Hans-‐Ernst Böttcher1 Un Conseil Supérieur de la Magistrature en Allemagne – ajourné ad calendas graecas ? 1. Pas de CSM jusqu’à aujourd’hui en Allemagne Comme vous le savez l’Allemagne ne connait pas, jusqu’à aujourd’hui, un conseil supérieur de la magistrature. Quant au parquet, il est doté d’un régime – au moins sur le papier – purement Guilleaume I, datant de 1879. Quant aux cours et tribunaux, les juges sont indépendants et libres dans leurs jugements mais l’administration et la gestion ne sont pas moins avant-‐démocratique que celles du parquet. Et encore pire : La structure pratique (i.e. la subordination hierarchique régulière (des juges) des tribunaux d’instance (TI) sous les ordres du président du TGI et celle (des juges) des TGI comme des TI sous les ordres du premier président de la cour d’appel qui, lui-‐même, est sous les ordres du ministre de la justice) date de 1934/35, le moment où la compétence administrative pour la justice a été transmis au Reich. C’est, si l’on est franc, le Führerprinzip qui règne – sous une apparence et pratique douce et souple, bien évidemment. 2. Des éléments d’une justice digne d’un état de droit démocratique dans l’organisation judiciaire allemande Tout cela est d’autant surprenant parce que, de l’autre coté, vous trouvez dans les lois (et dans la pratique) qui déterminent la justice allemande d’aujourd’hui des éléments constituants pour une justice démocratique. Je les ai déjà décrit dans mon article «Autogoverno et cogestione del tribunali nella Republica federale tedesca »2 : 1) La cogestion des juges et des substituts à la base » par des conseils judiciaires, 2) l’autogestion des juges dans leurs cours et tribunaux par une commission permanante, le Praesidium (fixant la composition des chambres et déterminant les compétences, donc assurant le juge naturel), 3) les tribunaux disciplinaires indépendants composés par des magistrats et 4) les commissions parlementaires qui – en commun avec le ministre de la justice (ce n’est donc pas le ministre seul qui décide) – choisissent et nomment les juges. 1
Hans-‐Ernst Böttcher, président honoraire du tribunal de grande instance (TGI) de Lübeck/Allemagne, est un des fondateurs de MEDEL. Il est, pour son syndicat ver.di (Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft) membre de la Commission Albrecht (voir infra sub 6. ) Il écrit régulièrement sur l’état de la lutte politique pour une autonomie de la justice, surtout dans la révue « verdikt » des magistrats ver.di (www.verdikt.verdi.de). Le numéro 1.2014 paraîtra au début de l’avril 2014. 2 Dans „Governo et autogoverno della magistratura nell’Europa occidentale“ (a cura di Pier Luigi Zanchetta), Milano (Franco Angeli) 1987, p. 75 ss.
Il n’existe qu’une seule cour autogérée : la cour constitutionnelle qui pourrait bien servir d’exemple mais…le politique n’y pense pas. Ou presque, comme vous verrez.. 3. Le politique montre son ignorance Il est vrai, hélas !, pour le politique la création des conseils supérieurs de la magistrature 3 ne figure pas du tout sur l’agenda. Les partis politique (sauf Die Linke4) ne ne veulent pas voir que sans de tels organismes la séparation des pouvoirs reste inachevée. Cette majorité absolue particulère a montré bien son ignorance à l’occasion du débat sur un projet-‐loi favorisant l’autonomie de la justice et des CSM, projet-‐loi du parti Die Linke, s’appuyant sur un projet-‐loi articulé d’une des organisations de magistrats allemands qui sont membre de MEDEL, la Neue Richtervereinigung (NRV). De même les professeurs et d’autres « experts » entendus devant la commission des lois du Deutscher Bundestag5 -‐ sauf les représentants des organisations professionnelles et…le professeur Albrecht. 4. Les organisations professionnelles luttent (en principe) ensemble pour des CSM Les trois organisations professionnelles des magistrats en Allemagne Deutscher Richterbund (UIM, majoritaire), magistrats ver.di (MEDEL) et Neue Richtervereinigung (MEDEL) se sont mis d’accord depuis longtemps sur la nécessité d’une réforme de l’administration et de la gestion de la justice en direction des CSM, bien qu’ils existent des différences dans les détails entre ver.di/NRV et DRiB. 5. Des espoirs décus : les commissions réformatrices dans les Länder Hamburg, Schleswig-‐ Holstein et Brandenburg Les « réformateurs » dans les organisations professionnelles avaient dirigé leurs espoirs en direction de certains des Länder qui avaient commencé de penser l’impensable (l’autonomie de la justice, des CSM) en installant des commissions à leur niveau : Le Schleswig-‐Holstein sous une grande coalition (noir/rouge) et de nouveau, tout récemment, sous une coalition rouge/vert plus le parti de la minorité danoise ; Hamburg sous une coalition noir/vert ; Brandenburg sous une coalition rouge/rouge. En vain : Ils ont tous vite abandonné même la réflexion sur ce sujet. 6. La « commission Albrecht »6 Le professeur Peter-‐Alexis Albrecht (faculté de droit de l’université de Frankfurt/Main ; pénaliste, sociologue et criminologue) qui avait déjà organisé, en commun avec les organisations professionnelles des magistrats réunies, au niveau national ainsi qu’au niveau européen, un congrès sur l’autonomie de la justice au mois de novembre 2008 à Frankfort a rassemblé de nouveau les organisations professionnelles judiciaires allemandes, des 3
Le pluriel est dû au fédéralisme. Un jour un autogouvernement acquis, il fallait non seulement un conseil au niveau de la fédération pour les juges et procureur/substituts fédéraux, mais aussi dans les 16 Länder (plus une sorte de conférence permanente des CSM pour la coordination… 4 Socialistes de gauche 5 Première chambre du parlement allemand 6 En allemand: „Albrecht-‐Kommission“
représentants de certains des ministères de la justice des Länder et du ministère de la justice fédéral dans une commissions sous le titre bizarre (anglais) « Judicial System ». Cette commission a entendu, au cours de l’année 2013 quatre délégations des CSM et des ministères de la justice néerlandaise, italienne, polonaise et helvétienne. Pour le mois de juin 2014, une séance commune est prévue avec le Conseil Consultatif des Juges Européens (CCJE) dans le ministère de la justice fédéral pour évaluer ce tour d’horizon de CSM variés en Europe (mais même le professeur Albrecht n’ose pas dire à voix haute, dans la commission-‐même : en direction de futurs CSM allemands – pour ne pas fâcher les représentants des ministères timides…). 7. Malgré tout: un nouveau ministre de la justice fédéral suscite un certain espoir ( ?) Etant donné (ou bien : supposé ?) que le parti socialiste7 a une position-‐clé sur le champ de la politique judiciaire, le nouveau ministre de la justice fédéral Heiko Maas devait tôt ou tard se rendre compte que si son parti ne se met pas à la tête d’une campagne pour l’autonomie de la justice l’hégémonie de l’SPD sera remplacé par un autre des grands partis (ou bien des partis qui pourraient un jour former une coalition pour la réforme du judiciaire). Car – j’en suis convaincu – l’autonomie du judiciaire viendra, surtout poussée par des initiatives et exigences européennes. Le bureau du groupe magistrats de mon syndicat ver.di aura dans peu de temps, le 9 avril, l’occasion d’essayer de convaincre le ministre au cours d’un entretien. 8. Avec la force unie d’un grand syndicat pour l’autonomie de la justice ! Les magistrats ver.di ont déjà convaincu le dernier congrès8 de ce syndicat puissant d’environ 2 millions d’adhérents et surtout son président Frank Bsirske (vert) de leur position en faveur d’ une autonomie du judiciaire. Ce n’est donc pas plus la position d’un groupe minoritaire dans la justice mais la position d’une grande force sociale, d’un des deux plus grands syndicats allemands. Cela pourrait, dans le rapport des forces, inspirer « Berlin » en direction d’un tournant vers la justice autonome.
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Le SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) allemand Siégeant 2011