 dollars. d'une façon générale. Il convient de souligner que la production agricole. donc le paysan producteur, supporte l'essentiel des lourdes taxes dont les détenteurs du pouvoir d'Etat s'approprient le produit sous forme de gros appointements ou par le vol pur et simple des deniers dits publics : " boUI·rique travaille, cheval galonné •, dit la malice populaire pour exprimer cette criante injustice sociale. L'une des graves conséquences entraînées par les dépossessi'ons et la misère paysanne est de gonfler le nombre des sans-travail et des crève-la-faim, notamment dans les quartiers populaires des villes. C'est là une plaie sociale que la dictature semble prendre plaisir à entretenir pour servir d'épouvantail contre les travailleurs urbains qui ont à se plaindre de l'exploitation. En effet, n'a-t-on pas entendu tout récemment encore (printemps 1972), le Ministre des Finances Edouard Francisque, une pourriture, se féliciter auprès de capitalistes étrangers appelés à investir dans le pays de ce que les travailleurs de I'Haiti duvaliériste n'osent pas faire grève (il a menti!) parce que la pression des u chômeurs • est trop forte ? La classe ouvrière subit une exploitation des plus fé roces. Pendant les quatorze années de la tyrannie de • Papa Doc "· le salaire minimum est bloqué au chiffre de. 0,70 dollar f ixé depuis 1946, alors que les prix des produits manufacturés ont plus que quintuplé dans l'intervalle. La récente mesure qui prévoit de porter le salaire de base à 1 dollar n'a qu'un caractère démagogique. Du bidon. Non seulement elle ne correspond nullement à la hausse générale des prix. mais aussi elle n'a pas reçu d'application généra le. Pendant ce temps, le papadocquisme prétend priver les travailleurs de toute possibilité légale de lutte revendicative. Au cours de cette année 1972 encore, de nombreux ouvriers et autres travailleurs ont été sauvagement battus et jetés en prison à cause des reve ndication salariales et autres. Les paysans producteurs, les ouvriers et les autres tra· vailleurs sont également les principales victimes de l'incroyable prolifération des taxes imaginé'es par le pouvoir duvaliériste. La chose est telle que déjà dans les années 60 les citoyens se plaignaient qu"il ne restait qu'à taxer l'eau de pluie. Mais au cours de J'été 1972, l e pouvoir duvaliériste vient d'inventer un nouveau prélèvement sur tes salaires... pour l'embell issement de la capitale, par une société privée dont Lukner Cambronne (toujours lui!) est le principal actionnaire. Cependant. les petits fonctionnaires reço ivent leurs appointements avec la plus grande irrégularité. Les employés publ ics, les instituteurs. restent 3 mois, et les hommes de peine des Travaux Publics attendent 6 mois, pour être payés en partie. Mais où vont les dépouilles ? A qui ? Certains observateurs, plus ou moins au courant de la misère générale dans laquell e croupit Haïti, demeurent perplexes devant les demeures somptu euses. les voitures très coûteuses, concentrées dans les beaux quartiers haïtiens. Ils sont ahuris d'apprendre que de gros bonnets mènent dans Je pays une vie sadarnapalesque ou de les voir dépenser sans compter au cours de leurs voyages de plai·sance à l'étranger. Et Ils s'exclament. déboussolés : • Min. péi,a gan kob! "• " il y a de l'argent dans ce pays "·

Et s'ils savaient que les grands manitous duvaliéristes possédaient des mill ions dans les banques suisses, à Miami, à Mexico? Car. le papadocquisme a tout simplement permis à la classe des grands propriétaires fonciers. à la bourgeoisie compradore, aux fractions réactionnaires des couches moyennes et - le dernier mais pas le motndre - à l'impérialisme, principalement nord-américain, de tondre les classes popu· laires et la nation haïtienne. Les grands propriétaires fonciers, qui possèdent environ 70 pour 100 du fonds agraire et qui détiennent en grande partie le pouvoir d'Etat, s'enrichissent aux dépens de leurs métayers, de leurs demi-serfs. Ou de leurs salariés agricoles. Par la rente foncière en argent ou en nature. par les cor· vées, par les prêts usuraires. Ou par le surprofit (sur les grandes plantations capitalistes). La bourgeoisie compradore accumule d'énormes profits grâce au produit du travail de la paysannerie labori euse. et de la classe ouvrière également exploitée par la bourgeoisie industrielle. Les technocrates et bureaucrates réactionnaires des couches moyennes utilisent la haute fonction publique comme moyen d'entasser leur fortune. Les comptes non-fiscaux (Régie du Tabac, Loterie nationale, Rénovation ...) sont l'objet de transaction fraudu leuses bien connues. Les Ministères servent de cadre au trafic d'influence. Mois co n'est pas tout. Sous les ailes de la pintade symbolisant le faux natio· nalisme duvaliéristo, le pays est livré au pillage impérialiste à un degré sans égal dans toute l'histoire nationale haïtienne. L'impérialisme nord-amé ricain tout particulièrement est appliqué sur l'économie haïtienne comme une pieuvre. Au cours de ces quinze dernières années, la dynastie duvalié· riste lui a accordé des avantages scandaleux, depuis la vente d'entreprises qui ont appartenu à des bourgeois haïtiens contraints à l'exil. jusqu'à la concession de plaines entières et d'iles adjacentes. De ce tait, il lui appartient l'exclusivité: de l 'extraction de la bauxite, expédiée sous sa forme brute aux Etats-Unis ; de l'extraction du cuivre dans les mêmes conditions ; de la fabrication de la farine avec du surplus de blé américain : de l'abatt age du bétail et de l'exportation de la viande ; de l'export ation de la banane et des tomates. Il a la haute main sur les industries sucrière et textile ..., sur la production de l'énergie électri· que, sur la fourniture du pétrole. La compagnie nord-américaine Dupont Carrlbean lnc. a reçu en 1972 une concession pour 99 ans en vue de la prospection et de l'exploitation des hydrocarbures. Depuis ces deux dernières années, l'octroi de telles concessions s'opère à un rythme si fré· nétique et à des conditions si déplorables pour Haïti que les patri otes haïtiens y voient une véritable vente au détail du territoire national. L'impérialisme américain participe au commerce extérieur de 1'Haïti duvaliériste. dans les con di· tians d'échange inégal, pour 70 pour 100 des importations et plus de 50 pour 100 des exportations haïtiennes. Compagnies d'assurances et Agents exclusifs de firmes yankees drainent le capital haïtien vers les Etats-Unis. La Banque d'Haït i est sous la coupe de Wall Street. l'unité monétaire haïtienne (la gourdo) est assujettie au dollar. L'• aide • américaine attache le gouvernement de Duvalier au char du Département d'Etat. L'impérialisme yankee n'exporte pas d'énormes capitaux en Haïti. Mais, par un système rigide de monopoles, il se saisit des branches d'activités qui offrent les profits les

plus lucrat ifs. Par J'intermédiaire de ses courtiers locaux, dont l'un des rô les est de corrompre les gouvernants et hauts fonctionnaires sans scrupules. il entrave le dévelop. pement industriel national (industries chimiques. industries mécaniques etc.) et ruine l'artisanat, en obtenant des faveurs pour l'introduction de ses marchandises. Ainsi , le duvaliérisme permet à la fois à l'impérialisme de piller nos ressources naturelles. d'exploiter sans limite not re Force de travail, d'empêcher le développement de nos forces productives, bref de causer la stagnation de notre économie nationale. Ajoutez à cela que la politique extérieure de la dictature duvaliériste est servilement alignée sur celle des Etats· Unis. Cela s'est manifesté notamment à propos de la guerre du Vietnam, de l'affaire congolaise, de Cuba, de l'interven· tion en République dominicaine. de J'admission de la Chine populaire à I'O.N.U., du Moyen Orient, et c. Il -

LE TERRORISME D'ETAT :

L'APPAREIL

REPRESSIF

La dictature duvaliériste, le papadocquisme. est l'héritière directe d'une lignée de " gouvernements fcrts .. en même temps qu'un Pouvoir de temps de crise générale. En effet, pour imposer leur régime d'exploitation, jamais les classes dominantes haïtiennes n'ont voulu laisser le peuple jouir effecti vement des libertés démocratiques. Sauf dans de courtes périodes de notre histoire, marquées par un eertl'lin essor du mouvement populaire, les détenteurs du pouvoir d'Etat ont toujours fait peu de cas de la Consti· tution et des lois. La • démocratie représentative • , J'institution parlementaire, etc, tout cela n'a été qu'une façade derrière laquelle des espèces de César mal élus, se succé· dant à la • magistrature suprême • à la faveur de coups d'Etat pompeusement baptisés .. révolutions" (auj ourd'hui c'est la • révo lution duvaliéristc! •l. prétendaient imposer au peuple l'ordre établi au bénéfice des gros propriétaires fonc iers, des gros bourgeois, des requins de la finance et de l'industrie Internationale, des arrivistes de toute sorte. Quand au début de ce siècle, l'impérialisme yankee. assurant le relai du néo-colonialisme français, s'est imposé aux exploiteurs locaux comme meneur du jeu, il a renforcé l'appareil de répress ion à son propre avantage, notamment en désarmant et en massacrant des paysans, et en organisant l'armée régulière haïtienne de manière à ce qu'elle puisse être utilisée à sa dévotion non seulement pour réprimer les manifestations populaires. mais également pour changer les Chefs d'Etat usés. De cette façon. l'impérialisme et ses agents locaux se sentaient sûrs d'étouffer toute tentative • révolutionnaire • qui échapperait à son contrôle, comme en 1946, en 1950, en 1956-1957. Et cela déboucha su1· le terrorisme d'Etat duvaliériste. En comparaison avec le papadocquisme. Soulouque luimême (1847-1858) n'a été qu'un apprenti dictateur. Pour se maintenir au pouvoir, le duvaliérlsme systématisa les bruta· lités comme méthode de gouvernement, le papadocquisme utilisa la violence à un degré inouï. Selon la Constitution qu'il fabriqua lui-même en accédant au faute uil président iel , Duva lier devait laisser le pouvoir le 15 mai 1963. Mais en 1961. il profita d'une farce électorale législative pour prolonger son • mandat • jusqu'en 1967, sous prétexte que ce délai lui était nécessaire pour accompli1 sa • mission historique • . Deux ans plus tard, il mena tambour battant une campagne plébiscitaire, dont il conclut que • le peuple unanime • l 'obligeait à se constituer Prési·

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dent à Vie. Dans l'Intervalle, il s'était déclaré "ce genre d'Hommes que Je pays ne produit que tous les 50 à 70 ans "· Après 13 ans de tyrannie, François Duvalier, accablé sous le poids de la maladie et de ses crimes, finissant ses jours dans la hantise du châtiment populaire, posa son dernier acte de machiavélisme en désignant son fi ls Jean·Ciaude, un gros benêt de 20 ans, comme son successeur à la • présidence à vie " : les scribes de celui-ci lui ont déjà mis sur les lèvres des propos sur la passation du pouvoir... à son fi ls ... qui n'est pas né. Signalons tout de suite que l'opération Jean-Claude Duvalier n'a pu se réaliser que sous la baguette du gouvernement des Etats-Unis. avec pour chef d'orchestre l'ambassadeur américain à Port-au-Prince, Knox, un triste sire. Après la mort du tyran, les officines de presse de l'impérialisme américain ont déclenché conj ointement avec les plumitifs duvalléristes une campagne tendant à accréditer dans le monde l'image (mystifiante) d'un nouveau papadocquisme à visag e " libéral .. sans même oser dire • démocratique •. Mais le peuple haïtien et l'opinion progressiste internationale ne se laisseront pas prendre à ce piège grossier. Ils peuvent déj à se rendre compte qu'au fond. du père au fils. en passant par la Veuve Doc (la • reine mère .. J et son homme lige l'ex-Ministre de l'Intérieur Cambronne, y compris les barons du papadocquisme toujours en place. la sainte famille duvaliériste reste égale à elle-même. Le duvaliérisme en 1973 constitue toujours un pouvoir criminel exerçant, avec moins de bruit, donc plus d'hypocrisie (si possible) qu'avant. la plus implacable oppression sur le peuple haïtien.

*** La dynastie duvaliériste, pour se maintenir, a échafaudé une monstrueuse machine à tuer. Au sommet de l'appareil terrOI'iste plane encore l'ombre de Papa Doc. Il avait déclaré publiquement, et ses sous-fifres y on cru ou presque: "Je suis un Etre Immatériel •. Il se fit appeler, entre autres. • Père Spirituel de la Nation "• • Homme-Drapeau "• • Apôtre du Bien·Etre Collectif . • Electrificateur des Ames •. etc, etc. Il a imaginé de faire! diffuser· dans les écoles un • Catéchisme duvaliériste • pestilen· tiel et ses écrits réunis en «Œuvres Essentielles ». Ses • pensées» servent de sujets d'h istoire aux examens du baccalauréat. Sc sachant honni, constamment en butte à la résistance de l'opposition clandestine, Papa Doc ne sortait que très rarement de son palais converti en forteresse et en une sorte de quartier-général de troupes d'occupation. Les rares fois qu'il quittait son repa ire, c'éta it au milieu d'un déploiement de forces impressionnantes. Les photos le montrent en ces occasions enfoncé dans une de ses voitu· res blindées et serrant une carabine M-1 : comme aujourd'hui son fils et successeur. Papa Doc symbolisait dans cette posture la violence anti-populaire. Par ailleurs ce paranolaque assoiffé de sang a exercé un pouvoir discrétionnaire sur son gang et sur l'ensemble de la population : l'arrogant Cambronne peut dire combien de fois il a été bastonné ; Cinéas aussi, et nous en passons. Le soliveau Jean-Claude Duvalier, un prête-Mm, n'en est pas là. Mais il s'agit de ne pas lui laisser le temps de prendre goOt au pouvoir personnel. Pouvoir personnel qui tente bien les Cambronne, Breton, Cinéas, Raymond, etc, qu i mènent en réalité la barque sous le label duvaliériste et sous l'œil vigilant de la Veuve ; mals cela fait trop de derrières pour un seul fauteuil : alors on s'entend, tant bien que mal. pom le maintien de l'appareil. Cet appareil répres sif couvre l'ensemble du national, et fonctionne à divers niveaux.

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territoire

LES TONTONS MACOUTES Dans le monde d'aujourd'hui, il suffit de prononcer le nom d'Haïti devant une personne même peu informée de l'actualité politique internationale pour qu'elle y associe immé· diatement deux autres mots : Duvalier, Tontons-Macontes, en plus de celui de Papa Doc. Macoutisme, duvaliérisme et papadocquisme sont en fai t synonymes. L'appareil répressif macoutique né sous Duvalier et dépendant directement du tyran, est la cheville ouvrière du papadocquisme. Le terrorisme d'Etat duval iériste a pour instrument principal l'institution des Tontons Macoutes, Ces monstres, officiellement dénommés • Volontaires de la Sécurité Nationale • comme la milice de Mussolini, sont essentiellement recrutés parmi les déclassés, les repris de justice. les criminels de droit commun. auxquels sont adjoints de petits employés publics. Ce sont aussi de hauts fonctionnaires de l'Etat, grands propriétaires fonciers, spéculateurs, et commerçants duvaliéristes. Notez bien que ces troupes de choc ont été Initialement entraînées par la Mission militaire américaine. Ces sinis· tres assassins exercent en tait plus d'autorité que les fanc· t ionnaires civi ls ou mil itaires. Le Tonton Macoute a droit de v ie et de mort sur les citoyens. Au sein de l'organisation se forment des bandes de tueurs professionnels qui assassinent. volent. extorquent, sans avoir à re ndre compte à personne, et qui font passer leurs victimes pour des communistes et autres dangereux • opposants •. Parmi les plus immondes chefs de bande se détachent les noms de Clément Barbot, luc Désir, Lucien Chauvet, Edner Day, Zacharie Delva, Astrel Benjamin, André Simon, Madame Max Adolphe, Ti Bobo, Taillefer, Pageotte, Boss Pinte, Eloys Maitre, Adher· bal Lhérisson ... Ces individus, pillards et tortionnaires, ont chac~;~n sur la conscience des centaines de crimes. A diverses reprises sous Papa Doc, les contradictions entre clans de Tontons Macoutes se sont réso lues par la dissolution de quelques bandes ou le li mogaage de quelques chefs. La dernière en date de ces règlements de compte entre assassins a eu lieu peu après la mort de François Duvalier. Et on a voulu, à tort, voir là un signe de libéralisat ion. que contredit la nomination. après quelques mois, de Madame Max Adolphe à la tête de l'édilité de la capitale.

LES LEOPARDS Loin d'être démantelé, l'appareil terroriste des Tontons Macoutes a été renforcé pat· les héritiers de Papa Doc, avec la création du corps répress if des « Léopards anti·commu· nistes • . Au début de l'année 1973. ils étaient environ au nombre de 700 mauvais garnements, entraînés par d'anciens membres du corps expédit ionnaire nord-américain au Viet· nam et par d'autres mercenaires étrangers (français, israéliens ... ) . On prétend en faire un corps spécialisé dans la lutte anti-guérilla. En attendant, Jean-Claude les utilise dans des tâches générales de répression (pour se faire la main ?) comme corps d'• élite • des Tontons-Macoutes.

LES FORCES ARMEES Il faut rappeler que Papa Doc avait créé la milice des Tontons Macoutes pour faire contrepoids à l'armée régulière dont la structure autant que la subordinati on de ses chefs à l'impérialisme américain le gênaient et le met· taient à la merci d'un coup d'Etat. Dans le cadre de l'opération Jean-Claude Duvalier, avec

l'intégration dans la sainte famille des Généraux Claude Raymond, Claude Breton, l'armée régulière ne le cède plus à la milice des Tontons Macoutes dans la hiérarchie des corps répressifs ; l'impérialisme américain joue à fond la carte Jean-Claude. et v1ce-versa : la mission militaire amé· ricaine a retrouvé cette année le chemin de la capitale haïtienne. De toute façon. les forces armées n'ont jamais cessé. au cours des quinze ans de pouvoir duvaliériste, d'assurer leur rôle de corps répressif. Constamment épurées des officiers et soldats au loyal isme douteux, elles sont systématique· ment truffées de militaires tontons macoutes. qui exercent une autorité supérieure à celle des autres quel que soit leur grade. Les forces armées haïtiennes souffrent actuelle· ment de la servilité de certains officiers supérieurs corrompus. maniaques du crime, exécuteurs des hautes œuvres du papadocquisme. Les plus Ignobles s'appellent (Jean et Daniel Beauvoir). Jean Tassy, feu Joseph Lemoine, Frank Romain (actuel chef de la police de la capitale), Claude Breton, (qui commande les plus Importantes casernes de la capitale). Abel Jérôme, Guilloux. Gracia Jacques (chef de la garde prétorienne), Monod Philippe ... LA GARDE PRESIDENTIELLE Au sein des forces armées, la garde présidentielle constitue une sorte de corps privilégié. Elle est confiée à la dili· geance du gros Gracia Jacques. un sbire que Jean-Claude a promu général. véritable chien couchant de la famille Duvalier. Elle se compose de 600 hommes environ, considérés comme très sûrs. et dont certains reçoivent fréquemment de l'argent des mains du dictateur en plus de leur solde. Cette garde assure tout spécialement la protection du • Président à vie • (Jean-Claude) et de la • Première Dame • (la veuve de Papa Doc). LA POLICE POLITIQUE La Police Secrète, appelée S-2 jusqu'à la mort de Papa Doc, récemment réformée avec la collaboration de la C.I.A. américaine, porte actuellement le nom de Police Politique. A la mort de Papa Doc, elle a été placée sous la direction du sinistre Luc Désir, et sous la haute supervision du Ministre de l'Intérieur d'alors. Luckner Cambronne. l'homme de toutes les sales affaires, serviteur zélé des Etats-Unis. Cette police secrète utilise les services de différents réseaux d'agents entretenus tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays. depuis la plus petite section rura le haïtienne jusqu'au Il" Bureau français. Elle surveille les arrivées et départs à J'aéroport International de Maïs Gâté où elle dispose d'une salle de torture. Elle espionne dans les êta· blissements scolaires et universitaires. La police des pré· fecturos recouvre l'ensemble du pays d'indicateurs. Les fameux • détectives • du Service des Recherches Crimi· nelles, lié au S-2. s'occupent plus des affaires politiques, c'est-à-dire d'enquiquiner les citoyens honnêtes. que des questions de droit commun auxquelles ils sont normalement préposés. Ajoutons que les ambassades d'Haïti à l'étranger disposent de mouchards et bénéficient de la collaboration de la C.I.A. et d'organes policiers des Etats où elles se trouvent. On doit mettre au compte de cette pol ice secrète la disparition et l'assassinat par les Tontons Macoutes de mil· liers et de milliers d'Haïtiens, patriotes ou citoyens tranouilles.

Les forces de répression. surtout celles concentrées à la capitale et dans les environs, disposent d'équipements modernes dont les ont dotées le gouvernement des EtatsUnis et la mafia opérant à Miami. Au maintien de l 'appareil répressif d'Etat et de tout l'édifice de corruption qui lui correspond sont consacrés 35 pour 100 des ressources du budget. les • comptes non-fiscaux •. et d'autres sommes discrètement mises à la disposition de la dictature par des agences spécialisées nord-américaines. Il faut noter qu 'à côté de l'appareil répressif d'Etat spé· cialisé dans la violence physique. la radio. la presse écrite. l'école, l'église sont uti lisées pour violer quotidiennement les consciences. Ill. LA MACHINE TERRORISTE D'ETAT EN ACTION Le ten·orisme d'Etat s'amorça au cours de l'été 1957, aux heures du Conseil Militaire de Gouvernement qlli se chargea, après six mois et demi de lutte politique dans une atmosphère survoltée, de paver la route du pouvoir aux partisans du fa lot François Duvalier. li s'agissait alors de briser l'élan des masses constamment mobilisées depuis la fin tumultueuse du mandat présidentiel du satrape Paul Magloire. Le général Kébreau, homme de paille de l'impé· rialisme américain. secondé par des officiers tels que Pierre Paret, Frank Romain (déjà lui !) . etc., dirigea en une nuit une tuerie indescriptible dans les quartiers populaires de la capitale. cau sant des milliers de morts : ce massacre est entré dans les annales du pays sous le nom de " vêpres sanglantes "· Mais depuis, le papadocquisme a fait infiniment mieux. Dès les premiers mois du gouvernement de Duvalier. des commandos masqués. armés de barres de fer, de bâtons, de mitraillettes, commencèrent à opérer de nuit contre les opposants connus, qui furent ainsi portés disparus en lais· sant des traces de sang : les Tontons Macoutes de la légen· de, que les adultes évoquaient pour calmer les enfants insupportables, devenaient ainsi une diabolique réalité. Ces premiers groupes fascistes. les " cagoulards • . étaient copiés sur le modèle expérimenté dans la République dominicaine voisine au cours des 30 années de dictature de l'homme qu'on surnommait • le chacal des Caraïbes • . Trujillo. Ces premiers tontons macoutes donc, qui n'osaient pas encore montrer leur visage, envahissaient de nuit les demeures des citoyens. les sièges des journaux et des syndicats. etc., pour s'y livrer aux enlèvements, à la destruction, au pillage, au viol. Puis le terrorisme d'Etat duvallériste, le papadocqulsme. toute honte bue. se manifeste en plein jour. Les forces armées remani6cs sillonnent les rues. quadrillent et ratis· sent les villes par quartiers. par pâté de maisons, par maison. exhibant des armes modernes mises à leur disposition par l'impérialisme nord-américain. Les tontons macoutes, officialisés. défilent dans les rues, profèrent des slogans de mort contre les non-duvaliéristes. multiplient les exactions. Tous les moyens sont utilisés pour distiller la peur chez chaque citoyen. L'appareil terroriste d'Etat procède au démantèlement de toutes les organisations démocrati· ques légales. Il applique les traitements les plus inhumains aux patriotes et même aux parents et amis des patriotes soupçonnés de contester l'ordre duval iériste. Il réédite quo· tidiennement sur la population les actes les plus infâmes. dignes du rasclsme hitlérien . Il torture et assassine pour un oui ou pour un non. Duvalier lui-même a déclaré aux bataillons de tontons macoutcs rassemb lés sur le terrain

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de manœuvres du palais présidentiel qu'il aime que ses miliciens soient • sauvages • (sic). Et en 1962, le papadocqulste exalté Jacques Fourcand, menace pub! iquement le peuple haïtien d'un " Himalaya de cadavres • en cas de soulèvement. L'arrestation d'un suspect s'effectue avec la plus grande ostentation. Crépitement des armes à feu. déploiement des forces répressives. mauvais t raitements infligés à la victime au vu de tous, toute une mise en scène vise à agir sur l'esprit de la population, à terroriser voisins, amis et parents du malheureux. Et si on n'est pas parvenu à mettre la main sur le suspect, on prend comme otages ses parents et autres membres de sa famil le. Des mères arrêtés comme otages ont été torturées et gardées en prison pendant plusieurs années. Des bébés ont traîné dans les salles de torture avec leur mère éplorée. au milieu des cris déchirants de leur père supplicié. C'est le cas d'ANTHONY GUICHARD. militant communiste arrêté en 1965 avec sa femme et son enfant de moins de deux ans, qui succomba sous les tortures en criant • Vive le communisme • . Gloire et honneur à la mémoire du martyr Anthony Guichard ! honte à ses bourreaux ! Souvent. la famille entière de J'opposant vrai ou supposé est massacrée en son absence. Parmi de multiples exemples, nous en citerons trois qui sont significatifs. le 26 avril 1963, par réaction à un attentat manqué sur le fil s de Papa Doc qu'avait monté l'ex-chef de Tontons Macoutes Clément Barbat. mais dont le lieutement FRAN· ÇOIS BENOIT a été faussement accusé, un commando de • sans-manman • f it irruption dans la demeure de l'officier mis en cause. Comme ce dernier ne se trouvait pas chez lui, les Tontons Macoutes s'en prirent à sa famille; toutes les personnes présentes furent massacrées. y compris un enfant en bas âge. leut·s cadav1·es abandonnés dans la rue, leur maison incendiée. Les familles EDELYNE, PARIS, BAJEUX, subirent Je même sort. A quelque temps de là, en août 1964, la ville de Jérémie fut le théâtre de crimes aussi abominables mais de plus grande ampleur encore. Les Tontons Macoutes s'emparèrent d'une dizaine de familles entières (les SANSARICO. les DROU IN. les VILLEDROUIN. etc.) qu'ils supplicièrent. Certaines des femmes furent violées avant d'être abattues. On fo rça un garçon de seize ans à creuser la tombe de sa mère et de sa sœur avant de l'assassiner et de l'enterrer avec elles. On poignarda leurs deux enfants en bas âge en présence de Jean-Claude Sansaricq et de sa femme avant de sacrifier le couple. Maisons privées et magasins des victimes furent mis à sac. 00 personnes envil·on périrent au cours de ces horreurs dirigées par Sony Borges. Abel Jérôme ... Leur crime? On les accusait d'être parents ou amis des 13 combattants du groupe "Jeune Hahi " qui avaient débarqué la nuit précédente non loin des côtes de Jérémie pour mener une lutte armée contre Je papadocquisme. L'expédition. préparée à l'étranger, avait été dénon· cée à Duvalier par la C.I.A. C'est pendant ce même été de 1964 que des centaines de paysans de Nan Mapou. dans le sud·est, furent massacrés sous la direction d'André Simon, un vampire, sous prétexte qu'ils avaient collaboré avec les "camoquins" des dénommées Forces Armées Révolutionnaires Haïtiennes (F.A.R.H.). Pour les Haïtiens. les noms des localités comme Ouanaminthe. Jérémie, Mapou. Thiotte évoquent des tableaux apocalyptiques. l'acuité de la crise économique porta la dictature duvaliériste à expérimenter d'autres formes de crimes collectifs.

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lors de la famine de 1965 dont souffrit le Sud, des dizaines de milliers de paysans durent abandonner leur quartier rura l pour chercher à se nourrir. Ils dure nt manger des chiens. des chats, des racines. Des nuées de mendiants envahirent la ville des Cayes et sa région, quémandant du pain. Dix-huit prisonniers de droit commun enfermés dans la prison des Cayes moururent d'inanition. Pendant ce temps, les accapareurs duvaliéristes ne se gênaient nullement pour s'emparer et vendre dans leurs magasins et boutiques des aliments et médicaments envoyés par la Croix-Rouge Internationale, l'Unicef, la fondat ion Gare. Incapable de combattre la famine par des mesures appropriées, le papadocquisme recourut au bannissement en masse. Des milliers de gens affamés furent ramassés et conduits de force vers les rochers inhospitaliers de l'lle·à-Vâche. On noya des cent aines d'entre eux pendant la traversée, et la plupart de ceux qui parvinrent à destination n'y survécurent pas longtemps En 1967, un important contingent de travailleurs haïtiens émigrés aux iles Bahamas, mais refou lés par les autorités coloniales anglaises sous prétexte d'entrée illégale, subirent un traitement infernal à leur retour forcé au pays. En arrivant au Cap·Haïtien et à Port-de-Paix, ces malheureux furent brutalement saisis et sauvagement torturés par la soldatesque et les tontons macoutes. Des dizaines d'entre eux furent achevés de sang-froid. Sous les ordres de l'odieux colonel Joseph C. lemoine. les autorités duvaliéristes les soupçonnaient de faire partie d'organisations anti·duvaliéri stes Installées aux iles Bahamas. le papadocqulsme devra payer le sang de ces fils du peuple ignominieusement imnolés sur l'autel du régime d'exploitation seml-féodal et néo·colonial . PRISON POLITIQUE ET TORTURE

En Haïti, il y a plus d'une Bastille à prendre par le peuple. Des prisons polit iques qui symbolisent le terrorisme d'Etat plus encore que celle tombée aux mains du peuple de Paris le 14 juillet 1789 ne signifiait l'arbitraire de l'Ancien Régime. l a plus terrifiante s'appelle FORT DIMANCHE. Comme qui dirait Dachau sous l'Allemagne nazie. Péniche dans le Portugal fasciste, Poulo Condor au Sud-Vietnam occupé par les hordes yankees et les fantoches de Saïgon ... Mais en outre, Fort-Dimanche et les salles de tortures du Quartier-Général de la Police considérablement aggrandi et équipé ne suffisant plus à la tâche, le papadocquisme a converti en laboratoires de la mort violente et de la mort à petit feu jusqu'aux caves du Palais présidentiel. Et ces lieux infernaux abondent dans tout le pays, devenu, d'autres l'ont dit, une « République du cauchemar • . Les prisonniers de droit commun. qui ne sont pas gâtés. apparaissent comme des privilégiés en comparaison avec Je sort réservé aux prisonniers polltiques. Ils peuvent circuler dans la cour de la prison, recevoir la visite de leurs parents, alors que les • politiques " sont tenus comme des pestiférés. Aucun avocat n'a accès à la prison politique. ni ne s'aviserait d'assumer la défense d'un prisonnier politique, sous peine de subir le même sort que son client. le citoyen préventivement mis " en dépôt • pour de prétendus motifs politiques a encore des chances d'en sortir indemne par l'intervention d'un ami influent de la famille. Mais une fo is • fiché • comme .. communiste"· • camoquin "· ou autre opposant indésirable, et expédié dans les " taboutes " (cachots, oubliettes) destinés aux gens de son espèce, le ty1·an lui-même et le chef de la police secrète sont les seuls individus de !:appareil d'Etat à pouvoir l'en faire sortir.

Dans les périodes de grande chasse au • camoquin • , on trouve, au Fort Dimanche, des paquets formés de 50 à 60 prison niers dans des salles de 10 mètres sur 5 mètres. ou des lots de 6 à 10 prisonniers dans des cachots de 3 mètres sur 2 mètres. Les détenus ne peuvent s'asseoir. s'accroupir ou dormir un peu qu'à tour de rô le. Pas de lits. Quand il y a dans la cellule une natte de j oncs, elle est puante et infes tée de vermine. de punaises. de poux qui ont déjà sucé plusieurs géhérations de prisonniers crevés. A lors. quand arrive son tour. le prisonnier s'allonge à même le sol de terre battue ou de ciment, devenant ainsi la proie de la tuberculose. Quant à l'alimentation, elle se réduit à J'apparence d'un repas quotidien : pas de graisse animale, pas de viande ; une bouillie infecte de maïs moulu. sans sel et en quantité insignifiante. Souvent pas d'eau, et des prisonniers sont amenés à boire leur urine. Pas de latrine : rien qu'un seau en fer blanc exposé dans la cellule pour recevoir les déjections, et qu'un geôlier vide quand il déborde. Ne parlons pas de gymnastique ni de soleil. Voilà pour le régime de la mort lente. Mais il y a aussi le régime du " krazé "• c'est-à-dire de l'abattage par la torture, auquel peu de prisonniers ont échappé. Les brutalités inouïes commencent à l'arrestation même de la victime. Elle est littéralement enlevée, maltrai tée à coups de crosse de f usil, à coups de pieds au ventre et au bas-ventre. à coups de • bâton chapelet • au crâne. et roulée au sol comme un tonneau vi de. Le calvaire se poursuit dans le " panier à salade •, dans les salles d'interrogatoire de la police. des casernes, des pénitenciers. du palais présidentiel, du Fort-Dimanche : un long tunnel de la souffrance. Comme préambule à la torture, il est de règle que les bourreaux éteignent leurs cigarettes sur la peau de la victime. On introduit parfois un gourdin dans le sexe des femmes, après qu'elles ont été violées par des meutes de Tontons Macoutes. On écrase parfois les testicules des hommes sur la • table krazégrinn "· On brûle l'anus des prisonniers avec des bougies allumées et on y enfonce des barres de fer chaudes. Oui, incroyable mais vrai : l'arrivisme petit-bourgeois. les intérêts de classes décadentes ... ont engendré de telles barbaries sur la terre haïtienne. Et d'autres pratiques horrif iantes encore. le supplice de la poulie consiste à hisser le prisonnier, poignets et chevilles ligotés ensemble, la pointe des pieds rasant le sol. les bourreaux, armés de gourdins ou de cravaches terminés en ti l de fer barbelé, sont apostés aux quatre coins de la salle. Ils s'envoient et se renvoient la victime qu'ils f rappent à tour de rôle. Une autre variante de ce supplice : Les bourreaux utilisent deux poulies parallèles. Bras et pied droits de la victime sont attachés à une poulie, bras et pied gauches à l'aut re poulie. Les bourreaux actionnent les deux poulies en sens contraires au risque de provoquer l'écartèlement du supplicié. Sur le champ de manœuvre du Fort Dimanche, les Tontons Macoutes lient les poignets de leur vi ctime à une corde dont l'autre ext rém ité est amarrée à l'arrière d'une jeep. Après avoir été traîné par le véhicule pendant quelques minutes, le malheureux, défiguré, écorché, subit un interrogatoire. L'opération • Jet • (djett) consiste à suspendre horizontalement le pri sonnier par les membres. la face tournée

contre le sol. Dans ce tte position, il est bâtonné et flagellé par deux bourreaux jusqu'à ce que mort s'ensuive. les tortionnaires appellent cyniquement cela: • faire respirer de l'air frais au prisonnier • (nou pralé fè ou pran on bon jan van} . Pour arracher des aveux aux prisonniers, on leur tape systématiquement sur la mâchoire au point qu'ils perdent leurs réflexes. 0 11 leur i:liJiJiique le couri:lnt électrique aux organes génitaux, à l'anus. On les prive absolument d'eau et de toute nourriture des jours entiers jusqu'à ce qu'apparaissent des signes d'agonie. Et les bourreaux ne cessent de les frapper dans cet état en hurlant : • Debout les morts! " Qu'au cours d'une sauvage bastonnade les genoux de la victime fléchissent et qu'elle n'arrive pas à se relever, les bourreaux piaffent sur son corps, sur sa tête. Le sang jaillit de la bouche, du nez, des oreilles. Des prisonniers sont achevés ainsi. On raconte que Madame Max Adolphe, ancien commandant en chef des tontons macoutes de Fort-Dimanche, maire de la capitale en 1972. faisait fixer des prisonnières sur une cuve de liquide inflammable et y mettre le feu. A ces prisonnières on disait qu'ell es allaient se laver. Des prisonnières trépassèrent à la suite d'hémorragie consécutive à l'ablation de leurs seins. Des fo is. le simulacre son assassinat effectif : de " fa ire parler • des subir mille morts plutôt

d'exécution d'un condamné précède ultime torture morale pour tenter militants révolutionnaires prêts à que de se déshonorer.

IV. UN BILAN DES CRIM ES DU DUVALIERISME

Que de cadavres ont été accumulés au cours de ces quinze dernières années par la mise en branle de l'appareil terroriste d'Etat duvaliél'iste. Ainsi que l'un des porte-parole de Duvalier l 'avait publiquement promis en mai 1962, la bande à Papa Doc a fait couler le sang haïtien comme cela ne s'est jamais vu auparavant. Le 11 avril 196g, la Commission lnteraméricaine des Droits de l'Homme approuva un volumineux dossier condamnant les atteintes systématiques aux droits de l'Homme dans l'Haïti duvaliériste, et dénonça les assassinats politiques commis sous les ordres du tyran. Ce rapport porte le numéro d'ordre OEA/ SER. l / V 11.21 Doc. 6, 21 mai 1969. Il a été consti tué à partir d'un grand nombre de lettres, rapports, dénonciations formu lées par des secteurs de droite de l'opposition haïtienne et par des patriotes sincères qui s'illusionnaient sur le rôle de I'OEA. ce Ministère des colonies américaines des Etats-Unis, pourrait jouer dans le re nversement de Duvalier. Mais, bien que dans des occasions antérieures I'OEA ait donné publication à ses l'apports signalant les actes criminels du gouvernement de Duvalier. cette fois elle décida d'étouffer le scandale. Le rapport fut classé Confidentiel. C'est que. à cette époque, les relations entre Papa Doc et l'Oncle Sam, après une petite brouille de famille due à l'arrogante mendicité du premier et au double jeu du second, étaient rentrées dans une phase d'extrême cordialité, scellée par la visite tapageuse de Nelson Rockefe ller à Port-au-Prince et par l'assassinat de nombreux dirigeants et militants communistes haïtiens organisé de concert par les Tontons Macoutes et la C.I.A. Parmi les faits révé lés par ce rapport, nous relevons les suivants: -

exécution d'un grand nombre de personnes sans juge-

mA"+ :

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-

détention arbitraire de centaines de personnes ; généralisation de la torture pour les prisonniers;

- privation du droit à la défense pour les prisonniers politiques . En appui à ces accusations, le document signale environ deux cents cas de familles entières, de couples, d'officiers et sous-officiers de l'armée. de femmes. d'avocats, de méde-

cins. d'enseignants. de commerçants, de journalistes. d'artisans etc .. enlevés. torturés ou assassinés par les sbires duvaliérlstes. Cette liste ne représente qu'une goutte d'eau dans l'océan des crimes duvaliéristes. Un ancien homme-clé de l 'apparei l terroriste de Duvalier, le colonel tortionnaire Jean Tassy, limogé en 1967 par Papa Doc et émigré aux Etats-Unis. détient une 1iste beaucoup plus exhaustive de ses victimes. Si ce Klaus Barbie haïtien avouait ce qu'i l sait...

leuxilme fadle VISAGES DE LA RÉSISTANCE NATIONALE V. COMBATTANTS DE LA LUTTE ANTI·DICTATORIALE Le peuple haïtien a livré un combat multiple contre le duvaliérisme oppresseur. Des citoyens de toutes les couches nationales se sont dressés dans la lutte face à la dictature. Cette lutte a adopté au début des formes légales, par l'intermédiaire d'organisations syndicales, de journaux, etc. Mais devant la mont ée du terrorisme d'Etat, les frontières de l'opposition légale reculèrent bien vite, au point de disparaître presque. Les citoyens furent alors acculés à répondre au terrorisme d'Etat par la violence. Combat inégal d'hommes courageux, sans doute, mais insuffisamment organisés pour vaincre un ennemi pour qui la fin justifie les moyens.

*"'* GEORGES RIGAUD, ROSSINI PIERRE-LOUIS, ANTONIO VIEUX et ETIENNE CHARLIER figurent parmi les premiers démocrates progressistes victimes du terrorisme duvaliériste. Chirurgien dentiste, Georges RIGAUD fut une personnalité politique bien connue en Haïti. Il participa activement à la fond ation du Parti Socialiste Populaire (1946-47) et aussi à celle de l'Alliance Démocratique d'Haïti. Arrêté au début de 1958 et torturé pendant des jours, le docteur Georges Rigaud fut transféré de pri son en prison dans tout le pays. Conduit sur la frontière dominicaine par la police pol itique qui simulait une évasion pour l'abattre. il fut en fin de compte assassiné en prison. Ex-militant du Parti Socialiste Populaire, Rossini PIERRELOUIS fut député de 1946 à 1954. Avec le populiste Daniel Fignolé, il mena à la Chambre des Députés l'opposition au gouvernement de Magloire. En 1956-1957, il milita dans l'Al liance Démocratique. Arrêté à son domicile à la fin de 1957, on n'eut jamais plus de ses nouvelles. Antonio VIEUX est un vétéran militant socialiste des années 1930. Poète, écrivain, homme politique connu, JI fut aussi membre du Parti Socialiste Populaire. Directeur d'une importante maison d'édition et d'une librairie à Portau-Prince, il fu t assassiné sur l'ordre de Duvalier sous prétexte qu'il mettait ses machines à la disposition des révolutionnaires pour l'impression de tracts ct autres littératures de gauche.

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Etienne CHARLIER fut le fondateur et un des principaux dirigeants du Parti Social iste Populaire. Avocat. écrivain , auteur d'un lumineux Aperçu sur la formation de la Nation haïtienne. Persécuté par la police duvaliériste depuis 1957, il dut vivre dans le maquis, dans des conditions qui ruinèrent sa santé. Quand, miné par la maladie. il dut quitter le maquis pour aller se taire soigner, i l mourut en pleine rue de Portau-Prince.

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JACQUES STEPHEN ALEXIS. CHARLES ADRIEN GEORGES, MAX MONROE, GUY BELlARD, HUBERT DUPUIS-NOUILLE. (17 avril 1961). • Ils étaient les premiers exilés haïtiens à fouler le sol sacré de la Patrie profanée par Duvalier. Dans leur groupe. exemple vivant de 1'unité patriotique, marchaient côte à côte, Dupuis-Noui llé le mulâtre, Jacques Alexis le noir, Jacques Alexis le communiste, Max Monroe le catholique fervent, Guy Béliard l'ancien déjoiste, Charles Adrien Georges l'ancien fignolisant, le militant ouvri er exalté et pur.. . • Il s avaient mis de côté tout ce qui pouvait les diviser... et recherchaient ce qui pouvaient les unir. Ils avaient trouvé cette cause commune : lutter contre la dictature sanguinaire de Doc. contre les exactions des tontons macoutes. les viols, le pillage; lutter pour la restauration des libertés publiques en Haïti. .. • Leur frêle esqulf avait affronté des centaines de kilomètres en haute mer. Il avait défié la furie des flots et de l'orage; guidé par la boussole de la détermination il avait conduit ses occupants sur les côtes d'Haïti, sur le terrain de bataille. Mais un bateau de guerre de la marine des Etats-Unis avait signalé à Duval ier le passage de cette embarcation et les macoutes embusqués sur les côtes du Nord-Ouest cueillaient ces cinq valeureux avant qu'ils puissent prendre pied sur cette terre d'Haïti où ils voulaient allumer la torche de l'insurrection. « 0 Chevaliers de J'espérance!. .. Votre geste ne restera pas inconnu. votre nom tombé dans l'oubli. Le peuple haïtien devait savoir le nom de ces cinq braves qui disparurent quelque part dans le Nord-Ouest... sans jamais être jugés , vilement torturés, vilement liquidés par des Daniel Beauvoir et autres sicaires à la solde de Duvalier ... •

(Extrait de • Ralliement •, organe du Mouvement Pour la Délivrance d'Haïti) .

Dans la lutte cent fois réprimée mais cent fois renaissante du peuple haïtien pour se débarrasser du • papadocquisme •. le groupe des treize de .. Jeune Haït i " qui tinrent tête pendant trois mois en 1964 à la soldatesque duvaliériste. mér ite une mention spéciale. Du journal Ralliement (novembre-décembre 19641. qui devint l'organe de la branche extérieure d'un front démocratique unifié haïtien, nous extrayons les lignes suivantes sur le geste héroïque de ces jeunes combattants :

pour livrer un combat d'une autre dimension que le vôtre. Nous extirperons les racines du mal en anéant issant le régime socio-économique qui a accouché du monstre Duvalier. Et l'Haïti que nous construirons sera encore plus belle que celle dont vous avez rêvé. Une Haïti jeune, purgée de la corruption et du crime, une Haïti souveraine, délivrée des tontons macoutes et des Oncles Sam, une Haïti vigoureuse où chacur:1 trouvera du pain et de l'instruction, une Haïti heureuse : celle de demain .•

• Ils sont to,bés les treize hérol'ques gars de Jeune Haïti dans une lutte inégale contre les forces de la tyrannie. Ils ont fécondé le sol de la patrie de leur sang généreux et fougueux. Ouelles qu 'aient été leurs erreurs, quelles qu'aient été leurs divergences avec nous, nous ne saurions ne pas reconnaître leur hérol'sme et rendre hommage au sacrifice qu 'ils ont fait de leur vie.

Les deux derniers survivants des Treize. Marcel NUMA et Louis DROUIN Jr, tombés entre les pattes du tyran et exécutés en grand gala à Port-au-Prince, affrontèrent la mort courageusement le 12 novembre 1964.

• Ils n'avaient pas t rente ans. i ls s'appelaient GERALD BR IERE, GUSLE VILDROUIN , ROLAND RIGAUD, REGINALD JOURDAN, JACQUES WADESTRAN DT, MAX et JACQUES ARMAND. YVAN LARAOUE, CHARLES HENR I FORBI N. M IRKO CHANDLER, LOUIS DROUIN, MARCEL NUMA, JEAN GERDES.

- Madame ANTOINE BERNARD . . Elle avait été arrêtée comme ot age à la place de son f ils de 20 ans, étudiant à l'Ecole Normale Supérieure et militan t du P.P.L.N. Elle mourut dans la salle de torture du palais présidentiel au cours d'un interrogatoire dirigé par le bourreau Jean Tassy.

• Leurs noms viennent s'ajouter à la liste de centaines de patriotes haïtiens, étudiants, ouvriers, paysans, catholiques. communistes, qui sont tombés dans la lutte. peut-être avec moins d'éclat, mais dans le même élan patriotique contre la dictature duvaliérienne.

- LHERJSSON DORVAL. Paysan de la Croix-des-Bouquets. Père d'un militant du P.E.P. Roberson Dorval, il fut arrêté le 25 mai 1965 et torturé jusqu'à la mort dans les Casernes de la Croix-des-Bouquets.

• Ils auraient pu, comme tant d'autres vivant à l'étranger. mener une vie tranquille, gagner de l'argent, rouler en belle voi ture, oublier le sort misérable fa it à la patrie par la sanglante sat rapie de Doc. • Non 1 Ils ont choisi le chemin de la lutte. i ls avaient rêvé d'une Haïti délivrée du cauchemar des tontons macau· tes, d'où la corrupt ion administrative serait bannie. où les femmes ne seraient plus violées par la police politique. où les enfants ne seraient plus égorgés. où les hommes vivraient sans la menace constante de la prison, de l'assassinat, de l'exil. Pour ces Idéaux, ces • petits mulâtres • - comme les ont appelés les duvaliéristes - ont débarqué les armes à la main sur les côtes d'Haïti , se coupant volontairement toute retraite, décidés à vaincre ou périr. Avec leurs vêtements en loques, • réduits à se nourrir de racines cru es • , ils ont lutt é jusqu'à leur dernière balle, montrant ainsi, une fols de plus, que le peuple haïtien jamais ne se laissera • zombifier •. • Sans doute leur conception de la démocratie était bien étriquée. Leur compréhension du moment historique haïtien et de la façon de transformer le réel national était trop limitée. Sans doute ils s'étaient faits bien des illusions sur l'intention des Américains d'aider au renversement de Duvalier. Ils ont dû le comprendre. peut-être un peu tard. quand les avions • made in USA • les bombardèrent implacablement dans les mornes de Dame-Marie. Sans doute ces malheureux jeunes gens ne comptèrent pas assez sur la capaci té révolutionn ai re des masses haïtiennes, et crurent que le courage d'une poignée d'hommes suffirait à mett re en marche le moteur de l'histoire ... • lis ont donné cependant le meilleur d'eux-mêmes : ils ont donné leur vie. cette vie précieuse dont on ne dispose qu'uno foie.

• Héroïques patriotes de • Jeune Haïti •. votre sang n'aura pas coulé en vain. Vous aurez été les pionniers d'une grande bataille, une bataille qui dépassera celle que vous avez menée. Oui, suivant l'exemple de votre sacrifice, de votre a\1dace, d'a'utres jetmes comme vous en1:r'eront dans la lice,

.

..•

• Les frères Fred et Renne! BAPTISTE ont commencé la lutte en 1959, quand à la tête d'un groupe de jeunes lycéens, ils attaquèrent l'aéroport de Jacmel. Déjoistes lors. ils évoluèrent depuis , sur le plan politique et idéologique. Réfugiés en République Dominicaine. ils organisèrent en août 1964, une expédition militaire contre le régime de Papa Doc. L'expédition comptait une vingtaine d'hommes. Cette guérilla subsista durant plus de deux mois dans les montagnes du Sud-Ouest. Ils durent se replier en République Dominicaine. Au cours d'un accrochage, Fred eut une jambe cassée. Ses compagnons et lui furent internés dans un camp de concentration de l'armée dominicaine. Ils combattirent contre l'intervention américaine en avril 1965, cela amplifia leur vision combattante au delà de l 'horizon anti-duval iériste : ils commencèrent à comprendre le rôle et la complicité de l'impérialisme dans le maintien des dictatures anti-populaires. Fred et Rennel furent expulsés de Saint-Domingue. Ils vécurent quelque temps à Paris. à Bruxelles. obsédés par le désir du retour sur le champ de bataille. En 1969. les voilà de retour à Saint-Domingue clandestinement. Ils connurent à nouveau la prison. Dans les premiers jours de 1970, à la tête d'une dizaine de patriotes ils foulèrent le sol de la patrie le fusil à la main. Les deux frères Baptlte se sont retrouvés dans les salles de tortures et de mort liés par leur grand amour fraternel, par leur passion du pays natal. par leur haine commune contre les Tontons Macoutcs.

...•

VI -

COMBATTANTS DE LA NOUVELLE INDEPENDANCE

Le duvaliérisme s'est révélé l'ennemi implacable de la nation haïtienne. Il s'est abattu sur notre pays comme un envahisseur étranger .. semant la mort, la destruction, le désespoir, soulevant la résistance des patriotes contre ses exactions. Des hommes de toutes les couches sociales. de

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tous les secteurs politiques, de toutes les écoles de pensée, sont tombés sous les coups de l'appareil répressif duvaliériste. Dans J'éventail des combattants victimes du duval iérisme. le secteur pol itique qui a payé le plus lourd tribut. mais qui demeure inébranlablement l'ennemi le plus acharné de cette dictature rétrograde, est le secteur des patriotes engagés dans la lutte pour détruire les structures néo-coloniales et lancer Haïti de manière irréversible dans la voie de la Nouvelle Indépendance. sous l'inspiration des idées du socialisme scientifique. Marxistes ou marxisants des premiers temps des idées socialistes en Haïti. dans le sillage de Jacques Roumain et de Christian Beaulieu. Vieux militants qui avaient commencé à organiser la lutte active de la gauche en Haïti. Activistes des années 1956-1957, c'est-à-dire de l 'époque de l'ascension au pouvoir de la bande à Duvalier. Jeunes révolutionnaires fougueux. enflammés par l'exemple de la révolut ion cubaine, partisans intraitables de la révolution à la chinoise, communistes qui ont assimilé les leçons de la révolution russe et saisi la signif ication théorique et pratique de l'essor prodigieux de l'Union Soviétique. Militants disciplinés, forgés dans les rangs du P.P.LN., du P.E.P., du P.U.D.A. qu i se sont unifiés pour former en f in de compte Je P.U.C.H. (Parti Unifié des Communistes Haitiens). Tou s, jeunes et moins jeunes, lutteurs intrépides. révoltés par l'exploitation de l'homme par l'homme. par l'oppression de l'Haïtien au moyen d'autres Haïtiens, et déterminés à y mettre f in.

courageusement, en pleine jeunesse. sans donner aucune information à l'ennemi. Gérard Souffrant a été J'un des premiers mi 1itants communistes victimes de la barbarie duvaliériste.

"' ** - JACQUES STEPHEN ALEXIS Neurologue, fondateur et Secrétaire-général du Parti d'Entente Populaire. Romancier de reno mmée internationale, Jacques Stephen Alexis annonçait dans son dernier ouvrage publié à Paris, la parution

Face à l'image dégradante que le duvaliérisme donne aujourd'hui et depuis quinze ans d'un petit peuple outragé mais f ier et courageux, ces PION IERS DE LA NOUVELLE INDEPENDANCE. ces HEROS DE LA CAUSE DU SOCIA· liSME. et ceux qui poursuivent la lutte sur leur lancée, repré· sen tent l'honneur haïtien. L'un de ces pionniers et martyrs, Je romancier Jacques Stephen A lexis n'a·t·il pas écri t : • Les la belle saison ._ peuples sont des arbres. Ils f leurissent

a

Des centaines de militants anonymes sont tombés dans les montagnes, dans les plaines, dans les rues. Dans les salles de torture et les cachots des prisons. L'Histoire retrouvera et les générations futures glorifieront les noms de ces militants clandestins qui on versé leur sang, pour la cause du Socialisme, du Communisme. Dès maintenant, nous présentons ici suivant un ordre chronologique, ceux de ces héros et pionniers. un petit nombre, dont les noms sont connus soit parce qu'en raison de leur apport capital à la lutte le mouvement révoluti onnaire a tenu à saluer leur mémoire aussitôt après leur mort, soit parce que leurs conditions et genre de vie n'ont pas perm is que leur disparition passe inaperçue. soit parce que le gouvernement a tiré gloriole de leur mort. En somme, cette galerie incomplète est en même temps une sorte de chronologie de la résistance patriotique haïtienne. 1961

- GERARD SOUFFRANT Membre du P.P.L.N. a surtout m ilité dans les associations de jeunesse (Rassemblement des Associations de Jeunesse d'Haïti) et dans l'Union Natio· nale des Maitres de l'Enseignement Secondaire. Professeur de Latin, il fut d'abord arrêté en décembre 1960, au cours de IR grève des étudiants. Libéré, il fut à nouveau emprisonné quelques jOU I'S plus lard (début 1961) à la suite d'une dénonciation du traître F. Hyppollte. Sauvagement torturé pour l'obliger à livrer les camarades de son Parti, il meurt

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A gauche, Jacques-Stephen ALEX IS ; au centre, J ean-Paul DESTOUCHES ; à droite, David LAINE. en visite à Pékin. de trois autres ouvrages : un roman, L'Eglantine, et :deux essais, Le Réalisme merveilleux des haïtiens et Chine mira· culeuse. Jacques "Soleil • fut arrêté le 22 avril 1961 ' ·ilah's le Nord-Ouest d'Haïti alors qu'i l essayait de rentrer illégalement dans le pays. Soumis à la torture, ses bourreaux lui arrachèrent un œil, et il fut froidement assassiné à l'âge de 39 ans. - CHARLES ADRIEN GEORGES Militant révolution naire depuis 1946. Il a contribué à la constitution de plusieurs syndicats. Membre fondateur du P.E.P. et membre du Comité Central de ce Parti. il a été assassiné le 22 avril 1961 après avoir été capturé avec Jacques Stephen Alexis. - DAVID LAINE Leader paysan de la zone de Sourcoser la moindre résistance à leurs assassins. Adrien Sansaricq et ses autres camarades assiégés dans une maison située sur l'une des hautes collines qui dominent Port-au-Prince, résistèrent, eux, jusqu'à. la mort et infligèrent des pertes aux assaillants. Adrien Sansaricq était né en 1937 à Jérémie, petite vi lle de la côte sud, qui comme toutes les petites villes de Haïti (Cap· Haïtien, Jacmel, Les Cayes, Gonaives, Saint-Marc) , connaît sous Duvalier une lente agonie socio-économique. La famille Sansaricq, bien qu'appartenant à la couche la moins deshé· ritée de la ville, n'était pas pour autant à l'abri des horribles

(1) • Eponge imbibée de sang . »

(2)

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u

Qui va presser l'éponge, l'insatiable éponge?»

fins de mois qui assiègent 95 % des foyers haïtiens. J'ai su d'Adrien lui-même au milieu de quelles difficultés Il parvint en Haïti à terminer ses étud es. A la fin de ses cours secon· claires, une bourse lui permit d'aller entreprendre des études médicales au Mexique. Ce séjour au Mexique marqua un tournant. Il chercha une explication de la t ragéd ie haïtienne. Il connut à Mexico plusieurs aut res jeunes Haïtiens qui avaient déjà atteint un plus haut degré de maturité politique. En 1960 Adrien Sansaricq adhéra au Parti de 1'Entente Po pu· laire, créé en Haïti un an plus tôt et qui comptait parmi ses fondateurs le grand romancier Jacques Stephen Alexis, qui, lui aussi, au mois d'avril 1961, alors qu'il essayait d'entrer clandestinement dans le pays pour une mission révolutionnaire bien déterminée, fut fait prisonnier et assassiné avec les camarades qui l'accompagnaient, au bout de toutes sortes de tortures médiévales. Un autre fait eut une influence décisive sur Adrien SansaricQ : la révo lution cubaine. Car il décida de terminer ses études médicales à La Havane où il se spécialisa dans la pédiatrie. ' Un jour, un énorme malheur s'abatt it sur lui : la nouvelle nous parvint de Haïti que toute sa · fa mi ile avait été massa· crée par Duvalier, sans aucune raison, comme un geste barbare de vengeance de la tribu duvaliériste sur la foi d'un faux bruit qui laissait croire qu'Adrien et son jeune frère, qui se trouvaient alors à Mexico, faisaient partie d'un groupe armé qui venait de débarquer non loin de la ville natale de Sansaricq. Je revois le visage éperdu qu'il tourna vers moi, alors que, peu à peu, j'essayais de lui faire entendre que non seulement son père, sa mère, avaient été massacrés, mais tout 1{) reste de sa famille. Sur le moment la seule question qu'il me fit était la suivante : -

Les enfants aussi ont péri ?

-

Les enfants aussi, Adrien.

Au bout d'un long silence qui s'établit entre nous, il me dit: - • Une vengeance personnelle n'aurait aucun sens. Le peuple haïtien les vengera, eux et tous les autres. Non une vendetta, mais la révolution. • C'est sans doute dans cette circonstance ce qu'il fa llai t dire. La résolution qu'il avait déjà prise, avant même le drame de sa famille, se changea en granit: participer à la lutte armée en Haïti. Un jour, il partit pour la province d'Oriente faire son service de médecine rurale. Puis il revint travailler dans un hôpital de La Havane. Il continuait son travail de médecin tout en attendant 1~:: rnornent de regagner llaïti. Ce moment arriva. Avec la discrétion de toujours, le même sourire un peu t ri ste, la même camaraderie chaleureuse, il prit congé de ses nombreux amis. Il alla sans bruit occuper te poste qui lui revenait, dans la clandestinité , dans un des pays les plus opprimés du "Tiers monde • . Il contribua de toutes ses forces à l'unification du mouvement révolutionnaire haïtien. Selon les nouvelles de Haïti. il s'est battu comme un lion, car, comme il disait lui-même. ce n'est pas une vendetta qui le vengera, mais une révolution, celle qui a commencé dans nos montagnes. Dans un pays où, après Jacques Roumain, J.-J. Ambroise, surgissent des hommes comme Adrien Sansarlcq, la liberté retrouvera un jour ses droits. RENE DEPESTRE

Arnold DEVILME Evoquer le souvenir d'Arnold Dévilmé. ce remarquab le militant du Parti Unifié des Communistes Haïtiens, c'est signaler en tout premier lieu sa simplicité, sa cordial ité et son grand esprit de sacrifice. Ce sont sans doute des traits de personnalité que nous pouvons retrouver chez beaucoup de nos camarades tombés dans la lutte contre la dictature duvaliériste. Mais que l'on ne s'empresse pas d'affirmer qu 'il s'agit là de lieux communs. Au contraire, cela prouve la maturité acquise par le mouvement révolutionnaire haïtien qui a su forger, dans une lutte quotidienne sans merci, chez plus d'un des traits de personnalité communiste, caractérisée avant tout par une totale modestie et un dévouement illimité au service de la cause de libération du peuple. Et ces traits nouveaux du militant communiste haïtien tranchent nettement avec l'égoïsme, la vieille présomption d'homme-sauveur, le paternalisme, le vil opportunisme de tous les politiciens réactionnaires qui défendent les structures arriérées et oppressives du système semi-colonial et semi· féodal en vigueur. Arnold Dévilmé appartient à une très humble et très honnête famille d'un des quartiers populaires de Pétion· Ville. Une de ces nombreuses familles de chez nous , à faibles revenus. qui v ivent dans des conditions matérielles extrêmement dificiles et qui peinent quotidiennement jusqu'au bout pour assurer l'instruction des enfants. Question d'honneur mais aussi tout un espoir de voir un jour changer la situation avec le fils ou la fille qui réussit. C'est déjà toute une école de solidarité humaine au niveau de la fam ill e et parfois de tout un quartier. Arnold n'a pas démérité de ses parents. Il achève ses études secondaires mais ne peut, faute de moyens matériels. entrer à l'Université. Le camarade Hannibal (c'était pendant longtemps son pseudonyme dans le Parti Populaire de Libération Nationale) a été recommandé à Jules Saint-Anne (Ti Boss) par un ouvrier qui militait avec ce dernier. Et c'est ainsi que, dans l'année 1958, il vient au mouvement communiste. Voilà un fait extrêmement rare dans notre pays où la plupart des intellectuels, très sensibles à maintenir une grande distance sociale entre eux et les masses populaires, se caractérisent par leur vanité d'esprit, leur pédantisme outrancier et leur mépris pour le peuple travailleur. C'est sans conteste un témoignage de la grande ouverture d'esprit, de l'honnêteté et de la modestie du camarade qui pendant cette époque enseignait dans un établ issement privé de Port-au-Prince, au Collège Simon Bolivar. Je le rencontre pour la première fois en 1959 dans le cadre d'une activité du Parti Populaire de Libération Nationale. A partir de 1960, malgré les faibles moyens pécuniaires de sa famille, il s'adonne presque totalement à la politique mill· tante. Pour tenir le coup, il donne à temps partiel des leçons particulières à son domicile. Cela lui permet juste à peine de subvenir à ses besoins immédiats. Tout le reste de son temps. il le dédie au travail révolutionnaire. Mes contacts régu liers avec lui datent de 1961 alors qu'il dirigeait l'importante organisation régiona le Danton (PétionVill e) et qu'il était un des membres importants du groupe chargé de l'impression des publications du Comité Central du P.P.L.N.

Passionné de son travail de mi litant révo-lutionnaire, il donne le meilleur de lui-même à la direction de l'organisa· tion régionale Danton. Il accorde une grande importance à la mobilisation politique des masses et oriente systématiquement les camarades de la région vers l'extension de l'influence du Parti Populaire de Libération Nationale dans les milieux de travailleurs des zones avoisinantes de Pétion-Ville. Très souvent. il va lui-même dans les sections éloignées pour impulser le travail de l'organisation. Quand en 1963 il devient membre du Comité Central du P.P.LN., il se signalait. outre son dévouement sans limite. par son grand sens du travail clandestin. sa vaste connaissance de sa zone d'activité et ses multiples et solides liaisons populaires. Sa précieuse connaissance du langage des masses et son talent pédagogique furent très utiles à la commission centrale d'orientation des écoles du P.P.LN. où il travailla en tant que membre du Comité Central de ce Parti. De plus, il était un de ces camarades auxquels on s'adressait en toute confiance quand on avait besoin d'un endroit sûr pour les réunions importantes. Au cours de l'année 1964 , j'ai eu l 'occasion de vivre pendant près de trois mois en compagnie quotidienne d'Arnold Dévilmé. J'ai pu me rendre compte de ses nombreuses diffi· cuités matérielles et constater aussi combien sa santé était délicate. Il souffrait d'un ulcère chronique mais ne disposait pas de moyens suffisants pour se fai re soigner et suivre un régime alimentaire régulier. C'étaient des camarades qui de temps à autre l'aidaient. Et pourtant rarissimes étaient les moments où cela altérait son optimisme et sa bonne humeur. Parfois je le voyais supporter d'atroces douleurs et exécuter en même temps ses tâches révolutionnaires. Je me souviens qu'à cette même époque il aurait pu aller s'installer aux Etats-Unis d'Amérique du Nord. Dans la crise économique et politique actuelle de notre société. travailler à l'étranger et surtout aux U.S.A. représente pour plus d'un le moyen idéal de sort ir de la misère et d'échapper à la terreur duvaliériste. Arnold, comme bon nombre d'autres patriotes refusa cette solution • miracle •. Après la répression qui frappa le P.P.L.N. en 1965, il accède avec Jules Saint-Anne, Thomas Charles et d'autres camarades aux principaux postes de direction de ce Parti. Dans ces moments diffici les, il développe considérablement toutes ses capacités et se révèle un remarquable dirigeant à la hauteur des nouvelles responsab ilités qu'il assume. Tous ceux qui J'ont connu à cette époque signalent avec quelle totale abnégation, quel profond esprit de compréhension, quel exemplaire souci de l'unité il s'attèle à la tâche de réorganisation du P.P.L.N. et de préparation de la lutte populaire armée. Aux négociations pour 1'unification des deux organisations révo lutionnaires et la constitution du Parti Unifié des Communistes Haïtiens. sa contribution est des plus importantes. Ni J'aggravation de la répression, ni les immenses difficultés matérielles. rien n'ébranle sa détermination de lutter jusqu'au bout. En janvier 1969, il devient Secrétaire général adjoint du P.U.C.H. Activement . recherché pend!lnt près de deux ans par les forces répressives, son sens de la clandestinité, sa vigilance constante, ses profondes liaisons populaires lvi

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permettent en d'innombrables occasions de mettre en échec les manœuvres de l'ennemi. Au mols de mai de la même année, pendant la grande chasse anti-communiste, il tombe blessé aux mains des tontons-macou tes, après une longue résistance. Depuis, la dictature duvallériste n'a jamais informé sur son sort. Dans un de ses derniers messages adressés à une organisation du Parti. il écrivait : • Tu diras aux camarades de la Section X ... que J'avant· garde révolutionnaire s'est constituée et renforce jour après jour ses têtes de pont dans les masses populaires. Expliqueleur que nous avons besoin de la collaboration de tous les patriotes. de leur idées. de leur courage, de leurs bras.

Les conditions de lutte sont dures, très dures et à tout moment, nous autres militants clandestins surtout. nous pouvons tomber sous les coups de l'ennemi, mais cela n'a pas grande importance. Notre vie, nous l'avons déjà donnée à la révo lution et puis. je suis certain si je tombe qu'un autre me remplacera. La révolution· haïtienne est en marche. La victoire est certaine •. ( llré de • Visages de la Résistance •l . Arnold Dévilmé fait honneur à tous les patriotes et communistes haïtiens. Au cours de ses 11 années d'activité militante. il nous donne un précieux exemple d'une vie digne et intégralement révolutionnaire.

JEAN GERARD

Jacques JEANNOT Sur les rochers des îles Bahamas. Témoignage d'un compagnon de lutte du militant révol utionnaire. Pour répéter un mot du camarade Jacques Jeannot : • La mort n'est pas vraie quand l'œuvre a été bien accomplie. • Je me souviens aussi et avec netteté des paroles que le camarade m'a dites au moment de sa déportation, il y a deux ans : • ( ... ) Je temps viendra où je partirai accomplir mon devoir de révo lutionnaire et de soldat. Si je tombe en homme, faisant mon devoir de patriote ( ... ), continue à marcher sur mes traces. non pour me venger, mais pour faire triompher nos idées. ( ... ) •

Il va y avoir de cela quatre ans. Dès mon arrivée aux iles Bahamas, je devais établir des relations avec un jeune homme réellement mûr pour la cause. Le camarade et mol avons parlé pendant plusieurs heures des difficultés et des perspectives du travail. Cette conversation a pu avoir lieu grâce au travail déjà effectué par le camarade Jeannot. Il ressortait de l'entretien que l'œuvre ne saurait être réalisée que par étapes. On devait tenir compte des contingences de toutes sortes. Mais par où commencer ? Cette question. tout camarade, si mûr soit-il, doit se la poser au départ. En cela, le camarade Jeannot n'a pas eu d'égal. Malgré les difficultés, il poussa son audace jusqu'à mettre en place. à la barbe des yankees. un foyer révolutionnaire. C'est qu'il ne se souciait nullement de sa personne. En toute lucidité. Il avait choisi de marcher contre la papadocratie. La mort l'a trouvé agissant à plein rendement, empoignant durement le fusil que la défense de la cause la plus noble avait mis entre ses mains. J'ai encore à l'esprit les termes qu'il employait au cours des discussions qu'il a eu à soutenir avec les patrons d'une compagnie. Il revendiquait pour les travailleurs de différentes nations. en particulier des haïtiens. une augmentation de salaire. une amélioration de leur condition et une diminution des heures de travail. Il n'hésita pas un instant à faire triompher ses idées et eut la sympathie du personnel qui lui voua toujours une réelle amitié. J'ai touché du doigt l'attitude révolutionnaire du camarade, sa compréhension profonde de la portée économique. sociale et culturelle de la lutte pour le socialisme. Je fréquentais quotidiennement le camarade Jeannot et les discussions Indispensables que nous avons eues au sujet des dispositions à prendre et des directives à suivre nous obligèrent parfois à passer des nuits ensemble dans sa propre maison. De ces discussions sortirent toujours des réflexions logiques quant à la bonne marche de la lutte révolutionnaire. à la formation appropriée et à grande échelle de militants convaincus capables de répondre présent au cas où un appel serait lancé, capables de renforcer les forces de l'intérieur. pour assurer la réussite du mouvement de masse.

Jacques JEANN01.'.

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Entre temps, la GIA, à laquelle se joignait la CID et quel· ques mercenaires haïtiens, commençait à réprimer l'actl· vlsme des militants de gauche et de droite. Le sol tendait

donc à devenir mouvant sous nos pieds. Après l'échec de la première tentative d'invasion des politiciens de droite de la Coalition dite haïtienne, les mesures répressives s'abattirent sur les haïtiens et elles ne tardèrent pas à emporter dans leurs fureurs les meilleurs éléments de la lutte à Freeport. pour ainsi dire les véritables pionniers. Le camarade Jacques Jeannot ne fut pas épargné et fut arrêté avec 2 autres camarades. 3 jours auparavant. il me pariait des possibilités d'une arrestation massive. Au commissariat de police de Freeport, if me parla en ces termes : • La réaction nous a porté un coup ( ... ) La lutte requiert des hommes de trempe, la moisson est grande,

nous devons multiplier le nombre d'ouvriers dans nos rangs : que les difficultés ne soient pas pour toi une cause de découragement, mais plutôt un stimulant pour te raffermir •. Des rapports venant de l'intérieur nous informaient que la réaction avait assassiné bon nombre de nos militants. dont le camarade Jeannot. Je dois souligner en passant que l'assassinat du camarade Jacques Jeannot avait provoqué ou renforcé la haine contre Duvalier et l'impérialisme, même dans certains milieux réactionnaires. Il n'y eut pas un seul des hommes qui l'avaient connu à Freeport qui ne pleurât sa mort. TONBE DJOCO

Niclerc CASSEUS Il est des camarades dont on était si proche à la fois de cœur et d'esprit qu'on éprouve de la peine à les concevoir morts. C'est le cas du camarade Niclerc Casséus dont le nom de combat était Electric. Je l'ai rencontré alors qu'il remplissait la fonction d'agent de liaison d'une section du Parti d'Entente Populaire. La direction du P.E.P. n'a jamais manqué de signaler la régularité irréprochable de ce camarade dans ses activités. Toujours à temps, les textes et documents du parti étalent expédils à leurs destinataires avec un camouflage réalisé d'une manière vraiment extraordinaire. Un esprit de discipline exemplaire, un amour profond du travail révolutionnaire imprégnaient les démarches quodi· diennes d'Eiectric. Il s'efforçait toujours de mettre en application les mots d'ordre et directives du P.E.P. En 1965, Electrlc fut appelé à la direction du Comité dont Il avait été antérieurement l'agent de liaison. A ce nouveau poste, il s'est jeté à corps perdu dans un travail de mobilisation de la section, de formation de ses membres à la lutte légale et illégale. L'une de ses activités légales qui retint le plus mon attention fut la conférence sur la cérémonie du Bols Caïman, qu'il prononça à l'Etoile Caraïbes à Port-au-Prince. Ce qui eut pour résultat. j'ai pu le constater moi-même, de permettre à nombre de jeunes gens et de jeunes filles de ce club de se faire une nouvelle conception de leur place et de leur rôle dans notre société. Elctric ne

recherchait ni la gloire ni les honneurs. Son unique préoccupation était de trouver les moyens les plus efficaces. permettant de désiller les yeux des masses populaires. Electric était un camarade remp li d'avenir pour le P.U.C.H. et pour le mouvement révolutionnaire : il s'adonnait corps et âme aux activités politiques. ne s'en tenant pas aux mesquineries et aux stérilités de la vie petite-bourgeoise. Il voulait toujours s'identifier aux masses pour lesquelles. en fin de compte, il a donné sa vie héroïquement en avril 1969. Par sa vie, il a prouvé sa conviction révolutionnaire aux philistins de tous poils. aux carriéristes, aux aigris, qui, pour des mesquineries individuelles, s'apprêtent à jeter leur bave puante sur l'honneur et le prestige de ce noble fils du peuple. tombé vaillamment, faisant son devoir face à l'ennemi. L'œuvre et l'expérience de Niclerc Casséus, comme celle de tant d'autres camarades. constituent à jamais des pièces à conviction de l'effort de notre Parti. le Parti Unifié des Communistes Haïtiens (P.U.C.H), qui, pourtant , évolue sur une voie escarpée et parsemée d'embûches pour développer l'esprit d'initiative et de création de ses membres. Le nom d'Eiectric, désormais symbole d'abnégation et de cœur, sera inscrit dans les annales des martyrs de la Résistance populaire haïtienne pour la Nouvelle Indépendance et le Socialisme. VIRGILE HECTOR

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Raymond JEAN-FRANÇOIS RAYMOND JEAN-FRANÇOIS UN NOM POUR L'HISTOIRE Le 2 juillet 1969, tomba assassiné par les sbires de Qu· valier un héroïque révo lutionnaire haïtien : le camarade Raymond Jean-François. Il est né à Port-au-Prince en 1942. fils d'un ancien mar· chand ambulant. Son père souffrit d'un accident de travail qui le laissa infirme. La famille dut subsister avec le maiÇjre salaire d'infirmière de la mère, jusqu'à ce que le père put commencer à travailler comme boulanger.

de la Jeunesse Populaire d'Haïti, organisation politique des secteurs révolutionnaires juvéniles, sous la direction du Parti d'Entente Populaire. Il joua un rôle très actif dans la préparation de la grève générale lancée par l'Union Natlo· nale des Etudiants Haïtiens, pour exiger de Duvalier la libé· ration de Joseph Roney et de 12 autres camarades détenus arbitrai re ment. En janvier 1960. il faisait parti de la direction de la Ligue. Ses re lations avec Jacques Alexis et son initiative dans le travail pratique d'organisation des masses révolutionnaires, et sa dévotion pour la cause populaire et pour le Parti, son courage. sa fidé lité aux principes et sa vision politique furent les causes de son élection à la direction du Parti en 1960, après la mort de plusieurs dirigeants, tombés sous l'impla· cable répression (il avait 18 ans). En 1961. alors qu'il suivait des cours à l'Ecole Normale Supérieure il fut arrêté. Simultanément on arrêtait ses pa· rents. Il passa 3 mois en prison sans jugement. Il fut horri· blement torturé, mais ne livra pas un seul secret du Parti. Au cours des • interrogatoires • il eut le bras cassé. Aucun soin médical ne lui fut prodigué. Seule une menace de grève totale des Etudiants de l'Ecole Normale Supérieure, obligea le gouvernement à le libérer, étant donné que les accusations dont on le chargeait, étalent sans fondements. Raymond dut abandonner Je pays, la même année. Il se livra à la lecture et à l'étude. Avec ardeur. il essaya de comprendre les problèmes théo· riques de la Révolution. Il publia une série d'articles. principalement sur les méthodes d• 'organisation •, d'une valeur inestimable pour le Parti. Mais Raymond n'était pas fait pour l'exil : en 1964, il retourna clandestinement au pays et fut élu secrétaire du Comité Central. Son dévouement inconditionnel, sa dévotion totale au Parti, son esprit d'abnégation et sa lutte intransi· geante pour la défense des principes. provoquèrent le res· pect et l'affection de ses camarades. Mais ceci fit de lui la proie la plus recherchée des armes assassines des troupes duval iéristes. Reconnu par une pa· trouille dans les rues de Cap-Haïtien, il fut encerclé et criblé de balles. Raymond Jean-François était né en 1942. A partir du 1'Histoire d'Haïti, à la gloire de la Révolution anti-impérialiste et à la lutte h~roïque des peuples ratino-américains pour la liberté. (T.P.) 2 jui Il et 1969, son nom appartient à

Raymon(l JEAN-FRANÇOIS. un an avant son assassinat. Raymond fit ses études primaires dans une école re li· gieuse. et passa ensuite au Lycée Pétion. Dans le sein de J'Association des Etudiants du Lycée. il fit ses premières actions politiques, participant activement dans les combats pour abattre Je gouvernement militaire de Paul Magloire. Il fut l'un des dirigeants estudiantins de la grève et des mani· festations du t7 mai 1956. Il s'en est fallu de peu qu'il ne tombe alors victime des représailles de la police. Après l'arrivée de Duvalier au pouvoir, Raymond s'allia à la campagne lancée par Jacques Alexis (Fondateur du Parti d'Entente Populaire), pour une révolution démocratique, anti·féodale et antr-impérialiste. Il s'engagea dans la Ligue

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* ** Raymond Jean-François Il est difficile de parler d'un ami mort. Difficile d'en parler aux autres, car îl est évident qu'ils penseront que tout le bien qu'on en dit est dicté par l'amitié. De plus. il semble que [a mort, en frappant l 'homme, liquide en même temps ses défauts et ses tics, ses côtés anguleux et crispants. tout ce qui dans la vie pouvait , à un moment ou à un autre, le rendre déplaisant, antipathique ou pas commode. La mort élimine les tares pour ne laisser surnager que les qualités mettant en relief une image aimable, noble, exemplaire. du disparu. Raymond Jean-François était mon ami. Je l'ai rencontré dans les milieux de l'Intersyndicale et des étudiants de

l'Ecole Normale Supérieure. J'ai appris à le connaître et à l'apprécier au cours de nos discussions et de notre participation à une certaine forme de lutte de 1960 à 1963. Mon estime et mon affection n'ont fait que croître à la suite de l'incident qui, en 1963, nous a conduit dans les prisons du " Régénérateur •. Nous étions liés par une amitié axée sur une sympathie mutuelle, renforcée par une même fo i, dans le processus de transformation de la société haïtienne, par une croyance réfléchie dans la nécessité de la lutte. Raymond Jean-François est tombé les armes à la main au Cap-Haïtien. en défendant une idée qui, de plus en plus devient primordiale pour un nombre croissant d'Haïtiens : changer Haïti. Raymond Jean-François était mon ami. JI est mort. Je n'insisterai donc pac ici sur ses qualités; je ne parlerai point de son courage ni ne dirai sa droiture, son humanisme. Je voudrais que tous nous comprenions que nous sommes devenus comptables de sa mort et qu'elle nous appartient. C'est un héritage très lourd. Maintenant plus que jamais nous avons l'obligati on morale de poursuivre la lutte. De la mener sur tous les plans contre le régime de la papadocratie. Mener la lutte en nous-mêmes, chez: les autres, à tous les niveaux, dans nos foye rs, au sein de nos associations, sur les places publiques de J'eXil. et aussi e1 surtout sur le territoire national. Alors ce pour quoi Raymond Jean-François à fait le sacrifice de sa vie deviendra réal ité. Sa mort qu'il a placée dans nos mains, nous ne la trahirons pas. Son cercueil restera ouvert. MASSON

* ** LETTRE A MON CAMARADE RAYMOND JEAN-FRANÇOIS COMBATIANT HEROIOUE, TOMBE LE 2 JUI LLET 1969 SOUS LES BALLES DES ENNEMIS DE LA PATRIE. 0 paysage de diamant violenté de mains d'acide Source crist allisée par la rafa le Soleil écrasé dans l'œuf A insi donc c'est bien vrai Cette lettre tu ne la liras point la dernière d'une série échangée durant notre quête [d'hommes châti és à travers la pierraille de l'exil Fresco café trempés et crémas paté griots C'est en vain Camarade que j'épelle le fo lklore quotidien de mon peuple Otofoniq ti-piké boi lan nin Ti -Parisse A li-Baba a perdu la mémoire ne sait plus tourne en rond Ali-Baba désemparé Et toi aussi Raymond avec ton cœur nu amande Raymond-gisant Camarade pétrif ié sous l'hibiscus tu n'es plus que parfum de buis souffle vent du Nord toi aussi tu l'as perdu le sésame Ali-.BI'lba désintégré

J'ignore qui de nous deux devait des nouvelles à l'autre Nos messages parfois se croisaient en haute mer ou en plein ciel Nos monologues où il était question de Poésie, de la Lutte du Pays fracassé s'échangeaient au hasard de mes mouvements moi né sous le signe de la Tortue et de tes déplacements toi commis voyageur de la Révolution Il court i 1 court le furet Deux trous dans l'eau trois dans le sable Fleurit la neige Passent les épices Toutes les villes du monde se ressemb lent quand on a son pays dans la tête Oui est-ce qui passe ici si tard compagnons de la Marjolaine C'est la ronde des éteignoirs Sacristains et grands Prêtres officiants de la Loi et de l'Ordre réclament le prix du sang La balle-abeille ronronne La balle-abeille aveugle chercheuse la balle-abeille made ln USA butine ton miel J'ignore qui de nous deux devait une lettre à l'autre mais des nouvelles de toi me sont brutalement parvenues et qui ne prirent point le chemin habituel des nouvelles pleines de bruit et de fureur timbrées de deuil timbrées de sang 0 paysage de diamant violenté de mains d'acide Source cristallisée par la rafale Soleil écrasé dans l'œuf Eclatement Eclatement Eclatement du silence Lave de mots Rupture de toutes digues Les paroles font sauter canaux et syphons barrières et douanes pour dire la pierre de notre amitié Camarade Frère perpétuel voyageur en transit tu as pris le dernier train de mer 0 deux juillet féroce sous une lune basse Tressautement de l'abeille tapie dans les gouttières au coin de la Rue 5 Deux juillet de cuivre et de plomb La balle-abeille dans la fleur La balle-abeille dans le suc ronronne et rit elle rit elle rit elle rit et dit ta fin planétaire ta fin made in CfA Deux juillet de sang et de goudron Le réverbère qui vire au bleu La marée monte savon sur le sol dur Puis le reflux Le puits sous tes pas le puits buvatd sous ton corps le puits gobe la vie Deux juillet d'encre et de miel

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Ta compagne sidérée voutée veilleuse sous cloche ta compagne étoile de terre ombre close sous la lune referme ses bras de vivipare SLi r le fleuve qui tarit sur le f leuve qui tarit Deux juillet de cendre et d'étoupe L'amour était un rêve La vie était un rêve Fresco café crémas et liberté tout va à la dérive et chavire dans le petit matin deux juillet de lait tourné les amulettes ont passé la main les oiseaux ont passé la main les passagers du dernier train dans leur nuit d'aquarium ne rêvent pas ne peuvent pas Leurs volx égrènent feur réglisse Il pleut Il pleut sur le guano de nos ancêtres et nos statues de sel font des enfants de bronze 0 deux juillet féroce sous une lune basse deux juillet d'encre et de goudron deux juillet de sang et de miel Frère Camarade ta main armée parlait pour des milliers de bouches

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Avec mes mains d'exil chargées de tes 28 ans je resterai ta doublure verticale pleine de paroles et d'écritures Frère Camarade maintenant je le sais tu lis par dessus mon épaule car on ne tue pas la fleur à coups de mitrai llette le blé fauché renaît en pain S'Ils ont volé ta vie ta mort nous reste et c'est à partir d'elle que j'écris la légende des hommes de granit et des femmes de marbre qui naissent de toi pour libérer la saine violence en un combat joyeux de fleurs et de panthères Aïe ! Camarade un jour prochain et ce jour-là ton cœur refleurira sa marjolaine et ce jour-là les balles ne seront plus made ln USA mais pollens et semences un jour prochain ta voix et celles des camarades tombés s'accorderont à la nôtre pour dire à la face des Etats-Unis d'Amérique du Nord nous sommes quatre millions cinq cent mille sous un soleil très grand Anthony Phelps

connaît pas est plus grand que soi •. A cette crainte due

MORT EN PUISSANCE

(Fragment d'une nouvelle vécue par Raymond Jean-François) ...On entra dans le nouveau local de la police, la Caserne François Duvaller. Je ne savais pas encore à quoi m'en tenir. Mais d'ores et déjà j'étais sûr que je ne parlerais pas. A parler franc je n'étais pas préparé psychologiquement à affronter une situ ation pareille. J'admettais en principe la possibilité d'être detenu un jour. Pas plus. Je ne me figurais pas concrètement le fait. A force de prendre quotidiennement des risques, on finit par avoir l'Impression d'immu· nité. On se fait au danger. Et c'est plutôt son absence qui vous parait anormale. Je n'étais pas plus courageux ou plus poltron qu'un autre. Cependant je posais pour principe de ne rien dire qui puisse mettre le macoute sur une piste réelle, de les en éloigner le plus possible, de déjouer leurs manœuvres, quitte à recevoir quelques coups de macaque en plus. Etant brûlé, il me fallait absolument préserver les autres. Eviter toutes investigations sur mes fréquentations, protéger mes copains. Je savais que ces gens tuaient pour un rien. J'admettais froidement la possibilité de ma mort. En même temps, j'avals le sentiment que je m'en tirerai s pour le moins sauf. Je me considérai au départ comme un mort en sursis. -

Alors, tu refuses de parler?

- Je n'ai plus rien à dire. - Tiens ! Tiens ! Je ne connais pas la couleur de ton sang. Du sang de poète. on n'en voit pas tous les jours. Allez-y. je veux voir le sang de cet homme. Tout à coup une socousse comme une décharge électrique. C'est parti de la tête. pour descendre aux orteils et remonter. Une seconde secousse. Je me sens étrange. Alors, j'entends le bourreau derrière moi murmurer. • Il à la tête vraiment dure, celui-là •. J'a1 compris. Il vient de me taper sur la tête. Je me sens baigné de sang. Ce sera ma plus grande surprise plus tard de constater que je n'avais que deux vilaines bosses à la tête. -

Tu ne veux toujours rien dire ?

Je ne répond s pas. Il commande encore de me frapper. Le bourreau tape, cinq dix fois. Je leur fais signe d'arrêter. -

Commandant, si l'on me frappe encore, j e m'évanouis.

- Emmenez-le ! Ils me jetèrent dans une cellule à côté de deux autres jeunes. ....

* Depuis l'enfance, l'haïtien vit en permanence dans la crainte. D'abord, ce sont tous les gnomes invoques pour faire tenir tranquille les bambins. La nuit pour nous est peuplée de tout un monde hostile à l'homme. Bakas, zombis, loups-garous, esprits malfaisants, loas forment dans notre tête un mélange confus. Le monde de l'eau-delà nous parait effrayant. Le proverbe le dit bien : • Ce qu'on ne

à notre bas niveau de développement technique et économique, à la non domination des forces naturelles, la non compréhension des phénomènes qu'elles déclenchent, le peu de développement de l'instruction, de la diffusion des acquis scientifiques, une éducation mal orientée, à cette crainte se trouve étroitement liée l'oppression sociale chargée de maintenir le statu quo. Et, ces croyances se projettent sur les traits de l'oppression sociale, s'imbriquent même avec eux. Ainsi, le tonton macoute évoqué initialement pour atterrer les enfants est devenu le symbole et le représentant des forces sociales rétrogrades. Le mythe, la fiction se sont transformés en réalité très concrète. La crainte des haïtiens a pris une forme réelle. Tombé dans les macoutes de ces tontons, je vivais dans ma chair les sévices de ce mythe devenu réalité concrète. Mon premier geste dans la cellule fut de me tâter la tête. Puis j'essayai de faire jouer les doigts de ma main guache Ce à quoi je parvins fort difficilement. Je tâtai ensuite mes membres et mon corps. J'étais encore entier. J'eus un petit sourire de satisfaction. Je jetai un regard circulaire dans la cellule. Les deux autres jeunes étaient assez mal en point. L'un deux avait perdu connaissance. L'autre m'observait avec des yeux tris tes. Je m'approchai de la grille pour voir les 9lentours. Alors, je me permis de méditer un peu sur la signification de ma présence dans cette cellule. Après tout me dis-je, ce n'est pas si terrible qu'on le prétend. Je 'l'avais pas cette peur qui fait délirer. Je me sentais même :;ontent de moi-même. Content de n'avoir pas parlé malgré \es coups. la colique, les excréments. la fracture du bras, les humiliations. Vexé pourtant d'être tombé comme un bleu dons le piège qu'ils m'ont tendu en ce qui con· ~erne Etzer. Je n'aurais pas dO le frapper. il est vrai que j'avais envie de l'étrangler pour ce qu'il a fait. Mais ce compte. on pourrait le régler à part, seul à seul, mais pas 9 la sollicitude des bourreaux, ceux-là même qui nous torturaient. tous les deux et qui se moquaient de ma naïveté. Je me sentais sali. Cela, je ne me le pardonnerai jamais. Je me mis à penser comment je pourrais réparer tout ça. Je ne voyais aucun moyen, sinon m'engageant à ne Faire aucun reprocha à Etzer tant qu'on sera en prison. Il ne fallait pas lui donner trop de remords. D'ailleurs dans son for intérieur Il pleurait sans doute à la pensée de ce qu'il avait fait. Pourtant il ne le savait pas. Je crois qu'aujourd'hui encore il l'ignore. Car si les policiers étaient entrés dans ma chambre ç'aurait éte une catastrophe. J'étais davantage atterré à la pensée d'une nouvelle Inspection chez mol qu'à la perspective d'un nouvel Interrogatoire. Je sentais qu'on n'en avait pas encore fin i avec nous. On ne nous avait accordé qu'un répit. Ou plutôt les boureaux après une nuit de • travail • voulaient s'accorder quelques heures de repos. Je m'étendis dans la cellule avec ce goût de sang à la bouche. Je n'al pas peur me dis-je. Je m'en tire à bon compte. Maintenant je peux les affronter de nouveau. J'ai l'impression de les connaître parfaitement bien. Je ne suis pas un type téméraire. Mals une fois dans le bain, mon réflexe c'est de m'y adapter...

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Paul-Guy LOMINY Les renseignements recueillis sur l'adolescence de Guy le révèlent un lycéen très actif, un des infatigables animateurs de toutes les activités culturell es et sportives du Lycée Pinchinat à Jacmel. Concrètement, il s'intéresse au football, au théâtre et à la musique (il appartenait à une famille de musicien). Il joue au football dans le club appelé • Flèche Verte • . C'est au cours d'une compétition sportive qu'il recevra un coup qui lui laissera par la suite un sérieux handicap au genou. En même temps, il se caractérise par un certain nonconform isme, par un certain esprit contestataire, par un refus obstiné de se soumettre à la discipline dépersonnalisante qui régnait lors au Lycée Plnchinat et qu'on retrouvait dans presque toutes les écoles du pays. Aussi est-il t oujours victime des punitions disciplinaires de l'établissement. Cependant. il brille dans les cours qui le passionnent, particulièrement dans les cours de littérature. En 1954, il vient à Port-au-Prince pour ses études universitaires à la section des Lettres de l'Ecole Normale Supérieure (actuelle Faculté des Lettres et de Pédagogie). Cette année est aussi celle de la fondation du Parti Populaire de Libération Nationale (P.P.L.N.). Guy, qui ne nourrit encore ni inquiétudes sociales, ni préoccupations politiques, ne peut pas penser à ce moment-là qu'il deviendra une décennie plus tard un des principaux dirigeants de ce Parti. Son actif c'est son dynamisme bouillonnant au service de certaines activités de la jeunesse. C'est pourquoi il commence à manifester son esprit d'initiative dans l'association des étudiants de l'Ecole Normale Supérieure, association qui languissait à cette époque de dictature militaire. Et pendant les vacances qu'i l passe régulièrement à Jacmel, il continue à être un activiste des clubs de jeunes de la ville, particulièrement du club Junior. Au cours de l'année agitée de 1957, il se signale par son esprit combattit. Duvallériste bouillant, il devient en fait un des leaders du petit groupe d'étudiants duvaliéri stes à l'Ecole Normale Supérieure et engage réso lument la lutte contre les autres groupements politiques d'étudiants avec lesquels, d'ailleurs, il a eu plus d'une fois maille à partir. A la fin de ses études à l'Ecole Normale Supérieure, Guy, nommé professeur, débute dans le mouvement démocratique. Il milite dans le syndicat des professeurs de l'enseignement secondaire (UNMES). Il est un des principaux activistes de cette organisation et fait partie du comité directeur de la section syndicale du plus important lycée du pays, le lycée Pétion. C'est à partir de ce moment que je commence à le fréquenter. En effet, j'entretiens avec lui des relations fraterne ll es et suivies. On se rencontre régul ièrement pour discuter des problèmes de la section syndicale. Son esprit méthodique et combattit, son sens de l'initiative et son profond attachement aux droits démocratiques des professeurs attirent fortement mon attention. tl est membre de la commission chargée de rédiger un projet d'un nouveau Programme pour l'Enseignement Secondaire Nati onal. Cette commission travaille pendant toute une année sous la direction du professeur Marcel Gilbert président de J'UNMES. Guy s'adonne passionnément à cette tâche et ne manque jamais une séance de travail. Le projet fut présenté, discuté et voté au deuxième congrès du syndicat.

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C'est aussi l'époque où il acquiert peu à peu toute une nouvelle vision de la situation globale du pays. Sa profonde honnêteté l'amène toujours à subordonner ses convictions politiques (très primaires lors) aux exigences de la lutte démocratique des professeurs. Comme il n'y avait rien chez lui du petit bourgeois égoïste en quête d'avantages personnels et constamment prêt à sacrifier les principes par vil opportunisme, l'attitude obstructive systématique du gouvernement vis-à-vis des justes revendications syndicales des professeurs lui désllle les yeux. C'est par l'activité revendicative de I'UNMES qu'il vient au marxisme et à la lutte politique communiste dans les rangs du Parti Populaire de Libérati on Nationale. Il en a été de même pour plusieurs autres camarades. En 195g, Guy entre dans le P.P.L.N. Deux années de pratique commune et de discussions fructueuses m'avaient permis de découvrir ses nombreuses capacités d'être membre de ce Parti. Aussi, je lui posai la question de son adhésion. Quand il accepta, ce fut pour moi une très grande joie. J'étais pleinement convaincu que le P.P.L.N. venait de réaliser une importante acquisition. Tout d'abord il milite dans la section de jeunesse du P.P.LN. Passionné de l'étude, Guy s'était inscrit à la Faculté de Droit de Port·au-Prince tout de suite après l'obtenti on de son diplôme à l'Ecole Normale Supérieure. Les étudiants menaient une lutte opiniâtre et ardente pour le renforcement de leur organisation et la consolidation des minces conquêtes démocratiques arrachées depuis la chute de la dictature militaire de Maglolre. Après la dissolution de l'UN MES (en 1959), I'U NEH (Union Nationale des Etudiants Haïtiens) et I'UIH (Union Intersyndicale d'Haïti) constituaient les seules organisations démocratiques qui résistaient aux assauts du pouvoir duvaliériste naissant. Guy se jette totalement dans la bataille estudiantine avec la même fougue mais aussi avec plus de lucidité. Rapidement il se taille un grand prestige parmi ses camarades et est élu vers 1960 président de I'UNEH. l i contribue beaucoup avec les autres membres de la direction de l'organisation à donner à celle-ci une nette orientation anti-colonialiste. anti-impérialiste en appui à la lutte des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine pour leur libération. L'année 1g6o est celle où plusieurs anciennes colonies d'Afrique accèdent à l'indépendance. La guerre de libération du peuple algérien bat son plein. Au mépris de toutes les traditions anticolonialistes, anti-racistes et de défense farouche de la souveraineté nationale forgées dans les luttes pour notre première Indépendance, contrairement à l'esprit de solidarité active manifestée par les vaillants combattants de 1804 avec tous ceux qui luttaient pour se li bérer de la domination coloniale esclavagiste, le duvallérisme au pouvoir, malgré toute sa démagogie nationaliste, pratique une politique systématique de liquidation du patrimoine national et de soutien total à toutes les forces colonialistes et oro-impérialistes. Dans les assemblées internationales quand les problèmes de l'indépendance nationale et de la lutte antilmpérialiste sont à l'ordre du jour, les voix des délégués du gouvernement haïtien se prostituent et se mettent toujours au service des exploiteurs des peuples. C'est dans ce contexte que I'UNEH organise une grande manifestation publique contre l'impérialisme, le colonialisme

et le racisme. et en appui à la lutte des peuples pour leur libération. Après avoir traversé les rues de la ville. les étu· diants, en nombre imposant, se réunissent d'abord sur la Place des Héros de l'Indépendance et ensuite au Mausolée Dessalines-Pétion pour rendre hommage à ces illustres aïeux. Guy est Je principal orateur de la manifestation. Plus d'un se souvient encore du brillant et vibrant discours qu'il prononce ce jour-là où Il condamne sans merci, au nom de toute l'organisation, l'exploitation éhontée des peuples par l'impérialisme. L'épanouissement de son esprit combatif trouve un terrain favorab le dans la lutte tenace que mènent les étudiants contre l'arbltrairè policier dont ils sont victimes. Après de multiples et vaines démarches pour obtenir la libération d'un groupe d'étudiants et d'écoliers injustement incarcérés, sous prétexte d'activité communiste, I'UNEH décrète avec succès une grève nationale. C'est la première grande épreuve de Guy. Son frère, Frantz LOMINY, capitaine de l'armée et qui sera ultérieurement assassiné par les tontons macoutes est plusieurs fois convoqué au Palais National où il est mis en demeure de le ramener à l'ordre. Un drame s'installe dans la fam ille. Activement recherché par la police. Guy maintient ferme sa position malgré menaces, chantages et pressions de toutes sortes. Dans la clandestinité. il poursuit avec ardeur son travail de dirigeant de I'UNEH. Il écrit des articles très appréciés dans le journal de l'organisation • Tribune des Etudiants • . Son prestige atteint des dimensions nationales, surtout parmi la jeunesse des lycées du pays. A la f in I'UNEH obtient gain de cause. Les étudiants et écoliers emprisonnés sont libérés. Mais la dictature terroriste de Duvalier entreprend une vaste politique de démantèlement de toutes les organisations de j eunesse et de caporalisation, mieux, de • macoutisation •, de J'Université. Je ne peux évoquer cette période de la vie de Guy Lominy sans faire allusion à la lutte qu'il mène pendant et tout de suite après la grève des étudiants. aux côtés de la sect ion de jeunesse du P.P.L.N., pour amener ce Parti sur des positions de déclenchement dans l'immédiat de la lutte armée. A la conférence tenue par le P.P.L.N. pour discuter cette question. il est le rapporteur des t hèses de la section de jeunesse. Je me souviens de la fougue et de la force de conviction qui imprégnaient l'exposé de ses idées. Il luttait acharnément, passionément pour le triomphe de sa thèse. Mais aussi quelle admirable honnêteté quand il se rendit compte de son erreur, quand Il comprit qu'on ne pouvait pas se lancer dans la lutte populaire armée sans un Parti organisé. solidement lié aux masses populaires, particulièrement 3u prolétariat et à la paysannerie pauvre ! De 1961 à 1965, il se met intensément au travai l pour la d'un Parti capable d'affronter victorieusement la dictature terroriste par la lutte populaire armée. Rapide· ment il se signale comme un militant remarquable. Il est tour à tour, au cours de ces années. secrétaire du Comité l'!égional de Port-au-Prince, membre du Comité Central, membre du Bureau Exécutif du P.P.L.N. Il fait surtout profiter l'organisation rég ionale de Port-au-Prince de son talent d'organisateur et de sa force de persuasion. Il travaille active'11ent dans les milieux ouvriers de la capitale car il avait ~onstamment à cœur de consolider J'influence du P.P.L.N. ~onstruction

dans le prolétariat. De plus en plus, il devient un dirigeant communiste t rès écouté, respecté de tous. La répression qui s'abat sur le P.P.L.N. au cours des mois de juillet-août 1965 l'oblige à se rendte à l'étranger. Dans les premiers mois de l'année 1966, il fait partie de la délégat ion révolutionnaire haïtienne à la Conférence Tricon· tinentale. Pendant ce séjour loin de la terre natale, il ne cesse jamais de s'intéresser aux problèmes du pays et pro· fite pour augmenter ses connaissances dans tous les domaines qui peuvent être utiles à la lutte du peuple haïtien. Dans son exil , il connaît parfois des jours amers, victime d'intrigues et d'incompréhensions de la part de certaines gens qui pourtant lui étaient censées être très proches. Mais il affronte ces jours diffici les toujours avec la plus grande sérénité, toujours avec la plus grande confiance dans le triomphe de la justice et de la cause de son peuple. Il avait beaucoup d'aptitudes pour les échecs, jeu qu'il pratiquait avec méthode et passion. C'était son loisir de prédilection. Guy estimait toujours que son exil devait être très bref. Il considérait que la place la plus honorable d'un combattant révolutionnaire se trouve sur le sol national au cœur même de la lutte du peuple. Aussi, dès 1967, il commence sérieusement à préparer son retour au pays. Et dans les premiers mois de 1968 arrive pour lui le moment tant attendu. Quelques jours avant son départ, il est soumis à une rude épreuve. Des difficultés insurmontables entre lui et sa fernme provoquent la rupture de son foyer. Cela l'affecte beau· coup car il aimait sa femme et était très soucieux de l'avenir politique de celle-ci. Malgré ses déchirements, il n'hésite pas un seul moment

à subordonner ses intérêts personnels à ceux de la cause libératrice du peuple haïtien. Avec beaucoup de courage, il s'engage dans le difficile chemin du retour. Aucun obstacle ne parvient à vaincre sa ténacité. Un camarade qui connaissait sa profonde douleur fut frappé par sa modestie. son sens de la clandestinité. sa détermination inébranlable en vue d'atteindre l'objectif qu'il s'était fixé. Guy a toujours été, depuis l 'époque de la grève des étu· diants, un ardent partisan de l'unité de toutes les forces révolutionnaires. A l'étranger, il avait déployé d'inlassables efforts en vue d'une coopération fructueuse entre les deux organisations révolutionnaires haïtiennes de l'époque. Tous les camarades du Parti d'Entente Populaire qui l'on connu à l'époque en ont témoigné. De retour au pays, les nouvelles conditions de lutte renforcent son esprit unitaire. Aussi, c'est surtout pour la cause de l 'unité qu'il travaille dans la plus totale clandestinité. En juillet 1969, il tombe entre les mains de l'ennemi. Il a dignement justifié la grande confiance que ses camarades ont toujours placée en lui. Sans ver.ser dans aucun régionalisme stérile, la ville de Jacmel peut être légitimement fière de la précieuse contribution qu'elle a apportée à la lutte de libération du peuple haïtien avec des f ils tels que Jean-Jacques Dessalines Ambroise. Guy Lominy , André Oésiré, Ab el Nicolas et son fils étudiant en médecine. Jovin Samson, Hughes Jules, tous martyrs du socialisme. Il nous incombe, maintenant, l'immense responsab ilité de continuer jusqu'au bout l'œuvre de ces vaillants combattants.

Jean GERARD

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Guy BERNADIN GUY BERNADIN, MILITANT DU P.U.C.H. TOMBE AU X MAINS DE L'ENNEM I Guy Bernadin est né aux Cayes en 1940. Son père, André Bernadin, originaire du Cap-Haïtien, fut un employé de la Banque Nationale de la République d'Haïti (BNRH). Sa mère institutrice est des Cayes. Bernadin n'avait pas encore 4 ans quand la mort faucha son père. Sa mère, gravement malade. le confia à son frère M. Auguste Banatte.

Il fit ses études primaires chez les frères de l'Instruction chrétienne où il reçut une éducation religieuse. Il voulut même se faire prêtre. En 1955, année de la puissante manifestation de rue des élèves de la ville contre le gouvernement dictatorial du général Paul E. Magloire, il entre, en quatrième. au lycée Phi lippe Guerrier des Cayes. Après la chute de Magloire. il participa à la grève générale des élèves de toutes les écoles de la ville. qui exigeaient la démi ssion de M. Dieuveuil Jolivert et de M. Justin Castel, respectivement directeur et censeur du lycée. ainsi que celle de M . Octave Hyp. polite, inspecteur départemental. En effet, ceux-cl avaient reproché, dans une missive, au commandant du département mil itaire du sud, le colonel Chassagne. de n'avoir pas noyé dans le sang la manifestation des élèves. • l es cadavres des élèves devraient j oncher les rues • lisait-on dans leur lett re. En 1960, Guy Bernadin entre à la faculté des Sciences. Il adhéra à l'Union Nationale des Etudiants Haïtiens (UNEH), prit une part active à la grande et historique grève des étu· diants. puis rentra aux Cayes durant les vacances de Noël pour y faire de l'agitation en faveur du mouvement. Guy Bernadin n'était déj à plus Lm opposant traditionnel - un déjoiste - mais un militant anti·impérialiste et anti· féodal.

Durant les grandes vacances de la même année, il fréquenta les cercles marxistes des Cayes. Après de chaleureuses discussions su1· le pl"Oblème fondamenta l de la phi· losophie, il déclara quelques jours plus tard : • j'ai beaucoup médité sur les thèses avancées par la philosophie marxiste. En toute honnêteté, je reco nnais qu'elles sont vraies. • Très enth ousiasmé, il se lança dans l'étude des œuvres de Marx, d'Engels. de Lénine et de Staline. Dès lors sa grande métamorphose s'était opérée. GJJY Bernadin devint marxiste et sympathisant du P.E.P. A la fin de 1961, il adhéra à ce Parti. Confiant dans la justesse de la voie qu'il venait de choi· sir, Guy Bernadin se lança corps et âme dans la lutte pour l'implantation de ce Parti au sein des masses travail leuses. Il sut concilier ses études universitai res avec son travail de mil itant communiste. Il déploya une intense activité au sein de l 'UIH. jeta, à la faculté des Sciences, les bases d'une section de J'UNEH clandestine ... Il s'était multiplié par quatre. En 1966, il devint permanent du PEP. Il mit toutes ses connaissances et tout le temps disponible qu'il avait au service de la révolution. Tombé aux mains de l'ennemi lors de la sanglante répres· sion de 1969, il a su faire face, avec tout le courage et la dignité propres aux mili tants de la cause du communisme, à la sauvagerie de ses bourreaux. Le Parti Unifié des Communistes Haïtiens lui doit de compter dans ses rangs des combattants de la trempe de Niclerc Casséus. Marie José Féval, épouse du cama· rade Henri-Claude, tous héros et martyrs de la cause du socialisme et du communisme en Haïti. On se souviendra touj ours dans le Parti de ce militant au cœur généreux. plein d'abnégation et de sacrifice, d'honnêteté et de discipline. Jean FRELAT

Fritz BAUDET Parmi les noms des combattants de la liberté tombée sous les coups de la répress ion, notre peuple retiendra celui de Fritz Baudet. un caporal des gardes-côtes d'Haïti, arrêté dans les casernes de Bizoton en mars 1970. Ceux qui ont été au lycée Louverture durant les années 1963-1 964 se rappe llent de cet élève de Seconde studieux, intell igent, qui, talonné par la misère et les restrictions de tou· tes sortes . dût abandonner ses études pour aller gagner son pain ... Il débuta comme marin des gardes-côtes à 17 ans. Son sérieux et son application lui valurent d'être remarqué par ses supérieurs hiérarchiques qui lui confièrent un travail de scribe ... Il devint ordonnance du commandant des gardes-côtes. le colonel Cayard... Il continuait à étu· dier, se plongeant dans les livres durant ses heures libres. dans l'espoir de s'instruire et de faire carrière. Mais, dans les gardes-côtes, prévalait cette ambiance de corruption et de favoritisme que le duvaliérisme a élevé en Haïti à la hauteur d'un culte. le garde-côte passait deux à trois mois sans recevo ir sa paye. Au moindre heurt avec un t onton macoute ou un duvalièriste. il était en position d'infériorité. humi lié, mis aux arrêts ... Et puis les soldats et officiers tontons macoutes avaient tous les privi· lèges ... Leurs exactions contre la population suscitaient dans le peuple des rega1·ds. des gestes de mépris à l'égard des militaires.

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Durant ses années de lycée, il avait appris à valoriser le passé glorieux de son pays. Il vouait un culte spécial à l'Amiral Killick, ce chef légendaire de la marine. Il vivait au milieu du peuple, dans une pièce, à Carrefour, tout près du poste de police, dans cette zone populaire où les petites gens (artisans, ouvriers, chauffeurs de tap-tap ...) souffrent chaque jour les affres de la fa im, connaissent la gêne. les abus, tandis que les macoutes, eux, font la loi, se gavent d'alcool dans les night-clubs et les prostibules. Il commença à protester en secret contre Duvalier. contre les macoutes et entreprit de militer dans des conditions particulièrement difficiles. Les " camoquins » étaient nombreux aux gardes-côtes; cependant aucun ne s'avi.sait d'en· treprendre une activité quelconque contre les tontons macoutes. Baudet, lui. eut le courage de le faire... et de contacter d'autres ~ camoquins » pour lutter con tre la dicta· ture. Les gardes-côtes, soldats et officiers, n'oubl ieront pas Fritz Baudet, ce caporal originaire de Jacmel, brun. chétif. intelligent, homme de bien et de courage, porté disparu dans le combat contre la barbarie duvaliérfste, pour le bonheur de notre patrie dans la paix, la liberté et le socialisme.

L. JULIEN

CONCLUSION

Depuis les années trente. avec JACQUES ROUMAIN , CHRISTIAN SAULIEU et leurs compagnons. les communistes haïtiens ont toujours été à l'avant-garde de la lutte du peuple contre la domination de l'impérialisme étranger, des grands commerçants et des grands propriétaires fonciers sur la vie économique, politique et sociale du pays. Les communistes, fils authentiques de notre peupl e, n'ont jamais cessé de dénoncer le lien nécessaire qu i existe entre nos gouvernements tyranniques et le système économique et politique en place . Au cours de leur histoire, les masses popu laires haïtiennes ont payé un lourd tri but pour l'établissement et l'approfondissement des libertés démocratiques et pour la cause du socialisme. Mais jamais la répression anti-populaire n'avait pris l'ampleur du génocide que lui a donné le terrorisme d'Etat dtwaliériste. 47.000 personnes assassinés et 16.000 emprisonnées en quinze ans (1). Voilà un bilan qui condamne sans appel aux yeux du monde, l'actuelle dynastie qui désole Haïti. Actuellement, en dépit de la • libéralisation » dont la dictature essaie de se draper, des centaines de personnes croupissent dans les geôles de la tyrannie. La police et les tontons macoutes continuent leur chasse à l 'homme. L'insécurité la plus totale plane encore sur la liberté et la vie des citoyens. Durant les quinze années de terreur duvaliériste. bien des fois, les voix des démocrates , progressistes et révolutionnaires du monde se sont mélangées à celles des combattants haïtiens pour exiger t'arrêt du bain de sang en Haïti. Cette solidarité a parfois permis d'arracher des griffes des bourreaux duvatiéristes nombre de patriotes et révolutionnaires. Aujourd'hui. compte tenu du caractère sournois de la répression et des déclarations des hommes du pouvoir sur l'inexistence de prisonniers politiques en Haïti - déclarations infirmées par la récente libération forcée de 12 patrio-

(1) Cf. BOUKAN, Organe Central du PUCH octobre-novembre 1972.

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tes que le gouvernement s'évertuait à faire passer pour morts - il est urgent pour le peuple haïtien que l'opinion Internationale fasse pression sur le gouvernement dictatorial pour obliger ce lui-ci à libérer les milliers de prisonniers politiques qui sont encore dans les cachots. Ce sera un apport considérable au combat libérateur du peuple haïtien . Malgré la terreur généralisée instaurée par la dynastie duvaliériste, les communist es haïtiens, groupés dans le Parti Unifié des Communistes Haïtiens, continuent avec ténacité le combat pour le droit des travailleurs et du peuple tout entier à la justice. à la liberté, à la démocratie et au mieux-être. Le Parti Unifié des Communistes Haïtiens jette actuellement les bases d'organisation d'un large mouvement populaire de résistance patriotique afin de déraciner du sol national, par la lutte des masses. le cauchemar duvaliériste. Ceux qui à l'étranger ont choisi la solution de la vie facile, ceux qui dans le pays même ont, sous prétexte de voiler leurs idées, consciemment choisi le chemin de la collaboration ou de la compl icité. ceux qui font « l a révolution " dans les salons, tous ceux qui en définitive sont incapables de s'imposer les durs sacrifices quotidiens qu'exige la lutte de libération du peuple haïtien, essaient aujourd'hui de dénigrer l 'action du PUCH , de minimiser l'apport, l'héroïsme, le dévouement et l'esprit de sacrifice des valeureux militants et militantes du Parti tombés pour la cause de la libération nationale et sociale des masses haïtiennes. Il faut toujours le répéter, ces camarades martyrs, conséquents jusqu'au bout avec leur choix révolutionnaire, ont choisi le chemin le plus difficile. le chemin qu i fait honneur à notre peup le. Continuons avec leur même courage exemplaire, leur même fermeté, fidélité. honnêteté et modestie, la lutte pour la réalisation de leur noble idéal : la libération du peuple haïtien, le socialisme et le communisme sur la terre d'Haïti. Ainsi, leur souvenir et leur exemple demeureront impérissables.

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