à chacun le sien

constructiviste Naum Gabo (1890-1977). Matériaux ... management, c'estimportant de faire vivre le site internet sur les réseaux sociaux. Vous connaissez sur le ...
5MB taille 6 téléchargements 162 vues
N°1

À CHACUN LE SIEN LES COURSES DE RUE À MOSCOU RENCONTRE AVEC UN CHAMPION DU MONDE DE PELOTE BASQUE POURQUOI LE RUNNING AURA TOUS VOTRE PEAU GAME-OVERDOSE EN CORÉE DU SUD

Hobbies

3

Édito

Hobbies

LE PASSE-TEMPS RETROUVÉ Au téléphone, Carole, la trentaine, parle de sa passion pour l'exploration urbaine. Se balader dans des friches industrielles, des voies ferrées désaffectées ou des parcs abandonnés. Enthousiaste, elle explique qu'elle aimerait bien avoir un tatouage représentant son loisir, quelque part sur le corps. Mais comme elle est au chômage, ce n'est pas pour tout de suite. Et puis, tout d’un coup, sa voix change : « Attendez, votre magazine, ce n'est pas un truc à la Confessions Intimes ? » Silence outré. On jure que non, vraiment, surtout pas. Puis l'interview reprend. Carole n’a pas de souci à se faire, ni tous les autres passionnés qui apparaissent dans nos pages. Si nous lançons cette revue, c’est pour partager notre conviction : les hobbies sont une bouffée d'air salutaire dans notre quotidien. Tout âge, tout sexe, toutes professions confondues, nous avons tous un passe-temps. « Une libération périodique du travail à la fin de la journée, de la semaine, de l’année ou de la vie de travail », détaille le sociologue Joffre Dumazedier. Bien vu, l'artiste. Depuis trente ans, René collectionne des véhicules militaires dans un entrepôt du Gâtinais. À 26 ans, Peio lance un nouveau sport dans son Pays Basque natal. Des milliers de kilomètres plus loin, Seva fait crisser les pneus de sa Skoda à travers les rues de Moscou. Nous les avons rencontré pour leur poser des questions simples : où ? quand ? comment ? Et tenter ainsi de découvrir quelle pulsion enfantine se cache derrière leur marotte. Car au fond, de quoi s’agit-il, si ce n’est de retrouver l'émerveillement du gamin qui joue les traders à coups de vignettes Panini dans la cour de récré ? Consacrer une revue aux hobbies, c’est aussi aller sur le terrain, rendre compte des tendances du moment et dénicher d’improbables souscultures. Bref, s’aventurer là où les autres médias ne s’arrêtent guère, hormis le temps d’une minute quinze dans le journal télévisé de Jean-Pierre Pernault. Les hobbies sont pourtant un formidable baromètre de nos sociétés. « Dis moi comment tu occupes ton temps libre, je te dirais qui tu es », aurait sans doute professé Platon s’il avait geeké dans les cyber-cafés coréens (lire notre enquête à Séoul, p.49). Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore, nous sommes fiers de vous présenter HOBBIES. En espérant que vous preniez autant de plaisir à le lire que nous en avons eu à le concevoir.

Comme Lukas devant sa collection de vignettes Panini France 98, cultivez votre âme d'enfant

P.S. : Carole, confidence pour confidence, l'un des nôtres flambe chaque mois sa paie dans une collection de figurines Tortues Ninja. Couverture : Lucie Guislain par Hugo Denis-Queinec. Ci-contre : Luka Bensimen par Pablo Freda.

5

Sommaire

Hobbies

INTERVIEW Enfant de la balle Peio Tellier, 26 ans, champion du monde de pelote basque, p. 6 DÉCRYPTAGE Circuit bending L'art et la manière de bidouiller ses instruments, p. 12 PORTRAIT René, passion collection De la Jeep aux trains miniatures, p. 20 INTERVIEW #IKEAhackers Les pirates de la déco, p. 22 REPORTAGE Mon parc, ma bataille Mirapolis (1987-1991), p. 26 PORTFOLIO Des calibres et des hommes, p. 38

INTERNATIONAL ENQUÊTE Game overdose La cyber-dépendance en Corée du Sud, p. 48 INTERVIEW La nuit leur appartient Le street-racing à Moscou, p. 56

QUARTIER LIBRE TRIBUNE Comment je suis devenu accro aux jeux de plateau, p. 64 TRIBUNE Mon coin de paradis dans les bas-fond de facebook, p. 66 TRIBUNE Pourquoi le running aura tous votre peau, p. 68 TRIBUNE Pagan Metal : mon premier pogo en cotte de mailles, p. 70 INTERVIEW Discutaillerie à l’Échoppe Médiévale, p. 72 PORTFOLIO Des bas-de-caisse et des jantes, p. 78 BANDE-DESSINÉE Trouvez-vous un hobby et vous n'y penserez plus, p. 84 JEUX Êtes-vous un otaku au taquet ?, p. 86 ON A TESTÉ POUR VOUS Bon plan - Le permis de chaser en Île-de-France, p. 87 Pour plus de maquettes féeriques, rendez-vous p.27.

6

Interview

Hobbies

ENFANT DE LA BALLE PEIO TELLIER, 26 ANS, CHAMPION DU MONDE DE PELOTE BASQUE

De l'Antiquité grecque aux civilisations précolombiennes, aucune société n'a échappé au hobby le plus instinctif jamais inventé : se renvoyer la balle en tapant contre un mur. En 2015, la pelote basque est pourtant en perte de vitesse dans son pays d'origine. Cette filleule du jeu de paume est aujourd'hui relayée au rang de tradition folklorique. Pour remédier à cette situation, une poignée de passionnés a créé une version modernisée de la pelote, baptisée « frontball ». Parmi eux, Peio Tellier, ex-champion du monde de pelote à main nue. TEXTE ET PHOTOGRAPHIES PAR ANA PERROMAT

7

Interview

Hobbies

8 Rencontre au sommet devant la Mairie de Bidart, juillet 2015.

Interview

Hobbies

9

Interview

Hobbies

C'est par un matin de juillet que nous rencontrons Peio Tellier dans son village d'Urrugne. Comme convenu, il est arrivé en tenue traditionnelle de joueur de pelote basque. Polo, pantalon et baskets blanches, le tout assorti d'un foulard rouge noué autour de la taille. Ce soin impeccable le distingue immédiatement des fêtards qui se préparent pour les ferias de Pampelune. Des nombreuses disciplines que regroupe la pelote basque, Peio a choisi la « main nue ». Considérée comme la plus noble des spécialités, c'est aussi la plus rude. De fait, on la pratique aujourd'hui plus pour le spectacle que pour la compétition. Un constat qui peut s'appliquer à l'ensemble de la pelote basque, en voie de muséification. Pour faire face à ce défi, l'ancien champion du monde a décidé de participer au développement du frontball. Une version plus simple, plus pratique et plus moderne de la pelote, conçue pour redonner toute son attractivité à ce sport millénaire. De Marseille à Mexico, plusieurs centres d’entraînement sont aujourd'hui construits grâce à l'association Frontball Development. Les premiers championnats du monde sont même prévus en 2016, ce qui laisse un peu de temps à l'étudiant pour passer le concours du barreau de Bordeaux en septembre.

« En compétition, je regarde toujours si les baskets de mon adversaire sont propres : la pelote est un sport élégant et doit le rester » Cette passion pour la pelote basque te vient de ta famille ? Il faut savoir que toute ma famille est basque et que l'on parle basque à la maison. À 5 ans, je me suis inscrit avec mon grand frère au club de pelote de la ville d'Urrugne. On a choisi un club où l’on faisait de la pelote à main nue parce que mon grand-père, ancien membre de la Fédération Française de Pelote, était un fervent défenseur de cette discipline. Il faut croire que l'on avait des aptitudes naturelles car on est entré assez rapidement dans une logique de compétition, avec des entraînements et des tournois. On a participé aux championnats du Pays Basque puis aux champion-nats de France. En 2009, à 20 ans, j'ai fini par remporter la médaille d'or des championnats du monde en catégorie Espoirs. Ça ressemble à quoi un championnat du monde de pelote basque ? La compétition se passait dans un coin perdu d'Argentine, dans une petite ville qui s’appelle Galeguay. Il faut savoir qu'on pratique beaucoup la pelote en Amérique du Sud, il y a là bas un grand nombre de trinquets (NDRL. terrain sur lequel se joue la pelote). Notre arrivée en ville était incroyable : un peu comme dans les sports majeurs, on a défilé entre les drapeaux, pays après pays, au son de la fanfare. C'était comme si tous les habitants de la ville s'étaient rassemblés. Si le tournoi avait eu lieu au Pays Basque, tu penses que l'ambiance aurait été différente ? Sans doute. En Argentine, la pelote basque ne fait pas parti d'un folklore local, c'est un véritable sport de compétition. Quand on défilait dans les rues, il y avait des milliers de personnes, les gens criaient après nous et nous prenaient en photo, pendant ces quelques jours, on a été adulé.

Qu'as tu fait après avoir décroché le titre suprême ? J'ai commencé par me remettre de mes émotions, ça m'a pris quelques semaines. Il faut dire que la motivation manquait un peu en revenant dans les trinquets basques. Ce qui m'a remis dans le bain, c'était la détermination de mes adversaires. Il voyaient les matchs contre moi comme une occasion de se payer le nouveau champion du monde, j'ai dû défendre mon titre ardemment. En 2012, il y eu les championnats du monde senior à Pampelune, en Pays Basque espagnol. Malheureusement, je n'ai obtenu que la médaille d'argent en double après une défaite en finale contre les Mexicains. En Europe, on est trop classes, trop lisses, on devrait être plus saignants… Les Mexicains, eux, sont des requins, ils n’ont rien laissé passer. Mais c'est une bonne chose s’il y a du potentiel ailleurs, ça prouve que la pelote a su convaincre à l’étranger. Selon toi, pourquoi ce sport d'origine basque s'est si bien développé en Amérique du Sud ? Ça vient probablement de l’importante immigration basque aux États-Unis et en Amérique Latine. Ils avaient déjà des jeux de balles, notamment les Mayas avec leur Pok-a-Tok. Du coup, ils ont été très réceptifs à l’importation de la pelote. J'ai constaté qu'on ne voit pas beaucoup de femmes jouer à la pelote… La pelote à main nue n'est pas ouverte aux filles parce que la balle utilisée est trop rigide. Les mains féminines sont moins solides et ne résisteraient aux impacts. C’est très douloureux la pelote à main nue, tu es sûr de contracter des hématomes et des tendinites, même avec les protections… La barrière physiologique fait donc que les filles se tournent vers des disciplines

10

Interview

plus ouvertes comme la pala, où l'on envoie la balle grâce à une raquette en bois. Dans ce genre de catégories moins rudes, tu pourras voir jouer les filles avec et contre des garçons. Depuis quelques années, tu développes également un nouveau sport baptisé le frontball. Tu peux nous en parler ? C'est l’idée de Jean-Michel Idiart, un mec qui travaillait à la Fédération de Pelote Basque. Il est parti du constat que la pelote est un sport destiné à rester mineur, à cause des règles et des installations qu'elle nécessite. Un trinquet de compétition coûte par exemple des centaines de milliers d'euros. À part l'Amérique du Sud dont on a parlé et quelques autres exceptions, la pelote n'a pas vraiment réussi à s'exporter. Ce constat le chagrinait : quand tu aimes un sport, tu as envie qu'un maximum de gens le pratiquent. En 2008, il a donc crée le frontball, une nouvelle discipline inspirée de la pelote mais à vocation universelle. D'ailleurs, tu noteras que le nom est anglais. Comment Jean-Michel Idiart a réussi à créer un nouveau sport plus séduisant à partir de la pelote ? D'abord, il a modernisé tous les aspects de la pelote basque et s'est débarrassé de certaines contraintes. Le terrain de jeu a été réduit à un seul mur de 5 mètres de haut sur 7,5 mètres de large, alors que la pelote nécessite le plus souvent deux murs et un plafond pour les championnats internationaux. Partout où il y a un mur, tu peux donc jouer au frontball. Ensuite, il a fabriqué des balles beaucoup moins rigides, lourdes et violentes pour les mains des joueurs. Du coup, on n'a plus besoin de protection. On a revu le système de comptage : une partie de pelote se joue en 40 points, un match de frontball en 20 points. On passe de 1h30 à 45 minutes de jeu pour que ce soit plus dynamique. La tenue a aussi été repensée, le frontball reste élégant mais se joue en short et les casquettes sont admises. On ne peut pas porter de casquettes lors des tournois de pelote ? En 1998, lors de mon tout premier championnat, l'arbitre m'avait engueulé car je m’étais pointé avec une casquette. J'avais 8 ans, c'était en pleine canicule et la casquette était assortie à mon maillot, malgré toutes ces excuses, ce n'était pas passé. C'est une anecdote qui montre bien combien les dirigeants peuvent être à cheval sur les règles vestimentaires. De manière générale, je trouve qu'ils ont du mal à actualiser leur pensée. Dans tous les sports, au tennis comme au golf, les joueurs peuvent aujourd'hui porter des tenues pratiques, pourquoi il n'en serait pas de même pour la pelote ? Certes, l’habit blanc donne un côté vintage assez classe, mais il faut évoluer ! Pourquoi ne pas jouer tout en blanc, mais autoriser le short, comme à Wimbledon ?

Hobbies

Hobbies

Le style, c’est important pour un joueur de pelote ? Pour moi, c’est très important. Je fais en sorte d'arriver impeccable à chaque match. Et je regarde toujours si les baskets de mon adversaire sont propres : la pelote est un sport élégant et doit le rester. Il m'arrive de déprimer quand je regarde le tennis à la télévision, il y a des fautes de goût monumentales ! En la matière, Roger Federer est mon modèle parce que quelles que soient ses tenues, libres ou imposées, on sent qu'il fait attention à porter le polo et le short bien coupés. Vous avez des idées pour faire connaître le frontball ? On l'a inscrit comme discipline à part entière au sein de la Fédération Internationale de Pelote Basque et on est allé chercher des sponsors privés comme Nissan, EPTM ou le Crédit Agricole. Ensuite, plusieurs initiatives on été lancées dans différents pays. Au États-Unis, Jean-Michel savait qu'il y avait un potentiel énorme pour le frontball chez les joueurs de handball. Il a donc contacté la fédération en question pour organiser un tournoi dans le pays. On a créé des centres d'entraînement de frontball dans des quartiers défavorisés : il y en a un à Marseille et un dans le quartier de Tepito à Mexico. On est aussi allés en Palestine pour faire découvrir notre sport dans un camp de réfugiés, un voyage qui m'a beaucoup marqué. Du coup, ça marche ? Le frontball commence à s'exporter ? Absolument. En juillet 2013, on est allés jouer au frontball aux World Games en Colombie où figurent tous les sports hors Jeux Olympiques. On avait des étoiles plein les yeux. Les pays habituels de la pelote, comme l'Argentine, l'Uruguay, la Colombie ou les États-Unis, étaient présents. Mais il y avait aussi des Canadiens, des Chinois, des Bosniens ou des Russes. Bien que notre sport soit naissant, le stade était plein. Depuis 2009, il y a des tournois de qualification dans tous les pays que je t'ai cité. Ce tournoi se conclut par une finale qui a toujours lieu à Anglet, un grand show à l'américaine avec des jeux de lumières : des flammes qui s'élèvent à l'entrée de chaque joueur. Mais cette année, on a fait encore plus fort, on a organisé la finale à Brooklyn !

À CHACUN SA PELOTE

Tu n'as pas peur que ce sport prenne un jour la place de la pelote ? Non, ce sont deux spécialités qui existent côte à côte. De toute façon, même si le frontball prenait le dessus au niveau mondial, on continuerait à jouer à la pelote au Pays Basque.

La main nue : la plus noble Il s'agit de la pelote la plus ancienne. Comme son nom l'indique, les joueurs pratiquent cette spécialité avec leurs mains, ce qui nécessite des années d'entraînement afin d'habituer les membres à la rigidité de la balle.

La Xare : la plus dévote Elle se joue grâce à un instrument fait d'un arceau en bois courbé et d'un filet en forme de toile d'araignée. À l'origine, cette spécialité était pratiquée par les religieux basques, qui l'exportèrent en Argentine.

S'il fallait choisir, tu préférerais que ton enfant joue à la pelote ou au frontball ? La pelote, le frontball ou un autre sport, il fera ce qu’il veut. Mais je pense que la vue de mes coupes lui donnera l'envie d'avoir une balle entre les mains.

La Pala : la plus accessible Cette discipline se pratique à l'aide d'une raquette appelée « pala ». Facile à jouer, elle est la plus populaire auprès du grand public. Elle fait partie des rares sports régionaux que l'on peut valider à l'épreuve physique et sportive du baccalauréat.

La Cesta Punta : la plus spectaculaire Se pratique avec un gant courbé, équipé d'une poche facilitant la réception, le blocage et le renvoi de la balle. Lors de parties de Cesta Punta, le projectile peut atteindre une vitesse de 300 km/h.

12

Décryptage

Hobbies

CIRCUIT BENDING

L'ART ET LA MANIÈRE DE BIDOUILLER SES INSTRUMENTS

Souvenez-vous d’E.T. l’extraterrestre trafiquant une Dictée Magique pour « téléphoner maison ». Le circuit bending, c’est un peu pareil. Sauf qu’au lieu de joindre le cosmos, ses pratiquants modifient les circuits électriques d’instruments et de jouets pour en tirer des sonorités psychédéliques. AlienizeD, un circuit bendeur parisien, commente pour nous sa collection de synthés faits-maison. PAR GRÉGOIRE BELHOSTE | PHOTOGRAPHIES PAR MAXIMILIEN GROLIER

13

nom de la rubrique

Hobbies

14

hobbies nom de la rubrique

Hobbies

15

Décryptage

Hobbies

« Là, c'est un jouet “Speak & Read” ouvert et préparé pour une modification. Aux États-Unis, il y a deux types de dictées magiques : la “Speak & Read” et la “Speak & Maths”. À chaque fois, les types de modifications sont à peu près les mêmes. En revanche, le son est différent. Le principe du circuit bending, c’est de supprimer ou de créer des connexions de manière tout à fait hasardeuse dans un circuit préexistant. C’est du “do-it-yourself”, chacun peut arriver à des sonorités intéressantes en tâtonnant. Le seul secret, c’est de ne pas se laisser impressionner par le circuit quand on ouvre une machine pour la première fois. » ↓

↑ « En haut à droite, c'est une dictée magique. Depuis presque dix ans, j'en ai trafiqué une vingtaine. Pour la plupart, je les ai chiné en vide-grenier pour trois fois rien, entre Paris et la Seine Saint-Denis. C'est un jouet du début des années 80, qui a marché pendant une dizaine d'années. Ça n'a l'air de rien, mais quand on la branche sur un ampli, la machine a une sacrée puissance. Du point de vue fréquentiel, ça permet de parcourir un spectre sonore assez fou. Après l'avoir bidouillé, je m'amuse, je mets du vernis à paillettes dessus. Comme ce jouet crée des sons fous, j'aime bien qu'il ait l'air fou. »

Hobbies

17

Décryptage

Hobbies

« Cette boîte à rythmes, c'est l'une des pièces de mon atelier dont je suis le plus fier. Il s'agit de l'une des dernières machines analogiques produites par la célèbre marque Roland Boss, soit le summum de leur art en termes d'ingénierie. On la trouve assez facilement, plus personne ne s'en sert vraiment. Sur le marché de l'occasion, elle vaut une centaine d'euros. Telle quelle, on ne peut rien en faire dans un studio moderne, il n'y aucune synchronisation. Du coup, j'ai ajouté une entrée qui permet de lui envoyer un tempo. La façade en bois, je l'ai faite usiner en Allemagne. Pour le circuit bending, j’ai investi dans du matériel assez simple : un fer à souder d’électronicien, de la tresse à dessouder et du fil d’étain. Un autre indispensable : le multimètre qui te permet de tester la résistance et de mesurer le voltage entre deux points. Tu trouves ce matériel dans n’importe quel magasin de bricolage. » ↓

↑ « Après la Dictée Magique, je suis passé aux Casio. Là, c'est un jouet construit par Realistic, une sous-marque destinée au marché américain. Je retape aussi beaucoup de SK-1 pour des musiciens. Il y a des gens de la house, de la techno, de la pop ou de l'electronica qui me demandent des instruments. Le groupe Belle & Sebastian ou Même pas mal, un DJ français pionnier des rave party, m'ont notamment acheté des boîtes à rythmes. J'ai tout un stock de Casio SK-1 que j'ai acheté neuf, qui sont encore dans leur emballage avec le polystyrène et que je retape au fur et à mesure. Pour chaque pièce, il me faut entre 4 et 5 heures. Je suis dans une logique artisanale, je fais ça à mon rythme. Je ne prends pas ça comme un business. »

18

nom de la rubrique

Hobbies

19

Décryptage

Hobbies

« En règle générale, le circuit bending marche avec des objets à faible voltage, comme la Dictée Magique. Avec du 6 volts, c'est compliqué de détruire une machine en faisant un court-circuit. Comme les compléments sont robustes, on peut vraiment s'y attaquer sans crainte. Je n'en ai jamais détruite aucune, même en les trafiquant et en les bidouillant. » ↓

↑ « Ce téléphone n'est plus du tout un téléphone. À l'intérieur, j’ai mis un petit circuit de synthétiseur qui s’appelle “Atari Punk Console”. Ça génère une note ou des arpèges quand tu composes des numéros via le cadran. Ensuite, j’ai installé un petit capteur de lumière et une diode qui permettent d’influer sur le son quand tu approches ou éloignes le combiné. Plus tu as de lumière, plus la note est aiguë. Il y a aussi un micro, qui donne une “voix téléphone”, un peu sale. »

20

Portrait

RENÉ PASSION COLLECTION DE LA JEEP AUX TRAINS MINIATURES

Hobbies

Quand la porte en taule du hangar coulisse, la première chose que l'on remarque, c'est que la collection de René fait grand cas des véhicules allemands datant de la Seconde Guerre Mondiale. Un side-car, un véhicule amphibie et une « chenille » utilisés par les Nazis, cohabitent aujourd'hui pacifiquement avec une Jeep américaine. Étrange fascination pour la Wehrmacht de la part d'un homme qui a connu l'horreur de la guerre d'Algérie où il a effectué son service militaire. Un épisode qu'il ne raconte jamais explicitement mais qui semble lui avoir laissé une cicatrice indélébile. On imagine alors que cette obsession pour les « boches » lui vient de son enfance passée au sortir de l'Occupation, dans un petit village du Gâtinais Français où il vit encore. Mille et un autres objets de formes, d'époques et de tailles différentes viennent compléter le bazar ordonné de cette caverne d'Ali Baba. On y trouve pêle-mêle des Solex, des bicyclettes et une étrange cantine mobile. Autant de vestiges dont il aime raconter le rôle décisif dans les grandes guerres du siècle passé. Plus étonnant encore est sa collection de jerricans, il en possède des centaines provenant d'à peu près autant de pays. C'est selon lui un autre outil « révolutionnaire » dont l'histoire, de son invention, allemande évidemment, jusqu'à son adoption par toutes les armées du monde, vaut d'être racontée. C'est que, René ne devient bavard que lorsqu'il s'agit d'évoquer les objets qui témoignent des conditions des « troufions », comme il appelle les jeunes hommes jetés dans les griffes de l'Histoire et pour lesquels il n'est jamais à cours de compassion.

À LA GUERRE COMME À LA GARE

Clope au bec et manches retroussées, René manie le chalumeau avec la dextérité d'un ouvrier dans la force de l'âge. Il s’apprête pourtant à fêter son quatre-vingtième anniversaire. Ancien dirigeant d'une société de terrassement, cet Essonnien a consacré sa vie aux engins mécaniques. En témoigne l'impressionnante collection de véhicules militaires amassés dans son entrepôt. PAR LAMBERT STROH | PHOTOGRAPHIES PAR KEVIN ELAMRANI

Au début des années 2000, ce musée dédié à l'art de la mécanique militaire aurait pu faire de René un hors-la-loi. Initiée au lendemain des attentats du 11 septembre puis amendée à plusieurs reprises au cours de la décennie, une loi dite « Sarkozy » durcit les conditions de détention de véhicules militaires de collection. Menacées de saisie, voire même de destruction, ces pièces de collection, considérées comme des armes de seconde catégorie, sont finalement soumises à de strictes restrictions administratives. Cet événement, mais peut être aussi une certaine lassitude après plusieurs décennies de restauration de véhicules et de participations à un nombre incalculable de rassemblements, le décide à mettre entre parenthèses son activité. Finies les balades dominicales durant lesquelles le retraité faisait monter jusqu'à une demi-douzaine d'enfants sur son side-car. Tandis que les autres véhicules dorment sagement dans l'entrepôt, seule la jeep sert désormais à promener son chien à travers les bois. Heureusement pour les gamins du village, pour qui René fait figure de mascotte, l’ancien chef d’entreprise n’est pas du genre à passer ses journées devant son

21

Portrait

poste de télévision. Il se tourne sans attendre vers une nouvelle occupation : les trains miniatures. Fidèle à son goût pour la démesure, il décide de réaffecter une partie de la mezzanine du hangar à cette nouvelle lubie. Sur une plate-forme d’une bonne dizaine de mètres carré, René construit plusieurs villages, des gares et cinq réseaux ferrés interconnectés. Au hasard des détails de cette installation surgissent l’humour et la méticulosité de René. Ici se cache telle scène paillarde, là une reconstitution des chantiers de son entreprise de terrassement… Mais depuis quelques temps, même les locomotives ne le passionnent plus. René préfère passer le temps à entretenir son potager en discutant avec son chien des misères que lui cause sa femme. Peut-être le seul hobby qui ne risque jamais de le lasser.

« Finies les balades dominicales durant lesquelles le retraité faisait monter jusqu’à une demi-douzaine d’enfants sur son side-car. »

Hobbies

Ce jour-là, le tank était au contrôle technique.

Hobbies

23

Interview

Hobbies

#IKEAHACKERS ŠËLFÏE

LES PIRATES DE LA DÉCO

« IKEA Selfie » est un auto-portrait en hommage au sculpteur constructiviste Naum Gabo (1890-1977) Matériaux utilisés : armoire PAX et fixations n°103430 Publié le 3 mars 2014 par Jeff Carter sur ikeahackers.com.

Comme Pixar ou Nutella, certaines marques exercent un pouvoir inexplicable sur leur clients qui, non contents de consommer leurs produits, veulent s'en approprier les codes. C'est le cas d'IKEA. Depuis dix ans, une poignée de fanatiques détournent les meubles en kit de la firme suédoise pour livrer leur interprétation personnelle, qu'ils postent immédiatement sur les réseaux sociaux. Tentative d'explication du IKEA Hacking. PAR CONSTANCE RICHARD

« J'ai quitté mon poste de rédactrice dans une agence de publicité pour me concentrer à plein temps au IKEA hacking » JULES, rédactrice en chef du site ikeahackers.com

Interview

Hobbies

Ignorant consciencieusement les modes d'emploi imprimés par la marque, les « IKEA hackers » utilisent les différentes parties des meubles en kit à la manière de pièces de Lego. Les fournitures de bureau sont ainsi upgradées pour plus de fonctionnalité. Quant aux mobiliers de maison, ils sont remodelés pour devenir des objets de décoration fantaisistes confinant parfois à l’œuvre d'art. Pour en savoir plus sur cette tendance qui irrigue Instagram, nous avons interrogé la mystérieuse rédactrice en chef de ikeahackers.com, site de référence du mouvement. Une jeune Malaisienne surnommée JULES — pseudonyme emprunté à un modèle de chaise emblématique de la marque jaune et bleue — dont le job consiste à référencer les détournements qui fleurissent chaque jour sur le net. Comment vous est venue l'idée de consacrer un site internet au IKEA hacking ? C'était en 2006, je cherchais des idées de décoration pour mon nouvel appartement. Au fil de mes recherches, je suis tombée sur un meuble IKEA qui avait été totalement détourné de ses fonctions premières. Ça a piqué ma curiosité et je me suis mise à chercher d'autres exemples de piratage. J'en ai trouvé de nombreux éparpillés à travers le net. Je trouvais dommage que tous ces détournements ne se retrouvent pas sur un seul et unique site. Après 3 secondes d'intense réflexion, je me suis convaincue que je pourrais remplir cette mission moi-même. 9 ans plus tard, j'ai quitté mon poste de rédactrice dans une agence de publicité pour m'occuper à plein temps du site internet. Aviez-vous un rapport particulier avec les produits IKEA ? En Malaisie, il n'y a pas un grand choix de magasins d'ameublement. Mais IKEA y est bien implanté. À l'heure où nous parlons, deux nouveaux magasins sont en cours de construction. Ce que j'ai toujours aimé chez IKEA, c'est le concept général, notamment le design, ce mélange de lignes claires et de couleurs légèrement excentriques et la simplicité qui s'en dégage. Aujourd'hui, à quoi ressemble une journée type aux manettes de votre site ? Il s'agit d'analyser chaque jour ce qui s'est joué sur le site pendant la nuit, d'observer les statistiques, le trafic des internautes et de réfléchir à l'amélioration de l'interface. Ensuite je réponds aux nombreux mails que l'on m'envoie quotidiennement. Ce sont soit des réclamations, des demandes diverses et variées et bien sûr des idées de détournement. L'après-midi je publie celles qui me semble les meilleurs puis je m'occupe du community management, c'est important de faire vivre le site internet sur les réseaux sociaux.

25

Interview

Hobbies

Quels sont les détournements dont vous êtes la plus fière ? La contribution au IKEA hacking dont je suis la plus fière, c'est avant tout mon site internet, bien plus que mes détournements en fait. J'adore recenser toutes ces créations qui viennent du monde entier et ainsi aider la communauté à s'unir un peu plus. En parlant de communauté, vous aimeriez faire en sorte que les IKEA hackers se réunissent un jour en une sorte de congrès ? C'est un peu compliqué de tous nous réunir vu que nous sommes éparpillés à travers le monde. Mais il existe localement des groupes de hackers qui se rencontrent pour créer des liens d'amitié ou pour collaborer ensemble sur des projets précis. Personnellement, il y a plein de types d'événements que j'aimerais mettre en place. Comme des cours d'initiation au IKEA hacking pour les enfants et les débutants, ou des campagnes de charité où les pirates mettraient leur talent au service des plus démunis. C'est aux groupes de IKEA hackers dans chaque pays et dans chaque ville de s'organiser pour se rencontrer et faire vivre notre activité et notre communauté. Est-ce que le IKEA hacking a influencé la marque sur la conception de certains de ses produits ? Cela s'est déjà vu. Des pirates ont par exemple upgradé les bureaux pour travailler debout qui manquaient d'accessoires. Depuis, IKEA a mis sur marché de nombreux gadgets pour ce style de bureau. IKEA a annoncé cet été qu'ils allaient commercialiser leur propre kit de piratage. S'agit-il d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle pour les IKEA hackers ? L'idée n'est pas neuve, il y a déjà de nombreuses sociétés qui proposent à la vente ce genre de kit pour personnaliser les produits IKEA. Je ne sais pas à quoi ressembleront les kits officiels, mais mon pressentiment est que les pirates les verront comme des extensions de la gamme de produits traditionnels et qu'ils se mettront à pirater les kits de piratage. C'est toute la beauté du IKEA hacking, de ne pas se confiner aux attentes du fabricant. Personne ne réussira à contenir les pirates avec ce gadget !

Vous connaissez sur le bout des doigts la gamme de produits IKEA et vos talents de pirate ne sont plus à prouver, vous pourriez faire partie de l'équipe officielle de designers IKEA. La marque vous a t-elle déjà contactée ? Non, aucun job ne m'a été proposé. Mais j'adorerais être prise en stage dans le département du design, en effet. S'ils nous lisent, je suis disponible immédiatement ! Comment conçoit-on un détournement ? Est-ce que l'on part d'un meuble IKEA en particulier ou d'une idée personnelle que l'on essaye d'appliquer ensuite à l'un des produits de la marque ? Il n'y a pas de règle absolue. Le plus simple pour commencer c'est de faire le tour de sa maison et de se demander ce qu'il manque ou ce qui pourrait être amélioré. Par exemple, j'ai besoin d'un nouveau meuble de télévision mais vue ma collection de DVD, il faudra qu'il possède deux étages pour ranger mes films. Est-ce que cela existe déjà sur le marché ? Non ? Alors je viens de me trouver une super idée de piratage ! Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui veut se lancer dans le piratage mais nul en bricolage ? Ce qui est génial avec le IKEA hacking c'est que c'est une activité à la portée de tous, même des moins dégourdis. En fait, je pense que c'est même la porte d'entrée parfaite vers l'univers du do it yourself. Pourquoi ? Parce que vous ne commencez ni de zéro ni avec des outils ou des tâches compliqués. Je conseillerais de ne pas s'attaquer tout de suite à une grosse modification mais en embellissant un objet de décoration, grâce à de la peinture ou du redécoupage. Cela paraît bête mais ça peut vraiment avoir son petit effet dans votre appartement.

131372

24

Hobbies

27

Reportage

Hobbies

MON PARC MA BATAILLE MIRAPOLIS (1987- 1991)

Il était une fois un parc d’attractions disparu. Avec son immense statue de Gargantua et ses attractions hautes en couleurs, Mirapolis a fasciné une génération de marmots dans les années quatre-vingt. Comme toutes les belles histoires, il a pourtant fallu que l’aventure s’arrête. Depuis, un ex-enfant rêveur nommé David Frémery fait vivre la mémoire du lieu. PAR GRÉGOIRE BELHOSTE | PHOTOGRAPHIES PAR EMMA LE DOYEN David, Cindy et Gargantua, l'amour à trois.

28

Reportage

Hobbies

29

Reportage

Hobbies

Un coin de verdure paisible, adossé à un maison en briques rouges. Dans la commune d’Abscon, le jardin des Fremery ressemble à tous les autres. À ceci près qu’en cette après-midi pluvieuse du mois de juillet, une tête de Gargantua en résine gît sur la pelouse. Avec sa peinture écaillée, l’objet fascine au milieu de cette ancienne cité minière du Nord-Pas-de-Calais. Bientôt, explique David, le mari, deux têtes de libellules géantes venues d’un parc d’attractions de Beauvais iront compléter le décor. Comme la figure du personnage de Rabelais, elles proviennent à l’origine de Mirapolis, le parc adoré des deux amoureux. « Bah quoi, on est dans le Nord, dit David d’une voix frêle où perce une pointe d’accent ch’ti. Il pleut souvent, faut bien qu’on s’occupe ! ». Histoire de s’occuper, David traque tout ce qui touche de près ou de loin au parc de son enfance, fermé depuis plus de vingt ans. Cette lubie a transformé son salon en cabinet de curiosités, où l’on trouve des vitrines remplies de peluches, de pin’s ou de vinyles à l’effigie de Mirapolis. Entouré de ses reliques, le fonctionnaire de 38 ans parle avec l’œil pétillant du fan et la précision de l’érudit. Dans le monde des parkfans français, il est connu comme « le » spécialiste de Mirapolis. Certains ont inscrit le nom du défunt parc sur leur plaque d’immatriculation, d’autres stockent des vestiges dans leur hangar. Lui dirige depuis 2013 Mirapolis, les amis du parc, une association dédiée à ce lieu désormais réduit en poussière. Un collectif d’une soixantaine de personnes, dont un Italien, un Belge et sa femme Cindy, née deux jours après l’ouverture du site. Chaque mois, David et Cindy partent en virée dans le no man’s land. À quelques kilomètres des ruines, situées à Courdimanche, le couple se livre à un rituel qu’aucun observateur extérieur ne peut réellement comprendre. Tandis que les paysages du Val-d’Oise défilent sous leur regard, les tourtereaux écoutent les musiques du parc, chantonnées par l’impayable Carlos. « Comme disait le bon Lapalisse : quand on se sent bien, c’est déjà qu’on se sent mieux ! », crachent les enceintes de la voiture. De ses pèlerinages, David revient les mains pleines de trouvailles -plans, posters ou morceaux de carrelages. Mais le passé refait aussi surface grâce à d’autres nostalgiques. « Ce matin, quelqu’un m’a encore contacté sur Facebook pour me proposer des photos », explique-t-il, la tête dans un carton de souvenirs. Puis il montre le gros du butin, un sac de banque rempli de tickets multicolores. À quoi bon amasser de telles babioles ? Connaître tant de détails ? Savoir combien de jours la collerette d’une statue est restée jaune avant d’être repeinte en blanc ? Derrière la passion, il y a la tentation de retrouver les frissons de l’enfance, l’époque bénie où David s’est « ouvert au monde ».

LE PREMIER GRAND PARC À THÈMES FRANÇAIS Dans les années soixante, deux grands patrons français imaginent « Bonheur-Ville », un lieu d’attraction dans les environs de Cergy-Pontoise. Malgré un nom qui en jette, le projet ne sort jamais de terre. Il faut attendre deux décennies pour qu’un monde en carton-pâte voit le jour près de la ville nouvelle. Disneyland Paris n’existe pas encore, le Parc Astérix non plus. Le 20 mai 1987, Jacques Chirac, premier ministre de l’époque, inaugure donc à Courdimanche le premier grand parc à thèmes français : Mirapolis. Pour les gamins du coin, c’est une aubaine. Née à une quinzaine de kilomètres du site, une passionnée nommée Carole y passe le plus clair de son enfance. « C’est le premier parc où je suis allé. Dans ma famille, on était tous de la région. Du coup, forcément, qu’est ce qu’on faisait le week-end ? On allait à Mirapolis, raconte celle qui songe désormais à se faire tatouer le nom du paradis perdu. C’était notre deuxième maison. Pour les gens de la région, c’était aussi une petite fierté. »

À l'ouest de Cergy-Pontoise, Mirapolis prend la poussière.

Plus au nord, chez les Fremery, on fréquente alors les parcs de la frontière franco-belge. En ce temps, la Belgique fait figure de terre promise pour ces complexes récréatifs taxés de « Tchernobyl culturel » par les élites françaises. Aujourd’hui encore, les trois quarts des parcs européens sont au Bénélux, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Une fois par an, le petit David s’émerveille donc devant Bellewaerde ou Walibi, valeurs sûres du plat pays. Cela dit, le gamin d’une dizaine d’années tanne surtout sa famille pour visiter Mirapolis, le fameux monde imaginaire aux attractions « super formidables ».

30

Reportage

Hobbies

« On voit un endroit très vivant, puis mort, un rien de temps après […] Aujourd'hui, en tant qu'adulte, je n'ai plus l'enthousiasme de mon enfance envers les parc d'attractions. Je sais aujourd'hui qu'ils sont avant tout des machines à fric, où tout est pensé pour récupérer jusqu'aux dernières pièces de monnaie qui traînent dans les poches des enfants, où tout est bidon, faux, artificiel, et même parfois grotesque, il faut le dire. Ne m'en veuillez pas d'avoir cette vision négative des choses. Je reste curieux au sujet de Mirapolis, et c'est pour ça que je suis ici »

31

Reportage

Ainsi font, font, font les petits Mirapoliens.

Ce qui séduit, c’est la débauche de moyens déployés pour attirer le chaland. À l’origine du projet, l’architecte Anne Fourcade a vu grand : treize boutiques, huit restaurants, un lac artificiel et douze kiosques de restauration répartis sur 47 hectares (plus de deux fois la taille du jardin du Luxembourg). Mais surtout une statue de Gargantua de 35 mètres de haut, soit la deuxième tour creuse la plus haute au monde, derrière la Statue de la Liberté. Qu’on le veuille ou non, on ne voit qu’elle à des kilomètres à la ronde. Bien vite, l’ogre ripailleur devient l’icône d’un lieu dédié aux « contes et légendes de France ». Monumental, Gargantua surplombe la plaine de Cergy-Pontoise dans la plus pure tradition gauloise, jambes écartées, fourchette et ballon de pinard en mains. Comme une certaine idée de la France, intemporelle et truculente.

Hobbies

Parmi les attractions, on trouve aussi un animatronic conçu par Pascal Pinteau, ancien responsable des effets spéciaux pour la cultissime émission Temps X des Frères Bogdanoff. Dans une tour style Renaissance revisité à la mode eighties, un automate impeccablement réglé, grimé en Léonard de Vinci, raconte un voyage dans le temps aux vertus pédagogiques. « Le spectacle coûtait 12 millions de Francs. À l’époque, le budget paraissait important, mais ce n’est que le prix de fabrication du robot de Lincoln (ndlr. attraction majeure conçue par Walt Disney aux États-Unis dans les années soixante) », explique son créateur. « On a quand même réussi à faire quelque chose d’ambitieux qui plaisait au public. Il y avait beaucoup d’applaudissements. Quand tout fonctionnait bien, évidemment… » Car voilà, la maintenance technique des attractions n’est pas le fort de Mirapolis. Peu à peu, les infrastructures commencent à se dégrader. Et le public n’est pas au rendezvous. La première année, les visiteurs ne sont que 600 000, contre les 2,5 millions attendus. L’année suivante, la fréquentation connaît un léger mieux, avant de rechuter pour de bon en 1989. Vingt-quatre lunes plus tard, le rêve s’achève. « À la fin, ce n’était plus pareil. Il n’y avait presque plus d’eau dans les lacs, c’était déjà un peu le parc abandonné… », appuie une ancienne habituée des lieux. En octobre 1991, après plusieurs changements de direction, Mirapolis doit fermer. La faute à un déficit cumulé de plusieurs centaines de millions de Francs.

GIGN ET CHIENS DANGEREUX Loin de là, le jeune David ignore tout du fiasco. Comme dans la chanson de Pierre Bachelet qu’entonnent les supporters du Racing Club de Lens, ses fenêtres « donnent sur des fenêtres semblables », à des années-lumières du royaume onirique de Mirapolis. Nous sommes en 1992, les nouvelles de Courdimanche mettent un temps fou à parvenir jusqu’aux oreilles du lycéen ch’ti. En cette période pré-Internet, c’est un bus scolaire qui va propager la triste nouvelle. À l’arrière de l’autocar, un grand autocollant du parc est collé. Intrigué, David discute avec le chauffeur. « Je lui ai dit que j’aimais beaucoup Mirapolis, il m’a répondu que le lieu avait définitivement fermé », soupire le collectionneur. « Ça m’a vraiment embêté… J’aimais bien et je n’en ai pas assez profité. Je me suis dit : “mince, je suis né trop tard, j’aurais dû être plus vieux au moment de l’ouverture.” Et puis j’ai pensé que si c’était fermé, il n’y aurait plus de souvenirs… »

Message d'un fan désenchanté sur un forum

Aussi, dès que l’occasion se présente, l’adolescent tente d’immortaliser les vestiges encore frais. À 18 ans, de passage en région parisienne, le nordiste saute dans le RER, direction la gare de Cergy-Saint Christophe. Après trois kilomètres à pied, il fait le tour du grillage qui entoure le complexe. Gargantua est encore là, trônant fièrement sur un terrain à l’abandon. Il reste aussi une poignée de bâtiments. À travers la clôture, David tente de photographier l’endroit. Dans de telles conditions, pas moyen de prendre des clichés valables. Par chance, le gardien des lieux fait sa ronde ; celui-ci se charge de shooter l’intérieur du parc. De quoi commencer sur un bon pied une amitié sincère.

Le bus funeste, repeint au détail près par David.

Le gardien se nomme André Grossmann, mais tout le monde l’appelle « Dédé». « Dédé de Mirapolis », pour être plus juste. À 62 ans, ce monsieur bedonnant veille aujourd’hui sur ce qu’il reste du parc. Devant l’entrée sud, dans un local en béton armé défraîchi,

Dédé de Mirapolis, 32 une silhouette rabelaisienne

nom de la rubrique

Hobbies

33

nom de la rubrique

Hobbies

34

Reportage

Hobbies

35

nom de la rubrique

« J'avais proposé à la mairie de Cergy de démonter la tête de Gargantua pour la poser sur un rond-point de la ville. Ils n'ont jamais accepté » André Grossmann, dit « Dédé de Mirapolis »

le retraité s’occupe en écrivant des poèmes « sur tout et n’importe quoi ». Arrivé en 1989, cet ancien forain devait rester quinze jours, le temps de faire marcher le manège Tagada. Vingt-cinq ans plus tard, il est le seul à n’avoir jamais quitté les lieux. « Comme dit David, je suis le dernier Mirapolien sur le site… », sourit-il, l’air ému, posé au calme dans son bunker. Avant d’ajouter, laconique : « Personne ne vient, il n’y a plus rien à voir. » La nature a repris ses droits. Derrière les murs taggés, des chemins qui ne donnent sur rien filent au milieu d’une végétation touffue. On y croise parfois des hommes armés et des chiens dangereux. Après avoir accueilli une rave party et des parties d’Air Soft, l’espace sert de base d’entraînement au GIGN. Une réhabilitation plutôt sinistre, après plusieurs propositions inattendues qui n’aboutiront jamais. « Des projets, il y en a eu ! À une époque, l’emplacement a été pré-sélectionné pour la construction du futur Stade de France. Puis Beltoise (ndlr. célèbre pilote français) a songé à faire un circuit automobile. Le fils de Peter Stuyvesant, lui, souhaitait bâtir des pistes de ski, avec une usine à côté pour fabriquer de la neige. À un moment, des anglais ont souhaité créer un parc style Woodstock et Marc Dorcel a même voulu tourner des films pornos… », liste Dédé, qui a choisi d’en rire. La collectionnite à son stade terminal.

Son pire souvenir remonte à l’été 1995. Quatre ans après la fermeture, le couperet tombe : Gargantua doit être dynamité. Dédé : « J’avais proposé à la ville de Cergy de démonter la tête et de la poser sur le rond-point, devant l’entrée. C’était purement symbolique. Ils n’ont pas voulu… Ils avaient peur que les gens s’arrêtent, prennent des photos et bloquent la place. » Le jour fatidique, les larmes coulent et les espoirs de réouverture s’envolent. Prévenus par David, les équipes de TF1 filment l’explosion. Devant sa télévision, le nordiste voit le bonhomme multicolore s’écrouler dans un nuage de poussière sous les coups des engins de déblaiement. Triste. Sauf que le futur collectionneur enregistre tout sur magnétoscope. Des années plus tard, la séquence se retrouve sur Dailymotion, visionnée plus de 14 000 fois. Rien à voir avec les centaines de milliers de clics engrangés par les vidéos sur Disneyland, mais c’est toujours ça de pris face au temps qui détruit tout. David l’aime encore, ce combat contre l’oubli. « On se bat pour sauver la mémoire du parc, alors que certains, il y a quelques années, ont voulu faire table rase… », souffle-t-il, évoquant la mairie de Courdimanche, qui ne recense pratiquement aucune archive. Là-dessus, entre deux biscuits secs, le collectionneur raconte qu’il aime se promener seul dans le parc fantomatique. Cindy l’écoute, caressant ses deux chatons, les biennommés « Mira » et « Polis ». David dit qu’il marche sans se presser à travers l’étendue déserte. À quoi pense-t-il ? Au destin du rival Disneyland, inauguré en 1992 au milieu des critiques et devenu depuis la première destination touristique européenne ? Peutêtre. À plonger dans le lac pour trouver des pièces disparues ? Sans doute. À recréer Mirapolis de toutes pièces ? Aussi, même s’il reconnaît que l’ampleur de l’entreprise le dépasse. Ce dont il rêve, c’est de monter un musée sur le site. Après une première exposition en septembre 2013, son association continue de collecter des pièces d’origine exilées dans d’autres parcs européens. Cela coûte du temps et de l’énergie, mais le jeu en vaut la chandelle. Même les fans les plus désenchantés insistent : Mirapolis n’est pas un parc comme les autres. Ce fut le pionnier du genre. Une aventure à la française, démesurée et casse-gueule, où le goût

Art rupestre, période Mirapolienne.

Hobbies

36

Un sac de banque rempli de tickets d'entrée, le butin d'une vie.

Reportage

Hobbies

37

Reportage

du merveilleux semble avoir primé sur les affaires, le mirage d’une époque où petits et grands croyaient en des lendemains qui chantent. Vingt-quatre ans après la fermeture, le message d’un inconnu laissé sur un forum de nostalgiques résume le problème : « Aujourd’hui, en tant qu’adulte, je n’ai plus l’enthousiasme de mon enfance envers les parc d’attractions. Je sais aujourd’hui qu’ils sont avant tout des machines à fric, où tout est pensé pour récupérer jusqu’aux dernières pièces de monnaie qui traînent dans les poches des enfants, où tout est bidon, faux, artificiel, et même parfois grotesque, il faut le dire. Ne m’en veuillez pas d’avoir cette vision négative des choses. Je reste curieux au sujet de Mirapolis, et c’est pour ça que je suis ici. »

R.I.P Eux aussi ont coulé au début des années 90 †

PLANÈTE MAGIQUE

BIG BANG SCHTROUMPF

Paris, 1989 - 1991

Moselle, 1989 - 1990

Bien avant qu’il ne mette à l’honneur les cultures numériques, le théâtre de la Gaité avait déjà accueilli un projet vantant les technologies de pointe, le bien-nommé Planète Magique. Au menu : bornes d’arcades, attractions 3D et écrans tactiles, soit le nec plus ultra du divertissement de l’époque. En prime, la participation du producteur Jean Chalopin, père d’Ulysse 31 et d’Inspecteur Gadget. Des problèmes de gestion pousseront toutefois le centre à la fermeture.

Situé stratégiquement au carrefour de la France, de la Belgique et de l’Allemagne et doté d’une licence prometteuse, le parc avait tout pour réussir. Hélas, le succès ne fut jamais au rendez-vous, Big Bang Schtroumpf affichant vite plus de 100 millions de francs de dette. En 1991, le parc renaît de ses cendres sous le nom de « Walibi Schtroumpf » jusqu’à ce que la mort de Peyo signe quelques années plus tard la fin de la licence d’explotation de l’univers des petits hommes bleus.

DES CALIBRES ET DES HOMMES

39

Portfolio

En juillet dernier, les championnats de France de Tir Sportif se sont déroulés sur les bords de l’Allier, à Moulins. Une semaine durant, les futurs Olympiens et des licenciés anonymes se sont mêlés, unis par la passion du tir. Entre les épreuves du pistolet de précision et celles de la « carabine trois fois vingt balles », le photographe Charles d'Aspermont a capturé l'ambiance amicale qui régnait, à peine troublée par le bruit assourdissant des coups de feu.

Photo ci-contre : une carabine et son indicateur de sécurité après l’épreuve du 60 balles couché.

Hobbies

Hobbies

41

Portfolio

Ci-contre : Épreuve du 60 balles couché. / Ci-dessus : Fiona Devauchelle, entre deux rafales.

Hobbies

42

Portfolio

Hobbies

Ci-dessus et ci-après : Des cibles, un stand de vente d'armes et un casque anti-bruit. / Pages suivantes : Un arbitre supervise les préparatifs du tir à la carabine.

Hobbies

Hobbies

Hobbies

46

Ci-contre : Ceinturon sur postérieur.

Portfolio

Hobbies

47

hobbies portfolio

Hobbies

Enquête

Hobbies

L- IN

49

N ATI

TER

Hobbies

ONA

GAME OVERDOSE LA CYBER-DÉPENDANCE EN CORÉE DU SUD

Sur League of Legends, vous pensiez roxer du poney jusqu'à ce qu'un Coréen vous fasse passer pour un noob devant toute votre guilde. Rien d'étonnant, pour la jeunesse séoulite, les jeux vidéos en ligne sont devenus une drogue, au sens médical du terme. Le phénomène oblige le gouvernement à légiférer. Sous cette impulsion, des cliniques spécialisées fleurissent. Elles seront peut-être un jour aussi nombreuses que les 26 000 salles en réseaux du pays. PAR MARGAUX COUTURIER ET ANISSA HAMMADI, À SÉOUL

Un cyber-café coréen typique dans la ville de Gwangju

50

Enquête

« Si mon fils jouait 10 heures par jour, je ne serais pas contre. J'en profiterais pour jouer avec lui »

En entrant dans le cybercafé, situé au troisième étage d’un vieil immeuble, Byeong-gwon salue d’un geste rapide un groupe d’amis déjà installé dans le fond de la salle. Il se débarrasse de sa grosse parka rouge, qu’il accroche au porte-manteau. À Séoul, les températures avoisinent les -9°C en janvier. L’air pressé, le trentenaire traverse la pièce pour aller s’asseoir dans un large fauteuil en cuir noir, puis allume l’un des quarante PC dernier cri mis à la disposition des internautes par l’établissement. Pas un regard ni un mot à ses cinq camarades, installés quelques postes plus loin. Nous sommes un jeudi, en milieu d’après-midi. Le PC-bang (prononcer « pissi bang »), comme on appelle ici un cybercafé local, est quasiment rempli.

Byeong-gwon, accro aux jeux vidéos

Hobbies

Totalement absorbé par League of Legends, le jeu qui fait fureur dans le pays, quelques minutes suffisent à Byeong-gwon pour quitter le monde réel. Entre son visage poupin, calme et impassible, et ses petits doigts boudinés, tendus à l’extrême qui cliquent de manière compulsive sur la souris, le contraste est frappant. Après quelques minutes de jeu, le Séoulite est imperturbable.

51

Enquête

« Ouverts 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, les PC-Bangs n'ont ni horloges ni fenêtres. Une technique bien connue des casinos, qui permet de faire perdre toute notion du temps aux clients »

Le jeune homme est un habitué des lieux. L’éclairage rosâtre d’un goût douteux ne le rebute pas: il passe au minimum 12 heures par jour dans ce PC-bang du quartier étudiant de Sinchon, à quelques pas de chez ses parents, chez lesquels il squatte encore. Une passion qu’il cultive depuis ses 12 ans, l'âge auquel il a reçu son premier ordinateur. Plus qu'un passe-temps, le jeune geek décrit son goût pour les jeux vidéo comme une « véritable obsession ».

Hobbies

Le nez collé aux écrans, tirant de grosses bouffées sur leurs cigarettes, les joueurs paraissent hypnotisés par leurs parties. Le lieu dégage pourtant une certaine chaleur. Est-ce dû aux aquarelles florales accrochées aux murs ? Aux décorations en porcelaine disposées sur les étagères ? Dans une autre vie, ce lieu aurait pu être un salon de thé cosy. Si chaque cyber-café a sa particularité, tous partagent la même stratégie commerciale : s'assurer que les joueurs restent le plus longtemps possible. En sous-sol ou dans les étages, les PC-bangs n'ont ni horloges ni fenêtres - une technique bien connue des casinos, qui permet de faire perdre toute notion du temps aux clients. Ouverts 7 jours sur 7 et 24h sur 24, les établissements mettent par ailleurs à la disposition des internautes tout ce dont ils ont besoin. Les comptoirs des établissements proposent ainsi un grand choix de boissons et de snacks, de la barre de céréales jusqu'à l’assiette cuisinée. Si un large fumoir trône généralement au centre de la salle, il est fréquent de voir les joueurs s’en griller une directement devant leur ordinateur, une tasse de café en guise de cendrier. Le goût prononcé des Coréens pour ces lieux s’explique surtout par des tarifs bon marché. Une heure de jeu coûte environ 500 wons (soit 40 centimes d’euros). À titre de comparaison, le prix d’un ticket de cinéma est d’environ 8 000 wons (6 euros), une entrée au bain public de 4 000 wons (3 euros). Surtout, cela revient bien moins cher que d’acheter un jeu vidéo en boutique. D'ailleurs, il est presque impossible de trouver des magasins de jeux vidéos à Séoul : seul un grand marché vend de tels produits, les Coréens ne possédent que très rarement de consoles chez eux.

Byeong-gwon n’est pas le seul gamer de la ville. Pour s'en rendre compte, il suffit de se promener dans les rues de Séoul et de lever les yeux. Impossible de les rater, les cybercafés sont partout. Un bâtiment sur cinq affiche un large panneau coloré qui attire le regard, sur lequel est inscrit « PC-bang » - « PC » pour ordinateur et « bang » qui signifie « pièce » en coréen. Alors qu’ils n'étaient qu'une petite centaine en 1997, le nombre de ces établissements privés a explosé en quelques années. Aujourd'hui, la Corée du Sud n’en compte pas moins de 26 000, pour la plupart concentrés dans la capitale.

LA RUÉE VERS STARCRAFT L'histoire des PC-bangs se confond avec celle du pays. En 1997, la Corée du Sud est touchée de plein fouet par la crise économique asiatique. Pour retrouver la croissance, la nation décide de tout miser sur les nouvelles technologies et s’impose rapidement au niveau mondial comme le pays disposant de la connexion Internet la plus rapide. En 1998, lorsque sort Starcraft, la plupart des foyers coréens n’ont pas les moyens de s'offrir des ordinateurs assez puissants pour faire tourner ce qui deviendra l'un des jeux les plus populaires du monde. Les PC-bangs s’imposent donc naturellement comme l’alternative idéale, permettant de venir jouer à moindre coût et sur des postes performants. Une quinzaine d'années plus tard, cette habitude ne s’est pas essoufflée, même avec la généralisation du haut-débit. « Je joue beaucoup plus ici que chez moi, parce qu’à la maison je n’ai pas d’ordinateur aussi puissant », confirme Kim Chan-In, étudiant de 22 ans, rencontré dans le PC-bang de Hongdae.

Bien qu'il passe la majeure partie de ses journées dans ces établissements, Byeong-gwon ne se considère pas comme accro. Selon lui, seuls l’alcool ou les drogues revêtent un caractère addictif, donc dangereux. « Je me demande même si quelqu’un peut réellement devenir dépendant aux jeux vidéo… », s’interroge-t-il, perplexe, lors de l'une de ses rares pauses. Avant d’ajouter: « Si mon fils jouait 10 heures par jour , je ne serais pas contre, bien au contraire. Je l’encouragerais : ça nous permettrait de partager encore plus, puisque j’en profiterais pour jouer avec lui. »

TASSES DE CAFÉ EN GUISE DE CENDRIERS Surprenant, le témoignage de Byeong-gwon est pourtant loin de faire figure d’exception en Corée du Sud. Dans le pays le plus connecté au monde, une personne sur trois, tout âges confondus, se rend quotidiennement au PC-bang. Après le lieu de travail et le domicile, ces cybercafés sont mêmes considérés comme « le troisième lieu de vie ». Preuve que les jeux en ligne sont bien le loisir préféré des Coréens. Chaque PC-bang est unique, offrant son ambiance particulière, selon le goût du propriétaire. Dans le quartier branché de Hongdae, nous visitons un autre établissement en début de soirée. Pour y accéder, il faut descendre quelques marches glauques, éclairées par un néon rouge clignotant qui évoque plutôt un club X. À l'intérieur, une rangée de dos nous accueille. Dans cet espace sur-éclairé où le moindre recoin a été mis à profit pour caser un ordinateur, la concentration des joueurs est à son maximum. Seul le bruit des bombardements et des coups d’épées, le claquement des doigts sur les claviers, le clic des souris et quelques insultes en coréen lâchées par les plus enthousiastes viennent rompre le silence. Sur la cinquantaine de postes disponibles, cinq ou six restent vacants.

de 500 à 1 000 En wons - Ce que coûte une heure de jeu dans un PC Bang. Soit entre 40 et 80 centimes d'euros.

11,7 % La part des adolescents coréens présentant un « risque élevé » d’addiction à Internet selon une étude gouvernementale de 2013.

3% En parts de marché, ce que représente les jeux sur console dans le marché du jeu vidéo en Corée du Sud.

52

Enquête

« Ces dernières années, les faits divers n'ont cessé de se multiplier. Rien qu'en 2013 : une mère assassinée par son propre fils pour l’avoir privé d’ordinateur ou une jeune femme qui accouche dans un cyber-café »

Plus qu’un simple passe-temps, le jeu en ligne est devenu une activité sociale en Corée du Sud. Alors que les Français vont boire des bières en terrasse ou emmènent leur amoureuse au cinéma, les Coréens, eux, donnent souvent rendez-vous à leurs potes au PC-bang. Il n’est pas rare non plus que les jeunes y emmènent leur petite copine. Cette dernière ne joue pas, mais peut admirer son petit copain faire le beau devant son écran.

Hobbies

53

Enquête / International

Hobbies

Comme l’explique Pak Hanseok, rencontré au PC-bang de Sinchon, le jeu est également un moyen d’intégration pour les Coréens. Vêtu d’un manteau kaki trop large pour lui, le visage dissimulé par des lunettes rectangulaires et une coupe au bol, le garçon de 22 ans paraît plus jeune. « Comme on joue à des jeux collectifs, c’est un moyen de se rapprocher de ses amis et d’entretenir des relations plus privilégiées. Si on ne joue pas, on a moins de sujets de conversation avec le groupe », explique-t-il à voix basse, avant de se retrancher derrière son écran. Les Coréens ne semblent pas se rendre compte du temps interminable qu’ils passent au PC-bang. Sur la vingtaine de personnes interrogées dans les différents établissements visités, tous nous ont expliqué y passer deux à trois fois par semaine et y rester à chaque fois entre trois et six heures. Kissoko, 21 ans, casquette vissée sur la tête et veste de treillis, étudie les nouvelles technologies. Il admet venir au PC-bang « souvent le soir, en sortant de l’institut privé, ou la journée entre les cours », provoquant des retards en classe. Pak Hanseok est l’un des rares gamers rencontrés à se considérer « un peu accro » aux jeux vidéos tout en s’empressant de préciser, comme les autres, qu’il est parfaitement capable de se « mettre des limites ».

MORT APRÈS AVOIR JOUÉ CINQUANTE HEURES DE SUITE Jusque là, rien de bien méchant. Quoique. Selon les chiffres officiels, en Corée du Sud, un adolescent sur dix est aujourd’hui considéré comme « addict » aux jeux en ligne. Un chiffre en constante augmentation qui met en lumière un problème national beaucoup plus vaste : celui de la cyber-dépendance. Pire, le nombre de faits divers sordides liés aux jeux vidéos ne cesse de se multiplier depuis plusieurs années. Une mère assassinée par son propre fils pour l’avoir privé d’ordinateur, une jeune fille qui accouche dans un PC-bang ou encore un homme retrouvé mort après avoir joué plus de cinquante heures d’affilées, le tout rien qu’en 2013. Depuis quatre ans, le gouvernement sud-coréen a décidé de réguler la consommation des jeux en ligne, à coups de mesures législatives. Au printemps 2011, les députés ont approuvé la loi « Shutdown » (« mise à l’arrêt »). Surnommée « Loi Cendrillon », cette législation empêche les adolescents de moins de 16 ans de jouer en ligne entre minuit et 6 heures du matin, en les contraignant à s’enregistrer avec leur carte d’identité. Bien sûr, le système peut être enfreint sans grandes difficultés en empruntant la carte d’identité d’un majeur. Depuis le 1er juillet 2012, une « mise à l’arrêt sélective » permet à n’importe quel internaute qui en fait la demande de restreindre sa fréquence de jeu. Au bout de la durée souhaitée (trois jours par semaine, deux heures par jour, etc.), le jeu en ligne est bloqué par un système externe. Parmi ces mesures législatives, l’une fait particulièrement polémique. Les députés du parti conservateur Saenuri, actuellement au pouvoir, ont proposé d’élever les jeux vidéo au rang d’« addictif », au même titre que l’alcool, la drogue et les jeux d’argent. Un projet de loi qui a déjà suscité une levée de boucliers de la part des entreprises coréennes du secteur. Ces dernières dénoncent une perte de compétitivité et menacent de fuir vers l’étranger. Difficile dans ces conditions de résoudre véritablement le problème. Le gouvernement ne s’est pas arrêté là. Il finance aujourd'hui 122 établissements publics spécialisés, répartis dans tout le pays, qui traitent les accros aux jeux en ligne. Parmi eux, le Korea Internet Addiction Center (KIAC), un centre d’appel d’urgence basé à Séoul. « Ce sont toujours les parents ou les professeurs qui nous contactent », explique Lee Eun Jeul, la directrice. Ultra moderne, le centre se compose de dix salles intimistes

Concentrés, de jeunes Coréens amassent des pièces d'or à League of Legends

54

Enquête

Hobbies

« Depuis quatre ans, le gouvernement sudcoréen a décidé de réguler la consommation des jeux en ligne. Au printemps 2011, les députés ont approuvé la loi Shutdown. Surnommée « Loi Cendrillon », cette législation empêche les adolescents de moins de 16 ans de jouer en ligne entre minuit et 6 heures du matin en les contraignant à s’enregistrer avec leur carte d’identité. Bien sûr, le système peut être enfreint sans grandes difficultés en empruntant la carte d’identité d’un majeur. Depuis le 1er juillet 2012, une mise à l’arrêt sélective permet à n’importe quel internaute qui en fait la demande de restreindre sa fréquence de jeu. Au bout de la durée souhaitée, le jeu en ligne est bloqué par un système externe »

55

Enquête

Hobbies

destinées aux entretiens individuels avec les « game addicts ». Derrière la réception, des canapés confortables à l’abri des regards rendent l’attente un peu moins désagréable pour les parents. De jolis dessins et des citations sur le bonheur ou le sens de la vie ornent les murs verts et marrons. « Les signes avant coureurs sont toujours les mêmes : les jeunes ne se rendent plus à l’école ou à l’université, développent des comportements violents. Ils n’arrivent plus à distinguer le monde virtuel et le monde réel », poursuit Lee Eun Jeul. Le KIAC, qui existe depuis 2002, reçoit cinquante appels par jour. Parmi eux, « 80% concernent des addictions aux jeux vidéos en ligne », précise la quarantenaire, avant d’affirmer que le « nombre de cas graves ne cesse de se multiplier, même si ce sont surtout des addicts légers qui sont ici pris en charge. »

Story PC, une franchise de cyber-cafés parmi tant d'autres dans le pays

Concernant les enfants, « il est parfois difficile de mener à terme le traitement car il faudrait pour cela qu’ils ratent l’école de temps en temps. Ce que les parents refusent catégoriquement », regrette Kim Chun Won, chef de service d’une clinique spécialisée à Gongju, à deux heures de car, au sud de la capitale. Pour comprendre les motivations des jeunes à vouloir s’échapper de la réalité, toutes les réponses des psychiatres convergent : « Il est clair que la pression scolaire peut avoir un rôle prépondérant dans ces addictions », affirme la directrice du KIAC.

JOUER POUR ÉVACUER LE STRESS Selon un classement de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques, les écoliers du Pays du Matin calme sont les plus assidus, avec en moyenne 50 heures d’études par semaine. À la sortie des cours, vers 21 h 30, les étudiants se rendent dans les « hagwons », ces instituts privés qui les préparent jusque tard dans la nuit à l’examen d’entrée à l’université. L’épreuve la plus importante de la vie d’un jeune sud-coréen. « L’éducation a un rôle fondamental en Corée. Les jeunes n’ont qu’une seule idée en tête : intégrer une bonne université. Le soir, ils n’ont quasiment plus de temps pour avoir une activité alors ils se réfugient dans les jeux vidéos. En plus de ça, beaucoup de parents s’absentent du domicile. Résultat, l’enfant se retrouve seul à jouer », explique la directrice du KIAC, l’air contrarié. Une fois à l’université, les étudiants ont un peu plus de temps libre. Des moments de « pause » que certains exploitent pour jouer encore davantage. « Le jeu est un moyen de fuir quand le quotidien devient trop stressant. Actuellement, je passe 2 heures par jour dans les PC-bang mais il y a des périodes pendant lesquelles j’ai besoin d’évacuer le stress. Je peux alors y rester 8 heures d’affilée », raconte Jay Jiyoung, une étudiante en ingénierie civile de 25 ans. Ce problème de santé publique majeur que représente la cyber-dépendance ne risque pas de se débloquer de sitôt. « À cause des idées confucianistes qui sont très présentes dans le pays, les gens préfèrent cacher leurs problèmes plutôt que de les affronter. Il existe encore beaucoup de non dits », se désole Kim Chun Won. En effet, plus qu’une religion, le confucianisme est une philosophie de vie. Elle défend les valeurs de collectivité, mais surtout de respect et d’intimité. Les Coréens en sont imprégnés depuis le IXe siècle.

57

Interview

Hobbies

L- IN

Hobbies

ONA

nom de la rubrique

N ATI

TER

56

LA NUIT LEUR APPARTIENT LE STREET-RACING À MOSCOU

Moscou, 22h. J'ai rendez-vous avec Seva, 23 ans, vendeur chez un concessionnaire de voitures allemandes la journée et pilote de street-racing la nuit. Au volant de sa Skoda Octavia RS d'un vert rutilant, il a accepté de me servir de guide dans le milieu des courses de rue illégales. Ce grand russe blond et mince m'emmène donc sur Vorobyovi Gori, l'esplanade qui se tient devant l'Université de Moscou. Depuis des années, cet immense espace est le point de rencontre pour les fous de vitesse automobile. Chacun vient présenter les nouvelles modifications apportées à son engin avant de tester ses capacités dans les zones industrielles de la ville - ce que l'on fera toute la nuit. Interview embarquée. PAR ANASTASIA KRIZWANOVSKI À MOSCOU | PHOTOGRAPHIES PAR OSCAR RASSON

58

Comment le street-racing a-t-il commencé à Moscou ? Tout a commencé en 2005. Les fans de tuning se regroupaient spontanément sur Vorobyovi Gori pour parler de customisation. Progressivement, des courses se sont organisées. Peu à peu, le mouvement a pris de l'ampleur, des équipes de mecs sérieux se sont créées, ils ont trouvé de meilleurs endroits pour faire la course et ont commencé à jouer de l'argent. Les premiers, c'était les Night Racing, des mecs super friqués avec des voitures qui ne coûtaient jamais moins de 40 000 dollars. À côté, il y avait des gamins qui se sont rassemblés sous le nom de Speedhunters et qui roulaient à peu près tous en Lada VAZ-2107, des voitures de chez nous. À la même époque, les Jet Style Masters sont aussi apparus. Mais toi, en 2005, j'imagine que tu n'avais pas encore ton permis. J'ai commencé à me pointer sur l'esplanade à moto. Tu sais comment on est à cet âge-là, on flambe, on fait le fou, on se prend pour un Tsar… C'est comme ça que je me suis fait connaître dans le milieu. Dès que j'ai eu 18 ans, j'ai passé mon permis et j'ai rejoint les Jet Style Masters. J'ai acheté une première voiture, puis une seconde, puis une troisième. On était en 2008, les courses de rue à Moscou étaient en pleine ébullition. Dans la rue, on pouvait voir s'affronter une Nissan Skyline GT-R contre une Lamborghini lors d'une course de drag (ndlr. course de vitesse pure) dont la récompense montait à 10 ou 15 000 dollars. On s'arrangeait pour faire arrêter la circulation sur l’autoroute. C’était la belle époque, c'était sauvage. Depuis les choses se sont tassées. La routine, c'est devenu une Hyundai Solaris qui affronte une Volkswagen Polo pour quelques centaines de roubles… Comment se passent les courses ? Vous faites ça entre pilotes d'une même équipe ou contre vos rivaux ? Pour les petites courses, cela n'a pas d'importance. Tu choisis simplement ton

Interview

« Les bagnoles n'aiment pas que l'on mette la ceinture de sécurité, ça les vexe » concurrent en fonction de la puissance des voitures. Après, il y a les compétitions entre les équipes, c’est le championnat de la « Federation of Racing Team » qui se déroule sur l'esplanade. Chaque équipe choisit son meilleur coureur. À la fin, le premier gagne une somme minable, à peu près 50 000 roubles (ndlr. soit 1000 euros). À part cette compétition, vous ne faites plus de courses sur l'esplanade ? Non, ce n'est plus qu'un point de rendez-vous. Avant, on partait vers l’autoroute de Kashirskoeye, au sud de Moscou. Là-bas, on avait 700 mètres de terrain droit et bien goudronné pour faire du drag. Quand tu fais du drag, tu vas tout droit, tu as 400 mètres pour prendre le plus de vitesse possible, puis 300 mètres pour t'arrêter. C'était notre meilleur endroit. Seulement, en 2010, il s'est produit un accident grave : un mec en Nissan Skyline avec 800 CV sous le capot a perdu le contrôle de sa caisse. Comme l'endroit n'était pas du tout protégé, il a foncé dans le public. J'ai entendu parler de cette histoire, ça avait fait beaucoup de bruit à l'époque…Il y a eu une dizaine de blessés et deux morts. Après ça, la police a commencé à nous traquer. Il était devenu impossible de se rejoindre sur l'esplanade, la police y était 24 heures sur 24. En plus, le quartier abritait pas mal de maisons de hauts fonctionnaires que les courses commençaient à déranger. Sans compter qu'il y a aussi tous les étudiants de L'Université de Moscou qui y vivent… Oui, mais l'université

Hobbies

59

Interview

n'a jamais rien pu faire contre nous, sauf mettre en place des ralentisseurs tout autour du bâtiment. Ce qui n'a eu pour effet que de pimenter le circuit (rires). Comment faîtes-vous pour organiser des événements plus « sérieux » ? On s'organise grâce à des forums spécialisés sur Internet. Avant, il y avait un site qui marchait très bien, nommé smotra.ru. (ndlr. le nom smotra reprend le mot qu’on utilise pour dire l’esplanade en russe, smotrovaya). À la base, c'était juste un site consacré aux belles voitures, puis un personnage mythique du milieu nommé Erik Davidovich a débarqué. Il a fait de smotra le plus grand réseau de courses illégales de Moscou. Ensuite, le site a eu des soucis avec les autorités et a dû arrêter d'héberger nos annonces. Aujourd'hui, Erik Davidovich n’organise plus de drag, il est devenu une star d’Internet grâce à ses vidéos de voitures sur YouTube. Du coup, où ont lieu les courses ? Il ne nous reste plus que deux endroits pour organiser nos courses. Le premier, c’est le quatrième périphérique de Moscou, un tronçon d'autoroute en train d'être construit. Pour le moment, il ne mène nulle part et n'est pas utilisé. Le deuxième endroit, c’est l'autoroute de Kievskaya. À la belle époque, on payait la police pour arrêter la circulation. Ils nous libéraient l'endroit pendant 40 minutes puis laissaient passer les automobilistes et refermaient une nouvelle fois la route. Bref, c'était du grand n'importe quoi.

Un jeune moscovite ravitaille les pilotes en café.

Nous arrivons sur le quatrième anneau routier de Moscou, encore en travaux et désespérément désert. Seva sort de la voiture pour aller serrer la main à un groupe d'inconnus. Un type lui propose de faire une course. Je demande à rester spectatrice, Seva insiste pour que je l'accompagne. J'hésite, puis accepte. Je vérifie ma ceinture de sécurité et me cramponne à mon siège. « Les bagnoles n’aiment pas les personnes qui utilise la ceinture, ça les vexe », m'informe Seva. Instant pronos avant le rodéo.

Hobbies

Moscou, a.k.a Gotham City 60

nom de la rubrique

Hobbies

61

Interview

Quel est ton adversaire ce soir ? On va faire un petit tour contre une autre Skoda Octavia, sauf que la sienne n'est pas une version sport. On va d'abord commencer par rouler à 60 km/h . Dès que l'un de nous klaxonne trois fois, on fonce. La course commence, nous montons très vite à 220 km/h. Finalement, Seva perd. Loin de baisser les bras, il retourne aux drags et refait plusieurs courses contre d'autres voitures. Tu vois, pour entrer dans cette communauté il suffit juste de venir en voiture et de serrer la main à tout le monde. Je ne connaissais personne tout à l'heure. Mais franchement les drags, pour quelqu'un qui a connu la folie des années 2000, ce n'est rien d'autre que de la masturbation… Son téléphone sonne. Sa femme est au bout du fil. Elle demande ce qu'il fait. Seva a l'air inquiet. Bon, on a un problème. J'ai besoin de retourner chez moi le plus vite possible et de prendre une photo pour prouver à ma femme que j'y suis. Tu vas voir à quoi ressemble du vrai street-racing, c'est autre chose que du drag. Tu ne peux pas simplement lui dire la vérité ? Non, ça va l’énerver, je lui avais dit que j'arrêtais les courses. Donc tu y vas mollo en ce moment sur les courses ? Je suis père de famille maintenant. Et puis l'ambiance n'est plus la même. Je préfère m'amuser d'une manière plus tranquille. En ville, quand je repère un mec qui circule assez vite,

Hobbies

« Si tu ne tournes pas la tête pour admirer ta voiture, c'est que tu as acheté la mauvaise caisse »

je le retrouve à la hauteur d'un feu rouge et je lui fais comprendre que je suis prêt à faire la course. Merde, à trop parler, je me suis trompé de direction. Seva grille un feu rouge et fait demitour alors que nous roulons sur un tronçon à quatre voies. Comment fais-tu pour éviter radars et caméras ? J'ai installé une plaque en fer qui cache mon immatriculation, il suffit que j'appuie sur un bouton pour qu'elle apparaisse, ce qui me permet de rouler comme je veux. Nous grillons un nouveau feu rouge. À 140 km/h, nous traversons Moscou en moins d'un quart d'heure. Il monte chez lui prendre une photo pour rassurer sa femme. Quand il revient, nous décidons de rejoindre l’autoroute de Kievskaya. Au dessus de nous, une affiche très à propos fait la promotion du film Fast and Furious 7. Ce film a dû beaucoup vous inspirer, n'est-ce pas ? Tu n'imagines même pas

à quel point ! Les trois premiers films de la série étaient pour nous de vrais modes d'emploi. Il y a eu aussi Need for Speed, le jeu vidéo dans lequel tu pouvais modeler ta voiture. Les mecs arrivaient dans les garages et commandaient aux mécaniciens la voiture de leur rêve. Tu fais un peu de tuning aussi ? Le plus souvent, le tuning sert à booster la puissance de sa voiture : tu achètes une Subaru à 300 chevaux et tu la gonfles à 700. Personnellement, j'en suis venu à la conclusion qu'il valait mieux acheter une bonne voiture de série que de faire retaper la sienne dans un garage. À la fin de la soirée, nous décidons d'aller boire un verre dans l'un des nombreux cafés de cette ville qui ne dort décidément jamais. En entrant dans le bar, Seva jette un coup d’œil vers sa Skoda. Un sentiment de satisfaction intense se lit sur son visage. Je lui fais remarquer, il me répond : « Si tu ne tournes pas la tête pour admirer ta voiture, c'est que tu as acheté la mauvaise caisse. »

LE CAMPUS DE TOUS LES SECRETS Point de rencontre des fans d'automobile, l'esplanade de Vorobievi Gori (littéralement « la colline des moineaux ») accueille depuis 1953 le bâtiment principal de l'Université d'État de Moscou. Un gratte-ciel de 240 mètres de haut et 36 étages abritant 6000 étudiants et 33 kilomètres de couloirs pour un peu plus de 5000 pièces, dont la construction a été supervisée par Staline en personne. De nombreuses légendes circulent sur ce symbole de l'architecture totalitaire. Sa position dominante sur la ville lui aurait valu d'accueillir un poste d'observation stratégique du KGB. On murmure que les sous-terrains cacheraient un bunker anti-aérien, des couloirs en communication direct avec la datcha de Staline et une des stations du Metro-2, une ligne de métro militaire secrète, conçu pour évacuer les personnalités du haut rang de la ville. Un genre de Poudlard soviétique, en somme.

TRIBUNES, BANDE-DESSINÉES & CO

64

Tribune

Hobbies

COMMENT JE SUIS DEVENU ACCRO AUX JEUX DE PLATEAU Petit, je lançais des dés et tombais à tous les coups sur la case « allez en prison » du méchant Monopoly. Plus tard, j’ai jeté d’autres dés sans jamais réussir mon invasion du Kamtchatka, à l’extrême orient de la carte du monde dessinée par Risk. Devenu grand, je lance moins de dés, mais les jeux de société auxquels je joue sont nettement plus plaisants. PAR DONALD WALTHER | ILLUSTRATION PAR DAVID ADRIEN

Tout commence par hasard, dans une petite boutique du centre de Paris. Coincée entre un pub irlandais bondé et un traiteur libanais, la vitrine sort du lot. Pour oser entrer, il fallait être deux. En couple, on tente plus de choses. Un peu comme lorsqu’on entre dans un sex-shop. À l’intérieur, il y a quelques Scrabble fourrés dans un coin et des puzzles en rangs d’oignons sur une étagère poussiéreuse. Mais le cœur du magasin se trouve quelques mètres plus loin. Du sol au plafond, des boîtes de jeu empilées par dizaines. De toutes les couleurs. Frappées de noms étranges : Agricola, 7 Wonders ou Kemet. Il parait qu’on appelle ça des jeux de société « modernes ». Le maître des lieux approche. Il a l’air normal. « Voilà un couple un peu paumé », se dit-il sans doute sous son crâne chauve. On lui répond que quelqu’un qui connaît quelqu’un nous a dit que les jeux de plateau, c’était rigolo. En quelques minutes, nous voilà le cerveau plein de recommandations. Finalement, on se laisse convaincre par un certain Mr Jack, conçu pour deux joueurs. Passage en caisse. 30 euros. Merci. À bientôt peut-être. À l’ouverture de la boîte, surprise ! Pas de dés, pas de cartes, mais un plan simplifié de Londres, quelques pions et des tuiles cartonnées. Après un décryptage pas évident des règles, la partie démarre. Je joue l’enquêteur, elle joue Jack l’éventreur. Je dois l’attraper, elle doit s’échapper. Et la magie opère. Immédiatement. Sur quelques mécanismes simples de personnages aux capacités spéciales, nous voilà plongés dans une course poursuite où seule

la logique, la déduction et la finesse comptent. Celui qui gagne n’est pas le plus chanceux mais le plus malin. Ça y est, je suis accro. Nous sommes accros. Au départ, on se sent bizarre. On se demande si on n’est pas en pleine régression, à pousser des pions comme lorsqu’on avait 10 ans, à acheter des boîtes de jeux pour les exposer dans sa bibliothèque. Et puis on fait un tour sur Internet. En deux ou trois clics, on se sent tout de suite moins seul, presque dans la norme. Il existe un bon paquet d’autres addicts aux jeux de société. À titre d’exemple, le leader français de l’information ludique, Tric Trac, cumule plus de 220 000 visiteurs chaque mois. Son homologue américain, BoardGameGeek compte pour sa part 1 000 000 d’utilisateurs inscrits. Une fois encore, Internet permet de valider ce théorème rassurant : plus nous sommes nombreux à partager une passion, moins elle est honteuse. Mieux, la communauté ludique est accueillante. Rares sont les propos méprisants, sectaires voire injurieux sur les forums dédiés ou dans les boutiques spécialisées. On y trouve des conseils personnalisés, des réflexions pointues sur l’univers du jeu, le tout dans une ambiance de prosélytisme bienveillant. Le monde ludique se découpe pourtant en catégories bien distinctes. Il y a les jeux « à l’allemande » pour les fans de gestion stratégique, les jeux « d’ambiance » pour se marrer en buvant des coups ou encore les jeux « ameritrash » où l’ambiance prime sur les mécanismes. Mais toutes ces chapelles cohabitent sans tension. Chacun pioche où il veut pourvu que

65

Tribune

« Au départ, on se demande si on n’est pas en pleine régression, à pousser des pions comme lorsqu’on avait 10 ans… » ses camarades de jeu apprécient et surtout s’amusent. C’est l’un des aspects fondamentaux du jeu de société : on joue avec des gens qui aiment ça, quelque soit l’age, le sexe, le milieu social ou la profession. Un copain de fac, un collègue de bureau, un type rencontré dans une soirée mondaine — ça marche aussi avec les filles — peuvent tous être des joueurs ou des futurs joueurs. Au delà des considérations personnelles, il suffit de jeter un œil au marché du jeu. Je ne parle pas ici des ventes de Monopoly ou de Scrabble qui tracent leur route tranquille. Je parle des jeux de société qu’on qualifie par convention de « modernes ». Pour faire court, ils se caractérisent par un hasard réduit, un temps de jeu raisonnable et des chances équivalentes de gagner, même pour les débutants. Leurs apparitions remontent à la parution des Colons de Catane en 1995 qui s'est vendu à près de 20 millions d'exemplaires — à titre de comparaison. À la même époque et sur une période équivalente, le premier opus des Pokémon sur Game Boy s’est écoulé à 23 millions d’exemplaires. C’est avec ce carton commercial qu’est né le jeu de société « moderne ». Depuis, le milieu prospère. Pas loin de mille nouveautés sortent chaque année. Asmodee,

Hobbies

le numéro un français de l’édition et de la distribution, avance un chiffre d’affaire de 130 millions d’euros en 2013. Les Aventuriers du rail, un jeu familial et malin avec des trains, revendique 3 millions de ventes, sachant qu’il faut évidemment multiplier le nombre d’exemplaires vendus par le nombre de personnes qui ont joué avec. Ce goût pour les sensations ludiques se retrouve par ailleurs dans les grands salons spécialisés. Les plus importants se déroulent à Essen en Allemagne et à Cannes, dans le célèbre palais des festivals. Chacune de ces manifestations accueille environ 150 000 visiteurs chaque année. Le type de population s’étend du professionnel venu présenter ses nouveautés à la famille de curieux en quête d’une table libre pour tester les jeux qui passent. C’est dans ces lieux que l’on perçoit le mieux la diversité à la fois des joueurs et des jeux. Un gamin peut entrer dans la peau d’un chasseur de zombies tandis que sa mère essaie de survivre sur une île déserte. En attendant, le père se prend pour un paysan en pleine Allemagne du XVe siècle. Pour moi, le jeu est devenu une activité comme un autre. « Qu’est-ce qu’on fait ce soir ? Film ? Série ? Jeu vidéo ? Ou jeu de plateau ? Qu’est-ce qu’on fait ce week-end ? Promenade en forêt ? Expo ? Apéro au bord de l’eau ? Ou festival de jeu de plateau ? » Un jour, lors d’un petit festival en région parisienne, j’ai re-croisé le monsieur chauve qui m’a vendu ma première boîte. Dans sa tête, il a dû se dire quelque chose du genre : « Tu vois mon gars, il n’y avait pas de quoi avoir peur de toutes ces boîtes ». Comme dirait l’autre : « retrouver le sérieux qu’on avait au jeu étant enfant, c’est un peu ça la maturité de l’homme. »

66

Tribune

Hobbies

MON COIN DE PARADIS DANS LES BAS-FONDS DE FACEBOOK Selon l’agence We Are Social, 68% des français sont inscrits sur un réseau social. Pire, ils passent en moyenne une heure et demi par jour sur ces sites. Dépeints comme des espaces numériques où règnent la superficialité, les réseaux sociaux servent aussi d’espaces de liberté où fleurissent d’étranges passions. La main sur la souris, j’ai exploré ce nouvel underground. PAR NICOLAS MOREAU | ILLUSTRATION PAR D. A.

67

Tribune

Cette soirée « plan au canal » d’un pote de pote sentait la lose. De textos approximatifs en deadlines fluctuantes, je me retrouve seul à 23 heures à siroter le fond d’une Kronembourg tiède. Braqué sur mon smartphone, je regarde finalement mes amis étaler les artefacts de leur vie numérique. Soudain, une image illumine le morne fil de ma soirée : une galerie de sculptures en viande hachée réalisées par Kieran Gormley, boucher et food artist de son état. Un monument d’art contemporain qui ne serait jamais parvenu jusqu’à moi si je n’étais pas membre du groupe Facebook « supermarket photography », une page dédiée au repérage de scènes cocasses relevées par des client de grande surface. Avachi devant mon ordiphone à scroller le flux interminable des activités de mes amis, je fais partie du premier cercle de hobbystes de France. Mon club n’est autre que celui des utilisateurs de Facebook. Il compte plus de 28 millions de licenciés, professionnels et amateurs confondus, soit dix fois plus de joueurs que la toute puissante Fédération Française de Football. À y regarder de plus près, les groupes représentent la partie immergée de l’iceberg, la face invisible et mystérieuse du site de Mark Zuckerberg. Mal référencés, souvent secrets, Google en indexe toutefois un bon milliard. Dans son rapport Q4 2013 (un document trimestriel bourré de chiffres démontrant aux actionnaires de Facebook qu’ils ont eu raison d’investir), le patron du réseau précise que les groupes comptent 500 millions d’utilisateurs actifs. Un véritable Facebook dans Facebook. En règle générale, les groupes les plus suivis sont créés pour satisfaire des besoins purement matériels. À la recherche d’un plan colloc’ à la rentrée ? Envie de vendre son vélo ? De tels groupes sont faits pour vous. Leur usage suit avant tout une logique ponctuelle et opportuniste. Mais il existe aussi des groupes d’intérêt où des personnes se retrouvent à des fins de divertissement. Rien de très original, de telles plate-formes existent depuis les origines du web. Elles suivent la même logique de contribution que les antiques forums, où chacun pouvait discuter sous pseudonyme en contribuant à divers fils de discussions. Je fais partie de plusieurs de ces groupes, sources de longues heures de digressions aussi drôles qu’absurdes. Tout d’abord, j’ai constaté que les hobbys discutés n’existent parfois pas dans le monde réel. Ainsi, je contribue à modeste échelle à un groupe de passionnés s’échinant à identifier des sosies par le biais de savantes équations morphologiques. Autre constatation, ces groupes vont à l’encontre des principes véhiculés par l’entreprise californienne. Un peu mégalo, Mark Zuckerberg a déclaré dans la presse spécialisée vouloir faire de Facebook une « utility », c’est-à-dire une commodité aussi nécessaire qu’invisible, un peu comme vos toilettes ou votre électricité. Pour son géniteur, le réseau doit être à l’homo numericus ce que l’eau potable est à l’homo

Hobbies

sapiens. Sauf qu’avec les groupes, c’est loupé : Facebook tient le rôle d’une magnifique toile de l’absurde et du divertissement. Bref, quelque-chose de délicieusement inutile. Le fantasme qui fait de Facebook un monde ouvert et connecté en prend aussi un coup. Tenus secrets, jalousement gardés et codifiés par des règles strictes, il faut montrer patte blanche pour entrer dans ces groupes. Une fois accepté, il faut démontrer en permanence la valeur de ses contributions si l’on ne veut pas se faire exclure sans sommation. Au sein du groupe des sosies, malheur à celui qui postera des photos déjà discutées par le passé. Un telle exigence s’avère rafraîchissante face au consensus mou que nous impose Facebook - l’algorithme a plus de chance de vous montrer des contenus à liker qu’à détester. Cette justice tribale numérique suit les mêmes logiques que les plate-formes de contribution connues que sont 4chan et Reddit. Des espaces bordéliques mais scrutés par des hordes d’admin attentifs, à l’affût du moindre débordement.

« Au sein du réseau le plus relou de l’humanité, les internautes créent une sorte d’underground » Les internautes trouvent toujours le moyen de s’approprier des territoires pour développer une forme de marginalité. Au sein du réseau social se voulant le plus transparent (donc le plus relou) de l’Histoire de l’humanité, ils créent une sorte d’« underground » Facebook. Grâce à ces comporteents spontanés, Mark Zuberberg n’est plus totalement chez lui sur son site. Aussi ingénieux soit-il, un réseau social appartient d’abord à ses usagers. La démission en juillet de la patronne de Reddit après des mois de fronde de la part d’administrateurs de forums bénévoles l’a rappelé de manière cinglante. Il est minuit passé, le fond de l’air est encore lourd. Plutôt éméché, je retrouve enfin mes potes devant un bar. Nous devisons sur le quai en regardant passer le flot de détritus le long du Canal Saint Martin. Une fille « anti-tout » me parle du festival d’Avignon, de la situation géopolitique en Syrie et de sa récente conversion au régime no-glu. La conversation dérive inévitablement sur Facebook, une sorte de Belzébuth qu’il faudrait « combattre à tout prix ». Au fond de moi, je souris. La pauvre ne sait pas qu’un underground ne s’offre pas au premier venu, mais à qui s’en donne la peine. Je n’évoquerai pas mes groupes secrets ce soir, non, je me contenterai d’essayer de l’embrasser pour la faire taire.

69

POURQUOI LE RUNNING AURA TOUS VOTRE PEAU

« Bêle fidèle runner ! Défend ta foi, ta race, ton enclos ! Jamais ne trahis ton clan ! Bêle fidèle runner ! »

Tribune

Hobbies

Si m'ébahir devant les activités d'entomologiste, de numismate ou de tintinophile tient chez moi du réflexe, le sport poussé à l'extrême, comme hobby quotidien, m'a toujours laissé dubitatif. Cette réaction polie mais sceptique a-t-elle un quelconque rapport avec la peur panique qui me prend à l'idée d'accomplir la moindre activité physique ? Je dois avouer que je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, quand il s'agit de running, mon scepticisme laisse place à une saine colère. PAR JEAN PIÉCARRÉ | ILLUSTRATION PAR D. A.

Je ne compte plus les amis que j'ai perdu à cause du running. Un matin, ils sont partis faire ce qu'ils appelaient encore un « footing » et ne sont jamais revenus. Devant l'ampleur du phénomène, je m'étonne que les pouvoirs publics ne se soient pas inquiétés outre mesure. Après tout, le runner manifeste tous les symptômes de l'addiction : dépendance physique, obsession psychologique, organisation de sa vie autour de son activité et dépenses inconsidérées pour nourrir ses besoins grandissants. De quoi tourner un mauvais remake de Requiem for a dream. Le running est un cercle vicieux comme les autres. S'inscrire au marathon de Paris ne peut ainsi se faire qu'en retirant son dossard dans le dernier stand du dernier hall du Salon du Running, la plus grande exposition française dédiée au sport. On reconnaît là une technique scandinave inspirée par l'agencement des magasins IKEA et qui oblige le runner à passer devant tous les stands de merchandising avant d'accéder au Graal. Ferré comme un poisson, il finit par éprouver le besoin de s'offrir une combinais on high-tech aux pouvoirs secrets et aux couleurs fluorescentes non moins remarquables. Sauf que de tels bibelots ont un prix. Le maillot zippé « X-Bionic MTB » offrant un maintien musculaire optimal pour améliorer l'apport d'oxygène et de nutriments ? 165 euros. Les départements Recherche & Développement des marques de sport semblent avoir dépensé sans compter, il est bien normal que leurs clients en fassent autant. Mais ce n'est pas tout, il a fallu que les runners se lancent dans l'achat compulsif de smartphones, bracelets et autres applications connectées analysant en direct leurs performances physiques. Sous prétexte de programmes d’entraînement personnalisés, ces gadgets sournois centralisent les données de santé des runners pour les revendre aux mastodontes de l'industrie pharmaceutique. Résultat ? D'après une enquête du magazine Challenge, la collecte et la vente des signaux vitaux (pouls, température ou pression artérielle) sera l'un des plus gros enjeux financiers de ces prochaines années. Franchement, plutôt que de précipiter notre monde dans le règne du Big Data, les

runners ne pouvaient-ils pas satisfaire leurs besoin de statistiques en achetant le dernier Football Manager, les Sims 5 ou en se défoulant un bon coup sur une feuille de calcul Excel ? Bien sûr, ce sont les équipementiers sportifs qui tirent les ficelles de cette nouvelle folie collective. Et les marques ne se sont pas contentées de voler l'argent et les données personnelles de leurs victimes, elles les ont aussi réuni en factions organisées. Dans toutes les villes du monde, des « teams » se regroupent ainsi plusieurs fois pas semaine devant les magasins de ces géants du sportswear. Je suis bien placé pour le savoir : mes fenêtres donnent sur une boutique de ce genre. À quelques mètres, ce qui était autrefois un square de quartier ressemble désormais à un camp d’entraînement paramilitaire. À force de fréquenter ces lieux, les groupuscules de runners développent une accoutumance qu'ils doivent combattre en augmentant leurs doses, autrement dit, en se fixant des challenges toujours plus ardus. En quelques mois, c'est l'escalade : le joggeur du dimanche devient un athlète enchaînant les compétitions. À ce stade de l'addiction, nos coureurs atteignent le niveau de soldats d'élite capables d'évoluer sur tout type de terrain : en montagne, sur la neige ou en mer. C'est le principe des trails et du triathlon. En plus de leurs bracelets connectés ils portent maintenant des armes à feu — le tir de précision est une discipline du biathlon. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'épreuve ultime qui couronne cette transformation physique et mentale se nomme « l'Iron Man ». Il s'agit d'un circuit de 226 km composé de près de 4 km de nage, de 180 km de cyclisme et d'un marathon en bonne et due forme. Les meilleurs runners remplissent ce programme en moins de 10h. Au vu et au su de tous, on assiste à l'avènement de Terminator d'un genre nouveau. Nous reste alors à espérer que le phénomène du running ne soit qu'un incroyable exploit consistant à transformer le sport le plus démocratique du monde en une activité élitiste de citadins sophistiqués. Car jusqu'ici, l'humanité s'était suffit de ses jambes pour courir, et encore on en était venu a trouver des solutions aux cul-de-jattes.

70

Tribune

Hobbies

PAGAN METAL, MON PREMIER POGO EN COTTE DE MAILLE En février dernier, la Machine du Moulin Rouge accueillait la huitième édition du Cernunnos Pagan Fest, un festival où se côtoient des centaines de fans de métal adeptes de reconstitutions médiévales. Passionné par cette musique aussi guerrière que raffinée, j’ai participé à cette grande messe moyenâgeuse. PAR SIMON THÉODORE | ILLUSTRATION PAR D. A.

Ce matin, le soleil brille au point de faire oublier l'hiver. En attendant mon pote, seul devant le Mac Do de Pigalle, je regrette presque d'avoir à m’enfermer dans une salle de concert toute la journée. Il arrive enfin : une petite frite, un coca et on s’élance sur le boulevard en direction du festival. Le soleil dans les yeux, une foule se distingue au loin au niveau de la mythique salle du Moulin Rouge. Ce sont en fait des touristes d'âge mur venus assister aux spectacles du cabaret parisien. Derrière eux, sur le trottoir, des métalleux vêtus de tartans et de tee-shirts à l’effigie de leurs groupes favoris sirotent quelques bières. Un vrai choc des cultures. Mon acolyte connaît le Hellfest, la « Mecque du métal ». De mon côté, c’est mon premier festival. Une sorte de baptême. Avec un peu d’appréhension, je m’engouffre donc dans la Machine pour un voyage dans le temps promettant vertiges et perte des sens. À l’entrée, une tonnes de disques de groupes de pagan metal est rangées en vrac dans d’immenses bacs, preuve que les pionniers du genre ont fait des petits. En 1990, les Suédois de Bathory faisaient revivre les mythes nordiques et l'histoire scandinave pré-chrétienne tandis que les anglais de Skyclad incrustaient des parties de cornemuse et de flûtes à leur heavy metal festif. Dans leur sillage, une ribambelle de groupes chanta la gloire des ancêtres et l’amour de la nature. Le pagan metal était né. Paré d'une peau de bête, un barbare d’une pilosité

sans équivoque accueille les participants et leur remet le programme des hostilités. Pas à pas, l'endroit se dévoile. Le lieu est immense. Sur plusieurs étages, dans différentes salles, des stands de jeux de rôle grandeur nature et de reconstitutions médiévales sont installés. Croix celtiques, amulettes de Mjöllnir (soit le marteau du dieu viking Thor), colliers et autres bijoux côtoient des armures, des casques à cornes et des épées en latex destinés à être vendus aux fans. Après le repérage, il faut assister aux concerts. Lors du set de Furor Gallico, formation italienne, les musiciens portent des kilts et jouent torses nus. Leur maquillage bleu sur le visage n’est pas sans rappeler le film Braveheart de Mel Gibson. Sur la droite de la scène, une femme use de ses doigts pour faire sonner sa harpe. Rapidement, on se retrouve embarqué dans les premières danses métalliques de la journée. Au milieu de la fosse, les fans les plus déchaînés font tournoyer leurs longues chevelures – on appelle ça « headbanguer ». Au sortir du concert, nous sommes déshydratés. Heureusement, la « taverne » n'est pas bien loin. Arrivé au comptoir, nous commandons des fèves au lard et une pinte de jus de houblon. Devant moi, un grand type de presque deux mètres attire l’attention, son torse et ses bras sont bardés de tatouages nordiques. Bref, il inspire la méfiance. Pourtant, il me dit quelque-chose. Le viking a participé à l'émission Séduis moi si tu peux sur W9. Je décide de lui taper la discute.

Très sympathique, le géant s'avère en fait tatoueur dans le Marais. On rigole, il insiste pour prendre une photo et finit par me donner sa carte de visite, format carte postale. Quelques secondes de franche camaraderie avant de continuer mon périple. 16h. Voici venu le temps des animations. Le pilori est installé. Exposé en place publique, un metalhead tente en vain d’envoyer une balle dans des paniers. Au même moment, deux bandes se forment et une corde se tend. Il s’agit de faire chavirer l’équipe adverse en tirant de toutes ses forces sur la grosse ficelle. Plutôt distrayantes, certains soufflent qu’il manque à ces animations une bonne flaque de boue et des tomates pourries à envoyer sur le puni. Puis vient le moment tant attendu des combats d’épées. Le public se met en cercle, un bouclier est placé au centre et les prétendants brandissent leurs lames. Si des demoiselles participent au tournoi, la galanterie n’a pas sa place dans cette bataille. Sur scène, les Compagnons du Gras Jambon ensorcellent maintenant l'auditoire. Malgré leurs airs de joyeux ménestrels, ces bons vivants remuent la fosse. « Quand les gens entendent notre nom, ils savent ce qu’on va jouer. Ça ne va pas être de la musique d’église, c’est clair ! » m’explique plus tard Frère Vik, le chanteur de la troupe. Pour le moment, les grattes électriques ont laissé place à un cistre, une cornemuse et des tambours médiévaux. De nombreux métalleux curieux se

« Le public chante en chœur le refrain d’une ballade toulousaine du XIIe siècle »

réunissent, observent et apprécient les sonorités moyenâgeuses. La foule est telle que l’attroupement ressuscite les odeurs d’antan. Les corps suintent de bière et de sueurs, le public chante en chœur le refrain d’une ballade toulousaine du XIIe siècle. Il est déjà 23h. Les accords de guitares du groupe de black épique Moonsorrow résonnent encore quand les lumières se rallument. Plus qu’un festival, le Cernunnos Pagan Fest est un grand raout où les concerts font figure d'exutoires. Pendant quelques heures, les hardos ont assouvi des rêves de gosses en jouant aux chevaliers. Lessivée, l’assemblée quitte les lieux, le sourire aux lèvres. Dehors, la nuit tombe sous la pluie. Triste retour à la réalité. Le week-end suivant, certains reprendront leurs activités de rôlistes. Pour les plus motivés, ce sera le Ragnard Rock Festival de cet été, un rassemblement où les métalleux arrivent en drakkars pour installer leur campement à même un champ de bataille.

72

Interview

Hobbies

73

nom de la rubrique

Discutaillerie à l’Echoppe médiévale ! Monopolis. La ville futuriste

imaginée par Luc Plamondon et Michel Berger 9 pour planter le décor de Starmania a finalement vu le jour !. Une centurie increvable , de restaurateurs franchisés et de vendeurs de cigarettes de Maisons de crédit électroniques marche sur les vielles murailles, repeignant aux couleurs immondes  de l'uniformisation médiocre les citadelles d'hier. Mais, alors que nombre de places-fortes , quelques bastions résistent inlassablement à l'envahisseur. ont rendu les armes C'est le cas de @ l'Échoppe Médiévale = qui surnage 2 dans le quartier de Gergovie reliés (non, je ne dirais pas Alésia). Le magasin assure la vente et la location d'articles au moyen-âge. Vu de l'extérieur, on croirait un local de catéchisme abandonné. l'idée que je me faisait de mon futur appart De l'intérieur, cela ressemble à du Seigneur des Anneaux. Car l'échoppe propose quand je suis sorti de la projection à n'importe quel kiffeur en effet une sélection de matos qui ferait péter un cable de l'époque pré 1492 : sacquebute, hallebarde suisse  , vouge à croc, et la classique épée, ou double gouttière, à pommeau et à garde de bronze ou d'argent. à simple Aventurons nous donc plus profond dans l'antre de la fantaisie et étanchons notre soif de réponses dans la fontaine de la vérité. C'est en tremblant que votre serviteur, fieffé médiéviste depuis les premiers émois épiques de l'enfance, part infliger la question au tenancier de l'échoppe. L'homme 0 affiche une cinquantaine vigoureuse et saine. , Son visage est buriné par l'expérience de la vie , et dans le bleu délavé de ses yeux d'un cavalier solitaire. on jurerait voir flotter l'étendard PROPOS RECUEILLIS PAR LOUIS GEORGET ET DÉFORMÉS PAR THÉOPHILE SUTTER PHOTOGRAPHIES PAR HUGO DENIS-QUEINEC

Heaume sweet heaume

Hobbies

Les Anglais ont débarqué. 74

nom de la rubrique

Hobbies

75

Interview

Sire, soyez bon et dites en quel An de Grâce votre Belle échoppe a ouvert ses portes. Mon Échoppe existe depuis plus de dix ans. Par le passé, nous étions en résidence rue du Cherche-Midi, dans le sixième arrondissement de notre belle capitale. C'était une fière boutique, nichée entre des belles pierres dont l'âge se comptait en siècles. Mais le bail concédé par le Bourgmestre arrivant à terme, nous nous vîmes dans l'obligation de lever le camp. Le nouveau contrat exigeait une somme en sequins qui aurait vite fait d'assécher notre trésorerie. Je me souviens de cette place… Elle reste dans mon esprit un havre qui résiste à l'oubli. Mes amis et moi y passions de longues heures à observer les armes silencieuses. Mais je m'égare sur les plaines stériles de la nostalgie. Reprends ton récit, ô marchand de métal, et achève de révéler le dénouement de ton exil hors du sixième arrondissement. Fort bien. Nous sommes donc parti, en laissant à nos créanciers le soin de se trouver un autre os à ronger. Et puis, nous levions notre pavillon sur un petit local, niché dans une rue calme du quartier de Gergovie, la rue Friant. Vous remarquerez que la rue ne regorge pas de chalands, et que nous sommes l'une des seules boutique du secteur. Dans le milieu, on appelle ça un tuyau percé. Une saloperie d'emplacement mal foutu si vous préférez. Hé bien, cela n'affecte en rien notre petite entreprise. Car, étant un commerce de niche, notre clientèle vient d'elle même, traversant la contrée parfois pendant des nuits entières pour venir s'approvisionner. Avez-vous remarqué des squelettes enarmurés sur votre chemin? Ce sont nos clients les moins robustes qui n'ont pas survécu au voyage. Ca, et notre site internet qui nous assure une bonne visibilité sur le Web.

Hobbies

“Nous accueillons sans distinctions hommes, femmes, enfants, petits patrons, employés, flics, bourgeois décadents, prolétaires en mal d'idéal”

Sois concis, homme de vente, et révèle nous l'origine de ton échoppe. Je suis un passionné d'Histoire. Nos ancêtres, les Celtes, exercent sur moi une fascination qui ne décroît pas. Après plusieurs années à travailler dans la publicité, je décide de mettre mes bottes de sept lieux et de franchir le pas. De plonger mes vieilles amours dans le bassin du réel. C'est ainsi que l'échoppe a vu le jour, sous les éclairs, alors que quelque part en Albanie, une gitane borgne prédisait la fin du système banquaire.

de sociologie type de nos clients. Les armes qu'ils louent servent à des fins à chaque fois différentes. Elle peuvent reposer, inertes, sur le cuissot d'un ripailleur costumé qui se réunit avec des amis pour festoyer à la mode médiévale. L'échoppe organise d'ailleurs des banquets médiévaux sur réservation. Les costumes sont bien évidement obligatoires et les menus sont d'époque. Nous travaillons d'ailleurs avec un fournisseur qui fait des conserves de plats tombés en désuétude, dont raffolait nos ancêtres. Certains de nos clients, notamment des organes publics, se lancent plutôt dans le « grandeur nature ». La reconstitution de batailles à échelle humaine. La dernière catégorie est de loin la plus bandante : Ce sont les clients qui louent pour le combat. On a un employé qui est dans le circuit, donc il nous ramène de la clientèle. Le genre de types dont tu parles à la femme en disant Madame. Et encore, les épées ne sont pas aiguisées… Ca ne les empêche pas de se foutre sur la gueule dans la mont-joie et la bonne humeur. Saviez vous que la carapace d'un seigneur ferré de pied en cap était quasiment imperforable par une lame aiguisée? C'est la force des chocs successifs qui faisait vaciller ces colosses d'acier. Quand ils tombaient, ce n'était jamais avant la troisième ou quatrième fracture. Le tranchant de la lame n'est effectif que dans les défauts de l'armure, sous les bras ou dans la visière du casque par exemple.

L'heure est maintenant venue de faire la lumière sur la faune qui remplit ton local et tes caisses. Parle nous de ta clientèle. L'échoppe médiévale est un îlot utopique où accostent en paix toutes les strates de notre société. Car sous un haubert a double maille et un heaume de type Bassinet à bec de passereau, personne ne voit vos différences. Nous accueillons sans distinctions hommes, femmes, enfants, petits patrons, employés, flics, bourgeois décadents, prolétaires en mal d'idéal. Il n'y a pas

Pouvez-vous nous dire qui vous fournit ces armes magnifiques? Dans ce domaine, notre belle terre France est hélas stérile. Nos voisins allemands sont à ce niveau là bien plus prolifiques. Cela s'accorde avec la passion plus franche que vouent les fils du Nibelung pour le moyen-âge. Preuves en sont les concerts de Blackmore's Night, qui attirent là-bas des foules colossales de spectateurs entièrement costumés. Blackmore étant, doit on le rappeler, le groupe de Ritchie Blackmore, qui moulinait du riff

76

Interview

chez Deep Purple avant de se recycler dans la musique néo-médiévale. Précisons pour l'anecdote que le bougre s'est marié 28 fois. Le perfide Henri VIII n'a pas fait mieux. Mais les meilleurs forgerons de notre monde ne se trouvent pas en Germanie. Depuis le départ du dernier esquif Galadhrim vers les rivages gris, le secret du fer est gardé en pays de Bohème. Leur savoir remonte à l'âge des Celtes, et perdure depuis. Point de technologie mécanisée dans le processus de fabrication de ces pièces. La main de l'homme, voila l'outil le plus fiable pour façonner une parfaite arme de combat. La BohèmeMoravie… Terre de commerce… Terre de fer… Nous nous fournissons exclusivement chez eux.

“En cette époque troublée que nous vivons, le retour à la violence qui nous guette trouve un écho dans le médiéval”

Armoiries taille Pin's.

Hobbies

Triste idée de penser qu'aujourd'hui, ces lames dorment à jamais, émoussées par la mort des passions et le totalitarisme militaire de notre monde moderne… Dis-moi, vendeur de tradition, où l'homme de la rue peut-il encore apercevoir le soleil se refléter dans l'acier? Il existe des spectacles qui retracent les hauts faits de ceux d'hier. Le château de Vincennes, ancienne demeure de notre bon roi Louis VII, organise des tournois traditionnels à cheval. Mais, en cette époque troublée que nous vivons, le retour à la violence qui nous guette trouve un écho dans le médiéval: le béhourd, sorte d'escrime médiévale pédestre, fait des émules. Le principe est simple. On lance dans une lice, sorte d'enclos sablonneux, deux équipes de viandards saucissonnés dans trente kilos d'acier. L'équipe qui assomme en premier tous les adversaires gagne. Les pays de l'Est raffolent de ce sport et remportent quasiment tous les titres. Les armes sont évidement émoussées pour éviter l'amputation ou la décapitation. La discipline est officiellement enregistrée comme art martial depuis quelques années (il existe une Fédération Française de Béhourd). Donc, si dieu le veut, nous pourrons voir dans quelques années du Béhourd aux Jeux Olympiques. Espérons que la Fédération dépêchera une délégation spéciale pour les Handisports. Bel échoppier, notre entretien court à sa fin. Une dernière question me taraude. Les maîtres d'hier, ceux qui passaient l'armure, étaient ceux de l'aristocratie. Or, Iggy Pop a dit un jour que l'aristocratie d'aujourd'hui était le show-business. Entretenez-vous des rapports avec ce monde de merde? Assez peu. Le cinema ne se fournit pas vraiment chez moi. Je ne reçois que le peuple. Il y a bien quelques articles qui partent pour des shootings, mais cela reste assez rare. Alexandre Astier, le troubadour à l'origine de Kaamelot sur M6, m'a loué du matos, mais juste pour tourner un pilote. Mais depuis quelques années maintenant, un homme masqué achète mes plus belles pièces d'arme. La rumeur dit qu'il chante une musique qui prend racine dans le cœur des hommes et dans les tourments de la guerre… L'oracle qui fait de la manutention chez moi l'a un jour pointé du doigt en disant : « prenez garde, mortels, car bientôt viendra l'heure du fer, l'heure où les épées se dresseront vers l'homme qui chantera pour la fin des temps… »

L’Échoppe Médiévale 10, rue Friant, 75014 Paris www.echoppemedievale.com

Hobbies

« Il n'y a que la maille qui m'aille » Modèle : Lucie Guislain.

DES BAS-DE-CAISSE ET DES JANTES

79

Portfolio

Après avoir rencontré un passionné de customisation automobile, le photographe Victor Poullain, étudiant à l’école Louis Lumière, décide de réaliser une série consacrée au tuning. Au printemps 2014, il se rend à plusieurs meetings organisés dans l’Eure-et-Loir, d’où il est originaire. Ainsi naît ce portfolio où bas de caisse et jantes 20 pouces sont capturés au plus près. Les plans larges mis de côté, l'œil se fixe sur les détails des bolides et permet d'imaginer la personnalité du propriétaire. Cette série nous offre une vision singulière du tuning, loin des clichés dans lesquels versent de nombreux travaux sur le sujet.

Hobbies

80

Portfolio

Hobbies

81

Portfolio

Hobbies

82

Portfolio

Hobbies

83

Portfolio

Hobbies

86

Jeux

Hobbies

87

On a testé pour vous

Hobbies

JEUX VIDÉOS, J-POP, MANGA OU COSPLAY, LA CULTURE POPULAIRE JAPONAISE EST PARTOUT. ÊTES-VOUS UN OTAKU AU TAQUET ?

PASSER SON PERMIS DE CHASSE EN ÎLE-DE-FRANCE

Horizontal 3 - Dessinateurs de bandes-dessinées 5 - Le seul moyen de réveiller Ronflex 9 - Soupe de nouilles traditionnelle 10 - Technique de combat Saiyan 12 - Des filles nues et des poulpes 13 - Smileys nippons

Vertical 1 - Marque de motos mais aussi de piano 2 - Le Facebook des monstres de poche 4 - Lieu de méditation ou d’entraînement 6 - Ton animal de compagnie virtuel 7 - Courtisane 8 - Quartier mythique de Tokyo 11 - Fameux corsaire de l’espace

Caterpillar, barbe et chemise de bûcheron, tel est l'attirail du « lumbersexuel », le jeune citadin branché édition 2015. Son credo : échapper aux circuits de la grande distribution en épousant les valeurs-refuges que sont l'artisanat et le home-made. Et si mettre soi-même son dîner sur la table était la prochaine étape de cette quête d'authenticité ? Un pied dans le futur, on a testé pour vous le passage du permis de chasser en région parisienne.

Réponse y p

a m m

a

o n

g

a

h

k

a

e d

a p

o

d k

e

f

l

u

x g r

a

m

e

n

t

e

a

o

m k

a

m

é

h

a

s m

é

h

i

l

g

i

s

b

o

b

h

a

n

t

a

e

m

o

a

i

t

r

i

t

u

c

y

h

a

i

a

Où passer son permis ? Domaine de Marly, Fort du Trou d’Enfer, 78160 Marly le Roi 01 55 60 18 78 - w w w.ficif.com

88

On a testé pour vous

Hobbies

89

Collectionnite

Hobbies

L'Inscription Rien de plus simple. Il s'agit d'envoyer deux photographies, une copie de sa carte d'identité, un CERFA, un chèque ainsi qu'un certificat médical attestant du bon état de santé physique et psychique du candidat. Bien sûr, il faut aussi compter sur la traditionnelle attestation de participation à la Journée Défense et Citoyenneté (ex-J.A.P.D.) La Formation Oubliez le permis auto et ses 20 heures de conduite minimum obligatoires. Une demi-journée de formation suffit pour passer son permis de chasser. Un entraînement optionnel est par ailleurs offert avant le passage de l'examen. ! En Ile-de-France, le temps d'attente pour accéder à cette séance de préparation peut aller jusqu'à six mois. L'Examen Depuis le 1er janvier 2014, l'examen du permis de chasser se déroule sur une demi-journée. Celle-ci comprend une épreuve pratique composée de quatre ateliers ainsi qu'un test théorique. Si le candidat réussit l'examen, son permis au format carte de crédit lui est remis sur le champ. À l'américaine. Le Prix Le coût total du permis est dérisoire. Pour un mineur, le prix est de 50 euros (non il ne manque aucun zéro) incluant l'inscription et la formation à l'examen, un manuel officiel et les frais de fabrication du titre. Le prix est de 150 euros pour les jeunes entre 18 et 25 ans et s'élève à 275 euros pour les candidats âgés de plus de 25 ans. ! Pour valider son permis, le chasseur est tenu de souscrire une assurance de responsabilité civile ainsi que de s'acquitter d'une cotisation auprès de sa fédération départementale. Prudence Vous êtes maintenant décidé à passer votre permis ? Bravo ! Attention, cependant, 122 accidents de chasse ont été recensés pour la saison 2014-2015, dont 16 mortels (c'est toujours deux de moins que la saison précédente). Ces drames sont en grande partie causés par une mauvaise manipulation des armes, des tirs sans identification de cible et des éclatements de canons. Aucune mention de l'alcool n'est faite dans le rapport officiel.

LA PLUS GRANDE COLLECTION DE PROSPECTUS PUBLICITAIRES DE MARABOUTS EST À METTRE AU COMPTE DE DENIS RIONNET. CET INFOGRAPHISTE LYONNAIS A COLLECTÉ ET MIS EN LIGNE PLUS DE 1600 FLYERS. ON LUI DOIT AUSSI LE MOT « MAGOPINACIOPHILIE », NÉOLOGISME DÉSIGNANT CETTE ACTIVITÉ. DÉCOUVREZ SON HISTOIRE DANS NOTRE PROCHAIN NUMÉRO.

90

ours

Hobbies

91

nom de la rubrique

Hobbies

RÉDACTEURS EN CHEF  Grégoire Belhoste et Lambert Stroh [email protected] DIRECTION ARTISTIQUE  Louise de Montalembert [email protected]

RÉDACTEURS  Margaux Couturier, Louis Georget, Anissa Hammadi, Anastasia Križanovska, Nicolas Moreau, Ana Perromat, Constance Richard, Théo Sutter, Simon Théodore, Donald Walther PHOTOGRAPHES  Maximilien Avia Grolier, Charles d'Aspermont, Hugo Denis-Queinec, Kevin El Amrani, Pablo Freda, Emma Le Doyen, Victor Poullain, Oscar Rasson ILLUSTRATEURS  David Adrien, Théo Sutter

DÉVELOPPEUR WEB Norvan Sahiner CONTACT  [email protected] www.revue-hobbies.com

REMERCIEMENTS  Alicia Alonso, Manon Armando, Zelikha Berramdane, Emma Binet, Élodie Branson, Marjolaine Emery, Morgan Gason, Constance Govare, Victoria Hespel, Lucien Krampf, Justine Lévêque, Natacha Levy, Sandro Maruani, Justine de Montalembert, Mathis Rager, Simon Rihouey, Léa Thibaudeau, Marion Violet, Raphaël Walther, Antoine Weyl, Louise Winfield, Charlie et Bobby, l'équipe de La Trempe, nos chers parents

Revue Hobbies Édition, octobre 2015. Imprimé en France chez Cloitre imprimeurs Composé en Helvetica Rounded LT STD, Suiss BP Int'l et NN Rekja.

Ci-contre : Lola Le Lann par Pablo Freda.

Qu'est-ce qui fait sourire Lola ? Le championnat du monde de châteaux de sable, de beauté canine ou d'avions en papier ? Réponse dans notre prochain numéro.

Depuis trente ans, René collectionne des véhicules militaires dans un entrepôt du Gâtinais. À 26 ans, Peio lance un nouveau sport dans son Pays Basque natal. Des milliers de kilomètres plus loin, Seva fait crisser les pneus de sa Skoda à travers les rues de Moscou. David, lui, fait vivre la mémoire d’un parc d’attractions abandonné. Certains jouent avec les kits IKEA comme avec des pièces de Lego, d'autres se déguisent en chevalier pour pimenter leurs week-ends. Leurs histoires sont dans HOBBIES.

revue-hobbies.com automne-hiver 2015 - 10 € ISSN 2430-5278