Culture L'ODYSSÉE DES TERRE-NEUVAS

Le 16 février 1992, le chalutier- usine malouin Victor Plevenrentre à Saint-. Malo… les caisses vides. C'est le dernier voyage des terre-neuvas. Pour son capi-.
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CULTURE l’été

MUSÉE DU VIEUX GRANVILLE

UNE SCÈNE DE DÉCHARGEMENT d  e morues à Saint-Malo reproduite pour une affiche de spectacle, vers 1900, par l’illustrateur Eugène Le Mouël.

Culture

exposition

Du XVI  à la fin du XX  siècle, des milliers de matelots bretons et normands embarquent vers le Canada, où la morue se pêche à foison. Une double exposition à Saint-Malo et à Granville retrace leurs aventures. e

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COLLECTION PARTICULIÈRE DR

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Une odeur tenace, rance et salée, règne dans les allées de la chapelle Saint-Sauveur, à Saint-Malo (35). C’est celle de la morue. Un relent que tant de terre-neuvas – ces marins embarqués vers le large du Canada du XVIe siècle à la fin du XXe siècle – ont fini par ne plus sentir lors des longs mois de grande pêche. De ces terribles voyages, il ne reste que les équipements des fiers marins : des coffres, des journaux de bord, quelques hameçons et des vêtements élimés. Entre les splendides maquettes de voiliers et de chalutiers, des gravures, des photographies et des films, racontent le destin de ces LA VIE 24 JUILLET 2014

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hommes exilés. Si l’on tend l’oreille, on entend le murmure de leurs chants entre les vitrines… La double exposition Terre-Neuve/ Terre-Neuvas, qui se tient à Granville (50) et à Saint-Malo, plonge le visiteur dans une histoire séculaire. Une odyssée humaine source de récits rocambolesques, à l’image des tribulations de Jean Conan. En avril 1787, les voiles du Sauvage quittent la rade de Paimpol (22) en direction des eaux glacées de l’Atlantique Nord. À son bord, Jean Conan, un jeunot de 22  ans cherchant à noyer un chagrin d’amour. L’ancien domestique de l’abbaye de Beauport ne sait pas qu’il s’apprête à vivre une incroyable épopée parmi les Béothuks, un peuple de chasseurs-cueilleurs de l’île de Terre-Neuve. Après un naufrage sur la banquise, le Breton est recueilli par les autochtones. Le pieux Jean partage

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A. AMET ET P. TRESSOS

LA MAQUETTE DU TROIS-MÂTS Côte d’Émeraude et, ci-dessous, leurre en forme de poisson datant de la fin du XIXe siècle.

alors les mœurs de ces «  corps sans âme  », tous vêtus de « peaux de loups marins ». De retour au pays, le modeste fils de tisserands rédige ses Aventures, en 7 054 vers en breton : Les Aventures du citoyen Jean Conan de Guingamp (Avanturio ar citoien Jean Conan a Voengamb). Retrouvé au  XX e   siècle, son manuscrit collé sur du cuir de vache est à découvrir en version sonore à Saint-Malo. UNE PÊCHE MIRACULEUSE Situés au sud et à l’est de Terre-Neuve et de l’île du Cap-Breton, les bancs canadiens de poissons regorgeaient à l’époque de ressources halieutiques. Dès le XVIe siècle, cette zone de pêche internationale attirait les équipages du golfe normandbreton : des hommes originaires de Saint-Brieuc (22), Granville ou encore de Saint-Malo.

Deux villes, deux expositions LLA LONGUE ET PÉRILLEUSE HISTOIRE DES TERRENEUVASméritait une rétrospective d’envergure ! À SaintMalo, l’exposition Terre-Neuve/Terre-Neuvas aborde l’histoire des marins, dans son volet L’Aventure de la pêche morutière et, à Granville, celle de leur famille et des représentations artistiques liées à la grande pêche, dans le second volet : Le Temps de l’absence. À VOIR L’Aventure de la pêche morutière, à la chapelle Saint-Sauveur, Saint-Malo (35), jusqu’au 9 novembre. Le Temps de l’absence,  à la Halle au blé, Granville (50), jusqu’au 9 novembre.

Jusqu’au XIXe siècle, la pêche y est surtout sédentaire. La pêche à la morue sèche se pratique sur les côtes : le cabillaud est salé à terre pour être transformé en morue. Puis, la pêche à la morue verte se généralise au cours du XXe siècle. Le salage du poisson s’effectue alors à bord. « LES BAGNARDS DE LA MER » « J’ai 10 ans, c’est ma première campagne de pêche. La vie à bord est difficile  : je m’occupe de la cuisine, je nettoie le poste d’équipage (...) et je reçois parfois des LA VIE 24 JUILLET 2014

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punitions », peut-on lire sur un panneau de l’exposition titré « Parole de mousse ». En mer, les équipages étaient soumis à un rythme de travail effréné et subissaient le manque d’hygiène et la malnutrition. Nombre d’entre eux périssaient… Surnommés « les bagnards de la mer », les terres-neuvas obéissaient à un système hiérarchique inflexible. Les conditions de travail n’ont commencé à s’améliorer qu’à partir du XXe siècle, grâce aux premiers mouvements syndicalistes. Hélas, il est presque trop tard : la raréfaction des ressources pousse le Canada à interdire l’accès de ses zones de pêche aux bateaux français. Le 16 février 1992, le chalutierusine malouin Victor Pleven rentre à SaintMalo… les caisses vides. C’est le dernier voyage des terre-neuvas. Pour son capitaine, Daniel Ébran, l’histoire est amère : « Cinq cents ans d’histoire de la grande pêche se terminent en eau de boudin. »



PAULINE HAMMÉ