Bombay Dilemma - EPFL

nombre d' équipements et d' infrastructures, de bonnes liaisons ...... A partir des années 1945, les terrains manquaient et le prix du sol augmenta. Des gratte-ciel ...
27MB taille 1 téléchargements 513 vues
Bombay Dilemma

Carmen Fischer et Caroline Iorio EPFL ENAC SAR MA3/ 2012-2013 Énoncé Théorique

Sous la surveillance de: Prof. Énoncé Théorique Yves Pedrazzini Directeur Pédagogique Harry Gugger Maître EPFL Götz Menzel Remerciments: Olivier Genetelli, Sandro Tonietti, Matias Echanove, Carole Lanoix, Luca Pattaroni, Tobias Baitsch, famille Fischer et famille Iorio Imprimerie: Boss Repro Bern AG Atelier de reliure: Buchbinderei Schlatter Bern

Whenever there is a revolution, or fast change, in architecture professional barriers break down as specialists exchange roles. Charles Jencks

Pour apprendre ne faut-il pas parfois se poser des questions auxquelles nous sommes sûrs de ne pas pouvoir répondre?



Prologue

La ville de Bombay est une figure qui concentre les problématiques typiques inhérentes aux Mégacités postcoloniales : un gigantisme urbain et une grande pauvreté. La création de son territoire par les Britanniques, sa modernisation industrielle et l’avènement de la mondialisation ont radicalement changé son expression formelle et culturelle. Au travers des différentes étapes de sa croissance, son urbanisation est le résultat d’un processus répété, encore effectif, de destruction et de création de son paysage urbain. Subissant les conséquences inquiétantes de son développement incrémental, Bombay doit désormais faire face aux changements urbains rapides et incontrôlés qu’elle a subis et qu’elle continue à subir. Le challenge réside dès lors dans l’aménagement de son territoire. Dans ce contexte, il y a en effet plusieurs aspects qui permettent de comprendre la ville de Bombay selon certaines catégories urbanistiques communes à plusieurs villes. Cependant, il y a autant d’événements que de discours qui laissent apparaître les contours de son extraordinaire et particulière urbanité. De nos jours, Bombay est emblématique d’une superposition complexe de couches historiques, architecturales, sociales, et culturelles de nature fondamentalement différentes et qui paraissent difficiles à distiller. En effet, son paysage pluriel est, pour certains, assimilé à un chaos urbain. A la fois fascinante et effrayante, magnifique et révoltante, riche et misérable, globale et locale, formelle et informelle, Mumbai et Bombay, cette ville se manifeste au travers de paradoxes extrêmes et de dichotomies irréconciliables. C’est grâce au fait que la ville de Bombay s’inscrit dans une dynamique à la fois globale et particulière, que ces démonstrations étranges, pourvues d’une intensité si élevée, permettent de percevoir certaines problématiques liées à l’urbanisation du monde de manière plus claire que dans d’autres milieux urbains. De manière générale, les urbanistes et architectes travaillent sur

ces problématiques avec l’espoir de donner lieu à des villes et à un monde harmonieux. Peut-être que ce n’est que dans une ville où les problèmes paraissent les plus notables, que les solutions les plus évidentes peuvent être trouvées. La ville de Bombay représente par conséquent une opportunité étonnante pour les chercheurs. C’est en ce sens que nous en avons fait notre laboratoire. Ce travail se présente sous la forme d’un raisonnement démonstratif au cours duquel des hypothèses en rapport avec la planification de cette ville seront énoncées. Nos recherches traiteront particulièrement des rapports qu’entretiennent les composantes formelles et informelles de la ville de Bombay. Dans un tel contexte, les stratégies urbanistiques communément adoptées par les autorités, ainsi que les instruments utilisés par les planificateurs pour produire de la ville indienne seront questionnés. Et puisque l’expression de Bombay est confuse et que les logiques avec lesquels il nous est généralement possible de lire et de planifier une ville semblent ne pas suffire, une analyse différente de celles qui nous sont familières sera envisagée. Cette approche fut possible grâce à différentes lectures effectuées, dont les plus inspirantes furent celles de la géographe Odette Louiset et de l’architecte-urbaniste Rahul Mehrotra.

Contenu Introduction Un laboratoire Un pays émergent p. 20 Des territoires p. 22 Bombay manifeste Ville Maximum p. 28 Méthode p. 72

1. Territoire planifié Projections Analyse diachronique p. 80 Produire la ville La ville à venir p. 104 Une impossible planification p. 107 Le facteur manquant p. 117

2. Territoire d‘ urbanité Slumbay A travers l’ iconographie de la Mégacité L’ informalité comme synonyme de marge Au travers d’ une marge L’ idiosyncrasie comme point de départ Slum, espace et société De sphères et de lieux Caractéristiques de l’ urbanité indienne

p. 130 p. 134 p. 142 p. 145 p. 149 p. 167

3. Idiomes d‘ urbaisation Lieux figuratifs Maidans p. 186 Tank de Banganga p. 196 La rue p. 206

Épilogue Un autre territoire p. 218 Vers une autre planification p. 221 Vers un projet p. 224

Annexe

Introduction

figure 0

industrie de diamant

Un laboratoire

Un pays émergent

Lorsque l’  on parle d’ un pays, la notion d’ émergence provient de l’ économie. Un pays émergent est avant tout un pays dont la production de richesses et dont les revenus par habitant ne dépassent pas ceux des pays développés. Cette situation met en évidence un des aspects attribués aux pays émergents: le sous-développement économique. L’ évolution est également un facteur nécessaire à l’ émergence: le but à atteindre est que les structures économiques ainsi que le niveau de vie convergent vers ceux des pays dits «développés». L’ Inde satisfait apparemment aux critères qui lui valent l’ attribut de pays émergent. Bombay, capitale économique du pays, participe largement à cette évolution dans le sens où elle est un des «espoirs» majeurs pour le développement du pays. La ville de Bombay est une Mégacité. Une Mégacité se définit principalement par le critère démographique. La condition que l’ ONU a fixée pour atteindre ce statut est un seuil de population de plus de dix millions d’ habitants. En terme démographique, Bombay occupe le premier rang indien avec une population de 12’ 578’ 447 personnes en 2011. Elle forme avec les villes satellites de New Bombay, Bhiwandi, Kalyan, Ulhasnagar et Thane, une agglomération de plus de 21’ 900’ 967 habitants.1, 2 Avec un niveau économique et une qualité de vie supérieurs aux autres villes d’ Inde, Bombay attire des migrants de toutes les régions du pays ce qui assure à la ville une intense diversité sociale et culturelle. Bombay dans sa quête de richesses humaines et matérielles tend par conséquent vers une métropolisation. Mais Bombay est-elle une Métropole? Du processus de métropolisation, «il résulte principalement de la globalisation et de l’ approfondissement de la division du travail à l’ échelle mondiale, qui rendent nécessaires et plus compétitives les agglomérations urbaines capables d’ offrir un marché du travail large et diversifié, la présence de services de très haut niveau, un grand

20

nombre d’  équipements et d’  infrastructures, de bonnes liaisons internationales. [F. Ascher, 2010: 72] Certaines Mégacités concentrent trop peu de ces fonctions nécessaires pour atteindre le rang de Métropoles et ne restent, par conséquent que de gigantesques agglomérations de population. C’ est le cas de la ville de Bombay qui connaît depuis plus d’ un demi siècle une augmentation démographique constante et «incontrôlée». Planifier Bombay est un challenge que les autorités semblent avoir de la difficulté à relever: une volonté de reconnaissance à l’ échelle globale est mise à l’ épreuve de par un manque d’ infrastructures; le principal problème admis est que les villes ne peuvent contribuer au développement des pays que si leur dynamisme est contrôlé. [O. Louiset, 2011] Aujourd’ hui, cette ville se retrouve face à l’ épreuve de sa dimension. Son gigantisme urbain est considéré comme un «amplificateur de pauvreté» qui se matérialise dans la progression incontrôlable des quartiers informels qui modèlent le paysage. Les problèmes résideraient donc au niveau de l’ aménagement du territoire et plus précisément au niveau de l’ aménagement de ces quartiers informels, plus communément appelés bidonvilles ou slums*. Ces circonstances amènent à nous poser la question suivante: quelle planification pour Bombay? L’ Inde est un pays émergent «sous-développé» et Bombay une Mégacité en voie de développement. La solution aux «problèmes» se trouverait par conséquent dans l’ aménagement du territoire. Nous pouvons notamment observer que c’ est uniquement par une approche comparatiste que ces désignations sont possibles. De manière idéelle, si l’ exemple des villes développées n’ existait pas, il n’ y aurait pas de ville sous-développée. C’ est donc en fonction d’ un modèle défini que ces appellations sont possibles. Ceci nous invite à préciser la question suivante: si exemple à suivre en terme d’ aménagement du territoire il y a, quelle planification faut-il pour la ville de Bombay?

21

* Dans le cadre de ce travail, pour parler des quartiers informels nous utiliserons le mot slum. Ce terme est traduit de l‘ Anglais et signifie taudis.

Des territoires

La planification est une notion qui est fortement liée au territoire. Afin de pouvoir répondre à la question de l’ aménagement du territoire de Bombay posée précédemment, il nous faudra avant tout définir un horizon de référence* sur lequel notre discours por* André Corboz, parle d‘ horizon de référence tera. Quel est le territoire qui nous intéresse? Dans l’ approche dans son ouvrage intitulé du territoire, il faut être prudent car, premièrement il représente «le territoire comme une entité physique et mentale, et deuxièmement il existe autant palimpseste et autres de définitions qu’ il y en a de disciplines qui lui sont liées. Comme essais». L‘ horizon de référence est un autre nous le fait remarquer très justement l’ intellectuel André Corboz terme, plus prudent selon concernant les définitions: l‘ auteur, pour parler de la notion de territoire.

[...] celles des juristes ne touchent guère que la souveraineté et les compétences qui en découlent; celles des aménagistes, en revanche, prend en compte des facteurs aussi divers que la géologie, la topographie, l’ hydrographie, le climat, la couverture forestière et les cultures, les populations, les infrastructures techniques, la capacité productrice, l’ ordre juridique, le découpage administratif, la comptabilité nationale, les réseaux de services, les enjeux politiques et j’ en passe, non seulement dans la totalité de leurs interférences, mais dynamiquement, en vertu d’ un projet d’ intervention. Entre ces deux-extrêmes — le simple et l’ hypercomplexe — prend place toute une gamme des autres définitions, celle du géographe, du sociologue, de l’ ethnographe, de l’ historien de la culture, du zoologue, du botaniste, du météorologue, des étatsmajors, etc. [A. Corboz, 2011: 209-210] Pour ce travail, l’ horizon de référence sera abordé selon deux aspects liés au territoire: la géographie politique et la géographie culturelle. Le premier, fait référence au territoire de l’ Etat, et par conséquent à la mise en place d’ un territoire borné et reconnu à la fois par ses ha-

22

bitants et par les autres Etats. Ce territoire est défini par l’ espace dans lequel le pouvoir s’ inscrit. Ici, notre territoire est la ville de Bombay, fixée par ses limites administratives. Dans ce cas, le territoire serait donc une portion de l’ espace délimitée pour exercer un pouvoir étatique qui s’ exécute à différents niveaux: celui du pays, celui de la ville et celui d’ une communauté. Cela satisfait à la définition géopolitique qui relie la territorialité aux stratégies de contrôle des humains. [R. Sack, 1986] D’ autres affirment que ce sont les informations à dispositions dans la culture qui permettent à l’ homme de transformer l’ espace et de créer un territoire géopolitique. En d’ autres termes et de manière générale, le territoire serait un espace auquel l’ homme a donné du sens. [C. Raffestin, 1986] Ce dernier point de vue nous rapproche du deuxième aspect de notre horizon de référence: le territoire culturel qui est défini par le rapport identité-espace. C’ est ce rapport qui permet le passage du mental: signification d’ un espace; au physique: appropriation du territoire et par extension, sa délimitation. Le territoire constitue ici un lieu produit par la société ou par un groupe, à l’ intérieur même de cette société. On parle donc de l’ expression culturelle et sociale de la spatialité urbaine. En d’ autres termes nous pouvons parler d’ urbanité. [O. Louiset, 2011] Plus qu’ une simple urbanisation, l’ urbanité exprime l’ adéquation d’ un lieu et de ses usages, et se caractérise par la variété, le mélange, l’ inattendu, par le spectacle d’ un espace composite. [F. Ascher 2010] Ce territoire est par conséquent lié à la production de l’ espace en fonction du bagage culturel d’ une société et, **Il nous faut insister sur c’ est dans les pratiques qu’ il prend forme. Dans le cas de Bombay, la fait que le terme urbanité indienne concerne, nous parlerons d’ urbanité indienne**. Quelle qu’ en soit la définition, le concept de territoire, implique l’ existence de frontière(s) ou de limite(s) et également d’ échelles: celle du pays, celle de la ville, celle du quartier, celle du groupe, etc.

23

dans ce travail, uniquement la ville de Bombay puisque nous n’avons pas étudié d’autres milieux urbains.

Dans notre cas, la ville administrative de Bombay est notre espace géopolitique. Sa définition, dont les plans d’ aménagement et d’ affectation sont les principaux vecteurs, est évidente car reconnue et formalisée. En revanche des questions se posent en ce qui concerne le territoire de la culture dans la ville de Bombay: quel(s) espace(s) pour l’ urbanité indienne? Et finalement, est-ce que les «dessins» de ces deux territoires correspondent?

24

figure1

Parade of Stars

Bombay manifeste

Ville Maximum

La première étape lorsque l’ on veut planifier une ville, est de la comprendre elle ainsi que son territoire. Il faut écouter et voir ce qui est manifesté. Lorsque l’ on parle de Bombay différents phénomènes extraordinaires sont perçus au travers de certains chiffres. Il y a des «réalités» qui peuvent être appréhendées et qui sont telles de «toute évidence». Il y a des faits que Bombay manifeste et qui permettent de comprendre la ville. La plupart du temps, les chercheurs tentent de saisir ce manifeste urbain à l’ aide du langage commun que sont les statistiques. Un langage commun est nécessaire à la fois pour comprendre mais également pour expliquer et décrire l’ objet étudié. En somme, pour traduire et rendre accessible les observations faites. Chaque domaine possède ses outils et son langage propre qui, parfois, sont partagés et à la portée de tous. Dans le domaine de la planification, les dernières années ont été témoins de la montée en puissance des statistiques. Cette langue partagée de tous, qui traduit certains phénomènes, nous indique la situation matérielle présente et nous donne des indices pour les aménagements du territoire futurs: la densité, les revenus, l’ âge, les professions, le type de construction, etc. Toutefois, ce langage universel ne peut être appréhendé sans élément de comparaison. Il n’ est en effet, pas possible de comprendre la ville au travers de ces chiffres sans les mettre en parallèle avec d’ autres. Le comparatisme est à nouveau inéluctable. De plus, le géographe Jacques Lévy, nous rend attentifs au fait que «nous avons la chance, quand nous nous intéressons aux sociétés du présent, de bénéficier d’ une avalanche de faits incontestables, non seulement en tant que réalités effectives mais aussi porteurs de résumés fulgurants.» Effectivement, la formation des idées à l’ aide de faits et de statistiques peut s’ avérer insuffisante pour comprendre certaines dimensions de la ville.

28

Ce n’ est pas au travers d’ un langage commun «unique» que tous les phénomènes peuvent être expliqués. La ville est un manifeste de la société et sa description ne peut se limiter au dessin de son tissu urbain et à ses statistiques... Pour éviter les résumés, le croisement de différents langages est par conséquent nécessaire. Au travers de cette partie, nous soulignerons quelques faits et statistiques qui sont généralement utilisés pour constituer les discours et former les idées, mais puisque la ville de Bombay ne peut se comprendre qu’ au travers de chiffres, nous tenterons, en parallèle, de mettre en évidence un autre type de langage pour décrire la ville: celui du récit de Suketu Mehta au travers de quelques extraits de son livre intitulé Maximum City Bombay lost and found. Au travers de rencontres avec divers personnages, il décrit à sa manière, avec un discours plus individualisé lié à l’ expérience même de la ville, une autre échelle de Bombay. Bien loin d’ être ultime, une compréhension au travers de récits et de chiffres nous permettra tout de même d’ extraire quelques traits fondamentaux de cette ville «maximale».

29

max

city

A Golden Songbird; try to catch it if you can. It flies quick and sly, and you‘ ll have to work hard and brave many perils to catch it, but once it‘ s in your hand, a fabulous will open up for you. This is the reason why anyone would still want to come here, leaving the pleasant trees and opens space village, braving the riots and the bad air and water. From the village to the city, to found villages in the city. The slums and sidewalks of Bombay are filled with little lives, unnoticed in the throng, uncelebrated in the Bollywood movies. But each one of them, the scale they are living in is mythic. It involves battles of goof versus evil, survival or death, love and desolation, and the ceaseless, lifeaffirming pursuit of the Golden Songbird. What they have in common with each other – what they have in common, in fact, with me – is restlessness, the inability or disinclination to stay still. Like me, they are happiest in transit. p.450

ty

bom

bay

mamhai manbai mayambu mombaim mombayb mumbai boa baim boa vida bom bahia bombaiim bobayim bombeye boon bay bombay bambai slumbay mumbai bombay mumbai

m

The government can‘ t make the physical city a better place, but it can call it a different name. The city is the grip of a mass renaming frenzy. […] The city is running out of roads to rename. p.129

ay

démo

crat

o

Democracies have a weakness: If a bad law has enough money or people behind it, it stays on the books. This allows the perpetual continuation of the most absurd, unreasonable practices. p. 118

atie

23 L’ Inde compte 1.1 milliard d’ habitants dont 300 millions de citadins, ce qui représente un dixième de la population urbaine mondiale. Depuis les années 1990, la population en Inde a augmenté de 23%.3 La croissance la plus élevée se produit dans les villes principales — Bombay, Calcutta, New Dehli et Bangalore.

%

“We have a special problem as planners in Bombay,“ says Rahul. „If we make the city nicer, with good roads, trains, and accommodation – if we make the city a nicer place to live – it attracts more people from the outside.“ […] „Planning in India has to take into account the whole country, the rest of the cities.” p. 121

21,9 La région Métropolitaine de Bombay atteint 21,9 millions d’ habitants.4 Les prévisions pour 2031 sont de 34 millions d’ individus pour cette même région.5

9mio The city is full of people claiming for what‘ s not theirs. Tenants claim ownership by virtue of having squatted on the property. Millworkers demand that mills be kept open at a loss to provide them with employment. Slum dwellers demand water and power connections from illegal constructions on public land. Government employees demand the right to keep working long past when they‘ re needed, at taxpayer expense. Commuters demand further subsidies for train fares, which are already the lowest in the world. Moviegoers demand that the government freezes the ticket prices. The Indian government has long believed in the unreality of supply and demand; what you pay for an item, for a food or for a service, has no relation to what it costs the producer. p. 119

12,5 Bombay comptait déjà, en 1910, 1 million d’ habitants, en 1990, elle en comptait près de 10 millions et en 2011, la population atteignit 12.5 millions d’ habitants.6 Bientôt, le nombre de personnes habitant dans la ville de Bombay sera supérieur à la population de tout le continent australien.7

5mio Bombay is the biggest, fastest, richest city in India. It is Bombay that Krishna could have been describing in the Tenth Canto of the Bhagavad Gita, when the god manifests himself in all his fullness: I am all-destroying death And the origin of things that are yet to be… I am the gambling of rouges; The splendor of the splendid.

It is a maximum city.

p. 17

438 La surface de Bombay est de 438 km2 . Celle-ci représente 10% de la surface de sa propre région «Métropolitaine».8

8km There is land, thousand miles of land, to the east. But the east is not good enough for Bombay. It is determined to claim the west, all the way until it reaches Arabia. In Bombay, we grew up looking west, because the sea was the only direction in which the eye could roam free. If people go out on a terrace or balcony of a Bombay apartment, and they have a 360-degree view, their eyes will automatically move toward the west, the direction of the possible. p. 122

28 La densité de Bombay est de 28’ 000 habitants par km2. La surface de Berlin représente le double de celle de Bombay, avec une densité de 3’ 800 habitants par km2.9

The greatest luxury of all is solitude. A city this densely packed affords privacy. Those without a room of their own don‘ t have space to be alone, to defecate or write poetry or make love. p. 125

000

0,2 La répartition de l’ espace public est de 0.2 m2 par habitant alors que la norme internationale prévoit au minimum 16 m2 par habitant.10

2 m2 A good city ought to have that; it ought to have parks or beaches where young people can kiss without being overwhelmed by the crowd. p. 125

60 En 1976, une première démarche officielle recensa 1’ 680 slums comprenant 2.8 millions d’ individus. En 1983, le nombre de slums atteignit 1’ 930 avec près de 4.3 millions de résidents.11 En 2007, lors du dernier recensement, 60% de la population de Bombay habitait dans un slum.12

%

The physical landscape of the city is in perpetual motion. p. 127

He has also been going to Santacruz, to a shantytown where people live over an open sewer. Another place he recommends to me is a two-hundred-foot-long ditch between Bandra and Mahim, filled with sewage, totally black. He tells me how to get there: “ There is a little jungle, some flats, and below it, for hundreds of meters on the banks, slums.“ [...] “ The dicht water is used to grow spinach, “ he tells me. He finds this remarkable. So do I. p. 484

45 Chaque année, la ville de Bombay présente un déficit d’ approximativement 45’ 000 logements. Cependant, il y aurait 40’ 000 appartements vacants.13 A l’ heure actuelle, les autorités ont de la peine à faire face à la crise du logement.

Property is always communal in Bombay; there is a constant circulation of sleeping space. p. 395

000

8

De plus, le développement de la péninsule de Bombay, géographiquement limitée par les eaux, a presque atteint sa limite. La terre reste rare et de nombreux projets sont mis en place pour effacer les zones informelles du tissu urbain et récupérer le territoire. Ces zones représentent 8% de la surface du territoire de la ville.14

%

Even after he clears a slum colony, it will promptly be rebuilt with sub-standard material at the same place. “Settlement colonies cannot really be destroyed. They will reappear.” p. 79

12 Bombay est la capitale économique de l’ Inde. Elle contribue au 40% des taxes nationales. Pour cette ville, en 2007, le revenu moyen par habitant correspondait à 12’ 070 USD.15 Pour l’ Inde en générale, le renvenu moyen par habitant était de 3’ 800 USD.16 En Suisse, le revenu moyen par habitant correspondait pour la même année à 70’ 984 CHF ce qui représentait à l’ époque 63’ 321.5 USD.17, 18

In the Bayview Bar of the Oberoi Hotel you can order a bottle of Dom Perignon for one and a half the times the average annual income; this in a city were 40 percent of the houses lack safe drinking water. p. 17

070

81 En 2007, le secteur tertiaire représentait 81%.19

%

The workers want the mills to be reopened, modernized; they don‘ t think Bombay‘ s days as an industrial centre are over. p. 125

65 Par ailleurs, pour 2007 également, 65% de la force de travail est informelle.20

%

It cannot swiftly enough. The city was built on cloth; time moved on and it has to be rebuilt on something else: information. The city‘ s older folk had difficulty reconciling themselves to the idea of a whole city, 5 million jobs, built on top of something abstract as information: not even pieces of paper you can hold but evanescent flashes of light on a screen. […] The city has to change. p. 126

67 La religion est très présente dans la société indienne. Bien qu’ aboli par la Constitution de 1947 avec l’ Indépendance de l’ Inde, le système des castes détermine encore fortement la vie des gens. 67% de la population pratique l’ hindouisme, 19% pratique la religion islamique, 5% le bouddhisme, 4% sont chrétiens, et les 5% dernier pratiquent une autre religion ou ne sont pas croyants.21

%

The brothers are angry at their only sister for wanting to marry outside the caste. p. 472

bolly

wo

L’ industrie du film est un vrai phénomène culturel, on parle de Bollywood. A l’ échelle mondiale, Bombay est la ville qui produit la plus grande quantité de films. Plus de 800 films sont produits chaque année, ce qui représente le double de ceux produits par les Etats-Unis. C’est en 1911 que le premier film muet indien parut. De nos jours, Bombay compte plus de 250 cinémas.22

y

I am now doing what millions of Indians dream of doing: working on a Bollywood movie. p. 353 Through the movies, Indians have been living in Bombay all their lives, even those who have never actually been there. The wide sweep of Marine Drive, the beach at Juhu, the gateway to the West that is Andheri airport – all these are instantly recognizable in Kapur and Kerala. And Bombay is mythic in way that Los Angeles is not, because Hollywood the budgets to create entire cities on its studio lots; the Indian film industry has to rely on existing streets, beaches, tall buildings. p. 350

ood

56 La ville fait face à de grandes impasses infrastructurelles. Beaucoup de personnes, habitent au Nord et travaillent au Sud ce qui conduit à de forts courants pendulaires. 72% des places de travail se trouvent au sud de la ville.23 56% des habitants de la ville se déplacent à pied, 1% à vélo, 3% à cyclomoteur, 5% en voiture, 22% en train et 15% en bus. 48% des fonds fédéraux pour les transports ont été investis dans des infrastructures autoroutières, alors que seulement 0.68% ont été investis pour les zones piétonnes.24

%

Bombay grew along a north-south axis; people live in the north and commute in inhumanly packed trains, to the south. p. 122 It takes two hours for Dharmendra to reach his workplace. p. 463

6

La marche et le vélo sont les moyens de locomotion les plus utilisés par les individus qui habitent dans les quartiers informels. Les salaires sont très bas et ces gens ne peuvent se permettre d’ acheter un billet de train bien que ceux-ci soient les moins chers du monde.25 Les infrastructures ferroviaires transportent environ 6 millions de passagers chaque jour sur 300 km de rails.26

Your fellow passengers, already packed tighter than cattle are legally allowed to be, their shirts already drenched in sweat in badly ventilated compartment, having stood like this for hours, retain an empathy for you, know that your boss might yell at you or cut your pay if you miss the train, and will make space where none exists to take one more person with them. And the moment of contact, they do not know if the hand that is reaching for theirs belongs to a Hindu or Muslim or Christian or Brahmin or untouchable or whether you were born in the city or arrived only this morning or whether you live in Malabar Hill or New York or in Jogeshwari; whether you‘ re from Bombay or Mumbai or New York. All they know is that you‘ re trying to get to the city of gold, and that‘ s enough. Come on board, they say. We‘ ll adjust. p. 496

mio

I had the freedom – indeed, the mission – to follow everything that made me curious as a child: cops, gangsters, painted women, movie stars, people who give up the world. Why did I choose to follow these particular people and not others? They were, for most part, morally compromised people, each one shaped by exigencies of city living. What I found in most of my Bombay characters was freedom. The pursuit of a life unencumbered by minutiae. Most of them don‘ t pay taxes, don‘ t fill out forms. They don‘ t stay in one place or in one relationship long enough to build up assets. When I get back I will have to deal with minutiae: send out invoices on time, balance my checkbook, worry about insurance. Surviving in a modern country involves dealing with the immense amount of paper. How who can stay on top of the paper wins. Each of us has an inner extremity. Most of us live guarded lives and resist any pull that takes us too far toward this extremity. We watch other people push the limits, follow them up to a point, but are then pulled back by fear, by family. In Bombay I met people who lived closer to their seductive extremities than anyone I had ever known. Shouted lives. Ajay and Satish and Sunil live on the extreme violence; Monalisa and Vinod live the extreme spectacle; Honey is on the extreme of gender; the Jains go beyond the extreme of abandonment. These are not normal people. They live out the fantasies of normal people. And the kind of work they do affects all other spheres of their lives, till there is no separation between the work and life. They can never leave behind the work at the bar or the police station or the political party office; in this sense they have all become artists. The attraction, the immense relief, of total breakdown, a renunciation of order in one‘ s life, of all the effort required to keep it together! Since I couldn‘ t do it in my own life, I followed others who did and who invited me to watch. I sat right at the edge of the stage, scattering these pieces of paper over them as a payment. And in watching them I followed them closer to my own extremity, closer that I had ever been. Bombay itself is reaching its own extremity: 23 million people by 2015. The

city‘ s population, which should halve, actually doubles. Walking alongside every person in the throng on the streets today will be one more person tomorrow. With every year Bombay is a city growing more and more public, the world outside gradually crowding the world inside. In the mad rush of a Bombay train, each one of the herd needs, as a survival mechanism, to focus on what is most powerfully himself and to hold on to it for dear life. A solitary human being here has two choices: He can be subsumed within the crowd, reduce himself to a cell of a larger organism (which is essential to the makeup of a riot), or he can retain a stubborn, almost obdurate sense of his own individuality. Each person in that train has a sense of style: the way he combs his hair, the talent he has for making sculptures out of seashells, an ability to blow up a hot-water bottle till it bursts. A character quirk or eccentricity, extrapolated into a whole theory of selfhood. I always found it easy to talk to people in a crowd in Bombay, because each one had distinct, even eccentric, opinions. They had not yet been programmed. The Battle of Bombay is the battle of the self against the crowd. In a city of 14 million people, how much value is associated with the number one? The battle is Man against Metropolis, which is only the infinite extension of Man and the demon against which he must constantly strive to establish himself or be annihilated. A city is an agglomeration of individual dreams, a mass dream of the crowd. In order for the dream life in a city to stay vital, each individual dream has to stay vital. Monalisa needs to believe she will be Miss India. Ajay needs to believe he will escape the police force. Girish needs to believe he will be a computer magnate. The reason a human being can live in a Bombay slum and not lose his sanity is that his dream life is bigger than his squalid quarters. It occupies a palace. Mehta Suketu, 2004, Maximum City, pp. 537- 539

figure 2

 quartier au coeur de la ville

Méthode

Les questions posées précédemment concernant le territoire de Bombay et sa planification mettent en évidence certaines problématiques liées à la rencontre de «cultures». La ville de Bombay est en effet, mais pas seulement, le produit de la colonisation et d’ une modernisation chaotique. En termes de production de la ville, des traces d’ import de cultures étrangères à l’ Inde sont très importantes. De nos jours, c’ est la diffusion progressive d’ une idée «d’ exemples de villes à suivre» qui fait que des normes urbanistiques — produites notamment par l’ occident et par la mondialisation — sont introduites dans le processus de planification de Bombay. Tout ce qui ne coïncide pas avec ces modèles, tels que les quartiers informels et la pauvreté, est considéré comme marginal. Pourtant, ces normes *La marge est ce qui ont du mal à s’  imposer de par la résistance de ces marges* qui sont, ne coïncide pas avec la en nombre, majoritaires. L’  échec de la planification résidenorme. Ces termes seront rait peut-être dans le problème de la considération des diffédéveloppés dans les charences entre un modèle à suivre pour produire une «ville idéale» pitres qui suivent. et la réalité culturelle indienne en termes de pratiques urbaines. ** La notion de diversité sera développée plus en détails dans le premier chapitre.

Il faut intégrer dans la planification, la diversité culturelle** présente à Bombay. Le sociologue et historien Richard Sennett nous rend attentif au mal que nous avons à «concevoir la différence comme valeur positive» et déplore l’absence d’un «planificateur moderne» qui possède les «préceptes visuels» pour orchestrer la diversité. «[...] La diversité humaine semble dépasser le pouvoir de l’entendement humain». [R. Sennett, 1990: 161-162] Il y a en effet des éléments qui font que les villes se ressemblent mais il faut mettre en évidence ce qui fait qu’elles peuvent être différentes: les modes de vie et la valeur donnée par les individus à certains espaces. Le but avec ce travail et d’ identifier le «facteur manquant» à la planification, en identifiant «une réalité éventuellement très différente du contexte où se meut le chercheur en démontant les

72

logiques internes». [J. Lévy, 1999: 90] Il s’ agira de mettre en évidence à travers la ville de Bombay, l’ urbanité indienne fondée par des hommes, organisés socialement et politiquement, qui orientent les pratiques avec leur temps et leurs espaces. Par ce biais, il nous sera possible de confronter l’idée de ce que devrait être Bombay et les pratiques réelles urbaines et, puisqu’ elles semblent être en désaccord, de voir de quelle(s) manière(s) il est possible de les réconcilier. Nous posons l’ hypothèse que c’ est seulement dans l’ accord entre l’ idéal*** et la réalité que se trouve la réponse à la question de la planification. De cette hypothèse, naît notre stratégie d’ intervention en termes urbanistiques et architecturaux: c’est sur les parties de Bombay produites ou prévues selon une norme urbanistique importée que devrait porter l’ attention des urbanistes et architectes et non pas sur la transformation des marges existantes, faute de quoi, toute tentative de «remise en ordre» de la ville, est vouée à l’ échec. La ville, avec ses quartiers, ses rues et ses parties formelles et informelles, doit être considérée comme un système composé d’ éléments différents et indissociables qui s’ influencent les uns les autres. De la même manière qu’ une formule mathématique, en changeant la valeur d’ une ou de plusieurs composantes du système, un nouveau résultat apparaît. De ce principe, le choix de notre intervention ne portera pas sur la formalisation de la «ville informelle», mais sur la ville dite «formelle». En d’ autres termes, si l’ urbanité est l’ adéquation entre un espace et ses pratiques, nous pensons qu’ il ne faut pas intervenir sur les lieux qui permettent cette adéquation mais plutôt sur les parties de la ville qui forceraient à induire des pratiques qui ne correspondent pas à la réalité de la culture indienne. Pour répondre à cela, il nous faudra dans une première partie, mettre en évidence le mode de planification existant de la ville de Bombay.

73

*** L’ idéal n’ est pas à comprendre en tant que perfection qui s’ opposerait indéniablement à la réalité. Ce terme doit être entendu comme ce qui semble avoir toutes les qualités que l’ on peut souhaiter. Si un objet réel (matériellement parlant) correspond à ce qui est désiré (en terme de représentation mentale), l’ idéal et la réalité concordent.

C’ est par la définition de son contexte passé et présent qu’ il nous sera possible de comprendre ses origines urbanistiques et architecturales. C’est surtout par la définition des stratégies mises en place pour transformer les marges qu’il nous sera permis de concevoir ce qu’est la norme urbanistique à Bombay: à la recherche d’ un idéal à travers la norme. Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur la recherche de l’ urbanité indienne dont la manifestation la plus remarquable ne peut se faire que lorsque les pratiques ne sont pas influencées pas un modèle importé et/ou imposé. Dans cette partie, nous traiterons des fractions de la ville «hors plan» ou plus précisément des quartiers informels. De ces slums, nous tirerons des caractéristiques hypothétiques de l’ urbanité indienne: à la recherche d’ une réalité à travers la marge. Finalement, nous tenterons de confronter ces caractéristiques à l’ échelle de la ville par le biais lieux figuratifs que manifeste Bombay: à la recherche d’exemples pour une autre planification. Ceci nous fournira des pistes qui nous permettront d’ orienter nos choix pour une intervention architecturale.

74

1. Territoire planifié

...à la recherche d’ un idéal à travers la norme.

figure 3

Victoria Terminus1900

Projections

Analyse diachronique

Les sept îles et la formation de la ville coloniale A l’ origine, le territoire géographique de la ville de Bombay ressemblait de loin à celui que nous connaissons aujourd’ hui. Il se composait de sept îles (Mumbadevi, Parel, Mazagaon, Mahim, Colaba, Worli et Old Woman’ s Island) sur lesquelles étaient établies des communautés villageoises. L’ activité principale de ces populations indigènes nommées les Kolis était la pêche. Au cours de l’ histoire, ces îles appartinrent à divers empires hindous et musulmans. Une nouvelle ère commença avec l’ arrivée des colons. En 1534, les Portugais débarquèrent sur le territoire indien et s’ établirent sur l’ île de Mahim, située sur le littoral ouest de la péninsule actuelle. De manière chronologique, les Portugais représentent le premier pouvoir colonial. En 1661, à l’ occasion du mariage de la princesse portugaise Catherine Henriette de Bragance et du roi d’ Angleterre Charles II, les Britanniques reçurent pour dot l’ archipel de Bombay. Dès lors, le pouvoir anglais s’ exerça sur cette partie du territoire indien. De l’ occupation portugaise, il ne resta que le nom «Bom Baim» qui, en français signifie «Bonne Baie».

80

Mahim

Worli

Parel

Manzagon

Mumbadevi Old Woman’ s Island

figure 4

Colaba les sept îles

5 km

Entre le 16ème et le 18ème siècle, l’ Inde fut un pôle économique majeur à l’ échelle mondiale. Les ambitions des colons étaient en effet uniquement orientées vers le profit. Ils percevaient en ce territoire des possibilités de rendements importants liées à l’ agriculture traditionnelle existante et un réservoir de main d’ oeuvre bon marché. [C. Lützelschwab, 2012] Ces intérêts purement commerciaux empêchèrent aux activités missionnaires de se propager. Le but n’ était pas de diffuser la foi chrétienne et de détourner la population de ses traditions mais de tirer un profit maximal des terres agricoles indiennes et des capacités, autant qualitative que quantitative, de la population indigène. Ce sont les Anglais qui furent à l’ origine de l’ émergence et du développement de la ville. Ils installèrent leurs quartiers principaux sur le littoral de l’ île principale, la Mumbadevi. La situation de la base anglaise fut déterminée par les conditions climatiques et géographiques. En effet, elle fut établie sur la côte est, idéale car naturellement protégée du vaste Océan Indien et bénéficiant d’ une profondeur de fonds marins suffisante pour le trafic maritime. Ainsi, la East India Company — fondée par des hommes d’ affaires influents qui obtinrent une charte de la couronne d’ Angleterre en 1600, première compagnie européenne pour conquérir les Indes et située originellement à Surat — se déplaça à Bombay. C’ est avec la construction d’ un fort en ce lieu que surgirent les prémices d’ urbanisation. A l’ intérieur de ces fortifications construites autour du château anglais, le Bombay Castel, la ville émergea. Un clivage urbain ne tarda pas à s’ installer. La ville du fort fut divisée en deux régions par une rue, la Churchgate Street. La partie sud était occupée par les Anglais, alors que les populations indigènes résidaient au nord. A partir de la moitié du 18ème siècle, le fort vit sa capacité d’ accueil atteinte. La ville n’ était dès lors plus capable de supporter l’ augmentation croissante et naturelle de la population attirée par l’ espoir d’ une vie

82

Fort Area figure 5

Fort Area 1800

5 km

meilleure. Les plus démunis, représentés principalement par les Indiens, furent donc forcés de s’ installer à l’ extérieur des fortifications. Industrialisation et réaménagement urbain La Révolution Industrielle et la conquête militaire du sous-continent indien engendrèrent de multiples changements à Bombay autant des moyens de production que de l’ urbanisation. En 1772, un projet à grande échelle d’ ingénierie civile pour l’ expansion de la ville fut initié par le Gouverneur britannique de Bombay, William Hornby. Le but était d’ agrandir le domaine praticable pour le développement urbain et économique. De nombreux travaux de drainage furent entrepris, permettant ainsi la fusion des sept îles en un seul territoire. Quelques années après l’ aboutissement de ce projet, la première ligne ferroviaire constituée de deux voies, reliant le nord et le sud de la nouvelle péninsule fut créée en 1853. Elle permit à de nouvelles zones agricoles, principalement cotonnières, de se développer et d’ être exploitées, ainsi que le désenclavement des zones rurales en périphérie de la ville. De nouveaux centres de développement urbains se façonnèrent à proximité des différentes haltes ferroviaires. Bombay devint une ville industrielle dont le textile fut le bien le plus manufacturé. Ce développement important permit une forte et rapide croissance économique et attira bon nombre de populations rurales. La répartition démographique en fut bouleversée et beaucoup d’individus migrèrent vers la ville dans l’ espérance d’ une émancipation. En quarante ans, la population doubla passant ainsi de 100’ 000 habitants à environ 200’ 000. En 1850, la population était représentée par près d’ un demi-million d’ individus. Bom-

84

Ligne ferroviaire

Fort Area figure 6

développement de la ville 1870

5 km

bay devint ainsi la plate-forme d’ échange la plus importante entre l’ Europe et l’ Asie. Suite à la guerre civile (1861-65) en Amérique, le marché anglais devint dépendant de l’ industrie cotonnière indienne. Cela mena à ce qui fut appelé le «Cotton Boom» et qui eut un impact non seulement au niveau économique mais également sur l’ urbanisation de la ville. Les profits devaient être augmentés, les capacités de production devaient par conséquent être améliorées. De nombreuses filatures de coton émergèrent au centre de la ville et les premiers réseaux de rues hors de la zone du fort furent planifiés, intégrant les industries textiles. Des logements à proximité des usines furent construits pour loger la main d’ oeuvre. Ces constructions toujours existantes, appelées chawls, sont caractérisées par une structure très dense, une hauteur de trois à cinq étages, avec des appartements composés d’ une seule pièce. Une nouvelle classe pris place — la classe ouvrière . De nombreux bâtiments publics toujours présents dans la ville sont l’ héritage de ce développement intense.

86

Ligne ferroviaire

Industries textiles Docks Fort Area figure 7

développement de la ville 1900

5 km

Suite à l’ expansion de la ville vers le nord, les infrastructures sanitaires commençaient à manquer. Une grande partie de la ville n’ avait pas accès à l’ eau potable et l’ insalubrité se faisait croissante. Au sud, la ville était alimentée par l’ eau de la grande baie en proximité du fort, mais elle s’ amenuisait à cause de l’ expansion des docks. A partir des années 1860, les lacs de Vihar Nala, de Powai et de Tansa situés au nord de la ville, sur la colline de l’ actuel parc naturelle de Sanjay Gandhi, furent également drainés pour alimenter le reste de la population. Avec l’  ouverture du canal de Suez en 1869, l’ aire du port de Bombay fut agrandie et de nouveaux marécages furent drainés pour la construction de docks à plus grande échelle. Entre les années 1870 à 1970, l’  industrie et le commerce maritime continuèrent et de nombreux marécages furent drainés. C’est ainsi que Bombay prit la forme que nous lui attribuons aujourd’ hui.

88

Tansa

Vihar Nala

Powai

Ligne ferroviaire

Industries textiles Docks Fort Area figure 8

développement de la ville 1920

5 km

Indépendance et avènement de la Mégacité A partir des années 1945, les terrains manquaient et le prix du sol augmenta. Des gratte-ciel furent construits et de nouveaux projets pour l’ assèchement de marécages virent le jour. Dans les années 1950, la ville continua son expansion vers le nord de l’ île avec le développement de logements ouvriers. Seulement, le besoin des travailleurs était d’ être logé à proximité de leur lieu de travail puisque les possibilités de mobilités étaient réduites par un manque d’ infrastructure et par un manque de moyens pour ces populations à bas revenus. De plus, les logements de prix abordable manquaient au coeur de la ville, alors que la population ne cessait de croître. De ces faits, une quantité importante de quartiers informels prirent place dans la ville. L’ indépendance de l’ Inde obtenue en 1947 assura une croissance continue de l’ état grâce à une demande progressive de biens et de services. Alors que pendant plusieurs années le port fut le moteur de la croissance, à partir des années 1970, il perdit de son importance pour laisser la place au secteur tertiaire. Au cours des années 1971, à 1991 l’ industrie textile chuta drastiquement, ce qui provoqua des pertes d’ emplois (env. 200’ 000). Il en résulta un réarrangement spatial – un repoussement de l’ industrie en périphérie à cause de la pression du marché immobilier. Parallèlement, s’ établit une chaîne de sous-traitance jusqu’ au travail possible à domicile. La main d’ oeuvre n’ était plus déclarée. Ceci se traduisit par une recrudescence du secteur informel. Il devint dès lors possible d’ exploiter de la main d’ oeuvre à très bon marché puisque le travail n’ était plus syndicalisé.

90

Tansa

Vihar Nala

Powai

Ligne ferroviaire

Industries textiles Docks Fort Area figure 9

développement de la ville 1950

5 km

Par ailleurs, l’ expansion du secteur tertiaire et des centres d’ affaires, créa une énorme pression immobilière et entraîna une réduction de la proportion en logement de vingt à six pour-cent dans la vielle ville du fort. Les quartiers résidentiels furent déplacés vers le nord et les flux pendulaires augmentèrent. Un programme lancé par l’ état, le «Mega City Program», avait pour but d’ améliorer les infrastructures de mobilité. Ainsi des ponts autoroutiers furent construits pour désengorger le trafic. En 1995, la ville de Bombay fut renommée par le nouveau gouvernement de la ville – les partis nationalistes du Shiv Sena et de Bharatiya Janat. On parle désormais de la ville de Mumbai. Les stratégies de revendication du sol Deux stratégies principales furent mise en place pour augmenter la surface territoriale de la ville; d’ un côté revendication du sol — par le drainage aux dépens de la mer — et de l’ autre, par l’ expansion de la ville vers le nord et sur le continent indien nommé New Bombay (ou Navi Mumbai). Déjà en 1838, les sept îles sont fusionnées en un ensemble – Bombay. Cependant la terre au sud est plus intéressante, car plus proche du centre ville. C’ est ainsi qu’ il y a eût entre les années 1860 et 1970, trois versions d’ un grand projet de drainage pour étendre le territoire, le «Back Bay reclamation project». Ce projet suivit un parcours tumultueux, subissant les crises économiques et les pressions financières. Il avança à pas comptés, étant régulièrement stoppé, puis relancé. Ce n’ est qu’ en 1970 qu’ il finit par aboutir. Seulement, la fonction initiale de ce projet ne fut pas respectée. En effet, des zones principalement résidentielles fournies d’ espaces verts et de lieux de récréation avaient été prévues. Ce sont finalement le centre d’ affaire, le Nariman Point, et une zone de logement — la Cuffee Parade, loin d’ être abordable pour

92

Tansa

Vihar Nala

Powai

New Bombay Mahim Bay Ligne ferroviaire

Industries textiles Docks

Back Bay

Fort Area figure 10

développement de la ville 1990

5 km

la majorité ­­— qui furent développés. Des intérêts financiers couplés de corruptions ont détourné le projet et ont eu raison des idéaux d’ aménagement de l’ espace. Cette réclamation de terre n’ a donc qu’ accentué le problème existant. De nos jours, Nariman Point est le premier centre d’ affaire d’ Inde. Pour l’ année 1995, le prix au mètre carré pour bénéficier de locaux commerciaux était de $1880/m² et en 2007 le prix du mètre carré pour l’ achat d’ un appartement dans cette zone s’ éleva jusqu’ à $97’ 842/m².27 En 2009, le Nariman Point atteignit la quatrième position au niveau mondial des loyers commerciaux les plus chers.28 Le projet le plus grand et le plus ambitieux du développement est sûrement celui de New Bombay, situé sur le continent indien à l’ est de Bombay et élaboré au cours des années 1960 sous la direction de l’ architecte Charles Correa. Le but de ce dernier fut de réaliser une ville planifiée et diversifiée, une «ville jumelle à Bombay», qui aurait permis d’ absorber l’ explosion démographique et la crise immobilière, en détournant environ deux millions d’ habitants, désengorgeant ainsi la ville de Bombay. Le nouveau port de Jawaharlal Nehru fut construit sur la côte de New Bombay et les activités du port de la péninsule s’ y déplacèrent, laissant ainsi les docks de Bombay à l’ état de friche. Pour relier les deux villes, les lignes ferroviaires et deux ponts ont été construits, et le projet d’ un nouvel aéroport est actuellement en cours d’ étude. Bien que différentes fonctions, tels que banques, commerces, hôtels, ont été intégrées au projet et se sont développées au fil des années, cette ville nouvelle peine à se diversifier. New Bombay reste pour l’ instant une ville dortoir et se retrouve complètement dépendante de sa ville mère.

94

Tansa

Vihar Nala

Powai

New Bombay Mahim Bay Ligne ferroviaire

Industries textiles Docks

Back Bay

Fort Area figure 11

tissu urbain actuel

5 km

Pénurie de logement Bombay se trouve aujourd’ hui face à un problème majeur qui résulte du choix stratégique de localisation effectué pendant la formation de la ville – l’ établissement de la ville au sud de la péninsule, loin du continent, ce qui restreint les possibilités d’ expansion, et n’ offre qu’ une direction de développement possible. La prospérité de Bombay attira des migrations constantes de toute part du pays ce qui a conduit à une pénurie de logement et à la formation de nombreux quartiers informels. Les autorités semblent avoir de la peine à faire face aux conséquences de cette crise qui est, plus que jamais, d’ actualité. Dès le début de son histoire, les populations les plus défavorisées ont été déplacées au nord de la ville en raison de la forte attractivité économique du centre et du prix du sol inaccessible pour la majorité. Il y a cependant deux lois qui auraient participé à ce phénomène: le Rent Act de 1947 et le Urban Land Act de 1979. La triste ironie réside dans le fait qu’ elles avaient justement pour but de palier au problème de clivage social entre le centre et la périphérie.

Rent Act

L’ introduction du Rent Act en 1947 fut l’ une des interventions les plus contraignantes pour le marché des logements à Bombay. Cette loi gela les loyers de tous les bâtiments en location au niveau de ceux en vigueur en 1942. Pour les constructions nouvelles, les loyers abordables ont été fixés et aucun locataire ne pouvait être expulsé s’ il réglait son du. Le but était de réduire l’ inflation et les spéculations dans la période de l’ après guerre, cela pour une durée de cinq ans. Cette loi fut cependant prolongée à vingt reprises jusqu’ en 1998. En

96

effet, la majorité de la population, locataire, ne voulait pas voir le loyer augmenter. Les bâtiments n’ étaient dès lors plus entretenus par les propriétaires et se délabrèrent au fil du temps. 400’ 000 logements auraient ainsi été vidés pour éviter le délabrement du à leur utilisation. Des détournements de cette lois ont dès lors été imaginés. Les propriétaires forçaient les locataires à signer un contrat trimestriel afin qu’ ils ne bénéficient plus de l’ immunité d’ expulsion. Le propriétaire demandait une somme supplémentaire pour la remise des clés à chaque nouvel occupant. Cette pratique au début illégale fut finalement légalisée. Les bénéficiaires de cette loi furent principalement les entreprises nationales et internationales dont le loyer des bureaux n’ augmenta pas et dont les bénéfices permettaient d’ entretenir les locaux. En 1998, la Court Supreme, réforma une partie de la loi, permettant ainsi aux propriétaires d’ augmenter les loyers et d’ évincer les locataires plus facilement.29

Urban Land Celling and Regulation Act

L’ Urban Land Act, est une loi apparue en 1976, qui fut abrogée en 2007. Avec ce nouvel acte, le droit fondamental à la propriété privée et celui d’ être indemnisé en cas d’ expropriation, a été radié de la constitution indienne. Le but était de ralentir la spéculation immobilière. Cette loi freina les investissements des privés sur le marché immobilier dans la mesure où le statut juridique des parcelles restait flou. Par ailleurs, la loi limita également la surface de terre nonconstruite, en fonction de la zone, qui peut être possédée par un seul individu. De nombreuses exceptions furent possibles et seulement huit pour cent des terrains vacants furent expropriés jusqu’ en 1998.

97

Conclusion Alors que l’ urbanisation initiale fut réalisée par les Anglais, rapidement, les activités économiques ont dessinés la ville au fil des revendications du sol, d’ expansion et de relocalisation. Le manque de terre vacante parallèlement à la croissance rapide de la population fut le problème majeur. Le fort se remplit, expulsant les plus démunis hors de l’ enceinte de la ville, puis la destruction des fortifications, l’ expansion vers le nord, l’ amassement d’innombrables slums et leur relégation en périphérie... Pour son développement économique, la ville se vit forcée de gagner du terrain en avançant sur la mer, en essayant de s’ exporter sur le continent avec «New Bombay». De nos jours, les slums qui initialement étaient en périphérie se retrouvent au coeur de Bombay. En analysant leur position, on peut aujourd’ hui reconnaître les extensions progressives de la ville. Les terrains que ces quartiers informels occupent, dès lors, prennent de la valeur. Plusieurs projets sont entrepris pour les délocaliser ou pour reloger la population sur place mais aucune solution qui soit à la fois satisfaisante et efficace n’ a été trouvée. Mal préparée à cette croissance, la ville doit aujourd’ hui faire face aux conséquences de son histoire. Quel est l’ avenir de Bombay? Et comment prévoit-elle de résoudre son mal pour atteindre une reconnaissance tant désirée à l’ échelle mondiale?

98

figure 12

péninsule de Bombay

99

figure 13

immeuble en construction

Produire la ville

L’ évolution de la ville de Bombay et sa planification sont largement marquées par le phénomène de colonisation. Cela ne signifie pas qu’ il n’ y avait rien avant l’ arrivée des Anglais, mais qu’ elle s’ est constituée suite aux dynamiques engendrées par une intervention non indigène. En effet, avant la venue des Britanniques, le concept de ville n’ existait pas. A la fois dans les mentalités indiennes — il n’ y avait pas de distinction entre rural et urbain, mais seulement entre le territoire occupé par les hommes et celui de la nature — mais également dans sa dimension matérielle bâtie. Le territoire, tel que nous pouvons le pércevoire aujourd’ hui, n’ existait pas. Les britanniques ont vu en ces lieux jusqu’ alors occupés par des populations de pêcheurs, de forts potentiels commerciaux encore inexploités. Les prémices d’ urbanisation ont émergés en un lieu stratégique pour le commerce maritime, la zone du fort qui maintient toujours le rôle de centre ville. Un développement comme celui qui s’ est produit n’ avait pas été envisagé par les britanniques. Une planification à l’ échelle de la péninsule n’ a par conséquent jamais été produite. [R. Mehrotra, 1991] Mal préparée à la croissance, la ville s’ est développée dans l’ urgence, bout après bout, en fonction des nécessités et des drainages, de manière formelle et informelle... Des mondes avec des intérêts, des préoccupations et de modes de vies différents émergèrent, celui des Anglais, celui des indigènes, celui de l’ industrie, celui de la résidence, celui des riches et celui des pauvres, celui des slums... Cette dynamique de développement incontrôlé engendra un paysage pluriel. Bombay est une ville compacte, porteuse d’ une grande diversité architecturale, sociale, culturelle... Ce paysage, à première vue chaotique, se caractérise par une très forte densité humaine et bâtie, ainsi que par une mixité fonctionnelle élevée. Bien que, quelques quartiers, tel que le centre ville, se caractérisent principalement

102

par une juxtaposition de bâtiments administratifs et commerciaux, la ville présente, une importante hétérogénéité sociale, spatiale, et fonctionnelle. Comparativement aux villes occidentales, l’ originalité de Bombay réside dans sa complexité liée au caractère composite de la société. [O. Louiset, 2011] En effet, le voisinage de tissus urbains différents qui apparaissent à la lecture d’ une carte nous semble étrange. Les quartiers informels sont répandus dans tous les interstices de la ville. Ils naissent aux pieds des gratte-ciel, au voisinage des centres d’ affaires, et à côté des résidences les plus chères de la ville, etc. Des zones, organisées tel un patchwork, peuvent être identifiées mais les logiques habituelles de compréhension du territoire urbain ne sont pas d’ un grand secours. A Bombay, les pauvres ont besoin d’ habiter à proximité des riches. [P. Rode, 2007] Aux problématiques de la densité et de la mixité, il faut dès lors rajouter la notion de proximité.

103

La ville à venir

La région de Bombay a toujours été le poumon de la croissance économique en Inde et plus particulièrement pour le Maharashtra, l’ état dans lequel elle se situe. Cependant, elle souffre d’ un manque d’ infrastructures, de transports, d’ alimentation électrique, d’ alimentation en eau potable, de système de traitement et d’ évacuation des eaux. Elle souffre d’ une mauvaise gestion de ses déchets et par dessus tout, elle fait face à une grave pénurie de logement. Depuis plusieurs années déjà, la ville tente de trouver des solutions à ces problèmes et un nombre conséquent de projets et de politiques concernant l’ aménagement du territoire ont été mis en place. Toutefois, entre la théorie et la pratique il semble y avoir d’ importants décalages. De manière exécutive, les politiques et les projets semblent être plus que complexes. Il est difficile de les mettre en oeuvre comme souhaités et le résultat semble bien être la persistance des problèmes. Depuis peu, la ville met en place une nouvelle politique d’ aménagement du territoire qui apporterait à la fois, une réponse aux difficultés urbaines rencontrées et, dans une perspective plus large, porterait la ville au rang de classe mondiale. Selon un rapport publié en 2004 par le Ministre en chef du Maharastra, tels sont les enjeux identifiés par les politiques de la ville en terme de planification: The Vision Unless the city knows where it has to reach over the next 10 years, no amount of effort will help. A vision statement has therefore been carefully drafted. While there was the temptation to visualise Mumbai as another Shanghai or Hong Kong or Singapore, it was felt that the city’ s unique character needed to be preserved and that the city primarily has to fulfil its responsibility to its citizens. The vision

104

statement therefore reads as follows: “Transforming Mumbai into a World Class City with a Vibrant Economy and Globally Comparable Quality of Life for its Citizens.” The Strategy We recommend a six-pillared strategy for Mumbai’ s development. These pillars are: economic growth, housing, physical infrastructure, social infrastructure, governance and financing. These are not stated in any order of importance as they warrant equal and urgent attention. It was also felt necessary to include separate recommendations for the aspects of environment. However, we believe that the governance group in its next set of recommendations will be able to address these adequately. Le statut idéal à atteindre pour la ville est celui de ville globale. Pour cela elle doit satisfaire à certains critères. Bombay veut se donner les moyens de rentrer dans la compétition et doit se mettre à niveau. Elle doit offrir un marché du travail large et diversifié, avoir des services, des équipements et des infrastructures de très haute qualité et performance, ainsi que de bonnes liaisons internationales. Tel est ce que prescrit la norme urbanistique pour atteindre le statut désiré par les autorités. La stratégie envisagée depuis 2004 inclut simultanément la croissance économique, la mobilisation des ressources pour des investissements dans les infrastructures, une amélioration des services et de la qualité de vie. Le slogan pour la ville est «Transformer Mumbai en une ville de classe mondiale avec une économie éclatante et une qualité de vie pour ces habitants globalement comparable». De là, nous pouvons affirmer que Bombay veut devenir une Métropole

105

et que pour cela, elle doit dépasser le statut de «sous-développée». Pour atteindre ce but, une des prescriptions majeures — qui n’a pas été énoncée, mais qui n’en reste pas moins une des plus problématiques — est «l’ absence» de pauvreté. En effet, elle ne devrait pas exister car elle est la marque de dysfonctionnements économiques, sociaux et matériels.[ K. Phatak Vidyadhar, 2009]

106

Une impossible planification

Avec la colonisation, un modèle européen a marqué les agencements urbains, une typologie de ville a été importée et des styles architecturaux venus d’ ailleurs ont apparu. C’ est un fait. Pourtant l’ empreinte la plus marquante liée à la colonisation, n’ est pas forcement matérielle mais plutôt immatérielle, à savoir, l’ évidence d’un modèle occidental pour concevoir de la ville. [O. Louiset, 2011] «L’ hygiénisme constitue également un élément fort des aménagements. [...] On perçoit dans les textes d’ urbanisme indiens actuels, la même assimilation que celle qui s’ exprime au 19ème siècle en Europe, de l’ insalubrité avec l’ immoralité, l’ insécurité.» [O. Louiset, 2011: 91] De par le choix d’une manière à la fois occidentale et globale de faire la ville, la pauvreté et le mode de vie liés à ce statut deviennent marginaux. Les slums, quant à eux, représentent la matérialisation physique, réelle et visible du dysfonctionnement urbain. Une «ville idéale» est donc aussi, une ville sans slum. Dans le cas de ces quartiers informels, nous pouvons parler de marges puisqu’ ils sont un écart à la norme prévue pour l’ aménagement territoriale de la ville. Une des définitions que l’ on accorde aux slums est celle produite par les Nations Unies qui énonce les critères de reconnaissance physiques et légales: insécurité de la tenure; accès insuffisant à l’ eau; accès insuffisant à l’ assainissement et aux autres infrastructures de base; qualité de la structure du logement insuffisante; surpeuplement. Avec la nouvelle place que prend le slum dans les programmes des grandes institutions internationales et dans les projets de recherches en sciences humaines et sociales, on voit que la proscription des slums n’ est pas qu’ une exigence de similitude avec le modèle global. Elle est également en accord avec une norme morale et éthique reconnue.

107

Aperçu des Objectifs et Cibles du Millénaire selon l’ ONU Objectif 1. Réduction de l’ extrême pauvreté et de la faim. Cible 1. Réduire de moitié la proportion de pop- ulation dont le revenu est inférieur à un dollar par jour. Cible 2. Réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim. Objectif 2. Assurer l’ éducation primaire pour tous. Cible 3. Donner à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d’ effectuer un cycle complet d’  études primaires. Objectif 3. Promouvoir l’ égalité des sexes et l’ autono misation des femmes. Cible 4. Eliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaires et se condaires dès que possible, et à tous les niveaux de l’ enseignement en 2015 au plus tard. Objectif 4. Réduire la mortalité infantile. Cible 5. Réduire des deux tiers les taux de mora lité des enfants de moins de cinq ans. Objectif 5. Promouvoir la santé maternelle. Cible 6. Réduire de trois quart le taux de morta lité maternelle.

108

Objectif 6. Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d’ autres maladies. Cible 7. Stopper la propagation du VIH/Sida et commencer à inverser la tendance actuelle. Cible 8. Maîtriser le paludisme et d’ autres maladies et commencer à inverser la tendance actuelle. Objectif 7. Assurer un environnement durable. Cible 9. Intégrer les principes du dévelop pement durable dans les politiques na tionales et inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environ- nementales. Cible 10. Réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’ a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable. Cible 11. Améliorer sensiblement la vie d’ au moins 100 millions d’ habitants des bi donvilles, d’ ici à 2020.

109

De nos jours, c’ est la stratégie de réhabilitation de ces quartiers informels, qui est choisie plutôt que leur éradication. Cette stratégie permet de rendre plus acceptables les conditions de vie des citadins démunis et de minorer les risques sanitaires.30 Le réaménagement de ces territoires, en fonction de certains objectifs, permettrait ainsi de rétablir l’ ordre dans la ville et de satisfaire «nos» impératifs moraux. L’ éradication n’ a tout de même pas disparu. Ces projets qui tendent à formaliser ce qui est informel, à la fois par la planification mais aussi par la régularisation des titres fonciers, sont très délicates à mettre en oeuvre et engendrent des conséquences qui vont, une fois de plus, à l’ encontre des «visions» du gouvernement mais surtout, à l’ encontre d’ une planification harmonieuse. Une des stratégies du gouvernement pour la réhabilitation des quartiers précaires consiste à renforcer les infrastructures existantes et à en créer de nouvelles lorsqu’  elles manquent. Un exemple de mise en oeuvre est le «Slum Uprgadation Program» (SUP). Fondé en 1985, il devait permettre d’ intégrer des réseaux d’ électricité, d’ assurer l’ assainissement des eaux usées et de fournir un accès à l’ eau potable ainsi qu’ une amélioration des rues. Cependant, ce programme présentait quelques conditions qui empêchaient l’ amélioration de la majorité des slums. En effet, les terrains qui pouvaient être réhabilités ne devaient pas appartenir à des propriétaires, ils devaient être la possession de l’ Etat, ils ne devaient faire l’ objet d’ aucune prévision pour de futures projets en ces zones et finalement, la réhabilitation n’ était possible que si les lieux ne présentaient aucun danger. Les slums qui se trouvaient proche des chemins de fer, ou sur des sols instables étaient par conséquent exclus du programme. Jusqu’ à la fin de ces opérations en 1994, le programme est intervenu dans 141 slums. [T. Baitsch, 2007] La plupart des habitants de ces slums travaillaient de manière ré-

110

gulière, avaient un revenu fixe et résidaient en ces lieux depuis plusieurs années. En effet, la majorité des slums réhabilités existaient depuis plus de trente ans. Bien que le programme fût soutenu par la Banque Mondiale, une partie des investissements dut être compensée. Pour cela, le gouvernement accorda aux illégaux une permission de séjour de trente ans en échange de loyers payés régulièrement. Les individus étant en possession d’ un bail, leur statut aurait été légalisé. La majorité des habitants n’ avaient pas suffisamment de moyens pour régler le loyer imposé. En conséquence, un système de microcrédits fut instauré. Les habitants jouissaient d’  une longue période pour le remboursement, possible par petites sommes, et avec un taux d’ intérêt relativement bas. En introduisant une sécurité de tenure, les autorités prévoyaient une amélioration de la qualité des habitations précaires prises en charge par les individus. De par la formalisation de leur statut, la peur de tout perdre devait s’ atténuer et les habitants auraient dû être en mesure d’ investir dans leur logement. Seulement cette initiative ne les rassura pas et des droits de propriété furent demandés contre rémunération. Avec l’ installation de nouvelles infrastructures, la valeur des terrains réhabilités augmenta et les habitants entrevirent la possibilité d’ un éventuel bénéfice, par la vente ou la location de leur logement. De plus, le passage dans la «légalité» impliquait que tout agrandissement, passe par la voie juridique. Des transformations au fur et à mesure des nécessités et des moyens, ne pouvaient plus se faire avec la même facilité que par le passé. La satisfaction des intérêts de chacun n’ était pas possible. Les conditions imposées par le programme ne semblaient ne porter que peu de contentement. De nombreuses personnes déménagèrent pour s’ installer dans d’ autres slums. Après neuf ans d’ intervention, le programme fut loin de résoudre tous les problèmes des quartiers précaires à Bombay. Confronté à des barrières financières et à un manque de terrains dis-

111

ponibles selon les conditions énoncées plus haut, l’ intervention du gouvernement fut restreinte. Une deuxième stratégie, cette fois-ci plus récente, consiste à formaliser les parties informelles de la ville en construisant de tous nouveaux quartiers, de nouveaux logements, de nouvelles infrastructures, sur place ou ailleurs, permettant de reloger les habitants des slums. Ce programme s’ appelle le «Slum Rehabilitation Scheme» (SRS). Il est depuis 1995 «la principale politique de la municipalité de Bombay pour la résorption des slums dans le tissu urbain. [...] elle permet de financer la totalité de la reconstruction des bidonvilles par le secteur privé en mettant en place un système d’ incitations par des Droits de Développement Supplémentaires (DDS). Les promoteurs qui réhabilitent des bidonvilles sont compensés par des DDS qui leur permettent de construire plus de surface, sur le même terrain ou ailleurs selon les conditions, de vendre la surface additionnelle sur le marché immobilier et de financer ainsi la totalité des projets de réhabilitation.» [P. Giraud & P. Restrepo, 2011: 2] Seulement, les politiques publiques restent, en pratique, absentes de ce processus. [A. Desai Padma, 2009] Ce sont les promoteurs privés qui choisissent les slums à réhabiliter. Ces choix se font en fonction de l’ attractivité économique des parcelles selon plusieurs critères: la location, la taille, la topographie, la connectivité avec des axes routiers majeurs, la possibilité d’ ajouter d’ agrandir la parcelle et d’ étendre le projet dans le futur, la densité possible selon le plan de développement, le nombre probable d’ habitants, etc. La phase la plus critique du projet est l’ établissement de la liste des habitants éligibles, à savoir, quels sont les habitants du slum qui vont bénéficier de titre foncier et par conséquent être relogé gratuitement, souvent, sur place. Par exemple, les slums avec une très haute densité de population éligible et/ou basés sur des parcelles inaccessibles ou tombant sous certains règlements, ne sont pas financièrement

112

profitables pour les investisseurs privés. Par ailleurs, la mise en compétition de plusieurs investisseurs pour la même parcelle amène à des négociations avec les habitants du slum via les slums leaders, censés représenter la communauté. En effet, un des facteurs essentiels à la mise en oeuvre des projets est qu’ une large majorité, à savoir 70% des habitants du slum, y soient favorables. Dans le cas inverse, ceux-ci ne sont pas acceptés. Le but principal des investisseurs est en réalité de convaincre les habitants des bienfaits que pourrait amener une réhabilitation. Tous les problèmes à régler sont alors traités entre les investisseurs et les slum leaders. Les premières négociations s’ établissent sur la liste d’ inclusion et d’ exclusion de certains habitants, sur les documents qu’ il faut avoir pour être éligible, sur le processus de vérification des occupants et des structures. Ce fait amène alors à une prolifération de deals entre les habitants du slum, les leaders et les investisseurs alors que l’ autorité qui s’ occupent de ces projets de redéveloppement, la «Slum Redevelopment Authority», reste complètement absente dans le processus. Dans ce contexte, il y a différents types d’ habitants qui ont des modes de vie, des besoins, des pratiques différents. Il y a notamment ceux qui ont des documents valides et qui valident le projet et ceux qui ont des documents valides mais qui ne sont pas d’ accord avec les conditions de réhabilitation et qui refusent le projet. Ce groupe critique pour les investisseurs est composé en général par les habitants, souvent présents depuis plusieurs décennies, qui possèdent des surfaces d’ habitation plus grandes que celles proposées par le projet. Les gens qui ont une activité commerciale ou industrielle informelle à l’ intérieur même du slum et qui ne veulent (et ne peuvent pas se permettre) de perdre leur activité lucrative, refusent également le projet. C’ est pour cela que pour les investisseurs, un slum avec trop d’ activités commerciales et industrielles

113

n’ est pas profitable. Il y a, par ailleurs, les habitants qui doutent de la faisabilité du projet et qui vendent leurs biens et s’ en vont dans un autre slum. Il y a également les personnes qui ne sont pas éligibles. Ce groupe faible, ne possède pas de document, et ne bénéficie pas d’ une place privilégiée proche d’ un leader. Ces habitants n’ ont aucun droit et ne sont, dans la plupart des cas, même pas considérés en tant que citoyen. Les bénéficiaires de l’ éligibilité sont par conséquent non pas tellement déterminés sur un principe d’ équité mais plutôt sur des dynamiques dont le moteur principal est le profit. Comme mis en évidence, tous les habitants éligibles n’ acceptent pas forcément le schéma de réhabilitation. Une des raisons principales de l’ échec de ces projets est la difficulté des négociations avec les habitants. Obtenir 70% de voix favorables n’ est pas une tâche facile. En effet, la plupart des réponses apportées par ces projets ne permettent pas de satisfaire les résidents. La résistance de la population pose la question des modes de vie, des pratiques et des besoins *Les bâtiments de type «high-rise» sont ceux qui des habitants des slums. se caractérisent par une Les projets proposent de reloger ces habitants dans des immeubles hauteur importante, tels de type «high-rise»* avec une surface d’ environ 21m2 par logement que les gratte-ciel et les tours d’ habitation. A l’ in- [K. Sharma, 2009] mais la plupart des activités domestiques se déverse, les constructions roulent à l’ extérieur et sont possibles de par la typologie «low-rise» de type «low-rise» sont de l’ habitat informel. La surface à disposition n’ est pas limitée par constitués de quelques les quatre murs de la pièce de vie. La rue devient un prolongement étages, en général un ou de l’ habitat et fait donc entièrement partie de la sphère domestique. deux. Le tissu bâti que Ces pratiques deviennent dès lors peu probables dans des tours l’ on retrouve dans les slums est en principe d’ habitation. de type «low-rise» et se Une des conditions essentielles à la survie est, pour les habitants caractérise par une dendu slum, la proximité du lieu de travail et du lieu de vie. Les prosité très importante. On parle dès lors de typologie jets urbanistiques qui tendent à séparer ces lieux en repoussant «low-rise, high-density». les habitants des slums en bordure de la ville ou qui par exemple,

114

n’ assurent pas un espace suffisant pour la production, sont la démonstration d’ une discordance totale avec la réalité. La nécessité de proximité et le manque de place à disposition engendrent par ailleurs, une combinaison de l’ espace de vie et de l’ espace de travail. C’ est notamment cette typologie hybride qui permet aux résidents des slums de produire des biens, qui sont leur source principale de revenu et permettent ainsi leur subsistance. De plus, de tels projets de réhabilitation engendrent la destruction des relations sociales et le rapport au voisinage existant. Ils rendent les individus anonymes... L’ enjeu de ces projets de réhabilitation est de réussir à répondre à la fois aux nécessités spatiales liées aux modes de vie des habitants, aux principes moraux d’ hygiène et d’ équité prescrits par le gouvernement et les organisations internationales, et cela, tout en permettant un profit. De telles solutions architecturales et urbanistiques envisageables financièrement ne semblent pas avoir été trouvées. Lorsque des projets sont finalement mis en oeuvre, les individus non éligibles vont s’ installer dans d’ autres slums, si possible au coeur de la ville. Les résidents auxquels un logement a été attribué mais qui ne peuvent plus pratiquer leur activité économique à proximité, partent également s’ installer dans d’ autres quartiers informels. Ils ne sont en effet plus capables d’ assumer financièrement les charges liées à leur nouveau logement. De plus, s’ ils sont autorisés à les vendre, la valeur immobilière augmentée par l’ installation de nouvelles infrastructures, peut engendrer un processus de gentrification et exclure les gens aux revenus les plus bas. Les discours des concepteurs se concentrent sur la mixité en superposant des fonctions et des couches sociales, solution théoriquement exemplaire pour le bon fonctionnement d’ un quartier et par extension produire de la «ville idéale». Ils se concentrent également et même avant tout sur une densité maximale possible de manière

115

à intégrer le plus d’ individus mais aussi pour vendre un maximum de surface additionnelle sur le marché immobilier. Cette manière de faire la ville, avec les outils que sont la densité et la mixité, ne prend pas en compte les modes de vie et les pratiques de plus de 60% de la population de Bombay. Le «problème» n’ en est dès lors que repoussé. Ces stratégies de planification ne font qu’ entretenir un cercle vicieux, sans trouver de solutions réelles. La preuve la plus évidente est que si ce n’ était pas le cas, les problèmes liés aux infrastructures informelles seraient déjà résolus depuis longtemps. A l’ échelle de la ville et de sa périphérie, ces projets restent inefficaces. Nous sommes face à une impasse, mais faut-il pour autant laisser tomber? Une autre question se pose alors: quel(s) outil(s), quelle(s) donnée(s), quel(s) facteur(s) manque-t-il à la planification pour qu’ elle puisse s’ accorder avec la réalité des modes de vie?

116

Le facteur manquant

Pour pouvoir identifier ce qu’ il manque à la planification, il nous faut commencer par identifier les outils communément utilisés pour faire la ville. Le texte fondateur de l’ urbanisme est la Charte d’ Athènes de 1933, rédigée par le Corbusier et les membres du CIAM (Congrès International de l’ Architecture Moderne). Elle préconise une organisation harmonieuse des fonctions essentielles présentes sur le territoire bâti: habiter, travailler, se recréer, circuler. Bien que la définition de ces fonctions ait évolué, l’ aménagement du territoire assure toujours la coordination entre les différents secteurs concernés. Les autorités compétentes ainsi que les professionnels, tels que les urbanistes ou les architectes, coordonnent les activités qui ont des effets sur l’ organisation du territoire. Le but est un développement harmonieux en tenant compte des données naturelles, des besoins de la population et ceux de l’ économie. [M. Ruzicka-Rossier, 2005] Les outils utilisés pour la gestion du territoire sont généralement les instruments financiers, les politiques foncières et les plans. Ce qui concerne plus précisément les urbanistes et les architectes est le dernier instrument: le plan. En effet, les fonctions de la ville s’ expriment dans un plan organisé en fonction de différents usages du sol. Ces zones reçoivent une destination dont l’ emplacement et l’ étendue sont fixés d’ après leur fonction. On parle de zonage, qui est, l’ outil principale des planificateurs. Ce plan, à différentes échelles, est un instrument de navigation qui permet de faire des liens entre le présent et l’ avenir, un outils de contrôle pour faire face aux multiples pressions et un moyen de sauvegarde des intérêts publics. [M. Ruzicka-Rossier, 2005] D’ autres outils pour la planification, comme la mixité et la densité, sont également utilisés. Effectivement, «l’ observation des densités humaines et du bâti, et des mixités sociales et fonctionnelles des espaces urbains fournit des premiers indices pour

117

analyser l’ état de santé des territoires urbanisés sous l’ angle de l’ occupation du sol». [M. Ruzicka-Rossier, 2005: 53] La densité permet de mesurer l’ habitabilité d’ un espace par son intensité des contenus, la mixité permet de mesurer la même habitabilité de cet espace par le mélange des contenus mais ces indices ne renseignent en aucun cas sur les modes de vies, la mobilité des habitants, etc. [Ruzicka-Rossier, 2012] Ces possibilités de mixité fonctionnelle ne doivent pas être négligées. Mais elles restent limitées et ne sauraient former un nouvel urbanisme fondé sur la proximité. [...] La ségrégation sociale (en parlant de mixité sociale) est portée, d’une part, par des logiques économiques que des politiques urbaines et foncières peuvent pour partie contrecarrer, à condition d’y mettre beaucoup de moyens; elle résulte d’autre part, d’une logique de l’entre soi qui n’est pas si simple que cela à contester. D’un certain point de vue, il est normal en effet que les populations qui ont les mêmes aspirations ou les mêmes modes de vie se regroupent sur des territoires communs. Mais d’un autre point de vue, cette dynamique est une négation même de la ville car celle-ci n’existe et ne se développe que grâce à sa diversité. [F. Ascher, 2010: 224-227] C’ est en effet, la reconnaissance et l’ acceptation de la diversité qui permet les liens entre les hommes, à la fois entre eux, mais aussi avec le territoire bâti. C’ est en ce sens que la diversité conditionne l’ existence de la ville. La diversité informe sur une provenance et une destination. Elle introduit le temps, le mouvement et la différence et qualifie autant le contenant que le contenu. [M. Ruzicka-Rossier,

118

2012] Seulement, il n’ est pas réellement possible de l’ anticiper et il semble difficile de la définir sans équivoque. C’ est bien là que le problème se pose! Les moyens utilisés pour son anticipation sont la combinaison d’ indices mesurables: les statistiques, la densité, la mixité. Au plus grand regret des urbanistes et des architectes, le résultat semble parfois bien différent de la prévision. En effet, la diversité, surtout culturelle, ne peut être prévue ni définie de manière sûre par un rapport effectif entre la densité et la mixité projetée, et au travers de statistiques. Dès lors la question que beaucoup se posent pour pouvoir la contrôler et l’ anticiper est comment la définir concrètement. Comme le soulignait très pertinemment l’ écrivain Irlandais Oscar Wilde, «définir c’ est limiter». Définir la diversité serait par conséquent contradictoire à ses propriétés inhérentes. Toute détermination en serait incomplète! La diversité est une conséquence, un résultat, elle est présente ou absente, et dans le cas de Bombay c’ est justement elle, cette diversité, qui fait que les projets de planification sont souvent voués à l’ échec. La planification, au travers des projets tels que décrits précédemment, ne parvient pas à reconnaître de manière efficace les différences entre les modes de vie, les pratiques et les besoins d’ une quantité importante d’ individus. Tout un chacun dont le regard est aiguisé est capable de percevoir la diversité. Si, a priori, il n’ est pas souhaitable de la définir et s’ il n’ est pas possible de la prévoir sans équivoque, est-il néanmoins possible de l’ orienter? Ce qui est remarquable est que dans certaines villes, dans certains quartiers, les planificateurs essaient de produire de la diversité. Dans d’ autres, de manière consciente ou non, ils la restreignent. A Bombay, la diversité est partout! Il ne faut pas la produire. Les autorités essaient de la maîtriser, de l’ orienter et peut-être sans le vouloir, ils tendent à la réduire. La question n’ est pas de savoir s’ il y a trop ou pas assez de diversité mais plutôt de trouver les «moyens»

119

nécessaires à son orientation. Il nous semble que ce sont ces «moyens» qui manquent à la planification. Les urbanistes et les architectes, comprennent tout ce qui touche au territoire et au bâti, les structures, les infrastructures, la densité, la mixité mais les moyens qu’ ils utilisent ne semblent fournir que peu de renseignements sur les modes de vie, sur les actions et les comportements effectifs de l’ être humain. Selon nous, ce qu’ il manque sont les instruments pour comprendre ce qui permet l’ adéquation entre un lieu et ses utilisations réelles. Ce qu’ il manque est la prévision des comportements humains effectifs face à certains territoires. Par conséquent ce sont les caractéristiques socio-spatiale de l’ urbanité qui sont le facteur manquant * Au sujet d’ un nouvel à la planification! Ce n’ est que par la maîtrise de ce facteur que urbanisme, l’ architecte Rem Koolhaas parle de la l’ anticipation et l’ orientation de la diversité et par extension de la «réinvention de l’ espace ville, devient possible. psychologique» pour signifier l’ expérience de la ville vécue dans la vie quotidienne. Cette expérience porte un intérêt marqué pour ce dernier, qui affirme qu’ elle est le fond de la vie dans la Ville Générique, sorte de flux instable recelant une multitude de variations subtiles, mais qui se bute constamment aux contours homogènes et aseptiques de l’ architecture fonctionnelle. Il voyait dans le terrain vague l’ occasion de mettre en scène cette instabilité comme pures potentialités de la vie. [S. Lafontaine, 2012]

Seulement comment comprendre les caractéristiques de ce qui pourrait aussi être désigné comme étant un espace psychologique*? Le géographe Jacques Lévy propose deux options. «Soit comprendre signifie faire fonctionner son empathie avec autrui. On ne pourrait alors se représenter que ce que l’ on est capable de vivre, au moins virtuellement, en «se mettant à la place» des sujets observés.» Comme relevé précédemment, l’ homme et plus précisément le planificateur, ne possède pas de préceptes visuels pour une telle compréhension. [R. Sennett, 1990] La deuxième option proposée par le géographe, et celle qui nous semble la plus pertinente, est que «comprendre consisterait à traiter une réalité éventuellement très différente du contexte où se meut le chercheur en démontant les logiques internes. Dans ces conditions, il paraît plus judicieux de se référer à une naturalité des hommes, que les sociétés traitent, dans ses divers aspects, de mille manières différentes, qu’ à une «nature humaine» substantielle qui serait opposable point par point à la culture». [J. Lévy, 1999: 90] On parle plus de différences, surtout culturelles, de

120

comportements divers, plutôt que d’ un langage commun à toutes les sociétés. Il faut, pour les planificateurs, s’ éloigner des mesures habituelles! Et c’ est en effet, au travers de l’ urbanité qui dans sa définition intègre la pluralité des expressions humaines et l’ espace dans lequel elles se meuvent qu’ une compréhension et qu’ une orientation de la diversité est possible. Puisque dans le cadre de ce travail cette urbanité est l’ expression de la spatialité urbaine de la société indienne, c’ est de la dimension culturelle de la diversité dont nous parlerons. La diversité culturelle n’ est pas uniquement à comprendre de manière biologique, il faut ici adopter une vision aussi large que possible à savoir, «l’ ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social».31 Il apparaît désormais que la culture est mieux comprise comme un processus : les sociétés changent selon des chemins qui leur sont propres. Il serait dès lors vain de chercher les fondements de l’ urbanité indienne par une approche culturaliste, basée uniquement sur les anciennes traditions. Il ne sera pas non plus question de prêter des intentions pernicieuses aux modèles de planification «universels» importés à Bombay. En effet, il ne s’ agit pas d’ associer les processus de mondialisation et d’ occidentalisation à l’ homogénéisation culturelle. «Les transferts de cultures supposent invariablement des processus d’ adaptation et les ancrages culturels sont souvent très profonds et échappent dans bien des cas aux influences exogènes.»32 Pour le cas de Bombay, il est également intéressant de noter le rapport entre diversité culturelle et pauvreté urbaine. Les conceptions culturelles déterminent la manière dont la pauvreté est comprise et vécue. «C’ est souvent la perception que l’ on a des pauvres et par extension la perception qu’  ils ont d’  eux-mêmes qui les relègue

121

dans des situations d’ infériorité et qui constitue un obstacle majeur au renforcement de leur autonomie.»33 C’ est en effet, de par la reconnaissance de la diversité culturelle qu’ un renforcement des capacités est possible et qu’  éventuellement, se trouve l’  espoir d’ une émancipation.

122

2. Territoire d‘ urbanité

...à la recherche d’ une réalité à travers la marge.

Dans ce deuxième chapitre, nous nous concentrerons sur la recherche de l’ urbanité indienne dont la manifestation la plus remarquable ne peut se faire que lorsque les pratiques ne sont pas influencées par un modèle importé et/ou imposé. Nous parlerons de ces synonymes que sont la marge, l’ informel et les slums. Ce sont en effet les parties de la ville qui se trouvent «hors plan» qui sont les plus pertinentes pour la recherche des caractéristiques du territoire culturel de la société indienne. Cela s’ avère d’ autant plus dans un contexte où un modèle universel de ville essaie de s’ implanter dans le paysage urbain de Bombay. A l’ aide de la planification, des dogmes urbanistiques venus «d’ailleurs» tentent coûte que coûte de s’ imposer, masquant ainsi les expressions de l’ urbanité indienne. Nous allons par conséquent chercher ces réalités au travers de cette marge qui plus communément est appelée «informalité» dont les slums sont la matérialisation la plus évidente.

126

figure 14

le slum de Dharavi

Slumbay

A travers l’ iconographie de la Mégacité

Dans les modalités de représentation et dans le discours populaire, le slum est la figure d’ expression par laquelle on désigne les villes dites «émergentes» des pays du sud. De la même manière que la Tour Eiffel est représentée pour désigner Paris, le slum est une figure métonymique qui représente la ville de Bombay. C’ est de cela qu’ est né le nom de Slumbay pour illustrer cette ville. Le slum devient wwune icône à travers la médiatisation croissante et la reconnaissance des problèmes de sous-développement, de pauvreté, de toxicité environnementale et de maladies. La Mégacité est également un métonyme pour désigner les villes sous-développées et le slum représente l’ icône par excellence de la cristallisation des conditions urbaines et humaines abjectes. [A. Roy, 2011] Ananya Roy, professeur à Berkley dans la chair de planification urbaine et régionale, tente de modifier au travers de son travail, les modalités d’ analyse et de représentation des villes émergentes dans la recherche urbaine et dans le discours populaire. Conformément à ses recherches, le slum est en effet devenu l’ itinéraire le plus commun à travers lequel la Mégacité est reconnue. Elle n’ utilise pas le mot itinéraire au hasard car la figure du slum, de par sa médiatisation, est devenue un lieu de transit touristique dont l’ exemple le plus concret sont les «Slum Tours». Ce phénomène est notamment présent à Dharavi présenté comme le plus grand slum d’ Asie. Ces visites «éthiques», guident les touristes dans le slum décrit comme étant une place d’ extrême pauvreté, mais également comme le lieu d’ un entrepreneuriat extraordinaire, un lieu de vie, de gaieté... L’ argent récolté par l’ organisation est reversé au bénéfice de l’ éducation des habitants de ce slum. Dans ce contexte, Roy parle de «pornographie de la pauvreté». Avec la médiatisation dont les slums sont le nouveau sujet, il n’ est plus nécessaire de se rendre à Bombay pour entrevoir cette

130

figure 15

slums

* «Ce film retrace l’ histoire de Jamal Malik, un jeune orphelin de 18 ans vivant dans un des bidonvilles de Mumbai. Un jour, il remporte 20 millions de roupies lors de la version indienne de l’ émission « Qui veut gagner des millions? ». Sa vie va basculer... Seulement, personne ne le croit : comment peut-il connaître toutes les réponses de ce jeu? Est-ce un génie ou un tricheur ? Le fait est d’ autant plus étrange que Jamal n’ est jamais allé à l’ école. Troublant !»www. zoom-cinema.fr «Slumdog Millionnaire a reçu 26 prix et 17 nominations, dont 4 Golden Globes, 7 BAFTA et 8 Oscars lors de la 81e Cérémonie des Oscars.» www.m6.fr

«réalité». Par exemple, avec le film de Danny Boyle intitulé Slumdog Millionaire*, en passant par le dégoût et l’ émerveillement, toutes les «variétés» des slums de Bombay sont combinées en une seule composition. Il faut dépasser ces formes de reconnaissance du slum pour entrevoir l’ urbanité indienne. De la représentation apocalyptique des slums et leur victimisation par l’ historien et sociologue Mike Davis, dans son ouvrage intitulé «Le pire des mondes possibles»; en passant par les nombreux articles dépeignant les habitants des slums comme des «entrepreneurs héroïques»; à la définition de l’ informalité comme étant l’ habitus des plus défavorisés et une lutte constante pour la survie, cette reconnaissance des slums ne parvient pas à aller au delà d’ une vision dichotomique qui opposerait le «bien» et le «mal», les pauvres et les riches... En faisant appel à des impératifs moraux et à l’ éthique issue d’ une certaine manière de penser le monde, de telles estimations ne permettent pas de dépasser les controverses issues d’ une compréhension binaire de la ville. Il n’ est pas question de cautionner la pauvreté, l’ inégalité et l’ injustice, ni d’ enlever toute légitimité à ces visions. Il est simplement question de se détacher de ces discours qui, confrontés aux réalités effectives, sont sans issue et stériles. Ananya Roy lance un appel à une autre forme de reconnaissance. Il faut comprendre l’ informalité comme un idiome d’ urbanisation, une logique particulière à travers laquelle des valeurs spatiales sont produites et gérées. [Roy et AlSayyad, 2004] Un idiome (du grec idios signifiant « propre », « spécial ») est l’ ensemble des moyens d’ expression (langue, mode de pensée) d’ une communauté considéré dans sa spécificité.34, 35 Plus que d’ idiome d’ urbanisation, nous parlerons d’ idiosyncrasie**, qui induit la dimension comportementale. En effet, par ce terme nous

132

qualifierons un comportement particulier en relation à l’ espace, propre de la société indienne, face aux influences de divers agents extérieurs. Dès lors, l’ informalité ne se restreint plus à la pauvreté et aux slums et, peut-être comprise comme une manière différente de vivre et de produire la ville.

133

**Idiosyncrasie est une ou plusieurs prédisposition particulières de l’ organisme qui fait qu’ un individu réagit d’ une manière personnelle à l’ influence des agents extérieurs. Avec ce terme, on peut désigner également le caractère psychique propre à chaque individu, à un groupe d’ individus ou à une culture. 36, 37

L’ informalité comme synonyme de marge

Dans ce travail, la définition de l’ informalité ne tend pas à faire un listing de tout ce qui est hors norme à Bombay mais plutôt, de comprendre les origines et les raisons de l’ existence de la marge pour pouvoir se détacher des discours habituels. C’ est ainsi qu’ une manière différente de vivre et de produire la ville pourrait être reconnue. Plusieurs interrogation se posent désormais. Comment la marge est-elle désignée en tant que telle? Est-t-elle de la ville? Quelle est son origine? L’ informel est-il caractérisé par une absence de forme? Est-il possible d’ énoncer les caractéristiques de la spatialité urbaine à partir de la figure du slum? Pour répondre à tout cela, il faut commencer par comprendre ces termes ainsi que leur origine structurelle. forme 38 Apparence, ensemble de traits caractéristiques qui permettent à une réalité concrète ou abstraite d’ être reconnue. Qualité d’ un objet, résultant de son organisation interne, de sa structure, concrétisée par les lignes et les surfaces qui le délimitent, susceptible d’ être appréhendée par la vue et le toucher, et permettant de le distinguer des autres objets indépendamment de sa nature et de sa couleur. formel 39, 40, 41 Selon les conventions, le formel est ce qui est formulé avec précision excluant toute incertitude, sans équivoque, qui existe de façon déterminée. De ce point de vue, l’ ordre est une caractéristique inhérente à la formalité. Ce qui est formel se rapporte habituellement à ce qui est officiel, aux conventions, aux normes. Le formel est par conséquent ce qui est standard. De cette manière, la définition du formel présume qu’ il y a une bonne et une mauvaise manière de faire les choses.

134

Le formel concerne également la forme, la structure plastique. Plus d’ importance est donné à l’ apparence qu’ à l’ essence. informel 42, 43 L’ informel est l’ antonyme de ce qui formel. C’ est ce qui n’ est pas établi, construit selon une forme prescrite ou reconnue; ce qui est non-officiel, sans ordre. Ce qui est dégagé de tout formalisme, de toute structuration ou institution officielle. Les termes formel et informel sont utilisés pour décrire et théoriser non seulement l’ aspect physique des villes mais aussi leur dimension socio-politique et économique. De manière théorique, «l’ ordre» est une caractéristique inhérente des formes architecturales et urbanistiques dites «formelles» ainsi que de l’ organisation sociale, politique et économique formalisée. L’ informel est tout ce qui leur est opposé. Cependant, les tentatives de définition du formel et de l’ informel provoquent des tensions. [M. Laguerre, 1994] Le formel et l’ informel sont des termes relativement nouveaux en architecture. Seulement, le conflit qu’ ils essayent de représenter ne permettent pas une appréhension complète de la réalité. [M. Laguerre, 1994] En effet, l’ approche et la compréhension dichotomique de ces termes est réductrice. Les architectes et les historiens de l’ architecture se sont appropriés la formule du formel et de l’ informel pour théoriser ce qui les concerne: la forme des bâtiments et, par extension, la forme de la ville. Dans le discours habituel, le formel tend à désigner les édifices qui ont été conçus par des architectes, ingénieurs, urbanistes, et les parties de la ville qui ont été planifiées. L’ informel, d’ autre part, représente toutes les infrastructures et les parties de ville qui ont été développées sans la participation de professionnels reconnus. [F. Hernández & P. Kellett, 2010]

135

En architecture, l’ informel est donc un terme dérogatoire utilisé pour écarter tout ce qui échappe au contrôle de l’ architecture, à la planification et par conséquent à la norme. D’ un point de vue structurel (et non géographique), la ville se divise en deux régions: une antérieure et une postérieure.[E. Goffman 1963; A. Giddens, 1984] La région antérieure est le lieu du secteur formel. Elle est le centre du courant culturel dominant qui, quantitativement, n’ est pas forcément représenté par la majorité. [M. Laguerre, 1994] Cette région occupe l’ espace central. La région postérieure se manifeste de manière périphérique. Elle est le lieu du secteur informel. La région antérieure utilise le centre de pouvoir pour contrôler, contraindre, contenir et discipliner la région postérieure. Cette dernière, à son tour, utilise ou développe un système de pratiques informelles pour contourner le contrôle de la région antérieure. De manière structurelle, une chose peut-être périphérique seulement en relation à un coeur ou à un système central. Le centre fixe les standards et de par son existence, induit une «périphéricité». De fait, le système informel est périphérique, non pas forcément à cause d’ une dimension erronée, mais simplement par manque de correspondance à la norme. Par conséquent, le système formel définit l’ informalité dans l’ élaboration de ses propres frontières. L’ un n’ existerait pas sans l’ autre. Cela signifie que la marge, définie en tant que telle, n’ existerait pas sans la norme. Les slums émergent en effet au travers d’ un processus de marginalisation. Durant l’ ère coloniale, les fronts pionniers imposèrent aux natifs un système légal, rendant ainsi le système préexistant illégitime. La super imposition du mode capitaliste de production a évincé de sa réalité le mode traditionnel de production. [I. Wallerstein, 1976] La plupart des institutions existantes avant la

136

colonisation sont devenues informelles. Elles ont par conséquent été définies comme telles par le pouvoir conquérant. Il y a ainsi un point où la marge émerge. C’ est ce que nous appelons les origines structurelles de l’ informalité. Cela consiste en trois processus: un commencement, une séparation et une relation. Le commencement se réfère principalement à la naissance du système (création de la ville officielle par les Anglais); la séparation est celle de différents domaines à l’ intérieur du même système total (ville coloniale/ville indigène); et finalement, la relation impliquant les conditions de l’ existence de l’ un pour la production de l’ autre (ville légale/ville illégale). L’ informalité doit par conséquent être comprise comme une réalité ne pouvant être séparée de l’ ordre formel. On parle dès lors de deux ordres qui constituent, nourrissent un continuum, un seul système: la ville. Pour influencer ce système, composé de normes et de marges, il semble dès lors beaucoup plus pertinent de travailler sur une remise en question de ce qui semble être une «utopie irréalisable»: la «ville à venir»! L’ informalité ne manque pas de forme, elle est juste non planifiée et parfois illégale. C’ est dans le sens où elle est un écart aux modèles universels, qu’ elle permet une réalité culturelle indienne de s’exprimer. Par conséquent, le slum peut nous conduire à un modèle indien de production de la ville. Nous insistons sur le terme de production qui parle d’ un processus, d’ une action, d’ un mouvement, d’ une manière de faire et de vivre la ville, de l’ idiosyncrasie... Nous ne parlons pas de la forme d’ un produit fini, d’ un résultat d’ urbanisation qui ne saurait être séparé des moyens économiques et matériels à disposition car dans un tel cas, les caractéristiques de la ville indienne risqueraient d’ être assimilées et limitées à la forme des slums, ce qui serait un processus antagoniste à l’ objectif fixé.

137

Pour illustrer la relation qu’  entretiennent le formel et l’  informel dans la ville de Bombay et dans les villes indiennes en général, l’ architecte et urbaniste Rahul Mehrotra, parle de deux composantes qui occupent le même espace physique. Le premier est la ville formelle qu’ il appelle la ville statique. Construite en matériaux permanents, elle se caractérise par sa monumentalité et une forte présence symbolique. La seconde est la ville informelle, aussi appelé la ville cinétique. Cette dernière est perçue comme une ville en mouvement — se développant de manière incrémentale — la ville cinétique est temporaire par nature et souvent construite avec des matériaux recyclés. Elle se modifie et se réinvente constamment. Cette ville cinétique est perçue non pas au travers de l’ architecture, mais en termes d’ espaces qui supportent des valeurs associatives et supportent la vie. C’ est le schéma d’ occupation d’ un espace qui détermine sa forme et sa perception. L’ architecte et urbaniste parle d’ «urbanisme indigène» qui fonctionne selon des logiques locales. Il précise que la ville cinétique ne peut qu’ être attribuée à la ville des pauvres, aux slums. Elle est plutôt caractérisée par une articulation et une occupation de l’ espace qui sont temporaires. Elle est porteuse de diversité, et suggère la manière dont les limites spatiales sont déployées pour inclure des situations formellement non imaginées dans un environnement dense. En d’ autres termes, la ville cinétique est caractérisée par la créativité et engage le caractère d’ une expression culturelle indienne propre à la dimension locale de la ville. Ces deux mondes — le statique et le cinétique — occupent le même espace mais le comprennent, le gèrent et le partagent différemment. Pour qu’ une harmonie soit présente et permette à la ville d’ exister, il faut, en tant que planificateur, réussir à s’ engager à la fois avec la ville statique, formelle, et la ville cinétique, informelle, en termes égaux! [R. Mehrotra, 2008]

138

Cependant, un dilemme se pose pour le planificateur. Celui d’ être confronté à son propre statut. En effet, que pourrait faire d’ autre, un planificateur, que de planifier? Or, si ce qui caractérise la ville informelle selon sa définition est justement la non planification et que le planificateur persiste à organiser la ville selon les principes habituels, toute intervention au niveau de son engagement avec la ville cinétique est vouée à l’ échec. Dans cet exercice, le planificateur ne pourra pas s’ engager avec la ville informelle sans la formaliser. S’ il renonce à planifier la ville informelle, il perd sa raison d’ être. Dans tous les cas, faire le choix de persister et d’ abandonner n’ est pas possible simultanément. Les architectes et les urbanistes sont face à un dilemme moral, ils doivent faire un choix, celui de formaliser l’ informel ou alors de ne rien faire. Mais ils ne peuvent pas faire les deux à la fois. D’ une manière ou d’ une autre, la solution ne sera pas satisfaisante. Le challenge est ici de réussir à dépasser le dilemme présent pour être en mesure de faire un choix différent: celui de produire la ville pour la Ville en allant au-delà d’ une compréhension antithétique du contexte urbain et, en évacuant les oppositions — riche et pauvre, formel et informel, ordre et chaos, bien et mal — en parlant plutôt de différences. Il faut donc persister et s’ engager avec la ville, mais autrement. Dès lors de quelle(s) manière(s) les planificateurs peuvent-ils comprendre les différentes composantes présentes à Bombay? Comment ces composantes peuvent-elles, en même temps, participer au processus de globalisation et se reconfigurer spatialement et socialement? Pour répondre à ces questions et trouver la clé d’ une harmonie urbaine, notre point de départ est l’ idiosyncrasie.

139

figure 16

femme et enfant dans la rue

Au travers d‘ une marge

L’ idiosyncrasie comme point de départ

La stratégie la plus stupide (et généralement la plus adoptée) consiste à essayer de résister à ces lois de la nature: contre vents et marrées, il y a pourtant des choses qu’ on ne peut pas faire! ... C’ est la raison pour laquelle j’ essaye d’ insister [...] sur l’ existence de ces lois naturelles qui gouvernent les sociétés, et contre lesquelles nous ne pouvons rien faire, sinon chercher à nous adapter. Connaître ces lois de la nature, c’ est éviter les efforts infructueux, trop souvent déployés pour résister aux faits, et cela permet d’ écarter les utopies irréalisables, d’ autant plus nocives qu’ elles enlèvent tout crédit aux utopies réalisables. [Y. Friedmann, 1976: 184] Ce sont les utopies universelles que Yona Friedmann qualifie d’ irréalisables. Dans ce qu’  il qualifie d’  universel, nous entendons l’  application d’  une manière commune, en fonction d’  un modèle, de faire la ville. Cette utopie unique, supérieure aux autres est selon lui autodestructrice. Puisqu’ elle a pour but l’ impossible, «elle passe à côté de la voie réalisable (la multiplicité de utopies), sans l’ apercevoir». [Y. Friedmann, 1976: 68] Selon lui, la clé de ce qui est réalisable résiderait dans la coexistences de la diversité. Cela fait écho à la problématique d’ application d’ un modèle idéologique, sur lequel s’appuyer pour l’ aménagement du territoire de Bombay. Nous parlons d’ idéal, justement parce que la planification se base, pour faire ses plans, sur des éléments qui correspondent à une idée de ce que devrait être une ville. Cette idée est difficilement réalisable à l’ échelle de la ville et ne dépasse pas le stade de l’ imaginaire: la pauvreté n’ a pas diminué, au contraire; les slums font toujours largement partie du paysage urbain de Bombay.

142

Selon notre hypothèse, c’ est uniquement dans l’ accord entre l’ idéal — ou en d’ autres termes, l’ idée de la ville — et la réalité que se trouve la solution. Puisque les projets qui tendent à normaliser la marge, à formaliser l’ informel, échouent et que la planification telle qu’ appliquée par les autorités à Bombay, ne saurait parvenir à correspondre à l’ image désirée, il devient essentiel de remettre en question la stratégie empruntée par les autorités. Ce n’ est, en effet, que dans l’ harmonie entre ce vers quoi tend la ville et les individus qui y habitent, que se trouve la réponse à la planification de Bombay. De cela, peut naître une nouvelle stratégie d’ intervention en termes urbanistiques et architecturaux: l’ attention des professionnels ne doit pas porter sur les slums, mais sur autre chose, à savoir la remise en question des composantes formelles du système. Nous pensons, comme Y. Friedmann, que le point de départ de cet «autre chose» est la reconnaissance des ces lois naturelles, à savoir, la reconnaissance de l’ idiosyncrasie. Il nous serait périlleux de définir ces lois de la nature. En revanche, il est tout à fait possible de les saisir, par l’ observation de leur expression dans le paysage urbain. Tout individu, jouit de prédispositions particulières, à la fois personnelles et culturelles, qui le font réagir d’ une façon qui lui est propre, à l’ influence de certaines composantes de la ville. En termes d’ urbanisation, ces réactions se manifestent par des groupes d’ individus qui produisent la ville d’ une certaine manière, en fonction de leurs moyens et des nécessités, que l’ ordre formel n’ arrive pas à satisfaire. L’ idiosyncrasie se perçoit au travers des pratiques et de la valeur d’ usage donnée à l’ espace. Il s’ agirait par conséquent de chercher la ville par ce qu’ elle est réellement vécue et non dans la planification productrice de normes. Il faut chercher la ville dans ce qu’ elle a de non-institutionnalisée.

143

«Il faut la dépasser comme une entité globale et sa description à travers des catégories construites de l’ extérieur, pour s’ attacher à l’ individu, au domestique, au quotidien, à la situation et à la relation. [...] Le slum, né comme une négation de la norme, se retrouve alors au centre.» [O. Louiset, 2011: 64] C’ est par conséquent, grâce à la figure du slum qu’ il nous sera possible d’ identifier les caractères de l’ urbanité indienne. A travers le slum indien — qui mêle la question du social et la pauvreté, la question culturelle et religieuse, la question politique du poids de vote et des leaderships — qu’ il nous sera en effet possible de chercher les fondements de la ville indienne, démarqués des mesures habituelles de l’ urbanisation et par conséquent de mettre en évidence son urbanité.

144

Slum, espace et société

Bien que le slum soit caractérisé par une majorité de groupes avec peu de moyens financiers et situés au plus bas de la hiérarchie religieuse hindoue (intouchables, tribaux, chrétiens, musulmans), l’ attribution d’ un espace à une certaine identité, comme celle établie par le lien entre pauvreté, castes basses et quartiers précaires présente quelques points critiques. [O. Louiset, 2011] Les représentations que nous pouvons avoir de l’ organisation de la société indienne sont plus complexes que ce qu’ il y paraît. C’ est le mot unique «caste» qui est repris pour expliquer les catégories de «varna» et de «jati». Cela ne suffit pas. Les textes védiques* indiquent «quatre couleurs» ou varna, respectivement du plus haut au plus bas dans la hiérarchie des castes: les brahmanes; les kshatriya; les vaishya; les sudra. [O. Louiset, 2011] À côté du système de varna existe un autre découpage de la société indienne, les jati, au nombre de 4’ 635. Ce système désigne les métiers, voire même la corporation des métiers, et signifie en hindi «là d’ où l’ on vient» c’ est-à-dire la naissance. [P. Van der Veer, 1985] Le fonctionnement primordial de la société indienne ne se fait pas par une hiérarchisation verticale selon les varna, mais par une organisation horizontale, celle des jati. Ceci explique le fait que l’ on peut être brahman et éboueur à la fois. [P. Van der Veer, 1985] On voit que la pauvreté a dépassé les limites de la caste, puisqu’ un brahman, situé hiérarchiquement au sommet des castes, n’ est pas forcément riche et peut vivre de manière plus ou moins précaire. L’ évidence d’ un lien entre le statut socioéconomique et le statut socio-religieux ne peut pas être énoncée de manière certaine. Ce sont principalement les jati qui organisent la société indienne, indépendamment du statut socio-économique. Par ailleurs, en raison de leur aspect extérieur et des principes d’ autonomie basés sur la production et l’ industrie, les slums sont souvent assimilés à des villages urbains. De par sa définition, le village est considéré comme un quartier d’ une ville, généralement compris

145

* Les textes védiques proviennent du terme Vedas qui signifie «vision» ou «connaissance». Cette « connaissance révélée » a été transmise oralement de brahmane à brahmane au sein du védisme, du brahmanisme, et de l’ hindouisme jusqu’ à nos jours sur une période indéterminée. Elle a été retranscrite en différents recueils qui traitent du rituel et de la philosophie. Ce corpus littéraire, un des plus anciens que l’ on connaisse, est la base de la littérature indienne. Les textes védiques sont considérés par les hindous comme la source première de toute connaissance et le fondement sacré de leur religion. « La tradition du chant védique » a été proclamée en 2003 puis inscrite en 2008 par l’ UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’ humanité.44

comme étant un groupe d’ habitations assez important pour former une unité administrative, religieuse ou tout au moins pouvant avoir une vie propre.45 De l’ artisanat jusqu’ aux liens communautaires, les habitants des slums reproduisent apparemment le schéma villageois à l’ intérieur même de la ville. Selon ces discours, le mode de vie traditionnel indien, irait de pair avec la ruralité et à l’ encontre de la ville. [O. Louiset, 2011] C’ est en effet, ce qu’ on retrouve dans l’ approche culturaliste de Gandhi qui pose l’ authenticité villageoise comme incompatible à la ville. [O. Louiset, 2011] De telles approches associent les notions de quartier, d’ autonomie, et d’ identité fondée sur un territoire délimité, voir ségrégé, et sur la communauté présente à l’ intérieur même du slums. Il nous faut revenir sur ces conceptions. Premièrement, dans la pensée indienne la dimension rural/urbain n’ existait pas avant son importation par les occidentaux. «La structure forte oppose plutôt l’ espace habité et la forêt (ce que nous appellerions nature).» [O. Louiset, 2011: 50] Dans l’ espace idéologique de base, la ville n’ est pas distinguée par une qualité particulière comme la cité, lieu de civilisation. Il nous faut deuxièmement revenir sur la particularité du village indien. A l’ origine, il était organisé selon une hiérarchie socio-spatiale, définie selon une relégation des castes. C’ est par ce modèle que les inégalités et les écarts entre les groupes sociaux ont surtout été reconnus. En effet, dans le village «les castes hautes occupent le centre défini par un temple, les autres jati s’ installant dans des quartiers de plus en plus périphériques au fur et à mesure que l’ on descend dans la hiérarchie. Les groupes occupant le statut le plus dévalorisé sont même repoussés dans des hameaux situés à quelque distance du village principal». [O. Louiset, 2011: 49]

146

Dans ce modèle idéal traditionnel du fonctionnement de la société indienne, il est possible de désigner un groupe en fonction du territoire qu’ il occupe par rapport aux concepts de centre/périphérie qui rend compte de la hiérarchie et d’ un modèle éthologique qui attribue un territoire à chaque groupe individualisé. [O. Louiset, 2011] Il n’ en est rien dans le slum, ni dans la ville d’ ailleurs, et cela ne relève pas du au fait que le système de caste ait été juridiquement aboli. Il persiste en effet encore fortement dans la vision du monde hindou. [A. Karkun, N. Belhoste & B. Fernandez, 2008] Les explications se situent ailleurs et sont bien plus complexes. En réalité, dans la ville et dans le slum, la correspondance identité/ territoire n’ est pas clairement lisible car l’ identité est premièrement attachée au groupe, notamment à la jati, et non au quartier. On parle par conséquent d’ une société qui fonctionne en réseau. C’est pourquoi, le dessin du territoire administratif ne correspond pas exactement au territoire culturel. Un quartier ne se définit pas comme l’ aire d’ une localisation d’ un groupe, mais semble plutôt s’ instituer comme un voisinage, possible ou impossible. [...] La traduction des réseaux de la société en territoires, implicite dans la formulation de la ville par des «murs» de la cité et des limites «communales», pourrait bien ne pas convenir pour exprimer la relation établie entre société indienne et son espace. [O. Louiset, 2011: 125-126] Ceci explique la présence de la même jati dans deux ou trois quartiers différents et l’ acceptation de la proximité d’ éléments, architecturaux ou non, qui nous semblent insolites et qui s’ expriment, justement, en fonction de ce voisinage possible. Dans le slum, la

147

** L’ adjectif topologique est ce qui est relatif à la topologie. «Le mot « topologie » vient des noms grecs topos et logos qui signifient respectivement lieu et étude. A la différence de la topographie — (du grec topos et graphein, respectivement lieu et dessiner) qui est l’ art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain — la topologie est l’ étude des propriétés combinatoires d’ objets, c’ est-à-dire l’ étude de leurs positions relatives dans l’ espace.46, 47, 48 Une organisation toplogique est donc une organisation d’ éléments combinés selon certains principes.

«logique d’ entre soi» se révèle spatialement de manière différente: ce qui façonne l’ identité, est principalement le groupe et non pas l’ espace représenté par le quartier. On parle plutôt d’ une organisation topologique** qui se manifeste sous la forme d’ un réseau, que sous celle d’ une organisation topographique, qui lie l’ individu relativement à la configuration d’ un lieu de manière alvéolaire ou auréolaire. [O. Louiset, 2011] Entre le slum et le reste de la ville, les limites sont étanches. Par conséquent, la relation entre identité et espace se construit de manière différente de celle qui fonctionne en occident, où le quartier «reste pour les habitants un support d’ identité collective». [F. Ascher 2010: 244] Ceci nous rend attentif à la prudence dont  il faut faire preuve lorsque l’ on parle de concepts empruntés telles que ségrégation ou ghettoïsation, ou lorsque l’ on pose le village indien comme modèle de la culture indienne. Le slum ne correspond pas réellement à un village traditionnel indien: son organisation sociospatiale est différente, et puisqu’ il est un objet ouvert, il n’ est pas indépendant de la ville. De ce point de vue là, c’ est bien parce que le slum est une figure urbaine qu’ il est possible de chercher les fondements de l’ urbanité indienne démarquée des mesures habituelles de l’ urbanisation occidentalisée.

148

De sphères et de lieux

L’ organisation de la société indienne se fait de manière réticulaire. Et c’ est justement là que se pose l’ un des problèmes de sa compréhension. Avec les instruments de planification habituels, il nous est impossible de comprendre ce type de fonctionnement. Cet état de fait apparaît de toute évidence avec «nos» métropoles occidentales. Avec l’ émergence des technologies de l’ information et de la communication (TIC) et avec le développement de la mobilité dans nos sociétés, on peut distinguer la «déségrégation des anciennes couches sociales et leur remplacement par des modes de vies individualisés, la dislocation des structures de communication locale au profit d’ une différentiation de réseaux constitués autour des statuts et des modes de vies». [T. Sieverts, 2004 : 92] Les professionnels de la ville sont de moins en moins capables de saisir le fonctionnement de la société et par conséquent de la planifier. En effet, même en occident, le quartier devient de moins en moins un lieu spécifique à la vie urbaine. [F. Ascher, 2010] Pour parler de ce type de relations, il est préférable de parler de voisinage, dans le sens où cette notion se rattache plus aux individus faisant partie d’ un entourage, à l’ inverse du quartier qui fait directement référence à un territoire. «Cette observation de la déségrégation des caractères traditionnels de la société confirme la thèse selon laquelle il existe une fracture entre structure sociale et structure spatiale. [...] Ces structures sociales émergentes ne parviennent plus, comme par le passé, à se superposer sans rupture aux images de l’ ordre spatial existant. [...] Cette évolution conduit à la déségrégation de la ville et de la commune et tant qu’ unités socioculturelles [...]» [T. Sieverts, 2004 : 92] De ce point de vue, nous pourrions dire que le fonctionnement de la société indienne est hypermoderne puisqu’ elle n’ a

149

* Ce point de vue intéressant et contre toute attente, mais nous n’ allons pas le développer.

pas attendu ces nouveaux moyens de communication pour se développer de cette manière.* La carte et le zonage ne sont pas (et n’ ont jamais été) capable de représenter la spatialité indienne ni d’ ailleurs d’ y «mettre de l’ ordre». La planification, telle que nous la connaissons et la produisons, est par conséquent, impossible! Ceci explique, notamment l’ image passablement brouillée que nous avons lorsque nous essayons de cerner l’ urbanité indienne à travers le plan et la ville fonctionnelle. Nous devons trouver d’ autres «moyens» de la comprendre. La structure de l’ urbanité indienne pose alors la question suivante: comment s’ exprime la société indienne au travers de son espace physique si, comme nous l’ avons vu, nous ne pouvons assimiler un territoire délimité géographiquement et administrativement à une identité? Est-ce que le territoire culturel est impalpable? De toute évidence, tout individu, aussi indien soit-il, est une entité physique qui vit, agit, sur une portion plus ou moins vague du territoire (au sens matérielle du terme). Il y a donc bien des espaces physiques produits par cette société et des lieux qui supportent les pratiques indiennes. Un autre fait que nous pouvons affirmer est que si, en effet, c’ est bien le réseau qui définit les pratiques sociales, elles devraient s’ exprimer sur un ensemble de différents lieux reliés entre eux. Par conséquent ce qui constitue le territoire culturel est palpable, même si difficile à délimiter. Pour identifier ces lieux, nous parlerons de sphères qui représenteront un espace dans lequel se manifestent un ou plusieurs phénomènes. Il ne s’ agira pas de mesurer cet espace, ni de le retranscrire par un dessin, un plan ou une carte. Ceci s’ impose si l’ on veut comprendre les caractéristiques de l’ urbanité indienne et ne pas les limiter à celles des quartiers précaires.

150

Dans ce contexte, la sphère est un espace topologique dans lequel s’ entremêlent différentes pratiques. Dans le cas de la figure du slum, différentes sphères qui constituent la vie quotidienne et façonnent les identités, peuvent être identifiées: la sphère domestique, la sphère économique, la sphère politique, la sphère sacrée et la sphère publique.

151



La sphère domestique

Il n’ est pas possible de regrouper la typologie des infrastructures informelles en une définition. Il y a une multitude de constructions et de styles différents. Les structures sont construites hors planification, sans architecte, souvent à l’ initiative des habitants, et parfois même par des entreprises dont le statut n’ est pas reconnu. [M. Echanove, 2012] L’ autoconstruction et le développement incrémental sont les caractéristiques principales de ce type de logements: une construction va être entreprise; au fur et à mesure que les moyens financiers deviennent disponibles, la construction se développe, s’ agrandit, s’ élargit, se transforme; un étage est rajouté. Chaque logement à une histoire différente. Le paysage informel bâti est en changement perpétuel, il est jour après jour réinventé. Les propriétés spatiales de ces différentes sphères ont deux caractéristiques fondamentales qu’ il faut relever. La première est que ces sphères doivent être comprises comme faisant parties d’ un ensemble puisque les activités de la vie quotidienne sont mutuellement interdépendantes. En effet, lorsque la place manque pour l’ une ou l’ autre des activités, le même espace peut être ajusté pour une activités différentes qui, peut-être, appartiendra à une autre sphère. Cette caractéristique devient plus claire lorsque confrontée aux propriétés spatiales de la sphère domestique. Pour la majorité des familles à Bombay, 73% selon un recensement de 1990, le logement ne se compose que d’ une pièce. La moyenne établie est de 4.7 personnes par pièce. [S. Mehta, 2004] Dans la conception de logement «à l’ occidental», chaque pièce est destinée à un usage spécifique. Une fonction est attribuée aux pièces et un nom leur est donné: la chambre à coucher, la salle à manger,

152

153

espace de vie intérieur, Dharavi

figure 17

espace de vie extérieur, Dharavi

figure 18

la salle de bain, etc. La séparation des fonctions laissent ces pièces la plupart du temps vides d’ activités, inutilisées. Dans le slum, la fonction des pièces change sans cesse. A l’ intérieur même de l’ espace bâti, les meubles changent de rôle continuellement au cours de la journée; le jour, le lit se transforme en sofa; la table à manger devient le bureau entre les repas, etc. [S. De Maat: 2010] On parle plus de temps et de mouvement que d’ espace. La valeur d’ usage d’ un espace s’ établit par conséquent en fonction des besoins, selon le principe de partage. Par extension, la dimension temporelle devient indissociable de la dimension spatiale. Dans ce contexte, l’ espace est une ressource et une de ces propriétés fondamentale est le temps. The residents, too, are towel behind a curtain, so quickly you would think they are invisible. But invisibility is actually bestowed upon them, as the other inhabitants of the room avert their eyes during the moment of transformation. How on earth did the parents conceive five children in this slum room? There must have been a good deal seen and not watched, heard and not listened to. [...] There are all manner of implicit understandings about how the family members will divide up their time in the room. There isn’ t enough space for everybody to be at once, except when they’ re all sleeping, when body movements are kept at a minimum. It’ s the only way they can be stacked, when they’ re sleeping or dead. Home, in the slum, is a time-share. [S. Mehta, 2004: 453] La deuxième caractéristique est que les activités quotidiennes, telles que cuisiner, dormir, recevoir des amis, jouer, etc., se passent dans des espaces dont la plupart sont ouverts et/ou couverts. En effet à

154

155

espace de vie extérieur

figure 19

atelier de production, Dharavi

figure 20

Bombay, 75% des fonctions essentielles se passent à l’ extérieur. Ceci est possible grâce au climat tropical et, puisque la mousson ne dure que trois mois, ce fait s’ applique le 70% de l’ année. [C.Correa, 1989] La chambre, la cellule, l’ espace de vie n’ est dès lors qu’ un élément du système. La sphère domestique ne peut se limiter au logement mais se prolonge également en son extérieur, en fonction des nécessités et des pratiques. Il est ici évident qu’ une typologie de logement du genre «high-rise», comme celle proposée dans la plupart des projets de réhabilitation des quartiers précaires, ne saurait que très peu satisfaire aux activités qui se passent en général à l’ extérieur. Dans ce contexte, la rue devient par conséquent un prolongement de l’ habitat et fait donc entièrement partie de la sphère domestique.

La sphère économique

La non validité de la typologie «high-rise» s’ applique également dans le champ de la sphère économique. Par sphère économique, nous entendons tous les espaces dont l’ usage est voué à des fins industrielles ou commerciales. Dans une ère post-industrielle et hyperurbanisée, la ville se caractérise par une division spatiale des fonctions: habiter, travailler, se divertir, etc. A Bombay, les gens se déplacent principalement à pied. La proximité de ces fonctions est par conséquent primordiale. En effet, une des conditions essentielles à la survie est — pour les habitants du slum qui n’ ont souvent pas d’ autres moyens de se déplacer que la marche — la proximité du lieu de travail et du lieu de vie. La demeure est donc choisie en fonction des opportunités économiques proches. En raison de ce besoin de proximité, une des caractéristiques spatiales principales dans les slums est la combinaison de l’ espace de vie et de l’ espace de travail. Entre les habitants qui travaillent dans

156

157

tool-houses, Dharavi

figure 21

atelier de production, Dharavi

figure 22

les usines d’ une zone industrielle adjacente et ceux qui travaillent à l’ intérieur même du slum, (atelier, recyclage des déchets, etc.), c’ est grâce à cette proximité possible que les slums contribuent de manière significative à l’ économie de la ville. Avec 40% de travailleurs indépendants dans les slums [M. Echanove & R. Srivastava, 2009] et 65% de force de travail informelle à Bombay, la dimension économique est alors essentielle. Dharavi generates 1.5% of Mumbai’ s GDP because of its abundance of informal industries. 80% of the recycling in Mumbai occurs in Dharavi, an important asset and a $1.3 billion dollar industry. 400,000 leather laborers work in Dharavi within a complex and efficient live/work typology. Overall, 66% of the area of Dharavi is devoted to some type of intensive productivity and is endangered by current proposals.49 Un autre élément est le manque d’ espace pour la production. Beaucoup de maisons intègrent un atelier, c’est-à-dire, la dimension économique. L’ espace est polyvalent. Cette typologie bâtie qui regroupe l’ espace de vie et l’ espace de travail est appellée la tool-house. Mumbai’ s informal settlements are shapped by the contours of the tool-house, You can see every wall, nook and corner becoming an extension of the tools of the trade of its inhabitants, where the furnace and the cooking hearth exchange roles and sleeping competes with warehouse space, with eventually a cluster of tool-houses making for a thriving workshop-neighbourhood. [M. Echanove & R. Srivastava, 2009: 384]

158

Ici encore, l’ usage de l’ espace se fait selon les mêmes caractéristiques temporelles énoncées précédemment: la nuit, la boutique se transforme en dortoir; le jour, le logement se transforme en atelier... Une des autres caractéristiques fondamentales de cet espace de vie et de travail, est la relation à son environnement. L’ espace est perméable, l’  extérieur s’  infiltre à l’  intérieur sans interruption grâce au va et vient des passants. L’ espace se prolonge à l’ extérieur de par la production et/ou la vente et l’ achat qui s’ étendent dans la rue et même au delà. En réalité, ces espaces sont rarement formés d’ une seule structure. C’ est par un fonctionnement en réseau: de la production à l’ intérieur du slum à la redistribution de biens dans divers bazars* sur rue (dans ou hors du slum), que ce champ s’ étend à l’ échelle de la ville. La rue — qui de par son appropriation possible sans restriction est publique — représente donc un lieu indispensable à la sphère économique puisqu’ elle en est à la fois l’ armature et le support. Une fois encore, les projets qui tendent séparer le lieu de vie et le lieu de travail — en repoussant les habitants des slums en bordure de la ville, en éloignant ces fonctions, en limitant le rapport à la rue — sont la démonstration d’ une discordance totale entre certaines solutions urbanistiques et la réalité. Ceci fourni une explication au fait, qu’ après expulsion, la plupart de ces individus vont s’ installer dans d’ autres quartiers informels situés au coeur de la ville. Le «problème» n’ en est que repoussé et la figure du slum en milieu urbain ne disparaît jamais.

La sphère politique

Comme nous l’ avons vu, ces habitants sont au centre du fonctionnement urbain, économique. Ils sont également au coeur du fonctionnement politique grâce à leur poids de vote et les leaderships qui les représentent.

159

*Par bazar, nous entendons un «lieu où l’ on vend toutes sortes de marchandises généralement à bon marché. En Orient et en Afrique du Nord, un bazar est un marché public où l’ on vend ou échange à bas prix, en plein air ou sous de vastes galeries couvertes, des articles et denrées de toutes provenances.» A Bombay, les bazars sont la plupart du temps, informels.

En effet, par leur quantité impressionnante d’ individus, les slums représentent un réservoir d’ électeurs. Bombay est une démocratie et les habitants possédant des documents valables sont considérés comme des citoyens et peuvent accomplir leur «devoir» civique. C’ est notamment grâce au système pyramidale de leadership que ces individus sont inscrits dans le fonctionnement global de la ville. «Les leaders sont le plus souvent extérieurs au quartier et leur autorité repose dans la plupart des cas sur un statut socioreligieux supérieur à celui des habitants. Le leader cherche des appuis électoraux ou des hommes de main pour leur parti, les relations s’ établissent très souvent sur la base d’ une inégalité de départ.» [Louiset 2011: 131] A l’ échelle des slums, les regroupements politiques prennent place soit à l’ intérieure dans une salle communautaire, si disponible, soit à l’ extérieur sur un terrain ouvert appelé maidan. En considérant que plus de la moitié de la population de Bombay vit dans les quartiers informels qui occupent 8% du territoire de la ville, il est clair que la densité présente dans les slums est la raison des pressions sur ces espaces ouverts. Dans certains slums, les communautés sont parvenues à maintenir un tel espace. De par leur absence de fonction institutionnalisée, les maidans sont également utilisés pour d’ autres activités, tel que le cricket, comme terrain de jeu ou pour diverses manifestations.[S. De Maat: 2010] Au dehors des slums, plusieurs autres maidans significatifs pour la société indienne peuvent être repérés. Les plus représentatifs sont le Shivaji Maidan, le Gowalia Tank Maidan, le Cross Maidan et l’ Oval Maidan dont nous parlerons par la suite. Les autres lieux de manifestation de la sphère politique peuvent être mis en évidence au travers de processions de manifestations dans les rues, et cela, surtout à l’ échelle de la ville. Les lieux de négociations et de débats de la sphère politique (espaces ouverts à tous, polyvalents) se confondent par conséquent avec la sphère publique.

160

161

manifestation des habitants d‘ un slum

figure 23

cricket dans un slum

figure 24



* La signification française du terme tank, ou plus précisément water tank, est réservoir d’ eau. Plus que de simples sources, ils ont une signification particulière dans la société indienne. Un exemple sera développé par la suite.

La sphère sacrée

La polyvalence des espaces se manifeste également dans la sphère sacrée. En effet, dans la religion indienne (hindoue plus particulièrement), les lieux de cultes sont partout: les temples et les tanks* (à juste titre confondus); les autels domestiques et ceux qui sont disséminés sur les trottoirs; les processions lors des festivals y participent sans hiérarchie. L’ identification des lieux de cultes est donc illusoire et le temple ne constitue qu’ un lieu de culte parmi d’ autres. [O. Louiset, 2011] Les tentatives de repérage démontre une dispersion de ces lieux, une absence d’ ordre et une lecture topographique pénible. Ceci s’ explique par le fait que, comme énoncé précédemment, l’ espace de la société des castes se manifeste par une configuration topologique et les espaces sacrés ne constituent pas des repères fixes. Ici encore, la relation entre l’ identité et le territoire, se manifeste sous la forme d’ un réseau. De part ce principe, le temple (ou ce qui fait office de temple) n’ est pas une centralité, il ne polarise ni le pouvoir, ni le commerce. [O. Louiset, 2011] Il n’ y a pas non plus une multiplicité de centres. L’ identité ne se constitue pas en fonction de lieux mais par rapport aux individus, aux groupes. De ce fait, la centralité se déplace en même temps que les individus et leurs pratiques qui ne peuvent être qu’ incontestablement liées à leurs actions et à leur mouvement. Par ailleurs, la relation entre ces lieux de culte n’ est pas affaire de proximité mais de lien symbolique [S. Srinavas, 2004]. «Les temples ne représentent ainsi, que des points dans un itinéraire complexe» [O. Louiset, 2011:124] autant à l’ échelle du slum qu’ à celle de la ville. Par conséquent, l’ organisation socio-religieuse est non seulement réticulaire mais aussi fractale dans le sens où la structure de la sphère sacrée est invariante par changement d’ échelle. Les autres lieux de la sphère sacrée sont les tanks qui, dans la plupart

162

163

lieu de culte dans un slum

figure 25

festival de Ganpati, Dharavi

figure 26

des cas, se confondent avec les temples. Constituant des stations de processions, ils fournissent également, eau et indirectement alimentation. En plus de la dimension religieuse, ils permettent différentes pratiques, telles que laver le linges, se rencontrer, se baigner, et tout autre rite civique. C’ est par la multiplicité d’ usages possibles de ces infrastructures en plein air (à l’ inverse des temples) qu’ elles deviennent un bien commun pour la société. Les tanks sont par conséquent des lieux de lien. C’ est en tant que tel qu’ ils sont considérés par la société indienne comme «espace public». [O. Louiset, 2011]

La sphère publique

Ce qui est remarquable avec la sphère publique c’ est qu’ elle se mélange à toutes les autres sphères. Elle se confond avec l’ espace sacré: le tank est un «espace public» (en tant que lieu de partage et non pas en terme de fonction institutionnalisée), et la rue devient porteuse de pratiques religieuses. De la même manière, la sphère domestique et économique se confondent entre elles au travers du logement, des ateliers de production, mais également avec la sphère public au niveau de la rue et cela, à différentes échelles: celle du voisinage pour la sphère domestique et celle de la ville pour la sphère économique. Quant à la sphère politique, elle se manifeste sur l’« espace public»: les maidans et la rue qui intègrent la dimension civique et collective des slums. L’ extension des sphères domestique, économique, politique et sacrée sur la sphère publique n’ est possible que lorsque la fonction première du lieu n’ empêche pas certaines activités et certaines personnes de se manifester. Les figures qui appartiennent à la sphère public sont donc les maidans; les temples et tanks; et la rue. Cette dernière en est la plus représentative. Elle intègre en effet, le domestique, l’ économique, le

164

165

ruelle, Dharavi

figure 27

bazar, Dharavi

figure 28

politique et le sacré. Elle est ce qui permet la relation, la connexion, le partage. La rue est un espace hybride par excellence. A l’ inverse de certaines idées reçues, la production des maidans n’ est pas un language propre de la société indienne. Comme nous allons le voir, leur statut reste particulier. Le sacré, tel qu’ identifié, est l’ expression spatiale du champ de la religion hindoue. Bien que la grande majorité de la population à Bombay la pratique, elle ne peut inclure forcément les autres individus ne pratiquant pas cette religion. Les tanks sont bien des espaces publics, des biens communs, mais ne permettent qu’  un certain degré de partages.

166

Caractéristiques de l’ urbanité indienne

Tous ces lieux, permettent une pluralité d’ activités et à des individus différents de se manifester; ils sont capables d’ admettre la diversité. Les figures urbaines, porteuses du «facteur manquant» à la planification et permettant d’  établir le rapport entre identité et espace, ont finalement été identifiées. C’ est en ayant recherché dans les fondements de la ville démarquée des mesures habituelles de l’ urbanisation, dans la marge, que des hypothèses concernant les propriétés de l’ urbanité indienne ont pu émergé. Hypothèse 1. A elle seule, la fonction première d’ un lieu ne permet pas de reconnaître la diversité. Hypothèse 2. C’ est par la pluralité des usages effectifs que l’ urbanité peut être identifiée. Hypothèse 3. La dimension temporelle devient indissociable de l’ espace: on ne répartit pas les usages spatialement, on les répartit rythmiquement. Hypothèse 4. La valeur de l’ espace n’ est pas manifestée à travers la permanence mais au travers du mouvement et de la capacité à assimiler les changements. Hypothèse 5. L’ espace est polyvalent et la forme induit plusieurs usages.

167



Hypothèse 1.

A elle seule, la fonction première d’ un lieu ne permet pas de reconnaître la diversité.

1. La fonction A l’ échelle de la ville et du territoire en général, les fonctions s’ expriment dans un plan organisé selon différents usages du sol. On parle de plan de zone, principal outil du planificateur et principal outil de régulation. Pour les échelles plus petites, que ce soit celle d’ un quartier, d’ une place, la fonction est ce pour quoi un lieu a été construit. Pour les architectes, c’ est par le programme qu’ elles sont fixées. Dans le cas du slum, l’ usage des différents espaces identifiés ne suivent pas forcément ce pour quoi ils ont été construits. De plus, par leur caractère informel, ces espaces n’ ont majoritairement pas de fonction institutionnalisée. Le territoire administratif planifié ne correspond pas à l’ expression culturelle et sociale des pratiques. Bien que les villes aient besoin de ces fonctions (commerces, écoles, etc.), elles jouent le rôle de limites, elles fragmentent la ville, elles fragmentent l’ espace. [J. Jacobs, 1991] Par ailleurs, elles peuvent parfois être un facteur de ségrégation sociale, à la fois par un accès limité, par une absence d’ intérêt de l’ usager, ou par un manque de moyens financiers. Par conséquent, certaines zones dans la ville et certaines constructions ne permettent pas l’ adéquation du lieu et de plusieurs usages. Reste à noter que l’ étendue des sphères identifiées à l’ échelle de la ville, dont la figure manifeste est la rue, s’ exprime souvent là où les usages ne suivent pas la fonction première. «C’ est un des enjeux de la gouvernance locale que de trouver les bons compromis entre les diverses fonctions des rues, résidentielles, de transit et d’ accueil d’ activités. La rue est également l’ espace public majeur de la ville. Elle cristallise donc de multiples enjeux. Et elle mérite une attention et des égards particulier de la part des urbanistes.» [F. Ascher, 2009: 247-248]

169



Hypothèse 2.

C’ est par la pluralité des usages effectifs que l’ urbanité peut être identifiée.

2. L’ usage L’ usage est ce pour quoi un lieu est utilisé et non pas ce pour quoi il a été construit. C’ est la pratique sociale qui est déterminante. L’ usage permet de transformer la fonction première attribué à un espace. Ceci se manifeste tout particulièrement à l’ échelle de Bombay au niveau de la sphère publique. Parfois, d’ autres espaces non reconnus comme espaces publics mais à disposition de tous, jouent le rôle d’ espace de partage. Ce sont les espaces couverts sous les voies urbaines rapides (autoroutes ou voies ferrées), les terrains vagues, les rues, etc. Ces espaces sont appropriés de manière informelle. Ils se transforment par l’ usage qui en fait également un lieu de rencontre, de dialogue, etc. [M. RuzickaRosier, 2005] C’ est par conséquent par la pluralité des usages que l’ urbanité, peut être identifiée.

171



Hypothèse 3.

La dimension temporelle devient indissociable de l’ espace: on ne répartit pas les usages spatialement, on les répartit rythmiquement.

3. Le temps Bien qu’ ils soient de formes différentes, la propriété principale et commune aux espace que nous avons identifiés grâce aux différentes sphères, est la capacité d’ accueillir des pratiques changeantes, non pas par juxtaposition de différentes fonctions, mais par croisement naturel de différents usages. On parle alors, plus d’ hybridité que de mixité fonctionnelle. Il ne s’ agit pas de regrouper et d’ assembler différentes fonctions dans un même ensemble, un même quartier, ou un même bâtiment, mais plutôt de les fusionner en un même espace. La dimension temporelle devient indissociable de la dimension spatiale: on ne répartit pas les usages spatialement, on les répartit rythmiquement.

173



Hypothèse 4.

La valeur de l’ espace n’ est pas manifestée à travers la permanence mais au travers du mouvement et de la capacité à assimiler les changements.

4. Le mouvement Le mouvement et une propriété inhérente au temps. Comme relevé précédemment, les slums ne disparaissent jamais, ils perdurent. Ils ne sont donc pas une figure précaire, bien que leurs dimensions légales et bâties en porte la définition. A l’ inverse, la figure du slum est pérenne. C’ est dans la faculté d’ adaptation perpétuelle, de réinvention liés aux nécessités des individus et dans les dynamiques de changements possibles, que la pérennité prend forme. Cette notion de mouvement apparaît également dans l’ aménagement spatial. C’ est par la capacité d’ adaptation de l’ espace aux usages que la signification d’ un lieu en tant qu’ espace de travail, de vie, surgit. La valeur de l’ espace n’ est pas induite par la permanence mais par la capacité à assimiler les changements, au point de faire de cette capacité une propriété de l’ urbanité. La patrimonialisation d’ un lieu qui tendrait à le «muséifier», à le fixer dans le temps, est vaine. La mémoire collective ne se constitue pas au travers des musées ou des monuments historiques mais au travers d’ un environnement en changement perpétuel, lié aux processions, aux festivals, aux vendeurs de rue, etc. La production de la ville est par conséquent caractérisée par la cinétique.

175



Hypothèse 5.

L’ espace est polyvalent et la forme induit plusieurs usages.

5. La polyvalence Ce qui est remarquable est que la propriété spatiale inhérente à toutes les sphères identifiées, de la plus intime à la plus publique, est la polyvalence. La notion de polyvalence pose la question de la forme bâtie liée aux utilisations multiples. Trop souvent, elle est confondue avec la notion de flexibilité. La finalité de ces deux notions est de concevoir un espace «libre appropriable» mais leur différence essentielle se trouve dans la forme qu’ elles induisent. La flexibilité a pour but une adaptabilité maximale d’ utilisation et fait preuve d’ une certaine neutralité: il ne faut surtout pas affirmer une expression architecturale trop forte puisque l’ évolution des usages est imprévisible. Souvent sa spatialité se traduit par un vide appropriatif et facilement aménageable. La flexibilité se manifeste dans l’ absence de programme fixé. Ceci semble, à tort, satisfaire à la problématique de la limite d’ usages induite par les fonctions. C’ est en construisant des structures et des formes «neutres» que la meilleure réponse architecturale est proposée. Seulement, de par son aspect prévoyant de futurs programmes, elle se fonde sur des idées préconçues. Elle ne se repose pas sur l’ analyse d’ usages réels. [V. Didelon, 2011] A l’ inverse, la polyvalence est proposée à travers des formes architecturales fortement qualifiées. [A. Van Eyck, 1962; H. Hertzberger, 1967] C’ est dans sa capacité d’ admettre différentes interprétations que les usages deviennent multiples. La polyvalence admet la créativité des usagers. Elle est ainsi productrice de diversité. Par conséquent, avec la flexibilité*, la forme n’ induit aucun usage; avec la polyvalence, la forme induit plusieurs usages.

177

* “Flexibility as such should not be overemphasised or turned into yet another absolute, a new abstract whim. [...] We must beware of the glove that fits all hands, and therefore becomes no hand.” A.Van Eyck, 1962 “Flexibility does not necessarily contribute to a better functioning of things (for flexibility can never produce the best imaginable results for a given situation).” Herman Hertzberger,1967

3. Idiomes d‘ urbanisation

...à la recherche d’ exemples pour une autre planification.

figure 29

idiomes d‘urbanisation

Lieux figuratifs

De par l’ analyse de la ville «hors plan», il est apparu évident que des lieux où figure l’ urbanité indienne existent au-delà des slums. C’ est eux qui permettent une réconciliation entre la planification et réalité des pratiques urbaines. Ces lieux appartiennent à la fois à la sphère publique et à la ville formelle. Ils permettent la reconnaissance de la diversité, présentent des caractéristiques de l’ urbanité indienne, et ne sont pas marginalisés: le maidan, le tank, la rue. Ils sont ce que nous appellerons des idiomes d’ urbanisation. Un idiome est une langue propre à une communauté, généralement à une nation, à un peuple. Nous allons dès lors analyser ces idiomes d’ urbanisation de manière plus précise pour comprendre la place qu’ ils occupent au sein de la ville et pour voir de quelle manière ils peuvent être pris en tant que modèles indiens, en tant qu’ «espoirs» pour une autre planification de Bombay. Avant cela, il nous reste tout de même à préciser ce que nous entendons par «espace public». Les maidans, le tank et la rue sont des «espaces publics», ils sont le cadre essentiel de la mise en scène de la vie urbaine. C’ est au travers de ces espaces ouverts à tous, que le citadin prend conscience de sa coexistance, de la place qu’ il occupe dans la société et de son identité. [M. Ruzicka-Rosier, 2005] Ils sont des lieux de rencontre, de partage, ils sont l’ armature de la ville. Il faut tout de même rester vigilant dans la représentation que nous pouvons avoir de l’ «espace public». Un usage trop général de ce terme pourrait mener à quelques contradictions. En Inde, leur définition par simple transposition d’ un concept occidental d’ espace public, comme la place publique par exemple, pose quelques problèmes. En effet, il n’ existe pas de tradition d’ espace public tel que nous l’ entendons. [R. Mehrotra, 1996] Même si certains lieux en ont l’ apparence, jardins, parcs, etc., «l’ espace public «neutre», ouvert à tous également, réglé par la loi, n’ existe pour

182

personne ou presque.» [O. Louiset, 2011: 207] Ils sont rares et utilisés, par les classes moyennes, pour jouer au cricket ou lors de manifestation officielles. Ici, c’ est des maidans dont nous parlons. Seulement, comme nous l’ avons vu avec l’ analyse des différentes sphères, la dimension publique recouvre tous les espaces de vie et se confond avec les dimensions collectives et civiques. Ces affirmations paradoxales signifieraient que l’ espace public est partout et nulle part à la fois! Tout est une question de définitions. Il est de ce fait essentiel d’ identifier ce que nous qualifions d’ «espaces publics». Ils ne sont pas définis par une morphologie particulière telle que la place. En Inde «Lorsque les places existent, elles sont vides.» [Louiset 2011: 171] Ce que nous appelons espace public ne concerne pas non plus les lieux caractérisés par une touche commerciale et privée (centre commercial, café, etc.). Leur usage peut en effet être limité par une accessibilité restreinte, notamment par un manque de moyens financiers; et/ou par un souci de sécurité. Les lieux identifiés dans la sphère publique, n’ ont pas forcément la forme de «nos» espaces publics traditionnels, mais en assurent le rôle principal, celui du partage. Effectivement, les espaces du partage plus que les espaces publics traditionnels sont un reflet de l’ urbanité des villes. [M. Ruzicka-Rosier, 2005] Pour classifier l’ espace urbain porteur de cette signification il faut se préoccuper de l’ expérience humaine. C’ est leur accessibilité et leurs usages, plus que leur forme et leur fonction primaire qui les définissent. La définition de l’ espace public indien peut dès lors être comprise à travers la notion de «liens». L’ espace public permet les liens, à la fois en tant qu’ armature (réseau matériel et immatériel) ou en tant que noeud (lieux de liens). Il est par conséquent le territoire culturel par excellence qui permet le rapport entre identité et espace à l’ échelle de la ville.

183

figure 30

Cross et Oval Maidans

figure 8

Maidans

La ville de Bombay ne présente que très peu d’ espaces ouverts. Le moindre mètre carré de terrain est sujet à la spéculation. Les maidans sont les espaces extérieurs, non couverts et ouvert au public 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. L’ origine du mot maidan est perse et il est utilisé dans la plupart des langues indiennes pour décrire les plaines larges, des champs ouverts, ou des terrains vagues proche ou à l’ intérieur des villes. [A. Mathur, 1999] A l’ inverse des places publiques finement désignées, ces espaces apparaissent à première vue comme des «restes» d’espace. Il n’ en est rien. Pour comprendre la place qu’ ils occupent actuellement dans la société indienne et la raison de leur résistance, il est important de saisir leur contexte historique. Leur origine à Bombay date des siècles passés et leur présence est enracinée dans le développement de la vie urbaine. Les premiers maidans, dont les traces ont été perdues, ont été importés en Inde au 15ème siècle par les dirigeants musulmans d’ Asie Centrale et par les Moghols de Perse. Une autre vague de ce type d’ espaces, toujours présents, fut introduite par les Britanniques durant la période coloniale. [A. Mathur, 1999] Après une vague d’ insurrection des indigènes au cours du 19ème siècle, le pouvoir anglais ordonna la mise en place d’  espaces libres entre la ville coloniale fortifiée et le reste du territoire. Ils jouaient le rôle de barrière contre les incendies. Pour cela, tous les arbres furent rasés, les marécages furent drainés, le terrain fut nivelé. Ces espaces devaient rester vide de construction. Par conséquent, les maidans coloniaux puisent leur origine dans une s tratégie militaire. [J. Gosseye, 2009] Les traces les plus évidentes de ces espaces se situent dans la partie sud de la ville que l’ on retrouve aujourd’ hui sous le nom de Cross Maidan et Oval Maidan.

186

figure 31

maidans, parcs et espaces ouverts

Comme en témoignent les cartes datant du 19ème siècle, ces champs libres de structures permanentes étaient appelés Esplanade par les colons. A l’ origine, l’ Esplanade de Bombay s’ étendait du Fort Area, (adjacent au côté est du littoral), au travers de la ville jusqu’ au côté ouest du littoral. Après la démolition des murs du fort et la levée de l’ interdiction militaire d’ y séjourner, cet espace ouvert devint un site prisé des Anglais et un élément structurant majeur pour le développement de la ville. Des édifices gothiques se sont levés aux abords de l’ Esplanade, créant ainsi un contraste marqué avec le tissu bâti du fort. En 1865, la ville s’ étendit et des allées, coupées à travers l’ Esplanade, la subdivisant ainsi en deux parties (aujourd’  hui connues sous le nom de Cross Maidan et Oval Maidan), permirent une connexion entre le coeur historique et les nouvelles zones urbanisées. [Dwivedi & Mherotra, 1995] Au cours du 20ème siècle, de nouvelles constructions prirent place sur la périphérie ouest de l’ Esplanade. Dès lors, elle perdit sa connexion avec le bord de mer. Cette action des Britanniques, fut le premier geste conscient de planification reconnue en tant que tel. [Dwivedi & Mherotra, 1995] Les Britanniques commencèrent ainsi à fréquenter les maidans pour des activités sportives et ludiques. Au cours du 19ème siècle, ils importèrent le cricket en Inde. Ce sport était considéré par les Anglais comme un moyen de «civiliser» les indigènes et de leur inculquer les valeurs victoriennes anglaises. [J. Gosseye, 2009] L’ enthousiasme Anglais encouragea rapidement divers membres de la société indienne à participer à ces jeux sur les maidans. Jusqu’ à la fin du 19ème siècle, ce sport resta réservé aux castes les plus hautes. Ce n’ est qu’ au cours du 20ème siècle, que les sportifs masculins de castes inférieures furent invités à participer aux jeux. Les Indiens se sont appropriés ce sport, ce qui permit de mêler différents groupes,

188

à la fois anglais et indiens de castes et de classes différentes. Bien que critiquées par l’ élite des gentilshommes anglais, de nouvelles relations naquirent au sein de la ville de Bombay. Ce qui est particulier dans ce processus d’ appropriation est que les Indiens utilisèrent le cricket comme une arme idéologique et subversive, antinationalisme colonial en battant les dirigeants anglais sur leur propre terrain de jeu. [J. Gosseye, 2009] Le sport intégra une dimension politique et les maidans devinrent un symbole de résistance. En jouant au cricket, les Indiens n’ ont pas seulement réussi à indigéniser ce sport à prédominance anglaise, mais ils sont également parvenus à (re)coloniser le sol des maidans que les dirigeants anglais avaient aménagé. Dès lors, symbole de résistance, ce sport fut joué partout dans la ville, là où sa pratique était possible et se rependit peu à peu hors du contexte de l’ Esplanade. De nouveaux maidans de plus petite envergure émergèrent. Le cricket est de nos jours, le sport indien par excellence, inventé par les anglais. Cette appropriation en a fait un sport urbain, alors qu’ à la base pour les anglais le cricket était un sport rural. Les maidans restent tout de même des lieux de partage et de manifestation. Leur usage principal reste la pratique sportive. Prenons comme exemple le maidan de Shivaji, un des plus connus, situé à Dadar, proche du front ouest de mer vers Mahim Bay. Après l’ Indépendance de l’ Inde, la fonction politique de ce maidan fut remplacée par la nouvelle primauté de la pratique du cricket. Des parties plus ou moins formelles prennent place au centre du maidan, là où il est rare de trouver des femmes. En effet, le cricket en Inde est pratiqué principalement par des hommes. [J. Gosseye, 2009] La sphère des femmes, des enfants et des personnes âgées est située en périphérie du terrain de jeu. Dans ces bordures, d’ autres activités se juxtaposent simultanément au jeu. On y retrouve un parc d’ enfants et un parc pour les personnes âgées. En périphérie, également,

189

différents clubs prennent place tels que Samarth Vyayam Mandir Gymnasium, the Shivaji Park Gymkhana club and the Bengal Club. Le pourtour de ce terrain est entouré par une large promenade séparée de la rue par un mur coloré d’ environ 50 cm de haut. Cet espace accueille une certaines quantité de bazars informels prenant place le jour. En effet, beaucoup de marchands profitent de la popularité du lieu pour vendre leur marchandise. Installés sur cette promenade, on trouve également des gens qui se reposent, des jeunes qui discutent et des couples qui se baladent. Différentes activités y prennent place ainsi que divers usagers, sans distinction entre hommes et femmes, entre vieux et jeunes. La périphérie accueille dès lors une tout autre multitude d’ individus et d’ usages que sur le maidans. En effet, la fonction principale, le cricket, fixe les usages et les genres dans une hiérarchie spatiale, du centre à la périphérie. Au cours de l’ histoire de Bombay, les maidans coloniaux devinrent des sphères non pas seulement pour le sport mais également pour les rassemblements sociaux et politiques. En période de pré-Indépendance, les maidans étaient souvent utilisés pour accueillir les regroupements des combattants de la liberté. Par exemple le discours très connu de Mahatma Ghandi, «Quit India» du 8 août 1942 fut délivré sur le Maidan de Gowalia Tank (ancien tank recouvert) au centre de la ville. Après ce discours, le Gowalia Tank fut renommé «August Kranti Maidan». *Le Shiv Sena est un parti politique indien, nationaliste et extrémiste, implanté dans l’ État du Maharashtra. Son nom signifie «Armée de Shivaji», du nom du fondateur de l’ Empire marathe au XVIIe siècle.

Après l’ Indépendance, en 1947, les maidens de Gowalia Tank et de Shivaji continuèrent d’ être des lieux de premier plan pour les résistants et les discours politiques. Par exemple, le Shivaji Maidan — créé comme un parc par les anglais et ouvert en 1925 — devint un endroit clé de la bataille pour un Maharasthra consolidé qui amena la formation de l’ Etat en 1960. Ce Maidan est toujours une scène pour les réunions politiques du parti de la Shive Shena*.

190

cricket, Oval Maidan

figure 32

manifestation politique, Shivaji Maidan

figure 33

191

De plus, ces maidans sont également utilisés pour la célébration de mariage. [R. Mehrotra, 2008] Le Cross maidan, l’ Oval maidan ainsi que ceux du Gowalia Tank et de Shivaji font partie du patrimoine indien et c’ est en ce sens qu’ ils résistent aux pressions des spéculateurs. On peut parler de la pérennité de ces maidans, non pas au sens où ils demeurent malgré les avatars de l’ histoire, au sens d’ immuabilité, ou au sens d’ une reconnaissance politique, mais «au sens où l’ urbanité désigne une capacité à assimiler les changements au point de faire de cette capacité une propriété de la ville». [O. Louiset 2011: 157] En revanche, les autres maidens qui ont émergé au cours du développement de la ville, ne peuvent être considérés comme un patrimoine. Ils ne peuvent pas non plus être attribué à des caractéristiques de la société indienne. [J. Gosseye, 2009] Ils ne sont que peu présents et découlent principalement des nécessité des individus, telles que se divertir, jouer, se réunir etc. A l’ inverse de certaines idées reçues, la production de ce type d’ espace ne peut en aucun cas être attribuée au langage d’ urbanisation de cette société. C’ est l’ intégration des dynamiques de changements qui est une caractéristique de l’ urbanité indienne.

192

figure 34

tank de Banganga

Tank de Banganga

Le tank de Banganga est l’ un des derniers ayant survécu à Bombay. Il se situe dans le secteur de Malabar Hill, au sud de la ville, perché sur le flan d’ un coteau. Cette infrastructure à ciel-ouvert est une relique du passé jouant un rôle considérable autant pour la routine domestique que pour les pratiques religieuses. Il est un lieu de réunions, de célébrations, de divertissement, de repos, de méditation, etc. Au fil du temps, le tissu urbain en ces alentours a grandement évolué mais n’ a jamais cessé de satisfaire les nécessités des résidents. Depuis les années 1970, ce tank fait l’ objet de conservation particulière et il est sujet à de plus en plus de reconnaissance (promotion touristique). Il est en effet considéré comme un héritage mais n’ a pas été «muséifié» et figé dans le temps par la limitation des usages possibles dans un souci de protection. C’ est bien cela qui lui permet d’ être aujourd’ hui apprécié en tant que bien commun par la majorité. Les premier réservoirs d’ eau, appelés bâoli ont été construit au cours du 6ème et du 7ème siècle. Leur fonction première était l’ accès à l’ eau, essentielle durant les saisons sèches, pour abreuver hommes et animaux ainsi que pour se baigner. A l’ inverse des bâoli qui étaient séparés des aires d’ habitation, les tanks occupaient une position cen* Parmi tous les fleuves de trale dans le village car ils devaient satisfaire les besoins immédiats l’ Inde, on en dénombre en eau. De par l’ indispensabilité de leur centralité, ils étaient souvent sept qui sont considérés directement connectés au temple qui, traditionnellement, se situait comme sacrés et font l’ objet de pèlerinages à au centre du village. Assimilés à des temples, les tanks occupaient certains endroits aména- également une place d’importance religieuse. gés de leur cours et à leur Par ailleurs, l’ eau contenue dans les tanks et les bâoli représentait, et source. Ces sept rivières représente toujours, le Gange. Se baigner dans les eaux d’ un tank en sacrées de l’ Inde sont : priant les sept rivières sacrées d’ Inde* permet d’ atteindre un seuil le Gange, la Yamunâ, la Sarasvatî fleuve mythique sacré, entre ciel et terre, appelée tirtha. Lorsque l’ on atteint ce seuil, ayant peut être existé tous les temples, toutes les rivières, toutes les places de pèlerinages dans l’ antiquité indienne, sont jointes symboliquement. La localisation du tank n’ a de ce fait l’ Indus, la Godâvarî, la que peu d’ importance puisque le tirtha peut être atteint indépenNarmadâ et la Kâverî.50

196

figure 35

temples hindous et tanks

damment du lieu. Le tirtha possède trois caractéristiques fondamentales de la pratique hindoue: il est une source d’ eau qui donne la vie; il permet le bain quotidien, qui lave des péchés; et représente une situation et un moment proche du ciel. [M. Neville, 2009] Après que les canalisations aient été installées dans une grande partie de la ville, entre 1860 et 1897, grâce à la création des lacs de Vihar et Tusil, les tanks commencèrent à disparaître. Ils étaient dès lors considérés par les autorités britanniques comme inutiles mais surtout comme source de maladies. De nos jours, seul deux d’ entre eux ont survécu, le tank de Banganga et le tank de Bandra. La ville de Bombay en comptait quinze et le seul témoignage qu’ils aient laissé de leur existence sont le nom des routes situées à leur ex-proximité. Construit aux alentours du 12ème siècle, lorsque Bombay était toujours un archipel de sept îles, Banganga est le plus vieux tank de Bombay. Il se situait alors sur la partie ouest de la plus grande des îles, un territoire loué pour son pouvoir divin dû à la formation d’ une grande roche sur la pointe de Malabar Hill. La formation de la roche représentait un yoni — une place de naissance et/ou une source de vie. [Dwivedi et Mehrotra, 1995] En même temps que le tank, fut construit le temple de Walkeshwar. Le site devint dès lors un lieu de pèlerinage. Le paysage environnant s’ est vu doté de mémoriaux, d’ ermitages, de gîtes pour pèlerins et un réseau de sentiers et de marches prirent place sur le coteau pour connecter les infrastructures sacrées entre elles. C’ est de cette manière qu’ une communauté religieuse fut formée et que le village de Walkeshwar naquît. Banganga resta pendant longtemps un lieu isolé jusqu’ à ce que les colons décident avec le projet Hornby Vellard de fusionner les sept îles entre elles. Complétée en 1838, cette action créa une connexion terrestre entre le nord et le sud de Bombay rendant ainsi Malabar Hill accessible aux pèlerins de toute la ville.

198

199

coin nord-est, tank de Banganga

figure 36

lieu de lien, tank de Banganga

figure 37

Jusqu’ au 19ème siècle, la région continua à se développer au rythme du va et vient des pèlerins. En 1896, les murs du fort de la ville coloniale furent détruits et Malabar Hill devint un refuge pour les Européens qui voulaient échapper à la congestion de la ville. Le paysage existant à l’ époque se transforma radicalement et vit l’ émergence de nouvelles résidences européennes et de nouvelles routes qui permettaient une meilleure connexion avec le centre ville. Ce n’ est qu’ après la deuxième guerre mondiale que ces résidences ont été remplacées par des immeubles de logements et par de nouvelles routes. Après l’ Indépendance de l’ Inde en 1947, un grand nombre d’ immigrants fuirent la ville et les propriétés anglaises furent vendues. Bien qu’ à partir de 1970, le Tank de Banganga fut quasiment englouti par la ville, son caractère sacré perdura. Dès lors, la Commission Municipale reconnut la pression urbaine et désigna le tank et son tissu environnant comme zone non-développable. En 1991, le tank fut ajouté sur la liste des monuments protégés et, en 1995, le complexe de Banganga fut reconnu comme un centre patrimonial indien. Le geste le plus significatif, dans le processus de reconnaissance, fut la création du Banganga Music and Dance Festival dont le but était l’ augmentation de la visibilité de ce patrimoine à l’ échelle nationale et internationale. De l’ agrandissement des routes aux drainages des fuites d’ eau en passant par l’ amélioration de l’ éclairage public, cet événement annuel suscita des améliorations importantes du contexte. Au-delà des infrastructures, les effets de l’ attribution de ce titre patrimonial induisirent des changements au niveau social. De ce festival, inattentif aux croyances religieuses, naquirent des intérêts nouveaux chez les individus ne pratiquant pas l’ hindouisme induisant ainsi une plus grande diversité culturelle en ces lieux. Les marches du tank se prolongent dans les ruelles adjacentes, englo-

200

201

temple de Walkeshwar en arrière plan

figure 38

rituel religieu, tank de Banganga

figure 39

bant ainsi les fondations des bâtiments périphériques. Le mélange de couleurs, de textures et de sons, l’ alternance des pleins et des vides se complètent pour former des seuils, des limites, des points de repères dans le paysage. [M. Neville, 2009] La dimension des dernières marches qui cernent la source sacrée varie de trois à six mètres. Quant à elles, les ruelles qui amènent au tank, mesurent entre trois et quatre mètres de large. Le tank est alimenté en permanence par une source d’ eau douce naturelle, potable selon les locaux, qui se déversent en son coin nord-est. [Dwivedi and Mherotra, 1995] De manière générale, l’ aire qui englobe le tank accueille de nombreux temples et symboles religieux. Le rituel se fait en effet par immersion dans l’ eau du tank mais également par la liaison de ces points symboliques à travers la procession. La localisation de ces éléments sacrés importe peu, c’ est leur association possible par le mouvement au travers des ruelles avoisinantes qui est importante. L’ accès au tank se fait à trois endroits, depuis les rues principales connectées aux ruelles environnantes fournies de marches. Le seul accès en voiture se fait depuis la Bhagwanlal Indraji Road qui longe le littoral et rencontre la tank en son coin nord-ouest. Le long de la route, d’ anciennes sépultures contrastent avec les hauts immeubles d’ habitation produisant ainsi une forte disparité de fonctions et de significations. Le crématoire de Banganga, un jardin de funéraire, un ancien gymnase et une grande blanchisserie à ciel ouvert s’ entrecoupent avec la structure résidentielle. Lorsque l’ on s’ approche par le nord-est, le long de la route de Walkeshwar, deux chemins fournis de marches amènent les piétons au tank. Ces chemins animés accueillent un certains nombre de temples et sont porteurs d’  activités variées. D’  extension, de rapiéçage, de rénovations, les structures se sont adaptées au fil du temps, pour satisfaire les besoins des habitants. La largeur de ses rues varient à chaque marche. Elles s’ élargissent près des temples pour se resserrer

202

plus ou moins provisoirement là où les usages domestiques, les commerçants et les vendeurs de rue se sont installés. L’ accès depuis le point le plus bas, se fait par la Banganga Second Cross Lane qui partage ces multiples qualités avec les chemins la rejoignant. Cette rue étroite, faite de marches de pierre porte les visiteurs sur la partie sud du tank. Le tissu urbain enserrant le tank est doté de qualités infinies. La polyvalence des rues manifestée par la fusion de l’ espace public, de la routine domestique, de l’ artisanat, du divertissement, du sacré et du profane. [M. Neville, 2009] Les rues de Banganga sont en effet des espaces ouverts dont l’ usage dépasse leur simple fonction première, celle de lieu de passage pour se rendre d’ un point à un autre. Pour le visiteur, chaque marche est une nouvelle destination. La dimension temporelle rempli tous les espaces, le public devient domestique, l’ intérieur se confond avec l’ extérieur, un espace est approprié, recyclé et réutilisé jour après jour. De tels usages sont possibles à la fois par la forme des lieux, dotés de multiples espaces appropriables et également par une perte de régulation civique appliquée à la rue. La présence de lois n’ est pas nécessaire car le bon fonctionnement de ces lieux est assuré par diverses conventions culturelles, développées au fil du temps par les résidents. [M. Neville, 2009] Banganga est le plus vieux des survivants des tanks de Bombay. Bien qu’ il soit entouré par un tissu dense, il résiste. Sa valeur n’ est pas manifestée à travers sa dimension historique mais par sa valeur d’ héritage porteur de vie. C’ est grâce à sa signification présente, à la diversité d’ usages possibles en ces lieux qu’ une valeur importante lui est donnée, à la fois par les autorités, et aussi par une grande partie de la population. La tradition n’ est pas gelée dans le temps, elle le transcende et elle crée des liens entre le passé et le présent. Le tank doit par conséquent être considéré comme un modèle pour une autre planification.

203

figure 40

Grant Road Area et Mumbai Central

La rue

La rue est une voie de circulation dont le but est principalement de traverser une zone et d’ accéder à des lieux situés le long ou à l’ immédiate proximité de cette voie. Par rue, nous entendons également les ruelles, les routes, les avenues, et les carrefours, lieux de connexion qui permettent un fonctionnement en réseau. La rue produit un espace collectif utilisable pour divers types d’ activités. Elle peut assurer trois fonctions, celles du transit, de la desserte, et de l’ accueil. Certaines rues sont mono-fonctionnelles dont l’ exemple le plus significatif est la voie rapide. D’ autres accueillent une multiplicité d’ usages et d’ activités, du marchand aux enfants qui jouent, elles voient leurs fonctions se démultiplier. De manière générale, dans les villes, la fonction de transit est devenue dominante. [F. Ascher, 2010] Des piétons aux voitures, en passant par les bus et les camions, le but est la maximisation du trafic. Bien que ces voies rapides permettent une économie de temps, dans les villes denses, il n’ y a pas la place pour tous les transports et il n’ est pas possible de proposer une voie propre pour chaque vitesse. Les voies, sont en ce sens multimodales et également multifonctionelles. Comme souligné précedemment, à Bombay elles sont porteuses d’ activité foisonnantes en perpétuel changement et d’ individus de genre et de pratiques différents. La conception et l’ aménagement des rues, en devenant une question de société aux multiples facettes culturelles, sociales, économiques, environnementales et politique, donnent ainsi de nouvelles responsabilités aux techniciens qui les dessinent, les équipent, les gèrent, car les solutions toute faites, les modèles idéologiques, les dogmes urbanistiques sont de moins en moins utilisables. [F. Ascher 2010: 253]

206

figure 41

rues

A Bombay, les rues ne semblent pas avoir de régulation civique, si tel n’ est pas le cas, elle n’ est que peu appliquée. La question de la pluralité des usages possibles sur la rue, en même temps ou à différents moments, est présente au quotidien. Une rue type de taille moyenne à Bombay pourrait être décrite comme ceci: le matin tôt, la rue est relativement vide. Les pendulaires marchent jusqu’ à la station de train ou à l’ arrêt de bus les plus proches, achetant quelque chose à boire dans un bazar. Les bus et les voitures circulent. A dix heures, les commerçants commencent à ouvrir leur magasin et les vendeurs de rue commencent à exhiber leur marchandise. A onze heures, le trafic sur la route commence à augmenter. La prolifération de piétons ralentit les camions et les bus. A midi, puisque la chaleur tropicale augmente, les passants et les bazars quittent la rue. C’ est désormais le trafic des voitures qui est prédominant. Entre quinze et seize heures, une quantité de bazars s’ installent sur la rue pendant que les musulmans exécutent leur prière en plein air. Les vendeurs de rue rangent leur étalage après vingt-deux heures. Quant aux taxis, ils sont présents jours et nuit. [S. De Maat: 2010] Chaque activité réclame de la place et fait pression sur d’ autres activités. Les différentes activités se partagent le temps. Le mouvement des usages est plus efficace lorsque l’ espace n’ est pas entravé par des marqueurs physiques de contrôle tels que des barrières, des bornes, ou des murs. Par ailleurs, de tels mobiliers urbains peuvent être contre productifs dans des zones denses d’ activités en perpétuel changement. Par la séparation et la création de limites, une hiérarchie de fonctions, aussi implicite puisse-t-elle être, est fixée. Les barrières, particulièrement, démontrent la manière dont les forces informelles passent outre les intentions des planificateurs et des urbanistes. De telles barrières sont construites pour maintenir les piétons sur le trottoir et réserver la route aux véhicules motorisés. Les piétons n’ y

208

209

prière islamique dans la rue

figure 42

bazar en ville

figure 43

portent que peu d’ attention, passent outre. Par ailleurs, d’ un côté ou de l’ autre, celui de la route ou du trottoir, en fonction de la majorité du flux piéton, ces barrières sont utilisées comme point d’ appui pour les bazars. [S. De Maat: 2010] La rue est polyvalente! La profusion de bazars dans les rues, les avenues, est une des caractéristiques majeure de la ville de Bombay. Un des plus connus est celui des arcades victoriennes de l’ ancien fort de Bombay, la Fort Area. Lors de leur construction, la fonction initiale des arcades était double. Elles permettaient la médiation spatiale entre le bâti et la rue et servait à protéger les passants du soleil ou des fortes pluies. Aujourd’ hui, avec les nombreux bazars informels qui y ont pris place, la fonction initiale y est défiée. [R. Mherotra, 2008] Pour un résident «moyen» de la ville de Bombay, les vendeurs de rues offrent une large palette de biens à des prix considérablement plus bas que ceux que l’ on peut trouver dans les commerces locaux habituels. Seulement, les autorités veulent déplacer ces vendeurs de rues. Ils ne correspondent pas à l’ image que devrait avoir un centre ville historique, et cela d’ autant plus dans une ville où les points de repères commencent à manquer de par l’ étalement, la dissipation vers le nord. Pour les conservateurs, ces pratiques «salissent» le symbole de centre et l’ image de cet héritage monumental. [R. Mherotra, 2008] Les bazars de Fort Area en deviennent illégaux. Le type de conservation de ce patrimoine, tel qu’ entendue par les autorités, implique une maintenance sans changement. Ces volontés ne sont pas respectées. L’ ordre tend à contrer l’ idiosyncrasie et fait émerger la confrontation de plusieurs mondes. L’ architecte et urbaniste Rahul Mehrotra propose une solution pour une réconciliation de ces mondes par la restructuration de ces arcades, leur permettant ainsi d’ accommoder les passants et les vendeurs de rues au même moment. Il rajoute qu’ avec ce type de planification, les composantes physiques de la

210

211

„Ganesh Chaturthi“

figure 44

Chowpatty beach

figure 45

ville auraient une plus grande habileté à survivre de par l’ introduction d’ une nouvelle capacité de reconnaissance des changements. Cette habilité de survie est ce que nous avons appelé la pérennité. Une conservation efficace à Bombay signifierait par conséquent identifier les composantes du système urbain pouvant être transformées pour d’ autres usages, et cela, sans détruire l’ essentiel de la structure physique ou l’ illusion architecturale que la ville présente. C’ est en effet dans cet accord que résiderait un équilibre urbain pour la ville de Bombay. Ce n’ est qu’ en surpassant la dualité présente entre permanence et rapide transformation qu’ une harmonie est possible. Dans ce contexte, les arcades sont une composante de la ville qui présente les caractéristiques physiques pouvant être sujettes à une réinterprétation. Il n’ y aurait dès lors plus de dilemme. Voici donc un indice de réconciliation entre l’ idéal d’ une autre planification et la réalité de l’ urbanité indienne! Parfois, le transit, la desserte, et l’ accueil —fonctions initiales de la rue — peuvent être réunies et surpassées en un événement: le festival. A Bombay, ce sont les festivals avec ses défilés et ses manifestations ambulatoires qui assurent la jonction des pièces de la ville et qui sont producteurs de la mémoire collective. Ils sont à la fois des processions religieuses, des actions politiques, et des événements divertissants. Il en existe une multitude: Diwali, Dussera, Navrathri, Muhharam, Duga Puja, Ganesh Chathurthi, etc. A Bombay, le plus connu est le Ganesh Festival. Il prend place au cours du mois d’ août ou du mois de septembre et s’ étend sur une période de dix jours. Tout au long de cette manifestation, une quantité de quartiers se transforment temporairement par l’ installation de lumières et de décorations. De nouveaux «espaces publics» sont crées pour accueillir les idoles de Ganesh. [R. Mehrotra, 2008]

212

Le dernier jour des célébrations, une grande partie de la population de Bombay transporte les idoles jusqu’ à la mer dans une longue déambulation à travers la ville. Les processions commencent dans différents quartiers et se déversent dans les rues, les routes, les avenues prédéterminées. Chaque défilé de quartier en rejoint un autre à chaque carrefour et s’ intensifie à la rencontre d’ autres festivaliers. Chaque procession porte des «tableaux» dépeignant des images qui font échos aux préoccupations des habitants de la ville, tant à l’ échelle locale que globale, passée et contemporaine. Ces représentations ne sont pas basées sur des écritures saintes et elles ne sont pas orientées selon des impératifs dictés. [R. Mehrotra, 2008] Au milieu de chants invitant Ganesh à ressusciter l’ année suivante, la manifestation prend fin lorsque les idoles d’ argiles immergées sont totalement dissoutes dans l’ eau de la Baie. Les immersions et l’ invitation à la résurrection sont une métaphore aux changements perpétuels qu’ offre le spectacle de la ville. La ville est le décor mais est en même temps jouée et représentée. C’ est en ce sens que son inscription dans les mémoires est possible. Dans la culture indienne, l’ association entre l’ espace et le temps se fait notamment par la procession. [O. Louiset, 2011] Dans ce contexte, la rue porterait dès lors la même signification que les musées et les monuments historiques portent dans la société occidentale. Ces rituels actualisent les liens, à la fois entre les individus, il n’ y a plus de distinctions de classes, de castes, d’ âges, de genres; et également entre les lieux. Les repères dans la ville sont créés, ils s’ inscrivent dans la mémoire et sont réactualisés. Comme pour le tank, la valeur des lieux s’ accorde à l’ existence d’ autres lieux présents dans le parcours. Il n’ y a pas de centres, mais des centralités mouvantes, circonstancielles qui naissent et s’ évanouissent au fil de l’ actualisation des lieux par la procession. Par conséquent, les festivals assurent la coprésence et la conver-

213

gence. En ce sens, le carrefour — qui devient un lieu de lien — est l’ image spatiale équivalente à celle de nos places publiques. «Alors que la place est une convergence fermée qui permet la concentration mais fixe l’ espace dans une hiérarchie de fonctions, le carrefour est une convergence ouverte qui permet la polarisation sans ancrage, une polarisation fluide, adaptable» [O. Louiset 2011: 211] Voici dès lors un autre indice pour une réconciliation entre la planification et l’ urbanité indienne...

214

Épilogue

Un autre territoire

Bien que le territoire culturel s’ établisse physiquement sur la même base que le territoire administratif — celui de la ville de Bombay­ — leurs dessins ne correspondent pas. Ils se chevauchent, s’ entremêlent et souvent se limitent, mais ils ne sont pas des décalqués. A commencer par la notion de quartier, en passant par la ségrégation fonctionnelle mise en place par le zonage et l’ évacuation des espaces hybrides par les projets de réhabilitation de quartiers précaires, jusqu’ à la «muséification» de certaines parties de la ville censées représenter le patrimoine architectural, il est difficile pour la planification de reconnaître le territoire culturel. Les modèles empruntés pour produire une «ville idéale» tendent à s’ ériger contre l’ idiosyncrasie, contre les réalités comportementales différentes liées à la culture indienne. L’ expression de l’ urbanité semble se manifester là où l’ usage permet une dérogation à la fonction première attribuée à un espace, là où la planification est incapable d’ imposer son ordre. La manifestation des contours du territoire culturel a dès lors pu être aperçue. Ce n’ est qu’ en se détournant de la norme — en passant par la figure du slum qui se démarque des mesures habituelles de planification et qui, à l’ encontre des idées reçues, n’ est pas un village indien ni une entité fermée — que les caractéristiques socio-spatiales de l’ urbanité indienne ont pu être mises en évidence. En effet, les slums témoignent de manière peut-être encore plus transparente que les autres lieux, de la diversité de réseaux qui alimentent la société indienne. [O. Louiset 2011] La transposition du social et du spatial ne peut s’ opérer de manière directe et selon un modèle européen où « l’ urbanité est recherchée dans une identité collective fondée sur le territoire, à l’ échelle de la ville entière ou du quartier». [O. Louiset 2011: 268] Une lecture de la société effectuée uniquement au travers du tissu urbain à l’ aide des outils habituels de planification est vaine. La société fonctionne en

218

figure 46

slums, maidans, temples et tanks, rues

réseau et les identités ne sont pas fondées sur le territoire mais sur les relations entre individus du même groupe. On ne parle plus de quartier ou de bornage mais de voisinage possible ou impossible en fonction des nécessités et des pratiques. Ce fonctionnement fournit dès lors une explication au paysage pluriel de la ville, une justification de la présence de ce patchwork urbain. Puisque la société fonctionne de manière réticulaire, le territoire culturel ne peut être identifié qu’ au travers de sphères caractéristiques de la vie quotidienne — les sphères domestique, économique, politique, sacrée et publique. La sphère est un espace topologique: ici on ne parle pas de la configuration d’ un lieu mais des propriétés de cet espace illustrées par les valeurs d’ usage qui lui sont données. C’ est en effet au travers des pratiques que paraît l’ imbrication du social, de l’ économie, du religieux et du politique et que naît le rapport entre l’ espace et l’ identité. A travers cette approche, l’ imbrication ultime se manifeste au travers de l’ omniprésence de la sphère publique représentée par les lieux de liens que sont les maidans, les tanks et les rues qui, au-delà du slum, sont capables de reconnaître la diversité à l’ échelle de la ville. Les hypothèses qui découlent de cette analyse admettraient une reconnaissance des différentes composantes de la ville par la réconciliation de ses territoires. Il ne s’ agit plus de formaliser l’ informel, de faire de la ville pour les «pauvres» selon des impératifs moraux, ou de produire une ville pour les «riches» qui tend à satisfaire un besoin de reconnaissance économique à l’ échelle mondiale. Il s’ agit de dépasser le dilemme présent et cela, pour faire de la ville pour la Ville.

220

Vers une autre planification

Puisque le «concept de ville est confondu avec un modèle singulier, le nôtre» [O. Louiset 2011: 265], une planification harmonieuse pour Bombay qui tendrait uniquement à atteindre le statut de ville de classe mondiale et à suivre des normes urbanistiques «d’ailleurs» n’ est pas possible. La légitimité des architectes et des urbanistes est par conséquent remise en question. Comme le relève l’ architecte Rem Koolhaas « la seule relation légitime que les architectes peuvent entretenir avec le chaos comme sujet consiste à prendre leur juste place au sein de l’ armée de ceux qui s’ emploient à lui résister et qui échouent». [R. Koolhaas, 1994] Nous pensons en effet que la ville de Bombay, tant qu’ elle sera appréhendée comme un synonyme de chaos — puisqu’ à l’ encontre de l’ ordre symbolique et matériel universel — et considérée comme un lieu d’ antithèses insurpassables, sera un sujet d’ échec pour les planificateurs. C’ est essentiellement à la dimension matérielle — bâtie, démographique, morphologique, etc. qui se traduit dans un langage commun, partagé de tous — que la primauté est accordée. Les planificateurs ne possèdent pas les préceptes visuels pour orienter la diversité matérielle de Bombay, qui est un motif de confusion et qui souvent, est assimilée au désordre. C’ est en ce sens que l’ urbanité est le facteur manquant pour une planification harmonieuse puisque ce n’ est qu’ au travers de la compréhension du lieu et de ses pratiques que l’orientation de la diversité est possible. Au travers de notre ébauche, les caractéristiques socio-spatiales propres à l’ urbanité indienne — aussi hypothétiques soient-elle — sont portées au devant de la scène urbaine. A elle seule, la fonction première d’ un lieu ne permet pas de reconnaître la diversité. C’ est par la pluralité des usages effectifs que l’ urbanité peut être identifiée. La dimension temporelle devient indissociable de l’ espace:

221

on ne répartit pas les usages spatialement, on les répartit rythmiquement. La valeur de l’ espace n’ est pas manifestée à travers la permanence mais au travers du mouvement et de la capacité à assimiler les changements. L’ espace est polyvalent et la forme induit plusieurs usages. La question initiale que nous nous sommes posée était: si exemple à suivre en terme d’ aménagement du territoire il y a, quelle planification pour la ville de Bombay? Dans tous les cas, il semble être périlleux ici de prendre comme exemple les modèles universels de ville. En revanche, nous avons tout à apprendre de ce dernier. C’ est premièrement par une recherche au travers de la dimension idéelle de ce que devrait être la ville que la norme a pu être identifiée. Ce n’ est qu’ en sortant des logiques habituelles intégrées dans notre subconscient — en s’ écartant d’ un «modèle à suivre» pour faire de l’ urbanisme, en faisant un détour au travers d’ une marge, ici le slum — que des exemples indiens d’urbanisation ont été trouvés pour une appréhension différente du territoire de Bombay. La planification telle que pratiquée et entendue ne fonctionne pas pour Bombay. Il faut par conséquent apprendre de celle-ci, récupérer ce que l’ on peut et ce que l’ on veut (cela dépend), puis emprunter un chemin différent qui nous mènera à une manière différente de produire cette ville indienne. La démarche n’ est pas d’ injecter le «facteur manquant» à cette planification. Il s’ agit d’ emprunter une voie différente, à partir du même point de départ, avec la même intention — planifier — mais qui aboutira, peut-être, à des solutions spatiales fondamentalement différentes. On ne parle pas de formes encore inconnues, de programmes et de fonctions inventées, ou d’ expressions architecturales nouvelles, mais juste d’ un processus de planification différent qui intègre des caractéristiques théoriques et une compréhension diffé-

222

rentes de celles généralement utilisées. Pour Bombay, une autre planification est nécessaire. C’ est par conséquent dans l’ acceptation de certaines réalités manifestées au sein de cette ville et l’ empreint d’ un autre chemin, que la résistance dont parle Koolhaas pourrait être évacuée. Le dilemme ainsi susceptible d’ être dépassé, une nouvelle légitimité peut prendre forme pour les urbanistes et les architectes

223

Vers un projet

Pour une autre planification, notre intervention portera sur la matérialisation des composantes formelles de la ville et non pas sur la transformation des marges en norme. C’ est en effet, en réconciliant la ville du zonage avec l’ urbanité indienne, qu’ une harmonie devrait pouvoir être trouvée. Un premier choix peut dès lors être pris: celui de faire la ville sur la ville. Il ne s’ agit plus d’ être obsédé par la création d’ une ville nouvelle, là où le terrain est disponible, ou par la réhabilitation d’ un slum, mais spécifiquement par la manipulation de l’ infrastructure existante «en vue d’ une infinité d’ intensifications et de diversifications, de raccourcis et de redistributions: la réinvention de l’ espace psychologique. Puisque l’ urbain est maintenant omniprésent, l’ urbanisme ne traitera plus jamais du “nouveau“ mais seulement du “plus“ et du “modifié“». [R. Koolhaas 1994: 82-83] Il ne s’ agit pas non plus de proposer un nouveau dessin pour l’ entier de la ville ou d’ intervenir, a priori, sur les icônes urbaines qui représentent la ville de classe mondiale ou la ville coloniale. Il s’ agira d’ irriguer le territoire de Bombay par du potentiel, en mettant en évidence, à l’ intérieur même de la ville, les lieux de liens qui présenteraient, après une intervention, les capacités de participer au processus de globalisation et en même temps de permettre une reconfiguration sociale et urbaine. Un deuxième choix peut également être fait: il faut passer de la théorie à la pratique par la projection de lieux figuratifs­— tels que les maidans, les tanks, et certaines rues — qui sauraient s’ engager avec les différentes composantes de la ville. Dès lors, quelques pistes peuvent être envisagées. L’ ère industrielle que la ville a connu, fut le produit de nombreuses spéculations. Sous le regard encourageant de l’ Etat, les terrains précieux se virent occupées par les projets d’ investisseurs privés. C’ est ainsi une qu’ une grande partie des infrastructures de la ville furent

224

construites. Tel fut le cas notamment des lignes ferroviaires, des industries textiles, les mills, et des constructions portuaires, les docks. A la suite de la restructuration mondiale et de la post-industrialisation, une nouvelle vague de revendication des terres transforma le paysage urbain et engendra le démantèlement, sites après sites, de l’ héritage industriel, pour y intégrer de nouvelles fonctions. La plupart des sites démantelés sont aujourd’ hui des enclaves fermées ou supportent des centres commerciaux. Certaines de ces infrastructures persistent tout de même. Elles représentent le déclin de l’ ère industrielle et sont sujettes à de nombreux conflits en ce qui concerne leur destination programmatique, les relations entre le public et le privé, et les bénéficiaires potentiels. [K. Shannon, 2009] En effet, beaucoup de ces infrastructures ne servent plus, sont sousutilisées et subsistent à l’ état de friche au coeur du tissu urbain. Tel est le cas de nombreux mills — situés sur la côte ouest entre la baie de Mahim et celle de Back Bay — et du quartier des docks — le long de la côte ouest. La fonction première qui leur avait été attribuée n’ a plus lieu d’ être: les activités du port de la péninsule ont été déplacées sur le côté continental de la baie à New Bombay et ces lieux sont en partie occupés de manière informelle, et les usines textiles sont, pour la plupart, inutilisées ou fermées. Plus que de simples ruines ou des terrains immobiliers de premier ordre, ces friches urbaines présentent un fort potentiel d’ interventions. De la même manière que la figure des maidans, ces infrastructures font partie de l’ héritage colonial et sont inscrites dans la mémoire collective. [K. Shannon, 2009] Ce pour quoi elles ont été construites n’ a plus lieu d’ être. Une limite produite par la fonction première n’ est plus, permettant ainsi leur requalification. En les ouvrant à la sphère publique, de la même manière que les tanks et les rues le sont — ­ sans restriction et ouverts à tous — elles peuvent devenir des lieux de lien, capables de reconnaître les diffé-

225

rentes composantes de la ville. Une nouvelle valeur leur serait donnée, celle d’ assimiler les changements dans le temps et de reconnaître le mouvement dans l’ espace. Elles participeraient dès lors au renforcement de la société et seraient élevées au rang de bien commun. A l’ aide d’ une intervention architecturale, plusieurs usages, répartis spatialement et rythmiquement, seraient induits. Le programme qui serait proposé ne devrait pas fixer l’ espace dans une hiérarchisation de fonctions, ni cristalliser ce qui ne saurait l’ être ou imposer des limites. Il faudrait permettre les hybrides, les convergences d’ intérêts, une polarisation sans ancrage, ouverte et adaptable. A travers des formes fortement qualifiées, sans restreindre les possibilités créatives des usagers, l’ espace deviendrait polyvalent. De par leur transformation, ces lieux pourraient par conséquent devenir des modèles indiens d’ urbanisation sur lesquels se baser pour une autre planification. Dès lors, une nouvelle étape peut commencer... Proposer des indices pour une autre planification, telles furent nos ambitions. Ce travail est une étape et les solutions proposées sont hypothétiques et loin de nous mener vers un nouvel urbanisme. Il ne constitue pas un aboutissement en soi mais doit être compris comme le premier pas d’ une réflexion qui pourrait s’ étendre et se préciser, voir même, aller au-delà du territoire indien. Après ce travail, nous continuons de penser qu’ il est essentiel de se poser des questions — pour pouvoir apprendre, mais surtout pour évoluer — auxquelles nous sommes sûrs de ne pas pouvoir répondre. Telle fut notre expérience. Pour la suite, la ville de Bombay restera notre laboratoire. Un projet architectural sera proposé sur un des sites identifiés: les mills et les docks. Un programme qui permettrait de reconnaître les caractéristiques de l’ urbanité indienne sera établi. C’ est ainsi, en permettant une adéquation entre un lieu et les pratiques d’ une société, que l’ architecture et les hommes devraient pouvoir se réconcilier et permettre à la ville d’ exister. 226

figure 47

rues, mills, docks

figure 48

des territoires

Annexe

Bibliographie Adarkar Neera & Desai Padma Achwal, 2009, Destruction of a Legacy in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 71-81 AMOMA/ Koolhaas Rem/ &&& Simon Brown Jon Link/ TASCHEN, 2004, Content, Köln, TASCHEN Angélil Marc & Hehl Rainer, 2012, Informalize! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol. 1, Berlin, Ruby Press Ascher François, 2010, Les nouveaux principes de l‘ urbanisme suivi de Lexique de la ville plurielle, La Tour-d‘ Aigues, Éditions de l‘ Aube Baitsch Tobias, 2007, Vom städtischen Notfall zur Normalität: der Übergang vom Slum zur Stadt, dargestellt am Beispiel Bombay, Indien, Zürich, ETH Zürich Departement Architektur Dozentur Soziologie Balmond Cecil & Smith Jannuzzi, 2007, Informal, München, Prestel Beja Da Costa Ana, Favaro Sabina & Campos Luciana, 2009, Shifting Ecologies in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 57-69 Berger Alan & Mehrotra Rahul, 2010, Landscape + Urbanism around the Bay of Mumbai, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology Boyarsky Nicholas & Lang Peter, 2003, Urban Flashes Asia, Great Britain, WileyAcademy Buch Mahesh N., 1996, Public Space in: Mehrotra Rahul & Nest Guenter, 1996, Public Places Bombay, Bombay, Max Mueller Bhavan, pp. 11-17 Corboz André, 2001, Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Paris, Les Éditions de l‘ Imprimeur Corboz André, 2001, Le territoire comme palimpseste, La recherche : trois apolo-

gues in: Le territoire comme palimpseste et autre essais, Paris, Les Éditions de l‘ Imprimeur, pp. 21-30, pp. 209-228. Correa Charles, 1989, The New Landscape Urbanisation in the Third World, Bombay ,The Book Society of India Correa Charles, 1989, Belapur Incremental Housing, Navi Mumbai, India in: De Meulder Bruno & Shannon Kelly, 2010, Human Settlements Formulations and (re) Calibrations, Amsterdam, SUN Academia and authors, pp. 94-97 Correa Charles, 2009, Learning from Bombay in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 133-139 Davis Mike, 2004, Planet Of Slums in: new left review 26 mar/apr 2004, London, pp. 5-34 De Maat Sytse, 2012, To zone or not to zone, in: The Perfect Slum, on the empty section of the architectural library; (http://theperfectslum.blogspot.ch/; conuslté le 05.10.2012) De Meulder Bruno & Shannon Kelly, 2010, Human Settlements Formulations and (re)Calibrations, Amsterdam, SUN Academia and authors Desai Padma Achwal, 2009, Politics of Inclusion and Exclusion in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 93-109 Didelon Valéry, 2011, Valeur d‘ usage, valeur d‘ image: la nouvelle école d‘ architecture de Nates in: Criticat n° 8/ septembre 2011, Paris, Association Criticat, pp. 5-17 D‘ Monte Darryl, 2007, A Matter of People in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 41-42 Dossal Mariam, 2010, Theater of Conflict, City of Hope: Mumbai 1660 to Present Times, New Delhi, Oxford University Press

Dwivedi Sharada & Mehrotra Rahul, 1995, Bombay the Cities Within, Bombay, India Book House Pvt Ltd Echanove Matias & Srivastava Rahul, 2009, The Tool-House in: UDRI Urban Design Research Institute, 2009, Mumbai Reader‘ 08, Bombay, Urban Design Research Institute, pp. 380-388 Echanove Matias & Srivastava Rahul , 2010, The Village Inside in: Goldsmith Stephen and Elizabeth Lynne, What We See: Advancing the Observation of Jane Jacobs, 2010, New York, New Village Press Echanove Matias, 2012, Homemade Urban Development: Tokyo to Mumbai, Mumbai/Goa, Institute of Urbanology; conférence du 09 octobre 2012, Lausanne, EPFL Laboratoire LaSUR Friedman Yona, 1976, Utopies réalisables, Paris, Union générale d’ éditions Frug Gerald, 2007, A ‚ Rule of Law‘  for Cities in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 14-15 Giddens Anthony, 1984, The Constitution of Society, Berkley, University of California Press Goffman Erving, 1963, Behaviour in Public Places, New York, Free Press Gosseye Janina, 2009, Mumbai‘ s Maidans in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 121-131 Gupta Narayani, 1996, The Indian Street as Processional Way in: Mehrotra Rahul & Nest Guenter, 1996, Public Places Bombay, Bombay, Max Mueller Bhavan, pp. 29-35 Habib Engqvist Jonatan & Lantz Maria, 2008, Dharavi Documenting Informalities, Stockholm, The Royal University College of Fine Art Harvey David, 2008, The Right to the City in: new left review 53 sep/oct 2008,

London, pp. 23-40 Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books Hernández Felipe & Kellett Peter, 2010, Introduction: Reimagining the Informal in Latin America in: Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books, pp. 1-19 Hertzberger Herman, 1962, Fonctionnalité, flexibilité et polyvalence in: Leçons d’ architecture, éditions In Folio 2010 Hoskote Ranjit, 1996, Hyphens & Ellipses in: Mehrotra Rahul & Nest Guenter, 1996, Public Places Bombay, Bombay, Max Mueller Bhavan, pp. 37-43 Jacobs Jane, 1991, Les conditions génératrices de diversité, La malédiction des frontières désertes in: Déclin et survie des grandes villes américaines, Mardaga, Éditions Pierre, pp. 149-156, 257-268. Jain Kulbhushan, 1996, Sense of Place in: Mehrotra Rahul & Nest Guenter, 1996, Public Places Bombay, Bombay, Max Mueller Bhavan, pp. 7-9 Jáuregui Jorge Mario, 2010, Urban and Social Articulation: Megacities, Exclusion and Urbanity in: Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books, pp. 207-223 Jencks Charles & Silver Nathan, 1972, Adhocism The Case for Improvisation, Garden City, New York, Doubleday Karkun Abhijit, Belhoste Nathalie & Fernandez Bernard, 2008, Culture et gestion en Inde : Shining India ou l’ art de diriger en Inde, Chapitre VII .2, in: Davel Eduardo, Dupuis Jean-Pierre & Chanlat Jean-François (dir.), 2008, Gestion en contexte interculturel: approches, problématiques, pratiques et plongées, Québec, Presses de l’ Université Laval et Téléuniversité (UQAM); (http://asl.univ-montp3. fr/e41slym/culture_gestion/INDE_culture_et_gestion.pdf, consulté le 27.11.2012)

Koolhaas Rem, 1994, Qu‘ est-il arrivée à l‘ urbanisme? in: Criticat n° 8/ septembre 2011, Paris, Association Criticat, pp. 80-83 Koolhaas Rem, 2011, Junkspace, Paris, Éditions Payot & Rivages Kundu Amitabh, 2007, Future of Indian Cities in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 5-6 Lafontaine Simon, 2012, Hypothèses d’ amarrages, une intervention artistique à Montréal: contribution à l’ esthétique et à la politique du paysage urbain, Université du Québec à Montréal; (http://www.archipel.uqam.ca/4628/1/M12376.pdf; consulté le 02.01.2013) Laguerre Michel S., 1994, The Informal City, New York, St. Martin‘ s Press Lantz Maria, 2008, Who‘ s afraid of the urban poor? in: Habib Engqvist Jonatan & Lantz Maria, 2008, Dharavi Documenting Informalities, Stockholm, The Royal University College of Fine Art, pp. 31-41 Lerner Jaime, 2007, Acupuncture urbaine, Paris, L‘ Harmattan Levy Jaques, 1999, Compositions in: Le tournant géographique, Éditions Belin, pp. 88-96. Loeckx André, 2009, Towards an Urban Debat in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 178-191 Louiset Odette, 2011, L‘ oubli des villes de l‘ Inde, Paris, Armand Colin Lützelschwab C., 2012, Histoire de la mondialisation: Mouvements de colonisation et développement économique: une perspective longue, Cours Epfl, présentation du 03 décembre 2012, pp. 8-13 Lynch Kevin, 1981, A Theory of good City Form, Cambridge, The Massachusetts Institut of Technology

Mathur Anuradha, 1999, Neither Wilderness nor Home: The Indian Maidan, in: J. Corner (ed.) Recovering Landscape. Essays in Contemporary Landscape Architecture, New York, Princeton Architectural Press, pp. 205-215 Mehrotra Rahul, 1991, One Space, two Worlds in: Architecture + Design, Bombay, Vol. VIII No. 6, Nov-Dec 1991, pp. 12-19 Mehrotra Rahul & Nest Guenter, 1996, Public Places Bombay, Bombay, Max Mueller Bhavan Mehrotra Rahul, 2005, Everyday Urbanism Margaret Crawford vs. Michael Speaks, Michigan, The Regents of the University of Michigan Mehrotra Rahul, 2007, Remaking Mumbai in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 46-47 Rahul Mehrotra, 2008, Negotiating the Static and the Kinetic Cities in: Huyssen Andreas, 2008, Other Cities Other Worlds, London, Duke University Press, pp. 205-218 Mehrotra Rahul, 2009, Kinetic City in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 141-149 Mehta Suketu, 2004, Maximum City Bombay lost and found, New York, Vintage Books Mehta Suketu, 2007, Maximum City in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 43-44 Neville Matthew, 2009, Banganga in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 111-119 Nissel Heinz, 1977, Bombay Untersuchungen zur Struktur und Dynamik einer indischen Metrople, Berlin, Institut für Geographie der Technischen Universität

Berlin; Berliner geographische Studien Nissel Heinz, 1997, Megastadt Bombay - Global City Mumbai? Urbanisierungstendenzen in Indien und Spitzenposition Bombays im städtischen System in: Husa Karl, Pilz Erich & Stacher Irene, Historische Sozialkunde 12: Die Metroploen des Südens zwischen Globalisierung und Fragmentierung, Frankfurt am Main, Brandes und Apsel, pp. 95-112 Parasuraman S., 2007, Uncovering The Myth of Urban Development in Mumbai in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 39-40 Phatak Vidyadhar K., 2009, The (Im)Possibility of Planning the Mumbai Megaregion in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 105-109 Raffestin Claude, 1986, Ecogénèse territoriale et territorialité in: Auriac F. et Brunet R. (eds.), Espaces, jeux et enjeux, Paris, Fayard, pp. 173-185. Rode Philipp, 2007, The Compact Mega City in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 45 Roy Ananya, 2005, Urban Informalities: Toward an Epistemology of Planning, Chicago IL, Journal of the American Planning Association, Spring 2005, Vol. 71, No. 2, pp. 147-158 Roy Ananya, 2011, Slumdog Cities: Rethinking Subaltern Urbanism in: Angélil Marc & Hehl Rainer, 2012, Informalize! Essays on the Political Economy of Urban Form Vol. 1, Berlin, Ruby Press, pp. 107-138 Ruzicka-Rossier Monique, 2005, Développement territorial et urbanisme I, Notes de cours, Lausanne EPFL, Laboratoire Chôros; (http://choros.epfl.ch/webdav/ site/choros/shared/Enseignement/Developpement%20territorial%20et%20 urbanisme/06-07%20S1/Documents/Notes%20de%20Cours%20Session05-06_0607.pdf; consulté le 05.11.2012) Ruzicka-Rossier Monique, 2012, Usage du sol et densité, cours n°7 Urbanisme et

territoire, Lausanne EPFL, Laboratoire Chôros; (http://moodle.epfl.ch/course/ view.php?id=11401; consulté le 05.11.2012) Sack Robert, 1986, Human Territoriality. Its Theory and History, Cambridge, Cambridge University Press Sassen Saskia, 2001, The Global City in: Habib Engqvist Jonatan & Lantz Maria, 2008, Dharavi Documenting Informalities, Stockholm, The Royal University College of Fine Art, pp. 20-24 Sassen Saskia, 2007, Cities and City Regions in Today‘ s Global Age in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 12-13 Secchi Bernardo, 2000, Urbanistes, Racines in: Première leçon d’ urbanisme, Marseille, Éditions Parenthèses, pp. 37-65. Sennett Richard, 1990, La consience de l‘ oeil Urbanisme et société, France, rééditer en 2009, Éditions Verdier Sieverts Thomas, 2004, L’ organisation de l’ espace de la vie quotidienne in: Entreville, une lecture de la Zwischenstadt, Éditons Parenthèses, pp. 91-107. Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors Shannon Kelly, 2009, Reclaiming Mumbai in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 9-23 Shannon Kelly, 2009, Projective Mapping in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 26-53 Shannon Kelly, Loeckx André & De Meulder Bruno, 2009, Framing the Urban Project in Mumbai in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 192-203

Shannon Kelly, 2009, Dharavi: Contested Shadow City in: De Meulder Bruno & Shannon Kelly, 2010, Human Settlements Formulations and (re)Calibrations, Amsterdam, SUN Academia and authors, pp. 98-101 Sharma Kalpana, 2009, Dharavi in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 83-91 Shivkumar Rohan, 2009, The Extraordinary Everyday in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 151-157 Sivaramakrishnan K.C. , 2007, Democracy in Urban India in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 7-8 Srinavas Smriti, 2004, Landscapes of Urban Memory. The Sacred and the Civic in India’ s High-Tech City, Hyderabad, Orient Longman Stern Nicholas, 2007, The Economics of Climate Change in Indian Cities in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 11 Strickland Roy, 2005, Post Urbanism & ReUrbanism Peter Eisenman vs. Barbara Littenberg and Steven Peterson, Michigan, The Regents of the University of Michigan Sudjic Deyan, 2007, India‘ s Urban Shift in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 4 Tiranishti julian & Gjoklaj Elisabeta, 2009, Potential in Mumbai‘ s Post-Industrial Waste Landscapes in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, pp. 159-175 Tiwari Geetam, 2007, Urban Transport in Indian Cities in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, pp. 9-10 UDRI Urban Design Research Institute, 2009, Mumbai Reader‘ 08, Bombay,

Urban Design Research Institute UNHABITAT, 2009, Global Report on Human Settlements 2009: Planning Sustainable Cities, London, Earthscan UNHABITAT, 2010, State of the World‘ s Cities 2010/11: Bridging the Urban Divide, London, Earthscan Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science Van der Veer Peter, 1985, Brahmans: their purity and their poverty on the changing values of brahaman priests, in: Contribution to Indian Sociology Delhi, 1985, vol. 19, no2, SAGE Publication New Dehli/ Beverly Hilly/ London, pp. 303-332; (http://igitur-archive.library.uu.nl/UC/2005-0622-191107/4856.pdf; consulté le 25.11.2012) Van Eyck Aldo, 1962; in: Forum, vol.16, no.2, 1962 Vekstein Claudio, 2010, Public-City in Manifesto: The Formal City In-formed by Public Interest in: Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books, pp. 225-235 Wallerstein Immanuel, 1976, Capitalist Agriculture and the Origins of the European World Economy in the Sixteenth Century, New York, Academic Press Webpages First report of the Chief Minister’ s Task Force, Transforming Mumbai into a World-Class City, February 2004; (http://www.visionmumbai.org/images/projects/taskforce_report.pdf; consulté le 27.11.2012) www. zoom-cinema.fr «Slumdog Millionnaire» a reçu 26 prix et 17 nominations, dont 4 Golden Globes, 7 BAFTA et 8 Oscars lors de la 81e Cérémonie des Oscars. www.m6.fr

Notes The Registrar General & Census Commissioner, India (2011). (http://www. censusindia.gov.in/2011-prov-results/paper2/data_files/India2/Table_2_PR_ Cities_1Lakh_and_Above.pd; consulté le 09.10.2012) 1

Ranking of districts of Maharashtra by population size (2011), (http://www. censusindia.gov.in; consulté le 03.11.2012) 2

Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 17 3

Ranking of districts of Maharashtra by population size (2011), (http://www. censusindia.gov.in; consulté le 03.11.2012)

4

Rode Philipp, 2007, The Compact Mega City in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 45 5

The Registrar General & Census Commissioner, India (2011). (http://www. censusindia.gov.in/2011-prov-results/paper2/data_files/India2/Table_2_PR_ Cities_1Lakh_and_Above.pd; consulté le 09.10.2012) 6

Mehta Suketu, 2004, Maximum City Bombay lost and found, New York, Vintage Books, p. 3

7

Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 19

8

9

Idem, p. 19-21

Shannon Kelly, 2009, Reclaiming Mumbai in: Shannon Kelly & Gosseye Janina, 2009, Reclaiming (the urbanism of) Mumbai, Amsterdam, Uitgeverij SUN and authors, p. 21

10

Nissel Heinz, 1997, Megastadt Bombay - Global City Mumbai? Urbanisierungstendenzen in Indien und Spitzenposition Bombays im städtischen System in: Husa Karl, Pilz Erich & Stacher Irene, Historische Sozialkunde 12: Die Metroploen des 11

Südens zwischen Globalisierung und Fragmentierung, Frankfurt am Main, Brandes und Apsel, p. 103 12 Parasuraman S., 2007, Uncovering The Myth of Urban Development in Mumbai in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 39 Mehta Suketu, 2004, Maximum City Bombay lost and found, New York, Vintage Books, p. 117

13

Parasuraman S., 2007, Uncovering The Myth of Urban Development in Mumbai in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 39 14

Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 20

15

Countries of the world- GDP per capita, 2007, (http://www.photius.com/rankings/economy/gdp_per_capita_2007_0.html; consulté le 22.12.2012)

16

Office fédéral de la statistique (2012); (http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/ index/themen/04/02/01/key/bip_einw.html; consulté le 01.01.2013)

17

Crédit Suisse Convertisseur de monnaies (2012); (http://www.oanda.com/ convert/classic?user=creditsuisse_fr&lang=fr; consulté le 01.01.2013)

18

Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 32

19

Sudjic Deyan, 2007, India‘ s Urban Shift in: Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 4

20

The Registrar General & Census Commissioner, India (2011). (http://censusindia.gov.in/Census_Data_2001/Census_Data_Online/Social_and_cultural/Religion.aspx; consulté le 20.12.2012)

21

Rosenberg Matt, 2012, Bollywood India‘ s Movie Industry Known as Bollywood in: About.com (http://geography.about.com/od/culturalgeography/a/bollywood.

22

htm; consulté le 02.01.2013) Mehta Suketu, 2004, Maximum City Bombay lost and found, New York, Vintage Books, p. 122

23

Berger Alan & Mehrotra Rahul, 2010, Landscape + Urbanism around the Bay of Mumbai, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, p. 125

24

Urban Age India Conference, 2007, Urban India: Understanding the Maximum City, London, The London School of Economics and Political Science, p. 28

25

26

Idem

Rediff India Abroad, R. Kamath, Mumbai’ s Nariman Point bounces back!, Last updated on: March 9, 2010 21:00 IST; (http://business.rediff.com/slideshow/2010/mar/09/slide-show-1-mumbais-nariman-point-bounces-back. htm#contentTop, consulté le 03.12.2012)

27

Rediff India Abroad, Mumbai among top 10 costliest office markets,Last updated on: May 7, 2010 20:22 IST; (http://business.rediff.com/slide-show/2010/ may/07/slide-show-1-mumbai-among-top-10-expensive-office-markets. htm#contentTop; consulté le 03.12.2012) 28

R. Padmanabhan, A Rent Act under review, in India’ s National Magazine; Vol. 15, No. 08, April 1998; (http://www.frontlineonnet.com/fl1508/15081080.htm; consulté le 02.12.2012) 29

Observatoire Mondial Urbain ONU-HABITAT, Guide pour l’ Evaluation de la Cible 11: Améliorer sensiblement la vie de 100 millions d’ habitants des bidonvilles, Avril 2003; (http://ww2.unhabitat.org/programmes/guo/documents/ mdgtarget11f.pdf, consulté le 12.10.2012)

30

Rapport Mondial de l’ UNESCO, 2009, Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, Paris, G. Kutukdjian & J. Corbett; (http://unesdoc.unesco. org/images/0018/001847/184755f.pdf; consulté le 29.10.2012), p. 3

31

Rapport Mondial de l’ UNESCO, 2009, Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, Paris, G. Kutukdjian & J. Corbett; (http://unesdoc.unesco.

32

org/images/0018/001847/184755f.pdf; consulté le 29.10.2012), p. 6 Rapport Mondial de l’ UNESCO, 2009, Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel, Paris, G. Kutukdjian & J. Corbett; (http://unesdoc.unesco. org/images/0018/001847/184755f.pdf; consulté le 29.10.2012), p. 25

33

34

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

35

Encyclopédie Libre, Wikipédia, 2012, (http://fr.wikipedia.org)

36

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

37

Encyclopédie Libre, Wikipédia, 2012, (http://fr.wikipedia.org)

38

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

39

Idem

40

Larousse Dictionnaire Français, 2012, http://www.larousse.fr

Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books

41

42

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

Hernández Felipe, Kellett Peter & Allen Lea K., 2010, Rethinking the Informal City Critical Perspectives from Latin America, New York, Berghahn Books

43

Organisation des Nations Unies pour l’ éducation, la science et la culture, 2012, La tradition du chant védique; (http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/00062; consulté le 05.01.2013)

44

45

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

46

Idem

47

Encyclopédie Libre, Wikipédia, 2012, (http://fr.wikipedia.org)

48

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012, (http://www.cnrtl.fr)

Casanova Marielly, Fajardo Jamieson, Khandani Romina, Spatafore Ashley, 2009, LIVE WORK^[3] a [RE] SELF-DEVELOPMENT PROCESS, in: Mumbai Dharavi - Scenarios for development, Columbia University Graduate School of Architecture, Planning and Preservation Master in Architecture and Urban Design, pp. 68-69; (http://issuu.com/gsapponline/docs/dharavi-web-preview2; consulté le 28.11.2012) 49

50

Encyclopédie Libre, Wikipédia, 2012, (http://fr.wikipedia.org)

Figures 00 Diamond Industry, Bombay, Raghu Rai, PAR309138, http://www.magnumphotos.com 01 Parade of Stars, Bombay, Bruno Barbey, PAR100417, http://www.magnumphotos.com 02 Bombay, http://www.flickr.com/photos/gusthead/6100733704/sizes/o/in/photostream/ 03 Victoria Terminus 1900, Bombay, http://oldphotosbombay.blogspot.ch/2010/06/bombay- 1870-victoria-railway-terminus.html 04 Les sept îles, Bombay, auteur 05 Fort Area 1800, Bombay, auteur 06 Le développement de la ville 1870, Bombay, auteur 07 Le développement de la ville 1900, Bombay, auteur 08 Le développement de la ville 1920, Bombay, auteur 09 Le développement de la ville 1950, Bombay, auteur 10 Le développement de la ville 1990, Bombay, auteur 11 Tissu urbain, Bombay, auteur 12 Orthophoto, Bombay, auteur (googleearth) 13 Construction, Bombay, http://www.flickr.com/photos/milankapasi/3891712361/sizes/o/ in/photostream/ 14 Dharavi, Bombay, http://www.flickr.com/photos/el-arbolito/4759702611/sizes/o/in/pho tostream/ 15 Slums, Bombay, auteur 16 Bombay, Steve McCurry, NYC5919, http://www.magnumphotos.com 17 Dharavi, Bombay, Jonas Bendiksen, PAR333906, http://www.magnumphotos.com 18 Slum, Bombay, http://www.flickr.com/photos/vasilek/355846690/sizes/o/in/photostream/ 19 Summer months, Bombay, Raghu Rai, PAR275283, http://www.magnumphotos.com 20 Dharavi, Bombay, http://www.flickr.com/photos/13626255@N08/2097073264/sizes/o/in/ photostream/ 21 Tool-houses in Dharavi, Bombay, Sytse de Maat, http://www.airoots.org/?s=tool+house 22 Pottery, Dharavi, Bombay, http://www.flickr.com/photos/13626255@N08/2405820061/in/ photostream/ 23 Slum-dwellers Stage a Sit-in, Bombay, http://citizenshift.org/system/files/imagecache/ photo_large/images/Mumbai-sit-in.JPG 24 Slum Cricket, Bombay, http://belletakesontheworld.files.wordpress.com/2012/06/19.png 25 Lieu de culte dans un slum, Bombay, référence manquante 26 Festival of Ganpati in Dharavi, Bombay, Jonas Bendiksen, PAR333872, http://www.mag numphotos.com 27 Dharavi, Bombay, http://www.flickr.com/photos/13626255@N08/2410085430/sizes/o/in/ photostream/ 28 Dharavi Street, Bombay, http://www.awesomestories.com/assets/dharavi-scene-from-life- in-jamals-town 29 Orthophoto Bombay, Bombay, google earth, auteur 30 Orthophoto Cross et Oval Maidan, Bombay, google earth, auteur 31 Espaces ouverts, Bombay, auteur 32 Oval Maidan, Bombay, http://www.flickr.com/photos/21131161@N07/8153844793/ sizes/o/in/photostream/ 33 Shivaji Maidan, Bombay, http://thecommonmanspeaks.com/wp-content/up loads/2011/12/Anna-Hazare-December-11-5.jpg

34 Orthophoto Banganga Tank, Bombay, google earth, auteur 35 Temples et Tanks, Bombay, auteur 36 Banganga Tank, Bombay, http://www.flickr.com/photos/mike923/4466097967/sizes/l/in/ photostream/ 37 Banganga Tank, Bombay, http://www.flickr.com/photos/fabindia/154433102/sizes/o/in/ photostream/ 38 Banganga Tank, Bombay, http://www.flickr.com/photos/gargi/4635030833/sizes/o/in/ photostream/ 39 Banganga Tank, Bombay, http://www.flickr.com/photos/lecercle/360694412/sizes/o/in/ photostream/ 40 Orthophoto Rue, Bombay, google earth, auteur 41 Rues, Bombay, auteur 42 Prayers in Bombay streets, Bombay, http://theperfectslum.blogspot.ch/ 43 Train Station Bazaar, Bombay, http://www.openideo.com/open/vibrant-cities/inspiration/ mumbai-train-station-bazaars 44 „Ganesh Chaturthi“, Bombay, http://www.boston.com/bigpicture/2009/09/recent_hin du_festivals_and_rit.html 45 Chowpatty beach, Bombay, Steve McCurry, NYC107591, http://www.magnumphotos. com 46 Slums, maidans, temples et tanks, et rues, Bombay, auteur 47 Rues, mills et docks, Bombay, auteur 48 Des territoires, Bombay, auteur