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COUR D'APPEL

NO:

500-09-001750-918 (755-53-000001-915)

CORAM: LES HONORABLES

NICHOLS BROSSARD ROUSSEAU-HOULE, JJ.C.A.

LA COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU, APPELANTE - (intimée) c. LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC, INTIMÉE - (demanderesse) et LINDA LANOUE ET DANIEL MARCIL INTIMÉS - (victimes et plaignants) LA COUR: - Statuant sur le pourvoi contre un jugement du Tribunal des droits de la personne du Québec, prononcé le 10 octobre 1991, par l'honorable Michèle Rivet dans le district d'Iberville, qui a accueilli pour partie la demande présentée par la Commission des droits de la personne du Québec et ordonné à l'appelante de s'acquitter, sans discrimination, de ses obligations lui résultant de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) et de la Loi sur l'instruction publique (L.R.Q., c. I-13.3) en donnant accès à David Marcil à ses services éducatifs dans le cadre ordinaire d'enseignement en l'intégrant, à tout le moins de manière partielle, pour certaines activités académiques et en remboursant aux parents de David Marcil les honoraires de l'éducatrice spécialisée pendant l'année scolaire 1989-90; Après étude du dossier, audition et délibéré; Pour les motifs exposés à l'opinion écrite de madame la juge Rousseau-Houle dont copie est déposée avec les présentes et à laquelle souscrivent messieurs les juges Nichols et Brossard;

1994 CanLII 5706 (QC CA)

PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL

ORDONNE à l'appelante de s'acquitter, sans discrimination de ses obligations envers D.M. en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Loi sur l'instruction publique en l'intégrant, à tout le moins de manière partielle, dans le cadre ordinaire d'enseignement en lecture, en bibliothèque, en musique et en ordinateur et en lui fournissant l'accompagnement nécessaire aux frais de la commission scolaire. CONFIRME les conclusions du Tribunal des droits de la personne relativement au remboursement de la somme de 20 880$ représentant les honoraires de l'éducatrice spécialisée pendant l'année scolaire 1989-90; CONFIRME les conclusions du Tribunal des droits de la personne quant aux dommages matériels (5 000$) et moraux (5 000$) accordés à Linda Lanoue et Daniel Marcil pour leur enfant mineur David Marcil; LE TOUT, sans frais.

MARCEL NICHOLS, J.C.A.

ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE, J.C.A. Me René Paquette, (Paquette, Meloche) Procureur de l'appelante. Me Philippe Robert de Massy Procureur des intimés. Dates de l'audition: 14, 15 et 16 mars 1994. COUR D'APPEL PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL NO:

500-09-001750-918 (755-53-000001-915)

1994 CanLII 5706 (QC CA)

ACCUEILLE le pourvoi à la seule fin de substituer à l'ordonnance relative à l'intégration scolaire de David Marcil, l'ordonnance suivante:

NICHOLS BROSSARD ROUSSEAU-HOULE, JJ.C.A.

LA COMMISSION SCOLAIRE ST-JEAN-SUR-RICHELIEU, APPELANTE - (intimée) c. LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE DU QUÉBEC, INTIMÉE - (demanderesse) et LINDA LANOUE ET DANIEL MARCIL INTIMÉS - (victimes et plaignants)

OPINION DE LA JUGE ROUSSEAU-HOULE Le présent litige soulève la question de la discrimination fondée sur le handicap intellectuel dans l'exercice du droit à l'instruction publique gratuite reconnu par l'article 40 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12, telle qu'amendée par la loi de 1989, c. 51). En janvier 1991 conformément à l'article 111 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (ci-après appelée la Charte), la Commission des droits de la personne demandait au Tribunal des droits de la personne: 1) d'ordonner à la Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu de donner accès à David Marcil à ses services éducatifs dans le cadre ordinaire d'enseignement en adoptant ses services aux besoins de cet enfant et en lui procurant les moyens requis pour pallier ses handicaps, notamment un accompagnement individuel; 2) d'ordonner également à la commission scolaire d'apporter les changements requis à son système d'évaluation, de planification et d'organisation des services aux élèves handicapés et en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage de façon à assurer à ces derniers des évaluations et des services éducatifs non discriminatoires conformément aux exigences de la Charte et de la Loi sur l'instruction publique (L.R.Q., c. I-13.3) et enfin 3) de rembourser aux parents de David Marcil les honoraires de l'éducatrice spécialisée pendant l'année scolaire 1989-1990 et certains autres frais plus un montant de 10 000$ à titre de dommages moraux.

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CORAM: LES HONORABLES

David Marcil (D.M.) naît le 26 février 1982. Très tôt l'on constate qu'il présente des traits autistiques et qu'il a des difficultés sur le plan de la psychomotricité et de la communication. Jusqu'à ce qu'il commence la maternelle, en septembre 1987, D.M. fréquente une garderie en bénéficiant d'un accompagnement spécialisé, grâce à l'aide financière de l'Office des personnes handicapées du Québec. Au printemps 1986, sa mère communique avec la commission scolaire appelante afin de sensibiliser la direction de l'école Providence (l'école du quartier) ainsi que les enseignants et les autres intervenants aux problèmes de son fils pour lequel elle désire faire une demande d'admission en maternelle régulière pour septembre 1987. La commission scolaire, après consultation et élaboration d'un plan d'intervention, accepte d'intégrer D.M. en maternelle régulière à l'école Providence. Le plan d'intervention de ce dernier détermine les objectifs individualisés d'apprentissage et identifie différentes mesures de soutien à son intégration scolaire, dont l'assistance, à temps plein et en exclusivité d'une accompagnatrice payée par l'Office des personnes handicapées du Québec. L'année de maternelle 1987-1988 s'avère difficile malgré le soutien pédagogique et technique dont bénéficie D.M. Aussi, lors d'une réunion multidisciplinaire de classement tenue le 22 avril 1988, l'ensemble des intervenants constatent que David ne peut intégrer une première année régulière. Ils recommandent son classement dans une classe spéciale de troubles graves d'apprentissage (T.G.A.) dans une école intégratrice, l'école Félix Gabriel Marchand située dans la municipalité voisine, avec le soutien d'une accompagnatrice et ce, dans le but de le préparer à intégrer, l'année suivante, une première année régulière. Ses parents souscrivent à ce classement qui, de l'avis du Tribunal des droits de la personne, reflète une bonne appréciation des forces et faiblesses de D.M. L'accompagnatrice, pour cette année, est payée à part égale par la commission scolaire et par l'Office des personnes handicapées du Québec. L'année scolaire 1988-89 se déroule très bien. D.M. fait des progrès notables au niveau des apprentissages académiques. Plus avancé que les autres enfants de son groupe en lecture, il voit son programme enrichi. L'attention soutenue que lui prodiguent les nombreux intervenants dans cette classe à effectifs réduits (sept à neuf élèves) semble répondre aux besoins de D.M. qui manifeste des capacités pour assimiler certaines autres matières telles les mathématiques, l'ordinateur et la musique. Toutefois, il est incapable d'atteindre les objectifs terminaux de son programme et demeure très dépendant de son accompagnatrice. Au printemps 1989, les intervenants scolaires abordent la

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LES FAITS

Afin d'assurer cette intégration, les intervenants scolaires de même que le comité d'admission aux services d'adaptation scolaire de la commission scolaire recommandent qu'une accompagnatrice à temps plein assiste D.M. pendant sa présence à l'école. Des demandes sont faites par madame Bleau, la conseillère pédagogique en adaptation scolaire, par monsieur Rivard, le directeur du service des activités éducatives à la commission scolaire ainsi que par le directeur Béliveau, à l'Office des personnes handicapées, afin que cet organisme accepte de payer le salaire d'un éducateur spécialisé malgré le classement de D.M. en classe T.S.D. Toutes ces demandes précisent que le financement intégral de cet éducateur est requis comme soutien à l'élève en vue de son insertion en classe régulière et plus spécifiquement des prévisions de planification d'intégration en première régulière pour des activités de lecture. La politique de l'Office, à l'époque, était d'assumer ce financement à la condition que l'enfant soit inscrit dans une classe régulière. Comme D.M. est inscrit en classe spéciale, l'Office décide de ne pas renouveler sa subvention pour l'année 1989-90. Le 28 août, la commission scolaire par résolution unanime, refuse de financer une accompagnatrice individuelle estimant que la classe T.S.D. à effectifs réduits ainsi que les ressources disponibles de son école peuvent répondre aux besoins éducatifs spéciaux de D.M. L'année scolaire 1989-1990 en classe T.S.D. commence pour D.M. avec une accompagnatrice engagée par ses parents car ces derniers sont convaincus que cette mesure d'appui est indispensable. Bien que le plan d'intervention individualisé pour l'année 1989-90 prévoit son intégration partielle dans une classe de lecture au niveau de la première année régulière, cela ne se produit pas. Le classement pour l'année 1990-1991 est maintenu en classe T.S.D. avec support additionnel offert aux groupes T.S.D. et non à D.M. en particulier. Les parents décident alors qu'il ne fréquentera pas l'école et qu'il suivra son enseignement à la maison. Insatisfaits de la décision prise en 1989 classant leur enfant en classe spéciale T.S.D. et lui refusant les services d'une accompagnatrice, les parents de D.M., dès le 25 septembre 1989, portent plainte à la Commission des droits de la personne

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question de son classement pour l'année suivante. Les intervenants scolaires sont unanimes à recommander une classe de troubles sévères de développement (T.S.D.) afin qu'il puisse recevoir, dans un groupe restreint composé de cinq à six élèves, les services éducatifs qui répondent à ses besoins. L'amélioration de son autonomie est un objectif important qui lui est fixé. Un projet d'intégration dans une classe régulière de première année pour les activités de lecture est aussi inscrit à titre d'objectif dans son plan individualisé pour l'année T.S.D.

Le 14 juin 1990, suite à une enquête, la C.D.P.Q. déclare que la plainte est fondée et recommande à la commission scolaire diverses mesures remédiatrices. Comme la commission scolaire refuse d'appliquer les mesures proposées, la C.D.P.Q. saisit le Tribunal des droits de la personne et requiert la mise en oeuvre de ses recommandations. LA DÉCISION DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PEPSONNE Après avoir noté que le débat devant le Tribunal ne porte d'aucune manière sur la politique gouvernementale des ministères en matière d'intégration scolaire, madame la juge Rivet rejette la conclusion de discrimination systémique recherchée par la C.D.P.Q. Cette dernière, à son avis, n'a pas établi par prépondérance que la commission scolaire a des systèmes d'évaluation, de planification et d'organisation des services qui soient discriminatoires, ni qu'elle a de façon générale, à l'égard des enfants handicapés, des comportements ou des pratiques créant une inégalité systémique. La C.D.P.Q. n'en appelle pas de cette conclusion. Madame la juge Rivet conclut néanmoins que la commission scolaire a exercé une discrimination directe à l'endroit de D.M. en ne l'intégrant pas au moins partiellement en classe régulière après que les intervenants scolaires et le comité d'admission aux services d'adaptation scolaire aient recommandé le classement en classe troubles sévères de développement mais avec l'aide plein temps d'un accompagnateur spécialisé qui devait assurer le soutien nécessaire à cette intégration. C'est alors, comme elle l'exprime, «soit le classement qui est discriminatoire s'il ne comporte pas l'intégration ou alternativement si ce classement comprend l'intégration, c'est alors le fait de ne pas avoir intégré D.M. qui est discriminatoire». Elle ordonne, en conséquence, à l'appelante de s'acquitter sans discrimination de ses obligations envers D.M. en vertu de la Charte et de la Loi sur l'instruction publique en l'intégrant dans le cadre ordinaire d'enseignement, à tout le moins de manière partielle pour certaines activités académiques et en adaptant ses services aux besoins de ce dernier. Comme elle est d'avis que les services d'une éducatrice spécialisée s'avéraient nécessaires pour pallier le handicap intellectuel de D.M. et permettre que l'intégration envisagée puisse réussir harmonieusement, elle conclut que la commission scolaire n'a pas rempli son obligation d'accommodement face aux effets préjudiciables que sa politique d'adaptation des services éducatifs faisait subir à D.M.. Elle ordonne donc le remboursement des honoraires de l'éducatrice spécialisée payés par les parents.

1994 CanLII 5706 (QC CA)

du Québec (C.D.P.Q.) alléguant que la discrimination fondée sur le handicap qu'exerce la commission scolaire a pour effet de priver D.M. de son droit à l'instruction publique gratuite protégé par l'article 40 de la Charte.

La Cour d'appel, le 10 janvier 1992, accueille partiellement la requête en sursis d'exécution pendant l'appel de certaines conclusions du jugement du Tribunal des droits de la personne et ordonne que la conclusion relative à l'exécution soit biffée et remplacée par celle-ci: REND exécutoire, malgré l'appel, l'ordonnance suivante: ORDONNE à la partie intimée de s'acquitter, sans discrimination, de ses obligations envers D... M... en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Loi sur l'instruction publique en: a) pour le reste de l'année académique, soit de janvier à juin 1992, appliquant le dernier classement qui prévoyait l'intégration de D... M... en français et en ordinateur et en lui fournissant l'accompagnement nécessaire; b) pour les autres années scolaires, débutant en septembre 1992, appliquant à D... M..., le règlement adopté par la comission scolaire suivant l'article 235 de la Loi sur l'instruction publique en procédant, en particulier, à son évaluation, à son classement et à l'établissement d'un plan d'intervention qui prend en considération son intégration graduelle aux groupes ou classes ordinaires avec l'accompagnement nécessaire, aux frais de la commission scolaire. LES QUESTIONS SOUMISES À LA COUR D'APPEL Les questions suivantes:

soumises

sont

essentiellement

les

deux

1.

L'intégration en classe régulière est-il un droit protégé par l'article 40 de la Charte québécoise qui garantit le droit à l'instruction publique gratuite dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi?

2.

La décision de ne pas intégrer D.M. en classe régulière et de ne pas lui fournir les services exclusifs d'un éducateur spécialisé constitue-t-elle un acte discriminatoire au sens de l'article 10 de la Charte québécoise?

1.

LE DROIT À L'INTÉGRATION EN CLASSE RÉGULIÈRE ET L'ARTICLE 40 DE LA CHARTE

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Elle ordonne enfin à la commission scolaire de verser à Linda Lanoue et Daniel Marcil pour leur enfant D.M. la somme de 5 000$ représentant la part des honoraires d'avocats qu'ils ont dû assumer pour être représentés au cours de l'enquête contradictoire de la Commission des droits de la personne et une somme de 5 000$ à titre de dommages moraux pour atteinte à ses droits garantis par la Charte.

1.1

La reconnaissance du droit à l'instruction publique gratuite

La Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) en 1948 puis complétée en 1966 par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par le Canada en 1976 et que le Québec s'est engagé à mettre en oeuvre au plan interne, reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation obligatoire et gratuite au moins en ce qui concerne l'enseignement primaire et fondamental(1). (1) Voir particulièrement l'article 26 de la Déclaration universelle des droits l'homme, l'article 13 de Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Sur le sujet H. Côté, Le droit à l'éducation élémentaire publique au Québec, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1984, p. 17-65. La Déclaration des droits de l'enfant proclamée par l'O.N.U., en 1959, énonce le principe du droit de chaque enfant de bénéficier d'une éducation qui contribue à sa culture générale et lui permette, dans des conditions d'égalité de chances de développer ses facultés, son jugement personnel, son sens des responsabilités morales et sociales et de devenir un membre utile de la société(2). La Convention relative aux droits de l'enfant, en vigueur depuis le 2 septembre 1990 sur la scène internationale(3), enjoint les États qui y sont parties à reconnaître sur la base de l'égalité des chances le droit de l'enfant à l'éducation primaire obligatoire et gratuite (article 28) de même que les droits pour les enfants mentalement ou physiquement handicapés de mener une vie pleine et décente dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité (article 23 al. 1). (2) Principe 7 de la Déclaration des droits de l'enfant. (3) A.G. Résolution 44/25, proclamée le 5 décembre 1989 et signée par le Canada. À ces conventions s'ajoutent la Déclaration des droits du déficient mental(4) et la Déclaration des droits des personnes handicapées(5) qui soulignent la nécessité de prévenir les invalidités physiques et mentales et d'aider les personnes handicapées à développer leurs aptitudes dans les domaines d'activités les plus divers, ainsi qu'à promouvoir dans toute la mesure possible leur intégration à une vie normale. (4) A.G. Resolution 2856, proclamée le 20 décembre 1971. (5) A.G. Resolution 3447, proclamée le 9 décembre 1975. 1.1.2 La situation au Québec

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1.1.1 La situation en droit international

Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite. Il ne s'agit pas de la réception formelle, en droit interne, de la règle internationale du droit à l'éducation car ce n'est que dans la mesure où le législateur adopte des lois précisant son objet et son étendue que le droit à l'éducation acquiert un caractère véritablement opératoire(7). (6) L.Q. 1975, c. 6 refondue dans L.R.Q., c. C-12; J.Y. Morin, "La constitutionnalisation progressive de la Charte des droits et libertés de la personne", (1987) 21 R.J.T. 25. (7) Voir H. Côté, supra note 1. Au Québec, avant 1964 les commissions scolaires avaient déjà le devoir d'organiser des programmes de cours et d'y admettre généralement tout enfant qui remplissait les conditions fixées par la loi(8). C'est cependant la Commission Parent qui a eu le mérite d'affirmer le droit de tout enfant à un système d'éducation qui favorise son épanouissement(9). La reconnaissance, à la même époque, «du droit de tout enfant de bénéficier d'un système d'éducation qui favorise le plein épanouissement de la personne» inséré dans les préambules de la Loi sur le ministère de l'Éducation (S.Q. 1964, c. 15) et de la Loi sur le Conseil supérieur de l'Éducation (S.R.Q. 1964, c. 223) a apporté un élément dynamique nouveau en confiant implicitement aux écoles publiques la responsabilité de se développer pour répondre de façon adéquate aux besoins éducatifs des enfants québécois. (8) Loi concernant la fréquentation scolaire obligatoire, S.Q. 1943, c. 13; Loi sur la gratuité de l'enseignement et la fréquentation scolaire obligatoire, L.Q. 1960-61, C. 29. (9) Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (Rapport Parent), Vol. 110, p. 339 Gouvernement du Québec, 1965. Avant 1989, l'ancienne Loi sur l'instruction publique (L.R.Q., c. I-14) n'exprimait toutefois pas encore en termes précis un droit à l'éducation en faveur de tout enfant. Néanmoins, les obligations imposées aux divers intervenants scolaires étaient assez précises pour créer un droit subjectif pour tout enfant d'âge scolaire d'avoir accès gratuitement à des services éducatifs publics du niveau de la maternelle à celui de la cinquième année secondaire inclusivement(10). La nouvelle Loi sur l'instruction publique (L.R.Q. c. I-13.3)

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Ces résolutions et ces conventions internationales ont connu un prolongement dans l'ordre juridique interne applicable au Québec. Ainsi en 1975(6), l'Assemblée nationale a adopté la Charte des droits et libertés de la personne qui édicte à l'article 40, au chapitre IV intitulé: Droits économiques et sociaux:

façon

positive

le

droit

aux

services

éducatifs

Article 1 Toute personne a droit aux services de formation et d'éveil à l'éducation préscolaire et aux services d'enseignement primaire et secondaire prévus par la présente loi et le régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l'article 447 [...]. Elle a aussi droit, dans le cadre des programmes offerts par la commission scolaire, aux autres services éducatifs, complémentaires et particuliers, prévus par la présente loi et le régime pédagogique. Aux termes de l'article 447 de la Loi, le gouvernement établit un régime pédagogique(11) qui détermine la date concernant l'âge d'admissibilité aux services éducatifs gratuits, la nature et les objectifs de ceux-ci, de même que le cadre général d'organisation de ces services. Les programmes de cours sont édictés ou approuvés par le ministère de l'Éducation (article 16(1)(7) alors que les services éducatifs sont élaborés par les commissions scolaires dans le cadre des objectifs fixés par le régime pédagogique et les Instructions annuelles du ministère de l'Éducation. (10) Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., c. I-14, art. 33, 34, 189. (11) Règlement concernant le régime pédagogique du primaire l'éducation préscolaire, R.R.Q. 1981, c. C-60, r. 11, remplacé 1990 R.R.Q. c. I-13.3, r. 3 et le Règlement pédagogique l'enseignement secondaire, R.R.Q. 1981, c. C-60, r. 12, remplacé juillet 1990, R.R.Q. c. I-13.3, r. 4.

et en de en

Il en résulte donc comme le mentionne le professeur P. Garant que «strictement le droit scolaire québécois actuel reconnaît non pas un droit à l'éducation, ni même un droit à l'instruction, droits qui seraient posés en termes généraux, mais bien plutôt un droit à des services éducatifs définis par la loi et les règlements, et à certains services complémentaires et particuliers établis dans le cadre des programmes de la commission scolaire»(12). (12) P. Garant, Droit scolaire, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1992, p. 205. Le fait pour une commission scolaire de devoir établir certains programmes spéciaux pour les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage et de devoir adapter ses services éducatifs à ces derniers constitue, à cet égard, un des aspects les plus importants de sa mission en matière d'organisation des services éducatifs. 1.2 L'adaptation des services éducatifs aux élèves handicapés 1.2.1 La situation antérieure à 1989

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a édicté de gratuits:

L'éducation des exceptionnels doit, chaque fois que la condition de l'enfant le permet, se rapprocher le plus possible de l'éducation régulière, et ne comporter que les modalités spéciales vraiment indispensables, cela afin de faciliter l'intégration de ces enfants parmi les autres enfants et dans la société(13). (13) Supra note 9, p. 339. Le principe émis par le Rapport Parent est repris par le Rapport Copex, en 1976(14). Le comité provincial de l'enfance inadaptée, s'appuyant sur des études et des recherches effectuées au Canada et aux États-Unis(15) et qui faisaient état d'expériences significatives et positives d'intégration dans les classes et écoles régulières, surtout au primaire, propose aux commissions scolaires un modèle intégré de mesures spéciales d'enseignement appelé le système en cascade destiné à permettre l'intégration en classe régulière d'un nombre plus grand d'enfants handicapés ou en difficulté en procurant à ces enfants l'éducation la plus appropriée pour répondre à leurs besoins et ce, dans un cadre régulier et normal. (14) L'éducation de l'enfance en difficulté d'adaptation et d'apprentissage au Québec, Rapport du comité provincial de l'enfance inadaptée (Copex), Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, 1976. (15) Voir pour une synthèse de ces études et recherches: M. Garon La déficience intellectuelle et le droit à l'intégration scolaire, Ed. Yvon Blais, 1992, particulièrement p. 33-45; A. Séguin, Intégration scolaire: état de la situation, Document présenté à la comnission scolaire régionale Chauveau, 23 juin 1992, p. 1-16. En 1979, le ministère de l'Éducation publie les orientations fondamentales de sa politique d'intégration scolaire"(16). Le maintien de l'enfant dans son milieu naturel pour sa scolarisation apparaît comme un moyen privilégié d'intégration sociale pour l'enfant handicapé ou en difficulté. Reprenant le système en cascade proposé par le Rapport Copex, le ministère propose que les commissions scolaires, en collaboration avec le personnel des écoles et les comités d'écoles et de parents, planifient graduellement le développement et l'organisation de services qui permettront à chaque élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage d'avoir accès à une éducation de qualité dans le cadre le plus normal possible(17). (16) L'École québécoise, "Énoncé de politique et plan d'action", ministère de l'Éducation, Gouvernement du Québec, 1979.

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C'est à partir du début des années 60 que les services éducatifs destinés à l'enfance inadaptée commencent concrètement à se développer au Québec. La Rapport Parent énonce le principe que l'on retrouvera à la base de toutes les analyses ultérieures:

Les modifications apportées à la Loi sur l'instruction publique, cette même année(18), ne traduisent cependant pas entièrement cet esprit. Sans doute le nouvel article 480 manifeste bien l'intention du législateur d'éliminer de la loi la notion d'incapacité à suivre les cours réguliers comme critère d'admissibilité à l'école. Désormais tenue d'admettre les élèves handicapés, physiquement et mentalement, la commission scolaire n'est cependant pas tenue de leur offrir les services réguliers mais plutôt des services éducatifs spéciaux. La nouvelle rédaction enlève néanmoins les mots "classes spéciales pour les handicapés" que l'on retrouvait dans l'ancien article 480, le nouvel article parlant de services spéciaux: Article 480. Une commission scolaire doit offrir des services éducatifs spéciaux aux enfants incapables, en raison de déficience physique au mentale, de profiter de l'enseignement donné dans les classes ou cours réguliers. (18) Loi modifiant de nouveau la Loi sur l'instruction publique, L.Q. 1979, c. 80. La Loi prévoit de plus qu'une commission scolaire doit assurer à une personne handicapée, dont l'intégration scolaire, professionnelle et sociale le requiert, l'accès à des cours reconnus et appropriés et ce, depuis la fin de l'année scolaire au cours de laquelle elle a atteint l'âge de 6 ans jusqu'à la fin de l'année scolaire au cours de laquelle elle a atteint l'âge de 21 ans (article 483). Le gouvernement, tel que le lui permet l'article 481, peut édicter un règlement pour déterminer la nature de ces services éducatifs spéciaux. Il ne l'a cependant pas fait. Aussi a-t-il continué d'exister une grande diversité dans l'interprétation des orientations de la politique ministérielle, non seulement entre les commissions scolaires et les usagers de leurs services, mais également d'un organisme scolaire à un autre(19). Même si l'article 480 ne parle que de services spéciaux, les principes énoncés dans la politique ministérielle de 1979 retrouvent leur place dans les Règlements sur le régime pédagogique du primaire et du secondaire adoptés en 1981(20). (19) Voir à ce titre: Doré c. Commission scolaire de Drummondville, J.E. 82-896 (C.A.); McMillan c. Commission scolaire de Ste-Foy, [1981] C.S. 172. (20) R.R.Q. 1981, c. C-60, R. 11; R.R.Q. 1981, c. C-60, R. 12. L'article 28 Règlement sur le régime pédagogique du primaire et l'éducation préscolaire (21) rappelle aux commissions scolaires que l'intégration des élèves handicapés ne peut être ignorée lors de l'élaboration de leurs services éducatifs:

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(17) Idem, p. 23.

L'intégration des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage aux activités régulières d'enseignement, de services personnels aux élèves et de services complémentaires aux élèves doit être favorisée, selon la politique de la commission scolaire en la matière, dans tous les cas où une telle mesure est possible, profitable à l'élève et propre à faciliter son insertion sociale et ses apprentissages scolaires. (21) R.R.Q. 1981, c. C-60, r. 11. L'article 13 du Règlement sur secondaire(22) est au même effet:

le

Régime

pédagogique

du

13. Après consultation de leurs parents, des services éducatifs spéciaux sont dispensés aux élèves qui ont besoin de rééducation et de réadaptation. L'intégration des élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage aux activités régulières d'enseignement, de services personnels aux élèves et de services complémentaires aux élèves doit être favorisée, selon la politique de la commission scolaire en la matière, dans tous les cas où une telle mesure est possible, profitable à l'élève et propre à faciliter son insertion sociale et ses apprentissages scolaires. La commission scolaire doit identifier dans sa politique de services éducatifs particuliers aux élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage: (22) R.R.Q. 1981, c. C-60, r. 12, tel que modifié par le décret 2629-84 du 28 novembre 1984 (1984 G.Q. II.5942). Ce décret ajoute à l'article 12 du Règlement sur le régime pédagogique du primaire et l'éducation préscolaire le même troisième paragraphe. 1

les modalités d'évaluation des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage et les modalités de révision de leur état;

2

les modalités d'intégration des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage aux activités régulières d'enseignement et aux activités relatives aux services personnels et aux services complémentaires aux élèves, les services d'appui à cette intégration et les pondérations des élèves intégrés qui sont effectuées, s'il y a lieu;

3

les modalités de regroupements particuliers des élèves en

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28.Services éducatifs particuliers aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage: Après consultation de leurs parents, des services éducatifs spéciaux sont dispensés aux élèves qui ont besoin de rééducation et de réadaptation.

difficulté d'adaptation et d'apprentissage; les ressources financières affectées aux services particuliers aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage.

Alors que l'article 480 de la Loi prévoit expressément l'existence de services éducatifs spéciaux, les Règlements pédagogiques ainsi que les Instructions ministérielles font un devoir aux commissions scolaires d'élaborer une politique de services éducatifs qui favorisent graduellement et dans la mesure du possible l'intégration des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage aux activités régulières. C'est ainsi que pour les années 1987-88 et 88-89, les Instructions ministérielles(23) mentionnent, à l'article 6, que la politique de services éducatifs particuliers que doit élaborer une commission scolaire doit favoriser l'intégration de ces élèves dans les activités régulières. Cette politique peut toutefois faire appel, dans certains cas, à des ententes de scolarisation avec d'autres commissions scolaires, pour répondre aux besoins de certains jeunes, peu nombreux, qui requièrent des services spécialisés non disponibles dans leur milieu. (23) Voir: L'organisation des activités éducatives au préscolaire, au primaire et au secondaire. Instructions du ministère de l'Éducation pour l'année 1987-88 et pour l'année 88-89, article 6. Durant cette période, parallèlement aux intervenants scolaires, divers organismes de défense des droits des personnes handicapées et plus spécialement l'Office des personnes handicapées du Québec(24) font un énorme travail de sensibilisation tant auprès du secteur privé que des secteurs public et parapublic afin que toute personne handicapée puisse être concrètement reconnue comme égale, bien que différente. (24) Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, L.R.Q. c. E-20.1 créant l'Office des personnes handicapées. Pour se conformer aux politiques gouvernementales, la commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu adopte, en 1982, un règlement précisant les normes d'organisation locale des services aux handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage. 1.2.2

La situation à la commission scolaire Saint-Jeansur-Richelieu au moment où a été prise la décision du classement en classe spécialisée troubles sévères de développement au printemps 1989

En février 1982, la commission scolaire adopte un Plan de développement de services en adaptation scolaire dans une perspective de normalisation(25). Après avoir rappelé que le ministère fixe comme schéma de référence le système en cascade(26),

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4

2.1.3 Afin de favoriser l'insertion sociale de l'enfant, but ultime que nous poursuivons, nous devons favoriser son intégration maximale à la vie scolaire normale, intégration physique, sociale éducative. Notons que la seule présence d'en enfant en classe régulière n'est pas synonyme d'intégration. Cette insertion devra se compléter par des mesures d'aides pédagogique et personnelle permettant une adaptation satisfaisante. Le retrait d'un enfant de son milieu naturel ne devrait être utilisé que comme mesure ultime, après l'épuisement de toutes les autres formes d'aide planifiées dans les chapitres suivants et illustrées dans la "cascade". (25) Plan de développement de services en adaptation scolaire dans une perpective de normalisation, Commission scolaire St-Jean-sur Richelieu, février 1982. (26) Idem, p. 9-11. (27) Idem, p. 74. 2.1.4 Les ressources régulières ou spéciales doivent suivre l'enfant, aller vers lui, d'autant plus que notre territoire est étendu. Nous devons nous décentraliser; les services doivent être intégrés à sa vie et non lui se déplacer vers des services sauf si son état nécessite des mesures rééducatives vraiment incompatibles avec les disponibilités que l'on peut offrir à un milieu donné au avec ses besoins fondamentaux (permanents ou passagers) très particuliers. 3.1.2 La normalisation doit également s'accompagner d'un processus d'individualisation de l'enseignement. Le respect des rythmes personnels, de la disparité des modes d'apprentissage devrait amener un enseignement approprié i.e. personnalisé ce qui n'exclut nullement l'approche dite collective. Notre objectif, en cette matière, devrait être de "normaliser" les plus "forts", les "moyens" et les plus "faibles", non en nivelant les apprentissages mais en s'efforçant de respecter

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la commission scolaire préconise un processus de normalisation qui doit s'implanter par étapes et qui fait appel aux intervenants(27) scolaires ainsi qu'aux familles et aux parents concernés. Le but ultime de ce processus, comme l'expriment les articles 2.1.3, 2.1.4 et 3.1.2 de cette politique, est l'intégration maximale de l'enfant s'accompagnant d'un processus d'individualisation de l'enseignement:

Cette politique de maintien optimal de l'enfant dans son milieu normal et de diversification des approches n'impliquent toutefois pas l'abandon des mesures exceptionnelles sous forme de classes spéciales pour les clientèles gravement atteintes. Les articles 2.2.2.6.1 et 4.2.2.5 précisent que ces classes devraient cependant idéalement être intégrées à des écoles régulières et vivre au rythme de ces écoles qui devraient devenir "intégratrices". En 1985, la commission scolaire revoit et corrige son Plan de 1982 et adopte le Plan de services en adaptation scolaire dans une perspective de normalisation(28). Les mêmes orientations sont maintenues de même que les grands objectifs opérationnels et organisationnels pour les classes régulières et les classes d'adaptation scolaire. On met toutefois l'accent sur une approche fonctionnelle et personnalisée de l'aide à l'enfant centrée autant sur l'évaluation de ses habiletés et capacités que sur ses difficultés. Pour mettre en oeuvre cette politique de normalisation, la commission scolaire s'appuie sur un Plan de cheminement des élèves handicapés et en difficulté(29) et deux Guides: un Guide d'animation de d'implantation(30) et un Guide de référence au comité d'admission pour les classes spéciales (31), adoptés en 1982, parallèlement au Plan de développement. (28) Plan de services en adaptation scolaire dsns une perspective de normalisation, commission scolaire St-Jean-sur- Richelieu, août 1985. (29) Plan de cheminement des élèves en difficulté, commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, décembre 1982. (30) Guide d'animation et d'implantation, commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, décembre 1982. (31) Guide de référence au comité d'admission, classes spéciales, commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu, décembre 1982. Le Plan de cheminement des élèves handicapés et en difficulté comprend six étapes: 1) identification des difficultés d'adaptation ou d'apprentisage; 2) persistance et/ou amplification de ces difficultés; 3) persistance de difficultés significatives d'apprentissage ou d'adaptation; 4) bilan fonctionnel et plan d'intervention; 5) intégration au secteur de l'adaptation scolaire et 6) réintégration au secteur régulier(32). Il est à remarquer que l'élaboration du bilan

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leurs phases d'évolution, leur temps et intérêts propres, en leur assurant un progrès continu et une réponse personnelle à leurs besoins différents (diversification des méthodes et matériels, mesures d'enrichissement, approches correctives ou de soutien, etc...).

(32) Supra note 29, p. 2. (33) L.R.Q., c. I-13.3 art. 47; Cadre de référence pour l'établissement des plans d'intervention pour les élèves handicapés et les élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, ministère de l'Éducation, Direction de l'adaptation scolaire et des services complémentaires, 1990. Le Guide d'animation et d'implantation établit les paramètres d'une démarche organisationnelle globale permettant à l'équipe d'intervenants de recueillir les données décrivant les forces et faiblesses d'un élève en difficulté et d'assurer un suivi systématique et une aide continue à cet élève, dans le contexte le plus normal possible. Quant au Guide de référence, il précise les principes et le fondement de la démarche qui conduit aux mesures exceptionnelles de classement en classes spéciales(34). La politique de la commission scolaire en matière de services aux élèves en difficulté ne va toutefois pas jusqu'à donner un service particulier d'accompagnement à un enfant, telle qu'en fait foi la résolution de la commission scolaire adoptée en mai 1987 (Résolution: Intégration d'E.D.A.A. en classe régulière avec soutien permanent d'une personne ressource). La commission scolaire, dans cette résolution, se dit prête à intégrer partiellement ou complètement en classe régulière des élèves qui auraient été scolarisés en classe spéciale ou école spéciale selon son Plan de services en adapatation scolaire à condition qu'un plan d'intervention individualisé recommande l'intégration complète ou partielle de l'enfant à l'école régulière ou en classe ordinaire, une telle intégration étant toutefois conditionnelle à un soutien permanent d'une personne ressource au niveau de l'organisation et de la réalisation des activités éducatives. Cette personne ressource doit être mise à la disposition de l'élève par des organismes reconnus, tels que l'O.P.H.Q., les centres d'accueil du M.S.S.S. (etc ...) qui doivent payer ses honoraires. Le paiement du salaire de cette personne ne doit donc pas incomber à la commission scolaire. (34) Supra, note 30 et 31. En février 1989, la commission scolaire adopte un nouveau Règlement(35) remplaçant le Plan de services en adaptation scolaire de 1982 tel que revu en 1985 et le Plan cheminement des

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fonctionnel, c'est-à-dire l'établissement d'un portrait global de l'enfant analysant de façon quantitative et qualitative autant ses habiletés que ses difficultés d'apprentissage et d'adaptation, deviendra en 1989 l'un des éléments clés de la réforme de la Loi sur l'instruction publique. La Loi imposera cette obligation à l'égard de chaque enfant handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage et le ministère imposera un cadre auquel les différents milieux scolaires pourront référer(33).

C'est dans ce contexte réglementaire qu'est adoptée le 28 août 1989, quelques semaines après l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l'instruction publique (L.R.Q. c. I-13.3, entrée en vigueur le 1er juillet 1989) la résolution de la commission scolaire qui ratifie le classement de D.M. dans un groupe pour enfant en troubles sévères de développement à l'école Félix-Gabriel Marchand et qui refuse de financer la subvention demandée pour l'éducatrice spécialisée à temps plein pour ce dernier. (35) Politique et plan de services en adaptation scolaire (préscolaire, primaire, secondaire), commission scolaire SaintJean-sur-Richelieu, février 1989. (36) Idem, article 38.4. 1.2.3 La situation sous la Loi actuelle La nouvelle Loi sur l'instruction publique (L R. Q. c. I-13.3) apporte d'importants changements. Elle retire au gouvernement son pouvoir de réglementation relativement à la nature des services éducatifs spéciaux (ancien article 481) et confie dorénavant aux commissions scolaires, sous réserve de l'article 222 de la Loi, la responsabilité d'adopter un règlement précisant les normes d'organisation des services éducatifs adaptés aux besoins des élèves handicapés et en difficulté d'adaptation et d'apprentissage de manière à faciliter leurs apprentissages et leur insertion sociale: 234. La commission scolaire doit, sous réserve de l'article 222, adapter les services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage selon leurs besoins. 235. La commission scolaire adopte, par règlement, après consultation du comité consultatif des services aux élèves handicapés et en difficulté d'adaptation au d'apprentissage, les normes d'organisation des services éducatifs à ces élèves de manière à faciliter leurs apprentissages et leur insertion sociale. Ce règlement doit notamment prévoir: 1 les modalités d'évaluation des élèves handicapés et des élèves en difficulté d'adaptation au d'apprentissage; 2 les modalités d'intégration de ces élèves dans les classes

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élèves en difficulté de décembre 1982. Ce règlement maintient les différentes étapes du cheminement des élèves handicapés ou en difficulté, de même que le plan d'intervention individualisé et adapté pour chacun de ces élèves en tenant compte du contexte le plus normal possible:(36).

3 les modalités de regroupement de ces élèves dans des écoles, des classes ou des groupes spécialisés; 4 les modalités d'élaboration et d'évaluation des plans d'intervention destinés à ces élèves. L'adaptation des services éducatifs doit se faire sous réserve de l'article 222: 222. La commission scolaire s'assure de l'application du régime pédagogique établi par le gouvernement, conformément aux modalités établies par le ministre en vertu de l'article 459, et de l'application des programmes d'études établis par le ministre en vertu de l'article 461. Elle enrichit ou adapte les objectifs et les contenus indicatifs de ces programmes d'études selon les besoins des élèves qui reçoivent ces services. Le législateur a ainsi voulu éviter le piège de la loi antérieure qui consiste à conclure trop rapidement que l'élève handicapé ou en difficulté est incapable de suivre les cours réguliers et que, par conséquent, il suffit de lui offrir des services spéciaux les plus appropriés à sa situation. La réserve de l'article 222 est toutefois extrêmement importante puisque cet article fait obligation à la commission scolaire de s'assurer de l'application du régime pédagogique, conformément aux modalités établies par les Instructions du ministre ainsi que de l'application des programmes d'études établis par le ministre. Les nouveaux régimes pédagogiques entrés en vigueur en 1990(37) exigent que les commission scolaires, dans l'exercice de leur obligation d'adaptation des services éducatifs prévue à l'article 234, établissent un programme pour chacun des services de formation et d'enseignement, des services complémentaires et des services particuliers visés par les régimes(38). La Loi permet toutefois aux commissions scolaires de n'offrir certains services que dans certaines écoles (article 236). (37) Régime pédagogique de l'éducation préscolaire et de l'enseignement primaire, R.R.Q. c. I-13.3, r. 3; Régime pédagogique de l'enseignement secondaire, R.R.Q. c. I-13.3, r. 4. (38) Idem, c. I-13.3, r. 3, articles 1, 3, 4, 5 16, 17, 55. c.I-13.3, r. 4, articles 1-20, 35- 37, 41, 42, 61, 63, 64, 70, 71, 77. Les services complémentaires et particuliers s'adressent plus spécialement aux élèves ayant une déficience intellectuelle

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ou groupes ordinaires ou autres activités de l'école ainsi que les services d'appui à cette intégration et, s'il y a lieu, la pondération à faire pour déterminer le nombre maximal d'élèves par classe ou par groupe;

Les régimes pédagogiques prévoient également la possibilité d'exempter certains élèves handicapés par une déficience intellectuelle moyenne ou sévère ou par des troubles sévères de développement de l'application des règles relatives aux nombres d'heures devant être consacrées aux services éducatifs ainsi qu'aux matières obligatoires(39). Les Instructions du ministre de l'Éducation précisent à cet égard certaines mesures et conditions que doivent respecter les commissions scolaires lorsqu'elles proposent à ces élèves des programmes les exemptant de la grille-matière prévue aux régimes pédagogiques(40) (39) Idem, annexes de ces règlements. (40) Voir les Instructions du ministre pour les années 1989-90, 1991-92, articles 6.2 et 6.3. On retrouve ainsi dans les Règlements sur les régimes pédagogiques et les Instructions du ministre des dispositions qui permettent d'établir des services éducatifs spéciaux en fonction du handicap et qui peuvent rendre difficiles, dans certains cas, l'intégration en classe régulière en raison d'un cheminement ou de l'application d'une grille-matière qui est différente de celle de tous les autres élèves. On constate que les nouveaux Règlements pédagogiques ne contiennent plus la mention expresse que l'on retrouvait aux anciens articles 28 et 13, selon laquelle l'intégration des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage aux activités régulières d'enseignement et de services personnels doit être favorisée. Les nouveaux règlements mettent plutôt l'emphase sur le but des services éducatifs qui doivent être adaptés et individualisés en faveur de chaque enfant handicapé et en difficulté, afin de faciliter ses apprentissages et son intégration graduelle dans la société. La loi concrétise cette obligation d'adaptation des services éducatifs en demandant, de façon explicite, au directeur d'école d'établir un plan d'intervention adapté aux besoins de chacun de ces élèves: Article 47: Le directeur de l'école, avec l'aide des parents d'un élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, du personnel qui dispense des services à ces élèves et de l'élève lui-même, à moins qu'il en soit incapable, établit un plan d'intervention adapté aux besoins de l'élève. Ce plan doit respecter les normes prévues par règlement de la comission scolaire.

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en leur assurant, entre autres, des services de psycho-éducation et d'éducation spécialisée, des services de soutien aux apprentissages en langue d'enseignement, en langue seconde et en mathématiques, ainsi que des mesures d'adaptation de l'enseignement.

et

à

l'évaluation

En faisant accéder les parents, les enseignants et les spécialistes au rang de partenaires dans la recherche de solutions, la Loi reconnaît le caractère unique du plan d'intervention comme moyen d'adapter l'ensemble des services et des mesures éducatives aux besoins de chaque élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage(41). Les modalités d'élaboration et d'évaluation des plans d'intervention doivent être incluses dans le règlement que chaque commission scolaire doit adopter pour établir les normes d'organisation permettant l'adaptation de l'ensemble des services éducatifs aux élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation et d'apprentissage. Si la création de classes ou de groupes spéciaux demeure toujours comme l'une des modalités de regroupement de ces élèves (article 245, al. 3) l'objectif de ce règlement doit être l'adaptation des services éducatifs à leurs besoins de manière à faciliter leurs apprentissages et leur insertion sociale. (41) Voir: Cadre de référence pour l'établissement des plans d'intervention pour les élèves handicapés et les élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, supra note 33; La réussite pour elles et eux aussi, Direction de l'adaptation scolaire et des services complémentaires, ministère de l'Éducation, Gouvernement du Québec, 1992. À cette fin, le règlement doit faire l'objet d'une consultation auprès du comité consultatif des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage que chaque commission scolaire doit instituer (article 185). Les représentants des parents de ces élèves doivent y être majoritaires (article 186) et le comité doit donner son avis non seulement sur la réglementation que doit adopter la commission scolaire en vertu de l'article 235, mais aussi sur l'affectation des ressources financières prévues au budget de la commission scolaire pour ces élèves. La commission scolaire appelante s'est conformée à la nouvelle Loi sur l'instruction publique mais son nouveau règlement n'a cependant pas été mis en preuve car il a été adopté postérieurement aux événements ayant donné lieu au présent litige. 1.3

La portée de l'article 40 de la Charte eu égard au droit à l'intégration en classe régulier .

Il résulte de cette analyse de la Loi sur l'instruction publique, des Règlements sur les régimes pédagogiques et des Instructions du ministère de l'Éducation ainsi que des Règlements et Résolutions de la Commission scolaire appelante que l'intégration en classe régulière des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage n'était pas un droit absolu avant le 1er juillet 1989 et ne l'est pas devenu lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l'instruction publique. Comme l'a reconnu notre Cour dans l'arrêt Picard c. Conseil des

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Le directeur voit à la résiliation périodique du plan d'intervention.

La Loi sur l'instruction publique, sans nier les bénéfices de l'intégration scolaire des élèves handicapés ou en difficulté, ne fixe pas cette intégration comme un objectif à réaliser pour tous. Elle fixe plutôt comme norme l'adaptation des services éducatifs aux besoins de chacun de ces élève en fonction de ses apprentissages et de son insertion sociale. À ces fins, les commissions scolaires doivent définir, pour chacun de ces élèves, des aménagements de services qui lui permettent son plein épanouissement. L'orientation suivant laquelle l'intégration scolaire doit être réalisée chaque fois que cela est possible et propre à faciliter les apprentissages et l'insertion sociale des élèves handicapés et des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage, sans être une norme juridique imposée par la loi, est tout de même inscrite dans la formulation de l'article 235(42). En effet, le règlement que doivent adopter les commissions scolaires en vertu de cet article doit prévoir: 1) les modalités d'évaluation de ces élèves, 2) les modalités de leur intégration dans les classes ou groupes ordinaires ainsi que les services d'appui à cette intégration et, s'il y a lieu, la pondération à faire pour déterminer le nombre maximal d'élèves par classe ou par groupe et les modalités de certains autres de ces élèves dans des écoles, classes ou groupes spécialisés. Ce règlement devient la source juridique du droit de chaque élève handicapé ou en difficulté au plan d'intervention qui lui convient pour la réalisation de ses apprentissages et de son insertion sociale. (42) Voir C. Dupont, "L'adaptation scolaire et la Loi sur l'instruction publique: un défi légal, administratif ou éducatif? Allocution aux journées d'études nationales sur l'adaptation scolaire, 1991, p. 6. L'obligation d'adapter les services éducatifs aux besoins des élèves handicapés ou en difficulté pourra signifier, le cas échéant, l'obligation de fournir à ces élèves des services autres qu'éducatifs tels l'aménagement physique des locaux et la fourniture d'aide matérielle afin d'assurer une réelle accessibilité à des services éducatifs de qualité(43). Le ministère de l'Éducation poursuit toujours, en effet, sa politique d'adaptation scolaire énoncée en 1979. Ainsi, dans la mise à jour de cette politique, en 1992(44), le ministre en réaffirme la pertinence et l'actualité en ces termes:

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commissaires de la commission scolaire Prince-Daveluy, [1992] R.J.Q. 2369, il n'existe aucune disposition obligeant une commission scolaire à maintenir tous les élèves dans des écoles et des classes régulières. L'adaptation des services éducatifs requise par l'article 234 de la Loi sur l'instruction publique ne doit pas nécessairement s'effectuer dans le cadre d'une classe régulière. Elle peut se faire en toute légalité à l'intérieur d'une classe spéciale ou d'une école spéciale.

Dans la mesure où les adaptations requises sont effectuées, une classe ordinaire peut être efficace pour l'ensemble de ses élèves, même si elle reçoit un enfant dont les caractéristiques sont substantiellement différentes. Les élèves dits «réguliers» acquerront même à ce contact une meilleure compréhension des difficultés vécues par les personnes handicapées, ils accepteront ainsi mieux les différences et manifesteront par conséquent un plus grand respect de la personne. Certes, certains élèves, en particulier ceux qui voient avec l'âge se creuser l'écart de développement et de fonctionnement qui les sépare de la majorité des autres élèves, pourront obtenir des services répondant à leurs besoins spécifiques dans le cadre d'organisations particulières allant de la classe-ressource à l'école spécialisée. Cependant, le recours à la classe spéciale ne devra être envisagé que pour les élèves ayant besoin de services qu'il n'est pas possible, ou souhaitable pour l'élève, d'organiser dans le cadre de la classe ou de l'école ordinaire. De plus, chaque fois que cela est possible, de telles mesures devraient être considérées comme temporaires ou transitoires, et viser un retour éventuel à la classe ordinaire. Étant donné la diversité des besoins des jeunes et les possibilités de chaque milieu, ce sont les dirigeants locaux qui doivent déterminer, à chaque étape de l'évolution de leurs établissements et de leur communauté, les modalités possibles d'organisation des services éducatifs dans le but de favoriser les apprentissages et l'insertion sociale des élèves handicapés ou en difficulté. (43) Idem. (44) La réussite pour elles et eux aussi, Mise à jour de la politique de l'adaptation scolaire, Direction de l'adaptation scolaire et des services complémentaires, ministère de l'Éducation, 1992, p. 5. Le législateur, il est vrai, n'a fait aucune référence spécifique à cette politique ni dans l'article 234 de la Loi, ni dans ses Règlements pédagogiques. Il a cependant chargé les commissions scolaires d'assurer la poursuite de cet objectif. L'intégration en classe ordinaire, sans être un droit exclusif et absolu(45), demeure un moyen privilégié d'adaptation des services éducatifs aux besoins d'apprentissage et d'insertion sociale des

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La classe ordinaire est, pour la grande majorité des élèves, un lieu particulièrement propice aux apprentissages à cause, entre autres choses, de la stimulation que constitue la fréquentation d'autres jeunes. Elle est, de plus, un moyen privilégié d'insertion dans la société. Elle devrait donc être le premier moyen utilisé par toutes les commissions scolaires.

(45) Voir: M.G. Peacock, "And Justice in Education for All: Education Adapted to Special Needs in the Legal Contexte", (1993), 53 R.du B., 343, p. 354. L'article 40 de la Charte ne saurait ajouter des droits différents. Cet article s'insère parmi les droits économiques et sociaux énumérés au chapitre IV de la Charte. il est par conséquent exclu de la règle de prépondérance énoncée à l'article 52 et ne saurait bénéficier d'une jouissance virtuelle que dans la mesure et suivant les normes prévues par la Loi. L'article 40 doit se lire comme l'énoncé d'une politique dont la mise en vigueur se vérifie dans la législation pertinente (Voir Gosselin c. P.G. de Québec, [1992] R.J.Q. 1647 (C.S.)). L'article 40 ne garantit donc pas le droit à l'intégration des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage en classe ordinaire. Il garantit toutefois que l'organisation des services éducatifs, dans chaque commission scolaire, assurera la possibilité d'offrir à ces élèves, de façon privilégiée et dans la mesure du possible, des modalités d'intégration dans les classes ou groupes ordinaires ainsi que les services d'appui à cette intégration. Une commission scolaire qui, en raison de l'organisation de ses services éducatifs, ne pourrait offrir aux élèves présentant une déficience intellectuelle aucune modalité quelconque d'intégration en classe ordinaire ne respecterait ni la Loi, ni l'article 40 de la Charte. Ce n'est pas le cas de la commission scolaire Saint-Jean-sur-Richelieu, comme on a pu le voir lors de l'analyse des règlements qu'elle a adoptés depuis 1982. La question qui demeure est celle de déterminer si la commission scolaire appelante a porté atteinte au droit à l'égalité reconnu à l'article 10 de la Charte lorsqu'elle n'a pas proposé à D.M. une intégration au moins partielle à son programme régulier et qu'elle a refusé de payer une accompagnatrice ou une éducatice spécialisée. 2.

LE DROIT À L'INTÉGRATION EN CLASSE RÉGULIÈRE ET L'ARTICLE 10 DE LA CHARTE 2.1

L'analyse de l'article 10

La Charte des droits et libertés de la personne proclame l'égalité dans le droit dans les termes suivants: 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue,

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élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. Cet article est complété par la partie III de la Charte traitant des programmes d'accès à l'égalité. Contrairement à la Constitution américaine et à la Charte canadienne qui reconnaissent le droit à l'égalité dans sa généralité(46), la Charte québécoise ne le reconnaît qu'à l'égard des droits et libertés de la personne. L'égalité n'est pas envisagée comme un droit autonome mais comme une simple modalité de particularisation d'un autre droit, en l'espèce, le droit à l'instruction publique gratuite dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi (article 40). (46) Voir: P. Carignan, "L'égalité dans le droit: une méthode d'approche appliquée à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne", (1987), 21 R.J.T. 491; M. Caron, "Le concept d'égalité et de discrimination dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, dans Développements récents en droit québécois, 1993, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1993, p. 42. Lorsque l'égalité n'est qu'une modalité de particularisation d'un autre droit, il n'est pas nécessaire que sa violation constitue une négation de ce droit pour donner ouverture à un remède. Il suffit que soit établie, dans la détermination des modalités de ce droit ou de cette liberté, une distinction incompatible avec la règle de l'égalité(47). Tels que reconnus par notre Cour dans l'affaire Johnson c. Commission des affaires sociales, [1984] C.A. 61 et entérinés par la Cour suprême entre autres dans les arrêts Forget c. Québec (P.G.), [1988] 2 R.C.S. 90, Ford c. Québec (P.G.). [1988] 2 R.C.S. 712 et Brossard c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, trois éléments doivent être présents pour qu'il y ait discrimination au sens de l'article 10: 1) une distinction, exclusion ou préférence, 2) fondée sur l'un des motifs énumérés au premier alinéa et 3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne. (47) P. Carignan, idem, p. 527. Le mobile, l'intention ou la bonne foi n'ont rien à voir avec la notion d'égalité (Voir commission des droits de la personne c. L'Homme, [1982] 3 C.H.R.R. 849 (C.A.); Commission des droits de la personne c. C.E.G.E.P. St-Jean-sur-Richelieu, [1984] R.D.J. 76 (C.A.); Québec (ville) c. Commission des droits de la personne, [1989] R.J.Q. 831 (C.A.)). En effet, la règle de l'article 10 couvre non seulement les actes intentionnels de discrimination mais également les actes ayant pour effet de détruire ou de compromettre

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l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

(48) H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, 2 ed., Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1990, p. 956. La double conclusion à laquelle est arrivée la Cour suprême dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd, [1985] 2 R.C.S. 536 à propos du Code ontarien des droits de la personne trouve donc un fondement en droit québécois dans le texte même de la Charte. En énonçant que chacun a droit non seulement à la reconnaissance mais également à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne, l'article 10 véhicule une conception à la fois juridique et concrète de l'égalité(49). L'égalité juridique est l'égalité dans la reconnaissance des droits, c'est-à-dire dans leur attribution tandis que l'égalité concrète est l'égalité dans l'exercice des droits ou leur jouissance effective. Il faut donc rechercher dans la présente affaire si les règlements de la commission scolaire appelante établissent des distinctions fondées sur le handicap et qui ont pour effet de compromettre ou de détruire le droit à l'égalité dans la reconnaissance ou l'exercice du droit à l'instruction publique. 2.2

L'égalité au plan de l'instruction publique

la

reconnaissance

du

droit

à

La Loi sur l'instruction publique, comme nous l'avons vu, oblige chaque commission scolaire a adapter, sous réserve des régimes pédagogiques, ses services éducatifs aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage selon leurs besoins (article 234). Pour ce faire, chaque commission scolaire doit adopter un règlement qui prévoit les normes d'organisation de ces services (article 235). Outre les modalités d'élaboration et d'évaluation du plan individualisé d'intervention destiné à ces élèves et les modalités d'évaluation de ces derniers, ce règlement doit comporter les deux cadres suivants d'adaptation: -

les modalités d'intégration de ces élèves dans les classes ou groupes ordinaires et aux autres activités de l'école ainsi que les services d'appui à cette intégration [...] et

-

les modalités de regroupement de ces élèves dans des classes ou des groupes spécialisés.

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le droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne. Pour déterminer si une distinction est fondée sur un motif interdit par l'article 10 de la Charte, il faut donc tenir compte de l'effet de la distinction plutôt que se fonder uniquement sur sa nature apparente (Ford c. Québec (P.G.). p. 786). L'acte qui est discriminatoire parce qu'incompatible avec l'égalité de l'article 10 est celui qui produit un effet sur ce droit, de telle sorte que l'article 10 se trouve à condamner la discrimination indirecte ou par effet préjudiciable, y compris la discrimination systémique aussi bien que la discrimination directe ou volontaire(48).

Les Règlements sur les régimes pédagogiques précisés par les Instructions du ministre de l'Éducation contiennent les normes relatives au cadre général d'organisation des services et aux divers types d'enseignement que peuvent recevoir les élèves handicapés. Ces dispositions spéciales établissent des distinctions fondées sur le handicap. Elles n'ont cependant pas pour effet de compromettre ou de détruire le droit à l'égalité reconnu par la Charte. Ce droit à l'égalité, lorsqu'on discute de la situation d'élèves présentant une déficience intellectuelle ne saurait, en effet, vouloir dire que ceux-ci doivent être considérés dans le système scolaire comme s'ils n'avaient aucun handicap(50). Le respect des différences individuelles apparaît aujourd'hui comme une condition essentielle à la poursuite de l'égalité réelle. L'essence d'une véritable égalité exige souvent que des distinctions soient faites (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S., p. 168; Forget c. Québec (P.G.), p. 102; Gosselin c. Québec (P.G.) 1992 R.J.Q. 1647 (C.S.)). La philosophie sous jacente des lois sur les droits de la personne est qu'une personne a le droit d'être traitée selon ses propres mérites et non en fonction des caractéristiques d'un groupe (Zurich Insurance Co c. Ontario (C.D.P.), [1992] 2 R.C.S. 321) et qu'il est nécessaire, pour déterminer si la différence de traitement engendre une injustice, de situer dans son contexte social, politique et juridique l'analyse de la discrimination (R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; Symes c. La Reine, [1993] 4 R.C.S. 695. (50) M. Garon, La déficience intellectuelle et le droit à l'intégration scolaire, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1992, p. 84. L'intention du législateur québécois, telle qu'elle s'est graduellement manifestée aux cours des vingt dernières années, a été d'assurer progressivement que les élèves handicapés soient traités selon leurs propres aptitudes et leurs propres besoins et non en fonction des caractéristiques d'un groupe tout en favorisant, cependant, leur insertion sociale et dans la mesure où le permettent leurs acquis et les programmes de cours, leur intégration en classe régulière. Ce n'est donc pas le fait que l'on adapte les services éducatifs qui est source de discrimination puisque cette adaptation constitue une condition essentielle de la poursuite de l'égalité réelle. L'obligation d'adaptation des services éducatifs ne saurait toutefois, à mon avis, aller jusqu'à créer en faveur des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation et d'apprentissage un droit, en pleine égalité, à l'intégration en classe régulière. Comme je l'ai déjà mentionné, il m'apparaît qu'il résulte de

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(49) A. Morel, "L'originalité de la Charte québécoise en péril" dans Développements récents en droit administratif, 1993, Cowansville, Ed. Yvon Blais, 1993, p. 65, 81.

La reconnaissance, en pleine égalité, du droit à l'instruction publique gratuite garanti par l'article 40 de la Charte doit être examiné dans ce contexte. La norme d'égalité garantie à l'égard des élèves handicapés ne saurait donc être l'intégration en classe ordinaire mais plutôt l'adaptation des services éducatifs dans le cadre des modalités d'adaptation prévues, soient l'intégration en classe ordinaire et le regroupement en classe ou école spécialisée. Une institution éducative ne porte donc pas automatiquement atteinte au droit à l'égalité lorsqu'elle n'offre pas à un élève le choix entre une classe spéciale où l'enseignement est dispensé par un personnel spécialisé et une classe ordinaire avec les services d'appui nécessaire. Face à cette alternative, il faut toutefois tenir compte de la philosophie pronée par le législateur en faveur du maintien des personnes handicapés dans leur milieu normal. Les mesures d'adaptation qui permettent à l'élève handicapé de recevoir des services adaptés dans la classe ordinaire constitue, à cet égard, les mesures les plus aptes à atteindre le respect effectif du droit à l'égalité dans l'obtention des services éducatifs. Aussi les commissions scolaires sont-elles invitées à privilégier ces mesures tout en maintenant le recours aux écoles, classes ou groupes spécialisés pour répondre aux besoins de certains élèves. La commission scolaire appelante a précisé dans divers règlements, particulièrement: le Plan de cheminement élèves handicapés et en difficulté, le Guide d'évaluation et d'implantation et surtout le Plan de développement des services en adaptation scolaire, ses normes d'organisaiton locale concernant les services aux élèves handicapés et en difficulté. Ces divers règlements et l'organisation structurelle des services mis en place permettent une approche individualisée de l'aide aux élèves handicapés ou en difficulté ainsi qu'une évaluation non pas fondée sur le handicap mais sur leurs besoins, leurs forces et faiblesses par une équipe d'intervenants chargés d'assurer un suivi systémique et continu de ces élèves. La politique de la commission scolaire favorise l'implantation du système en cascade élaboré par le ministère de l'Éducation et poursuit, en conséquence, l'intégration des élèves handicapés à la vie scolaire normale. Les normes et règlements en vigueur à la commission scolaire

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l'analyse de la Loi sur l'instruction publique, des Règlements sur les régimes pédagogiques, des Instructions du ministre de l'Éducation ainsi que des règlements et résolutions de la commission scolaire appelante que l'intégration en classe régulière des élèves handicapés et des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage n'est pas un droit exclusif et absolu mais un moyen que doivent privilégier les commissions scolaires tenues, aux termes des articles 234 et 235 de la Loi, d'adapter les services éducatifs aux besoins de chacun de ces élèves en fonction de ses apprentissages et de son insertion sociale.

Mais l'égalité reconnue par l'article 10 est également une égalité de fait, une égalité concrète. Il serait illusoire de reconnaître aux élèves handicapés un accès gratuit aux services éducatifs adaptés dans une optique d'intégration en classe régulière dans la mesure du possible, si aucune mesure concrète ne favorise ou ne privilégie l'exercice de ce droit. Cette conception de l'égalité a reçu sa consécration dans l'affaire O'Malley déjà citée: Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quant même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer. [...] Le Code confère le droit de ne pas être victime de discrimination dans son emploi. Même si aucun droit ne saurait être considéré comme absolu, une conséquence naturelle de la reconnaissance d'un droit doit être l'acceptation sociale de l'obligation générale de le respecter et de prendre des mesures raisonnables afin de le protéger. [...] Dans le présent cas, conformément aux dispositions et à l'objet du Code ontarien des droits de la personne, le droit de l'employé exige que l'employeur prenne des mesures d'accommodement raisonnables (p. 551, 554, 555). La nature et l'étendue de cette obligation d'accommodement ont été confirmées et précisées dans plusieurs arrêts subséquents. Lorsqu'une règle neutre, en apparence, est discriminatoire par suite d'un effet préjudiciable, la règle est alors maintenue en ce sens qu'elle s'appliquera à tous, sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l'auteur de la discrimination puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir de contraintes excessives et sans porter atteinte de façon importante aux droits des autres membres du groupe (Voir Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux, [1985] 2 R.C.S. 561; Brossard (Ville) c. Comission des droits de la personne, [1988] 2 R.C.S. 279; Sakatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297; Alta (H.R.C.) c. Central Alberta Dairy Pool, [1990] 2 R.C.S. 489; Zurich Insurance Co c. Ontario (C.D.P.), [1992] 2 R.C.S. 321; Cent. Okanagan Sch. Dist. no. 23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970. L'obligation d'accommodement apparaît donc comme une condition indispensable à l'exercice en pleine égalité du droit à l'instruction publique.

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appelante ainsi que l'organisation structurelle des services éducatifs offerts aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage n'établissent pas de distinction ayant pour effet de compromettre ou de détruire, sur une base d'égalité, la reconnaissance du droit à l'instruction publique gratuite que leur reconnaît l'article 40.

L'égalité au plan de l'exercice du droit à l'instruction publique gratuite

Il s'agit, en l'espèce, de déterminer si la commission scolaire a pris les mesures raisonnables, sans s'imposer de contraintes excessives, pour assurer à D.M. l'exercice, en pleine égalité, de son droit à des services éducatifs adaptés à ses besoins de manière à faciliter ses apprentissages et son insertion sociale. Dans l'arrêt O'Malley, le juge McIntyre a expliqué que les termes «à moins que cela ne cause une contrainte excessive» impliquent une restriction de l'obligation de l'employeur de sorte qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures qui causent une ingérence indue dans les affaires de l'employeur ou qui occasionnent une dépense excessive. Le juge Sopinka dans l'arrêt Cent. Okanagan Sch. Dist. no. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 a précisé qu'il faut plus que: de simples efforts négligeables pour remplir l'obligation d'accommodement. L'utilisation de l'adjectif «excessive» suppose qu'une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte «excessive» répond à ce critère. Les mesures que l'auteur de la discrimination doit prendre pour s'entendre avec le plaignant sont limitées par les expressions «raisonnables» et «sans s'imposer de contrainte excessive». Il s'agit là non pas de critères indépendants, mais de différentes façons d'exprimer le même concept. Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l'affaire (p. 994). À cet égard, il sera nécessaire, pour déterminer s'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable, d'examiner le contexte, l'effet des mesures d'accommodement sur les autres membres du groupe et le caractère de l'institution dont la mesure est contestée (Mc Kinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483). Dans la présente affaire, madame la juge Rivet a conclu que dans la perspective d'intégration qui prévalait au printemps et à l'été 1989, la présence d'une accompagnatrice ou d'une éducatrice spécialisée pour D.M. était une mesure nécessaire pour pallier son handicap et lui permettre d'être intégré partiellement en classe ordinaire. En refusant de payer les services d'une accompagnatrice pour l'année 1989-90 et en ne donnant plus suite au projet d'intégration à partir de décembre 1989, la commission scolaire n'aurait pas rempli l'obligation d'accommodement qui s'imposait vu l'effet préjudiciable que sa politique d'adaptation des services éducatifs faisait subir à D.M. dans l'exercice de son droit à l'instruction publique gratuite. Je partage cette conclusion. En effet, la preuve, telle qu'analysée par la première juge et versée au dossier, démontre

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2.2

En effet, la titulaire de la classe T.G.A. (troubles graves d'apprentissage) que fréquentait D.M. pour l'année 1988-89, Marie Bourgea, la psychologue Martine Lusignan et la psycho-éducatrice Yolande Hébert recommandent, lors des réunions de classement tenues en avril 1989, que D.M. poursuive sa scolarité en classe spéciale T.S.D. afin de lui assurer un meilleur encadrement. Ces classes, selon les règles de la commission scolaire, ne sont censées regrouper que cinq à six élèves. La titulaire, s'appuyant sur son expérience de l'année, est d'avis que l'on doit favoriser une intégration particulière en classe régulière dans les matières pour lesquelles D.M. démontre des forces, c'est-à-dire la lecture, la musique, l'ordinateur et la bibliothèque. Dans son rapport écrit concernant ces réunions de classement(51), le directeur Béliveau mentionne qu'un objectif d'intégration en première année a été retenu, au moins en lecture, pour le plan d'intervention de l'année suivante et que les trois intervenantes qui ont participé à la réunion de classement reconnaissent que, quel que soit le cadre dans lequel sera placé D.M., l'aide d'une accompagnatrice s'avèrera bénéfique et nécessaire. Le 8 juin, le directeur Béliveau présente au comité d'admission aux services d'adaptation scolaire la proposition de classement de D.M. en classe T.S.D. Cette proposition mentionne expressément que D.M. a besoin de l'aide à temps plein d'une éducatrice spécialisée(52). Le comité d'admission accepte la proposition de classement et la mesure de soutien recommandée. (51) m.a., p. 1038. (52) m.a., p. 1093. Quant au projet d'intégration partielle en classe de première année régulière, même si la formule de classement(53) signée par le directeur et les parents de D.M. ne reproduit pas l'objectif d'intégration partielle en première année régulière, cet objectif apparaît néanmoins clairement dans d'autres écrits. Dans une lettre du 16 juin 1989(54), le directeur Béliveau écrit «qu'il importe de préciser que dans le plan d'intervention de D.M. l'an prochain, il est prévu de tout mettre en oeuvre pour favoriser une intégration en première année régulière au niveau d'activités touchant la lecture [...] Il est évident que pour permettre à D... de continuer à progresser dans une école intégratrice, la présence d'une éducatrice spécialisée à ses côtés est essentielle». (53) m.a., p. 1095. (54) m.a., p. 1096.

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qu'aucun obstacle majeur et important, tant au plan pédagogique, administratif et financier, n'empêchait la commission scolaire de prendre ces deux mesures envisagées par la plupart des intervenants scolaires lors du classement de D.M. en classe T.S.D. (troubles sévères de développement).

(55) m.i., p. 92. Tout en reconnaissant que ces lettres cherchent à répondre à la politique de l'Office des personnes handicapées qui limite son implication financière aux services en classe régulière(56), elles confirment néanmoins un objectif d'intégration en classe ordinaire bien défini au plan d'intervention de D.M. pour l'année 1989-90. Or cet objectif ne se concrétise pas. Malgré la décision du comité d'admission aux services d'adaptation, la commission scolaire refuse, dans une résolution unanime le 28 août 1989, de financer le coût de l'éducatrice spécialisée à temps plein pour D.M. L'Office des personnes handicapées décide de ne plus assumer une part du financement de l'accompagnatrice parce que D.M. n'est pas inscrit en classe régulière. Les parents engagent, à leur frais, une nouvelle éducatrice qui accompagne D.M. en classe T.S.D. pour l'année 1989-90. (56) m.a., p. 1087. Dès le début de l'année scolaire, les rapports s'avèrent difficiles entre la nouvelle accompagnatrice et les intervenants scolaires car on ne s'entend pas sur les nouveaux objectifs d'autonomie fixés pour D.M. Le 26 octobre, la mère de D.M. est invitée à participer à une réunion pour l'élaboration du plan d'intervention. Deux objectifs sont particulièrement retenus: l'autonomie de D.M. à l'égard de son accompagnatrice et l'intégration en classe régulière de première année pour la lecture. C'est la dernière réunion à laquelle seront invités les parents durant l'année. En décembre 1989, le projet d'intégration partielle est abandonné. On invoque le fait qu'il est impossible de classer D.M. dans un groupe ordinaire parce qu'il est trop avancé en lecture pour se joindre au groupe de première année et peut-être pas assez pour intégrer le groupe de deuxième année. On invoque également qu'il n'a pas atteint les objectifs d'autonomie

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Le 3 mai, Monique Bleau, conseillère pédagogique en adaptation scolaire, mentionne dans la formule de renseignement(55) qu'elle remplit aux fins d'obtenir une subvention de l'Office des personnes handicapées de Québec pour D.M., que celui-ci a besoin de soutien constant d'accompagnement (36 h. 15 heures/semaine) en terme d'apprentissage, de développement, de comportement et de déplacement. La demande formelle de renouvellement de la subvention pour D.M. envoyée le 19 juin par Monique Bleau et Jean Rivard, le directeur du services des activités éducatives, mentionne encore que le plan d'intervention de D.M., en 1989-90, comporte des prévisions de planification d'intervention en première année pour des activités de lecture, et qu'un intervenant en éducation spécialisée, présent à temps plein en classe, au dîner et aux déplacements est nécessaire pour cette intégration.

La première juge n'a pas été convaincue par les faits mis en preuve et les divers témoignages entendus, que l'intégration partielle en lecture risquait de compromettre les objectifs d'autonomie poursuivis en classe spéciale T.S.D. et que les deux objectifs fixés au plan d'intervention s'avéraient à ce point inconciliables qu'il fallait privilégier l'objectif d'autonomie. Elle a conclu que la décision de ne pas intégrer D.M., au moins partiellement en classe régulière, constituait une discrimination directe. Je suis plutôt d'avis, étant donnée la politique de la commission scolaire en matière d'adaptation des services aux personnes handicapées, que la non-intégration constituait une discrimination indirecte. En suspendant indéfiniment le projet d'intégration sans autre consultation des parents et sans autre recherche ou essai de mesures permettant la réalisation concrète de ce projet réalisable sans grande contrainte au plan pédagogique et administratif, la commission scolaire a exclu, de façon disproportionnée, D.M. de l'accès à la classe ordinaire, en raison de son handicap. Quant au refus de payer le salaire de l'accompagnatrice, je partage les conclusions de la première juge. Celle-ci a constaté que non seulement la présence d'une éducatrice spécialisée, dont le salaire est d'environ 20 000$ par année, s'avérait bénéfique sinon essentielle à la poursuite de l'intégration partielle en classe régulière envisagée par la plupart des intervenants scolaires mais qu'il n'existait aucune preuve que le paiement de l'accompagnatrice, pour l'année 1989-90, représentait pour la commission scolaire une contrainte excessive. Au contraire il était possible dans les 60 millions du budget, et vu la flexibilité des postes budgétaires (article 277 de la Loi sur l'instruction publique), de répartir les ressources financières affectées aux services aux élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage de manière à trouver, pour l'année 89-90, un, deux ou trois postes de techniciens spécialisés. Elle a jugé, en conséquence, que la politique de la commission scolaire concrétisée dans ses résolutions de mai 1987 et d'août 1989 comportait un effet réel d'exclusion à l'égard de D.M. en raison de son handicap. La constatation de cette discrimination indirecte emportait une obligation d'accommodement raisonnable, sans contrainte excessive, que la commission scolaire n'avait pas rempli en refusant de payer l'accompagnatrice pour l'année 1989-90. Pour ce qui est des dommages matériels et moraux accordés aux parents pour D. M., leur justification ne saurait être remise en cause. Les dommages moraux subis par D.M. résulte d'une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la Charte. Quant aux dommages matériels représentant la part des honoraires d'avocats qu'ont dû assumer Linda Lanoue et Daniel Marcil pour être représentés au cours de l'enquête contradictoire de la Commission des droits de la personne, la première juge a judicieusement exercé sa discrétion après avoir considéré la situation des parties, les droits fondamentaux invoqués et la jurisprudence pertinente.

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préalables à une intégration valable.

Quant à l'ordonnance relative à l'intégration scolaire de D.M., je proposerais qu'elle se lise comme suit: ORDONNE à l'appelante de s'acquitter, sans discrimination, de ses obligations envers D.M. en vertu de la Charte des droits et libertée de la personne et de la Loi sur l'instruction publique en l'intégrant, à tout le moins de manière partielle, dans le cadre ordinaire d'enseignement en lecture, en bibliothèque, en musique et en ordinateur et en lui fournissant l'acccompagnement nécessaire aux frais de la comission scolaire. LE TOUT SANS FRAIS tel que proposé par les parties.

THERESE ROUSSEAU-HOULE, J.C.A.

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Je proposerais donc pour l'ensemble de ces motifs de CONFIRMER les conclusions du Tribunal des droits de la personne relativement au remboursment de la somme de 20 880$, représentant les honoraires de l'éducatrice spécialisée et au versement des dommages matériels et moraux qui ont été accordés, le tout avec les intérêts fixés par la première juge.