Dépêche AEF : Le TDM sera plus aisément adopté par l'Europe si la ...

7 avr. 2016 - un contexte de forte concurrence internationale, argue-t-elle. .... institution qui pourrait leur donner le droit, mais ils ont besoin du TDM.
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Dépêche AEF : Le TDM sera plus aisément adopté par l'Europe si la France l'introduit dans sa législation (Julia Reda, députée de l'UE)

07/04/2016 14:31

AEF Dépêche n°535775 - Paris, le 07/04/2016 12:22:00 - Recherche et Innovation - 217.114.201.5 - www.aef.info Toute reproduction ou transmission de cette dépêche est strictement interdite, sauf accord formel d'AEF.

Le TDM sera plus aisément adopté par l'Europe si la France l'introduit dans sa législation (Julia Reda, députée de l'UE) Par Anne Roy

Il faut que l’Europe légifère sur le TDM (text and data mining, ou fouille de données) "aussi vite que possible", estime l’eurodéputée allemande du Parti Pirate Julia Reda, auteure d’un rapport sur la révision de la directive européenne sur le droit d’auteur, dans un entretien à AEF (1). Les différentes législations en vigueur en Europe au sujet du TDM et du droit d’auteur "handicapent les coopérations scientifiques" dans un contexte de forte concurrence internationale, argue-t-elle. Elle souhaite en particulier que la France prenne des dispositions législatives en la matière car "tout ce qu’elle introduira au niveau national aura une plus grande chance d’être adopté au niveau européen". Elle estime également que la communauté scientifique doit se faire entendre pour peser face aux éditeurs "qui ne manquent pas de moyens pour communiquer avec la sphère politique".

Julia Reda, eurodéputée (Parti pirate)

AEF : En quoi la réforme de la directive européenne sur le droit d'auteur est-elle nécessaire pour les chercheurs ? Julia Reda : Cette réforme est devenue nécessaire parce que le droit d'auteur dans l'Union européenne est très fragmenté. En 2001, l’Union a promulgué une directive pour harmoniser les http://www.aef.info/abonne/depeche/535775

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droits des ayants droit (éditeurs, producteurs, etc.) mais sans harmoniser les droits du public. Donc si vous voulez par exemple citer un travail sous droit d’auteur, les règles sont très différentes suivant les pays. En France, vous pouvez citer un texte mais pas une vidéo. En Allemagne, vous pouvez citer une vidéo mais uniquement dans une perspective critique. Le partage des travaux sur internet amène d'autres complications, les règles étant différentes selon les interlocuteurs impliqués. Il faut plus de coordination. AEF : Où en est le texte au niveau européen ? Julia Reda : Au départ, la Commission avait annoncé une grande réforme pour abolir les frontières en matière de droit d’auteur. Mais elle a fait en décembre 2015 une annonce bien plus limitée, qui traite principalement des exceptions concernant la recherche et l’enseignement, ainsi que de la "liberté de panorama", c'est-à-dire le droit de prendre une image de bâtiments publics et de la publier sans l’accord de l’architecte. Ce sont des enjeux très importants, mais ce n’est qu’une partie de la question, qui concerne aussi le quotidien de tous les usagers d’internet. Cela fait longtemps que des discussions sont engagées au sein de la Commission sur l’orientation de la réforme, mais l'une des raisons du retard tient à un désaccord entre le viceprésident pour les affaires numériques, favorable aux start-up et au développement de l’économie digitale, et le commissaire à l’Économie numérique, plus intéressé par la protection des grandes entreprises. Le 23 mars, une nouvelle consultation a été rendue publique par la Commission. Il y en avait pourtant déjà eu une, tout à fait exhaustive, en 2013, avec 80 questions sur tous les aspects de la loi. Mais elle n'a pas permis d'adopter une position commune sur la liberté de panorama et sur de nouveaux droits voisins pour les éditeurs. Avec cette nouvelle consultation, tout est retardé : la réforme a été reportée de juin à septembre et nous ne sommes même pas sûrs qu'elle sera prête en septembre. Aux États-Unis, il y a une loi pour 500 millions de personnes. En Europe, s’il y a une collaboration entre des chercheurs de France, de Belgique et d’Allemagne, ceux-ci doivent travailler avec trois lois différentes. AEF : Ces retards peuvent-ils être un handicap pour l’Europe dans le contexte très concurrentiel de la recherche au niveau mondial ? Julia Reda : Oui. Ces retards handicapent les chercheurs dans leur travail au quotidien. Cela complique leurs coopérations : si différents partenaires viennent de différents pays, ils doivent suivre différentes règles en matière de droits d’auteur. Aux États-Unis, il y a une loi pour 500 millions de personnes. En Europe, s’il y a une collaboration entre des chercheurs de France, de Belgique et d’Allemagne, ceux-ci doivent travailler avec trois lois différentes. Au minimum, harmoniser les dispositions qui concernent la recherche et le TDM (text and data mining), y compris pour les citations, permettrait aux chercheurs de consacrer plus de temps à la recherche et moins à tenter de comprendre les règles et d’en contourner les difficultés et la bureaucratie. Les États-Unis mais aussi le Japon et d’autres pays ont déjà la possibilité de faire du TDM. AEF : Quel est le cadre européen actuel pour le TDM ? Julia Reda : Je pense que si c’est impossible en Europe, c’est par accident. En Europe, il existe un nombre limité d’exceptions au droit d’auteur. Un État membre ne peut pas décider seul d'introduire une nouvelle exception, à moins que la directive de 2001 l’autorise explicitement. http://www.aef.info/abonne/depeche/535775

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C'est ainsi que l'essentiel du TDM pratiqué en Europe se fait au Royaume-Uni, qui a introduit une exception restreinte à ses usages non commerciaux, seule possibilité offerte par la directive actuelle. Par comparaison, aux États-Unis, il existe un système dit de "fair use" ("usage acceptable") qui autorise les tribunaux à examiner de nouveaux usages et décider s’ils sont ou non autorisés en fonction d’un certain nombre de critères. Il est donc nécessaire que l’Europe introduise une nouvelle exception pour le TDM aussi vite que possible. AEF : Un certain nombre d’États attendent la nouvelle directive pour entreprendre leurs propres réformes. Quelles sont vos attentes à l’égard des autorités françaises ? Julia Reda : La France doit faire avancer sa propre réforme. La législation européenne peut changer, mais les réformes européennes sont aussi fortement influencées par les débats qui ont lieu au niveau des États membres. Si la France introduit le TDM, cela ne change pas seulement la loi nationale, cela change la position du gouvernement français dans les négociations au Conseil. C’est très important. La France, ainsi que l’Allemagne, ont toujours joué un rôle important dans l’évolution du droit d'auteur européen. Tout ce que ces deux États introduiront au niveau national aura une plus grande chance d’être adopté au niveau européen. Compte tenu des délais d'application des directives européennes, il est tout à fait raisonnable que la France introduise dès maintenant une exception pour le TDM, sans attendre l'adoption de la directive. Sinon, il risque de s'écouler encore quatre ans sans que rien ne change. Sur un sujet aussi spécialisé que celui du TDM et du droit d'auteur, nous avons besoin que les chercheurs nous fassent part de leurs conclusions, de façon accessible et facilement compréhensible. AEF : La communauté scientifique est-elle suffisamment consciente des enjeux de ces exceptions ? Julia Reda : Les plus jeunes parmi les chercheurs sont particulièrement actifs sur l’open access et l’open science, ils sont conscients des enjeux et interpellent leurs représentants. Mais cela ne suffit pas encore. Trop de chercheurs considèrent la politique comme étant extérieure à leur champ d’action : ils produisent des preuves, des éléments et se vexent parfois que les politiciens ne les écoutent pas. Mais ils ne sont pas aussi rompus à porter l'information que les lobbys industriels. Les députés européens doivent traiter de tout, de la crise économique aux questions migratoires. Sur un sujet aussi spécialisé que celui du TDM et du droit d'auteur, nous avons besoin que les chercheurs nous fassent part de leurs conclusions, de façon accessible et facilement compréhensible. Car les éditeurs, par exemple Elsevier, qui a un profit net d’un milliard d’euros par an, ne manquent pas de moyens pour communiquer avec la sphère politique. Il faut un équilibre, il faut qu’il y ait aussi une communication qui mette en avant l’intérêt public. AEF : Pourquoi est-il pour vous important de ne pas limiter l’exception du TDM aux institutions à but non-lucratif ? Julia Reda : Le cas de Chris Hartgerink, jeune chercheur des Pays-Bas, doctorant en psychologie, en fournit une bonne illustration. Pour ses travaux, il a mis au point une méthode statistique qui suppose de faire du TDM, de télécharger les articles de recherche et de les passer au crible d’un algorithme pour repérer et analyser certains articles. Il téléchargeait ces articles depuis son compte d’étudiant à l’université, à un rythme de neuf par minute. Elsevier, qui a son propre outil de TDM sous licence, a menacé de fermer le compte de la bibliothèque, le nombre d’articles ainsi téléchargés constituant selon lui une violation de sa politique vis-à-vis http://www.aef.info/abonne/depeche/535775

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des utilisateurs. La bibliothèque a accédé à la demande d’Elsevier et le chercheur a dû arrêter. Dans un tel cas, où le jeune chercheur ne reçoit pas le soutien de son institution qui fait le choix de collaborer avec l'éditeur, une exception de TDM pour les institutions ne changerait rien. C'est la raison pour laquelle il faudrait que le TDM soit un droit individuel, indépendamment de l'appartenance ou non à une institution. Ce serait aussi important pour les "citoyenschercheurs", par exemple les patients qui font des recherches sur leurs propres maladies et qui entrent en contact avec d’autres personnes qui ont la même maladie. Dans le cas des maladies rares en particulier, il est fréquent que les patients soient les experts - ils ont passé de nombreuses années à faire des recherches sur leur maladie. Ils ne font partie d’aucune institution qui pourrait leur donner le droit, mais ils ont besoin du TDM. Les entreprises doivent bénéficier de l’exception et pouvoir faire du TDM parce qu’il n’y a pas d’autre voie légale. AEF : Ne pourrait-on pas alors opter pour une limitation définie par la notion d’intérêt public ? Julia Reda : Le problème de cette approche est qu'elle place les bibliothèques et les archives dans une position dangereuse, devant alors prouver qu’elles agissent bien en fonction de l'intérêt public. Or aujourd'hui, n’importe qui peut mettre en place une archive sans avoir besoin d'autorisation ni de prouver que cette archive est d'intérêt public. Si je collectionne les prospectus de ma boîte aux lettres, c’est une archive. À partir du moment où il n'y a pas de définition précise de l'intérêt public dans ce contexte, cette option créerait deux classes d’institutions : celles qui seraient reconnues par l’État comme poursuivant un intérêt public et les collections privées. Par ailleurs, les entreprises doivent bénéficier elles aussi de l’exception parce qu’il n’y a pas d’autre voie légale pour faire du TDM. N'autoriser le TDM que pour les institutions de recherche publique ou pour celles reconnues d'intérêt public maintiendrait les entreprises, qui de toute façon pratiquent déjà le TDM, dans une zone grise où personne ne saurait précisément ce qui est légal ou non. Et celles qui voudraient s'assurer du cadre légal n'auraient alors d'autre recours que de se délocaliser aux États-Unis. Je ne pense pas que cela soit dans l’intérêt de l’économie européenne. (1) Julia Reda était le "grand témoin" de l'atelier "transformation numérique et recherche" aux RUE, le 24 mars 2016.

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