997


23MB taille 2 téléchargements 165 vues
No.997 du 7 au 13 janvier 2015

lesinrocks.com

Joey Bada$$ Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

flow furieux

Houellebecq politique-fiction

Judd Apatow en tournage

couv 997modifiée.indd 1

Virginie Despentes le roman d’une génération

nos 60 rendez-vous pour Fauve ≠ Arnaud Desplechin Will Self Game of Thrones 5 expo Bowie Brodinski Star Wars David B. Daredevil Jirô Taniguchi Benjamin Clementine Jean Rolin…

2015 M 01154 - 997 - F: 3,50 €

05/01/15 15:57

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:22

chère année 2015 par Christophe Conte

T

e voilà donc, petite fiérote, toi qui fus il y a longtemps anticipée en millésime futuriste par les scénaristes fumeurs de moquette de Retour vers le futur 2. Loin de moi l’intention de doucher les ardeurs de ces gentils idéalistes, quinzounette, mais si “retour” il y a, ces temps-ci, c’est plus normalement vers le passé qu’il s’opère. A croire que dans la bataille de scénars, c’est plus volontiers celui d’Un jour sans fin qui tient la corde (pour se pendre). O.K., l’heure de l’ultraconnexion a sonné, on aura tous bientôt des montres

intelligentes et des capteurs à ne plus savoir qu’en foutre, tout ce barda techno pour suivre en temps réel la guerre Sarkozy/Juppé, l’excité du 92 contre l’excitant de 95, le pire d’entre tous versus le meilleur ventre mou, tu parles d’une réjouissance ! Déjà que l’autre, en face, persiste à se prendre pour Mitterrand, et faute d’en avoir l’habileté cynique et le machiavélisme opaque, devra se contenter du labrador et des raclées électorales pour tout mimétisme. Et au milieu, je te le donne deux fois en mille, 15 : Le Pen ! Pas le vieux crabe mais sa métastase blonde, qui croit

faire moderne cool parce qu’elle a remplacé les ganaches OAS et les crânes ras d’Occident par un trompe-couillon Village People. Et son porte-glaviots, Zemmour, tu crois vraiment qu’il va retrouver pleinement sa liberté d’expression dans les lieux prévus à cet effet, entre les rayons des libraires pétainistes et les ondes de Radio Courtoisie, ou qu’il va impunément continuer à se répandre partout en martyr cumulard ? On doit se souhaiter quoi, sincèrement, lorsqu’on sait par avance que les éternels déclinistes continueront à plein clapet à vouloir retourner en arrière, et sans DeLorean, crois-moi, pendant que ceux qui persistent à regarder devant verront la tête à Wauquiez pour tout horizon, et Hanouna pour seul bouffon. Même si, c’est certain, tu nous apporteras encore plein de choses pour nous réjouir sans entraves, des films ou des disques, des livres et des révélations, des fêtes s’il en reste et des amours s’il en bourgeonne encore, est-ce que ça pèsera assez lourd à la fin dans la balance ? Et est-ce que l’abandon de la taxe à 75 % pour les plus riches fera revenir parmi nous les fuyards fiscaux qui nous manquent tant ? Depardiou, Delon, Arthur, les tennismen plus doués à hurler au racket qu’à manier la leur, sans parler de l’idole des prothésistes de la hanche et des alcooliers anonymes. Est-ce qu’avec la hausse des tarifs de la Poste, les timbrés en équilibre précaire vont à nouveau foncer dans la foule en bagnole en criant Houellebecq Akbar pour donner du travail à BFNTV, ou bien est-ce qu’on va un peu se calmer la chenille à propos du prétendu Jihad-surYvette ? J’ai pas de réponse à tout ça, toi non plus, pas encore en tout cas, car le futur d’hier est désormais imminent et on verra bien ce qu’avec toi il nous réserve. En attendant, je t’embrasse, 2015, et ne sois pas trop une pince. 7.01.2015 les inrockuptibles 3

08 997 03 Billet.indd 3

05/01/15 15:41

GAB Pub DB.indd 2

17/12/14 10:24

GAB Pub DB.indd 3

17/12/14 10:24

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:19

20

Taryn Simon, Larry Mayes. Scène de l’arrestation, The Royal Inn, Gary, Indiana, The Innocents, 2002. Reconstitution de la scène d’arrestation d’un homme accusé de viol et capturé sous un matelas. Courtesy of the artist

No. 997 du 7 au 13 janvier 2015 couverture Virginie Despentes par Patrick Swirc pour Les Inrockuptibles

Taryn Simon au Jeu de Paume, p. 56

03 08 10 14 16

billet dur édito recommandé interview express Xavier Beauvois événement enquête sur Podemos, le parti de gauche espagnol favori des législatives de novembre

20 60 rendez-vous pour 2015 à nouvelle année, nouvel agenda : première rencontre avec Virginie Despentes pour le volume 1 de Vernon Subutex, vrai-faux polar à l’écriture nerveuse. + Apichatpong Weerasethakul, Joey Bada$$, Brodinski, Philippe Grandrieux, Judd Apatow, Benjamin Clementine, Jirô Taniguchi, l’expo David Bowie Is, Will Self, Roland Barthes, Jean Paul Gaultier, Michel Houellebecq, Taryn Simon, Ibeyi, Star Wars…

60 68 80 88 90 92

cinémas La Rançon de la gloire, Captives… musiques Ghost Culture, Girls In Hawaii… livres Jean Rolin, Christophe Carpentier… scènes Platonov, Mimi… expos Inside au Palais de Tokyo… médias le docu Drogues et création…

Léa Seydoux, p. 45

profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 96 Joey Bada$$, p. 34 7.01.2015 les inrockuptibles 7

08 997 07 Sommaire.indd 7

05/01/15 15:37

Giancarlo Gorassini/Abaca

Michel Houellebecq et Virginie Despentes lancent en beauté 2015

Virginie et Michel En 1994, l’une publiait Baise-moi chez Florent Massot et l’autre Extension du domaine de la lutte chez Maurice Nadeau. En 2010, ce sera le Goncourt pour Houellebecq et le Renaudot pour Despentes. On parlait alors de la consécration d’une génération. Leurs nouveaux livres sortent aujourd’hui : Vernon Subutex, 1 (Grasset) et Soumission (Flammarion). Ce sont ceux que tout le monde a envie de lire. Et, pour une fois, tout le monde a raison. Pour Michel, les choses se déroulent à peu près comme prévu. Alain Finkielkraut est très satisfait, sur l’air du “Depuis le temps que je vous le dis, que les musulmans nous veulent du mal, à nous autres bons Français, voilà que Houellebecq le dit aussi, et vous voilà bien embêtés, pauvres idiots même pas utiles !” ; Franz-Olivier Giesbert, de son côté, titre “Houellebecq et les vrais islamophobes” et enchaîne sur le “djihadisme français”, preuve qu’il n’a pas ouvert le livre, le Mohammed Ben Abbes de Houellebecq ressemblant beaucoup plus à une sorte de démocrate-chrétien retors, à l’italienne, c’est-à-dire peu démocrate et peu chrétien, qui choisit d’ailleurs François Bayrou comme Premier ministre, qu’à un fou de Dieu. Ce Ben Abbes ne fait pas du tout le djihad mais de la bonne vieille politique. Enfin, à droite, globalement, ils sont contents, et veulent croire que Houellebecq est une bonne prise de guerre, une sorte de Zemmour qui saurait écrire. Le danger d’une victoire de l’islam politique en France à la présidentielle de 2022, ils y croient à mort, ça les terrifie. Mais que pensent-ils de la réélection – imaginée dans Soumission, i-ma-gi-née – de François Hollande en 2017, contre Marine Le Pen au second tour ? Ils y croient sûrement moins, d’un coup… A gauche (sic), Laurent Joffrin accuse carrément le pauvre Michel de “chauffer

la place de Marine Le Pen au café de Flore”. Mais le Flore, attends, lequel ? celui du XXe ou du XXIe siècle ? le vieux où le demi est si cher ou le nouveau, le Libération que dirige Joffrin ? On s’y perd. Mais comme quiconque oserait prétendre que bon, la littérature, parfois, c’est un peu plus compliqué et intéressant qu’un vertueux éditorial serait aussitôt accusé de contorsionnisme idéologique, d’irresponsabilité politique, de formalisme bourgeois et de défense acrobatique de l’indéfendable Michel, remettons la suite de nos enthousiastes contorsions houellebecquiennes à la semaine prochaine. Et pendant ce temps-là, Virginie Despentes, elle aussi autrefois accusée d’avoir commis un film “fasciste” avec Baise-moi par le déjà sévère Joffrin, publie tranquillement le premier des trois volumes de son grand roman, Vernon Subutex. Ancien disquaire au grand cœur, Vernon se retrouve à la rue et doit faire le compte de ce qui lui reste comme véritables amis, de ceux qui lui ouvriront leur canapé, voire leur lit. Marabout-bout de ficelle-selle de cheval, et les personnages s’enchaînent et dessinent une hallucinante fresque générationnelle, portée par une écriture à la sève parfaitement maîtrisée. Pas vraiment de nostalgie, plus guère d’illusions, mais le paysage social d’après les rêves de jeunesse, et cette façon proprement balzacienne de faire exister et parler tout le monde, dans une comédie humaine ultracontemporaine. Alors que Soumission est le moins romantique des livres de Houellebecq, à la fois sarcastique et ouaté dans un calme d’au-delà du désespoir, une apesanteur de science-fiction, Vernon Subutex a l’ampleur et la générosité du récit picaresque, un picaresque au ras des trottoirs de Paris. D’un côté, la stridence de la fable ; de l’autre, l’ivresse du récit. Deux grands livres pour inaugurer 2015. Meilleurs vœux.

Frédéric Bonnaud 8 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 08 EDITO.indd 8

05/01/15 15:38

GAB Pub.indd 1

18/12/14 16:42

une semaine bien remplie Amalgamer les sculptures publiques et déchiffrer les rebuts, souffler les dix bougies d’un bon spot parisien, réviser ses bases en courtisaneries de façade et voir éclore ceux que le monde du travail jugent hors jeu.

encombrants Julien Berthier Revisiter l’histoire de la sculpture publique, et avec elle l’hommage rendu aux grands de ce monde : voilà le pari de l’artiste Julien Berthier à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Une série de sculptures minimalistes rejouent les formes aléatoires des encombrants déversés dans les rues de Paris et endossent le nom des rues (d’Hannah Arendt à Jean Jaurès) où ces rebuts ont été trouvés.

Photo Aurélien Mole, courtesy galerie G.-P. & N. Vallois

exposition Public Sculptures, du 9 janvier au 21 février à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris VIe, galerie-vallois.com

Julien Berthier, Olivier Métra, 2014

scènes de manager Les Règles du jeu

documentaire de Claudine Bories et Patrice Chagnard, en salle

Lolita Gaetane

Dans un cabinet de placement, des jeunes gens non diplômés apprennent les codes jugés nécessaires pour obtenir un emploi. Un documentaire saisissant sur les règles du marché du travail et leurs absurdités.

10 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 10 recommande.indd 10

05/01/15 15:39

baron perché Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans Voilà qui tombe à pic pour les bonnes résolutions. En ce début d’année, Allia réédite ce savoureux texte du baron d’Holbach. Facétie philosophique publiée pour la première fois en 1790 et qui se présente comme une apologie de l’art de la bonne façade et du savoir-vivre hypocrite régnant sur les conventions sociales du XVIIIe. Et plus encore ?

Supermafia

livre (Allia), 48 p., 3,10 €

paradoxal le Point Ephémère a 10 ans Samedi 10 janvier, à partir de 16 heures, le Point Ephémère ouvrira gratuitement ses portes pour fêter sa première décennie. Spot indispensable des Parisiens curieux, la petite salle offrira une soirée à son image : danse, performances, DJ-sets, concerts évidemment, et aussi quelques surprises. Tanti auguri. performances le 10 janvier, Paris Xe, pointephemere.org

7.01.2015 les inrockuptibles 11

08 997 10 recommande.indd 11

05/01/15 15:39

présentent

1. ÉCOUTEZ

Après votre connexion sur le site Hello play!, écoutez votre musique sur les différentes plates-formes de streaming.

2. COLLECTEZ

Au fur et à mesure des écoutes et des partages, vous accumulez des Hello Coins.

3. SOUTENEZ

soutenir la musique en l’écoutant Et si, à l’aube de 2015, la solution la plus efficace pour soutenir les projets musicaux de demain était d’écouter la musique que vous aimez ?

D

u crowdfunding à l’achat de produits dérivés, sans oublier le mécénat ou l’achat numérique, l’industrie musicale a trouvé de nombreuses manières de répondre à la crise qu’elle traverse actuellement. Une nouvelle alternative est aujourd’hui possible avec Hello play! Chaque mois, ce nouveau site propose des projets en rapport avec la musique, sélectionnés par l’équipe d’Hello play! : jeunes groupes à la recherche de soutien pour la sortie de leur single, organisateurs de festivals qui souhaitent développer leurs activités, ou encore designers de matériel hi-fi, tous les profils en rapport avec la musique sont ainsi étudiés.

Vous pouvez soutenir les projets auxquels vous croyez sans débourser le moindre euro mais avec une monnaie virtuelle, les Hello Coins. Pour gagner des Hello Coins, rien de plus simple. Il suffit de vous inscrire sur la plate-forme Hello play! et d’écouter ensuite votre musique sur les différentes plates-formes de streaming telles que Deezer, SoundCloud ou encore Spotify. Au fur et à mesure des écoutes et des partages, les Hello Coins s’accumulent et sont prêts à être utilisés. Hello play! se charge de les convertir en soutien financier pour les différents porteurs de projets. A l’aube d’une nouvelle année, Hello play! s’impose comme une façon atypique et audacieuse de soutenir la musique de demain.

3 questions à Arnaud Burgot, CEO d’Ulule, plate-forme partenaire d’Hello play!

Soutenez les projets auxquels vous croyez en investissant vos Hello Coins.

DPQ_HELLO_PLAY_OK_OK.indd 2

Quel est le point de départ de votre collaboration avec Hello play! ? Hello play! souhaitait soutenir différemment la musique : j’écoute, je partage les artistes que j’aime et je les soutiens, tout en sortant d’une relation financière. Comment sélectionnez-vous les projets ? Il faut une certaine qualité visuelle, musicale, et que le projet parle à tous. Nous sélectionnons ceux qui nous semblent les plus atypiques et innovants. Est-ce que les projets se concrétisent plus vite grâce à Hello play! ? Ils vont en effet plus vite, et ont aussi beaucoup de visibilité grâce à la plateforme. C’est une belle opportunité pour les porteurs de projets.

05/01/15 16:33

les projets à surveiller de près Neon Cityscape (ep) par Bloom Ce jeune groupe, originaire de Bordeaux, distille des mélodies solaires, à l’image de celles concoctées par Phoenix ou Two Door Cinema Club. Actuellement en pleine préparation d’un ep prévu pour février, le quatuor a besoin de vous pour l’aider à le finaliser.

les enceintes Echoes en céramique par Inspired Sound Charlotte Juillard et Dominique Mafrand ont développé une enceinte au design scandinave et aux capacités audio uniques. Elle porte le doux nom d’Echoes, en référence au morceau des Pink Floyd. Soutenez-les !

aussi sur Hello play! ∙ une Hello Session avec l’électrique HollySiz, filmée en décembre 2014. ∙ d’autres concerts privés avec les nouveaux talents de 2015, à découvrir très prochainement…

retrouvez chaque semaine les projets coups de cœur des inRocKs, des interviews des talents Hello play! et des playlists exclusives sur

helloplay.lesinrocks.com

DPQ_HELLO_PLAY_OK_OK.indd 3

05/01/15 16:33

“être libre est un vrai souci dans le cinéma français” Quatre ans après le succès de Des hommes et des dieux, Xavier Beauvois revient avec une comédie. Depuis sa retraite normande, le cinéaste nous parle de Charlie Chaplin, de sa défiance envers la politique, des zadistes et de ses parties de pêche avec Michel Legrand.

L

a Rançon de la gloire vous donne pour la première fois l’occasion d’aborder aussi frontalement le genre de la comédie. Aviez-vous besoin de retrouver une forme de légèreté après Des hommes et des dieux ? Xavier Beauvois – J’ai fait un film sur des hommes qui se font décapiter pour des raisons religieuses ; un autre sur un mec qui se fait tuer dans un pays étranger pour une guerre qui n’est pas la sienne (N’oublie pas que tu vas mourir – ndlr) ; et dans Selon Matthieu j’évoquais les vices de la mondialisation, comme les fermetures d’usines. Donc oui, il fallait que je respire un peu, que je m’amuse. J’ai souvent repensé à cette phrase de Godard, qui dit : “J’essaie de faire des films, mais je ne fais pas de cinéma”. Là, pour la première fois, j’avais envie de faire du cinéma, et même de parler du cinéma. Chaplin était le sujet idéal pour ça. Mais il fallait trouver l’angle, pas faire un hommage idiot. Lorsque je suis tombé sur cette histoire de deux types qui avaient volé le cadavre

de Charlot pour faire du chantage à la famille, j’ai compris que je tenais la bonne piste. Le fait divers ne m’importait pas, je voulais plutôt en faire une fable, un conte. Quel est votre rapport à Chaplin ? Comme tout le monde je l’ai découvert en même temps que les dessins animés quand j’étais gosse. Je trouvais qu’il y avait une forme d’évidence dans ses films, un truc qui les distinguait. Chaplin, c’était le boss, le mec qui vous faisait passer en une seconde du rire aux larmes. Encore aujourd’hui, je ne peux pas voir Les Lumières de la ville sans chialer à la fin. Il ne vieillira sûrement jamais. J’ai mis un extrait de The Cure dans mon film, un plan où l’on voit Charlot juste avant de se faire masser : il reste là, immobile, à observer ce qui se passe. Tout est dans l’intériorité, et c’est d’une modernité inouïe. Un peu comme ce que disait Philippe Garrel : “Imaginez que l’on filme vos pensées. Ne jouez pas, soyez.” La bonne intuition du film, c’est de faire de Benoît Poelvoorde une figure typiquement chaplinienne…

Il avait ça en lui depuis longtemps. Mais c’était difficile de lui faire entendre : il ne voulait pas jouer un clown, comme s’il n’arrivait pas à faire son coming-out, à se foutre vraiment un nez rouge. Il pouvait être résistant mais ça a été une belle rencontre. Lui et moi avons des origines similaires, et pas mal de fêlures en commun, même s’il est beaucoup plus compliqué. J’ai l’impression qu’ils sont plusieurs dans la tête de Benoît, et qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Ça ne le rend pas très heureux tout ça. Parlez-nous de votre collaboration avec Michel Legrand. Certains films réclament de la musique, d’autres non. Là, je sentais que c’était nécessaire, et j’avais pensé à Michel, qui est un mythe absolu. Il a trouvé le film formidable mais il n’avait pas le temps de s’y consacrer. Donc j’ai attendu – trois mois – et il a fini par m’inviter chez lui pour composer la musique. On a installé le banc de montage près de son piano, dans lequel on avait disposé un micro, et pendant

14 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 14-15 Actu ITW.indd 14

05/01/15 15:40

Christophe Bourguedieu

“je suis fasciné par les zadistes et tous ces nouveaux mouvements de révoltes”

des semaines on a revu des éléments du montage, des questions de rythme. On avait de longues discussions qu’il traduisait en musique avec une intuition technique insensée. C’est la plus belle expérience de ma carrière. Je me suis retrouvé chez Michel Legrand, hors du monde, à aller faire des courses, à préparer le dîner, à partir à la pêche dans les douves. Je savais qu’il aimait jouer

08 997 14-15 Actu ITW.indd 15

aux trains électriques avec Jacques Demy pour se divertir, alors j’avais apporté des petits hélicoptères pour jouer. Le film n’est pas tant un hommage à Chaplin qu’une manière de faire revivre l’esprit de Chaplin, et à travers lui une forme de comédie sociale un peu oubliée. Souhaitiez-vous faire du Chaplin actuel ? Oui, c’était le pari. La comédie sociale telle que Chaplin la pratiquait manque au cinéma. Mais ça n’est pas facile, les gens ne comprennent plus. Je me prends les pires critiques de ma carrière avec ce film. Aujourd’hui, vous devez faire soit de la comédie, soit du social, mais associer les deux paraît impossible. J’ai le sentiment qu’être libre est devenu un vrai souci dans le cinéma français. Même après un succès. Connaissez-vous le philosophe Guillaume le Blanc qui, dans un récent essai, L’Insurrection des vies minuscules (Bayard), fait de Charlot l’incarnation des précaires et des révoltés contemporains ? Non, mais ça rejoint le film. Chaplin est l’ami éternel des sans-papiers, des pauvres, des migrants. C’est une figure de révolte intemporelle, qui incarne une forme de dignité dans la misère. On vous connaît peu de prises de positions publiques. Quel est votre regard sur la politique ? Je m’en désintéresse totalement. A une époque, j’étais passionné par la politique, mais maintenant je zappe. J’ai le sentiment que les ministres ne sont plus aujourd’hui que des attachés de presse, aux ordres d’une administration globalement de droite. Ils ont le temps de réfléchir quand, ces gens-là ? Jamais. T’as même une ministre de la Culture

qui vient nous dire qu’elle n’a plus le temps de lire. C’est dingue. Mitterrand, il faisait tout pour trouver le temps de lire, pour essayer de comprendre le monde. Qui, aujourd’hui, parle pour ces vies minuscules que vous évoquez dans La Rançon de la gloire ? Tout le monde sauf les premiers concernés, les politiques. Je suis fasciné par les zadistes et tous ces nouveaux mouvements de révoltes, qui disent : “La politique, on n’y croit plus, alors on va se débrouiller nous-mêmes.” La phrase la plus intelligente que j’aie entendue l’année dernière a été prononcée par une jeune femme qui militait contre le barrage de Sivens. A un journaliste qui lui demandait si elle était là pour protéger la nature, elle a répondu : “Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend.” Je trouvais ça merveilleux. Ici aussi, en Normandie (où vit le cinéaste – ndlr), on veut nous coller des trucs à la con, des parkings et compagnie. Mais on se défend avec la mairie, et si on ne veut pas nous entendre, je suis prêt à passer à d’autres types d’actions, quitte à ne pas respecter la loi. En 2010, vous aviez rencontré Sarkozy, qui avait demandé une projection de votre film Des hommes et des dieux à l’Elysée. Des nouvelles de Hollande ? Quelqu’un de son cabinet a appelé. Ils veulent que l’on organise une séance de La Rançon de la gloire pour Hollande. C’est à croire que l’on a des présidents cinéphiles. Tant mieux, il nous reste au moins ça. propos recueillis par Romain Blondeau La Rançon de la gloire lire critique p. 60

05/01/15 15:40

Josep Lago/AFP

Pablo Iglesias, porte-parole de Podemos, le 21 décembre 2014 à Barcelone

Podemos : la victoire à tout prix Le programme revendicatif et égalitaire de la jeune formation politique espagnole pourrait lui permettre de remporter les législatives de novembre. Mais sa direction s’écarte des idéaux démocratiques des débuts pour transformer le parti en machine de guerre politique. Enquête.

J

e vais vous dire un secret… ça y est, nous sommes sortis de la crise.” La grosse centaine de personnes réunies dans la salle Caracol à Madrid explose de rire. Sur scène, Miguel Urbán se délecte des déclarations optimistes du gouvernement. “Vous le savez, les hommes politiques ne mentent jamais.” Les rires redoublent. Les raisons de cette hilarité ne manquent pas. Plus de la moitié des jeunes est au chômage et l’émigration est en hausse (580 000 personnes en 2013, surtout des étrangers qui retournent au pays). En 2014, les expulsions locatives ont augmenté de 17 % malgré la nouvelle loi supposée protéger les plus pauvres. Pire : ceux qui entravent leur bon déroulement risquent des amendes de 30 000 euros, en vertu d’une “loi pour la sécurité citoyenne” passée en force début décembre. A cela, il faut ajouter la privatisation croissante des services publics.

“Ils pensent être sortis de la crise, mais la caste n’a jamais connu la crise !”, lâche Urbán, 35 ans, accents de showman, cofondateur de Podemos. Le public se régale. “Ils ne savent pas qui nous sommes. Ils nous traitent de communistes, de hippies, de monstres, de castristes… Nous sommes un peuple normal qui veut récupérer le futur qu’on lui a volé.” Podemos (“nous pouvons”) soufflera sa première bougie le 17 janvier. Au bout de quatre mois d’existence, ce mouvement citoyen devenu parti politique a envoyé cinq eurodéputés (sur 54) à Strasbourg, en obtenant 1,2 million de voix. Aujourd’hui, il se place en tête des intentions de vote pour les élections législatives prévues en novembre (27,7 % contre 26,7 au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et 20,7 au Parti populaire). Mené par le charismatique Pablo Iglesias Turrión et ses lieutenants, tous issus de la fac de sciences politiques la Complutense à Madrid, Podemos

16 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 ACTU Podemos.indd 16

05/01/15 15:47

tient d’abord de “l’hypothèse scientifique”, comme ses fondateurs le disaient au départ. Puisque la corruption touche l’ensemble des partis de droite et de gauche jusqu’à la famille royale, puisque l’extrême gauche, pas plus immune aux scandales financiers, est verrouillée et se complaît dans son rôle de minorité de l’opposition, et puisque la politique d’austérité imposée par Bruxelles est appliquée quel que soit le parti aux commandes, de toute façon inféodé aux banques, le changement social doit venir du dehors de l’échiquier politique traditionnel espagnol, soit le bipartisme socialistes et populaires depuis la fin du franquisme. Pablo Iglesias Turrión, professeur de sciences politiques issu des jeunesses communistes et petit-fils d’un républicain condamné à mort par les franquistes, a unifié le mouvement des Indignés de 2011 et ses formations citoyennes sans étiquette. “Défendre l’accès universel à la santé, ce n’est ni de droite, ni de gauche : 80 % des Espagnols l’approuvent, explique Jorge Lago, 38 ans, l’un des responsables du parti. Il faut casser le discours idéologique qui empêche de voir la réalité et bâtir une majorité sociale.” Pourtant formée à l’extrême gauche option Chávez, la bande d’Iglesias veut occuper la “centralité de l’échiquier” : exit le discours gauchedroite, place au discours en haut-en bas, caste-peuple.

08 997 ACTU Podemos.indd 17

“défendre l’accès universel à la santé, ce n’est ni de droite, ni de gauche” Jorge Lago, un des responsables du parti

Le parti écolo-communiste Gauche unie (Izquierda unida), auquel le leader à la queue de cheval est pourtant très lié (sa compagne est députée IU, luimême a été consultant pour les législatives de 2011), a décliné l’invitation d’Iglesias. C’est le parti Gauche anticapitaliste (Izquierda anticapitalista), très impliqué lors du mouvement des Indignés, qui participe à la création de Podemos. Ce sont eux qui imposent un programme radical (RMI pour tous, banque publique, annulation de la dette extérieure), finalement allégé (RMI sous conditions, banque “non spéculative”, restructuration de la dette). Et tant pis si les dents des plus gauchistes grincent lorsque sont évacués les marqueurs de la gauche espagnole (féminisme, immigration, République…) au profit de la patrie ou la souveraineté économique. L’enjeu est ailleurs.

05/01/15 15:47

“le plus important pour Iglesias et ses compagnons, c’est de gagner” Víctor Rocafort, politologue

“Je suis un républicain de gauche. Mais en quoi est-ce que me revendiquer de gauche va aider les gens ?”, martèle Jorge Lago. “Si tu veux un grand changement, il te faut un consensus, affirme Alicia Muñoz, 26 ans, membre du “cercle” de Tetuán, un quartier populaire de Madrid. L’extrême gauche n’a jamais rien gagné. A force de défendre une idéologie pure, tu ne crées pas d’ancrage dans la société : tu ne peux pas aller lire Marx sur la place publique et penser que ça va marcher.” La victoire aux élections européennes en mai dernier, où Podemos est devenu la quatrième force du pays, donne raison à cette stratégie : non seulement ils ont récupéré des voix du Parti socialiste, mais aussi du Parti populaire en séduisant la classe moyenne paupérisée par la crise et les mesures d’austérité. “Que tout le monde ait accès à un logement, à l’éducation, à la santé, ce n’est pas une politique de gauche, c’est une politique de sens commun”, insiste Muñoz. Populiste, Podemos ? Certainement. Mais à la manière du penseur argentin Ernesto Laclau, pour qui le populisme constituait la chose politique en soi. Podemos prend ainsi ses décisions à travers les “cercles”, soit plus d’un millier d’assemblées locales et sectorielles (culture, énergie, sports…). Les sympathisants votent les documents politiques par internet via l’appli Appgree, discutent sur le forum Plaza Podemos sur Reddit, communiquent aussi sur Twitter (484 000 abonnés) et Facebook (920 000 fans), soit presque dix fois plus que le PSOE et le Parti populaire. Fidèle à ses déclarations contre le pouvoir bancaire, le courant s’autofinance via le merchandising et les donations. “La démocratie ne se consomme pas, elle se construit : c’est par le bas que nous gagnerons”, sourit l’eurodéputée Teresa Rodríguez. Le phénomène politique devient rapidement culturel. Pablo Iglesias, qui animait déjà sa propre émission sur le web, La Tuerka, l’idéologue du parti Juan Carlos Monedero, ou encore le stratège de la campagne pour les européennes Iñigo Errejón trustent les médias, du JT aux émissions satiriques comme El Intermedio. L’Espagne se convertit au discours caste contre peuple, à laquelle gauche et droite sont obligés de s’adapter. A chaque meeting, les leaders sont accueillis en rock-stars. A tel point que Monedero n’hésite pas à dire que Podemos est une “usine de l’amour”. Mais bientôt le succès laisse place aux accusations. D’abord celles des adversaires traditionnels : le Parti populaire et le PSOE qui se moquent d’“El Coletas”, “la queue-de-cheval”, sorte de hippie extravagant mi-chaviste, mi-nazillon. Les médias

débusquent des cadavres dans les placards d’Iñigo Errejón (un contrat non honoré avec l’université de Malaga) et d’Iglesias (les salaires des techniciens de La Tuerka peut-être payés au noir). Blessés, ils décrètent le silence médiatique. “Face à leur haine, nous offrons notre sourire”, scande Juan Carlos Monedero. Puis viennent les critiques internes. La Gauche anticapitaliste, représentée par les eurodéputés Teresa Rodríguez et Miguel Urbán, digère mal le congrès d’octobre : la structure d’organisation verticale d’Iglesias l’emporte. Son projet entérine la création d’un poste de secrétaire général, doublé d’un conseil de coordination de douze personnes qu’il nommera lui-même. La voix des cercles, jadis au cœur de Podemos, sera exprimée par un conseil citoyen de 62 personnes. Il sera toutefois possible de révoquer un membre par référendum en rassemblant 25 % des cercles ou 20 % des inscrits. “Le plus important pour Iglesias et ses compagnons, c’est de gagner, analyse le politologue espagnol Víctor Alonzo Rocafort. Ils ne souhaitent aucune dissension interne qui puisse les distraire de leur objectif. A partir du congrès, Podemos devient une machine de guerre électorale.” Conscients de leur faible influence au sein du groupe de la Gauche unitaire européenne à Strasbourg (52 députés sur 766), c’est d’abord en Espagne qu’ils veulent jouer un rôle. Inspirés par le réalisme politique (Carl Schmitt, Machiavel, Gramsci), Iglesias et ses lieutenants verrouillent l’appareil. Premier coup : Iglesias, leader médiatique incontesté et eurodéputé, annonce qu’il se retirera des instances de décision de Podemos si son projet n’est pas choisi. Deuxième gifle : il change les conditions de vote le dernier soir du congrès, empêchant de voter pour le projet plus horizontal de l’équipe des eurodéputés Pablo Echenique et Teresa Rodríguez, qui accorde une plus large place aux cercles et un tirage au sort. Plus fort : dans le document éthique qui a été voté au Congrès, Iglesias interdit aux candidats encartés à un autre parti de se présenter à un poste de responsable. Un message clair adressé à la Gauche anticapitaliste, contrainte de se transformer en association. L’attitude va-t-en-guerre des responsables du parti interroge. Et si, comme le dit le politologue Jaime Pastor, Podemos devenait un nouveau “parti de notables médiatiques” ? Jorge Lago reconnaît des erreurs de communication. “Mais c’est une chimère de croire que Podemos est une structure horizontale, se défend-il. On ne peut pas fonctionner comme on le voudrait parce que nous sommes dans un système politique hiérarchique. Il faut jongler entre le désir d’une autre société et la réalité.” En se structurant comme un parti politique plus classique, Podemos effraie la classe politique. “Ils ont raison d’avoir peur, mais nous n’avons pas encore gagné, conclut Miguel Urbán. Les gouvernements vertueux n’existent pas. Il n’y a que des peuples courageux qui peuvent contraindre les gouvernements à tenir leurs engagements. C’est ce que nous serons.” Mathilde Carton

18 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 ACTU Podemos.indd 18

05/01/15 15:47

GAB Pub.indd 1

17/12/14 15:49

“notre génération a été un feu de paille” A 20 ans, ils étaient punks. Et à 50, à quoi ressemble leur vie ? Sous le prétexte d’un polar, Virginie Despentes voyage à travers les classes sociales et cartographie les évolutions de la société française. Premier volume d’un roman-fleuve, le plus ambitieux de son auteur. par Nelly Kaprièlian photo Patrick Swirc pour Les Inrockuptibles

C  

ette nouvelle année commence en exauçant l’un de nos vœux : on attendait depuis longtemps qu’un écrivain français signe un grand roman sur l’état de notre société, et Virginie Despentes l’a fait avec Vernon Subutex, son septième roman, une trilogie dont le prochain volume sortira en mars et le dernier en septembre. Une formidable cartographie de la société française contemporaine à travers l’itinéraire d’un disquaire (Subutex), obligé de fermer son magasin à cause de la dématérialisation de la musique, qui perdra vite son appartement et devra, avant de finir SDF, demander à chacun de ses amis de l’héberger un temps, devenant ainsi le parfait fil rouge pour nous faire pénétrer dans tous les milieux. Il y a vingt ou trente ans, ils étaient fans de rock et participaient tous à des groupes punk. Que sont-ils

devenus à la cinquantaine ? On passe de l’extrême droite à l’extrême gauche, de l’embourgeoisement à la déchéance, des nantis aux SDF, des hétéros aux gays, tous traités de la même façon par un auteur qui a atteint un niveau de maîtrise sidérant : avec autant de tendresse que d’ironie, car Despentes n’est jamais dupe, tout en restant profondément humaine. Punchlines, mots justes, humour au vitriol sont au rendez-vous d’un roman ultraserré, nerveux, dense, en forme de vrai-faux polar. Parce que Vernon Subutex se retrouve en possession des rushes de l’interview de l’un de ses amis, le seul du groupe à être devenu une star et retrouvé mort dans la baignoire de sa chambre d’hôtel dès le début, tous voudront le retrouver pour s’approprier ces bandes. De quoi nous donner envie de rencontrer celle qui pourrait bien passer, avec ce livre, du statut d’enfant terrible à celui d’auteur majeur de la littérature française.

20 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP ITWDesp.indd 20

18/12/14 15:55

Paris, décembre 2014

08 997 GPAP ITWDesp.indd 21

18/12/14 15:55

Comment as-tu commencé à écrire Vernon Subutex ? Virginie Despentes – J’ai eu l’idée de Vernon en voyant des gens autour de moi se retrouver dans des situations compliquées à la cinquantaine. J’ai eu une expérience de disquaire quand j’étais gamine, et je faisais partie d’un groupe de rock. A l’époque, dans le rock, des gens se sont croisés qui n’avaient rien à voir ensemble. Ils ont changé au niveau social et politique. Il y a des évolutions qu’on n’aurait pas pu prévoir il y a trente ans… J’avais l’idée d’un livre-patchwork qui traverserait toutes les classes sociales. Je me suis rendu compte qu’il serait volumineux alors que j’étais déjà très avancée dans l’écriture. Il faisait 1 200 pages. C’est mon éditeur qui m’a suggéré de le découper en trois tomes. L’une des questions qui traversent le livre, c’est l’idéalisme inhérent au rock et ce que chacun en a fait vingt ou trente ans plus tard… La question c’était : “Après ce qu’on a fait à 20 ans, qu’est-ce qu’on est devenu à 45 ?” C’est un vrai truc de vieillir, on me l’avait dit mais je n’y croyais pas. Et le plus dur, ce n’est pas pour soi, mais c’est de voir les autres vieillir. Surtout dans le rock. A 20 ans, ils avaient tous un look, et puis ils l’ont perdu. Le rock, ça a été une illusion ? Non, c’était une aventure, et toutes les aventures ont une fin. Ce qui m’intéressait, c’était le rock underground, le hardcore, avant Nirvana. Nirvana est le premier groupe à devenir mainstream, et ça a marqué la fin  de quelque chose : la fin du rock et de certaines aventures politiques. Après ça, et surtout début 2000, on a connu un moment de grand vide utopique. Le rock comme mode de vie, dangereux et subversif, ça s’est

Renaud Monfourny

Virginie Despentes nous a reçus chez elle, dans le XIXe arrondissement de Paris. Tutoiement direct, extrême douceur et intelligence fulgurante. L’occasion aussi d’un bilan sur sa vie et la société, vingt ans après la parution de son premier roman-choc, Baise-moi (1994), de l’interdiction (la première en France depuis vingt-huit ans) de son film du même nom en 2000 et de son essai féministe, King Kong théorie (2006).

arrêté abruptement : il n’en reste à peu près rien, sauf du son et des fringues. C’est un peu comme le jazz aujourd’hui : tu peux écouter Coltrane, mais toute l’intensité, les trucs raciaux, la rébellion que ça charriait se sont perdus. Il y avait une sorte de division politique qui existait dans le rock, mais je ne m’en rendais pas compte. Les germes d’une droitisation y existaient déjà, dans son dandysme par exemple, son élitisme, et puis c’était une musique de Blancs. Comment vois-tu la société aujourd’hui ? Dans Paris, j’ai la sensation d’une dépression très forte. On me faisait récemment remarquer que dans mon livre, tout le monde est abattu. C’est vrai que, quand tu es en France, tu es tout le temps bombardé de trucs déprimants, les gens sont dans un état qui va au-delà même de la colère. Mais en Espagne, où j’ai vécu quelques années, alors qu’ils se sont pris la crise de plein fouet, ils ont plus de vitalité, de colère, ils analysent plus… Même si la France est aussi le pays de Mai 68 et des grèves, on est face à une dépression des élites. Ça reste une énigme de voir à quel point les médias se sont mis à pousser l’extrême droite alors que ça ne leur sert pas. Je ne dis pas que c’est le fait d’un complot, qu’ils se sont tous concertés un matin pour en arriver là, mais je crois que c’est dû à une crise des élites, qui pensent avoir perdu leur prestige, leurs privilèges. L’extrême droite, on nous la sert à longueur de temps

22 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP ITWDesp.indd 22

18/12/14 15:55

“c’est un vrai truc de vieillir, on me l’avait dit mais je n’y croyais pas. Et le plus dur, ce n’est pas pour soi, mais c’est de voir les autres vieillir”

Virginie Despentes et Raffaëla Anderson sur le tournage de Baise-moi (2000)

parce que les médias en sont fascinés. Qui est le fou qui a décidé de mettre Eric Zemmour quatre heures à la télé tous les samedis soir ? On se dit qu’il y a quelqu’un qui doit nous détester, et détester la France, pour nous imposer Zemmour ou Marine Le Pen à longueur de temps… Je sais bien que la polémique fait spectacle, mais pourtant on a évacué toute polémique sur le sexe, ou d’extrême gauche. Tout ça est le fruit de la frustration des élites. On dit pourtant que la montée de l’extrême droite est due à la frustration des plus démunis… Tu peux voir les choses dans l’autre sens. C’est comme pour les manifs contre le mariage gay. Au départ, ils ne représentent pas grand-chose, mais à force de les inviter à la télé sans arrêt, ça devient massif. Il y a une vraie forme de propagande, que je trouve difficile à comprendre. Il y a plusieurs personnages d’extrême droite dans ton livre. Pourtant, tu les traites comme tous les autres, en suscitant aussi notre empathie pour certains aspects de leurs vies… C’est risqué, mais j’essaie de me mettre en empathie avec tous mes personnages. Et puis, les pensées de l’extrême droite se sont infiltrées en chacun de nous. Ça fait quatorze ans maintenant qu’on nous répète qu’il ne faudrait pas être “politiquement correct”, et ça a fini par s’infiltrer en nous. Mais si je suis en empathie avec tous, ça ne veut pas dire en identification

totale. Dans ma tête, je ne suis pas ces personnages. J’ai des garde-fous, car je sais que la racialisation du regard est dangereuse et inacceptable. Mais c’est vrai que j’ai au moins un point commun avec chacun d’eux, il y a une partie de moi en chacun, sinon tu n’ancres pas tes personnages. J’essaie d’avoir des points de contact, car je ne peux pas travailler des personnages qui me seraient complètement étrangers. C’est ce que font les satiristes, et moi, je ne suis pas satiriste du tout. Je travaille avec des émotions. Je suis dedans. Vernon Subutex est peut-être celui qui est resté le plus fidèle à son idéalisme de jeunesse. Est-il celui en lequel tu te retrouves le plus ? C’est le personnage central, c’est donc celui que je vais nourrir le plus souvent. Mais il est dans une passivité inouïe, alors que moi, je suis dans une angoisse qui m’empêche d’être passive. Les gens comme lui, tu ne sais pas trop si c’est de la sagesse ou une inconscience totale. Il y a un truc du petit garçon de 50 ans chez certains hommes. Lydia Lunch me disait que la différence entre les hommes et les femmes, c’est que les femmes changent. Je pense que les filles se prennent des coups dans la gueule plus tôt et plus violemment par rapport à ce qu’elles attendent de la vie, alors elles réagissent. Je connais peu de filles qui passent leurs journées à jouer à des jeux vidéo, comme Vernon lorsque son magasin de disques ferme. Dans ton livre, personne n’est heureux… Cette question du bonheur, tu te l’es posée ? C’est typique de l’âge que j’ai, celui des bilans. Avant, tu cours après tes objectifs. On cherche tous à prouver que ça va, et ça, je trouve que c’est un truc fou. L’un de mes personnages, Sylvie, casse toutes ses copines dès qu’elles sortent de chez elle. Mais c’est ce qu’on fait tous : dès qu’on sort d’une soirée, ce n’est au fond pas tant les autres qu’on démonte tout de suite, mais ce qu’ils ont essayé de nous montrer. Comme s’il y avait, en chacun de nous, un malheureux au placard qu’il faudrait toujours cacher. Mais c’est vrai que rien ne va vers l’harmonie : le monde du travail n’est pas harmonieux, le monde de la séduction non plus. Autour de nous, rien n’est fait pour qu’on se sente bien. 7.01.2015 les inrockuptibles 23

08 997 GPAP ITWDesp.indd 23

18/12/14 15:55

A 45 ans, comment vois-tu ta vie ? Je ne m’attendais pas à ce que ma vie soit aussi bien. Il y a une angoisse énorme chez moi, je ne sais pas quoi en faire, mais en même temps, je sais que ces dernières années j’ai eu beaucoup de chance. Oui, je crois à la chance. C’est avec l’âge que tu le vois : il y a des gens qui n’ont pas eu de chance. Je crois à la sincérité, vouloir être sincère ou pas. Il y a des gens que ça n’intéresse pas et c’est dommage. Quand les gens ne sont pas sincères avec eux-mêmes, ils courent sans arrêt après quelque chose dans leur vie. L’intention d’être vrai, c’est ce qui fait toute la différence. J’ai beaucoup pensé aux romans de Raymond Chandler, assez désabusés, en lisant Vernon Subutex… Je ne l’avais pas consciemment en tête, mais à 20 ans j’ai beaucoup lu Chandler et Hammett et ça m’a complètement formée. Il y a chez Chandler une désinvolture, qui n’est pas du dandysme, et une volonté de se confronter à l’ultraviolence. Ses structures sont très ambitieuses, et ça m’a marquée. Chandler, c’est vraiment une attitude. Quand j’écris, oui, il y a une attitude chez mes personnages. On écrit aussi pour ça, pour se créer un point où on n’est pas exactement dans la vie. Car dans la vie, je ne suis pas comme ça, je suis hypersensible, les gens sont surpris en me rencontrant… Es-tu consciente de l’image que tu as ? Brute et brutale, ce que je peux être sans problème, mais je suis plutôt très timide. Avec Baise-moi, les gens pensaient que je foutais le bordel partout où j’arrivais, mais j’ai arrêté de boire il y a quinze ans, et ça a tout changé. La personne timide en moi, il n’y a plus qu’elle aujourd’hui. J’essaie globalement d’aller vers plus de calme, je ne crois pas du tout au truc qu’il faut aller mal pour écrire. Etre sensible me paraît bien. Arrêter de boire et trouver plus de calme, ça a été une vraie décision pour écrire.

“on déconseille encore fortement aux femmes de prendre le pouvoir, c’est moins séduisant. Etre lesbienne m’a mise à l’aise avec la réussite”

Et le fait d’écrire trois tomes, l’amusement prend le dessus sur l’angoisse. C’est tellement de boulot que ça le désacralise. Vernon Subutex a un côté roman noir. C’est un genre qui permet de nous faire traverser toutes les classes sociales… Aujourd’hui, on retrouve ça dans les séries : dans The Wire, il y a la même ambition de faire une cartographie de la société. Ce n’est pas conscient, mais le noir m’a formée. Je n’ai pas appris la littérature de façon académique, ce que j’ai commencé à lire énormément, c’était le roman noir. Ce qui m’a le plus influencée récemment, c’est 2666 et Les Détectives sauvages de Roberto Bolaño. Ses structures sont très éclatées. Il y a chez lui une sophistication et une brutalité, un truc intellectuel mais aussi un truc drôle et primaire. Il a une incroyable liberté. Quand tu écrivais Baise-moi, avais-tu déjà le projet de devenir écrivain ? Non et oui. Je ne sais pas d’où ça m’est venu. Je n’avais pas conscience d’une littérature contemporaine, sauf quand j’ai lu Ellroy. Dès que Baise-moi a été publié, j’ai commencé un autre roman, Les Chiennes savantes. Le geste d’écrire n’était pas sacralisé pour moi. Je le faisais comme on faisait une vidéo ou un morceau de musique. A l’époque, faire des choses ne portait pas à conséquence. J’étais dans un groupe de rock, on faisait du hip-hop avec de la guitare électrique. J’ai envoyé mon livre aux éditeurs comme j’envoyais à l’époque des demos aux maisons de disques. Je ne me rendais pas compte que Baise-moi ne correspondait pas du tout au paysage littéraire français de l’époque. C’était assez drôle, il y avait Houellebecq, Darrieussecq, Nobécourt, Ravalec, Dantec (qui n’était pas encore aussi sombre)… Ça a été une génération très compatible qui a émergé au même moment. C’était assez festif. Par rapport au sexe, c’était aussi une époque moins prude, on pouvait accueillir un Guillaume Dustan. Tout est plus conformiste aujourd’hui : en littérature, l’expérimentation ne passerait plus. C’est un temps moins festif aussi. Le rock t’a-t-il influencée ? Oui, car toute ma vie était alors traversée par la musique. Il y a vachement de citations de paroles de groupes dans Baise-moi, un rythme, une attitude, qui étaient importants dans le rock. C’était nihiliste. Au moment où Nirvana est devenu un truc énorme, quelque chose s’est terminé. Je me souviens qu’on entendait Nevermind partout, je me sentais dépossédée de ma musique. Et tous les grands groupes américains se sont mis à signer en rafale chez les majors. Et tout ça a été couronné par le suicide de Kurt Cobain.

24 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP ITWDesp.indd 24

18/12/14 15:55

08 997 GPAP ITWDesp.indd 25

18/12/14 15:55

“qui sont les écrivains, les cinéastes, les plasticiens qui se collettent avec le sexe ? Comme si c’était devenu un non-sujet” Es-tu déçue par ta génération ? Pas déçue, mais triste. On a été pris comme des lapins dans des phares. Nous sommes une génération désemparée. On ne s’attendait pas à ça… on faisait les durs, on prétendait savoir que le système était dégueulasse… mais, en Europe, ce qui s’est passé ces cinq dernières années, le fait que tout s’écroule autant sans qu’on soit capable d’émettre une pensée, d’avoir une perspective… On est inconsistant en tant que génération, on a été comme un château de sable, tout s’est écroulé sans qu’on soit capable d’analyser. On a fait ce qu’on a pu, mais ce sont des gens plus vieux qui analysent ça aujourd’hui ou des gens plus jeunes. Alors qu’on se croyait plus armés que ça. On croyait que tout était acquis, mais avec la crise, le fait qu’il faudrait défaire l’Etat-providence, arrêter l’hôpital public, l’école publique, on nous l’a mis en tête. Tout ce que ça a produit, c’est une extrême droite très forte. Enfin, très forte, c’est ce qu’on essaie de nous faire croire… Alors qu’ils sont incapables de produire un manifeste, un programme fort, ils ne font que tweeter. On a manqué d’ambition, ou de croyance en nous-mêmes. Nous avons été un feu de paille. Aujourd’hui, vois-tu l’interdiction de Baise-moi, le film (en 2000), puis son classement X, comme un signe ? Personne ne m’a soutenue à l’époque. A partir de 2000, c’est le virage réac, incarné par une soudaine fascination pour Philippe Muray, qui avait tort : les moutons, ce ne sont plus les gens de gauche. Aujourd’hui, la société est plus prude et aucune cinéaste ne ferait un film comme ça. Je vois beaucoup de réalisatrices de talent, mais je ne les imagine pas traiter du sexe. C’est comme si elles avaient appris à se coltiner des sujets qu’on attend d’elles. Mais aujourd’hui, quelqu’un comme Laurent Joffrin (alors au Nouvel Observateur – ndlr) ne se permettrait plus de m’attaquer avec autant de virulence car je fais partie du paysage, je signe chez Grasset, j’ai reçu le prix Renaudot. A l’époque, le fait d’être une femme et d’avoir coréalisé et tourné avec des actrices du X ne passait pas, de même qu’il y avait un truc de prolo qui ne passait pas, le fait qu’il y ait deux rebeus. Là, en revanche, le débat s’est beaucoup plus ouvert. Mais aujourd’hui, qui sont les écrivains, les cinéastes, les plasticiens qui se collettent avec le sexe ? C’est comme si c’était devenu un non-sujet, au moment même où, paradoxalement, le sexe a envahi internet. La pornographie est omniprésente, on voit des trucs

horribles sur le net, mais il n’y a plus de discours. Comme si la sexualité était devenue le dernier tabou. Ça va avec ce mouvement réactionnaire global, et c’est une catastrophe. Interdire Baise-moi a mis un coup d’arrêt au fait que de bons réalisateurs puissent s’approprier la pornographie et en faire un truc génial. En 2006, tu signais King Kong théorie, un essai pour dénoncer la société patriarcale dans laquelle on vit. On en est toujours là ? Les femmes, on leur déconseille encore fortement de prendre le pouvoir, c’est moins séduisant. Etre lesbienne m’a mise à l’aise avec le fait de réussir des choses. Alors qu’en tant qu’hétéro, ça me mettait mal à l’aise dans la séduction avec les hommes. Si ça te valorise auprès de la fille avec qui tu es, ou d’autres filles, ça devient soudain un plus. Alors qu’avant, le succès, c’est comme si tu avais six kilos de trop. Et puis, la propagande promaternité est une merde : toutes les femmes ne sont pas faites pour être mères. L’épanouissement dans la maternité est une propagande. Même les filles qui ont des enfants, c’est difficile pour elles. Le poids d’être séduisante, de réussir, mais pas plus que ton mec, d’avoir des enfants, tout ça est un frein terrible qui empêche les femmes d’avancer. Et les mecs ne se sentent pas du tout concernés par le féminisme. Les mecs se cooptent sans réfléchir. Cela se reflète-t-il en littérature ? On prend spontanément plus au sérieux un auteur homme pour parler du monde. Est-ce qu’on n’a pas valorisé les femmes qui parlaient de l’intimité parce que c’est ce qu’on attend d’elles, des petits sujets mignons, bien faits ? Devenir lesbienne a changé quelque chose pour moi, parce que j’ai rencontré Beatriz (Preciado, philosophe, avec qui elle vit depuis dix ans – ndlr), qui ne se vit pas comme une femme intellectuelle, mais qui a la mégalomanie d’un homme, au bon sens du terme. Ça m’a beaucoup aidée. Il y a un lien évident entre création et homosexualité pour les femmes, tu peux faire une histoire de l’art des femmes à travers les homosexuelles. Alors que l’hétérosexualité peut te tirer vers le bas en tant que créateur. Pour moi, c’est quand je suis devenue lesbienne que j’ai compris à quel point c’était important. Ça libère vraiment un truc. Tu t’autorises plus. Vernon Subutex 1 (Grasset), 400 pages, 19,90 €

26 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP ITWDesp.indd 26

18/12/14 15:55

essai

la révolte, l’émancipation Mario Tama/Getty Images/AFP

A partir des engagements pour les libertés civiles d'Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie élabore une réflexion novatrice sur la révolte et l’émancipation. A travers un pur exercice d’ontologie de l’actualité, l’auteur perçoit dans leurs actes et leurs vies l’avènement d’un nouveau sujet politique. Un essai stimulant qui renouvelle la réflexion sur le pouvoir, la logique de l’Etat, l’emprise qu’il exerce sur nous et l’art de s’en détacher. J.-M. D. L’Art de la révolte – Snowden, Assange, Manning de Geoffroy de Lagasnerie (Fayard), en librairie le 14 janvier

musique

The Avener Le Niçois Tristan Casara, alias The Avener, n’aura aucun souci à se faire en 2015. Son hit en or massif, Fade out Lines, sur lequel vocalise Phoebe Killdeer, est satellisé depuis des mois aux sommets de charts à travers le monde. L’electrosoul à la fois turbulente et sensuelle de ce DJ frenchy, qui manipule également le blues et le folk en orfèvre, devrait trouver encore pas mal de pétrole avec un premier album où il invite Sixto Rodriguez, Andy Bey, Adam Cohen et même Mazzy Star. Il va donc falloir sérieusement songer à le surnommer The Avenir. C. C. The Wanderings of The Avener (Capitol/Universal), sortie le 19 janvier

cinéma

Arnaud Desplechin n’a (presque) filmé que des adultes. Ses rares et beaux personnages d’enfants sont restés en marge, tristes et silencieux, attendant que l’auteur se penche vraiment sur eux. C’est chose faite. Nos Arcadies est le prequel de Comment je me suis disputé... : le récit de jeunesse de Paul Dédalus (rôle tenu par Mathieu Amalric en 1996). Les acteurs sont des inconnus, l’action court de l’enfance à la fac – avec un détour par un autre genre, l’espionnage. Nos Arcadies pourrait être le film que Desplechin n’a encore jamais fait : le lent effeuillage d’un âge d’or. T. R. date de sortie non communiquée

Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet

Jean-Claude Lother/Why Not Productions

Nos Arcadies d’Arnaud Desplechin

7.01.2015 les inrockuptibles 27

08 997 GPAP Notules 2015.indd 27

18/12/14 18:44

musique

Benjamin Clementine La rumeur le présentait depuis des mois, à la faveur d’un ep et de mémorables apparitions, comme une nouvelle merveille sans être en mesure de définir à quelle espèce elle appartenait. Son premier album confirme le buzz mais n’éclaircit en rien nos lanternes. Benjamin Clementine évoque autant Nina Simone, Jacques Brel que Screamin’ Jay Hawkins. Au bout du compte, c’est peut-être au David Bowie de Life on Mars que cet échalas au chant torrentueux, au piano un peu brouillon, nous fait surtout penser, celui qui nous fit dire alors : “une étoile est née”. F. D.

Dwayne Johnson

série

Ryan Farber

No Pain, No Gain de Michael Bay (2013)

Micky Clément

At Least for Now (Barclay/Universal), sortie le 12 janvier

musique

Ballers

The Districts

Dwayne Johnson et Mark Wahlberg ont joué ensemble dans le bodybuildé No Pain No Gain en 2013. Les revoilà dans une comédie située dans les coulisses du foot américain – sportifs, agents, fans… Le premier joue un ancien athlète, le second produit la série. Imaginée par des membres de l’équipe d’Entourage, Ballers se passe à Miami et pourrait offrir à son acteur principal une nouvelle occasion de marquer des points-crédibilité. Après tout, c’est HBO qui diffuse et Peter Berg (Friday Night Lights) qui réalise le pilote. O. J. en juin sur HBO et OCS

Quelques morceaux sur le net et une prestation remarquée au festival US South By Southwest ont suffi à cette bande d’ados surdoués pour s’imposer parmi les valeurs montantes du rock. Ce beau mot, devenu de plus en plus gros, qui peine à trouver ses nouveaux héros à guitares. De Neil Young aux Strokes, de Nirvana à Alabama Shakes, les mélodies nerveuses des Districts semblent déjà prêtes à succéder aux gloires (plus ou moins reconnues) d’un continent qu’elles incarnent absolument. A. F. A Flourish and a Spoil (Far Possum/Pias), sortie le 9 février

28 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 28

18/12/14 18:44

Jirô Taniguchi/Miwako Ogihara/Rue de Sèvres

bd

Jirô Taniguchi Impressionnant début d’année pour le maître du manga. Il sera à l’honneur d’une rétrospective au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, du 29 janvier au 1er février. Parallèlement sortiront le 21 janvier une nouvelle traduction de L’homme qui ma rche ; le tome 2 des Contrées sauvages, récits d’aventures et de nature ; Elle s’appelait Tomoji, inspiré de la jeunesse de la créatrice d’un temple bouddhiste,

Tomoji Uchida. A noter, la parution le 23 janvier d’un hors-série des Inrocks consacré à Taniguchi et aux nouveaux maîtres du manga d’auteur. Enfin, en mars, sera publié un récit de SF très mœbiusien datant des années 80, Chroniques de l’ère glaciaire. A.-C. N. L’homme qui marche et Les Contrées sauvages, t. 2 (Casterman) ; Elle s’appelait Tomoji (Rue de Sèvres), en librairie le 21 janvier ; Chroniques de l’ère glaciaire (Kana), en librairie en mars

essai

Dans le répertoire des pratiques sexuelles, le XXe siècle n’aurait introduit qu’une seule innovation, selon Michel Foucault : le fist fucking. Le philosophe Marco Vidal fait la généalogie de cette pratique, en circulant dans l’histoire de la littérature (Koltès, Sade, Henry James, Ovide…) et des arts (Robert Mapplethorpe…), mais en rencontrant aussi des adeptes du fist. A travers sa réflexion iconoclaste sur un plaisir transgenre, l’auteur fait le point sur le poing. J.-M. D.

Fist de Marco Vidal (Zones), en librairie le 15 janvier

Delphine Ghosarossian/FTV

généalogie du fist fucking

médias

les 10 ans du Bondy Blog Créé en 2005 par le magazine suisse L’Hebdo à la suite des émeutes dans les banlieues françaises, le Bondy Blog célèbre donc ses 10 ans. Piloté par deux blogueurs, Mohamed Hamidi et Nordine Nabili, le Bondy Blog a fait entendre des voix sensibles, articulées, impliquées au cœur même des quartiers de Seine-Saint-Denis, à mille lieues des clichés véhiculés par les médias de masse. Une formidable aventure de presse sur laquelle revient le documentaire de Julien Dubois, Bondy Blog, portrait de famille, diffusé le 22 février sur France Ô. J.-M. D. Bondy Blog café le dimanche, 12 h, France Ô 7.01.2015 les inrockuptibles 29

08 997 GPAP Notules 2015.indd 29

18/12/14 18:44

cinéma Apichatpong Weerasethakul

back to the jungle Palme d’or en 2010 pour Oncle Boonmee, le cinéaste thaïlandais revient avec Cemetery of Kings. Une histoire de rêves peuplés de créatures mystérieuses et de fantômes, comme d’habitude. Présentation exclusive par l’auteur.

L

e temps nous avait paru long depuis 2010. Après sa consécration au Festival de Cannes, d’où il était reparti avec une Palme d’or pour son sixième film, Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), Apichatpong Weerasethakul s’était fait de plus en plus discret, voire absent des rendez-vous cinéphiles internationaux. Il donna certes quelques nouvelles ici ou là (un beau moyen métrage, Mekong Hotel, sélectionné à Cannes en 2012 ; des courts et des installations présentés dans les musées d’art contemporain), mais tardait à annoncer un projet de plus grande ampleur, suscitant l’inquiétude chez ses admirateurs : avait-il décidé de faire une pause ou, pire, souffrait-il d’une crise d’inspiration ? Il était en fait occupé à poursuivre un rêve, le bien nommé Utopia : un film de science-fiction qu’il voulait épique, fantaisiste, spectaculaire. Il partit pour Los Angeles rencontrer des actrices, mobilisa ses producteurs pour trouver des fonds, mais ni sa renommée critique, ni le relatif succès d’Oncle Boonmee (128 000 entrées en France) ne lui auront permis de réunir le budget nécessaire. Alors, Weerasethakul laissa tomber l’idée, provisoirement en tout cas. C’était trop tôt, trop coûteux, et il sentait qu’il lui restait encore des pistes à explorer en Thaïlande, un cycle à finir. “Je souhaitais réaliser un film qui évoquait une terre étrangère, un autre monde, mais je n’étais pas prêt, nous explique le cinéaste, sans regret. J’ai préféré revenir à mes origines, et j’ai commencé à écrire un scénario en pensant à mon actrice Jenjira Pongpas, avec qui j’ai souvent

travaillé sur différents projets d’art. Elle et moi sommes nés dans le nord-est de la Thaïlande, une région isolée que j’avais envie de raconter une dernière fois avant de passer à autre chose. J’ai écrit ce film pour elle, et pour moi. Peut-être est-ce un adieu.” Fin 2013, il s’est donc lancé dans ce nouveau projet, baptisé Cemetery of Kings, en procédant selon ses méthodes habituelles : il est allé faire des repérages dans la jungle, à la recherche de lieux et de lumières à partir desquels il a écrit des fragments de film. “Je voulais m’inspirer des souvenirs de mon enfance, dit-il. Retrouver la sensation des après-midi d’ennui, la chaleur, la nourriture, le sommeil.” Quelques mois plus tard, une version finale du scénario parvient au bureau du producteur historique du cinéaste, le Français Charles de Meaux1. Qui exulte : “J’étais très enthousiaste à la première lecture, nous assure-t-il. Le film va être un pas en avant dans la carrière d’Apichatpong : il a plus de puissance, il est plus précis, plus limpide que ses précédents travaux.” Au cœur de Cemetery of Kings, dont l’action se situe dans un hôpital gardé par une femme au foyer (Jenjira Pongpas), il y a l’histoire d’un groupe de soldats thaïlandais atteints d’une étrange maladie : un virus du sommeil qui les plonge dans un monde d’hallucinations, de fantômes et de romances. Parmi ces soldats, les fans de Weerasethakul reconnaîtront un visage familier : celui de l’acteur Banlop Lomnoi, qui reprend ici le rôle qu’il tenait dans un précédent film du cinéaste, Tropical Malady. “Cemetery of Kings raconte la vie de ce soldat

abandonné par son amant, sa vie et ses rêves lorsqu’il se retrouve piégé dans la jungle. Et en même temps je pourrais être ce personnage, ou je pourrais être Jenjira. Tout est question de double identité.” De fait, ce nouveau projet s’inscrit fidèlement dans le cinéma de son auteur, dont il constitue à la fois “une continuation et un approfondissement”, explique son producteur. “Apichatpong y développe toutes les grandes lignes de son œuvre : son obsession pour la médecine, son lien aux souvenirs de l’enfance. Et puis on retrouve la confrontation entre un monde urbain et une nature sauvage, une sorte d’éden, qui est un refuge mais aussi un lieu d’angoisse.” Cet éden, une jungle luxuriante située au bord du fleuve Mékong dans la région de l’Isan, Weerasethakul y a passé tout son été

30 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Eve Apichatpong 2015.indd 30

18/12/14 17:24

Anna Sanders

dernier pour mettre en images Cemetery of Kings. Entouré d’une petite équipe, constituée de ses fidèles collaborateurs (à l’exception de son chef opérateur, réquisitionné par Miguel Gomes pour Les Mille et Une Nuits, et remplacé par le Mexicain Diego García), le cinéaste a vécu un tournage paisible, où “tout n’était que lumière”. “Je me suis retrouvé en paix, sans pression, dans le même état d’esprit que lorsque je tournais Syndromes and a Century”, se souvient-il. Pendant près de deux mois, il a donc pris le temps de divaguer dans la jungle et d’y construire son univers fantasmatique, plein de créatures étranges et de spectres qu’il a voulu mettre en scène de manière réaliste. “Il s’est inspiré de la naïveté des formes du cinéma thaïlandais des années 50 et 60 et de son goût pour les effets spéciaux primitifs,

les trucages un peu magiques. Je crois qu’il n’a jamais été aussi loin dans la fantaisie”, explique Charles de Meaux. Aujourd’hui en cours de montage, le film devrait être prêt pour le prochain Festival de Cannes, où sa sélection est plus que probable. Mais à en croire son auteur, le parcours du film connaîtra encore quelques remous dans son pays, la Thaïlande, un environnement de plus en plus hostile aux artistes. Victime de la censure depuis ses débuts, signataire d’une pétition en 2010 réclamant la “démocratisation” et la “modernisation” du régime thaïlandais, Weerasethakul devra sans doute faire face à de nouvelles polémiques lors de la sortie de Cemetery of Kings (provisoirement enregistré sous un autre titre, Love in Khon Kaen, pour ne pas heurter les autorités monarchiques du pays). Il le sait, et s’en lasse déjà : “J’ai envie de partir vivre

et travailler ailleurs. La situation politique en Thaïlande devient insupportable. Il n’y a plus de liberté d’expression et les gens ne se révoltent pas : ils sont trop attachés au système hiérarchique, au Karma. Je me demande souvent ce que serait ma vie dans une réelle démocratie. Je ne vais pas tarder à le découvrir.” Mais avant de partir, le cinéaste devait encore un dernier film à la Thaïlande, à cette terre de fantasmes et de légendes qui aura nourri l’un des imaginaires les plus fertiles de ce début de siècle. Ce sera Cemetery of Kings. Romain Blondeau 1. Producteur des films d’Apichatpong Weerasethakul depuis 2002 et son deuxième long métrage, Blissfully Yours, Charles de Meaux s’est associé à la société anglaise Illumination Films et à la société allemande The Match Factory pour produire Cemetery of Kings, pour un budget approchant le million de dollars. 7.01.2015 les inrockuptibles 31

08 997 GPAP Eve Apichatpong 2015.indd 31

18/12/14 17:24

Courtesy of Warner Bros.

cinéma

HBO

Profitant du succès déraisonnable de leur trilogie Matrix, les Wachowski s’étaient ensuite aventurés dans les confins les plus expérimentaux du cinéma hollywoodien (Speed Racer et Cloud Atlas), quitte à effriter leur capital commercial. Plus classique que ces deux derniers films, Jupiter signe le retour de la fratrie au cœur du système. Un système qu’il convient, comme toujours chez eux, de pirater de l’intérieur, puisqu’il s’agit là de lutte des classes, d’exploitation des corps et de complot intergalactique, le tout enrobé dans un conte de fées space-opera (avec Mila Kunis en princesse et Channing Tatum en chevalier). Retour gagnant aux cimes du box-office ? J. G. en salle le 4 février

Hermance Triay

Jupiter : le destin de l’univers des Wachowski

livre

série

Régis Jauffret

The Wire

Retour à la fiction pure et dure, après un détour par les faits divers (Claustria, La Ballade de Rikers Island), avec Bravo (Seuil). Bravo comme autant d’hommages à la résistance des “obstinés-à-vivre”. Le livre rassemble une quinzaine de “fictions” autour des naufragés du grand âge hantés par leur fin prochaine, des hommes et des femmes qui s’avancent vers la mort, cet inévitable pays “où l’on finit tous par aller se faire foutre”, pour reprendre les mots de Jauffret. E. P. Bravo (Seuil), en librairie le 5 mars

Plongée à pic dans les ghettos de Baltimore, la plus grande série des années 2000 (de tous les temps ?) n’a rien d’une nouveauté. Pourtant, son édition en version remastérisée et recadrée pour épouser les écrans 16/9 d’aujourd’hui crée l’événement – The Wire avait été tournée à l’origine dans un format 4/3 presque carré. Un nouveau regard sur un chef-d’œuvre, comme en peinture. Le créateur David Simon, d’abord sceptique, a finalement validé la démarche et participé à la restauration. McNulty is back ! O. J. intégrale en Blu-ray 16/9 disponible cet été

32 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 32

18/12/14 18:45

musique

Fauve ≠ On le sait depuis le tout début : Vieux frères, paru début 2014, allait être suivi d’un deuxième album. Sans en dévoiler plus, le collectif nous a confirmé, avant Noël, avoir quasiment achevé l’enregistrement de Vieux frères, partie 2. Une “tournée des Nuits Fauves” succédera à l’album à partir de mars. On peut patienter en écoutant Azulejos et Bermudes, premiers extraits dévoilés sur le net. Ou en se procurant le récent fanzine du collectif, Chronogramme. J. S.

Vieux frères, partie 2 (Fauve Corp), sortie le 16 février

Fernanda Pereira

Channing Tatum

musique

Panda Bear Désormais connue des masses grâce à sa participation lumineuse au dernier Daft Punk, la voix de Beach Boy futuriste d’Animal Collective revient en solo avec un album fascinant, sur lequel il rencontre la Grande Faucheuse en Technicolor hip-pop. Morceaux aux monstrueuses excroissances, psychédélisme à la Miyazaki, mélodies en pâte à modeler, textures soniques en mille-feuille psychotrope, Panda Bear Meets the Grim Reaper, produit par l’ex-Spacemen 3 Peter “Sonic Boom” Kember et enregistré en partie chez lui à Lisbonne, est un grandiose voyage intime. T. B. Panda Bear Meets the Grim Reaper (Domino/Sony), sortie le 12 janvier 7.01.2015 les inrockuptibles 33

08 997 GPAP Notules 2015.indd 33

18/12/14 18:45

musique Joey Bada$$

Brooklyn boogie Fougueux, son premier album, B4.DA.$$, renverse New York et  toute la planète rap. En ce début d’année, ce garçon de même pas 20 ans fait l’événement.

34 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 Gpap BadASSok.indd 34

18/12/14 15:52

 D

epuis que j’ai 15 ans, je suis en compétition avec Jay Z, déclame Joey Bada$$ en esquissant un sourire espiègle. Je ne dis pas ça comme une provocation, c’est juste ma mentalité. Je n’ai jamais considéré mon âge comme une limite.” Le rappeur de Brooklyn frime à peine : sa carrière a débuté grâce à une vidéo sur le net en 2010, il avait en effet 15 ans. Avec son sac de collégien sur le dos, il se présente alors sous le nom de JayOhVee et se lance face caméra dans un rap détonant de trois minutes. Pas d’instrumental, juste un camarade qui beatboxe sous les rafales de slang déchargées par le jeune rappeur. Suite à cette vidéo, il fut contacté par Jonny Shipes, fondateur du label Cinematic Music Group (Sean Kingston, Big K.R.I.T.). Le reste de l’histoire, on la connaît : dès ses premières mixtapes début 2012, le public et la critique le reconnaissent comme l’héritier légitime de la plus noble tradition du rap new-yorkais, celle de Rakim, Mobb Deep ou Nas. Jay Z le convoque en haut de son building, lui glisse un contrat sous le nez, mais Joey secoue la tête : il avait averti dans le morceau Unorthodox qu’il refuserait de signer en major pour moins de trois millions de dollars. II ne baisse pas son tarif, même pour un ami du président. “Je veux sortir ma mère du quartier”, clamait-il pour justifier ses exigences. Si d’autres mixtapes, singles et concerts sauvages ont assis son succès désormais international, Bada$$ n’a jamais succombé à la drague des majors. Son premier album est aujourd’hui produit en indépendant par CMG, et Joey habite toujours chez sa maman, dans le même appartement à BedfordStuyvesant, à Brooklyn. “Tout va bien, chaque chose en son temps. Ma famille me soutient, mais chez moi, personne ne me demande de remplir le frigo. Ma mère fait toujours ses petites affaires

de son côté. On déménagera sûrement bientôt, mais je ne quitterai jamais le quartier définitivement. Ma vie est là, mes amis, ma famille… Je compte redonner à ce quartier d’une façon ou d’une autre, pour aider.” Avec la J Dilla Foundation, il a déjà offert 10 000 euros en instruments de musique et matériel d’enregistrement à son ancien lycée. La fondation l’a remercié en lui léguant des inédits du défunt génie : “On m’a envoyé un fichier avec quarante beats, et j’ai eu le droit d’en choisir deux. J’étais comme un gosse dans une confiserie géante qui doit faire un choix difficile. Mais bien sûr, je suis foutrement reconnaissant à la fondation pour ce privilège.” L’un des instrus de Dilla figure parmi les dix-sept plages du nouvel album, le titre Nigga Like Me, tissage néosoul avec BJ The Chicago Kid. B4.DA.$$ n’est pas juste un premier album prometteur, c’est un disque de rap de rue en béton armé. Son menu affiche des beats de Hit-Boy, Basquiat, Freddie Joachim, et quatre productions de son “parrain” Statik Selektah. Le reste du disque est ciselé par les jeunes beatmakers de son propre crew, The Pro Era. Mention spéciale à Kirk Knight pour le piano déglingué qui clopine sur Hazeus View. L’electro le tente aussi : fan de LCD Soundsystem et de Daft Punk, il a demandé une production aux Anglais de Disclosure, sans pleinement s’en satisfaire. “Ils m’ont balancé un beat, mais ce n’était pas le bon pour moi. Je ne suis pas du genre à forcer les choses. J’adore leur musique et je sais ce que j’attends de leurs beats. Si le feeling n’y est pas, je le laisse passer et j’attends le prochain, pas de problème.” Il dompte quand même un déluge

il a le flow et l’attitude, le verbe brûlant et le swing vicieux

drum’n’bass, presque jungle, sur Escape 120 – où brille la future star Raury. Mais outre des apparitions d’Action Bronson et du crooner jamaïquain Chronixx, c’est bien le charisme vocal du jeune cracheur de feu qui embrase ce disque. Bada$$ a le flow et l’attitude, le verbe brûlant et le swing vicieux. Il vous arrache l’oreille avec les dents comme Tyson sur No.99. Même sur l’instru planant de Save the Children, révérence céleste à Marvin Gaye, son flow ramène l’ambiance au ras du bitume pendant les couplets. DJ Premier signe l’un des meilleurs morceaux, le break épuré de Paper Trail$, un futur classique. “On s’apprécie en studio et en dehors avec Premier. J’utilise parfois son studio pour mes propres enregistrements. Il n’est jamais très loin, on s’appelle.” Ce serait un doux euphémisme d’affirmer que sa vie a changé depuis trois ans. Outre son amitié naissante avec DJ Premier, Q-Tip ou Statik Selektah, il a récemment été intronisé parmi les membres de la Zulu Nation, le même jour que Nas et Freddie Gibbs. On comprend pourquoi il postait sur Instagram en octobre dernier : “J’en oublierais presque que je n’ai que 19 ans…” Il confirme en interview : “Chaque instant est du pur plaisir. Etre loin de chez moi, voyager, monter sur scène et foutre le bordel avec mes gars dans des endroits dont j’ignorais même l’existence… Je m’éclate, je suis loin de m’y être habitué.” Joey Bada$$ n’est pas seulement une jeune star egotripée s’élevant dans le ciel avec les bras en croix dans le clip de Christ Conscious, il demeure toujours cet adolescent insouciant qui embarque sa planche de skate dans le bus de tournée. Lors des concerts de Pro Era l’an dernier, son crew mitraillait le public avec d’énormes pistolets à eau, avant de plonger dans la foule sur des matelas de piscine. B4.DA.$$ sortira le 20 janvier, le jour de ses 20 ans. David Commeillas album B4.DA.$$ (CMG/RED/Arista/Sony) facebook.com/fckingbadass 7.01.2015 les inrockuptibles 35

08 997 Gpap BadASSok.indd 35

18/12/14 15:53

HBO

Fin de la saison 4. Et après ?

série

Game of Thrones

photo de presse pour l’album Diamond Dogs, 1974. © Terry O’Neill/Victoria and Albert Museum

Le buzz a déjà commencé, par la grâce un peu envahissante du marketing de la chaîne câblée HBO qui aime livrer en pâture des teasers plusieurs mois avant la diffusion. La foisonnante série d’heroic fantasy reviendra au printemps et devrait poursuivre sa marche en avant, record d’audience sur record d’audience, à coups de sang, de trahisons et de paysages rustiques monumentaux. Plusieurs nouveaux personnages sont attendus et deux saisons supplémentaires (au minimum) ont déjà été commandées. O. J. saison 5 en avril sur HBO et OCS

essai

la condition carcérale

David Bowie Is Après Londres et Chicago, la phénoménale expo David Bowie Is arrive à Paris. En 2013 à Londres, au V&A, étaient présentées plus de 300 pièces (décors, costumes, manuscrits, vinyles…) tirées de la propre collection du chanteur : 75 000 souvenirs jalousement gardés dans un entrepôt américain. A partir du 3 mars, dans la nouvelle et prestigieuse Philharmonie de Paris, la Bowiemania débarque, remaniée et repensée pour ce nouveau cadre et, surtout, pour la France (avec de nombreux ateliers notamment). On ignore si Tony Visconti, metteur en son à Londres, sera encore de la partie, mais on nous promet plus de musique encore. JDB du 3 mars au 30 mai à la Philharmonie de Paris (XIXe), davidbowieis.philharmoniedeparis.fr

Hors la loi, l’inventaire de nos prisons de François Chilowicz

musique/expo

Au terme d’une longue enquête de quatre ans dans une maison d’arrêt, l’anthropologue Didier Fassin interroge l’ordinaire de la condition carcérale et prolonge un travail imposant sur l’Etat pénal contemporain, inauguré avec La Force de l’ordre sur la police. De la comparution immédiate à l’incarcération, de la routine de la détention aux moments de crise, il cartographie les visages de l’enfermement et éclaire l’extension du monde carcéral dans notre société. La prison n’est pas séparée du monde social, elle en est “l’inquiétante ombre portée”. J.-M. D. L’Ombre du monde – Une anthropologie de la condition carcérale de Didier Fassin (Seuil), en librairie le 8 janvier

36 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 36

18/12/14 18:45

cinéma

musique

Big Eyes de Tim Burton Le réalisateur revient au biopic vingt ans après Ed Wood. Comme dans ce film, Tim Burton se passionne pour un artiste qui ne parvient pas à être reconnu. Si le talent faisait défaut à Ed, c’est le fait d’être une femme qui pousse Margaret Keane (Amy Adams) à faire croire que c’est son mari (Christoph Waltz) qui peint les êtres aux yeux immenses qui peuplent ses tableaux. Le prix des tableaux atteint alors des sommets et le couple s’enrichit également grâce aux multiples produits dérivés mis en place par le mari. Mais leur secret devient de plus en plus difficile à garder… B. D. en salle le 25 mars

Lulu Gainsbourg Le dernier des Gainsbourg partait avec un handicap quasi insurmontable, après son album de reprises du paternel et les concerts embarrassants de l’époque. Il faut donc abattre pas mal de préjugés pour découvrir ce véritable premier album au singulier, où ses qualités de songwriter et l’humilité de sa démarche prennent le pas sur sa glorieuse ascendance. Arrangé avec discrétion et chanté avec une étonnante sagesse, ce Lady Luck offre une seconde chance à Lulu, qu’il serait injuste de ne pas lui accorder. C. C. Lady Luck (Mercury/Universal), sortie en février

jeu vidéo

Mighty no 9 En produisant Mighty no 9, projet indépendant généreusement financé grâce à Kickstarter (900 000 euros demandés, 3,8 millions reçus), Keiji Inafune renoue avec ses premières amours : le jeu d’action frénétique d’inspiration manga avec petit robot bleu courageux. Vous avez dit Mega Man ? Bingo : Inafune fut justement l’un des créateurs du phénomène post-Astro Boy des années 80-90. Sauf contretemps, le retour vers le futur est imminent. E. H. sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One, Wii U, 3DS, Vita, Mac et PC (Comcept), sortie en avril

Jean-baptiste Mondino

Entertainment One Films

Christoph Waltz et Amy Adams

7.01.2015 les inrockuptibles 37

08 997 GPAP Notules 2015.indd 37

18/12/14 18:45

essai

no climat

thischangeseverything.org

Naomi Klein, auteur culte de la gauche altermondialiste et anticapitaliste (NoLogo, La Stratégie du choc), revient avec un essai à nouveau très politique sur le changement climatique, dont les tempêtes, inondations, sécheresses… sont les indices criants. Changer le monde : cet impératif exige d’abord de transformer notre système économique. Car la cause de l’inertie face à ce changement tient au fait que les mesures nécessaires menacent directement le paradigme économique dominant, qui combine capitalisme déréglementé et austérité, mais aussi le mythe fondateur de la culture occidentale, selon lequel l’être humain peut se jouer des ressources naturelles. J.-M. D. Tout peut changer – Capitalisme et changement climatique de Naomi Klein (Actes Sud/Lux), en librairie le 25 mars

L’Honneur des Prizzi de John Huston, 1985

cinéma

Mad Max : Fury Road de George Miller Anjelica Huston, mémoires Sorties en deux volumes aux Etats-Unis (A Story Lately Told et Watch Me), les mémoires d’Anjelica Huston paraîtront début mai en un seul volume aux Editions de L’Olivier. Mannequin puis actrice, Anjelica Huston raconte tout sans tabou : de son enfance avec son père, le sévère John Huston, jusqu’à son mariage avec Jack Nicholson et le scandale qui la lia à l’affaire Roman Polanski. N. K.

Jasin Boland/Village Roadshow Films (BVI) Limited

livre

George Miller est de retour aux manettes d’un quatrième opus de la franchise qui a débuté il y a trente-six ans. Max (Tom Hardy), le cow-boy postapocalyptique, partage ici la vedette avec l’Impératrice Furiosa (Charlize Theron). Ensemble, ils vont tenter de rétablir un semblant d’ordre dans un monde qui se noie dans le chaos et la violence. Entre esthétique steampunk et course-poursuites magistralement orchestrées, la saga semble avoir quitté les rivages de la série B pour ceux du blockbuster dopé aux effets spéciaux époustouflants. B. D. en salle le 13 mai

38 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 38

18/12/14 18:45

série

Better Call Saul

Très attendue, la série dérivée de Breaking Bad, toujours menée par Vince Gilligan, met en vedette l’avocat véreux de Walter White.

C

AMC

l’avocat du diable Bob Odenkirk, de retour dans le rôle de Saul Goodman

omment survivre à un succès aussi phénoménal que celui de Breaking Bad ? Interrogé sur ses projets à la fin des aventures de l’antihéros ultime Walter White en 2013, le créateur Vince Gilligan avait levé un voile sur sa méthode en vue d’accomplir son deuil : remonter en selle le plus vite possible afin de profiter de la vague qui le porte – et tant pis pour le sommeil, qui pourra attendre une autre vie. Moins d’un an et demi plus tard, voici donc Better Call Saul, un spin-off de Breaking Bad centré sur le personnage secondaire le plus fou et le plus intéressant de la série originale, l’avocat véreux Saul Goodman. Le remuant acteur Bob Odenkirk reprend son rôle, mais pas dans la continuité temporelle du précédent. Cette fois, l’histoire se déroule en 2002, quelques années avant la mutation tragique de son futur client. Depuis son bureau vaguement miteux, vaguement mégalo, Goodman galère déjà lourdement à Albuquerque, Nouveau-Mexique, où il tente à tout prix d’éviter de fréquenter les tribunaux. Une contradiction avec le métier qu’il exerce ? Pas forcément pour ce type étrange et finalement complexe, qui préfère régler les problèmes dans l’ombre et faire profiter de son bagout à des clients ou à des interlocuteurs plus variés que les seuls juges ; pour autant que ceux-ci soient incapables de le mettre en défaut. Il y a des tonnes de raisons de vouloir contredire et coincer Saul Goodman, un homme porté par un goût violent du mensonge. Mais il reste difficile, voire impossible de le détester vraiment. Sa motivation à sortir ses clients de la situation dans laquelle ils se sont mis

semble évidente, sa détresse existentielle aussi. Gesticuler autant cache une noirceur définitive qui ne peut qu’attirer la sympathie. Parmi les autres personnages attendus dans la série, on trouve l’homme de main et enquêteur privé Mike Ehrmantraut (Jonathan Banks) mais aucun membre majeur du casting – ni Walter White, ni son acolyte Jesse Pinkman – sauf pour d’éventuels caméos. Côté scénario, Vince Gilligan s’est associé à Peter Gould, membre éminent de la salle d’écriture de Breaking Bad pendant cinq saisons. Ce dernier a d’ailleurs façonné le personnage au départ (Saul Goodman est apparu dans le huitième épisode de la saison 2) et pris en charge de manière systématique l’écriture de ses scènes. Gould occupe maintenant la place de showrunner sur Better Call Saul, même si Gilligan ne se tourne pas les pouces. En plus de former son ex-protégé à l’art de diriger une série, l’homme à la moustache vintage a lui-même réalisé le pilote. Selon quels principes ? Un imaginaire visuel et narratif assez proche de la série originale (lenteur, humour noir, attention maladive aux détails) même si l’univers du récit n’a rien d’un copier/coller. De manière assez intéressante, alors que Saul Goodman fait plutôt office de personnage comique dans Breaking Bad, l’acteur Bob Odenkirk s’est laissé aller à une confidence en expliquant à la presse l’ADN de la série : “85 % drame, 15 % comédie.” Est-ce 100 % vrai ? A confirmer dès le mois de février. Olivier Joyard Better Call Saul le 8 février sur AMC, au printemps sur Netflix 7.01.2015 les inrockuptibles 39

08 997 GPAP Eve séries 2015.indd 39

18/12/14 15:54

 O Le Creative Sweatshop

n a juste cherché à amener le rap ailleurs…” Brodinski, de retour d’un périple aux Etats-Unis, incluant surtout une longue immersion à Atlanta, parle avec fierté de son premier album, qui sortira le 23 février. Sans crâner, sans survendre, mais avec le sentiment d’avoir pu échanger, collaborer à égalité avec certains de ses héros. Ravi, voire soulagé, d’avoir relevé un nouveau défi, évacué d’anciens complexes. Il faut dire qu’en débarquant aux Etats-Unis, où il rêve déjà de revenir travailler, produire, troquer les idées, il avait en main les cartes magiques, celles qui ouvrent bien des portes : avoir collaboré avec Kanye West et venir de Paris. “A Atlanta, les rappeurs déboulaient avec quinze potes, ils voulaient voir les mecs de Paris, entendre ce son… Depuis que Jay-Z et Kanye West ont fait la chanson Niggas in Paris, Paris est devenu la nouvelle Mecque. Ils nous parlaient d’euros, avaient l’impression que c’était l’Eldorado… Quand un rappeur me disait qu’il n’arriverait pas à faire ce que je lui demandais, je n’avais qu’à lui répondre ‘mais Kanye l’a fait, lui, quand je lui ai demandé’ pour qu’il revienne au micro ! A la fin, moins ils comprenaient, plus ils étaient contents !”

musique Brodinski

la French Sur Brava, son premier album studio, le Rémois Brodinski s’évade de la techno pour inventer aux Etats-Unis une musique hybride, sale et sensuelle, violente et lascive.

Effectivement, à travers l’impressionnant générique d’invités, de rappeurs américains comme le formidable ILoveMakkonen à une chanteuse folk australienne comme Georgi Kay, on sent l’implication, le désir de surpassement de chacun. Travail inouï sublimé par la production diabolique, lascive et puissante de cet album, où l’editing des chants fait des miracles de bizarrerie et de suavité. Et pourtant, pour Brodinski, précédé d’une gloire de DJ techno, la partie n’était pas gagnée : “On a souffert de la sale réputation de l’EDM (electronic dance music – ndlr) chez les rappeurs américains, mais les frontières sont clairement en train de bouger. Il faut dire que ces beats lents sont du pain béni pour moi, car pour quelqu’un qui vient de la techno, c’est juste le même beat divisé par deux, je maîtrise totalement le truc, facile de passer de 128 bpm à 64 bpm… Sur cet album, en plus de la production, j’ai assuré une grosse direction artistique, il y avait beaucoup de matière à triturer, trier.” Une direction artistique que le Rémois assure déjà avec élégance et vision panoramique au sein de son label Bromance, qui vient de s’offrir une plantureuse compilation (un volume “Family”, un autre “Friends”), manifeste absolu des vertus des échanges et du décloisonnement. La French Touch, option touche-à-tout. JD Beauvallet compilation Homieland (double CD, Bromance/Parlophone/ Warner) album Brava de Brodinski (Savoir Faire/Parlophone/Warner), sortie le 23 février

40 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 Gpap Brodinski.indd 40

18/12/14 15:53

photo Andy Keate, Charles Asprey Collection, Londres

Lusinghe, 2003

expo

livre

Will Self L’auteur des Grands Singes accomplit un coup de maître avec Parapluie (Editions de l’Olivier), le premier volume d’une trilogie autour de la mécanisation du monde. S’y entrecroisent plusieurs destinées (ou consciences), de la Première Guerre mondiale à nos jours en passant par les années 70, dont celle d’Audrey Death, frappée d’une étrange maladie, qui ne reprendra conscience que soignée à l’aide d’une drogue proche du LSD par le psychiatre Zach Busner, un personnage récurrent de l’œuvre de Self. Du grand art. N. K. Parapluie (L’Olivier), en librairie le 5 février

C’est l’anatomie d’une œuvre viscéralement organique qu’entendent sonder cet hiver, au Macba de Barcelone d’abord, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris ensuite, les commissaires Anne Dressen et Beatriz Preciado. Celle de l’artiste italienne Carol Rama où “les sujets et les techniques ne font qu’un : de la boucheaquarelle au pénis/seincaoutchouc, en passant par l’œil-bricolage”. Portrait d’une artiste à la marge née en 1918 à Turin. C. M. du 3 avril au 12 juillet au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (XVIe), mam.paris.fr

Marie Dompnier et Thierry Lhermitte

Bernard Barbereau/FTV

Patrice Normand

Carol Rama

série

Les Témoins Marqué et rugueux, Thierry Lhermitte est méconnaissable dans les premières images des Témoins, nouveau polar atmosphérique du talentueux duo Hervé Hadmar/Marc Herpoux, déjà responsable de Pigalle, la nuit. L’acteur mainstream joue un ex-flic accidenté forcé de revenir aux affaires. Située dans le nord de la France, la série a été achetée par la chaîne anglaise Channel 4 où elle sera diffusée en version originale – une rareté. Laurent Lucas fait également partie du casting. O. J. sur France 2 cet hiver 7.01.2015 les inrockuptibles 41

08 997 GPAP Notules 2015.indd 41

18/12/14 18:47

cinéma

Il y a deux ans, nous étions éblouis par Tabou, chef-d’œuvre de saudade bercé par l’exotisme des décors et la somnolence du muet. Depuis, Miguel Gomes travaille au projet peut-être le plus singulier du cinéma d’auteur européen : une réinvention des Mille et Une Nuits (donc un recueil de contes enchâssés) dans le contexte de la crise économique. Mise en scène d’une multitude d’histoires collectées dans le réel (fait divers, actu sociétale ou politique contemporaine au temps du tournage), le projet n’est peut-être pas si différent de Tabou, au fond : projeter le présent dans la féerie. T. R. date de sortie non communiquée

Bruno Duarte

As Mil e Uma Noites de Miguel Gomes

expo

The Shell Pensé comme un panorama subjectif englobant des peintures de ces quarante dernières années (avec John Armleder, Alex Katz, Betty Tompkins…), The Shell sera le troisième volet d’une série d’expositions d’Eric Troncy qui, après The Seabass et The Deer, porte toujours l’accrochage des œuvres au rang d’art à part entière. J. L.

couresy de l’artiste et Almine Rech Gallery

The Shell (Landscapes, Portraits & Shapes) – A Show by Eric Troncy du 10 janvier au 14 février, à la galerie Almine Rech, Paris IIIe, alminerech.com

Richard Phillips, Ingrid II, 2013 42 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 42

18/12/14 18:47

musique

Noel Gallagher, Gaz Coombes

Lawrence Watson

Il y a vingt ans, tous deux participaient au rayonnement britpop en Angleterre avec leurs formations respectives (Oasis et Supergrass). L’eau a coulé sous les ponts, les groupes se sont séparés mais Noel Gallagher et Gaz Coombes reviennent sous leurs noms. Le premier, avec ses High Flying Birds (en concert parisien le 12 mars au Zénith), sort Chasing Yesterday le 2 mars : un disque qui l’a vu enfiler pour la première fois la casquette de producteur et qui comprendra un morceau (Ballad of the Mighty) joué avec Johnny Marr. De son côté, Gaz Coombes publie Matador, le 26 janvier, successeur de son premier album solo Here Comes the Bombs. Il jouera ce disque ambitieux le 18 février à la Maroquinerie de Paris. J. S.

Rankin

Chasing Yesterday de Noel Gallagher’s High Flying Birds (Ignition/Pias), sortie le 2 mars Matador de Gaz Coombes (Caroline/Universal), sortie le 26 janvier

expo

David Claerbout

courtesy de l’artiste et Frac Auvergne

Avec ses vidéos fascinantes, prises entre image fixe et mouvement, le Belge David Claerbout s’impose comme une figure majeure du “cinéma exposé”. Et c’est au Frac Auvergne de Limoges que l’artiste revient en France pour une nouvelle expo solo. Incontournable. Jmx du 30 janvier au 10 mai au Frac Auvergne, Limoges

Sections of a happy moment, 2007 7.01.2015 les inrockuptibles 43

08 997 GPAP Notules 2015.indd 43

18/12/14 18:47

Mandrake Films

Lola Norda

cinéma Philippe Grandrieux

possession Comment travaille cet inventeur de formes radicales ? Nous sommes allés l’épier sur le tournage de son prochain film, Malgré la nuit.

P

aris, un soir de novembre, 19 heures, dans un parking souterrain. Dans le noir absolu, on me guide à la lueur d’un mobile vers le “plateau” de Malgré la nuit, le nouveau film de Philippe Grandrieux : une large zone du parking vidée de ses véhicules au milieu de laquelle évoluent une actrice et deux acteurs, chapeautés par un éclairage parasol tenu par un assistant, vaporisés de fumée artificielle, suivis de près par le cinéaste harnaché à sa caméra, comme possédé, hurlant ses instructions pendant les longues prises de cinq-dix minutes (“move, move !”, “slower, slower !”…). Ballet d’ombres dans la nuit et le brouillard. Danse de fantômes. Chamanique. Ce sont les dernières prises du dernier jour de tournage de Malgré la nuit, quatrième long métrage de Philippe Grandrieux, auteur de Sombre, La Vie nouvelle et Un lac, mais aussi de multiples documentaires, courts métrages, clips (pour Marilyn Manson), vidéos expérimentales… Un cinéaste rare que la reproduction des codes majoritaires ennuie, un chercheur de formes qui a toujours testé les limites admises en matière de narration, de figuration et de morale. Malgré la nuit est une histoire fiévreuse d’amour et de jalousie dans “un Paris mythique qu’une main d’enfant retourne, laissant la poudre blanche se répandre, recouvrir

lentement Notre-Dame ou le Sacré-Cœur, qui côtoie un Paris en profonde mutation, ouvert à un ciel plus large”. Cinéaste de la sensation, entièrement dédié à la recherche formelle, Grandrieux s’essaie ici à insérer sa quête sensuelle dans un récit, une structure narrative comportant plus de dialogues qu’à l’accoutumée. Le casting réunit de beaux et jeunes comédiens : Roxane Mesquida, Ariane Labed, Paul Hamy et l’Anglais Kristian Marr, jeune homme au physique de rocker aristocrate qui a remplacé au pied levé un Pete Doherty tombé malade après une journée de tournage. Les dernières prises tournées sous nos yeux ne figuraient pas dans le scénario d’origine. Grandrieux semble les avoir ajoutées sur une inspiration tardive, comme une sorte de coda onirique au film (mais on le sent capable de tout rechambouler au montage). Elles sont en tous cas saisissantes à observer. Caméra à l’épaule, à la fois cinéaste, peintre, chorégraphe, dompteur et prédateur, Grandrieux suit de près ses trois comédiens, les filme tout en dirigeant de la voix leurs mouvements, leurs gestes, la vitesse ou la lenteur de leurs déplacements. Cinéaste, comédiens, techniciens, caméra et projecteur forment une espèce de corps collectif vivant, de cellule organique qui déambule dans l’espace du parking aux limites effacées par la fumée et l’obscurité, dessinant des lignes sinueuses, hasardeuses, aléatoires, selon une gestuelle extrêmement douce, ralentie, sensuelle, flottante. C’est un tournage mais on se croirait déjà dans le film, la caméra mobile qui serpente dans toutes les directions à l’unisson de l’inspiration des comédiens brouille le in et le off du plateau. “Le plateau, c’est déjà le film”, explique Grandrieux après les prises. En effet, quittant le parking, on n’a pas l’impression d’avoir assisté à un tournage mais plutôt d’avoir voyagé à travers la nuit de Grandrieux. On est maintenant impatient de découvrir à l’écran le résultat de ce tournage vaudou. Serge Kaganski

44 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Eve Grandrieux 2015.indd 44

18/12/14 16:07

Léa Seydoux

cinéma

Netflix

Le Journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot

Terrain miné : Le Journal d’une femme de chambre, c’est pour toujours la froideur de Jeanne Moreau, d’une gravité à un fil de l’arrogance, sous l’œil démiurge de Buñuel en 1964. Sans oublier la version américaine de Jean Renoir… Benoît Jacquot, trois ans après Les Adieux à la reine, rhabille Léa Seydoux en servante, et il y a fort à parier qu’il ne se risquera pas à aller sur les terres bunueliennes, mais qu’il saura créer, à partir du roman d’Octave Mirbeau, un bel écrin à son néoclassicisme : le rendez-vous manqué d’une soubrette et de son rêve bourgeois. T. R. en salle le 1er avril

série livre

Daredevil

David Foster Wallace

Effigie/Leemage

Après une version cinéma discutable avec Ben Affleck en 2003, Netflix propose une série adaptée du superhéros inventé par Stan Lee, signe que le genre s’attaque maintenant à l’univers du blockbuster et des comics. Cela ne fait d’ailleurs que commencer car le géant du streaming a signé avec Marvel pour quatre autres séries, trois autour des personnages de Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist, et une dernière réunissant tous ces héros, The Defenders. Curiosité. O. J. en mai sur Netflix

Presque vingt ans après sa sortie aux EtatsUnis, le livre culte de David Foster Wallace paraîtra en France en août 2015, aux Editions de L’Olivier. Publié en 1996, Infinite Jest, roman monstre et tentaculaire avec ses 388 notes de bas de page, met en scène des élèves d’une académie de tennis et des pensionnaires d’un centre de désintox en quête d’une copie du film Infinite Jest, considéré comme dangereusement addictif. Ce roman a fait de David Foster Wallace une star des lettres US. Il s’est suicidé douze ans après, en 2008. E. P. Infinite Jest (L’Olivier), en librairie en août 7.01.2015 les inrockuptibles 45

08 997 GPAP Notules 2015.indd 45

18/12/14 19:07

jeu vidéo

Sunset Au cœur de leurs jeux précédents : l’œuvre de Marguerite Duras (Bientôt l’été) et le plaisir féminin (Luxuria Superbia). Avec Sunset, leur projet le plus ambitieux à ce jour, Auriea Harvey et Michaël Samyn (soit le studio belge Tale of Tales) nous emmèneront dans une dictature latinoaméricaine des années 70 en nous faisant jouer une femme de ménage qui, une heure par semaine, se rend chez un mystérieux célibataire. Et qui ne pourra rester à l’écart des luttes qui embrasent le pays. E. H. sur Mac et PC (Tale of Tales), sortie en mars

expo

Alain Chabat et Elodie Bouchez

De quoi l’intérêt actuel des artistes pour la tapisserie, la céramique, les paravents ou les rideaux est-il le nom ? S’agit-il d’une relecture engagée de ce qui a été considéré comme “mineur” dans l’histoire de l’art ? De renouer avec la matérialité à l’ère d’Instagram ? D’élargir le récit fermé du modernisme à l’apport du féminisme et des cultures extraoccidentales ? Pour son expo sur les rideaux, Marie de Brugerolle propose un parcours fait de décors, coulisses, murs-écrans et portes coulissantes qui retournent l’espace et font voir l’envers du tableau, allant de Felix Gonzales-Torres, Urs Lüthi ou Gustav Metzger à Julie Béna, Charlotte Moth et Jessica Warboys. P. M. Rideaux/Blinds du 6 février au 3 mai à l’IAC de Villeurbanne

Diaphana

Rideaux/Blinds

cinéma

photo Brian Forrest/courtesy de l’artiste

Réalité de Quentin Dupieux L’hyperactif Quentin Dupieux revient avec un film court mais très dense, Réalité, qui résume et amplifie toutes les grandes lignes de son œuvre. Avec l’excellent Alain Chabat dans le rôle d’un apprenti réalisateur à la dérive, il signe un nouvel objet hors normes, à la fois comédie pirandellienne, thriller parano, variation hystérisée du motif du film dans le film, et autoportrait maboul en cinéaste chercheur. R. B. en salle le 18 février

William Leavitt, Set for Spectral Analysis, 1977- 2010 46 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 46

18/12/14 19:07

NBC

série

Aquarius

extrait du clip I

Le scénariste John McNamara (le très culte Profit, dans les années 90) fait son grand retour avec l’histoire en treize épisodes de deux flics embarqués par hasard sur les traces d’un gourou charismatique nommé… Charles Manson. Au programme, des hippies plus ou moins maléfiques, la lumière rasante de Los Angeles circa 1967 et David Duchovny en pleine remontée après la fin de sa série Californication. Sans doute très loin de Hair. Comment ne pas avoir envie ? O. J. sur NBC cet hiver

musique

Kendrick Lamar Il y a quelques semaines, Kendrick Lamar dévoilait le single I, construit autour d’un sample des Isley Brothers. Si aucune date de sortie et aucun titre n’ont été annoncés à ce jour, on sait qu’un nouvel album, très attendu, est prévu pour 2015. Le successeur de Good Kid, M.A.A.D City sera, selon les dires du principal intéressé, “plus brut” que son prédécesseur. “Le mpc (music production controller –ndlr) n'a pas été utilisé de manière classique comme dans le hip-hop contemporain, où tu appuies sur des pads pour déclencher et lancer des sons et samples…” Sortie espérée pour le premier trimestre. J. S. 7.01.2015 les inrockuptibles 47

08 997 GPAP Notules 2015.indd 47

18/12/14 19:07

livre

Michel Houellebecq

j’irai cracher sur votre monde Avec le brûlant Soumission, il imagine un régime islamique à la tête de la France en 2022. Pour mieux régler ses comptes, encore et toujours, avec la société occidentale libérale. Qui rend fatalement l’individu malheureux…

L

a religion la plus con, c’est quand même l’islam”, avait déclaré Michel Houellebecq au magazine Lire en 2001, ce qui lui avait valu d’être attaqué en justice par des associations musulmanes. L’islam, la mère de l’auteur s’y était convertie, apprenait-on au même moment. D’emblée, on craint le pire en recevant son nouveau roman : Soumission – ce mot étant la traduction du mot arabe “islam”, soit la soumission à Allah, mais aussi la soumission des “mécréants” par la conversion. Ici, Houellebecq renoue avec le “roman à idées”, type Les Particules élémentaires ou Plateforme, au risque de perdre la grâce des plus métaphysiques La Possibilité d’une île et La Carte et le Territoire. Avec une nouveauté : s’attaquer à toute la classe politique avec son humour à froid. Soumission est un roman d’anticipation sociale, aussi paranoïaque que le veut le genre, qui nous plonge dans la France de 2022, durant les élections présidentielles, alors que François Hollande achève péniblement son second mandat. A l’issue du premier tour, les deux partis en lice ne seront plus les traditionnels centre droit (l’UMP) et centre gauche (le PS), mais le Front national (FN), et, pure invention de Houellebecq, la Fraternité musulmane (FM), le parti des musulmans de France (postulat invraisemblable), mené par le modéré Mohammed Ben Abbès. Alors que la France est au bord d’une guerre civile opposant les franges extrémistes de ces partis (le Bloc identitaire pour le FN, le jihad côté FM), Abbès propose aux deux partis républicains des postes dans son futur gouvernement, de quoi les rallier à sa cause, lui permettant ainsi de gagner les élections. Les émeutes se calment, la délinquance chute, ainsi que le taux de chômage, puisque le nouveau régime interdit aux femmes de travailler, leur enjoint de s’habiller différemment, permet aux hommes la polygamie, redore le blason de la famille, et éradique la crise grâce aux pétrodollars du Qatar et de l’Arabie saoudite. Le projet secret de Ben Abbès : rallier la Turquie, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et l’Egypte à l’Europe pour en faire un nouvel Empire romain ; et convertir un maximum de chrétiens ou d’athées à l’islam.

Le tout est restitué via un narrateur, François, et ses conversations avec ses collègues, un jeune universitaire du Bloc identitaire, un vieil agent des renseignements, sa maîtresse, Myriam, une jeune fille juive dont la famille décidera de s’exiler en Israël. Universitaire (à Paris-III), spécialiste de Huysmans (dont il n’a jamais compris la conversion au catholicisme), François sera viré par le nouveau directeur, musulman, puisqu’il ne l’est pas lui-même. François est une caricature de personnage houellebecquien : un célibataire de 44 ans qui vit dans le quartier chinois du XIIIe, n’a pas d’amis, ne verse pas une larme quand ses parents meurent, couche avec ses étudiantes qui finissent toutes par le larguer, ne peut pas bander pour une femme de son âge (dont les chairs s’affaissent – ça tourne décidément à l’obsession chez Houellebecq !), se tape quelques prostituées sans plaisir, bref, se sent mourir lentement, seul et malheureux. A la fin, il acceptera de se convertir, non seulement pour retrouver son poste (payé 10 000 euros par mois grâce aux fonds qataris), mais davantage encore, parce que l’islam l’autorise à avoir une épouse de 15 ans dans son lit, et une autre de 40 dans sa cuisine. Le risque d’un tel livre, c’est d’alimenter la xénophobie ambiante, les thèses de la droite et de l’extrême droite pour stigmatiser encore plus la communauté musulmane de France, alors que la seule vraie menace qui plane aujourd’hui sur la République, c’est le FN. Mais Michel Houellebecq n’est ni Renaud Camus, ni Richard Millet, encore moins Eric Zemmour. Pas de “racialisation” du propos chez lui, plutôt une sexualisation à outrance. L’amour, la société et le monde ne sont envisagés que dans une perspective masculine – les femmes n’étant utiles que pour baiser (si elles sont jeunes) ou faire la cuisine (la “femme pot-au-feu”). Le mâle occidental contemporain, forcément frustré (nous répète l’auteur à longueur de livres), finirait fatalement par faire le choix de tout système lui permettant de combler ses manques – le tourisme sexuel favorisé par l’axe Nord-Sud dans Plateforme, le clonage dans La Possibilité d’une île, et l’islam dans Soumission, qui remet la cellule familiale,

48 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 Gpap Houellebecq.indd 48

18/12/14 17:19

et le mariage arrangé (la femme, grand problème de Houellebecq) au centre de la société. Ce qui fascine, c’est que la vision houellebecquienne n’ait à ce point pas changé depuis Extension du domaine de la lutte (1994), comme si la vie n’avait eu aucune prise sur l’auteur, comme s’il avait congelé ses théories pour nous les resservir, le temps d’un nouveau livre, tout en les agrémentant (avec opportunisme ?) à la sauce du jour, bref, à l’actualité la plus provocatrice. Au fond, Soumission est une fable qui permet à Houellebecq de dénoncer, encore et toujours, son seul véritable ennemi : la société libérale occidentale post-Mai 68, où l’homme, libéré de tout carcan (famille, religion), se retrouve libre, c’est-à-dire libre d’être seul et malheureux. Une impasse qui conduirait les êtres, selon l’auteur, à la vacuité d’une existence seulement rythmée, comme celle de François, par les changements météo, la cuisine, quelques bonnes bouteilles et la télévision. Houellebecq incarne en François l’archétype de l’Occidental moyen : il se désintéresse de la politique et de la religion et sera prêt à rejoindre n’importe quel

système, même oppressif, lui permettant d’assurer, à travers son bien-être égoïste, sa propre survie. La satire lui permet ici de démonter tous les mécanismes qui amènent un être humain à accepter l’inacceptable (un écho à l’Occupation et à la collaboration ?). On s’étonnera tout au long du texte de l’absence de toute forme d’opposition, individuelle, collective ou politique. Avec Soumission, Houellebecq semble dénoncer non seulement une époque – apathique, indifférente, opportuniste –, mais aussi la fatuité de toute forme d’idéalisme. Qu’ils soient séculiers ou religieux, ces idéaux finiraient toujours par être instrumentalisés par les hommes pour combler leurs besoins les plus basiques. Quitte à soumettre et se soumettre. Le seul salut pour l’espèce humaine selon Houellebecq ? La soumission. En cela, Soumission est peut-être le plus dérangeant de tous ses livres, le plus nihiliste. Nelly Kaprièlian photo Renaud Monfourny Soumission (Flammarion), 300 pages, sortie le 7 janvier 7.01.2015 les inrockuptibles 49

08 997 Gpap Houellebecq.indd 49

18/12/14 17:19

bd

livre

Scott McCloud

Martin Amis

Enfin le retour de Scott McCloud, théoricien de la bande dessinée, dessinateur lui-même et un des pères du webcomic. L’auteur de la géniale et incontournable BD sur l’art séquentiel, L’Art invisible, publiera mi-mars un roman graphique, son premier album depuis 2006. The Sculptor met en scène un jeune artiste qui scelle un pacte faustien pour réaliser son rêve d’enfance, pouvoir sculpter n’importe quoi à main nue. En échange, il ne lui restera que deux cents jours à vivre. Evidemment, les doutes et l’amour vont s’en mêler…

Refusé par Gallimard, qui juge que le texte “n’est pas à la hauteur” d’Amis, et par son éditeur allemand Hanser Verlag, The Zone of Interest, le dernier roman de l’écrivain britannique, paraîtra à l’automne chez Calmann-Lévy, où l’on dit qu’il s’agit d’“un objet éminemment littéraire”. Le sujet du livre est pour le moins sensible : un vaudeville à Auschwitz. Très bien accueilli en GrandeBretagne, The Zone of Interest pourrait susciter la controverse en France. Ce ne sera pas la première fois pour Amis, habitué aux provocations. E. P. The Zone of Interest (Calmann-Lévy), en librairie en août

A.-C. N.

Isabel Fonseca

Rue de Sèvres

The Sculptor (Rue de Sèvres), en librairie le 18 mars

Christian Bale

cinéma

Habitué à espacer ses films de quinze à vingt ans, Terrence Malick est devenu hyperactif depuis The Tree of Life (Palme d’or 2011). Deux ans après la déception A la merveille, le voici de retour avec Knight of Cups, où il semble avoir fermé, au moins pour un temps, son robinet à mysticisme : le film, qui se concentre sur les doutes et les excès d’un homme célèbre (Christian Bale) cerné par les femmes (Cate Blanchett, Natalie Portman...), promet un beau retour sur terre où le style suprêmement aérien de Malick se mêle à des images plus contemporaines et profanes. T. R. date de sortie non communiquée

Comedy Central

Knight of Cups de Terrence Malick série

Broad City On a déjà trouvé la série qui aimerait dépasser Girls avec cette comédie hurlante, drôle, sexuelle, parfois extrême, sur deux filles de 20 ans paumées dans New York. Amitié, amour, galère et incapacité à se comporter normalement en société sont au programme de cette pépite moins construite que sa devancière, mais qui parvient à faire tenir debout des épisodes comme s’ils étaient un long sketch échappé des griffes de la censure sociale américaine. La saison 2 s’annonce survoltée. O. J. saison 2 à partir du 14 janvier sur Comedy Central

50 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 50

18/12/14 18:49

DR/BNF département des manuscrits y

livre

le centenaire Roland Barthes 2015, année sémiotique. On célèbre les 100 ans de la naissance de l’auteur des Mythologies, Fragments d’un discours amoureux et de La Chambre claire, qui a révolutionné la critique littéraire et artistique. Pour ouvrir les festivités, le livre de Thiphaine Samoyault, Roland Barthes, annoncé comme la biographie de référence. A noter également, la remise en vente du Roland Barthes de Marie Gil chez Flammarion et une expo à la BNF à partir du 5 mai. E. P. Roland Barthes de Thiphaine Samoyault (Seuil), en librairie le 15 janvier 7.01.2015 les inrockuptibles 51

08 997 GPAP Notules 2015.indd 51

18/12/14 18:49

Mary Cybulski/Universal Pictures

cinéma Judd Apatow

girls, mode d’emploi Le réalisateur de 40 ans, mode d’emploi change son fusil d’épaule : cette fois-ci, ce sera New York, de nouveaux acteurs et le couple vu du côté de la femme. Visite sur le tournage de sa prochaine comédie, Trainwreck, un terme qui désigne une personne enchaînant gaffe sur gaffe.

L

a scène se passe à Central Park, en fin d’un après-midi orageux de juin. Une petite équipe, vingt personnes à tout casser, s’active près de l’entrée sud du parc. Des machinos installent un rail de travelling, l’opérateur pose sa caméra sur un trépied, quelques assistants font d’incompréhensibles va-et-vient tandis que deux acteurs, assis de dos sur un gros rocher un peu plus loin, s’entretiennent avec Judd Apatow, à la coule en polo-jean-basket. Pour qui a déjà assisté à un tournage de film hollywoodien, celui-ci paraît étrangement calme et modeste. Barry Mendel, le producteur d’Apatow depuis Funny People (il compte également à son actif les premiers Wes Anderson, M. Night Shyamalan ou Munich de Steven Spielberg), confirme que c’est à ce jour le plus petit budget de son auteur, quand bien même celui-ci demeure financé par un studio (Universal, comme toujours). “Hier, Judd me confiait qu’il n’avait jamais été aussi détendu sur un plateau. Du coup, il se demandait s’il ne fallait pas s’en inquiéter. Vous voyez, même quand il n’est pas stressé, ça le stresse !” Trainwreck – qui désigne, au figuré, une personne catastrophique, enchaînant les gaffes et les erreurs –

52 les inrockuptibles 7.01.2015

07 997 GPAP Eve Apatow 2015.indd 52

18/12/14 18:15

“la plupart des films que j’ai faits racontent l’histoire d’un homme et d’une femme. Cette fois, c’est l’histoire d’une femme et d’un homme”

JuddA patow et ses deux comédiens, Amy Schumer et Bill Hader

est le cinquième long métrage du réalisateur de 40 ans, toujours puceau ; et il est, à n’en pas douter, son plus singulier. On avait en effet laissé Apatow à Los Angeles, où se déroulent tous ses films jusqu’ici, au beau milieu d’une quasi-autobiographie intitulée 40 ans, mode d’emploi, quintessence de son art comique fondé sur la chronique des affres existentielles du mâle américain entre deux âges. Aboutissement d’un processus autofictionnel, le film avait été, à sa sortie fin 2012, une légère déception commerciale qui, sans remettre en question la place du cinéaste au sein de l’ultracompétitif comedy game, appelait un sursaut, un changement de régime. Judd Apatow choisit alors de réduire la voilure et surtout de se déterritorialiser. A savoir d’aller ailleurs pour mieux se retrouver. Pour la première fois, il tourne à New York (ville près de laquelle il est pourtant né, à Long Island exactement), avec une équipe neuve (Jody Lee Lipes, jeune chef op de Lena Dunham), un casting inédit (aucun habitué de son crew) et à partir d’un scénario qu’il n’a pas signé, lui qui place l’écriture personnelle au cœur de son art. “C’est très rafraîchissant de travailler dans ces conditions, reconnaît le cinéaste. Ça implique davantage de distance et de respect vis-à-vis du script, mais pas moins de passion.” Encore plus surprenant peut-être, le film adopte un point de vue féminin, celui de son auteur et interprète principale, la méconnue Amy Schumer. Apatow, à qui l’on a souvent reproché, à tort, de ne s’intéresser qu’à la gent masculine, se défend toutefois d’avoir changé son fusil d’épaule : “La plupart des films que j’ai faits racontent l’histoire d’un homme et d’une femme. Certes, cette fois, c’est l’histoire d’une femme et d’un homme, mais ce n’est pas si différent. Il y a bien sûr des variantes dans la façon dont des personnes de sexe différent gèrent les difficultés dans une relation, mais au fond, quand on met de côté le superflu pour se rapprocher de l’essentiel, on se rend compte que tout le monde cherche la même chose : être heureux, ne pas vieillir seul et se débrouiller au mieux avec ce que nos parents nous ont inculqué, toute cette merde qu’on passe notre vie à essayer de ranger.” Seth Rogen, Jason Segel, Jonah Hill, Kristen Wiig ou Lena Dunham étant désormais lancés sur les rails du succès et n’ayant plus besoin d’autre chose que de la bienveillance lointaine de leur maître, celui-ci s’est résolu à partir en chasse de nouveaux talents. “Plus grand fan de comiques (que j’aie) jamais rencontré”, selon Amy Schumer, Apatow a découvert cette dernière au tournant de la décennie, lorsqu’elle commence à se faire un nom dans le stand-up et que la télé s’intéresse à elle. Après plusieurs retransmissions de ses spectacles (dont Mostly Sex Stuff – “essentiellement des trucs de cul” – qui résume assez bien son état d’esprit) et quelques petits rôles dans des séries successful

(30 Rock, Curb Your Enthusiasm), elle finit par obtenir son propre show sur Comedy Central en 2013, intitulé Inside Amy Schumer. Il s’agit de pastilles d’une poignée de minutes dans lesquelles la trentenaire met en scène des situations aussi gênantes que possible, le plus souvent liées à la sexualité ou au genre, dans la lignée de Sarah Silverman et Lena Dunham. “Sincèrement, je ne pense pas que je parle davantage de cul ou que j’en parle plus crûment que la moyenne des comiques, mais comme je suis une femme, on le remarque davantage, se défend l’actrice. Pour moi, c’est juste le truc le plus drôle du monde. Et est-ce que je me sens féministe ? Complètement. Je sais qu’aujourd’hui c’est considéré comme dépréciatif par certains, mais moi je l’assume à 100 %.” Les choses sont claires. Si Apatow la croise et la félicite régulièrement, l’encourageant même à écrire un premier scénario qui n’aboutira pas, c’est à la suite de son passage radio chez Howard Stern (sorte de Marc-Olivier Fogiel américain, en plus trash), en 2012, qu’il décide de la prendre sous son aile. Touché par le témoignage de la jeune femme sur la sclérose en plaques de son père, le producteur perçoit chez elle une sensibilité proche de la sienne : lorsque la crudité de langage se double d’une fêlure sentimentale (et se triple d’un bien bel Œdipe…). Après quelques mois, épaté par les dialogues de son scénario et n’ayant nul projet plus urgent, Apatow lui annonce qu’il ne se contentera pas de le produire mais qu’il le réalisera bel et bien. “Coupez !”, crie l’assistant dans le mégaphone. Une fois le plan sur le rocher tourné (une reprise, sur le mode ironique, d’un plan carte postale avec deux tourtereaux s’enlaçant, qui sera suivi, paraît-il, d’un clin d’œil à un autre plan iconique, sur un fameux banc devant un pont de Manhattan…), la petite équipe s’achemine à pied, sans plus de disposition, vers la 63e Rue, à quelques blocs de là. Ils y répètent la scène du soir : Amy et son prétendant (le fabuleux Bill Hader, pilier du Saturday Night Live, gangsta-flic dans SuperGrave…), ivres morts sur une carriole volée, tentent d’échapper au conducteur enragé. Quelques passants se retournent, saluent gentiment, mais on ne peut pas dire que c’est l’émeute. De fait, aucun des deux comédiens n’est à proprement parler une star. “J’ai toujours été attiré par les nouveaux talents. Parce que c’est un challenge. Parce que personne ne sait si ça va marcher, explique Apatow. Et je ne connais rien de plus excitant que de travailler avec quelqu’un pour la première fois et, lorsque cette personne est encore relativement vierge, d’essayer de découvrir ses secrets.” S’il y parvient aussi bien qu’il le fit avec Steve Carell, Seth Rogen ou Jonah Hill, ce sera vraisemblablement l’émeute sous peu. Jacky Goldberg en salle le 16 septembre 7.01.2015 les inrockuptibles 53

07 997 GPAP Eve Apatow 2015.indd 53

18/12/14 18:15

livre

James Ellroy

photo Michel Coen/collection Ben Vautier

Perfidia, le nouveau (et énorme) roman de James Ellroy, paraîtra au printemps chez Rivages. Annoncé par l’auteur lui-même comme le premier volume de son deuxième Quartet de Los Angeles, qui couvrira toute la Seconde Guerre mondiale, l’intrigue de Perfidia commence par la mort de plusieurs Japonais à Los Angeles, le 7 décembre 1941 (jour de l’attaque de Pearl Harbor). Suicide collectif ? Meurtre ? Rendez-vous en mai. N. K. Perfidia (Rivages), en librairie en mai

Sans titre, 2001. Extrait de la série Bestioles

Bruno Pélassy Il a ses fans. Qui bouillent d’impatience à l’idée de retrouver le travail fétichiste de cet artiste niçois décédé prématurément en 2002, à l’âge de 36 ans, auteur de séries emblématiques – des “créatures”, protozoaires en aquarium drapés de lambeaux de soie et de dentelles, aux Bestioles… Une œuvre tragique et forcément sublime. Après le Crédac d’Ivry-sur-Seine, dès le mois de janvier, c’est le centre d’art contemporain de Sète qui prendra le relais à l’automne. C. M. du 16 janvier au 22 mars au Crédac, Ivry-sur-Seine, credac.fr

Frantzesco Kangaris/Eyevine/Abaca

expo

musique Pas de tromperie sur la marchandise : en yoruba, “ibeyi” désigne les enfants jumeaux. Et les sœurs Naomi et Lisa-Kaïndé Díaz, 40 ans à elles deux, sont bien jumelles. Franco-cubaines, filles d’un percussionniste renommé, elles ont grandi dans la santería, la version caribéenne du culte vaudou. Dédié à leur père et à leur sœur tous deux défunts, leur premier album s’apparente donc à une prière mystérieuse, une liturgie néo-soul en surface, mystique en profondeur. Signées d’entrée sur l’influent label anglais XL et remarquées au dernier festival Les Inrocks Philips : le futur leur appartient. S. D. Ibeyi (XL/Beggars/Wagram), sortie le 16 février

Flavien Prioreau

Ibeyi

54 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 54

18/12/14 18:50

style

food

Adeline Grattard

g

y

Son restaurant Yam’Tcha déménage de la rue Sauval pour le 121 de la rue Saint-Honoré. Même prix, même cuisine, mais un peu plus de place (on passe de 24 à 35 couverts) pour déguster une cuisine sino-française démente qui ne faiblit pas depuis six ans. Le but ? “Arrêter de se cogner partout”, précise la chef étoilée. En attendant, la discrète mais indispensable Adeline Grattard et Chi-Wah Chan, son mari hongkongais, ont transformé la rue Sauval en boutique, à la fois maison à thés et comptoir à brioches vapeur, pour nous faire patienter. C. M. Yam’Tcha ouverture en mars-avril

Il a réhabilité le corset, fringué Madonna, donné aux garçons de faux airs de marins de Genet… Pop-star de la mode, avec ses cheveux peroxydés et son indémodable marinière, Jean Paul Gaultier prendra ce printemps l’assaut du Grand Palais. Une exposition rétrospective, réalisée par le musée des Beaux Arts de Montréal, présentera des pièces inédites du créateur (haute couture et prêt-àporter), créées entre 1970 et 2013. Elles seront assorties de clips, vidéos, interviews, défilés et concerts. Un bel hommage à l’heure où la maison connaît de grandes difficultés : Gaultier a dû se résoudre à arrêter le prêt-à-porter en septembre 2014 et à licencier une partie de ses effectifs. G. S. du 1er avril au 31 août au Grand Palais, Paris VIIIe, grandpalais.fr

JPG, made in mode, 2012. Photo Jean-Paul Goude

Francesco Acerbis

Jean Paul Gaultier

08 997 GPAP Notules 2015.indd 55

18/12/14 18:50

po

expo Taryn Simon

la profileuse Justice, sécurité, religion, médecine… la photographe Taryn Simon scrute les institutions américaines. A partir de la fin février, le Jeu de Paume lui consacrera une rétrospective. Présentation d’une artiste-enquêtrice.

E

n 2010, la photographe américaine Taryn Simon, née en 1975, reçoit l’autorisation de s’installer dans les locaux des douanes de l’aéroport JFK à New York. Pendant cinq jours, presque sans dormir, elle inventorie et photographie quantité d’objets saisis par la police des frontières : armes et autres objets dangereux, nourriture, bouteilles, parfums, produits pharmaceutiques illicites, faux sacs Louis Vuitton, paquets de cigarettes et autres pièces de contrefaçon. Portrait en sous-main de l’Amérique actuelle, post-11 Septembre, par l’étalage de ses désirs et de ses peurs. Car au terme de cette performance, ce sont très exactement 1 075 articles saisis par les douanes qu’elle va ainsi prélever, photographier et classer dans la série intitulée Contraband, comme une zoologiste du sécuritaire. Ou comme une journaliste largement maniaque : en 2003, c’est pour le New York Times Magazine qu’elle a photographié, dans la série The Innocents,

56 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 Gpap Arts.indd 56

18/12/14 17:32

Larry Mayes. Scène de l’arrestation, The Royal Inn, Gary, Indiana, The Innocents, 2002.  Reconstitution de la scène d’arrestation d’un homme accusé de viol et capturé sous un matelas

courtesy of the artist

Gehry à Paris que Taryn Simon est venue disséquer : elle s’est intéressée à tous les gestes enfouis exécutés par tous les ouvriers et artisans qui ont travaillé sur le chantier, mais également aux objets déposés clandestinement (un paquet de cigarettes planqué dans un escalier de service, un article de journal dissimulé dans un faux-plafond), et encore aux éléments volés (câbles de cuivre revendus à des ferrailleurs). Cet imposant travail d’investigation in situ est une autre manière de faire de la “critique institutionnelle” et aboutit à révéler les tensions sociales qui ont animé la construction de ce lieu de pouvoir culturel et économique qu’est la Fondation Louis-Vuitton.

des personnes emprisonnées à tort, en les ramenant sur les lieux mêmes du délit. Plus récemment, Taryn Simon s’est tournée vers un sujet plus léger, pop et mainstream, mais pas moins révélateur : l’univers de James Bond. En revisionnant les vingt-cinq films de l’espion 007, elle a encore inventorié, photographié et classé par catégories des familles d’objets et de stéréotypes sociaux bien ancrés dans notre conscient collectif : les voitures, les armes, les gadgets explosifs, et bien évidemment les “James Bond girls”. Artiste photographe et conceptuelle à la fois, tout ensemble enquêteuse, documentariste, archiviste, journaliste, collectionneuse, entomologiste, et rien de tout cela tant ses images se refusent à toute vérité absolument objective, Taryn Simon applique au monde réel et social, sur les thèmes forts et variés de la justice, de la sécurité, de la religion, des principes et procédures venus des sciences humaines ou des sciences naturelles. A l’automne dernier, répondant à une commande faite par la Fondation Louis-Vuitton, c’est le bâtiment architectural construit par Frank

Mais loin de s’en tenir à un geste seulement documentariste, Taryn Simon s’emploie elle-même à diviser et réorganiser toutes ses données, ajoute des légendes très épurées à ses images, et elle doit indéniablement nous apparaître comme une formidable plasticienne, douée d’un œil graphique extraordinaire. En témoigne sa série Picture Collection, composée à partir du fonds iconographique de la New York Public Library, créée au début du XXe siècle, où se trouvent rassemblées et organisées par thèmes près de 1,29 million d’images, photos, cartes postales, affiches, publicités, etc. Rouvrant des dossiers thématiques (incendies, panique boursière, montagne, croisements autoroutiers, tir à la corde…), prélevant des images, elle s’est livrée à des compositions réalisées sur place avec les images de cette vaste iconothèque, soit plus de 40 “photomontages”, de “pêle-mêle”, autant d’assemblages composites où se mélangent des images de tous ordres, de tous styles et de toutes époques. Par moments, ces superpositions quittent même le champ du figuratif pour dériver vers l’abstraction. En sous-main, cette série illustre à merveille la condition actuelle, non seulement de l’artiste mais aussi de nous tous, citoyens du web : nous-mêmes devenus nos propres iconographes, occupés à trier, superposer, organiser les flux d’images qui nous traversent. Jean-Max Colard Vues arrière, nébuleuse stellaire et le bureau de la propagande extérieure du 24 février au 17 mai au Jeu de Paume, Paris VIIIe, jeudepaume.org et aussi Birds of the West Indies du 21 février au 14 mars à la galerie Almine Rech, Paris IIIe, alminerech.com 7.01.2015 les inrockuptibles 57

08 997 Gpap Arts.indd 57

18/12/14 17:32

Disney

cinéma

musique

Star Wars de J. J. Abrams

Soko

Lucia Ribisi

Des millions de gamins de 10 ans ont rêvé, les yeux ébahis devant Star Wars, d’en signer un jour la suite. L’un d’entre eux y est parvenu. C’est cela, plus encore que ses éblouissants Star Trek (une saga finalement très différente de celle de George Lucas), qui fait de J. J. Abrams un choix inespéré pour ce septième volet : la promesse d’un retour à l’euphorie picaresque de la première trilogie, avec la maestria scénaristique d’un pur spielbergien. Star Wars : épisode VII – Le réveil de la force pourrait être comme un chef-d’œuvre du genre. T. R. en salle le 18 décembre

En 2014, on a pris des nouvelles de Soko avec la BO de First Kiss, un court métrage qui a fait le buzz sur internet. Près de 100 millions de vues plus tard, le morceau We Might Be Dead by Tomorrow s’est envolé dans les charts, alors même qu’il avait été dévoilé sur I Thought I Was an Alien, album paru en 2012. Il était donc temps pour Soko de renouveler son répertoire. Ce sera chose faite très prochainement : produit par Ross Robinson (The Cure, Klaxons), son nouvel album, dont on sait encore peu de choses, est promis pour février. M. D. My Dreams Dictate My Reality (Because), sortie en février, s-o-k-o.com

bd

David B./Gallimard

David B. La rencontre des Mille et Une Nuits et de David B., passionné par les contes et légendes et les récits d’aventure, devait arriver. C’est chose faite avec Hasib et la Reine des serpents. David B. est à l’aise dans cet univers où les récits dans le récit s’enchaînent et se superposent, où les animaux sont fantastiques, les éléments déchaînés et les hommes prêts pour l’aventure. Plus que jamais, il déploie son graphisme merveilleusement onirique pour créer un monde captivant, gorgé de symboles et de poésie. A.-C. N. Hasib et la Reine des serpents (Gallimard), en librairie le 8 janvier

58 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 GPAP Notules 2015.indd 58

18/12/14 18:51

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:18

La Rancon de la gloire de Xavier Beauvois Les tribulations de deux gentils branquignols qui volent le cercueil où gît Charlie Chaplin. Une comédie tendre et cocasse, par l’auteur des Hommes et des dieux.

C  

harlie Chaplin est mort le jour de Noël de l’an 1977 dans la commune suisse de Vevey où il résidait depuis vingt-cinq ans avec sa nombreuse descendance et son épouse Oona (la fille du grand dramaturge américain Eugène O’Neill), au bord du lac Léman. Le 1er mars suivant, son cercueil était exhumé et kidnappé. Les “fossoyeurs” demandaient une rançon. C’est de ce fait divers réel que s’inspire très librement, avec drôlerie et tendresse, La Rançon de la gloire, le nouveau film de Xavier Beauvois. Le succès des Hommes et des dieux semble lui avoir donné des ailes, puisqu’il vient ici marcher sur des sentiers qu’il n’avait pas battus auparavant. Car la réussite du film, sa grâce (oui), tiennent à l’idée de transformer ce fait divers glauque (même s’il s’est bien terminé) en conte de Noël – la musique symphonique et très présente de Michel Legrand nous l’indique dès ses premiers

accords. Les deux kidnappeurs sont des “charlots” (comme le dira un avocat lors du procès), des bras cassés sympathiques, migrants (l’un algérien, l’autre belge), des tocards comme on en trouve dans les comédies italiennes, qui veulent se sortir de leur misère et s’y prennent comme des manches (de pelle et de pioche). Osman est employé communal dans une petite ville du bord du lac, vit dans une baraque (semblable à celle de Paulette Goddard et Chaplin dans Les Temps modernes ou au chalet de La Ruée vers l’or) avec sa fille Samira et il a besoin d’argent pour payer l’hospitalisation de son épouse, Noor. Au moment où le film commence, Eddy, homme amoureux de littérature et boit-sans-soif, qui “vit” de menus larcins, sort de prison. Entre eux, c’est à la vie à la mort. Alors Osman recueille Eddy chez lui, malgré la désapprobation première de Samira, sous le prétexte qu’il pourra aider Samira à s’améliorer en français. Ces deux

60 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 60 SCINE OUV.indd 60

18/12/14 15:05

Benoît Poelvoorde et Roschdy Zem

personnages sont interprétés par Roschdy Zem et Benoît Poelvoorde, le premier dans le rôle du clown blanc (le sérieux), l’autre dans celui de l’auguste (le drôle). En attendant, c’est le soir de Noël dans la baraque d’Osman, Eddy a “acheté” une télévision et l’on y annonce la mort de Chaplin, dans son immense villa, à quelques kilomètres de là… Une idée bien bête va germer dans le cerveau d’Eddy… Téléphoné, tout cela ? Un petit peu, sur le papier. Seulement, la mise en scène de Xavier Beauvois nous prend par la main et ne nous lâche pas du début à la fin du film, afin de suivre avec lui les mésaventures de ses deux clowns lacustres. Torché par un faiseur comme on en trouve beaucoup dans le cinéma français dit comique, cela donnerait le prochain film de Dany Boon et des millions de spectateurs dans les salles. Mais Beauvois a une morale du regard, et ça se voit. Son but n’est pas de nous faire rire à tout prix comme des baleines stupides – même si le film est souvent très drôle. La Rançon de la gloire ne tombe jamais dans la vulgarité cinématographique (l’hyperdécoupage, le gag facile, démagogique et lourd), il tire constamment le spectateur vers le haut, sous le patronage (modeste) du grand Chaplin,

Beauvois a une morale du regard, et ça se voit. Son but n’est pas de nous faire rire à tout prix comme des baleines stupides

sans chercher à tout prix l’exploit ou la perfection. Un regard de metteur en scène moral, c’est par exemple filmer longuement, sans coupure, deux comédiens en train d’enterrer un cercueil dans un champ de maïs pour le planquer, c’est montrer l’effort, la fatigue, les glissades, les problèmes, le travail que cela représente, les crispations, les engueulades et la culpabilité des personnages, et le comique et donc l’humanité qui s’en dégagent heureusement. C’est dans la longueur du plan ou de la scène, comme chez Lubitsch souvent, que Beauvois va extraire un rire respectueux, fraternel. On reconnaît aussi son style à cette manière de respecter les personnages de “méchants” (celui, à la Hergé, du maître d’hôtel de la famille Chaplin, interprété merveilleusement par Peter Coyote), de leur donner leur chance, d’essayer de les comprendre et de les présenter sous leur plus beau visage (les Chaplin, dans le film, voient cet événement comme un nouvel épisode rocambolesque de la vie de Charlot et Peter Coyote dit, quand on retrouve la bière : “Monsieur est de retour…”). Comme nous sommes dans une comédie et dans un conte de fées, tout est bien qui finira bien, et Eddy-Poelvoorde, grâce à une jolie cavalière de cirque (la solaire Chiara Mastroianni), trouvera d’autres raisons de vivre. Avec ce film tendre et drôle, 2015 commence bien. Jean-Baptiste Morain La Rançon de la gloire de Xavier Beauvois, avec Benoît Poelvoorde, Roschdy Zem, Séli Gmach (Fr., 2014, 1 h 54) 7.01.2015 les inrockuptibles 61

08 997 60 SCINE OUV.indd 61

18/12/14 15:06

Invincible d’Angelina Jolie avec Jack O’Connell, Domhnall Gleeson (E.-U., 2014, 2 h 18)

Le biopic grotesque d’un martyr de la Seconde Guerre mondiale par Angelina Jolie. ans l’Amérique raciste des années 30, le petit Louis Zamperini a la vie dure. Malingre, pauvre et rital, il est martyrisé par ses camarades jusqu’à ce qu’on lui découvre un talent pour la course, qui va le propulser aux Jeux olympiques. Mais voilà, la Seconde Guerre mondiale approche et Louis devra partir sur le front japonais, où il sera pris en otage par l’ennemi et traversera mille épreuves dignes du Livre de Job. Comme dans son premier effort, Au pays du sang et du miel, où elle racontait la guerre de BosnieHerzégovine à la lueur d’une romance entre un Serbe et une Bosniaque, Angelina Jolie revisite un épisode politique réel à travers une destinée individuelle à lourde vocation symbolique, une histoire édifiante autour de laquelle elle orchestre un film de guerre mis en scène selon les codes les plus standards du genre. On évitera de passer le film au filtre du fact-checking, tant Invincible s’apparente à une massive entreprise de révisionnisme à la coule, se limitant au seul point de vue américain dans un exercice d’autocélébration nationale indigeste et daté. Peu préoccupée par la complexité des enjeux, Angelina Jolie s’intéresse à la trajectoire erratique de son personnage, un corps auquel elle fait subir les pires outrages – confirmant, après 12 Years a Slave, que le nouveau héros américain est un supplicié. Avec une complaisance inouïe, elle filme ainsi pendant deux heures le registre exhaustif des tortures infligées à Louis Zamperini par un dignitaire japonais qui n’aurait pas dépareillé dans un vieux sketch des Inconnus. Romain Blondeau



Le Scandale Paradjanov de Serge Avédikian et Olena Fetisova Les ennuis du cinéaste géorgien Sergueï Paradjanov avec les autorités soviétiques. Un film empathique et drôle autour d’un homme bigger than life.

C  

ette semaine ressort en salle l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste géorgien d’origine arménienne, Sergueï Paradjanov (1924-1990), Les Chevaux de feu (1965), le film qui fit connaître du public occidental ce cinéaste baroque et inspiré. Le Scandale Paradjanov évoque comme dans un rêve et souvent comme dans un cauchemar l’existence chaotique de ce cinéaste extravagant, plus grand que la vie, sorti de la prestigieuse VGIK (école de cinéma de Moscou), dans une URSS évidemment peu amène avec son anticonformisme et sa liberté de création. Le film raconte notamment comment Sayat-Nova (1968), son autre chef-d’œuvre, braqua le pouvoir contre lui. Pourquoi il passa quatre ans dans les geôles soviétiques d’Ukraine, où il se consacra à l’art du collage pendant qu’en Europe de l’Ouest des personnalités comme Saint Laurent, Sagan ou Aragon tentaient

Serge Avédikian incarne son modèle avec des délices et une malice communicatives

de le faire libérer. Les autorités n’avaient pas apprécié que le film soit tourné en dialecte houtsoul (pratiqué dans les Carpates ukrainiennes) et non en russe. Suspecté de nationalisme, il fut condamné en 1974 pour “commerce illicite d’objets d’art, homosexualité et agression sur la personne d’un fils de dignitaire du régime”… Après sa libération, il refera quelques séjours en prison jusqu’en 1982, et tournera heureusement quelques films. Toujours émerveillé, il pourra aussi sortir d’URSS et voir Paris avec ses yeux d’enfant. Cette évocation de Paradjanov, parfois un peu maladroite dans ses petites afféteries de cinéma, brille surtout par le regard bienveillant et la chaleur humaine qui s’en dégagent. Son merveilleux interprète principal (et coréalisateur), Serge Avédikian, incarne son modèle avec des délices et une malice communicatives. Tantôt larmoyant, presque geignard, tantôt mégalomane, mais toujours avec humour, Paradjanov n’est jamais ridicule. Il est trop. Et cela suffit à faire notre bonheur et à avoir envie de voir et revoir ses films. Jean-Baptiste Morain Le Scandale Paradjanov ou La vie tumultueuse d’un artiste soviétique de Serge Avédikian et Olena Fetisova, avec Serge Avédikian, Yulia Peresild, Karen Badalov (Ukr., Fr., Géo., Arm., 2 013, 1 h 35)

62 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 62-63 SCINE SEQ.indd 62

18/12/14 15:15

Valentin Valentin de Pascal Thomas avec Marilou Berry, Vincent Rottiers (Fr., 2014, 1 h 46)

Pascal Thomas revient au whodunit dans une comédie policière à bout de souffle. Jusqu’à un certain point (disons Le Grand Appartement), le cinéma de Pascal Thomas savait encore faire pardonner ses défaillances et son rejet épidermique du réel par un sens du rythme foutraque et une qualité d’écriture variable. Mais à mesure que les années passaient, cet équilibre fragile a laissé place à un cinéma sous cloche, daté, dont Valentin Valentin constitue la phase terminale. Adapté d’un roman de Ruth Rendell (La Maison du lys tigré), qui raconte les aventures sentimentalopolicières d’une bande de locataires d’un même immeuble, ce nouveau whodunit aligne sans passion les rebondissements de boulevard, mis en scène avec une nonchalance manifeste. Dans la galerie grossière de personnages (une femme alcoolique, une nympho hystérique), filmés sans la moindre note d’empathie, surnage heureusement une discrète petite fée cleptomane, à laquelle Agathe Bonitzer prête son mystère aristocratique et sa gracieuse retenue. C’est peu, vu la catastrophe. R. B.

Captives d’Atom Egoyan avec Ryan Reynolds, Rosario Dawson, Mireille Enos (Can., 2014, 1 h 52)

Un thriller claustrophobe et glacé, tout en rétention mais aux teintes toujours changeantes. Retour en forme d’Egoyan. l y a bien sûr quelque chose de l’affaire Natascha Kampusch dans l’histoire de cette fillette, enlevée puis séquestrée pendant huit ans par un mystérieux geôlier. L’action se déroule dans l’immensité neigeuse de l’Ontario. Deux couples, celui des parents (avec un Ryan Reynolds étonnamment épais) et celui des enquêteurs (Rosario Dawson en sourdine, et pourtant au sommet de son animalité), traquent encore la piste du kidnappeur de la petite Cassie. “Huit ans après” : c’est dans ce point-virgule inévitable, posé peu après la séquence de l’enlèvement, que réside la belle arythmie décharnée de Captives. Un film d’enquête débarrassé de tout sentiment d’urgence, qui ne travaille que sur des personnages éreintés, morts vivants, s’accrochant sans trop d’espoir à une investigation de routine. Poser quelques avis de recherche, quadriller un quartier : chaque geste est ainsi lourd d’avoir été mille fois répété, tandis que deuil et enquête se fondent peu à peu dans le même engourdissement. Bien sûr, Captives n’échappe pas non plus aux excès du genre “thriller congelé”. Le style est empreint de sophistication, un peu sévère, un peu chic, et son hygiène impeccable permet quelques facilités à Egoyan. Jamais le film, enrobé dans sa rétention, ne vient nous déferler dessus, libérer toutes ses perversions étouffées. Mais dans cette rétention, Captives, sans non plus rivaliser avec Chantal Akerman (La Captive, 2000), tire sa meilleure carte. En fait, il porte bien son nom (et notez l’accord au pluriel) : avec ses couples anéantis par huit ans d’échecs, le film d’Egoyan est surtout un casse-tête chinois où chacun est le séquestré d’un autre, où le revers de la captivité n’est jamais la liberté, mais le délaissement. Un thriller claustrophobe, certes, mais qui a l’idée de redessiner constamment les murs de sa cage. Théo Ribeton

 I

7.01.2015 les inrockuptibles 63

08 997 62-63 SCINE SEQ.indd 63

18/12/14 15:15

My Two Daddies de Travis Fine avec Alan Cumming, Garret Dillahunt, Isaac Leyva (E.-U., 2012, 1 h 38)

Queen and Country de John Boorman L’auteur de Délivrance chronique ses souvenirs de la guerre de Corée. Sensible et drôle.

 V

oilà deux septennats que John Boorman était absent des écrans français (depuis Le Tailleur de Panama, en 2001, exactement), ses deux précédents films (In My Country, The Tiger’s Tail) n’étant pas sortis de ce côté-ci de la Manche. Avec Queen and Country, le cinéaste anglais signe à 81 ans une belle suite à Hope and Glory, ses mémoires d’adolescent durant la Seconde Guerre mondiale, sorti en 1987. D’une guerre l’autre, il dépeint dans ce nouvel opus ses premières années d’adulte, en tant que sergent instructeur dans un régiment en partance pour la Corée, au début des années 50. La première partie du film se passe presque intégralement dans une caserne et tente, avec une certaine réussite, de redonner ses lettres de noblesse au comique troupier, façon early Blake Edwards plutôt que late Robert Lamoureux (La 7e Compagnie…). On pense par exemple à Opération Jupons (avec Cary Grant et Tony Curtis en 1959) ou Le Bal des cinglés (coécrit par Edwards et réalisé par Richard Quine en 1957). C’est ainsi tout à fait désuet, et franchement pas désagréable. Bill (alter ego de Boorman, interprété par le très convaincant et britishissime Callum Turner) et son acolyte Percy (Caleb Landry Jones, vu dans Antiviral de Brandon Cronenberg) jouent là les soldats les plus

cool du monde, comme si Ferris Bueller (personnage de John Hughes) partait à la guerre. Les souvenirs s’embellissant toujours avec le temps, on ne saurait en vouloir à Boorman d’avoir choisi la dérision plutôt que l’emphase pour décrire ses quelques mois de soi-disant formation. Sans jamais tout à fait quitter les rives de la comédie, le film se charge cependant d’une salutaire mélancolie dans sa seconde partie, où Bill, profitant d’une permission, s’en retourne à la maison. Il y retrouve sa famille (et donc une partie du cast de Hope and Glory), ainsi qu’une jolie prétendante. Concomitants au couronnement d’Elisabeth II (en 1953), les événements relatés s’y font plus graves : contrairement aux canulars de la caserne, ils portent à conséquence, laissent une empreinte véritable. Une poignante scène dans un hôpital cristallise ainsi cet enjeu, lorsque le héros comprend que toutes les blessures ne sont pas réversibles. Il aura fallu, en somme, la brûlure des déceptions amoureuses et des différends amicaux pour qu’enfin se manifeste à lui le sentiment de perte inéluctable. Avant que le cinéma ne se charge, au bout du compte, de recoller patiemment les morceaux.

Le combat homoparental d’un couple d’hommes au début des années 1980. La Californie, il y a trentecinq ans. Un juriste, Paul (Garret Dillahunt), et une drag-queen, Rudy (Alan Cumming), tombent amoureux l’un de l’autre. Un soir, la voisine toxicomane de Rudy est arrêtée par la police. Elle confie son fils trisomique, Marco, à Rudy, qui va très vite s’attacher au pré-ado maltraité. Paul et Rudy vont tout faire pour garder Marco, qui les aime, avec eux, mais la justice américaine va se montrer intolérante avec ces deux homosexuels, préférant renvoyer Marco vivre avec sa mère déficiente plutôt que de le confier à ses deux pères d’adoption. My Two Daddies est un film à thèse contre l’homophobie institutionnelle, sujet qui ne peut qu’inspirer de la sympathie. C’est aussi un mélo dégoulinant de bons sentiments qui ne lésine pas sur les moyens. Comment ne pas prendre le parti de Rudy et Paul, ne pas être ému par le sort tragique de Marco ? Le récit manque de finesse, charge sans mesure les adversaires du couple, et se perd parfois dans des allées inutiles (la carrière de chanteur de Rudy). Travis Fine ne parvient jamais à hisser son film au-dessus du simple fait divers, du simple constat d’une injustice évidente et terrible. Jean-Baptiste Morain

Jacky Goldberg Queen and Country de John Boorman, avec Callum Turner, Caleb Landry Jones (G.-B., 2 014, 1 h 54)

64 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 64 SCINE SEQ.indd 64

18/12/14 15:42

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:20

Lena Dunham, stop ou encore ? Girls revient avec une saison 4 attendue, dans un contexte assez difficile pour sa scénariste-actrice-réalisatrice.

D

epuis son surgissement dans la sphère culturelle mondiale au printemps 2012 – diffusion des premiers épisodes de Girls sur HBO –, Lena Dunham a parcouru un chemin que certains de ses collègues ne connaissent même pas en une vie et parfois à peine en rêve. Propulsée au sommet du buzz, cette fille d’artistes made in New York a vu sa création scrutée de très près, affublée du titre lourd à porter de symbole d’une époque et d’une génération. Une relative hystérie à laquelle la jeune femme d’aujourd’hui 28 ans a participé avec une certaine intensité, accentuant la sensation que son personnage fictionnel se montre beaucoup dans l’intimité (et cela ne concerne pas seulement les désormais célèbres scènes de nu) par une présence sans faille sur les réseaux sociaux, notamment Instagram : Lena se réveille décoiffée, Lena s’habille comme une princesse, Lena embrasse ses amis, Lena joue avec son chien, etc. Tout cela nous a été offert avec un minimum de filtre. A la rentrée de septembre, la sortie en librairie de l’inégal Not That Kind of Girl, un genre de récit de vie truffé d’anticonseils plus ou moins impudiques, a sonné joyeusement la charge chez ses contempteurs, donnant à Lena Dunham l’image d’une créature débordée, touchant peut-être ses limites à force de partager

avec le plus grand nombre ses fragilités. L’occasion de se rappeler que, depuis le premier jour, Girls a été l’objet de vives critiques. Trop autocentrée selon certains, trop marquée socialement, trop blanche pour ainsi dire, la série ne méritait soi-disant pas les éloges qui lui pleuvaient alors dessus. Le problème reste que ces attaques ont largement raté leur cible. Depuis ses débuts, Girls n’a cessé de se pencher sur elle-même, d’interroger son habitat, sa géographie réelle et imaginaire. Au contraire d’une série bercée par ses certitudes, Girls est un objet narratif en mouvement constant, sans doute rendu plus passionnant encore par le passage des années. Telle est la loi du genre. Plus elle vieillit, plus une série – si elle reste entre de bonnes mains – utilise ses propres ressources en profondeur, les creuse pour en tirer l’essentiel. La troisième saison de Girls était exemplaire de ce point de vue, posant d’emblée la question de la maturité (Hannah, Jessa, Marnie, Shoshanna

depuis ses débuts, Girls n’a cessé de se pencher sur elle-même, d’interroger son habitat, sa géographie réelle et imaginaire

ne sont plus des gamines) et remettant en jeu radicalement les liens entre ses personnages et leur environnement. Si l’air du temps new-yorkais apparaît toujours comme un papier peint sexy et élégant, voilà bien longtemps que le folklore de Brooklyn, de ses cafés et des branchés locaux n’a plus la main sur Girls. En toute logique, la quatrième saison qui débute cette semaine promet un changement de territoire tout sauf anodin. Hannah doit en effet quitter New York pour aborder les terres moins hipster (quoique) de l’Iowa, à mille cinq cents kilomètres de là, où elle poursuit ses études dans une prestigieuse école d’écriture – son espoir d’être romancière demeure. De quoi éclater de manière a priori intéressante l’espace vital de la série, puisque les autres, son boyfriend Adam en tête, restent sur la Côte Est et se débrouillent comme ils le peuvent sans elle. Des morceaux de Girls seraient donc possibles sans l’ego-héroïne Hannah/ Lena ? Pas forcément très longtemps, mais on demande à en être les témoins. Dans une des scènes présentées dans la bande-annonce, Adam porte un toast en l’honneur de sa copine avec cette formule délicieuse : “A Hannah, qui entame une nouvelle étape dans une série d’étapes hasardeuses”. Olivier Joyard Girls saison 4 à partir du 12 janvier, 20 h 55, OCS City

66 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 66 SERIES.indd 66

18/12/14 15:43

à suivre… Golden Globes : à qui le tour ?

Keri Russell

FX

C’est ce week-end qu’a lieu à Los Angeles la seule cérémonie hollywoodienne majeure regroupant cinéma et télévision. Pour ce qui est des séries, la compétition s’annonce à la fois rude et pour une fois surprenante du côté des comédies, où l’excellente mais underground Transparent (Amazon) mène une sélection étonnamment radicale, dans laquelle ne figure pas Modern Family. On y trouve à la fois Orange Is the New Black et la peu vue Jane the Virgin, alors que Girls et Silicon Valley complètent la liste. L’acteur Jeffrey Tambor pourrait profiter de sa composition exceptionnelle (toujours dans Transparent) pour remporter la mise chez les comédiens. Si la catégorie des drames est à la fois discutable et attendue (The Good Wife, Downton Abbey, Game of Thrones, The Affair, House of Cards), la bataille la plus excitante a lieu chez les miniséries, un format furieusement en vogue cette année. Olive Kitteridge, True Detective et Fargo (notamment) méritent toutes de repartir avec une statuette dorée d’un goût douteux. A voir sur Cine+ Premier à 2 heures du matin dans la nuit du dimanche 11 au lundi 12 janvier.

sacrés agents

The Americans rend l’espionnage mélancolique et s’impose doucement comme une grande série. Sa deuxième saison sort en DVD. es séries ont toutes les fonctions possibles – faire penser ou pleurer ; exciter, captiver, consoler (rayer la mention inutile) – mais il en existe une à laquelle on pense peut-être moins : elles sont capables de renvoyer au spectateur de l’énergie. Un shoot de vie dans le désastre du réel, si désastre il y a. Quand elles montrent des personnages épuisés qui parviennent malgré tout à respirer, cela devient même indéniable. Prenons notre chouchou, The Americans. Au-delà de son pitch centré sur la duplicité (deux agents du Kremlin vivent aux Etats-Unis de manière parfaitement intégrée), au-delà de son évidente thématique liée à l’étude d’un mariage et d’une famille étranges, la création de Joe Weisberg, un ex de la CIA, montre une série d’épreuves physiques et intimes qui ne cessent de s’accumuler pour deux héros transformés en saint Sébastien Breaking Bad (Arte, le 8 à 22 h 20) criblés de flèches. En bons agents secrets, Un an et demi après sa diffusion initiale, Elizabeth (Keri Russell) et Phillip (Matthew la fin de l’une des plus grandes séries Rhys) tuent, mentent, évitent de mourir et récentes est enfin disponible en clair. passent des journées impossibles à jongler On peut vérifier la tête froide que entre leurs différentes vies – officielle, cette ultime saison restera dans l’histoire. professionnelle, personnelle –, sans parler de celle qu’ils désirent au fond d’eux. Shameless (Canal+, le 8 à 22 h 25) Alors qu’elle entame bientôt Rare exemple d’une adaptation sa troisième saison (le 28 janvier sur FX) plus forte que l’original, la version et que l’excellente deuxième levée sort américaine de Shameless montre en DVD, The Americans possède tous avec un brio fou une famille déglinguée les atouts pour aider à traverser l’hiver mais hautement vivante. Saison 4 en regardant les autres souffrir à notre très recommandée. place. Sans compter un plaisir vintage non feint, puisqu’elle se déroule en pleine Looking (OCS City, le 12 à 21 h 25) guerre froide, au début des eighties Retour de la série située dans le quartier devenues subitement historiques. gay de San Francisco pour dix nouveaux Une grande série en devenir. O. J. épisodes. Le calme événementiel

L

agenda télé

et la subtilité de Looking ont pu passer pour de la fadeur : il n’en est rien.

The Americans saison 2 DVD Fox, environ 30 € 7.01.2015 les inrockuptibles 67

08 997 66 SERIES.indd 67

18/12/14 15:44

Jenna Foxton

culture club Avec un premier album d’electro sensible, mélangeant habilement songwriting et audaces de production, le Londonien Ghost Culture est l’un des grands plaisirs de l’hiver.

A  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

u sein du label londonien Phantasy, le patron a montré le bon exemple, en signant aussi bien la techno robotique de Daniel Avery que la pop fugitive de Connan Mockasin. Mais pour Erol Alkan, mélanger ainsi songwriting pur et electro raide a toujours été une seconde nature, inaugurée dès 1993 lors de DJ-sets qui enchaînaient dans la liesse Pastels et Underground Resistance, Blur et Orbital. Mais de toutes ses trouvailles, sa dernière signature Ghost Culture est sans doute celle qui réussit le mieux à concilier une écriture pop mélancolique et des dérivés nonchalants de techno ou de house, sans la moindre trace de couture, sans cette impression de placage que réservent souvent les remixes electro de tubes pop. Ghost Culture est ainsi un pur produit du club – et des clubs londoniens en général. Le jeune homme, James Greenwood dans le civil, se souvient, à 17 ans, avoir fait le mur

de sa banlieue pour se frotter aux frissons de la nuit londonienne, suivant même au gré des soirées son futur patron Erol Alkan. “En plein milieu d’un set electro, il balançait une chanson de T-Rex, ça nous rendait fous. A l’époque, je n’imaginais même pas lui parler un jour, ou même contacter un label. Je ne faisais même pas vraiment de musique.” James Greenwood est un gros menteur. Avant de devenir Ghost Culture, il a longtemps joué de la musique. Du saxophone et de la clarinette. Virtuose dès ses 8 ans. “J’étais obsédé par des gens comme Miles Davis ou Lee Morgan. Souvent, je lis des interviews d’artistes de mon âge qui racontent avoir vécu une expérience déterminante en découvrant Nirvana. Moi, ça a été John Coltrane.” Viendra ensuite la révélation d’une pop à la fois électronique et sensible, découverte dans les aventures berlinoises de Bowie, puis dans les albums de New Order et Depeche Mode, “deux groupes

68 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 68 SMUS OUV.indd 68

18/12/14 14:55

“j’aime ce mélange entre un cœur fragile et la robotique des machines” James Greenwood

transcendants”. Comme chez eux, une robotique implacable est ici dominée par une humanité fragile, incarnée par des mélodies aux douces mélancolies et surtout un chant plaintif, faussement plat mais omniprésent. “C’était un principe : composer des chansons et pas des tracks. Je connais les limites de ma voix, mais chanter est devenu un plaisir, un besoin… Je n’oublierai jamais cette auto-interview de David Byrne où il pose cette question : ‘Pourquoi continues-tu à chanter, alors que ta voix n’est pas à la hauteur ?’ ‘Parce que si je chantais bien, tu ne me croirais pas !’ J’aime ce mélange entre un cœur fragile et la robotique des machines. Je déteste cette tendance des musiques électroniques à tout nettoyer, polir, perfectionner… Mon album, c’est une réaction à ces musiques cliniques, corrigées jusqu’à ne plus être humaines.” Et de Glass à Giudecca, le Londonien réussit là quelques ententes cordiales entre un chant de crooner esquinté (il vénère également Nick Drake ou Elliott Smith) et des machines qui dévient, détournent cette musique sans collier. Car sans cette rigueur métronomique des machines, elle aurait pu s’effilocher en un genre de folk de science-fiction – le magnifique Glaciers, slow perturbé de cordes sensibles, donne une indication de voies à explorer –, mais aurait alors perdu au change.

Car Ghost Culture fait partie de ces artistes qui composent de manière traditionnelle et se remixent dans le même élan, avec un naturel qui fait les grandes chansons electro-pop – on est ici à la hauteur du légendaire remix par Todd Terry du Missing d’Everything But The Girl par exemple. On imagine d’ailleurs fort bien la musique de Ghost Culture jouée à la guitare sèche, débarrassée de tout habillage électronique. L’idée le fait sourire. “A vrai dire, je compose tout à la guitare sèche à la base. Mais en même temps que je compose sur cet instrument, dans ma tête, j’entends déjà la chanson finale, avec les beats, les séquences, les arrangements… Tout me vient d’un bloc. C’est pour ça que je ne peux jamais me relâcher : ça peut me tomber dessus à tout moment. Et là, il me faut un instrument ou un ordinateur sous la main.” Il réfute pourtant tout statut de maniaque du studio, de démiurge incapable d’abandonner ses machines. “Comme il n’y a aucun restaurant autour de mon studio, c’est la faim qui me force à le quitter. Je rentre chez moi cuisiner un truc et une fois rassasié, je n’ai plus envie de sortir.” JD Beauvallet album Ghost Culture (Phantasy/Because) facebook.com/ghostculture 7.01.2015 les inrockuptibles 69

08 997 68 SMUS OUV.indd 69

18/12/14 14:55

Romain B James

Don Rimini

Panoramas, festival avec vue Jolie Holland (à la guitare)

Les Nuits de l’Alligator : dix éditions et un vinyle Born on the bayou en 2006, le festival itinérant Les Nuits de l’Alligator fêtera sa dixième édition dans quelques semaines (et dans quatorze villes). Avec, toujours, la promesse de grosses suées : Heavy Trash (avec Jon Spencer), Jolie Holland, Hayseed Dixie, Bloodshot Bill, Sarah McCoy, Black Strobe, Hell’s Kitchen (et quelques autres). Et le gros cadeau : une compile vinyle avec douze titres rares ou inédits de Dick Annegarn, Ramsay Midwood, The Baptist Generals, The Legendary Tigerman, Mama Rosin, Bob & Lisa, Arlt (et quelques autres), qui sera vendue pendant le festival, du 17 février au 10 mars. nuitsdelalligator.com

C’est le festival préféré des teufeurs bretons. Panoramas sera de retour à Morlaix, en avril, du 3 au 5, avec une programmation qui promet de griller quelques neurones aux festivaliers. On retrouvera en effet Tale Of Us, Laurent Garnier, Brodinski, Don Rimini, Flavien Berger ou encore Salut C’est Cool pour cette dix-huitième édition d’un festival qui regarde au loin. festivalpanoramas.com

Dominique A, round 10 On l’avait laissé avec Vers les lueurs, magnifique neuvième album paru en 2012. Dominique A sera bientôt de retour avec la suite, son dixième album donc. Il sera titré Eléor, paraîtra le 16 mars et contiendra le nouveau morceau qu’on a récemment découvert sur internet, titré également Eléor, et qui invite à rejoindre ce taulier de la chanson française dans son univers si singulier.

“Ce n’est pas votre meilleure chanson…” Voici ce qu’aurait répondu David Bowie, de l’aveu même de Chris Martin, chanteur de Coldplay, en recevant une proposition de collaboration. Cette histoire piquante a été racontée à l’occasion de la première cérémonie des BBC Awards en décembre, pendant laquelle Chris a ajouté : “Il place la barre très haut et je comprends ça. Il encourage tout le monde à avoir les mêmes exigences que lui.” Chic.

Nina Barnes

Bowie rembarre Coldplay

Of Montreal, encore et toujours Kevin Barnes, leader complètement fou d’Of Montreal, continue d’exorciser ses névroses dans une discographie désormais fourmillante. Le nouveau chapitre de celle-ci sera titré Aureate Gloom et sortira en mars. Et même si les derniers albums d’Of Montreal ne sont pas tous au même niveau, l’excitation est au rendez-vous : publié récemment, le nouveau single, Bassem Sabry, est une belle réussite.

neuf

Red Lorry Yellow Lorry

Kristian Skylstad

Rat Boy

Emilie Nicolas Le nom est trompeur : Emilie Nicolas est norvégienne. Les images du clip de Grown up, par contre, ne trompent pas : elles incarnent toute la mélancolie light d’une pop scandinave qui échappe en murmurant tendrement, joyeusement, au solennel d’Agnes Obel, au sépia grandiloquent de Lykke Li. facebook.com/emilienicolasofficial

Produit à la main tremblante, sur du matériel réformé, ce croisement impossible entre deux gouailles et deux frénésies – les Libertines et les Streets – est une immense joie, preuve que Londres tente dans tous ses recoins, même les plus exigus, d’inventer un futur à sa pop-music. Après l’art-rock, le rat-rock. facebook.com/RatBoyRatBoy

The Go-Betweens G Stands for Go-Betweens… Le coffret de 4 lp et 4 CD, déjà sublime dans sa forme normale, vire au dantesque dans sa version “limited”, où l’on hérite, par exemple, d’un livre personnel de feu Grant McLennan. Niveau musique, ce Volume 1 s’attache aux débuts, de 1978 à 1984. Période bénie. Comme la suite. go-betweens.net

Avec ce nom imprononçable (genre “les chaussettes de l’archiduchesse sont sèches”), ces ténébreux garçons de Leeds furent bêtement associés au mouvement gothique des 80’s, alors que leur rock brutal, sensible, ignorait tout du théâtre. On les entend en 2014 chez Jessica93 ou sur See the Fire, joli coffret bien méchant. red-lorry-yellow-lorry.com

vintage

70 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 70 SMUS SEQ mur.indd 70

18/12/14 15:04

GAB Pub.indd 1

18/12/14 11:32

Comme dans une chanson de Lou Reed, sa vie (de Témoin de Jéhovah) a été sauvée par le rock’n’roll. Le journaliste américain Tony DuShane la raconte dans un livre riche en ricochets.



ony DuShane a longtemps cru à l’Armageddon. Jusqu’à ses 20 ans, il s’est préparé pour la fin du monde qui allait arriver indéniablement, d’un moment à l’autre. Enfant, on lui apprit à considérer les autres gamins de sa classe comme de pauvres créatures, condamnées à périr sous peu. Tandis que lui et ses camarades Témoins de Jéhovah seraient sauvés et vivraient éternellement. Comme il l’écrit dans son roman autobiographique, Confessions of a Teenage Jesus Jerk, sa vie aurait pu se poursuivre ainsi s’il n’avait découvert le sexe opposé et surtout… le rock. Barbichette, T-shirt noir, lunettes élégantes et regard posé, cet homme d’une quarantaine d’années n’a de prime abord rien du survivant échappé de l’asile de fous de Jéhovah qu’il fut. Journaliste estimé, il contribue désormais à des publications comme The Believer ou The San Francisco Chronicle et a son émission de radio, Drinks with Tony. Dès qu’il commence à raconter ce qu’il a vécu, pourtant, son propos s’emballe. Les traumatismes de son adolescence sont encore là, à fleur de peau. Il évoque, outre la messe quotidienne, l’humiliation d’aller frapper aux portes pour convertir. Son isolement à l’école, où il ne peut saluer le drapeau ni suivre certaines classes (l’Eglise lui dit de ne pas croire ses professeurs, ces menteurs, destinés comme tous les païens

M. Garcia

vade retro, Satanas à mourir bientôt). S’il a une érection, il doit s’en confesser à ses aînés, au risque d’être excommunié. Quant à la masturbation, elle “mène à l’homosexualité”. Confessions of a Teenage Jesus Jerk est le récit tragique, mais aussi très comique, des aventures de cet adolescent dont la vie est un enfer. Un livre flippant mais passionnant, sur une secte parmi les plus dangereuses au monde (qui compta parmi ses membres, rappelle l’auteur, Michael Jackson ou encore Prince). Au fil des pages, on rencontre les membres de sa communauté de “témoins” – sa mère qui dort seize heures par jour ou son père qu’il retrouve dans le coma, à force de s’être fracassé la tête contre le mur. Et son meilleur ami, qui se suicide à 14 ans, quand il découvre que tout cela n’est que supercheries et charlatanisme. Heureusement, il y a l’oncle Jeff, qui a joué de la basse dans le groupe de Santana et lui donne des conseils de drague plutôt

“l’Eglise nous disait : ‘Tu peux écouter Borderline de Madonna, mais pas Da Ya Think I’m Sexy? de Rod Stewart.’ C’était laisser le diable entrer dans ta maison” Tony DuShane

foireux. Et puis, un soir, il découvre sur la bande FM l’émission Maximum Rock’n’Roll. “J’ai d’abord cru que c’était une radio satanique, mais ça me faisait tellement de bien.” Ainsi naît sa passion pour le rock tendance hard, metal ou punk local (Social Distortion, Suicidal Tendencies, etc.), qui va le libérer du joug de Jéhovah. En cachette, il concocte des cassettes pour sa petite amie. “L’Eglise nous disait : ‘Tu peux écouter Borderline de Madonna, mais pas Da Ya Think I’m Sexy? de Rod Stewart.’ C’était laisser le diable entrer dans ta maison.” Comme son livre, Tony DuShane est un type touchant, sincère et drôle. Du genre qui, ayant reçu un tas de critiques dithyrambiques sur son bouquin, commence la liste de celles-ci par ce commentaire, trouvé sur Amazon : “Mon neveu m’a dit que c’était un bon roman. Il y avait des moments intéressants, mais j’ai trouvé cela vulgaire et déplaisant.” Celui qui a quitté les Témoins tard, après ses parents, avoue être toujours hanté par ce passé. Ses deux dernières ex sont, d’ailleurs, elles aussi rescapées de sectes (mormons et Eglise du Nazaréen). La seconde est romancière et strippeuse. On espère que ses Confessions seront bientôt disponibles en français. Yann Perreau livre Confessions of a Teenage Jesus Jerk (Soft Skull Press), 224 pages, environ 12 €, en anglais tonydushane.com

72 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 72 SMUS SEQ.indd 72

18/12/14 15:16

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:20

Flake Music When You Land Here, It’s Time to Return

Girls In Hawaii Hello Strange Naïve Avec un album live pas comme les autres, Girls In Hawaii confirme sa position en altitude de la scène belge. ’habitude, je ne joue jamais Girls In Hawaii (trois albums et une de piano.” Cette phrase poignée d’ep). Chaque membre du de Lionel, chanteur groupe s’est imposé un instrument de Girls In Hawaii, explique qu’il ne connaissait pas (on les a vus à peu près tout du projet Hello utiliser un harmonium indien, un Strange. Quand on rencontre vibraphone, un marimba, quelques le groupe au mois d‘octobre, vieux synthés…), poussant ainsi le les six Belges sont en pleine séance processus créatif dans une optique d’enregistrement dans une grange de réinvention et de challenge réaménagée à Louvain-la-Neuve, à relever. “Quand tu te rends compte à quelques kilomètres de Bruxelles. que tu n’as plus 18 ans, le défi est L’idée : capter, dans les conditions de savoir trouver de nouvelles idées. du live, et avec des instruments Ça fout le cafard de voir des mecs inédits pour eux, une poignée de 40 ans mimer leur jeunesse en de morceaux de leur répertoire, continuant de faire la même chose.” et ainsi préparer une tournée La quarantaine, les Girls ne l’ont “unplugged” pour bien finir 2014. pas encore atteinte. Mais déjà on Unplugged ? Les Girls In Hawaii sent l’assurance et le calme d’un ont doucement esquivé l’exercice groupe qui peut se permettre de se de l’album 100 % acoustique, faire réellement plaisir, voire de se trop limitatif, et surtout trop cliché laisser aller à une parenthèse dans pour un groupe arrivé à la fameuse le temps, dont le résultat fut sans maturité. “Je ne suis pas très fan doute le plus beau cadeau de Noël de la ‘franchise unplugged’ que pour les fans de Girls In Hawaii. développent parfois des groupes qui Mais rien de plan-plan dans doivent encore un disque à leur label. la démarche, car Hello Strange On a essayé de ne pas se mettre n’est qu’une île avant l’archipel dans cette case. Ce qu’on a voulu à l’horizon :“C’est un nouveau faire, c’est simplement offrir chapitre pour nous. On espère que un autre point de vue sur certains notre meilleur disque est toujours de nos morceaux.” à venir.” Maxime de Abreu Hello Strange est une jolie girlsinhawaii.be bizarrerie dans la discographie de

 D

Sympathique pour les fans : du pré-Shins réédité. Bien avant Broken Bells, avant, même, sa longue histoire avec The Shins, l’Américain James Mercer officiait dans Flake Music. C’était au siècle dernier et son groupe affichait déjà le casting des Shins période premier album. L’unique disque de Flake Music jamais paru, When You Land Here, It’s Time to Return, est aujourd’hui réédité. L’occasion de revenir, justement, en 1997 et de détecter, déjà, ce qui allait devenir l’ADN shinien : haut débit vocal, mélodies radieuses, pop en cascade, guitares teenager… Encore fragile, le timbre de Mercer semblait ici chercher sa voie (voix ?). Et si l’on ne décèlera rien de légendaire dans ces chansons sympathiques, on saluera tout de même, déjà, un certain sens du petit tube power-pop, plus palpable ici que dans les derniers Weezer… Ce songwriting habile allait même bientôt s’épanouir puisque, quatre années plus tard, le garçon accoucha avec The Shins d’une des plus belles pop-songs entendues ces quinze dernières années, une New Slang toujours aussi formidable après mille écoutes. Johanna Seban subpop.com/artists/flake_music

Courtesy of Flake Music

Olivier Donnet

Sub Pop/Pias

74 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 74 75 SMUS SEQ.indd 74

18/12/14 15:17

Buraka Som Sistema Buraka Enchufada Toujours plus fous, ces Portugais poussent le kuduro loin dans l’hédonisme. lors que le Portugal, dans la crise économique qui le secoue, est en train de connaître une double explosion musicale (d’un côté l’émergence, partout dans le pays, d’une nouvelle scène pop ; de l’autre la création d’un nouveau son electro autour du label lisboète Príncipe Discos), Buraka Som Sistema continue de se placer au-dessus de la mêlée, préservant la primeur d’un genre que le groupe a largement contribué à développer depuis bientôt une décennie : le kuduro. Il fallait de la force de persuasion pour faire de cette niche électronique, née dans les ghettos d’Angola dans les années 90, un objet de pop-culture de ce côté-ci de la Méditerranée. Les plus obtus continuent d’ailleurs de n’y voir qu’une sorte de zouk urbain, mélange bizarre de reggaeton et de bass-music ; les autres, sensibles à la transe de cette musique née dans l’insolation,

08 997 74 75 SMUS SEQ.indd 75

Goncalo F Santos

 A

ont capté le message civilisationnel de ces fils d’immigrés banlieusards : l’Afrique va tout changer en Occident, et ce jusqu’à la façon d’appréhender le dance-floor. Dans son nouvel album (le troisième si l’on excepte les gros ep), Buraka Som Sistema n’a jamais été aussi frénétique, amputé que le groupe est désormais de toute limite de production, d’audace, de décence : tout est bon pour faire bouger sur Buraka (clin d’œil originel à leur quartier, Buraca), qui cache à peine ses intentions avec un single d’ouverture

titré Stoopid. Car avec le temps, la musique de Buraka Som Sistema est passée de la défense du kuduro à la défonce de celui-ci, le poussant désormais à son paroxysme de bêtise et de vulgarité. Avec cet album, BSS se place au même niveau qu’un Diplo, seul mec ainsi capable d’inventer autant de choses en laissant son cerveau de côté. Leur folie commune, qui fait le succès qu’ils méritent : répandre la jouissance, à n’importe quel prix. M. de A. buraka.tv

18/12/14 15:17

LenParrot Aquaserge, épique et beau

various artists

 D

en écoute sur soundcloud.com/lenparrot

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Anthologie Souterraine (coffret 4 CD) Objet Disque Un brillant panorama de l’underground d’ici, dans un coffret collector. nitiées au début de l’année 2014 Baptiste W. Hamon, de la pop par Laurent Bajon et Benjamin mélo et solitaire du Toulousain Caschera, les compilations Barbagallo (aussi batteur pour digitales La Souterraine Tame Impala), des synthés vintage sont rapidement devenues et fêlés de Ricky Hollywood incontournables pour éclairer une ou encore des dingueries scène autoproduite, indépendante lo-fi du Messin Noir Boy George. et sortant des chemins de traverse. En collaboration avec Ces fruits aux formes drôles le label Objet Disque, les quatre et aux goûts rares, trop souvent premiers volumes ressortent mis au rebut car peu commerciaux, en édition limitée et numérotée se voient ici offrir une place dans un coffret 4 CD. Pour de choix. Fouillant dans les plus fauchés, rassurez-vous, les champs numériques et bars les compiles sont toujours de Navarre, La Souterraine disponibles en digital (prix libre) sélectionne dix pépites cachées par sur le site souterraine.biz. Abigaïl Aïnouz volume : reprises, raretés ou avant-premières. Impossible de passer à côté de l’ovni country objetdisque.org/anthologie-souterraine

 I

Machinedrum Vapor City Archives Ninja Tune/Pias

La magistrale utopie d’un beatmaker US. Il ne s’agit pas du scénario d’Inception. Dans une cité immatérielle recluse dans le temps, Travis Stewart part en quête des futurs possibles d’une drum’n’bass qu’on croyait désuète après l’avènement du dubstep. Mais ici, nul besoin de dormir pour rêver : cet album ressuscite la capacité visionnaire du genre, son aptitude à dresser des tours de verre

Andrew De Francesco

Loin de ses ébats de pop arrangée, le chanteur de Rhum For Pauline s’élance au galop sur des territoires gelés et mélancoliques. éjà bien connu des antennes de la région nantaise, le chanteur de Rhum For Pauline et claviériste de l’écurie Pégase, Romain Lallement, refait surface avec un nouveau coup de maître : LenParrot. C’est après une rupture douloureuse avec un des fondateurs de RFP que ses proches l’encouragent à reprendre le chemin du studio pour composer en solo. Clin d’œil au premier album de Baxter Dury (Len Parrot’s Memorial Lift), son pseudonyme trahit un de ses disques de chevet et l’une de ses influences majeures, outre Beach House et Broadcast. Fonctionnant en duo (avec Olivier Deniaud, ex-Hutchinson) sur scène, LenParrot réduit l’organe pop à son plus simple appareil, épure ses mélodies, laissant le premier rôle à une voix gracile dont l’énergie prend aux tripes et au cœur. L’artwork, signé par le collectif A Deux Doigts, n’est pas non plus laissé au hasard, Romain ayant un rapport très visuel à la musique – c’est un film des années 60 qui lui inspire son premier single, Les Yeux en cavale. Et pour faire durer le plaisir, il fait appel à ses copains de tournée pour remixer ce bijou dans un ep baptisé Cavalcade. Au programme, trois versions du titre signées Maethelvin (membre du collectif Valérie), Pégase et Quarles (moitié de Jupiter). Epaulé par Fred Rivière d’Anoraak, LenParrot travaille actuellement sur un premier album à sortir en 2015. A. A.

Olia Eichenbaum

Gregg Bréhin

la découverte du lab

au milieu de champs de beats. Et Vapor City, concept au long cours de Machinedrum (pour lequel il a imaginé une communauté où le “citoyen” télécharge des tracks gratuits), possède un urbanisme séduisant : si le moteur s’emballe sur le rythme footwork de l’inaugural Boxoff, y succède de quoi décoller les pas du bitume (Safed, B Patient).

Les passages vocaux rappellent les paysages mélodiques de SBTRKT ou les recyclage brumeux de gimmicks house entendus chez Burial (Hard 2 Be, 2 Be Luvd, Only 1 Way 2 Know), conférant à ce guide urbain (qui dessine aussi une cartographie amoureuse) la physionomie d’une cité idéale. Hervé Lucien machinedrum.net

76 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 76 SMUS SEQ.indd 76

18/12/14 15:37

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:16

dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

Alt-J 4/2 Paris, Zénith Archive 19/2 Nancy Arthur H 6/3 Grenoble, 7/3 Cannes, 27/3 Amiens The Black Keys 7/3 Lyon, 9 & 10/3 Paris, Zénith Bordeaux Rock Festival du 22/1 au 25/1 à Bordeaux, avec White Fence, Jessica93, JC Satan, Dance Mania Night… Brigitte 29/1 Strasbourg, 4/2 Nantes, 6/2 Rouen, 11/2 Bordeaux, 12/2 Toulouse, 19/3 Le Mans, 20/3 Caen, 21/3 Brest, 27/3 Besançon, 28/3 Amiens Caribou 11/3 Paris, Olympia

Christine And The Queens 6/2 La Rochelle, 26/2 Alençon, 27/2 Angers, 3/3 Grenoble, 4/3 Lyon, 6/3 Paris, Olympia, 12/3 Strasbourg, 18/3 Lille, 25/3 Toulouse, 26/3 Bordeaux, 31/3 Marseille Benjamin Clementine 6/3 Lille, 10/3 Marseille, 12/3 Toulouse, 13/3 Bordeaux, 14/3 Nîmes, 17/3 Lyon, 19/3 Paris, Trianon, 21/3 Rouen, 24/3 Strasbourg Vincent Delerm 22/1 Paris, Olympia The Dø 26/3 Rouen, 27/3 Paris, Zénith Death From Above 1979 28/2 Paris, Gaîté Lyrique Baxter Dury 25/2 Paris, Olympia, 26/2 Nancy, 3/3 Reims, 4/3 Strasbourg, 6/3 Lyon Hanni El Khatib 26/2 Rennes,

27/2 Lille, 28/2 Besançon, 3/3 Rouen, 4/3 Paris, Gaîté Lyrique, 6/3 Nîmes, 10/3 Caen, 11/3 Reims George Ezra 12/2 Paris, Bataclan Fakear 22/1 Lille, 7/2 Paris, Trianon Fauve ≠ 5/3 Dijon, 6/3 Limoges, 10/3 Paris, Nouveau Casino, 11/3 Paris, Gaîté Lyrique, 12/3 Paris, Bataclan, 13/3 Paris, Olympia,

sélection Inrocks/Fnac Moodoïd à Paris Le Monde Möö, premier album du groupe de Pablo Padovani, est un ovni sonore. Totalement barré et follement musical, l’univers rétrofuturiste des Parisiens sera à découvrir le 28 janvier à la Gaîté Lyrique.

17/3 Paris, Casino de Paris, 18/3 Paris, Trianon, 19/3 Paris, Trabendo 20/3 Paris, Flèche d’Or, 21/3 Paris, Maroquinerie Feu ! Chatterton 31/1 Nantes, 29/1 Mâcon, 10/2 Paris, Maroquinerie FKA Twigs 4/3 Paris, Casino de Paris Frànçois & The Atlas Mountains 15 & 22/1 Lens Flying Lotus 14/4 Paris, Trianon Grand Blanc 5/3 Caen, 26/3 Nantes Glass Animals 18/3 Lyon, 19/3 Strasbourg, 20/3 Paris, Gaîté Lyrique, 21/3 Lille Interpol 27 & 28/1 Paris, Olympia Isaac Delusion 17/1 Lille, 29/1 Marseille, 24/2 Paris, Olympia, 12/3 Caen Jamie T 13/2 Paris, Flèche d’Or

sélection Inrocks/Fnac Mina Tindle à Rouen La pop française féminine a connu de nombreuses révélations en 2014. Si Christine And The Queens a brillamment porté l’étendard, Mina Tindle a aussi fait son chemin. La chanteuse nous propose une exploration fabuleuse de son univers coloré et doux, entre Feist et Cat Power. En concert au Trianon Transatlantique mardi soir. Jessica93 6/2 Lorient, 26/2 Rennes Jungle 30/3 Paris, Cigale Max Jury 12/3 Paris, Maroquinerie Kitty, Daisy & Lewis 19/2 Paris, Maroquinerie, 20/2 Lille, 10/3 Rennes, 11/3 Strasbourg The Kooks 13/2 Nancy, 16/2 Toulouse, 17/2 Paris, Olympia, 19/2 Lille, 21/2 Lyon Miossec 5/2 Biarritz, 8/2 Perpignan, 19/2 Laval, 14/3 Auxerre Moriarty 12/1 Marseille, 14/1 Nîmes,

Steve Gullick

Cold Specks

sélection Inrocks/Fnac le festival Antigel à Genève Au milieu de l’hiver, le festival Antigel repoussera le froid pour réchauffer les oreilles et les cœurs. Outre une programmation musicale solide, Antigel propose de la danse, des événements hors norme et appuie un projet de décentralisation culturelle permettant à de nombreuses communes suisses de profiter de la fête. L’année dernière, Son Lux avait livré une incroyable performance. Cette année, les oreilles risquent d’être tout aussi comblées par la présence, notamment, de Mogwai, TV On The Radio, Tricky, Feu ! Chatterton, Cold Specks, Fink, Jonny Greenwood & London Contemporary Orchestra, Tindersticks ou encore DJ Shadow + Cut Chemist. Le festival aura lieu du 23 janvier au 8 février à Genève et alentour.

17/1 Lyon, 24/1 Paris, Philharmonie Nick Mulvey 31/3 Paris, Trianon Noel Gallagher’s High Flying Birds 12/3 Paris, Zénith Panda Bear 6/3 Paris, Gaîté Lyrique Ariel Pink 1/3 Tourcoing, 2/3 Paris, Trabendo, 5/3 Lyon Rone 29/1 Lille, 30/1 SaintEtienne, 5/2 Paris, Cigale, 7/2 Grenoble, 20/2 Reims, 7/3 Caen, 20/3 Nancy, 26/3 Nîmes, 27/3 ClermontFerrand Royal Blood 17/3 Paris, Olympia, 28/3 Lyon Team Me 21/2 Paris, Flèche d’Or Thylacine 30/1 Angers, 7/3 Auxerre Mina Tindle 31/1 Lille, 12/2 Laval, 5/3 Rennes, 28/3 Cannes Vie sauvage : collection hiver le 13/2 à Bordeaux, avec Camp Claude, L’Impératrice et Fellini Félin Warpaint 16/3 Paris, Trianon White Fence 23/1 Nantes, 24/1 Rennes, 25/1 Paris, Maroquinerie The Wombats 13/3 Paris, Cigale Yelle 11/3 Paris, Cigale

78 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 78 SMUS CONCERT.indd 78

18/12/14 15:50

GAB Pub.indd 1

18/12/14 12:09

la drôle de guerre Dans un futur proche, Jean Rolin imagine une France ravagée par la guerre civile. Un livre en forme de road-trip qui reflète avec un humour lucide les tensions et les absurdités d’une société fracturée.

 L

a France a peur. Du moins, elle devrait commencer à s’inquiéter sérieusement tant la littérature semble lui prédire, à plus ou moins court terme, un avenir chaotique et sanglant. Rien qu’en cette rentrée, deux romanciers, et non des moindres, décrivent un Hexagone déchiré par des conflits entre factions ennemies. Il est en effet frappant de constater à quel point les livres de Michel Houellebecq et de Jean Rolin se font écho. Dans Soumission, Houellebecq imagine la France de 2022, dans laquelle s’affrontent identitaires d’extrême droite et islamistes avant l’arrivée au pouvoir d’un parti nommé Fraternité musulmane. Avec Les Evénements, Jean Rolin va encore plus loin, puisqu’il plonge carrément le pays dans une guerre civile, dont les causes ne sont jamais précisées. Toutefois, les forces en présence sont assez semblables à celles du livre de Houellebecq. On trouve les Unitaires, surnommés les “Zuzus”, le Hezb – un parti islamiste dit “modéré” – et même des djihadistes réunis sous la

bannière absurde d’AQBRI – pour “Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques”, trouvaille géniale – qui combattent des milices d’extrême gauche dans le sud de la France. S’il est toujours hasardeux de considérer les écrivains comme des oracles, il est intéressant de voir ce que leur vision romanesque du futur dit en creux de notre présent. Chacun à sa manière, Houellebecq comme Rolin, pointe en les exagérant les tensions qui divisent plus que jamais notre pays. On pouvait espérer qu’une présidence “normale” apaiserait les clivages nourris et exacerbés par la droite à des fins politiciennes, à grand renfort de discours vaseux sur l’identité nationale. Elle n’a fait que les creuser davantage. Chacun semble de plus en plus se replier sur ses petites certitudes, sur ses croyances, et le pays se fissure de part en part. Si Houellebecq opte pour la politique-fiction, Jean Rolin, lui, livre un récit de guerre picaresque à première vue plus éloigné de notre situation actuelle, mais qui pourtant diagnostique avec férocité le malaise profond de la société française.

80 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 80 SLIV OUV.indd 80

18/12/14 15:18

Jean-Jacques Salgon

il n’est pas délirant de penser que ce qui s’est passé à nos portes ou sur notre propre sol puisse se reproduire, semble nous dire le romancier

Comme presque toujours chez Rolin, le roman est d’abord un voyage. L’écrivain nous a déjà entraînés en Palestine (Chrétiens), à Los Angeles (Le Ravissement de Britney Spears) ou dernièrement sur les rives du détroit d’Ormuz (Ormuz). Cette fois, son narrateur, sans nom et à l’identité floue, traverse la France à bord d’une “Toyota assez moche”, de Paris à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône, en passant par la Beauce, la Sologne et la Lozère. A priori moins exotique que Venice Beach ou Téhéran. Sauf que ces paysages familiers d’une France éternelle ou de carte postale, avec ses champs et ses clochers mais aussi ses Mondial Moquette et ses Courtepaille, acquièrent une dimension étrange et inquiétante, se muant sous l’effet des combats en un décor dévasté, presque aussi apocalyptique que ceux de La Route de McCarthy ou des livres de Volodine. Sur son trajet, le narrateur croise des voitures calcinées, des blindés, des immeubles criblés d’impacts, des ruines, des motards avec des masques d’Halloween et même “les dépouilles d’un nombre indéterminé de curés morts” au beau milieu d’un champ. La France est devenue une zone de conflit comme toutes celles que l’on ne connaît plus que par écrans interposés, avec des check-points, des camps de réfugiés, des snipers, des journalistes entassés dans des hôtels. La Finuf (Force d’interposition des Nations unies

en France) patrouille pour tenter de rétablir la paix. Le CICR, le HCR et diverses ONG s’activent aussi. On pourrait se croire en ex-Yougoslavie, territoire que l’écrivain et reporter connaît bien et auquel il a consacré un livre, Campagnes. Rolin s’amuse d’ailleurs à distiller des allusions aux Balkans – un chauffeur qui s’appelle Slobo, un milicien avec l’insigne de l’Oustacha – mais aussi à la guerre d’Espagne, à la Tchétchénie, aux conquêtes napoléoniennes et aux deux guerres mondiales, dont les traces sont partout visibles sur le territoire français à travers les monuments aux morts. Il n’est donc pas délirant de penser que ce qui s’est passé à nos portes ou sur notre propre sol puisse se reproduire, semble nous dire le romancier. Parti pour apporter des médicaments à un ancien ami devenu chef d’une milice nationaliste, le mystérieux et peu aimable Brennecke, puis embarqué dans la recherche du fils d’une certaine Victoria qui est peut-être aussi le sien, le narrateur, tel Fabrice Del Dongo à Waterloo, traverse les lieux et les événements avec nonchalance, presque étranger à ce qui se passe, préférant s’attarder sur les coquelicots plutôt que sur un 4x4 victime d’un tir de roquette, ou sur les cris d’une oie de Chine. Avec sa minutie coutumière, Jean Rolin répertorie chaque oiseau, chaque fleur, si bien que la nature apparaît comme un personnage à part entière, témoin silencieux et placide des batailles et de la folie humaine. Surtout, il inocule à sa drôle de guerre une dose d’humour et d’ironie réjouissante, comme lorsque son héros se retrouve dans une chambre de fillette ornée d’un poster de Miley Cyrus, ou bien à travers la voix distancée d’un commentateur qui alterne avec celle du narrateur. Une manière élégante de souligner l’absurdité qui se loge dans tout drame ou, qui sait, de conjurer le sort. Elisabeth Philippe Les Evénements (P.O.L), 208 pages, 15 € 7.01.2015 les inrockuptibles 81

08 997 80 SLIV OUV.indd 81

18/12/14 15:18

“le XIXe siècle a vu naître le monde moderne et l’argent-roi qui contrôle nos vies” Eleanor Catton

au pays de l’or noir Trois ans après La Répétition, teen-novel à tiroirs, Eleanor Catton ressuscite la Nouvelle-Zélande des chercheurs d’or autour d’un double crime non élucidé. Un vertigineux whodunit couronné par le Man Booker Prize.

Q  

u’est-ce qui incite une romancière de 29 ans, aux allures de sage jeune femme blonde, à écrire sur une bande de pionniers patibulaires et possiblement vénaux ? Peut-être son intérêt manifeste pour les rapports de lutte, de pouvoir et de domination, qui la fit signer à 23 ans une œuvre ultra élaborée sur l’adolescence, entre références au théâtre d’Antonin Artaud et fait divers sexuel. Trois ans après la découverte en France de La Répétition, cette atypique écrivaine néo-zélandaise revient avec un deuxième roman qui frappe par son ambition et sa trame tentaculaire. Quelque mille pages

sur une communauté de chercheurs d’or ébranlés par un meurtre mystérieux – suivi d’une enquête pendant quelques mois de 1866 : “J’avais l’envie d’écrire un roman policier et cette époque s’est imposée à moi : je crois qu’il est plus difficile de raconter un crime non résolu à l’ère de Google et des téléphones portables. Un roman policier ancré à notre époque traiterait de piratage informatique.” Proche des romans du XIXe auxquels l’auteur se réfère (Tolstoï, Melville), Les Luminaires débute avec l’arrivée d’un jeune Ecossais au profil stendhalien, Walter Moody, pressé de faire fortune et de changer de vie, à Hokitika. Un patelin présidé par une douzaine de personnages

– diggers et prostituée, agent maritime, pasteur et politicien – où la “fortune” tient autant à l’or déniché qu’à ses promesses de réinvention de soi : “Au XIXe, personne ne connaissait personne. Nous n’étions pas devancés par notre image. C’est pourquoi les personnages ont sans cesse recours au mensonge et au déguisement, jouant de manière infinie avec leur identité.” Le roman compte nombre de trajectoires hors normes, comme celle du sombre Francis Carver, capitaine de bateau, trafiquant d’opium, forçat, qui finira maître-chanteur. Le jeune Walter Moody, quant à lui, plonge dans les coulisses d’un crime aux ramifications multiples et vertigineuses, où rayonne une puissante histoire d’amour. Les Luminaires est une méditation sur les fondements d’une civilisation, renouant avec certains codes du western (Ford) et un paradigme de la littérature américaine : les circonstances troubles de la naissance d’une nation – qu’illustre à merveille le chef-d’œuvre de Hawthorne, La Lettre écarlate, sur un adultère sévèrement puni par les membres d’une jeune colonie états-unienne. C’est le sens de cette immersion prospective, tantôt longuette, tantôt ensorcelante, où se livre une lutte acharnée entre violence, religion et argent. “La ruée vers l’or peut nous sembler exotique et un peu ridicule aujourd’hui mais elle illustre encore notre rapport à l’argent : l’idée qu’il a le pouvoir de nous faire changer de classe sociale, de nous mettre en valeur en tant qu’individu et non élément d’un groupe… Le XIXe a vu naître le monde moderne et l’argent-roi qui contrôle nos vies.” En contrepoint poétique, Eleanor Catton fait le pari de placer Les Luminaires – désignation anglaise des astres – sous le règne des étoiles. Phénomènes célestes, agencements planétaires et signes astrologiques ont pour tâche de spiritualiser un affolement proprement humain : ils y parviennent en dotant ces précieuses pépites d’or d’un éclat infini. Emily Barnett photo David Balicki pour Les Inrockuptibles Les Luminaires (Buchet-Chastel), traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Erika Abrams, 992 pages, 27 €

82 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 82 83 SLIV SEQ.indd 82

18/12/14 14:56

et mon père publia Lolita Le portrait sans fard de Maurice Girodias, éditeur sulfureux, personnage fantasque et fascinant, par sa fille Juliette Kahane.

08 997 82 83 SLIV SEQ.indd 83

Robert Doisneau

 D

andy flambeur et flamboyant, éditeur du Lolita de Nabokov, de Henry Miller et de William Burroughs, mais aussi de dirty books, créateur du cabaret la Grande Séverine, Maurice Girodias, mort en 1990, avait l’étoffe d’un héros de roman. Il a lui-même brodé sa légende dans son autobiographie, Une journée sur la terre. Aujourd’hui, il est la figure centrale, solaire et magnétique, d’un récit écrit par sa fille, Juliette Kahane, qui a grandi dans l’ombre de ce personnage bigger than life, autoproclamé “Prince of porn” ou encore surnommé “le Lénine de la révolution sexuelle”, don Juan dévoreur de femmes, gargantuesque dans sa démesure, dans sa grandeur comme dans la décadence. Juliette Kahane, auteur de plusieurs romans dont Revivre la bataille, aurait pu intituler ce récit “Mon père”, mais elle a choisi pour titre Une fille. Comme pour rétablir l’équilibre, retrouver sa place face à ce père tout-puissant qu’elle a

Maurice Girodias au cabaret la Grande Séverine, 1961

passé sa vie à écouter sans répondre, opposant à ses fables mirifiques un silence inquiet. A son tour, elle prend la parole et raconte enfin l’histoire, la leur, tourmentée et quasi incestueuse, avec ses propres mots empreints de fascination, d’amour et de honte. Le livre s’ouvre dans les années 60 : Girodias a déserté le foyer familial depuis belle lurette. Juliette, adolescente, vit avec sa mère, sa sœur et sa grand-mère dans un appartement-gynécée encombré par la mélancolie. Avec son père,

en revanche, ce sont les virées arrosées de vodka, les dîners interminables. Ecartelée entre “d’un côté la brillante vie nocturne, les nuits dorées de la Grande Séverine, et de l’autre les jours obscurs du capharnaüm”, Juliette se cherche, s’improvise nymphette façon Lolita ou vierge aventureuse lors d’un road-trip aux Etats-Unis à la manière de Candy, héroïne d’un autre roman édité par son père. La littérature est ce qui la relie à lui. Seule l’écriture pouvait lui permettre d’élucider

le mystère Girodias, cet homme, juif par son père – Jack Kahane, éditeur de Joyce et D.H. Lawrence –, qui renia son nom et publia sous l’Occupation des livres antisémites et pétainistes, cet homme qui fut son père mais qui n’aimait pas qu’elle l’appelle “papa”. C’est chose faite avec Une fille, récit initiatique et cathartique, et surtout portrait en clair-obscur d’un père hors du commun. Elisabeth Philippe Une fille (Editions de l’Olivier), 173 pages, 16,50 €

18/12/14 14:56

de l’art de survivre

 P

auvre Michel Houellebecq. Dans La Carte et le Territoire, il mettait en scène son propre meurtre. Personnage romanesque à part entière, l’écrivain a déjà fait de nombreuses apparitions fictionnelles, dans ses livres mais aussi dans ceux des autres (Arkansas de Pierre Mérot, Vers chez les Blancs de Philippe Djian). Il figure à nouveau en guest-star dans La Permanence des rêves de Christophe Carpentier. Cette fois, il se trouve indirectement mêlé à un assassinat. Son plus grand fan, William Winock, un étudiant américain, poignarde le blogueur qui a révélé les emprunts faits à Wikipédia dans La Carte et le Territoire. Au-delà

Carpentier injecte ses propres obsessions : une approche nihiliste de l’existence et une étrange fascination pour le survivalisme

de ce caméo lunaire, Michel Houellebecq et son œuvre constituent une évidente source d’inspiration pour Christophe Carpentier, tant on retrouve dans son cinquième roman les thèmes qui irriguaient La Carte et le Territoire : l’art contemporain – milieu que l’auteur, également plasticien, connaît bien –, les rapports père-fils, mais aussi la question de l’authenticité. Mais loin d’être dans la simple redite, Carpentier injecte ses propres obsessions, la violence froide qui habitait ses précédents livres, Le Culte de la collision et Chaosmos, une approche nihiliste de l’existence et une étrange fascination pour le survivalisme. De ce télescopage émerge un roman protéiforme, tout en outrances et excès, à la fois horrifique et grotesque, qui donne à voir notre monde sous ses traits les plus monstrueux. En l’occurrence ceux de Thomas Prudhomme, un artiste qui exhibe son corps volontairement mutilé dans

Hélène Bamberger

Un homme-tronc autoproclamé œuvre d’art, un assassin fan de Houellebecq, une secte qui renoue avec la préhistoire… Christophe Carpentier flingue les illusions contemporaines dans un roman à la fois noir et rocambolesque. un hôtel particulier parisien et sur internet, “un homme amputé de ses deux bras, de ses deux jambes, un homme dont les yeux ont été crevés, un homme immobile duquel ne provient aucun son, si ce n’est une respiration calme et régulière, ainsi qu’un sourire figé”. Un personnage à mi-chemin entre le héros blessé de Johnny s’en va-t-en guerre de Donald Trumbo et la créature de Frankenstein, sanglé à la verticale sur une planche de kinésithérapeute comme le Christ sur la croix. Son martyre fait des émules et des centaines d’âmes égarées s’infligent à leur tour d’épouvantables sévices corporels. Pour mettre fin à cette spirale, Humphrey Winock, le père du tueur fan de Houellebecq, a créé une association d’aide aux victimes de Prudhomme et donne des conférences à Princeton dans lesquelles il retrace le parcours de l’homme-tronc, qu’il assimile à un dangereux gourou. Avant d’employer des méthodes plus radicales qui l’entraîneront dans la taïga russe, au sein

d’une étrange secte qui renoue avec les modes de vie préhistoriques. Tour à tour conceptuel (parfois avec de fâcheuses erreurs factuelles, comme la date de la catastrophe de Tchernobyl) et rocambolesque, La Permanence des rêves démembre nos illusions, celles par lesquelles nous pensons pouvoir échapper à un réel toujours plus anxiogène, qu’il s’agisse du retour à la nature et à une vie jugée plus authentique prôné par Thoreau, Brautigan et même La Petite Maison dans la prairie (série très présente dans le livre), ou d’un refuge trompeur dans l’art et l’artifice. Avec Carpentier, point de salut. Elisabeth Philippe La Permanence des rêves (P.O.L), 480 pages, 21 €

84 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 84 SLIV SEQ.indd 84

18/12/14 14:48

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:16

JLG/JLG – Autoportrait de décembre de Jean-Luc Godard (1994)

JLG, ce personnage de roman Jean-Luc Godard est devenu une matière romanesque à part entière. Après Christophe Donner, c’est au tour d’Anne Wiazemsky de (re)mettre le cinéaste en scène.

G  

odard est aujourd’hui un monsieur âgé (84 ans) qui vit en Suisse. Il refuse les interviews et pratique un cinéma artisanal qui lui permet de sortir, tous les trois ou quatre ans, un film presque entièrement conçu de ses mains, à l’écart du système traditionnel. Malgré cela, ou peut-être en vertu de cette réclusion, l’ancienne figure de proue de la Nouvelle Vague incarne une sorte de gourou de notre époque. Qu’il s’agisse de la troublante prophétie de Film Socialisme (2010), tourné sur le Costa Concordia (le paquebot qui a fait naufrage au large de la Toscane), ou de ses saillies dont raffole la presse, Godard cumule les attributs de la pythie et du totem, du fétiche indémodable et du philosophe grognon. Alors pourquoi pas ceux d’un personnage de fiction ? Christophe Donner a ouvert les festivités en septembre avec son impayable

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive (Grasset), fresque polissonne sur le cinéma des seventies. Le réalisateur y faisait quelques apparitions poignantes, régnant tel un dieu sur la planète du septième art. “Godard, c’est l’onction suprême, le saint des saints”, s’écriait un des personnages démenti quelques pages plus loin par un autre, moins impressionné : “Il vous demande d’adhérer à la secte. Les dévots sont des veaux ! Révoltez-vous contre Godard, merde !” Délivré autrement, puisqu’il épouse cette fois le genre autobiographique, le portrait du cinéaste par Anne Wiazemsky, son ancienne compagne, n’en confirme pas moins son formidable potentiel romanesque. Un an après donne suite au récit de leur rencontre dans Une année studieuse, paru en 2012. Centré tout à la fois sur leur couple – celui qu’ils formèrent entre 1967 et 1970 – et les événements de Mai 68,

Un an après aborde ce qu’on a appelé plus tard “les années Mao” de Godard, sur fond de gratin artistique et intellectuel (Mick Jagger, Deleuze, Ferreri…). Soit un célèbre artiste qui, du jour au lendemain, s’emballe pour la cause étudiante, les idées d’extrême gauche et le militantisme politique. Godard rejette alors le cinéma, sauf à lui conférer une aura révolutionnaire – ce qu’il tente de faire, après La Chinoise, ici et là, à Cuba ou avec les Beatles en proposant à Lennon de jouer Trotski (!). Tandis que Wiazemsky, jeune actrice narcissique, de son propre aveu, traverse ces événements en étrangère, Godard prend part aux manifestations, monte sur les barricades, insulte les forces de l’ordre et casse ses lunettes. Il va jusqu’à héberger un étudiant maoïste aux habits crasseux, un certain Jean-Jock, qui hurle toute la journée des chants révolutionnaires. Ce Godard héroïque, radical, qui “ressemblait à un boxeur dans un film noir américain, à un samouraï dans un film japonais”, campe aussi un formidable soupirant, et parfois (souvent) un amant ombrageux : un mari maladivement jaloux. De cajoleries conjugales en flamboyantes scènes de perversion, Godard brille dans ce rôle de terroriste de l’amour, prêt à s’avaler par bravade un tube entier de somnifères. La suite de ses aventures dans Et elles croyaient en Jean-Luc Godard, de Chantal Pelletier (Joëlle Losfeld/Gallimard), à paraître le 29 janvier. Emily Barnett Un an après d’Anne Wiazemsky (Gallimard), 208 pages, 17,90 €

la 4e dimension l’Amérique de Russell Banks L’écrivain est à Paris pour parler de son dernier recueil de nouvelles, Un membre permanent de la famille (Actes Sud), chroniques du quotidien made in USA aux airs de parabole métaphysique. le 13 janvier, 19 h 30, à la Maison de la poésie, Paris IIIe, maisondelapoesieparis.com

Sollers retourne à l’école

la rentrée d’hiver en chiffres Janvier est l’autre temps fort de la vie littéraire, avec 549 romans à paraître en ce début d’année (contre 607 pour la rentrée d’automne), dont 353 titres français. A noter également, la présence de 59 premiers romans, dont 35 écrits par des femmes.

le mal selon William H. Gass Maître des lettres US aujourd’hui âgé de 90 ans, William H. Gass nous revient avec Le Musée de l’inhumanité (Cherche-Midi, 5 février), ample roman traduit par Claro dans lequel un professeur de musique accumule dans son grenier les témoignages de la nature fondamentalement mauvaise de l’homme.

Parution le 29 janvier de L’Ecole du mystère (Gallimard), le nouveau roman de Philippe Sollers, dans le prolongement de son Portrait du joueur publié en 1984. Il y est question d’un inceste entre un frère et une sœur, et au-delà d’une réflexion sur la transgression et sur ce que serait une école idéale, physique et métaphysique.

86 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 86 SLIV SEQ.indd 86

18/12/14 14:49

GAB Pub.indd 1

21/01/14 16:11

Jean-Louis Fernandez

autopsie d’un désordre amoureux Entre mélo et romantisme débridé, assortie d’une pincée d’humour noir, cette version de Platonov, où brille notamment Emmanuelle Devos, est la plus belle réussite du collectif Les Possédés.

 L

e canon du fusil appuyé contre son menton, Platonov n’a jamais été aussi près de se donner la mort. Debout à l’avant-scène, sa position crispée a quelque chose de ridicule – comme si même le tragique lui était refusé. Dans ce geste désespéré d’un homme au bout du rouleau, Rodolphe Dana, qui en plus de diriger cette création collective de la compagnie Les Possédés en interprète aussi le héros principal, concentre le détonant cocktail de gravité et de dérision à l’œuvre dans cette pièce écrite par un jeune auteur de 18 ans. Revenant à Tchekhov dix ans après avoir monté Oncle Vania, Les Possédés rendent compte dans

cette adaptation très réussie de Platonov de l’atmosphère mélodramatique pétrie de contradictions imaginée par le dramaturge en herbe. Disons-le tout net, ils signent là un de leurs meilleurs spectacles. La présence subtile d’Emmanuelle Devos dans le rôle de la générale Anna Petrovna n’est sans doute pas étrangère à ce succès. Cette jeune veuve, objet de tous les fantasmes, se distingue par son absence de préjugés. Emmanuelle Devos lui donne une distinction un peu mystérieuse qui la rend d’autant plus attirante. Pendant féminin de Platonov, quoique en moins dispersé, elle assume son désir et s’affirme en femme libre.

Lui, en revanche, est incapable de choisir, écartelé entre Sacha, son épouse ; Sophia Egorovna, amour de jeunesse mariée avec un autre ; et Anna Petrovna. Le désir court de tous côtés dans ce spectacle agité aux angles saillants. Anna Petrovna est très convoitée. Certains, la sachant criblée de dettes, se proposent même de l’acheter. L’ambiance quasi hallucinée des scènes nocturnes de l’acte II – Platonov à cheval sur la générale y est surpris par le beau-fils de celle-ci, lui-même déguisé en ours – évoque forcément Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Tapi dans l’ombre, Ossip, le voleur, payé pour tuer Platonov, sort tout droit d’une série B fantastique à la Jess Franco.

88 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 88 SCENES.indd 88

18/12/14 15:19

transformisme lyrique Usant avec délectation de multiples métamorphoses vocales, musicales et théâtrales, la Mimi de Guillaume Vincent et Frédéric Verrières explore l’amour sous toutes ses formes. imi, librement inspirée de La Bohème de Giacomo Puccini, n’obéit qu’à une seule injonction, l’amour, et trouve sa traduction scénique évidente dans l’amoncellement de matelas qui recouvrent le plateau. En fond de scène, placé sur une estrade et derrière un rideau miroitant de lumières, l’Ensemble Court-Circuit accompagne les chanteurs et pratique l’art du transformisme musical. Classique contemporain, jazz, music-hall, rock, electro : la pièce passe par toutes les couleurs musicales et entraîne à sa suite les vocalises, roucoulades et autres envolées vocales des chanteurs, aux premiers rangs desquels Camélia Jordana et Judith Fa qui endossent en la doublant la figure de Mimi. Après leur première collaboration sur The Second Woman, le compositeur Frédéric Verrières et le metteur en scène Guillaume Vincent se sont entendus pour malaxer l’opéra de Puccini et en fourbir une vision kaléidoscopique chatoyante, souvent hilarante, qui n’hésite pas à glisser son commentaire sur l’œuvre, entre deux tableaux où l’on verra se succéder des figures insolites, toutes époques confondues, comme autant de variations sur l’amour, sa représentation, ses attentes, ses troubles, ses tourments, son agonie… “J’écris de la musique comme un photographe règle sa focale, indique Frédéric Verrières. Tantôt je ‘fais le point’, c’est-à-dire que je laisse entendre de manière reconnaissable la musique source, tantôt j’évolue jusqu’au flou, jusqu’au délire fantasmagorique, et alors la musique de Puccini est absorbée par ma propre écriture.” Un délire fantasmagorique appuyé par la mise en scène, qui trouve son point d’orgue dans une scène jubilatoire où Caroline Rose, chanteuse et guitariste franco-allemande, tord le cou à l’affectation et au snobisme, arborant un T-shirt orné du tableau de Courbet, L’Origine du monde, qu’elle porte avec dédain, arguant qu’il serait du dernier chic d’opter pour un anus transgenre. Fabienne Arvers

M   Emmanuelle Devos est la générale Anna Petrovna

Plus tard, ce sera une parodie quelque peu déjantée d’Hamlet. Héros célèbre pour son indécision, Platonov, se compare à “une pierre sur la route”. Par certains traits, il rappelle Pietchorine, le personnage du roman de Lermontov, Un héros de notre temps, dont il partage le nihilisme. En slip et veston dans l’appartement de la générale, Rodolphe Dana souligne l’aspect débraillé d’un séducteur adulé mais inconséquent, en rupture avec ses idéaux de jeunesse. A travers lui, c’est la vision sarcastique d’une société étriquée, humaine trop humaine, que donne à voir ce spectacle mené à un train d’enfer. Hugues Le Tanneur Platonov d’Anton Tchekhov, adaptation de Rodolphe Dana et Katja Hunsinger, création collective dirigée par Rodolphe Dana, avec Rodolphe Dana, Emmanuelle Devos, Yves Arnault, Julien Chavrial, David Clavel, Françoise Gazio, Katja Hunsinger, Antoine Kahan, Emilie Lafarge, Nadir Legrand, Christophe Paou, Marie-Hélène Roig, jusqu’au 11 février au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, colline.fr

Mimi, scènes de la vie de bohème musique Frédéric Verrières, livret Bastien Gallet, mise en scène Guillaume Vincent, direction musicale Jean Deroyer. Avec Pauline Courtin, Judith Fa, Christophe Gay, Christian Helmer, Camélia Jordana, Caroline Rose et l’Ensemble Court-Circuit, les 14 et 15 janvier à la Comédie de Reims, le 24 au Forum du Blanc-Mesnil, le 29 et 30 au Parvis de Tarbes, puis en tournée 7.01.2015 les inrockuptibles 89

08 997 88 SCENES.indd 89

18/12/14 15:19

Photo André Morin, courtesy Palais de Tokyo

StéphaneT hidet, Sans titre (Le Refuge), détail, 2007

l’aventure intérieure Le Palais de Tokyo invite à une exposition en intraveineuse, exploration inégale mais souvent captivante de nos intimités corporelles.

C  

ertains se souviennent peut-être de cette série d’animation eighties intitulée Il était une fois… la vie. En particulier de cet épisode fameux dédié au système digestif. Du vieux Maestro dans le rôle de la cellule souche et de ces troufions d’enzymes vêtus de salopettes bleues. C’est à ce type d’infravoyage qu’invite, pour quelques jours encore, le Palais de Tokyo. Une descente en rappel dans le grand “corps-exposition”, pour reprendre la formule de son président Jean de Loisy. Lors de cette équipée sauvage, vous serez tour à tour cobaye et intrus. Vous pénétrerez d’abord dans la dense forêt d’Eva Jospin après vous être laissé tenter (aspirer) par la membrane transparente qui draine les hauteurs ; vous jouerez les archéologues dans l’antre déserté par Peter Buggenhout, les rats de laboratoire dans la cellule à l’aveugle du jeune Moscovite Valia Fetisov, et resterez de marbre face au désastre domestique mis en scène par Reynold Reynolds et le photographe Patrick Jolley. Ailleurs, vous subirez les foudres lumineuses de Berdaguer & Péjus et le déluge anthropocénique de Stéphane Thidet. Vous en ressortirez arasé, convaincu que l’art contemporain est une grande lessiveuse qui, sans doute plus que n’importe quelle discipline artistique,

assigne à ses spectateurs un rôle disproportionné. Vous vous direz sans doute aussi qu’on vous prend (parfois) pour un imbécile, en vous en mettant plein la vue, et en rappelant à votre bon souvenir les parcs d’attraction de votre jeunesse. Mais vous vous souviendrez aussi que l’art de l’entertainment a du bon parfois, qui permet, comme dans une salle de cinéma de s’isoler dans la foule, d’expérimenter en solitaire un travelling collectif. Reste, dans ce parcours du combattant assez inégal, quelques saillies. La visite d’une portion de l’atelier de Mark Manders, tendu de bâches de plastique et piqué de fragments de corps humains grossièrement taillés à la hache mais qui sont en fait coulés dans le bronze. La projection imaginaire et claustrophobe à laquelle invite la pièce d’Abraham Poincheval : l’intérieur d’une carcasse d’ours dans lequel l’artiste fit, au musée de la Chasse et de la Nature à Paris au printemps, un voyage immobile d’une quinzaine de jours. Ou encore ce transfert purement illusionniste offert par l’œuvre à l’économie de Marcius Galan. Qui prouve, s’il le fallait, que les expéditions les plus réussies ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Claire Moulène Inside jusqu’au 11 janvier au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdetokyo.com

90 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 90 EXPOS.indd 90

18/12/14 16:01

c’est dans l’art

ce que disent les people A l’heure où l’incarcération d’une starlette insignifiante inonde les colonnes des journaux plus ou moins cheap, deux artistes, un Norvégien et un Néo-Zélandais, offrent à la Salle de Bains de Lyon une vision universelle de la petite histoire des people dans la presse à scandale. l y a un an, la France Salle de Bains, ce sont le même temps toutes découvrait, effarée, deux artistes, l’un norvégien, sortes d’indices, graffitis son président de la l’autre néo-zélandais, et inscriptions rajoutés à République casqué et qui s’emparent cette fois la main viennent perturber pourchassé par le magazine du monde des célébrités. la lecture. A moins qu’il Closer. Il y a quelques Sur de grandes toiles ne s’agisse d’une stratégie semaines, la star de PVC rose bonbon, Halvor commerciale comme de la téléréalité Nabilla Rønning et Martyn Reynolds une autre pour faire se retrouvait propulsée dans ont transféré les images du lecteur une proie les pages faits divers d’une saturées de la presse plus facile à amadouer ? presse plus scrupuleuse people. Sélectionnées C’est en tout cas ce que pour tentative de meurtre de façon aléatoire dans suggère la commissaire : sur son petit ami. Non mais les kiosques à journaux “A l’instar de certaines offres allô quoi. Du côté de l’art français, ces images a priori commerciales qui proposent contemporain en revanche, très ancrées dans une de personnaliser des objets ça fait belle lurette, depuis histoire locale dessinent de masse par essence le pop art au moins, que les en fait un paysage global standardisés, grâce à des artistes revisitent l’imagerie et un langage universel, accessoires et ornements des tabloïds et le monde “une seule et même histoire divers, les matériaux merveilleux des starlettes. où ce sont toujours les industriels que sont le PVC Récemment, le Californien mêmes récits ou composants et les images de presse Brendan Lynch s’est narratifs sensationnels qui sont ici customisés par emparé, à la galerie Bugada reviennent”, comme nous les dessins.” En 2011, & Cargnel à Paris, de le rappelle la commissaire le duo Halvor Rønning l’histoire et des accessoires de l’exposition Caroline et Martyn Reynolds d’une it-girl bloggeuse Soyez-Petithomme. produisit une expo intitulée de mode et DJ new-yorkaise. Dans ces tableaux Property Porn. Qui relevait Avant finalement d’être suspendus qui dessinent des mêmes stratégies rappelé à l’ordre par le aux murs le chemin de fer d’appropriation d’une service juridique de la jeune idéal d’une gigantesque autre industrie : celle businesswoman, qui exigea machine de presse de la pornographie. C. M. le maquillage des œuvres à scandale, l’utilisation et le retrait de son “label”. récurrente du même Les Nouvelles Nouvelles Au Réfectoire des Nonnes matériau, la toile de PVC Libertés – Accesorios (ça ne s’invente pas), à Lyon, bubblegum, une peau especiales jusqu’au 17 janvier qui accueille actuellement artificielle en quelque sorte, au Réfectoire des Nonnes, ENSBA, Lyon Ier, une exposition “hors permet d’accentuer cette lasalledebains.net les murs” de la très pointue continuité. Sauf que dans

Halvor Rønning & Martyn Reynolds © La Salle de Bains/Aurélie Leplâtre

 I

7.01.2015 les inrockuptibles 91

08 997 90 EXPOS.indd 91

18/12/14 16:01

Baudelaire contrôlé positif Le cinéaste Jérôme de Missolz explore dans un documentaire la place des drogues dans le processus de création aux XIXe et XXe siècles. Opium, LSD ou héroïne y dessinent les chapitres d’une épopée artistique sous influences.

 U

ne partie de l’art aurait été fortement influencée par la prise de drogues. Opium et haschich pour certains grands écrivains du XIXe siècle ; héroïne, cocaïne et LSD chez leurs collègues et un grand nombre de musiciens (de jazz et rock) du XXe. Telles sont les données principales de cette enquête chronologique de Jérôme de Missolz, cinéaste remarqué pour ses documentaires riches et vivants sur le rock. L’ambiance surréelle de cette exploration en deux parties doit beaucoup au montage quasi organique auquel s’est livré le réalisateur à partir d’une myriade de documents d’archives (et de certains plans tournés spécialement). Comme le générique kaléidoscopique l’annonce clairement, il s’agit de jouer sur la perception du spectateur en lui conférant des sensations approchant ce que pouvaient ressentir les artistes dont les créations délirantes, lyriques ou paranoïaques, ont fleuri dans le cadre de paradis artificiels. Images pulsées, extraits de films, plans expérimentaux, photos, tableaux sont mis à contribution pour

restituer la folie et le vertige qui avaient gagné une strate de la création occidentale après l’importation de certains stupéfiants orientaux comme l’opium et le haschich. Une période qui a duré à peu près cent soixante-dix ans (1810-1980) et dont le coup d’envoi aurait été donné dans une villa suisse où, durant le froid été de 1816, le poète Lord Byron reçut des invités avec lesquels il initia deux grands mythes littéraires. Sous l’influence du laudanum (dérivé de l’opium), ils écrivirent deux histoires fantastiques dont on connaît la postérité : Le Vampire (Lord Byron et John Polidori) et Frankenstein (Mary Shelley). Quelques décennies plus tard, en France, Théophile Gautier et d’autres célèbres romanciers fonderont le Club des Haschichins, où l’on consommait du dawamesk (genre de loukoum au haschich). La drogue infusera les visions de Baudelaire ou de Rimbaud – lequel n’y a peut-être jamais touché, explique pourtant un historien dans ce documentaire – et de plusieurs autres de leurs pairs (Cocteau, Artaud, Char) jusqu’au mitan du XXe siècle. Cet aspect étant corroboré dans le documentaire

92 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 92 SMEDIAS OUV.indd 92

18/12/14 14:57

Fritz the Cat de Ralph Bakshi (1972) ; Bigorno fume l’opium de Romeo Bosetti (1914)

par de doctes universitaires, dont les interventions entrecoupent le flux de la tapisserie psychédélique de de Missolz. La raison de cet attrait pour les drogues et les rêveries qu’elles induisent est un prolongement de celui pour l’exotisme et l’orientalisme. Les artistes occidentaux aspirent à un ailleurs que le voyage ne leur fournit pas toujours. D’où le sous-titre de la première partie : “La quête d’un autre monde”. Au moment où la société occidentale amorce son grand virage industriel, certains artistes chercheront coûte que coûte à échapper à cet implacable rationalisme. L’opium et le haschich seront les vecteurs de cette fuite. Une phase qui culminera de façon éclatante en peinture, avec une folle décadence ornementale dont l’un des sommets sera l’œuvre de Gustave Moreau (1826-1898), précurseur du psychédélisme. Quoique rien dans le film, dont une partie est tournée dans son étonnant muséeatelier, ne dise que Moreau consomma un quelconque stupéfiant. C’est un peu là où le bât blesse. Si le rôle de la drogue dans certaines œuvres d’art est évident, cela ne suffit pas à expliquer toutes les visions délirantes et tous les excès. Curieusement, dans ce documentaire, on n’aborde jamais l’importance de l’alcool, autre psychotrope notoire, dans la création. On cite même l’intérêt d’Edgar Poe pour la drogue sans évoquer son addiction plus

des auteurs comme Burroughs et René Char ont passé le relais à des jazzmen, qui à leur tour ont influencé le rock

connue à la boisson. Par ailleurs, il existe des inventeurs d’univers complètement allumés qui semblent n’avoir jamais recouru à des substances spéciales pour créer. Exemple : H. P. Lovecraft, non cité dans le film, dont certaines pages démentes ressemblent à des hallus sous champignons. Après les années 70, la drogue disparaît du champ littéraire. Des auteurs comme William S. Burroughs et René Char ont passé le relais à des jazzmen, qui à leur tour ont influencé le rock. Lancé par des écrivains postbeatniks (Ken Kesey, Timothy Leary), le psychédélisme sera popularisé par des groupes hippies (cf. Grateful Dead), adeptes d’un nouvel hallucinogène mis au point dans les 50’s : le LSD. Après les volutes de l’acide viendra la noirceur cotonneuse de l’héroïne et la défonce suicidaire (incarnée par le Velvet Underground, groupe antihippie). Mais Jérôme de Missolz ne s’en tient pas strictement au rock. Il n’oublie pas le cinéma, qui a parfois évoqué avec une puissance insensée la spirale de la came. Notamment Darren Aronofsky, dans l’effrayant Requiem for a Dream (2000), irrémédiable plongée dans l’enfer de l’héro et ses conséquences destructrices. Ce film et d’autres très imagés comme Las Vegas Parano ou Trainspotting représentent-ils la queue de la comète psychédélique ? En tout cas, bien que les drogues soient plus banalisées aujourd’hui que jamais (quoique les opiacés perdent du terrain), leur influence sur les arts est moins flagrante. Les paradis artificiels sont-ils définitivement devenus ringards ? Vincent Ostria Drogues et création – Une histoire des paradis artificiels documentaire de Jérôme de Missolz. Mercredi 7, 22 h 25, Arte 7.01.2015 les inrockuptibles 93

08 997 92 SMEDIAS OUV.indd 93

18/12/14 14:57

Pierre-Olivier/Capa Pictures/Europe 1

la voltigeuse de l’info L’environnement, la politique ou le sport sont au menu dominical de Bérengère Bonte. Rigoureuse et éclectique, la journaliste est devenue l’un des atouts d’Europe 1.

C  

ertaines journées de Bérengère Bonte ressemblent à des exercices de haute voltige : le matin, plongée dans The Guardian et El País ; le soir, débat sur la Ligue 1 de football avec Guy Roux et un aréopage de journalistes sportifs. Entrée il y a vingt ans à Europe 1, où elle a notamment présenté le journal de 8 heures, elle anime chaque dimanche la Revue de presse internationale (6 h 40)… et Europe 1 Sport – Le club (20 h-23 h). Sans compter quelques sujets pour l’émission de grands reportages Carnets du monde (le samedi, 14 h-16 h). Tout en gardant un œil sur ce qui a été sa spécialité : l’environnement. En 2010, Bérengère Bonte a publié la seule biographie de Nicolas Hulot, Sain Nicolas (Editions du Moment). Et regrette parfois le regard de certains confrères sur ce domaine : “Soit on le traite peu, soit on considère que les journalistes qui s’y intéressent sont des militants. Ce qui est faux.” Jeune quadra enthousiaste, elle a tout l’attirail du journalisme à l’ancienne : solide culture littéraire, curiosité à 360°, bosseuse passionnée… et tête de mule à ses heures. Discrètement, elle est devenue l’une des valeurs sûres d’Europe 1 (elle n’a aucun lien avec une grande figure de cette

radio, Pierre Bonte). Depuis la rentrée 2013, elle est la première femme à animer une émission de sport à une heure de grande écoute. Et ça s’entend : ici, pas de chauvinisme rance, ni de machisme beauf. Le mot d’ordre : ouverture. “Régulièrement, des invités nous rejoignent, pour avoir un autre regard sur le sport : quand Richard Bohringer ou le juge Gilbert Thiel participent à la discussion, ça devient passionnant.” L’émission n’aborde pas que le foot. Bérengère Bonte est une passionnée du Tour de France. Qu’elle a couvert pour Europe 1 à huit reprises. “J’ai grandi à Roubaix et, comme tout le monde, j’allais voir passer avec fascination les coureurs du Paris-Roubaix sur les pavés.” Joueuse de tennis, elle a suivi quelques tournois internationaux. Et s’est distinguée en réalisant pendant le dernier Roland-Garros un remarquable entretien

“quand Richard Bohringer ou le juge Gilbert Thiel participent à une discussion sur le sport, ça devient passionnant” Bérengère Bonte

avec Andre Agassi. Il lui a avoué tout l e mal que le tennis professionnel avait fait, à lui et à d’autres, en poussant l’esprit de compétition à l’extrême. “Le sport détruit beaucoup de vies”, lui confia-t-il. Bérengère Bonte a cette capacité, pas si commune, de faire parler ses interlocuteurs, d’aller là où d’autres ne vont guère. En 2011, elle a publié Dans le secret du Conseil des ministres (Editions du Moment), une enquête fouillée qui révélait des scènes inédites, étalées sur plus de quarante ans, grâce à un minutieux travail d’archiviste et à de nombreux entretiens avec d’anciens ministres, premiers d’entre eux ou non. Mais une autre passion la taraude : le théâtre. Elle a réussi l’été dernier le concours d’entrée au cours Florent et à celui de la Cartoucherie de Vincennes. Mais n’a pu suivre ces cours… pour cause d’emploi du temps trop chargé. En attendant, elle prépare une nouvelle enquête. Sujet top secret. “Mon éditeur est un peu parano”, s’excuse-t-elle. Martin Brésis Revue de presse internationale chaque dimanche à 6 h 40 Europe 1 Sport – Le club chaque dimanche à 20 h

94 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 94 SMEDIAS.indd 94

18/12/14 15:02

GAB Pub.indd 1

18/12/14 09:28

avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 95 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com)

Viejo, solo y puto 1984 -1999. La Décennie

du 8 au 29 janvier au Théâtre de la Commune, à Aubervilliers (93)

jusqu’au 2 mars au Centre Pompidou- Metz (57)

scènes Dans l’arrière-boutique d’une pharmacie de garde, aux confins de la banlieue de Buenos Aires, s’improvise une fête à huis clos. David, tout fraîchement diplômé, trinque à l’achèvement de dix laborieuses années d’études dans l’officine qu’il veut reprendre en main. Mais Evaristo, aux antipodes de la normalité qu’affiche son petit frère, a depuis longtemps développé une économie parallèle : avec Claudio – prétendu “représentant médical” aux allures de maquereau –, ils fournissent Yulia et Sandra, leurs deux amies travesties, en amphétamines.  à gagner : 5 × 2 places pour la représentation du 13 janvier à 19 h 30

expos

Dernière décennie d’un siècle et d’un millénaire, les années 1990 s’ouvrent sur un temps de crise des institutions et des idéologies. L’exposition revient sur l’esprit de cette époque, ses fondements, sa beauté. à gagner : 25 × 2 entrées

The Haunting Melody (La Mélodie fantôme) du 22 janvier au 14 février au Nouveau Théâtre de Montreuil (93)

scènes The Haunting Melody traque, au cœur d’un studio d’enregistrement, les musiques et les bruits qui nous hantent. Tendez l’oreille, voici un spectacle qui peut transformer votre façon d’écouter… places à gagner sur le site du Club inRocKs

Rhapsodie démente scènes Nourri du travail de terrain en différentes résidences, de fragments de réel partagés avec les habitants, Rhapsodie démente est animée d’un flux de visions et de mémoires, celles du crépuscule de nos jours.  places à gagner sur le site du Club inRocKs

Paul Poncet

du 21 au 23 janvier au Théâtre de Hautepierre, à Strasbourg (67)

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés Caravaggio joue “L’amour est un crime parfait” le 18 janvier à l’auditorium du Louvre, Paris Ier

cinémas / musiques

Le groupe Caravaggio a collaboré avec les frères Larrieu pour composer la musique de L’amour est un crime parfait (2014) – thriller fantasmagorique réalisé d’après le roman Incidences de Philippe Djian. Ensemble, ils prolongent l’aventure sur scène en proposant une expérience musicale et cinématographique aussi inédite que passionnante.  à gagner : 5 × 2 places

08 997 Club Inrocks.indd 96

munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez avant le 11 janvier sur 

http://special. lesinrocks.com/club

18/12/14 15:07

13 Productions/Canto Bros/Canal+

fortes têtes A travers dix portraits de joueurs d’exception, engagés dans des combats politiques, la série documentaire Les Rebelles du foot déplace le curseur de l’histoire du ballon rond. tre un homme, c’est autant aux joueurs qu’aux dirigeants. bien plus important que d’être Le foot devenait ainsi le laboratoire un champion”, prévient d’un ordre politique à réinventer. d’emblée, et sans rire, Le slogan “Vaincre ou perdre, Eric Cantona. Si pour le King Eric, avec toujours la démocratie” fit le foot doit faire rêver les foules, de Socrates un héros adulé par tout il doit aussi réveiller les consciences. le pays. Lula, futur président C’est ce fil que tirent Gilles Perez du Brésil, fut associé de près à cette et Gilles Rof dans leur série démocratie parallèle. Gilles Rof documentaire Les Rebelles du foot, et Gilles Perez complèteront cette déjà diffusée sur Arte en juillet histoire du foot brésilien avec 2012, mais ici enrichie de cinq le portrait d’Afonsinho, pionnier autres figures du foot révolté. dans la conquête des droits Si Sócrates, Carlos Caszely, Didier des athlètes au début Drogba, Rachid Mekhloufi, Predrag des années 70. Paši´ c, Afonsinho, mais aussi En Italie aussi, des joueurs Cristiano Lucarelli, Saturnino subversifs ont imprimé quelques Navazo, Thaljieh Honey et Claudio pages discrètes de leur sport Tamburrini furent des rebelles du national. Les auteurs s’attardent foot, c’est parce qu’ils témoignèrent dans le premier volet de la série sur tous d’un surmoi révolté au-delà de Cristiano Lucarelli, qui, outre qu’il leur maniement maîtrisé du ballon. fut meilleur buteur du championnat Ces dix histoires témoignent italien en 2005, mit surtout à chaque fois d’une conscience son engagement communiste humaine qui excède les intérêts au-dessus de ses propres intérêts sportifs ou financiers. Si tous furent sportifs et de sa stratégie de des joueurs admirables, ils furent carrière. Plutôt que de s’enrichir surtout des citoyens engagés facilement en signant dans des dans des combats politiques élargis. clubs prestigieux, Lucarelli est L’épopée du classieux Sócrates, resté fidèle au petit club de sa ville dont le nom lui-même souligne de Livourne. Opposé à Berlusconi l’immense sagesse, incarne cette et à sa politique, ses valeurs puissance d’engagement du foot éthiques ont pris le pas sur ses pour les valeurs démocratiques. tentations financières. Le modèle Au début des années 80, alors que d’un ethos sportif et politique sévit la dictature militaire au Brésil, que tous ces rebelles incarnent le “docteur” aux jambes d’antilope de multiples façons, habités par et aux pieds agiles, décédé en une conviction commune : un ballon décembre 2011, anima avec des n’est d’or que lorsqu’il rebondit sociologues et ses coéquipiers du sur le terrain des vertus politiques. Jean-Marie Durand club des Corinthians de São Paulo une expérience autogestionnaire, connue sous le nom de “démocratie Les Rebelles du foot corinthiane” : chaque décision série documentaire, à partir du 12 janvier, Canal+ Sport engageant le club appartenait

E

les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin, 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 lesinrocks.com mail [email protected] ou [email protected] abonnements société Everial tél. 01 44 84 80 34 cppap 1216 c 85912 dépôt légal 1er trimestre 2015 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général et directeur de la publication Frédéric Roblot rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Géraldine Sarratia rédacteurs en chef adjoints Anne Laffeter, David Doucet, Jean-Marie Durand secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot actu rédacteurs Diane Lisarelli, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Marie Turcan style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu, Azzedine Fall reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net Jean-Marie Durand lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistant Thomas Hong secrétariat de rédaction chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin, François-Luc Doyez première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Olivier Mialet, Vincent Richard maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Nicolas Jan photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny collaborateurs E. Barnett, D. Balicki, M. Brésis, R. Blondeau, M. Carton, Coco, D. Commeillas, M. Delcourt, B. Deruisseau, J. Goldberg, O. Joyard, E. Higuinen, J. Lavrador, H. Le Tanneur, H. Lucien, P. Morais, Y. Perreau, E. Philippe, T. Ribeton, P. Swirc publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, tv) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 traffic manager Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Polyka Srey tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand projet web et mobile Sébastien Hochart responsable du système informatique éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistant marketing direct Philippe Locteau tél. 01 42 44 16 62 contact agence Destination Média – Didier Devillers et Cédric Vernier tél. 01 56 82 12 00, [email protected] fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” abonnement Les Inrockuptibles B1302 60643 Chantilly Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski © les inrockuptibles 2015 tous droits de reproduction réservés. 7.01.2015 les inrockuptibles 97

08 997 97 SMEDIAS PROG.indd 97

05/01/15 15:40

Marc Desgrandchamps par Renaud Monfourny

L’œuvre gravée de Marc Desgrandchamps est présentée jusqu’au 30 janvier à l’Atelier Michael Woolworth, Paris XIe. Intitulée Les Aventures extraordinaires de Monsieur Pline, l’exposition regroupe le livre d’artiste Fragments (quinze chromolithographies en regard de quinze extraits du livre XXXV de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien) et des lithographies de très grand format (160 × 120 cm), wichaelwoolworth.com

98 les inrockuptibles 7.01.2015

08 997 98 CARTE.indd 98

18/12/14 15:04

GAB Pub.indd 1

18/12/14 09:27

GAB Pub.indd 1

17/12/14 10:21