"Dans l'ombre d'un doute" de Nicolas Bézier Tous droits réservés à ...

crémaillère de ton amie Érika, je suis allé parler à ...... Je suis fatiguée de ces bras de fer à plusieurs ..... que je croisais sur mon chemin était prétexte à aller.
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"Dans l’ombre d’un doute" de Nicolas Bézier

Tous droits réservés à Nicolas Bézier, le 5 mai 2016.

[email protected] (514) 574-8261

Distribution des rôles Lili:

Katrine Richard

Gabriel:

François Dallaire

Évelyne, la psy:

Danielle Barbeau

Christine:

Nadia Fontaine

Érika:

Martine Robergeau

ACTE I: MAGIE Scène 1 Lili est couchée en boule au milieu de la scène et pleure longuement toutes les larmes de son corps. Scène 2 Une femme s’avance derrière elle. EVELYNE Avez vous déjà eu l’impression de tomber dans un puits sans fond? Cette sensation de néant, cette obscurité angoissante, cette humidité qui transperce vos pores et dont l’odeur de terre, semblable à celle de votre tombe, vient provoquer votre odorat comme pour vous rappeler que c’est là la destination qui vous attend dans un futur... un futur si proche qu’il n’en est plus vraiment un. Futur... est ce que seulement ce mot a encore un sens? La vitesse vous étourdit tellement que vous vous résignez, jugeant plus judicieux de vous abandonner dans un demi-sommeil, afin d’atténuer la panique de ce cœur qui cherche juste à s’extirper de votre poitrine. À quoi bon lutter? À quoi bon tenter de vous accrocher aux parois si ce n’est pour vous blesser plus encore? Mais elle, dans sa chute vertigineuse, elle a tenté d’agripper la corde à quelques reprises, même si elle s’y brûlait les mains. Lili se redresse lentement et en marche arrière se dirige vers une chaise, pour s’assoir en face d’Évelyne. EVELYNE Elle est venue frapper à ma porte un mercredi du mois de mai après avoir refermé derrière elle celle du bureau d’une psychologue stagiaire, aux compétences certainement incontestables, mais qui à ce stade de sa formation ne pouvait communiquer que par onomatopées. Son nom est Lili. Une jeune fille douce, drôle et allumée, même si sa lumière était une simple veilleuse depuis huit mois. Cette première rencontre ne m’avait pas frappée tant que ça pourtant. Elle était ma troisième patiente de ce mercredi. Celle qui précédait mon agoraphobe de 17h. Je me souviens néanmoins de sa grande facilité à parler dès cette première séance. Elle était totalement déshinibée au niveau de ses émotions, qu’elle arrivait même parfois à tourner à l’autodérision. Cela se voyait qu’elle avait déjà fait un certain cheminement malgré ses multiples questionnements, et qu’elle voulait s’en sortir.

[.../...]

2.

LILI (à sa psy) Je l’ai rencontré sur internet. C’est lui qui était venu m’aborder dans la période de Noël 2010. Je le trouvais sympathique, cute, mais pas plus que si ça avait été un autre. Je me souviens que la majorité de ses photos avaient été prises lors d’un trekking au Maroc. Et il m’avait posé la question si son profil m’avait fait voyager. EVELYNE Vous avez discuté longtemps comme ça, par écrit? LILI Peut-être pendant trois semaines. Il vivait à Québec en fait, et était venu passer quelques jours à Montréal. Malheureusement il repartait le lendemain et de mon côté j’étais pas mal occupée. Mais il me disait qu’il planifiait de revenir ici quelques semaines plus tard pour se faire tatouer. EVELYNE Et donc là, vous vous êtes vus. LILI Oui. Je remontais les escaliers mécaniques du métro Berri et il m’attendait en haut, avec ses grands yeux verts pleins d’étoiles et son sourire doux. Il avait comme ce genre de face de clown qui donne envie de lui pincer les joues. Il transpirait la joie de vivre par le plus petit de ses pores. Nous sommes allés prendre un verre dans l’un des premiers pubs que nous avons croisé. Dès le premier mot échangé, nous étions totalement déniaisés l’un par rapport à l’autre. Tout était si simple, si naturel. Scène 3 Lili et Gabriel sont assis face à face. GABRIEL Ce qui m’a le plus fasciné là-bas, c’est l’accueil des gens. Non seulement tu es reçu comme un membre de la famille à part entière, mais en plus ce sont des gens qui n’ont rien et qui te donnent sans la moindre hésitation le peu qu’ils ont. En revanche ce qui est triste c’est que si au contraire ce sont eux qui viennent chez nous, ils ne recevront pas du tout le même accueil. LILI Apparemment il a eu l’air de te marquer, ce voyage à Madagascar. GABRIEL Vraiment. C’est lui qui m’a permis de me retrouver à un moment où j’ai fait une grosse remise en question [...] [.../...]

3.

GABRIEL [suite] sur ma vie. Professionnellement j’étais perdu, je ne savais pas vers quoi m’orienter. Je suis revenu différent et avec de nouveaux projets. C’est depuis que j’ai décidé de commencer mes études en journalisme. J’aimerais être reporter à l’étranger. Mais parle moi de toi. Ton travail? LILI Oh moi, tu sais, les assurances, ça n’a rien de palpitant. C’était intéressant au début, mais on fait vite le tour. L’ambiance n’est pas très bonne, je m’entends mal avec mes boss. Tu voies, j’ai perdu ma grand-mère il y a un mois, et ils ne m’ont même pas laissé me libérer plus qu’une journée pour aller à l’enterrement à l’autre bout du Québec. GABRIEL Je suis vraiment désolé. LILI Ça va, ne t’inquiète pas. Ça a été un cap difficile mais je passe enfin au travers. J’étais très proche d’elle en plus. Sinon tu as des frères et soeurs? GABRIEL Aucun, je suis fils unique. Je vis encore chez ma mère le temps de mes études. LILI Tes parents sont séparés? GABRIEL Mon père est mort. LILI Excuse-moi. GABRIEL (riant) Ah ah ah, non non, faut pas! Je dirai même que ça m’amuse car les gens ont toujours l’air super mal à l’aise quand j’arrive avec cette nouvelle. Ça m’arrive parfois de jouer avec ça, je trouve ça drôle. Sinon tu aimes voyager? LILI Beaucoup. Si j’en avais un peu plus le temps et l’argent, je ferais que ça. J’ai fait un peu l’Europe, le Brésil, et la Tunisie. GABRIEL Le Brésil? Waouh. Moi je prévoie de partir deux mois cet été pour faire le sud de l’Asie. La Malaisie, Indonésie, Bali...

[.../...]

4.

LILI Pour marquer la fin de tes études? GABRIEL Pas vraiment. Il me restera encore une année à faire après ça. LILI En tout cas tu m’énerves. GABRIEL Pourquoi? LILI Parce que tu habites loin. GABRIEL Je sais. Et ce soir je m’énerve à moi aussi. Silence flottant. Les deux se fixent. Gabriel casse le silence. GABRIEL Mais comme je te disais je prévoie de venir m’installer à Montréal après ça. J’y ferai peut-être même mon stage final si tout va bien. Et puis comme tu sais, en attendant, vu que la majorité de mes amis sont ici, je viens assez régulièrement. LILI Voilà qui est rassurant. Tu veux commander autre chose? Scène 4 À sa psy: LILI Je savais dès cet instant là que je voulais aller loin avec lui. On s’est revus le surlendemain et on a écouté un film ensemble. C’est seulement à la fin qu’on s’est embrassés. Puis juste après on était là, au milieu du salon à commencer à danser dans les bras l’un de l’autre comme deux amoureux sur "Give me novacaine", défiant ainsi toute loi de l’espace-temps. C’était comme si on se fréquentait depuis des mois. On se laissait bercer et on ne pouvait plus se détacher, mon front s’abandonnant dans son cou. Puis on a dormi ensemble, en t-shirt, ne tentant rien de déplacé. On était bien, juste en étant blottis l’un contre l’autre, en se murmurant nos vies, en riant comme deux ados. On était animés par la même folie. Quand je lui faisais des farces il me disait même: "fais attention car tu sais que je vais embarquer dans la moindre de tes conneries". C’est vrai qu’il n’avait pas froid aux yeux, et encore moins peur du ridicule. On avait besoin de [...] [.../...]

5.

LILI [suite] rien de plus que ce moment là. Je ne m’étais pas sentie aussi respectée depuis longtemps. Je ne m’étais pas sentie aussi vivante depuis longtemps. Le lendemain matin, il repartait à Québec. EVELYNE Et comment est ce que vous arriviez à gérer la distance? LILI Comme on pouvait. C’est vrai qu’on était pas aidés car non seulement il étudiait mais en plus il travaillait dans une boutique de sport les fins de semaines. Mais il lui arrivait de prendre congé juste pour venir me voir. Sinon j’y allais aussi. Une fois j’ai même eu la folie de prendre un covoiturage juste après ma journée de travail, et de revenir sur Montréal à l’aube, pour ré-attaquer à 9h. C’est d’ailleurs cette fois là qu’il m’a confirmé avoir réservé son billet pour son voyage. Il était fou de joie... mais en ce qui me concernait c’était tout autre chose. EVELYNE Le voyage en Malaisie? LILI Malaisie entre autres. Un sujet délicat d’ailleurs. Déjà je souffrais de ne pas passer autant de temps avec lui que j’aurais souhaité, mais en plus il venait de m’annoncer qu’il serait à quinze mille kilomètres pour toutes ses vacances d’été. C’était le seul moment où on aurait vraiment pu profiter pleinement l’un de l’autre. On a pu négocier un compromis et il l’a écourté de... de quelques jours. Pas grand chose, mais c’était au moins ça. EVELYNE Combien de temps il partait? LILI Au final deux mois et demie. EVELYNE Mouais... ça laisse pas grand temps à passer ensemble ça. LILI Je sais. Je supportais plus d’entendre parler de voyages en général depuis ce moment là. Mais que faire? On venait tout juste de se connaitre et son projet datait de bien avant. Je ne pouvais pas l’en empêcher.

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6. EVELYNE Non effectivement mais si au moins vous avez réussi à en discuter et trouver un entre deux, c’est déjà un bon début. LILI On communiquait à la perfection. C’est sûr qu’au début on essayait de dealer avec la différence d’âge, d’environnement, mais le fait de se téléphoner au moins un soir sur deux aidait beaucoup. EVELYNE Tout part de là. Et c’est dommage parce que maintenant ça se perd avec la génération textos. On ne prend plus le temps de se dire les vraies choses ni de débattre. Ça engendre pas mal de malentendus aussi. LILI Justement. Malgré le fait qu’il soit un peu plus jeune, il détestait ce mode de communication. Et au contraire on pouvait rester quasiment une heure à se parler chaque fois, si ce n’était pas plus. On s’écrivait des courriels également. Juste pour se dire qu’on pensait l’un à l’autre. Vous savez, comme le faisaient nos parents avec les lettres. EVELYNE Effectivement. Ça entretient la flamme. LILI Et la compréhension. Une fois j’avais eu une petite frayeur par rapport à une autre fille qu’il avait ajoutée sur son compte facebook. Avec hésitations je l’avais questionné. Après m’avoir rassurée sur leur lien amical, je me souviens qu’il m’avait répondu... GABRIEL Tu as bien raison de me demander. Sans questions il n’y a pas de réponses. Et sans réponses rien n’est résolu. Je sais que je suis comme un livre ouvert, mais avec une feuille de papier givré par dessus. Personne n’a réussi à la retirer pour l’instant. Je ne sais pas d’où viennent ma si grande indépendance et mon réflexe d’auto-protection. Certains pensent que c’est lié à la perte de mon père, qui sait? Ce qui est sûr, c’est que je veux travailler dessus. Comment? En me poussant comme tu le fais. Je te remercie pour tout ce que tu m’apportes. Scène 5 La mère de Gabriel entre dans la pièce. CHRISTINE Je vais faire une lessive. Si tu as des choses à me donner, c’est maintenant.

[.../...]

7.

GABRIEL Non, j’en ai fait une avant hier. CHRISTINE Tu devrais jeter ce t-shirt, il est tout délavé depuis le temps. GABRIEL Bah, c’est pas grave. CHRISTINE Tu finis à quelle heure demain? On devrait aller au centre commercial après tes cours pour t’acheter deux ou trois affaires un peu plus chics. Tu es toujours habillé comme un sans-le-sou. GABRIEL Oui on verra. Comment ça a été ta journée, Mom? CHRISTINE Je suis exténuée. J’ai eu trois clientes rien que dans la matinée. Et vas-y que je te raconte ma vie, et que ça fait la comédie parce que la cire est trop chaude... J’ai cru que j’allais en gifler une. GABRIEL Tu veux que je te fasse couler un bain? CHRISTINE Non merci, pas maintenant. Peut-être un peu plus tard après le souper. Là je vais m’allonger un petit quinze minutes. Tu voudras finir le pâté chinois d’hier ou je nous fais une pizza? GABRIEL Pâté chinois, ça ira! Maman... il faut que je te dise quelque chose. CHRISTINE Quoi? Qu’est ce qui t’arrive? GABRIEL Je croie que j’ai rencontré quelqu’un. Silence. CHRISTINE Ah bon... Et comment ça? Enfin je veux dire... tu l’as rencontrée où? GABRIEL C’est pas important. CHRISTINE C’est une fille de l’université?

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8.

GABRIEL Tu veux vraiment que je te le dise? CHRISTINE Tu m’inquiètes là. GABRIEL En ligne. CHRISTINE Encore? Oh, Gabriel, tu sais très bien ce que j’en pense de ces filles d’internet... écoute... Ça t’a pas suffi la droguée de l’été dernier? GABRIEL Oui, je sais, mais elles sont pas toutes comme ça. CHRISTINE (se calme) Bon. Comment elle s’appelle? GABRIEL Lili. CHRISTINE Non mais... son vrai prénom. GABRIEL Lili. CHRISTINE (faisant la moue) Ah bon. C’est pas commun ça. Elle fait quoi dans la vie? GABRIEL Elle travaille en service clientèle dans les assurances. Mais elle n’aime pas trop ça. CHRISTINE Oui c’est sûr. Et elle est jolie au moins? GABRIEL (sourire doux) Oh oui. Vraiment. CHRISTINE (mal à l’aise) Bon ben... tant mieux. Et bien je vais aller faire ce lavage. Je suis contente pour toi mon chéri. Tant que tu es heureux, c’est le principal. Mais fais attention hein... GABRIEL Oui, Mom.

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9.

CHRISTINE Et puis surtout... GABRIEL Oui, promis, j’irai doucement. CHRISTINE Bon. Elle fait quelques pas. GABRIEL Mom! CHRISTINE Oui? GABRIEL Tu es sûre que ça va? CHRISTINE Mais bien sûr voyons. Je suis juste très fatiguée, j’ai besoin d’aller m’assoupir un peu. Tu mets pas ta musique trop fort hein. GABRIEL Promis. Je t’aime. CHRISTINE Moi aussi. Ça te va si on soupe un peu plus tard? GABRIEL Pas de problèmes. Repose-toi, je vais m’en occuper. Scène 6 Lili est avec sa meilleure amie, Érika. ÉRIKA Oh, six ans de moins, c’est rien. LILI Quand c’est l’homme qui est plus jeune, oui ça compte. C’est qui qui passe pour un couguar après ça? Ou encore pire, une... enfin, tu voies quoi. ÉRIKA Ça tu t’en fous, tu pourras jamais empêcher les gens de parler. Regarde Madonna par exemple qui s’est mise avec un de ses danseurs qui... hum, bon d’accord, j’ai choisi un mauvais exemple. LILI Oui je pense aussi oui. Mais tu sais quoi en plus? En un sens c’est moi qui ai parfois l’impression d’être une attardée à côté de lui.

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10.

ÉRIKA Arrête... LILI Si si, je te jure. C’est quelqu’un qui a cumulé plein d’expériences de vie, rien qu’avec ses voyages. Il rendrait jaloux le plus téméraire des explorateurs. Et je parle même pas de sa vie de tous les jours. Toujours en parfaite maitrise de lui, à l’aise dans la moindre situation... le tout avec une sérénité constante. Et à côté de ça il est super drôle en plus! C’est fou, il n’a pas la moindre faille. Parfois en sa présence je me sens si nulle. ÉRIKA Mais non, c’est un humain avec ses faiblesses, comme tout le monde. Tu ressens ça juste parce que tu n’as pas assez confiance en toi. LILI Peut-être. Mais en attendant, tu verrais aussi ses notes en cours. Jamais en dessous de 80%. Il a une culture générale sans limites. Tu le lances sur n’importe quel sujet, il va s’y intéresser. ÉRIKA Lili, tu mériterais des claques. Je suis sûre que tu lui apportes tout autant que lui le fait. Et vous avez fait youpla boum? LILI Plus ou moins. Mais on va doucement. J’en ai besoin et il me respecte là dedans. C’est ça que j’aime entre nous deux. On suit le rythme des choses sans la moindre pression, en étant déjà très heureux avec ce qu’on a. On se sent bien ensemble et ça nous suffit. ÉRIKA J’aime ça te voir heureuse. Si quelqu’un mérite de rencontrer la bonne personne c’est tellement toi. LILI Oui, en effet, je pense que j’ai suffisamment mangé mon pain noir. Est ce que je t’ai dit qu’il vient passer quatre jours ici la semaine prochaine? Scène 7 GABRIEL Quand j’ai eu 13 ans maman et moi nous nous sommes retrouvés livrés à nous même. Tout a basculé du jour au lendemain. Moi qui auparavant était un enfant volubile, je me suis enfermé dans mon propre cachot pendant au moins quatre longues années. Maman avait plutôt tendance à parler de tour d’ivoire, elle trouvait ça plus optimiste. Plus optimiste, ça faisait tellement bizarre de voir ce mot là sortir de [...] [.../...]

11.

GABRIEL [suite] sa bouche. Elle aussi elle y a perdu une part d’elle. Elle a perdu sa moitié. Sa moitié joyeuse. Elle se bat pourtant, elle se bat très fort pour ne rien me montrer, mais je voie bien que la solitude la ronge. Le fait de vieillir aussi, ça elle ne le supporte pas. C’est pour ça qu’elle fait tout pour rester coquette, pétillante et active. J’aimerais tellement qu’elle aussi puisse avoir la chance de rencontrer quelqu’un. Quelqu’un qui prenne soin d’elle, l’amène au restaurant, ou en voyage à Paris. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vue sourire. Un vrai sourire, je veux dire... qui réponde à un appel du cœur et non de sa raison. Heureusement, je suis quand même là pour elle. Après tout, maintenant c’est moi l’homme de la famille, non? Il est de mon devoir de veiller à son bonheur. Et surtout de ne jamais lui faire de peine, ni de la décevoir. Elle en a assez bavé comme ça. Scène 8 Voix de Lili derrière lui, assise sur le lit. LILI Tu parles tout seul maintenant? GABRIEL Ah ah. Oui c’est ça, je deviens sénile. Tu voies, j’ai même pas eu à attendre des années pour te rattraper. Il rit. Lili fait semblant d’être vexée. GABRIEL Je peux te demander quelque chose? Sens toi libre de me dire non surtout. LILI Quoi? GABRIEL Tu serais d’accord si demain j’allais à la pharmacie pour m’acheter une brosse à dents et un déodorant que je laisserais ici chez toi en permanence? LILI Tu rigoles? Mais bien sûr que oui! Il la rejoint au lit. GABRIEL C’est juste que ce serait beaucoup plus simple, hein.

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12.

LILI (amusée) Oui oui, bien sûr oui. T’es cute. Avec ta petite face de personnage de dessin animé. GABRIEL Même quand je fais Golum? Stupide hobbit joufflu! LILI Ah ah ah, t’es con. GABRIEL (la chatouille, dans l’amusement) Hey! Soie polie. LILI Mais tu es mon p’tit con préféré. Ils jouent puis s’embrassent. Puis Gabriel prend Lili dans ses bras, derrière elle. LILI Je me sens bien avec toi. GABRIEL (murmure) Moi aussi. Vraiment. J’arrête pas de parler de toi autour de moi. Il y en a plusieurs qui sont bien curieux de te rencontrer. LILI C’est vrai? GABRIEL Ouais. Il commence à chantonner doucement la chanson de Green day: "Last night on earth". GABRIEL I text a postcard sent to you. Did it go through? Sending all my love to you. You are the moonlight of my life Every night Giving all my love to you. LILI My beating heart belongs to you. I walked for miles till I found you.

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13.

ENSEMBLE I’m here to honor you If I lose everything in a fire I’m sending all my love to you. Moment de calme entre les deux. Il a le menton sur son épaule. Dans un soupir. GABRIEL On s’est enfin trouvés. LILI Vraiment (...) Écoute, je voudrais te parler de quelque chose. C’est juste un détail, rassure-toi. Mais quand je suis allée faire mes tests de dépistage l’autre jour, même si tout était correct l’infirmière m’a demandé si on était un couple solide. Enfin disons je veux dire... si on n’allait pas voir ailleurs ni rien. GABRIEL Tu penses que j’ai envie de continuer à galoper? LILI Bien sûr que non, je te fais confiance, mais... tu en penses quoi toi, des couples qui font ça? GABRIEL C’est pas mon truc. Si je suis avec quelqu’un c’est pour lui être fidèle. Si on ressent le besoin d’aller voir à côté c’est qu’il y a un manque à combler quelque part. LILI Ouf ça me rassure. C’est tellement banalisé de nos jours. J’avais besoin de tirer ça au clair. GABRIEL Je comprends, mais en même temps les tabous, je suis d’avis que ça ne devrait pas exister. De toutes façons, j’ai déjà concrétisé tout ce que je voulais expérimenter à date. LILI Comment ça? GABRIEL Disons que j’ai eu une phase où j’ai eu envie d’explorer de ce côté là. Et quasiment tous les fantasmes que j’avais en tête, je les ai faits. LILI Ah bon? Comme à plusieurs et tout?

[.../...]

14.

GABRIEL Bien sûr. Mais j’ai pas aimé ça, et j’ai juste voulu le refaire une deuxième fois pour me conforter dans cette idée. LILI Heu... est ce qu’il y a autre chose que je devrais savoir? GABRIEL Si c’est par rapport au même domaine, quand j’avais seize ans ça m’a même survolé l’esprit de faire des films. Des films genreeee... enfin tu devines quoi. Mais bon, ça je te rassure, je l’ai pas fait hein... LILI (mal à l’aise) D’accord... j’espère bien... Ça fait bizarre d’entendre tout ça de ta bouche. GABRIEL (fier) Oui je sais. On m’a déjà dit qu’à première vue je ne dégageais pas ça du tout. LILI Ben non. Et je t’avoue que je sais plus trop quoi penser maintenant. GABRIEL Écoute, j’étais un ado de seize ans, avec toutes les pires folies qui lui traversent la tête. Il n’y a aucune importance à y attacher. C’est tout aussi ridicule que si je t’avais dit que j’avais eu envie de sauter en parachute depuis le toit de ma grand-mère. LILI J’ai comme l’impression d’être en décalage avec toi maintenant. Tu sais, même si je suis plus âgée que toi, j’ai pas autant d’expérience. GABRIEL Eh, c’est pas une question de se comparer. là, il y a comme trois entités. Il y a ton mien, et le nôtre à tous les deux. Mais en je vais juste te demander une chose. De ne m’obliger à renier mon expérience.

De ce côté bagage, le revanche pas

LILI D’accord. il y a tellement de choses que j’aimerais découvrir avec toi. Ils s’embrassent et commencent à faire l’amour. Noir. La lumière revient. Un certain temps a passé. Ils sont assis côte à côte sur le lit.

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15. LILI Je suis désolée, c’est comme la première fois que ça m’arrive. Ça doit être la fatigue ou la nervosité. GABRIEL (amusé) C’est pas au gars de dire ça normalement? LILI Rah, te moque pas de moi. Ça m’énerve. GABRIEL Tu sais, c’est pas comme si c’était la seule et unique opportunité qu’on avait de le faire. LILI Je sais, mais rah... je me sens nulle. GABRIEL Mais non, tu ne l’es pas. Ça m’est arrivé aussi. Pas de la même manière certes, mais bon... LILI T’es gentil d’essayer de me rassurer, mais je suis consciente que ta patience a des limites. GABRIEL (se tournant pour dormir) C’est trop tôt pour se poser ce genre de question. On a tout le temps. Scène 9 Gabriel s’est tourné pour s’endormir. Evelyne s’assoit sur le rebord du lit des amoureux. LILI Le même problème s’est représenté de nombreuses fois. Tout commençait très bien, puis arrivée à un certain stade, je figeais. Et là tout se bousculait dans ma tête. Je ne savais plus comment concevoir le fait de faire l’amour. Si c’était une communion entre deux âmes, ou juste quelque chose de machinal. EVELYNE Pourquoi machinal? LILI Je ne sais pas. Il n’était pas brusque ni rien de tout ça. Mais j’avais l’impression d’être comme avec... comme avec une star de film en plein travail, qui cherchait juste à me montrer combien il était déniaisé, et combien il savait y faire. Techniquement parlant bien sûr. Même dans son regard, ce sourire qui ressemblait plus à de la fierté qu’à de l’abandon. Il manquait cette chose qui à mes yeux est essentielle.

[.../...]

16.

EVELYNE La sensation d’innocence? LILI Exactement. J’ai même passé des mois avec toujours une lueur de doute sur son histoire de films. Si justement ça ne lui était pas arrivé de réaliser ça pour de bon. EVELYNE Vous savez, l’impression que ça me donne, c’est que très certainement il n’a pas dû faire le quart de tout ce qu’il vous a dit. Certainement que c’était pour se donner de l’importance et vous en mettre plein la vue. LILI Hum... je ne sais pas. Croyez-moi, il maitrisait. EVELYNE Ce ne serait pas le premier et encore moins le dernier qui fait ça. Surtout à cet âge. LILI Je me sentais vraiment comme si faire l’amour avec moi serait d’un ennui mortel pour lui. Ou tout au moins du déjà vu. Même des mois plus tard, quand on a reparlé de tout ça, et que je lui ai demandé comment nous pourrions explorer ensemble de la nouveauté, il avait pris un air blasé en me disant: "est ce que tu veux que je te cite tous les endroits dans lesquels je l’ai fait?" EVELYNE Mais justement. Qu’est ce que ça voulait dire ça selon vous? LILI Ben qu’il était très à l’aise avec le domaine. Un peu trop. EVELYNE Oui mais encore? LILI Je voie pas. EVELYNE Et bien cela revenait exactement au même que s’il vous avait dit: "quoi que tu fasses, tu ne pourras jamais bien m’impressionner". Et à partir de là, vous vous retrouvez coincée dans une impasse. Il vous a enlevé d’un seul coup toutes vos chances de vous épanouir à ce niveau là. Et encore plus d’en retirer un sentiment de satisfaction envers vous-même.

[.../...]

17.

LILI Effectivement. Et j’ai toujours gardé cette sensation que les précédentes filles avaient mérité tout ce qui m’était refusé. La clé qui ouvrait la porte de son univers doré. Parce qu’elles s’étaient montrées davantage à la hauteur. En plus, bizarrement, c’était toujours moi qui devais le pousser pour sortir de la routine de ce côté-là, il ne manifestait jamais la moindre envie de sortir des sentiers battus. Comme un vieux couple blasé. Il fallait passer le grand test de la performance avant. EVELYNE C’est ce que je vous disais. En tout cas il faut absolument que vous vous retiriez tout ça de la tête car le problème n’était pas de votre côté. Lui et vous, vous n’aviez pas du tout la même manière d’aborder la chose, c’est tout. Et croyez-moi bien que votre approche se situe beaucoup plus dans la moyenne des gens. Pour terminer cette séance, je vous donnerai même le conseil que dorénavant, si vous rencontrez un jour un homme qui se comporte exactement de la même manière que Gabriel une fois rendus au lit, sauvez vous en courant car ce n’est absolument pas du tout ce qu’il vous faut. LILI Je sais. Gabriel se redresse du lit pendant qu’Évelyne s’éloigne. GABRIEL Tu as l’air pensive. Il y a quelque chose dont tu voudrais parler? LILI Non non, tout va bien. Rendors-toi. GABRIEL je vais pisser, je reviens. Il se lève et s’éloigne. Lili se prend la tête entre les mains. Érika vient se poster derrière son amie. ÉRIKA Ne te torture pas l’esprit comme ça. Je pense que là tu pars un peu trop dans des suppositions. Oui il a eu toutes ces expériences, et alors? Tu sais, le sexe, on en fait vite le tour. Tu peux lui apporter énormément de choses bien au delà de ça. LILI Oui mais toutes ces révélations qu’il vient de me faire, ça ne lui ressemble tellement pas.

[.../...]

18.

ÉRIKA C’est pas ça qui définit ce qu’il est. Lili, fais lui confiance. Je pense que c’est un super bon gars. Regarde ce qu’il a fait il y a deux semaine quand tu es revenue de visiter ta famille. Tu en connais beaucoup des gars qui feraient Québec-Montréal, aller et retour dans la même journée, pour te faire la surprise de t’attendre, caché derrière un poteau à l’aéroport? C’est quand même un geste super fort. LILI Effectivement personne ne m’a jamais fait ça. ÉRIKA Alors arrête de te mettre des barrières psychologiques. Et profite de ce que la vie t’offre enfin avec ce gars là. LILI Tu as raison. ÉRIKA Oui comme d’habitude. Je devrais me faire payer à la consultation. Scène 11 Chez Christine. Celle-ci est avachie dans un fauteuil, écoutant la tv. On sonne à la porte. Gabriel va ouvrir. Il embrasse Lili à la va-vite. GABRIEL Ça va? T’as fait un bon voyage? LILI Oui, ça a bien roulé, mais je ne suis pas mécontente d’être arrivée. GABRIEL Entre. Je vais te présenter. (à sa mère) Mom! Je te présente Lili. Christine se lève, souriante. CHRISTINE Bonjour, comment ça va? On se dit "tu" hein, ce sera beaucoup plus simple. LILI Bonjour. Oui pourquoi pas. J’avoue que j’ai un petit peu de mal au début, mais je vais essayer. GABRIEL Donne moi ton sac, je vais le mettre dans ma chambre.

[.../...]

19. LILI (enlevant son sac puis sa veste, pour les remettre à Gabriel) Merci. Vous avez vraiment un très bel appartement. CHRISTINE C’est un condo. La route n’a pas été trop longue j’espère. Est ce que je peux t’offrir un café? Un thé? LILI Oh, un verre d’eau, ça ira. CHRISTINE Tu es sûre? Tu ne veux pas un petit café? J’en ai juste pour trente secondes. LILI Alors dans ce cas, je veux bien. CHRISTINE Dis-moi, comment tu trouves la vie à Montréal? LILI Ça peut être un peu stressant parfois, mais au moins ça bouge. C’est ce dont j’ai besoin. Gabriel revient. GABRIEL Lili habite dans le centre-ville, juste à côté de l’université Mc Gill. CHRISTINE Non, je ne voie pas. Et ça fait longtemps? LILI Cinq ans. J’aime beaucoup votre peinture au dessus de la télé. Ça me fait penser au style de Pollock. J’ai étudié en arts plastiques mais j’ai plus retouché à un pinceau depuis longtemps. Parfois je pense à m’y remettre. Est ce que c’est vous qui l’avez fait? Pas de réponse puisqu’entre temps, Christine est allée chercher le café, laissant Lili parler toute seule. GABRIEL (rassurant) Elle t’a pas entendue. Je vais changer les draps, ce sera pas long. Christine revient avec le café. CHRISTINE Et voilà. J’ai tendance à le faire fort, alors surtout si c’est trop, ne te gêne pas de me le dire, je peux le refaire. [.../...]

20.

LILI Ça va être parfait, je l’aime comme ça. Merci beaucoup. CHRISTINE Mais je t’en prie. Alors comme ça tu ne travaillais pas cette fin de semaine? LILI Jamais, c’est juste du lundi au vendredi. C’est du travail de bureau, vous savez. Du très conventionnel. C’est pas vraiment le travail de mes rêves, mais je fais avec en attendant. CHRISTINE Oui c’est normal, dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Je sais que Gabriel en a marre aussi de travailler au magasin en plus de ses études. Il me dit parfois: "tu sais maman, j’ai hâte d’avoir mon diplôme et que tout ça se termine", et là je lui réponds: "mais tu sais mon chéri, au moins ce travail te permet de te mettre un peu d’argent de côté, de te payer des voyages..." LILI Oui, ça a l’air qu’il aime beaucoup ça. CHRISTINE Beaucoup, même si ça peut parfois soulever les inquiétudes d’une maman. Tu m’excuseras mais je voie l’heure tourner et je dois aller au restaurant avec des amies. Gabriel! Est ce que vous allez souper ici? GABRIEL (de loin) Non, on rejoint Marie aux Voutes de Napoléon! On va sans doutes manger dans le coin juste avant! CHRISTINE Comme vous voudrez. Passez une bonne soirée alors. LILI Vous aussi Madame. Ravie de vous rencontrer. Christine part sans répondre. Lili rejoint Gabriel dans la chambre. GABRIEL Alors? T’es toujours aussi stressée à l’idée de la rencontrer? LILI Non. Elle est gentille. Mais qu’est ce qu’elle parait jeune pour son âge!

[.../...]

21.

GABRIEL Tu devrais lui dire, elle t’adorerait. Elle peut paraitre froide au premier abord, mais il faut la connaître. Au moins elle ne t’a pas parlé de tous ses trucs spirituels. LILI Je suis heureuse de passer la fin de semaine avec toi. GABRIEL Moi aussi. Vraiment. Et j’ai vraiment hâte de te présenter à mon petit monde d’ici. LILI Gab. J’ai une chose importante à te demander. GABRIEL Quoi? LILI (anxieuse) Assieds-toi d’abord. Voilà.... j’ai pensé à une chose pour quand tu vas venir t’installer à Montréal après tes études, et... est-ce-que tu trouves que ce serait aller trop vite si je te proposais de venir t’installer directement chez moi? GABRIEL (le plus naturellement du monde) Bien sûr que non. LILI (rassurée, envahie par la joie) Vraiment? Oh ça me fait tellement plaisir. Je savais pas comment t’en parler. GABRIEL Tu ne t’y attendais pas hein? T’avais l’air toute stressée. Ah ah ah... LILI (l’enlaçant) Ne ris pas de moi, avec ta face là. T’es qu’un petit con. GABRIEL (riant toujours) Ah mais tu l’aimes ton petit con hein? LILI Pour toujours (...) J’ai tellement hâte qu’on puisse être enfin réunis pour de bon, comme tous les autres couples.

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22.

GABRIEL Moi aussi. Scène 12 Lili marche avec Evelyne. LILI Les choses ont continué à suivre leur cours. Les histoires de lit n’étaient qu’une parenthèse tellement c’était devenu bénin comparé aux différentes manifestations de nos cœurs. Je baignais dans un bien-être absolu au fur et à mesure qu’on se rapprochait et qu’on s’avouait nos sentiments sans plus chercher à se cacher derrière la moindre réserve. Et de son côté, la fierté pouvait se lire sur son visage au fur et à mesure qu’il me présentait à ses proches. En revanche, les réactions de ses amies étaient mitigées. Certaines étaient tout simplement enthousiastes, d’autres un peu trop pour être crédibles. Puis il y avait celles qui étaient peut-être les plus franches en m’ignorant totalement. Avant mon arrivée dans sa vie, elles avaient espéré à un moment donné un rapprochement avec lui, et s’étaient retrouvées friendzonées. Pour elles j’étais perçue comme une rivale. Soit celle qui accédait à ce qui leur avait été interdit, soit la vieille qui faisait tâche dans le décor, et qui allait casser leur dynamique de jeunes étudiants sur le party, en leur enlevant leur boute-en-train idéal jusqu’à le transformer lui aussi en un vieil ennuyeux. Mais je m’en fichais. Je savais que lui aussi avait conscience de ce lien fort qui nous unissait, et qu’il le chérissait autant que je le faisais. Le reste n’était que le décor valsant autour de notre cocon. EVELYNE Vous m’aviez aussi mentionné une fois son meilleur ami qui était gay. Comment s’appelait t’il? Pierre-Luc c’est ça? LILI Oui, Pierre-Luc. Alias Kaa. Vous savez? Le serpent aux pouvoirs hypnotiques dans "Le Livre de la Jungle". Ah ça, il était très gentil, c’est sûr. Avec sa voix douce. Le genre qui vient spontanément vous engager la conversation, plein de bonnes intentions, qui creuse bien en profondeur pour vous connaitre, jusqu’à analyser la moindre de vos contradictions. Le tout en vous fixant derrière ses lunettes surmontées par la dernière coupe à la mode. Gabriel était fasciné par cet intellectuel. C’était son mentor, son modèle. Je dirai même qu’il était comme cet objectif d’apparente perfection qu’il cherchait tant à atteindre. Ce qu’il est important de préciser, c’est que c’est ce Pierre-Luc qui a aidé Gabriel à sortir [...] [.../...]

23.

LILI [suite] totalement il s’était Faisant de à son insu

de cette période misanthrope dans laquelle réfugiée suite à la perte de son père. lui son disciple, ou plutôt sa propriété, bien sûr.

EVELYNE Vous ne le sentiez pas, hein? LILI Dès le premier instant je ne savais pas quoi penser. La première fois qu’on s’est vus c’était à Montréal, peu avant le départ en voyage de Gabriel. Car en fait Pierre-Luc vivait ici depuis quelques années. Eux deux plaisantaient juste avant les présentations officielles, mentionnant une histoire d’approbation, comme quand le prince demande à sa majesté le roi la main de sa fille. Après m’avoir passé au scanner, Pierre-Luc avait pourtant fait un bon rapport sur moi, disant: "Ça se voit tellement qu’elle t’aime... t’as même pas besoin de mon approbation". Et pourtant, le lendemain même, alors que je marchais dans le centre-ville de Montréal avec Gabriel... Scène 13 Gabriel et Lili marchent main dans la main. Le cellulaire de Gabriel sonne. GABRIEL Allo? Hey, salut, comment ça va? (...) Oui je suis avec Lili, on revient d’aller voir une expo au vieux port. Ouais ouais, c’était vraiment bien, t’aurais aimé ça (...) Sur l’archéologie (...) Ouais. Là on va manger des sushis (...) Ah oui? (...) Bof, non, ça me dit rien (...) Non, mais en plus je suis pas libre, on a envie de passer la soirée tous les deux. (...) Écoute Pierre-Luc, tu sais très bien que la dernière fois qu’on est allés clubber, je me suis ennuyé toute la soirée (...) Oui je sais (...) Mais oui je sais, mais ça c’était avant, là je suis en train de passer à autre chose. (...) C’est pas une question de rentrer tard ou pas, c’est une question que ça ne m’intéresse plus. Pardon? (...) Comment ça? (...) Mais non. Écoute, je te rappelle demain ok? Oui c’est ça (...) Ok (...) Ok, je t’embrasse. Il raccroche. GABRIEL Il voulait que je l’accompagne en boite. LILI Oh non, c’est notre soirée à nous.

[.../...]

24. GABRIEL Oui je sais bien, c’est ce que je lui ai dit. Il m’a répondu qu’il était inquiet pour notre amitié depuis que j’étais avec toi. LILI Mais c’est ridicule. GABRIEL Je sais, mais il n’est pas habitué. Avant j’embarquais tout le temps avec lui. Tu penses que je devrais lui proposer d’aller déjeuner avec lui demain pour le voir une dernière fois avant mon voyage? LILI Oui, ça peut-être une bonne option. GABRIEL Tu veux venir avec nous? LILI Non, il vaut mieux que vous soyez juste les deux. C’est ton meilleur ami et ensuite vous n’allez plus vous voir pendant des mois. Profite de ce moment là avec lui. GABRIEL (embrassant furtivement Lili) Je t’aime. Scène 14 Lili est seule avec Evelyne. EVELYNE Si je ne confonds pas, vous me disiez que la première dispute avait eue lieu le surlendemain, c’est ça? Lorsque vous êtes retournés tous les deux à Québec la veille de son départ? LILI Exactement. Il y avait une soirée qui avait été organisée là bas ce samedi soir avec ses collègues de travail. Une soirée en l’honneur de Gabriel, pour marquer à la fois son départ en Indonésie, ainsi que son anniversaire, bien qu’un petit peu en avance. On était rendu au printemps, il faisait bon, les gens sortaient leurs barbecues. Tout annonçait une belle soirée. Mais rendus vers la fin du souper, il était déjà saoul. Nous sommes tous allés dans un bar, il y a enchaîné les shooters. Le problème n’était pas qu’il était ivre mort mais plutôt qu’il m’avait laissée de côté toute la soirée, pendant qu’il faisait le joyeux luron auprès de ses amis. Pour ma part, j’étais mal à l’aise. Je ne connaissais personne et eux étaient tous dans leur énergie de groupe.

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25.

EVELYNE J’avoue que c’est difficile dans ces cas-là de se faire une place parmi les gens. Vous le lui avez dit? LILI Oui, à un moment où il est venu me voir pour s’assurer que tout allait bien. EVELYNE C’est au moins ça, mais bon... LILI J’avoue que j’étais un peu boudeuse, et il ne l’a pas pris. Il est allé tout droit dehors sous la pluie, et là il était seul dans le stationnement avec les mains sur la tête comme si une catastrophe venait de lui tomber dessus. Je l’ai suivi, j’ai tenté de m’excuser, de le prendre dans mes bras mais chaque fois il me repoussait violemment. Puis en serrant les dents il m’a dit d’un ton glacial. GABRIEL Je vais retourner dans le bar et faire comme si de rien n’était. Mais on va s’en reparler. EVELYNE Comment vous êtes vous sentie à ce moment-là? LILI Comme si tout s’était écroulé en un claquement de doigts. Il est retourné au bar et a continué à faire le guignol avec eux. L’heure qu’il restait m’a semblé interminable. Au retour, c’est Stacey, son amie exagérément mielleuse qui nous ramenés en auto. Je ne sais plus quelle question j’ai posé à Gab, mais il n’a daigné ni me répondre et encore moins me regarder. Pour la première fois je lisais comme de la haine dans ses yeux. Quand j’y repense, ça me donne encore la chair de poule. C’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à avoir peur de mes propres pensées, de mes propres paroles. Je savais que j’étais désormais face à un choix. M’auto-censurer ou le perdre à tout jamais. Scène 15 Retour de cette soirée. Gabriel et Lili sont sur le pas de la porte de l’appartement de Québec. Il est glacial. GABRIEL Garde tes chaussures avec toi, on va aller s’expliquer sur le balcon. Manquerait plus qu’on réveille ma mère.

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26.

LILI Ok. Sur le balcon. LILI Écoute, c’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que je connaissais personne, et... GABRIEL (la coupe) Tu me dis que je t’ai ignorée toute la soirée? Alors que sans arrêt je regardais du coin de l’œil si tu étais en train de t’ennuyer ou pas! Et chaque fois tu parlais avec quelqu’un! LILI Mais c’était juste cinq minutes par-ci par-là. Le reste du temps, je savais pas comment aborder les gens. Vous vous connaissiez tous, et moi je... GABRIEL (furieux) Je t’ai présentée à tout le monde en arrivant! Et en plus en précisant bien que tu étais ma blonde. Oui ou non?! LILI Oui. GABRIEL Tu te mets tout le temps en retrait, et c’est exactement la même chose quand on est avec les tiens! L’autre jour quand on était à la pendaison de crémaillère de ton amie Érika, je suis allé parler à chaque personne sans exception! Et pourtant moi non plus je n’en connaissais pas une seule au départ. LILI Mais essaie de comprendre que j’ai pas forcément les mêmes facilités que toi pour me lier aux gens. GABRIEL T’as même pas fait le moindre effort! Tu es là, tu dis rien à personne! Tu restes dans ton coin avec les bras croisés. Certes ça peut aussi être une position de confort, mais je connais très bien le langage corporel et là, ça ressemblait plus à de la fermeture. Mais c’est correct, et je t’accepte comme ça! Parce que je t’aime! En prononçant ces trois derniers mots, Gabriel éclate en sanglot. Lili s’apprête à le prendre dans ses bras. Il la repousse, plus par honte que par colère.

[.../...]

27.

LILI Mon bébé... GABRIEL Non, laisse-moi! Lili craque et pleure à son tour. LILI (crie et pleure) Tu veux que je te dise pourquoi je suis comme ça? Parce que mon ex n’arrêtait pas de me ridiculiser devant ses amis dès que j’ouvrais la bouche! C’est pour ça que j’ose plus dire quoi que ce soit en public et que je préfèrerais me cacher dans un trou, si tu veux savoir! Toujours pris par les larmes, Gabriel se jette dans les bras de Lili. GABRIEL Mon Dieu! Tout s’éclaire! Excuse-moi, j’avais pas compris ça. Mais qu’est ce qu’il t’a fait?! Mais qu’est ce qu’il t’a fait???!!! Il restent là un moment. GABRIEL Je ne te ferai jamais de mal comme lui, je te le promets. LILI Mais je sais. GABRIEL Si je le croise un jour, je te jure que je lui casse la gueule. LILI J’espère qu’on en arriverait pas là. Un temps. GABRIEL Je veux pas mourir dans l’avion! LILI Mais non. Tout va bien se passer. Écoute, je pense qu’on a tous les deux besoin de se reposer, là. On a eu une grosse soirée. Surtout toi.

28.

ACTE 2: DOUTES Scène 1 LILI Ce soir là, l’enfant délivré de sa cage a continué à pleurer sur différents aspects de sa vie pendant au moins une bonne heure. Comme si toutes les émotions qu’il avait cachées pendant des années derrière cette armure d’assurance lui avaient explosé en pleine face, l’alcool aidant. L’espace d’un instant, le super-héro aussi courageux que téméraire n’était plus qu’un simple être humain. Le grand sage bouddhiste, porteur de zénitude, était redevenu apprenti. Je ne m’étais jamais sentie aussi connectée à lui que l’espace de ces quelques heures. Il s’est envolé le lendemain pour des terres exotiques. Il avait fait une escale à l’aéroport de Hong-Kong et nous y a envoyé un courriel, à sa mère et à moi, le terminant par: "je vous aime toutes les deux, mais de deux manières différentes". À ce moment là j’étais touchée par la beauté de ces mots qui me plaçaient à la même hauteur que celle qui était son phare. Pour ma part c’était reçu positivement, en tout cas... Les semaines qui ont suivi ont été une dure mise à l’épreuve. Face à toutes ces photos et ces récits que Gabriel postait sur les médias sociaux, j’étais prise entre émerveillement et frustration. J’aurais donné n’importe quoi pour partager toutes ces aventures à ses côtés. Quoi de plus beau pour une autre passionnée de voyages que de parcourir le monde avec l’être aimé? Mais à ma place, c’étaient divers inconnus, des compagnons croisés au détour d’une route, qui étaient complices de ses joies, ses rires, son émerveillement. En revanche, Gabriel me téléphonait régulièrement, et sans lésiner sur la durée de ses appels, me procurant momentanément ma dose. Ma dose de lui. Cela m’apaisait. J’acceptais même par moments de m’abandonner dans ces rêves remplis de temples et de palmiers, l’espace d’un bref instant, juste avant que ceux-ci ne cèdent de nouveau place à la douleur. Ne vas pas trop vite, mon amour! Il faut qu’il nous en reste encore beaucoup à découvrir ensemble! Un jour...oui je l’espère. On se l’était promis. Scène 2 C’est environ un mois après son départ que j’ai été saisie de terreur, un dimanche après midi, en rentrant chez moi. Mon appartement avait été cambriolé. Tout le décor commençait à tournoyer devant moi pendant que mes jambes me portaient à peine. Je me sentais seule au milieu de nulle part, [...] [.../...]

29.

comme encore nue et chancelante suite à un viol. Réflexe: j’envoie un courriel à mon aventurier, lui exposant ma détresse et lui réclamant son soutien. Il fallait absolument qu’il m’appelle, que je m’accroche à sa voix réconfortante. Il m’a répondu le lendemain: GABRIEL (tapant sur un ordinateur) Oh non! J’espère que tu tiens le coup. Je suis actuellement dans les terres, en Malaisie et c’est difficile de trouver de bonnes connexions avec Skype. Mais je vais voir ce que je peux faire. En revanche, si tu veux que je t’appelle quand c’est le soir au Québec, ça correspond au matin ici. Étant donné que j’ai des excursions programmées dès le lever du soleil dans les prochains jours, ça attendra une journée où je n’aurai rien de prévu. Je pense fort à toi. J’aimerais tellement t’avoir à mes côtés. LILI "Ça attendra?", "ça attendra?"... Est ce bien ça que je viens de lire? Je ne pouvais pas croire qu’il puisse montrer une telle nonchalance face à ma détresse. La colère brûlait le moindre de mes pores. Est-ce trop espérer que de s’attendre à un minimum de soutien? Sans plus attendre, je lui envoie un courriel lui disant combien sa réaction me déçoit, que je ne peux pas accepter qu’il priorise ses activités touristiques à ma détresse. Mais qui suis-je pour lui finalement? Est ce que l’expression "loin des yeux, loin du coeur" serait finalement celle qui se porterait le mieux à ce qui est en train de m’arriver? Il m’a appelée le lendemain, totalement paniqué. GABRIEL (affolé) Mon amour, je viens de voir ton courriel! Ne pense pas que je m’en fous, c’est pas vrai! c’est juste un malentendu! LILI (à Gabriel) Mais c’est bien ce que tu as dit. Tu imagines un peu ce que j’ai pu ressentir? J’étais totalement sonnée par le cambriolage, et ensuite je tombe sur un courriel de mon propre chum qui m’insinue qu’il a mieux à faire que de me consacrer du temps pour me réconforter de vive voix? GABRIEL Oui je comprends que ça ait pu porter à confusion. Ce que je voulais dire c’est que là où j’étais j’arrivais pas à me connecter correctement. J’ai même essayé d’appeler ma mère avant hier et ça plantait [...] [.../...]

30. GABRIEL [suite] toutes les trente secondes. Donc je voulais attendre d’être ailleurs et de pouvoir t’appeler dans de meilleures conditions. LILI (au public) Très vite le ton s’est radouci et nous avons enchainé sur diverses choses beaucoup plus ludiques. Après presque une heure trente, Gabriel a raccroché juste après m’avoir dit qu’il se sentait soulagé que les choses se soient arrangées entre nous, mais qu’il était encore un peu en tremblements. Je pense que cette fois, c’est lui qui a vraiment eu peur que je le quitte. Scène 3 Christine fait du yoga dans son salon. Le téléphone sonne. CHRISTINE Oui allo? GABRIEL (petite voix) Maman, c’est moi. CHRISTINE Oh mon chéri, que je suis heureuse de t’entendre. Tu es où? GABRIEL Je suis à Kuantan, en Malaisie. Je retourne sur Kuala-Lumpur demain. CHRISTINE Oh mon dieu, j’étais tellement inquiète l’autre jour quand ça a coupé. Tu vas bien? Tu manges bien au moins? GABRIEL J’ai préféré la bouffe en Indonésie, mais oui oui, ça va. Je visite pas mal. CHRISTINE Tu es sûr que tout est correct? Tu as une petite voix. GABRIEL Mais oui, t’inquiète pas Mom. C’est juste qu’on s’est un peu disputé avec Lili. Il lui est arrivé malheur, elle s’est faite cambrioler. CHRISTINE Ah bon? C’est ça quand on cherche à habiter dans le centre-ville hein.

[.../...]

31.

GABRIEL Elle m’a demandé de l’appeler d’urgence et j’ai pas pu. Mais c’est moi qui n’ait pas assuré. CHRISTINE Mais voyons, mais elle pourrait comprendre que tu ne peux pas l’appeler comme tu veux là tu es, enfin! Déjà que tu ne peux pas m’appeler à moi. GABRIEL Je sais, je lui ai dit, mais... CHRISTINE (le coupe) Oui, enfin, d’après ce que je vois, c’est toi l’adulte dans le couple. GABRIEL Maman, est ce qu’on peut changer de sujet s’il te plait? J’ai pas envie d’en reparler. CHRISTINE Très bien, comme tu voudras. GABRIEL Comment vas-tu toi? Tu sors? CHRISTINE Un peu. Demain soir on va danser avec Linda et Johanne. GABRIEL Oh tant mieux, je suis content! Vous allez où? CHRISTINE On avait parlé du Dagobert. Ça reste à confirmer. GABRIEL Tant mieux! J’espère que tu pourras y faire des rencontres. CHRISTINE Oh ça c’est autre chose, je me créé pas trop d’attentes. Tu me manques mon chéri. GABRIEL Toi aussi tu me manques maman. Je vais essayer de te rappeler dans quelques jours. CHRISTINE Oui, ça me ferait plaisir. Allez, je t’embrasse. Et j’espère que ça va s’arranger avec ta copine. GABRIEL C’est déjà le cas, Mom. Je t’embrasse fort. Prends soin de toi.

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Scène 4 Lili discute avec Érika. LILI Je le reconnais plus depuis quelques semaines. Il est de plus en plus distant, on dirait. Il continue de m’appeler et tout, mais, je sais pas, c’est plus pareil. ÉRIKA Depuis l’épisode du cambriolage en fait. LILI Exactement. J’arrête pas de me demander s’il est en train de se détacher ou pas. Même quand on se parle par courriel, on se dispute pour un rien. Alors qu’avant on résolvait tous nos désaccords en un claquement de doigts. ÉRIKA Mais non, c’est juste qu’il est absorbé par son voyage. Il est dans une toute autre réalité que la tienne en ce moment. Sans aucun souci à gérer ni rien. Mais ça ne veut pas dire qu’il t’oublie. La preuve, il te donne autant de nouvelles qu’avant. LILI Ouais, si tu le dis... ÉRIKA Par contre je reconnais qu’il a l’air assez fier de lui. Je suis allée voir son blog de voyage, et c’est vrai qu’à l’entendre parler, on dirait Indiana Jones qui part en croisade. Quand il se trouve face à un problème, cette manière de dire: "j’ai gardé mon sang froid tout le long"... LILI Oui je sais, il est comme ça pour tout. Il m’énerve tellement quand il parle de même. L’autre jour j’ai visionné des vidéos qu’il a posté. Il les commence toujours en se filmant lui, en train de commenter comme un reporter télé ce qu’on s’apprête à voir. J’avais presque envie de lui donner des claques. Il est tellement trop sûr de lui parfois. ÉRIKA Mais bon, on parle, on parle, mais c’est juste des détails. Tout le monde a ses petits travers et il reste une bonne personne. LILI Tu as raison. Et il m’énerve surtout parce qu’il me manque. Mais tu sais quoi? J’ai une idée qui m’a traversé la tête l’autre soir. Si je te le dis, promets moi que tu ne vas pas me traiter de folle.

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Scène 5 Lili est au téléphone avec Gabriel. GABRIEL (enthousiaste) Oh non, c’est pas vrai, j’arrive pas à le croire! Oui tu es folle, mais je suis trop content! LILI Mais moi aussi. Mais on a qu’une vie et il faut la vivre pleinement. Donc je prends mon billet pour Bali de manière à arriver à partir du 25, ça te va? GABRIEL Oui c’est parfait. J’ai même rencontré en Indonésie un gars qui habite là-bas. Il est à Kuta, c’est tout près de l’aéroport. Il pourra peut-être nous héberger une ou deux nuits. LILI Oui pourquoi pas, mais j’espère qu’on pourra quand même passer du temps tous les deux hein. GABRIEL Oui oui c’est sûr, c’est juste le temps d’arriver. Je vais le contacter pour lui demander ce qu’est le mieux pour qu’on puisse se rejoindre la-bas toi et moi. LILI J’ai plus que deux semaines pour économiser encore quelques sous. GABRIEL Oui, mais ne t’inquiète pas, il parait que là-bas on peut vivre avec vingt dollars par jour. LILI Ok, on regardera ça. J’ai vraiment hâte d’y être. GABRIEL Moi aussi. On pourra y faire une retraite de méditation ensemble et tout. tu aimerais ça. Et des trekkings dans la jungle à dos d’éléphant! Ils raccrochent. Evelyne rejoint Lili. EVELYNE C’est pas commun de faire un geste pareil. C’est quand même une grande preuve d’amour. LILI J’ai suivi mon cœur. Mais sans en connaitre la raison, dès la minute où j’ai acheté ce billet en ligne, j’ai eu comme un mauvais pressentiment. Comme si je venais de faire une grosse erreur. Même quand [...] [.../...]

34. LILI [suite] tout allait bien, ce sentiment ne me lâchait pas. Allant jusqu’à l’angoisse la veille du départ. Vu les récentes tensions qu’il y avait eues entre nous, je n’avais aucune idée de comment allaient se passer les retrouvailles. EVELYNE Et comment se sont-elles passées justement? Vous vous êtes rejoints à l’aéroport? LILI Non. Mon avion arrivait en plein milieu de la nuit, donc j’ai dormi quelques heures sur un banc de l’aéroport puis je l’ai rejoint directement à Kuta, proche de chez son ami vers 7h du matin. Il est arrivé, m’a serrée dans ses bras et il sentait l’alcool. Ça m’avait dérangée un peu. En fait il était arrivé à Bali la veille et ils étaient sortis en discothèque jusqu’à l’aube. De mon côté je ne savais pas trop comment me positionner suite au climat des dernières semaines. Je voulais faire un peu la fière. EVELYNE Oui, je peux le comprendre. Lui montrer que vous n’étiez pas acquise. Mais en même temps il faut savoir lâcher prise et se laisser aller pour profiter pleinement des bons moments. LILI Ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’il avait une nette avance sur moi. Ça faisait déjà deux mois qu’il s’était rôdé pour l’aventure. De plus l’une des premières choses qu’il m’a dit était: "bon ben comme ça on va voir de quelle manière tu voyages!". Dès le début je me sentais comme si je devais réussir une épreuve. Et ne pas le décevoir. EVELYNE Ça met pas mal la pression, ça. LILI Je sais. Le voyage c’est toute sa vie. Mais en revanche, dès le début et de son plein gré, il s’est de nouveau excusé pour sa réaction face à mon cambriolage. Je me rappelle même que ce jour là, on s’était retrouvés sous un véritable déluge. Jusqu’à presque un demi-pied d’eau ruisselait sur les routes. On était trempés car on devait rester dehors à attendre un bus de nuit pour aller vers le nord de l’île. On avait fait tout le trajet trempés, et tous les touristes avaient enlevé la moitié de leurs vêtements pour les mettre à sécher directement dans l’autobus. On avait bien ri. Si je me souviens bien, il y a même eu un moment où je m’étais assoupie, et il avait déposé délicatement son sweat-shirt sur moi, pour pas que j’ai froid. [.../...]

35.

EVELYNE Donc il avait quand même un instinct protecteur. LILI Oui, ça lui arrivait. Lors du voyage c’était lui qui prenait toutes les choses en mains. C’était impressionnant. Il venait à peine d’arriver dans une nouvelle place et il s’y déplaçait avec la même aisance que s’il y avait toujours vécu. Ça avait ses avantages mais aussi ses désagréments car du coup, j’avais parfois l’impression que je ne pouvais pas me lancer moi aussi des défis. Ça nous arrivait de nous engueuler à ce sujet. Scène 6 Gabriel et Lili se promènent dans un village, avec leurs sacs à dos et en tenue de randonnée. Gabriel a un guide entre les mains. Lili parait contrariée, boudeuse. GABRIEL Si on se dépêche, on devrait être à la guest house dans quinze minutes. LILI ’k... GABRIEL Le poste de police est au bout de la rue, et y’a juste à prendre à droite puis continuer tout droit. LILI Mmm... GABRIEL Qu’est ce qu’il y a? LILI Mais rien, mais j’ai vraiment l’impression d’être la petite fille qui suit papa. Gabriel s’arrête et soupire. GABRIEL Ça y est, ça recommence. LILI Mais c’est vrai, c’est mon voyage à moi aussi et je peux même pas tester ma débrouillardise ni rien. Tu passes devant comme un leader avec ton Lonely Planet dans les mains, et... GABRIEL Pourquoi tu me le demandes pas alors?

[.../...]

36.

LILI Mais quoi? GABRIEL (hautain et sec) Combien de fois est ce que tu m’as demandé de te le prêter? Est ce que je te l’ai déjà empêché? Au contraire, ça me ferait PLAI-SIR de te le passer pour que tu diriges aussi. LILI Mais non, mais j’ai pas osé vu que tu prends toujours les commandes. GABRIEL Bon alors vas y, prends-le. Et trouves nous un hôtel. Il tend le livre à Lili. Perdant ses moyens, elle tente tant bien que mal de s’y retrouver. LILI On est où là? Alors attends, ça c’est par là, donc... Ils recommencent à marcher, Lili en avant. LILI Le poste de police doit être dans le coin normalement non? Parce que c’est bizarre, ça devient tout sombre. Gabriel s’arrête de nouveau. LILI Je pense que je me suis trompé. On part dans la direction opposée. Gabriel fait un geste d’attitude. Lili, envahie par le stress, perd pieds et lui rend le guide. LILI Bon alors laisse tomber, continue. GABRIEL Qu’est ce que j’ai dit? LILI Mais tu voies pas que tu me stresses là? Alors c’est bon, t’as gagné. Retour au présent. Lili rejoint Evelyne. EVELYNE Mais ça ce sont des disputes normales dans ce genre de contexte. Il y toujours un leader et un suiveur, surtout quand on s’aventure dans ce genre de voyage sac-à-dos, et c’est tout à fait légitime que ça déclenche des tensions. Alors imaginez si on y ajoute les facteurs du choc géographique, de la fatigue, et [...] [.../...]

37. EVELYNE [suite] surtout être toujours ensemble collés l’un à l’autre 24 heures sur 24. LILI Je sais, mais je ne sais pas comment j’en suis arrivée à dégringoler comme ça. En sa présence, je me sentais de plus en plus fragile, de plus en plus vulnérable. Je me sentais vraiment comme une enfant. Et que si je cherchais à trop m’affirmer ou le contredire, ça allait faire écrouler la relation. EVELYNE Mais parce que si je comprends bien, il ne vous laissait pas beaucoup de place pour vous affirmer. LILI (décontenancée) Pfff... oui et non... je sais pas... je sais plus quoi penser. En même temps il ne prenait jamais de décision en solo sans me consulter. J’ai tellement l’impression que c’est moi qui ai tout gâché avec mon hostie d’insécurité. Il était à bout, et je le comprends. D’ailleurs le lendemain on a pris le bus et... Scène 7 Lili et Gabriel sont dans un autobus local, pour transiter d’une ville à l’autre. LILI T’es encore fâché pour hier? GABRIEL (décontracté) Non, pas du tout. Je suis déçu. LILI Ah bon. Je suis désolée.

Excuse-moi.

GABRIEL Han... je commence à être habitué maintenant. En tout cas, je vais t’avouer que je commence un petit peu à en avoir assez de toutes tes crises transformées en excuses. LILI Je sais. J’aime pas ça quand on se dispute. C’est juste que j’ose pas te dire les choses sur le moment parfois. Du coup ça fermente à l’intérieur de moi, et ça ressort tout croche. GABRIEL Pourtant c’est pas toi qui me disais quand on s’est rencontrés qu’on devait tout se dire au fur et à mesure?

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38.

LILI Je sais. J’essaierai de faire attention pour les prochaines fois. GABRIEL Bon bref. il te reste de l’eau? J’en ai plus. Lili fouille das son sac. LILI Oui, j’y ai presque pas touché. Tiens. GABRIEL Merci. Fais moi penser à trouver un café internet quand on va arriver. Ça fait trois jours que j’ai pas complété mon blog. LILI Je peux te poser une question? C’est quoi que tu aimerais améliorer chez toi? GABRIEL Être un peu plus cultivé. LILI Mais tu l’es déjà énormément, mon bébé. GABRIEL J’aimerais l’être plus. D’ailleurs quand j’ai commencé ma première session, ma prof de communication nous avait demandé ce qu’on attendait de nos études, et je lui avais répondu que pour ma part c’était avant tout le besoin de développer de plus en plus de connaissances. LILI On dirait bien que ça a porté ses fruits. Et ta plus grande peur? GABRIEL Perdre ma mère. C’est elle ma priorité numéro un dans ma vie. LILI Oui je comprends. GABRIEL Ensuite en deuxième position ce serait mon ami Pierre-Luc étant donné tout ce qu’il m’a aidé, ensuite ma carrière, et ensuite c’est toi. LILI (déçue) Ok... je voie...

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39.

GABRIEL Ben c’est déjà pas mal en quatrième position non? Lili ne répond pas et regarde dehors, pensive. Scène 8 Gabriel cède sa place à Evelyne. EVELYNE Mais vous avez eu aussi de beaux moments, je suppose. LILI Oui, beaucoup. Là je vous citais juste les quelques moments de tension, mais on a partagé aussi de très belles choses. On s’était comme retrouvés, et lui était le premier à dire que ça allait mieux entre nous. Notre grand plaisir était d’arpenter les marchés de nuit... EVELYNE Les marchés sont ouverts la nuit là-bas? Tiens donc. LILI Oui. Généralement ça arrive une fois dans la semaine, donc il faut croire qu’on était chanceux. On soupait en picorant de la bouffe de rue. Différentes petites choses achetées dans différents étalages. On expérimentait, on suivait nos envies, se faisant goûter des produits insolites l’un à l’autre. Mais le moment où nous nous sommes vraiment retrouvés tous les deux dans notre cocon, loin de tout stress, c’était lorsque nous sommes allés dans le nord, à Lovina Beach. Nous y avons passé quatre jours magiques, amoureux comme au début. Nous faisions du snorkeling et il venait me prendre la main sous l’eau. Je me baignais et il se jetait dans mes bras pour m’embrasser parmi les vagues, comme dans les vieux films des années 50. C’était magique. Juste lui et moi. Je relisais de nouveau le mot "amour" dans ses yeux brillants. Je lui exprimais de nouveau mon envie qu’on aille loin, très loin dans notre union. Ce à quoi il me répondait de sa voix douce: "on est vraiment bien partis". Nous avons repris l’avion deux jours après. Deux vols différents ont fait que je n’ai pas pu lui prendre la main à mon tour pour l’aider à combattre sa phobie. Il repartait à Québec, moi à Montréal. Retour à la réalité. Une réalité de 220 kilomètres de long. EVELYNE Il a retrouvé sa mère alors. LILI Oui. Dieu sait si elle était impatiente de revoir son fiston chéri, celle-là. Sur la fin du voyage, elle a [...] [.../...]

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LILI [suite] même écrit sur son blog: "j’ai hâte de te retrouver et de t’avoir de nouveau pour moi toute seule". Pff... Quelle connasse. Evelyne rit. EVELYNE Bon, hâte mais lui. ça?

en un sens, c’est normal pour une mère d’avoir de retrouver son enfant après tant de temps, j’avoue qu’elle avait l’air assez exclusive avec Et vous vous êtes revus combien de temps après

LILI Avec la folle? EVELYNE Ah ah. Non, avec Gabriel. LILI Seulement quelques jours après. Enfin... "se revoir" était un bien grand mot. Il venait passer 3 ou 4 jours à Montréal pour faire la tournée de tous ses amis, leur remettre leurs cadeaux, etc... Scène 9 Bruit de sonnette. Lili ouvre la porte à Gabriel qui semble assez pressé. GABRIEL Salut amour, ça va? Je suis désolé, je suis en retard. Avec ma mère on s’est arrêté dîner avec mon oncle à Saint-Hilaire, et ça a pris plus de temps que prévu. LILI Mais elle est ici également? GABRIEL Non non, elle reste passer la nuit chez lui et elle remonte à Québec demain matin. Il faut que je me dépêche, j’ai Pierre-Luc qui m’attend. Je dois le rejoindre chez son coiffeur. LILI Tu veux pas te poser au moins dix minutes avant de repartir? GABRIEL J’ai pas le temps. Il me texte tous les quart d’heure. Tiens, d’ailleurs, c’est encore lui, je pense. Il sort son cellulaire et répond à un texto.

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LILI Tu reviens pour le souper? J’avais prévu de te cuisiner de l’indien. GABRIEL Je pense pas. On risque de souper ensemble vu que c’est sa fête après-demain. Mais je rentrerai pas trop tard. Bon, je te laisse. À plus tard. Il l’embrasse furtivement et s’en va. Scène 10 Lili est avec Érika. LILI Il m’a appelé sur les coups de 7 heures à partir du cellulaire de son Pierre-Luc pour me dire que finalement ils allaient prendre un verre je sais plus où. ÉRIKA Peut-être dans le village non? Vu que l’autre il n’en a qu’après ça. LILI Je ne sais pas. Non, je pense pas. En tout cas, le truc bizarre c’est que mon numéro a dû rester en mémoire dans le cellulaire du Pierre-Luc. À deux reprises dans la soirée le mien a sonné et personne ne parlait. Comme quand on passe un appel accidentellement. J’entendais juste vaguement le son de leurs voix qui riaient, avec la musique derrière, etc... ÉRIKA Connaissant le personnage, c’est peut-être pas anodin ça. Il voulait te faire comprendre que Gab était en train de bien s’amuser. LILI Il se l’est accaparé le lendemain également, pendant quasiment toute la journée. Et tu veux savoir le pire? Je te préviens, tu me croiras jamais... ÉRIKA Raconte. LILI Pierre-Luc lui aussi était parti en voyage. Peu avant qu’on soit à Bali, Monsieur était à San Francisco. Et en guise de souvenirs, il n’a ramené à Gab que des cadeaux en rapport avec le sexe. ÉRIKA Comment ça se fait que ça ne me surprend pas du tout?

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LILI Attends, laisse moi finir. Et la cerise sur le gâteau, c’est que parmi eux il y avait carrément un sex-toy. ÉRIKA Hein!!! Un truc pour se... LILI Non, ben la version straight si tu veux... Pour que Gab y mette son machin dedans... C’est pour remplacer la femme, si tu préfères. Bon je vais pas te faire un dessin non plus. ÉRIKA Arreêête. Nooooonnnn! LILI Eh ouais. On en est là. ÉRIKA Mais c’est scandaleux! Là on touche vraiment le fond. C’est tellement, mais tellement malsain, c’est irrespectueux! Mais tu ne lui as pas dit quelque chose? LILI J’ai essayé de lui dire sur le ton de la plaisanterie, que c’était un peu... un peu spécial, mais il m’a répondu que c’était pas méchant, et que c’était juste une inside joke entre les deux. Parce que lui-même lui en avait déjà offert un quelques années avant. De toutes façons, c’est simple, dès qu’il est question de ses amis, ils peuvent se permettre tout ce qu’ils veulent, Gabriel va toujours leur trouver mille excuses. ÉRIKA Tu parles. Comme s’il n’y avait pas d’autres moyens de se faire des blagues entre potes. Han, c’est déguelasse. Et c’est clair que l’autre savait parfaitement ce qu’il faisait. LILI Toi aussi tu l’entends le message en bruit de fond hein? Voilà, je t’offre de quoi te dépanner en attendant, puisque ta copine n’est pas capable de te satisfaire comme il faut. ÉRIKA Je suis vraiment désolée. Mais tu ne dois vraiment pas laisser passer une chose pareille. À part ça vous avez pu passer un peu de temps ensemble quand même? LILI Quasiment pas. Sur quatre jours, on n’a pas passé une seule journée entière ensemble. Il était toujours par [...] [.../...]

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LILI [suite] monts et par vaux pour rencontrer tout son monde. Il fallait presque que je marchande pour avoir droit à quelques heures de son temps. ÉRIKA Mais comment ça se fait? Je pensais que ça allait mieux. LILI Je sais, et lui le premier le disait. Mais ça allait mieux jusqu’à ce qu’il revienne dans son environnement. Deux jours à Québec avec Cruella, deux autres avec Pierre-Luc... sans parler de ses chums de filles... et voilà le résultat. En un claquement de doigts, Lili n’est plus qu’une ombre. C’est là que j’ai compris que je ne faisais pas le poids, et que ça ne servait plus à rien de me battre pour trouver ma place. Et d’abord, est ce qu’on est supposé chercher sa place dans la vie de l’autre? J’en peux plus. Je suis fatiguée de ces bras de fer à plusieurs contre une. Je capitule. ÉRIKA Tu es sûre que c’est ce que tu veux? LILI Bien sûr que non que je ne le veux pas. Je l’aime comme j’ai jamais aimé personne. Mais c’est moi qui souffre dans tout ça. Pas lui. Je vais voir pour passer la prochaine fin de semaine chez lui à Québec, puis là on verra si ça passe ou si ça casse. ÉRIKA C’est toi qui sais. LILI En plus la dernière nuit qu’on a passé ensemble, on était dans le lit et il m’a enfin avoué qu’il était frustré sexuellement avec moi. Qu’il ne savait plus quoi penser de nous deux, et que selon lui, quand ça va mal dans le couple, il faut qu’en contrepartie ça se passe bien à ce niveau là. ÉRIKA Mais criss, c’est pas vrai! Mais il a quel âge?!!! LILI Figure-toi que j’ai eu un tel électro-choc que là, on l’a fait et enfin j’ai pu m’abandonner. J’en avais les larmes aux yeux tellement j’étais heureuse. Je retrouvais ma féminité d’une certaine manière, tandis que je le sentais en moi. Ça n’a pas empêché qu’un peu plus tard, il m’a répondu avec toujours cette même décontraction insolente: "comme quoi, il suffit juste de mettre un petit coup de pression".

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44.

ÉRIKA Tu as raison. Quitte-le. Tu vaux mieux que ça. LILI Tu le croies ça, qu’il y a seulement dix jours on était dans un endroit paradisiaque, à l’autre bout de la planète, à vivre des moments merveilleux? Scène 11 LILI Comme j’avais prévu, je suis allée le rejoindre à Québec quelques jours après. Même si nous sommes sortis pour voir le Moulin à Images, la tension était palpable. Le lendemain matin, avant qu’il parte à ses cours, je lui ai dit que nous devions parler le soir même. Nous savions que nous étions tous les deux au pied du mur. Reste à savoir si l’un et l’autre nous y étions encore du même côté. Fin de journée. Lili et Gabriel reviennent dans l’appartement. GABRIEL Au fait, y’a un spectacle en plein air du Cirque du Soleil ce soir. Ça te dit qu’on y aille? LILI J’aimerais ça mais tu sais très bien qu’on a autre chose de beaucoup plus important à faire ce soir. GABRIEL Oui, c’est vrai. Il s’assoit sur le bord du canapé. Il sera serein tout le long. GABRIEL Donc ça y est. On y est! LILI Mouais. GABRIEL J’ai pensé à quelque chose dans la journée. Tu me disais pas que quand tu avais mon âge, toi aussi tu sortais souvent? LILI (surprise par ce non-rapport) Bien sûr, mais... qui te parle de sorties, voyons? Ça ce serait le genre d’argument typique de Pierre-Luc? GABRIEL Pas du tout. Il n’a rien à voir avec ça.

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LILI De la même manière qu’il n’avait rien à voir avec notre vie privée. ou plutôt notre vie intime si tu voies ce que je veux dire. C’est presque à se demander s’il n’a pas des vues sur toi. GABRIEL N’importe quoi. On en a déjà parlé de cette affaire-là. Ok il a un humour particulier, mais y’a pas de quoi dramatiser. LILI Ben oui, je te fais déjà tellement de crises. GABRIEL Non, mais tu as souvent tendance à attacher trop d’importance à des petits détails. LILI Je peux pas continuer comme ça, Gabriel. Plus le temps passe et moins j’arrive à trouver ma place. Tu es distant; même les quatre jours que tu as passés à Montréal, tu étais comme un coup de vent. Je le voie bien que je suis devenue la dernière de tes priorités. GABRIEL Je sais, je suis plus dedans. Ça fait plusieurs semaines. D’ailleurs ça fait longtemps que je t’ai pas dit "je t’aime" hein? LILI Tu me l’as dit pendant qu’on faisait l’amour l’autre soir, à Montréal. Enfin... c’est moi qui te l’ai dit et tu m’as répondu que toi aussi. GABRIEL Oui, en effet je m’en rappelle. Mais aussitôt je me suis mordu la lèvre car je venais de réaliser que j’avais parlé trop vite. Et qu’en fait je le pensais pas. LILI Tu te rends compte de ce que tu es en train de me dire? Surtout au sujet d’un moment comme celui-là? GABRIEL Je suis tanné de toutes ces disputes. De ma vie j’ai jamais eu aussi peur de ce que je dis et de la manière dont je m’apprête à le dire. Je ne me suis jamais senti autant obligé de me justifier sur tout et n’importe quoi. LILI À t’entendre parler j’ai l’impression d’être un despote.

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GABRIEL J’ai pas dit ça non plus. Mais tu sais que j’aime pas tout ce qui est compliqué, hein? LILI Mouais, bien sûr... c’est pour ça que j’ai autant de mal à te suivre. GABRIEL Je voie pas pourquoi. Je m’adapte toujours assez bien à la personne en face. Si je suis avec quelqu’un de dynamique, je vais me montrer dynamique, et si je suis au contraire face à quelqu’un de calme, je vais être plus pausé. Court silence. LILI Ça m’amuse pas d’en arriver là. Croie-moi. GABRIEL J’ai repensé à une discussion avec mon oncle sur les relations en général, et je pense qu’on a pas les mêmes natures intrinsèques. Puis je sais pas... j’ai pas la tête à ça en ce moment. Je sais pas si c’est par rapport à toi ou par rapport aux relations en général. LILI En tout cas je reste convaincue que ta plus grande histoire d’amour, c’est avec ton nombril. Gabriel ne se laisse toujours pas démonter. GABRIEL Tu trouves que je suis individualiste? LILI Pas mal, oui. GABRIEL Ah bon. Je sais pas. Si c’est le cas, ce doit être dans mon inconscient. Bref... En tout cas tu m’as beaucoup appris. LILI Appris quoi? GABRIEL À aimer. LILI Mouais... Comme ça tu pourras mettre en application avec la prochaine.

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47.

GABRIEL Je t’ai dit que je suis pas prêt pour une autre relation en ce moment. En tout cas pas avant la fin de mes études. Noir. Ils sont dans la chambre. Lili raccroche le téléphone. LILI Oui, je comprends. C’est pas grave. Merci, au-revoir. (à Gabriel) Je suis coincée. Y’a pas moyen d’avancer le covoiturage. J’ai pas d’autre choix que de le prendre demain matin comme prévu. Hostie, c’est la merde. Tu croies que j’ai le courage de passer la nuit ici avec toi, vu le contexte? GABRIEL Tu veux que j’aille dormir avec ma mère? LILI Non (...) Et les hôtels ou auberges de jeunesse? GABRIEL Il faudrait que tu retournes dans le Vieux-Québec. Ici ça va être que des trucs chers. LILI Bon... Tant pis, j’ai pas d’autre choix que de rester. Je prendrai sur moi. Noir. Gabriel revient de la chambre de sa mère, et rejoint Lili au lit. GABRIEL Je lui ai dit... LILI Ah oui? GABRIEL Mmm... Je lui ai dit: "ce soir c’est la dernière fois que tu voies Lili". LILI Et elle a réagi comment? GABRIEL Surprise. Elle a répondu: "ah ouin?". LILI Pff... elle devait bien s’y attendre. Ne me dis pas que tu ne lui as pas parlé de nos problèmes. GABRIEL Tu sais que c’est ma première confidente.

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48.

LILI Tu ne lui parlais pas de tout j’espère? Pas de notre vie sexuelle? GABRIEL Mais bien sûr que non. Par contre, elle, ça lui est déjà arrivé de me parler de la sienne. Ça me met un peu mal à l’aise d’ailleurs. LILI C’est clair. Qui voudrait entendre parler de ça, venant des parents? (...). Gabriel... GABRIEL Quoi? LILI Je vais vraiment avoir du mal à passer toute la nuit en se tournant le dos, comme des étrangers. Tu voudrais pas qu’on fasse comme si... seulement jusqu’à demain? GABRIEL Tu veux vraiment que je fake? LILI Ben non... je le voie pas comme ça. GABRIEL Allez, viens. Il la serre contre lui. Un temps. GABRIEL Je comprends pas comment on en est arrivés là. Au début c’était vraiment magique. LILI Je sais. GABRIEL Quand j’étais en Malaisie, un soir je suis sorti danser avec d’autres amis touristes. Dans le bar y’avait une autre occidentale qui te ressemblait. LILI Ah bon? GABRIEL Oui. Elle était blonde, proportionnée exactement pareil, les mêmes yeux. Je t’avoue qu’elle m’attirait. Mais j’ai rien fait. Parce que ce soir là je pensais juste à une seule personne, et c’était toi.

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49.

LILI Tu me jures que tu ne m’as jamais trompée? GABRIEL Je te le jure. Et je n’ai pas non plus rencontré qui que ce soit. LILI J’espère. Ça va être dur de repenser aux bons moments. Et de tourner la page sur tout ça. GABRIEL Alors concentre-toi plutôt sur les mauvais. LILI Non. Je veux pas. Ce ne serait pas moi. Noir. Le lendemain. Ils sont dans la pièce principale de l’appartement. Un malaise plane. Gabriel prépare son lunch à emporter. LILI Bon ben je vais devoir y aller si je veux pas être en retard. GABRIEL Tu as vérifié que tu n’as rien oublié? LILI Oui c’est correct (...) Ça fait bizarre. GABRIEL (petite voix) Je sais. Peut-être que nos chemins vont se recroiser un jour. Qui sait? LILI C’est possible. Un temps. LILI Bon ben... au-revoir alors. Elle s’apprête à lui faire la bise sur les joues, mais Gabriel l’embrasse sur la bouche. Puis ils s’enlacent. LILI La vie est mal faite. Si seulement j’avais eu cinq ans de moins.

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50.

GABRIEL Ou plutôt moi cinq ans de plus. Lili se défait avec difficulté de l’étreinte et soupire de tristesse. Elle lui caresse la joue. LILI Tu fais attention à toi hein? GABRIEL Promis. Toi aussi. Elle ouvre la porte et se retourne. Petite voix tous les deux. LILI Bye. GABRIEL Bye Lili.

51.

ACTE 3: NOYADE Scène 1 EVELYNE Tout processus de deuil commence par un état de sidération qui laisse vite place au déni. Au début, on se sent comme un funambule sur un fil instable. Notre instinct nous dicte de se concentrer uniquement sur le fait d’arriver à l’autre bout intact, et le plus naturellement du monde il va filtrer toute distraction qui pourrait entrainer des conséquences fatales. Le jour suivant l’adrénaline embarque. Comme sous l’alcool , le sujet se sent invincible. On se fait belle, on plonge notre imagination dans les projets les plus cocasses, dans les envies les plus secrêtes. On se redécouvre, bercée lentement par les effluves de ce déni liquoreux. Vient ensuite la gueule de bois. Le funambule a croisé certains regards dans le public, et a perdu ses moyens. Retour à l’instant présent. Ah, ce foutu instant présent évoqué à outrance, qui fait se sentir philosophe le premier cordonnier mal chaussé. Son pied a dévié de sa trajectoire. L’artiste est tombé. Scène 2 Lili rentre chez elle, jette négligeament sa veste et son sac sur le canapé. Elle semble abattue. Elle part chercher le courrier et revient avec entre autres une carte postale. Elle la lit silencieusement, tremblante. Les larmes montent, puis elle explose en sanglots, se laissant tomber à terre. Elle la relit une deuxième fois. Voix de Gabriel. GABRIEL Lovina Beach, le 4 août 2011. Tu es assise dans le sable, regardant la mer. Je suis caché dans l’ombre à cause de mes coups de soleil. Tu sembles si bien. Tu es belle à regarder. Je t’aime! Merci de t’être jointe à moi pendant ces deux semaines. Ce fut vraiment plaisant. Et ce n’est que le début! Lorsque tu recevras cette carte, je serai certainement en train d’étudier. On se voit bientôt. Je t’embrasse tendrement. Ton bébé. Lili reprend ses esprits puis saisit son ordinateur. elle tape ces mots: LILI Salut Gabriel. Je voudrais te remercier pour ta carte qui m’a beaucoup touchée. Je ne sais pas quoi dire. En tout cas je suis vraiment heureuse que tu aies pu enfin ouvrir ton coeur, t’abandonner à tes émotions sans la moindre gêne. C’est un pas énorme que tu as [...] [.../...]

52. LILI [suite] fait là et je suis fière de toi. Tu es quelqu’un de merveilleux et je ne garderai que de bons souvenirs de ce que l’on a vécu. Sache que je serai toujours là pour toi si tu as besoin. J’espère que tu vas bien. Avec toute mon affection, je t’embrasse. Lili. Réponse de Gabriel. GABRIEL Bonjour Lili. J’ai appelé la poste pour faire intercepter la carte, mais ils ne pouvaient rien faire. Je suis content qu’elle ne t’ai pas bouleversée. Je voulais aussi te demander si tu pouvais me rendre mon livre sur le Rajastan ainsi que mon cd de Keane. Je pourrai voir avec Pierre-Luc pour qu’il passe les chercher chez toi. Au plaisir. Gabriel. La colère monte en Lili. LILI Quoi? Mais comment peut-on passer à une telle indifférence du jour au lendemain? C’est... c’est tellement bas. Érika entre. ÉRIKA C’est même pas comme s’il avait tourné la page, c’est carrément comme s’il avait brûlé tout le livre au complet. LILI Je me sens comme si j’étais plus rien à ses yeux. ÉRIKA Je n’arrive pas à comprendre non plus. Je pense en tout cas qu’il sait que dans ce genre de situation, l’indifférence fait beaucoup plus de mal que la haine. LILI C’est tellement gamin comme réaction. ÉRIKA Et s’il avait tout simplement un fond méchant? (...) Lili, tu le connais certainement mieux que moi, mais penses-y bien. Ce gars là est brillant, il excelle dans tout ce qu’il entreprend et toujours avec le plus grand self-control. En cours il a des notes exemplaires, s’exprime toujours avec le mot le plus juste possible. Ce mec est intelligent, très intelligent. Ce n’est pas un simple gamin immature qui agit sur le coup de l’impulsion. Il sait ce qu’il fait. Et je suis presque certaine qu’il a pensé au moindre détail de chaque chose qu’il te disait.

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53.

LILI Mais alors il me manipulait dès le début? ÉRIKA Non, ne pars pas avec cette idée en tête. Il a certainement été sincère dans ses sentiments. Mais je pense que la manière dont les choses ont tournées entre vous, ça a réveillé une autre part de lui-même. Lili soupire. Elle est totalement désorientée. LILI Je pense que je vais devoir consulter un psy avant de perdre complètement pieds. Le lendemain, Lili répond à son tour par un courriel. LILI Gabriel. Je t’avoue que je reste sans voix face à la froideur de ton message. C’est choquant. Comment peux-tu me traiter avec si peu de considération après ce que l’on a vécu? Comme si du jour au lendemain je ne représentais plus rien? Comme si je n’avais jamais été rien? Tu ne peux pas continuer à agir comme ça avec les gens, tu sais. Je ne comprends pas d’où vient cette attitude, mais je pense sérieusement que tu devrais songer à consulter quelqu’un pour pouvoir te pencher de plus près sur tous ces blocages émotionnels que tu as l’air d’entretenir. Je ne dis pas ça pour te pointer du doigt mais plutôt pour te rendre service. On a toujours l’impression que tu joues un personnage, que tu te caches derrière un masque de perfection. En voulant te montrer toujours fort tu en viens à te comporter comme quelqu’un de totalement insensible, et à faire du mal à ceux qui ne cherchent qu’à t’aimer. Concernant tes affaires, si tu veux les récupérer, alors il faudra le faire toi même, face à face, la prochaine fois que tu viendras à Montréal. Cordialement. Scène 3 Lili face public. LILI Même si cela était contre mon gré, les hostilités étaient lancées. Sur le même ton qu’à un chien, sans un bonjour ni au-revoir, Gabriel me donnait rendez-vous devant le Métropolis. Évelyne entre derrière elle. EVELYNE Au moins il était sûr que ça n’allait pas trop s’éterniser.

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54.

LILI Bien-sûr. J’étais pétrifiée, serrant fort mon sac en plastique dans mon poing. La seule chose importante pour moi était de retrouver un climat pacifique. En plus de ses affaires, j’avais préparé une enveloppe contenant une photo des cadenas qui habillent le Pont des Arts, à Paris. À l’arrière, j’avais écrit un petit mot, juste une phrase, évoquant ce lien précieux que nous avions eu et qui serait à mes yeux indestructible, quelles qu’avaient pu être nos décisions. EVELYNE Vous avez eu une chance de lui dire que vous vouliez que le climat soit plus pacifique entre vous? LILI Plus ou moins. Je l’ai vu arriver de loin. Au départ, alors qu’il marchait en ma direction, il avait par moments le regard fuyant. C’est bizarre mais j’avais l’impression que ses yeux étaient plus brouillés que d’habitude. Comme remplis d’humidité, même si son attitude démontrait tout sauf une envie de pleurer. Lili se lève. Gabriel s’arrête devant elle. GABRIEL (très décontracté) Salut Lili! LILI Salut. Tu vas bien? GABRIEL Impeccable. Donc? Tu as mes affaires? Lili lui tend le sac. Il en retire ses affaires, rend le sac vide à Lili et commence le tri, silencieux. Sans même un regard, il lui rend également l’enveloppe avec le mot. LILI Non non, garde-la. Il la met de force dans la main de Lili, toujours sans un mot ni regard. LILI Bon ok... Gabriel, je ne suis pas à l’aise avec ce climat de merde qu’il y entre nous depuis un mois. GABRIEL Climat de merde que TU as créé... LILI Je t’ai juste dit ce que j’avais sur le coeur. Écoute, rassure-toi, je ne cherche ni à revenir avec [...] [.../...]

55. LILI [suite] toi ni à être amis, mais au moins qu’on arrête avec toutes ces tensions et qu’on puisse se traiter avec respect. Gabriel l’écoute en la toisant, sans répondre. LILI Quand tu as réagi avec tant d’indifférence l’autre jour, ça m’a blessé. Tu sais, je peux pas deviner ce que tu as en tête dans ces moments là, je suis pas psy. GABRIEL (sarcastique et sec) Oui, d’ailleurs il faut que j’aille en voir un, de psy. LILI Rah... Gabriel, écoute... GABRIEL (s’emportant) Quand on a rompu, on avait fait ça bien pourtant. Tu as voulu couper les ponts et je l’ai respecté. Maintenant c’est moi qui veux les couper, donc respecte-le! Aussitôt, sans un au-revoir ni laisser le temps à Lili de répondre, il s’en va d’un pas pressé, laissant Lili décontenancée sur le trottoir. Evelyne arrive derrière Lili et lui met la main sur l’épaule. Scène 4 Lili commence à fredonner "Tous les cris les S.O.S", suivie par Evelyne. LILI Comme un fou va jeter à la mer Des bouteilles vides et puis espère qu’on pourra lire à travers S.O.S. écrit avec de l’air Pour te dire que je me sens seule, je dessine à l’encre vide un désert Et je cours, je me raccroche à la vie, Je me saoule avec le bruit des corps qui m’entourent, Comme des lianes nouées de tresses Sans comprendre la détresse des mots que j’envoie.

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56.

EVELYNE Difficile d’appeler au secours Quand tant de drames nous oppressent, et les larmes nouées de stress Étouffent un peu plus les cris d’amour De ceux qui sont dans la faiblesse, et dans un dernier espoir disparaissent. GABRIEL (passant furtivement) Et je cours, je me raccroche à la vie, Je me saoule avec le bruit des corps qui m’entourent, Comme des lianes nouées de tresses Sans comprendre la détresse des mots qu’elle envoie. LILI ET EVELYNE Tous les cris, les S.O.S. Partent dans les airs Dans l’eau laissent une trace Dont les écumes font la beauté. Pris dans leur vaisseau de verre, Les messages luttent mais les vagues les ramènent En pierres d’étoiles sur les rochers. (bis) Scène 5 Elles retournent s’assoir. LILI Je ne sais pas quoi penser. C’est presque comme si tout ce qu’on a vécu avant n’avait été que le fruit de mon imagination. EVELYNE Les gens ont chacun une manière bien à eux d’aborder une rupture. Ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de profondeur, mais là où certaines personnes essaient de s’accrocher aux souvenirs, d’autres choisissent de les nier de bout en bout. LILI Vous pensez qu’il m’a réellement aimé?

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57.

EVELYNE Certainement qu’il vous a aimé jusqu’à un certain moment. Ensuite c’est sûr que vous avez été séparés pendant plusieurs mois. L’éloignement peut amener certaines personnes à se détacher. LILI Mais pourtant on a fini par retrouver la chimie du début. Ça a pris un peu de temps, certes, mais les sentiments étaient toujours là, et de son côté également. Au delà des simples mots, il y a des gestes et des regards qui ne trompent pas, quand même. Et la carte postale? Qui l’a obligé à l’écrire? EVELYNE Vous étiez au bout du monde, dans un endroit paradisiaque... c’est normal que ça puisse favoriser un rapprochement ou réveiller un peu de nostalgie. LILI Je suis pas d’accord. Je reste convaincue que ce sont les autres qui lui ont farci le crâne. C’est peut-être pas l’unique raison, je vous l’accorde, mais ça y a joué pour beaucoup. EVELYNE Qui ça "les autres"? LILI Son meilleur ami déjà. Et toutes ces filles, dont certaines étaient en cours avec lui, et qui lui faisaient presque des crises de jalousie, même parfois sous mon nez, car il leur avait fait l’affront d’être plus présent auprès de moi plutôt que d’elles. Et sa mère! Mon Dieu, mais sa mère! EVELYNE Effectivement je pense que tout ça a contribué à altérer sa perception de votre couple, mais en même temps il avait 24 ans, pas 16. Il était quand même en âge de choisir de ne pas les écouter. LILI C’est facile à dire. Pour deux d’entre eux en tout cas, ce sont les personnes à qui il fait le plus confiance. Il boit leurs paroles comme de l’eau bénite. Vous savez comment je me sentais vers la fin de notre relation? Comme si j’étais en train de me débattre dans des sables mouvants. Et que tout ce monde là, Gabriel inclus, au lieu de me tendre la main, c’était comme s’ils étaient en train de me taper sur la tête avec des pelles pour me faire couler encore plus rapidement. Et en riant en plus. EVELYNE C’est assez intéressant comme métaphore.

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58.

LILI C’est celle qui résume le plus clairement la situation. Puis on a eu que des problèmes environnementaux à gérer. D’abord la distance Montréal-Québec, ensuite son voyage en Asie, l’entourage de merde... Et en plus, moi-même de mon côté, avec mes problèmes de travail, certains problèmes familiaux etc... j’étais pas au top de ma forme non plus. J’en veux à la vie, au destin... vous n’avez même pas idée. EVELYNE La difficulté à laquelle vous devez faire face en ce moment en tout cas, c’est d’accepter la réalité. Le fait que vous ne soyez plus ensemble et que vous devez désormais avancer seule. Là j’ai l’impression qu’il y a une clôture devant vous qu’est la rupture. Vous essayez de la contourner par la gauche, puis par la droite, au lieu de passer directement au travers. Mais vous pouvez tenter toutes les diversions possibles, elle sera toujours là. LILI Je sais. EVELYNE Et il est important d’accepter de lâcher prise. LILI Mais c’est parce que je déteste ce terme là: le lâcher-prise. Comme parler de "faire son deuil". Tout ça sonne comme tellement fataliste à mes oreilles. Ça me met trop face au fait qu’il n’y a plus aucun espoir possible. Que tout est enfermé dans des oubliettes à tout jamais. EVELYNE Pas nécessairement. On a déjà vu certains couples se retrouver quelques années après une rupture. Mais ils ont réussi à repartir sur de nouvelles bases justement parce que le processus de deuil a été complété jusqu’au bout. Donc ils ont pu se nettoyer de tout ressentiment l’un envers l’autre. LILI Vous pensez que ça pourrait arriver? EVELYNE Je ne sais pas. Tout dépend de quelle manière vous évoluez dans vos vies l’un et l’autre. Mais pour l’instant je préfère que vous vous sortiez cette hypothèse là de la tête. Trop entretenir ce genre d’espoir risque de vous empêcher d’avancer. LILI (sceptique) On va essayer...

59.

Scène 6 Lili est face public. LILI Mouais... on va essayer. En tout cas j’ai trouvé un petit peu d’apaisement en me jetant dans des activités bien spécifiques. J’avais ressorti mes pinceaux et chevalets, que j’avais abandonnés jusqu’alors dans un long sommeil d’au moins dix ans. Cela me faisait du bien. Je m’évadais et je retrouvais confiance en mon potentiel créatif. Ça aide à retrouver un semblant d’estime quand vous vous sentez depuis tant de temps comme une merde qui ne mérite pas d’être aimée. J’ai également commencé à avoir une approche plus spirituelle sur la vie en général. J’ai ainsi exploré à tâtons le monde de l’eau delà, avec ses anges bienveillants, ses rendez-vous karmiques et ses transmitions d’énergies. Cet univers apaisant, combiné à la méditation et au yoga, m’aidait à redevenir maîtresse de la situation. De MA situation. J’y ai compris beaucoup de choses. J’y ai appris beaucoup de choses. Comme par exemple qu’il était possible, malgré la plus lointaine distance, de communiquer avec l’âme d’un autre individu bel et bien vivant. J’ai recommencé à voyager. Seule cette fois, avec pour seule compagnie mon sac à dos. Je voulais me prouver que moi aussi j’étais capable de développer des réfexes de survie. Bien sûr il m’était difficile de ne pas imaginer qu’il était là, présent quotidiennement à mes côtés, s’émerveilants tous les deux face à des paysages féériques. Pour cette raison, je ne saurais dire si ces voyages me faisaient plus de bien ou de mal. C’est là-bas également que j’ai commencé à prier. Chaque église que je croisais sur mon chemin était prétexte à aller chercher un peu d’espoir auprès de forces supérieures. Pas pour demander l’impossible non plus, je n’étais pas stupide. Juste que les choses s’apaisent entre nous et qu’on puisse se retrouver dans des sentiments qui soient au moins emplis de bienveillance et de reconnaissance. Rien de plus. J’ai donc choisi de faire le premier pas. Scène 7 Christine entre dans la chambre de Gabriel. CHRISTINE Ah tu es là? Je viens de rentrer, je t’entendais pas. GABRIEL T’as passé une bonne soirée? Alors il était comment?

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60.

CHRISTINE Oui, gentil mais... bof... sans plus. GABRIEL Vous avez quand même soupé ensemble? CHRISTINE Oui, il m’a invitée dans une rôtisserie. J’ai trouvé ça un peu limite comme endroit pour un premier rendez-vous, mais bon... on va pas en demander trop non plus. GABRIEL Donc le premier et dernier rendez-vous apparemment? CHRISTINE Y’a des chances. Tu as reçu une lettre? GABRIEL Oui. De l’Argentine. CHRISTINE C’est qui qui est parti là-bas? GABRIEL Tu veux vraiment que je te réponde? CHRISTINE Je comprends pas. GABRIEL Beeennn... CHRISTINE Attends, ne me dis pas que c’est... GABRIEL Exact. CHRISTINE Ah d’accord. Très bien. Et qu’est ce qu’elle te dit? GABRIEL (tendant la lettre) Ben tiens, t’as qu’à lire si tu veux. CHRISTINE Dix pages? Mais voyons donc! GABRIEL (un sourire en coin) C’est ce que je me suis dit aussi. Et en plus, écrites à la main. CHRISTINE Mon Dieu, c’est intense.

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GABRIEL Mmm... CHRISTINE (regardant vite fait les pages) Eh ben... toute une déclaration! Ça me donne déjà mal à la tête. En plus elle écrit comme un chat, c’est illisible. C’est quoi qui est écrit là à la fin? GABRIEL "Deviens qui tu es". Elle soupire. CHRISTINE Bref... je voie le genre. Et tu vas faire quoi? GABRIEL Ben rien, pourquoi? Tu penses quand même pas que je vais réembarquer dans une histoire compliquée comme ça? CHRISTINE (l’air de rien) Non non, je demande juste ça comme ça. Elle s’assoit sur le bord du lit, aux côtés de son fils. Il pose sa tête sur ses genoux. CHRISTINE Tu vas finir par rencontrer celle qui est faite pour toi, c’est sûr. C’est quand on cherche pas qu’on trouve. Et puis c’est ça internet. Tu ne peux pas y rencontrer des gens sérieux ni équilibrés. À l’époque où j’ai rencontré ton père, c’était tellement différent. GABRIEL Oui, j’imagine. CHRISTINE Est ce que je t’ai dit que nous aussi on avait commencé à distance? GABRIEL Vraiment? CHRISTINE Oui. Lentement mais sûrement. J’étais encore à Trois Rivières et lui étudiait à Sherbrooke. C’est sûr qu’on ne se voyait pas à fréquence régulière, mais on était tellement liés l’un à l’autre que cela nous était égal. On arrivait à passer au travers de toutes ces périodes d’attente en toute sérénité.

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62. GABRIEL C’est vraiment beau. Je savais pas du tout. CHRISTINE Il faut dire qu’on communiquait merveilleusement bien aussi, sans se juger, sans se faire le moindre reproche. C’est pour ça qu’on savait qu’on pouvait se faire une confiance aveugle. Tu voies, nous on avait même pas besoin de s’appeler sans arrêt. On savait que l’autre était là, quoi qu’il arrivait, c’est tout. Et on savait respecter la bulle l’un de l’autre. Ça c’est important pour démarrer sur de bonnes bases. Ne pas étouffer l’autre. GABRIEL Vous avez tenu combien de temps comme ça? CHRISTINE Presque deux ans. Puis c’est moi qui l’ait rejoint là-bas. Un an après, on se mariait. Puis on a eu un beau garçon! Gabriel sourit, se redresse et fait une bise à sa mère. GABRIEL Je t’aime, mom. CHRISTINE Et moi donc. Tu es ma plus grande fierté. Elle simule une douleur en arrière du cou. CHRISTINE Mon Dieu, on dirait que je me suis bloquée. GABRIEL Attends, je vais t’arranger ça. Il lui masse les épaules et le cou. CHRISTINE Tu voies, je pense que s’il n’avait pas eu cet horrible accident il y a onze ans, ton père et moi nous serions encore ensemble à ce jour. Amoureux comme au premier regard. GABRIEL Je n’ai aucun doute là-dessus. Vous étiez tellement beaux à voir tous les deux. CHRISTINE C’est ce que tout le monde disait en tout cas. GABRIEL J’aimerais tellement pouvoir vivre la même chose un jour.

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63. CHRISTINE Ça va venir, mon chéri. Quand tu auras rencontré la bonne personne, c’est tout. Scène 8 Lili est assise face à Evelyne. EVELYNE Est-ce qu’il a répondu finalement? LILI Presque deux mois après. J’avais perdu tout espoir. Il me remerciait pour... toutes mes révélations, comme il disait, puis m’a dit qu’il était passé à autre chose, et qu’il souhaitait me dire la vérité le plus honnêtement possible pour que je puisse moi aussi passer à autre chose comme lui l’a fait... etc etc etc... Et il a fini en disant que c’était la dernière fois qu’il me répondait. EVELYNE Il vous a dit quoi par rapport au contenu? LILI Vous voulez dire par rapport au fait que je lui servi toutes mes tripes sur la table? Après que je lui ai dit combien je m’en voulais de ne pas avoir été plus forte face à nos difficultés? Après lui avoir dit combien je croyais en lui, combien j’étais fière de lui et combien il me manquait? Attendez... On parle de Gabriel là. Évidemment qu’il n’a absolument pas fait mention de tout cela. Et encore moins répondu à mes questionnements. EVELYNE Vous vous êtes sentie comment? LILI Négligée. Totalement négligée. L’impression d’être un kleenex ou une simple amourette de vacances. Ça fait mal de voir que ça m’a pris tout mon courage pour oser me mettre à nue, faire mon mea-culpa, et que lui balaye tout ça avec nonchalance d’un revers de la main comme si je n’étais qu’une... qu’une pauvre fille sans valeur. J’ai vraiment le sentiment de m’être rabaissée pour rien. EVELYNE Ce qu’il faut voir surtout c’est si cela vous a fait du bien à vous de lui ouvrir votre coeur comme ça. C’est ça le plus important. Vous avez eu le courage de vous remettre en question, de lui envoyer des pensées aimantes malgré le contexte tendu dans lequel vous étiez depuis huit mois. C’est très honorable de chercher à faire la paix comme vous l’avez fait. Et croyez-moi, ce n’est pas donné à n’importe qui.

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64.

LILI C’est surtout ridicule. Il a bien dû rigoler. Et j’imagine même pas comment ça a dû se défouler dans mon dos avec tous ses amis de merde. Même si à la fin de la lettre je lui ai fait promettre de n’en parler à personne. Je ne sais pas qu’est ce qui m’a pris. Comment se rabaisser en dix leçons, vous connaissez? C’est de moi. EVELYNE Je ne le voie pas comme ça. Et vous lui avez répondu de nouveau après ça? LILI (soupire) Je lui ai demandé si je pouvais au moins lui parler de vive voix. Qu’il y avaient plusieurs questions auquelles j’aurais aimé avoir une réponse. Bizarrement il a accepté et m’a donné rendez-vous pour dix jours plus tard car il était visiblement débordé par son stage de fin d’études. Et en me précisant qu’il m’appellerait via Skype car il ne voulait pas me donner son nouveau numéro de téléphone. Pire que si j’étais une folle qui le harcelait à tout bout de champ. Glen Close dans "Liaisons Fatales", vous voyez. Scène 9 Lili est chez elle et tourne en rond, tendue. Son cellulaire sonne. elle prend une grande respiration et répond. Elle sera stressée et fera profil bas tout le long, tandis que Gabriel sera d’une décontraction insolente. LILI Allo? GABRIEL Salut Lili, comment ça va? LILI Bien et toi? GABRIEL Impeccable. LILI Ouf... je dois t’avouer que suis pas mal stressée. GABRIEL Y’a pas de problèmes, je suis là pour répondre à tes questions de la manière la plus... la plus pacifique possible!

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65. LILI Merci. Alors ça se passe bien tes études? GABRIEL Très bien. Je suis arrivé à Montréal depuis un peu plus d’un mois. Je termine mon stage et juste après ça je vais enfin pouvoir travailler comme journaliste! LILI Ah bon? Tu es vraiment venu t’installer à Montréal finalement? GABRIEL Bien sûr. D’ailleurs je t’ai croisée dans le métro la semaine dernière. Mais tu m’as pas vue. LILI Ah... ok... ça se peut. Ça fait bizarre de te savoir enfin ici après toute cette... enfin disons que... bref. C’est dommage. GABRIEL C’est la vie. LILI Qu’est ce qui nous est arrivés selon toi? GABRIEL Je pense surtout que quand je suis parti en voyage, on a eu des problèmes qu’on a pas pu régler correctement à cause de la distance, et du coup ils se sont amplifiés. LILI Effectivement ça se peut. Mais est ce que je peux te demander quelque chose? GABRIEL Vas-y. LILI Est-ce que tu m’as vraiment aimée? GABRIEL Tu penses vraiment que je serais resté sept mois avec toi si ça n’avait pas été le cas? LILI C’est que quand j’ai vu nos interactions par la suite, ça m’a vraiment amenée à me poser des questions. GABRIEL Ben disons que ce qui est sûr, c’est que tu m’as aimé beaucoup plus que je t’ai aimé. Mais ça ne veut pas dire que je ne ressentais rien.

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66.

LILI Mais est ce que je t’ai manqué? Enfin je veux dire... est ce que tu as été triste au moins un petit peu quand on s’est séparés? GABRIEL Aucunement! Au contraire j’étais soulagé, j’étais libéré! Je n’ai jamais eu de peine d’amour dans ma vie. Je ne sais même pas quel effet ça fait. Au point que parfois ça m’inquiète, j’en viens à me demander si je suis capable de tomber réellement en amour avec quelqu’un. LILI Ouf... tu le penses vraiment? Pourtant dans ta carte postale tu avais l’air sincère. GABRIEL Je ne sais même pas ce que j’y avais écrit dedans. Juste qu’on était à la plage, que je te trouvais belle, et ensuite je ne me rappelle plus. LILI Tu me disais que tu m’aimais. GABRIEL Ah... possible... Ben tu voies, je m’en rappelais pas. LILI Mais est ce qu’au moins tu comprends pourquoi ton indifférence qui a suivi a pu me choquer? GABRIEL Sérieusement? Non. D’ailleurs à la base, quand tu m’as remercié pour la carte je ne voulais même pas répondre. Si je l’ai fait, c’est juste parce que je savais que tu avais des affaires à moi que je voulais récupérer. Quand par la suite j’ai vu encore un courriel de trois kilomètres de long, ça m’a amusé plus qu’autre chose. Mais l’histoire du psy, ça m’est resté en travers. LILI C’était pas pour t’accabler ou te faire passer pour un fou, mais pour te faire comprendre que tu devais faire attention à certains aspects de toi même. GABRIEL C’est correct. Je suis très serein avec tout ça maintenant. LILI C’est une grosse claque tout ce que tu viens de m’avouer en tout cas. Sur ta manière de vivre notre séparation.

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67. GABRIEL Je suis désolé. LILI Est ce que c’est en partie à cause du fait qu’au lit on avait quelques problèmes? GABRIEL Pas nécessairement, même si c’est vrai qu’à ce niveau là tu sais très bien qu’on n’avait même pas la base. Honnêtement je ne peux pas te dire si ça aurait changé quelque chose ou pas. Peut-être que oui, peut-être que non. LILI Mais est ce que je t’ai apporté quelque chose au moins? GABRIEL Oui. Tu m’as appris à aimer. Puis je garde en mémoire qu’on a quand même eu de bons moments. Même si d’autres ont été beaucoup moins bons, surtout en voyage. LILI Ça me fait chier que tu soies à Montréal. Surtout après avoir espéré ça si longtemps. Enfin ça arrive et voilà où on en est. On aurait pu être tellement heureux si les choses n’avaient pas tourné ainsi. GABRIEL Honnêtement je suis pas sûr. On en serait quand même arrivés là tôt ou tard. LILI Ça va être dur de te croiser. Alors imagine si je te voie avec quelqu’un. Alors que ça aurait pu être moi. Mais bon, ne me dis rien. Je ne veux même pas savoir s’il y a quelqu’un d’autre ou pas. GABRIEL Ne t’inquiète pas, je ne compte pas te faire la moindre révélation sur le sujet. Puis pour le reste, si tu me voies avec une fille ça ne veut pas dire que c’est ma blonde, et si tu me voies avec un gars, ça ne veut pas dire que j’ai changé de bord! (ricanement) LILI Ok... si tu le dis... Bon... je vais te laisser. GABRIEL Ça va? Est ce que ça a pu t’aider à te sentir mieux? LILI Ben... je sais pas trop... moyen. en tout cas je te remercie d’avoir pris ce temps pour moi. Je te souhaite bonne chance pour la suite. [.../...]

68. GABRIEL Ça me fait plaisir. Bye Lili. Scène 10 Retour sur Lili et Évelyne. LILI Je l’ai remercié! Non est ce que vous vous rendez compte combien je suis conne? Je l’ai remercié! EVELYNE De toutes manières s’il n’a pas été capable de se battre pour vous garder c’est que c’est lui le con, et s’il n’a pas pu prendre conscience de ce qu’il a perdu c’est qu’il est encore plus con. LILI En effet. Est ce que vous pensez que ce sont les propos de quelqu’un d’équilibré? EVELYNE Tout laisse à penser que c’est un narcissique. Il cherche juste à vous blesser au travers de tout ça. LILI C’est drôle, ça m’a traversé l’esprit, l’hypothèse du pervers narcissique, juste avant que je le rejoigne à Bali. Mais je n’y avais pas attaché plus d’importance que ça. Mais est ce que ça veut donc dire qu’il m’a manipulée dès le début? EVELYNE C’est difficile à dire. Mais attention je n’ai pas parlé de pervers narcissique. Ça c’est autre chose et c’est beaucoup plus grave. Le pervers narcissique va prendre du plaisir dans le fait de détruire l’autre. Par exemple celui dont on vient de parler aux infos le mois dernier, Lukas Magnota, lui ça en est un. Concernant Gabriel, c’est difficile d’établir un diagnostic sans le voir en personne, mais d’après tout ce que vous me dites, il aurait des tendances en tout cas. Mais vous savez, chacun d’entre nous avons une tendance vers tel ou tel trouble de personnalité. Mais à des échelles différentes, bien évidemment. Cela peut être si infime que c’est imperceptible et on va fonctionner parfaitement bien dans notre quotidien. Chez d’autres ça va être plus présent. LILI Ça ne me surprend tellement pas. Mais vous savez, je m’étais déjà documentée sur ce sujet il y a quelques années. Et il est évident que les narcissiques veulent toujours être au centre de l’attention générale. Alors dans ce cas là, pourquoi est-ce qu’il ne supportait pas du tout le fait que lorsqu’on était en groupe, j’étais plutôt en retrait contrairement à lui? Ça aurait dû faire son affaire au contraire. [.../...]

69.

EVELYNE Ils sont énormément dans le paraître. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est renvoyer l’image que tout va pour le mieux dans leur vie. Si vous arrivez tous les deux dans une soirée et que vous, vous semblez moins dans le mode party, selon lui ça pourrait laisser croire à l’entourage qu’il y a des tensions dans le couple. Et ça fait tâche dans le décor. LILI Je comprends mieux maintenant. EVELYNE Pour le reste, je pense que le narcissique est capable d’être sincère et d’aimer quelqu’un, mais d’une manière différente de la nôtre. Ce n’est pas inconditionnel. Ils vous aiment tant que vous les mettez sur un piédestal. Si vous les en faites descendre, même quelques minutes, en le confrontant à une de leurs failles, tout peut basculer. LILI Ce qu’il s’est passé avec l’histoire du cambriolage. EVELYNE Possiblement. Et peut-être d’autres fois également. Et si cela peut vous rassurer, il reproduira la même chose avec ses prochaines conquêtes. Est ce que ces filles seront heureuses avec lui? Vous avez déjà la réponse. LILI Quand on venait de se rencontrer, il me disait qu’avant moi il avait rencontré deux dépendantes affectives, et que ça avait pénible comme patern, etc... Je suis persuadée qu’en fait c’étaient juste deux pauvres filles comme moi, qui se sont senties négligées, et qui essayaient tant bien que mal de taper du poing sur la table pour avoir un minimum de considération. EVELYNE Il y a de fortes chances, en effet. Mais il est vrai que généralement, ils vont aller vers des personnes qui sont plus vulnérables, ou qui vivent un manque affectif. LILI Je venais de perdre ma grand-mère, je ne parlais plus à mon père, et ma job me rendait folle. Un temps. LILI Je le voie encore qui se la joue le gars très conscientisé sur tout. Qui va faire du bénévolat dans les pays pauvres; dans la rue il va ramasser au sol [...] [.../...]

70.

LILI [suite] tous les déchets recyclables qu’il va croiser sur son chemin... pour les jeter un peu plus loin... EVELYNE Ça va sûrement avec le personnage ça aussi. Pour l’image. LILI Je suis en train de penser à autre chose, tout d’un coup. Vous vous souvenez que lors de notre deuxième rencontre on s’était mis un dvd chez moi. Le film en question, sans même savoir que je l’avais dans tout mon bazar, c’est lui qui m’en a parlé quelques minutes avant, en me disant qu’il rêvait de l’écouter un jour. EVELYNE C’était lequel? LILI "Jeux d’enfants", un truc français avec Guillaume Canet et Marion Cotillard. EVELYNE Je connais pas. LILI C’est l’histoire de deux âmes sœurs qui se rencontrent dès leur plus jeune âge. Et au lieu d’assumer leur amour réciproque, et surtout de se l’avouer, ils passent leur vie entière à se lancer des défis tournant autour du "cap ou pas cap?". Des défis qui vont vite se transformer en véritables actes de cruauté l’un envers l’autre. C’est la seule manière qu’ils ont trouvé pour maintenir vivant ce lien entre eux. EVELYNE Et c’est le premier titre qui lui est venu en tête ce jour là? LILI Oui! Je vous assure! Alors que les films sentimentaux, c’est pas son truc plus que ça. EVELYNE Bah, on va pas tirer des conclusions trop hâtivement puisque ça n’a sûrement aucun lien, mais c’est vrai que c’est plutôt troublant.

71. Scène 11 Lili est seule chez elle. Dans sa tête plusieurs voix se bousculent. Des bribes de phrases prononcées par des femmes, victimes elles-aussi. LILI J’avais enfin réalisé ce que mon inconcient savait dès le début. Malgré mes baisers, le prince charmant n’était toujours resté qu’un vilain crapeau. Je ne saurais dire à qui j’en voulais le plus. À lui ou à moi. L’amour n’est qu’une arnaque. L’amour n’est qu’une merde au royaumme des mouches sans cervelles. Dont je faisais partie. J’ai passé les mois qui ont suivis à surfer sur le net, de forum en forum. J’y découvrais des récits d’autres pauvres femmes comme moi, qui avaient été aussi bonnaces et en avaient payé le prix fort. Parfois j’argumentais avec elles, basée sur ma propre... tsss... expérience? C’est ça le terme qu’ils utilisent tous pour nous faire croire qu’un jour on va en ressortir plus fort? En attendant je devenais incollable sur le sujet du trouble de personnalité narcissique. Certains traits flagrants coincidaient, d’autres moins... Contrairement à beaucoup d’autres, le mien n’attaquait jamais de front. C’était plus sous une forme de passivité agressive. Faut croire qu’il était plus incidieux. Il ne cherchait pas à revenir pour pleurer des larmes de crocodiles à mes pieds non plus. Tout le contraire. J’en venais à jalouser ces martyrs du web qui se plaignaient du retour de leur amoureux fantoche. Le mien savait au contraire que cette indifférence était le meilleur moyen de me détruire, ou il s’était tout simplement trouvé un autre jouet, et avait négligeamment abandonné le précédent au fond de sa malle à trésors d’enfant gâté. Désormais la question n’était plus: "est ce qu’il m’a trompé?", mais plutôt "combien de fois?". Avec tout mon amour, je le haissais. Mon plus grand rêve était de le croiser dans la rue, misérable, ne se déplaçant plus qu’en fauteuil roulant car la vie s’était chargée entre temps de me faire vengeance. Et je me voyais là, jouissante de bonheur après lui avoir vomis tout mon mépris en pleine face, donnant un grand coup de pied dans son fauteuil alors qu’il me regardait, désarmé avec ses yeux de cocker. Vous ai-je parlé également du fantasme du révolver sur le front et de l’immense ratatouille qui s’ensuit? (rire). Je m’en fous pas mal si je suis en train de devenir complètement folle. Te voir souffrir jusqu’à me supplier à terre sur tes pauvres genoux cagneux... ouais, c’est ça mon plus doux remède. Oh mon amour, que je te hais. Je te hais à t’en faire crever, mais surtout je te hais à en crever moi-même. Pardon? Combien de temps ça a duré? Au moins six bons mois, si ce n’est pas plus. Oui j’ai eu un moment où [...] [.../...]

72.

LILI [suite] j’ai retrouvé un peu de calme. Cette fois ces femmes du net, qui voyaient tout en noir, n’avaient pas eu raison de moi. J’en ai profité pour aller voir un médecin dans mon quartier, pour qu’il me prescrive des anti-dépresseurs. Je n’ai pas aimé l’effet. En plus de perdre le contrôle de mon esprit j’avais perdu celui de ma notion du "ici et maintenant". J’étais rendue ailleurs dans une dimension qui m’était inconnue. Peut-être le purgatoire... peut-être même ai-je rêvé que je les avais pris... J’ai eu tellement peur que j’ai tout arrêté au bout de deux longues journées passées sur le fil du rasoir. J’ai quand même gardé de côté tout le reste du flacon, par précaution. Au cas où un jour les choses deviendraient trop difficiles à supporter et que j’aurais besoin de partir par la grande porte. C’était mon petit secret. Une chose est sûre, je devais maintenant affronter ma réalité. J’étais une paria complètement déséquilibrée, un boulet pour mon entourage, et je ne méritais pas d’être aimée. Gabriel... je te déteste presque autant que je me déteste. Silence. Érika arrive derrière elle. ÉRIKA Probablement qu’un jour il réalisera que tu es celle qui le connait le mieux, et qui lui a été le plus dévouée. Dans ce cas là il te reviendra. Mais si les années passent et qu’il n’est toujours pas capable de le reconnaître, alors oui, qu’il crève. Scène 12 Consultation entre Lili et Evelyne. LILI Si vous saviez comme je regrette de l’avoir rejoint à l’autre bout de la planète par amour. Pour qu’il en reste juste ça. Comment j’ai pu être aussi conne? EVELYNE Vous avez quand même eu de bons moments là-bas. LILI Oui mais est ce qu’ils étaient sincères? Rendue là, je suis convaincue que si un jour quelqu’un devait lui apprendre ma mort, ça lui ferait le même effet que si c’était le voisin de palier. Ça fait mal de réaliser ça, vous savez. EVELYNE On ne peut jamais savoir ce qui se passe réellement dans la tête des gens. Surtout quand ils ne le savent pas eux-mêmes.

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73.

LILI J’ai au moins besoin qu’il s’excuse. Pour tous ces mots cruels, son égoïsme maladif. Je ne pourrai jamais vraiment trouver la paix sans ça. EVELYNE Le problème, c’est que dans ce cas là vous remmettez totalement votre guérison entre ses mains. Ça vous rend prisonnière de quelque chose qui peut-être n’arrivera jamais. LILI Je sais, mais j’ai besoin de l’entendre de sa propre bouche. EVELYNE À mon avis, le meilleur moyen pour pouvoir retrouver une sérénité, c’est d’arriver à lui pardonner. LILI Quoi? Jamais. Pas après tout ça. EVELYNE Je comprends que vous soyez en colère, et c’est d’ailleurs une étape obligatoire dans le deuil car toutes ces envies que vous aviez de l’étrangler vous ont permis de débloquer certaines émotions. Mais comment vous sentez-vous en ce moment, depuis que vous êtes alimentée par ça? LILI Très mal. C’est comme un feu qui me consume lentement en longueur de journée. Même sans raisons, je ressens toujours des picotements qui longent ma colonne vertébrale, des sueurs froides, la tête qui tourne même par moments, tellement j’ai une boule de rage intense qui brûle à l’intérieur. Quant à l’image que j’ai de moi, je ne vous en parle même pas. EVELYNE Ça altère votre perception de vous-même car le détester pour ce mal qu’il vous a fait vous place au rang de victime. Quand je parle de lui pardonner, ça ne veut pas dire nier la gravité de ses actes et de ses paroles, c’est tout simplement reconnaitre cette personne comme agissant selon sa propre souffrance. Et que ses mauvaises actions ne représentent peut-être pas nécessairement ce qu’elle est fondamentalement au plus profond d’elle-même. En pensant ainsi, ça lui enlève du pouvoir. Vous revenez sur un pied d’égalité, et cela vous aidera également à vous libérer de toutes ces rancoeurs qui vous grignottent de l’intérieur. LILI Oui, c’est possible.

[.../...]

74. EVELYNE En un sens, pardonner à l’autre c’est aussi se pardonner à soi-même. Et pour la prochaine fois, j’aimerais bien que vous me fassiez une petite liste de ce que vous pensez avoir à vous pardonner. LILI À part d’avoir été trop conne pour tomber dans le panneau, je voie pas. EVELYNE Prenez le temps d’y penser, et ne soyez pas trop dure avec vous. Et d’ailleurs je vais aussi vous donner un second exercice. On va inverser les rôles et au lieu de mettre à plat ce qui vous manque chez lui, vous allez plutôt me dire quelles sont vos qualités à côté desquelles LUI est passé. Et qu’il pourrait être amené à regretter à ce jour. LILI C’est pas bête. Oh mon dieu si vous saviez, je donnerais n’importe quoi pour tout oublier de toute cette histoire. Vous ne feriez pas les lobotomies par hazard? EVELYNE (rire) Ah ah ah. On va éviter de se rendre jusque là. Ce sera moins salissant pour les tapis également. Mais est ce que vous ai déjà parlé de l’exercice de la télévision? Non? En fait imaginez que vous êtes assise devant votre télé, ou au cinéma, peu importe, et que toute votre histoire avec Gabriel se joue devant vous. Vous vous positionnez juste en tant que spectatrice, extérieure à la scène. Vous verrez qu’avec cette approche, ça va comme... LILI (la coupe) Changer ma perception sur tout ça? EVELYNE Exactement. Il y a de fortes chances que cela vous amène à relativiser davantage. Et surtout à vous en détacher (...) Sinon, est ce que vous avez fait d’autres rencontres dernièrement? LILI Il y a eu des dates, mais bon... bof... sans plus. EVELYNE Personne qui ne vous a vraiment accroché? LILI Non. Pourtant il y a eu de bons gars dans le lot, mais je trouve qu’il leur manque toujours quelque chose.

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EVELYNE Attention à ne pas tomber dans le piège de comparer hein. LILI C’est même pas ça. J’ai juste l’impression que mon coeur est incapable de ressentir quoi que ce soit pour qui que ce soit. C’est comme un vide. Ça fait plus d’un an que je suis seule maintenant. Je le voie bien qu’il y a quelque chose en moi qui s’est définitivement brisé. Ce qui m’inquiète le plus c’est qu’en même temps ça m’a rendu totalement insensible à tout. Je pourrais croiser un enfant borgne et sans jambes dans la rue, ça me laisserait indifférente. EVELYNE Et sur l’aspect... (elle fait une mimique pour ne pas prononcer le mot "sexe") LILI Au moins je ne suis plus envahie par cette tristesse et cette envie de pleurer quand je suis au lit avec un homme, c’est déjà un bon début... Par contre, il suffit que pendant l’acte je pense ne serait-ce qu’une fraction de seconde à l’autre, et tout le désir s’envole. Je me sens comme une simple trainée, indésirable, je me ferme comme une coquille et j’ai juste hâte que le gars prenne ses affaires et s’en aille. EVELYNE Je comprends. On va tout faire pour vous aider à vous dissocier de tout ça. Scène 13 Monoloque de Lili. LILI Et elle m’y a aidée. C’est sûr que la peine est restée, et les questions sans réponses aussi, d’une certaine manière. Toujours la même qui venait en tête de liste: qui est Gabriel? Qui est cet homme que j’ai aimé plus que tout au monde? Moi qui avais tant cette impression de le connaitre, je restais face à une impasse. Est-ce que le Docteur Jeckyll a laissé apparaitre Mister Hyde? Ou est ce que Mister Hyde se cachait derrière un masque de Docteur Jeckyll dès le début? Va t’il s’améliorer avec le temps ou est ce que son trouble, si trouble il y a, va prendre de plus en plus le dessus? Malgré mes réticences, j’ai donc choisi de retourner chercher au fond de moi mes plus profondes convictions. Personne n’est fondamentalement mauvais. On le devient. La méchanceté résulte de la souffrance. J’avais toujours pu voir la part fragile de l’Ange Gabriel, avant qu’il ne devienne déchu. Je pense qu’il a été sincère [...] [.../...]

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LILI [suite] malgré son ambivalence. Je le sens au plus profond de mes entrailles. D’ailleurs est il responsable de cette dualité ou faut jeter le blâme ailleurs? Et est que seulement il en a conscience? En tous cas, j’étais sur la bonne voie. Cela faisait maintenant trois ans que je me battais, et la colère était désormais derrière moi. Enfin... il y en avait toujours un peu mais elle se dirigeait plus vers le destin ou l’ensemble de circonstances. Je me suis jetée plus que jamais dans la peinture. En plus d’avoir trouvé ma voie, je réalisais de plus en plus de quoi j’étais capable. Comme le lotus, j’avais été capable de fleurir dans une mare de boue. Om mané padmé hum. À force d’acharnement, j’ai pu trouver une galerie, intéressée à exposer mon travail. Cela venait signer ce combat dont la récompense emportée était finalement déjà en moi. Mon intégrité. Tous mes proches, mes sauveteurs, étaient conviés à mon vernissage. Mais il restait un invité en suspend. Un invité hautement symbolique. Que faire? Était ce le bon moment? Tant pis si je suis folle. Je suis heureuse et je veux le partager avec les gens que j’aime. TOUS les gens que j’aime. Et là... Gabriel répond à un courriel. GABRIEL Bonjour Lili. Merci beaucoup pour ton invitation, c’est très gentil de ta part d’avoir pensé à moi. Malheureusement je serai à Vancouver pour le travail jusqu’au 12 juin. Mais en tout cas je te dis merde pour ton vernissage. Bon succès! Retour sur le monoloque de Lili. LILI Mon coeur battait la chamade. Un torrent de fraicheur courait dans chacune de mes veines. Je n’arrivais pas à le croire. Enfin! Enfin la paix! J’étais redevenue quelqu’un! Il ne pouvait pas venir, certes, mais c’était tellement bénin comparé à la libération que ces gentils mots m’apportaient. Puis en un sens c’était un mal pour un bien car cela m’évitait un gros stress supplémentaire pour le jour J. Mon Dieu, enfin vous avez entendu toutes mes prières. Et en plus mon exposition a été un succès. Je suis tellement moumoune que j’ai attendu quelques semaines pour lui répondre et partager en même temps cette réussite. Le surlendemain, je m’envolais pour une destination hautement symbolique. Un lieu qui me permettrait de finaliser mon voyage intérieur à la découverte de moi-même: l’Inde.

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Scène 14 Érika et Evelyne l’habillent d’un sari. LILI L’Inde. Le bassin de la spiritualité. J’avais enfin triomphé de mon combat contre mes démons et, l’esprit apaisé, je m’abandonnais à la notion d’amour universel. C’est à Varanasi que je suis allé au plus profond de mon recueillement, longeant les eaux du Gange sur des barques de fortune. Un soir, alors que je venais de déambuler parmi les bûchers du Ghat Manikarnika, je flottais sur ces eaux paisibles et observais au loin le début d’une cérémonie religieuse. La fumée des encensoirs faisait voler au dessus d’une foule de fidèles les chants célestes de l’Arti. J’ai déposé sur le fleuve sacré une bougie en forme de lotus, priant pour lui, pour son karma, pour le salut de deux âmes qui avaient été un peu trop mises à l’épreuve. C’est deux semaines après que je lui ai transmis mes bonnes pensées, cette fois sans l’intermédiaire du divin. "Cher Gabriel. C’est depuis l’Inde que je tiens à te souhaiter une bonne fête pour tes 27 ans. J’espère que tu vas bien. Je t’avoue que ces dernières années je n’étais pas vraiment à l’aise avec ce contexte qu’il y avait entre nous. J’espère de tout cœur que désormais nous pourrons enfin rétablir la paix entre nous deux, et pouvoir se traiter avec le respect qu’on mérite. Je garderai toujours pour toi un amour - universel, je précise - et énormément de tendresse pour tout ce que l’on a vécu. Sache que tu es quelqu’un de merveilleux et je te souhaite de trouver la voie qui te rendra le plus heureux possible. J’espère avoir de tes nouvelles, et que nous aurons l’occasion de se revoir en toute amitié à mon retour. Je t’embrasse. Lili." Réponse de Gabriel. Noir. GABRIEL Bonjour Lili, Merci pour tes vœux. En revanche la relation que j’ai eue avec toi est terminée depuis longtemps. Je peux enfin à présent affirmer que je sais ce qu’est aimer sincèrement quelqu’un. Parce qu’on ne peut pas vraiment savoir ce que c’est tant qu’on ne l’a pas encore vécu, n’est ce pas? Je ne pense pas que j’ai été en amour avec toi. Notre relation a duré sept mois à temps partiel. J’étais jeune et sans expérience. Nous avons démarré à distance, de plus j’étais pris dans mes études jusque par dessus la tête et je suis parti en voyage pendant deux mois. J’ai donc décroché. Oui, rapidement, je l’avoue. [...] [.../...]

78. GABRIEL [suite] J’ai la capacité d’oublier et de m’éloigner facilement des gens quand ils ne font plus partie de mon quotidien. Ça a également été ainsi avec mes amis d’enfance et mes amis de Québec. De plus le facteur harcèlement, ainsi que tous ces messages de colère et de haine que tu m’as envoyés depuis, n’ont fait que me conforter dans mon envie de couper les ponts. Rassure-toi, je ne t’en veux pas et je vis très bien avec ça. C’est la dernière fois que je réponds à un de tes messages. Je te souhaite de pouvoir tourner enfin la page et que tu pourras enfin rencontrer quelqu’un qui sera aussi prêt que toi à s’impliquer dans une relation car tu le mérites. Lili est ébranlée. Elle se laisse tomber à terre. LILI Il est seulement quatre heures et le ciel est déjà noir. Le déluge s’abat sur les rues de cette petite ville indienne. Les dieux sont en colère et déversent des larmes de désespoir. Je n’ai pas d’autre choix que d’aller m’enfermer dans la chambre obscure d’un motel de quartier et tenter de pleurer, pour me conforter que je suis encore en vie. J’en ai besoin et pourtant n’y arrive pas. Je ne veux plus rester ici. Je ne veux plus rentrer. Je veux juste me retirer. Est ce donc ça la fin du voyage? Scène 15 Dernière consultation entre Lili et Évelyne. LILI Comment ai-je pu être assez naïve pour penser que du bon pouvait resurgir de lui? EVELYNE Je ne voie pas ce qu’il y a de méchant dans son courriel. Pour moi c’est juste le discours de quelqu’un qui essaie de vous dire en toute honnêteté ce qu’il ressent. LILI Comment? Mais il sait très bien comment m’atteindre. Il savait que mes plus grandes craintes étaient qu’il remette en question son amour pour moi, et deuxièmement de le savoir accorder à une autre tout ce qu’il m’a refusé. Il le sait, je lui avait dit il y a plus de deux ans au téléphone. EVELYNE Je comprends que vous soyez en colère, mais il faudrait que vous arriviez à passer par dessus ça pour vous recentrer sur vous. [.../...]

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LILI C’est ce que j’ai fait jusqu’à présent! Regardez tout ce que j’ai accompli, et seule en plus. Malgré tous les coups de couteaux que me donnait ce malade pour me faire retomber dans des problèmes d’estime. EVELYNE J’ai l’impression que vous essayez à tout prix de coller une étiquette sur lui. Comme si vous cherchiez à établir un diagnostic par rapport à telle ou telle pathologie. LILI Mais c’est pourtant vous qui avez évoqué en premier la notion de narcissique, non? EVELYNE J’ai juste parlé de tendances. LILI On dirait bien que vous aussi vous vous êtes laissée aveugler par ses belles paroles. Mais voyons, vous le savez autant que moi qu’il joue l’ambivalence chaque fois. Il me dit des choses blessantes et il s’arrange toujours pour finir son discours en se faisant passer pour le bon samaritain qui est plein de bonnes pensées bienveillantes. Il a toujours agi comme ça! Je ne vais pas vous l’apprendre! EVELYNE Dans une relation c’est toujours cinquante pour cent de responsabilités de chaque côté. LILI Mais je le sais. Tout comme je sais que je n’ai pas été facile à vivre non plus, avec toutes mes angoisses... mais est-ce qu’il faut pour autant minimiser la gravité de ses actes? C’est un sadique, ni plus ni moins! Et moi une rescapée finalement, car vu le personnage, si j’étais restée avec lui, Dieu sait dans quel état je serais à ce jour. EVELYNE Un sadique est quelqu’un qui va prendre du plaisir à faire du mal. LILI Prouvez moi que ce n’est pas justement le cas. Silence. EVELYNE Je n’ai eu que votre version des faits, et tant qu’il n’est pas en face de moi je ne peux pas établir de diagnostic précis.

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LILI C’est peine perdue. Vous savez très bien que ce ne sont jamais ces gens là qui viennent consulter, mais toujours leurs victimes. Silence. Lili serre les dents. LILI Vous pensez que je suis folle, c’est ça? EVELYNE Non, je n’ai pas dit ça. Vous avez fait des progrès mais j’avoue que par moments je soupçonne plus ou moins une sorte de psychose. LILI C’est pas vrai, j’arrive pas à le croire. Les rôles sont totaement inversés maintenant. Après trois ans il est encore campé dans l’offensive, contrairement à moi qui ait passé mon temps à rechercher la paix pour pouvoir ENFIN passer à autre chose, et c’est moi qui ai un problème. EVELYNE Je pense que vous devez vraiment accepter les choses telles qu’elles sont. Et accepter le fait que les chances pour que Gabriel revienne sont désormais quasi inexistantes. Je veux surtout éviter que vous retombiez de nouveau dans un état de colère car cela vous maintient comme dans un état de dépendance par rapport à lui. LILI J’y étais arrivée... oui ou non? Jusqu’à ce que ce connard me crisse de nouveau à terre. EVELYNE Jusqu’à un certain point oui. LILI Ça va être quoi la prochaine étape? Me dire que j’ai été une erreur de parcours? Scène 16 Lili est face public. LILI Ça a été ma dernière consultation. Le lien de confiance a été rompu. J’étais seule désormais. Découragée. Épuisée. Je n’ai plus du tout de force. Je ne veux plus chercher à comprendre, je ne veux plus chercher tout court. Je veux juste dormir et me réveiller dans une prochaine incarnation dans laquelle j’aurai moins à accomplir. "Tu mérites tellement de trouver l’amour", qu’on me dit tout le temps. Pourquoi est ce que ce sont les personnes les [...] [.../...]

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LILI [suite] plus méritantes qui peinent le plus à le trouver? Pourquoi est ce que les plus superficielles ont droit au contraire au fameux "un de perdu, dix de retrouvés"? Elle enroule une corde autour de son cou et monte sur une chaise. LILI 13 octobre 2014. Je ne croie plus en rien. Je ne croie plus au destin ni à une justice divine. Je viens de comprendre qu’en fait c’est le diable qui tire les ficelles, et ainsi il récompense ses serviteurs. Je ne veux plus aimer. Je ne sais plus aimer. Je préfère encore mourir physiquement que de mourir plus encore intérieurement. Ma dernière volonté: arriver à lui pardonner de nouveau. Ce sera le cas peut-être... mais dans une prochaine vie. Noir. Scène 17 Érika pleure à chaudes larmes devant le cadavre de Lili. Cette dernière est sous un drap. Gabriel tape un message sur son ordinateur. GABRIEL 14 octobre 2014. Chère Lili. Je ne sais pas comment tu recevras ce message et je comprendrai totalement que tu m’en veuilles et que tu préfères m’envoyer promener. Je ne sais pas trop par où commencer mais en tous les cas je te dois de sérieuses excuses pour le comportement que j’ai eu depuis notre séparation. Non seulement j’ai eu des propos durs à ton effet, mais je n’ai jamais cessé de te repousser. Je te repoussais comme on repousse quelqu’un qui fait peur. Quelqu’un qui fait peur car me ramenant à mes propres peurs. Peur d’aimer et d’en souffrir. Peur de ne pas être à la hauteur, à ta hauteur. Peur tout simplement de révéler la part de moi la plus faible. Je ne te l’ai jamais dit, mais tu avais réussi depuis longtemps à retirer la page de papier givré que je mettais par dessus le livre. Cela m’a inquiété car en un sens tu me connaissais plus que je me connaissais moi-même. J’ai donc eu besoin d’y rajouter plusieurs épaisseurs. Bêtement. Méchament. Le comportement que j’ai eu n’est pas acceptable et malgré tout tu m’as de nouveau ouvert les bras. Tu es une personne très aimante, Lili. J’espère pouvoir apprendre à m’en montrer digne, et si tu veux à nouveau de moi, alors j’aimerais l’apprendre à tes côtés. Je ne t’oblige pas à me répondre, je comprends que tu puisses être en colère, mais si jamais ce n’était pas le cas, alors appelle moi et cela me ferait plaisir de te [...] [.../...]

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GABRIEL [suite] rencontrer de nouveau devant un verre, comme lors de cette belle soirée du 13 janvier 2011. Une fois encore, sache que tu m’auras appris une belle leçon de vie: quoi qu’il arrive, il ne faut jamais avoir peur de dire à une personne qu’on l’aime. Gabriel.