940


33MB taille 2 téléchargements 248 vues
No.940 du 4 au 10 décembre 2013

+ édition régionale

STRASBOURG

16 pages

Allemagne 4,40 € - Belgique 3,90 € - Canada 6,99 CAD - DOM 4,80 € - Espagne 4,30 € - Grande-Bretagne 6,30 GBP - Grèce 4,30 € - Italie 4,30 € - Liban 11 000 LBP - Luxembourg 3,90 € - Maurice Ile 6,30 € - Portugal 4,30 € - Suède 53 SEK - Suisse 6,50 CHF - TOM 960 XPF

Louis Garrel Anna Mouglalis Philippe Garrel

Orelsan

casseur cool

Hedi Slimane rock in L. A.

Breaking Bad le bilan

la jalousie selon Garrel M 01154 - 940 - F : 3,50 €

08 940 couv def + macaron.indd 1

02/12/13 16:27

GAB Pub.indd 1

27/11/13 11:28

cher Pierre Moscovici par Christophe Conte

J

e viens ici prendre des nouvelles de tes animaux domestiques. J’ai en effet appris, via le compte Twitter de ta compagne, Marie-Charline, que ton chat Hamlet avait été malade ces derniers jours. Tu m’en vois désolé, mais pour l’heure je m’inquiète surtout pour la santé de tes couleuvres. Tu sais, ces reptiles de belle taille que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, t’auras forcé à avaler en décidant de mettre en chantier une réforme fiscale de grande ampleur sans prendre la peine de te prévenir.

Ça va la digestion, Pierrot ? Tu veux du Maalox ? Après le coup de Florange fait à Montebourg par le même Ayrault, avec l’aval de Hollande, on va finir par croire que Bercy compte plus de cocus qu’un mauvais vaudeville et songer sérieusement à recycler ce bâtiment prétentieux en théâtre de boulevard. Mais faut pas leur en vouloir, tu sais, ils n’ont pas souvent l’occasion de se poiler en ce moment, Laurel et Hardy, alors ils font des blagues. Ils mettent des seaux d’eau au-dessus des portes, du sel dans le café, calent des réformes sans avertir

le ministre concerné et, dans leurs plus grands moments d’hilarité, ils affirment même conduire une politique de gauche. Ça donne un aperçu du niveau des vannes ! Enfin, pour revenir aux couleuvres, si tu veux obtenir des méthodes fiables pour les faire glisser, deux options s’offrent à toi. Demander conseil à Katsuni ou, mieux, à Jérôme Cahuzac. Tu dois encore avoir son mail, il fut ton ministre du Budget, souviens-toi. Et rappelle-toi aussi ce grand moment d’embarras de la campagne de Hollande quand Cahu, qui en était le spécialiste des questions fiscales, apprenait en direct à la télé le coup des 75 %. A croire que son ennemi, c’était pas la finance en réalité, mais le ministre des Finances, nuance. Comme président, Hollande, reconnaissons qu’il est un peu à la ramasse, mais comme Auguste, quel cador ! Et Ayrault en clown blanc, il se pose là, t’es pas d’accord ? A moins qu’il ne s’agisse d’un hommage à Georges Lautner et qu’ils t’aient pris pour Raoul Volfoni, les deux tontons flingueurs. J’ai devant moi le livre que tu as publié récemment, Combats, et je m’amuse à l’aune du bourre-pif que tu viens de recevoir à en lire la dernière phrase : “J’ai bien l’intention de continuer à me battre.” Hamlet disait la même chose. Pas ton chat, l’autre. “Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ?” Etre ou ne pas être le dindon de la farce ? Telle est la question, Mosco. A l’approche de Noël, et avec un tel cadeau empoisonné au pied du sapin – qui commence à sentir fort –, je me demande si tu ne vas pas te retrouver marron, mon dindon. Ou chapon, ce volatile auquel on a coupé les roubignoles. Comme à Hamlet. Ton chat, pas l’autre. Je t’embrasse pas, mais moi je suis sympa, je te préviens. 4.12.2013 les inrockuptibles 3

08 940 03 Billet.indd 3

02/12/13 13:44

GAB Pub.indd 1

27/11/13 11:18

03 06 08 10 12 14 20 22 24 26 28 30 32 34 38

billet dur édito debrief recommandé interview express Abel Ferrara analyse la quenelle polémique le monde à l’envers histoire 2 la courbe à la loupe démontage futurama nouvelle tête Ricky Hollywood style Philippe Garrel et La Jalousie entretien au long cours avec le plus romantique des cinéastes à l’occasion de son nouveau film + portrait d’Anna Mouglalis, enfin de retour

50 Breaking Bad, le bilan

Nicolas Hidiro pour Les Inrockuptibles

No.940 du 4 au 10 décembre 2013 couverture Louis Garrel, Anna Mouglalis et Philippe Garrel par Nicolas Hidiro pour Les Inrockuptibles couverture régionale Fayssal Benbahmed par Paola Guigou

38

50

ce que la série de Vince Gilligan a changé pour toujours : démonstration en cinq points

54 la morale de l’Etat le sociologue Didier Fassin a dirigé un ouvrage collectif basé sur des enquêtes de terrain : quelle morale pour les agents de l’Etat ?

59 Orelsan casse la baraque

59 Audoin Desforges pour Les Inrockuptibles

allié à Gringe, son vieux pote de Caen, Orelsan est de retour avec le projet Casseurs Flowters

62 littérature et western du beau roman de Céline Minard à la nouvelle collection dirigée par Bertrand Tavernier, le roman western revient en force

64 Hedi Slimane à Los Angeles portfolio punk-rock et surf du photographecouturier de Saint Laurent

70 cinémas Elephant, Rêves d’or... 78 musiques Mélanie De Biasio... 92 livres American Desperado de Jon Roberts... 100 scènes Henry VI par Thomas Jolly, An Evening with Judy par Raimund Hoghe

102 expos Decorum, L’Asile des photographies 104 médias les nouveaux champs de la critique

pour l’édition régionale

des allées, des venues cahier 16 pages

retrouvez aussi l’édition régionale sur iPad et kiosques numériques

4.12.2013 les inrockuptibles 5

08 940 05 Sommaire.indd 5

02/12/13 15:25

pourquoi ça coince ? 1. Pourquoi les calamiteux effets sociaux de l’austérité européenne ne profitent-ils pas plus aux différents mouvements de la gauche radicale ? Pourquoi est-ce une extrême droite nationaliste telle que le Front national qui paraît tirer les marrons du feu – alors que sa dose d’anticapitalisme est trop ténue et récente pour ne pas être purement cosmétique et circonstancielle ? Pourquoi, pour simplifier à outrance, Marine Le Pen est-elle créditée de beaucoup plus de suffrages sondagiers que Jean-Luc Mélenchon ? Passée la déception relative qu’a constituée le score du Front de gauche à la dernière présidentielle (11,10 %), surtout comparé à celui du FN (17,90 %), une certaine morosité continue de régner à la gauche de la gauche. D’autant que Mélenchon lui-même ne s’est jamais privé de désigner son adversaire idéologique ultime et son principal concurrent électoral : “Nous avons le sentiment d’être dans une course de vitesse avec l’extrême droite. Le peuple qui rejette le système choisira entre notre réponse et la leur.” (Sud-Ouest, 23 mars 2013) 2. Citation tirée d’un livre qui tombe à point nommé : La Gauche radicale et ses tabous, sous-titré “Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national” (Seuil, en librairie le 2 janvier). Son auteur, Aurélien Bernier, fait depuis longtemps partie du sérail alter et écolo. Membre d’Attac puis du M’PEP (Mouvement politique d’émancipation populaire), il collabore régulièrement au Monde diplomatique. Selon lui, les tabous de la gauche radicale sont au nombre de trois : l’Europe, l’Etat-nation et son rôle régulateur, et l’idée de protectionnisme. C’est sur le premier point qu’il est le plus convaincant, quand il explique comment le vieux PCF, qui cultivait volontiers un nationalisme économique intransigeant jusqu’aux années 90, est devenu de plus en plus “euroconstructif”, jusqu’à participer au gouvernement de “gauche plurielle” de Lionel Jospin entre 1997 et 2002, se pliant au fédéralisme bruxellois de leur

partenaire socialiste et entérinant ainsi le passage à l’euro ou la déréglementation des services publics. Bernier rappelle aussi à quel point la campagne du référendum de 2005 (sur le traité établissant une constitution pour l’Europe) fut un débat populaire de haute tenue, qui apporta orgueil et identité à la gauche radicale, avant son effondrement électoral de 2007, puis la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, pied-de-nez oligarchique à la victoire du “Non” du 29 mai 2005. “Ce passage en force de la droite, avec les voix ou l’abstention complice d’une partie des socialistes, prouve que les dirigeants des deux grands partis n’ont aucunement l’intention de changer le contenu de la construction européenne et qu’ils n’ont pas plus l’intention d’écouter la voix du peuple. On voudrait pousser les électeurs dans les bras de l’extrême droite qu’on ne s’y prendrait pas autrement.” 3. Anti-bruxellois enragé et démondialisateur patenté, protectionniste et internationaliste, opposé à “l’obsolescence de la souveraineté nationale” et ouvertement étatiste, Bernier a le mérite de mettre la gauche radicale devant ses hésitations de toujours. Il exige de la clarté. Et on ne pourra guère lui reprocher d’éviter les vrais clivages du moment : austérité libérale contre restes d’Etat-providence, entre-deux français à la sauce Hollande contre modèle inégalitaire allemand – qui continue de donner le la de la gestion européenne et interdit toute reprise réelle. “La grande question politique est de savoir dans quel sens va s’orienter l’expression populaire : vers la gauche radicale, vers le national-socialisme de Marine Le Pen ou vers le refus de participer au jeu électoral.”

Frédéric Bonnaud 6 les inrockuptibles 4.12.2013

08 940 06 edito.indd 6

02/12/13 13:51

GAB Pub.indd 1

02/12/13 10:10

comment se dire adieu grâce aux inRocKs La semaine dernière, il était question d’excursion dans la jungle et de froideur scandinave, de verres de bon vin et de voyages en vain. Relecture.

C

her journal, “Non, ma belle ! Tu ne peux pas me lâcher, comme ça, en rase campagne. Pas ici, pas maintenant. J’ai besoin de toi. Merde, merde, merde. Laisse-moi devenir l’ombre de ton chien mais redémarrons bordel.” 1 h 36 du matin, sur une route de campagne entre Paris et Vesoul. Température affichée : 0,5 °C. La culasse, le moteur, peu importe : ma voiture me lâche. Lady Xsara, ma plus fidèle compagne, est devenue “lady glagla”. Nuit noire, brouillard, atmosphère à faire apparaître des vierges évanescentes aux yeux phosphorescents comme ceux d’Agnes Obel. Flip, sueurs froides, glacées, stalactites. Glaglagla. Clope. Dire qu’il y a trois heures, j’étais peinard chez moi à chercher des titres aussi marrants que ta couve de la semaine. J’en étais à un misérable “Michael Klaxonne” au sujet de l’hypothétique prochain film alarmiste de Michael Moore sur la destruction de la planète, et à un discutable “Rolin Stone” sur l’improbable nouvel échec d’Olivier Rolin au pied du Goncourt, quand je me rends à l’évidence : on n’est pas doué pour tout. Déception, haine de soi, amertume, renoncement, rédemption, réconciliation, le tout en trois secondes : je décidais d’utiliser ma soirée canapé/Curly/ vin rouge à te lire plutôt que te singer. Et là, tourbillon d’appels au voyage. Agnes Obel vante son exil à Berlin comme “le seul acte de rébellion de sa vie”. “La vie commence à 40 ans” pour le héros de Lumières fantômes, le dernier roman de Lydia Millet, lorsqu’il se trouve embarqué presque malgré lui dans une “excursion dans la jungle du Bélize”. La vie commence quand on part, quand on se rebelle contre l’évidence de la continuité. Vivre, c’est rompre. Impossible de rester dans ce canapé comme tous les soirs, à attendre que la vie s’écoule et que le monde s’écroule. La Xsara est en bas, et le changement c’est maintenant. “Partir oui, mais où ?”, ose mon ange social-démocrate. “Ta gueule, on s’en fout.”, répond mon diablotin baroudeur. Ni pourquoi, ni où, ni comment. Partir, un point c’est tout. “Les gens me demandent pourquoi je vais quelque part”, s’étonne Vincent Moon. “Justement parce que je ne connais pas. Je vais dans des pays qui ne me fascinent pas a priori (…), pas d’attente, donc pas de déception.” Le plus dramatique dans le voyage, c’est de poursuivre une destination qu’on imagine tant qu’elle nous décevra, nécessairement. Vesoul ! J’ai pas voulu voir Vesoul et j’irai voir Vesoul. Là, tout de suite, maintenant. 2 h 48. D137, à quelques kilomètres de Bourdon-sur-Rognon : c’est ici que nous nous trouvons, ici que nous allons nous quitter. C’était notre destination. La dépanneuse arrivera demain et emportera ma Xsara. Le vrai voyage c’est de rester là, immobile, en fumant des clopes avec celle qui m’a accompagné dans tant d’endroits et que je vais quitter pour toujours. Vincent Moon s’est tatoué ce proverbe persan : “Tu ne prendras jamais rien à ce monde/Tu ne sauras jamais de quoi demain sera fait/Le jour où tu le sauras sera le jour de ta mort/Alors profite de la vie et bois du bon vin.” A toi, ma vieille carlingue. Alexandre Gamelin

8 les inrockuptibles 4.12.2013

08 940 08 debrief.indd 8

02/12/13 13:45

GAB Pub.indd 1

02/12/13 10:12

une semaine bien remplie A la découverte des rhombicuboctaèdres dans l’Hérault, du New Yorker parisien sur le web et en galerie, de la mémoire du monde à la Cinémathèque, avant d’aller se frotter aux Trans à Rennes et finir par trouver la voie de la Rédemption.

poésie Rédemption de Miguel Gomes Après Tabou, Miguel Gomes réalise une fantaisie poétique et apatride, mix d’images et d’époques qui le rapproche d’un Chris Marker et préfigure ses Mille et Une nuits. Chose rare pour un court métrage, Rédemption sort en salle ce mercredi.

raretés Toute la mémoire du monde à la Cinémathèque Programme trépidant pour la deuxième édition de ce festival centré sur les thèmes de la restauration et de la conservation. Outre une carte blanche à William Friedkin (L’Exorciste) qui, à l’occasion de la restauration du Convoi de la peur, remake du Salaire de la peur de Clouzot, donnera une masterclass. Un hommage sera aussi rendu à la Cineteca di Bologna, qui réalise depuis les années 80 un grand travail de collecte du cinéma italien. du 3 au 8 décembre www.cinematheque.fr

I