INSCRIPTION DE NOUVEAUX PATIENTS PRENDRE LES BONS MOYENS Accès adapté, ordonnances collectives, travail interdisciplinaire, délégation de tâches aux infirmières. Tous les moyens sont bons pour faire grimper le nombre d’inscriptions de nouveaux patients.
Francine Fiore
que ceux qui ont perdu le leur. Elle prend même en charge des jeunes en pleine santé. « Il leur faut, à eux aussi, un médecin de famille. Il est facile de les inscrire. Ils augmentent notre nombre de patients sans alourdir notre charge de travail, ce qui nous laisse du temps pour nos patients vulnérables. » Selon l’omnipraticienne, il est tout à fait possible de suivre 1500 patients. Mais, pour y arriver, il faut recourir à l’accès adapté. « Je vais bientôt fonctionner uniquement de cette manière. Cela évite les rendez-vous inutiles. On ne voit les patients que lorsqu’ils en ont besoin, ce qui laisse du temps pour en voir de nouveaux. »
DES CHAMPIONS DE L’INSCRIPTION Dre Élisabeth Bellefleur-Mercier
Selon l’Entente entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et la FMOQ, 85 % de la population du Québec devrait être inscrite auprès d’un médecin de famille le 31 décem bre 2017. Actuellement, de nombreux omnipraticiens font des efforts soutenus afin de prendre en charge le plus grand nombre de nouveaux patients possible.
TOUS LES BÉBÉS
En voie de devenir un groupe de médecine familiale universitaire (GMF-U), l’unité de médecine familiale (UMF) de Lanaudière, à Saint-Charles-Borromée, compte 12 400 pa tients inscrits pondérés. Dix-neuf médecins et 24 résidents y pratiquent. Le nombre de patients par médecins se situe entre 300 et 900, pour une moyenne de 500 patients. Médecin de famille et directeur de l’UMF, le Dr Sébastien Turgeon est ambitieux. « Si notre premier objectif était d’atteindre 12 000 patients inscrits, le second pourrait être d’en avoir 15 000 », dit-il.
Après seulement un an de pratique, la Dre Élisabeth BellefleurMercier, médecin de famille au GMF Centre médical Robinson, à Granby, a inscrit 800 patients, dont 300 vulnérables. Comment la jeune omnipraticienne a-t-elle réussi à recruter autant de patients en si peu de temps ? « Quand j’ai commencé à pratiquer, il y a un an, je n’avais aucun patient. J’ai fait appel au guichet d’accès en médecine de famille (GAMF) de ma région. » C’est à partir de ces patients qu’elle a pu en inscrire d’autres, soit leurs parents, leurs enfants, leurs amis. « Il y a de nombreux bébés au guichet. Je prenais donc tous les bébés qui arrivaient ainsi que leurs frères et sœurs et leurs parents. » La Dre Bellefleur-Mercier inscrit également les patients qui ont été hospitalisés et n’ont pas de médecin de famille ainsi
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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 9, septembre 2016
Dr Sébastien Turgeon
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RÉINSCRIPTION
DE PATIENTS
Les omnipraticiens du GMF L’Hêtrière à Saint-Augustinde-Desmaures, à proximité de Québec, sont eux aussi performants. Les dix-huit médecins ont inscrit plus de 2200 patients en dix mois. Parmi ses stratégies de recrutement, l’équipe de l’UMF puise de nombreux patients dans une réserve autochtone de 2500 habitants (Manawan) située à 180 km au nord de la clinique. « Nous croyons beaucoup à la prise en charge populationnelle, affirme le Dr Turgeon. Notre objectif est d’inscrire tous les patients orphelins de la réserve et de bien les prendre en charge. » En outre, l’UMF commence à inscrire les patients réfugiés. Elle prend également en charge les personnes sans médecin de famille qui consultent à l’urgence de l’établissement. « Nous voulons devenir des champions de l’inscription. Nous croyons que nous devons montrer l’exemple à nos résidents. » Afin de faire face à toutes ces nouvelles inscriptions et d’être en mesure de s’occuper des patients, les médecins utilisent l’accès adapté et maximisent le travail interprofessionnel. Ils ont ainsi recours aux services d’une pharmacienne, d’une nutritionniste, d’une psychologue et d’une travailleuse sociale. « Nous avons une équipe de professionnels qui collaborent pour que le patient soit vu par le bon professionnel de la santé. » Les médecins travaillent également de concert avec les infirmières. Ainsi, deux cliniciennes, qui recourent à des ordonnances collectives, s’occupent entre autres du diabète et de l’hypertension. « Nos infirmières prennent soin des patients souffrant de maladies chroniques. Par conséquent, nous voyons ces derniers moins souvent qu’auparavant, et cela nous libère pour de nouveaux patients. »
AFFICHER LE NOMBRE D’INSCRIPTIONS Devant les conséquences potentielles de la loi no 20*, la Dre Anh-Thu Vu-Khanh, médecin de famille au GMF Carrefour Santé, à Gatineau, a demandé à ses collègues d’inscrire plus de patients. « Je leur ai suggéré de suivre les objectifs recommandés par la FMOQ : attein dre 500 patients pour ceux qui en avaient moins et en
Malheureusement, cet effort n’a pas fait monter le taux d’inscription. C’est que trois médecins sont partis, ce qui a laissé 4000 patients orphelins. « On s’empresse d’en réinscrire le plus possible, car les patients souhaitent revenir dans leur clinique. Nous avons deux nouvelles omnipraticiennes, dont une qui n’avait pas de patients avant son arrivée. Elles ont inscrit beaucoup de patients, et tous les médecins du GMF ont fait un effort magistral pour reprendre nos patients orphelins », explique la Dre Lucie Rodier, médecin de famille au GMF L’Hêtrière. Actuellement, elle-même suit près de 1800 patients. L’omnipraticienne mise aussi sur l’accès adapté. « Cela me permet de voir mes patients quand ils en ont vraiment besoin. » Autre truc de l’omnipraticienne : prescrire les médicaments pour une période de dix-huit mois, ce qui lui laisse plus de temps pour d’autres patients. Elle sensibilise également sa clientèle aux règles de l’accès adapté. « Certains patients ont tendance à revenir toutes les années. Mais un certain nombre n’ont pas besoin d’être vus aussi souvent. Plusieurs sont jeunes et en bonne santé. On leur suggère de venir nous voir quand ils auront des problèmes. »
*Le nom exact de la loi est Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.
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Photo : Pierre-Étienne Bergeron
assez de temps pour les voir. Pour ce faire, il faut changer notre façon de pratiquer. » C’est grâce à l’accès adapté que la Dre Vu-Khanh réussit à bien suivre toute sa clientèle.
Dre Anh-Thu Vu-Khanh
prendre 50 de plus par année pour ceux qui avaient déjà plus de 500 patients. » Chaque médecin a accepté. Mais les inscriptions ne montaient pas assez rapidement. La Dre Vu-Khanh a donc proposé à ses collègues d’afficher leurs objectifs et le nombre de nouveaux patients inscrits chaque mois. Ainsi, l’équipe pouvait constater l’augmentation du nombre de patients inscrits par chacun. Actuellement, la Dre Vu-Khanh suit environ 600 patients inscrits. « Je vais en prendre d’autres, assure-t-elle. J’aimerais atteindre le nombre de 900. Si l’un de mes patients me dit qu’un membre de sa famille ou l’un de ses amis n’a pas de médecin de famille, j’accepte d’inscrire celui-ci. » Cependant, elle ne prend pas de patients en provenance du guichet. Les proches de ses patients lui suffisent. « J’ai une liste de noms dans laquelle ma secrétaire pige. Nos secrétaires sont au courant de notre cadence et doivent nous trouver de nouveaux patients chaque semaine. Plusieurs de mes collègues utilisent toutefois le GAMF pour trouver de nouveaux patients. » Ce n’est pas de trouver de nouveaux patients qui est ardu, précise la Dre VuKhanh. « Ce qui est difficile, c’est d’avoir
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L’omnipraticienne estime, elle aussi, que les infirmières sont très importantes. À son GMF, elle peut compter sur deux infirmières cliniciennes. « Ce qui est nouveau dans notre clinique, c’est le recours aux ordonnances collectives, notamment dans les cas de dépression. Avant, j’évaluais les patients dépressifs tous les mois. Je devais les revoir toutes les deux ou quatre semaines pour le suivi et les médicaments. Maintenant, je les vois une fois pour l’évaluation et l’infirmière fait ensuite une partie du suivi. S’il y a un problème, elle vient me consulter. Je rencontre ainsi le patient une fois sur deux. » Les infirmières font également le suivi trimestriel des patients diabétiques, dyslipidémiques, hypertendus ou prenant du coumadin. De plus, une infirmière spécialisée se rend au GMF une ou deux fois par semaine pour évaluer les patients chez qui on soupçonne une démence ou un problème cognitif. Elle fait le lien avec les hôpitaux, la Société d’Alzheimer, etc. « Cela nous aide beaucoup, car il faut au moins une heure pour faire l’évalua-
tion d’un patient présentant un trouble cognitif. Cela libère du temps pour voir d’autres patients. »
UN MARATHON D’INSCRIPTION La situation était urgente au GMF Omni-Plateau à Gatineau. À partir de mars 2016, son financement risquait d’être revu à la baisse en l’absence des 15 000 patients requis pour le niveau 4. Cela signifiait moins d’heures de soins infirmiers et moins de services. Il fallait donc inscrire de toute urgence 1500 patients. Devant ce fait, en janvier 2016, la Dre Jeanne Sirois, responsable du GMF, a immédiatement mobilisé les vingtdeux médecins omnipraticiens de ses cliniques. Par courriel, elle leur a demandé d’inscrire rapidement de nou veaux patients afin d’atteindre la cible et de conserver les services dont disposait le GMF. « Au début, certains médecins craignaient d’être submergés par trop de patients », explique la Dre Sirois. Toutes les semaines, néanmoins, l’omnipraticienne faisait parvenir à ses collègues des rappels indiquant le nombre de nouveaux patients inscrits. Cela a eu un effet d’entraînement et a stimulé les troupes. Pendant de six à huit semaines, les médecins ont inscrit des dizaines de patients par jour. La Dre Sirois a même inscrit huit patients en une demi-journée. L’objectif a été atteint en six mois, mais cela n’a pas été facile. « Le départ d’un médecin nous avait laissés avec 700 pa tients, mentionne l’omnipraticienne. On a réinscrit tous les patients vulnérables. » Les médecins ont également fait des listes à partir des relations de leurs patients déjà inscrits. D’autres patients provenaient du guichet. Un grand coup de main est venu d’un jeune omnipraticien qui n’avait aucun patient. Il pouvait donc inscrire tous ceux qu’il traitait.
D Jeanne Sirois re
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Selon la Dre Sirois, la collaboration interprofessionnelle est cependant
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ENCADRÉ
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LES INFIRMIÈRES, DE PRÉCIEUSES COLLABORATRICES Après sa résidence en médecine familiale, la Dre Sophie Carrière, omnipraticienne en périnatalité au GMF La Cigogne et à l’Hôpital Charles-LeMoyne sur la Rive-Sud, a fait une surspécialisation en obstétrique. Actuellement, elle suit des femmes enceintes, voit des enfants et fait de la médecine générale. Depuis novembre 2014, la Dre Carrière compte au total 510 patients inscrits, dont 200 patients vulnérables. Ce nombre exclut les suivis de grossesse. Elle travaille environ vingt-deux jours par mois. Elle pratique en cabinet de trois à quatre jours par semaine, dont un ou deux sont consacrés aux suivis de grossesse. Elle voit les enfants et fait de la médecine générale une journée et demie par semaine. Plus de 90 % de sa clientèle pédiatrique, soit environ 200 enfants, a moins d’un an. Mais après douze mois, elle les voit moins fréquemment, ce qui libère de la place pour de nouveaux patients. L’un des secrets de la performance de la Dre Carrière ? L’équipe d’infirmières. La clinique où elle pratique compte deux infirmières auxiliaires, une infirmière technicienne, une infirmière clinicienne et une infirmière praticienne spécialisée (IPS).
Dre Sophie Carrière
Les infirmières auxiliaires effectuent de nombreuses tâches. Ce sont elles qui remplissent le questionnaire de base avec les patientes enceintes, les pèsent, prennent leurs signes vitaux. En pédiatrie, elles pèsent le bébé et le mesurent, font le counselling alimentaire, etc.
En ce qui concerne le suivi de grossesse, l’infirmière clinicienne fait la deuxième visite et peut faire le suivi conjoint avec le médecin en voyant la patiente une fois sur deux. L’infirmière technicienne, elle, assiste le médecin dans les suivis de grossesse (comme l’auxiliaire), mais fait également seule les suivis de grossesse de plus de 36 semaines. « Ce sont en fait toutes nos infirmières (auxiliaires, technicienne et clinicienne) qui nous aident. Quand je vois la patiente, il y a une bonne partie du travail qui est fait, et je peux me concentrer sur la partie médicale », explique la Dre Carrière. Même chose en pédiatrie. Lorsqu’elle voit le bébé, l’omnipraticienne n’a à s’occuper que de l’aspect médical, soit de vérifier le développement de l’enfant et de répondre aux questions des parents. « Un enfant peut par ailleurs être suivi conjointement par une infirmière clinicienne et moi. De plus, cette dernière peut faire le test Pap, s’occuper des maladies transmissibles sexuellement, réviser les résultats de tests de laboratoire avec la patiente, etc. » L’IPS, elle, partage son temps entre les douze médecins de la clinique. Elle a ses propres patients, mais ils doivent être inscrits au nom d’un médecin qui les voit à la première visite. « Elle suit beaucoup d’enfants, mais l’après-midi elle fait surtout de la médecine générale avec moi », souligne la Dre Carrière. Grâce à des ordonnances collectives, l’infirmière praticienne peut prescrire certains médicaments, des prélèvements sanguins et des échographies. « Elle est vraiment autonome. J’interviens lorsque le cas dépasse son champ de compétence. » Bien sûr, la Dre Carrière pourrait travailler sans l’aide de ces précieuses infirmières. « Mais est-ce que je serais aussi efficace ? Est-ce que je pourrais avoir plus de 500 patients inscrits ? Non, pas avec le nombre de grossesses que je suis. »
essentielle. « Les infirmières voyaient d’abord le patient afin de faire un bon débroussaillage, ce qui a permis aux médecins de gagner du temps. » Au GMF Omni-Plateau, les infirmières cliniciennes s’occupent des maladies chroniques, dont l’hypertension, le diabète, les maladies pulmonaires, les maladies mentales et même la démence. Elles fonctionnent avec des ordonnances collectives ainsi qu’avec des protocoles qui leur donnent suffisamment d’autonomie pour faire des suivis seules. Afin de voir tous ces patients, les médecins, de
leur côté, fonctionnent en accès adapté. « Cela a transformé la pratique », affirme la Dre Sirois. Le marathon d’inscription a été une heureuse initiative d’abord et avant tout pour les nouveaux patients. Ils en ont été incroyablement reconnaissants. « C’était comme s’ils avaient gagné le gros lot. Certains attendaient d’avoir un médecin depuis longtemps. Cela a valu la peine de le faire. Nous allons continuer », assure la médecin de famille. //
Erratum. Une erreur s’est glissée à la page 13 du numéro de juillet 2016. Le terme Dochitecte®, utilisé pour décrire le titre professionnel de la Dre Diana Anderson, aurait dû se lire Dochitect® puisqu’il s’agit d’une marque déposée.
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