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No.960 du 23 au 29 avril 2014

www.lesinrocks.com

la folie tattoo du bagne au musée

M 01154 - 960 - F: 3,50 €

Pixies

l’album inespéré

Jesse Eisenberg et Dakota Fanning en vert et contre tous

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

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chers Sophie Marceau et Francis Huster par Christophe Conte

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rente ans que j’attendais ça. Trente putain d’années, longues comme l’agonie de Bouteflika ou le procès Agnelet, à désespérer de voir arriver ce moment d’allégresse : la reformation du couple mythique de L’Amour braque, incommensurable nanar hustero-éthylique, avec Marceau de bravoure tête-à-gifles, signé Andrzej Zulawski. Et puis voilà, ce que les producteurs de cinéma, pas complètement sadiques ni tout à fait masochistes, nous ont épargné pendant toutes ces années, c’est l’actualité du bla-bla permanent qui aura consenti à nous l’offrir. La même semaine à quelques jours d’intervalle,

l’un et l’autre avez eu ainsi la grande idée d’ouvrir vos clapets pour déposer, tels des œufs de Pâques, vos éclairages tellement puissants dans le jardin de nos mornes incertitudes. Commençons par toi, Francis, jadis présenté comme un Gérard Philipe low cost, qui désormais vire Jean-Claude Van Damme, sans les stéroïdes ni l’humour belge (quoique). Dans le JT de Delahousse, un dimanche soir où l’Ukraine n’avait jamais été si proche du chaos, tu t’invitas toi-même à donner des conseils en géopolitique et à interpeller, n’ayons peur de rien et surtout pas du ridicule, Barack Obama. “Il doit être patron du monde, t’emportais-tu, parce que si

les Etats-Unis n’ont pas un patron, le monde tremble ! Des milliers de morts ! Est-ce qu’il aime vraiment (ce monde) ? Je pense à tous ceux qui sont morts !” Tu pensais sans doute à nous qui étions, à ce moment-là, morts de rire, d’autant que tu venais de mixer dans une espèce de gloubi-boulga hallucinogène Manuel Valls, Hollande, Didier Deschamps et Poutine ! Bon, je veux pas te faire de la peine, mais Barack ne regardait pas France 2 ce soir-là, faudra songer à doubler ta requête par mail. En copie à Vladimir, ok ? Mais fort heureusement, alors que la palme d’or de la connerie outrecuidante semblait promise à tes grosses chevilles, ta partenaire d’antan vint te sauver la face avec une interview pour GQ. L’électrice énamourée de Nicolas Sarkozy avait deux mots à dire à son successeur, à propos de ses incartades conjugales avec une concurrente de casting : “Tromper sa femme pendant un an et demi alors qu’on est président de la République !, s’insurgeait Vic de La Boum. C’est cinq ans, un mandat ! On ne lui demande pas d’être abstinent non plus, mais je me dis qu’il peut mettre ça un peu de côté.” Qualifiant l’adultérin Président de “goujat” et de “lâche”, pour qu’on lui adresse en retour un brevet de féminisme qu’elle ferait bien de conquérir ailleurs que dans Closer, l’actrice préférée des Chinois nous gratifiait ainsi de leçons de morale, oubliant que “l’abstinence” devrait aussi s’appliquer à la parole des people dont tout le monde se fout. Je vous embrasse pas mais vous faites toujours un joli couple. Billets durs, la suite – Je t’embrasse (toujours) pas (Robert Laffont), 304 pages, 18,50 €

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billet dur édito debrief recommandé interview express Pio Marmaï enquête les députés socialistes face à Manuel Valls : l’épreuve de force

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le monde à l’envers histoire 2 la courbe la loupe démontage futurama nouvelle tête Brie Larson style food

36 46 Larry Busacca/Getty Images/AFP

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Rémy Artiges pour Les Inrockuptibles

No.960 du 23 au 29 avril 2014 couverture photo Alex Brunet

36 tattoo pour tous marqueur social par excellence, longtemps réservé aux marginaux, le tatouage est devenu mainstream et entre même au musée

46 Jesse Eisenberg et Dakota Fanning entretien avec les deux acteurs, partenaires dans Night Moves de Kelly Reichardt

52 la Parisienne : un mythe éditorial

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les guides pour devenir une “femme française” pullulent. Enquête ils n’avaient pas fait d’album depuis vingt ans. Rencontre à Houston avec le groupe mythique

Jay Blakesberg

54 Pixies, retour gagnant

58 Oliver Sieber, portfolio le photographe allemand tire le portrait d’une jeunesse underground

cinémas Dans la cour, Night Moves… musiques EMA, Luzmila Carpio… livres Isaac Rosa, Judith Butler… scènes Le Misanthrope, La Meute expos Neïl Beloufa et David Douard… médias Chrystelle André, voix de Tracks…

Ce numéro comporte un encart “Montreux Jazz Festival” de 8 pages jeté dans l’édition France, l’édition Suisse et Belgique ; un encart “Les Nuits 2014” de 8 pages jeté dans l’édition abonnés Paris-IDF, 59, 62 et Belgique ; un supplément de 52 pages “Lieux publics” jeté dans l’édition abonnés Paris-IDF + PACA et une sélection d’abonnés.

58 Reita (Kayleigh). Köln, 2007, par Oliver Sieber

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L’événement le plus réjouissant de la sélection officielle du 67e Festival de Cannes, en attendant évidemment de la juger sur pièces, c’est le retour de Jean-Luc Godard en compétition avec Adieu au langage, 1 h 10 en 3D. Comme si Cannes avait de nouveau besoin de Godard, alors que depuis son dernier film en compétition (Eloge de l’amour, en 2001, accueil mitigé), il était plutôt devenu une sorte de vieil objet encombrant, traité avec la politesse due à son rang, certes, mais sans passion excessive. C’est ainsi que Notre musique (2004) et Film Socialisme (2010) avaient été expédiés hors compétition ou à Un certain regard, ce qui n’est pas du tout infamant mais quand même un peu bizarre. Que faire de Picasso, dès lors qu’il s’obstine à continuer de peindre ? De Godard, tout le monde aime de plus en plus A bout de souffle, Le Mépris et Pierrot le Fou, et c’est déjà ça, évidemment. Mais cette excessive fétichisation sixties progresse en même temps qu’une durable désaffection du public – même éclairé : cela fait tout de même une petite trentaine d’années que ses films ne marchent plus dans les salles, chacun faisant moins d’entrées que le précédent. Il en souffre terriblement : “Je gagne ma vie avec des films qui ne marchent pas (…). On n’est que des images, et je représente quelque chose. (…) Je représente encore le cinématographe, mais les gens ne voient pas, ou plus, mes films, alors que je ne suis que le serviteur de mon œuvre. Ça me fait mal, j’en suis responsable, hélas pour moi” (à Bernard Pivot, Bouillon de culture, le 10 septembre 1993). Or, depuis une dizaine d’années, des audiences de plus en plus confidentielles et le formidable écho d’Histoire(s) du cinéma s’amenuisant, Godard, ce nom qui a fini par masquer l’œuvre pléthorique d’un chercheur perpétuellement intranquille, n’était peut-être même plus

Renaud Monfourny

For Ever Godard synonyme de “cinéma”. Du coup, au moment de Film Socialisme, en pleine tempête des dettes souveraines, JLG avait drôlement prétexté “un problème de type grec” pour ne pas se rendre au Festival de Cannes, sans doute lassé d’amuser la galerie le temps d’une conférence de presse, alors que son film serait accueilli dans une indifférence glaciale, sur l’air connu du “pourquoi se fatiguer à comprendre ?”. Résultat : le film avait été encore un peu plus passé sous silence que d’habitude. Quatre ans plus tard, l’astucieuse décision de Thierry Frémaux remet soudain Godard au centre du jeu : son nom représente à nouveau le cinéma et tout le monde s’excite. Joli coup et juste retour des choses. Cette fois, les journalistes du monde entier se sentiront au moins obligés d’aller voir un objet qui s’annonce très incommode et assez éloigné d’A bout de souffle, encore que… et d’en dire quelque chose, peut-être du mal, mais encore ? Et puis les membres du jury international présidé par Jane Campion le verront aussi, obligés. Et ça leur fera sûrement beaucoup de bien, à eux aussi, ça les aidera à mesurer le chemin parcouru depuis Le Mépris et ils sauront alors où est leur devoir, n’en doutons pas. Au fait, chère Jane, amis jurés, pendant que j’y pense, juste une petite précision quand même : le genre “prix de la meilleure contribution artistique”, c’est le goudron et les plumes direct, on se comprend ? Visez gros, pensez Palme. Et puis ce serait bien qu’il vienne, JLG, et même qu’il soit content d’être là, une fois n’est pas coutume. Parce que ça fait quand même très longtemps que ses films, pas son nom, nous aident à vivre. Et nous sommes bien plus nombreux qu’il le croit… lire aussi la sélection cannoise p. 71

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foirer ses rencontres grâce aux inRocKs La semaine dernière, des porcs chinois, une timidité qui crétinise, des extraterrestres sympathiques, de la gestion d’émotions, des dizaines de masques et une palette.

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on cher Inrocks, “les animaux sont amusants à filmer, particulièrement les porcs”, explique le documentariste Wang Bing. Qu’il me filme si ça l’amuse : je viens de télécharger Tinder sur mon portable. “Une appli pour pécho”, dit-on. Des centaines de photos défilent. Grouik. Je trie. D’un mouvement de doigt vers la gauche, je jette mécaniquement les âmes pas baisables, c’est le jeu. Au suivant ! Vers la droite, je sélectionne les corps envisageables. Pas de mauvaise conscience qui vaille : tout le monde fait pareil. Grouik, on clique ; grouik, on tchate ; grouik, on renifle ; et grouik on nique. En principe. Cinq cents “nope”, trois cents “liked” et quelques messages plus tard, j’ai rendez-vous avec une jeune femme, une extraterrestre peut-être, “appelons-là Xftgfrzd, par commodité”. J’arrive à la terrasse dégueu du café moche dans lequel nous avons rendez-vous. A quoi s’attendre ? “L’hypothèse, si ce n’est la plus plausible, en tout cas la plus désirable, c’est une (Xftgfrzd) sympathique, pacifique, qui (me) prenne par le bras pour (me) faire visiter” sa planète, son quartier, son appart, son lit. J’aurais pas dû arriver en avance. Ça commence à tourner dans ma tête. Cacophonie : “Barre-toi tout de suite, Alex, ça sent le guet-apens ! La ferme, Alex, respire un bon coup, sois drôle et yallah ! Mais est-ce que ça en vaut la peine, Alex ? Esthétique foireuse, rencontre douteuse, c’est pas à toi que je vais l’apprendre. Mauvaise excuse, Alex !” Je pense alors à ce que dit Miossec : “Ma timidité fait de moi un bon crétin, j’aime gâcher les soirées.” Alors, ne gâche pas la soirée, et botte le cul de ta timidité. Mais surgit Alex, en mode Aimé Jacquet : calmos les gars. On est comme le groupe Détroit : “Il se peut qu’on ait du mal à gérer nos émotions. Et ça, c’est la fragilité. La force, c’est de se retrouver sur scène tous ensemble, solidaires, les pieds sur terre.” Je me rassemble. Je suis prêt. “Bonjour” : Xftgfrzd vient d’arriver. “Bonfrouplfff” répond Alex, tandis qu’Alex renverse sa bière sur la chemise d’Alex qui, se redressant d’un bond, balance la table sur Xftgfrzd, désormais à terre. “Bonjplapfrr” re-tente Alex, alors qu’Alex, lui, panique. “Attends, j’ai un double appel.” Alex, Alex et les autres jettent un billet sur la table, partent en courant. Et merde. Comme Judah Warsky, “tout me fait chieeeeeeer” : cette application affreuse, cette timidité maladive, ces doubles aussi désaccordés qu’Alex Lutz maîtrise ses “dizaines de masques insensés”, “Catherine dit tout” et moi j’ai été incapable d’articuler le moindre bonjour à Xftgfrzd. L’idée de ce rendez-vous, c’était de revenir dans le monde et, comme Eels lorsqu’il écrit ou compose, de “fausser compagnie à la mélancolie”. Caramba, encore raté ! J’ai beau tout essayer, le naufrage est sans cesse au rendez-vous. Comme disait Damon Albarn la semaine précédente : “La palette change, mais le peintre reste le même.” “Fait chieeeeeeer.” Alexandre Gamelin

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une semaine bien remplie Jouer à la guerre avec la belle revue Pulp, (re)découvrir l’œuvre cérébrale de Lucio Fontana, partager des heures indues avec Etienne Daho à la radio, retrouver les doubles de l’héroïne d’Orphan Black, et lire un livre en papier sur les réseaux mondiaux.

aux armes Pulp n° 2 Revue thématique trimestrielle dédiée à l’image, Pulp sort son deuxième numéro, consacré à la guerre et aux conflits en tout genre. A travers des articles clairs et remarquablement illustrés, il décortique l’iconographie de la propagande et de l’armée, décrypte l’histoire de la kalachnikov, s’intéresse aux visions de la guerre dans les jeux vidéo, la téléréalité… En bonus, un fac-similé du livret distribué aux GI en 1945 pour qu’ils ne fassent pas d’impair en arrivant en France.

spaziale Lucio Fontana De lui, on connaît surtout les iconiques toiles fendues qui ont permis à la peinture d’accéder à l’abstraction. Mais Lucio Fontana, disparu en 1968 en laissant derrière lui un riche héritage qui marqua toute une génération d’artistes, dont Yves Klein, était aussi un génial touche-à-tout aussi passionné par l’art le plus cérébral que par le kitsch et les dernières expérimentations technologiques. Une œuvre complète et complexe à (re)découvrir. exposition Rétrospective du 25 avril au 24 août au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, mam.paris.fr

Concetto spaziale, Attese (Concept spatial, Attentes), 1966 © Lucio Fontana/SIAE/ADAGP, Paris 2014

revue en librairie le 25 avril, 128 pages, 16 €

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notte pop une nuit avec Etienne Daho Curiosité illimitée, goût des autres, Etienne Daho se transforme en rédac chef le temps d’une émission spéciale sur Europe 1, qui lui confie les clés des studios. A travers trois plateaux successifs, consacrés à la musique, aux arts et au cinéma, Daho reçoit une élégante brochette d’invités, parmi lesquels Dominique A, Frànçois & The Atlas Mountains, Angelin Preljocaj, Frédéric Pajak ou encore Jeanne Moreau et Jacques Audiard pour une conversation inédite. Daho jouera aussi pour l’occasion quelques chansons, dont Le Grand Sommeil en duo avec Lescop. Une soirée d’esthètes pop.

Richard Dumas

radio le 24 avril à partir de 21 heures sur Europe 1

interwebs Smart – Enquête sur les internets

C’était l’une des révélations série de 2013, Tatiana Maslany est de retour dans la deuxième saison d’Orphan Black. Bluffante, elle y joue à la fois une femme au foyer tenace, une geekette attachante, et surtout Sarah Manning, jeune femme élevée dans la rue qui se découvre subitement une multitude de clones. D’où viennent-ils ? D’où vient-elle ? Et pourquoi quelqu’un s’évertue-t-il à éliminer tous ses avatars ? Les réponses (du moins certaines) dans la suite de la série américano-canadienne.

Après son enquête sur le paysage des industries culturelles mondialisées, Mainstream, Frédéric Martel s’attelle à l’économie d’internet. Au fil de ses explorations à travers le monde, il dresse un état des lieux des modes de consommation fragmentés d’internet et des réseaux sociaux. Moins globalisé qu’ancré dans un territoire et dans un type d’usage, internet ne dissout ni les identités culturelles, ni les frontières géographiques : il les consacre. Une importante enquête de terrain qui éclaire les visages dispersés de la révolution numérique en cours.

série tous les samedis sur BBC America, bbcamerica.com/orphan-black

essai de Frédéric Martel (Stock), 408 pages, 22 €

clone-moi si tu peux Orphan Black saison 2

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“j’ai eu une passion pour Ace Of Base” Héros du dernier film de Pierre Salvadori, Dans la cour, le comédien Pio Marmaï fabrique aussi des motos, sérigraphie des T-shirts, est producteur de punk hardcore, metteur en scène et accordéoniste.

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ans le film de Pierre Salvadori, Dans la cour, vous vendez de la drogue. Comme dans Alyah d’Elie Wajeman (2012). Vous pensez avoir une tête de dealer ? Pio Marmaï – Ben on dirait, oui… (rires) Mais les substances sont différentes. Dans Alyah, c’était de la cocaïne ; dans Dans la cour, c’est de l’héro. Les effets ne sont pas les mêmes ! Et puis ce sont deux styles de dealers différents. Celui de Dans la cour est plus comique. Ça m’a permis de changer un peu de registre. Je ne pense pas être fondamentalement torturé. Mais je suis souvent casté pour des personnages très sombres, en souffrance. Ça doit être un truc physique… Je sais qu’il suffit que je ne sourie pas pour qu’on ait l’impression que je vais tuer quelqu’un. (rires) Dans Dans la cour, vous jouez avec Gustave Kervern. Ça a bien matché entre vous ? On s’est bien ajustés l’un à l’autre, je crois. En général, quand on demande à quelqu’un comment ça s’est passé avec Gustave Kervern, la réponse est souvent : “On s’est rencontrés dans une fête, on était chargés comme des rats…” (rires) Mais là, pas du tout ! Il n’a pas bu une goutte d’alcool pendant tout le tournage. Moi en revanche, je n’avais pas du tout arrêté, alors comme personnage, je jouais le tentateur, je lui disais : “Allez, on prend une petite bière.” Mais non, il tenait. Depuis un an, vous avez enchaîné cinq films. Vous n’arrêtez pas… C’est vrai. En plus, j’ai un autre métier… Ah bon ! Vous faites quoi ? Je fabrique des motos. Des choppers sur mesure pour des clients. Je fais de la soudure, de la ferronnerie, de la carrosserie… J’ai un atelier à Aubervilliers.

Vous êtes chef d’entreprise, alors ? Oh, c’est une microentreprise. On est six ou sept. On fait de la sérigraphie aussi, sur des T-shirts artisanaux ou pour de l’affichage. C’est plutôt un pôle créatif, avec un collectif. Le fait de faire du cinéma m’a permis d’acheter cet espace et de le mettre à disposition. J’ai pas mal fréquenté l’univers des bikers depuis l’âge de 20 ans. J’étais fasciné par ces costauds, tatoués, un peu violents. C’est un mode de vie complet. Aujourd’hui, j’ai fait un peu le tour de ce milieu mais j’ai toujours des amis dedans. C’était lié aussi à mon goût pour la musique hardcore, au fait que je produise des groupes… Vous produisez des groupes de punk hardcore ? Oui, aussi ! J’ai fait mes études à Saint-Etienne et il y avait une grosse scène punk hardcore. J’étais parti en tournée en Europe de l’Est avec un groupe qui s’appelle Vömit För Breakfast. Ils font des morceaux de 40 secondes, hyper speed. On a fait un spectacle ensemble à l’Odéon. Par eux, j’ai rencontré d’autres musicos. C’est une production assez dure à monter. Pourtant, les tirages sont limités, 500 vinyles maximum. Les albums sont autoproduits et à but non lucratif. On rembourse juste les frais de production. C’est l’essentiel de la musique que vous écoutez ? Non, je suis assez éclectique. Mes parents travaillaient à l’opéra de Strasbourg, ma mère était costumière et mon père, scénographe. Quand j’avais 7 ans, ils m’emmenaient aux répétitions. Ça me faisait chier, bien sûr, mais ça m’a quand même un peu formé. Après, à 10 ou 12 ans, j’ai eu une passion pour Ace Of Base. J’avais leur album en cassette, celui où il y a tous les tubes, All That She Wants, The Sign… J’écoutais ça en boucle. Plus tard, j’ai eu une grosse

période Ogres De Barback, Têtes Raides, théâtre de rue, activiste… J’ai même fait de l’accordéon ! Aujourd’hui, vous écoutez quoi ? En ce moment, beaucoup de cumbia… C’est quoi ? C’est de la musique colombienne. Il existe un sous-genre de la cumbia pour les trafiquants de drogue. Les paroles, qui racontent les faits d’armes des narcos, sont d’une violence dingue, genre “… et ils l’ont pendu par les pieds, et ils lui ont brûlé la peau avec des mégots de clopes, et puis ils l’ont coulé dans le béton”. Tout ça sur un rythme très binaire, un peu étrange… Un peu salsa ? Ah non ! Rien à voir. La salsa, ça ne me plaît pas trop. Vous faites aussi de la mise en scène de théâtre, non ? Je suis artiste associé au Centre dramatique national Drôme-Ardèche, à la Comédie de Valence, chez Richard Brunel. J’ai fait deux spectacles à Saint-Etienne et là j’en présente un à Valence. Vous vous intéressez à quels artistes dans le théâtre contemporain ? J’aime beaucoup Richard Brunel – je ne travaille pas avec lui par hasard. Le boulot de Vincent Macaigne me parle vraiment. J’aime bien Joël Pommerat. J’adore aussi certains chorégraphes, Wim Vandekeybus, Maguy Marin. J’aime beaucoup aussi les spectacles qui mêlent différentes disciplines, dont le travail des artistes de cirque, comme Vimala Pons. Ça circule entre les formes. Parfois, je trouve que le cinéma expérimente moins que cette partie des arts vivants. Le cinéma français vous paraît moins ouvert ? Il y a des choses passionnantes aujourd’hui dans le cinéma français. Mais il y a aussi une vraie lourdeur de fonctionnement. Ça me rend dingue qu’il soit plus facile de monter un film à 25 millions d’euros qu’un à 2 millions !

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Les films vraiment vitaux pour leurs auteurs ont un mal fou à se monter. La nouvelle convention collective, d’ailleurs, n’arrange pas les choses. C’est une catastrophe. Ils s’y sont mal pris, ils auraient dû faire des paliers. Enfin bon… Un film très important pour moi comme Alyah d’Elie Wajeman s’est monté vraiment de justesse. Il faudrait renforcer les obligations des chaînes, les obliger à financer davantage de cinéma de recherche, des jeunes créateurs… Il n’y a que pour les acteurs aujourd’hui que ça semble assez facile de financer un premier film ! Vous envisagez de passer à la réalisation ? J’y pense parfois. Mais j’attends d’avoir quelque chose qui me semble important

“il suffit que je ne sourie pas pour qu’on ait l’impression que je vais tuer quelqu’un” à raconter. Si c’est pour assembler quelques anecdotes, ça n’est pas la peine. Qu’aimeriez-vous vivre dans les cinq années qui viennent ? J’aimerais bien que mon atelier se développe. Je travaille avec la mairie

d’Aubervilliers dans le cadre de l’aménagement du territoire. On prépare des programmes d’activité pour les enfants, pour les initier à la sculpture, les sensibiliser à l’expression artistique. J’ai envie de continuer à monter des spectacles au théâtre. Et puis j’aimerais beaucoup tourner pour Quentin Dupieux. J’ai vu Steak, Rubber, Wrong Cops, je trouve son travail vraiment passionnant. propos recueillis par Jean-Marc Lalanne photo Manuel Braun pour Les Inrockuptibles Dans la cour de Pierre Salvadori. Lire la critique p. 64 ; La Ritournelle de Marc Fitoussi, avec Isabelle Huppert et Jean-Pierre Darroussin, en salle le 11 juin 23.04.2014 les inrockuptibles 17

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hésitations autour de Valls à l’Assemblée Les députés socialistes ne digèrent pas l’intervention improvisée du Premier ministre sur les 50 milliards d’euros d’économies. Face à un pouvoir de plus en plus bunkérisé, certains tentent d’organiser un contrepoids à la politique présidentielle.

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ercredi 16 avril, 13 heures : réunis dans la salle Colbert du Palais-Bourbon, les parlementaires socialistes débattent des municipales à huis clos. Ils attendent les ministres Marylise Lebranchu et André Vallini, quand soudain Manuel Valls fait une apparition improvisée à la télévision pour détailler un plan d’économies de 50 milliards d’euros. Moins 11 milliards d’euros pour les collectivités territoriales, moins 10 sur les dépenses d’assurancemaladie et même le gel des prestations sociales. (lire aussi pp. 22-23) Effroi chez les parlementaires. “Méthode surprenante, les députés socialistes découvrent en réunion de groupe via la télévision les décisions du gouvernement”, s’énerve sur Twitter Michel Pouzol, député de l’Essonne. “Nous étions cent cinquante députés et nous avons écouté dans un silence de mort ces annonces”, raconte encore Christian Paul, député de la Nièvre. Juste après la nomination de Valls à Matignon, une centaine de députés socialistes lui avait envoyé une lettre demandant un “contrat de majorité” et lors du vote de confiance, le 8 avril, onze d’entre eux s’étaient abstenus. Une semaine après, l’épreuve de force avec le gouvernement est engagée. Pour preuve, une seconde lettre, signée par les onze, “au nom de l’appel des cent”, lui a été envoyée pour dénoncer un programme économique “dangereux”. La menace est à peine voilée : si le gouvernement n’infléchit pas sa politique, les députés se gardent le droit de voter en accord avec leurs convictions.

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“il faut mettre la pression pour ne pas oublier pourquoi on a été élus” Pouria Amirshahi, député PS des Français à l’étranger

Manuel Valls et François Hollande, le 4 avril à l’Elysée

“Nous ne sommes ni des frondeurs, ni des opposants, ni les réceptacles de la politique du gouvernement, se défend Christian Paul. Nous sommes les membres d’une majorité et nous voulons recaractériser le débat. La balle est dans le camp du Premier ministre.” La lourde défaite du PS aux municipales n’a toujours pas été digérée. “En termes de secousse sismique sur l’échelle de Richter, c’est la plus forte depuis la création du PS à Epinay en 1971”, commente Christian Paul. Et Hollande ne fait rien pour requinquer ses troupes : laissant entendre au lendemain des élections qu’il ferait desserrer l’étau budgétaire, il laisse son gouvernement annoncer de douloureuses coupes budgétaires. “Le président de la République n’a pas tiré de leçons de ce scrutin, au contraire !, s’agace Pascal Cherki, député de Paris et abstentionniste lors du vote de confiance. Il nomme Manuel Valls dans la précipitation pour mieux approfondir la ligne politique qui nous a fait perdre. Il adoube Jean-Christophe Cambadélis à la tête du PS sans débat ni vote des militants. On demande un congrès à l’automne pour remettre le parti à plat, on ne nous entend pas. Et la cerise sur le gâteau : les mesures d’économie surprises.” Une déception d’autant plus forte que Manuel Valls laissait planer la possibilité d’une négociation de l’objectif de 3 % de déficit d’ici 2015, rapidement douchée par Berlin. “On a le sentiment d’être soumis à la politique européenne, c’est catastrophique !, se lamente Pascal Cherki. Pas étonnant qu’une partie des députés se révolte !” “Peut-être que le groupe parlementaire fera scission, peut-être pas, évacue Pouria Amirshahi,

député des Français de l’étranger. Il faut mettre la pression pour ne pas oublier pourquoi on a été élus et quelle est la politique que l’on porte.” L’Elysée est pour l’instant resté impassible. Replié au Château, Hollande a fait monter ses fidèles comme pour mieux se protéger. Ainsi de la nomination de l’ami de toujours, Jean-Pierre Jouyet, en tant que secrétaire général de l’Elysée. Valls sert de fusible, Cambadélis de lieutenant politique, et Bruno Le Roux de commandant à l’Assemblée où il doit dompter les députés PS. Ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué, après l’annonce du Premier ministre, de bousculer l’ordre du jour des questions au gouvernement pour appeler les siens à la “responsabilité”. “On assiste à une bunkérisation du pouvoir, voire un autisme institutionnel avec Hollande qui se claquemure à l’Elysée, analyse le politologue Rémi Lefebvre. L’exécutif est réfractaire à tout infléchissement de sa politique alors que l’élite du PS, qui reste un parti d’élus locaux avant tout, voit sa base électorale ébranlée par la défaite aux municipales et les coupes budgétaires. Si les élus suivaient Hollande jusque-là, le délitement de leur ancrage électoral les fait paniquer. La situation est explosive.” Mais où est donc passé François Hollande, l’ancien premier secrétaire du PS féru de synthèse, celui qui respectait les notables et les sensibilités ? “La Ve République n’est pas seulement une machine à trahir, c’est une machine à broyer”, soupire Christian Paul. “Hollande est entré dans une logique présidentielle où il subordonne tout le reste à son objectif de réélection, explique Rémi Lefebvre. Il est dans une logique d’autodestruction où il n’envisage qu’une seule fenêtre de tir : 2017. Et puis il ne faut pas oublier le substrat idéologique de l’énarque Hollande, prisonnier du système libéral, qui ne veut pas renverser la table européenne. Forcément, il ne veut pas lâcher du lest.” Exit le rapport de force, Hollande s’impose quitte à sacrifier les élections intermédiaires. Une situation intenable pour les élus locaux dont une partie sait déjà qu’elle ne sera pas réélue. Alors pour éviter une débâcle totale, certains commencent à chercher des alternatives. Julien Dray, par exemple, a émis l’idée d’une primaire au PS en 2017. “Je suis plutôt favorable à ce qu’il y ait une désignation démocratique, a-t-il justifié sur BFM-TV. Je ne vois pas pourquoi on sauterait par-dessus en disant : ‘il y a une sorte de plébiscite’. Il y aura débat.” Une façon de dire que Hollande ne sera pas le candidat évident du PS… A l’Assemblée, les choses ont déjà évolué. Valérie Rabault, soutenue par l’aile gauche du parti, a été nommée rapporteure du budget au détriment du candidat de l’Elysée, Dominique Lefebvre. Un déplacement du centre de gravité au sein du groupe parlementaire socialiste qui promet un débat houleux lors du vote du pacte de stabilité européen le 30 avril. Mathilde Carton 23.04.2014 les inrockuptibles 19

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Diptendu Dutta/AFP Photo

Le leader du BJP, durant la campagne des l égislatives indiennes, le 10 avril

hindou dur Leader du Bharatiya Janata Party (BJP), nationaliste et ultrareligieux, contesté par Salman Rushdie et Anish Kapoor, Narendra Modi est pourtant favori pour devenir le prochain Premier ministre de l’Inde.

V

ous voulez du  vilain ? Du méchant ? Du facile à détester et plus facile encore à éreinter ? Laissez-moi vous présenter Narendra Modi, leader du Bharatiya Janata Party (BJP), et probable futur Premier ministre de l’Inde. Il a vraiment tout pour déplaire. D’abord, Narendra Modi est le leader d’un parti nationaliste qui a, certes, peu gouverné, mais qui focalise les critiques de l’intelligentsia indienne, volontiers laïcarde et internationaliste. Il suffit pour s’en convaincre de lire la tribune signée,

les Etats-Unis et l’Europe ont interdit Narendra Modi de séjour

entre autres, par Salman Rushdie et Anish Kapoor, publiée le 10 avril dans le Guardian de Londres. Selon eux, l’élection de M. Modi serait “de mauvais augure pour l’avenir de l’Inde”. Pour Anish Kapoor, toujours dans le Guardian, “(il) veut en faire un Etat toujours plus hindouiste, une perspective qui inquiète beaucoup de monde et pas seulement les auteurs de ce texte”. Les prestigieux signataires ont en tête l’énorme communauté musulmane indienne : entre 170 et 180 millions de personnes au bas mot. Soit le deuxième ou troisième pays musulman au monde. Or on reproche à M. Modi, sinon d’avoir encouragé (encore que), du moins d’être mollement intervenu pour arrêter les massacres de musulmans dans son Etat du Gujarat en 2002. Bilan : entre 1 000 et 2 000 victimes.

Sa responsabilité – il était déjà ministre en chef du Gujarat à l’époque – est si évidente que les Etats-Unis et l’Europe l’ont interdit de séjour. Une interdiction qui sera évidemment levée s’il remporte les élections. De plus, l’homme est un bigot. Il a, par exemple, longtemps hésité entre une vocation religieuse et la politique. Il a aussi affirmé avoir toujours été célibataire. Assertion récemment balayée par un scoop : M. Modi a, en fait, été marié très jeune par ses parents, comme le veut la coutume. Mais il n’a vécu avec son “épouse” que trois mois sur les trois ans qu’a duré ce mariage arrangé. Il y a prescription. Comment expliquer qu’un tel homme pourrait obtenir la majorité absolue des sièges et que sa cote de popularité soit à ce point stratosphérique : 78 % d’opinions favorables.

La réponse est à chercher du côté du parti du Congrès national indien et de sa gestion poussive du pays depuis dix ans. Rappelons que le “Cong” a gouverné le pays quarante-neuf des soixante-sept années depuis l’indépendance. A sa tête, une dynastie, les Nehru–Gandhi, dont le dernier rejeton, Rahul, brigue le poste – presque une propriété familiale – de Premier ministre. Le Congrès n’est parvenu à répondre ni aux attentes des jeunes et de la classe moyenne (corruption endémique, croissance en berne et bureaucratie étouffante), ni à celles des plus pauvres (un tiers de la population). Pour ces Indiens-là, la “preuve par l’oignon” a été cruelle. Cette denrée de base, hautement symbolique (Indira Gandhi a remporté les élections de 1980 en dénonçant le prix élevé des oignons), a augmenté de… 270 % en 2013. C’est donc en partie par défaut, alors que le dernier des Gandhi n’a pas convaincu et que son parti n’a pas su se renouveler, que les Indiens devraient élire M. Modi. Depuis trente ans, aucun parti politique indien n’a obtenu de majorité absolue. Le BJP devra donc peut-être composer avec plus modéré que lui pour gouverner en coalition. Les Indiens se retrouveraient alors avec un gouvernement plutôt de type UMP que FN. Ils le savent et, en bons démocrates, veulent simplement l’alternance. N’en déplaise à Anish Kapoor et Salman Rushdie. Anthony Bellanger

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c’est quoi smic-mac ? A l’heure où l’Allemagne envisage de se doter d’un salaire minimum généralisé, les Français débattent d’un sous-smic pour les jeunes et les chômeurs de longue durée.

histoire 1 Une semaine après son discours de politique générale, le Premier ministre Manuel Valls a annoncé, le 16 avril, un plan de 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017, en l’inscrivant dans la lignée du pacte de responsabilité et de solidarité voulu par François Hollande. Les économies devraient venir pour 18 milliards de l’Etat et de ses agences, 11 milliards des collectivités locales et 21 milliards pour

la protection sociale – 10 milliards d’euros sur les dépenses de l’assurancemaladie et 11 milliards sur la gestion du système social. Ces économies “ne doivent pas remettre en cause notre modèle social et nos règles sociales et notamment le smic”, a assuré Valls. Le programme de stabilité sera présenté au conseil des ministres du 23 avril, puis soumis au vote des députés le 30.

Hamilton/RÉA



ui veut la peau du grand méchant smic ? Entre Pascal Lamy, ex-directeur de l’Organisation mondiale du commerce, qui promeut “des boulots pas forcément payés au smic”, le libéral Pierre Gattaz, président du Medef, qui considère qu’il vaut mieux un travailleur pas cher payé plutôt qu’un chômeur, et l’Elysée qui recevait mardi 15 avril trois économistes opposés au niveau élevé du smic, les salariés ont de quoi s’inquiéter. “Le niveau élevé du smic est une marche d’escalier à franchir en France”, estime ainsi Pierre Gattaz, avant de plaider pour l’instauration temporaire “d’un système permettant la première année pour un jeune ou quelqu’un qui ne trouve pas de travail, de rentrer dans l’entreprise de façon transitoire avec un salaire adapté”. Adapté à qui et à quoi, ça, on ne le sait pas encore. Reste que l’idée d’un salaire en-deçà des 1 445,38 euros brut légaux n’a pas manqué de déclencher un branle-bas de combat. La première à dégainer n’est pas Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière mais Laurence Parisot. L’ex-patronne des patrons a souligné sur Twitter la dérive “esclavagiste” qu’entraînerait la suppression d’un salaire minimum. La critique a traversé l’ensemble du corps politique, chaque parti qualifiant à son tour la proposition Gattaz de “bêtise”, de “caricature”, voire de moyen de “brutaliser ceux qui ont les plus petits revenus” (Alain Juppé). L’idée de ce sous-smic intervient, en plus, dans un contexte où le Royaume-Uni a annoncé une hausse de 11 % de son smic d’ici 2015 (passant de 6,31 livres à 7 livres, soit de 7,60 à 8,40 euros par heure), et que l’Allemagne

envisage de se doter pour la première fois d’un salaire minimum autour de 8,50 euros. En France, il est de 9,53 euros brut de l’heure en 2014. Alors quoi, le smic français serait vraiment trop cher par rapport aux salaires européens ? “Il y a deux fois plus de smicards en France qu’au Royaume-Uni, avec un taux de chômage de 4 points supérieur”, commente Iain Begg, professeur à la London School of Economics. “Il n’y a pas de spécificité du smic français qui ressemble assez au smic belge, irlandais ou néerlandais, tempère Marion Cochard, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). En fait, il y a trois types de smic dans l’Union européenne : un smic élevé, comme en France ou au Royaume-Uni, un smic bas, comme en Espagne, au Portugal ou en Grèce, et un système d’accords par branches, comme c’est le cas en Allemagne ou dans les pays nordiques.” On observe de grosses disparités au sein de l’Union européenne : vingt et un des vingt-huit Etats-membres ont fixé un salaire minimal, variant de 157 euros par mois en Roumanie à 1 874 euros au Luxembourg. Dans le cas de l’Allemagne, les disparités sont même internes. Il y a autant de salaires minimum que de branches. “Dans l’industrie par exemple, le salaire minimum allemand est plus élevé qu’en France”, note Marion Cochard. Néanmoins, on assiste en Allemagne à un système dual où certains travailleurs sont

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Le 11 avril, comme d’autres représentants des syndicats et du patronat, Pierre Gattaz (premier plan), président du Medef, a été reçu à Matignon par Manuel Valls, Premier ministre, pour s’entretenir du pacte de responsabilité

“le niveau élevé du smic est une marche d’escalier à franchir en France” Pierre Gattaz, président du Medef

protégés tandis qu’une partie des salariés, surtout dans les services, vivotent avec des jobs où ils touchent moins de 400 euros par mois, sans cotiser pour la retraite. “Depuis dix ans, à la faveur des réformes du travail, le secteur industriel sous-traite un certain nombre d’activités à des entreprises de services dont les salariés sont payés bien moins cher”, commente l’économiste. Un mouvement d’externalisation qui rend caducs les avantageux accords salariaux par branche : 17 % des 40 millions d’actifs allemands gagnent moins de 8 euros – dont 1,4 million de personnes moins de 5 euros – de l’heure. “L’Allemagne a bénéficié de la situation de l’emploi mal rémunéré pour développer sa croissance, ajoute Marion Cochard. Mais aujourd’hui, les autres pays européens durement frappés par la crise baissent aussi leurs salaires, ce qui nuit à la stratégie allemande de désinflation compétitive.” Et comme la croissance allemande est basée sur le commerce extérieur, les entreprises nationales vont devoir se réorienter vers le marché

intérieur. Or, les ménages allemands, premiers à subir les coupes salariales, ont la demande plutôt en berne… D’où l’idée d’instaurer un salaire minimum généralisé pour booster la consommation de tous les Allemands. A observer le mécanisme allemand, et en fin de compte l’assèchement du pouvoir d’achat des ménages, la tentative de mettre en place un sous-smic français a de quoi laisser dubitatif. “Les estimations montrent un impact très faible voire nul sur la croissance, souligne l’experte. Les entreprises pourront embaucher davantage mais cela va peser sur les revenus des ménages modestes qui ne pourront plus consommer. Non seulement ce n’est pas efficace pour relancer l’économie, mais c’est injuste pour les ménages qui paient au plus fort le prix de l’austérité. Le plan présenté par Manuel Valls montre bien le transfert du poids du remboursement de la dette, partagé auparavant entre entreprises et particuliers, sur les épaules des ménages pour la période 2014-2015.” “Mais avec un chômage aussi résistant, il faudra bien que la France mette en place une solution radicale”, plaide Iain Begg. Jusque-là, le Medef a obtenu un allègement de 30 milliards d’euros sur trois ans sur les coûts du travail. Exactement ce que Gattaz réclamait. Alors pourquoi ne pas réclamer en plus une baisse du salaire minimum ? Mathilde Carton 23.04.2014 les inrockuptibles 23

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retour de hype

Donna Tartt

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“j’ai envie de faire une David Fincher, j’te jure”

“nan, je suis booké jusqu’en août, j’fais Cannes, Rio, et après, je vais chez mes parents à Marcq-en-Barœul”

les imprimantes 3D

Lana Del Rey

les problèmes de type grec

le MIDI Festival “Marcello !”

“bah, ça va, mais le chat vit mal la garde partagée”

Party Girl en ouverture d’Un certain regard

les travaux d’intérêt général de Berlusconi

“il est à combien le muguet ?”

Aquilino Morelle

les distributeurs de marijuana dans le Colorado

le smic

Le MIDI Festival En version allégée cette année, le MIDI propose deux belles soirées à la Villa Noailles les 25 et 26 juillet, avec notamment Frànçois & The Atlas Mountains et Panda Bear. Zou ! David Fincher a, comme un prince, laissé tomber le biopic sur Steve Jobs après que Sony a jugé

“agressives” ses prétentions salariales. Les distributeurs de marijuana s’installent peu à peu dans le Colorado qui en a légalisé la consommation “récréative”. Le premier est déjà installé et s’appelle… ZaZZZ. Les imprimantes 3D Et particulièrement celles qui impriment des pizzas. D. L.

tweetstat En route pour Coachella, la pop-star mi-vulgos, mi-nunuche donnait une petite leçon de vie : Suivre

Katy Perry @katyperry

00:21 - 12 avr. 2014

Répondre

4 % DSM-6

Pour l’arrivée du “selfing” dans la mise à jour du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Dear festival friends remember, VHOÀQJLVDGLVHDVH Retweeter

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“Chers amis festivaliers, rappelez-vous, le selfie est une maladie.”

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Pour l’hôpital qui se moque de la charité vu le nombre d’autoportraits sur le compte Instagram de la chanteuse.

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belle palette d’émotions Presque aussi virale que le clip de Happy : la séquence chialade bien organisée de Pharrell Williams chez Oprah Winfrey. Ouin, ouin.

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Oprah ô désespoir

“Les garçons se cachent pour pleurer”, affirmait jadis l’artiste pluridisciplinaire Christophe Rippert (en face B de son album Un amour de vacances). Une allégation probablement conditionnée par le fait de n’avoir jamais

été invité dans une émission d’Oprah Winfrey. Présentatrice télé, régulièrement au sommet des classements des femmes les plus influentes du monde, elle est la confessor en chef d’une Amérique qui fronce les sourcils pour avoir l’air

grave devant la caméra et peut se targuer d’avoir déjà fait pleurer (de joie, de tristesse, d’émotion ou de culpabilité, voire de tout ça en même temps) la quasi-totalité du show-biz anglophone. Bien joué.

3 1 2

2

eau fraîche et chaudes larmes

Comme souvent pour ses interviews exclusives, le dispositif est celui d’un face-à-face sans public, les protagonistes n’étant séparés que par des verres d’eau ultratransparents, symboles d’un échange intime et sincère qui ne peut être assombri ni obstrué par rien ni personne. Pourtant, si les deux se regardent voire se touchent, leurs corps sont avant tout inclinés

vers la caméra, principal réceptacle des larmes de Pharrell Williams, dans la plus pure tradition américaine. Ainsi, quand Pharrell pleure d’émotion face au succès planétaire de son Happy, Oprah Winfrey, en bonne professionnelle, n’hésite pas à embrayer sur sa grand-mère décédée – certainement fière du succès de son petit-fils là où elle est. Certainement.

3

Happy + Sad

Reste un mystère : pourquoi cette séquence plaît-elle autant à nos contemporains ? Du clip performatif de Happy à la séquence chez Oprah, il semble y avoir une complémentarité dans la viralité. Face au succès gigantesque du tube ultra-efficace qui défonce tout sur son passage et s’impose désormais comme un hymne au bonheur de supermarché (rayon jambon), la grosse machine donne un instant l’impression de s’effacer au profit de l’humain dont les larmes ont tout de même un léger goût de surjoué. Chapeau. Diane Lisarelli

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en chiffres Anna Mouglalis

sortie de route Le psychodrame conjugal de Samuel Benchetrit, Un voyage, traite d’amour fou, d’euthanasie et de singes. Un fourre-tout tourné à l’arrache et dont la subversion tombe à plat.

le sujet Dans le registre de ses désirs de cinéaste, le romancier Samuel Benchetrit avait déjà coché les cases “comédie populaire” (Janis et John), “farce bricolée à la Michel Gondry” (Chez Gino) et “pastiche prestigieux de cinéma américain” (J’ai toujours rêvé d’être un gangster). Une petite œuvre à laquelle il ajoute aujourd’hui un nouveau chapitre, cette fois dans le genre sensible du “psychodrame conjugal” à forte connotation sociale : soit Un voyage, le film le plus gratuit, bizarre et embarrassant vu depuis très longtemps. On y suit les mésaventures d’un couple d’intellos (lui est écrivain ; elle est névrosée) partant un week-end se ressourcer dans une station balnéaire suisse avant que – spoiler alert – madame ne s’injecte une dose mortelle de barbituriques pour échapper au cancer qui la guette.

le souci Jusqu’à l’ultime scène assez gênante du suicide assisté, Un voyage entreprend donc de raconter les derniers jours d’un couple condamné, ses nuits de sexe triste, ses violentes prises de bec et ses bilans existentiels. Une histoire passionnelle, intense, que Samuel Benchetrit aborde en cinéaste guérillero, cherchant dans le dépouillement ostentatoire de sa mise en scène à recueillir une sorte de vérité nue des sentiments amoureux.

Entre deux aphorismes un peu godiches (“le bien est plus faible que le mal”, ou “le temps est un salaud”), le film accumule alors les scènes de psychodrame hystériques, incarnées par deux acteurs livrés aux démons du cabotinage – dont Anna Mouglalis, qui n’est jamais aussi mal dirigée que chez Samuel Benchetrit. Sûrement issu d’une mauvaise lecture de Zulawski ou Pialat, dont il n’aurait retenu que les cris et les larmes, bref la caricature, Un voyage ressemble au fond à une parodie inconsciente du cinéma d’auteur français, plombée par un cruel esprit de sérieux.

le symptôme En librairie comme au cinéma, il y a toujours eu une constante dans l’œuvre de Samuel Benchetrit : une sorte de romantisme adolescent, un côté mauvais garçon – “nouveau Gainsbourg”, entendait-on dans les années 2000 – auquel il tente aujourd’hui en vain de se raccrocher. Un voyage pourrait être à ce titre un autoportrait du cinéaste en rebelle, dont l’idée de subversion se résume à filmer du sexe frontal, un suicide en plan fixe ou des acteurs mimant des singes pendant des plombes devant le regard ahuri de bourgeois pincés, suisses de surcroît. Peut-être faudrait-il que quelqu’un se dévoue enfin pour dire à Samuel Benchetrit que tout cela n’effraie plus que les vieilles rombières et les curés. Romain Blondeau

2000

L’année de la publication de son premier roman, Récit d’un branleur, qui révèle Samuel Benchetrit au monde médiatique.

2

En années, le temps qu’aura pris le montage du film. C’est long.

1701

Le nombre de personnes ayant fait appel à l’association Dignitas depuis 1998, selon ses statistiques, pour un suicide assisté en Suisse. Plus 1, donc.

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la vie aquatique Un designer coréen a imaginé un appareil capable d’extraire l’oxygène présent dans l’eau. Des branchies artificielles qui nous permettraient de plonger pour de bon.

C

omme un humain dans l’eau” sera la nouvelle maxime. Dans Le Grand Bleu, Jacques Mayol (Jean-Marc Barr) et Enzo Molinari (Jean Reno) tentent désespérément de trinquer avec leur coupe de champagne au fond d’une piscine. Mais tout champions d’apnée soient-ils, vient toujours le moment où la surface et l’asphyxie les rappellent. Jeabyun Yeon, un designer coréen, a proposé au début de l’année une solution pour rester bien au fond : le Triton. Figurez-vous un tuba à deux branches. Chacune est en fait une branchie, un ingénieux système qui récupère l’oxygène contenu dans l’eau – c’est l’O de H2O. Ce n’est pour l’instant qu’un projet, une idée. Il faudra attendre un peu, quelques dizaines d’années sans doute. Mais une fois fonctionnel, bien calé entre nos dents comme le couteau du pirate, le Triton nous permettra de respirer sous l’eau sans le fardeau des bouteilles de plongée, lourdes et de faible autonomie. D’abord un peu méfiants, nous n’utiliserons l’appareil que pour admirer les poissons en bordure de plage ou pour méditer dans notre baignoire. Quand nous serons rassurés, nous plongerons pour plusieurs semaines. Les chevilles lestées, nous partirons pour de grandes balades sous-marines, de Brest à New York, à pied. Pas de statue de la Liberté à l’horizon pour ces pionniers-là, on ne sortira la tête de l’eau qu’à Manhattan. Les ponts ne seront plus que d’agréables ornements décoratifs dont on aura oublié la fonction. Devenu bien utile, le Triton s’améliorera, se miniaturisera encore, nous sera implanté dès la naissance. La vie aquatique perdra de son mystère, on passera de la terre à l’eau sans même y réfléchir.

Bien acclimatées – on aura pris l’habitude de monter notre tente au fond de l’océan –, quelques communautés d’illuminés constitueront des colonies subaquatiques. Les tour-opérateurs proposeront des séjours clés en main avec vue exclusive sur la mer, où que l’on regarde. La montée des eaux aidant, le reste suivra. Villes et villages se bâtiront. Alors, bien sûr, il faudra trouver des solutions à des problèmes terre à terre : que faire de nos cirés et de nos parapluies, par exemple ? Mais quel calme ! Et quelle lenteur. Tous nos mouvements ralentiront. La gifle sera moins douloureuse, entre autres avantages. On prendra enfin son temps. Les langoustes seront à portée de la main, on attrapera un oursin comme on cueille une pomme. A force de vivre là-dessous, selon les préceptes de la théorie de l’évolution, les mutations génétiques privilégieront les membres de l’espèce aux pieds palmés et à la peau lisse. Quelques millions d’années encore et il deviendra compliqué de différencier un humain d’un batracien. Alors, cet homme-grenouille, un peu par hasard, un jour, posera ses pattes sur un rocher émergé, rampera un peu sur le sol puis se relèvera d’un bond, se réfugiera dans une grotte, se couvrira d’une peau de bête pour se protéger du froid, cultivera des champs, bâtira sa maison, réapprendra à nager, et ainsi de suite. Nicolas Carreau illustration Lionel Serre pour Les Inrockuptibles

pour aller plus loin La présentation du Triton youtube.com/watch?v=cqiI3URv4QU

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Brie Larson Actrice pop montante, elle porte sur ses épaules le très tendre States of Grace.

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24 ans, Brie Larson a déjà vu du pays. Rien de plus contemporain que son trajet qui, à l’image de celui d’Anna Kendrick, décroche doucement vers l’indé de luxe après avoir commencé au centre du showbiz – des premiers pas dans la pop (son attachant She Said), puis des seconds rôles de blockbusters dans Scott Pilgrim ou encore 21 Jump Street. A l’affiche cette année de The Spectacular Now et de States of Grace, elle s’affirme comme un des nouveaux visages de Sundance, un visage qu’on a l’impression d’avoir déjà vu quelque part, peut-être à cause de sa ressemblance avec Greta Gerwig. Brie Larson pourrait devenir son alter ego pop. Elle partage avec elle le goût pour le chant et la danse : fan de Whit Stillman (tiens tiens, qui était l’héroïne de Damsels in Distress ?), elle vient de finir un musical façon Bollywood (Basmati Blues) et sera à l’affiche du cinquième film de Judd Apatow, en jeune working girl pète-sec. Pour celle dont on devinait l’énergie comique, on ne pouvait rêver meilleur adoubement. Théo Ribeton photo Rüdy Waks pour Les Inrockuptibles States of Grace de Destin Cretton, en salle lire critique p. 69 23.04.2014 les inrockuptibles 31

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où est le cool ? par Géraldine Sarratia et Dafne Boggeri

à travers le métal perforé Basé à Stockholm, le studio de design Note a concu “Peep”, une série de rangements futés. Facilement modulables, esthétiques, ils sont fabriqués en métal perforé pour laisser passer la lumière. notedesignstudio.se

sur cette silhouette vibrante A son top, Christopher Bailey retrouve l’inspiration, le charme et le petit décalage dans l’élégance qui sied si bien à Burberry Prorsum. Pour cet été, le créateur anglais imagine une silhouette contemporaine qui trouve son équilibre dans la confrontation entre lignes minimales et couleurs vibrantes, appliquées par touches. fr.burberry.com 32 les inrockuptibles 23.04.2014

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à toutes les pages d’Holiday Entre les années 40 et 70, Holiday fut l’un des grands magazines lifestyle US, réputé pour ses reportages d’auteurs (Hemingway, Kerouac…). Il est aujourd’hui relancé, en anglais, dans une version semestrielle très graphique, par l’Atelier Franck Durand. Au sommaire de ce numéro, une nouvelle d’Arthur Dreyfus qui revisite l’Ibiza junkie du film More de Schroeder, les photographes Karim Sadli et Inez & Vinoodh, et un portrait du consigneur de tendances Glenn O’Brien. en kiosque et points de vente spécialisés, holiday-magazine.com

dans la triple boucle Il faudra certes un peu d’audace pour la porter, mais le jeu en vaut la chandelle. Prolongeant l’idée du mocassin double boucle classique, la maison Alexander McQueen (désormais tenue de main de maître par Sarah Burton) a conçu cette boots rock, chic et canaille. alexandermcqueen.com

Io in Camouflage, NYC, 1994

Nan Goldin, 2014

dans l’enfance vue par Nan Goldin Loin des nuits, errances et défonces qu’elle avait consignées comme personne dans The Ballad of Sexual Dependency ou des passages les plus sombres de son histoire familiale (le très puissant Sœurs, saintes et sybilles qui revisitait l’histoire de sa sœur Barbara, suicidée à 18 ans), Nan Goldin s’intéresse cette fois à l’enfance. Dans son nouveau livre, loin des clichés, elle explore ce que ce passage peut comporter de colère, de frustration et de beauté dans sa quête d’autonomie et de liberté. Eden and After (Phaidon), phaidon.com/store 23.04.2014 les inrockuptibles 33

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vous n’y échapperez pas

le postminimalisme Fini les sacs à patates arty, en avant le minimalisme empreint d’histoires et de secrets enfouis.

U

ne jeune femme évolue dans un nuage blanc et mousseux, un pantalon fluide et des baskets Stan Smith. Cette silhouette épurée, portée par un mannequin sans maquillage au physique androgyne, est pourtant délicatement conceptuelle. Elle est issue du défilé parisien de prêt-à-porter automne-hiver 2014-2015 de la marque Jacquemus. Son fondateur, Simon Porte (actuellement un des douze nominés du prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode), a choisi d’y abriter une démarche discrètement enfantine : “C’est l’incarnation vivante d’un dessin d’enfant qui trace un grand rond, avec des bras et des jambes qui en sortent comme des bâtons”, explique-t-il après son show. Son esthétisme, faussement sobre et franchement ludique, en est l’exemple parfait. Après des années d’austérité impulsée par leurs aînés, Céline en tête (le chic prônant un dépouillement au service d’une fonctionnalité pure), une nouvelle génération lance sa riposte post-postmoderne. Quand certains se replongent dans un bling jovial qui flirte avec le kitsch (l’Italien Fausto Puglisi pour Ungaro ou le Français Olivier Rousteing pour Balmain), ce minimalisme 3.0 fait mouche parmi des marques à la pointe à Tokyo, Londres ou Paris. Sous couvert d’une apparence chaste, détails techniques, références historiques ou culturelles et narrations personnelles (Sacai et ses cols en dentelle et doublure quasi invisibles, Simone Rocha et ses poches XXL camouflées dans des robes néo-Nouvelle Vague…) viennent piquer le vêtement d’une enveloppe

Défilé Jacquemus automne-hiver 2014-2015

sémiotique connue par le porteur seul. Le résultat ? Une redéfinition radicale du luxe actuel. Le vêtement postminimaliste est avant tout au service du client. Il renoue avec la tradition ancienne de haute couture et de tailoring : comme les tailleurs de Savile Row se plaisaient à dissimuler des poches cachées pouvant contenir, ni vu ni connu, une fiole ou un pistolet, il crée avec des détails secrets un dialogue privilégié entre l’habit et son porteur. Le chic redevient enfin intime. Alice Pfeiffer

ça va, ça vient : la cité clippée

1998 “Toujours le même béton pour horizon”, lance la Fonky Family dans son clip Sans rémission, tourné devant une cité marseillaise. A travers cet hymne aux logements sociaux, le groupe de “rap conscient” dévoile une ville clivée entre histoire ancienne et ghetto moderne, une cité déchirée entre sens de la communauté et enfermement.

2002 Mike Skinner du groupe The Streets raconte une jeunesse passée à traîner dans les rues de Birmingham. La cité (ou “council estate”) devant laquelle il sautille dans son clip Let’s Push Things Forward esthétise et popifie une culture working class. Le HLM vient compléter l’uniforme assumé et surjoué du “chav” (ou caillera), tout comme ses Reebok Classics.

2014 La top model Anja Rubik se déhanche devant un bloc d’immeubles, déguisée en “princesse des cités polonaises”. Sarcasme au comble du snobisme ? Pas loin. Il s’agit d’une œuvre archiconceptuelle de l’écrivain en vogue Dorota Maslowska, aka Mister D. En panne d’inspiration, elle lance un album de rap et intitule son premier tube Chleb (“pain” en français). Vous avez dit normcore grinçant ? A. P.

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hot spot

Restaurant David Toutain, 27, rue Surcouf, Paris VIIe ; menus à 42 (déj.), 68, 98 et 158 €

Claire Seppecher



avid Toutain, Normand passé par les plus grandes tables (Loiseau, Veyrat, Passard, Mugaritz, Corton à New York, Agapé Substance), a ouvert à 32 ans son restaurant. En mezzanine, une asperge phallique dessinée sur tableau noir par son producteur Sylvain Erhardt donne le ton. Tout comme les amuse-bouche d’un repas inventif et maîtrisé où les accords mets/vins touchent juste : bouchée de carpaccio de bœuf, crumble noisette/fraise et petite pizza fumée au bois de hêtre. Suivent une huître crème yuzu/ kiwi ; une asperge blanche, crevette frite et carotte. Puis, un plat subtil et puissant : langues d’oursin, mousseline de pomme de terre et réduction d’oignon épaulés par l’amertume d’un Malvasia Accamilla. C’est un défilé : asperge verte, jaune d’œuf coulant, citron ; calamars et ail des ours ; lieu jaune, baies de laurier et carotte avec un Huards 2010 de Michel Gendrier ; poularde Mireille et sponge cake. Seules fausses notes : l’anguille fumée sur mousse de sésame noir (tel un petit salé aux lentilles ultrarevisité), un brin écœurant, et la fourme d’Ambert façon crumble poire, qui ne fonctionne pas. Mais au final, le tout, virtuose, l’emporte haut la main. Anne Laffeter

bouche à oreille

rock’n roll’n food Les fans de musique ne sont plus condamnés à la médiocrité alimentaire : bonne bouffe et bon vin s’incrustent enfin dans festivals et concerts.

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ire qu’il est difficile de bien manger et de bien boire lors de concerts relève de l’évidence. On se souvient s’être battu pour le dernier sandwich à la fondue aux Vieilles Charrues, d’avoir pleuré dans une énième pinte fade en 2009 lors du faux bond d’Oasis à Rock en Seine… D’aucuns ont décidé de combattre les sandwiches en carton et les frites goût churros. Avec les Francos Gourmandes, les 13 et 14 juin, Tournus accueille un festival de musique gastronomique. Cette petite ville de Bourgogne de 6 000 habitants compte quatre chefs étoilés. Mi-juin, ils seront présents pour préparer 3 plats, 3 entrées et 3 desserts (entre 9 € et 15 €). Pour Jean-Michel Carrette, chef des Terrasses, fan de Clash et de Beastie Boys, c’est l’opportunité de sortir des cuisines. Le chef parisien Yves Camdeborde sera de la partie. Il proposera une “box” avec des produits de la région. Pour lui, c’est avant tout l’occasion d’échanger entre chefs : “Dans un métier bouffé par la hiérarchie, c’est un lieu où personne ne se la pète, c’est beaucoup plus détendu”. Malgré une scène réservée aux chefs où des “joutes”

entre cuistos seront organisées (sorte de défis à la Top Chef), il faut rester humble : “On est des artisans ! Pas des artistes”. Son ami François Hadji-Lazaro, fin gourmet et chanteur, jouera au festival avec Pigalle. Un mois plus tôt (le 15 mai), le chanteur se sera déjà chauffé au Trianon à Paris aux côtés de six chefs et six vignerons. Il contredit son ami Camdeborde : “La vraie cuisine ou la naissance d’un vin naturel sont des démarches artistiques.” Parmi eux, Thierry Puzelat, qui produit principalement du cheverny bio de Touraine. Ce vigneron aurait aimé, dans les années 80, lorsqu’il écumait les salles de concert, qu’on lui serve des vins naturels. Pour lui, le Trianon est “l’occasion de sortir de la ferme”, avant de préciser : “il est très rare de trouver du bon vin dans des concerts”. Sauf au bar à vins naturels de Rock en Seine tenu par le caviste de la Quincave (Paris VIe). A noter aussi, le festival Art Rock à Saint-Brieuc (6, 7 et 8 juin), avec le collectif Rock’n Toque, ainsi que We Love Green au parc de Bagatelle à Paris (31 mai et 1er juin), qui propose du bio et s’engage contre le gaspillage alimentaire. Zazie Tavitian 23.04.2014 les inrockuptibles 35

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tattoo pour être heureux Autrefois apanage des marginaux, le tatouage s’est largement démocratisé, s’étendant désormais à l’ensemble du corps social. Petite histoire d’une pratique sulfureuse devenue banale. par Anne Laffeter photo Rémy Artiges pour Les Inrockuptibles

Au salon Le Sphinx, à Paris, mars 2014

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Tatouage signéV iktor, du Sphinx

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a c’est là, Tin-tin”. Devant la boutique du tatoueur star de Paris, un gars donne un coup moqueur sur l’épaule de son pote : “un petit tattoooo ?”. A l’accueil, Katia, tatouée et peu commode, tend une feuille de décharge à Elodie, 33 ans, consultante. Un dragon en bois trône sur le comptoir. En fond sonore, pas de musique, seulement le bruit de la machine. Dzzz. Dzzz. Samedi aprèm, c’est l’affluence. Un gros barbu désire dans le dos une croix ressemblant au drapeau anglais. Une jeune fille feuillette les catalogues à la recherche de fleurs. Un couple d’Américains entre par curiosité. Sur le canapé en cuir de l’entrée, un jeune homme patiente en somnolant. “Vaut mieux être bien détendu”, sourit-il l’œil goguenard. A ses côtés, Dominique, top blanc moulant et baskets à talons, attend sa fille de 26 ans, allongée dans la pièce adjacente, dos nu. La main gantée de plastique de son tatoueur y dessine une croix similaire à celle que porte Justin Bieber sur le torse. “C’est très bien, le tatouage, explique sa mère, j’en ai un à la cheville. Mon mari va se faire tatouer le portrait de notre fille sur l’épaule.” Elodie a rendez-vous avec Pierre, spécialiste du dotwork, technique de tatouage au point, inspirée du pointillisme de la peinture. “J’ai demandé à Maud, mais ce que je veux n’a pas l’air de la brancher”, précise Elodie. Dans le milieu, Maud Dardeau, connue pour ses grandes pièces tout en détails et ombrages, est un nom. Comme les jeunes chefs des restos branchés, qui sont parfois leurs clients, les tatoueurs sont devenus les nouvelles rock-stars urbaines. On s’arrache les rendez-vous des plus cotés.

Ça fait marrer Jérôme Pierrat, journaliste spécialiste du crime organisé, rédacteur en chef de Tatouage magazine et auteur des Vrais, les durs, les tatoués. Les premiers faits d’arme de ce grand tatoué datent du temps où cette pratique, apanage des voyous et marginaux, inspirait encore la peur. “A la piscine, les gens me classaient dans l’ex-taulard, le biker ou le mec sexuellement déviant. Dans les années 80, le tatoueur, aussi marginal que son client, savait à peine dessiner”, raconte Pierrat. Et les boutiques étaient à l’image de leurs tenanciers : louches. “L’hygiène, je t’en parle pas”, rigole-t-il. “Les mecs buvaient des bières, le banc venait de la prison de Fresnes.” Dans un local de cinq mètres carrés, sans gants et clope au bec, le tatoueur pissait dans un Sanibroyeur posé à côté du tatoué. “C’était moche, très dissuasif”, précise Pierrat. Depuis, il a recouvert “pas mal d’horreurs, des têtes de mort et des slogans vengeurs”, par des fleurs japonaises.

Séance de travail pour Seb, le tatoueur

Hier caché sous les vêtements, le tatouage est aujourd’hui partout, se montre et se répand sur les bras, le cou, les mains : sur celle de Rihanna en forme de symbole maori. La it-girl du moment, Cara Delevingne, s’est fait tatouer un lion sur une phalange par Bang Bang. “Le tatouage qui a lancé la folie”, a légendé le tatoueur new-yorkais sur son Instagram. En quinze ans, cette pratique s’est extirpée des marges de la société pour devenir un phénomène de masse, qui transcende les classes sociales. En 2013, 33 % des Américains étaient tatoués (sondage Pew Research), dont une majorité de femmes depuis 2012 (sondage Harris). Selon une enquête Ifop (2010), c’est le cas de 10 % des Français, dont 30 % de jeunes. On compterait aujourd’hui 2 000 tatoueurs. A l’heure où le tatouage,

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Olivier, premier tattoo à 22 ans. Quatre ans plus tard, il en a vingt-cinq. “Une fois que t’as ouvert la porte, tu es désinhibé”

comme la BD, entre au musée, ils réclament un statut d’artiste. Le tatouage attire graphistes et diplômés d’art. Comment une pratique longtemps sulfureuse, éclose en France à la fin du XIXe siècle chez les marins et les bagnards, s’est-elle autant démocratisée ? “Maintenant c’est un truc de poseur, chez les hipsters, tu vois beaucoup le cou, les mains, les bras”, s’agace Pierrat. C’est la première chose que l’on remarque chez Olivier, aux bras tatoués de plantes, d’insectes et d’animaux. “On me rentre dans une petite case, je deviens le hipster tatoué”, se désole-t-il avant d’ajouter : “Le tatouage, ce n’est pas faire comme tout le monde, c’est une démarche personnelle.” Même s’il travaille dans un milieu libéral, Olivier a bien pris soin de garder la liberté de pouvoir les couvrir.

Le sentiment d’entrer dans la vie adulte a marqué le début de sa passion recouvrante. “J’ai eu l’impression de me réapproprier mon corps avec lequel je n’étais pas forcément à l’aise, comme beaucoup d’ados.” Premier tattoo à 22 ans. Quatre ans plus tard, il en est à vingt-cinq. Nouvelle addiction ? “Une fois que t’as ouvert la porte, tu es désinhibé, je ne saurais pas dire si c’est pathologique mais il y a une espèce de mutation”, explique-t-il. Son “régulier” est le tatoueur Cockney. “La douleur crée une intimité forte.” Olivier se classe dans la catégorie des collectionneurs, qui privilégient les pièces uniques. Il expose son corps comme les amateurs d’art les toiles dans un salon. En plus de ses dessins organiques, il goûte les vanités. “Je m’intéresse à la manière dont mes tatouages vont vieillir avec moi, comment ils se rapprochent d’une échéance, de la mort”, explique-t-il. “Au début, à chaque fois que je regardais un nouveau tatouage dans la glace, je pleurais : c’était comme un deuil.” Virginie, 33 ans, fait son premier à 18 ans. Un dragon japonais dans le dos : douze heures de souffrance contre le symbole de l’immortalité à l’âge où tout est possible. Aujourd’hui, faute d’entretien et d’écran total, les couleurs ont passé. “Paradoxalement, je n’aime pas raconter la signification des tatouages que je porte publiquement, je suis timide”, précise-t-elle. Dos, bras, ventre, jambe, cette ancienne de la nuit marque et transforme son corps au rythme des ruptures de son existence : “Sur mon corps, j’ai ma vie qui défile. Il n’y a rien à regretter, c’est moi, je suis le résultat de tout ça.” Virginie s’est fait tatouer le prénom de sa mère, ses dates de naissance et de mort. Sainte Rita après le décès de sa grand-mère. Un œil au poignet le jour où elle a ouvert les siens sur la drogue. C’est sa carte d’identité. 23.04.2014 les inrockuptibles 39

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“les gens veulent marquer leur identité et leur appartenance à une tribu” Margot Mifflin, auteur de Bodies of Subversion “Dans une culture globalisée et numérique, où presque tout peut être partagé et copié, aujourd’hui plus qu’hier, les gens veulent marquer leur identité et leur appartenance à une tribu”, souligne l’Américaine Margot Mifflin, auteur de Bodies of Subversion. Marqueur identitaire et mémoriel, le tatouage devient repère, support de reconnaissance dans un collectif fragmenté et incertain. Mais on est loin des sulfureux punks, gangs, yakuzas ou mafieux russes mis en scène par David Cronenberg dans Les Promesses de l’ombre. La banalisation du tatouage tue-t-elle son esprit contestataire ? L’excentricité s’est déplacée vers des transformations plus radicales et plus visibles. Dans la veine du normcore, le vrai original sera-t-il bientôt le non-tatoué ? “Je ne peux pas entendre que la vraie rébellion est d’avoir la peau nue, le tattoo reste alternatif, il a une parole singulière et une histoire”, s’agace Anne, fondatrice de la revue Hey ! et commissaire de l’exposition parisienne au musée du Quai Branly (lire encadré). Au cours de son histoire, le tatouage revêt des sens différents, varie entre appartenance, distinction, infamie. Au XIXe siècle, apanage des voyous en France, il est celui des femmes de la haute en Angleterre. La mère de Winston Churchill exhibait au poignet un serpent se mordant la queue (symbole de l’éternité). Cette mode s’exportera aux Etats-Unis, où 75 %  des femmes en porteront dans un endroit discret. Dès 1920, on trouve surtout des femmes ultratatouées dans les freak shows. Après la Seconde Guerre mondiale et le marquage des Juifs dans les camps, le tatouage perd de son attrait. Certains descendants se feront des dizaines d’années plus tard marquer à leur tour le numéro d’un parent déporté. Avec les années 70, la libération sexuelle amène l’âge de la réappropriation des corps. Janis Joplin est alors la première personnalité américaine à porter des tatouages, un bracelet florentin sur le poignet droit et un petit cœur sur la poitrine. Les années 80-90 sont le temps des tribus urbaines aux looks provocants : skins, bikers, punks. Vivienne Westwood en Angleterre et Jean Paul Gaultier en France sortiront le tatouage de la rue pour l’afficher sur les podiums. Puis les stars du sport, support du culte du corps et de la performance, s’en emparent à leur tour, tel Dennis Rodman ou David Beckham. Aujourd’hui, le tattoo a pénétré toutes les strates de la pop culture. Des rappeurs Booba, Lil Wayne et Rick Ross à Pharrell Williams. De Lena Dunham à Catherine Deneuve. Chaque

nouveauté des tattooista people, comme Lady Gaga et Justin Bieber, est un sujet en soi. Alors que le print meurt, le tatouage étend paradoxalement son emprise sur le monde. Dans une aire dominée par le virtuel, ou les solidarités collectives s’effondrent, le corps est la dernière surface pérenne d’une jeunesse à qui l’on promet un avenir incertain. L’extension du domaine du tatouage, loin d’affirmer une prétendue identité intime introuvable, est le marqueur qui fige le temps d’une époque fuyante et insaisissable. Le totem du théâtre de l’identité sociale, la seule réelle pour le philosophe Clément Rosset. C’est peut-être parce qu’il n’y a pas de mystère, juste des jeux, que le tatouage a tant changé, politique ou narcissique, jusqu’à sortir de sa propre sacralité pour s’assumer dadaïste ou décalé. “On est un peu des femmes-plateaux occidentales”, rigole Sophie Marie, qui fait dans le tattoo teubé. Elle adore son dernier : “merci” sur un coude et “Michel” sur l’autre. “On me demande qui c’est, je réponds ‘je ne sais pas’ : c’est ma meilleur blague.” Son premier date de 2010 : “True love” côté gauche du cœur, pour un garçon. “Je ne voulais pas marquer son nom, on sait jamais, effectivement je l’ai quitté quatre mois après”. Aujourd’hui, elle en a huit. “Les garçons aiment les filles à tatouage, ça fait genre j’ai vécu”, précise-t-elle. Un regret ? Peut-être un “bro’s tat” fait avec une pote un après-midi d’ennui. “On a pécho une phrase sur Wikipédia en latin, je l’ai fait derrière le bras, elle l’a fait en français sur la cuisse : ‘Vous êtes finies, douces figues’”, raconte-t-elle en se poilant. Sa limite ? Ne pas tomber dans le triangle et les cerfs sur l’avant-bras ou dans le tribal de son frère, un style passé de mode. “Mais on sera tous un jour le signe tribal de quelqu’un, ça aide à l’humilité, c’est bien de se souvenir qu’on a été cette personne.” La démocratisation ne va pas sans quelques ratures. Chez Tin-tin, on soigne aussi les éclopés du tatouage, où l’œuvre désirée se transforme en stigmate baveux. Anne-Laure, 21 ans, montre sa nuque à Katia. “Ha ben là, on peut rien rattraper, ça a trop bavé”. Mine déconfite. Anne-Laure rêvait d’avoir la signature de Marilyn Monroe, son idole. Elle s’est rendue chez le premier tatoueur, sans se méfier. Résultat : encre dégorgée et lettrage raté. “Les industries en expansion sont le divorce homo et le détatouage au laser”, prophétise le réalisateur américain John Waters. Mais c’est ultracontraignant : dix fois plus douloureux et dix fois plus cher qu’un tatouage. Anne-Laure devra le recouvrir. Un tatoueur lui montre une rose verte trois fois plus grosse pour masquer la signature de sa nuque. Le tattoo, plante proliférante et ultravivace.

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le tatouage au musée L’exposition Tatoueurs, tatoués présente la complexité et la richesse d’une pratique en vogue, née des marges et toujours en mouvement.

Gdalessandro/ENSP

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Photos anthropométriques réalisées entre 1920 et 1940 à la préfecture de police de Lyon sous la responsabilité du docteur Jean Lacassagne, fils du fondateur de la police scientifique moderne

’est une première européenne”, souligne Anne, fondatrice de la revue Hey ! et à l’origine de Tatoueurs, tatoués. Alors que le tatouage se démocratise, cette expo prend du recul et tente une approche globale : explorer un territoire mal connu du grand public et décrypter ses dimensions esthétique et artistique comme son histoire multiculturelle. “Les gens confondent popularisation du tatouage et son état d’esprit, fait d’engagement… Beaucoup le vivent comme du show-off alors qu’il est ancré dans une histoire très forte”, explique-t-elle. A l’heure de la mainstreamisation du tatouage, cette expo insiste sur les origines marginales d’un art toujours populaire. “Longtemps, tatoueurs et tatoués occidentaux n’affichèrent pas une préoccupation du ‘beau’ tel qu’entendu par l’art savant. Relié aux dites ‘basses couches populaires’, l’acte était brut, sa vertu se lisait dans l’audace du fait. Il écrivait les premiers chapitres de son histoire moderne”, précisent Anne et Julien, les commissaires, avant d’ajouter : “Puis, à la fin du XIXe siècle, certains tatoueurs imposèrent la qualification de ‘tattoo artists’ pour exprimer la dimension artistique de leur travail. Ce terme instinctif rejetait toutes les distinctions entre ‘art savant’ et ‘art populaire’.” Pour l’anthropologue Sébastien Galliot, conseiller scientifique, le tatouage écrit sa propre histoire : “La diversification et le mélange des savoir-faire est un des facteurs de la démocratisation actuelle.” L’exposition se compose de plusieurs axes : historique ; géographique et culturel entre Japon, Amérique du Nord et Europe ; renouveau du tatouage traditionnel d’Asie et d’Océanie. Plus de 300 œuvres sont exposées aux côtés de treize fausses parties du corps humain tatouées par des maîtres du genre comme le Français Tin-tin, le Japonais Horiyoshi III, le Suisse Filip Leu ou l’Américain Jack Rudy. A. L.

Tatoueurs, tatoués du 6 mai 2014 au 18 octobre 2015 au musée du Quai Branly, Paris VIIe, quaibranly.fr 23.04.2014 les inrockuptibles 41

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tatoueurs de chambre Pour lutter contre sa banalisation, certains irréductibles cherchent à redonner un souffle radical et underground au tatouage. C’est le règne du home made. par Carole Boinet

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ertains font de l’art floral, nous on fait des tatouages.” Dans un appartement près du canal SaintMartin à Paris, AnneSophie, 28 ans, Joe, 33 ans, et Corbay, 36 ans, boivent des bières, fument des clopes, se lancent des vannes. Il est 18 heures et ils se sont donné rendez-vous pour une session tatouage. Oubliez le shop classique, cette séance se déroulera au beau milieu du salon, alors qu’Eagulls, un groupe de post-punk anglais, tourne sur la platine vinyle. Anne-Sophie a choisi de se faire tatouer une main tenant un œil. “C’est un symbole de l’imagerie du skateboard. Ça me rappelle les dessins de Jim Phillips (célèbre designer de planches de skate – ndlr).” Son copain Joe a, lui, opté pour le logo du couteau Douk-douk revisité façon pin-up, le personnage traditionnel mélanésien soulevant sa jupe de feuilles de palmier pour dévoiler un sexe de femme. “Ce matin, on ne savait pas qu’on

allait se faire tatouer. Ça s’est fait comme ça”, raconte Anne-Sophie. C’est sur sa table basse, soigneusement désinfectée, que Corbay entreprend de marquer ses deux amis. La séance est régulièrement interrompue par le bruit de la machine, que Corbay juge inhabituel. “C’est sûrement l’élastique (utilisé pour maintenir le réglage de l’appareil – ndlr) qui est trop serré”, estime-t-il en tirant dessus pour essayer de le détendre. Corbay n’a jamais appris à tatouer auprès d’un professionnel et n’a pas suivi de formation sur l’hygiène, indispensable pour exercer le métier de tatoueur. Pourtant, depuis un an environ, il s’amuse à se tatouer lui-même et à tatouer ses amis, au départ à l’aide d’une aiguille puis avec des machines achetées sur internet. “Je n’ai pas envie de payer et d’aller en salon pour faire un tatouage. Ce que j’aime, c’est faire ça entre potes”, explique-t-il. Joe et Anne-Sophie acquiescent : eux aussi sont des adeptes du “home made”, moins cher que le salon classique et plus accessible.

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Melchior Tersen

Joe, un tatoué adepte du home made. Paris, mars 2014

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Melchior Tersen

Melchior Tersen

Antoine Capet, tatoueur, a débuté le home made en 2007 au sein de la revue Entrisme

Pas besoin de pousser la porte d’une boutique et de se confronter à un inconnu, il suffit d’acheter un appareil sur eBay ou de s’emparer d’une aiguille et d’un peu d’encre. Après avoir appris les rudiments de l’art du tatouage auprès d’un ami, Joe s’est offert une machine et l’a testée sur son corps. Remplie de gribouillis d’encre, sa cuisse droite ressemble à un tableau de Cy Twombly. “Je tatoue de manière brute et spontanée, en écoutant de la musique.” En s’adonnant à cette pratique, Corbay, Joe et Anne-Sophie célèbrent leur amour de l’instant présent et leur refus de se projeter dans un avenir trop lointain. Et peu importe les regrets qu’ils pourront avoir dans dix ans. Joe ne fait ainsi pas grand cas de l’immense “De la toile au trottoir”, maladroitement tatoué dans son dos par six de ses amis

lors d’un week-end de fête à Bruxelles. Ni des multiples petites pièces qui ornent ses bras, du visage de Flavor Flav de Public Enemy au gros “Zouk Love” inscrit sur sa main. Souvent bourrés d’humour, parfois absurdes, dessinés dans un style naïf, les tatouages home made reflètent la démarche sauvage de cette pratique exercée entre amis, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, parfois sous l’emprise de substances plus ou moins licites. Melchior Tersen, 26 ans, a le corps recouvert de motifs empruntés à la pop culture. Babar, les Simpson, Nirvana, Milo Manara, Noze, Pamela Anderson, Booba (un sobre “turfu”)… : un beau condensé générationnel estampillé 90-00’s. “Ça me rassure d’avoir ce que j’aime sur moi.

Et j’aime le côté veste à patches, collection de tatouages.” Melchior s’est fait faire son premier tatouage à l’âge de 16 ans, lors d’un voyage scolaire en Argentine, “entre une boîte de strip et une visite au zoo”. Mais depuis quelques années, il se rend chez un ami pour se faire tatouer. “Je ramène un pack de bières, j’y passe l’après-midi. C’est plus sympa que de prendre rendez-vous trois semaines à l’avance pour se retrouver dans un salon.” Dernière réalisation : un tigre surfant sur un phacochère, dans le dos. “Je fais ça dans des conditions légères donc les tatouages sont légers. Ça peut très bien être une connerie dite la veille.” Le sigle McDonald’s est là lui aussi, tatoué en jaune. “Quand tu sors de soirée, que tu meurs de faim, que tu marches à la recherche d’un McDo et que là tu vois l’enseigne briller, c’est tout simplement génial.” A Rennes, Thomas, étudiant de 21 ans, s’est lui-même tatoué un hamburger sur le biceps, avec un instrument acheté sur internet. Une référence à la malbouffe et au label garage californien Burger Records qu’il affectionne. Depuis un an, sa machine tourne entre les mains d’une dizaine d’amis, eux aussi adeptes du home made et membres de la scène garage rennaise.

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Carole Boinet Carole Boinet

Cuisses et bras de Joe

Pizzas, hot dogs, mention “lol”… Tout ce qui leur passe par la tête se retrouve gravé dans leur chair. “Les punks ont toujours pratiqué le home made. On n’a rien inventé”, tient-il à préciser. Thomas Winter, frère de Pedro et cogérant de la galerie parisienne Le Salon qui organise des sessions de tatouage sauvage, y voit une désacralisation du corps : “Pourquoi se tatouer des dessins forcément beaux ? Dans le home made, on est à l’opposé de l’idée de se faire faire un truc très esthétique par un pro. Les tatouages sont souvent crades, rigolos, irréfléchis.” Une réaction à la démocratisation de la pratique. “Aujourd’hui, on se paie un tatouage comme on s’achèterait un collier. Le mouvement home made vient perturber le classicisme du tatouage actuel, qui est très encadré. On en revient à celui pratiqué dans l’arrière-cuisine”, explique Thomas. Le style simpliste et souvent ironique du home made est fortement inspiré de l’“ignorant style”, esthétique brute et enfantine inventée par Fuzi. Graffeur vandale devenu artiste, Fuzi a développé une approche artistique du tatouage : “Mon style n’est pas propre, il vient de la rue. Les lignes ne sont pas droites. Le but n’est pas d’avoir un dessin parfait mais de vivre un moment spécial.” Depuis huit ans, Fuzi tatoue d’heureux

élus dans des endroits improbables : sur le toit d’un immeuble, dans le métro, dans une église abandonnée pour, dit-il, “désacraliser la pratique du tatouage, montrer que la machine est un outil comme un autre”. Pour lui, la mainstreamisation du tatouage a poussé les gens à rechercher “des choses plus vraies, à être attirés par le moment autant que par le résultat”. Certains vont jusqu’à fabriquer eux-mêmes leurs machines, sur le modèle de ce qui se fait en prison. Do it yourself jusqu’au bout des ongles, Antoine Capet, 31 ans, éducateur, a commencé le home made en 2007 au sein de la revue Entrisme. Avec des amis, il fonde un “club des superficialistes”, présenté sur son site comme “une réaction face au culte de l’artiste-tatoueur, à la médicalisation et au compagnonnage prévalant dans le milieu du tatouage actuel”. Antoine précise : “Je n’ai jamais su dessiner. C’est le rituel qui m’a attiré, l’acte même de tatouer. J’ai donc voulu fabriquer mes propres machines.” Figure de proue du home made artistique en France, Antoine tatoue principalement dans le cadre d’événements aux allures de performances. En octobre dernier, il piquait amis et inconnus au Salon

du tatouage sauvage, organisé à la galerie Lazer Quest, sorte de pendant underground du Mondial du tatouage que les adeptes du home made méprisent. S’il fabrique ses propres instruments, Antoine n’en respecte pas moins des règles d’hygiène strictes : aiguilles stérilisées et machines ne servent qu’une seule fois. Les tatoueurs de salon ne voient pas cette pratique d’un très bon œil. D’après Antoine Capet, le Syndicat national des artistes tatoueurs (SNAT) inciterait ses adhérents à dénoncer les “tatoueurs de chambre”, qui exercent en toute illégalité. Les accros au home made assurent, eux, ne pas voler de clients aux salons et avoir du respect pour le métier de tatoueur même s’ils ne s’y reconnaissent pas. En déclarant la guerre au home made, le SNAT cherche peut-être aussi à se protéger d’une pratique qui commence à sortir de l’underground pour conquérir un plus large public. Un phénomène amplifié par certaines célébrités qui s’achètent une caution radicale en s’y mettant. Dans le clip de We Found Love, Rihanna se fait tatouer les fesses dans une chambre. En 2012, Scarlett Johansson passait la porte du Salon de Thomas Winter pour se faire marquer un fer à cheval sur les côtes par Fuzi. 23.04.2014 les inrockuptibles 45

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Jesse Eisenberg

l’équilibriste

Avec Night Moves de Kelly Reichardt, il parvient à passer du jeu ultraspeed de The Social Network à la lenteur d’un personnage d’écoterroriste vivant au rythme de la nature. par Alex Vicente

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ans la grande cour jardinée de son luxueux hôtel vénitien, Jesse Eisenberg se tient debout dans un coin d’ombre, loin de la chaleur étouffante. De loin, une petite foule crie dans le lobby, mais ne clame pas son nom. Sa partenaire dans Night Moves, Dakota Fanning, pose pour un magazine de mode à seulement quelques mètres. Il l’observe, le regard vide, avant de s’apercevoir de l’arrivée de son interlocuteur. L’acteur américain est mince et nerveux, parlant à une vitesse fulgurante et faisant preuve d’une autodérision futée. Découvert comme le fils blessé et sadique dans Les Berkman se séparent et couronné grâce au rôle de Mark Zuckerberg dans The Social Network, l’acteur et dramaturge est à l’affiche du nouveau film de Kelly Reichardt, où il campe un écologiste radical décidé à faire exploser, coûte que coûte, un barrage hydroélectrique. Son prochain défi consistera à endosser le costume de Lex Luthor dans l’attendu Batman vs Superman de Zack Snyder. La première chose que l’on remarque dans Night Moves est votre débit de parole, sensiblement plus lent que d’habitude… Jesse Eisenberg – J’ai dû y travailler beaucoup,

car parler lentement m’est très difficile, comme vous le voyez. Les gens croient que c’est David Fincher qui m’a appris à parler vite, mais je parle comme ça depuis que j’ai prononcé mes premiers mots. C’est Kelly Reichardt qui m’a demandé de réduire mon débit. Avant de commencer le tournage de Night Moves, j’ai vécu un mois dans la ferme où le film a lieu pour comprendre le rythme des personnages. Là-bas, tout se passe plus lentement qu’en ville. Aller aux toilettes vous prend au moins dix minutes. J’ai compris que, dans ce contexte, je ne pouvais pas paraître trop pressé. Le film montre le dilemme entre l’action terroriste et un militantisme plus pacifique. De quel côté penchez-vous ? Comme le film essaie de le montrer, il s’agit d’un sujet très complexe. Je n’ai pas vraiment de réponse. Dans certains cas, l’action radicale est utile, comme avec le Mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Mais c’est très difficile de tracer une ligne rouge entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Vous avez signé deux pièces de théâtre, Asuncion et The Revisionist, qui évoquent aussi une jeunesse très politisée mais pas toujours lucide. C’est un trait générationnel ? Mon engagement passe exclusivement par l’écriture. Il y a quelques années, je participais aux manifestations, mais je m’y sentais mal à l’aise. 23.04.2014 les inrockuptibles 47

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“c’est important de ne pas devenir trop marginal” Jesse Eisenberg

Ce n’est pas dans ma nature de porter une pancarte et de crier en public. Dans mes pièces de théâtre, je parle d’une jeunesse énervée contre le monde et politiquement active, mais aussi profondément ignorante. Mon message consiste à dire qu’on peut être à la fois très calé et très peu judicieux, ce qui colle effectivement avec le propos de ce film. Comment construisez-vous vos rôles ? Avez-vous tendance à compatir avec vos personnages ou gardez-vous une distance critique à leur égard ? J’essaie de trouver toujours une connexion avec leur expérience émotionnelle, même quand ils sont très différents de moi. Je ne suis pas comme Josh (son personnage dans Night Moves – ndlr) mais je peux comprendre sa passion sans faille. Je suis comme ça avec les choses qui comptent pour moi, notamment l’écriture. Pour être franc, j’ai du mal à distinguer les tournages de la vie. Quand je tournais Night Moves, je me sentais angoissé en permanence, exactement comme mon personnage. En revanche, pendant Insaisissables, où mon rôle était un homme à femmes extrêmement sûr de lui, je me sentais très en forme. J’étais très étonné, car c’est le seul tournage où je me suis senti heureux. Après coup, j’ai compris que c’était à cause du personnage, qui s’aime bien et a pas mal de succès. Avez-vous été surpris par le succès inattendu d’Insaisissables, la comédie policière de Louis Leterrier, qui a rapporté plus de 250 millions de dollars dans le monde ? Pas vraiment. Les producteurs ne s’attendaient pas à gagner autant d’argent, mais le film a toujours été conçu comme une machine à sous. Ce n’était pas un sombre projet sur le cancer, mais un film d’aventures sur un groupe de magiciens (sourire narquois). Cela dit, j’aime bien le film dans son genre. Ils réfléchissent maintenant à tourner la suite… Vous oscillez entre deux extrêmes : le théâtre ultraindépendant de l’Off-Broadway et les blockbusters. Ne s’agit-il pas d’une position un peu schizophrène ? En réalité, il n’y a pas tellement de différences. Dans les films des grands studios, on vous oblige à vous raser de près, mais c’est tout (rires). Le paradoxe, c’est que j’ai pu préparer mon rôle dans Insaisissables mille fois mieux que celui de Night Moves. Pour le premier, j’ai tourné pendant trois mois. J’ai eu le temps suffisant pour être à l’aise et expérimenter dans plusieurs directions. Le second, en revanche, a été tourné en vingt jours, alors que c’est un film plus intimiste et beaucoup plus axé sur les personnages.

Jouer dans des projets grand public est une façon d’éviter la marginalisation ? Bien sûr, c’est important de ne pas devenir trop marginal. Pendant trois ans, j’ai peiné à faire financer Jewish Connection, un film sur un groupe de juifs hassidiques qui deviennent dealers de pilules d’ecstasy. J’étais tombé amoureux du scénario mais personne n’en voulait. Le jour où j’ai annoncé que j’allais tourner Bienvenue à Zombieland, le budget de Jewish Connection a été approuvé dans les cinq minutes. J’ai donc compris que c’était bénéfique de participer à des projets plus commerciaux. J’ai l’impression que ce serait difficile de maintenir une carrière au long cours si on ne travaillait que sur des projets personnels. Il y a donc une stratégie de votre part, un certain calcul ? Il ne faut pas exagérer, ce n’est pas non plus une chose qui m’empêche de dormir. Je choisis surtout des rôles qui me plaisent. En vrai, je ne suis pas doué pour ce genre de calculs. Quand on m’a parlé de Jewish Connection pour la première fois, j’y ai vu un blockbuster potentiel au budget exorbitant, au moins 100 millions de dollars. Ce n’est qu’après que j’ai compris qu’on n’aurait qu’un demi-million et qu’on tournerait avec une caméra que la maman du réalisateur lui avait offerte… Vous jouez aujourd’hui des rôles de jeune premier sans en avoir totalement le physique. Etes-vous conscient d’avoir une présence très différente de celle de la plupart de vos pairs ? Si j’imprime une certaine bizarrerie à mes rôles, c’est inconscient. J’ai l’impression de jouer des types normaux, même si je sais que les gens n’y voient pas toujours ça. Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à analyser mes prestations, car je ne regarde jamais mes films. Quand on m’oblige à aller aux premières, je me débrouille toujours pour sortir de la salle dès que le générique commence. Je déteste me voir à l’écran. Comment êtes-vous devenu comédien, alors que rien ne vous y poussait ? J’ai grandi dans une banlieue pavillonnaire du New Jersey. Tout petit, je rêvais déjà de vivre à New York et d’y devenir un acteur et dramaturge à succès. Mes parents m’ont toujours soutenu, sûrement parce que ma mère a longtemps travaillé comme clown professionnelle. Mon premier souvenir d’enfance, c’est de l’entendre accorder son piano et sa guitare. Elle était vraiment douée. Si je suis devenu comédien, c’est sans doute grâce à elle.

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Dakota Fanning la rescapée Sa partenaire dans Night Moves a survécu à son statut d’enfantstar et semble prête à endosser des rôles plus matures.

Fabrizio Maltese/Contour by Getty Images

par Alex Vicente

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près l’avoir vue en brune fragile, ombrageuse et mal coiffée dans Night Moves, c’est plutôt perturbant de la redécouvrir blonde, solaire et irréprochable dans la vraie vie. Dakota Fanning se présente vêtue avec une spectaculaire robe beige, signée Sarah Burton, à l’opposé des hoodies et des jeans mal coupés qu’elle arbore dans le film. Elle vient de fêter ses 20 ans mais n’a pas perdu ce côté petite fille sage qui agaçait parfois dans sa période de star précoce. Son jeu d’enfant terrorisée dans les bras de Tom Cruise dans La Guerre des mondes reste sa prestation la plus marquante. Mais, à l’horizon, une nouvelle Dakota paraît s’annoncer. Depuis la fin de la trilogie adolescente Twilight, l’aînée des sœurs Fanning s’oriente vers un cinéma plus mature et stimulant, engageant la difficile transition vers des rôles adultes. Sa collaboration avec Kelly Reichardt le prouve. Tourner Night Moves répond-il à une volonté d’en finir avec les blockbusters auxquels on vous associait ? Dakota Fanning – Ce n’était pas prémédité, mais c’est vrai que j’ai envie d’expérimenter de nouvelles choses. Dans ce cas, je n’ai pas hésité à dire oui, à cause de mon admiration pour Kelly Reichardt. J’ai découvert son travail grâce à Michelle Williams, qui reste l’une de mes actrices préférées. J’ai vu La Dernière Piste et je suis tombée immédiatement amoureuse de son travail. Qu’est-ce qui vous plaît dans son cinéma ? Ses films sont réels. Kelly privilégie les premières prises. Une fois, au tout début, je me suis trompée dans mon texte. Elle m’a dit que ce n’était pas grave et qu’on garderait quand même la prise. “Dans la vraie vie, les gens trébuchent aussi”, m’a-t-elle expliqué. Je sais que ça paraît évident, mais pour moi ça a été libérateur. Dans ses films, les acteurs ressemblent à de vraies personnes, même les stars. Etiez-vous familière du milieu du militantisme écologique ? Pas vraiment. Quand Kelly m’a raconté que le film parlerait de trois activistes écolos qui font exploser un barrage, j’ai eu un peu peur. Après j’ai compris que l’enjeu n’était pas vraiment celui-là. Quelle est la solution au problème environnemental ? Le film ne donne pas vraiment de réponse et c’est très bien comme ça. Avez-vous déjà pris part à une lutte militante quelconque ? Non, jamais. Je ne suis pas quelqu’un de très emporté. Votre carrière a commencé en 2000 – vous aviez alors 6 ans. Vous faites donc partie de la première

“souvent, je me demande pourquoi je ne suis pas devenue folle” Dakota Fanning

génération de stars ayant grandi sous le regard d’internet. Comment arrive-t-on à être scrutée en permanence et ne pas perdre la tête ? Je me pose souvent la question. Pourquoi ne suis-je pas devenue complètement folle ? Franchement, quand je vois d’autres actrices de ma génération qui le sont un peu, je comprends. Depuis notre plus jeune âge, on nous répète tous les jours que nous sommes mal habillées, que nous sommes grosses et vilaines, que le petit ami de l’une est sur le point de la quitter pour celle d’à côté. Face à ce jeu malsain, c’est normal de devenir fou. Si je suis restée à l’abri de tout cela, c’est seulement parce que j’ai la peau dure. Je ne laisse pas cette négativité envahir ma vie. Vous avez récemment repris vos études universitaires. C’est une façon de garder une saine distance vis-à-vis du système ? Sans doute. J’ai été acceptée dans la Gallatin School, une école de l’université de New York, qui vous permet de suivre un parcours personnalisé, en fonction de vos intérêts (dans laquelle ont étudié Rooney Mara et Anne Hathaway – ndlr). J’ai choisi, probablement pas par hasard, d’entamer une recherche sur la représentation de la femme dans la culture d’aujourd’hui, y compris dans le cinéma. Qu’en avez-vous conclu pour l’instant ? Heureusement, tous les films ne sont pas pareils, mais ce n’est pas un secret qu’il est difficile de trouver un personnage féminin qui ne soit pas justifié ou validé par sa relation avec un homme. Je suppose que l’approche de ma recherche est plutôt féministe, mais ça me stresse un peu d’en parler. Ça vous dérange si on change de sujet ? C’est quand même intéressant que vous ayez choisi ce sujet. En 2011, quand vous aviez 17 ans, une de vos pubs pour Marc Jacobs, où vous apparaissiez avec une bouteille de parfum sur les jambes, a été censurée au Royaume-Uni. On a accusé le créateur de “sexualiser l’enfance”… C’était un moment très perturbant (elle s’énerve légèrement). Je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé. Tout le monde avait vu cette pub et n’y avait rien trouvé d’étrange. Six mois plus tard, l’interdiction est tombée pour des raisons mystérieuses. En tout cas, je n’ai aucun regret là-dessus. J’adore Marc Jacobs et Juergen Teller, qui avait pris la photo. On a beaucoup rigolé tous les trois avec cette drôle d’histoire. Quelle relation avez-vous avec votre sœur Elle, actrice à succès depuis que Sofia Coppola l’a choisie pour Somewhere ? Existe-t-il une saine émulation entre vous ? En tant que grande sœur, j’essaie de la protéger, mais je ne me mêle pas de ses choix comme actrice. En fait, on ne parle que très rarement de boulot. Quand on lui propose un rôle, elle ne vient jamais me demander mon avis. Je ne sais pas si j’ai été un modèle pour elle. Je n’ai jamais eu cette prétention. J’ai seulement essayé de prendre de bonnes décisions pour moi-même. Si j’ai réussi à l’inspirer, tant mieux, mais ce n’était pas vraiment mon but. lire la critique de Night Moves p. 66

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Phénomène éditorial dans le monde entier, les guides pour devenir une “femme française” pullulent. Enquête sur un marché de dupes. par Clémentine Goldszal



e French bashing a le vent en poupe ? Il paraît… Pourtant, plus que jamais, les librairies américaines croulent sous les livres qui clament détenir le secret de la vie douce “à la française”. Cibles privilégiées, les femmes qui, apparemment, rêvent toutes de s’approprier ce charme nonchalant, cet hédonisme jouisseur, cette moue et ce style inimitable qui seraient autant de signatures de la “Frenchwoman” (un concept en soi). La femme française, peut-être un raccourci pour désigner la femme rêvée ? “Ce que les Américains appellent ‘La Française’, ou plus précisément ‘La Parisienne’, est en fait une projection de ce qu’ils fantasment comme étant la femme idéale”, analyse Caroline de Maigret. Et elle sait de quoi elle parle. Directrice d’un label, ex-mannequin devenue muse, égérie, “it-girl”, cette beauté aux longs cheveux défaits et à la dégaine parfaitement relâchée incarne à l’étranger l’archétype de cette femme libre, belle et intelligente, mince, mère, amante et working girl. Tout cela à la fois ? Et plus encore. A en croire la littérature sur le sujet, toujours plus fournie, les Françaises sont immunisées contre le surpoids (French Women Don’t Get Fat), le vieillissement (French Women

Marine Andrieux / Panoramic

how to be a french woman Don’t Get Facelifts) et la solitude (French Women Don’t Sleep Alone: Pleasurable Secrets to Finding Love). Elles savent s’habiller (Lessons from Madame Chic: 20 Stylish Secrets I Learned While Living in Paris), ont confiance en elles (Ooh La La! French Women’s Secrets to Feeling Beautiful Every Day), kiffent la vie comme elle vient (Joie de vivre: Secrets of Wining, Dining, and Romancing Like the French). Elles savent même faire des bébés et les élever mieux que les autres (French Children Don’t Throw Food, How to Dress Like a Cool French Mom). Et quand elles se piquent de chasteté, à l’image de Sophie Fontanel dont le roman L’Envie a paru en anglais l’été dernier sous le titre The Art of Sleeping Alone, elles parviennent carrément à “transformer la décision de faire une croix sur le sexe en un geste élégant qui transpire le pragmatisme et exhale un voile de fumée”, comme s’en amusait James Wolcott en juillet 2013 dans les colonnes de Vanity Fair. Il y a donc un marché, c’est certain ; les Français(e)s font vendre en librairie. Le best-seller d’Inès de la Fressange, La Parisienne, s’est écoulé à 200 000 exemplaires en France et plus de 300 000 dans le reste du monde sous le titre Parisian Chic, et même le Savoir maigrir du nutritionniste Jean-Michel Cohen s’est vendu comme des petits pains outre-Atlantique, une fois rebaptisé The Parisian Diet.

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L’ex-mannequin Caroline de Maigret à la sortie du défilé Balenciaga à Paris, février 2014 : une certaine idée de “La Parisienne”

Pris en main par Susanna Lea, agent littéraire anglaise relocalisée à Paris, le dernier projet en date est un succès avant même sa parution : How to Be Parisian Wherever You Are a été écrit à huit mains par quatre Parisiennes pur jus. Caroline de Maigret, donc, l’écrivaine Anne Berest, la journaliste Audrey Diwan et la productrice de cinéma Sophie Mas, ont convaincu Susanna Lea du potentiel de leur livre à la seconde où elles sont entrées dans son bureau : “Je n’ai jamais cru aux livres sur les secrets des Françaises, commente Lea. Je vis en France depuis des années, et je le vois bien : elles grossissent comme tout le monde, et leurs enfants peuvent être insupportables. Mais quand j’ai rencontré ces quatre-là, alors là oui, c’était réel. Quand j’ai présenté le projet du livre à la foire de Londres, les enchères sont immédiatement montées entre six éditeurs américains. Depuis, nous avons vendu les droits en Australie, en Angleterre, en Italie, en Pologne, au Japon, à Taiwan…” Un buzz à la hauteur de l’engouement pour ce type de littérature. Même si la majorité de ces livres sont écrits par des Américaines installées à Paris, rien ne vaut la parole des principales concernées. C’est ce qui a sans doute fait le succès du parrain du genre : publié en 2004, vendu à plus de deux millions d’exemplaires, traduit en près de quarante langues et suivi par une foule de déclinaisons en livres de cuisine et autres conseils pratiques, French Women Don’t Get Fat est signé Mireille Guiliano, une Française installée aux Etats-Unis. C’est pourtant une Américaine, et pas des moindres, qui semble avoir lancé la tendance, il y a près de cent ans : en 1919, Edith Wharton publiait French Ways and Their Meaning, une compilation d’observations et impressions sur ce “French way of life” si mystérieusement attirant. Bien sûr, comme tout “genre”, celui-ci a ses codes et ses usages : les auteurs anglo-saxonnes abusent d’expressions typiques,

en français dans le texte, se citent entre elles et mettent en avant leur expérience sur le terrain (qui a un mari made in France, qui a étudié à la Sorbonne…). Comme le souligne Harriet Welty Rochefort, auteur de plusieurs livres sur le sujet, “ce qui est très américain, c’est d’essayer de comprendre le secret de la Française. Ce qui est très français, c’est d’affirmer qu’on ne peut pas copier cette attitude juste en appliquant à la lettre un ensemble de règles”. La force des Françaises elles-mêmes sur ce marché juteux ? Elles maîtrisent leur sujet. Mieux, elles “sont” leur sujet. Caroline de Maigret résume ainsi le secret du look apparemment nonchalant des Parisiennes : “L’idée est de ressembler à quelqu’un qui a autre chose à faire que se préparer, quelque chose de plus intellectuel.” Avant d’ajouter : “Bien sûr, les Françaises passent autant de temps devant leur miroir, mais le but est que ça se voie le moins possible.” Casser le cliché de Catherine Deneuve dans Belle de jour et de la femme Saint Laurent des années 70 pour dresser un portrait plus vibrant et moderne, telle est également la mission du livre auquel elle a participé. Et à lire Entre nous: A Woman’s Guide to Finding Her Inner French Girl, sorti en 2003, juste avant la déferlante qui marqua le renouveau du genre, et qui regorge de grandes bourgeoises du Trocadéro qui reçoivent à dîner en servant des toasts au caviar, on se dit qu’il y a effectivement du boulot. L’auteur, Debra Ollivier, n’hésite d’ailleurs pas à citer Jeanne d’Arc, la Pompadour ou Marie-Antoinette au rang des “French women we like”. Mi-surannée, mi-Ancien Régime, l’image de la femme française avait en effet bien besoin d’un petit ripolinage. Tout un programme qui ouvre des perspectives infinies pour les éditeurs. Prochaine en lice : la blogueuse Garance Doré, installée à New York, planche sur un livre qui paraîtra dans les prochains mois chez Spiegel & Grau, une division de Random House, l’un des plus grands éditeurs américains. 23.04.2014 les inrockuptibles 53

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Groupe mythique s’il en est, les Pixies n’avaient pas fait d’album depuis plus de vingt ans. A l’occasion de la sortie d’Indie Cindy, rencontre à Houston pendant leur récente tournée américaine et avant quelques dates européennes. par Maxime de Abreu

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Jay Blakesberg

A San Francisco, au cours de leur tournée américaine, en février 2014

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“Je ne saisis pas bien ce genre de questions. Je ne suis pas bon avec les hypothèses, et tout ce qui n’est pas concret. Imaginer l’avenir du groupe sans Kim Deal, ou son éventuel retour, ou encore ce que je serais devenu sans les Pixies, c’est comme essayer d’imaginer à quoi ressemblerait ma vie si j’avais été un cheval. Je ne vais pas inventer des scénarios pour le bien de ton article. Je ne suis pas romancier. Je suis incapable d’inventer des histoires. Quand je me mets à réfléchir, je ne vois que des gens en train de baiser.” Frank Black a une façon bien à lui d’envisager une interview. Il semble mettre un point d’honneur à ne pas répondre directement aux questions, et quand il y en a une qui ne lui plaît pas, il ne se prive pas de vous le faire comprendre. Mais il conserve cette malice dans le regard, cette bienveillance taquine. On devine une intelligence profonde derrière ses petites lunettes sans style, et une générosité sincère, qui ne s’embarrasse pas des règles de politesse. Parfois, au lieu de parler, il fait des schémas avec les objets autour, ou bien il dessine (en utilisant nos pages de questions). Ses idées sont comme les chansons qu’il écrit : elles partent dans tous les sens, changent d’aspect en une seconde, ne se ressemblent pas les unes les autres. Malgré les années, le leader des Pixies a su préserver cette liberté dans la pensée, ce je-m’en-foutisme absolu qu’on pourrait voir comme l’essence même du rock.

Jay Blakesberg

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ans le Bayou Music Center de Houston, au Texas, les réactions sont plutôt calmes face aux nouvelles chansons des Pixies. Ni l’évidence tubesque de Magdalena, ni la gouaille roublarde de Bagboy, ni la tendresse infinie d’Andro Queen, pas même la nervosité gueularde de Blue Eyed Hexe ne secoueront un public pourtant prompt à pogoter joyeusement sur les vieux tubes adorés. C’était au mois de février et les fans ne semblaient pas réaliser que les Pixies étaient de retour pour de vrai, depuis quelques semaines, avec deux nouveaux ep annonciateurs d’un album complet à venir – le premier depuis 1991. Il faut dire que pendant le concert, les Pixies font la part belle au répertoire passé. Sans aucune setlist sous les yeux (ils improvisent en suivant les directives de Frank Black), le groupe jouera une trentaine de morceaux ce soir-là, balayant tranquillement une discographie relevant aujourd’hui du mythe : on y entendra Isla de Encanta, Caribou (tirés de Come on Pilgrim), Bone Machine, River Euphrates (de Surfer Rosa), Mr Grieves, Hey, La La Love You (de Doolittle), Ana (de Bossanova), Planet of Sound, U-Mass, The Sad Punk (de Trompe le monde)… Après le concert, on retrouve le groupe dans les loges. Il y a du champagne et des fruits dans le frigo, mais l’ambiance est plutôt à la pizza et à la bière. Frank Black enfile ses lunettes pour signer quelques T-shirts. Joey Santiago branche son téléphone à de petites enceintes, puis passe quelques tubes funk en se marrant. David Lovering, lui, fait le malin avec des tours de magie – sans blague, c’est un pro. Et puis, sur le canapé, discrète mais rieuse, il y a Paz Lenchantin. Celle-ci les accompagne pendant leur tournée aux Etats-Unis, qui touche alors à sa fin. Contrairement à ce qu’on a pu croire ces derniers mois, elle n’a pas remplacé Kim Deal au sein du groupe, pas plus que Kim Shattuck avant elle. Toutes deux ont eu cette mission : jouer de la basse sur scène et fournir une voix féminine à certains morceaux qui, sans leurs allers-retours vers les aigus, perdraient inévitablement de leur sens. Sans doute Kim Deal est-elle irremplaçable, mais son départ juste avant l’enregistrement du nouvel album ne semble pas avoir bouleversé la raison d’être de ce dernier. Quelques heures avant la scène, on discute avec un Frank Black concentré, un peu rude par moments : “L’album aurait sûrement été différent avec Kim. Déjà, il y aurait eu sa voix dessus. Certains choix n’auraient sans doute pas été les mêmes. Mais je ne regrette rien. C’est ainsi que les choses se sont passées et puis voilà.” On le comprendra rapidement : inutile d’insister sur le sujet…

Le rock, les Pixies l’ont bouleversé à la croisée des années 80 et 90. Ils ont fait la jonction entre le post-punk et le grunge en digérant l’héritage de la surf music, de la new-wave, du hard-rock, redirigeant ainsi l’usage massif des guitares vers l’horizon désormais atteint de la suprématie pop. Visionnaires, les Pixies ? Vingt-cinq ans sont passés depuis leur premier album ; certains fans de la première heure ont oublié l’excitation de leur jeunesse, désormais ils s’en foutent ; ceux de la deuxième ont révisé leurs classiques, et sont tenus par le respect ; pour les plus jeunes, c’est compliqué : comment dépasser la mythologie qui s’est installé sur cette époque, comment aimer les Pixies de façon éclairée, comment s’intéresser vraiment à ce nouvel album que plus personne n’attendait de toute façon ? Pour le réaliser, le groupe a fait appel à ses collaborateurs historiques, Gil Norton (à la production) et Vaughn Oliver (au graphisme). Et c’est comme si de rien n’était, après onze ans de rupture, puis la reformation en 2004 – pour la scène uniquement, loin des studios d’enregistrement. Comme si l’histoire des Pixies continuait de s’écrire sans que le temps et la nostalgie n’aient pris le pas sur une époque perdue, et sur une œuvre qu’on voyait déjà bouclée, prête à être livrée au musée fantasmé du rock. Les membres du groupe ne semblent pas se poser

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ce genre de questions. David Lovering : “Retravailler avec Gil et Vaughn était une sorte d’évidence. La formule a toujours fonctionné pour les précédents albums. Malgré les années, on n’avait aucune raison de ne pas continuer. Tout est revenu naturellement. Parfois je suis content qu’on se soit séparés : sans ça, la reformation en 2004 n’aurait jamais eu lieu, et on n’aurait pas connu toutes ces choses aujourd’hui.” Joey Santiago : “Gil nous connaît bien. Il a été une sorte de psy pour nous. Il sait nous calmer. N’importe quel autre producteur se serait enfui en courant ! Les choses n’ont pas trop changé. C’est toujours le même groupe, les mêmes dynamiques… Les Pixies m’ont évidemment manqué pendant tout ce temps. On gagnait de l’argent, on s’amusait, on voyageait… Tout ça s’est arrêté du jour au lendemain ! On était de jeunes trous du cul…” Houston n’est pas une ville très sexy. Le centre, où les buildings s’entassent en rivalisant de propreté clinique, se traverse à pied en un quart d’heure ; le reste est un enchaînement tentaculaire de quartiers résidentiels, où les maisons se suivent sans cohérence architecturale, sans richesse ni charme particulier. L’identité du lieu ne tient qu’à cette grisaille postindustrielle, à cette impression d’être dans le désert malgré le gigantisme urbain. Quand on demande à Frank Black ce qu’il pense de Houston et du Texas, il se contente de hausser les épaules en souriant finement. “Je ne suis pas à Houston. Là, je suis dans un hôtel.

“imaginer l’avenir du groupe sans Kim Deal ou ce que je serais devenu sans les Pixies, c’est comme essayer d’imaginer à quoi ressemblerait ma vie si j’avais été un cheval” Frank Black Ce soir, je serai dans une salle de concerts. Parfois, pendant quelques secondes, j’oublie dans quelle ville je me trouve : je sais juste que je suis quelque part sur Terre.” Et si les Pixies étaient justement devenus un de ces groupes hors du monde et du temps, capables de produire du sens quoi qu’ils fassent ? Le morceautitre de l’album – peut-être le meilleur en ce qu’il sait marier la lourdeur et la finesse, la violence et la tendresse (l’identité du groupe s’est bâtie sur ce genre de subtilités) – raconte des nuits gâchées, une fille aimée et quelques trucs complètement hallucinés. La chanson s’appelle donc Indie Cindy. Pourquoi ce titre ? “Et pourquoi pas ? Ça rime, ça sonne bien.” OK, Frank. album Indie Cindy (Pias). Sortie le 28 avril. concerts le 30 mai à Primavera Sound, le 2 juillet aux Nuits de Fourvière, le 4 aux Eurockéennes de Belfort et le 6 à Beauregard pixiesmusic.com 23.04.2014 les inrockuptibles 57

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Johnny Voodoo. Los Angeles, 2011

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Oliver Sieber

Reita (Kayleigh). Köln, 2007

La quête d’individus singuliers est le grand thème de ce photographe allemand. De Los Angeles à Tokyo, de salles de concerts en clubs, il immortalise une jeunesse underground en rupture avec les codes de la société.

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he best thing is the difference”, écrivait Diane Arbus. Ce credo, Oliver Sieber l’a fait sien. Photographe allemand, nourri dès son plus jeune âge par le punk, la new-wave et le revival du rockabilly, il commence en 1999 un long travail sur les mods, les teddy boys et les skins. “La musique et la mode vestimentaire, comme indices ou codes d’un système de pensée, sont les critères les plus importants dans mon travail. Ils le sont en tant que référents à la culture des jeunes et du concept de contre-culture.” Oliver Sieber ne se contente pas de faire œuvre à Düsseldorf, sa ville natale, mais parcourt l’Europe, l’Asie ou les Etats-Unis à la recherche d’une jeunesse rebelle. Même s’il se sent étranger dans les villes qu’il arpente, il “aime ce sentiment d’avoir l’air différent et en même temps de trouver des échos à sa propre vie”. Et c’est ce moment de croisement, de confluence, de mutuel échange culturel qui le passionne. De Los Angeles à Tokyo, il cherche des lieux où il peut retrouver cette jeunesse underground. Son fil d’Ariane reste immuablement la musique : il part à la recherche de flyers dans les magasins de disques ou de concerts sur le net et, là, sa quête commence. Imaginary Club est une ode magistrale à la gloire de tous les invisibles qui rejettent les codes de la société. L’artiste extrait des personnes de leur environnement pour les mettre en lumière, en suivant toujours le même protocole : plan rapproché, fond neutre, visage de trois quarts pris au flash, et toujours en couleur. L’environnement est représenté par des snapshots de salles de concerts, clubs, ruelles en noir et blanc. Les sujets sont des goths, des cosplayers, des punks, des transsexuels, saisis chacun dans leur irréductible singularité, loin des stéréotypes et de l’imagerie véhiculée généralement par les magazines : précellence du visage malgré l’absence de regard, force des vêtements ou du maquillage. Ce sont, tels des modèles bressoniens, des êtres uniques, et Oliver Sieber en saisit leur “essence pure”. Maria Bojikian

livre Imaginary Club (GwinZegal/ BöhmKobayashi), 422 pages, 68 € exposition Imaginary Club jusqu’au 25 mai à Hyères, dans le cadre de la 29e édition du Festival international de mode et de photographie villanoailles-hyeres.com/hyeres2014 60 les inrockuptibles 23.04.2014

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Sweet Lolita. Tokyo, 2008

Larry/SF. Berlin, 2012

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Christina, Leipzig, 2008

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Tim, Bochum, 2011

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Dans la cour de Pierre Salvadori

Une “mélancomédie” élégante sur des dépressifs qui réapprennent à vivre. Pierre Salvadori délaisse les comédies sophistiquées et signe son film le plus intime et émouvant.

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ntre l’un des premiers films de Pierre Salvadori, Les Apprentis, et ce nouvel opus, Dans la cour, il se sera écoulé près de vingt ans. Une longue période passée à expérimenter les formes de la comédie d’auteur française, voire ces derniers temps américaine, et à occuper la position délicate de cinéaste du “milieu”, tentant de concilier ses exigences artistiques avec l’efficacité

commerciale. Ces dix dernières années, il a aussi vu ses acteurs fétiches (Marie Trintignant et Guillaume Depardieu) disparaître l’un après l’autre dans des conditions tragiques, lui laissant le regret de ne pas avoir pu former sa propre communauté de cinéma. Une période d’épreuves et de blessures secrètes qui semble aujourd’hui remonter à la surface, comme une rumeur mélancolique qui viendrait hanter son nouveau film, le

plus intime et bouleversant de l’auteur, dont la pudeur exigea pourtant qu’il reste fidèle à son genre de prédilection : la comédie. Voilà donc un film drôle et alerte, qui réussit l’exploit d’aborder de front des sujets d’ordinaire peu propices à l’humour, la solitude et la dépression, sans jamais céder aux sirènes du pathos ni aux émotions faciles. Un film radical et populaire, qui n’hésite pas à prendre pour personnage principal un gros mec

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c’est la grande force de Pierre Salvadori de savoir par endroits réenchanter sa tragédie

Catherine Deneuve, foldingue et impériale

barbu et taciturne, toxico et lâche – soit à peu près tout ce que les conventions de la comédie grand public interdisent – et à en faire un héros magnifique, un ange gardien veillant sur le récit. L’homme en question s’appelle Antoine (Gustave Kervern), c’est un vieux musicien triste et las, qui décide sur un coup de tête de tout plaquer – sa carrière, sa femme, ses amis – pour refaire sa vie ailleurs. Ailleurs, c’est-à-dire dans la cour d’un banal immeuble parisien dont il accepte le poste de gardien, sans se douter des galères qui l’attendent : les guerres de voisinage, les intrusions dans son intimité, le harcèlement de colporteurs mystiques et, surtout, les sautes d’humeur d’une propriétaire toquée, Mathilde (Catherine

Deneuve), qu’il finira par prendre sous son aile. Lancé ainsi sur la piste d’un buddy-movie contre nature, tirant parti de l’antagonisme de ses deux personnages et des conflits qu’il provoque, Dans la cour débute au rythme d’une comédie enlevée, où l’on retrouve intact le style de Salvadori : son sens du timing, la précision clinique de sa mise en scène et le raffinement de son écriture qui suffit en quelques traits à camper une galerie de personnages fantasques. Mais plutôt que de jouer en continu sur ce mode comique de l’opposition binaire, le cinéaste s’intéresse à ce qui rapproche cette petite communauté humaine, à savoir un état dépressif qu’il dévoile en pointillés. L’angoisse de vieillir, la tentation du suicide, le sentiment que tout autour de soi s’affaisse : le film se laisse peu à peu déborder par ces affects noirs et épouse une forme de gravité tranquille, de profondeur inattendue, d’autant plus élégante qu’elle n’empêche jamais le rire. C’est la grande force de Pierre Salvadori de tenir cet équilibre fragile entre le drame et son antidote, de savoir par endroits réenchanter sa tragédie (une scène de rêve

impromptue) sans rien sacrifier de son réalisme. Une réussite qui doit beaucoup, aussi, à son duo d’acteurs : Gustave Kervern, en vieil ours taiseux qui révèle une sensibilité inconnue, et Catherine Deneuve, pour qui a été écrit un rôle sur mesure, sculpté dans la mémoire cinéphile. Elle y est filmée sans fausse pudeur ni travestissement, fragile et troublée, dans la peau de cette bourgeoise dépressive, obsédée par les fissures qui gagnent les murs de son appartement, comme un vieux souvenir de Répulsion de Roman Polanski. Dans l’une de ses dernières scènes, elle résume d’une voix déchirante le très beau mouvement optimiste du film, qui abandonne ses personnages à un horizon enfin apaisé : “J’ai compris que j’avais fait du monde un murmure, dit-elle. J’ai compris que malgré mes angoisses et mes peurs, il me fallait tout faire pour revenir aux autres.” Romain Blondeau Dans la cour de Pierre Salvadori, avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern, Pio Marmaï, Féodor Atkine, Michèle Moretti (Fr., 2 014, 1 h 37) lire aussi l’interview express de Pio Marmaï, pp. 16-17 23.04.2014 les inrockuptibles 65

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Night Moves de Kelly Reichardt Des militants écolos à l’assaut d’un barrage. Le film noir de la brillante réalisatrice d’Old Joy et Wendy et Lucy.

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ouveauté dans le travail de l’un des meilleurs cinéastes américains indépendants, Kelly Reichardt (Old Joy, Wendy et Lucy, La Dernière Piste), Night Moves est un film noir. Mais un film noir d’aujourd’hui, à la sauce Reichardt, avec ce style si singulier qui tient dans la rigueur du cadre et du rythme, dans l’expression maximale avec les moyens cinématographiques les plus réduits. Josh (Jesse Eisenberg, génial quand il joue la peur) est un jeune militant écologiste. Il travaille dans une ferme bio de l’Oregon. Le soir, on se réunit avec d’autres pour regarder des documentaires, parler de la destruction prochaine de la planète, des moyens de protestation qui s’offrent au citoyen pour réveiller les consciences. Peu à peu, nous découvrons que Josh, avec l’aide d’une autre jeune militante, Dena (Dakota Fanning, méconnaissable), et d’un homme plus âgé qui vit en marge de la société, Harmon (Peter Sarsgaard), est en train de préparer un attentat contre un barrage hydroélectrique. Evidemment, rien ne va exactement se produire comme prévu. Parce que la nature (le hasard) est plus fort que la volonté humaine ? Tout l’intérêt du film, en dehors d’une maîtrise absolue des codes du film noir (le suspense, la paranoïa, le destin aveugle, etc.), tient dans ce qui travaille

le cinéma de Kelly Reichardt depuis ses débuts : un rapport ambivalent avec la nature. La Terre nous nourrit bien évidemment, nous en sommes le fruit, mais, comme les hommes, elle porte elle aussi en elle les forces de son autodestruction. Night Moves, dans ce qu’il exprime parfois, pourrait faire peur (et c’est son ambiguïté qui fait qu’il est sans doute l’un des films les plus passionnants de Reichardt) : quel est donc le positionnement de la réalisatrice par rapport au terrorisme, quelle qu’en soit la nature, quelle que soit la sincérité de ceux qui y recourent et le bien-fondé intellectuel de leurs idées ? Le récit donne une première réponse : n’importe qui ne peut pas s’improviser criminel, supporter la culpabilité d’un acte grave dont les conséquences ont dépassé tout ce qu’il imaginait. Le crime est un cercle vicieux qui entraîne un autre crime, etc. Rien de neuf de ce côté-là. Mais ce n’est sans doute pas ce qui intéresse le plus la réalisatrice.

la Terre nous nourrit mais, comme les hommes, elle porte en elle les forces de son autodestruction

Ce que montre le film par sa mise en scène, d’une manière si discrète, si attentive à laisser le spectateur se forger sa propre idée avec ce qu’il voit et sent, c’est d’abord qu’aucune cause, aussi bonne semblet-elle, n’est pure. Quels sont les vrais sentiments de Josh à l’égard de Dena ? Ce non-dit n’entre-t-il pas pour une bonne part dans les actes (d’ailleurs contradictoires) de Josh ? Quelles sont les véritables visées de ce drôle de Harmon ? Et puis il y a l’obsession de cette nature, comme nous le disions, qui pousse ceux qui y vivent, qui en font partie, qui sont à son image, à la détruire autant qu’à la protéger, qui relativise le discours idéologique des hommes, qui semble leur dire : mais à quoi joues-tu ? n’es-tu pas, en leur nom, en train d’agir contre tes convictions ? Voilà. Dans Old Joy, on croit partir en forêt avec son vieux pote pour se ressourcer, et on se retrouve à ressasser de vieilles rancœurs. Dans La Dernière Piste, on part vers l’Ouest pour défricher le Nouveau Monde protégé par ses certitudes religieuses, et puis un Amérindien seul, un “intrus” (quel paradoxe), vient bouleverser votre rapport au monde. C’est d’une profonde intelligence. Jean-Baptiste Morain Night Moves de Kelly Reichardt, avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaard (E.-U., 2013, 1 h 47) lire aussi les entretiens avec Jesse Eisenberg et Dakota Fanning, pp. 46-50

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L’Eté des poissons volants de Marcela Said avec Francisca Walker (Fr., Chili, 2013, 1 h 27)

Beau film d’ambiance chilien, où la nature s’immisce dans le conflit larvé entre deux communautés. ne première œuvre passe par le filtre subjectif d’une sensible, voire envoûtante, adolescente curieuse et ouverte, confirmant une nouvelle Manena, qui découvre la sensualité fois qu’après l’Argentine, amoureuse en même temps la renaissance cinématographique qu’elle s’immerge dans cette nature de l’Amérique latine passe par à la fois hostile et indifférente, le Chili. Pour aller vite et résumer, dont les Indiens mapuches on dira que cette geste lacustre sont à la fois l’émanation et les et campagnarde (les vacances gardiens. Une étrangeté indicible, d’une famille bourgeoise souterrainement sous-tendue par sur ses terres au bord d’un plan la partition organique du musicien d’eau) tire toute sa force du climat russe Alexander Zekke, qui ajoute hanté que distille le paysage ; une tonalité dissonante à cette il contamine irrémédiablement chronique estivale, dont la plus les êtres qui vivent en symbiose grande qualité est de se cantonner dans ce coin presque sauvage fermement dans la suggestion. du sud du Chili. On peut trouver une certaine Le sujet apparent est parenté thématique et suggestive le sourd antagonisme entre les entre cette première fiction d’une deux communautés en présence : documentariste, Marcela Said, les Indiens mapuches et les et un autre film chilien, le récent descendants des colons européens. Magic Magic de Sebastián Silva, Mais la mise en question (certes qui partait d’un constat et d’une louable) du racisme persistant ambiance similaires pour frôler en Amérique latine compte moins le film d’horreur. Mais ici que la manière diffuse et elliptique on navigue dans un entre-deux dont la cinéaste intègre cette indécidable. C’est justement pour donnée à un plus vaste tableau cela que le film nous travaille impressionniste. Tout, ou presque, plus en profondeur. Vincent Ostria

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Je m’appelle hmm… d’Agnès Troublé dite agnès b. avec Lou-Lélia Demerliac (Fr., 2013, 2 h 01)

Le premier film, un peu décousu mais candide, de la styliste agnès b. Une fillette de 11 ans victime d’inceste fait une fugue, puis elle est recueillie par un camionneur. Après avoir fait ses preuves dans la mode et le mécénat tous azimuts (comprenant la production de cinéastes marquants), la styliste agnès b. se lance tardivement mais courageusement dans la réalisation. La partie dure de son premier film hétérogène et décousu – le fin du fin pour une couturière –, à moitié social et à moitié road-movie, est un peu forcée, mais portée par les excellents Sylvie Testud et Jacques Bonnaffé (parents de l’héroïne). La partie soft, plus légère et solaire, est la balade avec le routier écossais (incarné par l’artiste Douglas Gordon), où la cinéaste en herbe jette pêle-mêle natures mortes, paysages, architecture, qui composent in fine une assez charmante marqueterie. Essai un peu cosmétique donc, mais qui désarme par son ludisme et sa candeur non feinte. V. O.

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La Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais De la source de la Loire à son embouchure, un documentaire articule la question de l’aménagement des territoires et celle de la préservation des richesses naturelles.

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près le remarquable Le Temps des grâces, Dominique Marchais poursuit son exploration géographique, topographique, politique et poétique du territoire français. Sa “ligne de partage des eaux”, c’est d’abord la Loire, descendue ici depuis sa source jusqu’à son estuaire. Ce film est une épopée fluviale, à rebours d’Au cœur des ténèbres/Apocalypse Now. Mais un fleuve n’est pas seulement un cours d’eau, c’est aussi un placenta qui irrigue les territoires qui le bordent dans un rayon excédant largement ses rives. Le film de Marchais s’ouvre par une scène où un enfant tente de composer un puzzle. Le cinéaste adopte le même genre

de démarche, essayant de raccorder des éléments, problématiques et intérêts disparates pour tenter de voir s’ils font lien, s’ils finissent par former un ensemble à peu près cohérent. Ainsi, tout se mêle, se croise, se superpose, s’entrechoque : la survie des eaux de source et de leur écosystème, le bien-être des pêcheurs, la pollution des rivières et nappes phréatiques, la question de l’emploi, l’aménagement des rives… Dominique Marchais est parti à la rencontre de protagonistes aussi

divers que des agriculteurs, des maires, des industriels, des scientifiques, des associations de pêcheurs, des riverains, filmant aussi bien des champs, des sous-bois, des ruisseaux, une centrale, des conseils intercommunaux… Entre l’humilité du promeneur, l’œil aiguisé de l’observateur sans préjugés et les interrogations du talmudiste, Marchais brasse des questions dont les réponses entraînent d’autres questions, dans un parcours sans cesse évolutif qui se complexifie au fur et à mesure de l’avancée.

la vie d’un territoire et de ses habitants est une lutte de Sisyphe, un écheveau de choix ou de compromis recommencés

Ces questions peuvent être d’ordre politique, écologique, existentiel, parfois les trois ensemble. Comment concilier le développement de l’emploi et la protection des richesses naturelles ? Comment aménager le territoire au mieux de l’intérêt général ? Comment avancer dans la modernité sans détruire les acquis du passé ? Comment vivre ensemble ? Le film pose ces questions sans jamais donner de leçon mais toujours au plus près du vécu, du concret et du sensible. Pas de dogmatisme idéologique non plus, même si on suppute que Marchais est en quête de la meilleure équation favorisant un développement dit durable. La vie d’un territoire et de ses habitants est un travail, une réflexion, une lutte de Sisyphe, un écheveau de choix ou de compromis quotidiennement recommencés. Au final, La Ligne de partage des eaux ne devient pas un puzzle achevé (si ce n’est dans la beauté simple de ses plans) mais un tableau d’ensemble imparfait, plein de réussites, d’échecs, de questions en suspens, à l’image de la vie collective. Cet inachèvement, cette labilité de sens, ce mouvement perpétuel du déplacement et de la pensée font tout le prix du cinéma ouvert sur le monde de Dominique Marchais et de ce film en particulier, genre de western d’ici et maintenant. Serge Kaganski La Ligne de partage des eaux de Dominique Marchais (Fr., 2 013, 1 h 48)

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States of Grace de Destin Cretton Le quotidien de jeunes en difficulté dans un foyer. Touchant. a vie d’un centre d’accueil pour Detachment de Tony Kaye. Le deuxième, jeunes défavorisés, vue à travers justement, est d’un relief plus fluide, le portrait de sa jeune directrice soigneusement aplani : c’est celui (la prometteuse Brie Larson de la chronique gentillette. – lire Nouvelle tête p. 31) : avec son sujet States of Grace est probablement ostensiblement social, quoique liquéfié à ranger dans cette deuxième catégorie, dans la langueur de l’été, et surtout mais c’est parce que Destin Cretton, dans celle du cinéma labellisé Sundance, quitte à aborder ce motif du cinéma States of Grace avait de quoi inquiéter. indé que sont les enfants perdus Car face à ce type de sujet, (car les occupants du centre sont un peu les indés américains contemporains des ados, mais surtout des enfants), oscillent généralement entre deux choix. aspire à les regarder avec une authentique Le premier, celui du misérabilisme à cor bienveillance, et c’est tout à son honneur. et à cri, est d’un relief nerveux, fait de pics Dans la tendresse de States of Grace, (cris de rage) et d’affaissements (silences il y a un peu du George Washington embarrassés) – citons l’insoutenable de David Gordon Green. C’est en tout cas

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Brie Larson

le signal envoyé par une jolie séquence d’ouverture, où un môme en pleine crise s’attache une cape autour du cou et s’échappe à toutes jambes. Via cette citation, Cretton recrée une vision d’enfance meurtrie mais triomphale, un instant solaire à valeur de symbole. Et si le portrait de groupe qui suit est remarquable, il est surtout couronné par l’éclatante Brie Larson, de quasi tous les plans, qui réussit avec ce rôle principal (le premier de sa carrière) un joli baptême du feu. Théo Ribeton States of Grace de Destin Cretton, avec Brie Larson, John Gallagher Jr. (E.-U., 2013, 1 h 36)

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Bonjour (1959)

Ozu, cinéaste ivre Une rétrospective à la Cinémathèque et un coffret de quatorze films rappellent l’influence du maître japonais. Où l’on apprend que l’état d’ivresse est la plus grande sobriété.

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ans le documentaire J’ai vécu, mais… qui accompagne l’édition de quatorze de ses films en DVD, on apprend que Yasujiro Ozu collectionnait les lampes et buvait pour écrire cent bouteilles de saké par scénario. Disons que ce coffret sonne comme une bonne nouvelle pour ces collectionneurs alcooliques qu’on appelle encore spectateurs. Par ailleurs, la question “Pourquoi boit-on ?” remplacera désormais celles du genre “Qu’est-ce que le cinéma ?”, “Qu’est-ce que le cinéma d’Ozu ?” ou encore “Qu’est-ce que le Japon ?” On ne dira plus : “Ozu raconte toujours la même histoire”, “le cinéma d’Ozu est sublime de simplicité”, ou “Ozu est tellement japonais”, mais : “Ozu est ivre”, “Ozu est encore ivre”. Il faut être toujours ivre : le plus-grand-cinéastejaponais est peut-être un poète français, qui sait. Et il faut être toujours ivre pour faire des films aussi sobres, qui nous présentent l’existence comme cet enchaînement harmonieux de raisonnements et d’élans, de problèmes sociologiques et de solutions émotives, de chocs terribles et d’apaisements imperceptibles. Toujours ivre pour faire que le cinéma soit à ce point l’expression de la vie, une langue si bien construite quoique composée du désordre des actions et des pensées humaines. Ivre, pour montrer l’état de sobriété et de paix comme à la fois infiniment désirable et ridicule, puisque impossible à rejoindre. La nostalgie d’un calme ordonné au milieu des agréables tempêtes, c’est l’état d’ivresse d’Ozu,

tenir le coup, tenir l’alcool, c’est la morale d’Ozu, sa mise en scène

ivresse du mélodrame économe de ses mouvements. Le “style” d’Ozu, son œil très fixe, le jeu sous contrôle de ses acteurs, c’est l’attitude de l’ivrogne qui se tient, qui ne bouge pas trop pour ne pas tomber, dans une attitude d’extrême concentration sur les choses et les gestes les plus ordinaires. Tenir le coup, tenir l’alcool, c’est la morale d’Ozu, sa mise en scène. Comme dit un autre grand ivrogne, Jean Epstein, sur la parenté de l’éthylique et du filmique, “l’alcool forme une pensée qui se prête à suivre docilement tous les courants affectifs et qui crée une surréalité symbolique de sentiments-choses”. Sentiments-choses, ou quand le cinéma voit double, doublant le visible de tout le vivable, de toute la gravité de nos existences légères. “Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse” est ainsi la phrase la plus fausse de l’histoire des citations de comptoir. Non seulement on montrera bien souvent le flacon pour l’ivresse, et un flacon fera toujours un bon pied de lampe, mais encore, dans le cinéma d’Ozu ou dans le cinéma tout court, le flacon et l’ivresse ne sont qu’une seule et même chose. “J’ai bu, mais…” regardez vous-mêmes, ces plans sur une assiette, sur un visage, ne voit-on pas s’y animer les pulsations de toute vie, passion et souvenir, règles sociales, liberté d’aimer, avenir heureux ? Ozu notait le 3 janvier 1959 dans son journal : “MEMO : Boire modérément ! Ni trop travailler ! Ni trop faire la sieste ! Pense qu’il te reste peu de temps à vivre !” Luc Chessel coffret Ozu 14 films et 1 documentaire (éditions Carlotta), environ 60 € rétrospective du 23 avril au 26 mai à la Cinémathèque française, Paris XIIe, cinematheque.fr

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Julianne Moore dans Maps to the Stars de David Cronenberg, en sélection officielle

aux marches du Palais Faites vos jeux ! La sélection du Festival de Cannes a été dévoilée la semaine dernière. Peu de surprises mais de beaux espoirs, et le retour-événement de Godard. a rituelle conférence officielle il y a deux ans spéciales ou autres). qui aura à nouveau pour de presse cannoise, et on nuancera en signalant Michel Hazanavicius cadre l’Irlande, comme tenue le 17 avril, était qu’on n’en compte clôt cette sélection française, Le vent se lève, Palme d’or inaugurée comme que deux parmi les dix-huit avec The Search, annoncé en 2006), Nuri Bilge Ceylan d’hab par un petit discours films en compétition. comme un film de guerre (Sommeil d’hiver), Mike du président Gilles Jacob. La plus grande en Tchétchénie (avec Leigh (Mr. Tuner, un biopic Peut-être pour la dernière satisfaction de cette le Prix d’interprétation du peintre Turner de plus fois, puisque celui-ci sélection concerne le choix féminine 2013, Bérénice de deux heures…), Naomi n’occupera plus cette des films français. Avec Bejo). Trois films français Kawase (Deux fenêtres), fonction en 2015, remplacé Bertrand Bonello (troisième sont sélectionnés à Andrey Zvyagintsev par Pierre Lescure. Le présence en compétition) et Un certain regard : Bird (Leviathan), l’auteur président a pourtant choisi Olivier Assayas (quatrième), People de Pascale Ferran, du Retour, du Bannissement de faire sobre et de ne pas le festival marque à La Chambre bleue de et d’Elena, Abderrahmane entonner la mélopée des la fois sa fidélité à certains Mathieu Amalric et un Sissako (Timbuktu), adieux (de fait, s’il quitte auteurs, mais tient surtout premier film, Party Girl de auteur de Bamako… la présidence, il ne devrait deux projets atypiques et Marie Amachoukeli, Claire A noter pourtant pas pour autant quitter particulièrement excitants Burger et Samuel Theis de nouveaux venus avec totalement le festival). dans le parcours de leurs (tous trois de la Fémis, Le Meraviglie, le nouveau Dans la foulée de auteurs : le premier ils ont cartonné avec leurs film de l’Italienne cette courte allocution, gros budget de Bonello courts), qui fera l’ouverture Alice Rohrwacher, dont le délégué général (son biopic de Saint Laurent, de la sélection. le premier long, très beau, et donc sélectionneur avec un casting plus que Trois films de réalisateurs Corpo celeste, avait été en chef Thierry Frémaux sexy), et l’irruption dans canadiens également : présenté à la Quinzaine des a annoncé sa sélection 2014, le cinéma d’Assayas d’une Mommy de Xavier Dolan, réalisateurs il y a deux ans, soulignant que vingt-huit jeune star hollywoodienne, pour la première fois et Relatos salvajes de pays seraient représentés Kristen Stewart (partenaire en compétition, Maps to the l’Argentin Damián Szifrón, presque autant qu’en 2013, de Juliette Binoche dans Stars de David Cronenberg un film à sketches produit et que quinze films étaient Sils Maria). Mais la belle (bénéficiant d’un casting par Pedro Almodóvar. réalisés par des femmes. surprise est le grand retour très hollywoodien – Robert Absents à l’appel et On aura compris l’allusion en compète de Jean-Luc Pattinson, Julianne Moore, pourtant souvent évoqués : à la polémique sur l’absence Godard (treize ans après Mia Wazikowska…) Abel Ferrara (absence de femmes en sélection Eloge de l’amour, son dernier et Captive d’Atom Egoyan. que Frémaux n’a pas film en compétition). On se Sinon, peu de surprises. voulu commenter), Emir réjouit qu’avec son Adieu au Les “grands auteurs” Kusturica (qui n’a “pas du on se réjouit que Godard langage en 3D , Godard habituels de Cannes seront tout terminé”) et Terrence soit remis dans la course et présents : les Dardenne Malick, qui “fignole”, selon soit remis dans la course pas simplement posé sur (Deux jours, une nuit, avec le mot du délégué général. et pas simplement posé une étagère honorifique Marion Cotillard), Ken Loach Jean-Marc Lalanne sur une étagère honorifique (hors compétition, séances (Jimmy’s Hall, film historique et Jean-Baptiste Morain

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Jon Hamm, Don Draper for ever

Don Draper, sad man La septième et dernière saison de Mad Men a débuté en majesté aux Etats-Unis.

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e temps passe comme une flèche : voilà bientôt sept ans que les premières volutes de cigarette ont caressé le visage de Don Draper. Au baromètre de la hype, il a depuis assez longtemps été dépassé par feu Walter White (le héros de Breaking Bad) et les excités en armure de Game of Thrones. Mais peu importe qu’il soit fatigué, il reste notre préféré. Le retrouver, le 13 avril, dans un nouvel épisode – le premier d’une ultime saison divisée en deux parties entre cette année et le printemps prochain – l’a confirmé. Voir Mad Men en 2014, c’est s’offrir une escapade, non seulement dans un passé mythique de l’Amérique (désormais la toute fin des sixties, soit dix ans après la saison 1) mais aussi au cœur d’un pays de fiction toujours plus singulier. Même si le paysage des séries regorge d’expériences limites, rien n’atteint le niveau de maîtrise et de lâcher prise combinés à l’œuvre ici. Lente, parfois elliptique et souvent subtile, la création de Matthew Weiner a posé une base esthétique qui ne ressemble à aucune autre. Et ce n’est pas maintenant, à l’aube de la dernière ligne droite, qu’elle en changera. Revoilà donc Don Draper. Il n’a plus vraiment de boulot. Suspendu pour déconnage alcoolique à la fin de la saison 6, il en est désormais réduit à laisser un autre présenter des projets qu’il écrit. Il marche lentement, comme écrasé par un poids

invisible, même s’il veut donner le change et faire croire qu’il est encore le plus beau mec qui couche avec la plus belle fille. Dans une séquence stylée, sa femme sort d’une belle voiture au ralenti. Elle lui sourit, mais c’est pour le conduire dans sa nouvelle maison des collines de Los Angeles où il n’est qu’un invité précaire – il continue à habiter New York pendant qu’elle tourne en Californie. Elle va bosser, il doit s’occuper. Tout se fige. On rêve un instant de le voir terminer sa course en ressassant ses rêves brisés comme une vieille star hollywoodienne dépressive, Sunset Boulevard style. Après tout, il a souvent été comparé à Cary Grant et même Rock Hudson. Cela lui arrivera d’ailleurs peut-être un jour. Mais pour l’instant, Don Draper est encore capable de bouger et de tenir une conversation, même s’il préfère de loin le moment étrange et envoûtant qui relie veille et sommeil. Voilà sa zone de confort, son territoire intime. Voilà ce que filme Mad Men depuis 2007. La plus belle scène de l’épisode inaugural de cette septième saison se déroule durant

Don ne peut plus. Il avance à contretemps. Et les autres ne vont pas très bien non plus

un de ces moments. Don prend l’avion pour rentrer sur la Côte Ouest. A côté de lui s’assied une belle femme (Neve Campbell), avec qui il entame une conversation spectrale. Elle lui parle de son époux énigmatiquement “mort de soif” et termine le voyage en dormant sur son épaule ; tandis que lui prononce en chuchotant à moitié quelques mots sur son mariage. Il pensait “y arriver”, cette fois. Ces deux solitaires ont envie de réconfort, ils aimeraient frotter leurs peaux endolories. Dans n’importe quel autre épisode de Mad Men, ils auraient fini dans une suite de grand hôtel. Mais Don ne peut plus. Il avance à contre-temps – le titre de l’épisode est “Time Zones”. Dans son champ de vision, le désir ne circule pas de la même manière qu’avant. C’est d’une grande beauté car l’époque filmée, 1969, est au contraire celle d’une libération des sens échevelée – à moins que ce ne soit qu’une illusion. Les autres, de Peggy à Roger et Joan, ne vont pas très bien non plus, annonçant une fin de série forcément triste, mais aussi très douce, en empathie avec ses figures de proue. Entre des relations toxiques et des épreuves professionnelles, la vie est décevante pour les personnages de Mad Men. Pour les spectateurs, c’est une autre histoire. Olivier Joyard Mad Men saison 7, prochainement sur Canal+ Séries

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à suivre… Une interview de Ricky Gervais au magazine RadioTimes a mis le feu aux poudres. Selon lui, Netflix et la BBC seraient intéressés pour faire revivre la version originale anglaise de The Office, sitcom séminale du début des années 2000 maintes fois adaptée depuis. Il s’agirait d’un spin-off réactivant le personnage principal, l’odieux David Brent, que Gervais interprétait.

24 heures chrono en direct Dans les années 90, France 2 avait fait le bonheur des amateurs d’Urgences en proposant en direct au milieu de la nuit et sans sous-titres un épisode de la série tourné et diffusé en live au même moment aux Etats-Unis. Le 15 mai à 2 heures du matin, Canal+ montrera le premier épisode de la nouvelle saison de 24 heures chrono, qui revient quatre ans après avoir quitté l’antenne. Jack is back.

Jason Momoa

Sundance Channel

The Office 2.0 ?

aux frontières du réel

The Red Road s’immerge en territoire indien pour une série à l’atmosphère prenante. James Gray a réalisé le premier épisode. ilmer un autre monde, aux frontières de l’invisible : telle est l’ambition de certaines des meilleures séries américaines d’aujourd’hui, celles qui ont appris la leçon de Twin Peaks. Les petites localités perdues et les mœurs complexes qui s’y déploient ont le vent Walter White à confesse en poupe. Après (entre autres) la Géorgie Acteur principal de Breaking profonde de Rectify et la Louisiane redneck Bad, Bryan Cranston a annoncé de True Detective, place aux forêts denses au New York Times son intention et aux routes inquiétantes du New Jersey d’écrire un livre sur son dans la petite nouvelle The Red Road. expérience dans cette série De l’autre côté de l’Hudson River, à majeure. “Je raconterai les une petite heure en pick-up de Manhattan, histoires de ma vie et révélerai les Indiens Ramapough vivent dans les secrets et les mensonges une réserve dont les habitants alentour avec lesquels j’ai vécu durant se méfient. Des tensions débutent les six années de tournage”, quand un étudiant de New York disparaît. a-t-il expliqué, allumeur. Bientôt, un jeune Indien se fait renverser par la femme d’un flic du coin. Au milieu, un couple mixte d’adolescents tente de s’amuser un peu, une famille s’étiole… Dans des décors assez proches de ceux Silicon Valley (OCS City, le 28 à 22 h 25) d’Heavy (1995), le beau film triste de James Vue par HBO et Mike Judge (Beavis and Butt-Head), la vie d’une bande de geeks Mangold, l’atmosphérique The Red Road dans le berceau californien des nouvelles avance avec simplicité et persévérance, technologies. Un instantané de l’époque sans effets de manche, tentant de démêler qui mérite le coup d’œil. des fils narratifs à la fois ténus et profonds. Sur ce territoire marqué par une histoire American Horror Story: Coven tragique, les enjeux immédiats semblent (Ciné+ Frisson, le 26 à 20 h 45) Carton toujours recouverts par le poids du passé. absolu outre-Atlantique, la troisième Pour la première fois, James Gray saison de la série d’horreur anthologique (The Immigrant) se frotte à la télévision de Ryan Murphy (Nip/Tuck, Glee) en réalisant le captivant épisode inaugural, est située à La Nouvelle-Orléans. dont on retient notamment une engueulade Des sorcières s’y crêpent le chignon. mère/fille et une scène de baignade mémorables. Lodge Kerrigan (Clean, Mafiosa (Canal+ à la demande) La chaîne Shaven) en a réalisé deux autres. Malgré cryptée met à disposition de ses abonnés son extrême discrétion, The Red Road est l’intégralité des huit épisodes de l’ultime une des belles découvertes de l’année. O. J. saison de Mafiosa, portée par Hélène

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agenda télé

Fillières. Une première qui en appelle forcément d’autres.

The Red Road saison 1, huit épisodes à partir du 24 avril, 22 h, Sundance Channel 23.04.2014 les inrockuptibles 73

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Alessandro Simonetti

Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

rêves de moutons électriques Bouleversée par l’intense médiatisation de ses débuts solo, l’Américaine EMA a plongé son écriture dans la SF paranoïaque. Le résultat est un album colérique et intense.

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a première rencontre avec Erika M. Anderson date de 2011. Quelques semaines avant la parution de son premier album Past Life Martyred Saints, quelques semaines après celle de son premier single California. Le morceau, de pure bravoure, a mis le monde à genoux et la demoiselle en orbite : on parle alors de nouvelle PJ Harvey, de Cat Power en puissance, de Courtney Love à éclore. On s’en souvient presque physiquement : passionnante, la jeune Américaine est également corporellement impressionnante, immense, présente, forte, une “alpha female” adorable. La crise de croissance est dure : en quittant son premier groupe, Gowns, et en publiant son premier album solo, la forte tête est passée de l’obscurité de l’underground local à une surexposition aveuglante et globale dont elle n’était sans doute pas prête à accepter la brûlure. “Avec Gowns et avant Past Life Martyred Saints, je faisais les choses à une tout autre échelle, sur la petite scène noise de Los Angeles, explique-t-elle. L’idée de performance n’avait rien à voir, je la concevais autour de l’idée de prise de risque, de l’expérimentation, de la destruction, de la possibilité de l’échec. Je crois que j’ai essayé de transposer ça dans des salles où ça ne pouvait pas fonctionner. C’était très stressant, je me disais : ‘Pourquoi fais-je aussi mal mon job ? Je croyais savoir le faire !’ Mais le plus dur pour moi a été l’exposition médiatique. J’ai eu une impression de dissociation, comme si un personnage naissait en dehors de moi. Sur The Future’s Void, la chanson 3Jane parle du fait de vivre dans une société de l’image, de l’impression de perdre le contrôle de soi-même, de voir des informations ou des photos de soi sur lesquelles on n’a absolument pas la main. Ça a été quelque chose de très perturbant, et j’ai essayé de le mettre en mots.” Paralysée par l’angoisse et les pages blanches, et désormais installée à Portland, où elle a retrouvé un relatif anonymat, Anderson a notamment trouvé son salut dans la lecture. Elle a découvert, dans ce qu’elle appelle de la “littérature psychédélique” plutôt que de la sciencefiction (“Ce qu’ils ont décrit a fini par se réaliser”, dit-elle), dans le Neuromancien de Gibson ou dans les visions de Philip K. Dick, des correspondances avec ses propres troubles, fait un pont entre les cauchemars d’alors et ses réalités d’aujourd’hui, entre sa réalité humaine et sa virtualité incontrôlée, et retrouvé l’inspiration pour transformer sa paranoïa en rage. “J’ai pas mal bidouillé avec

“j’ai eu besoin de hacker, à ma manière, la technologie, de l’adapter à mes désirs” des logiciels et émulations de claviers. Mais le numérique n’a pas été utilisé de manière pure : on l’a retraité en le faisant passer par des instruments analogiques. On a ajouté de la guitare, de la batterie ; les machines ne devaient absolument pas prendre le dessus sur l’humain. On a besoin de chaos ou d’imperfection dans la création. J’ai eu besoin de hacker, à ma manière, la technologie, de l’adapter à mes désirs. La moitié des sons de l’album est d’origine technologique, l’autre moitié est d’origine humaine.” Une guerre intime contre les aliénations modernes, le hacking du hardware humain comme du software informatique, la fragilité et les ecchymoses morales soignées par la furie des machines, un féminisme combatif marqué par l’affirmation d’une grande voix rageuse : The Future’s Void est un impressionnant maelström d’évidences mélodiques plongées dans les expérimentations bruitistes. Imprégné par la “martialité” industrieuse de Nine Inch Nails, par la crasse assumée des riot grrrls des années 90 ou par le grunge, par une vision très personnelle du présent comme de l’avenir, le disque alterne morceaux durs et tranchants comme l’acier (la dramatique introduction Satellites, l’odyssée fantastique et monstrueuse de Cthulu, le tribalisme futuriste de Neuromancer) et titres plus lents, mélancoliques ou ronds (les magnifiques et touchants 3Jane, 100 Years, When She Comes, la pop biliaire de So Blonde). Sans jamais faiblir une seule seconde. The Future’s Void est un album si dense, si intense qu’après quelques écoutes apprivoiser sa colère devient une épreuve physique et nerveuse autant qu’une extraordinaire récompense. Thomas Burgel album The Future’s Void (City Slang/Pias) concert le 2 juin à Paris (Point Ephémère) thefuturesvoid.net

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Linda Brownlee

A l’occasion de la sortie de son album Everyday Robots, Damon Albarn sera à la Fnac Saint-Lazare (Paris IXe) pour une séance de dédicace, le lundi 5 mai, à 17 heures. Pour y participer, il vous suffit de retirer vos invitations à l’accueil du magasin, le jour même dès 10 heures. Pour rappel, il sera quelques heures plus tard sur la scène de l’Alhambra ; le concert sera diffusé à partir de 21 heures en direct sur France Inter et en streaming sur lesinrocks.com, sfrlive.fr et franceinter.fr. fnac.com

Brodinski

Thomas Babeau

Damon Albarn en dédicace à la Fnac Saint-Lazare

The Peacock Society, round 2 La première édition du festival Peacock Society s’était tenue l’été dernier au Parc floral de Paris et avait été une belle réussite. We Love Art et Savoir Faire retentent ainsi l’aventure les 11 et 12 juillet en annonçant une série d’artistes : Richie Hawtin, Paul Kalkbrenner, Darkside, Tale Of Us, Brodinski ou encore Acid Arab. Et ce ne sont que les premiers noms… thepeacocksociety.fr

le 6B ouvre ses portes

Slint en concert à Paris Slint, groupe culte de la seconde moitié des années 80, et accessoirement précurseur du math-rock ou du post-rock, se produira le 3 juin sur la scène de la Gaîté Lyrique, à Paris. Ce concert coïncide avec la réédition en coffret de leur album Spiderland, ressorti le 15 avril, qui avait marqué toute une génération lors de sa parution originelle, en 1991.

Lieu de vie culturelle unique en France, le 6B, planqué sur les quais de Seine à Saint-Denis (93), ouvrira grand ses portes le 17 mai. Au programme : de la découverte, des curiosités, de l’expérimentation et, forcément, un peu de musique. On y croisera l’inimitable Rémy Kolpa Kopoul, alias DJ RKK, ainsi que The Name, Mike Ladd, Laura Buenrostro et quelques invités surprise. le6b.fr

des nouvelles de Foxygen Il résonne encore dans les esprits et les rêves perchés : le premier album des Californiens de Foxygen, We Are the 21st Century Ambassadors of Peace & Magic, avait été une des belles découvertes de 2013. La suite ? Elle ne devrait pas tarder si l’on se fie aux deux nouveaux morceaux dévoilés à Coachella ces derniers jours (les vidéos sont disponibles sur internet). On n’en sait pas plus pour l’instant, mais au moins le groupe donne-t-il la preuve d’être au travail : bonne nouvelle.

neuf

Elastica

Angel Ceballos

King Of The Mountains

Protomartyr Depuis l’Haçienda et la techno, on connaissait bien le jumelage officieux entre Manchester et Detroit, deux villes au riche passé industriel différemment géré. Le va-et-vient continue avec Protomartyr, groupe de Detroit sous haute influence Factory 80’s : l’anti-Happy, la revanche de la réalité sur l’utopie. facebook.com/protomartyr

Leur son est déjà familier dans ses étirements, son sens fluctuant du tempo, sa rigueur mathématique alliée à ses digressions poétiques : Phil Kay gérait autrefois Working For A Nuclear Free City, groupe à l’outre-pop nourrie d’electronica, de rock planant, de kraut et d’ambient. Contemplatif. melodic.co.uk

Wilko Johnson & Roger Daltrey L’un avec Dr. Feelgood, l’autre avec les Who, ils incarnent, des sixties aux seventies, une idée rageuse, insolente et teigneuse d’un rock fondamentalement anglais. Atteint d’un cancer incurable, Wilko Johnson revisite ses brûlots avec son héros de jeunesse : Going back Home, traitement à l’électricité. wilkojohnson.com

Microphénomène de la britpop en cuir noir et guitares raides, Elastica alimenta autant les colonnes gossip que les rubriques musique, incarné jusqu’au dangereux par sa chanteuse Justine Frischmann. Presque vingt ans après, le premier album ressort en mai – et des merveilles comme Connection sidèrent par leur modernité.

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Romain Quirot/Cotone Productions

Hi-Tekk et Nikkfurie (La Caution)

l’autre rap francais Dès 2000, alors que les codes du rap mainstream s’affirment, une poignée d’artistes sort de la boucle pour inventer autre chose. De TTC à Svinkels, le documentaire Un jour peut-être revient sur ce phénomène.

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e n’est pas une scène bien définie, ni une famille”, préviennent Romain Quirot et Antoine Jaunin, auteurs avec François Recordier du documentaire Un jour peut-être. “TTC, Svinkels ou La Caution n’étaient pas tous des amis et n’évoluaient pas non plus dans la même direction…” Cette difficulté à définir les contours de leur sujet reflète l’absurdité de la bannière “rap alternatif” sous laquelle étaient rangés d’office, dès 2000, des rappeurs qui n’avaient rien en commun, sinon de ne pas correspondre aux codes du mainstream bastonné par les radios. “Le terme ‘alternatif’ n’a pas de sens, nous avons donc sous-titré le docu ‘Une autre histoire du rap français’.” Rewind. A la fin des années 1990, au fur et à mesure que le rap amasse les disques d’or (Arsenik, Fonky Family, Secteur Ä…), une esthétique mainstream se précise : verbe trivial, histoires de rue, boom-bap classique et sampling soul ou variété. En raison de l’excellence de nombreux disques, mais aussi de leur rentabilité, majors et radios cherchent alors à en pérenniser la formule, quitte à installer un règne des clones – voire des caricatures. “Tout ce qui ne rentrait pas dans cette case était ‘alternatif’, note Romain. Si tu ne parles pas de rue ou que tes beats sont chelous, aucun label ne se risque à te signer.” Une logique qui devait ostraciser en bloc les voix qui, autour du label

De Brazza (Grems, Hustla…) ou de TTC (Klub Des Loosers, James Delleck…), testaient de nouvelles écritures rappées. “TTC ou la Caution parlent d’une volonté de faire ‘autre chose’, commente Antoine. C’est une manière de traiter le même sujet, car ça reste du rap, des histoires, de l’egotrip, mais avec une culture musicale ou textuelle différente, élargie.” Cet “autre rap” révèle en effet un ferment créatif inédit, des labyrinthes phonétiques de La Caution et Grems à l’ennui bourgeois de Klub Des Loosers, de l’hédonisme dance-floor de TTC aux festins electro de L’Armée Des 12 : sons, thèmes, attitudes, tout est nouveau. Mais, même dans la presse spécialisée, ce rap, bêtement réduit à la voix étrange de Teki Latex (TTC) ou à la couleur de Fuzati, demeure “du rap de Blancs pour ceux qui n’aiment pas le rap”. Une vision binaire qui reflète surtout une incapacité à penser hors des canons, couplée à l’émergence d’une intelligentsia rap qui se cramponne à ses récents acquis. C’est là qu’est le sujet : à travers sa galerie

TTC ou Svinkels étaient les premiers symptômes d’un rap en mouvement, prêt à évoluer hors des dogmes

de personnages (Gérard Baste, Grems, Teki Latex, La Caution…), Un jour peut-être ne documente pas une scène mais une époque clé. Où l’on revient au point de départ : TTC ou Svinkels n’étaient pas tant une alternative que les premiers symptômes d’un rap en mouvement, prêt à évoluer hors des dogmes que les premiers disques d’or du rap français venaient de cimenter. En faisant entrer les manières baroques des indés américains, l’electro ou la house anglaise, ils ont ouvert une brèche, amené au rap un public qui y était étranger et ont pesé sur la suite. Aujourd’hui, les dingueries dance-floor à la Joke font partie des meubles, la couleur d’Orelsan ne dérange personne et les copulations electro/rap que préfiguraient les hérétiques Grems, ParaOne ou La Caution sont la norme. La richesse du rap actuel doit quelque chose à ces francs-tireurs qui, sans autre diktats que les leurs, voulaient que les culs sautent et que les cerveaux trippent à nouveau, qu’on se souvienne encore des rap-parties alors devenues des concours de bites convenus. Thomas Blondeau documentaire Un jour peut-être de Romain Quirot, Antoine Jaunin, François Recordier (Cotone Productions) projections le 26 avril à Lille (L’Hybride), le 9 mai à Paris (Urban Film Festival, cinéma Etoile Lilas), le 17 à Metz (La Nuit des musées), le 20 à Annecy (Stereotype Festival) cotoneprod.com 23.04.2014 les inrockuptibles 77

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Julien Bourgois

Quechua de choix Ancienne ambassadrice de Bolivie en France, Luzmila Carpio revient à la musique avec une compilation de musique traditionnelle haut perchée.

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a première fois que j’ai entendu la radio, je me suis demandée comment les chanteurs étaient rentrés dans ce petit appareil”, raconte la Bolivienne Luzmila Carpio dans un français charmant. Elle a longtemps vécu à Paris, elle y a joué et enregistré un disque en 2004, elle a même été ambassadrice de Bolivie en France entre 2006 et 2012, et a appris à apprécier le camembert. Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos lamas. Quand elle découvre la radio, Luzmila Carpio est adolescente, descendue pour la première fois à la ville depuis son hameau de Qala Qala, à plus de 3 000 mètres d’altitude, dans la cordillère des Andes. Là-haut, ni école ni électricité. En ville, vers 1960, elle passe une

audition pour chanter à la radio. Mais le petit appareil ne veut pas d’elle, parce qu’elle ne sait chanter qu’en quechua, la langue de son peuple indigène, marginalisé dans la Bolivie de l’époque. Un pianiste aveugle lui dit : “Un jour, tu pourras chanter en quechua, en attendant, je vais t’apprendre des chansons en espagnol.” Ce jour est arrivé : pourvue par Mère nature (Pachamama, comme on dit là-bas) d’un inouï filet de voix, Luzmila Carpio devient dans les années 70 une star de la musique andine – en espagnol et en quechua. “Ça a été difficile de me faire connaître en chantant en quechua mais j’ai choisi ce parcours, j’ai toujours

“dans la langue, il y a la pensée. Chanter, c’est faire de la politique”

voulu défendre ma culture. Dans la langue, il y a la pensée. Chanter, c’est faire de la politique.” Elle en fera encore, sur le terrain et en altitude, au début des années 90 : en partenariat avec l’Unicef, dont elle est consultante, elle enregistre quatre cassettes de chansons pour préserver et valoriser la culture andine. “Jusqu’alors, on cachait notre culture, notre langue, nos chants : le résultat de cinq siècles de conquête espagnole. Ces cassettes ont été distribuées gratuitement à la population, et en particulier aux femmes, souvent illettrées. Il y a eu un effet très positif, les gens ont commencé à relever la tête, à s’organiser pour l’alphabétisation.” Le disque qui sort aujourd’hui, avec lequel on découvre Luzmila Carpio, est le best-of de ces cassettes. Et nul besoin d’être une paysanne

quechua pour apprécier cette musique aussi étrange qu’irrésistible. Il suffit d’aimer les saveurs inédites et l’exotisme (d’Yma Sumac à TuneYards), dans ce qu’il a de plus aventurier. Luzmila Carpio est accompagnée de charangos, de flûtes, de percussions en boucles saccadées, et parfois d’oiseaux – ses frères, avec lesquels elle aime converser. Sa voix suraiguë ne brise pas les verres, n’agace pas les nerfs. Elle est d’une délicatesse radieuse, gracile et surnaturelle. Ses chansons sont les comptines d’une petite fille gagnée par l’ivresse des sommets, AliceLuzmila au pays des monts et merveilles. Parfois, on pense aux films de Miyazaki, à la révélation de la vie innocente et invisible tout en haut des arbres. Des chansons de rudesse et d’allégresse, pour faire l’amour à la nature. “Chez nous, on dit que les notes de musique sont dans la nature. La musique est apportée par la cascade, le vent aussi apporte des notes. Ma mère m’a expliqué que quand je mangeais une pomme de terre, il y avait dedans le soleil, l’air, la pluie. Il faut parler aux plantes, les caresser, parce qu’elles vont te nourrir. J’ai appris tout ça quand j’étais enfant, et je l’ai toujours. Quand je suis arrivée en Europe, dans les villes, j’allais dans les jardins publics pour remercier la Pachamama.” Alors merci la Pachamama. Stéphane Deschamps album Yuyay Jap’ina Tapes (Almost Musique) facebook.com/ LuzmilaCarpioMusical

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Tiger Meets Lion Kidderminster

Alice Moitie

Coming Soon

Trop à l’étroit dans l’antifolk, les Français choisissent la pop pour leurs expérimentations les plus délurées. epuis leur premier album en 2008, qui menace tout savant sonore. Une lumière Cette profusion déteint dans les les Français cultivent un goût éclatante guide chaque seconde de Tiger rythmiques dansantes et même dans les pour la métamorphose, passant Meets Lion qui, torse bombé et menton structures complexes de leur songwriting. du folk bucolique à l’indie-rock fier, se mesure à la flamboyance visionnaire Le groupe garde la même efficacité et jusqu’à des territoires plus ténébreux, d’Animal Collective. Scott Colburn, dans ses compositions plus traditionnelles, pour la BO de la pièce de théâtre Dark le producteur de cet album, s’est justement comme le prouvent Radio Broke, avec Spring. Tiger Meets Lion marque un virage illustré chez ces derniers, ainsi que chez Cassie Berman des Silver Jews, ambitieux vers la pop, pulvérisant Arcade Fire ou Prince Rama. Leur point ou Goldeneye, hantée par James Bond. minutieusement les frontières entre commun : une effervescence façon pluie de Les multiples projets de ces cinq garçons les styles dans une frénésie d’expériences confettis, qui se disperse dans les moindres en disent long sur leur incapacité à rester aussi explosives qu’audacieuses (autotune recoins de cet album bariolé. Noémie Lecoq en place. Mount Analogue, The Pirouettes, sur LWL, synthés eighties sur Lookaway). ArKaDin ou encore The Lobster Boat “On n’a pas eu peur d’être extrême dans sont autant d’explorations qui nourrissent concerts le 24 avril au Printemps de Bourges, la direction qu’on cherchait : des tonalités leur liberté de ton. le 26 à Saint-Etienne, le 6 mai à Paris très colorées, un son décloisonné”, Ne pas compter sur Coming Soon pour (CentQuatre), le 14 à Strasbourg facebook.com/officialcomingsoon explique Howard Hughes. se murer dans son laboratoire, le danger

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Kid Francescoli With Julia

Christian Belgaux

Microphone Recordings

Todd Terje It’s Album Time Olsen Records/Pias Entre electro, funk, disco, humour et élégance, Todd Terje décide de ne pas choisir. Déjà un classique de 2014. ’heure de l’album a enfin sonné pour disparus depuis les derniers signaux Todd Terje. Et avec le bien nommé It’s émis par François de Roubaix et les Album Time, le producteur norvégien grands disques de Jean-Jacques Perrey. justifie de la plus belle des manières Etablir des liens entre les genres l’impatience démesurée de sa fanbase et les générations, confronter les styles internationale. Car avant de plaquer sa folie et les cultures, c’est là tout l’intérêt discoïde sur un long format, Terje Olsen de ce premier album érudit. Le long (son vrai nom) a subtilement laissé gonfler d’enchaînements souvent contradictoires les attentes de ceux qui le suivent sur mais toujours précis, le Norvégien les réseaux sociaux, notamment depuis esquive avec une classe folle tous la sortie du tube Inspector Norse en les pièges tendus par les risques insensés 2012. Le morceau affiche aujourd’hui près qu’il s’autorise. Exemple idéal en de trois millions de clics sur YouTube ; milieu d’album avec Svensk Sås et ses il s’agit pourtant de la moins élégante rythmes effrénés empruntés à la samba, des créations compilées sur la première au beat-box et à l’electro. Tandis grande collection du Scandinave. que Strandbar ne cache pas ses références L’introduction du disque dure moins aux notes de piano limpides, façon house de deux minutes. Beaucoup plus de temps de Chicago, Delorean Dynamite roule qu’il n’en faut à Todd Terje pour façonner les portières grandes ouvertes sur 2014 une progression épique et scander en une avec ses grosses basses rondes et son riff quinzaine de murmures “It’s album time”. de guitare disco. Mais le vrai bijou de Le musicien semble avoir imaginé tous l’album reste la reprise de Johnny and Mary, les coins et recoins du dédale sonique qu’il ballade glaçante soufflée par Robert Palmer s’apprête à déballer. Dans la foulée, Leisure en 1980. Pour y chanter la nostalgie, Suit Preben et Preben Goes to Acapulco Todd Terje invite la voix impérieuse ouvrent la porte des sixties pour révéler de Bryan Ferry, dont il avait déjà remixé une vue infinie sur une mer de claviers le classique Don’t Stop the Dance en 2013. vintage. Le mirage de sons réussit l’exploit La beauté de l’instant pourrait de convoquer des souvenirs cristallins avoir valeur d’épilogue mais le producteur décide de relancer les bpm dans une fin d’album débridée où l’influence de Daft Punk (Swing Star Part 2) vient croiser celle de Giorgio Moroder (Oh Joy). Recette parfaite pour éterniser l’addiction et imaginer la boîte de nuit depuis la solitude du casque audio. Azzedine Fall

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Porté par le spleen d’une rupture, un album qui préfère la candeur à la rancœur. With Julia, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre amoureuse : celle de Mathieu Hocine (Kid Francescoli) et de Julia Minkin. C’est aussi l’histoire d’une complicité musicale, née à New York grâce à l’entremise d’amis communs. C’est enfin l’histoire d’une rupture, celle qui a donné naissance à ces neuf morceaux drôlement futés, empreints de mélodies pop, de spleen léger, de folktronica voluptueuse et d’orchestrations synthétiques. Ce mélange des genres, c’est d’abord dans Blow up que Kid Francescoli et Julia Minkin le mettent en œuvre, maniant aussi habilement le chant raffiné que la ritournelle accrocheuse. Avant de se faire plus sophistiqués et de dresser par la même occasion des ponts imaginaires entre les arrangements luxueux de Air et les symphonies baroques d’Ennio Morricone (Italia 90). Ou comment deux petits cœurs brisés donnent envie d’être heureux pour la vie. Maxime Delcourt soundcloud.com/ kidfrancescoli

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Let’s Wrestle Let’s Wrestle Joseph Molina

Fortuna Pop!/Differ-ant

Daniel Lavoie La Licorne captive – Un projet musical de Laurent Guardo Le Chant du Monde/Harmonia Mundi

Oyez, oyez ! Daniel Lavoie est retourné au Moyen Age à dos de licorne. aniel Lavoie est ce chanteur pour deux poèmes, Lavoie, très en voix, canadien qui ressemble visite un espace-temps médiéval et à Edwy Plenel sans la moustache, fantastique, dont la licorne est l’emblème dont plusieurs générations idéal. Disque de conteur-hypnotiseur de grands romantiques se souviennent plus que de chanteur, magnifié par comme l’homme d’un tube : Ils s’aiment, le recours à des instruments acoustiques en 1984. Depuis, il a participé à tout moelleux et classieux (archiluth, un tas de projets de type comédie musicale violes de gambe et d’amour, tablas, à gros budget, cartonné en Russie et, gongs tibétains, chanteuse soprano) et comme Lavoie du seigneur (du château) des arrangements rétro-psyché étirés, est impénétrable, on le retrouve contemplatifs, beaux comme une aujourd’hui sur un album d’une exigence tapisserie volante qui traverse la couche incontestable et d’une rare élégance. nuageuse. Un véritable charmement, Sur des textes et des musiques morbleu ! Stéphane Deschamps du compositeur canadien Laurent Guardo, daniellavoie.ca avec la collaboration d’Arthur Rimbaud

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Dorlotées ou secouées, les guitares sont à l’honneur chez ces Londoniens. Fin février, les Brit Awards furent l’occasion d’un drôle de constat : les Arctic Monkeys faisaient figure d’exception, alors que les guitares semblaient en voie de disparition. Mais Let’s Wrestle ignore son époque avec panache, bien plus intéressé par la britpop et les eighties. Nommé par Lawrence, de Felt, d’après un recueil de David Shrigley (double classe), le groupe injecte autant de charme dans ses riffs fougueux que dans ses mélodies romantiques, embellies par des cordes discrètes. Noémie Lecoq letswrestleblog.tumblr.com

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Lucie Rimey Meille

la découverte du lab Holy Two

Rencontre avec le duo lyonnais, prochains invités du 19h19 des inRocKs lab (le 7 mai à la Gaîté lyrique). lodie et Hadrien s’attaquent dès leurs débuts à de gros poissons comme Woodkid ou Phoenix et se font remarquer par quelques reprises égrenées sur le web : “C’était en quelque sorte un moyen pour nous de nous trouver un univers commun alors qu’on venait de milieux musicaux complètement éloignés. Ce qu’on aime dans les reprises, c’est de pouvoir leur apporter une autre dimension, les réinterpréter vraiment à notre façon.” Touche-à-tout, ces deux jeunes étudiants en architecture ont construit une arche dorée qui fait le pont entre les genres, à grand renfort de claviers et de machines. “Dans le milieu de l’architecture, on nous apprend à être ouvert, curieux et observateur. C’est un vrai moteur pour nous”, disent-ils. De la pop florale au flow hip-hop d’Elodie, Holy Two n’a aucun tabou : “Les éléments (l’eau, le feu), le monde du rêve et du divin nous inspirent beaucoup. On s’est même surpris à s’inspirer d’un chant de messe pour un morceau.” La frontière des langues n’est pas non plus une barrière. “On aime l’instrumentalité de l’anglais, même si parfois on se fait des petites folies en écrivant des paroles en espagnol comme dans La Tal. On a dans l’idée d’écrire un morceau en français, mais on cherche encore l’inspiration pour les paroles.” A 19 et 22 ans, ces deux Lyonnais ont déjà en poche leur premier ep, financé grâce à une plate-forme de crowdfunding et enregistré avec les moyens du bord dans leur home-studio. Prochaine étape : un vinyle collector et une mise en vidéo de leur electro-pop planante, afin de “mettre en valeur la vidéo par le son et le son par la vidéo”. Abigaïl Aïnouz

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en écoute sur lesinrockslab.com/holytwo

retrouvez toutes les découvertes sur lesinrockslab.com

Wye Oak Shriek City Slang/Pias Quatrième album pour le duo américain, libéré de ses chaînes – et de son chêne. Cambrai, ce groupe plus, et c’est la grande nouveauté, se serait appelé Les Bétises ; la pierre angulaire – et du coup le à Aix, Les Caliçons. Mais mur d’enceinte, voire de prison – le symbole de leur Etat du de ces chansons libérées. Maryland étant un vénérable chêne Plus rythmique, voire sautillant, blanc, ils se sont appelés Wye Oak. Shriek fait danser les rêves Autrefois, leur musique même éveillés, produit en un millefeuille était taillée dans ce bois ancestral, d’or, de mercure et de trous noirs en un folk rêveur qui évoquait par le Français Nicolas Vernhes déjà de loin, dans ses goûts pour (Animal Collective, Deerhunter…) la fugue et la grandeur, leurs dans son usine à utopies concitoyens de Beach House. de Brooklyn. Parfois un peu raide Duo pareillement mixte, Wye Oak et statique dans le passé, Wye Oak s’enfonce à son tour dans ces y a gagné une souplesse, une utopies cotonneuses, ces mélodies euphorie et une sérenité inédites, chimériques, ces constructions à la Cocteau Twins, qui font en dédales qui font la grâce des merveilles sur Schools of Eyes de Beach House. A l’époque du ou l’extravagant Glory. Une brillant Civilian de 2011, ces vagues chanson s’appelle même Paradise d’éther étaient encore secouées – on s’en approche. JD Beauvallet en tempêtes électriques par une wyeoakmusic.com guitare omniprésente : elle n’est



The Dandy Warhols Thirteen Tales from Urban Bohemia – Live at The Wonder The End Records/Naïve

A la recherche du temps perdu, le groupe de Portland se penche dangereusement sur son passé. Dans la bancale carrière Like You. Car passé 2000, entérine de manière quasi des Dandy Warhols, le groupe ne parviendra médico-légale le statut Thirteen Tales from Urban pas à remettre le doigt sur du groupe, aujourd’hui Bohemia (2000) scelle le savant mélange qui a fait culte, l’ambiance de leurs une époque bénie : celle son succès, entre je-m’engigs de jeunesse mêlant où ils enfilaient les tubes foutisme arty et cynisme franches déconnades sans pour autant renier acide. Rien de très – débauche sous produits leur statut de groupe de étonnant, donc, à ce qu’il en moins. Evocation deuxième division, parfois se laisse aller à d’ultimes cyanosée d’une des plus jusqu’au tribute – témoin divagations proustiennes attachantes formations ce Not If You Were the Last treize ans après de l’époque. No more Junkie on Earth sous cet album quintessentiel. heroes. Claire Stevens influence Beach Boys, ou Capté à Portland durant dandywarhols.com le riff stonien de Bohemian la tournée de 2013, ce live

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Rosemary Standley & Dom La Nena Birds on a Wire Air Rytmo/L’Autre Distribution Deux voix délicates s’entrelacent pour un folk ami des siestes radieuses. isque insolite. D’abord, à la musique classique, Rosemary c’est un album de reprises Standley et Dom La Nena s’en sans Get Lucky ou Happy. souviennent ici ; elles connaissent Mais avec des chansons la finesse et les nuances internationales et polyglottes de l’interprétation. Musique de Leonard Cohen, Tom Waits, de chambre à deux lits jumeaux, John Lennon, Caetano Veloso, où voix et violoncelle chuchotent Henry Purcell, Violeta Parra des berceuses en apesanteur pour et quelques autres… La seule petits et grands. Des chansons chanson française est en créole comme des nids légers et duveteux, réunionnais. Concrétisation construits par des oiselles sur disque d’une collaboration voyageuses. Stéphane Deschamps scénique entre Rosemary Standley (la chanteuse de Moriarty) concerts le 2 mai à Saint-Agil, et la chanteuse violoncelliste Dom le 6 au Creusot, les 7 & 8 à Paris La Nena, autour d’un répertoire (Maison de la Poésie), le 10 à Châteauéclectique, excentrique, intimement l’Abbaye, le 15 aux Sables-d’Olonne, digéré et distillé. Toutes deux le 16 au May-sur-Evre, le 17 à l’abbaye de Fontevraud, le 19 à Montargis affiliées au folk mais formées

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Lucius Wildewoman De New York, de la pop féminine en dessous de ses promesses. Jess Wolfe et Holly Laessig se sont rencontrées au Berklee College of Music, à Boston. Unies par un amour pour la pop en B (Bowie, Beatles), elles ont formé un duo à Brooklyn, devenu quintet au gré des rencontres. Le groupe, vu au dernier Festival des Inrocks, sort Wildewoman, un premier album où

Peter Larson

Pias

les deux jeunes filles font tout pareil : elles chantent tout à deux, s’habillent de la même façon. Le résultat, aussi, est double. Tantôt sympathique, le disque oscille entre chansons pop bubblegum (Turn It around) et charmantes berceuses vocales (Until We Get There). Tantôt moins folichon, il souffre

de quelques morceaux guère inspirés (How Loud Your Heart Gets) et d’une production parfois trop lisse, notamment le temps d’un Tempest assez pénible qui évoque davantage les Corrs que les Ronettes. Dommage, car la scène avait fait surgir de très belles promesses. Johanna Seban ilovelucius. com

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Mathieu Tonetti

Gush Mira Cinq7/Wagram

The Barracudas Mean Time Closer Records Un picture-disc (!) fête en grande pompe le retour d’un label français mythique. Ce (picture) disque, édité en 1983 et deuxième album d’un groupe alors britannico-australoaméricain, offre le chaînon manquant entre le pop beat londonien et la surf-music, grâce à l’improbable appariement d’un journaliste défroqué, d’un ex-Flamin’ Groovies (Chris Wilson) et de quelques autres jeunes gens énervés. Mean Time constitue en ce sens le sommet du parcours du groupe, par sa faculté à plonger la munificence des guirlandes électriques des guitares douze-cordes (circa The Byrds) dans un bain récurrent de tension binaire. Ce disque, enfin, témoigne de l’un des revivals les plus passionnés de l’année : Closer Records. Le label, fondé au Havre il y a trente ans, forgea sur un mode vibratile une certaine idée du rock hexagonal, digne mais acéré (Fixed Up prochainement réédité, Thugs, Kid Pharaon), et offrit asile à quelques sans-papiers en détresse (Ramones, The Only Ones).

Ultraréférencé, synthétique et entêtant : un album très sea, sex & sun. n ouverture de ce deuxième album, le quatuor francophone prend le virage electro-funk blanc à la corde, quitte à flirter avec la bande d’arrêt d’urgence ; Gush, jusqu’ici, c’était surtout la promesse d’une pop bricolo-acoustique qui empruntait autant à Beck jeune qu’à un certain folk-rock West Coast. Pour dorés au soleil qu’ils soient, les premiers titres de Mira ne manqueront pas de laisser perplexe. Au lieu d’exploiter à fond le sillon qui leur a valu l’exportation vers les USA ou l’Amérique du Sud, les membres de Gush ont décidé de s’engouffrer dans la brèche ouverte avant eux par Phoenix ou, tout récemment, le dernier Jamaica – celle du tube synthétique, vaguement rétro et ultraréférencé. Empoté aux entournures, le groupe peine parfois à l’exercice, malgré un très MTV vintage Dirty Attitude, caréné comme un hit, assez hot et frondeur. A défaut de réelles ambitions, Gush assume en fin de compte pleinement ses envies et livre une copie taillée au cordeau, d’un Full Screen addictif à ce Who’s in the Fire? qui tape dans la garde-robe de Justice pour mieux draguer sur le dance-floor. En peu de mots : la BO d’un été sexy et farniente. Claire Stevens

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concerts le 26 avril à Brest, le 2 mai à Sannois, le 7 à Strasbourg, le 21 mai à Paris (Trianon), le 22 à Saint-Genis-les-Ollières, le 13 juin à Brétigny-sur-Orge wearegush.com

Christian Larrède closerrecords.com 84 les inrockuptibles 23.04.2014

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dès cette semaine nouvelles locations en location retrouvez plus de dates de concerts dans l’agenda web sur inRocKsLive.com

dans toute la France, avec Rocky, Griefjoy, etc. Flight Facilities 30/4 Lyon, 1/5 Toulouse, 2/5 Bordeaux, 3/5 Paris, lieu secret Les 3 Elephants du 23 au 25/5 à Laval, avec Acid Arab, Fauve ≠, Détroit… A Tribe Called Red 24/4 La Rochelle, 25/4 Laval, 26/4 Bourges Damon Albarn 5/5 Paris, Alhambra Art Rock Festival du 6 au 8/6 à Saint-Brieuc, avec Casseurs Flowters, Foals, Benjamin Clementine… Rich Aucoin 23/4 Bordeaux, 26/4 Nantes Boom Bap Festival du 3 au 11/5 à Reims, avec Another Pixel, Lorsonik…

Festival des Giboulées du 1 au 3/5 au Creusot, avec The Hacker, Isaac Delusion, Nasser… Les Indigènes du 29/5 au 5/6 à Nantes avec Liars, Money, Hanni El Khatib… Kelis 12/5 Paris, Gaîté Lyrique Klaxons 12/5 Paris, Maroquinerie Emily Loizeau 30/4 Vendôme, 6/5 Rouen, 16/5 Auxerre, 17/5 Thionville, 19/5 Paris, Théâtre Dejazet

Metronomy 25/4 Toulouse, 26/4 Nantes, 28/4 Paris, Zénith, 29/4 Lille, 30/4 Caluire-et-Cuire

sélection Inrocks/Fnac Cheveu à Bordeaux Cheveu saute dans la soupe à pieds joints avec Bum. Ce troisième album fait des clins d’œil à la pop, flirte avec le rock alternatif et ose finalement un million de choses en même temps. En live, Cheveu fait preuve de la même énergie incontrôlable. On en aura la preuve ce vendredi à Bordeaux, sur la scène du Bootleg.

Miossec 23/4 Bourges, 6/5 Martigues Les Nuits Botanique jusqu’au 25/4 à Bruxelles, avec BRNS, ALB, Cascadeur… Nuits sonores du 28/5 au 1/6 à Lyon, avec Agoria, Black Lips, Suuns… Primavera Sound Launch Party 10/5 Paris, Machine du Moulin Rouge, avec Ame, Nathan Fake… Printemps de Bourges jusqu’au 27/4, avec Metronomy, Daniel Avery, Fauve ≠, Breton, Cascadeur, etc. Rock This Town du 13 au 24/5 à Pau, avec Cocktail Bananas, Sister Cookie…

sélection Inrocks/Fnac Metronomy à Paris Metronomy avait promis de ne pas faire deux albums identitiques. Love Letters prend le contrepied du précédent avec un côté lo-fi et une production minimale. Le talent de songwriter de Joseph Mount n’est en tout cas pas émoussé. A découvrir au Zénith ce lundi. Sarah W_Papsun 25/4 Saint-Lô Schoolboy Q 6/5 Paris, Bataclan, 7/5 Strasbourg, 12/5 Lyon Stage of the Art du 25/4 au 28/4 à Hyères, avec Chlöe Howl, Jaakko Eino Kalevi et C.A.R Talisco 25/5 Magnyle-Hongre, 6/6 Mérignac, 8/6 Maubeuge This Is Not a Love Song du 29 au 31 mai à Nîmes, avec Acid Arab,

Daniel Avery, Jungle… Weather Festival du 6 au 9/6 en Ile-de-France, avec Mount Kimbie, DJ Deep, Ben Klock… Weekend des curiosités du 22 au 25 mai à Toulouse, avec Acid Arab, Fakear… We Love Green du 31/5 au 1/6 à Paris, parc de Bagatelle, avec Lorde, Foals, etc. Jack White 29 & 30/6 Paris, Olympia

Brian Jonestown Massacre 20/5 Lille, 21/5 Paris, Bataclan, 22/5 Rouen, 23/5 HérouvilleSaint-Clair, 24/5 Brest, 25/5 Nantes BRNS 30/4 Paris, Point Ephémère Anna Calvi 24/4 Nantes

Ricardo Villalobos au grand air

aftershow

Cat Power 26/5 Nantes, 27/5 Mérignac, 29/5 Toulouse Clap Your Hands Festival jusqu’au 26/4 à Paris, Café de la Danse, avec Micky Green, Augustines, etc. Coming Soon 24/4 SaintEtienne, 6/5 Paris, CentQuatre, 14/5 Strasbourg Mac Demarco 16/5 Paris, Trabendo, 17/5 Nantes, 18/5 Saint-Josse Fair : le tour jusqu’au 24/5

Caprices Festival du 11 au 19 avril à Crans-Montana (Suisse) Ces dernières années, une mythologie de la teuf à la montagne s’est construite autour de la multiplication des festivals en altitude. Via la télé, on en a retenu ces images : des “jeunes” qui foutent le bordel en écoutant de l’electro, et puis des paysages gâchés par une horde d’abrutis ne respectant rien ni personne. Heureusement, certains festivals européens, dont le Caprices en Suisse, s’évertuent dans le même temps à briser ces clichés avec des programmations de qualité. Cette année, à CransMontana, on a croisé quelques-uns des plus grands DJ du monde. Voyez plutôt : en trois jours de grosse fête, se sont succédé Jeff Mills, Carl Cox, Richie Hawtin ou encore Ricardo Villalobos. Pour représenter la France, il y avait aussi l’étoile montante Gesaffelstein. Dans la gigantesque tente du Moon, ainsi qu’au Modernity (salle improvisée à 2 000 mètres au milieu des pistes, ouais !), on a vu la sueur couler et les esprits frôler la transe. C’est là justement l’effet du purisme techno et de la chaleur de la house : le dépassement de soi par le rassemblement festif – quel que soit le lieu. Maxime de Abreu 23.04.2014 les inrockuptibles 85

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que feras-tu de ta peur ? L’espoir des lettres espagnoles Isaac Rosa démonte l’engrenage de la terreur, un mal répandu de notre époque, dans un roman à l’intelligence salvatrice.

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e Pays de la peur est sorti en Espagne en 2008 et Isaac Rosa situe son intrigue dans une ville anonyme, mais le roman pourrait aussi bien se dérouler aux abords de Paris, Marseille ou Nantes en 2014. Car ce qu’analyse ce grand nom en devenir de la littérature ibérique, c’est le rapport intime de la société et des individus à la Peur avec un grand P, observée ici comme source de folie et d’accès de couardise. Classe moyenne, quartier populaire plutôt sûr, petite famille équilibrée… Oscar est un homme progressiste et un peu terne, qui “se vante d’avoir des amis étrangers, de fréquenter des cafés multiethniques, (…) milite contre les expulsions et les politiques restrictives en matière d’immigration”. Mais que devient son bel humanisme à l’épreuve d’une réalité qui, un beau jour, se retourne contre lui ? Quand Oscar et sa femme Sara s’aperçoivent que des objets disparaissent régulièrement de leur appartement, ils n’hésitent pas à congédier leur femme de ménage. Mais les escamotages persistent, dévoilant un problème de plus grande ampleur : depuis plusieurs semaines, leur fils adolescent se fait racketter à la sortie du collège. Son corps est d’ailleurs couvert d’hématomes, et le gamin plus taciturne que jamais. Rendez-vous avec le proviseur, expulsion du jeune délinquant… Sans crier gare, “la violence” a fait son entrée dans la vie de ce trio sans histoires, et avec elle son fidèle corollaire : la peur. Avec une intelligence d’écriture et la finesse indispensable au traitement d’un tel sujet, Isaac Rosa dresse, à partir de ce microévénement symptomatique, un état des lieux de ce “pays de la peur”, à la fois géographique et mental, que peuplent “les autres, les inconnus, les étrangers”, “les bandes de jeunes voleurs, qu’(Oscar) n’a jamais vues mais craint tout de même”… Les décors de la peur, “parkings souterrains, couloirs de métro, terrains vagues de banlieue…”, tous ces lieux où “il ne lui est jamais rien arrivé, mais que les pages de faits divers et plus encore la fiction (…) ont désigné comme des lieux de violence” deviennent pour ce citoyen moyen une source constamment renouvelée de terreur.

Isaac Rosa dresse un état des lieux de ce pays de la peur, à la fois géographique et mental, que peuplent “les autres, les inconnus, les étrangers”

D’autant que la spirale induite par une veulerie qu’il appelle pacifisme a retourné, sans prévenir et par surprise, l’agressivité du bourreau de son fils contre lui : l’homme adulte se fait régulièrement rançonner par un gamin. Sur le parking du supermarché, dans les rues de son quartier, le jeune délinquant lui tombe dessus, réclame cinq euros, puis dix, puis vingt. Le prix de la tranquillité pour lui et les siens, mais surtout une spirale qui le voit s’enfoncer dans un système régi par la panique, qui ne repose bien sûr pas sur une expérience réelle de la douleur ou du danger mais se nourrit de leur immense pouvoir d’évocation. Ce mécanisme qui fait qu’“une présence policière massive dans une gare ne nous tranquillise pas mais nous effraie”, cette peur induite par les chiffres du ministère de l’Intérieur, les légendes urbaines que l’on se raconte dans les dîners en ville, les faits divers qui hantent les pages des quotidiens… Minutieusement, méthodiquement, Isaac Rosa ausculte ce mécanisme, démonte la machine à frissons pour en révéler l’inanité avec une intelligence salvatrice. Sans condescendance vis-à-vis de son personnage principal et sans avoir besoin d’appuyer son propos par une démonstration politique, il se cantonne à son sujet pour l’observer en profondeur, analyse cette “peur de classe moyenne, celle de quelqu’un qui a beaucoup à perdre mais pas assez de ressources pour se protéger ni réparer les pertes, contrairement aux classes aisées, lesquelles ont beaucoup à perdre mais ne perdront jamais tout (…), mais aussi aux classes défavorisées, qui ont peu voire rien à perdre et ne craignent donc pas une éventuelle perte”. Au lendemain des élections municipales en France, ce roman prend une dimension d’utilité publique, et offre une grille de compréhension pour désamorcer le mécanisme à l’œuvre en chacun de nous, qui pervertit une peur censée nous protéger et l’instrumentalise pour en faire une angoisse sociétale diffuse. Le vrai danger, celui de l’isolement, de l’intolérance, de la paranoïa, peut dès lors s’abreuver à la peur elle-même ; c’est ce que démontre ce livre avec brio. Clémentine Goldszal Le Pays de la peur (Christian Bourgois), traduit de l’espagnol par Vincent Raynaud, 330 pages, 20 € 23.04.2014 les inrockuptibles 87

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Zadie Smith Ceux du Nord-Ouest

Des amis se débattent avec leurs désillusions dans un quartier défavorisé de Londres. Un roman qui séduit avant de lasser. Bien qu’installée à New York, Zadie Smith se replonge dans le quartier de Londres où elle a passé son enfance, le Nord-Ouest, loin du centre chic et friqué de la capitale. Elle y met en scène une poignée de personnages qui y vivent, ont grandi ensemble et sont maintenant à l’âge adulte : celui des choix, puis du regard que l’on porte sur la vie qu’on s’est choisie. Smith excelle à narrer ces moments où tout bascule. Le livre commence quand l’une des protagonistes, enceinte, laisse entrer chez elle une jeune paumée qui va réussir à lui extorquer quelques billets – sa naïveté donne lieu à des réprimandes de la part de son compagnon et de sa mère, et engendre chez elle doutes et culpabilité. Plus loin, un homme se rend chez son ex-girlfriend, qu’il a quittée pour une fille plus jeune. Elle erre chez elle, pathétique ; n’empêche qu’ils se retrouveront à faire l’amour – ce qu’il s’était juré d’éviter. Tout irait bien si l’écriture de Zadie Smith ne devenait agaçante à force de se vouloir expérimentale (phrases sans points, etc.), et un peu trop gratuitement. Or, ce qui peut passer pour de la transgression aux USA passera pour de la naïveté aux yeux des Français, rompus depuis longtemps à la prose de Georges Perec, Jacques Roubaud et bien d’autres. Nelly Kaprièlian

Cary Grant et Katharine Hepburn dans Indiscrétions de George Cukor (1940)

Gallimard, traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson, 416 pages, 22,50 €

la société des spectacles Jonathan Dee ausculte les rapports entre vérité et représentation dans une comédie du remariage sur fond de scandale médiatico-judiciaire. Quelque part entre Tom Wolfe et George Cukor.

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ne impression initiale de déjà lu peut-elle jouer en faveur d’un roman ? A l’évidence oui, quand le matériau littéraire recyclé l’est avec la malice et l’allant dont Jonathan Dee, qu’on avait découvert avec Les Privilèges, fait montre dans sa nouvelle comédie new-yorkaise. Dès le premier chapitre, Mille excuses permet au Bûcher des vanités de jeter de nouveaux feux (de joie). Avec un sens aigu des enjeux politiques et médiatiques que suscite à Manhattan tout scandale impliquant un quadragénaire blanc surpris le caleçon autour des chevilles, Dee boucle en un temps record le genre de séquence d’ouverture qu’aurait pu signer un Tom Wolfe converti au minimalisme, campe deux personnages – une housewife ayant quelques raisons d’être désespérée et son mari avocat, pour qui “avoir sa bite dans la bouche d’une femme jeune et superbe” paraît “la seule situation tolérable” – et pose en une paire de rebondissements les ressorts d’une intrigue reposant sur les infortunes de la vérité au royaume de la représentation. Que se passe-t-il entre un homme et une femme dans une chambre d’hôtel ? Quels rapports de pouvoir et de séduction peuvent-ils faire requalifier un tête-à-tête chargé de tension érotique en tentative de viol ? A ces questions, Mille excuses apporte une réponse d’un cynisme absolu :

face aux caméras, la réalité des faits n’a pas la moindre importance. Une fois pris dans les rouages de la machine à fabriquer des salauds, la seule issue consiste pour l’accusé à implorer le pardon et à attendre que cette mise en scène de la repentance laisse place à un scénario de la rédemption. En matière de scénario, de twists et de fausses pistes, Dee est lui-même expert. En un tournemain, il fait de sa banlieusarde divorcée une star des cabinets de conseil en communication, qui est au storytelling ce que le Dustin Hoffman de Rain Man était aux chiffres. Sur cette parabole de l’innocente réussissant là où les professionnels se cassent les dents se greffe une satire du monde du cinéma – un acteur très sex & drugs faisant irruption dans le tourbillon d’événements – d’autant plus perverse que Mille excuses exploite simultanément l’un des filons qui valurent au Hollywood des années 40 quelques-uns de ses plus pétillants chefs-d’œuvre. Tournant le dos aux dérives trash du thriller judiciaire moderne, Jonathan Dee opte en effet pour un arc narratif familier aux fans de Cary Grant ou Katharine Hepburn, et boucle sa comédie du remariage avec un brio digne de Howard Hawks ou George Cukor au sommet de leur art. Bruno Juffin Mille excuses (Plon), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Peellaert, 280 p, 21 €

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mondes parallèles A travers la vie imaginaire de Phoebus K. Dank, Christopher Miller rend hommage à la science-fiction dans un livre en trompe l’œil aussi malin que potache. ien sûr, vous inconditionnelle une plongée dans la vie connaissez de Boswell pour son objet – triste et ridicule – Philip K. Dick. d’étude finit par apparaître et l’œuvre – prolifique Mais avez-vous aussi suspecte que et ridicule – de Dank, déjà entendu parler de la haine fielleuse qui partage de nombreux Phoebus K. Dank, son et délectable de Hirt. points communs avec double obscur, également Dans un jeu de mise Philip K. Dick (en réalité, écrivain de science-fiction ? en abyme délirant et très un personnage inventé Non, certainement pas. borgésien, Christopher par Dank) : sœur jumelle, Heureusement, le nouveau Miller s’amuse avec névroses multiples, roman de l’Américain les codes romanesques, mariages ratés, addictions Christopher Miller vient mêle allègrement parodie – le talent en moins. réparer cette injustice. Ou de biographie savante, Les deux coauteurs, plutôt le livre qu’il contient, aux “différences de ton hommage attendri et à savoir une encyclopédie érudit à la SF, avec moult franchement discordantes”, du monde de Phoebus K. Martiens et pisto-lasers, s’invectivent par notes Dank, coécrite par William de bas de page interposées, et enquête policière. Même Boswell, son biographe le traducteur, Claro, vient Boswell allant jusqu’à attitré, et Owen Hirt, mettre son grain de sel accuser Hirt du meurtre son meilleur ennemi. dans des notes absurdes, de Dank, retrouvé dans Présenté sous forme histoire de brouiller encore un bain de sang par une d’abécédaire, ce guide un peu plus les pistes tragique nuit de juin 2006. à quatre mains offre de ce livre schizoïde peuplé Mais la vénération

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de doubles, d’échos et d’alter ego. Comme dans Variations en fou majeur, premier roman de Miller paru en 2004, on retrouve dans L’Univers de carton, et de façon plus appuyée, l’influence de Feu pâle de Nabokov, modèle insurpassable de livre en trompe l’œil autour d’une œuvre et d’un auteur fictifs. Tout est faux sans être toc dans cet Univers de carton, d’une authentique et irrésistible drôlerie. Elisabeth Philippe L’Univers de carton (Cherche midi/Lot 49), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 633 pages, 23,80 €

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la subversion ne peut se limiter, chez Butler, au jeu avec et contre les normes de genre

les moyens de vivre

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eu de livres ont autant marqué le paysage contemporain de la pensée politique que celui de Judith Butler, paru en 1990, Trouble dans le genre – Le féminisme et la subversion de l’identité. Dépassant la seule question du féminisme, l’essai ne se contentait pas de troubler les défenseurs obtus de l’ordre naturel et des assignations de genre ; il bousculait la manière de penser l’ordre social, déstabilisait les frontières rigides entre le vice et la vertu, la société et l’Etat, l’individuel et le collectif… Dans son beau discours de réception au prix Adorno 2012, Qu’est-ce qu’une vie bonne ?, Judith Butler réaffirme avec force et clarté la nécessité d’une critique de l’ordre des valeurs dominantes. Elle accomplit ici son geste de théoricienne subversive indexé à un vrai souci éthique. S’attachant à une question centrale de la philosophie antique et moderne, Butler se demande ce qu’est “vivre au mieux” aujourd’hui. “Si je dois vivre

University of California, Berkeley

Comment vivre une “vie bonne”, s’interroge la philosophe Judith Butler. Réponse : en étant critique. une vie bonne, ce sera une vie bonne vécue avec les autres, une vie qui ne serait pas une vie sans ces autres”, suggère-t-elle. Convaincue qu’on ne saurait affirmer sa propre vie “sans évaluer de manière critique les structures qui évaluent différemment la vie elle-même”, Judith Butler pose comme postulat de toute réflexion sur une vie bonne de considérer les multiples “modes d’invivabilité” qui traversent nos sociétés. La question de savoir comment mener une vie bonne est ainsi directement “liée à la pratique vivante de la critique”, écrit la philosophe, soucieuse de prêter sa voix aux précaires et aux vulnérables en tout genre. Ce geste critique définit pour elle la tâche première de la philosophie, nécessairement politique et morale à la fois. “Comment peut-on se demander quelle est la meilleure vie à mener quand on sent qu’on n’a aucun pouvoir pour diriger sa vie, quand on n’est pas sûr d’être en vie, quand on se bat pour éprouver la sensation qu’on est en vie et qu’en même temps on a peur de cette sensation et qu’on a peur

aussi de vivre de cette manière ?”, avance-t-elle. Opérant un pas de côté par rapport à la célèbre distinction entre espace privé et espace public théorisé par Hannah Arendt, Judith Butler élabore une “politique des corps” stipulant que “le privé, loin d’être le contraire de la politique, fait partie de sa définition même”. La politique est à l’œuvre dans la chair, insidieuse et tenace. Valider la séparation du public et du privé, c’est céder devant la “biopolitique”, c’est reconnaître la puissance mortifère de ces pouvoirs qui organisent nos vies, rendent certaines vies plus précaires que d’autres et “prennent des séries de mesures pour l’évaluation différenciée de la vie elle-même”. C’est en quoi la subversion ne peut se limiter, chez Butler, au jeu avec et contre les normes de genre, et touche plus largement aux questions d’égalité, comme l’illustra son engagement auprès du mouvement Occupy Wall Street. Une vie bonne ne peut s’accomplir sans un regard critique sur tout ce qui, au cœur du monde social, entrave sa possibilité d’existence. Jean-Marie Durand

la 4e dimension la Paris Review fait le printemps Des textes de Zadie Smith, Ben Lerner, Rachel Cusk, un entretien avec Matthew Weiner, le créateur de la série Mad Men. Pour son numéro de printemps, la revue américaine convie du beau monde dans ses pages. The Paris Review n° 208, 20 $, theparisreview.org

Qu’est-ce qu’une vie bonne ? (Manuels Payot), 110 pages, 13,50 €

Catherine Millet collector Orhan Pamuk, retour aux origines Sortie le 20 mai de Cevdet Bey et ses fils (Gallimard), le premier roman de l’écrivain turc, prix Nobel de littérature, enfin traduit en français. Publié en 1982, ce livre embrasse les transformations de la Turquie au XXe siècle à travers trois générations d’une même famille.

un nouveau Ian McEwan en septembre L’écrivain britannique, dont on vient de savourer Opération Sweet Tooth, publiera à l’automne son nouveau roman, The Children Act, un livre sur des parents qui refusent de faire soigner leur fils malade en raison de leurs convictions religieuses.

Alors que vient de sortir Une enfance de rêve (Flammarion), paraît une édition collector de son livre culte, La Vie sexuelle de Catherine M. (Seuil, le 2 mai). Cette nouvelle édition est augmentée de quatre textes inédits, signés par un médiéviste, un théologien, ainsi que par Millet elle-même et Mario Vargas Llosa.

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Zhang Leping San Mao, le petit vagabond Editions Fei, 414 pages, 33 €

l’enquête intérieure Toujours aussi prolixe, Lewis Trondheim signe avec Stéphane Oiry un étonnant polar existentiel et mélancolique.

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eu d’auteurs occupent le terrain avec autant de savoir-faire et de constance que Lewis Trondheim. Depuis le début 2014 ont paru les deux derniers tomes de Donjon Crépuscule, dont il a coécrit les scénarios, le délirant Kräkændraggon avec Mathieu Sapin, le tome 2 de sa revue Papier, le tome 6 de Ralph Azham et l’excellent strip L’Atelier mastodonte, toutes les semaines dans Spirou. Voici maintenant Maggy Garrisson, sa contribution au polar réalisée avec Stéphane Oiry au dessin. Solitaire, un peu larguée, la jeune Anglaise Maggy Garrisson vient de trouver son premier job : elle sera l’assistante d’un détective privé. Elle se rend immédiatement compte que le boulot sera miteux et le patron peu fiable – il est d’ailleurs vite envoyé à l’hôpital par des petits malfrats. Maggy prend le relais et se retrouve à courir après de mystérieux tickets du Pier de Brighton convoités par beaucoup de monde. A contre-courant des thrillers au rythme effréné et aux scénarios caricaturaux, peuplés de gangsters machiavéliques et violents et de filles vénéneuses, Maggy Garrisson est bien plus atmosphérique et existentiel qu’haletant. Lewis Trondheim

et Stéphane Oiry prennent le temps de poser le décor et de créer une ambiance douce-amère, dans de belles planches au trait réaliste qui révèlent un Londres triste et humide, avec ses pubs rustiques et ses maisons ternes. Ils s’attachent plus à la personnalité de leur héroïne qu’à l’intrigue – une histoire de monnaie parallèle dont on n’apprend finalement pas grand-chose. En s’amusant à revisiter les clichés du privé à la Chandler, du détective alcoolique en mal d’enquête qui tombe sur une affaire qui le dépasse, ils livrent une véritable étude de caractère. Habitué des héros à la coule, un peu losers mais opiniâtres, Lewis Trondheim dépeint une jeune femme touchante, qui partage toutes ces caractéristiques. Avec son franc-parler et ses reparties acérées – une autre grande spécialité de Trondheim –, Maggy Garrisson, dont on suit les pensées acerbes en voix off comme dans tout bon roman noir, n’est jamais à court de ressources pour se procurer un peu d’argent. Mais elle est aussi désespérément seule et en quête d’amis. Un polar mélancolique et loin des sentiers battus. Anne-Claire Norot

Les aventures d’un orphelin chinois dans les années 30. Troublant. Alors que la Chine explose économiquement depuis dix ans, découvrir les péripéties tragi-comiques de San Mao, portrait d’un gavroche des années 30 dans une Asie en pleine expansion, éveille un drôle de trouble. Muets, comiques, élégants dans leur dessin, ces courts gags en une page seraient en effet le plus souvent impossibles à situer et à dater si le contexte et le décor ne se rappelaient pas perpétuellement à notre regard. Même l’esthétique trompe, tant un classicisme évident laisse percer de temps à autre une forme de modernité, un goût de l’expérience, un traitement de la brutalité presque contemporain. C’est donc l’histoire universelle, de Chaplin à Hugo, d’un orphelin qui n’a pas conscience de l’injustice qui règnent autour de lui et dont il est la première victime. Lui n’en rigole pas, il les affronte, avec le naturel de l’innocence, tandis que le lecteur est invité à se soulager par le rire, mais n’y parvient pas si souvent. Le grotesque et la violence s’incarnent dans la même ligne, avec cette ambiguïté gênante que seuls les grands poètes de la misère savent exprimer. Stéphane Beaujean

Maggy Garrisson t.1 – Fais un sourire, Maggy (Dupuis), 48 pages, 14,50 €

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Molière à fleur de peau En abordant Le Misanthrope comme un journal intime, Clément Hervieu-Léger nous transporte avec la passionnante chronique d’une jeunesse qui se brûle les ailes à l’amour.



ans la cour intérieure d’un chantier de rénovation à ciel ouvert, le lustre et la patine témoignant des siècles passés se couvrent d’une fine couche d’enduit, comme une page redevenue blanche sur laquelle le récit ne saurait s’inscrire autrement que dans l’insaisissable de l’instant. S’affirme ainsi l’éternel renouveau du désir provoqué par un classique des classiques, Le Misanthrope de Molière, qu’on aurait à cœur de monter dans les effluves encore frais de son encre à peine sèche. Mixant des escaliers dignes de ceux des Enfants du paradis de Prévert et Carné à la riche façade en travaux d’un hôtel

Célimène s’accorde le droit d’expérimenter la liberté toute neuve de séduire sans jamais se soumettre

particulier, la scénographie d’Eric Ruf s’engage dans une valse-hésitation afin de réconcilier le précieux et le populaire, d’être à la fois comptable des émotions du dehors tout autant que de celles du dedans. Ce décor ultrasensible s’accorde à merveille avec la voie ouverte par la mise en scène de Clément Hervieu-Léger, qui aborde Le Misanthrope comme une chronique générationnelle, un journal intime témoignant en une seule journée de la fin d’un monde, celui d’une petite communauté d’amis qui éclate en morceaux à l’heure où, de perdreaux de l’année à peine sortis du nid, ils sont sommés de devenir des adultes. La faute au destin, qui vient de rebattre les cartes de l’existence de Célimène en faisant d’elle une veuve de 20 ans qui peut jouir de ses biens propres sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. Forte de cette première vie qui surclasse en tous points celle des autres, elle s’accorde le droit, après avoir connu

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La Meute joyeuse Acrobates et camarades, les membres de La Meute réinventent les jeux de plage. Humour à cru. inimaliste plutôt que de corps – se fondent en toute grégaire, tel est La Meute, humilité dans l’humour, parfois spectacle-manifeste masochiste, qui fait office de cadre de la compagnie dramaturgique et de règle du jeu. La Meute, entendez : “Un groupe Et puis, comme chacun sait, d’acrobates de type homo sapiens une meute n’est pas un ensemble appartenant à l’ordre des grands indéterminé de bêtes mais primates. La Meute opère un regroupement d’individus systématiquement à six car l’enjeu fortement différenciés. D’où leurs est gros. A l’heure de l’individualisme, costumes, imparables et portés elle préfère la coopération.” à la manière d’un kilt, autrement Tout est dit, tout reste à faire. dit sans rien dessous : de larges Et c’est là que La Meute draps de bain blancs que chacun séduit, parce qu’au spectaculaire entortille à sa façon sur ses qu’autorise leur discipline hanches et qui feront, selon le cas, de circassiens formés aux écoles office de protection lorsque les de Rosny-sous-Bois et de portés et les sauts se font en appui Stockholm, options main à main, sur les mains, c’est normal, balançoire française (qui tient sur le bas-ventre, c’est risqué, ou plus de la catapulte) et bascule, sur la tête, c’est impressionnant… ces six garçons préfèrent de loin la Non contents de jouer avec franche déconnade et l’atmosphère insolence de leurs agrès habituels, semi-conviviale, semi-provoc ils innovent et inventent l’hommede toute bande qui se respecte. culbuto, le vélo-pyramide humaine Et puis, on a beau être passé et l’homme-sandwich enroulé dans maître dans l’art de se porter, un matelas en mousse sur lequel de se supporter et de s’envoyer saute à pieds joints avec alacrité valdinguer, on n’en est pas toute La Meute. L’esprit de corps, moins musiciens ou chanteurs et, c’est musclé ! Fabienne Arvers pourquoi pas, go-go boys… Si bien La Meute de et par La Meute, que leurs prouesses techniques en tournée du 7 au 10 mai à La Réunion, – comme se balader à huit mètres le 15 juin à Villefontaine, le 21 juillet à Biscarrosse, www.cielameute.com du sol en formant une échelle

l’enfermement du devoir conjugal, d’expérimenter la liberté toute neuve de séduire sans jamais se soumettre. Choisissant pour époque celle de l’innocence des années 60 – où la question de l’amour n’avait pas encore été repassée au crible par les penseurs de Mai 68 –, Clément Hervieu-Léger dirige ses acteurs à la manière d’un réalisateur de la Nouvelle Vague. Ce faisant, il nous offre le bonheur d’entendre chaque échange comme le rouage indispensable d’une controverse qui ne se prive d’aucun avis et se revendique chorale. Avec les extraordinaires Georgia Scalliet et Loïc Corbery, le couple que forment Célimène et Alceste s’inscrit dans une déchirante vérité qui fera date. La troupe du Français fait des miracles, tous sont éblouissants dans l’à fleur de peau de ce que Molière nomme une comédie mais qui, sous le regard du metteur en scène, prend les allures écorchées vives d’un éloge tragique de cette exigeante solitude qui exclut tout compromis s’agissant du commerce de l’amour. Patrick Sourd Le Misanthrope de Molière, mise en scène Clément Hervieu-Léger, avec Georgia Scalliet, Loïc Corbery, Eric Ruf, Adeline d’Hermy, Florence Viala, Serge Bagdassarian, Gilles David, en alternance jusqu’au 17 juillet à la Comédie-Française, salle Richelieu, Paris Ier, tél. 0825 10 16 80, comedie-francaise.fr

Queralt Vinyoli

Brigitte Enguerand/Divergence

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y a-t-il un virus dans l’expo ? Les expositions de Neïl Beloufa et de David Douard, à Paris, affichent un fort taux de pollution esthétique. Mais c’est peut-être normal.

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’heure est aux expositions binômiques. Après le dialogue à distance qui s’est tenu l’automne dernier entre Pierre Huyghe au Centre Pompidou et Philippe Parreno au Palais de Tokyo, il vient presque naturellement à l’esprit critique de rapprocher les deux solo-shows de Neïl Beloufa à la Fondation Ricard et de David Douard au Palais de Tokyo. Car, appartenant à la nouvelle génération d’artistes français (nés respectivement en 1985 et 1983), ces deux-là se rejoignent notamment par leurs paysages formels, forts de sculptures thermo-trashodéformées, d’assemblages hybrides de composants organiques et techniques. Mais autre chose, à l’évidence, les rapproche : une conception très détraquée

ici l’esthétique relationnelle est plus qu’un piège : un vieil attrape-couillon

de l’exposition. Chez Ricard, Neïl Beloufa organise une “explosition” de pièces détachées, à l’image de la bagnole désossée dans laquelle l’artiste a tourné une pauvre mais entêtante sitcom sentimentale, Brune Renault. Ce road-movie immobile, où l’on ne sort jamais du garage, devient le “poissonpilote” d’une expo qui s’éclate en tous sens et se répartit partout dans l’espace, tandis que tourne en boucle Les Portes du pénitencier de Johnny Hallyday. Le garage est la métaphore de l’atelier de l’artiste, ou du studio de tournage : un lieu où processus et déconstruction vont ensemble, où les œuvres sont à la fois faites et jetées, et leurs déchets recyclés sous verre. Telles les portes déglinguées qui ne mènent nulle part mais qu’on peut quand même ouvrir, ici l’esthétique relationnelle est plus qu’un piège : un vieil attrape-couillon. Au Palais de Tokyo, l’ambiance instaurée par David Douard est d’abord plus tranquille : on traverse un espace bureautique, une sorte de place publique

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panic room La cinéaste Ericka Beckman, qui fut proche de Mike Kelley, piège ses personnages dans des films aux formes, aux couleurs et à la bande-son de jeu vidéo. Du cinéma d’apprentissage old school. ous les films projetés dans protagonistes ne réussisse à se cette exposition grenobloise saisir de rien. d’Ericka Beckman, L’univers du jeu, qu’il s’agisse ou presque tous, ont, près des jeux vidéo mais aussi d’eux, un accessoire qui a comme des sports d’équipe, est un cadre réussi à s’extirper de leur fiction. récurrent : les personnages Or, la façade d’une petite maison apprennent les gestes, les règles de poupée, un cheval à bascule, qui leur permettent d’évoluer un chaudron en bois peint viennent dans un environnement hostile, préciser un paradoxe : ces films parce que friable et inconsistant, relèvent de procédés de fabrication où ils font figure d’êtres candides très artisanaux, d’une matière et désemparés. Ce monde mouvant (cinématographique) et de est fondamentalement celui matériaux très palpables, alors des images en mouvement telles même qu’ils intègrent des effets que les fabrique, en bidouillant spéciaux, des grilles géométriques, la pellicule ou par le biais du stop des incrustations qui semblent motion, Ericka Beckman – pour qui, ancrer ces images dans le virtuel. dit-on, Jean-Luc Godard ne tarit De fait, ce clash entre le monde pas d’éloges un jour de projection en dur et le monde des illusions au Festival du film de New York. constitue la trame de la plupart C’est l’autre leçon qu’on tire des films d’Ericka Beckman, de la présence de ces objets Américaine née en 1951, qui fit ses extirpés des films, chus ici-bas armes au California Institute of the dans la pénombre des salles d’expo Arts avec Mike Kelley, Tony Oursler du Magasin. Si eux s’en sont ou Guy de Cointet. Un personnage échappés, c’est que tous les autres, court contre la montre et les les personnages, mais aussi les préjugés (Cinderella, avec une spectateurs, n’ont toujours pas bande-son new-wave et des décors trouvé le moyen d’en sortir. Essaie façon L’Ile aux enfants) ou, dans encore. Et encore. Judicaël Lavrador Super 8 Trilogy, après les jouets de son enfance, engloutis Ericka Beckman Works, 1978-2013 dans un coffre sans fond – comme jusqu’au 4 mai au Magasin, Grenoble, sa mémoire et sa maison, d’un vide www.magasin-cnac.org, www.erickabeckman.com sidéral – sans qu’aucun des

agrémentée de fontaines et d’auvents, sauf que les publicités sont rongées, les ordinateurs virussés, les fontaines déformées, les nouveau-nés monstrueux. Le monde vire à l’anomalie généralisée. Il y a comme un virus dans l’exposition, telle cette maladie infectieuse qui apparaît en fin de parcours sur le moulage en cire d’un sein tuméfié daté du XIXe siècle et sorti du musée d’un hôpital parisien. Certes, la critique d’art ne peut se contenter de rapprocher des œuvres ; elle doit être aussi, comme disait Derrida, “le procès continu des différences”. On remarquera alors qu’au travers de ces paysages défaits deux sensibilités très distinctes se donnent à voir : plus “pervers manipulateur” chez David Douard, qui oppose un réel malade au storytelling ambiant ; plus “déconstructionniste” chez Neïl Beloufa, qui procède à un démontage jouissif et nerveux de sa propre série télé. C’est dire si, tout en jetant un sévère doute sur les expositions-programmes des années 90 (façon Parreno et Huyghe, justement), ces artistes attaquent et plastiquent les fictions et stéréotypes qui nous entourent. Jean-Max Colard Neïl Beloufa En torrent et second jour jusqu’au 24 mai à la Fondation d’entreprise Ricard, Paris VIIIe, www.fondation-entreprise-ricard.com David Douard Mo’Swallow jusqu’au 12 mai au Palais de Tokyo, Paris XVIe, www.palaisdetokyo.com

Courtesy de l’artiste, photo Blaise Adilon

Mo’Swallow, l’exposition de David Douard au Palais de Tokyo

Courtesy Palais de Tokyo, Galerie High Art, photo Aurélien Mole

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le bonus Tracks Depuis dix-sept ans, le magazine fait chaque semaine sur Arte le tour du monde des musiques et des (contre-)cultures underground. Avec une voix singulière, celle de Chrystelle André. Rencontre.

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n magnifique souffle de vie, une sorte d’antidote à l’inertie.” Le timbre est chaud, apaisé. Le ton, déterminé, prend bien soin de claquer chacune des syllabes prononcées. Pour saisir toutes les raisons d’être de Tracks dix-sept ans après sa création, on s’est tourné vers la voix singulière de Chrystelle André. Passionnée de musique et de radio, l’animatrice raconte l’émission historique d’Arte depuis la fin des années 90 et un concours de circonstances qu’elle se remémore avec le sourire : “Au tout début de l’histoire, je faisais des études d’anglais pour être capable de lire le NME. C’était vraiment ça, l’idée : je voulais devenir journaliste musicale et je me suis retrouvée

“très rapidement, j’ai essayé de traiter Tracks comme une véritable émission de radio” Chrystelle André

embarquée à la radio par hasard. A l’époque, je prenais des cours de guitare avec un mec qui bossait pour une station locale et j’ai dû le remplacer un jour où il ne pouvait pas assurer l’antenne. Après ça, c’était terminé, je ne pouvais plus lâcher le truc ! J’ai travaillé à Ouï FM et à Couleur 3, une radio suisse pour laquelle je tenais une petite chronique sur le monde de la télé. Je parlais souvent de Tracks. Quand ils m’ont appelée, j’ai d’abord cru à une blague.” En 1998, Tracks n’a pas encore 2 ans et Chrystelle André rejoint l’aventure du magazine musical au moment de son ouverture à d’autres formes d’expression. Art contemporain, sexualités marginales, extraits de clip, analyse des nouvelles tribus urbaines… tout ce qui fait trembler l’underground des sociétés modernes de Moscou à Los Angeles trouve une réplique vibrante dans les cinquante-deux minutes que l’émission bilingue diffuse chaque semaine. En parvenant à réunir les peuples en français et en allemand

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Tracks,c ulte dugé nérique au commentaire

tout en ouvrant des fenêtres sur d’autres horizons, l’émission incarne à elle seule le projet culturel pensé par Arte. Depuis sa première diffusion en janvier 1997, l’offre éditoriale de Tracks est d’ailleurs répartie entre les rédactions allemande et française, auxquelles la chaîne commande chacune de ses émissions. En France, c’est la boîte de production Program33 qui est chargée de penser les concepts et les reportages sous la direction de ses deux rédacteurs en chef, David Combe et Jean-Marc Barbieux. Pour Chrystelle André, le travail d’équipe est primordial dans la réussite et la longévité de Tracks : “Les journalistes écrivent leurs commentaires la veille des enregistrements et on essaie de les remettre en forme avec David et Jean-Marc. C’est une émission qui laisse pas mal de place à l’humour : on sème parfois quelques petites blagues entre les lignes mais il s’agit surtout d’assurer au mieux les transitions. La plupart du temps, dans ce métier, les voix off débarquent, se posent devant le micro et repartent aussitôt. C’est différent avec Tracks. J’ai fait un paquet de reportages et d’interviews pour eux à une époque, c’est donc une histoire que je connais de l’intérieur.”

Après un début de carrière hésitant entre le micro et la plume, quelques piges envoyées à Télérama et Technikart, Chrystelle André a trouvé avec Tracks l’occasion unique de s’affirmer définitivement en tant que “fille de radio”. “Très rapidement, j’ai essayé de traiter Tracks comme une véritable émission de radio. Je ne me considère pas du tout comme une journaliste, je trouve ça un peu trop sérieux comme métier. Au début, à Couleur 3, on utilisait le mot ‘animaliste’ pour faire le pont entre le journalisme et l’animation. Aujourd’hui, je bosse toujours pour cette radio en parallèle de Tracks mais je n’ai jamais travaillé pour une autre chaîne qu’Arte.” Avec son traitement journalistique digne d’un magazine papier, son ton radio et sa diffusion à la télévision, Tracks se place au carrefour des médias traditionnels. En dix-sept ans, l’émission a su construire des souvenirs et des affects assortis d’une multitude de fantasmes et de stéréotypes. Si certains ont suivi l’évolution du magazine pour consolider leur culture et leurs références, d’autres n’hésitent pas à stigmatiser le caractère nébuleux, voire abstrus des sujets abordés. En 2012, l’émission remportait ainsi le “Gérard de l’émission parisianiste pour hipster à moustache Technikart bobo girl néovintage Les Inrocks”. Derrière l’humour relatif de la considération, la réalité de la distance avec certains téléspectateurs sonne comme une alerte pour un magazine culturel diffusé en deuxième partie de soirée le samedi soir – à l’heure où tous les hipsters de France sont occupés à parler fixies, Coachella et bonnets Cousteau en soirée cool. Pour mieux exposer la richesse de son contenu, l’émission est de plus en plus présente sur internet, notamment sur Facebook où Tracks compte plus de 330 000 fans. Aujourd’hui, les étranges thématiques diffusées dans l’émission résonnent pendant sept jours sur Arte+7, le portail vidéo gratuit de la chaîne franco-allemande. Avant d’envisager son dix-huitième anniversaire, Tracks semble enclin à jouer le jeu de l’interaction sur le net en responsabilisant ses téléspectateurs via les réseaux sociaux. Jusqu’à inviter les communautés qu’elle fait découvrir dans la narration de l’émission ? Azzedine Fall Tracks tous les samedis, 23 h, Arte 23.04.2014 les inrockuptibles 99

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Alexis Cordesse

l’arche de Zoé Voix familière de France Inter, Zoé Varier s’attache à explorer les grands textes dans L’Heure des rêveurs.

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ans l’annexe de la Maison de la Radio, où est provisoirement installée – depuis dix ans – France Inter, au cinquième étage, bureau 513, se trouve un atelier fort singulier. Ici, on ne vitupère pas, on ne ricane pas, on ne tartarine pas. On brode, on cisèle, on enlumine. Pour réaliser chaque semaine un des bijoux de la radio publique, L’Heure des rêveurs. Aux manettes, Zoé Varier, l’une des figures les plus discrètes de France Inter depuis plus de vingt ans. Avec le soutien précieux de ses monteuses (Audrey Ripoull, Martine Abat) et de sa réalisatrice (Michelle Soulier), elle emmène les auditeurs à la rencontre de personnages, de lieux et de récits, célèbres ou méconnus, qu’elle rend fascinants. Cette alchimie tient notamment à trois éléments : l’exigence éditoriale, la qualité millimétrée du montage et sa voix unique, acidulée, douce et rieuse. Longtemps, Zoé Varier s’est attachée à donner la parole aux anonymes, à nous entraîner dans des zones sensibles, politiques ou intimes. Pays en guerre ou chagrins d’amour, elle nous confrontait

à nos fardeaux et à nos failles. Cette année, sa traversée des ondes passe par les textes. De L’Epopée de Gilgamesh à Flaubert, de L’Odyssée à Lewis Carroll. “C’est un vrai défi, une prise de risque passionnante, qui me fait aussi beaucoup douter, confie la productrice. J’ai dû changer ma façon d’écrire et de poser ma voix pour me rendre plus proche des auditeurs, pour être dans un style moins littéraire, plus parlé, afin de les amener plus facilement à ces superbes textes.” Chaque sujet est abordé en deux ou trois émissions. Si l’on ne décroche jamais, c’est que Zoé Varier utilise la botte secrète des producteurs : le casting. “Faire parler un spécialiste, c’est très risqué. Il faut que cette personne ait une voix de radio, qu’elle soit entraînante, que l’on comprenne ce qu’elle dit et que l’on soit tous deux en confiance. Je les rencontre, je discute avec eux, parfois pendant des heures, et il m’arrive de leur dire que ça ne se fera pas. Tout cela demande une énergie et un temps incroyables.” Sans parler des milliers de pages avalées. Dans son bureau, les livres s’empilent en une anarchie joyeuse : contes pour enfants, dictionnaires, manuels d’histoire de la Mésopotamie… Ce sont les auteurs

exigence éditoriale, qualité millimétrée du montage et une voix unique, acidulée, douce et rieuse

russes qui ont servi de détonateur involontaire à la vocation de cette passionnée de lecture depuis toujours. “Très jeune, cette littérature m’a renvoyée aux sentiments puissants qui m’animaient, que je ne trouvais pas chez les auteurs français. Je me suis mise à apprendre le russe au lycée.” Un choix qui ne jurait pas trop avec le tableau familial, où la couleur dominante tendait vers le rouge révolution, et où la Russie avait encore un parfum d’éden. Direction la fac de langues pour y devenir interprète. Ce qu’elle fut, à bord de paquebots de croisière soviétiques. En 1992, elle rejoint l’équipe de Daniel Mermet et se rend très vite indispensable à l’émission Là-bas si j’y suis. Elle y apprend le métier avant de prendre son envol, en 2000, avec Ecoutez... des anges passent. Suivront Nous autres et L’Heure des rêveurs. Un titre inspiré par Gaston Bachelard pour qui “la rêverie nous met en état d’âme naissante”. Zoé Varier sait aussi pimenter cette heure de fantaisie. Entre les épopées mythologiques et les auteurs classiques, elle s’offre des escapades en compagnie de la créature de Frankenstein, Fifi Brindacier ou Calamity Jane, qui l’inspirent certains jours quand elle se désole d’une tendance de nos sociétés “à tout aseptiser et tout formater”. Martin Brésis L’Heure des rêveurs tous les vendredis, 20 h, France Inter

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Vieillir à l’ombre documentaire de Johanna Bedeau. Mercredi 23, 12 h 30, Public Sénat

Immersion dans le quotidien des seniors en prison. De la prison à la maison de retraite, sans passer par la case (nouveau) départ. En moins de vingt ans, le nombre de détenus de plus de 60 ans a quintuplé en France, pour dépasser largement les deux mille. Pour ces hommes et ces femmes parfois usés avant l’heure, l’enfermement est d’autant plus cuisant qu’au soir de leur vie les illusions sont perdues et les espoirs en berne. Ethnologue de formation, Johanna Bedeau a filmé leur quotidien dans les prisons de Poissy et Liancourt. Serti de confidences doucesamères, son documentaire devient le film-litote de drames insondables et latents – le titre Vieillir à l’ombre étant le versant moins abrupt de “mourir en cellule”. “Quand je rêve, je rêve de prison, je n’ai plus beaucoup de souvenirs d’avant”, raconte l’un de ces “longues peines” à visage découvert. Face au potentiel pathétique de son sujet, la réalisatrice a plutôt choisi l’esquisse, la chronique sans pesanteur. Ni réflexion philosophique sur le temps qui, seul, s’évade, ni plaidoyer pour les libérations anticipées, Vieillir à l’ombre se donne le modeste but de mettre quelques destins en perspective. Ce qui lui permet de se demander de façon radicale comment une société s’occupe de ses vieux – des deux côtés du mur. Pascal Mouneyres

chronique d’un massacre Une fresque mêlant archives et saynètes de fiction montre le peuple à l’œuvre sur les divers fronts du dévastateur conflit de 14-18. travers huit épisodes de est raccordée aux documents d’époque. 52 minutes, ce docu-fiction On évoque la vie quotidienne, consacrant se propose d’“adopter le point par exemple de longs passages aux de vue de ceux qui ont vécu” la souffrances des blessés ou aux mesures guerre de 14-18 en se servant de journaux prophylactiques pour juguler les maladies intimes et de lettres, et en retraçant les vénériennes. On rappelle également le rôle destinées de quatorze citoyens des pays positif de la guerre comme accélérateur impliqués. Un travail entremêlant archives du progrès social (les hommes étant en noir et blanc et scènes de fiction en sur le front, les femmes purent s’émanciper). couleur, unifiées par le son. Cela rappelle Les personnages, inspirés par moments le travail d’Edgar Reitz de témoignages réels, sont pour la plupart avec Heimat ou, lorsque les protagonistes inconnus. Seule exception : Ernst Jünger, s’adressent à la caméra, les reconstitutions dont le journal est célèbre. Une seule façon reportage de Peter Watkins. figure de cette geste pourrait mériter Mais c’est aussi plus didactique, avec un long métrage à part entière : une jeune des commentaires, des chapitres, etc. Cosaque de 15 ans, Marina Yurlova, qui Il ressort de cette saga de Jan Peter se met en tête de rejoindre son père parti que la guerre “mondiale” fut avant tout combattre les Turcs et intègre finalement européenne et que ceux qui y participèrent l’armée russe. On assiste en pointillés furent tous plus ou moins des victimes. au destin poignant de cette héroïne, dans Tous les personnages ont leurs raisons, le sens classique du terme. Cette louable et ne semblent pas diaboliques pour un sou. entreprise a le mérite de rappeler Les Allemands de l’époque en particulier, constamment l’incroyable naïveté dont on ne peut pas soupçonner que de ces combattants, partis la fleur au fusil certains deviendront les sadiques nazis. et revenus en pièces détachées. Vincent Ostria Pour bien insister sur cette démocratie de la souffrance et le fait que le peuple 14, des armes et des mots série documentaire sert de chair à canon aux élites planquées, de Jan Peter. Les mardis du 29 avril au 13 mai, le film mêle sans transition des scènes 20 h 50, A rte situées sur le front russe, en France Disponible en DVD (Arte éditions) à partir du 14 mai et sur arte.tv/14desarmesetdesmots ou ailleurs. Un récit continu où la fiction

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avantages exclusifs

RÉSERVÉS AUX ABONNÉS DES INROCKS pour bénéficier chaque semaine d’invitations et de nombreux cadeaux, abonnez-vous ! (voir page 105 ou sur http://abonnement.lesinrocks.com) Graphisme en France 2014 jusqu’au 31 décembre, par le Centre national des arts plastiques, Paris-La Défense (92)

expos Pendant toute l’année 2014, à l’occasion du vingtième anniversaire de la revue Graphisme en France éditée par le Centre national des arts plastiques (CNAP), ce dernier propose et coordonne une grande manifestation qui réunit l’ensemble des acteurs français du graphisme contemporain pour en montrer la créativité, la diversité et la vitalité. à gagner : 50 packs cadeaux

Mad Men l’intégrale de la saison 6

DVD En 1968, l’Amérique connaît sa période la plus sombre et dramatique : émeutes raciales, crimes violents, contestations politiques… Le simulacre d’une société idéalisée a été balayé par les tourments du monde et il devient difficile pour les publicitaires de Madison Avenue de vendre “le rêve américain”. à gagner : 30 coffrets

La Ligne de partage des eaux un film de Dominique Marchais

Boom Bap festival du 3 au 11 mai à Reims (51)

musiques Parrainés par 20syl (C2C, Hocus Pocus), les Rémois de l’association Velours mélangent le graffiti et la photo, The Pharcyde et les battles de danse, les applis dédiées, Nekfeu et Deltron 3030. Le festival Boom Bap fera pétiller la capitale champenoise jusqu’à la mi-mai. à gagner : 1 x 2 places par soir pour les soirées du 4 mai au Manège, du 9 au Palais du Tau et du 10 à la Cartonnerie

Robert Mapplethorpe jusqu’au 13 juillet au Grand Palais, Paris VIIIe

expos Robert Mapplethorpe est l’un des maîtres de la photographie d’art. C’est avec un noir et blanc extrêmement stylisé qu’il réalise portraits, nus et natures mortes. Au-delà de la puissance érotique qui fait la célébrité de son œuvre, l’exposition présente la dimension classique de son travail et sa recherche de la perfection esthétique, à travers plus de 200 images qui couvrent sa carrière, du début des années 1970 à sa mort, en 1989. à gagner : 25 x 2 places

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cinémas La ligne de partage des eaux n’est pas seulement une ligne “géographique”, elle est aussi la ligne politique qui relie des individus et des groupes qui ont quelque chose en partage : de l’eau, un territoire, un paysage.  à gagner : 20 x 2 places

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fin des participations le 27 avril

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société Everial au 01 44 84 80 34

le combat des chefs Beuve-Méry et de Gaulle : l’opposition impitoyable entre deux grandes voix irréconciliables, chacune porteuse d’une certaine idée de la France.

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l n’y a pas de plus fort et cruel duel qu’entre deux orgueilleux, surtout lorsqu’il se déploie autour de l’art de gouverner un pays. Entre le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry, et le chef de la France libre, devenu président de la République, Charles de Gaulle, la rivalité fut celle de deux grands esprits habités par le même souci du destin de la France, par le même goût de la langue classique, mais qui ne s’entendaient pourtant sur rien, trop attachés à l’idée qu’ils se faisaient l’un et l’autre de leurs missions, irréconciliables. La mésentente dépassait le cadre naturel du journaliste critique dénonçant l’action d’un politique : elle prit la forme d’une lutte quasi théâtrale entre deux “voix” discordantes, fermées à toute possibilité d’une harmonie intellectuelle raisonnée. Comme le rappellent judicieusement Joseph Beauregard et Laurent Greilsamer, le journaliste persifleur ne cessa, dans ses célèbres éditos signés Sirius, de critiquer le chef politique, à travers des papiers que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de “désintox”. Beuve-Méry détestait trop l’exercice solitaire du pouvoir et l’hypertrophie du moi pour ne pas reprocher au général le goût immodéré qu’il en avait, depuis son célèbre discours de Bayeux en juin 1946, jusqu’au référendum de 1962 et son appel direct au peuple. Profondément attaché aux pratiques de la démocratie parlementaire que de Gaulle pourfendait, Beuve-Méry avait surtout, grâce à sa prose taillée dans le fiel, le talent de rendre fou de rage le général, qui lui répondait par son ironie blessante. Attesté par certains témoins de ce jeu de massacre, comme Yvonne Baby, ancienne rédactrice en chef du service culture du Monde, le duel anima la vie politico-médiatique française durant deux décennies, jusqu’à leur éclipse quasi concomitante, à la fin des années 60. Orchestré à partir d’entretiens avec des historiens mais aussi d’images animées évoquant les conversations entre les deux adversaires, le film restitue les traces d’un combat de gentlemen qui, au fleuret moucheté, préféraient l’acide, sulfureux.

Jean-Marie Durand Duels : Beuve-Méry – de Gaulle, Le Monde contre le Président documentaire de Joseph Beauregard et Laurent Greilsamer, jeudi 24, 21 h 35, France 5

rédaction directeur de la rédaction Frédéric Bonnaud rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, JD Beauvallet, Pierre Siankowski comité éditorial Frédéric Bonnaud, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Marie Durand, Nelly Kaprièlian, Christophe Conte secrétaire générale de la rédaction Sophie Ciaccafava secrétaire générale de la rédaction adjointe Anne-Claire Norot chefs d’édition Elisabeth Féret, David Guérin reporters Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Anne Laffeter actu rédacteur en chef Pierre Siankowski rédactrice en chef adjointe Géraldine Sarratia rédacteurs Diane Lisarelli, David Doucet style Géraldine Sarratia cinémas Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain, Vincent Ostria musiques JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Maxime de Abreu livres Nelly Kaprièlian scènes Fabienne Arvers expos Jean-Max Colard, Claire Moulène médias/télé/net rédacteur en chef adjoint Jean-Marie Durand collaborateurs R. Artiges, A. Bellanger, R. Blondeau, T. Blondeau, D. Boggeri, M. Braun, M. Brésis, N. Carreau, M. Carton, L. Chessel, M. Delcourt, A. Gamelin, C. Goldszal, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, P. Mouneyres, A. Pfeiffer, E. Philippe, T. Ribeton, L. Serre, P. Sourd, C. Stevens, Z. Tavitian, A. Vicente, R. Waks lesinrocks.com directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteur en chef Pierre Siankowski rédacteurs Diane Lisarelli, Thomas Burgel, Azzedine Fall, Carole Boinet, Claire Pomarès, Julien Rebucci, Maxime de Abreu éditeurs web Clara Tellier-Savary, Olivier Mialet graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem projet web et mobile Sébastien Hochart lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz responsable éditoriale du concours création vidéo Anna Hess lesinRocKs.tv chef de rubrique Basile Lemaire assistante Clémence Sgarbi photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee, Caroline De Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot second sr Fabrice Ménaphron sr François Rousseau, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Anne-Gaëlle Kamp, Vincent Richard (stagiaire) conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nathalie Coulon, Luana Mayerau publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télé) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinateur François Moreau tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 assistante Estelle Vandeweeghe tél. 01 42 44 43 97 publicité commerciale, directeur Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 directrice adjointe Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 directrice de clientèle Isabelle Albohair tél. 01 42 44 16 69 publicité web Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98, Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 coordinateur Stéphane Battu tél. 01 42 44 00 13 développement et nouveaux médias directrice Fabienne Martin directeurs adjoints Baptiste Vadon (promotion, médias, diversification) tél. 01 42 44 16 07, Laurent Girardot (événements et projets spéciaux) tél. 01 42 44 16 08 assistante Lou Durand tél. 01 42 44 15 68 relations presse/rp Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 assistante promotion presse Juliette Fouasse tél. 01 42 44 16 68 responsable éditoriale “You Need to Hear This” Marine Normand marketing diffusion responsable Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante marketing direct Julie Lagnez tél. 01 42 44 16 62 contact agence Bo Conseil Analyse Média Étude Otto Borscha et Terry Mattard [email protected] ou tél. 09 67 32 09 34 abonnement Les Inrockuptibles, service abonnement, libre réponse 63 096, 92 535 Levallois Perret Cedex [email protected] ou 01 44 84 80 34 tarif France 1 an : 115 € accueil, standard ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne Société Nouvelle ZI Saint-Lazare Chemin de la Cavée 02 430 Gauchy brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 326 757,51 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Elodie Valet administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2014 directeur de la publication Frédéric Roblot © les inrockuptibles 2014 tous droits de reproduction réservés. 23.04.2014 les inrockuptibles 103

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film Soul Power de Jeff Levy-Hinte Documentaire sur le concert en parallèle du combat entre Mohamed Ali et George Foreman au Zaïre en 1974. A voir, ne serait-ce que pour la scène où les musiciens jouent ensemble dans l’avion pour l’Afrique, ou pour les images émouvantes de Bill Withers. Un moment extraordinaire des seventies.

Tom à la ferme de Xavier Nolan Un thriller psychologique sous influence hitchcockienne : exercice de style virtuose et gonflé.

Eels The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett Un disque épanoui et accueillant : sombre dedans, lumineux dehors.

Conte de putes de Laura Gustafsson Une odyssée féministe trash et désopilante qui s’attaque à l’inégalité des sexes.

Le Jardin d’Eden d’Ernest Hemingway Un classique, avec une touche de sensibilité inhabituelle dans le reste de son œuvre. Le mélange de son style déterminé avec un peu de douceur m’a vraiment captivée. A la dernière page, je suis retournée au début pour le relire.

poésie Not Me d’Eileen Myles Ce livre m’a remplie d’espoir sur mes propres possibilités d’expression quand j’étais jeune. Je n’avais jamais rien lu de tel : frustré, énervé, futé, d’une honnêteté brutale, sale, fier, tellement réel. Je m’identifiais à ses tentatives de trouver un sens à ce qui n’en avait pas. propos recueillis par Noémie Lecoq

Les Trois Sœurs du Yunnan de Wang Bing Un regard lucide mais sans misérabilisme sur les oubliés du miracle chinois.

Computer Chess d’Andrew Bujalski Une comédie loufoque et nonsensique sur un concours d’échecs informatique circa 1980.

Le Musée imaginaire d’Henri Langlois Cinémathèque française, Paris La Cinémathèque fait revivre son fondateur à travers une grande expo.

Diane Cluck Boneset Du folk au charme dangereux, venu de New York en première classe.

Silicon Valley OCS City Odyssée complexe entre avant-garde numérique et Amérique “corporate”. Mafiosa saison 5, Canal+ Derniers feux de la série corsée de Canal+. Sherlock saison 3, France 4 Troisième saison brillante, pleine de noirceur et de style.

Joan As Police Woman Son nouvel album, The Classic, est disponible.

sur

Entre les jours d’Andrew Porter Une famille américaine au bord du chaos : un premier roman haletant et nostalgique. La Fille maudite du capitaine pirate de Jeremy Bastian Une jeune fille part à la recherche de son père, pirate redouté.

Damon Albarn Everyday Robots Un album à la fois humble et ambitieux, décharné et opulent.

Howler World of Joy Ces cancres géniaux maltraitent la pop sur un disque frondeur et hédoniste.

Shervin Lainez

roman

Si les bouches se ferment d’Alban Lefranc La biographie romancée de trois membres de la bande à Baader dans une Allemagne hantée par le spectre nazi.

Histoires de cimetières de Boris Akounine et Grigori Tchkhartichvili Enquête, essai et roman fantastique sur les nécropoles de six pays différents.

Chamisso – L’homme qui a perdu son ombre de Daniel Casanave et David Vandermeulen Biographie de l’un des grands noms du romantisme allemand.

Beta… civilisations, volume 1 de Jens Harder Une encyclopédie (pré)historique de l’univers.

Tartuffe de Molière, mise en scène Luc Bondy Ateliers Berthier, Paris L’affaire du faux dévot devient une étreinte empoisonnée sur fond de guerre des sexes.

Tristan et Isolde de Richard Wagner, mise en scène Peter Sellars Opéra Bastille, Paris Une histoire d’amour et de mort magnifiée par les vidéos de Bill Viola.

La Brume du soir texte et mise en scène Pierre-Yves Chapalain en tournée jusqu’au 25 avril L’enfer d’un monde contemporain qui juge la valeur d’une vie à la légalité de papiers d’identité.

Meret Oppenheim LaM, Villeneuve-d’Ascq Une dense rétrospective dédiée à cette muse de Man Ray et figure clé du surréalisme au féminin.

Asco & Friends Triangle, La Friche Belle de Mai, Marseille Ce collectif chicano subversif a agité la scène californienne des années 70 à la fin des années 80.

Robert Overby Centre d’art contemporain de Genève Viré de sa galerie par des artistes dans les seventies, l’autodidacte californien, mort en 1993, tient sa revanche avec une expo multiforme.

The Unnamed Feeling gratuit en ligne L’histoire nous conduira selon nos choix à l’une des huit fins, nous plongeant dans un troublant dégradé de gris.

Monument Valley sur iPhone Un héritier, façon miniature intime, de l’inoubliable Ico dont il partage l’approche cérébralosentimentale : de l’art pur.

Escape Goat 2 sur PC et Mac Merveille de petit jeu ludophile mêlant action (un peu) et réflexion (surtout) dans la lignée de classiques comme Boulder Dash.

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Jean-Luc Verna par Renaud Monfourny

La première monographie d’envergure consacrée au travail de l’artiste français, axée sur ses dessins, est publiée aux éditions Flammarion/CNAP.

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