COP 21 - Les Centraliens de Lille

8 oct. 2015 - recherches au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement du ...... à 1993, membre de l'académie des technologies, a été membre du comité directeur ...... ne sera libéré de la tutelle russe qu'en. 1917. C'est alors ...
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290 - Novembre / Décembre 2015 - 9 €

la revue de l’association des centraliens de lille -

DOSSIER

COP 21

centraliens-lille.org

COMMITTED TO BETTER ENERGY = Engagé pour une énergie meilleure

SOMMAIRE

N°290 - Novembre / Décembre 2015

ÉDITORIAL

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par Roland Marcoin (72)

DOSSIER : CLIMAT ET ENVIRONNEMENT Les enjeux de la COP 21 De l’importance des ONG Gérer le bien commun Un tour du monde pour montrer l’exemple Changement climatique : approche systémique Changement climatique Compagnies pétrolières et émissions de CO2 Une sélection de six livres sur la COP 21

CARRIÈRE

3 3 4 6 7 8 10 11 13

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La résistance au développement personnel

L’ASSOCIATION

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Pages communes

LA SAGA DES SCIENCES

LES CENTRALIENS DE LILLE

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Les techniques de construction des cathédrales gothiques

L’ÉCOLE

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L’École au quotidien Mieux connaître l’École

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L’ASSOCIATION

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CA La Confédération des Associations Centraliennes et Supélec Groupes internationaux et régionaux À vos agendas, nécrologie…

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CULTURE ET LOISIRS

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À la mémoire de…

L’association des Centraliens de Lille et l’équipe de « L’Ingénieur », vous souhaitent un joyeux Noël et de bonnes fêtes de fin d’année…

ISSN 0399.8304 Revue bimestrielle, éditée par l’association des Centraliens de Lille 566, av. de la République - CS 60012 59043 LILLE CEDEX Tél. 03 20 51 57 56 [email protected] www.centraliens-lille.org Directeur de la publication : Roland Marcoin Rédacteur en chef : Roland Marcoin Commission : Éric Devaux, Hervé Dutheil, Jocelyne Mongy, Angélique Harant Secrétaire de la rédaction : Laure Denis Tél. 03 20 51 06 66 [email protected] Dépôt légal : 4ème trimestre 2015 Commission paritaire 0113 G 83185 Publicité : SEE - 1, voie Félix Éboué 94000 CRÉTEIL - Tél. 01 49 77 67 80 Mise en page : Francegraphic - 04 77 23 70 80 Impression : Imprimerie Chirat - 42540 Saint-Just-la-Pendue Tél. 04 77 63 25 44 ABONNEMENT 2015 (cinq numéros) : Adhérents : 30 € - Non adhérents : 45 € Les articles et informations publiés dans L’ingénieur le sont sous la responsabilité exclusive de leurs auteurs. Ce numéro a été tiré à 767 exemplaires et remis à La Poste le 7 décembre 2015.

Repères Le 3 décembre 2015 l’Association comptait 2  624 membres (dont 943 membres juniors) à jour de cotisation. À la même date, L’ingénieur comptait 1 688 abonnés à la revue.

Éditorial

N

OTRE SOIRÉE DE PRESTIGE du 6 novembre organisée par la Confédération des Associations Centraliennes et Supélec à l’Hôtel national des Invalides le 6 novembre 2015 a été une réussite totale et est l’exemple même des liens qui se nouent au sein de la communauté centralienne. Les 450 diplômés issus des cinq écoles Centrale de Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris et de Supelec ont apprécié cette rencontre inédite, à en croire les nombreux commentaires déjà reçus sur nos réseaux sociaux et nos messageries. Que les organisateurs de cette soirée soient sincèrement remerciés, tout comme le CIC qui a parrainé cet événement et nous a donné ainsi le privilège de découvrir les trésors conservés au musée des Invalides, avec des explications de grande qualité fournies par d’excellents guides. Après une introduction remarquée du général Christian Baptiste, directeur du musée de l’Armée, sur l’histoire des Invalides, Jean-Georges Malcor, président de la Confédération, a bien résumé dans un bref discours l’esprit d’équipe qui a animé les présidents des associations centraliennes et permis de signer une nouvelle charte, ce même esprit d’équipe naissant déjà au niveau des bureaux des étudiants dont les présidents se rencontrent à travers le C5. Hervé Biausser, directeur de Centrale Supelec, s’exprimant au nom des directeurs d’école, a rappelé leur volonté d’accélérer le rapprochement des écoles. Il nous a appris la signature, le matin même, d’un accord permettant de lancer le projet de création au Brésil d’un campus centralien dans la continuité des quatre implantations internationales déjà existantes. Louis Gallois, quant à lui, a évoqué les qualités de l’ingénieur français à l’international, souvent plus imaginatif que d’autres aux formations trop spécialisées. Alain Fradin (70), directeur général du Crédit Mutuel et du CIC, parrain et sponsor de la soirée, a exposé de façon fort réaliste comment un ingénieur pouvait s’intégrer dans une banque et comment il pouvait la faire évoluer par pragmatisme et avec des produits nouveaux. J’ai été frappé par les discours du général Christian Baptiste et d’Alain Fradin qui ont insisté sur la citoyenneté et le besoin d’entraide, Alain Fradin précisant que le CIC avait, après le 11 janvier, décidé de mener des actions solidaires. Une semaine après notre soirée, notre pays était de nouveau frappé par des fanatiques faisant peu de cas de la vie… Nous sommes indignés et révoltés. Continuons de porter haut nos valeurs de liberté, de solidarité et de diversité, cette diversité que nous voyons à l’œuvre dans les écoles et que nous côtoyons dans nos entreprises et lors de la réalisation de projets à l’international. Dans ces circonstances, la communauté centralienne est un agent important de cohésion : sa vocation est de créer toujours plus de lien entre ses membres.  C’est le sens des rencontres, des conférences et des soirées conviviales qu’elle organise. Dans ce dossier, nous évoquons la COP 21. Les ingénieurs, par leur connaissance et leur formation, ont un rôle important à jouer pour bâtir des lendemains meilleurs, faire évoluer les modes de production, préserver les ressources et l’environnement. En cette fin d’année, vous avez reçu le traditionnel appel à dons. L’Association, l’École et la Fondation qu’elles ont créée vous proposent de participer au financement de projets ambitieux. Nous comptons sur vous. Et puisse cette fin d’année vous apporter beaucoup de joie et de bonheur ! Roland Marcoin (72) n Président des Centraliens de Lille

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L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015

Dossier

CLIMAT ET ENVIRONNEMENT COP 21

P

ARIS A ACCUEILLI du 30 novembre au 11 décembre 2015 la COP 21. L’enjeu de cette conférence des « parties » de la Convention-cadre des Nations unies sur le réchauffement climatique était crucial : aboutir à un nouvel accord international

sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2 °C. Ce dossier a été préparé par les associations de Paris et Lyon. La rédaction n

LES ENJEUX DE LA COP 21

Valérie Masson-Delmotte (ECP93) est directrice de recherches au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement du CEA, à Gif-sur-Yvette (Essonne). Paléoclimatologue, auteur de 190 publications scientifiques internationales, coauteur des 4ème et 5ème rapports du Giec, elle a publié Parlons climat en 30 questions, avec Christophe Cassou, éditions La Documentation Française, septembre 2015.

L’

INFLUENCE HUMAINE sur le système climatique est clairement établie. Les rejets de gaz à effet de serre sont responsables d’une accumulation d’énergie dans le système climatique et donc du réchauffement de l’atmosphère, près de la surface de la Terre, des océans, des sols, et de la fonte des glaces. Le réchauffement des océans, la fonte des glaciers, l’écoulement accéléré des calottes du Groenland et de l’Antarctique entraînent la montée du niveau moyen des mers. Le

réchauffement se manifeste par des modifications de la pluviométrie. Il affecte les événements météorologiques extrêmes : records de froid, vagues de chaleur, submersions côtières. Il impacte les activités humaines, les écosystèmes, les populations les plus pauvres et les plus vulnérables. Plus le réchauffement sera important, plus les impacts risquent d’être graves, généralisés et potentiellement irréversibles. Ils toucheront la sécurité alimentaire, la santé, les déplacements de population, le déve-

LE PROTOCOLE DE KYOTO 1990. Mis en place par la convention climat de l’ONU, le protocole est ratifié par 175 pays, représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l’époque. 37 pays industrialisés s’engagent à diminuer leurs émissions de 5 % par rapport à 1990, pendant la période 2008-2012. Trop réduit, trop figé, le protocole n’inclut pas les plus gros émetteurs (États-Unis) ni les pays émergents. 2009. La COP de Copenhague inscrit l’objectif de limiter à l’avenir le réchauffement à 2 °C par rapport au climat du xixe siècle. Les négociations climatiques changent de style : déclarations volontaires d’objectifs de réduction d’émissions, mise en place d’un Fonds Vert pour l’adaptation et le transfert de technologies vers les pays du Sud.

Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

loppement, les écosystèmes. L’ampleur du réchauffement à venir sera étroitement liée au cumul des émissions passées, présentes et à venir de dioxyde de carbone1.

Maîtriser les rejets de gaz à effet de serre après 2020 L’enjeu de la COP 21 était de construire un accord universel, ambitieux et juridiquement contraignant. L’ensemble de la société civile a été associé à la réflexion. Il s’agissait de construire un agenda des solutions et de renforcer la coopération internationale pour l’aide à l’adaptation et au transfert de technologies. Le traité doit être évolutif et reposer sur la base de l’équité, la différenciation des engagements, les garanties de transparence et d’évaluation. La participation des pays en développement est conditionnée aux moyens de financement, via le Fonds Vert2 pour le climat, qui implique un engagement des pays, la réorientation de financements et la mobilisation de financements privés. 1 - Voir Notre futur commun face au changement climatique, appel lancé par plus de deux mille scientifiques réunis à l’Unesco en juillet 2015. 2 - Le Fonds Vert pour le climat, mécanisme financier de l’ONU pour le transfert de fonds des pays les plus avancés vers les pays les plus vulnérables, s’élevait fin 2014 à 10 milliards de dollars.

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Dossier

TITRE LES ENJEUX DE LA COP 21

Les difficultés de maîtriser le changement climatique Pour avoir deux chances sur trois de limiter le réchauffement à moins de 2 °C (objectif inscrit dans les traités internationaux), il faut que le cumul des émissions de CO2 passées, présentes et futures soit inférieur à environ 2 900 milliards de tonnes (Gt). À titre de comparaison, la période historique 1870-2014 correspond à des rejets de 2 000  Gt3. Sans inflexion du rythme actuel des émissions – près de

LE GIEC – GROUPE D’EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT – Naissance en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations unies pour l’environnement. Des milliers de scientifiques volontaires et bénévoles y participent. –  Le prix Nobel de la paix, conjointement avec Al Gore, a été remis au Giec en 2007. – Cinq rapports d’évaluation ont été établis (en 1990, 1995, 2001, 2007 et 2014). – Site du Giec (IPCC en anglais) : www.ipcc.ch

40 Gt en 2014 – ce solde (900 Gt) serait atteint en une vingtaine d’années. Valérie Masson-Delmotte (ECP93) n

3 - Les sessions plénières de la conférence de juillet 2015 sont disponibles en ligne : www.commonfuture-paris2015.org

COP 21, L’ESSENTIEL • Un sigle : COP est l’abréviation de « Conférence des parties », conférence supranationale sur l’environnement ou plus précisément sur les changements climatiques. C’est la 21ème édition de cette conférence d’où COP 21. Elle s’est tenue du 30 novembre au 11 décembre 2015 au parc des expositions du Bourget en Seine-Saint-Denis. • Participants : 195 membres des Nations unies, l’Union européenne, une cinquantaine de chefs d’État du monde entier, 40 000 délégués des différents pays, représentants des ONG et journalistes, 20 000 visiteurs pour la partie ouverte au public. • Le site du Bourget : le centre de conférences, réservé aux personnes accréditées, était ouvert 24 heures sur 24. Les espaces générations climat, ouverts aux personnes accréditées, ont été des lieux de débats, de savoir, d’échanges et de convivialité. La galerie, réservée aux professionnels, présentait un panorama des solutions développées par les entreprises pour faire face aux changements climatiques. • S’informer Le site de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (en français) : newsroom.unfccc.int/fr Le site officiel français : www.cop21.gouv.fr/fr/cop21-cmp11/enjeux-de-la-cop21 Le site du Bourget : bourget.cop21.gouv.fr/fr/ Site Facebook : www.facebook.com/COP21fr Un quizz en 10 questions : www.cop21.gouv.fr/fr/boite-outils/quizcop21

DE L’IMPORTANCE DES ONG

Nicolas Imbert (ECLy99), directeur exécutif de Green Cross France depuis 2011, est également administrateur de l’Institut de l’économie circulaire et du Comité 21. Auparavant il a exercé pendant plus de 10 ans comme consultant en développement durable (Kurt Salmon, Accenture). Il se focalise aujourd’hui sur le climat, l’eau et l’océan, l’économie circulaire, l’économie de l’agriculture et de l’alimentation et la coopération décentralisée.

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REEN CROSS a été présent à la COP 21. La conférence pour le climat a été la 21ème d’un cycle

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initié à Rio en 1992 en présence de l’ensemble des chefs d’État de la planète. Le facilitateur de cette conférence de Rio

n’était autre que Mikhaïl Gorbatchev, le président fondateur de Green Cross. Comment les grandes organisations écologistes se font-elles entendre à la conférence sur le climat ? Quelle est leur efficacité, quelles sont leurs limites ? Statutairement, les grandes ONG environnementales sont invitées aux négociations, mais ne peuvent pas infléchir l’agenda officiel. Elles doivent passer par les États pour proposer des solutions, suggérer des thèmes à aborder et alerter Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Dossier

sur des pistes à identifier. Elles ont un statut analogue à celui des collectivités territoriales, des entreprises, ou des groupes de la société civile au sens des Nations unies. Ce qui explique l’émergence, notamment depuis la conférence de Copenhague en 2009, de villages de la société civile qui agissent concrètement, qui ne sont pas dans la dénonciation systématique mais construisent des solutions, proposent des alternatives, et n’attendent pas l’engagement des États pour agir. Nous assistons depuis cinq ans à une transition très intéressante à l’échelle démocratique internationale. D’une part, les États s’engluent dans des discussions techniques et peinent à impulser le leadership politique nécessaire à la construction d’une feuille de route pour le climat car les négociateurs se sont transformés en professionnels de la négociation et perdent jusqu’à leurs propres mandants à cause de la technicité de ces discussions, et au final les chefs d’États et de gouvernements peinent à construire une feuille de route, fer de lance d’une transition écologique ambitieuse. D’autre part, les platesformes de la société civile et les forums préparatoires coordonnés et structurés comme le sommet mondial Climat et Territoires à Lyon en Juillet 2015 (bit.ly/WSCT2015), permettent de mettre en réseau ceux qui agissent sur les territoires, mais également de mettre en place des déclarations contraignantes pour plus de 60 % de la population mondiale.

Les ONG sont-elles efficaces, quelles sont les limites à ces actions ? Positionnons tout d’abord quelques indicateurs : alors que les grandes ONG anglo-saxonnes mobilisent sur le seul sujet du climat des budgets de l’ordre de la dizaine de millions d’euros, les grosses ONG françaises avec des budgets annuels entre 400 000 euros et 10 millions d’euros sont des nains sur la scène internationale. Conscientes de cette faiblesse, elles ont développé une approche en réseau et une coordination avec des associations de territoires, d’entreprises, pour exprimer des points de vue multiDossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

DE L’IMPORTANCE DES TITRE ONG

Le sommet mondial climat et territoire de Lyon en juillet 2015, bon exemple d’événement mettant en réseau les différents acteurs des territoires. acteurs et développer une feuille de route partagée et opérationnelle. Ce type d’initiatives est très efficace. Ainsi, Green Cross, engagé de longue date dans la mobilisation pour l’eau et l’océan, a lancé pour la journée mondiale de l’océan, le 8 juin 2015, une déclaration « Paris Climat 2015 – Objectif OCEAN : les propositions de l’économie bleue » (ocean.cop21.mobi) co-construite avec 20 acteurs locaux, nationaux et internationaux parmi lesquels : l’agence spatiale européenne, les armateurs de France, les clusters maritimes français et européens, European Partners for the Environment, la fondation Malpelo-Colombie et Amérique du Sud, le forum Océania 21 des territoires du Pacifique sud… Cette déclaration et ses 19 engagements, déjà portés par plus de 50 réseaux représentant plus de 30 000 organisations dans 30 pays, ont contribué à inscrire à l’agenda de la COP 21 une demi-journée OCEAN, à ce que la ministre Ségolène Royal mobilise le 31 août l’ensemble des acteurs de l’OCEAN et effectue 10 propositions nationales sur l’économie bleue avant Paris Climat 2015, et à des initiatives de la commission européenne en cours de structuration. Une telle dynamique n’a fonctionné que parce que nous avons pu jouer collectivement entre associations avec France Nature Environnement, Good Planet, le WWF… mais aussi des associations d’entreprises, de territoires et multi-acteurs comme l’association des régions de France, le collège des directeurs du développement durable, le club France développement durable, Orée, le R20…

Le profil des ONG a singulièrement changé ces dernières années : la génération très militante et revendicative issue des années 70 cède progressivement la place à des dirigeants associatifs qui connaissent le fonctionnement des entreprises et du secteur public et ont l’habitude de fonctionner en réseau dans des contextes économiques très contraints. On y rencontre de plus en en plus de diplômés de grandes écoles, et en particulier de centraliens. Cette ouverture contribue grandement à une action en meilleure connexion avec le réel, et nous aide à avoir la capacité d’influer directement sur les processus législatifs au niveau national et européen, mais aussi de trouver avec les entreprises et les collectivités locales de nouveaux modes de fonctionnement gagnant-gagnant. Nous constatons, avec le recentrage de l’État sur ses missions régaliennes, un désinvestissement progressif de l’engagement national, notamment sur les thématiques du climat et de l’environnement. Le dynamisme de nos initiatives et plates-formes et la qualité des engagements volontaires de la société civile ne doivent cependant pas faire oublier la primauté et l’importance des engagements régaliens, d’une stabilité législative et de mesures de suivi de l’application effective de la loi, y compris par la répression, pour que la transition écologique soit une dynamique nationale dans laquelle la société civile joue un rôle complémentaire à l’action de la puissance publique, sans pouvoir ni vouloir s’y substituer. Nicolas Imbert (ECLy99) n L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015 

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Dossier

GÉRER LE BIEN COMMUN À quel prix ?

Cédric Ringenbach (ECN96), directeur du think tank « The Shift Project » depuis 2010, ancien consultant en informatique décisionnelle et entrepreneur, membre de Centrale Énergies, fait également des conférences sur le changement climatique. L’enjeu des négociations de Paris est de gérer un bien commun, l’atmosphère, en réunissant tous ses co-bénéficiaires, les états, tout comme une assemblée de copropriétaires décide de la gestion des parties communes d’un immeuble. Question récurrente pour filer la métaphore : qui va payer, pour qui ?

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RANSFORMER NOTRE ÉCONOMIE pour atténuer nos émissions afin de rester en dessous d’une augmentation de 2 °C est un projet dont le coût est estimé autour du millier de milliards de dollars par an, soit 1 à 2 % du PIB mondial. Qui va payer ? La question du partage du fardeau est présente depuis les premières COP. Dans un premier temps, le consensus est de ne pas solliciter les pays en développement, ce qui a été matérialisé par l’annexe 1 du

protocole de Kyoto qui distingue les pays développés qui prennent un engagement et les autres. Pour tenter de répondre de façon « équitable » au problème, chacun voyant midi à sa porte, on a développé les notions de responsabilité et de capacité des pays. La responsabilité est liée au poids de chaque pays dans les émissions historiques. La capacité est liée à la puissance économique actuelle du pays. Il est communément admis que les pays doivent prendre une part d’autant plus importante du fardeau qu’ils ont une grosse responsabilité et une capacité importante. Mais le diable étant dans les détails, on s’étripe sur la définition de la responsabilité (part des émissions historiques ou poids de la responsabilité dans la hausse de température, date de début de la période prise en compte, etc.) ou de la capacité. Ce qui est certain, et

le GIEC avance cela comme un élément objectivable, c’est que sans un transfert financier de plusieurs centaines de milliards de dollars du Nord vers le Sud, un scénario 2 °C n’est pas tenable. La conférence de Paris doit donc permettre d’avancer sur les garanties que le Nord va donner au Sud, mais en utilisant un vocabulaire plus positif que le «  partage du fardeau  ». C’est pourquoi on parle maintenant de « contributions ». L’approche n’est plus top-down comme à Copenhague, mais bottom-up : les pays déterminent eux-mêmes leurs contributions, les INDC (Intended Nationally Determined Contributions). Si on n’arrive pas à convaincre les pays du Sud de monter à bord, on peut éventuellement régler les émissions des 10 pays qui font 70 % des émissions mondiales d’aujourd’hui, mais on ne réglera pas celles de demain, qui n’auront pas lieu dans les mêmes pays. Une condition pour convaincre le Sud, c’est de réussir à pourvoir le Fonds Vert, à hauteur de 10 milliards de dollars aujourd’hui, mais surtout à hauteur de 100 milliards de dollars par an, à partir de 2020. Ce fonds doit aider les pays du Sud à mettre en place des projets d’adaptation, car une part du changement climatique est déjà enclenchée et il va falloir y faire face. Ce thème de l’adaptation est un sujet qui monte. Dans les années 90, il n’était pas de bon ton d’en parler, car cela signifiait qu’on avait jeté l’éponge dans la lutte contre le changement climatique. Le 2ème groupe de travail du GIEC ne comportait d’ailleurs pas cette thématique dans son intitulé. Mais on a maintenant compris que sur certains sujets, comme la montée des eaux, la question n’est plus de savoir si cela va arriver, mais à quelle date. Une augmentation du niveau de l’eau de 40 cm peut arriver d’ici 2100 ou 2070 selon le scénario, mais elle arrivera quoi que l’on fasse. Cédric Ringenbach (ECN96) n

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Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Dossier

UN TOUR DU MONDE POUR MONTRER L’EXEMPLE La voiture électrique Xavier Degon (ECP09), depuis cinq ans chez EDF, suit l’évolution à long terme des marchés de l’énergie en France et les évolutions des émissions de CO2. Fondateur de l’association The Electric Odyssey, il a effectué en 2012, avec Antonin Guy (Ecam Lyon), le premier tour du monde en voiture électrique. Transport, énergie : quelles sont ses attentes ?

Un périple autour du monde audacieux et pédagogique En couvrant une telle distance en voiture électrique − 25 000 km, dixsept pays parcourus en rechargeant la voiture tous les 100 km chez les particuliers − j’ai voulu montrer l’exemple. Même si un véhicule électrique n’est pas vraiment fait pour un tour du monde, il permet d’imaginer ce que pourrait être le transport de demain. Que ce soit dans les villages les plus reculés du Kazakhstan ou au pied d’un immeuble de quatorze étages à Kuala

Lumpur en Malaisie, j’ai pu recharger mes batteries chez l’habitant. Les gens étaient toujours prêts à m’aider. En Chine, les habitants n’ont pas été surpris de me voir circuler en véhicule électrique, ils roulent déjà presque tous en scooter électrique. La recharge de batteries à la maison, ils connaissent ! À ce projet personnel s’est ajoutée une dimension de logique industrielle et économique. Neuf entreprises –  automobile, énergie, téléphonie, assurances, transports – ont accepté de me sponsoriser. En soutenant ce tour du monde, elles ont pu montrer leur engagement dans la mobilité électrique.

En 2015, je suis plus que jamais convaincu qu’elle peut réduire la pollution dans nos agglomérations. Je suis heureux d’être témoin à Paris du succès de l’auto-partage électrique Autolib’. La mesure prise en avril 2015 – une prime de 10  000 euros pour passer du diesel à l’électrique  – va aussi dans le bon sens. Il faut néanmoins continuer les efforts. On doit multiplier les solutions de recharge pour les particuliers et les professionnels, diminuer le coût des batteries qui entrent pour 50 % dans le prix d’une voiture électrique et développer les bons argumentaires pour inciter à l’achat : accélération plus rapide que sur les modèles à essence, recharge bon marché, pas de nuisance sonore, pas de vibration, pas de pollution locale, faibles émissions de CO2.

L’énergie électrique Dans ce secteur professionnel qui est le mien, je suis aussi engagé dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En France, nous avons déjà une électricité largement décarbonée. Il faut s’en servir en transférant les usages faisant appel aux énergies émettrices de CO2 vers des usages basés sur l’électricité, par exemple passer de la voiture à essence à l’électrique, du chauffage au fuel à l’électrique, etc.

Ce que j’attendais de la COP 21 Un effort de vulgarisation supplémentaire des politiques et des médias : les négociations internationales sont complexes, les débats manquent de transparence, les approches et les intérêts des pays diffèrent. J’aimerais que les enjeux et les problématiques du réchauffement climatique soient posés de manière scientifique. Et que les positions de chaque pays soient décryptées. Mai 2012 : devant un temple shinto à Kyoto (Japon). Un prêtre en costume traditionnel bénit la voiture électrique pour que le reste du voyage se passe bien. Accroupi à droite devant la voiture, Xavier Degon fait le signe de la victoire. Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Xavier Degon (ECP09) n L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015 

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Dossier

CHANGEMENT CLIMATIQUE : APPROCHE SYSTÉMIQUE à venir des sujets majeurs de l’économie mondiale. Dans un rapport commandé par le gouvernement britannique, l’ancien économiste en chef de la banque mondiale Nicholas Stern affirme que le changement climatique nous menace d’une récession de l’ordre de 20 % du PIB mondial. Dans ce même rapport il démontre que le coût de la lutte contre le réchauffement climatique équivaut à 1 % du PIB mondial si l’humalogique ont entraîné une hausse rapide de A POPULATION MONDIALE a nité avait commencé à agir en 2006. Ce la population (révolution paléolithique, dépassé les 6 milliards d’habitants rapport intègre les risques du changement néolithique et révolution industrielle) au début du xxie siècle et plus de climatique liés aux éléments fondamentaux 7 milliards en 2015. Entre 2040 et 2050, alors que chaque phase d’aléas climapour la vie de l’homme sur Terre : pénuries la population mondiale pourrait avoisitiques s’est traduite par une stagnation d'eau, famines, et surtout engloutissement ner 9 milliards d’habitants. Au cours de de la population humaine. des zones côtières. Puisque l’ensemble l’histoire de l’humanité, la variation de la Face à ce constat, il paraît évident que de nos sociétés repose sur ces principes population mondiale est corrélée à deux le changement climatique est au cœur fondamentaux, c’est toute l’économie de facteurs : les périodes de progrès technodes enjeux du xxie siècle. Par ailleurs, la marché qui est menacée par le réchauffement climatique. Il apparaît dès lors que les risques et le coût économique de l’inaction dépassent largement ceux de la lutte contre le réchauffement climatique. En France l’observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC) estime que 29 % des communes françaises sont exposées Exposition des populations aux risques climatiques en aux risques du changeFrance métropolitaine en 2005. ment climatique. Mais bien qu’il s’agisse lutte contre le réchauffement de l’enjeu majeur du xxie siècle, le chanclimatique risque d'apparaître gement climatique ne figure pas parmi comme une des clefs pour les priorités d’actions des gouvernements résoudre d’autres probléou parmi les préoccupations essentielles matiques globales comme des citoyens. Cela peut s’expliquer par la gestion des ressources en une vision trop souvent centrée sur les eau ou la fertilité des sols. émissions de carbone et la manière dont Toutes les problématiques est traité et perçu le sujet. Pourtant, le du réchauffement climatique changement climatique n’est finalement (efficacité et production qu’un indicateur du dérèglement planéénergétique, gestion des restaire que nous sommes en train d’initier. Accroissement et stagnation de la population. sources, sobriété carbone, Mais pour bien comprendre l’importance Depuis l’apparition de l’humanité il y a 70 000 ans, le taux d’accroisseadaptation au changement du phénomène, il faut s’intéresser aux ment de la population est corrélé avec deux facteurs : les phases de proclimatique…) représentent impacts qu’il entraîne sur les écosysgrès techniques ont impliqué une hausse de la population mondiale alors des opportunités sans précétèmes et, par conséquence directe, sur que les aléas climatiques ont toujours limité le développement humain. nos ressources fondamentales : l’alimenSur les dernières décennies, la population mondiale a explosé, dépassant dent pour les entreprises et 7 milliards d’habitants en 2015. devraient être dans les années tation et l’accès à l’eau. Sylvain Boucherand (ECLi10) et Charles Adrien Louis (ECLi10), ont cofondé la société coopérative B&L évolution qui accompagne les entreprises et les collectivités dans leurs démarches de développement durable, RSE, énergie et biodiversité. Ils sont par ailleurs engagés dans le monde associatif et suivent de près la préparation de la COP 21.

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Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Dossier

TITRE CHANGEMENT CLIMATIQUE : APPROCHE SYSTÉMIQUE

Stress hydrique. La gestion des ressources en eau est fortement menacée par le réchauffement climatique. Ce stress hydrique se concentre autour de l’équateur et concerne autant les pays développés que ceux en voie de développement. Pour ne pas tomber dans les fausses bonnes solutions, il est nécessaire de ne pas s’enfermer dans un climatocentrisme et de garder une approche globale du phénomène, de ses causes et conséquences. Les interactions du climat et de la biodiversité en sont un exemple caractéristique. La biodiversité constitue la fraction vivante de la nature. C’est l’ensemble des organismes, espèces, écosystèmes et de leurs interactions. Elle est à la base du bon fonctionnement des sociétés humaines et de l’économie, par exemple par les ressources, matières premières ou conditions qu’elle produit. Il y a co-évolution entre le monde vivant et son environnement physico-chimique, notamment les conditions climatiques : ainsi, dans les zones arides, les espèces se sont adaptées au manque de précipitations et celles vivant autour du cercle polaire aux températures les plus basses. Inversement, les forêts ont une influence générale car elles régulent en partie la teneur en CO2 de l’atmosphère et agissent sur le micro-climat local en stabilisant dans une certaine mesure la température et l’humidité. On comprend que la biodiversité est ainsi impactée par le dérèglement climatique. Si le climat change, une espèce aura deux options pour s’adapter et arriver à survivre. Soit elle effectue des changements “internes” pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques : on a ainsi pu observer chez certains arbres le développement d’une plus grande capacité d'absorption du CO2 atmosphérique, ce qui a pour effet de les faire grandir plus vite. Soit elle cherche à retrouver les conditions qui lui correspondent : on assiste par exemple au déplacement vers le nord des espèces de l’hémisphère nord pour y trouver ou des changements de date de floraison ou migration. Dossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Stress alimentaire. Le réchauffement climatique menace également la production alimentaire mondiale et risque d’aggraver le problème de la faim dans le monde qui touche déjà une personne sur neuf sur Terre.

Ces deux options ne sont pas sans conséquences ni contraintes. En effet, on comprend aisément qu’il est facile pour un oiseau ou un grand mammifère de se déplacer de plusieurs kilomètres, mais cela est plus difficile pour un arbre centenaire. De plus, pour maintenir les équilibres du monde vivant, il faudrait que l’ensemble des proies de l'espèce qui se déplace soient également du voyage car sinon elle se trouvera dans l’incapacité de se nourrir ce qui conduira à son extinction. Il est aujourd’hui très difficile de modéliser des scénarios de rerépartition des espèces du fait des liens nombreux et complexes qui les relient. Le changement climatique participe aussi à l’érosion de la biodiversité en accentuant les conséquences des pressions déjà existantes. Par exemple, la légère diminution de l’intensité des périodes de gel a permis au dendroctone, insecte qui attaque les forêts de pins, de proliférer au Canada. Cette prolifération a entraîné un dépérissement des forêts, et donc une augmentation des températures dans les zones dégarnies, qui favorise la prolifération des dendroctones. Les réactions des sociétés humaines face au réchauffement peuvent également contribuer à accentuer les pressions sur le vivant. L’ouverture du passage du nord qui permettra d’atteindre l’Asie depuis l’Europe sans passer par le canal de Suez risque, par exemple, d’avoir des effets importants sur les écosystèmes arctiques via la dissémination d’espèces tout autour du globe. La biosphère est impactée par les effets du changement climatique mais peut également contribuer à les atténuer et s’adapter à leurs conséquences. En effet, la diversité des organismes, espèces et écosystèmes qui se sont adaptés aux différentes conditions

régnant sur la planète possèdent des réserves de réponse et d’adaptation aux changements climatiques. Il est donc nécessaire de penser les politiques d'atténuation et d’adaptation en prenant en compte les enjeux et dynamiques du monde vivant ainsi qu’en s’en inspirant car on y trouve une infinité de solutions… Démarche qui est à la base du biomimétisme.

Impact sur les vignobles À court terme, les vignobles français courent des risques importants face au changement climatique qui entraîne d’ores et déjà une modification des conditions et des pratiques agricoles. L’un des enjeux principaux de l’adaptation au changement climatique est l’évolution des pratiques de la filière : modification des dates des vendanges, évolution des modes de conduites des vignes, disponibilité de l’eau... En Europe, un décalage de la production vers le nord s’amplifiera dans les années à venir en raison de l’augmentation des températures. Une évolution des techniques de production (vendange, effeuillage...) et des espèces cultivées (typicité, maturité…) pourra aussi intervenir. Les pressions sur la biodiversité risquent quant à elles d’amplifier les modifications de l’équilibre actuel : espèces invasives, ravageurs, pollinisation... Alors que nous sommes très attachés, en particulier en France, à nos appellations d’origines contrôlées et à nos terroirs locaux, cet exemple montre concrètement les adaptations environnementales auxquels nous devrons faire preuve. Sylvain Boucherand (ECLi10) et Charles-Adrien Louis (ECLi10) n L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015 

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DOSSIER

CHANGEMENT CLIMATIQUE Les actions et les programmes de l’Union européenne

Christophe Coudun (ECLi01), double diplôme de l’École Polytechnique du Danemark, docteur en sciences forestières (AgroParisTech Nancy – 2005), est chargé de projets à l’agence exécutive pour les PME (EASME, Commission européenne), d’abord sur les économies d’énergie de 2008 à 2014, et depuis sur les ressources naturelles et l’héritage culturel. Il a une expérience de 15 ans des questions environnementales et énergétiques, acquises dans quatre pays de l’UE.

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N ENVIRONNEMENT de qualité est essentiel à la santé et au bien-être. Depuis les années 70, l’Union européenne (UE) et ses États membres adoptent des lois destinées à instaurer un usage raisonné des ressources, à minimiser les répercussions de la production et de la consommation néfastes pour l’environnement et à protéger la biodiversité et les habitats naturels. De nombreux textes de loi existent, traitant de questions aussi diverses que la gestion des déchets, la qualité de l’air et de l’eau, les gaz à effet de serre et les substances chimiques toxiques. L’UE intègre également les préoccupations environnementales dans ses autres politiques (transports et énergie, par exemple) et joue un rôle international majeur en faisant pression pour l’adoption de normes environnementales plus strictes et pour une action efficace contre le changement climatique. Le premier ensemble de mesures de l’UE en matière de climat et d’énergie définit trois objectifs clés pour 2020  : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre  ; faire passer la part des énergies renouvelables à 20 % ; améliorer l’efficacité énergétique de 20 %. La Commission européenne a publié une communication dans laquelle elle définit un cadre pour les politiques de l’UE en matière de climat et d’énergie pour la période comprise entre 2020 et 2030. Ce cadre est destiné à lancer le débat sur la manière de poursuivre ces politiques à la fin du cadre actuel, qui vient à expiration en 20201. 1 - www.consilium.europa.eu/fr/policies/climatechange/2030-climate-and-energy-framework

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L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015

L’EASME2, agence de la Commission européenne à Bruxelles, soutient des projets dans toute l’Europe et au-delà pour lutter contre le réchauffement climatique. L’objectif de cet article est de présenter quelques exemples d’actions financées par les programmes européens : Horizon 2020, LIFE, Énergie Intelligente pour l’Europe…

Horizon 20203 L’EASME sélectionne4 et finance des projets, dans le cadre du programme Horizon 2020 pour notamment  : une économie et une société économes en ressources et en eau, et résilientes face Le projet EU-CIRCLE a pour objet de créer un cadre pan-européen afin de rendre les infrastructures critiques (ex. les réseaux d’énergie, d’approvisionnement en eau, de transport) plus résilients face aux catastrophes naturelles. En travaillant dans une optique «open source», des représentants de multiples disciplines scientifiques vont intégrer des modèles et données existants afin de construire un modèle de résilience holistique. www.eu-circle.eu 2 - ec.europa.eu/easme 3 - ec.europa.eu/research/participants/portal 4 - L’EASME travaille avec des experts indépendants qui peuvent s’enregistrer sur le portail du programme Horizon 2020 : ec.europa.eu/ research/participants/portal/desktop/en/experts

au changement climatique  ; la protection et la gestion durable des ressources naturelles et des écosystèmes ; un approvisionnement et une utilisation durables des matières premières. Les petites entreprises sont également ciblées à travers l’instrument PME (« SME Instrument »).

LIFE Le programme LIFE est dédié à la préservation du capital naturel, à la promotion d’une croissance verte et à l’économie circulaire en Europe. Il soutient de nombreuses initiatives pour combattre le changement climatique5. En termes de financement, 25 % du programme LIFE sont affectés à des actions pour le climat, c’est-à-dire 864 millions d’euros pour des projets d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques.

Énergie Intelligente pour l’Europe6 Le programme Énergie Intelligente pour l’Europe a été lancé en 2003 afin d’assurer un avenir énergétique durable à l’Europe. Il a soutenu les politiques en matière d’économies d’énergie et de promotion des énergies renouvelables. Le programme est terminé depuis 2013 mais les projets les plus récents courent encore jusqu’en 2017.

La vision de l’UE pour un accord à l’issue de la COP 217 À l’issue de la conférence COP 21, l’accord devra, au moyen d’engagements collectifs basés sur des faits scienti5 - life.lifevideos.eu/environment/life/publications/lifepublications/lifefocus/documents/ climate_change_mitigation.pdf 6 - ec.europa.eu/energy/intelligent 7 - ec.europa.eu/clima/policies/international/ negotiations/future

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Dossier

TITRE CHANGEMENT CLIMATIQUE

fiques, mettre le monde sur la voie d’une réduction des émissions de 60  % par rapport aux niveaux de 2010, et ceci d’ici 2050. L’UE a souhaité que la conférence de Paris débouche sur un accord international robuste satisfaisant les conditions suivantes : créer un cadre légal commun applicable à tous les pays ; inclure des

objectifs clairs, justes et ambitieux pour tous les pays, sur la base des circonstances économiques mondiales et nationales ; revoir régulièrement et renforcer les objectifs des États pour limiter le réchauffement à 2 °C ; rendre tous les pays responsables – entre eux et envers la société – de remplir leurs objectifs.

Le projet Posit’IF, en région Île-deFrance, illustre la nécessité d’agir au niveau local. Il vise à promouvoir, organiser, soutenir et inventer la transition énergétique en Île-de-France, à travers un ensemblier technique, financier et assurantiel au service de la rénovation énergétique du logement collectif. Le projet bénéficie d’un soutien financier permettant de prendre en charge une partie des coûts de mise en place d’une offre de travaux et de financement de projets de rénovation énergétique et de renforcer les capacités et compétences des acteurs intervenant dans le secteur de la copropriété. Le projet a récemment été nominé pour les EU Sustainable Energy Awards. www.energiespositif.fr

La contribution de l’UE au nouvel accord a porté sur un objectif contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030. Christophe Coudun (ECLi01) n

COMPAGNIES PÉTROLIÈRES ET ÉMISSIONS DE CO2 De la prise de conscience à l’action.

Bernard Tramier (Insa Lyon 65 et Ipsoi 66 - institut de pétroléochimie et de synthèse organique industrielle de Marseille, docteur en sciences physiques de l’université de Marseille en 1970), président de l’IPIECA de 1991 à 1993, membre de l’académie des technologies, a été membre du comité directeur de Total et administrateur délégué de la Fondation Total pour la biodiversité et la mer. Il a été ingénieur recherche à la SNPA, puis ingénieur production chez Elf, et enfin directeur environnement et développement durable pour l’ensemble du groupe Total.

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EPUIS LES ANNÉES 1980, les compagnies pétrolières mènent une réflexion pour limiter les émissions de CO2. Regroupées dans une association, l’IPIECA, elles bénéficient d’un statut d’observateur aux conférences sur le climat. En 1984, l’IPIECA1 tient son assem-

1 - L’IPIECA – International Petroleum Industry Environment Conservation Association – regroupe trente-six compagnies pétrolières et gazières et seize associations. Son siège est à Londres. www.ipieca.org

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blée générale à Washington. À l’époque, je représente le groupe Elf. Le représentant d’une grande compagnie américaine, alerté semble-t-il par la NASA, évoque devant notre assemblée l’impact des émissions de gaz carbonique [...]. En croissance constante, elles risquent de faire évoluer le climat de la planète. L’IPIECA s’engage alors à faire, deux fois par an, un inventaire des informations accessibles sur le sujet. Quatre ans plus tard, la prise de conscience des pétroliers est formalisée à travers la créa-

tion par l’IPIECA d’un groupe de travail. Des pistes sont lancées pour réduire les émissions de CO2 : – sur les sites de production, réduire le torchage du gaz fatal associé au pétrole, notamment en valorisant ce gaz ou en le réinjectant dans les gisements ; – réduire ses propres consommations énergétiques ; –  imaginer des combustibles et des lubrifiants plus efficaces, générant plus d’énergie pour moins de matière ; – s’intéresser au captage et à la réinjection du CO2 dans des gisements anciens ; –  s’impliquer dans les énergies nouvelles renouvelables.

Novembre 1997 Le président d’Elf Aquitaine s’engage à réduire les émissions du groupe de 15  % d’ici 2010. Plus tard Total, qui regroupe alors Elf et Pétrofina, peut L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015 

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Dossier

COMPAGNIES PÉTROLIÈRES ET ÉMISSIONS DETITRE CO2

envisager une réduction de plus de 40 %. Les efforts des compagnies pétrolières rejoignent les préoccupations de l’industrie automobile et aéronautique. Les voitures consomment de moins en moins ; on diminue le nombre de réacteurs de la plupart des avions transcontinentaux. Plusieurs compagnies pétrolières s’engagent aussi dans le développement d’énergies renouvelables. Total investit dans le photovoltaïque avec Tenesol, filiale commune avec EDF. En 2011, la compagnie pétrolière devient unique

propriétaire de Tenesol et prend 65  % de la compagnie américaine SunPower. Total devient l’un des leaders mondiaux du photovoltaïque. Le développement de technologies nouvelles et l’adoption de meilleures pratiques ont permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Certes, les progrès ont été en partie dilués dans l’augmentation de la consommation énergétique mondiale. En cause, la croissance démographique et le souhait légitime de nombreux pays d’améliorer leurs conditions de vie.

Le protocole de Kyoto n’a pas non plus facilité les choses : l’objectif était clair, mais les mécanismes proposés étaient souvent difficiles à mettre en œuvre. Or, le CO2 n’a pas de nationalité2. L’IPIECA a participé à la COP 21 comme ONG observatrice3. Qu’est-ce que j’attendais de cette conférence au sommet ? Un ton pas exagérément pessimiste, ce qui n’a jamais été une source de progrès, une reconnaissance des efforts déjà faits et un ciblage ceux qui restent à faire. Que l’on abordât ce problème sans idée préconçue, en laissant libre cours aux innovations. Que l’on n’occultât pas les travaux scientifiques, dont nul ne nie l’importance. Que l’on s’intéressât, beaucoup plus qu’on ne l’a fait, aux technologies et aux comportements qui sont porteurs de réponses et d’efficacité énergétique. Ce texte est strictement personnel et n’engage aucunement des tierces parties. Bernard Tramier n

Le torchage a été fortement réduit sur les plates-formes. Le gaz est désormais réinjecté dans le gisement lorsque sa valorisation n’est pas possible.

2 - En juin 2015, six compagnies pétrolières et gazières mondiales – dont le français Total – ont lancé un appel pour l’instauration de mécanismes de tarification du carbone. 3 - Depuis 1992 et le sommet de Rio, l’IPIECA bénéficie du statut d’observateur au sein de plusieurs instances de l’ONU.

CENTRALE ÉNERGIES Une augmentation significative de l’efficacité énergétique et la décarbonisation de l’énergie deviennent indispensables au niveau mondial pour réaliser les objectifs de la COP 21. Le développement de nouvelles sources d’énergie, la diversification du mix énergétique entre les hydrocarbures, le nucléaire et les énergies renouvelables, l’accroissement de l’efficacité énergétique et la séquestration du CO2, sont autant de défis qui nous interpellent sur le court et le moyen terme. Ces réflexions furent à l’origine dès 2006 de la création du groupe professionnel Centrale Énergies, rattaché à la Confédération des Associations Centraliennes. Il s’est donné pour mission de faire réfléchir les centraliens, et plus généralement les ingénieurs et scientifiques, sur l’avenir énergétique, dans le triple contexte mondial du réchauffement climatique, de la raréfaction des ressources fossiles et de l’indépendance énergétique, en leur donnant une information objective et d’actualité. Sept thèmes sont à l’étude. Six thèmes sont étudiés sous l’angle technique, des sources d’énergie à leur stockage, leur transfert et leur utilisation : énergies fossiles, nucléaire et renouvelables, vecteurs et stockage d’énergie, transports, bâtiments et urbanisme. Un septième thème – transversal – reprend les six autres sous les angles géopolitique, économique et environnemental. De nombreuses manifestations sont organisées par Centrale Énergies pour donner une information objective et d’actualité et pour apporter un éclairage nouveau dans ce domaine en évolution permanente. Elles ne visent pas à apporter des solutions incontestables mais à donner des éléments de réflexion et d’actualité sur les recherches et les développements en cours à travers des conférencesdébats mensuelles, un flash d’information bimestriel, un site web www.centrale-energies.fr (avec un forum de discussion, avec les vidéos et les planches des conférences) et une newsletter qui relaie les évènements récents. Voici un aperçu des conférences-débats organisées récemment : transition / rénovation énergétique dans le bâtiment, transition énergétique : quel avenir pour le transport ferroviaire ?, le 5ème rapport du GIEC et la COP 21, EERA – la recherche européenne pour accélérer les technologies bas carbone, économiser l’énergie grâce aux réseaux intelligents, 100 % d’énergies renouvelables pour l’électricité en 2050 ?… Par ailleurs, des articles de fond ont été publiés (flash et site) dont en particulier une synthèse « critique » des points importants de la loi de transition énergétique française, et des dossiers sur le solaire, les éoliennes en mer, les gaz de schiste, le marché du carbone, le stockage d’électricité, la COP 15 (Copenhague)… Guy Moreau, docteur ingénieur en mathématiques appliquées et président de Centrale Énergies n

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Dossier

UNE SÉLECTION DE SIX LIVRES SUR LA COP 21 diale lance un appel à la mobilisation et à la construction d’un vaste mouvement qui refonde nos sociétés. Avec les contributions de Guy Aurenche, Naomi Klein, Vandana Shiva, Jean  Jouzel, Susan George, Desmond Tutu, Bill McKibben, Geneviève Azam, Pablo Solon...

Gouverner le climat ? Stefan C. Aykut et Amy Dahan, Éditions SciencesPo – Les Presses. Vingt ans de négociations internationales ont réussi à mobiliser l’opinion sur le réchauffement climatique. Cet ouvrage pose les questions stratégiques sur les rapports entre science et politique, à travers la géopolitique du climat, la transition énergétique, la globalisation… Le climat à quel prix ? La négociation climatique Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon, Éditions Odile Jacob. Critiques vis-à-vis de la transition énergétique, les auteurs appellent à un changement passant par la tarification internationale du carbone. Ils rappellent que le dossier climat est au cœur des choix économiques et sociaux qui conditionnent l’avenir de nos sociétés.

à la révolution industrielle du siècle précédent.

Climat – 30 questions pour comprendre la conférence de Paris Pascal Canfin et Peter Staime, Éditions Les Petits Matins. La technologie peut-elle nous sauver ? La France est-elle exemplaire ? À quoi peut s’engager Barack Obama  ? Pourquoi les choses bougent-elles en Chine ? Qui sont les adversaires de la lutte pour le climat ? Ce livre, paru en mai 2015, donne des clés pour comprendre les enjeux géopolitiques, économiques et financiers de la conférence. Elle incite les lecteurs à se mobiliser toute l’année.

COP 21 : déprogrammer l’apocalypse Raymond Woessner, Éditions Atlande. Une illustration frappante sur la page de gauche, un court texte explicatif sur la page de droite… L’ouvrage interpelle le lecteur sur la question du réchauffement climatique. L’auteur, professeur de géographie à Paris-Sorbonne, a réuni autour de lui un collectif de spécialistes du climat. Ce livre porte la voix de personnalités du monde entier, de chercheurs conscients de l’impasse actuelle, mais aussi celle d’innombrables victimes, réfugiés climatiques et collectifs en lutte contre la machine à réchauffer la planète. Tous nous rappellent la réalité du réchauffement climatique en cours, les souffrances et les inégalités qu’il produit et nous montrent les voies pour sortir de l’âge des fossiles. La société civile monDossier commun à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Paris

Le climat va-t-il changer le capitalisme ? La grande mutation du xxie siècle Jacques Mistral, Éditions Eyrolles. La réponse des économistes au changement climatique s’articule autour du « prix du carbone ». Cette transition vers l’économie bas carbone sera la grande mutation du xxie siècle. Une véritable révolution économique, comparable

Natures Sciences Sociétés - Les enjeux de la conférence de Paris, penser autrement la question climatique, Éditions EDP Sciences. Ce numéro spécial de la revue Natures Sciences Sociétés s’interroge sur la réussite de la conférence. Elle ne dépend pas seulement de la bonne volonté de 195 États présents mais de la capacité des scientifiques et responsables politiques à changer en profondeur leur façon de « cadrer » le sujet. L’ingénieur N°290 - Novembre / Décembre 2015 

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Carrière

LA RÉSISTANCE AU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL Dino Ragazzo (ECLy 89 et MBA ESCP Paris 97) a été successivement technicien commercial, ingénieur d’essais, directeur technique, chef d’une entreprise d’ingénierie électrique et de maintenance nucléaire et conseiller de la direction générale d’un grand groupe industriel. Il est le fondateur d’EXPERIENCE (conseil, coaching, formation, développement organisationnel). Dino est l’auteur de Manager d’élite, www.managerdelite.com

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ORS DU LANCEMENT de séances de formation, il n’est pas rare que certains participants contrariés proclament, avec défiance, qu’ils n’attendent rien du programme et qu’ils sont présents parce qu’ils y sont contraints par leur hiérarchie. Lors de leur premier entretien de coaching, des bénéficiaires avouent – avec un certain malaise  – ne pas du tout connaître les objectifs de ces accompagnements… pourtant initiés par leurs managers. Il existe des dirigeants qui sont convaincus que, compte tenu de leur âge, plus rien ne pourra les faire changer. Enfin, mentionnons le cas de ce directeur de production qui refusait de s’engager dans un coaching que lui conseillait son collègue DRH de peur de laisser croire qu’il pouvait reconnaître certaines incompétences personnelles. Notre expérience de l’accompagnement du développement des hommes et des organisations nous amène à avancer l’hypothèse que certains profils résistent

davantage au développement personnel que d’autres. Cet article ambitionne de nourrir le débat et d’offrir nos recommandations autour des questions suivantes : –  Pourquoi certains profils sont-ils conduits à rester à distance du développement personnel ? – Comment les reconnaître ? –  Comment favoriser l’accès de ces populations « emprisonnées » à de nouvelles perspectives ? Rappelons que par développement personnel nous entendons : – Le développement de compétences stratégiques comme la capacité d’analyse, la vision, la planification, la résolution de problèmes, la maîtrise des priorités, l’optimisation des ressources, etc. – Le développement des compétences personnelles comme la communication constructive, l’exploitation pragmatique des émotions, le leadership, l’art du management, la qualité de son impact sur les autres, etc.

Qui sont les réticents ? Pourquoi ces réticences ? Nous identifions deux profils propices à cette résistance au développement personnel. – Le profil focalisé sur la tâche : il se manifeste sous une forme de résistance active, on peut le reconnaître assez facilement à travers sa forme « agressive ». –  Le profil focalisé sur la recherche de sécurité à tout prix  : sa forme de résistance passive le rend plus difficile à identifier. En substance, le premier profil se fonde sur une posture non je ne veux pas ! tandis que le second se perd dans un je n’y crois pas profondément ancré.

Profils personnels excessivement focalisés sur la tâche Ces profils accordent une priorité excessive aux tâches par rapport aux personnes. À l’extrême, ces profils conduisent les gens à se concentrer sur leurs propres besoins aux dépens de ceux du groupe et de l’organisation. Ces approches sont plus généralement associées au stress, au turnover, au conflit et dégradent la capacité des organisations à résoudre des problèmes, à prendre des décisions efficaces. Ces modèles ne peuvent pas conduire à l’optimisation de la qualité des produits et des services. Les principales raisons qui leur font fuir le développement personnel sont : •    Le déni (perfectionnisme, pouvoir et opposition) Le déni fait partie des stratégies de défense que ces profils déploient pour se préserver d’une confrontation avec leur angoisse d’incompétence. Ils ne se soucient pas de ce que les autres pensent. On les entend souvent dire qu’ils n’ont pas le temps ou qu’ils n’ont

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Carrière

pas de budgets ou qu’ils sont là pour produire des résultats… et c’est tout ! Cette compétence stratégique, c’est d’ailleurs leur point fort. •    L’arrogance (pouvoir, compétition et besoin d’approbation des autres) On les reconnaît à travers le sentiment de supériorité qui semble les habiter. C’est de cette manière qu’ils se convainquent qu’ils sont plus compétents, plus adroits, plus avisés que la plupart de leurs collègues ou de leurs prescripteurs1.

LA RÉSISTANCE AU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

•  L’évitement ou manque de confiance en soi L’évitement est un comportement qui consiste à se retirer de toute situation potentiellement menaçante, à ne prendre aucun risque. Paradoxalement, c’est l’absence de résistance (active) qui doit mettre la puce à l’oreille du prescripteur et de l’accompagnant. Il faut, en effet, rester vigilant face à l’une ces stratégies favorites de l’esquiveur qui consistent à approuver systématiquement, ou trop rapidement, toute proposition… pour avoir la paix.

•    La paranoïa (opposition, compétition et évitement) Le «  parano  » soupçonne ses prescripteurs d’organiser une sournoise manigance pour mieux pouvoir le virer ou le mettre dans un placard. Il ne peut pas comprendre qu’on puisse s’intéresser à lui (elle) sans arrière-pensées machiavéliques. Il est incapable de saisir la main tendue. Il est également incapable de tendre la main pour aider les autres.

•  Le défaitisme (opposition) Le défaitiste condamne, critique et se plaint sans relâche. Il voit un problème dans chaque opportunité. Il se distingue par un pessimisme toxique qui le conduit à voir constamment le verre à moitié vide. Il est plutôt solitaire, difficile à impressionner et a un talent particulier pour contaminer les autres. Il accepte mal la critique qui lui est adressée. Sa valeur ajoutée réside – selon lui – dans son habileté à anticiper toutes sortes de risques. On trouve souvent des profils d’experts dans cette catégorie.

Profils personnels excessivement focalisés sur les besoins de sécurité

Comment favoriser l’accès à de nouvelles perspectives ?

Ces profils semblent dominés par un sentiment d’impuissance, pourtant leurs comportements laissent souvent apparaître des sentiments de frustration, de colère rentrée. Ils éprouvent un besoin prononcé de se protéger des autres et de se défendre. Leurs principales sources de résistance au développement personnel sont : •  Le conformisme La priorité du conformiste est de se cacher derrière sa « normalité ». Il s’en tient donc à faire les choses de la façon dont elles ont toujours été faites. Sa motivation consiste, avant toute chose, à obéir aux règles et procédures établies pour éviter de se faire remarquer. Une démarche de développement personnel réclame cependant la mobilisation d’un certain courage. Mais, conformément à cette citation de Napoléon : on ne peut pas faire semblant d’être courageux. 1 - Supérieur hiérarchique, DRH, Mentor…

•  Encourager un feedback « cash » et bienveillant du prescripteur Il y a 4 principes pour réussir un feedback « cash » et bienveillant2 : – Les mobiles doivent rester constructifs. –  Le prescripteur doit exercer une communication concrète, appréciative ou neutre, précise et descriptive. – Si c’est pertinent et utile, on ne censure pas le feedback négatif. – Le prescripteur assume. •  Identifier et accompagner la résistance La plus mauvaise façon d’appréhender une résistance c’est d’y répondre par sa propre résistance. Raymond Devos formule cet avis avec sagesse et avec humour  : on a toujours tort d’essayer d’avoir raison devant des gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort ! 2 - Voir notre formation « délivrer un feedback délibéré constructif ».

•  Faire des petits pas à partir d’objectifs clairs mais pas trop ambitieux Pour accompagner la transformation des hommes et des organisations, envisagez l’approche Gestalt O.D. qui s’inspire du paradoxe du changement d’Arnold Beisser3  : un changement apparaît dès lors que quelqu’un cherche à devenir ce qu’il est et qu’il cesse de chercher à devenir ce qu’il n’est pas. •  Assurer une sécurité psychologique Les conditions du changement décrites par l’inéquation d’Edgar Schein4, rendent le processus de changement fortement tributaire de la pédagogie des prescripteurs. (Voir aussi à ce sujet wp.me/ p1Y9T3-5w). •  Privilégier l’approche appréciative. Le comportement d’une machine est différent de celui d’une personne. Pour faire évoluer un système humain, il convient d’abord d’apprendre à le voir différemment, avec un œil nouveau. La démarche « mécaniste » à laquelle nous sommes habitués est le plus souvent contreproductive lorsqu’il s’agit de favoriser un changement de comportement chez votre collaborateur (collaboratrice). Vous aussi : privilégiez les figures positives. Vous favoriserez ainsi le développement d’enrichissantes perspectives chez ces collaborateurs, désavantagés par des profils handicapants. Dino Ragazzo (ECLy 89) n

3 - Arnold R. Beisser (1925 - 1991) professeur de psychiatrie à l’Université de Californie, Los Angeles. Auteur de Flying Without Wings : Personal Reflections on Loss, Disability and Healing. Il était un élève de Fritz Perls, le fondateur de la Gestalt-thérapie. 4 - (LA