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No.813 du 29 juin au 5 juillet 2011

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Elli & Jacno forever modernes les clubs mythiques

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j’ai visité “Monumenta” avec

Isabelle Huppert

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es choses avaient plutôt bien commencé. Isabelle Huppert nous rejoint devant le Grand Palais, toute guillerette de venir voir le monumental Leviathan d’Anish Kapoor. Mais au moment d’entrer dans ce ventre de baleine rougeoyant, l’actrice se fige face à la porte à tambour. “Ah non, vraiment, je ne peux pas entrer là-dedans. Je les évite dans tous les hôtels. Je ne supporte pas l’enfermement.” On emprunte alors le passage réservés aux handicapés, mais c’est un sas plus angoissant encore, où, dans le noir le plus complet, une porte doit fermer pour que l’autre puisse être ouverte. Avant tout très volontaire, l’actrice inspire profondément et se glisse dans le sas, non sans enfoncer assez profondément ses ongles dans mon avant-bras. Une porte, deux portes, “Mais il va ouvrir oui ?!!”, et nous voilà dans le halo vermillon, où l’actrice se détend. “C’est terrible et ça ne s’arrange pas, vous savez. C’est une violence de prendre un ascenseur, les trains m’angoissent, je ne peux pas prendre les œufs au ski, je commence à me méfier des tunnels…” Pour le cinéma, elle a souvent dû surmonter ces accès de panique. Et on ne s’étonnera pas que le facétieux Claude Chabrol lui ait régulièrement écrit des scènes d’ascenseur. “Vous vous souvenez dans Rien ne va plus ? Il m’avait fait monter dans cette cabine brinquebalante…”, se souvient-elle, amusée. “C’est immense. On se sent tout petit…”, dit l’actrice, maintenant à l’extérieur de l’œuvre, dans la grande nef, déambulant autour de ce gigantesque boyau fait de 20 000 mètres carrés de toile. “J’avais vu ici l’expo de Christian Boltanski, elle m’avait beaucoup impressionnée. Celle-ci est plus ludique.” Elle ajoute en riant :  “Enfin, à moins d’être claustrophobe…”

“je ne peux pas prendre les œufs au ski, je commence à me méfier des tunnels”

Le lendemain, l’actrice part aux Pays-Bas pour quelques dates de la tournée du Tramway de Warlikowski, qu’elle porte depuis un an et demi, en province, à l’étranger, avant de clôturer l’aventure en rejouant à Paris à la fin de l’année. Rapidement après, elle sautera dans un avion pour la Corée du Sud. Elle va y tourner le nouveau film d’Hong Sangsoo sans rien savoir de l’histoire, ni de son personnage. “J’ai dit oui parce que j’aime ses films. La seule chose que je connais du projet, c’est que l’on va tourner dans une petite ville balnéaire à trois heures de Séoul et qu’il y a cinq personnages.” Est-elle inquiète de partir ainsi, à l’aveugle ? “Un tournage n’est jamais difficile. Il suffit que le cinéaste ait un point de vue. C’était le cas d’Eva Ionesco, par exemple. Le film porte vraiment un regard sur cette relation monstrueuse entre une enfant et sa mère.” Cette relation, que décrit My Little Princess, est très largement inspirée de l’enfance de la cinéaste, immortalisée à 10 ans dans des tenues SM par sa mère photographe. “Eva a eu la bonne idée de ne pas me parler de sa souffrance, de me laisser jouer cette mère avec une certaine innocence, sans trop connaître autre chose que ce que je devais jouer. C’est seulement maintenant qu’elle me parle de ce qu’elle a vécu.” Avant de sortir du Grand Palais, elle se retourne vers les bulles géantes agrégées du Leviathan. “Vous avez aimé The Tree of Life ? Moi, j’ai adoré. C’est ça qui m’y fait penser. C’est aussi un film qui ouvre sur quelque chose d’immense et qui nous demande de nous y pencher. Ce que l’on entrevoit est infini. Terrence Malick va à des endroits où il est rare que le cinéma nous touche. C’est presque une expérience extracinématographique.” Jean-Marc Lalanne photo Benni Valsson My Little Princess lire critique du film p. 92

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No.813 du 29 juin au 5 juillet 2011 couverture Michel Gondry par Rüdy Waks

03 quoi encore ? Isabelle Huppert

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08 on discute courrier ; édito de Bernard Zekri

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement la grève des avocats en Seine-Saint-Denis

16 événement 18 la courbe ça va ça vient ; billet dur

20 nouvelle tête Foster The People

Laurent Blachier

défilés hommes printemps-été 2012 à Paris

22 ici Aurore Martin, militante basque, menacée d’extradition vers Madrid

24 ailleurs en Espagne, les médias boudent la boxe

26 à la loupe Christine Boutin new-look polémique sur les quotas à la radio

63 dossier high-tech le boom du do it yourself

44

Emma Foster/EPA/Maxppp

28 parts de marché

30

39 la méthode Coué de Sarkozy le Président tape sur les socialistes

40 Martine Aubry se lance

Pierre René-Worms

comment la patronne du PS a préparé sa candidature

43 presse citron revue d’info acide

44 primaire au PS la guerre des chefs aura-t-elle lieu ?

46 contre-attaque

60

les baskets bio, c’est le pied

30 Jacno n’est pas mort le dandy vu par ses proches Coll. Prod DB

48 que fait la police ? nous avons suivi la CSI, compagnie de sécurisation et d’intervention

56 l’Haçienda, club mythique les clubs qui ont marqué l’histoire de la musique électronique, épisode 1

60 Fantômas, l’éternel revenant

ce héros centenaire a façonné le XXe siècle perdus, rêveurs ou innocents, les enfants font le Festival

142 une BD tout l’été Rock Strips en avant-première

Ludovic Marin/RÉA

87 Avignon face à l’enfance

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

92 My Little Princess d’Eva Ionesco

94 sorties Ni à vendre ni à louer, Transformers 3…

97 hommage Claudine Paquot, âme des Cahiers

98 portrait Maud Molyneux aux cent visages

100 dvd Panic sur Florida Beach de Joe Dante

102 Infamous 2 + Red Faction – Armageddon

104 Congotronics vs Rockers épatante collision sur scène

106 mur du son Cocoon, McCartney chez Gorillaz ?…

107 chroniques Misteur Valaire, Tiloun, Tom Vek, Is Tropical, The Antlers, Chapelier Fou…

113 morceaux choisis Dog Is Dead, Damon Albarn, 21YO…

114 concerts + aftershow festival Sakifo

116 spécial été : femmes d’exception Daphné Du Maurier, la comtesse de Castiglione, Flavie Flament, Claude Cahun, les femmes politiques

123 bd la dérive urbaine de Ben Katchor

124 Krystian Lupa/Lars Norén + Schools + Steven Cohen

126 Lucy McKenzie et ses amies + Julien Prévieux

128 Proenza Schouler le nouveau duo star de la mode

130 Arianna Huffington et le déclin de l’empire américain

132 Jean-François Zygel un grand classique

134 séries Falling Skies, nouveau produit Spielberg

136 télévision cheerleaders, reines des pom

138 la personnalisation quand le net nous cible profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p. 133

141 vu du net foot : allez les Bleues

146 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, S. Beaujean, G. Belhomme, G. Binet, L. Blachier, R. Blondeau, M.-A. Burnier, A. Compain-Tissier, E. Cuzin, M. Despratx, A. Dreyfus, B. Etchegaray, J. Goldberg, E. Higuinen, E. Jorand, O. Joyard, T. Legrand, H. Le Tanneur, H. Lindenberg, G. de Margerie, L. Mercadet, B. Mialot, B. Montour, P. Mouneyres, P .Mouterde, P. Noisette, V. Ostria, M. Philibert, E. Philippe, P. Richard, A. Ropert, B. Valsson, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Jérémy Davis, Guillaume Falourd conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Camille Roy publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 Dorothée Malinvaud (spécial festivals) tél. 01 42 44 15 67 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un supplément de 68 pages “Festival d’Avignon 2011” encarté dans l’édition des départements 13, 30 et 84 et une sélection d’abonnés ; un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse.

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l’édito

histoire-géo Depuis le 1er janvier 2011, en six mois, le monde a pris dix ans. Laissons tomber l’histoire, nous allons lui préférer un petit tour dans la géographie. Le 1er janvier 2011, rares étaient ceux pour qui l’île de Lampedusa évoquait autre chose que l’auteur du Guépard, avec Burt Lancaster, Claudia Cardinale et Alain Delon. On ignorait l’existence de la place Tahrir au Caire comme, au bord de l’océan Pacifique, de la cité japonaise de Fukushima, sa belle centrale nucléaire et ses six réacteurs. On aurait eu du mal à deviner qu’à Cocody, au nord d’Abidjan, il faudrait des canons français pour déloger un président qui se disait socialiste mais refusait les résultats du suffrage universel. Qui connaissait la ville libyenne de Benghazi à l’entrée du désert et le port si commerçant de Misrata sur la Méditerranée ? On négligeait en Syrie les villes de Deir el Zor au bord de l’Euphrate, de Dera et de Khirbet el-Joz à la frontière turque où un dictateur massacre son peuple. On ne soupçonnait pas qu’il existât1 une station de villégiature nommée Abbottabad où fricotaient Ben Laden, les services secrets et l’élite militaire pakistanaise. Au Sofitel de New York, la chambre 2806, brièvement et tragiquement occupée par un directeur du FMI, a fait oublier en trois jours un mariage princier à Westminster, dit à tort cérémonie du siècle. On ne songeait guère, ce 1er janvier, que la Grèce où naquit notre civilisation, péninsule de onze millions d’habitants, mettrait en péril l’Occident tout entier et ferait peur jusqu’en Chine. La révolution arabe, la chute des dictateurs à vie, la démocratie en Afrique, le terrorisme, les abus sexuels, la présidentielle française, le capitalisme et sa finance, l’avenir écologique du monde, voilà six mois qui ont secoué toutes les certitudes et tous les déterminismes. Consolation à notre ignorance : nous connaissons la Corrèze où s’agitent François Hollande, Bernadette Chirac recalée pour deux suffrages suspects et Jacques son époux. Nous savons tout de l’Elysée où Nicolas Sarkozy tient ses conférences de presse, nous découvrons la gare de Saint-Sauveur à Lille où Martine Aubry a déclaré sa candidature. Jusqu’où nous porteront ces secousses qui viennent du fond de l’histoire. Nous le saurons dans quelques mois ou quelques années : c’est l’avenir qui détermine le passé. 1. C’est aujourd’hui, 29 juin, que se fête le jour de l’imparfait du subjonctif. Voilà qui est fait.

Bernard Zekri, M.-A. B.

Les Inrocks me manquent, mais la lettre de réabo type “tous des cons, sauf nous” m’a bien gavé. Bon, je vais me réabo, mais faites plus ça, please. méchamment twitté par duvcl

indignez-vous ! Dans le monde, 444 centrales nucléaires, dont au moins 20 % sont construites sur des failles sismiques (…). Des composants radioactifs dont la demi-vie s’exprime en millions d’années. Un seul pays européen, l’Allemagne, dont le chef du gouvernement, Angela Merkel, est physicienne, décide de renoncer à l’énergie nucléaire et fermera sa dernière centrale en 2021 (la Suisse aussi a annoncé sa volonté de sortir progressivement du nucléaire – ndlr). Mais plus de 500 nouvelles centrales dans le monde sont programmées dont 62 sur des zones d’activité sismique. Des camions, des trains et des bateaux chargés de MOX (combustible nucléaire) et de plutonium pur sillonnent la planète. Les pays pauvres où la France extrait de l’uranium (Niger et Gabon) voient une grande partie de leur territoire polluée à jamais (…). Dans les pays émergents, Inde et Chine en tête, on ne s’embarrasse pas de précautions ni de dialogue démocratique et la police tire dans la foule des opposants à la centrale indienne de Jaitapur. Alors que l’électricité d’origine nucléaire ne représente que 2,7 % de l’électricité consommée en Inde, ce pays envisage de se doter de 250 réacteurs d’ici 2030....

BNP et Areva sont de tous les projets et on essaie de nous vendre une espèce de fierté nationale en discourant sur l’expertise et le savoir-faire français. N’allons-nous pas nettoyer les 100 000 tonnes d’eau contaminée de Fukushima ? La belle histoire ne dit pas, évidemment, ce qu’il adviendra des boues générées par ce rinçage chimique (…). Areva lave l’eau et la remet dans les tuyaux. C’est ballot, on s’inquiétait pour rien. Sarkozy a eu la peau de Lauvergeon qui lui déplaisait grandement et l’a remplacée par un fidèle de Proglio. C’est tout ce que nous dira la presse concernant Areva, le si joli sigle qui fait tant rêver. Couvrir le fond du problème avec de l’événementiel, la colère ou la passion des hommes, pouvoir écrire Clearstream à longueur de journaux et ne parler que de croc de boucher sans dire ce qu’est une chambre de compensation, écrire “la pdg d’Areva victime d’un règlement de comptes” sans dire la problématique du nucléaire, ou même, encore plus “efficace”, substituer aux millions de morts à venir et aux millions de mètres cubes d’eau radioactive déversés dans l’océan un sexagénaire priapique et ses dérisoires millilitres de sperme. Une info sans failles… Daniel Favre

réagissez sur [email protected]

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction bienvenue en France Keziah Jones, chanteur britannique

le mot

d’origine nigériane mondialement connu, raconte son arrivée en France sur sa page Facebook, photos à l’appui. A sa descente du train, gare du Nord, la semaine dernière, venant d’un concert en Allemagne, il est soumis à un traitement particulier : contrôlé sans ménagement par la police, embarqué au commissariat et interrogé pendant quarante-cinq minutes, avant d’être relâché. Un contrôle de pop-star, ça compte double dans les stats du ministère de l’Intérieur ?

[adouber]

Francis le Gaucher

On adoube beaucoup ces temps-ci. Le Fonds monétaire international se prépare à “adouber” un nouveau directeur (ou directrice), la primaire socialiste va permettre “d’adouber” un candidat (ou candidate) à l’élection présidentielle. Surtout, les communistes viennent “d’adouber” M. Mélenchon. L’usage de ce terme médiéval, féodal et pour tout dire aristo étonne dans le cas d’un parti qui n’a jamais renié son bolchevisme originel. Franchement, vous voyez M. Mélenchon et ses cravates fantaisie dans le rôle d’un chevalier, blanc ou rouge, de l’ancien temps ? Où est le heaume, où est l’armure ? Il ignore que l’impétrant, lors de la cérémonie, devait recevoir un bon coup sur la nuque. Mais les médias prennent peut-être “adoubement” dans un tout autre sens. “Adoubement” désigne alors le coup d’échecs où un joueur remet en place une pièce mal positionnée. Mieux : lorsqu’il essaie un coup en prévenant qu’il n’est pas joué. Cette définition paraît mieux correspondre à l’état d’esprit des militants communistes.

Galliano show Mercredi 22, premier jour des soldes et procès Galliano. Pendant huit heures, le créateur s’exprime d’une petite voix en regardant ses pieds. Il répète en boucle : “Je ne me souviens de rien.” La salle est pleine de médias internationaux. La présidente au brushing incroyable énonce impassible les faits. “Vous l’avez traitée de ‘fucking ugly jewish bitch’.” Des journalistes s’exclament “It’s as hot as a fashion show !” un Ricard sinon rien Vide, encore en travaux d’ici l’ouverture officielle en septembre : le Club Silencio, comme vous ne le verrez jamais. Mercredi soir, le commissaire du prix Fondation d’entreprise Ricard pour l’art contemporain, le pointu Eric Troncy, avait choisi ce spot mordoré situé au niveau moins 7 du Social Club et designé par David Lynch, pour dévoiler en petit comité la liste des nommés. Que du beau monde dans la sélection qui lorgne du côté du design avec les frères Bouroullec et des jeunes artistes français installés à Berlin comme Adrien Missika ou Corentin Grossmann. ciné-propagande Hu Jintao plus fort que Hollywood ? Le gouvernement chinois a lui-même assuré la promo du blockbuster Beginning of the Great Revival (une superprod de propagande qui célèbre la naissance de la République populaire) en imposant aux salles du pays de dégager les Kung Fu Panda 2 et autres Pirates des Caraïbes de l’affiche. Résultat : les internautes dézinguent le film et il n’atteint pas les objectifs de recettes fixés par le Parti.

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Shiho Fukada/The New York Times/Redux/RÉA

le lieutenant Columbo est mort

Ai Weiwei enfin libre A la Biennale de Venise début juin, les critiques, artistes et commissaires du monde entier s’étaient passé le mot pour arborer leurs sacs rouges “Free Ai Weiwei” dans les allées des Giardini. Il y a quelques jours, c’est Anish Kapoor, dont le Leviathan a envahi la nef du Grand Palais, qui annulait son expo prévue à Pékin en 2012. Après trois mois de détention, la mobilisation internationale a porté ses fruits, la justice chinoise a annoncé mercredi 22 juin la libération sous caution d’Ai Weiwei. Connu pour ses positions politiques sans concession vis-à-vis du régime chinois, Ai avait été arrêté le 3 avril alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion pour Hong Kong. On l’accuse “d’évasion fiscale massive”. en mode Carmen Vendredi soir, au Carmen, le club le plus classieux de la capitale, Paul Smith et Les Inrocks s’associaient pour célébrer la fashion week homme. Soko ouvre la soirée avec un intimiste et réussi passage folk, avant que les DJ Dave Haslam, aussi bon que lorsqu’il faisait bouger l’Haçienda de Manchester, et Jerry Bouthier prennent le contrôle de la foule, élégante et cool à la fois. Patron de petit label ou créateur de grande maison mieux que cool (Mark McNairy, l’une de nos idoles, héraut du postpreppy est là, très mal habillé pour l’occasion, il faut bien le dire) se mélangent alors allègrement sur la piste… touareg week à Paris Rare et beau comme un mirage : mercredi 22, merveilleux concert des Touaregs de Tamikrest au Point Ephémère à Paris. On croise dans le public les membres de Tinariwen et Bombino au complet, de passage dans la capitale. Un peu comme si les Beatles et les Stones étaient venus au concert des Kinks. Un grand moment de Touareg all-stars. multikulti Après des mois de polémiques et de discours déclinistes (initiés par la publication du pamphlet xénophobe de Thilo Sarrazin), l’Allemagne redécouvre les joies du “multikulti” (multiculturalisme) avec le film Almanya  – Willkommen in Deutschland. Deuxième plus grand succès de l’année au box-office teuton, ce “Bienvenue chez les Ch’tis” à la turque consacre une nouvelle tendance à succès du cinéma allemand : des films réalisés par les deuxième, troisième générations d’immigrés turcs, sur des sujets liés à la diaspora mais traités Almanya – Willkommen in Deutschland de Yasemin Samdereli en mode comédie grand public.

S’il était connu du grand public par la série télé, Peter Falk n’en était pas moins un grand comédien au cinéma dans les films de son ami proche, John Cassavetes.

“J’allais oublier…”, disait-il avant de prendre faussement congé d’un suspect, pour mieux revenir le cuisiner sur un détail. On n’oubliera pas de sitôt Peter Falk, l’interprète du lieutenant Columbo, décédé jeudi 23 juin dans sa maison de Beverly Hills. Diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer en 2008, il avait 83 ans. Son imper crasseux, sa Peugeot 403 et toute une panoplie d’attitudes de petit flic faussement naïf ont imposé l’acteur dans la mémoire collective dès sa première apparition dans un téléfilm en 1968. Il s’était déjà fait remarquer au théâtre et au cinéma, récoltant deux nominations pour l’oscar du meilleur second rôle dans Crime, société anonyme (1960) et le dernier film de Frank Capra, Milliardaire pour un jour (1961). Mais c’est bien Columbo qui révéla au monde son regard si particulier, mi-torve, mi-Droopy : cette “faiblesse” retournée en force fera tout le sel des épisodes de la série presque jusqu’en 2003. Loin de la télé, Falk fit des apparitions sporadiques mais remarquées au cinéma. Ses rôles les plus complexes sont ceux chez Cassavetes : en midlife crisis alcoolisée et roue libre dans Husbands (1970), et surtout, en mari dépassé par la folie de son épouse dans Une femme sous influence (1974). On se souviendra aussi de l’ange déchu des Ailes du désir (1987) de Wim Wenders, et du grand-père racontant des histoires à dormir debout dans Princess Bride de Rob Reiner la même année. Notre ami, s’imposant à au moins deux générations de téléspectateurs, l’acteur underdog par excellence, ne cabotinera malheureusement plus. 29.06.2011 les inrockuptibles 11

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Jemal Countess/AFP/Getty Images

le moment

Pierre-Emmanuel Rastoin

veux-tu m’épouser ? Samedi, au réveil, on apprenait

Fête de la musique : Hawtin vs le Leviathan

Un set inégal et difficile d’accès, à tous niveaux.

Nefis Dhab

Mardi 21, 22 heures, la nuit enveloppe la verrière du Grand Palais. Ce soir, le DJ canadien Richie Hawtin mixe seul face au titanesque Leviathan d’Anish Kapoor. Les invitations, attribuées au compte-gouttes sur le net, ont ameuté 5 000 trentenaires surlookés. Ça trinque au champ’, ça parle de Berlin, ça fume des clopes en dépit de la loi et ça se remet du rouge flashy aux toilettes. Il arrive, sourcils froncés, un peu livide, très sérieux, et balance des textures sourdes et enveloppantes pendant une heure. Au premier beat, tout le monde hurle. Techno intello, fumigènes et jeux de lumière plongent le ballon de Kapoor dans une atmosphère vibrante et éthérée. C’était beau, oui, mais est-ce que c’était bien ? Par moments. Un set éclectique, difficile d’accès, avec ses ratés et ses moments de grâce.

que New York avait dit oui. Par 33 voix contre 29, les sénateurs ont légalisé le mariage gay dans l’Etat de New York. Historique, symbolique. Combien de temps la France refusera-t-elle encore de se rendre à l’évidence ? Reboosté, on rejoignait la marche parisienne, qui faisait un peu grise mine : moins d’ambiance que d’autres années. “Pour l’égalité, en 2011 je marche, en 2012 je vote”, pouvait-on lire sur les torses bombés de cette édition très politique. La nuit tombée, on filait sur les bords du canal Saint-Martin à la soirée Party Grrls écouter Kool Thing, duo berlinois ultraprometteur ou encore le set très house de Kim Ann Foxman de Hercules And Love Affair. A 4 heures du mat, Chloé déboulait en invitée surprise aux platines et renvoyait les clubbeurs aux plus belles heures du Pulp. Revolver, ça tue Music for a While, le premier album, avait hissé Revolver au sommet : chouchous de la FM, rois des charts, héros des salles de concerts et des festivals, les Français devenaient en quelques mois les nouveaux souverains pop. L’album dévoilait une écriture virtuose, apprise sur les bancs du Conservatoire et peaufinée à l’écoute de Simon & Garfunkel ou Elliott Smith. Résultat : peu de groupes pop en France soignent les chœurs et harmonies vocales aussi bien qu’Ambroise, Jérémie et Christophe. Actuellement en studio dans le Xe arrondissement de Paris pour l’enregistrement du deuxième album, le trio nous fait écouter une dizaine de nouveaux morceaux. Produits par leur complice Julien Delfaud (Phoenix, Herman Dune), les titres sont des pépites de songwriting pop, portés par des mélodies d’orfèvres et des chœurs mille-feuilles. Revolver passera l’automne sur les routes américaines, l’album sortira en janvier 2012. L. M., G. S. et B. Z. avec la rédaction

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Guillaume Binet/ M.Y.O.P.

Devant le tribunal de grande instance de Bobigny

les avocats du 9-3 se braquent En Seine-Saint-Denis, 70 % des affaires pénales sont défendues par des avocats commis d’office. Pour obtenir une rétribution juste, ils ont fait grève pendant deux mois. Votée à l’unanimité.

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epuis le 11 avril, les avocats de Seine-Saint-Denis sont en grève. Ils refusent d’assurer les commissions d’office, qui représentent 70 % des affaires jugées dans le département. Et tout le monde s’en fout. A l’exception notable des personnes concernées, au premier chef les justiciables du tribunal de Bobigny, deuxième de France en matière d’affaires pénales. Pourquoi ce manque d’intérêt pour ce mouvement, voté à l’unanimité par référendum et suivi sans faille depuis plus de deux mois par les 520 avocats inscrits au barreau local, qui désorganise durablement le fonctionnement d’une juridiction qui compte environ 900 000 personnes pouvant prétendre à l’aide juridictionnelle ?

“C’est vrai, nous sommes très peu soutenus, dit Me Pascale Bougier, une avocate à la pointe du mouvement. Par la presse d’une part, qui a en ce moment une belle portée d’autres chats à fouetter, mais aussi par nos confrères. En particulier ceux de Paris, qui craignent que si nos revendications aboutissent, ce soit pour la chancellerie un excellent prétexte à la mise en place d’un carcan administratif qui serait valable pour toute la profession. Des dispositions qui iraient à l’encontre des paradigmes d’une profession libérale, les honoraires libres, ce qui ne serait pas à leur avantage”. Pourquoi cette grève ? Comme chacun sait, le 93 n’est pas un département favorisé, même si, comme le déclarait Brice Hortefeux lorsqu’il était encore ministre de l’Intérieur, on y compte quelque

trois cents Ferrari au fichier des cartes grises (information démentie depuis). Une constatation qui aurait fait du 9-3 une enclave comparable à la principauté de Monaco, grande spécialiste, elle aussi, dans un registre moins “zyva”, de l’économie souterraine. “Inutile de le nier, cette économie souterraine existe dans le 9-3, mais les gros poissons impliqués dans les trafics peuvent, eux, se payer les services des ténors du barreau de Paris”, constatait lundi une avocate sur le parvis surchauffé du tribunal de Bobigny, à quelques heures d’une assemblée générale qui devrait décider d’une suspension de la grève. Bonne occasion pour le mouvement de reprendre son souffle, qui plus est à la veille des vacances judiciaires.

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alors que dans des régions mieux dotées, les avocats peuvent gérer les contraintes de l’aide juridictionnelle avec des affaires mieux rémunérées, la situation est inverse dans le 9-3 Les revendications du barreau de Seine-Saint-Denis ne sont pas nouvelles. Alors que dans des régions mieux dotées, les avocats peuvent gérer les contraintes de l’aide juridictionnelle parallèlement à des affaires mieux rémunérées, la situation est inverse dans le 9-3, où la plupart des dossiers (70 % comme indiqué plus haut) sont sujets à l’aide juridictionnelle. Le paiement, pris en charge par l’Etat, intervient à la conclusion du dossier. Comme chacun sait, la justice est lente : à titre d’exemple, il faut compter en moyenne trois ans pour un divorce… et 700 euros d’honoraires pour un avocat. Les avocats sont rétribués sous forme d’unités de valeur (UV), dont la valeur est de 24,54 euros. Pour un procès en correctionnelle, le défenseur touchera l’équivalent de 8 UV, soit 196,32 euros. “Ce mode de rétribution est absurde, reprend un autre avocat. Il y a peu, je me suis retrouvé commis d’office dans une affaire de blanchiment. Lorsque j’ai eu accès au dossier,

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j’ai constaté qu’il comprenait 19 tomes ! Si j’avais accepté ce travail titanesque, j’aurais perdu au bas mot 3 000 euros !” Tous les avocats rencontrés font peu ou prou la même constatation. Beaucoup d’entre eux travaillent seuls et ne disposent même pas d’un secrétariat, ce qui fait que leurs conditions de vie tendent à se rapprocher, toutes proportions gardées, de celles de leurs clients. Pour sortir de l’ornière, le barreau du 93 s’est tourné vers la Halde. Celle-ci, dès avril, a émis un avis favorable pour octroyer à la justice du département un statut qui correspondrait à celui de zone franche pour les zones industrielles sinistrées et permettrait aux commis d’office d’être exonérés de toutes charges sociales et fiscales. Les négociations avec le ministère se déroulent selon le scénario habituel du bras de fer. Fin du mouvement de grève, exige la chancellerie, avant d’entamer les pourparlers.

Les avocats du 9-3 ne sont pas des requins en robe noire. Ils sont conscients de l’aspect “assistance sociale” de leur travail, mais estiment que ce n’est pas une raison pour être encore moins payés que leurs “confrères” du service public. En attendant, les tribunaux de Bobigny frisent l’asphyxie : 20 % des affaires sont renvoyées, certains prévenus se présentent sans défenseurs. “Heureusement, tempère une avocate, les juges nous soutiennent et ne tiennent pas à maintenir en détention un prévenu qui passe en comparution immédiate dont l’affaire est renvoyée à une date souvent lointaine, faute d’avoir un avocat à ses côtés” Quant au secteur des affaires familiales, il accumule aussi les dossiers non traités. “J’ai compté 800 dossiers en souffrance rien qu’en un seul mois de grève”, dit Me Bougier. Et les gardes à vue dans tout ça ? Dans le département, elles ne sont toujours pas assurées par les avocats. Alain Dreyfus

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Christian Dior

Givenchy

François Guillot/AFP

Ximhua/Gamma

Alfred/Sipa

Louis Vuitton

Thom Browne

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rrêtons les âneries. Une fashion week, hommes ou femmes, n’accouche jamais de tendances à emporter, dans l’instant, chez soi, frénétiquement, ce n’est pas l’objectif. Déconnectée de la vraie vie, une fashion week est un spectacle en soi, et, la semaine dernière, à Paris, celui-ci fut des plus réussi. Chez Maxim’s, en clôture de l’exercice, Thom Browne donna au tailoring américain

Paul Smith

une allure début de siècle, grave et quasi gothique. Avant lui, Kim Jones, pour sa première collection Louis Vuitton, et Riccardo Tisci, chez Givenchy, avaient brillé, retravaillant l’imprimé tribal et les codes du sportswear US. Pour Dior, Kris Van Assche a, lui, continué à creuser son sillon, tout en épure, alors que Paul Smith a semblé s’amuser comme jamais. Un succès, on vous dit. Marc Beaugé

Gruber/FWDPhotos/Sipa

Les cinq jours de défilés printemps-été 2012 dans la capitale ont été marqués par quelques collections majeures.

Alain Gil-Gonzalez/Abaca

Paris ne se défile pas

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz le Big Festival à Biarritz

“Anne Roumanoff, c’est un peu notre Tina Fey à nous. Sauf qu’elle est nulle et moche”

“j’ai pris un abonnement à la salle de sport pour pas avoir honte sur la plage à Calvi”

amcadweb

Jésus

“osez l’anus”

“je comprends pas, c’est Bernadette Chirac qui a triché au bac ?”

les filles du Mondial

Bon Iver

les juilletistes

Natacha Polony

“la réponse à l’énoncé du bac de physique ‘Chute verticale d’un boulet’, c’était ‘Luc Chatel’ ?”

Natacha Polony Réac’ coucou : personnalité la plus invitée dans l’émission Ce soir (ou jamais !) en 2010, la journaliste du Figaro s’installera à la droite d’Audrey Pulvar à la rentrée 2011 en vue de remplacer le duo Zemmour-Naulleau chez Ruquier. Anne Roumanoff L’“humoriste” écrit une série dans laquelle elle tiendra le rôle principal pour Comédie!. Rires enregistrés.

Keziah Jones vs la police française

1, 2, 3, soleil

Les filles du Mondial La Coupe du monde de foot féminin se déroule en ce moment en Allemagne. Pour l’occasion, les joueuses françaises ont fait un clip r’n’b intitulé Allez la France ! Tous avec les filles ! Pourquoi pas, mais ça aurait été mieux sans cette chanson. Le gode électoral Beau lapsus révélateur de Guéant, qui voulait parler du code électoral à l’Assemblée. D. L.

billet dur

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le pourvoi en cassation de Colonna

le gode électoral

her Jean-Jacques Bourdin, Il m’arrive parfois, à la brumeuse faveur de matutinales obligations, d’emprunter des taxis où résonne ta lourde présence d’imprécateur populiste. J’y perçois souvent, en écho à ta voix, celles de prétendus Français d’en bas impeccablement triés, qui aiment à bistroter à ton comptoir radiophonique en dénonçant le maudit euro, les salauds de fonctionnaires et par-dessus tout les assistés qui têtent avec avidité les mamelles du RSA, un joint de cannabis à la main, en mirant des programmes amerloques sur leur écran plat dernier cri. Je me demande comment tous ces braves gens pétris de bon sens, qui te considèrent un peu comme le chevalier blanc du transistor, ont accueilli la nouvelle de tes tractations avortées pour le remplacement d’Eric Zemmour dans le rôle du con de droite d’On n’est pas couché. Ont-ils recraché leur café en apprenant

que tu évaluais à 5 000 euros hebdomadaires les petites colles mesquines que tu n’aurais pas manqué de poser aux politiques ? Oui, chère madame, 5 000 boules ! 32 750 francs ! Tu ne rêves pas, vieux, 3 275 000 anciens francs d’avantguerre ! Par mois ? Non, par semaine papy, t’es bouché ? Si si, pour un jour de boulot. Enfin, une soirée. Mais, attention, pour ce tarif, il faut se farcir les romans de Christophe Lambert – le singe, pas le pubard –, écouter les disques d’Hélène Ségara, éventuellement en penser du bien, et accepter de considérer Steevy du Loft comme un comédien de théâtre et non comme un Boulay. Au moins, la prochaine fois que le chauffeur de taxi RMCophile dont je serai l’otage cherchera mon approbation sur le mode du “Bourdin, il dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas”, j’aurai deux ou trois arguments à lui retourner dans le rétroviseur. A propos, Jean-Jacques, le taxi, depuis le passage à l’euro, ça coûte la peau du cul, pas vrai ? Je t’embrasse pas, t’es trop cher. Christophe Conte

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Foster The People Avant de partir cet été, il faudra charger les chansons de ces Californiens sur le lecteur MP3 : elles font sortir le soleil et tuent les moustiques.

S   Williams Hirokawa

ur le net, cette chanson s’épanouit depuis des mois, toute en joliesse, en souplesse, en richesse, en allégresse, en bouge tes fesses : elle s’appelle Pumped up Kicks. Ce sera le premier de quelques tubes signés Foster The People. On est même prêt à parier une fortune chez les bookmakers : cette chanson, à la façon des incunables de MGMT, connaîtra plusieurs vies, au rythme des BO de films ou des publicités qui vont fatalement s’arracher son romantisme flagrant et sa jubilation contagieuse. Avant qu’on ne les retrouve cet automne au

Festival Les Inrocks Black XS, les Californiens se seront sans doute déjà emparés des ondes radio, qu’ils utiliseront comme un lasso, alpaguant tous ceux pour qui une pop-song reste une pause qui se déguste yeux fermés, pieds agités et cœur léger. On vivra ainsi une belle histoire avec ces harmonies rupines, avec ces refrains montés sur ressort – une liaison intense et jubilatoire, comme un amour d’été. Et en Californie, l’été est sans fin. JD Beauvallet www.fosterthepeople.com

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Aurore Martin lors d’une manifestation de soutien à Bayonne, samedi 25 juin

Gaizka Iroz/AFP

son délit : avoir participé, pour Batasuna, à des réunions publiques et des conférences de presse entre 2005 et 2008

délit d’opinion basque Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen, la Française Aurore Martin, militante basque, pourrait être arrêtée et transférée à Madrid. Elle risque douze ans de prison pour des activités interdites en Espagne, légales en France.

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lle sait qu’ils vont revenir. La question est juste de savoir quand. Chaque matin, Aurore Martin se prépare à partir en prison. Tous les recours judiciaires ont été épuisés. Malgré le soutien populaire et politique dont elle dispose – des élus de tous bords se sont opposés à son extradition –, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant l’a répété : le mandat d’arrêt “sera mis en œuvre”. La prochaine tentative d’arrestation risque d’être musclée. La première, le 21 juin, a été un fiasco. Ce jour-là, ils ont sonné à la porte de l’appartement de

sa sœur, en plein centre-ville de Bayonne. Sept policiers antiterroristes, cagoule sur la tête. A l’intérieur, Aurore Martin, militante basque réapparue trois jours plus tôt après six mois de clandestinité, répond à une interview. “Tout le monde a l’habitude de frapper à la porte, raconte Rémi Rivière, un journaliste de la région. Alors dès le coup de sonnette, quelqu’un dans l’appart a appelé des amis qui se trouvaient au Petit Bayonne, un quartier militant situé juste à côté. Ils ont accouru, en passant par les cafés et le village des indignés.” Pendant ce temps, les policiers défoncent la porte. “Ça a été assez violent. Comme je n’ai pas voulu les suivre, ils m’ont

pris les jambes, les bras, et m’ont emportée comme un saucisson”, racontera plus tard Aurore Martin. Une cinquantaine de personnes ont déjà investi le hall. Sans violence, elles encerclent les policiers, façon mêlée de rugby. L’escalier donne sur le vide, quelqu’un risque de tomber. Prises de court, les forces de l’ordre suspendent l’opération. Libre, Aurore Martin est alors escortée par la petite foule jusqu’à la place Saint-André. Ancienne membre du bureau national de Batasuna, parti indépendantiste d’extrême gauche, cette jeune femme de 32 ans est depuis octobre 2010 sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par Madrid. Son délit : avoir participé, pour Batasuna, à des réunions publiques et des conférences de presse entre 2005 et 2008. Des faits qui, pour l’Espagne, relèvent du “terrorisme et de la participation à une organisation terroriste”. Légale en France, l’organisation Batasuna est interdite de l’autre côté des Pyrénées, où elle est considérée comme la vitrine politique de l’ETA. En décembre dernier, Paris accepte de transférer Aurore Martin vers l’Espagne, où elle encourt une peine de douze ans de prison. “Le plus ironique, c’est que toutes les activités auxquelles Aurore a participé pour Batasuna allaient dans le sens d’un processus de paix pour tenter de résoudre le plus vieux conflit d’Europe, dénonce Muriel Lucantis, porte-parole du comité de soutien aux prisonniers politiques basques Askatasuna. Et est-ce que la législation antiterroriste de chaque pays va maintenant pouvoir s’appliquer à toute l’Europe ? C’est inquiétant.” Aurore Martin est très fatiguée. Tendue. Samedi, elle a tout de même pris la tête d’une manifestation qui a réuni près de 3 000 personnes à Bayonne. Les militants espèrent eux que son histoire, qui a ému tout le Pays basque, permettra de donner un visage à un problème bien plus large. “Ces dernières années, des wagons de militants espagnols ont été arrêtés ici par le biais du mandat d’arrêt européen, assure Muriel Lucantis. Beaucoup avaient un dossier similaire à celui d’Aurore, à qui Madrid reproche d’avoir simplement exprimé son opinion politique. De nombreux dossiers sont aussi constitués à partir de déclarations obtenues sous la torture.” Perrine Mouterde

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Emilio Naranjo/EFE/Maxppp

Kiko Martinez (à gauche) et Jason Booth à Madrid le 16 avril 2011 lors du championnat d’Europe des super coqs

direct du gauche Les chaînes de la télévision publique espagnole s’interdisent de parler de boxe. Et les deux plus grands quotidiens du pays la boudent aussi. La faute à la gauche.



ept fois champion du monde, six fois champion d’Europe, le “Lynx de Parla”, du nom de sa banlieue madrilène, est “le meilleur espagnol que nous ayons jamais eu”, selon la Fédération espagnole de boxe. Et pourtant, les foules ne se pressaient pas pour accueillir Javier Castillejo lorsqu’il rentrait en Espagne, les bagages chargés de ceintures, pendant les deux décennies d’une carrière achevée en 2009. Rien à voir avec le déploiement médiatique qui

l’acteur Javier Bardem dénonce le “discrédit social de la boxe en Espagne”

accompagne la plupart des sports en Espagne, natation synchronisée comprise. “Tu gagnes le championnat du monde, on t’acclame à l’étranger et ici on te maltraite. On m’a fait me sentir comme un délinquant dans mon pays”, lançait Javier Castillejo au magazine Epoca en 2010. Son “successeur”, le déjà champion du monde Gabriel Campillo, est aujourd’hui pratiquement inconnu du grand public espagnol. Pourquoi un tel ostracisme dans un pays où la boxe a pourtant été aussi populaire que le football dans les années 1950 et 1960 ? La faute à la gauche, clament en chœur les boxeurs qui dénoncent une véritable “persécution”.

Dès sa fondation en 1976, le quotidien espagnol de référence, El País, décide de ne publier aucune information sur la boxe. “Sauf celles relatant des accidents soufferts par les combattants ou qui reflètent le monde sordide de cette activité.” Le journal couvre en revanche les corridas, en leur dédiant de pleines pages aux images souvent sanglantes. En 1989, la télévision publique (TVE) suit le même chemin, sur l’initiative de son directeur, Luis Solana, un ancien député socialiste. Toutes ses antennes opposent un veto à la boxe qui “n’est pas bonne pour la stabilité de la société et la morale publique”,

argumente-t-il. Apparu dans les kiosques en 2007, le deuxième plus grand journal espagnol marqué à gauche, Público, a suivi le même chemin. Plus mesurée que ses boxeurs, la secrétaire générale de la Fédération, Margarita Rodríguez, rejette le terme de “persécution”. La boxe espagnole reçoit après tout des subventions annuelles du gouvernement socialiste en place (moins d’un million d’euros en 2010). Mais les médias de gauche “nous annulent, tout simplement. Ils nous ignorent”. Quant à la télévision publique, “elle retransmet les courses de Formule 1 et de motos alors qu’il s’y produit beaucoup plus d’accidents”, s’agace-t-elle. L’invisibilité médiatique asphyxie en tout cas la boxe espagnole, les sponsors hésitant à financer un sport rejeté par la première chaîne publique, leader d’audience en Espagne. Certaines petites chaînes de la TNT se sont cependant récemment lancées sur le filon avec un certain succès d’audience. “La gauche a tué la boxe espagnole. En la stigmatisant moralement, elle l’a plombée financièrement”, accuse Quique Peinado, journaliste sur la chaîne de télévision sportive Marca TV et d’autant plus en colère qu’il se situe lui aussi bien à gauche. “L’hostilité vient d’un cliché né pendant le franquisme, lorsque les boxeurs espagnols étaient les sportifs les plus associés au régime. Normal, ils triomphaient à cette époque et Franco tentait d’utiliser leur gloire comme il l’a fait avec le football”, explique-t-il. Prêts à faire des milliers de kilomètres pour suivre les champions espagnols, l’acteur Javier Bardem et son frère, Carlos, issus d’une famille très marquée à gauche, dénoncent aussi le “discrédit social de la boxe en Espagne”. Elodie Cuzin

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miss New Boutin En citant les Black Eyed Peas au 20 heures de TF1 lors du lancement de sa campagne présidentielle, Christine Boutin signe son fat come back. Bonne ambiance au Parti chrétien-démocrate.

un petit côté Sarah Palin

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Tiens, revoilà Boutin. Apparue au premier plan de la sphère médiatique à la fin des années 90 lors du débat sur le pacs à l’Assemblée, elle brandissait alors la Bible et fondait en larmes en uniforme de bourgeoise de province : vestes aux couleurs pétantes, broches et foulards en soie. Relookée pour sa campagne à la présidentielle de 2002, où elle avait obtenu 1,19 %, elle a depuis gagné une ligne relativement amincie, une garde-robe aux tons plus neutres et un combo coupe de cheveux/lunettes un peu plus “moderne”. Qu’en dire neuf ans plus tard ? Il y a d’abord cette étrange ressemblance avec Cindy Sander, interprète mythique de Papillon de lumière, mais surtout un petit côté Sarah Palin qui se dégage. Coiffure, tailleur et lunettes viennent en effet donner du grain à moudre à ceux qui comparent

les deux femmes. Christine Boutin aurait d’ailleurs elle-même adoubé Sarah pendant la campagne américaine, affirmant que la colistière de McCain avait “tout pour plaire”, notamment “cinq enfants dont un trisomique et une fille enceinte qui va se marier”… Du point de vue idéologique, les deux peuvent également se rejoindre. Ainsi, il y a quelques jours, dans une lettre ouverte au ministre de l’Education, Boutin exprimait son indignation face au programme de SVT des classes de première, censé évoquer la théorie du genre, qui présente l’identité sexuelle comme un choix. Et regrettait que l’école soit devenue un lieu de propagande “où l’adolescent serait l’otage de préoccupations de groupes minoritaires en mal d’imposer une vision de la normalité que le peuple français ne partage pas”… Boum.

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la démocratie chrétienne participative

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de saint Expedit aux Black Eyed Peas

Tranquillou installée devant l’un des produits phare de l’appart’ d’étudiant, à savoir les Expedit d’Ikea, Christine semble vouloir nous faire passer un message. En effet, saint Expedit est le patron des écoliers et des candidats au permis de conduire, bref, des djeuns. Ça tombe bien, c’est à eux qu’elle semble vouloir s’adresser. Ainsi prononçait-elle cette phrase

divine sur TF1 : “Il y a une chanson qui est aujourd’hui très à la mode, qui s’appelle I Got a Feeling, eh bien moi, je vais vous dire, j’ai le sentiment que je vais faire une très bonne campagne.” Belle référence au groupe qui était le second invité du 20 heures et gros clin d’œil à tous les jeunes de France, qu’ils prévoient d’aller aux JMJ ou pas. Toutefois, on se demande si madame Boutin connaît

vraiment les Black Eyed Peas et le clip du morceau en question, car celui-ci vient bafouer beaucoup de ses valeurs. Pour rappel, on y voit en vrac Fergie en string, des jeunes filles à moitié nues s’embrasser ou tomber à terre en raison d’un taux d’alcoolémie beaucoup trop élevé… en bref, une sorte de campagne de pub en faveur des MST. Ce genre de feeling-là, Christine ? Diane Lisarelli

Question : que fait Christine Boutin avec ses doigts sur cette image ? Réponse : elle mime le “Pip pip”, et attend que tout le monde hurle en chœur “Yeaaah !”. Car dans cette vidéo (publiée sur le compte Dailymotion du Parti chrétiendémocrate), Christine Boutin explique sa candidature et lance un appel à ses sympathisants. La vidéo s’intitule en effet “J’ai besoin de vous !”, et à ce moment précis, Christine dit “Moi, je suis candidate, mais C’EST VOUS qui ferez l’élection”. Car Christine Boutin l’a précisé avec aplomb au 20 heures de TF1 mercredi 22 juin : “Je vais faire campagne aussi sur internet, c’est très important.” D’où les doigts. Et les comptes Twitter @christineboutin et @boutin2012 qu’elle commence à mettre à jour régulièrement par exemple en affirmant “Journée de lancement de campagne pluvieuse, campagne heureuse !”. Bien joué de la part de ses communicants.

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brèves l’Islande écrit sa Constitution avec les internautes Après la crise, l’Islande a mis en place une assemblée constituante composée de vingt-cinq citoyens pour rédiger sa nouvelle Constitution. Ces derniers, plutôt que de travailler en cercle fermé, ont lancé un processus inédit : la rédaction du texte de façon collaborative. Les internautes sont donc invités à donner leur avis sur chaque nouvelle proposition via le site officiel de l’initiative, mais aussi via Twitter ou Facebook. La nouvelle Constitution devrait être finalisée en juillet. check my RATP Rappel à l’ordre pour CheckMyMetro, l’application gratuite qui propose aux usagers du métro de partager leurs infos via leur téléphone. La RATP, qui a elle-même sa propre application (payante), a demandé à Apple la suppression “pour contrefaçon de la carte du réseau et des horaires du réseau parisien”. Aucun rapport, donc, avec la fonction “Signaler la présence de contrôleurs”. Finalement, CheckMyMetro a retiré la carte tout en regrettant publiquement que la RATP ne suive pas la tendance OpenData, qui vise à partager les données publiques gratuitement. internet censuré, à qui le tour ? A la France ! Sans faire appel à la justice, les ministres pourraient avoir le droit de restreindre le “commerce électronique” (un euphémisme pour parler de tout le web). Ce projet de décret du ministère de l’Economie numérique prévoit la possibilité de bloquer un site “qui risque de porter atteinte à l’ordre public” sans jugement. Le Conseil national du numérique (CNN), qui réunit dix-sept acteurs d’internet français, s’est prononcé contre ce projet qui pourrait facilement déraper.

la polémique des quotas Entre les éditeurs de musique et les stations de radio, le torchon brûle. Et la place d’internet envenime le débat.

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lorent Marchet ou Arcade Fire ? Arnaud Fleurent-Didier ou The Middle East ? Depuis quelques semaines, l’industrie du disque et les radios musicales s’interpellent et se répondent en (coups de) canon en se jetant aux oreilles un mot qui fera toujours polémique : quotas. Les éditeurs reprochent aux stations de brader l’offre francophone au profit des sirènes anglo-saxonnes, censées êtres plus attractives pour le grand public. Et donc de ne pas respecter les quotas qui font l’objet d’une loi depuis 1994 – 40 % au moins de chansons d’expression française doivent être diffusés à des heures de bonne audience, dont la moitié de nouveaux talents. “J’ai parfois l’impression que chez les radios musicales, la nouveauté est anxiogène, s’alarme David El Sayegh, directeur général du Snep, le Syndicat national de l’édition phonographique. Il y a beaucoup de suivisme chez elles, et une tendance lourde à la concentration dans les playlists. Par exemple l’an passé, seules 15 nouveautés francophones des 1 730 livrées aux radios ont trusté 90 % des passages à des heures significatives… Donc, 98 % des titres n’ont pas ou peu été entendus. Où est la diversité ? Où peut-on entendre certains artistes comme Joseph d’Anvers, alors qu’internet n’est pas encore très prescripteur ? Même Ouï FM passe de plus en plus de gold (ou classic rock – ndlr).” Du côté des radios, l’attaque du Snep et du collectif Tous pour la musique a surpris

pourquoi une telle mésentente entre deux partenaires qui devraient accorder leurs violons ?

par sa virulence. Le secteur y a vu la menace d’une mise sous tutelle par le CSA. “Je ne suis pas d’accord avec le Snep, se défend Jean-Patrick Laurent, directeur musical sur Ouï FM. Nous respectons les quotas du CSA dans le format qui est le nôtre. Mais composer une programmation rock en langue française est parfois difficile...” Mais alors, pourquoi une telle mésentente entre deux partenaires qui devraient accorder leurs violons ? Pour Jean-Charles Verhaeghe, directeur du cabinet conseil et stratégie radio My Conseils, cette offensive sert avant tout de prétexte. “Les maisons de disques veulent se dédouaner de leurs responsabilités dans la crise actuelle. Elles n’investissent plus que sur les valeurs sûres et ne font pas leur travail sur les jeunes talents.” L’offre des éditeurs serait-elle en baisse ? Faux, répond-on au Snep, si l’on ajoute les productions des labels indépendants à celle des quatre majors. “De toute façon, les radios se débarrassent de leurs quotas le week-end, quand personne n’écoute.” Pour le Sirti, Syndicat interprofessionnel des radios et télés indépendantes, l’enjeu dépasse les quotas : c’est la défense d’intérêts économiques catégoriels qui est en cause. “On ne surmontera pas les défis industriels d’internet en pénalisant les radios musicales, soutient sa direction. Alors que l’industrie musicale se repositionne (…) autour d’offres en ligne dans lesquelles elle ne se soucie guère de la place de l’expression francophone, elle ne peut prétendre imposer aux radios en France ce qu’elle ne pratique pas elle-même sur internet...” Concert baroque pour dialogue de sourds… Pascal Mouneyres

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www.france.paris L’autorité supervisant les noms de domaine sur internet, l’Icann, permettra l’utilisation de mots entiers comme suffixes (de type “.com”) à partir du 12 janvier 2012.

alerte, on parle de moi Google lance un nouveau service de “gestion de son identité web” pour contrôler sa réputation numérique. Intitulé “Ma présence sur le web”, l’outil crée des alertes personnalisées. Mais de là à pouvoir supprimer le contenu retrouvé, c’est plus compliqué…

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Taddeï, t’as des hauts, t’as des bas Ce soir (ou jamais !) ne sera plus diffusé tous les soirs, mais chaque semaine. Frédéric Taddeï, son présentateur depuis cinq ans, reste aux commandes. Lot de consolation : l’émission culturelle de France 3 passera d’une heure vingt à deux heures.

des filles sur France 2 Audrey Pulvar et Natacha Polony sur le plateau de Laurent Ruquier à la place de Zemmour et Nauleau ; Elizabeth Tchoungui aux commandes de la nouvelle émission culturelle du vendredi : à la rentrée, l’antenne de France 2 se féminise.

le “Guardian” sauve sa peau Après une chute de 10 % de ses revenus publicitaires sur le support papier, le quotidien britannique tente de faire des économies en privilégiant le numérique. Un peu plus de 10 % des emplois pourraient être supprimés en 2011.

Ali Baddou canalisé A la rentrée, Ali Baddou prendra les commandes des mi-journées de Canal+, baptisées La Nouvelle Edition. Chaque week-end de cet été, il présentera Le Grand Mag. Et remplacera de temps à autre Michel Denisot au Grand Journal.

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Pierre René-Worms

Juin 1981, Elli Medeiros et Jacno, mort en 2009. Ensemble, ils ont fondé les Stinky Toys, pionniers du punk français, puis le duo Elli & Jacno 30 les inrockuptibles 29.06.2011

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amoureux solaires Album-hommage, concert, livre, rééditions : Jacno, dandy punk puis pop, est toujours vivant – “même si c’est un mensonge”. Avec cinq proches ou fans, portrait d’un éternel jeune homme moderne. par Jean-Marc Lalanne

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Les Stinky Toys en 1977

a mode, on le sait, se démode. La modernité, elle, ne passe pas. Elli et Jacno ont incarné de la fin des années 70 au début des années 80 ce que la France pouvait produire de plus frais, de plus neuf et de plus glamour. Ils furent les Dutronc/ Hardy des années punk ; on les a baptisés Jeunes gens mödernes ; on ne savait pas alors que cette modernité et cette jeunesse dureraient sinon toujours, du moins longtemps. Il y a trois ans, le vernissage de l’exposition parisienne Les Jeunes Gens mödernes à la Galerie du jour – agnès b. provoquait une émeute et drainait en partie une population qui n’était pas née à l’époque des faits. A la rentrée sortira un film documentaire, Des jeunes gens mödernes, qui à travers Yves Adrien, mage et passeur, joint le Paris du Palace à celui des hipsters d’aujourd’hui. Les vingtenaires des années 2010 rêvent sur ceux des années 79/80. La réédition cette année des deux albums des Stinky Toys puis celle du premier album d’Elli & Jacno, Tout va sauter, participent de ce redéploiement mythologique. Tout comme le bel album de reprises de morceaux signés Jacno toutes époques confondues (les Toys, Elli, Lio, la carrière de chanteur solo). S’y cotoient des artistes qui furent leurs aînés (Christophe, Higelin, Brigitte Fontaine), leurs contemporains (Daho), leurs cadets (Dominique A, Katerine, Benjamin Biolay, Alex Beaupain, Château Marmont). Tandis qu’une biographie sort également, laissons ceux qui les ont connus, aimés, ceux qui ne les ont pas connus mais admirés, rembobiner le temps main dans la main avec ces deux amoureux solaires. JML

“Elli avait vomi sur les genoux du pdg d’EMI qui voulait les signer. Du coup, ça s’est pas fait”

Claude Gassian

L

Jean-Eric Perrin Journaliste à Rock & Folk en pleine période Trust et Téléphone, il aimait les cheveux courts, le punk et les dandys. Donc Elli et Jacno. acno était un jeune homme qui a toujours vécu à Paris. Il s’appelait Denis Quilliard, avait étudié au lycée Rodin dans le XIIIe arrondissement, puis à Charlemagne dans le IVe. C’est là qu’il a fondé son premier groupe, Bloodsucker. En 1973, lors de défilés de lycéens contre les lois Debré, il a rencontré Elli qui faisait le service d’ordre avec les trotskistes. Elle portait une minijupe et un blouson Alice Cooper. Ensemble, ils ont fréquenté le quartier des Halles et le Marais, puis fondé un groupe : les Stinky Toys. Leur premier concert a lieu à la Pizza du Marais le 4 juillet 1976. Je les ai rencontrés en 1978. Ils avaient déjà publié leur premier album en 1977, qui s’était peu vendu. Ils étaient pourtant des petites gloires nationales, parce que Malcom McLaren, qui les avait croisés à la boutique Harry Cover, avait flashé sur eux. Il les avait invités au 100 Club à Londres le même soir que les Sex Pistols, Clash et Siouxie. Dans la foulée, ils avaient fait la couve du Melody Maker. Moi, je venais de province, je vivais de petits boulots et je me passionnais pour cette scène punk française. J’ai proposé à Rock & Folk une chronique pour suivre cette actualité. A l’époque ça n’intéressait personne dans le journal, qui faisait sa couve sur Rod Stewart. Rapidement, c’est devenu l’organe officiel de cette scène. J’ai été le premier à parler de Taxi Girl, des Rita Mitsouko, de Daho et bien sûr de centaines de groupes aussitôt oubliés. Nos ennemis étaient les groupes français qui cartonnaient à l’époque : Téléphone, Trust, le rock en blouson de cuir et baskets Adidas montantes en nylon. Nous aimions ce qui était sharp, les dandys, les cheveux courts. Elli et Jacno avaient un côté

J

hype, ils fréquentaient une côterie à la fois punk et chic, avec pour prêtresse Edwige, la physionomiste du Palace. Ils étaient glamour. Mais aussi assez trash. Pour la sortie de l’album de Kraftwerk Trans Europ Express, EMI avait organisé une fête dans un train, avec le Tout-Paris et quelques punks pour faire mode. Les Toys s’étaient bourré la gueule et Elli avait vomi sur les genoux du pdg d’EMI qui voulait les signer. Du coup, ça s’est pas fait (rires). Je crois aujourd’hui que ce qui était excitant chez les Stinky Toys, c’était davantage l’idée du truc que la réalité des choses. Il y avait quelque chose de trop bordélique dans leurs concerts, leurs disques. C’est avec son tube electro Rectangle fin 79 que Jacno a commencé à être pris au sérieux. Avec ce morceau, puis Amoureux solitaires pour Lio, il a gagné beaucoup d’argent. Grâce aux droits d’auteur de ces quelques tubes, il a vécu à l’abri toute sa vie. Pendant vingt ans, après Elli & Jacno, il a fait les albums solo qu’il a voulus sans compromission, même si ça a été dur. Il a souffert de s’être fait viré de plusieurs maisons de disques. Mais il vivait en dehors des contingences, était nul avec le fric, ne payait jamais ses factures, n’était pas vigilant sur les contrats. Je crois qu’il avait un rapport difficile au monde réel, à l’extérieur. Ce n’était pas flagrant quand je l’ai connu parce qu’on sortait énormément, qu’il était un joyeux compagnon dans les fêtes. Mais petit à petit, il s’est refermé sur son monde. A partir d’un certain âge, il a passé la majorité de son temps dans sa baraque en Champagne, très isolé. Il ne supportait plus la ville. Pourtant, à l’époque des Jeunes gens mödernes, rien ne lui faisait plus horreur que la campagne.”

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Pierre René-Worms

Juillet 1981, Jacno produit le premier album d’Etienne Daho

Etienne Daho Il ne se séparait jamais du premier album des Stinky Toys, s’est endetté pour les faire jouer à Rennes. Récit d’un éblouissement.

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’est en 76/77 que j’ai découvert les Stinky Toys, en lisant Libé. Le choniqueur nightclubbing, Alain Pacadis, parlait beaucoup d’eux. Le groupe stylé, c’était eux. J’ai acheté un premier single, Boosy Creed, que je m’étais procuré à Amsterdam. Et après je me suis acheté le premier album. Je l’écoutais partout, je l’avais tout le temps sous le bras, chez mes amis pour leur faire découvrir, en boîte pour que le DJ le passe. C’était presque une blague. Après avoir rêvé sur leur image, leur beauté stupéfiante, leur élégance, j’ai follement aimé leur musique, son côté à la fois speedé et vraiment déchirant. A l’époque, je vivais à Rennes et fréquentais Hervé Bordier, le créateur des premières Transmusicales. Je l’aidais à coller les affiches dans les bars et en retour je pouvais voir les concerts, rencontrer les artistes... Comme j’adorais les Stinky Toys, j’essayais de persuader Hervé de les faire venir. Il m’a dit que si c’était si important pour moi, je devais le faire seul. J’ai monté une association uniquement pour ça. Je les ai invités, ils ont dit oui. Le concert a dégénéré d’emblée parce que les gens sont entrés en force, sans payer. Mais j’en avais rien à foutre, je voulais juste voir le concert. Bien sûr, comme personne n’avait payé, les

caisses étaient vides. Il y a eu des dégâts et j’ai mis des années à rembourser. En plus, ils avaient prévu de rentrer de nuit à Paris en voiture et il y avait de la neige, du verglas. Ils étaient bloqués à Rennes et j’étais bien incapable de leur payer l’hôtel. Alors je les ai invités chez moi, avec le journaliste qui les suivait pour sa chronique, Jean-Eric Perrin. On a bu toute la nuit, écouté le Velvet, puis refait le monde. On s’est découverts frères. C’était un éblouissement. Mais intuitivement, je le savais. On aimait à la fois les Stooges et Françoise Hardy, ce qui à l’époque était impensable. On semblait faits pour se rencontrer. Nous sommes restés en contact. Je leur ai envoyé des maquettes guitare/voix de mes compositions. Elli les a fait écouter à Jacno, qui n’ouvrait jamais une enveloppe. Il a bien aimé et a dit que si je venais à Paris et trouvais un label, il produirait l’album. Elli était le radar de Denis. C’est elle qui lui a présenté Olivier Assayas, qui a insisté pour qu’il produise Lio, c’est elle qui était amie avec Pascale

“Sid Vicious était l’objet de toutes les railleries de Jacno. Pour lui, c’était un abruti intégral”

Ogier qui leur a présenté Rohmer, pour qui il a composé la musique des Nuits de la pleine lune. Elle l’ouvrait à l’extérieur. Sous le vernis glamour, il y avait quelque chose de très vieille France chez Denis. Il adorait Jean Gabin, Les Tontons flingueurs. Même s’il s’en est servi, il a toujours détesté le punk, en tout cas son exploitation commerciale. Pour lui, les Sex Pistols étaient un boys-band téléguidé par McLaren, qui les forçait à jouer aux méchants. Sid Vicious était l’objet de toutes ses railleries. Pour lui, c’était un abruti intégral. Après la séparation d’Elli & Jacno, j’ai écrit un single pour sa nouvelle compagne, Pauline Lafont. Puis son premier album, Faux témoin. J’ai été aussi son choriste. Nous sommes restés proches et son départ m’a bouleversé. Lorsqu’on m’a proposé de faire un morceau sur cet album de reprises, j’ai tout de suite pensé que ça ne serait pas une de ses chansons solo. Parce qu’il m’était trop dur de réécouter sa voix. J’aurais pu choisir un morceau des Toys parce que je les adorais et qu’ils m’ont absolument construit. Mais je ne voulais pas chanter en anglais. Amoureux solitaires s’est imposé. C’est une chanson parfaite. Elle a encapsulé un moment, celui des Jeunes gens mödernes dont je faisais partie.” 29.06.2011 les inrockuptibles 33

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“Amoureux solitaires est pour moi la meilleure chanson du monde”

Dominique A Il interprète “Je t’aime tant” sur l’album de reprises de Jacno.

A

u début des années 80, j’étais un adolescent plus néogothique que néo-yé-yé (rires). Donc Amoureux solitaires, c’était pas trop mon truc. Mais un an plus tard, je suis tombé à la télé sur Elli et Jacno en train d’interpréter Je t’aime tant. J’ai été saisi. Ce côté supplication, cette remise à niveau de l’histoire d’un couple… “Si c’est cassé, nous devons réparer.” En la reprenant sur Jacno Future, j’ai choisi d’abandonner la froideur synthétique des arrangements, qui est magnifique mais insurpassable, pour quelque chose de plus organique. J’ai apporté des harmoniques, j’ai essayé d’apporter de l’incarnation là où Elli chantait à dessein de façon robotique et désincarnée. Je ne voulais pas rivaliser avec eux sur ce terrain mais pas non plus dénaturer la chanson. Le Palace, le Paris branché des années 80, ça n’a jamais été ma mythologie. Mais Jacno est un peu mon idéal physique masculin. Je le trouvais d’une classe folle. Et j’adorais ses interviews, son côté caustique, vachard même. Au fond, ce qui me touche chez lui, dans sa façon de parler comme dans sa musique, c’est qu’il détestait le lyrisme.”

Septembre 1980 : Jacno (à droite) produit Lio (au centre) et Amoureux solitaires vend 6 millions de copies en Europe

Olivier Assayas C’est avec la musique et l’inventivité de cette époque plus qu’avec les films que le cinéaste s’est construit. otre rencontre est liée à mon premier court métrage, qui s’appelait Copyright. C’était début 1979. J’avais vu la une du Melody Maker. C’était le premier groupe français à faire la couve : respect total. Elli était plus contemporaine et moderne que toutes les actrices de l’époque. Je l’ai contactée. “Bonjour je suis cinéaste.” C’était du bluff total, j’avais 23 ans et n’avais rien tourné. “J’ai un scénario à vous faire lire.” Elle m’a dit “Génial ! Venez me l’apporter.” Je suis allé rue Daudeville, dans son appart, en hauteur. Elle l’a lu et m’a dit “Je le fais.” Avec quelques combines, deux ou trois copains, on a réussi à monter le film. Pendant ce temps, elle me présentait sa bande, Olivia Clavel, la graphiste du collectif Bazooka, Laurence, la sœur de Loulou Picasso, qui a fait les costumes, et puis son copain, Jacno. Il m’a tout de suite impressionné par sa classe, son intelligence, son humour. J’ai fait demander à Elli s’il voulait bien composer la musique du film. Il a écrit une chanson, Anne cherchait l’amour, pour le générique de fin, et trois morceaux musicaux auxquels il a donné des noms de figures géométriques : Triangle, Losange, Rectangle.

N

“à l’époque, on ne se doutait pas qu’on était les pionniers du clip en France”

A l’époque, les Stinky Toys venaient de sortir chez Vogue leur second album, qui ne marchait pas. Ça n’intéressait pas du tout Vogue que leurs poulains fassent la musique d’un film. Jacno a donc dû utiliser son nom de scène plutôt que celui du groupe. C’est là qu’est intervenu quelqu’un de très important : Jean-Luc Besson, un jeune homme qui voulait créer un label pour signer toute la scène émergente de la new-wave française. Il a proposé de sortir la musique du film sur son nouveau label, Dorian, dont c’était le premier disque. A la stupéfaction générale, un des morceaux a explosé en club et en radio : Rectangle. Du coup, le label Dorian a eu de l’argent, Jean-Luc a signé Artefact (le groupe de Maurice G. Dantec), Mathématiques Modernes (celui d’Edwige), Modern Guy et aussi le premier album des Rita Mitsouko. Alors nous lui avons proposé de faire un petit film sur Rectangle. A l’époque, on ne se doutait pas qu’on était les pionniers du clip en France. Ils étaient iconiques, mondains aussi. Mais la mondanité était chez eux un vrai truc de voyou, une façon de s’inviter au banquet des riches pour foutre du désordre. Leur éclat de branchés leur permettait de parasiter des fêtes ultrafriquées alors qu’ils vivaient dans sept mètres carrés. Au fond, ils n’ont jamais rien eu à voir avec la variété française. Même s’ils l’ont croisée, côtoyée, ça ne les faisait pas rêver. Et puis

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Alex Beaupain “Amoureux solitaires” est la meilleure chanson du monde, explique l’auteur compositeur. ’ai découvert la musique de Jacno enfant, dans les années 80, avec la pub Nesquik dont Rectangle était la musique. Mais je ne savais pas ce que c’était. J’ai d’abord connu Elli par ses tubes des années 86/87, sans Jacno donc : Toi mon toit, Bailar Calypso... J’ai vraiment identifié le son Jacno avec Amoureux solitaires, que j’ai connu plusieurs années après sa sortie mais qui pour moi était, est toujours, la meilleure chanson du monde. Au lycée à Rennes, j’ai rencontré Christophe Honoré. Il m’a fait une cassette avec les chansons qu’il adorait : Cherchez le garçon de Taxi Girl, Tes grands yeux bleus de Jacno. Je l’ai adorée. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que c’était sur la disparition de Pauline Lafont. La musique de cette génération est la chanson française que je me suis appropriée ado. Je suis parti de Daho et je suis arrivé à Daniel Darc, Elli & Jacno... C’est ma sphère d’influence, là d’où je viens. Au lycée, j’ai découvert aussi Les Nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer. La scène de la fête, sur une musique de Jacno, où Elli danse avec Pascale Ogier, m’a beaucoup fait rêver. Elli et Jacno, c’était aussi toute une mythologie, les années Palace. Je les trouvais beaux et chics, comme Lou Reed ou Bowie. Mais je pense que leur postérité n’est pas seulement due à cette imagerie. Derrière ce qui peut sembler superficiel, il y a aussi une volonté artistique très radicale, un son, une grande exigence.”

Xavier Lambours/Signatures

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Christian Rose/Fastimage

ils ont été portés par un moment historique très fort. Pour moi, le punk s’est semi-inventé à Paris. En tout cas, il y a des trucs qu’on a compris plus vite à Paris qu’à Londres. Même si le punk-rock anglais a commercialement explosé et laissé tout le monde derrière. Mais les Stooges, les Flaming Grovies, les New York Dolls, tout ce proto-punk américain a trouvé à Paris, grâce à Zermati ou Adrien, un canal où s’engouffrer. D’ailleurs, les vrais groupes punk français étaient un peu ringards. C’est plutôt dans l’electro-pop et la new-wave que la France a connu un grand moment d’invention. Ce potentiel mythologique de l’époque, je ne l’ai pas perçu en direct bien sûr. J’avais le sentiment quand même qu’Elli, Denis, Pacadis saisissaient de façon fulgurante quelque chose du contemporain. De façon warholienne, même. Mais on ne sait jamais jusqu’où ça peut se déployer. On avait l’impression que c’était un prélude, et c’était le moment. Mon premier long métrage Désordre parle de ça. De ce moment où les choses cessent d’être libres et désintéressées. J’ai le sentiment d’être né là. Je ne viens pas de la cinéphilie. J’ai été constitué artistiquement à cet endroit. Aujourd’hui, j’écoute Rectangle comme si c’était extérieur à moi, à ma jeunesse, à mon premier film. C’est juste un grand morceau, à l’évidence joyeuse. C’est peut-être ça d’ailleurs la marque d’Elli et Jacno. Il n’y avait pas chez eux de romantisme dark comme chez Taxi Girl ou Marquis De Sade. Pas d’emphase non plus. C’est ce qui les relie à Rohmer : leur art était géométrique et lumineux.”

Tous les témoignages ont été recueillis par Jean-Marc Lalanne

Jacno chez lui, décembre 1982

honneur à Jacno album hommage Jacno Future (Polydor/Universal), avec Etienne Daho, Dominique A, Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Katerine, Christophe, Coming Soon, Miossec, Benjamin Biolay, Alex Beaupain… concert Jacno Future, en ouverture du festival Days Off, le 30 juin à Paris (Cité de la Musique) rééditions Stinky Toys (1977) et Stinky Toys (1979) (Polydor/Universal) et Tout va sauter (Sony) livre Jacno, l’amoureux solitaire par Jean-Eric Perrin, Pierre Mikaïloff et Stéphane Loisy (Editions Didier Carpentier) 29.06.2011 les inrockuptibles 35

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à droite John Grape à gauche Hyphen Hyphen

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le concours de découvertes musicales

merci aux finalistes du mois de mai

John Grape & Hyphen Hyphen

pour leur concert à la soirée Inrocks Lab Party du 15 juin 2011 à La Flèche d’Or – Paris

Hyphen Hyphen ep

Chewbacca I’m Your Mother

déjà disponible - prochain ep à paraître début 2012

Concerts 1er/07 à Calvi (festival Calvi on the Rocks) 20/07 à Paris (La Flèche d’Or)

John Grape ep

John Grape

déjà disponible

Concerts 02/07 à Châlons-en-Champagne (festival Musiques d’ici et d’ailleurs), 10/07 à Auxon (Festival en Othe), 27/08 à Charleville-Mézières (festival Le Cabaret Vert)

prochaine soirée Inrocks Lab Party le mardi 5 juillet 2011 à La Flèche d’Or – Paris (XXe) rejoignez la fan page Facebook Levi’s® France pour être informé des concerts photo réalisée à La Flèche d’Or par Emma Pick

www.lesinrockslab.com

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Sans titre-5 1

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édito

Fred Dufour/AFP

en attendant la droite

NicolasS arkozy à l’Elysée, le 27 juin

entre frime et méthode Coué La cote de Nicolas Sarkozy frémit dans les sondages, ce qui l’encourage à voir son avenir en rose face au PS.

 L

es critiques du président socialiste de la Cour des comptes, Didier Migaud, sur les déficits publics trop élevés ? Elles visent le PS, assure avec aplomb Nicolas Sarkozy, au moins “ceux qui aspirent” à la présidence de la République et qui n’ont pas “intégré les contraintes européennes” dans leur projet électoral. François Hollande, donné largement vainqueur en 2012 ? “Il s’épuise, il a fait des erreurs de communication, avec son scooter et son histoire de président normal. C’est un sucre qu’on plonge dans un verre d’eau.” Martine Aubry ? “Archaïque et méchante.” La cote de Nicolas Sarkozy dans les sondages a frémi ces dernières semaines, ce qui a libéré la parole du chef de l’Etat, pourtant engagé dans un travail de “présidentialisation”, avec son attitude “au-dessus-des-

partis”. L’appel de la campagne est sans doute trop fort pour cet animal électoral. En ce début de semaine, Nicolas Sarkozy tente de parasiter l’annonce de candidature de Martine Aubry, avec conférence de presse et visite aux poulets de Loué avec François Fillon. Lundi à l’Elysée, il tape sur le PS à bras raccourcis, jugeant que la France a “décroché” au début des années 2000, quand, sous Lionel Jospin, la maire de Lille était ministre et François Hollande patron du PS. Et pour ceux qui douteraient de la volonté de Nicolas Sarkozy de se présenter à un second mandat, méditez ce petit enchaînement : “Dire qu’on ne pense pas à l’année prochaine, personne n’y croirait (…). Il viendra le moment, on en reparlera.” Hélène Fontanaud

Depuis qu’ils se sont opposés au mariage homosexuel, les parlementaires de droite se sentent un peu morveux. Au gouvernement, après Roselyne Bachelot, c’est Alain Juppé qui s’est dit favorable au mariage gay. Jean-François Copé, lui-même, patron de l’UMP, ne veut pas dire quel est, en son for intérieur, sa conviction sur le sujet. Il reconnaît à demi-mot que son parti va évoluer, qu’il évolue déjà. Comme l’opinion publique qui, sur ces questions, change à vitesse grand V. En 1999, quand Lionel Jospin faisait voter le pacs, l’UDF et le RPR d’alors s’y opposaient violemment et l’homophobie suintait des propos du député moyen de droite. Aujourd’hui, si le pacs était proposé à nouveau aux parlementaires UMP, il serait adopté par une large majorité… tout comme la légalisation de l’avortement (que Simone Veil avait fait voter grâce aux voix de la gauche en 1975) ou même l’abolition de la peine de mort. Il y a bien eu les outrances débiles d’une poignée de députés réacs, qui ont émergé comme des boules puantes à la surface du débat de ces dernières semaines, mais la tonalité générale de ce qui se dit à droite sur la question de l’égalité des droits pour les homosexuels a radicalement changé. La droite semble dire : “Soyez patients, nous y viendrons, ne nous brusquez pas”… OK, soyons patients… et pour patienter on pourrait tout simplement changer de majorité à l’Assemblée et faire enfin adopter le mariage homosexuel et le droit à l’homoparentalité… en attendant la droite !

Thomas Legrand 29.06.2011 les inrockuptibles 39

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Franck Crusiaux/REA

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Martine Aubry candidate, c’est qui ? La première secrétaire du PS se lance dans la course de la primaire socialiste. Une candidature qu’elle a annoncée à Lille… en réalisant la synthèse de différentes influences politiques.

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a y est. Elle l’a fait. Celle que l’on décrivait comme une candidate “par défaut”, que l’on disait hésitante, indéterminée et manquant d’envie, a tranché. En quelques minutes, Martine Aubry “a changé de statut”, confie l’un de ses proches. La voilà qui a endossé les habits de candidate “à la présidence de la République”, confirme un aubryste de la première heure. “Si elle y va, c’est pour gagner la primaire, pas pour faire un tour de piste.” Un ami enchaîne : “Elle a toujours eu l’œil rivé sur cette échéance de 2012. Tout ce qu’elle a fait depuis le congrès de Reims a donc été une continuité et s’est fait dans la cohérence.” Dès lors, Martine Aubry est “très sereine”, constate son entourage : “Elle sent qu’il y a une dynamique, que la mayonnaise prend et que chaque pas en avant l’amène vers 2012.” Sans surprise, c’est dans son fief lillois que Martine Aubry a décidé de se déclarer mardi matin. Pas n’importe où : à SaintSauveur, une ancienne gare réhabilitée par la mairie et devenue aujourd’hui un lieu culturel de qualité destiné au plus grand nombre. Martine Aubry ne manque jamais de le faire découvrir aux visiteurs en transit. La maire de Lille est fière du travail accompli dans la ville où elle s’est installée comme adjointe de Pierre Mauroy aux municipales de 1995 et qu’elle a conquise en 2001. Avant d’être triomphalement réélue en 2008. Jeudi dernier, le 23 juin, la patronne du PS ne cachait déjà plus son ambition de se lancer dans une autre aventure, nationale cette fois : “J’y suis déjà beaucoup moins à Lille, tout est parti ! Ici, ça marche.” Traduction : les projets sont lancés, tout roule, en somme. Et même si elle aime être

sur cette terre du Nord “pour ne pas perdre le contact avec la réalité”, elle explique aussi que ce qu’elle fait à Paris “la passionne”. Comment glisser, en moins de deux, qu’elle n’est pas prisonnière de sa mairie mais qu’à l’inverse sa ville lui a servi de “laboratoire”, même si elle rejette ce terme ? “Lille, c’est un concentré de la France, avec des gens de toutes les cultures, de toutes les catégories et de tous les âges. C’est un concentré des difficultés et des atouts de la France.” Ces derniers mois, Martine Aubry en a pourtant fait douter plus d’un sur sa détermination élyséenne. Les jours passant, les socialistes se gaussaient en privé : “Tel père, telle fille.” Allusion au retrait de Jacques Delors, fin 1994, alors qu’il était le favori de la présidentielle. Dix-sept ans après son père, en toute discrétion mais sans jamais se départir de la ligne qu’elle avait déterminée – “J’ai tenu chaque fois les rendez-vous dans les dates fixées”, glisse-t-elle en référence à son agenda depuis trois ans – Martine Aubry s’est lancée dans la bataille, forte d’ailleurs du soutien de Jacques Delors. “Le père et la fille commettent un acte important”, souligne un ami de Martine Aubry. La photo de famille permet au passage d’amorcer le recentrage de la “dame des 35 heures”, l’angle d’attaque de Nicolas Sarkozy et de la droite pour cibler celle qui est vue comme “sectaire”, “archaïque”, “vieille gauche” et pour l’instant toujours dépassée dans les sondages par François Hollande, un autre “bébé Delors” du PS. Mais qui est vraiment Martine Aubry ? L’instigatrice de la réduction du temps de travail ou celle qui était la grande amie 29.06.2011 les inrockuptibles 41

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“Lille, c’est un concentré de la France, avec des gens de toutes les cultures, de toutes les catégories et de tous les âges” Martine Aubry

des patrons quand elle était l’adjointe de Jean Gandois, le patron des patrons du temps du CNPF, ancêtre du Medef ? Certains l’ont d’ailleurs vue à l’aise au salon du Bourget au milieu de chefs d’entreprises qu’elle connaissait apparemment très bien, leur claquant la bise, comme à Jean-Louis Gallois, patron d’EADS… Pourtant, ces dernières années, forte de ses soutiens au PS et de sa majorité politique issue du congrès de Reims, en 2008, la première secrétaire, proche notamment de Benoît Hamon, apparaissait bien plus à gauche que François Hollande… l’ancien patron du parti. Une présentation que Jean-Christophe Cambadélis, strausskahnien et désormais soutien de Martine Aubry, a balayé d’un revers de la main, rappelant le pedigree commun des deux challengers de la primaire. “Ils sont tous les deux issus de l’ENA, ils sont tous les deux passés par le club de Jacques Delors, ils ont tous les deux été des proches de Lionel Jospin, ils ont tous les deux voté en faveur du traité pour la Constitution européenne.” En somme, ce serait la fonction de première secrétaire qui donnerait cette impression d’être plus à gauche, comme en son temps François Hollande était la bête noire de la droite. Mais finalement, il serait difficile de glisser une feuille de papier à cigarette politique entre ces deux-là. Comme avec DSK, dont on aurait pu penser qu’elle était plus à sa gauche, notamment sur le dossier des retraites. Mais ne déclarait-elle pas il y a encore quelques mois que “Dominique et moi sommes sur la même ligne”1 ? Avant d’ajouter : “Nous ferions la même politique.”

Dans ce contexte, quel aspect politique retenir de Martine Aubry au moment où elle se lance dans la bataille ? Tous, veulent répondre ses proches. “Elle a son parcours, son histoire, analyse l’un d’eux. Elle est la synthèse de tout ça.” D’ailleurs, au PS, elle est soutenue tant par Henri Emmanuelli et Benoît Hamon, l’aile gauche du PS, que par des strauss-kahniens comme Jean-Christophe Cambadélis, Michel Destot, François Kalfon, ou par Bertrand Delanoë, plus au centre du parti. Sans oublier, bien sûr, Laurent Fabius. Un sacré cocktail dont elle a voulu imprégner son équipe de campagne, opérationnelle depuis quelques jours, en respectant les équilibres internes au PS. Outre François Lamy, un aubryste, s’y côtoient par exemple Christophe Borgel, un strausskahnien, et Guillaume Bachelay, un fabiusien. “Le reste du dispositif se dévoilera naturellement”, prévient l’un des membres. Mais pas question de s’attendre à une armée mexicaine, “plutôt à un noyau de base et des cercles autour, à qui seront confiées des missions. Et un objectif : être très réactif”. Ce week-end, à quelques heures de l’annonce de sa candidature, Martine Aubry avait réuni ses proches : Jean-Marc Germain, son bras droit et directeur de cabinet, François Lamy, qui devrait devenir son futur directeur de campagne, et Harlem Désir, numéro deux du PS

“elle colle bien à l’état d’esprit du moment, au besoin d’authenticité, de vérité, de débat de fond”

amené à être promu premier secrétaire bis… Quelques heures pour tout régler, et notamment sa déclaration de candidature. Une déclaration à laquelle Laurent Fabius, Jean-Christophe Cambadélis, Guillaume Bachelay, Jean-Marc Germain et d’autres ont apporté leur contribution avant que Martine Aubry ne la retravaille avec ses mots, jusqu’au bout. Dans cette campagne, le thème de “la France rassemblée face à la France divisée et coupée de Nicolas Sarkozy” devrait être l’un des leitmotive jusqu’au soir du premier tour de la primaire, le 9 octobre. “Dans la période que l’on vit, elle rassure les gens, assure son amie, la députée Adeline Hazan. Elle colle bien à l’état d’esprit du moment, au besoin d’authenticité, de vérité, de débat de fond et non pas de choses superficielles.” Et pour insister sur le rassemblement, Martine Aubry veut souligner son travail au PS… pour mieux le dépasser, comme un symbole de ce qu’elle pourrait faire pour la France, commente son entourage : “On a su nouer des relations de confiance avec Europe Ecologie-Les Verts, aujourd’hui un partenaire indispensable, mais aussi avec les communistes et plus largement le Front de gauche, ce qui est une clé de la victoire en 2012.” Laurent Fabius, sur le plateau de France 2, est allé encore plus loin : “Elle peut rassembler au-delà, y compris les centristes.” Il est vrai que dans sa majorité municipale à Lille, Martine Aubry a su gouverner avec le Modem, loin déjà des débats du congrès de Reims de 2008 qui le rejetaient… Marion Mourgue 1. Martine Aubry – Les Secrets d’une ambition par Rosalie Lucas et Marion Mourgue (L’Archipel)

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presse citron

par Christophe Conte

Chirac trompe sa femme avec une liste de gauche, Dupont-Aignan oublie la république, Sarkozy et Juppé songent à procréer, MAM profite de ses vacances pour relire ses classiques. Ségolène Royal, elle, se désespère.

les relous Borloo Mediator “Je veux être un remède contre le FN”, affirme Jean-Louis Borloo… Pour quelqu’un dont la candidature à la présidentielle risque de permettre à Marine Le Pen d’atteindre le second tour, c’est gonflé ! En guise de remède, Borloo pourrait bien être le Mediator de la droite.

Arnaud Montebourg, l’Américain ?

beaucoup de Bree pour rien Mediapart a dévoilé, le 25 juin, le contenu de câbles de WikiLeaks à propos du défilé de personnalités françaises à l’ambassade américaine lors de l’élection de 2007. On y apprend notamment que Ségolène Royal est allée faire de la lèche chez monsieur l’ambassadeur de l’Amérique, se déclarant proche des Américains, avec cette preuve irréfutable : elle regarde Desperate Housewives ! Bon sang, une Milf super réac, coinços au début puis volcanique lorsqu’elle se débarrasse de son mari, mais c’est bien sûr : Bree Van de Kamp !

personne invalide Après l’invalidation de son élection par le tribunal de Limoges (Le Monde, 23/06), Bernadette Chirac a mené sa petite enquête, laquelle a mis en lumière l’impensable. Elue au départ, à une voix près, conseillère générale du canton de Corrèze, Bernie a finalement dû admettre la cruelle vérité : c’est son mari qui a fait basculer le scrutin dans le chaos en votant encore pour la liste socialo-bolchévique.

des Affaires étrangères. ‘S’ils avaient un enfant ensemble, ce serait l’homme politique parfait.’” C’est vraiment lâche de la part des sbires de l’UMP, en avançant de telles épouvantables suppositions, de militer anonymement contre le mariage gay et la procréation assistée pour les personnes de même sexe.

lettres et le néant

Invité de l’émission de politique-fiction Bonsoir Monsieur le Président sur Canal Jimmy (23/06), Nicolas Dupont-Aignan a annoncé qu’il nommerait des ministres FN dans son gouvernement. Bon, c’était pour de faux, mais ne pourrait-on pas quand même le tondre, juste comme ça, pour rigoler ?

Gros fou rire en lisant dans le JDD (26/06) que le “dictionnaire politique” que Michèle Alliot-Marie a commandé à son nègre se situera “entre Machiavel et Pierre Dac”. Du premier, à l’aune des fricotages de MAM avec Ben Ali, qui lui ont valu son éjection du gouvernement, on lui rappellera que “celui qui pense que, chez les grands personnages, les nouveaux bénéfices font oublier les vieilles injures, il abuse”. Et du second : “Bien mal acquis ne profite jamais qu’à ceux qui sont assez malins pour ne pas se faire épingler.”

œuf de l’UMP

très confidentiel

Excellent papier dans Libération (22/06) sur “l’idylle de raison” entre Sarkozy et Juppé. “‘Ils sont incroyablement différents et complémentaires’, déclare un proche du ministre

Après avoir sué comme des bêtes lors de la Fête de la musique au jardin du Luxembourg, Gérard Larcher et Marie-Luce Penchard songeraient à reformer les White Stripes.

Dupont Lajoie

Le député de Saône-et-Loire, candidat à la primaire PS, se prendrait-il pour Barack Obama ? A en croire son clip de campagne, oui et sans douter une seule seconde de son aura. “Je suis Arnaud Montebourg et j’approuve ce message”, lâche Arnaud Montebourg dans la petite vidéo diffusée lundi soir au Théâtre Dejazet à Paris où le candidat a lancé sa campagne et présenté son équipe. Un certain air de déjà-vu avec ce que répétait Obama dans ses clips, lors de sa dernière présidentielle. On attend le Yes we can, lors de la traditionnelle fête de la rose à Frangy-enBresse, le poulet en plus.

campagne Bisounours Tout nouveau candidat pour le Nouveau parti anticapitaliste, le successeur d’Olivier Besancenot, Philippe Poutou, s’est illustré par son combat pour la sauvegarde des emplois de son usine Ford, à Blanquefort (Gironde). On ne sait pas encore s’il aura ses 500 signatures, mais on l’embrasse. 29.06.2011 les inrockuptibles 43

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Martine Aubry, Ségolène Royal et François Hollande se sont durement affrontés par le passé. D’où un doute sur leur volonté affichée de jouer la primaire des 9 et 16 octobre dans un climat fair-play.

faites la primaire, pas la guerre

 I

l y a un bon état d’esprit.” C’est le tube de l’été au PS. Il faut dire que les socialistes ont en mémoire la primaire de 2006, son festival de phrases assassines et aussi une image, celle de l’amorce de pugilat entre Ramzi Khiroun, conseiller de Dominique StraussKahn, et Julien Dray, proche de Ségolène Royal, lors d’un débat au Zénith de Paris. Cette fois, le PS tente d’éviter le réveil de la guerre des chefs. En dépit des bisbilles sur l’intérim à la tête du parti. Une haute autorité des primaires a été constituée autour de Jean-Pierre Mignard. Avec le haut fonctionnaire Rémy Pautrat et la présidente de l’Association pour le droit à l’initiative économique, Catherine Barbaroux, l’avocat doit veiller au “respect du vote des électeurs, de l’égalité des candidats et des candidats entre eux”. Bertrand Delanoë s’est de son côté dit prêt à jouer les “facilitateurs”. Quand on demande à François Hollande, premier secrétaire lors de la précédente sélection entre socialistes, comment faire pour que la compétition se passe bien, il répond d’abord par une pirouette : “On la gagne !” Candidat pour 2012, le député de Corrèze juge plus sérieusement que, depuis cinq ans, “la leçon a été tirée”.

“Celle ou celui qui gagnera veillera à ce que les autres protagonistes de la primaire soient associés à la campagne présidentielle. Surtout que la fin de la primaire marquera l’entrée en campagne”, explique-t-il. Ce que confirme Guillaume Garot, lieutenant de Ségolène Royal : “Il y aura très vite un congrès ou une convention de rassemblement autour du candidat désigné.” Pour Michel Sapin, l’un des “hollandais” de la direction du PS, “il est nécessaire que la primaire se passe bien”. “Le climat déterminera la nature et la taille du corps électoral. Si c’est pour trancher des chamailleries, il y aura 150 000 votants, c’est-à-dire les militants. Si c’est pour départager des propositions, des personnalités, on peut aller vers une primaire à un ou deux millions de votants.” Il a déjà sa devise : “Non aux querelles de personnes, oui à la différenciation des personnalités.” Claude Bartolone, qui soutient Martine Aubry, est lui aussi plutôt tenté de croire à une primaire apaisée. Il voit “deux moteurs puissants d’unité : il y a d’abord un enjeu générationnel comme il n’y en a jamais eu. Si on rate 2012, pour beaucoup, c’est la fin. Et puis il y a les élus locaux. Si Sarkozy est réélu, c’en est fini des collectivités

territoriales comme on les a connues.” Le président du conseil général de la Seine-Saint-Denis philosophe même sur l’inimitié célèbre entre Martine Aubry et François Hollande : “Le PS est plein de gens qui ne s’aiment pas et qui pourtant travaillent ensemble. Qui aurait dit que Laurent Fabius serait un jour ministre de Lionel Jospin ?” Ségolène Royal avait gagné haut la main la primaire de 2006 avant de s’incliner face à Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle de 2007, après une campagne notamment marquée par une défiance mutuelle entre la candidate et les barons du PS. Aujourd’hui, Guillaume Garot reconnaît que “tout a été fait pour assurer un bon climat”. “Ségolène Royal a tourné la page. Il faut regarder devant et ne pas ressasser”, souligne-t-il. Lors de son meeting dans le Marais poitevin, dimanche, l’ex-candidate de 2007 a d’ailleurs voulu convaincre qu’elle avait changé depuis quatre ans. “L’union est un combat, je ne l’oublierai pas (…). Si je suis désignée, je rassemblerai, et je sais que François, Martine, Arnaud, Manuel et peut-être d’autres partagent le même sens des responsabilités puisque nous nous retrouvons régulièrement

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que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

Le bal des prétendants à la convention nationale du PS, le 28 mai, à Paris

pour en parler. Personne n’est isolé, les inquiétudes en ce sens doivent être levées”, a-t-elle assuré. Il suffisait d’entendre Manuel Valls saluer le même jour la candidature “légitime” de Martine Aubry, ou François Hollande annoncer qu’il agirait “avec respect et courtoisie” vis-à-vis de la patronne du PS pour être presque convaincu par cette ambiance “Bisounours”. Mais restent quand même quelques questions à régler. Les divergences entre Aubry, Hollande, Montebourg, Royal et Valls, notamment sur l’emploi des jeunes, la fiscalité ou encore la sécurité, s’exprimeront-elles sans dérapage aucun ? Et quel sera le rôle des “entourages”, souvent plus adeptes de petites phrases acerbes que leurs patron(ne)s ? L’organisation de débats entre les candidats réveille aussi les aspérités entre socialistes. Ségolène Royal en veut plusieurs, quand la direction du PS voudrait les réserver aux éventuels deux finalistes. François Hollande, qui note malicieusement qu’en 2006 Laurent Fabius et DSK réclamaient des confrontations alors que Ségolène Royal s’y opposait, précise qu’il fera “ce qu’on voudra”. Bon esprit, on vous dit. Hélène Fontanaud

Emma Foster/EPA/MaxPPP

par Michel-Antoine Burnier

Derechef, que de prévoyance chez M. Sarkozy ! Lors de sa campagne électorale de 2007, il avait promis que “les ministres rendraient des comptes”. Quels comptes ? Pendant longtemps, déception, nous n’avons rien vu venir. C’est que le sens de cette heureuse formule nous échappait : il s’agissait de rendre des comptes à la Justice, ce qu’ont fait M. Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, pour injures raciales et, la semaine dernière, M. Tron, ancien secrétaire d’Etat, pour viols en réunion. Racisme et podophilie, quoi de mieux pour affecter la réputation d’un gouvernement et, selon le mot bienvenu d’un ministre, “abîmer l’image de M. Sarkozy alors qu’elle commence à changer (!)”. Insistons sur ce M. Tron. Nul n’ignore que c’est M. Balladur qui avait introduit ce prédateur d’orteils dans le monde politique. Celui-ci s’était-il exercé sur les augustes pieds de M. Balladur lui-même et ses chaussettes cardinalices1, ce qui motiverait ses promotions ultérieures ? Aurait-il même accédé aux ripatons de feu M. Robert Bordaz, autrefois directeur général de la Radio télévision française et inséparable ami du futur Premier ministre, à tel point qu’à l’époque on les surnommait MM. Bordure et Balladaz ? Nous grillons de tout savoir, ce qui apporterait une utile dose de bouffonnerie dans une affaire qui jusqu’ici trempe dans le sordide ? A l’imitation de l’extrême droite, voici qu’une part

de la gauche se précipite dans le protectionnisme. Cela ne concerne pas que M. Mélenchon et les vieux habitués du chauvinisme révolutionnaire. On trouve aussi cette idée chez le démondialisateur M. Montebourg et, quoique de façon plus sournoise, dans le programme du Parti socialiste lui-même. L’intérêt du protectionnisme, c’est qu’il n’existe pas d’exemple historique depuis la chute de l’Empire romain où la rupture des grands ensembles, la contraction des échanges et la multiplication des taxes à l’importation n’aient produit d’horribles représailles, d’où un ralentissement économique, une vive dégradation du niveau de vie et, souvent, la guerre. Encore faut-il que le pétulant M. Montebourg et d’autres socialistes puissent se montrer crédibles et persuader le peuple qu’ils s’apprêtent à appliquer cette dangereuse politique avant d’y renoncer. On aura du mal à y croire : Britanniques et Allemands n’accepteront jamais de voir l’Europe s’enfermer dans ses frontières. Alors, revenir au franc ? Lorsque les propositions des candidats paraissent si manifestement orientées vers la défaite, les citoyens ne pensent pas que leurs promoteurs oseront les mettre en œuvre si par hasard ils parvenaient au pouvoir : du coup, ils votent pour eux. (à suivre…) 1. Faut-il rappeler que M. Balladur portait des chaussettes de cardinal, lesquelles sont pourpres ? 29.06.2011 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

Producteur de coton du Nordeste brésilien

Florent Desmarchez

le projet “agro-écologique” de Veja se double d’un volet social

bien dans leurs baskets Fabriquées à partir de matières naturelles et dans le respect de l’environnement et des gens, les baskets Veja sont bio, belles, et ne coûtent pas plus cher qu’une paire d’Adidas. La raison ? Simple : la marque a proscrit la pub.



rès vite, elle pue. Du fait du pied nu de l’ado en plein chambard hormonal frottant les matières synthétiques. Et puis elle s’avachit, se décolore. Et il faut bientôt racheter une nouvelle paire, de telle ou telle marque, en fonction de la saison, des nouvelles collections et, surtout, du dernier spot de pub qui fait kiffer. A son tour, celle-ci sera vite jetée. Les fondateurs de la marque Veja voient eux aussi la basket comme un symbole générationnel. Mais plus encore comme la représentation de la domination Nord/ Sud, et ils ont voulu riposter. Leurs baskets bio sont faites de coton naturel cultivé dans une coopérative de l’aride Nordeste brésilien, sans engrais ni engins motorisés. Pour le caoutchouc des semelles, la marque fait appel à des saigneurs d’hévéas amazoniens, aux confins de la Bolivie et du Pérou, et une convention a été passée avec des tanneurs de cuir qui travaillent de façon traditionnelle, sans utiliser le chrome, avec des extraits végétaux comme l’acacia.

Le projet “agro-écologique” de Veja se double d’un volet social : rémunérer équitablement les travailleurs engagés dans la production des baskets. Là où d’autres grandes marques délocalisent, en Chine par exemple, et où les ouvriers payés une misère dorment entassés dans d’étroits dortoirs sur le site même de l’usine, Veja a le souci du bien-être de ses employés. Et elle ne s’arrête pas en si bon chemin : les produits finis sont acheminés par porte-conteneurs jusqu’au Havre, puis par barges jusqu’à un entrepôt de Gennevilliers.

Et ce sont des ouvriers d’Ateliers sans frontières, une association de réinsertion par le travail, qui se chargent des expéditions vers les différents points de vente (triés sur le volet, on s’en doute, pour leur engagement social et environnemental). Un sans-faute sur toute la ligne ! En bout de chaîne, les Veja sont surtout des baskets au design et aux coloris ultramode. Et si elles ne coûtent pas plus cher que les autres, c’est simplement parce qu’elles se vendent sans publicité. Le bouche à oreille et les réseaux sociaux font le boulot. Là est la différence ! Pour les autres marques, la part de la pub et du marketing dans le prix de revient représente jusqu’à vingt fois le coût de fabrication. La saga Veja commence en 2005. Sortis des grandes écoles, Sébastien Kopp et son complice François-Ghislain Morillion ont décroché de bons jobs, l’un dans la banque Morgan Stanley à Washington, l’autre comme analyste à la Société générale de New York. Mais les deux amis rêvent mieux que de grimper les échelons de la finance internationale. Ils fondent alors une association destinée à auditer les modes de fabrication et l’engagement dans le développement durable de quelques grandes entreprises (General Electric, EDF, Lafarge, Carrefour…). Et, sponsorisés par celles-ci, ils s’offrent un beau tour du monde, de l’Inde au Brésil en passant par la Chine et l’Afrique du Sud. Une fois leur rapport rendu – un document déprimant, tant ce qu’ils ont vu sur le terrain les a abasourdis –, ils choisissent de retourner au Brésil. Et se jettent à l’eau. Sébastien et François-Ghislain ont des raisons d’être contents. Plus qu’un bon produit, ces activistes ont inventé un modèle économique, respectueux de l’environnement autant que des gens. Et rentable : ils annoncent un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros pour 2011. Ils disent exécrer la pub ? Euh… pour une fois, c’est raté. [email protected]

agir bio www.veja.fr ; à visiter : le conceptstore Centre commercial, 2, rue de Marseille, Paris Xe. Dans cette élégante boutique proche du canal Saint-Martin, Veja expose d’abord ses croyances. Et, les bons soirs, y organise des débats enlevés.

Voir aussi : eco-sapiens.com, sorte de catalogue de La Redoute inventoriant tous les achats éthiques possibles. Et l’Ethical Fashion Show, organisé par Isabelle Quéhé. Du 1er au 4 septembre au Carrousel du Louvre, www.ethicalfashionshow.com

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que fait la police ?

En patrouille et en intervention, nous avons suivi la CSI, compagnie de sécurisation et d’intervention, à Paris et en petite couronne. par Camille Polloni photo Ludovic Marin/Réa

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O

n ne parle jamais des photographes de presse. Ludovic Marin est un grand gaillard, la quarantaine, des lunettes. Il parle d’une voix tonitruante et conduit un scooter. Depuis janvier, il accompagne les policiers des compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI) de Paris et du 93. Ces flics-là font de tout : renfort des effectifs sur les arrondissements intra-muros et les communes de banlieue, pétages de portes pour des perquisitions, maintien de l’ordre sur des gros événements comme les manifs contre les retraites de l’automne 2010, la Fête de la musique ou diverses situations de violences urbaines (bagarres, émeutes, casseurs). Quand Ludovic nous a montré ses photos, on n’a pas hésité longtemps. Celle où des jeunes squattent un canapé entre des barres d’immeubles (p. 54) nous a fait penser à The Wire (Sur écoute). On le lui a dit mais il ne connaît pas cette série américaine. “Il me faudrait quelqu’un

pour érire le texte qui ira avec le portfolio.” Une autorisation plus tard, c’était parti pour quelques jours de patrouille en voiture avec des gardiens de la paix en tenue. La CSI 75 existe depuis 2003 (même si elle a changé de nom). En comparaison du manque de moyens dénoncé régulièrement par les flics de commissariats, elle est plutôt favorisée. Des locaux en bon état dans le XVIIe, où cohabitent deux cent quarante policiers, des véhicules corrects, des flash-ball, des uniformes bleu nuit proches de ceux de la BAC (brigade anticriminalité), l’attirail complet des forces de maintien de l’ordre. Pour jouer avec les sirènes, les conditions sont idéales. Dans la bagnole, les bleus comparent les reportages successifs sur cette compagnie emblème de la police d’agglomération, dont les compétences s’étendent à toute la petite couronne. C’est un peu morne depuis trois mois. Les consignes du préfet orientent toute l’action de la CSI vers le “nettoyage” de Paris : il faut chasser les vendeurs

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Aubervilliers (93). Deux policiers cherchent les auteurs d’une agression qui se sont enfuis sur les voies de chemin de fer, derrière le grillage, non loin d’un transformateur EDF. L’herbe et le décor industriel longent un quartier d’habitation. Dans le 93, la police passe sans cesse d’un univers à l’autre, des immeubles aux friches, du terrain vague au bitume

La Courneuve (93). Un individu sans casque sur un scooter sans plaque échappe à une patrouille après de nombreuses acrobaties. En Seine-SaintDenis, les rodéos en deuxroues se terminent rarement à l’avantage de la police

Valenton (94). Séance trimestrielle d’entraînement à la lutte contre les violences urbaines, sur un site industriel désaffecté. D’un côté, les policiers des CSI (75, 92, 93, 94) en tenue de maintien de l’ordre. De l’autre, des adjoints de sécurité volontaires pour l’exercice jouent les “JV” (“jeunes voyous”). Au menu : grenades lacrymogènes et fumigènes, charges et jet de projectiles 29.06.2011 les inrockuptibles 51

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à la sauvette (désormais un délit) et les étrangers en situation irrégulière – beaucoup de Tunisiens arrivés depuis la révolution –, afficher du bleu aux carrefours touristiques de la capitale. Sur un boulevard, un type vend du maïs sur un chariot. Les policiers lui parlent doucement : “Il faut partir, monsieur, vous savez que c’est interdit. Si on repasse, on devra vous emmener et saisir le matériel.” Le vendeur s’éloigne, un gardien de la paix décode : “On ne repassera pas et on sait bien qu’il va se remettre dix mètres plus loin. Bien sûr que c’est inutile mais je serais plus embêté si on nous obligeait à l’emmener. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.” Contrairement à bien des services, la CSI n’est pas soumise à la pression des indicateurs de performance. Vue comme une force d’appoint, quelles que soient les missions, son action n’est pas considérée comme mesurable à tout prix. Dans le XIXe arrondissement, ce jour-là, la patrouille mène une activité de police de proximité : contraventions pour les deux-roues sans plaque, confiscation de boulettes de shit, passage de plaques d’immatriculation au fichier des véhicules volés. Pas d’interpellations, surtout de la présence. Les flics tournent en voiture et descendent quand ils repèrent quelque chose de suspect. On passe à Stalingrad, ancien spot des fumeurs de crack, plusieurs fois par jour au cas où. Bientôt un resto chic ouvrira

dans la Rotonde, le ménage a été fait. En banlieue, c’est autre chose. Sur les murs de la cité du Luth à Gennevilliers, des tags “Fuck la police” d’un mètre de haut sont graffés pour être vus depuis le boulevard qui longe les immeubles. Sauf en cas de consigne spécifique, les véhicules siglés n’entrent pas. Pas par peur mais parce que toute “intrusion” peut donner lieu à un caillassage, et donc à un incident provoqué par la seule présence policière. “Il faut arbitrer et voir si le jeu en vaut la chandelle ou pas.” Et toujours regarder en l’air pour éviter les projectiles : un réflexe. Même quand les uniformes n’y vont pas, d’autres enquêtes se déroulent de manière plus discrète dans ces quartiers, où les commissariats manquent mais où les forces d’intervention agissent. Mi-CRS, mi-îlotiers, les agents de la CSI s’attaquent à “toutes les formes de délinquance mobile, dynamique”, explique le commissaire David Le Bars, le grand patron. Sous ses ordres, trois compagnies en tenue, un groupe civil et les motards qui vont toujours par deux, surnommés les Twix. “On aura toujours une variété de missions, parfois des sauvettes, parfois de grosses séquences de violences urbaines, selon ce que décide l’état-major.” La chaîne de commandement répond aux priorités politiques du moment. On lui demande s’il regarde The Wire. “Bien sûr, un chef-d’œuvre. J’ai tout vu.”

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Villeneuve-Saint-Georges (94). Page de gauche : intervention dans l’appartement familial d’un homme soupçonné de trafic de drogue, à 6 heures du matin. L’individu est menotté dans son lit, juste éclairé par la lumière du Taser. Ci-dessus : les hommes du groupe de soutien opérationnel (GSO 75), spécialistes des ouvertures de portes et des opérations à risque, allument la lumière pour la perquisition, au cours de laquelle seront découvertes deux armes à feu

Sevran (93). Cité Basse. Quelques heures après des coups de feu au milieu de la cité, vaste opération de fouille. Dans ce seul immeuble, le chiffre d’affaires des trafiquants se monterait à 30 000 euros par jour. Les dealers obstruent le passage pour retarder les policiers et empêchent aussi les habitants de circuler normalement

Le Blanc-Mesnil (93). Cité Pasteur. Visite des caves et parties communes d’un immeuble, monopolisées par les dealers. Le labyrinthe des souterrains leur permet d’échapper à toute descente inférieure à trente policiers. Ce soir-là, les trafiquants ont gazé derrière eux pour retarder l’arrivée de la CSI 93 29.06.2011 les inrockuptibles 53

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Sevran (93). Cité Basse. Les policiers sécurisent le travail des serruriers venus poser une porte blindée pour interdire l’accès à un appartement squatté par les dealers. Ci-dessous : ces derniers patientent sur un canapé au pied de l’immeuble sous les yeux de la CSI 93, avant de détruire à nouveau la porte métallique juste posée pour reprendre possession de “leur” quatre-pièces

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Saint-Denis (93). Avec le système Lapi (lecture automatisée des plaques d’immatriculation), la CSI 93 guette les voitures volées

Paris, porte de Saint-Ouen (75). Les policiers, pris d’un doute sur les plaques, arrêtent une voiture. Les quatre jeunes gens à bord transportent 1 500 euros en liquide et un peu de shit mais aucun délit ne permet d’approfondir le contrôle

Gennevilliers (92). Pause MacDo pour la CSI 75 entre deux patrouilles de renfort dans la cité du Luth, théâtre d’échauffourées fréquentes et violentes entre la police et les jeunes sur fond de couvre-feu pour les mineurs. Les policiers emportent leur repas dans les commissariats de quartier où les amènent leurs missions 29.06.2011 les inrockuptibles 55

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1. L’Haçienda ressemblait à une usine (à gaz) 2. Peter Hook et Stephen Morris, bassiste et batteur de New Order, ici en 1985. Malgré lui, le groupe a servi de mécène du club

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le grand incendie Début des 80’s, l’Haçienda ouvre à Manchester. Dans ce lieu novateur naissent les DJ, la house et l’ecstasy. JD Beauvallet y était. C’est le premier volet d’une série estivale sur les clubs qui ont marqué l’histoire. par JD Beauvallet

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artir au front. Dès le 21 mai 1982, le NME a publié chaque semaine mon ordre de mobilisation, un encart publicitaire annonçant les concerts d’un nouveau lieu de Manchester : The Haçienda. Le club est fondé par Factory Records, label dont je collectionne religieusement chaque disque. Comme tout ce qui a marqué l’histoire de Factory – du chat des bureaux à une gueule de bois carabinée –, le club possède son numéro de catalogue : Fac 51. On peut devenir membre, posséder un numéro Factory. Je n’hésite même pas : Factory, l’Haçienda et Manchester m’appellent – je n’ai plus le choix, je réponds à l’appel. Je débarque à Manchester en mai 1983 pour le premier anniversaire de l’Haçienda – on peut toujours en voir l’affiche encadrée dans mon bureau. Avant de déménager, sur une carte de la ville, j’ai pris un compas et tracé un cercle d’un kilomètre autour de Whitworth Street : je ne veux pas vivre plus loin de l’Haçienda. Dans le quartier d’Hulme, je déniche un appartement partagé par des étudiants, sur Bonsall Street – entièrement rasée aujourd’hui. Des fenêtres condamnées avec de la tôle ondulée, des coursives coupe-gorge : c’est parfait, je suis à Manchester, au cœur de la matière. Avant même d’aller acheter un matelas, je réserve ma première visite à l’Haçienda. J’exulte en recevant ma carte de membre : pour la vie, je serai le n° 9014. Le soir même, me voilà au 11-13, Whitworth Street. Cet ancien entrepôt de bateaux est gigantesque, son décor intimidant : un espace inouï, hommage fier et arrogant à l’héritage industriel de la ville d’où est

partie la révolution industrielle, designé par l’architecte Ben Kelly et le graphiste Factory, Peter Saville. Le bâtiment pionnier, on le copie encore sans vergogne en 2011, des musées aux temples de la mode. Les bornes de circulation qui entourent la piste de danse, les poteaux sanglés de bandes jaune et noir : tout rappelle qu’il s’agit d’une usine, une factory. Entre private jokes et manifestes, Factory raffole des messages codés : ainsi le nom The Haçienda. Le boss du label, Tony Wilson, théoricien du mouvement punk et donc bullshiter, a lu les situationnistes, notamment le Formulaire pour un urbanisme nouveau d’Ivan Chtcheglov. Un texte fulgurant qui affirme : “Il faut construire l’Haçienda.” “The Haçienda must be built” deviendra le mantra de Factory : une utopie, un laboratoire, à la fois lieu de rencontres, de concerts, de croisements entre les quartiers, les âges… Dans une ville où les clubs pratiquent une sélection impitoyable à la porte, l’Haçienda reste ouverte à tous. Pour ce projet révolutionnaire pour l’époque et la ville, Tony Wilson a trouvé un financement de poids : les royalties de New Order, le groupe phare de son label. Rentré d’un séjour à New York, le groupe a vu l’avenir : c’est la nuit. Barney Sumner, chanteur : “A New York, je passais ma vie dans les clubs comme la Danceteria, Peppermint Lounge, Paradise Garage… Alors qu’en Angleterre, les clubs étaient très coincés, pour les vieux. Ça a bouleversé ma vision de la musique.” Sur une erreur de programmation de sa boîte à rythmes, le groupe sort en mars 1983 le single qui allait entraîner l’Angleterre de la new-wave vers la dance-music : Blue Monday. Avec ses chiffres de ventes record, il éponge avec patience 29.06.2011 les inrockuptibles 57

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la foule mue en un magma gluant, hurlant, les yeux dans le vide les dettes de l’Haçienda. Car un an après son ouverture, le club est un fiasco. La plupart du temps, quand il n’y a pas de concert, il reste vide et glacial. Nous ne sommes souvent qu’une poignée à errer dans cette “usine”, le staff est plus nombreux que nous : il y a parfois même davantage de musiciens sur scène que de public. Avant de rempiler en 2010 et d’ouvrir à Manchester une version réduite et un rien musée Grévin de l’Haçienda (The Factory), Peter Hook, bassiste de New Order, a écrit un livre très drôle et affolant sur ses années Haçienda : How Not to Run a Club – “Tout ce qu’il ne faut pas faire quand on tient un club”. Le gâchis d’argent est ainsi proportionnel aux revenus de plus en plus fournis de New Order. Même la géniale programmation de concerts ne suffit pas à faire vivre le club. En quelques jours, on pouvait pourtant passer des Cramps à Divine, de Grandmaster Flash aux Pale Fountains, des Cocteau Twins aux Violent Femmes, d’une débutante new-yorkaise godiche qui se fera ensuite un petit nom sous le sobriquet de Madonna aux Smiths… C’est pour ceux-là que je vis pour la première fois l’Haçienda archi-bondé – “Tonite Manchester explodes”, jurait l’affiche ce 24 novembre 1983. Ce lieu destiné à la fête tient enfin vraiment son rôle : on s’agite, on s’étreint, on forme des petits tas bien sympathiques de gens dans une orgie de fleurs. Au mieux, l’Haçienda n’attire son public que le week-end, avec une programmation qui malaxe disco, hi-NRG, go-go, hip-hop ou electro. Mais la salle reste trop vaste, trop froide et le public trop hautain pour que démarre enfin le grand incendie. C’est la soirée Nude, qui prend ses quartiers le vendredi soir à partir de 1986, qui se charge de l’étincelle : les DJ Mike Pickering et Little Martin ont rapporté des Etats-Unis la house music, bête sauvage et curieuse. Personne ne se remet de cette perversité dégoulinante, de cette transe urbaine. La direction du club profite des vacances d’été de Tony Wilson pour tenter un pari : supprimer les concerts qui ne rapportent rien et les remplacer par des DJ. Moribond quelques semaines plus tôt, l’Haçienda devient le centre névralgique de la nuit mancunienne, puis anglaise, avec des mois d’avance sur le reste de l’Europe. Mais Pickering n’en reste pas là et en 1988, avec Jon Dasilva, largue la bombe de l’acid-house sur ses platines. Des morceaux jusque-là inconnus deviennent des tubes énormes, provoquent l’hystérie entre les murs du club. L’Haçienda – avec sa nouvelle soirée thématique Hot – ne désemplit plus, mais ne gagne pas d’argent pour autant : gavés d’ecstasy (qui fait la fortune de dealers comme les futurs Happy Mondays), les danseurs consomment au mieux de l’eau. Or la pompe à bière représentait la seule chance du club ! On ne reconnaît plus le lieu que l’on avait découvert en 1983 : dérive des continents, Ibiza s’est amarrée sur les bords du proche Bridgewater Canal. La salle, que l’on avait connue si austère, n’est plus qu’une explosion de couleurs flashy, la kermesse du sifflet – voire de la

corne de brume. La foule danse jusque sur le balcon, les coursives, les escaliers. Les DJ deviennent des divinités, la cabine suspendue un autel vers lequel se tendent des mains extatiques. La foule mue en un magma gluant, liquide, hurlant, les yeux dans le vide. Le rock et la dance music, vieux adversaires, pactisent à outrance : Stone Roses, Happy Mondays, Inspiral Carpets, etc. Manchester est mort, Madchester fait danser la pop music sur des rythmes hédonistes, avec des pupilles et des pattes d’ef aussi larges les uns que les autres. La fête durera non-stop jusqu’en juillet 1989 et au décès à l’Haçienda de la jeune Clare Leighton : hémorragie interne après une prise d’ecstasy. L’incident restera isolé dans une ville où l’on gobe les E’s avec frénésie : mais la police de Manchester, dirigée par James Anderton, un illuminé convaincu que Dieu lui parle en direct, se persuade, avec raison, que c’est dans le club que se règle un massif commerce de drogue. Le flic Anderton recevra d’ailleurs les honneurs d’une chanson des Happy Mondays, God’s Cop : il a ruiné à lui seul leur florissant business. Début 1991, la police ferme provisoirement le club : le temps de l’obliger à faire le ménage à l’intérieur comme à l’extérieur. Car la mafia locale a mis la main sur l’Haçienda : elle gère la sécurité, les entrées, les trafics. En quelques années, Madchester est devenu Gunchester : les différends entre gangs se règlent au fusil à canon scié, à la machette… L’Haçienda, racketté sans retenue, perd des sommes colossales. Au début des années 90, Madchester se réveille de son orgie de drogues et de danse avec une solide gueule de bois : la dance-culture, si puissante jusqu’ici, s’effiloche. Le club continue de perdre de l’argent. Après avoir perdu sa licence IV, la direction renonce à l’été 1997. Cette épopée unique s’achèvera par un concert de Spiritualized : jamais un club n’aura, en Europe, inventé, façonné puis diffusé une culture aussi vaste et populaire. Le bâtiment sera vendu à des promoteurs immobiliers et les décorations intérieures disséminées aux enchères, jusqu’aux lames de parquet du dance-floor. Quand on a connu une vraie scène et sa version cinématographique, on ricane en général de la caricature que la fiction donne de la réalité : pour avoir vécu de l’intérieur quelques scènes racontées par le film 24 Hour Party People que Michael Winterbottom a consacré à ces années Factory et Haçienda, je peux garantir que le film reste largement en dessous de la réalité, de son énormité, de son absurdité, de sa folie. Sinon, personne n’y aurait cru. www.fac51thehacienda.com et aussi Sur L’Haçienda ainsi que sur les clubs qui ont marqué l’histoire de la musique électronique, (re)lire Le Chant de la machine (2000-2002), BD de David Blot et Mathias Cousin, rééditée chez Manolosanctis la semaine prochaine le Berghain à Berlin

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1. 6 juillet 1988, des danseurs défoncés. Comme par hasard, Bez des Happy Mondays est parmi eux (deuxième à gauche, en T-shirt blanc) Ian Tilton/Retna Pictures

2. 1992, ambiance gogo-dancers 3. 27 janvier 1984, première visite de Madonna en Europe

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Jim Duxbury/Rex Features

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Coll. Prod DB

Fantômas de Paul Fejos (1932)

Fantômas l’éternel revenant

Il a fasciné les surréalistes, inventé le cinéma d’action, hanté les exactions de Carlos ou Ben Laden. Histoire d’un héros centenaire qui a irrigué le XXe siècle. par Philippe Azoury et Jean-Marc Lalanne

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n nous dit qu’il a 100 ans. L’état civil ne ment pas : c’est bien en 1911 que le journaliste Pierre Souvestre et le juriste de formation Marcel Allain publient chez Fayard le premier tome avec pour héros le redoutable malfaiteur masqué. En pleine vogue de la littérature criminelle, et pour lancer sur le marché un concurrent à l’Arsène Lupin de Maurice Leblanc, les deux hommes inventent ce maître du crime dont nul ne connaît l’identité et qui, par une maîtrise hors pair du déguisement, peut les prendre toutes. En seulement deux ans, encouragés par une immédiate adhésion populaire, les frénétiques feuilletonistes produisent quelque chose comme trente-deux volumes d’aventures terrifiantes et de méfaits attribués au seul Fantômas. Mais, chichiteux, on pourrait aussi dire que Fantômas a 102 ans, car c’est en 1909 que sont publiées dans un journal porté sur l’actualité naissante de l’industrie automobile (L’Auto) les aventures en épisodes de l’homme cagoulé. De toute façon, son âge réel a toujours été un problème (entre autres). Une lectrice passionnée s’est par exemple amusée à relever dans ces trente-deux volumes toutes les propositions circonstancielles de temps : “un an plus tard”, “après six mois”, “c’est au bout de deux ans”...

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Selva/Leemage

Puis elle a additionné et a écrit une lettre à Marcel Allain pour le prévenir que son héros avait dans les 210 ans. Il n’avait pas 2 ans et déjà il mentait sur son âge. A la naissance réelle se superposent toutes les naissances symboliques. Celle par exemple qui survient dans les années 20. Au-delà du très vaste lectorat populaire auquel il était voué, c’est surtout la conquête rapide d’un second public, plus inattendu, qui consolide sa gloire. Car c’est bien pour Fantômas (et non pas Rouletabille ou Arsène Lupin, entre autres vaches à lait de la littérature populaire de l’époque) que va s’enflammer l’imagination des surréalistes. Cette alliance du bandit et du dandy, ce raffinement dans la cruauté, et surtout cette combinaison entre la puissance et l’invisibilité, affolent l’avant-garde artistique. Max Jacob lui consacre deux poèmes ; Blaise Cendrars évoque “un poème élastique sublime” ; sur une musique de Kurt Weill, Robert Desnos écrit La Complainte de Fantômas ; dans Opium, Jean Cocteau loue sa “désobéissance aux règles”, son “courage instinctif” ; Apollinaire enfin s’enthousiasme pour ce “roman extraordinaire, plein de vie et d’imagination, écrit n’importe comment”.

Le tome 20 de l’intégrale qui comprend 32 volumes

La couverture du premier volume des aventures du bandit masqué (1911)

Coll. Prod DB

Photothèque René Magritte, ADAGP

Le plus beau compliment, c’est bien sûr “écrit n’importe comment”. Pas n’importe comment d’ailleurs mais bien dans la plus grande insouciance du style, avec une contrainte de rendement faramineuse. Et donc dans l’invention d’une méthode : Souvestre et Allain écrivaient des chapitres chacun dans leur coin, faisaient évoluer l’histoire et les personnages dans l’ignorance de ce que l’autre en faisait, et rapiéçaient l’ensemble pour que cela tienne. D’où ce sentiment très fort de collage, de récit aux proliférations folles, d’anarchie narrative et de disparité stylistique, d’exquis René Magritte cadavre qui a immédiatement soulevé l’admiration devant avisée des apôtres de l’écriture automatique. sont ableau Une des renaissances de Fantômas survient très peu Le Barbare à la London de temps après son apparition, en 1913, lorsque Gallery, 1938 la toute jeune firme Gaumont achète les droits du feuilleton et confie à son directeur artistique, Louis Feuillade, le soin de l’adapter en épisodes d’un peu moins d’une heure. Avant Feuillade, le cinéma devait beaucoup au théâtre, restait confiné dans des espaces scéniques. Avec Fantômas, le cinéma se range dans le camp du roman-feuilleton contre le théâtre et s’élance dans la ville, parcourt des décors réels, se lance dans d’affolantes courses poursuites en train ou en automobile, manie les téléphones et les télégrammes, enregistre l’éclosion d’un monde nouveau tandis qu’agonise la Belle Epoque. “Feuillade a inventé le cinéma américain”, a dit un jour Jean-Luc Godard. Il a en tout cas créé le prototype du cinéma d’action et de spectaculaire technologique qui vaut aujourd’hui encore comme lointain modèle. Si les surréalistes ont aimé l’insoumission du personnage, sa façon de semer la panique sociale, c’est plutôt son habileté à manipuler le visible qui le destinait à devenir un parfait sujet cinématographique. Toutes les avancées techniques ont permis d’accroître sa puissance. Dans les films de Feuillade, c’est l’acteur Valgrand qui interprète le roi du crime, et ses métamorphoses tiennent encore à des accessoires de théâtre (postiches, costumes). L’invention du montage (qui a permis à un même acteur de dialoguer en champ/contrechamp avec lui-même – dans la série Le héros malfaisant en mode pop sixties : Fantômas se déchaîne d’André Hunebelle avec Jean Marais et Louis de Funès (1965) des Fantômas de Hunebelle) puis celle de trucages 29.06.2011 les inrockuptibles 61

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La première adaptation au cinéma : Fantômas, le chefd’œuvre de Louis Feuillade (1913). “Feuillade a inventé le cinéma américain”, disait Jean-Luc Godard

Affiche du Fantômas de Jean Sacha (1947)

En 1980, Chabrol et Buñuel réaliseront une série en quatre épisodes

toujours plus sophistiqués ont décuplé la force de frappe de cette incarnation d’un génie du mal dont le plus grand des forfaits est d’endosser n’importe quelle apparence. La révolution des trucages numériques dans les années 90 a libéré toute la puissance que le vieux cinéma d’enregistrement analogique a trop longtemps contrainte. Dans les films pop sixties d’André Hunebelle, lorsqu’on arrachait au commissaire Juve un masque qui découvrait Fantômas, il fallait encore une coupe dans le plan, une petite manipulation de montage pour passer du visage de De Funès à celui, bleu glacé, de Jean Marais censé être en dessous. Dans Mission : impossible (sous grande influence fantomassienne), les masques s’arrachent en plan séquence unique et le visage de Tom Cruise apparaît sous celui de Jon Voight sans aucune coupe. Le mythe de Fantômas, ce corps sans apparence stable, appelait depuis cent ans l’invention du morphing. Moulé dans une combinaison noire, la tête encapuchonnée, il portait d’ailleurs dès sa naissance une panoplie proche de celle des comédiens doublures que les techniques de motion capture transforment ensuite en créatures d’animation 3D. Fantômas et le cinéma sont génétiquement jumeaux. Et un projet de nouvelle adaptation à grands frais signé Christophe Gans (Le Pacte des loups), dont le casting est en cours (Vincent Cassel venant de se désister), vient encore le confirmer. En dernière instance, la pérennité de Fantômas tient à la façon dont le mythe a su s’échapper de ses livres, de ses films, pour infiltrer directement le réel et infléchir la perception commune du monde. Fantômas a modelé une certaine idée de la malfaisance, aussi bien dans les médias que chez les malfaiteurs. On peut parler d’un complexe Fantômas chez le terroriste seventies Carlos qui, après avoir commis ses forfaits, allait le soir, sous une fausse identité, boire du champagne chez Castel avec des responsables de la police (exactement comme le faisait le criminel masqué soixante ans plus tôt dans un épisode de Feuillade) – il est d’ailleurs amusant que le réalisateur du récent biopic de Carlos soit Olivier Assayas, admirateur de Feuillade à qui il rendait hommage dans le grand film encagoulé Irma Vep. Il y a aussi du Fantômas chez Mesrine (l’éternel évadé, le goût des postiches, la manipulation des médias). Et plus encore chez Ben Laden, qui de sa grotte parasitait les canaux hertziens mondiaux avec ses vidéos, répercutant ses menaces acrimonieuses (une figure récurrente du Fantômas de Hunebelle). Fantômas est le méchant contemporain de la montée en puissance de l’espace médiatique, son génie est d’avoir inventé un terrorisme de communication ; il ne suffit pas de faire le mal, il faut encore le faire savoir. Fantômas n’est plus seulement un héros littéraire ou cinématographique mais un signifiant qui dans sa dérive à travers les champs et les époques sert toujours de décodeur. C’est par exemple encore à lui qu’on a pensé en 2009, lorsque la France a adopté un décret, initié par Michèle Alliot-Marie, interdisant le port de la cagoule lors d’une manifestation publique. Cela fait cent ans que les lecteurs de Fantômas le savent : les forces de l’ordre et les nantis, vestales d’une organisation sociale injuste, ont bien raison de se méfier des hommes à cagoule. Mus par une faim vandale d’anarchie et de désordre, ils n’ont qu’un seul objectif dans ce vieux monde : tout faire sauter.

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do it yourself avec Michel Gondry

dossier high-tech la création à la maison avec 129.06.2011 les inrockuptibles 63

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dossier

high-tech Soyez sympas, rembobinez de Michel Gondry (2008)

tous artistes le boom du do it yourself

idéastes en herbe, musiciens amateurs, bricoleurs passionnés de high-tech : avec les nouvelles technologies, chacun peut maintenant laisser libre cours à ses passions et à sa créativité. La multiplication des outils – du logiciel d’enregistrement à la caméra Full HD, du smartphone à l’imprimante 3D –, leur démocratisation, leur simplicité d’utilisation, la prolifération des modes de stockage et de partage permettent de s’exprimer et de se faire connaître, quels que soient les moyens financiers et les connaissances techniques. Ces nouvelles pratiques bouleversent la création culturelle et révèlent les talents de demain. Dans ce dossier, panorama des nouveaux instruments et de cette tendance, héritée du bricolage d’antan, qui mêle débrouille, réappropriation et inventivité. ACN

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dossier coordonné par Anne-Claire Norot illustration Laurent Blachier

66 Michel Gondry entretien avec un adepte du do it yourself

68 essais et art la pratique du cinéma se démocratise

70 films de fans ils recréent Star Wars chez eux 71 Antoine Charreyron, réalisateur connecté

72 créations libres papier, plâtre, ordi : l’art adopte le DIY 75 l’hyperconnexion révolutionne la photo

76 messieurs bricolage qui sont les makers, ces nouveaux bricolos ?

78 la gloire sans les labels comment les musiciens font tout tout seuls 80 la musique devient une expérience totale

81 boîte à outils une sélection de sites et de logiciels

82 shopping high-tech tout pour être un bon créateur à la maison

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système Gondrouille

Aussi à l’aise dans le low-tech que le high-tech, le réalisateur Michel Gondry prône une pratique collective de l’art. recueilli par Jacky Goldberg photo Rüdy Waks

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omment définiriez-vous le do it yourself (DIY) ? Michel Gondry – C’est la fabrication d’un objet qui ne requiert pas d’intervention d’une tierce personne. On n’a pas besoin de formuler l’œuvre a priori, on peut l’exécuter immédiatement, comme un solo de jazz. Ça va directement du cerveau à la réalisation finale. Quels sont ou quels ont été vos maîtres ? Tous les gens qui ont fait de l’animation dans leur coin : Norman McLaren, Youri Norstein, Bratislav Pojar, Lotte Reiniger... Mais aussi certains films de Marcel Duchamp, de Chris Marker, les cinéastes surréalistes… Parmi les réalisateurs contemporains, y a-t-il des gens qui vous passionnent ? Je pense à Pierrick Sorin, qui fait, tout seul ou presque, des vidéos très drôles. Il y a notamment celle, célèbre, où il se filme chaque matin au réveil pendant des mois, et apparaît de plus en plus fatigué. Mais sinon, une de mes influences majeures, c’est la chanson Pirouette, cacahouète. Vous savez : “Ma maison est en carton, pirouette, cacahouète, mes escaliers sont en papier, etc.” Votre passion pour le DIY remonte à la petite enfance ? Oui, et cette réputation m’a toujours suivi depuis. Quand j’étais à l’Ecole des arts appliqués, mes amis parlaient du système G à la place du système D : G pour Gondrouille. Quand j’étais au studio France Animation, où je bossais sur le dessin animé Rahan, j’avais fait des portraits de mes collègues avec des boîtes de camembert et des rouleaux de PQ. Et à un moment donné, quand je me suis demandé : “Est-ce que j’ai un style ?”, j’ai repensé à ça et je me suis dit : “Voilà, ça c’est ce que j’ai fait sans aucune influence...” Votre Usine de films amateurs à Beaubourg a fermé ses portes il y a peu de temps. Quel bilan en t irez-vous ? Il y a le bilan officiel : plus de trente films tournés, 4 500 participants – dont des critiques des Inrocks, ce qui m’a beaucoup touché : désormais j’ai une arme

contre vous, un truc à sortir si vous me faites des crasses (rires) – et 60 000 visiteurs. C’est très positif, donc. La bonne nouvelle, c’est qu’on a trouvé un entrepôt à Aubervilliers que le maire Jacques Salvator nous prête pendant cinq ans pour y installer l’Usine de films. C’est ce dont je rêvais depuis très longtemps : sortir des musées, faire un truc permanent où chacun pourrait revenir à sa guise, sans pression. J’ai l’impression que ça peut aider les gens d’un quartier à se rapprocher. Vous dites que le DIY, c’est quelque chose qu’on fait seul dans son coin. Pourtant, vos films (surtout Block Party, L’Epine dans le cœur, Soyez sympas, rembobinez) plaident pour une pratique collective de l’art, pour un art rassembleur. Le do it yourself rassemble parce qu’il donne le sentiment que tout le monde peut y arriver. Je me souviens d’être rentré d’un concert de The Cure, dans mon adolescence, avec l’idée que je pouvais moi aussi faire la même chose. C’était toute l’idée des punks : avoir envie de faire un groupe suffisait pour en faire un. J’ai l’impression que pour vous, le chemin compte plus que la destination, que l’art a avant tout des vertus pédagogiques… Quand on me demande mon avis, c’est ce que j’encourage. La panique de l’échec crée une paralysie qui empêche beaucoup de gens d’agir. Moi, je pousse les gens à faire, quel que soit le résultat. C’est aussi pour ça que je n’encourage jamais la compétition. On ne peut pas savoir a priori qui a du talent. Faire croire le contraire est très égoïste et prétentieux. Maintenant, en ce qui me concerne, le résultat a une grande importance (surtout si je suis payé). Avez-vous conscience d’avoir initié quelque chose ? Je vois surtout des jeunes qui sortent d’écoles de cinéma et viennent me dire que c’est grâce à moi qu’ils ont eu envie de faire des films. Ça me fait plaisir, bien sûr, mais je ne suis pas le seul à qui ça arrive... Si j’étais Lynch, j’imagine que ce serait pire (rires). L’autre jour, j’ai rencontré un danseur du groupe qui a fait ce clip très vu sur YouTube, où des jeunes

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“une de mes influences majeures, c’est la chanson Pirouette, cacahouète”

dansent à un coin de rue, à Oakland, sous la pluie (Turf Feinz – ndlr). Il m’a dit qu’il était fan de mes clips, qu’il avait grandi avec, m’a posé des tas de questions sur The Green Hornet. Ça m’a beaucoup touché. Grosso modo, ça fait dix ans que les instruments numériques, de plus en plus puissants, sont dans les mains de tout un chacun. Pensez-vous que ça a provoqué la révolution attendue du cinéma ? J’ai du mal à me rendre compte parce que je travaille toujours avec ma Bolex 16 mm, le top pour faire de l’animation. Ce dont je suis certain, c’est qu’aujourd’hui n’importe qui peut réaliser un court métrage avec les moyens du bord. Je ne peux que m’en réjouir.

Vous passez du temps sur YouTube ? Oui, pas mal, surtout quand j’ai du mal à dormir. Je revois des trucs que je connais par cœur, les Monty Python, des choses comme ça. Qu’est-ce qui m’a impressionné ces dernières années ? Pes, qui fait des films avec des objets de cuisine, Blu qui fait Muto, le graffiti animé… Mais je ne vais pas sur Facebook. C’est mon assistant qui s’occupe de ma page. Avez-vous déjà fait des films avec un téléphone portable ? Non, mais je vais l’utiliser pour le prochain, qui se passe dans le Bronx avec des jeunes dans un bus (The We and the I – ndlr). Tous les flash-backs seront tournés au téléphone. Mais pas à l’iPhone, je n’aime pas l’écran tactile, je n’arrive pas à m’y faire. Comme le super-8, le téléphone est souvent associé au souvenir ou au rêve... Oui, c’est sans doute vrai, mais j’en ai moins conscience que pour le super-8 dont j’ai des tonnes d’archives des années 70. Tout ce que les gens filment avec leur téléphone, en revanche, je me demande ce que ça devient une fois que c’est filmé. On peut imaginer que l’expansion du numérique va finir par favoriser, en réaction, un retour nostalgique vers l’analogique, non ? Oui, cela s’est produit en musique avec le vinyle. Mais je pense que ça restera forcément minoritaire. En revanche, je ne supporte pas les effets analogiques – de grain, de contraste, de couleurs, etc. – sur les images numériques. C’est de la triche. Il faut assumer son support. Et les gros effets numériques, type performance capture, ça vous intéresse ? Non, pas du tout. Je n’aime pas Avatar, je n’y crois pas à cette femme bleue, c’est du plastoc. Quand on me demande quel est mon film de superhéros préféré, je réponds Superman 3 qui est notoirement le plus mauvais. Je dois être ringard. Retrouvez les vidéos sélectionnées par Michel Gondry sur orange.lesinrocks.com 29.06.2011 les inrockuptibles 67

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essais et art La multiplication des nouveaux outils numériques a démocratisé la pratique du cinéma. Budget réduit, rapidité, souplesse : les jeunes réalisateurs en tirent parti. par Baptiste Etchegaray

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n 2004, Jonathan Caouette secouait le Festival de Cannes avec Tarnation, essai introspectif bricolé sur ordinateur portable à partir de photos de famille et d’images tournées en super-8 et DV. YouTube et son flux de vidéos amateurs postées sur la toile n’étaient pas encore nés, autant dire une autre ère. Sept ans plus tard, Caouette récidive avec Walk away Renée, présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique le mois dernier. Un road-movie psychédélique entre Houston et New York avec sa mère atteinte de sérieux troubles mentaux. Le dispositif est exactement le même : n’importe quel appareil photo, caméra, smartphone ou répondeur téléphonique est bon pour capter quelque chose. “J’utilise tout ce que j’ai devant moi !”, claironne le jeune cinéaste américain. Résultat : il a fallu deux personnes à plein temps pendant un an pour digitaliser 1 600 heures de rushes, plusieurs milliers de photos, 600 heures de conversations téléphoniques... “Ça finit par faire un budget ! La veille de la fin du montage, Jonathan tournait toujours...”, se souvient son producteur, Pierre-Paul Puljiz, mi-admiratif, mi-épuisé à l’évocation du tournage. “Dès qu’il a une idée, pof !, il appelle un copain, tout se fait dans la minute, chez lui. Sa maison a été transformée en studio, on l’appelle la Factory.” Jonathan Caouette fait partie de ces champions du do it yourself (DIY) qui jouissent pleinement de la liberté et de la démocratisation permises par le numérique. “Today, everybody’s a filmmaker (“aujourd’hui, tout le monde est cinéaste”), se plaît-il à répéter, en précisant quand même qu’il est préférable d’avoir quelque chose à raconter. C’est devenu aussi accessible qu’écrire

sur une feuille de papier. Lovely beautiful thing !” Hollywood ne s’est d’ailleurs pas encore remis de la bourrasque Paranormal Activity d’Oren Peli (2007), fabriquée avec 11 000 dollars et qui a récolté 100 millions de dollars rien qu’aux Etats-Unis. Encore plus fort, Ataque de pánico, film catastrophe de cinq minutes réalisé pour 300 dollars, a permis à un parfait inconnu, le vidéaste uruguayen Federico Alvarez, de décrocher un contrat en or à Hollywood pour son premier long métrage. Dès sa mise en ligne sur YouTube fin 2009, la vidéo (l’attaque de Montevideo par des robots géants) a été vue plus de 800 000 fois et même mise en lien sur le blog de Kanye West ! Devenu selon ses mots un “YouTube junky”, Jonathan Caouette ne se prive pas d’insérer dans ses montages des minividéos glanées sur internet. Promis, il a tous les droits d’auteur. En plein boom, cette pratique du copier-coller, de l’assemblage, du détournement à partir d’images récupérées sur le web, le toujours bouillonnant Forum des images à Paris vient justement d’y consacrer un nouveau festival, le MashUp Film Festival. Il n’a pas échappé à son initiateur et programmateur, Jean-Yves de Lépinay, que la multiplication des outils de montage numériques associée à ce réservoir illimité et indistinct d’images en ligne (un chef-d’œuvre de Tarkovski, le JT de la veille, une vidéo de surveillance...) entraîne “la naissance de nouvelles pratiques culturelles qui, si elles n’ont pas toujours de valeur artistique, ont incontestablement un sens social et produisent des questions sur les films”. Simple commentaire satirique, œuvre poétique, hommage cinéphile ou démonstration critique, 29.06.2011 les inrockuptibles 69

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Valérie Donzelli a tourné “La guerre est déclarée” avec un Canon 5D, appareil photo reflex qui intègre la vidéo au format HD le mash-up circule déjà à toute allure sur les sites de partage et les réseaux sociaux et n’en est certainement qu’à ses prémices. Signe des temps, le MashUp Film Festival a enterré le festival Pocket Films du même Forum des images consacré jusqu’à l’an dernier aux films tournés avec un téléphone portable ou un appareil photo. “Parce que la qualité de ces appareils est telle que les films fabriqués avec vont désormais dans les grands festivals”, constate simplement Jean-Yves de Lépinay. C’est si vrai que l’un des films qui ont marqué Cannes cette année, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, a été tourné avec le fameux Canon 5D, appareil photo reflex qui intègre la vidéo au format HD, nouvel avatar du fait maison. Ce boîtier à moins de 2 000 euros, sur lequel peuvent s’ajuster des objectifs classiques, est très populaire auprès d’une nouvelle génération de réalisateurs français désireux de faire leurs films “dans l’urgence”. Grâce à lui, Quentin Dupieux (Rubber, 2010) a pu “assouvir son besoin de filmer” en tournant un “film commando” sans même attendre de boucler son financement. Valérie Donzelli a pu tourner discrètement à l’hôpital sans lumière d’appoint, avec une toute petite équipe. “Ils étaient quelques-uns en scooter, aucune voiture sur le tournage !”, s’étonne encore Edouard Weil, son heureux producteur. “Quand j’ai rencontré Valérie après avoir vu La Reine des pommes (son précédent film en 2009 – ndlr), je lui ai demandé : Qu’est-ce qu’on peut faire tout de suite ?, je ne voulais pas attendre. Elle m’a raconté son histoire, le film s’est fait dans la nécessité.” Cette accélération, ou plutôt cette “libération” du temps, Céline Sciamma en a fait l’une des clés de Tomboy, subtile variation sur l’enfance : “Pour ce sujet-là, j’avais le désir de tourner vite, avec un dispositif léger. La rapidité d’exécution change les films, oblige à penser de nouvelles formes, à adopter de nouveaux gestes.” La productrice, Bénédicte Couvreur, a lu le scénario en mai 2010, réuni les fonds en juin-juillet (modestes : 700 000 euros) pour un tournage de vingt jours en août. “Cet appareil rend possibles les choses, donne un élan, reconnaît-elle. Mais ça ne change rien en terme de mise en scène. Je me méfie des effets de mode : ce n’est pas parce qu’on peut s’emparer de cet outil qu’on fait de meilleurs films.” Même avis du côté d’Edouard Weil : “On vit une époque où tout le monde se croit metteur en scène. N’importe qui peut acheter un Canon 5D et faire un film. Le producteur a une énorme responsabilité en tant que courroie de transmission entre les cinéastes et le marché.” Preuve en tout cas que les technologies du fait main touchent par contagion l’ensemble du cinéma français, même en son centre, Xavier Giannoli a inclus dans son nouveau film (production de 9 millions d’euros avec Kad Merad) des plans tournés avec un iPhone. Son producteur, Edouard Weil à nouveau, n’est pas près d’oublier Kad et Xavier revenant hilares avec leurs images tournées à l’arrache dans le métro.

Star Wars: Duality

Star Wars: Essence of the Force

les fans à l’école du web Réalisés avec les moyens du bord, les fan-films prolifèrent sur le net et leur qualité ne cesse de s’améliorer. par Jacky Goldberg

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i un jour, par hasard, vous entendez deux personnes discuter de Star Wars: Duality, ou de Star Wars: Essence of the Force, ne croyez pas que George Lucas a repris le chemin des studios sans vous prévenir (il n’oserait pas) : il a simplement autorisé des réalisateurs en herbe à bricoler des fictions à partir de son univers. Les fan-films sont des films, le plus souvent courts, réalisés par les fans d’un univers fictionnel préexistant (issu du cinéma, de séries télés, BD, livres, jeux vidéo...), à destination des fans de cet univers : du consommateur vers le consommateur, sans passer par la case producteurcopyright-star system. Le DIY roi, la seule récompense étant les milliers, voire les millions de clics sur

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high-tech YouTube ou Dailymotion. Et en sus, parfois, pour les plus chanceux, un petit mail de félicitations du créateur originel. En se promenant sur fanfilms.com, le site qui indexe de façon quasi exhaustive les œuvres du genre, on peut ainsi tomber, au hasard, sur Pirates of the Caribbean: Blood Is Thicker Than Water, Grand Theft Bicycle: Vice Alley, ou encore L’homme qui courait, dans lequel un fan français de Benny Hill se filme en train de courir (et de tomber) sur une musique enjouée... La parodie est ainsi le premier – mais pas le seul – réflexe du fan-boy qui souhaite rendre hommage à ses héros tout en amusant la galerie. La plupart sont indigentes mais on y trouve quelques pépites, comme ce Wes Anderson Spider-Man, trailer imaginant la rencontre entre Peter Parker et le père de Rushmore, vu plus d’un million et demi de fois sur YouTube. Pas mal pour un petit clip réalisé par un étudiant de 20 ans, au nom prédestiné de Jeff Loveness. Facilités par l’éclosion des sites de partage et des réseaux sociaux depuis 2005 ainsi que par la démocratisation des outils de création numérique, les fan-films existent en fait depuis longtemps. Clive Young, auteur en 2008 d’un livre sur le sujet (Homemade Hollywood, Fans Behind the Camera), fait remonter le phénomène à 1926, par un fan-film intitulé Anderson ’Our Gang, inspiré de courtes comédies avec des enfants, Les Petites Canailles. Plus tard, Andy Warhol donnera sa vision arty, campy et bien sûr unauthorized de l’homme chauve-

on est loin de la parodie entre potes et les meilleurs fan-films n’ont plus à rougir de la comparaison avec les originaux souris (Batman Dracula, 1964), avant que des baby David Fincher ou Christopher Nolan ne réalisent leurs toutes premières bobines de fans, dans les 70’s, les mains rivées sur leur caméra super-8, la tête dans le coffre à jouets. Depuis dix ans, les fan-films, dont la qualité a fait un bond gigantesque, sont devenus un phénomène de masse, plus seulement réservé aux conventions geek – à moins que le monde entier n’en soit devenu une. On est loin de la parodie entre potes et les meilleurs fan-films n’ont plus à rougir de la comparaison avec les originaux. Batman Dead End (“meilleur Batman jamais réalisé”, selon Kevin Smith), Batman: Ashes to Ashes (une sorte de “Batman meets Sin City”, réalisé par des Français), Kaydara (un sequel de Matrix qui a nécessité six années à ses concepteurs, français aussi) ou The Hunt for Gollum (hommage au Seigneur des anneaux avec un usage brillant du hors-champ pour masquer le peu de moyens) en sont des exemples. De ce dernier film, on serait même prêt à échanger les trente-huit minutes contre les dix heures (version courte) de la trilogie de Peter Jackson, si l’on ne craignait de se faire lyncher par des hordes de fans excités comme des Uruk-hai avant la bataille du Gouffre de Helm. Mais n’ayant pas le courage de Gimli, nous n’en ferons rien.

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créations libres Du plâtre, du papier, des pneus, des carcasses d’ordinateurs : conséquence de crise ou esthétique fait main, l’art est en pleine période DIY. par Claire Moulène

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Courtesy de l’artiste et gallery Gisela Capitain, photo Gautier Deblonde

evenus des années chic et fric, où l’art flirtait avec les industries culturelles, l’économie blockbuster du cinéma et la surenchère d’un marché de l’art boursouflé, les artistes des années 2000 sont en phase avec leur époque : celle

de la crise et du système D. Ils opèrent un retour au fait main, au low-tech et au slow art : films faits à la maison ou importés de YouTube sans passer par la postproduction, installations bricolées où le papier, le carton, le polystyrène et tous les matériaux pauvres se volent la vedette.

Karla Black, At Fault (détail), 2011 au Pavillon écossais de la Biennale de Venise 2011 72 les inrockuptibles 29.06.2011

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Courtesy galerie Chez Valentin

Signe de ce changement de paradigme, la publication en 2004 par le très avisé Hans Ulrich Obrist d’un petit manuel d’art contemporain “pour les nuls”, sobrement intitulé Do It. Conçu comme un recueil d’instructions, avec parfois croquis à l’appui, il permettait de réaliser soi-même cent soixantehuit œuvres historiques ou contemporaines signées Carl André, Michel Blazy, Richard Hamilton, Dominique Gonzalez-Foerster, Mike Kelley ou Ed Ruscha. Sept ans plus tard, ce penchant pour le do it yourself ne semble pas avoir pris une ride, il s’est simplement perfectionné et ramifié. Tour d’horizon d’une tendance aux enjeux multiples.

Photo Aurélien Mole

Nicolas Moulin, vue de l’exposition GOLDBARRGOROD à la Villa Arson, Nice, 2010

Ernesto Sartori, vue de l’exposition La Fureur de l’atome à la galerie Marcelle Alix, 2010

version bricolo C’est la tendance la plus identifiée et la plus partagée de ces dernières années. Au Pavillon écossais de la Biennale de Venise, la très hype Karla Black a conçu son exposition comme un concours de châteaux de sable avec ses sculptures-gâteaux en polyester, ses nœuds et rubans de cellophane rose tombant du plafond dans des amas de plâtre et de craie bleue et ses blocs de savon découpés. Du land art miniaturisé qui lorgne du côté de l’arte povera. Même passion pour les matériaux cheap et l’informe du côté de la Française Emmanuelle Lainé qui bricole dans son atelier de Sèvres d’étranges sculptures anthropomorphiques un peu freaks en terre cuite, pâte à papier ou plâtre. Une ode au home-made que l’artiste soulignait d’ailleurs lors de sa dernière exposition à la galerie Triple V en exposant directement des images grandeur réelle de son travail en atelier – la fabrique de l’art donc – et de ses sculptures restées à l’état de prototypes. C’est ce même souci de la gestation plutôt que de la phase finale qui intéresse l’artiste Ernesto Sartori qui échafaude des installations en bois peint, envahissantes et monumentales malgré leur facture bon marché. Plus pointu et surtout moins démonstratif, on assiste également depuis quelques années à un retour massif de l’archive et, avec lui, à une attention accrue portée à la matérialité et aux aspérités du support, à ce que l’historienne Arlette Farge nomme joliment dans son ouvrage-manifeste consacré aux archives judiciaires, le “bruissement monotone du papier”, à cette “archive glacée” sur laquelle “les doigts s’engourdissent et s’encrent de poussière froide au contact de son papier parchemin ou chiffon”. En France notamment, Mark Geffriaud

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high-tech ou Clément Rodzielski travaillent exclusivement sur ces images-écrans, des images en trois dimensions dont on envisage le relief, les pliures, les déchirures, le recto et le verso. version écolo Le retour en force du do it yourself passe aussi par un souci écologique qui n’épargne pas l’art contemporain. Nombreux sont les artistes décroissants qui travaillent à partir de déchets ou d’éléments recyclés : Douglas White et son palmier composé de pneus carbonisés, Christian Gonzenbach et ses totems aplatis réalisés à partir de carcasses de sèche-cheveux ou de téléphones portables, tous deux présentés dans l’expo Rehab l’hiver dernier à l’Espace Fondation EDF. Moins littéral et plus drôle, on peut répertorier l’invention paradoxale du Canadien Michel de Broin qui réalisait il y a quelques années un road-movie urbain à bord d’une voiture à pédales pas si écolo puisqu’elle finissait par entraîner des bouchons monstres dans les rues de New York, ou les modes d’emploi de Janice Kerbel destinés à créer des Home Climate Gardens susceptibles de s’adapter à notre mode de vie citadin.

nombreux sont les artistes décroissants qui travaillent à partir de déchets ou d’éléments recyclés version âge de pierre Et les nouvelles technologies ? S’il existe aujourd’hui un courant exclusivement dédié à l’art numérique – dont la Gaîté lyrique a fait son fonds de commerce depuis son ouverture il y a quelques mois –, il reste très minoritaire dans le champ de l’art contemporain, où on utilise les nouvelles technologies principalement comme des outils de production ou des matériaux bruts, jamais comme des médias en soi. Si des artistes comme Cyprien Gaillard, Giraud & Siboni ou Raphaël Zarka n’hésitent pas à puiser sur YouTube quantité d’images qu’ils “cutent” ou importent directement dans leur pratique, d’autres s’amusent au contraire à maltraiter les outils technologiques pour les faire retomber à l’âge de pierre. C’est le cas du Lituanien Zilvinas Kempinas qui

prend acte de l’obsolescence des bandes magnétiques et les utilise comme matériau dans ses installations flottantes activées à l’aide de ventilateurs, ou encore de Nicolas Moulin, fasciné par les ruines contemporaines, qui lors de son exposition à la Villa Arson agençait un nombre impressionnant de carcasses d’ordinateurs pour composer un paysage brutaliste et désolé rappelant l’architecture postsoviétique. Quant aux New-Yorkais Wade Guyton, Kelley Walker ou Meredyth Sparks, ils ressuscitaient la Factory de Warhol au début des années 2000, mettant en commun leur matériel – lasers, imprimantes, photocopieuses, scanners – pour retravailler dans un registre lo-fi des images trouvées dans des magazines ou sur le net et passées au filtre d’une imprimante bas de gamme ou d’un laser défectueux. Comme si, là encore, pour ces artistes pourtant biberonnés à Photoshop et aux moteurs de recherche, il s’agissait d’épuiser les outils technologiques, de les dépecer et de les subordonner pour en faire des matériaux comme les autres. Retrouvez un diaporama des œuvres sur orange.lesinrocks.com

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messieurs bricolage Grâce aux nouvelles technologies, les hippies d’hier sont les bricoleurs d’aujourd’hui : ouverts, partageurs et légèrement subversifs. par Anne-Claire Norot abriquer des enceintes portables, un petit kart, sa propre imprimante 3D ou un stabilisateur d’appareil photo, c’est aujourd’hui à la portée de presque tout le monde. Ou plutôt de tous ceux, de plus en plus nombreux, qui sont animés par l’esprit de la bricole et passionnés par la technologie. Aux Etats-Unis, fin mai, plus de 100 000 personnes se sont ainsi pressées à la Maker Faire de San Francisco, le plus grand festival de do it yourself (DIY) du monde, consacré aux sciences, à la technologie, à l’écologie et (un peu) à l’artisanat. Partageant le même enthousiasme, des bidouilleurs de tout poil – en majorité programmeurs, ingénieurs, geeks et fous de technique – ont présenté et fait la démonstration de leurs inventions. Parmi les succès de l’édition, les répliques de R2-D2, le télécran laser ou encore Fire Jam, un détournement du jeu Rock Band qui crache du feu dans les airs quand on joue de la guitare.

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Les Maker Faire ont été lancées en 2006 par Make Magazine, publication fondée un an plus tôt par Dale Dougherty. Son credo : nous sommes tous des “makers”, c’est-à-dire des créateurs, des inventeurs, des bricoleurs. Ces festivals sont organisés plusieurs fois par an aux Etats-Unis et désormais en Grande-Bretagne, mais ce n’est pas un hasard s’ils sont nés dans la région de San Francisco, à San Mateo exactement. Où trouver plus beau vivier de bidouilleurs que dans la Bay Area, à la fois berceau de la contre-culture et de l’industrie de l’informatique ? C’est là aussi qu’est paru dès 1968 le Whole Earth Catalog, bible des bricoleurs et des créatifs. Cette sorte de moteur de recherche avant la lettre expliquait où et comment se procurer toutes sortes de produits utiles pour devenir autosuffisant. Dans son livre From Counterculture to Cyberculture, Fred Turner estime que le Whole Earth Catalog “a offert à une génération d’informaticiens et de programmeurs une vision alternative de la technologie en tant qu’outil pour une

transformation individuelle et collective”. Cette vision se retrouve aujourd’hui chez les makers. Dale Dougherty : “Ils veulent comprendre comment marchent les choses, y avoir accès, les contrôler et les utiliser comme bon leur semble. D’une certaine façon, les bricoleurs d’aujourd’hui explorent les limites. Ils ne sont pas dans la norme, ils sont un peu radicaux, subversifs. Ils jouent avec la technologie pour découvrir ce qu’elle peut faire et probablement pour découvrir ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes.” La crise économique et la prise de conscience environnementale ne sont pas non plus étrangères à ce boom du bricolage high-tech. Le DIY encourage le recyclage et la récupération, plus durables que l’achat de produits neufs. S’adonner au DIY, c’est aussi prendre le temps de faire les choses, de se tromper et de recommencer dans une société de la vitesse et de l’immédiateté. Enfin, c’est s’affranchir de la production de masse pour avoir des produits personnalisés. “If you can’t open it, you don’t own it” (“Si tu ne peux pas l’ouvrir, ça ne t’appartient pas”) : la devise des makers est un appel au démontage, mais surtout à la liberté et au partage. Dans la communauté des makers et des hackers (leurs équivalents informaticiens), on se donne des coups de main et des conseils et on fustige l’égoïsme de la propriété industrielle. Dans un pur esprit hippie et open source, on réutilise les idées des autres, on les modifie, on les améliore – sans se préoccuper d’éventuels problèmes juridiques. Internet est évidemment au cœur du boom du DIY. Non seulement il permet de mettre en contact des internautes du monde entier qui bricoleraient le même robot ou le même boîtier étanche pour appareil photo, mais on y trouve aussi une multitude de vidéos explicatives et d’innombrables forums, du plus vulgarisateur au plus pointu, qui sont des mines de conseils. De nombreux sites proposent à la vente des outils, des

on réutilise les idées des autres, on les modifie, on les améliore

composants électroniques, des pièces détachées, des manuels. Sur d’autres, comme Instructables, les internautes proposent modèles et instructions. Pour le financement des projets, Kickstarter ou, en France, Kiss Kiss Bank Bank permettent de réunir des fonds par un système de souscription pour toutes sortes d’inventions et de projets. Enfin, des sites comme l’incontournable Etsy ou Dawanda permettent éventuellement de vendre sa petite production. Pour Dale Dougherty, l’existence de “super nouveaux outils” est une autre explication au décollage du making. Les imprimantes 3D, qui permettent de fabriquer des objets ou des prototypes en plastique, se sont démocratisées et on en trouve en kit pour 1 000 euros ou moins sur des sites comme MakerBot, RepRap Central ou RoboSavvy… La vedette incontestée du DIY technologique est l’Arduino, un boîtier électronique open source (environ 25 euros), programmable à l’envi, qui permet de réaliser des objets interactifs et automatisés – cafetière reliée à Twitter, verrou de porte à radio-identification, programmateur de machine à laver… Pour mieux partager leurs outils, leurs équipements lourds (machine à découpe laser, fers à souder…), leur expertise et leurs idées, les bricoleurs du XXIe siècle se retrouvent dans des ateliers collectifs, les hackerspaces. Hackerspaces.org en recense actuellement près de cinq cents à travers le monde, dont les célèbres Chaos Computer Clubs en Allemagne ou Noisebridge à San Francisco, et plusieurs en France (Breizh Entropy Lab à Rennes, Tetalab à Toulouse, Electrolab à Nanterre, /tmp/lab à Vitry-surSeine…). Plus structurés, les Fab Labs (Fabrication Laboratory) émanent du Massachusetts Institute of Technology. On en compte une cinquantaine dans le monde, dont l’Artilect Fab Lab à Toulouse (artilect.fr). Peu à peu, l’esprit maker gagne ainsi la France par le biais des écoles d’ingénieurs, internet nouvelle génération) et d’une culture profondément ancrée de l’artisanat et du système D, comme vient de la célébrer le DIY Festival de Nancy. 29.06.2011 les inrockuptibles 77

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la gloire

sans les labels

Création, clips, distribution, réseaux sociaux : il n’a jamais été aussi facile pour un musicien de prendre en main son destin artistique et commercial. par Thomas Burgel rise du disque ? Indubitable. Crise des labels ? Evidente. Crise de la musique ? Bien moins certaine. Inutile de revenir en détail sur l’avènement et la révolution du home studio : quelques instruments, un ordinateur et si possible un peu de talent suffisent depuis des années à une partie de la caste musicienne pour assurer la production de son œuvre. Mais la distribution et l’industrie musicales, elles, connaissent depuis quelques années de profonds bouleversements induits par la démocratisation d’une large palette d’outils numériques inédits. Une certitude se dessine : il n’a jamais été aussi facile pour un artiste de prendre en main son destin artistique et commercial de A à Z, sans passer par un label. Quelques semaines avant le séisme In Rainbows, publié de manière indépendante et à prix libre par Radiohead en 2007, les Québécois de Misteur Valaire tournaient le dos aux structures traditionnelles pour décider de tout faire tout seuls. “Ce qu’on voulait vendre et faire goûter aux gens, c’était nos concerts. Il était donc naturel, dès 2007, de donner Friterday Night, notre précédent album : il a finalement été téléchargé à près de 50 000 exemplaires. Pour Golden Bombay, qui vient de sortir en France, on a encore changé de modèle : on l’a fait financer par nos fans, par souscription, puis on l’a sorti à la fois en téléchargement à prix choisi et en magasin. Le résultat a été assez étonnant : on a vendu un album physique pour chaque album téléchargé.” Produire, financer, enregistrer un disque est une chose, le mettre à la disposition commerciale de tous en est une autre. Entrent en jeu les “agrégateurs”, par exemple Idol ou Believe en France. Mettez vos morceaux entre leurs mains, et ils les placeront sur l’intégralité des plates-formes digitales, moyennant commission. The Inspector Clouzo, grands maîtres français du do it yourself qui, quand ils n’enflamment

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pas les routes de France, de Navarre ou de Corée, fabriquent leurs disques et floquent leur merchandising dans leur garage, en expliquent le principe. “Agrégateur est le nom moderne des distributeurs numériques. En France, on passe par Idol. Aux Etats-Unis, par Ingroove ; on travaille pays par pays et on étudie ça de très près car chaque marché a ses spécificités, ses plates-formes. Faire ce genre de deal est facile pour nous : on a décidé dès le début d’être notre propre éditeur, notre propre tourneur, notre propre structure. Ça nous donne une grande souplesse.” Ces outils sont également à la disposition des labels indépendants et des microstructures. Ainsi du label français Clapping Music (Encre, Yeti Lane, The Konki Duet…), dont l’homme à (littéralement) tout faire, Julien Rohel, a pris le parti, comme de nombreux groupes aux Etats-Unis et avec l’effondrement de MySpace, de faire bon usage du formidable attelage Bandcamp-PayPal : le premier offre la mise en écoute et l’achat (parfois à prix libre) de chansons ou d’albums ; le second permet, en quelques clics, le paiement et sa réception. “J’ai mis l’intégralité du catalogue du label en écoute et en achat sur Bandcamp, détaille Rohel. On peut y acheter les disques via PayPal, l’argent va sur le compte de Clapping Music, c’est très simple ; mais il y a la commission PayPal, et désormais 15 % pour Bandcamp. Pour les autres platesformes, je n’ai pas le choix : sauf à avoir un catalogue assez gros, il faut passer par un agrégateur, Believe dans notre cas. Mais je dois tout faire seul pour certains outils spécifiques : l’upload, le tag, la mise en place des liens d’achat prennent beaucoup de temps.” L’album est donc disponible d’un clic sur iTunes et sur Bandcamp, en écoute sur Deezer, sur official.fm, chez votre sœur ou votre dentiste. Bon début. Ce serait encore mieux qu’il soit écouté, voire acheté : il faut donc se faire connaître. Lily Allen, Yelle ou Arctic Monkeys

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l’ont prouvé en leur temps sur MySpace : les réseaux sociaux sont l’un des vecteurs principaux de gloire auprès des hordes de fans naissantes. “On travaille beaucoup sur les sites sociaux, expliquent les Clouzo. On les choisit soigneusement, selon les pays : Facebook ou MySpace, évidemment, mais aussi Mixi au Japon, Douban en Chine – où Facebook est interdit –, Naver en Corée… Ce sont des fans qui tiennent ces sites. On a voulu laisser des traces dans les pays visités, tisser des liens avec nos publics. Quand on envoie une information, tout le monde la reçoit, et dans son langage – c’est l’équivalent numérique d’une street team. Ça permet aussi de sonder les publics, d’évaluer combien de gens peuvent venir aux concerts et d’adapter nos cachets en fonction du niveau de vie des pays visités – donc de faire des demandes financières crédibles aux promoteurs.”

tablette à musique Home studio ? Le MacBook Pro, un PC musical, des logiciels à plusieurs centaines d’euros ? Ce n’est plus forcément indispensable. Gorillaz, en fin d’année dernière, publiait l’excellent mais étrange The Fall, album intégralement composé sur la route avec l’aide d’un simple iPad. Synthétiseurs Korg, boîtes à rythmes, guitares ou batteries virtuelles, séquenceurs quasiprofessionnels (y compris GarageBand d’Apple) ou interfaces révolutionnaires (Reactable), samplers et capacité à importer ou exporter des sons via diverses options logicielles ou matérielles : il y a sur l’iPad, comme le dit l’adage commercial, une application pour tout. Quinze millions de ces machines vendues dans le monde, quinze millions de musiciens potentiels ?

L’autre axe de reconnaissance, indispensable, est la vidéo – plus encore depuis que MTV est passée du robinet à clips au dérouleur de téléréalité. Sans clip, sans YouTube, Vimeo ni Dailymotion, le relais sur internet, et donc la notoriété, sont bien moindres. Là encore, il est désormais possible de tourner une vidéo qui fera le tour du monde pour une poignée d’euros, avec un matériel pas trop coûteux, loué voire emprunté (le reflex professionnel Canon 5D, chouchou actuel), quelques copains et une excellente idée. Pierre Le Bruchec, photographe et collaborateur des Inrocks, s’est essayé à l’exercice avec un succès inversement proportionnel aux frais engagés. “Pour le clip du groupe I Am Un Chien, se souvient-il, l’idée est venue dès le début du buzz Chatroulette. Je me suis chargé de capturer les images et Frank Seiler a monté le clip. Une soirée, des bières, un MacBook et Chatroulette : ça ne nous a rien coûté, on a fait ça entre potes. Le fait qu’on ait été réactif a pas mal servi au groupe : le clip a été diffusé dans de grands médias et a été vu plus de 90 000 fois. Le Canon 5D, que tout le monde s’est mis à utiliser, a tendance à uniformiser les choses, mais aussi à les simplifier. Je pense maintenant à tourner un clip avec un simple iPhone… Il y a aussi eu le groupe anglais The Get Out Clause, qui a profité des caméras de surveillance de Manchester et du fait de pouvoir légalement réclamer les bandes pour réaliser une vidéo qui a fait pas mal de bruit.” Il ne reste plus qu’à vous y mettre. Retrouvez l’entretien de Misteur Valaire sur orange.lesinrocks.com

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boîte à outils Sélection non exhaustive des innombrables sites et logiciels à la disposition des esprits créatifs. par Anne-Claire Norot

Adobe Creative Suite

Windows Movie Maker

Suite logicielle complète d’outils graphiques pour retoucher ses photos (Photoshop), créer des animations (Flash) ou monter ses vidéos (Premiere Pro).

Le logiciel de base de la création vidéo. Simple mais efficace. Pour cinéastes en herbe et fans de mash-up. iMovie est son équivalent Apple pour Mac, iPhone et iPad.

Logiciel gratuit et facile d’utilisation pour modéliser et animer des objets en 3D. Indispensable pour les artistes et les bidouilleurs comme pour tous ceux qui veulent fabriquer des objets sur imprimante 3D. Il faut néanmoins savoir dessiner.

Logiciel libre et gratuit de modélisation et d’animation 3D. Pour apprendre à s’en servir : siteduzero.com.

De très nombreux modèles gratuits, de la monture de lunettes à la pièce de jeu, destinés à ceux qui ne savent pas du tout dessiner et manipuler la 3D.

Kiss Kiss Bank Bank Le Kickstarter français, lancé en 2010. Une cinquantaine de projets ont déjà été financés.

Fondé en 2005 à Brooklyn, Etsy est devenu incontournable pour les jeunes artistes et inventeurs qui souhaitent vendre leurs créations mondialement, sans avoir à chercher de distributeurs et démarcher des boutiques. On y trouve de tout, pourvu que ce soit fait maison : sacs, étagères, bijoux, mais aussi des photos, des MP3… DaWanda, site d’origine allemande, a un fonctionnement similaire.

Google SketchUp

Blender Thingiverse

Etsy

Instructables Où apprendre à fabriquer une gamelle pour chat contrôlée par une puce RFID, une machine à bonbons ou des chauffe-pieds USB ? Sur ce site communautaire où des passionnés de bidouille postent leurs instructions détaillées. Très large gamme d’objets, utiles ou pas.

Reason Un logiciel de musique assistée par ordinateur. Très accessible, il comprend synthétiseurs, tables de mixage, samplers et peut aussi être utilisé en live. Sur PC et Mac.

Quand le recyclage ne suffit pas, il faut parfois investir pour financer ses projets. Kickstarter permet de façon simple et pratique de collecter des fonds auprès des internautes. Depuis son lancement en 2009, Kickstarter a hébergé plus de 24 000 projets, et près de 9 000 ont été financés, comme la télécommande pour hélicoptère radiocommandé par iPhone, ou un album de Clem Snide reprenant le groupe de rock FM Journey.

Carte électronique équipée d’un processeur programmable, Arduino est à la base de nombreux projets DIY. Projets et échanges d’idées avec la communauté sur le site arduino.cc.

Garageband Un des vétérans des logiciels de musique. Lancé par Apple en 2004, il en est à sa version 6. Il existe une appli pour iPad.

Maker Shed

Kickstarter

Arduino

Lié à Make, ce site marchand vend tout ce qu’il faut pour bidouiller chez soi : composants électroniques, kits de tricot, matériel du petit chimiste, boîtes à outils et couteaux suisses, plates-formes Arduino…

Ableton Live Un séquenceur pour composer, arranger et mixer des morceaux, mais aussi pour jouer live. Compatible Mac/PC.

Hack N Mod Tutoriaux et leçons en vidéo. Consacré principalement au hacking technologique et au bidouillage de jeux vidéo.

Makezine Le site du magazine Make, la bible des bricoleurs. On y trouve des news, des tutoriaux, le contenu en ligne du magazine (payant), un blog qui présente inventions et nouveautés, un riche forum et d’innombrables projets postés par les internautes, accompagnés d’explications détaillées. 29.06.2011 les inrockuptibles 81

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buy it yourself

Mobilité, convivialité, simplicité d’utilisation… Une sélection d’outils pour créer, regarder, écouter. par Philippe Richard photo Stéphane Martinelli

le forum des images le ciné n’importe où Philips a dévoilé un nouveau lecteur Blu-ray portable, le modèle PB9001. Large de 24 cm, profond de 20,3 cm, épais de 4,5 cm et affichant 1,4 kilo sur la balance, il a un écran 23 cm (résolution 800 x 480 pixels), 1 sortie HDMI, 2 hautparleurs délivrant 0,6 watt chacun et 2 sorties casque. Son autonomie n’est en revanche que de 3 heures. 300 € TV branchée Le Sony EX720 est disponible en 5 diagonales (du 82 au 139 cm). Capable de diffuser de la 3D (lunettes spéciales), cet écran LED est compatible avec Qriocity (musique et vidéos à la demande) et Skype. Il peut être piloté par un smartphone et a une connectique complète (4 HDMI 1.4, 2 ports USB, YUV, Ethernet....). De 800 à 1 800 € deux cœurs Le Samsung Galaxy SII embarque un processeur dual core cadencé à 1,2 GHz et un superbe écran Amoled tactile de 11 cm. De quoi afficher sans souci les photos prises avec son capteur de 8 millions de pixels (un autre capteur de 2 millions de pixels est en façade pour la visioconférence). Il fonctionne sous Android 2.3. 600 € (hors abonnement) des films en 3D Le caméscope GS-TD1, conçu par JVC, réalise un enregistrement 3D (Full HD) grâce à un double objectif. Son écran LCD de 8,9 cm restitue les images en relief sans avoir besoin de porter de lunettes spéciales. Une fois tournées, les vidéos peuvent être gravées sur des Blu-ray pour les visionner sur une TV 3D. 1 800 € 2 en 1 Le HP EliteBook 2560p est un ordinateur portable ultrafin fonctionnant sous Windows 7. Principale particularité : d’une simple rotation de l’écran sur un axe vertical,

il se transforme en une tablette tactile. Son écran au format 16/9 mesure 32 cm. Son autonomie est de 5 heures 30. 1 500 € (en vente cet été en Europe) puissant mobile Le LG Optimus 2X est un smartphone très réussi qui cache une bête de course : un processeur dual core cadencé à 1 GHz. Il a un écran de 10 cm, 8 Go de mémoire interne, le wifi, le Bluetooth 2.1. Côté multimédia, il a un capteur photo de 8 millions de pixels (avec flash LED et autofocus) et une fonction caméscope (Full HD). 420 € (hors abonnement) un portable qui fait tout Le Dell XPS 15 profite des derniers processeurs (Intel Core i5) pour être plus puissant. Fonctionnant sous Seven, ce nouveau modèle (un XPS 15 étant déjà sorti l’an passé) polyvalent a un écran de 40 cm (1 920 x 1 080 pixels), un lecteur Blu-ray (graveur), 4 Go de mémoire DDR3 et un disque dur de 500 Go. 950 € la TV au bureau Le moniteur Philips LED 221TE2L a une diagonale de 55 cm (résolution de 1 920 x 1 080 pixels) et embarque un tuner TV HD compatible avec la TNT. La commande tactile moderne permet de passer facilement d’une source à une autre. L’écran est équipé de 2 haut-parleurs d’une puissance de 3 watts chacun, avec un système d’accentuation de l’effet stéréo développé par Philips. 230 €

pour des prises de vues éclatantes Le Canon EOS 5D Mark II bénéficie d’un capteur CMOS de 21,1 millions de pixels, d’un écran LCD de 7,62 cm avec visée directe et d’un mode de prise de vue en continu (jusqu’à 3,9 images par seconde). Idéal pour les amateurs éclairés. Il enregistre aussi des vidéos en Full HD. 2 100 € (boîtier nu)

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arty pixel

sous tous les angles Le reflex Nikon D5100

la culture en poche Le T Book 608 de

bénéficie d’un capteur de 16,2 millions de pixels. Il a un écran (de 7,6 cm et de 921 000 pixels) pivotant à l’horizontal. Il est capable de prendre des clichés et des vidéos en HD. Les utilisateurs du mode vidéo apprécieront cet écran qui devient un moniteur de prise de vues vidéo. 700 € (boîtier nu) et 800 € (objectif 18-55 mm) comme Cousteau Rollei lance sa caméra ActionCam 100. Etanche jusqu’à 30 mètres, elle dispose d’une batterie rechargeable (d’une autonomie de 3 heures). Elle accueille des cartes mémoire jusqu’à 32 Go. Elle est proposée dans les couleurs jaune, rouge et noir. Elle est livrée avec une fixation sur vélo et sur casque. 100 €

Thomson est un livre électronique très fin (9,6 mm) doté d’un écran de 15,25 cm, du wifi, d’une mémoire interne de 2 Go, d’une carte SD, etc. La marque sort aussi deux tablettes sous Android (T Cube 703 et 701). Prix : n. c. nostalgique Le FinePix X100 de Fujifilm vise les passionnés de photo avec son look vintage. Mais ça ne l’empêche pas d’être un appareil photo numérique haut de gamme avec son capteur de 12 millions de pixels. Le dos héberge un écran LCD (7,10 cm). Un mode vidéo HD est présent. 1 000 € un clavier à portée de main Disponible en noir, blanc, pink et turquoise, le SonyEricsson XPERIA X10 Mini Pro est un

mobile qui tourne sous Android. Il embarque un écran tactile de 6,5 cm, un clavier azerty, un capteur photo de 5 millions de pixels (et un flash LED), un lecteur de musique MP3. Il permet d’accéder rapidement à Facebook grâce à une intégration spéciale. 180 €

partagez vos photos en un clic En plus de prendre des photos de qualité, le Panasonic Lumix FS22 permet de les retoucher et de les partager d’un simple geste grâce à l’écran tactile. Proposé en noir ou en rose choc, il possède un capteur numérique de 16,1 millions de pixels, un zoom optique x4 ainsi qu’un objectif rétractable Leica de très haute qualité de 28-112 mmm. 179 € (dispo en juillet)

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sons à foison

le mixage au bout des doigts Créée par la société canadienne Smithson Martin, sur la base de la technologie Windows 7, cette table de mixage est la première interface multitouch. Cette dalle tactile et entièrement transparente permet aux DJ de partager pleinement leur expérience. Entre 3 000 et 5 000 € tout dans la poche Très complet, le BlackBerry Curve 9300 shadow blue est doté d’un confortable clavier azerty, d’un trackpad optique pour une navigation fluide, du GPS et du wifi intégrés. Il dispose d’un capteur photo avec fonction vidéo et d’un emplacement pour carte microSD/SDHC. A partir de 29,90 €. le baladeur qui flashe Le Walkman NWZ-B160 de Sony est disponible en rouge, bleu et noir. Petit (moins de 10 cm) et léger (28 g), il se clippe aux vêtements. Avec ses basses riches et profondes, il offre un son de bonne qualité. Son autonomie est de 18 heures.

Pour les plus pressés, trois minutes de charge permettent de le faire fonctionner pendant 90 minutes. 35 € (2 Go sans radio), 45 € (2 Go) et 55 € (4 Go) la musique dans le poignet D’un simple geste, retirez ce bracelet et découvrez cachée dans le fermoir une clé USB 2.0 d’une capacité de 1 Go. Vos photos, votre musique, vos documents... vous accompagnent partout sans encombrer votre sac ou vos poches. Ce bracelet USB est décliné en sept couleurs. 10 €, www.projet-usb.com pour courir en musique Le casque HD 220 Adidas Originals de Sennheiser a été conçu pour être compatible avec la plupart des lecteurs audio et vidéo (jack 3,5 mm). Il intègre le système “bass driven” qui permet une écoute stéréo renforcée de basses. L’arceau est réglable et les écouteurs sont dotés de coussinets rembourrés. 50 € les prix sont donnés à titre indicatif 29.06.2011 les inrockuptibles 85

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Klaus Lefebvre

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Sul concetto di volto nel figlio di Dio de Romeo Castellucci, du 20 au 26 juillet (relâche le 24)

Avignon face à l’enfance

Soulevé, perdu, rêveur ou innocent, l’enfant sera au cœur du Festival, qui ouvre le 6 juillet. par Fabienne Arvers, Hugues Le Tanneur, Philippe Noisette et Patrick Sourd as facile pour Vincent Baudriller et Hortense Archambault, en fonction jusqu’en 2013, de mener à bien les dernières éditions de leur mandat à la direction du Festival d’Avignon en connaissant déjà leur successeur, Olivier Py, dont Frédéric Mitterrand a annoncé la venue il y a trois mois. Quelle politique absurde veut que l’on nomme dès aujourd’hui un homme qui n’exercera ses fonctions que deux ans après l’élection de 2012,

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laquelle verra peut-être la majorité changer ? Quelle volonté sournoise aspire à couper prématurément les bras à des programmateurs avisés (Py à l’Odéon, Baudriller et Archambault à Avignon) ? Contre-feu à l’étouffoir de cette situation, la très belle programmation de cette 65e édition témoigne de la volonté des deux directeurs de toujours inventer et ouvrir de nouvelles pistes, en consacrant un grand nombre de spectacles à l’enfance et à ses promesses. 29.06.2011 les inrockuptibles 87

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Hamlet n’est-il pas d’abord un enfant dont on a brutalement interrompu le rêve ?

Laurent Friquet

l’adulte. Cyril Teste en témoigne dans Sun, dont le canevas est tiré d’un fait divers survenu en Allemagne. Deux enfants de 9 et 10 ans quittent le foyer familial avec leur sœur de 5 ans pour aller se marier en Afrique où il y a toujours du soleil.

Oncle Gourdin de Sophie Perez et Xavier Boussiron, du 12 au 17 juillet (relâche le 15)

Des enfants, il y en aura dans Enfant, la création de Boris Charmatz pour la cour d’Honneur du palais des Papes. Vingt-sept au total, accompagnés d’une dizaine de danseurs et de deux machines. Il l’admet, “le fait de travailler avec des enfants apporte une part d’imprévu. Ça peut rater ou déraper à cet endroit du fragile. On va essayer un travail de l’ordre de la délicatesse des corps. Et je crois que l’enfant qui s’abandonne en scène dit autre chose que l’enfant suractif qui bouge trop”. Enfant sera un spectacle non hystérique où l’on ne s’interdit pas le toucher, l’appréhension du poids, le sommeil. Ni de porter un regard incisif sur la condition de l’enfant. Côté théâtre, l’enfance est là pour nous rappeler le tragique de la vie. Fini de jouer. Hamlet n’est-il pas d’abord un enfant dont on a brutalement interrompu le rêve ? En approfondissant ce texte de Shakespeare dans Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, Vincent Macaigne imagine une antériorité aux événements de la pièce, où l’on découvre Hamlet et Ophélie enfants en train de s’amuser. La tragédie serait alors la remise en question de cet univers où tout semblait à sa place. Comme un âge de l’innocence quasi idyllique mais inconscient. Car Hamlet est bien ce personnage “cousu d’enfant”, comme

dirait Witold Gombrowicz, égaré dans un monde violent. Ce qu’éprouve Hamlet, terrassé par la révélation du fantôme de son père exigeant de lui qu’il agisse en homme pour le venger, c’est la double impossibilité de devenir adulte et de rester enfant. De Genesi à Inferno jusqu’à la dernière création, Sul concetto di volto nel figlio di Dio (Sur le concept du visage du fils de Dieu), l’enfant a toujours occupé une place importante dans les spectacles de Romeo Castellucci. Présence irradiante, il est aussi porteur d’une vision du monde qui renvoie à un questionnement sur ce que nous souhaitons faire de nos vies : “L’enfant représente une image d’un monde encore à découvrir.” Dans tous les cas, l’enfant est une force interrogeante. Il pose la question de ce qu’il y a après puisque, par définition, l’état d’enfance n’est pas destiné à durer. Cette perte de l’innocence, Angélica Liddell ne s’en remet pas. Non par nostalgie de l’enfance, mais surtout parce qu’on en sort généralement par la violence. “L’innocence perdue, plus jamais on ne la retrouvera. C’est pour cela qu’il est impossible qu’un enfant puisse jamais devenir un bon adulte.” Une chose est sûre : l’enfant sait comme personne faire confiance à l’imaginaire. C’est ainsi qu’il façonne le réel et non l’inverse, comme le fait

De l’enfant créateur de son propre univers à la jeunesse porteuse de son avenir, il n’y a qu’un pas. Le printemps arabe est là pour nous le rappeler, comme le spectacle de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar, Yahia Yaïch – Amnesia, créé à Tunis un an avant la révolution de jasmin. Tout autant qu’une intuition des événements à venir, on peut y lire la suite logique d’un parcours artistique habitué à s’opposer à la censure ou à la déjouer : “Depuis les années 70, nous avons continué à enfoncer le même clou : un théâtre citoyen qui interroge la vie de tous les jours, plonge dans les mythes, les fantasmes, les rêves, les lubies des gens.” Sans nommer Ben Ali, Yahia Yaïch – Amnesia raconte l’histoire d’un tyran objet d’un coup d’Etat. Autre confrontation à l’Histoire et à la transmission, l’adaptation par Arthur Nauzyciel du roman de Yannick Haenel, Jan Karski. “Le livre me permet de me connecter à une réalité très difficile à appréhender. A travers le fait que l’on savait depuis 1942 ce qui se passait en Pologne et qu’on a laissé faire, il rappelle une vérité qui est finalement assez peu connue. On n’a rien tenté pour éviter qu’arrive ce qui s’est passé à Auschwitz et dans le ghetto de Varsovie. Le message porté par Karski aurait dû sauver des vies, au lieu de cela, il est resté inscrit dans son corps en attente d’un résultat. Là est le tragique de son destin.” La force du théâtre, c’est alors la possibilité de porter ce tragique et d’en témoigner devant un public. Un festival actif, de jour comme de nuit, avec une création mondiale d’Anne Teresa De Keersmaeker au lever du soleil, à 4 h 30 du matin, et des batailles d’improvisation à partir de 0 h 30. On se réjouit des premiers pas avignonnais de Sophie Perez et Xavier Boussiron ou de l’Anglaise Katie Mitchell et de l’artiste Tino Sehgal, et tout autant du concert poétique où Etienne Daho invite Jeanne Moreau à honorer Jean Genet dans la cour d’Honneur. Festival d’Avignon du 6 au 26 juillet www.festival-avignon.com

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l’associé

Pour Boris Charmatz, artiste associé, Avignon doit rester un lieu de polémiques. par Jean-Marc Lalanne et Philippe Noisette photo Elie Jorand

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l semble avoir connu toutes les danses ou presque. Formé à l’école de l’Opéra de Paris puis au Conservatoire national supérieur de danse de Lyon, il se révèle interprète inspiré d’Odile Duboc, figure discrète de la création française des années 80, ou de Régine Chopinot. Surtout, il crée avec Dimitri Chamblas l’association Edna en 1992. Ses projets personnels prennent des formes diverses : duo dans les champs (A bras-le-corps), solo pour danse et sculpture (Les Disparates) ou pièce pour un seul spectateur (Héâtre-élévision). Alors que la non-danse occupe une place importante en France, Charmatz ose une utopie chorégraphique. Il ne se voit pourtant pas comme un “conceptuel”, refusant les étiquettes en général. Dans Bocal (2002), il invente une école nomade et, aujourd’hui, avec le Musée de la danse, à Rennes, une autre façon de penser les centres chorégraphiques nationaux. 29.06.2011 les inrockuptibles 89

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L’essentiel n’est pas le contenant mais le contenu. Surtout, il a su croiser les disciplines et les artistes, conviant Raimund Hoghe, Jeanne Balibar ou Archie Shepp, ou dansant pour Meg Stuart. Levée des conflits, qu’il reprend en plein air cet été, marque un tournant : avec vingt-quatre danseurs, Charmatz a prouvé sa maîtrise de l’écriture gestuelle. Enfant, créé dans la cour d’Honneur avec des enfants, des danseurs et deux machines, ne manquera pas de diviser. Au Festival, il sera définitivement à sa place : celle d’un affranchi à l’abordage du XXIe siècle. On peut refuser d’être l’artiste associé du Festival d’Avignon ? Boris Charmatz – (rires) En tout cas, l’idée ne m’a pas effleuré. Je discute avec Vincent (Baudriller) et Hortense (Archambault) depuis cinq ou six ans. Du coup, quand ils m’ont demandé il y a deux ans d’être l’artiste associé d’une édition, ça faisait déjà trois ou quatre ans que, de façon informelle, on travaillait. Selon toi, quel aspect de ton travail a motivé cette p roposition ? Ce qui les intéressait vraiment, c’est la multiplicité des formes sur laquelle on travaille avec Dimitri depuis la création d’Edna et au-delà. On fait des expos, des ateliers performatifs ; on soutient le travail d’autres artistes. Ils aimaient que je ne vienne pas seulement pour présenter ma nouvelle œuvre mais pour faire venir avec moi une nébuleuse, un travail en commun. La proposition la plus saillante de cette édition, c’est de présenter une école d’art… C’est une idée à la croisée du Musée de la danse (nom donné par Boris Charmatz au Centre chorégraphique national de Rennes qu’il dirige depuis 2009 – ndlr) et du Festival d’Avignon. Une école d’art, ça me semblait la bonne métaphore pour parler d’Avignon, un endroit où l’on fait ses classes de spectateur. Et puis cette école

Caroline Ablain

Levée des conflits, du 16 au 18 juillet

“j’aime assez la confrontation, la possibilité de se balancer sur l’autre sans trop prévenir”

permettait aussi de rapprocher le Théâtre des idées, les rencontres avec le public, la Vingt-Cinquième Heure… La spécificité d’Avignon est de produire des idées et des textes. Dans la même logique, nous avons eu l’idée des Sessions Poster, quelque chose à la croisée de la pratique et de la théorie, où des artistes se livrent avec le public à des performances devant un poster résumant une pensée. On se confronte à quoi à Avignon ? A des esthétiques qu’on ne connaît pas. Les pièces rencontrent souvent un public plus large qu’ailleurs. Les gens viennent dans la cour d’Honneur, quel que soit le spectacle. Celui de Christoph Marthaler l’an dernier aurait sûrement été applaudi dans une salle fermée de 600 personnes. Tout d’un coup, il y en a 2 000, certains ne connaissent pas son travail, ils viennent surtout pour le lieu, l’événement, en se foutant du reste de son œuvre… Donc, ça produit des chocs.  Avec Vincent Baudriller et Hortense Archambault, avez-vous évoqué l’année 2005, lorsque le Festival a été très attaqué parce que la danse y occupait soi-disant une place trop importante ? Pas spécialement, non. On a beaucoup parlé de l’inscription de la danse dans Avignon depuis Béjart. Ces polémiques, le quota danse/théâtre ne m’intéressaient pas beaucoup. Moi, j’ai été très marqué aussi par l’année 2003, où le Festival avait été annulé. Je n’étais pas au Festival en 2005, l’année de Jan Fabre en artiste associé. J’étais là en revanche en 1989 pour le spectacle de Maguy Marin où une partie de la salle hurlait pendant toute la pièce. Plus personne n’en parle. C’est aussi la vocation d’Avignon de susciter des polémiques. C’est un espace brûlant. Si on a peur de ça, mieux vaut ne pas y aller. Tu as un certain goût pour le conflit dans la création. Peut-être. J’essaie aussi d’en sortir. J’ai beaucoup improvisé et, en impro, il y a une doxa de l’écoute, de

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Boris Brussey

Enfant, du 7 au 12 juillet (relâche le 9)

l’accompagnement. Moi, j’aime assez la confrontation, la possibilité de se balancer sur l’autre sans trop prévenir. C’est pour ça qu’à Avignon, on a appelé les improvisations des “batailles”. Pour se situer à un endroit de frottement et de risques. On se respecte, on se fait confiance, donc on peut aussi être irrespectueux. Après, dans mes pièces, je ne sais pas si j’aime les conflits… De toute façon, quand on est un garçon et qu’on fait de la danse, à 7 ou 8 ans, qu’on le veuille ou non, on est déjà dans la militance, l’affrontement. On combat le regard des autres, on se fait traiter de fille, de pédé… Il faut apprendre à encaisser ou à se défendre. Enfant et Levée des conflits, les deux pièces que tu présentes à Avignon, incarnent-elles les deux pôles de ton travail ? Enfant est plus dur et plus sombre… Les deux projets travaillent sur le collectif, cherchent des nouvelles formes de partage. Enfant repart d’un précédent spectacle, régi, écrit pour Raimund Hoghe, Julia Cima et moi, un trio pensé pour de petites salles. Je n’avais pas envie de faire table rase, je préférais inscrire d’où je viens, c’est-à-dire de formes plutôt serrées, mais en essayant d’ouvrir, de déployer aux dimensions de la Cour et d’Avignon. Dans régi, des machines chorégraphiaient des corps inertes. Là, il s’agit d’entraîner des enfants dans une danse en les soulevant, les déplaçant. Le spectateur, dans mon esprit, perçoit cette chorégraphie par le filtre des enfants, à travers leur sensibilité. J’espère qu’on sent le spectacle par leur corps. Ils en sont le média. Connais-tu le travail de mise en scène de théâtre de la génération de Vincent Macaigne ? La programmation du Festival n’est pas le reflet de tout ce que j’aime. J’ai adoré le travail du Théâtre Permanent de Gwénaël Morin à Aubervilliers et il n’est pas dans le Festival, j’aime aussi beaucoup Yves-Noël Genod… Inversement, je ne connaissais pas le travail

de Vincent Macaigne ou de Cyril Teste. Mais je sens bien qu’il y a une nouvelle génération de metteurs en scène de théâtre avec laquelle je me sens en phase. Quand j’étais ado, j’adorais Klaus Michael Grüber. Puis je me suis passionné pour Frank Castorf. Quand j’enseignais à Berlin, j’étais frappé par la perméabilité théâtre/arts plastiques, théâtre/danse… Dans le théâtre français, j’ai longtemps senti quelque chose de plus empesé. En ce moment, quelque chose bouge en France, avec Philippe Quesne, Gwénaël Morin, Fanny de Chaillé ; on sent une vraie dynamique. Vincent Baudriller dit très justement qu’éclot aujourd’hui une génération en France qui a vu Ostermeier, Castorf, Warlikowski et qui n’a plus pour seuls piliers Vilar et Vitez. Quelque chose s’est ouvert au théâtre européen. L’historienne de l’art Elisabeth Lebovici disait récemment que le XXe siècle de la danse s’est terminé avec la mort de Pina Bausch et de Merce Cunningham. Toi qui as fait récemment un spectacle à partir de Cunningham (Flip Book), qu’en penses-tu ? Tout devient différent maintenant qu’ils ne sont plus là. A Anne Teresa De Keersmaeker ou William Forsythe, on dit tout à coup : “Maintenant, c’est vous.” Bien sûr, ils étaient déjà importants, mais symboliquement quelque chose a changé, de l’ordre de la responsabilité. On est sûrement dans une période de bascule. Quand j’ai fait de l’histoire de l’art, je me suis beaucoup intéressé à la naissance de la peinture abstraite. Mondrian, Malevitch, Kandinsky ont une quarantaine d’années quand ils “inventent” la peinture abstraite. Mais avant, c’était déjà de superbes peintres. Toutes proportions gardées, je me dis que pour ma génération, celle de Xavier (Le Roy), Jérôme (Bel), c’est peut-être maintenant “la peinture abstraite”. C’est mon état d’esprit : je ne me dis pas qu’Avignon c’est la consécration, mais plutôt le début. Le début d’un autre type de projets pour moi. 29.06.2011 les inrockuptibles 91

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My Little Princess d’Eva Ionesco Une femme fait poser sa fille prépubère pour des photos érotiques. Le regard d’Eva Ionesco sur sa propre mère, au comportement abusif mais peut-être aussi libérateur.

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eut-on faire un premier film simplement pour dire du mal de ses parents ? Christine Doinel pensait que non. Dans Domicile conjugal (Truffaut, 1970), après avoir lu le manuscrit de son mari, elle décourageait ce pauvre Antoine en lui disant qu’on ne faisait pas de bons livres avec des ressentiments. Les 400 Coups était-il un premier film pour simplement assouvir ce besoin très partagé ? François Truffaut le pensait peut-être, avec quelques remords, lorsqu’il écrivit cette amusante réplique. Et My Little Princess, la première réalisation d’Eva Ionesco, est-il un film pour dire du mal de sa mère ? Ce n’est pas exclu, c’est même plutôt probable. Mais la réussite du film est de ne pas en rester là. Il y a de la douleur dans le trajet d’enfance que retrace le film. Cette enfance, c’est celle de Violetta, une fillette d’une douzaine d’années élevée par sa grandmère et dont la mère, une femme fantasque habillée comme une star hollywoodienne des années 30, ne s’occupe que très peu. Jusqu’à ce que cette dernière se prenne de passion pour la photographie et

obtienne un succès d’estime en exposant des clichés de sa fille, entre ses 10 et 12 ans, en ordonnatrice SM ou en Lolita jambes écartées. Ces clichés existent, ce sont les portraits d’Eva Ionesco par sa mère Irina, dont le noir et blanc et l’imaginaire fétichiste évoquent l’univers visuel de Pierre Molinier. Le récit tient donc largement de l’évocation autobiographique. My Little Princess raconte un rapt. Celui qu’accomplit une mère confisquant à sa fille son enfance en la revêtant de satin noir et en l’exhibant comme objet érotique. Le film n’omet rien de cette violence, en dessine les contours criminels, la dimension d’abus moral. Il y a une dimension de tortionnaire chez Hannah, usant tour à tour de marques d’affection et d’autorité pour assujetir sa fille. Mais le regard sur cet abus est ambivalent. Quelque chose d’aimant pointe dans la construction d’un personnage tout en panache, dont Isabelle Huppert dessine les contradictions avec beaucoup de subtilité, sous les atours de l’extravagance. Hannah est touchante. Ne serait-ce que parce qu’elle semble la victime

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raccord

il était une fois en Europe

Isabelle Huppert avec la jeune actrice Anamaria Vartolomei

Eva Ionesco décrit une passion presque amoureuse, l’histoire d’un couple monstrueux de quelque chose de plus fort qu’elle, une sorte de pulsion irrépressible, qui la conduit invariablement à réitérer la même proposition. Refaire des photos avec Violetta, quitte à en perdre la garde, défier la justice, anéantir irrémédiablement leur relation. La belle intuition d’Eva Ionesco est de décrire l’histoire d’une passion, avec toute sa dramaturgie d’élans, de violence, de fuite, une passion presque amoureuse, l’histoire d’un couple monstrueux. S’il y a de la faiblesse chez la mère, et une forme de douceur dans le regard porté sur cette faiblesse, le personnage de la fille, interprété par la magnétique Anamaria Vartolomei, n’est pas seulement une victime. Ce qu’esquisse le film, c’est aussi la conscience évanescente d’une dette de la fille envers la mère. Les injonctions d’Hannah pour que Violetta

refuse d’“être comme tout le monde”, son anticonformisme militant, ont malgré tout transmis à la petite fille les clés de son émancipation, un goût de l’indépendance et de la singularité qui lui ont permis non seulement de rompre le lien à un moment décisif mais aussi de se construire à son tour comme artiste (modèle pour d’autres photographes, puis actrice et maintenant réalisatrice). En cela, My Little Princess est quand même un récit de transmission – même si la transmission est coupante et chaotique. La figure du bourreau est ambiguë, car elle souffle à la fois le chaud et le froid. Dans cette serre oppressante se déposent les germes d’une libération qui permettra à la petite poupée de devenir un jour créatrice. Et ce faisant, dans un film, de faire de son tyran sa créature, une mère filmée comme une poupée malade que la petite princesse devenue grande ensevelit sous les perruques, voiles et fanfreluches. Jean-Marc Lalanne My Little Princess d’Eva Ionesco avec Isabelle Huppert, Anamaria Vartolomei, Denis Lavant (Fr., 2011, 1 h 45)

On ne se lasse pas de revoir Il était une fois en Amérique et d’y percevoir de nouvelles strates. On pourrait noter ainsi que Max, à la fois gangster, homme d’affaires et homme politique, ferait aujourd’hui un parfait représentant de l’oligarchie financière au cynisme illimité qui a plongé le monde dans la crise. On pourrait aussi revenir sur la dimension juive du film, souvent sous-estimée. L’un des moments les plus émouvants est la séquence de Pessa’h, quand tous les habitants du quartier vont célébrer Pâques à la synagogue, sauf Noodles et Deborah qui vont s’embrasser dans le débarras du delicatessen. Le passage bouleverse parce que la scène d’amour entre les deux adolescents est déchirante, mais aussi parce que, en reconstituant le quartier juif du Lower East Side, Sergio Leone filme dans le même mouvement un shtetl d’Europe centrale, c’est-à-dire un monde englouti dont il existe peu de traces visibles. On n’a ainsi peut-être jamais aussi bien vu l’une de ces bourgades juives anéanties par le nazisme que dans cette version fantasmée. Entre la partie années 30 du récit et sa période 1968, les ellipses sont aussi passionnantes que béantes. C’est d’abord Noodles qui s’est “couché de bonne heure” à Buffalo durant trente-cinq ans. Puis le quartier juif qui a muté en hood noir et latino, ce qui est bien sûr typique de l’histoire des grandes villes américaines, mais évoque aussi la destruction des shtetl. Car entre les années 30 et 60 s’est également produite en Europe la plus terrible des béances, et on imagine mal que l’Européen Leone n’y ait pas pensé. Est-ce un hasard si, sur les tombes de la bande à Noodles, le cinéaste associe les signifiants “étoile de David” et “1933”, année de l’avènement d’Hitler ? Jamais mentionnée, la Shoah imprègne l’inconscient du film. Leone disait avec raison qu’ Il était une fois en Amérique pouvait se lire “Il était une fois le cinéma américain”. Mais on y entend aussi, comme murmuré entre les images, “Il était une fois en Europe”.

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Naomi, une jeune et belle épouse… d’Eitan Zur avec Melanie Peres, Yossi Pollak (Isr., 2010, 1 h 42)

Maria de Medeiros

Ni à vendre ni à louer de Pascal Rabaté La France en vacances, Tati forever… Drôle et désuet.

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écidément, une certaine tendance du cinéma français aime bien se retourner vers le passé. Sans remonter jusqu’au canonique Jean-Pierre Jeunet, on a noté ces dernières années les cas Sylvain Chomet (de Tardi à Tati, tendance anime) ou Michel Hazanavicius (d’OSS au Hollywood twenties, tendance pastiche, avec The Artist). Pascal Rabaté semble aimer lui aussi l’esprit Front popu et Jacques Tati (comme Chomet), le muet et la gestuelle burlesque des corps et des visages (comme Haza). Il y a bien sûr un aspect nostalgique, voire un peu réac et poussiéreux, dans cette aimantation vers une France idéalisée et une esthétique passéiste. Un peu comme Hazanavicius, Rabaté dépasse ce risque de la naphtaline par un humour permanent et un savoir-faire méticuleux. Déclinant peu ou prou l’univers des Vacances de M. Hulot, il fait se croiser couples et vacanciers de toutes classes sociales (prolos, bourgeois, punks à chien…) dans une station balnéaire désuète et dépeuplée. Les dialogues sont réduits à quelques borborygmes, tout le langage du film réside dans les gestes, les expressions faciales, les situations, les cadrages. Le film est drôle, mais à la Tati, c’est-à-dire

Rabaté porte sur l’humanité moyenne un regard amusé sans être ricanant

carburant sur un humour plutôt implosif qu’explosif, portant sur l’humanité moyenne un regard amusé sans être ricanant. Burlesque tempéré d’une poésie plutôt mélancolique et un peu passée, celle des bouts de France largués par la mondialisation, du hors-saison des villes de plage et des gens simples qui savent trouver leur bonheur avec les faibles moyens du bord. Cet éloge de la modestie et du sam’suffit pourrait être glauque, s’apparenter à un triomphe de la médiocrité, mais il résonne en ces temps de crise généralisée comme une stratégie de survie (le supermarché est vide, mais tant qu’il reste un verre de pastis et un rayon de soleil…). Il est aussi contrebalancé par un éloge tout aussi vibrant de l’échangisme amoureux, meilleur moyen de reféconder sa vie affective (révérence à la toujours grâcieuse Maria de Medeiros et à l’irrésistible François Damiens, aussi drôle muet que parlant). Malgré son univers populo, non moqueur mais un peu frelaté, le film emporte le morceau par ses qualités de fabrication artisanale, son absence de prétention, sa tentative de raconter quelque chose avec les moyens spécifiques du cinéma. Ni à vendre ni à louer n’est ni à dézinguer ni à louer excessivement : c’est un bel exercice de style tatiesque, avec tous les charmes et les limites du genre. Serge Kaganski

Intrigant thriller passionnel dont la mise en scène reste un peu neutre. Un professeur d’université sexagénaire suspecte sa jeune et jolie épouse d’avoir un amant. Il la suit… Prémice ordinaire pour une intrigue qui l’est un peu moins et brille par sa concision et sa frontalité. De très bonnes idées (par exemple la scène du meurtre ou bien la dissimulation du corps du délit). Hélas, sous couvert de “silence et de retenue” (revendiqués par le cinéaste), le film finit par friser la fadeur. Exemple : le thème central de la culpabilité, grâce auquel Hitchcock alimentait ses suspenses torrides, est ici complètement désamorcé. D’autre part, sur un autre versant, le potentiel comique de l’histoire et sa dimension sarcastique, qui restent sous-jacents, sont peu exploités ; ils restent embryonnaires. En définitive, on a l’impression que le matériau originel (le roman Radioscopie d’un adultère d’Edna Mazya, également auteur du scénario) n’est pas mis en valeur par la réalisation, qui aurait nécessité un cinéaste plus incisif : par exemple Hitchcock, qui n’était certes plus disponible, ou Woody Allen, à qui cela aurait pu aller comme un gant – on pense assez à son film noir Crimes et délits. Faute d’être excitante, cette œuvre n’en reste pas moins regardable. Vincent Ostria

Ni à vendre ni à louer de Pascal Rabaté, avec Maria de Medeiros, Jacques Gamblin, François Damiens, François Morel (Fr., 2010, 1 h 20)

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Transformers 3 de Michael Bay Dans le plus gros coffre à jouets du monde, le film le plus pourri de l’été. ’est le coffre à jouets le plus luxueux ne copine pas avec des GI filmés au ralenti, du monde. Tous les deux étés, bazooka en bandoulière. L’idéologie, depuis seize ans, Michael Bay le enfin, ne varie pas de la ligne Bruckheimerdéverse tout entier, devant nos yeux Nietzsche fixée très tôt : d’un côté des ébahis par tant de richesse : des avions, bidasses et des mécanos, héros libres des voitures, des robots, des Barbie, des et vaillants, de l’autre les parasites serviles mitraillettes et des pétards à n’en plus finir. de Washington. Dans le monde idéal selon Déverser n’est cependant pas le meilleur Bay, le ministère de la Santé, cette relique terme : gerber serait plus approprié. C’est du Welfare State, se voit ainsi recyclé désormais une évidence : peu de cinéastes en garage high-tech. ont fait preuve, dans la longue histoire du L’espoir, quant à ce troisième opus, blockbuster, d’un tel hermétisme à la mise provenait surtout de l’ajout du relief. en scène, d’une telle incapacité à concevoir On le sait, la 3D empêche de sur-découper, un plan – même Roland Emmerich a fini pour ne pas fatiguer l’œil, et tend par s’améliorer, un peu. Les légers progrès à plastifier les corps jusqu’à les faire enregistrés par The Island et le premier ressembler à des jouets. Les robots Hasbro Transformers, films qui comportaient, sans s’humanisant pendant que les humains doute inconsciemment, quelques bonnes se robotisent ? Il y avait là une belle idée idées, ont ainsi fait long feu. théorique à portée de main, dont Joe Transformers 3 reproduit à l’identique Dante, modèle évident de la franchise, – pourquoi changer une recette engendrant aurait su se saisir. Mais Bay, artificier aux des milliards de dollars – le schéma de tout petits bras, n’essaie même pas. ses prédécesseurs : une heure de comédie Faisant de Chicago, chef-d’œuvre de verre d’action (navrante), une heure et demie et d’acier, son terrain de jeu, il se contente d’explosions tous azimuts (harassante). de tout broyer, dans un geste d’enfant gâté Les Decepticons essaient toujours, pour que viennent tout de même compenser quelque obscure raison, d’y détruire quelques beaux passages (étreinte funeste l’espèce humaine, protégée vaille que vaille d’un robot-ver et d’un building, plongée par les Autobots. Shia LaBeouf est toujours dans le vide). Une fois le coffre vidé, ne cet antihéros falot, à qui l’humour reste que matière inerte, boulons et écrous de caserne permet de lever les plus jolies éparpillés, enfants éplorés. Jacky Goldberg filles (Rosie Huntington-Whiteley, dont les lèvres semblent taillées dans un Transformers 3 – La Face cachée de la lune pneu Pirelli et les jambes extraites d’un de Michael Bay, avec Shia LaBeouf, Josh Duhamel, John Turturro (E.-U., 2011, 2 h 34) calendrier du même nom), quand il

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en salle le plein de Cavalier A l’occasion de la sortie de son nouveau film, Pater, Alain Cavalier fait l’objet d’une rétrospective au cinéma Le Reflet Médicis : de son brûlot politique initial (Le Combat dans l’île) jusqu’à ses dernières œuvres (Irène, Le Filmeur ou René), en passant par son come-back des 70’s, après huit ans d’absence (Ce répondeur ne prend pas de message). Jusqu’à fin juillet au Reflet Médicis, Paris Ve

bar du Louxor L’association Paris-Louxor organise un apéro au Point Ephémère pour présenter le projet du Louxor-Palais du Cinéma. Fermée à la fin des 80’s, la salle mythique, actuellement en cours de rénovation par la Ville de Paris, devrait rouvrir en 2013. Le 7 juillet au Point Ephémère, Paris Xe

hors salle qui est Sacha ? “Sacha Lenoir est une petite fille de 8 ans.” Autour de ce personnage imaginaire, l’ouvrage collectif Sacha Lenoir, paru aux éditions Capricci, réunit cinq nouvelles d’écrivains et cinq projets d’adaptation par des cinéastes et acteurs, sur le modèle de Béatrice Merkel, publié l’année dernière. Melvil Poupaud répond à un texte de Maylis de Kerangal, Pascal Bonitzer adapte Emmanuelle Pagano et Joana Preiss reprend les mots de Sylvain Coher dans cet exercice de style étonnant qui croise les imaginaires et les disciplines. Sacha Lenoir, 5 écrivains/5 cinéastes (éditions Capricci), 5 volumes de 64 pages, 25 €

box-office Pater résiste Il y a certes L’Elève Ducobu, qui réalise le meilleur démarrage de la semaine à Paris devant Omar m’a tuer, mais Pater d’Alain Cavalier réalise une très bonne performance. Sur un nombre de copies limité (sept contre vingt pour la comédie de prime time d’Elie Semoun), il prend la troisième place du box-office et s’octroie une très bonne moyenne de 79 spectateurs par salle. En première semaine d’exploitation, Kung Fu Panda 2 fait moins bien que le précédent opus mais attire tout de même plus de 800 000 spectateurs. Romain Blondeau

autres films Les Tuche d’Olivier Baroux (Fr., 2010, 1 h 35) Nicostratos le pélican d’Olivier Horlait (Fr., 2010, 1 h 35) La Prima Cosa bella de Paolo Virzi (It., 2010, 1 h 51) Delhi Belly d’Abhinay Deo (Inde, 2011, 1 h 43)

à Côté du monde A l’honneur au festival de La Rochelle, le jeune Québécois Denis Côté invente depuis quelques années un cinéma hybride parcouru de personnages marginaux. ’es au bout du chemin là, c’est une impulsion punk qui a peut-être inspiré la place idéale pour avoir la paix.” quelques jeunes.” La comparaison avec De quel chemin parle Colmor, ses contemporains québécois s’arrête là, le recycleur compulsif de Carcasses, tant l’œuvre de Denis Côté paraît singulière le quatrième film de Denis Côté ? – sans influence ni continuateurs. De celui qui sépare les marginaux Lui-même ne saurait définir ses films et du reste du monde, qui éloigne les effrayés, évoque des “objets hybrides”, des “histoires les phobiques, les illuminés, bref les à trous” liées par une obsession formaliste. singuliers des ordinaires. Celui que “Je refuse le cinéma social ou réaliste, le cinéma de Denis Côté semble emprunter : mes seuls questionnements sont de l’ordre un chemin détourné, un art de la de l’image, du son, du montage.” bifurcation entre les genres, les formes Plutôt que de sens, de scénario, le cinéma (documentaire, fiction…). de Denis Côté se distingue donc surtout Révélé à Locarno avec son premier long par ses atmosphères (inquiètes) et par ses métrage (Les Etats nordiques, 2005), Denis personnages, toujours bizarres, toujours Côté a depuis réalisé un film par an, sans humains. Deux amants bulgares plongés que jamais son nom ne dépasse un petit dans une aventure érotico-fantastique dans cercle d’initiés. C’est que l’ancien critique la forêt québécoise (Nos vies privées, 2007), de 37 ans, malgré son titre de chef de file une orpheline et des loubards tristes dans du jeune cinéma québécois, appartient à la un western délavé (Elle veut le chaos, 2008) tribu des filmeurs solitaires (un équivalent ou un homme agoraphobe qui s’isole du Grand Nord de Lisandro Alonso) : loin des monde avec sa fille dans Curling, son dernier écoles, justement. “Ils ont vu qu’il y avait film, le plus accessible. Ce sont tous des des réalisateurs qui émergeaient, une sorte marginaux (“mais pas des freaks à la Herzog”, de nouvelle vague dont je suis devenu malgré insiste Denis Côté), filmés avec la tendresse moi la mascotte”, explique le cinéaste, de et l’humour que n’interdit pas la solitude passage au Festival international du film de (et qui font la grandeur de ce cinéma). Il les La Rochelle, qui lui consacre un hommage. appelle ses “méfiants”. Romain Blondeau S’il a pu fédérer, c’est en bousculant un peu le système de production du pays : Hommage à Denis Côté du 1er au 10 juillet au “Je réalise des films dans l’urgence, sans Festival international du film de La Rochelle, www.festival-larochelle.org budget, et avec une petite équipe, suivant

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Melloul/Rancinan/Corbis

Claudine Paquot entourée de (de gauche à droite) Yann Lardeau, Olivier Assayas, Serge Toubiana, Serge Daney et Charles Tesson lors de la célébration des 30 ans des Cahiers du cinéma, au printemps 1981

la grande âme des Cahiers Claudine Paquot, éditrice de cinéma hors pair et figure clé des Cahiers du cinéma, s’est éteinte. Hommage à une grande amoureuse de la parole sur le cinéma.

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lle n’y avait que très peu écrit (on se souvient néanmoins qu’elle avait signé un magnifique texte hommage, vraiment très émouvant, à la disparition de Serge Daney). Pourtant, Claudine Paquot, née en 1951, était un des piliers de l’histoire des Cahiers du cinéma. Elle y entre en 1977, lorsque la revue est dirigée par Serge Toubiana et Serge Daney, qui préparent une nouvelle formule pour relancer sa diffusion. Elle y est d’abord documentaliste, puis secrétaire de rédaction. Très vite, son rôle devient décisif dans l’organisation puis dans les orientations de la revue. Au tournant des années 70-80, les Cahiers créent un pôle édition, dont elle

prendra progressivement la tête. Le rôle des Editions des Cahiers du cinéma dans la vie intellectuelle du monde du cinéma a été majeur. En recenser ses faits d’armes glorieux serait sans fin. Citons certains grands livres d’entretiens (Lynch, Woody Allen, les conversations de Bergman et Assayas, Almodóvar), de superbes autoportraits de cinéastes (Akerman, Varda), une collection de poche vive et pédagogique (notamment d’excellents morceaux choisis de l’histoire des Cahiers)… Un catalogue inouï dont Claudine Paquot est largement responsable. La collection Auteurs, surtout, faite d’essais sur des cinéastes, fut particulièrement marquante. Le mot y prenait un sens double : certes l’auteur était

le cinéaste étudié, mais tout autant celui qui l’étudiait. La force du livre tenait à une rencontre : celle d’une œuvre et d’un regard sur cette œuvre. Par le compagnonnage avec certains critiques majeurs (Michel Chion, Charles Tesson, Alain Bergala…), par sa façon aussi d’être à l’affût de points de vue sur le cinéma venus d’un autre champ que celui des Cahiers (Nicole Brenez, Jean-Baptiste Thoret, Luc Lagier…), Claudine Paquot faisait bel et bien des livres de cinéma d’auteurs. On sait que cette conception de l’édition a de moins en moins cours, que le geste critique y est souvent dévalué, dissous dans une constellation où l’iconographie, la direction artistique, la production

en quelque sorte, ont pris le pas. D’autres éditeurs mènent aujourd’hui un travail souvent très intéressant dans ce domaine (Yellow Now, Rouge Profond, Capricci…), mais dans des économies marginales, sans bénéficier du rayonnement international ni de la puissance symbolique des Cahiers du cinéma. Lesquels seraient bien inspirés de poursuivre le formidable travail accompli par Claudine Paquot, qui, en trente ans et en dépit de bien des révolutions de palais, de multiples changements d’actionnaires, avait su rester “le point fixe” (selon la belle expression de Serge Toubiana dans son blog de La Cinémathèque française), “la mémoire” des Cahiers. Jean-Marc Lalanne 29.06.2011 les inrockuptibles 97

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Catherine Faux

Maud Molyneux (à droite) et Hélène Hazera durant le tournage à Paris du film Tam-Tam d’Adolfo Arrieta, en 1976

la Maud, la Maud, la Maud ! La vie et l’œuvre d’un critique dandy aux multiples identités – Louella Interim, Maud Molyneux –, figure clé des heures légendaires du Libé des années 80.

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aud Molyneux aimait à porter dans ses poches une collection de bijoux-scarabées – grigris ou maléfices, on ne saurait dire s’il était expert dans l’art de lancer bons et mauvais sorts. Né en 1947 sous le nom de Marc Raynal dans une famille de la grande bourgeoisie, après une enfance en compagnie de sa mère bien-aimée dans un immeuble d’Henri Sauvage, rue Vavin à Paris, et de nombreuses lectures, il fréquente, jeune homme dans les années  60, les salles parisiennes de la cinéphilie (Cinémathèque et Studios Action), hantées elles aussi par ses aînés les hérauts de la Nouvelle Vague (Rohmer, Truffaut, Godard, etc.) et ses cousins plus timides (Daney, Biette). Croisant à distance ces hommes à la parole brillante mais à la mise grise, il arborait déjà une tenue de dandy. Le tournant des années 70 exige de donner de la virulence à la désinvolture de la jeunesse : jusqu’ici vaguement

monarchiste, celui qui se fait désormais appeler Maud Molyneux, après un passage éclair au groupe maoïste ultradur L’Humanité rouge, entre au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), fondé en 1971 par Guy Hocquenghem et Françoise d’Eaubonne, pour faire entendre violemment la voix homosexuelle et lesbienne au sein d’un gauchisme jusqu’ici hétérocentré. Une certaine rhétorique le lasse peutêtre, et Maud Molyneux quitte le Fhar un an plus tard pour fonder, avec Hélène Hazera, la chanteuse Marie-France, Orla et d’autres hommes-femmes, travelos, transsexuels, homos et lesbiennes, le groupe des Gazolines, qui préfère à la politique du Fhar (“Prolétaires de tous les pays, caressez-vous”) une frivolité plus radicale : “Maintenant, c’est champagne, coke et falbalas !” Ce sera l’occasion de porter haut et fort le goût pour le travestissement féminin, excentrique mais raffiné. Version débridée et intenable des groupuscules gauchistes de l’époque,

les Gazolines adorent le scandale, faisant par exemple un souk pas possible après le meurtre du militant maoïste Pierre Overney, grande date de l’histoire de la Gauche prolétarienne. Le groupe est dissous en 1974 mais ses membres continuent à se fréquenter. En compagnie de ses copines, avec qui il partage le goût des robes longues savamment plissées, il invente comme une parade fantastique sautillante logée dans la dureté poisseuse des années 70, enfants conjoints de Nerval et d’Ensor qui auraient à cœur de rire. Ils furent filmés par le seul cinéaste à même, avec son sens du merveilleux, de saisir les créatures fugitives de ces années-là : Adolfo Arrieta (Tam-Tam, Les Intrigues de Sylvia Couski). En 1987, dans un film magnifique qui célèbre cet art si français du sortilège où le jeu débouche sur de mortelles chausse-trapes, Maud Molyneux, le visage et le corps toujours fluets, apparaît encore, sous le nom de Mme Duval : ce sera Jeux d’artifices de Virginie Thévenet – explosion, fin.

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il invente comme une parade fantastique sautillante logée dans la dureté poisseuse des années 70 Début des années 8O, place à l’écriture, abritée par quatre pseudonymes qui auront chacun leur spécialité : pour la mode ce sera Maud Molyneux (en écho au couturier Edward Molyneux), pour le cinéma Louella Interim (en écho à la commère hollywoodienne Louella Parsons), pour la littérature Dora Forbes, pour Le Carnet parisien Jennifer Arpassay. Plutôt que de nous noyer dans de lourdes hypothèses identitaires qui lui auraient déplu, voyons-y plutôt un jeu moucheté d’éventails changés au gré des circonstances. Accueilli un certain temps par les Cahiers du cinéma, Maud Molyneux arrive à Libération appelé par Michel Cressole (dont on peut admirer le charme insidieux dans Les Cinéphiles de Louis Skorecki). Il travaille sous la houlette de Serge Daney, faisant ainsi un sort à la réputation puritaine de la cinéphilie. Sérieux du travail et goût des performances se nouaient alors : avec Gérard Lefort et Michel Cressole, il fera un show mémorable au Gala de la presse où, déguisé en petit chien, il déposera de fausses crottes aux pieds des notables de l’assemblée sous le regard estomaqué de Serge July, qui accueillit par ailleurs à bras ouverts toute la bande. Temps de l’écriture, donc : décrire un défilé, une robe, un roman, est-ce pareil ? Si se déploie le même sens aigu du vocabulaire, de la phrase à traîne, de l’acuité du regard, si une passion profonde pour le costume lui permet, loin d’une fétichisation étriquée, de voir le cinéma comme l’art de faire tenir le romanesque dans le détail d’un drapé (cf. “Lana Turner en 24 toilettes”), un souci profond éloigne Maud Molyneux de l’imagerie d’Epinal d’“esthète obsessionnel” : celui d’agrandir toujours plus l’œil en étayant chaque jugement d’une vaste connaissance du sujet, bienveillante et sans préjugé. “Aucune idée spectaculaire – quand elle est appuyée sur une technique, une science du vêtement parfaites et la sûreté du goût – ne devrait effaroucher” (à propos des défilés Chloé-Thierry Mugler). Oui au caprice de l’expression, mais toujours ancré dans un bâti en profondeur. Alors, oui, certes, Maud Molyneux sait écrire sur des sujets faits pour lui, comme Bette Davis, Lana Turner, Cyd Charisse, Mae West, Rock Hudson, le cinéma hollywoodien (Sirk, Cukor) et japonais (art du trait), mais il sait aussi raconter avec drôlerie le premier film d’Hervé Palud (au “romantisme Borsalino-santiags”), analyser sérieusement la généalogie de Conan le barbare et raconter avec souplesse,

détachement, trivialité même (Anne-Marie Miéville comparée à Brigitte Fossey !), sa rencontre avec le cinéaste le plus intimidant au monde, Jean-Luc Godard lui-même, qui par ailleurs amateur d’insolences adora absolument son compte rendu pas dupe. Un peu abandonné au mitan des années 80 par la normalisation en cours du métier, Maud Molyneux finit par quitter Libération et écrit à Joyce et Harper’s Bazaar. Dans les années 90, sa science de la mode trouve à s’incarner dans le métier de costumier, pour le compte d’un cinéaste spécialiste des comédies hétéro et le plus éloigné apparemment de ce monde aux identités si marginales (encore qu’un goût commun carnavalesque ait sans doute rendu possible le dialogue) : Pascal Thomas, qui sut apprécier sa méticulosité érudite. Pour lui, Maud Molyneux sortira le costume de cinéma de ses facilités en composant les tenues réac mâtinées d’impertinence de Catherine Frot dans La Dilettante et les tenues au moelleux masculin de Laetitia Casta enfin débarrassée de la joliesse (Le Grand Appartement, souvenez-vous de la petite veste en tweed). Maud Molyneux meurt en septembre 2008, après avoir quitté l’immeuble de sa mère, en faïence bleue et blanche, qu’il aimait tant. En 2011, ses textes critiques sont édités par Rue Fromentin, une maison d’édition tenue par une jeune femme nommée Marie Barbier, banquière le jour dans le quartier de l’Opéra, chercheuse de textes stylés et secrets la nuit. Attention à ceux qui banniraient ce livre si précieux d’un “Oh, c’est pour les snobs…” : aucun culte de l’entre-soi dans ces pages, mais seul le souci d’être le plus précis possible – car toute œuvre, pour être le plus finement décrite, doit pouvoir passer par le chas d’une aiguille. Par là, Maud, Louella, Dora et Jennifer furent de vrais critiques d’art. Axelle Ropert Monsieur Maud – Parcours d’un journaliste esthète (Rue Fromentin), 171 pages, 18 € A voir aussi l’exposition de Catherine Faux : Marie-France, Hélène, Gaétane, Maud et les autres… jusqu’au 30 juillet à la galerie Hautefeuille, 3, rue Hautefeuille, Paris VIe

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Coffret Albert Capellani (L’Assommoir, Germinal, Le Chevalier de MaisonRouge, Quatre-vingttreize + sept courts métrages)

Panic sur Florida Beach de Joe Dante Un délice de teenage-movie, hommage au genre du film catastrophe épinglant l’éternelle paranoïa de l’Amérique. Le film Panic sur Florida Beach est un film Gene s’y rend avec ses copains rusé, dans la veine de 1941 de Spielberg et quelques amoureuses potentielles… ou d’American Graffiti de George Lucas. Teenage-movie épatant, Panic sur Florida Tout se déroule en octobre 1962 (un an Beach épingle aussi la paranoïa américaine après le débarquement raté de la baie des tout en rendant hommage au cinéma du Cochons) à Key West, ville et petite île samedi soir, à ces films catastrophe un peu de Floride située à 150 kilomètres de Cuba, ridicules qui émerveillaient et apeuraient où la présence de missiles soviétiques est en même temps les spectateurs. Mais tout peut-être sur le point de déclencher une cela est dans le scénario. troisième guerre mondiale. Un adolescent, La vraie gageure du film, c’est de nous Gene, est très inquiet pour son père mettre à la place du spectateur de Mant!. militaire, qui vient de partir pour une Avec malice et grâce à une technique mission ultrasecrète. éprouvée de la manipulation au cinéma, Dans ce contexte historique, véridique Joe Dante, en vrai magicien des images, et inquiétant, un producteur et réalisateur nous entraîne dans un univers où de films catastrophe, Lawrence Woolsey l’imaginaire et le réel se confondent parfois (John Goodman), et son assistantesans qu’on puisse vraiment les distinguer. maîtresse-star principale (l’hilarante Cathy “Je vais vous faire peur”, nous avait avertis Moriarty) s’apprêtent à faire découvrir John Goodman avant la séance. Le pire au public de Key West Mant! (“L’Homme(et le réjouissant), c’est que, malgré cet Fourmi”), son nouveau film, accompagné avertissement, il y parvient parfaitement. d’effets spectaculaires (vibreurs dans Pour tous publics. les fauteuils, fumigènes, etc.) qui doivent Le DVD En complément, les making-of déclencher l’effroi dans la salle. Le jeune et interviews habituels avec le réalisateur et ses collaborateurs. Et surtout, cerise sur le gâteau, Mant!, le film que l’on voit par morceaux dans Panic…, reconstitué avec malice, dans son intégralité (16 minutes). Joe Dante nous Un bijou de parodie. Jean-Baptiste Morain

manipule et parvient à nous faire peur

Exhumation de l’un des pionniers du cinéma français. Les films L’un des plus dignes représentants du cinéma muet français post-Méliès, producteur, scénariste et cinéaste Pathé par excellence aux côtés de Ferdinand Zecca (contre Louis Feuillade et Alice Guy chez Gaumont), Albert Capellani (1874-1931) est resté dans l’histoire du cinéma pour ses adaptations de grands romans français du XIXe siècle (surtout Victor Hugo). Proposés ici dans de belles versions restaurées : L’Assommoir (en une demi-heure, 1909), Germinal (en trois heures trente, 1913), Le Chevalier de Maison-Rouge (1914) et Quatre-vingt-treize (1921), accompagnés de sept courts métrages. Une édition ultérieure devrait permettre de découvrir son grand œuvre : une version de quatre heures des Misérables. Sa carrière française sera interrompue par la Grande Guerre. Les DVD En complément, un livret de quarante pages présente ce cinéaste méconnu du grand public. J.-B. M. Pathé, environ 50 € Sur le tournage de Mirage de Paris

Panic sur Florida Beach de Joe Dante, avec  John Goodman, Cathy Moriarty, Simon Fenton (E.-U., 1993, 1 h 39), Carlotta, environ 20 €

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illustration Christophe Alexandre

20 h

mardi

5 juillet La Flèche d’Or inRocKs lab party tous les mois, les 2 finalistes du concours de découvertes musicales en concert gratuit

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illustration Karim Moreau

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cap au Sud Situé cette fois-ci dans une Nouvelle-Orléans menacée par la catastrophe, le second tome d’Infamous gagne en intérêt dans le mode de partage online des créations des joueurs.

 E à venir Need for Speed et la marche à pied Le prochain Need for Speed risque de surprendre les fans. Développé par les Canadiens d’EA Black Box et baptisé The Run, ce nouveau volet de la série de jeux de course automobile, née en 1994, proposera pour la première fois des phases d’action à pied reposant sur le principe du quick time event (séquence semi-interactive qui impose de presser le bon bouton au bon moment). Le jeu est attendu en novembre sur PS3, Xbox 360, Wii, 3DS et PC.

n 2009, le premier Infamous tombait à pic. Sorte d’Assassin’s Creed (un monde ouvert, des bâtiments à escalader) assaisonné à la sauce comics, il rebondissait astucieusement sur la problématique – qui ne pouvait que toucher l’amateur de jeux vidéo – des films Spider-Man et de la série Heroes. Nous voilà soudain dotés de pouvoirs surhumains – ici, la maîtrise de l’électricité. Qu’allons-nous donc en faire ? Tout l’intérêt du premier volet venait de la découverte progressive de nos nouvelles capacités et de la tension permanente que celles-ci engendraient : allions-nous les utiliser pour faire le bien ou juste le malin (bondir au hasard, effrayer les passants) dans son univers quasi réaliste ? La première limite d’Infamous 2 est évidente : le dilemme a perdu de sa fraîcheur, d’autant que les gars et filles du studio américain Sucker Punch n’ont pas opté pour un vrai changement de point de vue. Seul le décor est vraiment revu : quittant le simili-New York du premier jeu, nous voilà lâchés dans une NouvelleOrléans reconstituée (avec talent, cela dit). Une catastrophe s’annonçant encore, le spectre de l’ouragan Katrina succède à celui du 11 Septembre au cœur d’un récit par ailleurs très fantaisiste. Le dépaysement s’arrêtera là. Après l’apprentissage incrédule, place à la continuité appliquée, voire à la répétition déguisée. Le plaisir de jeu ne disparaît pas pour autant mais,

pour qui a parcouru avec entrain les rues du premier Infamous, la découverte émerveillée n’est plus, le temps est au tourisme compulsif. Sur notre radar-guide de voyage, une multitude de points s’allume. On cherche les trésors cachés – il nous les faut tous –, on traque les missions facultatives – aucune ne nous échappera. L’expérience se révèle sans conteste prenante mais, au fond, un peu triste. D’autant que les défauts du jeu, à commencer par ses hoquets techniques, se révèlent plus voyants que jamais. Les auteurs d’Infamous 2 ont pourtant eu une bonne idée : permettre au joueur de concevoir ses propres épreuves et de les diffuser via internet. Le fruit des efforts d’une multitude de game designers amateurs s’invite ainsi dans notre aventure solitaire. Pour un résultat évidemment inégal, mais qui donne au jeu une tout autre dimension, pour ne pas dire une âme, le rendant plus étrange, instable, varié, vivant. A défaut de faire totalement oublier son manque criant de nouveauté. Erwan Higuinen Infamous 2 sur PS3 (Sucker Punch/ Sony, environ 60 €)

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Mars attacks Embarquement pour Mars, dans les galeries souterraines de la planète rouge, où les pires dangers nous guettent. Sueurs froides et serrage de tripes au menu. s there life on Mars ?”, famille des jeux de tir grâce aux effets soignés s’interrogeait David “à la troisième personne” de ce jeu commercialement Bowie en des temps – notre héros est représenté intermédiaire, ni tout à fait reculés. Oh que oui, lui à l’écran même s’il faut haut de gamme ni vraiment répondent finement bien reconnaître que, vu son série B. Qui mise sur deux les auteurs du dernier manque de personnalité, aspirations apparemment Red Faction, et ladite vie sa fréquentation ne devrait contradictoires du joueur : ne nous veut pas que du pas marquer profondément celle d’avoir peur bien. Au cours des les joueurs vétérans. Qui (osons le mot : de souffrir) premières heures passées ne manqueront pas de noter et celle de s’en sortir à arpenter les sombres les points communs finalement sans trop de galeries (ne pas s’attendre du jeu avec le très populaire mal en apprenant à admirer ici beaucoup Gears of War. L’ombre à maîtriser les subtilités du de ciels étoilés) de la du blockbuster d’Epic plane gameplay (choisir la bonne planète rouge, élaborées sur le nouveau Red Faction arme, reconstruire en avec soin, on fera comme, plus originale passant certains édifices notamment connaissance et intéressante, celle détruits). L’exercice avec les Grouilleurs des Chroniques de Riddick. a-t-il été profitable ? et les Ravageurs. Qui, Bienvenue dans la science- Ça se discute. Mais il nous on s’en porte fébrilement fiction musclée, donc, a pris aux tripes. E. H. témoin, ont été les bestioles répugnantes judicieusement baptisés. peuvent trembler. Mais, Red Faction – Armageddon Cet Armageddon claustrophobe, on frissonne Sur PS3, Xbox 360 et PC (Volition/THQ, de 45 à 70 €) appartient à la grande au moins autant qu’elles

 I

Dofus – Battles Sur iPhone, iPod Touch et iPad (Ankama, 2,39 ou 4,99 €) Spin-off du jeu de rôles en ligne de l’éditeur roubaisien Ankama, Dofus – Battles marie deux genres rois du vidéoludisme ambulant : le RPG tactique et le tower defense façon Plants vs Zombies. Ne pas se fier à son air gentil tout en rondeurs colorées : le jeu se révèle vite aussi ardu qu’obsédant. Essai joliment transformé.

The Legend of Zelda – Ocarina of Time 3D Sur 3DS (Nintendo, environ 45 €) Les longues chevauchées dans la plaine d’Hyrule. La vision terrible, après sept ans de sommeil, d’un monde qui a mal tourné. Les donjons follement inventifs (mention spéciale à l’intérieur du poisson géant Jabu Jabu). Chef-d’œuvre à peu près incontesté du jeu vidéo, Ocarina of Time (1998) est de retour. Et la 3D lui va à ravir. 29.06.2011 les inrockuptibles 103

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Konono n°1 + Kasai Allstars = Congotronics

zinzins et Congo Avant de visiter la France, musiciens de la scène Congotronics et Occidentaux disjonctés se sont rencontrés à Bruxelles pour un concert bordélique et joyeux. A l’image de leur label Crammed, qui fête ses 30 ans.

B   Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

ruxelles est la capitale d’un étonnant pays, la Belgique, qui n’a plus de gouvernement fédéral depuis plus d’un an. Pourtant, le 12 mai, sur la scène du Cirque Royal, on célébrait l’avènement de la République démocratique du Congotronics vs Rockers. Le festival Les Nuits Botanique accueillait le premier concert mondial d’une improbable assemblée réunissant d’éminents ambassadeurs de la scène Congotronics (dix membres de Konono n°1 et de Kasai Allstars) face à dix envoyés spéciaux de la scène indie-rock occidentale (Juana Molina, des membres de Deerhoof, Skeletons, Wildbirds & Peacedrums, Hoquets). La Constitution avait été écrite quelques mois plus tôt sur la double compilation Tradi-Mods vs Rockers, composée de relectures inspirées du répertoire congolais par vingt-six artistes aussi divers qu’Animal Collective, Andrew Bird, Megafaun, Lonely Drifter Karen ou Sylvain Chauveau. Explications de Marc Hollander, patron du label Crammed et chef d’orchestre des projets : “Il y a eu un énorme engouement

de la scène indie-rock anglo-saxonne pour les albums de Konono et de Kasai. Année après année, des artistes citaient ces albums. On a donc pensé à cet album d’hommages, qui s’est fait par échange de fichiers, sans que les musiciens ne se rencontrent. L’idée encore plus folle, en même temps que la suite logique, c’était le live, provoquer une vraie rencontre.” Après une gestation difficile (l’un des membres de Kasai est mort à Kinshasa pendant la préparation du live) et une petite semaine de répétitions collectives à Bruxelles, les vingt musiciens qui s’assemblent sans se ressembler se retrouvaient donc sur scène. Six chanteurs en première ligne, cinq guitares, deux basses, et des instruments aux formes étranges, likembés électriques ou percussions triangulaires… La formation est excentrique, l’œil et l’oreille sont déboussolés. Au début, les musiciens semblent s’écouter, s’épier, se chercher. Très vite, les Congolais mènent la transe. Juana Molina commence à danser comme une petite folle. Les énergies convergent, et on assiste à la montée d’un groove hybride, distordu,

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on connaît la chanson

highway 70

Juana Molina

les énergies convergent, on assiste à la montée d’un groove hybride, distordu, inouï inouï. Empilement périlleux et chaotique de sons d’ici et d’ailleurs, qui ferraillent et forment un mur du son en tôle ondulée. A la fin du concert, Marc Hollander respire : “Les musiciens ne se connaissaient pas avant, ils vivent dans des réalités très différentes, c’est déjà miraculeux qu’ils aient réussi à collaborer.” Ce concert, et la tournée afférente, c’est une pluie de cerises mûres à point sur le gâteau d’anniversaire du label Crammed, fondé il y a trente ans à Bruxelles par Marc Hollander. “Crammed”, ça veut dire “plein à craquer”, mais c’est aussi “de Marc” à l’envers : les disques Crammed, les disques de Marc. Marc Hollander a trouvé le nom au moment de presser le premier disque de son groupe d’alors, Aksak Maboul. Dans Aksak Maboul, il y a aussi Vincent Kenis, compagnon fidèle de l’aventure Crammed – on lui doit la découverte des tsiganes Taraf de Haïdouks en 1991, et l’émergence de la scène Congotronics (il tient d’ailleurs l’une des deux basses sur la tournée). Aksak Maboul est un groupe culte, mélangeant rock, avant-garde et musiques du monde. Et, surtout, un groupe fondateur pour l’esthétique du label Crammed, sa non-image de marque. “Ce que je faisais en tant que musicien avec Aksak Maboul ? Imiter les choses que j’aimais bien, mais foirer les imitations pour que ça devienne quelque chose de personnel. J’ai étendu cette idée à la taille d’un label”, explique Marc Hollander. En trente ans, Crammed a produit environ trois cents albums. Dans les

années 80, le label est plutôt étiqueté new-wave (Tuxedomoon, Minimal Compact, Colin Newman…) tout en produisant les disques du duo electroworld Zazou Bikaye. Dans les années 90, Crammed défriche l’electro avec les compiles Freezone, mais révèle aussi le folk oublié des gitans roumains tout en signant Zap Mama ou la Brésilienne Bebel Gilberto. Depuis, la bonne maison a cartonné avec Staff Benda Bilili et ravi nos oreilles avec les disques de Lonely Drifter Karen ou de Cibelle. “L’éclectisme du label est quasi pathologique, j’ai la phobie d’être enfermé dans une case et je chéris la notion d’accident, quand les choses échappent au plan initial. Quand on embarque avec un artiste, c’est parce qu’on y croit. On fonctionne à l’instinct, avec une connaissance des moyens et des réseaux à notre disposition.” L’une des dernières signatures de Crammed : Hoquets, un trio basé à Bruxelles dont l’album s’appelle Belgotronics, qui joue sur des instruments faits maison (suivant l’exemple de Konono n°1) une musique inclassable (folk-punk-rap-indé) et dont toutes les chansons parlent de la Belgique. Le chanteur de Hoquets est le graphiste de Crammed, et le groupe était sur scène à Bruxelles pour la première de Congotronics vs Rockers. La boucle est bouclée. Stéphane Deschamps Concerts le 6/7 à Metz, le 9 à Paris (Café de la Danse), le 17 à Carhaix (Vieilles Charrues) Album Tradi-Mods vs Rockers (Crammed) www.crammed.be

Kristine Larsen

Cher Bob Dylan, “Forever young” ou “knocking on heaven’s door” ? Tu viens d’avoir 70 ans, et on voulait marquer le coup. Soixante-dix étés, dont cinquante de folk, de rock, de gloire, de mythologie, de mythomanie, de révolutions, de réclusions, de concerts, de chansons, de joie, de doutes, de parano, de réinvention de soi, de conversions religieuses, de bobards grandioses, de polémiques, de silences, de mystères… Tes “back pages” sont plus épaisses que la Bible, et on ne serait pas surpris que tu aies en réalité 700 ans, tel un patriarche. On aimerait parfois se glisser dans ta peau pour savoir l’effet d’avoir vogué sur ce long fleuve intranquille, et surtout pour mieux cerner le fond de ta pensée. Mais peut-être t’est-il aussi opaque qu’à nous autres dylaniens. Je voulais te remercier pour les milliers d’heures de plaisir, de rêverie et d’introspection. Je n’ai que 52 ans, dont quarante d’écoute de folk, de rock, etc. Autant dire que j’ai pris ton train en marche, trop jeune pour vivre en direct tes roaring sixties. C’est plus tard que j’ai bâti ma culture dylanienne, compris que tu avais engendré sans le faire exprès tous les héros de mon temps, les Neil Young, Bruce Sprinsgteen, Patti Smith, Lou Reed, David Bowie, Joe Strummer… Tu n’as jamais fait consensus, jusque dans ces colonnes. Il est vrai que ta voix a parfois bizarrement mué, que ta disco vaste comme le Grand Canyon recèle autant de cactus que de majestueuses mesas, que tu n’es pas un grand showman… Mais la liste de tes chansons sublimes noircirait quatre fois cette chronique, ton charisme procède d’ingrédients rares (l’effacement, l’introversion…), tu as reconfiguré le logiciel du rock, tu es taillé dans le mont Rushmore de la pop culture. Du haut de ta fragile silhouette à la Chaplin, de ton aura de géant à la Ford, de ton œuvre aussi longue et sinueuse que le Mississippi (HibbingMemphis-New Orleans !), le siècle nous contemple.

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McCartney chez Gorillaz ?

Mathieu Zazzo

Et si Macca s’acoquinait bientôt avec les farfelus de Gorillaz ? C’est ce qu’on commence à croire après les récentes déclarations de l’ex-Beatles à propos d’une future collaboration avec Damon Albarn & co : “Nous en avons parlé. Rien de sérieux mais j’aime ce qu’ils font. On n’est pas passés très loin plusieurs fois, mais nous n’avions jamais le temps.” Même s’il est plus qu’occupé en ce moment, on espère que McCartney trouvera le temps d’aller s’amuser avec l’ex-Blur.

Cocoon réédité

la Fnac se met en quatre

Avant d’attaquer la traditionnelle tournée des festivals (Francofolies, Paleo…), Cocoon a pris le temps de peaufiner une nouvelle version de son dernier album en date, Where the Oceans End, qui comprend cette fois-ci cinq reprises, dont celles d’American Boy d’Estelle et de Hey Ya d’OutKast. A écouter sans modération cet été. www.frompandamountains.com

Il y a trois ans, le duo Lansiné Kouyaté-David Neerman faisait sensation en mariant vibraphone et balafon au pays des rêves. L’aventure continue de plus belle avec Skyscrappers and Deities, deuxième album panoramique avec vue sur l’Afrique, le jazz et le dub. Sortie le 5 septembre.

neuf Big Sleep Discret voire insaisissable sur le net, le groupe de Manchester a déjà changé plusieurs fois de nom. Mais c’est sans doute bientôt dans le stade d’Old Trafford que ces gouapes joueront leur rock des jours de tempête, qui fait passer Kings Of Leon pour de chétifs minimalistes. Attention : qui s’y frotte s’épique. http://tiny.cc/fsav0

Mozart Parties Dans le civil, l’hommeorchestre de ce faux groupe s’appelle James Bennett et il vient du Lake District, la région la plus mélancolique d’Angleterre. Et ça s’entend dans ce psychédélisme des bois, supérieurement mélodique, qui pourrait très vite affoler l’Amérique des blogs. www.myspace.com/mozartpartiesuk

Mark Maggiori

Kouyaté/ Neerman : vibrafon et balaphone

Après huit ans d’Indétendances, ce festival change de nom et devient Fnac Live. Il propose cette année, pendant quatre jours, de fêter la world music, l’electro, les femmes et le rock sur le parvis de l’Hôtel de Ville, à Paris, avec près de vingt-cinq groupes dont Moriarty, Nasser, Brigitte ou Selah Sue. Du 21 au 24 juillet à Paris

cette semaine

Les Eurockéennes frappent fort Comme chaque année, les Eurockéennes de Belfort s’offrent une programmation à la hauteur de leur réputation puisqu’on y verra ce week-end les gros noms qui vont bien (Arcade Fire, Arctic Monkeys) et les jeunes chatons hyperactifs (Wu Lyf, Odd Future). Du 1er au 3 juillet à Belfort

The Queen Is Dead

Monteverdi

On fêtait le 16 juin les 25 ans de ce joyau fulgurant de la couronne anglaise, sans doute l’un des albums de rock les plus importants et influents de l’histoire. On n’a pas dit pop, mais bien rock : il suffit de voir les Smiths sur scène à l’époque pour en être convaincu, à jamais. Le NME, dans un numéro spécial, l’a d’ailleurs décrit comme “le plus grand disque de rock indé de l’histoire”.

Du pur vintage : cette musique remonte aux années 40. 1643, pour être précis, mais d’une modernité fulgurante – le drame final pourrait être signé The XX ! C’est logiquement un casting venu du rock qui, en mai prochain, adaptera Le Couronnement de Poppée sur la scène du Théâtre du Châtelet, avec entre autres Carl Barât, Ebony Bones! ou Mark de Cocoon.

vintage

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Valaire agité Spectaculaires sur scène, les Québécois hédonistes de Misteur Valaire accostent enfin en France : grandes jouissances à l’horizon.

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n nage et en apnée, épuisés mais heureux, les membres encore tremblants d’avoir trop remué, les neurones encore fumants d’avoir trop carburé. C’est, à peu près, ce à quoi ressemblent les garçons et filles qui sortent d’un show de Misteur Valaire. La crise ? Disparue. Misteur Valaire l’a abattue à grands coups de montées soniques vers les extases, de jubilations cuivrées, de progressions rythmiques à faire smurfer Dracula et de chorégraphies cinoques. Misteur Valaire : cinq garçons, Luis Clavis, Roboto, Kilojules, DRouin et France, originaires de Sherbrooke, qui ont pour la plupart une solide et très académique éducation jazz mais qui, en gang d’insoumis, ont décidé d’aller voir à l’école buissonnière si le fun n’y était pas. Cinq brillants lurons qui ont jeté aux orties les savoirs trop encombrants et étouffants

“on assume notre rôle de party band, pour faire se lever les foules”

pour n’en faire qu’à leur tête, des têtesmaelströms, bourrées de musiques savantes et d’hédonisme électronique, de pop sur pneumatiques et de hip-hop en Chamallow, des têtes joyeuses comme un cirque ivre. “A force d’être ensemble, explique Luis, de faire de la musique tous les jours, une forme d’autodérision est née dans le groupe : c’est le seul moyen pour nous de rester forts. C’est peut-être en réaction, justement, à notre milieu jazz d’origine. Et on assume de plus en plus clairement notre rôle de party band, pour faire se lever, faire réagir des foules. Ça nous fait aussi beaucoup de bien, c’est ce qui nous anime. Si on faisait de la musique plus sérieuse, ça nous déprimerait sans doute pas mal. Mais on fait attention à trouver un certain équilibre, la qualité doit toujours être là : on ne veut pas se prendre au sérieux, mais on ne veut pas non plus être un groupe de clowns.” Des clowns ? Certainement pas. Des entertainers géniaux, à l’évidence. Et de vrais spécialistes du do it yourself, organisés depuis toujours en structure autonome, intégrée de A à Z : quelques semaines avant le In Rainbows

de Radiohead en 2007, les Québécois distribuaient leur précédent Friterday Night gratuitement sur le net. L’objectif ? Faire se déplacer les foules à leurs concerts, donc transmettre des plaisirs paradoxalement plus tangibles qu’un bout de plastique, et se constituer une solide et très dévouée fan base. Ce sont ces fans qui, par souscription, ont financé ce Golden Bombay, sorti il y a un an au Québec – mis en téléchargement gratuit et en magasin, il y a réalisé l’étrange ratio d’un gratuit pour un vendu. Golden Bombay est le plus pop, le plus accessible, le plus dansant, le plus tubesque, le plus joyeux de leurs albums à ce jour. Mais Golden Bombay est plus qu’un album, bien plus qu’un CD : c’est une invitation à venir jouir avec le groupe sur scène, à venir, avec lui, assassiner les tristesses. Thomas Burgel album Golden Bombay (Mr. Label/ L’Autre Distribution) concerts le 14/7 à Dour, le 16 à Carhaix (Vieilles Charrues), le 21 à Niort, le 23 à Châtellerault, le 24 à Spa (Francofolies) En écoute sur lesinrocks.com avec 29.06.2011 les inrockuptibles 107

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politiquement pas correct, mais poétiquement direct

trésor de l’île

Loin des yeux mais au plus près du cœur, le chanteur de maloya Tiloun est un monstre de douceur et de douleur. Rencontre à la Réunion.



’ai la bonne étoile…”, disait Tiloun à la veille de son concert. Elle brille quand la nuit tombe. Il est à peine 18 heures, et le soleil se couche déjà sur le plus grand festival de l’océan Indien (le Sakifo, à la Réunion). Tiloun est programmé sur la petite scène, près de l’entrée principale. Le public arrive en masse pour voir, plus tard dans la soirée, Camélia Jordana, Stromae ou Tony Allen. Le gros des festivaliers s’arrête à peine devant Tiloun, jette un regard curieux à ce mastodonte de douceur et de douleur, accorde une demi-oreille à cette voix bouleversante d’ogre orphelin, réchauffée par le feu qui couve du maloya. Si l’on s’accorde à penser que la Réunion est en France, on peut alors en déduire que Tiloun est un très grand chanteur français. Ses deux albums, Dé pat ater en 2008,

Kas in poz maintenant, sont ceux d’un Léo Ferré de l’océan Indien. Des trésors subtilement chamaniques dans un genre musical, le maloya, qui remonte, concentre et expurge l’histoire réunionnaise, le métissage franco-afro-indo-malgache, la bâtardise, l’héritage esclavago-colonial et l’harmonie nécessaire, la fierté de la créolité. Et le maloya, on n’est pas loin de penser que c’est la plus belle musique de France. Une musique de combat, de danse et de catharsis, essentielle. Même Camélia Jordana en a chanté au Sakifo. Bien sûr, Tiloun préférerait qu’on arrête de parler de la France. Ou, au moins, qu’on le fasse en créole. Tiloun est un Réunionnais hardcore, défenseur de la langue et de l’identité créoles. Certains l’accusent de racisme, parce que pour parler des métropolitains à la Réunion

il dit “zoreys” plutôt que “Réunionnais nouvellement arrivés”. Politiquement pas correct, mais au moins éveillé, conscient, politisé et poétiquement direct. Tiloun, 44 ans, vient de la Source, un quartier populaire de Saint-Denis, la préfecture de la Réunion. La Source, il y reste, il y retourne. Il chante le maloya depuis plus de vingt ans, mais a enregistré sur le tard, parce que les maîtres Firmin Viry et Danyel Waro le pressaient. En cette Année des Outre-Mer, les artistes réunionnais sillonnent l’Hexagone. Tiloun n’est pas du voyage. Pour le découvrir, il faut aller vers lui. Il n’a ni manager ni tourneur. Ses deux magnifiques albums, autoproduits, ne sont pas distribués (disponibles dans les concerts et sur son site). Il refuse que les billets d’avion pour venir jouer en métropole

soient financés par des subventions. Employé comme travailleur social à Saint-Denis, Tiloun a économisé ses cachets de musicien pour financer son deuxième album. Kas in poz a été enregistré à Madagascar, dans un studio centenaire, à l’issue d’une semaine de résidence avec des musiciens malgaches. Madagascar a peuplé la Réunion et nourri le maloya. Points de retrouvailles entre les musiques des deux territoires : le rythme ternaire, la danse et les paroles improvisées. Dans son disque, Tiloun chante la famille, proche et ancestrale, une histoire personnelle et collective douloureuse, écorchée vive. Té Bana parle de sa sœur, tombée enceinte à 16 ans. Papa Misél, c’est le repeuplement de la Creuse par la déportation d’orphelins réunionnais, organisé jusqu’au début des années 80 – une de ses sœurs est partie. Pou ou, c’est un bouleversant maloya a cappella que Tiloun a enregistré en toute fin de session. “J’ai demandé qu’on rallume le micro. C’est une prière pour ma mère décédée en 1985. Je la remercie et je remercie la vie : avec toutes les difficultés qu’il y a eu, je suis là.” Stéphane Deschamps Album Kas in poz (DPA) www.depatater.org

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Chapelier Fou Al Abama Ici d’Ailleurs/Discograph

Post-electro ? Pré-electro ? Nouveau petit trésor de ce singleton cinglé. Le pseudo emprunte à ce personnage des Aventures d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll qui pose sans cesse des devinettes absurdes (“Pourquoi un corbeau ressemble à un bureau ?”). La musique de Louis Warynski, véritable nom de Chapelier Fou, pose elle aussi une énigme. Instrumentale, elle a pour base un mélange de vieux instruments et de programmations, et s’apparente autant à de l’ambient qu’à une installation electroacoustique. Avec ce minialbum, suite d’un premier, 613, très abouti, Chapelier Fou vient butiner dans les mêmes floralies que Tortoise ou que le compositeur américain Ethan Rose, et même sur les plates-bandes de Nino Rota ou de Steve Reich. Une étape supplémentaire dans l’aventure de plus en plus passionnante d’un minimalisme artisanal sans équivalent, du moins en France. Francis Dordor

Is Tropical Native to Kitsuné/Cooperative/Pias Le dance-floor va encore prendre cher. Quand c’est trop, c’est Is Tropical. l y a quelques jours, le formidable clip de The Greeks plaçait Is Tropical sous les projecteurs de la planète bleue. Ebloui par la chose, Kanye West himself envoyait ses félicitations à Kitsuné, la maison discographique du groupe, que l’on avait découvert l’an passé au Festival Les Inrocks Black XS. Le triomphe mondial semble plus que jamais garanti avec la sortie d’un premier album généreux en tubes à ressorts. Gambettes et dancefloors, soyez prêts : Is Tropical est pour vous une excellente nouvelle, la meilleure, peut-être, depuis certains singles de Yeasayer. Mille-feuille, radieuse, bondissante et ludique, l’electro-pop des Anglais célèbre la réunification du pays des machines et de la contrée des guitares. De Land of the Nod, petit bijou de joie et de fête, à South Pacific, générique parfait de tous les road-movies californiens, le trio masqué – ils aiment dissimuler leurs visages derrière des foulards – ne pourra pas longtemps cacher sa véritable identité : Is Tropical, c’est les Klaxons, en mieux. Johanna Seban

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www.chapelierfou.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Franck Loriou

www.myspace.com/istropical En écoute sur lesinrocks.com avec

The Robot Heart The Robot Heart Bleeding Heart Records

Les chansons belles et mélancoliques de garçons de plage de Brighton. A Brighton, une légende raconte que si l’effervescence de la scène locale ne dépasse que rarement les murs de la cité, il existe une raison simple à ça : les groupes sont tellement attachés à leur ville et à sa nonchalance cool qu’ils refusent de sacrifier leur torpeur pour les affres d’une carrière. Partout ailleurs, un groupe aussi effrontément doué que The Robot Heart aurait sans doute eu plus faim, plus de raisons d’échapper à son quotidien mais, visiblement, l’oisiveté hallucinée, ce cocon protecteur, lui convient parfaitement. Mieux encore, ils nourrissent ces chansons étales, raffinées, qui ont trouvé dans la douceur et la contemplation l’antidote à la noirceur absolue du propos – chansons de deuil, de drogues, de maladies mentales… Il y a donc beaucoup de Sparklehorse, dans le fond (du trou) comme dans la forme de ces Singing to the Ghost ou Lost in Stereo, authentiques trésors de songwriting clair-obscur : pas étonnant que Guy Garvey, d’Elbow, les considère comme des génies. JD Beauvallet www.myspace.com/ therobotheart 29.06.2011 les inrockuptibles 109

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Chad Valley Equatorial Ultravox Loose Lips Records/Cooperative/Pias

The Antlers Burst apart Transgressive/Cooperative/Pias D’une beauté sombre et renversante, un chef-d’œuvre venu de New York. ur leur précédent là où les maux et les mots album, le terrifiant devraient l’accabler Hospice, les de goudron et de plumes New-Yorkais calcinées. racontaient avec Aux frontières du silence, des détails qu’on ne leur cette musique aussi demandait pas l’agonie économe que somptueuse d’une victime de cancer. est à la hauteur, Le cancer ronge aujourd’hui exorbitante, des enjeux leur musique, abattue, imposés par ce chant : douloureuse, d’une beauté elle lui offre des gospels partout sidérante. Chant du translucides, des ballades cygne d’un rock blanc à la de cristal, des torch-songs noirceur aveuglante, Burst effarées, des flammèches apart est l’oraison funèbre chancelantes qui d’un genre qui ne pourra éblouissent et réchauffent. guère aller plus loin. On risque de s’y brûler Et pourtant, au bord de tout l’été. JD Beauvallet ce gouffre, Peter Silberman, falsetto du néant, chante www.antlersmusic.com avec une grâce et En écoute sur lesinrocks.com avec une légèreté impensables,

Un joli chaud-froid de pop music, par un cousin avachi d’Hot Chip. Le dance-floor est en coton, le light show en Chamallow : c’est la nouvelle grande discothèque, on peut y danser à l’horizontale, y rêvasser les yeux dans la Voie lactée. Des Américains Washed Out à l’Anglais Chad Valley, le disco est servi moelleux, brumeux, flou, en slow. C’est la dancemusic des assoupis, des contemplatifs, des avachis de la vie : Ibiza dérive au large de Saint-Pierre-et-Miquelon sur cet album en omelette norvégienne, torpeur des Baléares contre givre new-wave. “I want your love”, susurre Chad Valley. C’est gagné. JDB www.myspace.com/hugomanuel En écoute sur lesinrocks.com avec

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Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou The First Album (1973) Analog Africa/Differ-ant Réédition d’une perle rare de l’afro-beat. On redécouvre l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, un des plus anciens d’Afrique, avec un nouvel album (le premier en vingt-cinq ans), une tournée et cette réédition. En 1973, cinq ans après sa formation, l’Orchestre enregistrait ce premier disque. Il donne là les gages d’une pratique amateur dépassant en qualité bon nombre de professionnels. La rythmique est marquée, les guitares et les orgues sont d’un répétitif quasi obsessionnel, les solos sont nombreux et, au final, les chansons télescopiques. Enregistré à Lagos – en d’autres termes, auprès de Fela –, ce First Album est un délice d’afro-beat capiteux. Guillaume Belhomme analogafrica.blogspot.com

My Morning Jacket Circuital V2/Cooperative/Pias A poil long et de mauvais poil, le rock agité d’infatigables Américains. La veste en question commence à être élimée par les voyages et les drames – elle a gagné en patine ce qu’elle a perdu en forme, tant mieux. Car comme tant d’autres (Ryan Adams...), Jim James aurait pu devenir sédentaire, creusant obsessivement le même sillon. Malgré des textes qui, eux, régressent de manière inquiétante, les guitares de ce mauvais fils du Kentucky ont gagné en ampleur, en relief, en possibles – on les avait connues acoustiques, elles sont électrocutées, défroquées du folk. Etonnamment raisonnables sur le courageux mais souvent raté dernier album, Evil Urges, elles reviennent à un rock plus poilu, nerveux, mal luné du côté de Neil Young – et paradoxalement de plus en plus luxuriant, délicat même. Dans la vie, ces garçons hirsutes ressemblent aux Fleet Foxes. Mais ils en sont la face obscure : défoncés, païens, freak et cramés. Un genre de BO idéale pour lire T. C. Boyle. JDB www.mymorningjacket.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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The Toxic Avenger Angst Roy Music

Tom Vek Leisure Seizure Cooperative/Pias Retour inespéré du bricolo touche-à-tout de la pop anglaise. Nouveau triomphe. epuis six ans rythmique à faire passer un talent inné pour les qu’il avait disparu les matheux de Foals pour compositions-oxymores. des radars, des pratiquants de lutte Tenez-vous le pour dit, on commençait à l’huile. Dans les échos de l’écoute de Leisure Seizure, sérieusement à s’inquiéter cloches de World of Doubt, comme celle des Songs pour Tom Vek, au point gabarit de rock fragmenté about Dancing and Drugs de d’envisager de sortir et abrasif à la Beck. Dans Circlesquare, donne autant Jacques Pradel de sa les déferlantes de bleeps de envie de danser que de bonbonne de formol pour A.P.O.L.O.G.Y., mille-feuille mettre des danses. le mettre sur le coup. Ouf pop digne du meilleur de Mais au fait, où était-il de soulagement, recourir TV On The Radio. Dans passé pendant tout ce à de telles extrémités la surdité de la basse temps ? Nulle part, répond est désormais aussi inutile d’A Chore, dans les samples avec candeur ce Londonien que les groupes de limiers d’accordéon qui effleurent attifé comme Sheldon qui pullulèrent sur Cooper (de la sitcom The Big On a Plate, dans les Facebook au lendemain de vibrations du dubstepesque Bang Theory) après une sa volatilisation : Tom Vek Close Mic’ed, bref dans tous séance de relooking chez est vivant et, deuxième bonne Jarvis Cocker. Il prenait ces détails qui font la nouvelle, il n’a (presque) différence entre les bonnes tout simplement le temps, pas changé. chansons et les grandes entre acquisition de matos Car s’il n’est plus chansons. Celles de Tom vintage, apprentissage de le prophète de l’electro-pop techniques de production et Vek, chantées avec geeky découvert sur We Have déménagements de studio, l’inimitable timbre d’éternel Sound (Metronomy, Hot incompris qui est le sien, de consolider les bases Chip ou MGMT pourraient sont immenses. de ce deuxième crossover. Benjamin Mialot lui ériger une statue tant ils Et ça s’entend. Dans les lui doivent), il partage chocs de cymbales d’Aroused, www.tomvek.tv toujours avec Jeremy Shaw d’une sophistication

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L’electro du Parisien joue aux durs, mais elle a le cœur tout romantique. A l’origine, The Toxic Avenger est un navet gore et lo-fi, ado et geek avant la mode. Visiblement spécialiste de la série Z, le DJ Toxic Avenger a fait ses premières armes dans un groupe rock baptisé Ed Wood Is Dead. Logique, il joue aujourd’hui une electro-pop lo-fi, teenage cradouec, mais surmultipliée par une production hollywoodienne. Festival de crêtes et d’abysses, de montagnes russes et rusées, de poussées orgasmiques et de coups de grisou, Angst porte bien son nom : il contient toute la rage, la colère, l’angoisse, l’urgence d’une adolescence que le Parisien regarde filer avec tendresse, se souvenant de la pop MTV (le merveilleux Alien Summer) comme de la misère du grunge (un Never Stop au rock sousjacent). Autrefois remixé par une certaine élite du rock électro-nucléaire (Juan McLean, Bloody Betroots), il évite le plus souvent ces beats et riffs pantagruéliques pour un humble songwriting pop, ensuite livré à la sauvagerie ou la sensualité de machines soupe au lait. En bonus, son duo avec Orelsan continuer de faire bouger les sous-vêtements. Benjamin Montour www.myspace.com/toxavanger En écoute sur lesinrocks.com avec 29.06.2011 les inrockuptibles 111

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“et puis j’ai vendu soixante millions de disques !” Un génial docu retrace l’épopée insensée du label Creation Records. Mais personne n’en parle mieux que son fondateur, Alan McGee. Etes-vous officiellement retiré de l’industrie du disque ? Alan McGee – Je bricole mais j’ai compris que je n’avais plus rien à voir avec le music-business, qui est aujourd’hui dirigé par des banquiers. Des gens qui ne savent pas ce que c’est que l’acid-house. Je suis trop bizarre pour ça. Alors je vis dans une grande maison au pays de Galles, à quarante kilomètres de la première gare, avec femme et enfant. Dans le village,

“même si Noel Gallagher jouait dans ‘Scoubidou’, il serait fucking brilliant”

tout le monde se contrefout d’Oasis et de Creation, et ça me plaît. Je n’ai plus envie d’être le mec cool. Quand est venue l’idée d’un documentaire sur le label ? Le réalisateur Danny O’Connor a fait un bon boulot, même si c’est facile d’être brillant quand on s’attaque à une histoire aussi dingue que celle-là, et qu’on interviewe un type comme Noel Gallagher, qui est à la fois un gentleman et le type le plus drôle d’Angleterre. Même s’il jouait dans Scoubidou, il serait fucking brilliant. Vous souvenez-vous de tout ? Je me souviens à peine

de l’année 1993. Entre 1988 et 1994, je prenais tout ce qu’on me proposait : cocaïne, speed, ecstasy. Et de l’héroïne s’il n’y avait rien d’autre. Aujourd’hui, je marche au café. Je n’incite personne à aller se droguer, mais il est évident qu’on n’aurait pas publié ces albums autrement. On était plus ouverts, on a tenté des choses musicalement, on s’est autorisé des mélanges audacieux. Les drogues ont aussi permis de motiver mes musiciens. Pendant la tournée de Screamadelica, je réveillais chaque membre de Primal Scream avec une ligne de cocaïne vers 14 heures. Ah ah !

Avez-vous l’impression d’être un survivant ? Probablement, oui… Je suis clairement abîmé, comme mon vieux copain Bobby (Gillespie). Mais on est clean aujourd’hui. Je dirais qu’on est fonctionnels, mais probablement moins rationnels que vous ! Vous avez commencé en empruntant mille livres à la banque Natwest. Pensiez-vous que Creation allait devenir un label si important ? J’espérais que ça durerait au mieux trois, quatre ans. J’ai rendu les sous à la banque depuis ! Au départ je voulais copier Whaam!, le label de TV Personalities, mélanger comme eux le psychédélisme et le punk-rock. Et puis j’ai vendu soixante millions de disques (rires)… Je savais qu’Oasis allait devenir célèbre, mais personne n’aurait pu prédire ce qui s’est passé. Je me disais qu’ils seraient au moins aussi gros que Dodgy (rires)… Qu’écoutez-vous aujourd’hui ? Je continue à aimer Primal Scream, les Beatles, Oasis, les Stone Roses, mais j’écoute peu de nouveautés. J’ai adoré ce groupe français, Sourya. Je ne comprends pas qu’ils ne soient pas plus connus, ils ont tout pour être énormes. De quels albums êtes-vous le plus fier ? Screamadelica de Primal Scream et Definitely Maybe d’Oasis. Mon plus grand regret va à Felt, qui avait tout pour marcher. Les gens se souviennent des succès et oublient les échecs. Il y en a eu chez Creation. Je ne suis pas du tout un héros. J’ai juste adopté la bonne stratégie : je me suis contenté d’être aux côtés des gens qui déchiraient. recueilli par Johanna Seban photo Rüdy Waks DVD Upside Down – The Creation Records Story, en import www.upsidedownthemovie.com

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Dog Is Dead Your Childhood Your Childhood Records Venue de Nottingham, de la pop joyeuse et chiadée : hot dog. e label et le single Vampire Weekend pour cette s’appellent “Ton enfance”, frénésie archicontrôlée, cette le premier titre Young. liesse contagieuse (on les a vus Inutile de préciser donc retourner une salle qui ne les que ces Anglais sont encore connaissait pas). Mais les garçons secoués par les tourbillons de Nottingham savent aussi varier d’hormones, d’énergie et de les tempos et plaisirs, offrant trouble de l’adolescence. Si cet ici et là des chorales radieuses empressement agite des chansons et ardentes qui feront du bien, cet sautillantes, leur sophistication, automne. Nom d’un chien. JDBeauvallet leur soin du détail insolite, leur goût des harmonies tarabiscotées et leur sidérant esprit de corps www.facebook.com/dogisdead abasourdissent pour un groupe à concert au Festival des Inrocks en novembre l’évidence si jeune. On pense à

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Damon Albarn Apple Carts Ce premier morceau très court de John Dee, second opéra de Damon Albarn, a été présenté par l’ultraprolifique Londonien sur la BBC. Beaucoup de cordes délicates pour une ambiance surannée : rien d’étonnant puisque John Dee était un savant élisabéthain. www.youtube.com

21YO ESL A l’origine de 21YO, Hugo Aymé, jeune Niortais passionné par New York, sa musique et son cinéma. Autant d’influences qui aboutissent à une pop euphorisante digne des envolées psychédéliques d’Animal Collective et de Tame Impala. www.lesinrockslab.com/21yo

How To Dress Well Us in the Sense of Forever La chaîne de télévision américaine Adult Swim a du goût : elle s’associe à la crème des musiciens indé pour sortir un single, souvent inédit, chaque semaine. How To Dress Well et son r’n’b déstructuré y participent, avec un morceau hantant à l’atmosphère mystérieuse. www.youtube.com

Radiohead Staircase Le groupe d’Oxford doit sacrément avoir la bougeotte : à peine quatre mois après la sortie de The King of Limbs, il vient de lever le voile sur une nouvelle chanson filmée en live lors d’une session pour le prestigieux site From the Basement (pour lequel opère le producteur Nigel Godrich). www.lesinrocks.com/inrockstv 29.06.2011 les inrockuptibles 113

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Dès cette semaine

Angus & Julia Stone 14/7 Aix-lesBains, 16/7 Carhaix, 22/7 Lyon, 23/7 Six-Fours-lesPlages, 24/7 Arles Avi Buffalo 8/7 Paris, Flèche d’Or Battles 30/6 Paris, Cabaret Sauvage BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Beirut 12/9 Paris, Olympia The Black Lips 28/9 Tourcoing, 30/9 Paris, Cigale, 1/10 Marseille, 3/10 ClermontFerrand, 4/10 Lyon Brigitte 31/10 Paris, Olympia Cat Power 3/7 Paris, Cité de la Musique Clap Your Hands Say Yeah 12/9 Paris, Maroquinerie CocoRosie 27/8 SaintCloud Concrete Knives 3/7 Caen, 9/7 Argelès-surMer, 14/7 Saint-Tropez, 15/7 Musilac, 16/7 La Rochelle, 28/8 Saint-Cloud, 21/10 ClermontFerrand, 11/11 Villefranchesur-Saône, 25/11 Brest Congotronics vs Rockers 9/7 Paris, Café de la Danse, avec Deerhoof, Konono n °1, Kasaï, Juana Molina, etc. Da Brasilians 2/7 Caen, 14/7 Les Sablesd’Olonne, 15/7 SaintBrevin-lesBains, 21/7 Blois

Deus 14/10 Le Havre, 19/10 Strasbourg, 20/10 Dijon, 21/10 Lyon, 22/10 ClermontFerrand, 24/10 Paris, Trianon, 25/10 Caen, 27/10 Bordeaux, 2/10 Vendôme, 29/10 Reims, 30/10 Lille Eels 4 & 5/7 Paris, Bataclan Electrelane 22/7 Paris, Glazart Les Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3/7 à Belfort avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, Motörhead, House Of Pain, Katerine, Anna Calvi, etc. Bryan Ferry 21/7 Arles, 22/7 Carcassonne, 25/7 Lyon, 30/7 Monte-Carlo Festival Au foin de la rue 1er et 2/7 Saint-Denis de Gastines avec Tiken Jah Fakoly, Yael Naim, Jacqee, The Qemists, etc. Festival Beauregard Du 1er au 3/7 à Hérouville Saint-Clair avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi, Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, Eels, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, etc. Festival Days off Du 30/6 au 10/7 à Paris, Cité de la Musique avec Fleet Foxes, Cat Power, Peter von Poehl, I’m From Barcelona, etc. Festival Les Nuits secrètes 5, 6 & 7/8 à Aulnoye-

Aymeries, avec Katerine, Peter Bjorn & John, Gablé, Wild Beasts, etc. Fiest’A Sète Du 25/7 au 8/8 à Sète avec Afrocubism, Seun Kuti, Maceo Parker, Ebo Taylor, etc. Arnaud Fleurent-Didier 7/7 Paris, Bouffes du Nord Brigitte Fontaine 29/6 Paris, Bataclan Les Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Le Grand Souk All VIP Du 21 au 23/7 à Ribérac avec Two Door Cinema Club, Katerine, The Bewitched Hands, Tahiti 80, Violens, etc. Macy Gray & Black Thought (The Roots) 11/9 Paris, Grande Halle de La Villette Heather Nova 20/11 Paris, Bataclan, 2/11 Tourcoing Nick Howard 19/10 Paris, Flèche d’Or Hushpuppies 15/7 La Rochelle Nicolas Jaar 29/6 Paris, Cabaret Sauvage Jehro 10/10 Paris, Cigale Jay-Jay Johanson 6/10 Nancy, 17/11 Lille, 18/11 Caen, 21/11 Paris, Trianon, 22/11 Lyon, 23/11 Toulouse, 25/11 Montpellier, 26/11 Marseille Jim Jones Revue 5/10 Alençon, 6/10 Saint-Avé, 8/10 Bègles, 9/10 Angoulême, 11/10 Mulhouse, 14/10 Creil, 15/10 Massy Miles Kane 15/7 Carhaix,

26/8 SaintCloud Karkwa 29/6 Paris, Maroquinerie, 3/7 Belfort, 7/7 Orléans Kasabian 1/7 Hérouville Saint-Clair, 9/7 Goulien, 16/7 Aix-les-Bains, 22/11 Paris, Zénith BB King 30/6 Paris, Grand Rex The Kooks 18/10 Paris, Casino de Paris, 19/10 Bordeaux, 20/10 Toulouse, 24/10 Lyon The Lanskies 12/7 Viervillesur-Mer, 16/7 Bôle, 23/7 Briouze Main Square Festival Du 1er au 3/7 Arras avec Coldplay, Linkin Park, Arcade

Fire, Portishead, The Chemical Brothers, Elbow PJ Harvey, etc. Florent Marchet 23/7 Bournezeau, 24/9 Seclin, 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch, 2/11 Paris, Casino de Paris James Vincent McMorrow 29/6 Paris, Bouffes du Nord, 8/7 Puget, 10/7 Montreux Metronomy 4/7 Calvi, 5/7 Paris, Cité de la Musique, 6/7 Nîmes, 7/7 Orléans, 21/7 Biarritz, 5/10 Dijon, 6/10 Caen, 7/10 Lille, 8/10 Reims, 8/11 Lyon, 9/11 Montpellier, 10/11 Paris, Olympia, 11/11 Amiens, 12/11 Nantes,

13/11 ClermontFerrand Mogwai 4/7 Paris, Folies Bergère Motörhead 23/10 Toulouse, 25/10 ClermontFerrand, 26/10 Nantes, 31/10 Lille, 21/11 Paris, Zénith Nasser 3/7 Belfort, 9/7 Saint-Ambroix, 15/7 Carpentras, 16/7 Carhaix, 20/7 Nyon, 29/7 Domaize, 6/8 TrévouTréguignec, 10/8 Pau, 12/8 Luxey, 20/8 Centrès, 27/8 SaintThélo, 10/9 Chatou, 29/9 Montpellier, 1/10 Nantes Les Nuits de Fourvière Du 7/6 au 30/7 à

Lyon avec Arctic Monkeys, Catherine Ringer, Beirut, Lou Reed, Two Door Cinema Club, Agnes Obel, Tame Impala, etc. Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Bouffes du Nord, 15/9 Lille, 16/9 Rouen, 17/9 Laval, 19/9 Toulouse, 23/9 Bordeaux, 20/10 Limoges, 21/10 Poitiers, 22/10 La Roche-sur-Yon, 24/10 Brest, 25/10 Vannes, 26/10 Angers, 28/10 Marseille, 29/10 Nice, 1/11 Lyon, 2/11 Paris, Casino de Paris, 3/11 Caen Madeleine Peyroux 5/7 Paris, Trianon

aftershow

Nouvelles locations

Prince 30/6 Paris, Stade de France La Route du rock Du 12 au 14/8 à Saint-Malo avec The Kills, Fleet Foxes, Blonde Redhead, Mogwai, Battles, Electrelane, Crocodiles, Cat’s Eyes, etc. Omar Souleyman 14/9 Paris, Point Ephémère, 16/9 Lyon The Specials 27/9 Paris, Olympia The Strokes 20/7 Paris, Zénith Stromae 3/11 Paris, Olympia Success 1/7 Châteauroux, 2/7 Bobital, 9/7 Guéret,

En location

27/8 Bréalsous-Montfort These New Puritans 8/7 Paris, Machine The Toxic Avenger 3/7 Aix-enProvence, 16/7 Villefranchesur-Mer, 29/7 Brest, 30/7 Domaize, 29/9 Paris, Cigale TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia Vetiver 7/7 Paris, Flèche d’Or We Love Fantasy 13/7 Paris, Parc Floral avec James Murphy, Friendly Fires, Superpitcher, Mount Kimbie, Nosaj Thing Patrick Wolf 7/11 Paris, Maroquinerie

Tsenga 2

festival Sakifo Du 9 au 12 juin à la Réunion Dans l’avion pour la Réunion, des vedettes : Camélia Jordana, Stromae, les Wampas, Vieux Farka Touré, Boubacar Traoré et même Laurent Gerra. C’est qu’il se passe un truc : tout ce beau monde (sauf Laurent Gerra, mais c’est pas grave) va à Saint-Pierre pour le Sakifo, festival de référence dans l’océan Indien, dont la programmation colle à la terre réunionnaise : éclectique et multicolore, en un mot créole. Le premier soir, c’est d’ailleurs la fête aux musiques de la région. Grosse sensation pour Tsenga 2 (groupe de Mayotte et des Comores) dont on reparlera, et Firmin Viry, ancêtre du maloya toujours souple et bien accompagné. Dès le lendemain et pour trois jours, sur le site avec vue sur les vagues de l’océan, les concerts s’enchaînent sans relâche. Mention spéciale à Vieux Farka Touré (qui est bien le fils de son père mais branché sur 3 000 volts), aux increvables Wampas (sur 300 000 volts), aux locaux Lindigo (qui pratiquent un maloya quasi afro-beat), à The Dø (féeriques sous les étoiles) et surtout à Camélia Jordana (la voix lactée) qui chantera même pour finir une reprise du héros péi Danyel Waro. Osé, et réussi. Dans l’avion du retour, il ne restait qu’elle. Stéphane Deschamps

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spécial

été

femmes hors du communues

Héroïnes excentriq et figures d’exception inaugurent nos pages estivales.

poupée sexuelle Avant de mourir noyée, Rebecca préférait faire l’amour avec une poupée. Dans une nouvelle récemment redécouverte de Daphné Du Maurier, l’héroïne la plus mystérieuse de la littérature anglaise vivait seule avec un automate.

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ne fille préfère faire l’amour avec une poupée mécanique plutôt qu’avec un homme… C’est le thème délicieusement pervers que la jeune Daphné Du Maurier, qui deviendra l’auteur à succès de Rebecca, L’Auberge de la Jamaïque et Les Oiseaux, alors au seuil de la vingtaine dans les années 20, imagina pour l’une de ses premières nouvelles, “The Doll”. Perturbante, encore aujourd’hui, choquante alors, “The Doll” fut publiée dans une revue puis refusée par les éditeurs, puis publiée enfin en 1937 dans un volume rassemblant les recalés de l’édition, The Editor’s Regrets, pour ensuite disparaître…

et réapparaître dans l’autobiographie de Daphné Du Maurier, Myself When Young, en devenant ce cultissime graal que les fans rêvaient de découvrir un jour. L’une de ces fans, Ann Willmore, collectionneuse forcenée et libraire, a récemment mis la main sur cette nouvelle, ainsi que sur quelques autres uniquement publiées dans des revues et oubliées depuis : elles viennent de sortir en Angleterre en un recueil intitulé The Doll. Car il s’agit bien de la nouvelle la plus forte, la plus énigmatique du livre, non seulement à cause de la perversion sexuelle qu’elle suggère mais aussi parce que la jeune héroïne en question se nomme Rebecca.

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Rue des Archives

Dans le chef-d’œuvre éponyme (1938) de Daphné Du Maurier comme dans le film (1940) qu’en tira Alfred Hitchcock, Rebecca n’apparaît jamais que sous la forme de son prénom, de ses initiales brodées sur toutes les serviettes de Manderley, le manoir où elle vécut avec son mari Max de Winter. Et pour cause : morte noyée avant le début du livre, tous l’évoquent au passé comme une femme fatale renversante, rendant les hommes fous d’amour et de jalousie, hantant de sa présence fantomatique Manderley, le cœur de la gouvernante lugubre, l’esprit de la nouvelle épouse de Max, jusqu’au vertige morbide. Lire “The Doll”, c’est pénétrer dans les coulisses de Rebecca et constater qu’un écrivain imagine d’abord sa créature avant de la tuer. Si l’on peut fantasmer ce que fut Rebecca, mais le fantasmer seulement, Du Maurier, elle, le sait parfaitement. Dans “The Doll”, elle l’a déjà incarnée, rencontrée, en a déjà montré la face obscure, monstrueuse, et sa force de nuisance : mépriser les hommes, les castrer, en leur préférant un automate ; mépriser l’humain au profit d’une machine.

Quand le jeune narrateur rencontre Rebecca dans une soirée, il est fasciné : étrange, mystérieuse, elle a la grâce d’un elfe – pas ultra féminine, donc. Elle s’habille de velours pourpre, vit dans un appartement vide de Bloomsbury au fond duquel une porte reste close sur une pièce secrète – ça, c’est pour le côté gothique de Daphné Du Maurier, qui aura toujours excellé à créer des atmosphères oniriques, dangereuses. Un soir, Rebecca entraîne le jeune homme dans la pièce interdite, l’embrasse sauvagement sous les yeux de l’habitant de la chambre : une poupée ressemblant à un garçon – ou au diable. Après des semaines où elle refusera de se laisser toucher à nouveau par le narrateur, il se rendra une nuit chez elle et la surprendra tendrement enlacée avec l’automate… Daphné Du Maurier avait elle aussi un secret : sa bisexualité. Dans ses lettres les plus intimes, elle écrit s’être toujours sentie garçon. A 18 ans, elle vit une passion avec une autre femme, de douze ans son aînée, avant de décider d’enfermer le “garçon” qu’elle est profondément dans une boîte et de l’oublier à tout jamais. Elle se mariera, aura même un amant, des enfants, jusqu’au moment où, vingt ans plus tard, elle tombera sous le charme d’Ellen Doubleday, la femme de son éditeur américain. Il lui faudra alors lutter pour que le garçon ne sorte pas à nouveau de sa cachette… Rebecca est morte enfermée dans une sorte de boîte : la cabine d’un bateau qui a coulé. L’automate avec qui elle préfère faire l’amour gît enfermé entre les quatre murs d’une pièce secrète. La nouvelle “The Doll” s’impose elle-même comme une boîte, un coffre de mots où repose l’indicible secret de Du Maurier, qui hantera tous ses romans et sera l’enjeu même de Rebecca : le fait qu’elle préférait les femmes aux hommes… Rappelons-nous de la façon dont Rebecca est amoureusement évoquée par sa gouvernante, Mrs Danvers, dans le roman : une femme qui se foutait des hommes et pour qui faire l’amour avec eux n’était qu’un jeu – elle les méprisait tous, dira-t-elle. Ainsi, l’une des clés de ce mystérieux roman qu’est Rebecca serait l’obsession amoureuse entre femmes, où les hommes ne seraient que les jouets, les faux liens, les couvertures. “The Doll” reste peut-être le texte le plus intime de l’écrivaine, qui ne pouvait le commettre que très jeune, pas encore au faîte de sa maîtrise dans l’art d’inventer une fiction – et de mentir sur elle-même. Où elle se dévoile, à son insu, telle qu’elle est : Rebecca et le garçon, la créature et son secret, le désir et sa jouissance, réprouvés par la société, ne pouvant s’unir qu’en accouchant d’un créateur, l’écrivain. Qui ne s’autorisera plus qu’un seul trouble érotique : écrire. Nelly Kaprièlian The Doll – Short Stories (Virago Press), en anglais

en marge

c’est l’amour à la page Vacances ne veut pas dire vacance. Pour ne pas périr d’ennui, rien de tel que les livres. Mine de rien, l’été est en train de nous tomber dessus. Pardon d’être aussi brutale, mais autant vous prévenir, c’est l’été, et qui dit été suggère son corollaire angoissant : les vacances. Et qui dit vacances dit qu’il va falloir vaquer… Et vaquer, c’est simple, ça rime toujours plus ou moins avec : se prendre la pluie en Normandie, boire du cidre tiède en Bretagne, être obligé de passer trois heures dans l’inconfort d’une chaise longue, faire d’interminables “bouffes” avec ses “potes”, regarder son filleul de 2 ans s’émerveiller devant des bébés crabes, jardiner le… jardin. Bref, l’horreur. A chacun sa définition de l’enfer, me direz-vous… Car ça, c’est pour ceux qui ont les moyens de partir. Vaquer, quand on ne part pas, c’est encore autre chose. C’est pourquoi les rubriques livres de tous les journaux, dont la nôtre, vont commencer à vous prodiguer force conseils de lecture pour vous empêcher de prendre trop conscience de la pénibilité de vos vacances, où que vous les passiez. Ecoutez-les. Sauf ceux, insupportables, qui pensent que l’été on devient con et qu’il nous faut des livres simples et sympas. Ou forcément des polars. Comme ceux de l’hyper-ennuyeuse Fred Vargas, par exemple, qui enchaîne les dialogues limite dadaïstes dans son méga-tube L’Armée furieuse. Oubliez Vargas, mais foncez dans les librairies faire le plein de tous ces romans que vous n’avez pas eu le temps de lire cette année. Vous ferez au moins un heureux : l’éditeur. Depuis mars, l’édition traverse une crise comme elle n’en aurait pas connue depuis la guerre du Golfe, affirment certains éditeurs. Qui partent en vacances inquiets à la veille du déferlement de la rentrée littéraire.

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la Castiglione, une vie

Musée d’Orsay, dist. RMN/Alexis Brandt

1837 Naissance de Virginia Oldoïni à La Spezia, en Italie 1853 Elle épouse à 16 ans le comte François Vérasis de Castiglione. Deux ans plus tard, elle lui donne un fils, Georges. 1855 Envoyée à Paris par Cavour et le roi Victor-Emmanuel II, elle devient la maîtresse de Napoléon III. 1856 Premières séances photo avec Pierre-Louis Pierson. 1870 Pendant la guerre franco-prussienne, elle joue les diplomates auprès de Bismarck. 1879 Mort de son fils Georges. 1880 Elle vit recluse dans un sous-sol place Vendôme. Elle ne sort plus que la nuit. 1899 Elle meurt à 62 ans. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise.

La comtesse de Castiglione vers 1860

cent ans avant Warhol Courtisane mythique de la fin du XIXe siècle, ancêtre d’Andy Warhol ou de Cindy Sherman, la comtesse de Castiglione a laissé 450 portraits photographiques d’elle-même. Une obsession au cœur de la biographie raffinée qui lui est consacrée.

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étaïre aristocrate devenue phénomène de foire à la manière de Lola Montès, espionne de charme comme Mata Hari, maîtresse de Napoléon III, icône fin de siècle pour dandys, la comtesse de Castiglione a incarné mille et un rôles, mais fut avant tout le metteur en scène de son existence, la créatrice de son propre mythe. Un “mythe à éclipses”, comme le souligne Nicole G. Albert, qui consacre une nouvelle biographie à la bellissima du Second Empire. Celle qui inspira Montesquiou, Zola, Audiberti, entre autres, connaît un retour en grâce. Elle fait aujourd’hui l’objet d’expositions à travers le

monde, inspire des romans comme L’Exposition, très beau livre de Nathalie Léger paru en 2008… Eminemment moderne, la Castiglione a annoncé Warhol, Cindy Sherman et même Lady Gaga. Elle est entrée dès le XIXe siècle dans la société de l’image et du spectacle, se saisissant avant tout le monde du médium photographique dans une tentative éperdue de fixer sa beauté sur plaque argentique jusqu’à faire de sa vie un roman-photo, une autofiction visuelle. Envoyée à Paris pour séduire Napoléon III et œuvrer en sous-main à l’unité italienne, la Castiglione, née Virginia Oldoïni, devient très vite la nouvelle sensation de la cour. Chacune de ses apparitions est un

événement. Elle subjugue par sa beauté hiératique et surtout par ses tenues audacieuses et provocantes, qu’elle se déguise en paysanne normande, en dame de cœur ou en reine d’Etrurie. Ses coiffures vertigineuses, blondes, brunes ou cendrées, poudrées d’or ou d’argent, subliment son visage à l’ovale parfait. Devenue la favorite de l’empereur, elle règne sur Paris et s’attire la jalousie des autres femmes – son mutisme hautain suscite l’antipathie. Seulement, sa splendeur se consume vite. Rejetée par Napoléon III, la comtesse se mue en recluse, “ermite de Passy” avant de finir “murée vivante” dans un taudis. Mais elle n’aura de cesse, grâce à la photographie, de

rejouer son heure de gloire devant l’objectif, revêtant les costumes qui l’ont faite “plus belle femme du siècle”. Elle immortalise aussi sa déréliction physique, posant encore, édentée et quasi chauve. Ecrit dans une langue élégante qui convient parfaitement à son objet, l’intelligente biographie de Nicole G. Albert interroge davantage l’entreprise photographique obsessionnelle de la comtesse que son destin, aussi romanesque soit-il. Car toute sa vie n’aura été qu’image. Une illusion tragique. L’un de ses surnoms, Nichia, signifie “coquille” en florentin. Mélancolique, paranoïaque, la Castiglione était une coquille vide que rien n’a pu combler, ni les fastes, ni les intrigues diplomatiques. C’est ce vide existentiel qui se trouve reproduit presque à l’infini sur les 450 clichés d’elle réalisés par Pierre-Louis Pierson. Il y a dans ces images qui portent les stigmates de la disgrâce et de la folie ce que Roland Barthes nommait, dans La Chambre claire, le “punctum”, ce hasard qui “point” le spectateur, “le meurtrit ou le poigne” : le regard figé et perdu du spectre de la Castiglione. Elisabeth Philippe La Castiglione – Vies et métamorphoses de Nicole G. Albert (Perrin), 332 pages, 22 €

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Eric Vernazobres

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super Poupette Et si la plus grande excentricité contemporaine, c’était la banalité poussée à l’excès ? Démonstration tirée par les mèches décolorées avec Flavie Flament, animatrice télé reconvertie en écrivaine. anale, forcément banale. Flavie qui confine au sublime. “Elle aime Flament, c’est la girl next door les clichés”, écrit-elle dans Les Chardons, par excellence (enfin quand même lapidaire. Définitive. Et cette normalité un peu “plus bonne que la plus affichée, presque revendiquée, fait d’elle bonne de tes copines” : la blonde fut une excentrique contemporaine. intronisée Miss OK Normandie en 1988). Aujourd’hui, c’est l’extravagance Il y a quelques semaines encore, le journal qui est triviale. Tout le monde cherche Libération lui consacrait un portrait à se démarquer pour mieux s’individualiser. et soulignait la “banalité rassurante” Reflet déformant de notre époque, et la “joliesse tranquille” de l’ancienne la téléréalité exhibe cette tendance animatrice de TF1 et ex de Benjamin à exacerber sa singularité et ses Castaldi, devenue… romancière. différences. N’importe quel candidat de Fini les paillettes, les prime time, la Secret Story (émission présentée présentation des championnats du monde par Benjamin Castaldi, tiens, tiens), qu’il de dominos et les photos dénudées dans soit prêtre transsexuel ou princesse SM, Gala. Aujourd’hui, Flavie met son temps arbore un look qui ferait passer de cerveau disponible au service John Galliano pour un moine trappiste. de la littérature et publie Les Chardons, Flavie, elle, n’arbore qu’un discret un texte qui manie un sens de l’ellipse tout tatouage sur l’épaule. C’est une fille durassien – “C’est fini. Des cendres. lambda qui se fond dans le décor, un peu Du vent… Chaud. Un enfant” – avec beaucoup comme son personnage, qui “voudrait d’espaces et de blancs comme dans passer derrière le papier peint”. Flavie, les poèmes de Mallarmé. c’est le charme discret de l’insipide (Flavie Le livre raconte la vie d’une femme sans flavour) avec une touche crypto-situ. à différents âges : Poupette amoureuse En quittant TF1 et Castaldi, elle a rompu du rebelle du lycée, Poupette anorexique, avec la société du spectacle, et même Poupette trompée, Poupette au Monoprix… avec la société dans son ensemble. Il est aussi question de l’horoscope Guy Debord en monokini et au du Parisien, de l’odeur du poulet rôti et des balayage effet soleil, Flavie Flament pets d’après-gigot. On ne sait pas s’il s’agit incarne l’excentricité postmoderne. d’autofiction. En tout cas, Flavie Flament Tout simplement. Elisabeth Philippe persévère dans l’ordinaire et le lieu Les Chardons (Le Cherche Midi), 195 pages, 15 € commun avec une fascinante abnégation

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spécial

Autoportrait, vers 1939, Jersey Heritage Collection

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la belle masquée Figure excentrique et hors genre du monde de l’art, photographe reconnue, Claude Cahun était aussi une écrivaine qui pratiquait l’écriture dans toutes ses dimensions.

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omme les choses en viennent à s’inverser. Pour nous, aujourd’hui, lecteurs de 2011 redécouvrant l’œuvre de Claude Cahun vingt ans après qu’elle a été exhumée (par son biographe François Leperlier), on lira ces Aveux non avenus qu’elle publia en 1929 comme la part poétique d’une artiste essentiellement connue désormais pour avoir été photographe. Et pourtant : c’est avant tout l’écriture (sous toutes ses formes possibles, Cahun ne se refusant aucun genre : poésie, nouvelle, chronique, critique) qui hantait Claude Cahun. Par descendance, dira-t-on : on ne naît pas nièce de Marcel Schwob sans être irradiée par la toute-puissance des livres. Mais par affinités, aussi : les vrais débuts littéraires de

Cahun datant de 1925, elle a alors 21 ans et sa rencontre avec Henri Michaux lui permet d’intégrer la revue Le Disque vert. L’influence de Michaux est intégrale dans les aphorismes, les fragments et les récits rêvés qui composent Aveux non avenus. Comme l’auteur de L’Espace du dedans, elle manie cet art impitoyable qui consiste à faire de la résistance passive devant son propre narcissisme. Elle écrit avec la volonté de tout dire, mais en prenant soin de tout recouvrir. Elle porte en elle la logique de masques de ceux qui avouent leurs secrets pour mieux les taire. “Rien de plus déroutant que les preuves ; ça s’arrange si facilement…” Qu’on se souvienne de son visage, de ce crâne ovale qu’elle avait choisi de raser à 16 ans, comme

pour mieux atteindre le neutre, “seul genre qui me convienne toujours”, ces différents jeux de rôle qui lui permirent de se révéler comme entière construction d’elle-même. C’est cette identité in progress qui écrit, qui photographie, qui joue tout le temps. Le jeu est dangereux, pourtant, car vital : voilà l’homosexuelle, un “monstre” aux yeux de son époque. Mais les yeux, ça s’ouvre, le regard, ça s’éduque : “Je m’efforce

de croire que l’image est mal au point ; je resserre, je dilate, je tripote le diaphragme étonné de mes yeux…”, écrit-elle dans un texte intitulé Epaves et sous-titré, comme par hasard, “Cauchemar”. C’est contre le cauchemar global de la bêtise humaine, contre l’aveuglement de son temps que Cahun écrivait et photographiait, dans un seul et même mouvement. Aujourd’hui, il est indispensable de la lire en regard de ses photos, car les deux participent de la même démarche, où il s’agit de sauter aux yeux, faire voir et masquer à la fois. “Beau, moi ? Oui, comme on dit une belle syphilis.” Claude Cahun a redéfini les frontières du beau et du genre, en a brusqué l’ADN. On se redessine pour mieux dire ce que l’on est. Il y a parfois, entre les lignes de ce texte, l’impression douloureuse d’une très jeune femme qui ne s’aime pas encore tout à fait, car elle prend encore sur elle la violence du regard extérieur, mais cette violence, Claude Cahun s’en est emparée très tôt, et très vite l’a portée très haut, très fière : “Je ne crois qu’aux monstres que j’ai fabriqués moimême.” Merveille des mots, quand ils vous dévisagent… Philippe Azoury Aveux non avenus (Mille et Une Nuits) 256 pages, 18 €

tout Cahun Les photographies de Claude Cahun, des autoportraits pour l’essentiel, sont visibles jusqu’au 25 septembre au musée du Jeu de paume, à Paris (lire Inrocks n° 810). Un catalogue l’accompagne. La totalité de ses écrits a fait l’objet d’une impressionnante anthologie de 800 pages, publiée en 2002 par les défuntes Editions Jean-Michel Place, et établie par son biographe François Leperlier, déjà auteur en 1992 d’une biographie illustrée qui fait autorité, Claude Cahun – L’Ecart et la Métamorphose, là encore publiée par Jean-Michel Place.

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Alexis Christiaen/La Voix du Nord/Maxppp

RachidaDat i et Martine Aubry : si loin, si proche du peuple

heureuses élues ? Nouvelles héroïnes contemporaines, plusieurs femmes politiques se retrouvent au cœur de parutions récentes. Entre la tentation de s’inventer une destinée et le besoin de paraître proche d’un électorat qui la nourrit. es femmes politiques sont-elles éduquée depuis l’âge tendre par des valeurs l’auteur montre une vraie appétence pour des figures hors normes ? le pathos et le verbe lacrymal, prompte telles que “la solidarité”, “l’humanisme”, Sans doute pas si on considère à s’attendrir sur elle-même à la moindre “l’action sociale”, la petite Martine découvre l’actualité, où le moindre occasion. Surtout, on observe à travers émerveillée les écrits de Marx, Jaurès morceau de persil coincé entre et Blum à l’âge où ses camarades de classe divers éléments (photo de Dati enfant les dents est relayé par en couverture, bandereau accrocheur) une lisent encore Boule et Bill. Dès qu’elle l’ensemble de la presse nationale. Pas non incroyable capacité à se mettre en scène, le peut, elle “collecte de vieux vêtements, plus à lire Et qui va garder les enfants ?, rompue à l’art du storytelling. prépare des colis de nourriture, et aide ouvrage féministo-rance signé Béatrice Etre hors norme (ou pas) passe aussi les voisins”. Giordano pose le décor d’une Massenet, dans lequel on apprend par une manière de se raconter, prédestination qui, en l’occurrence, n’est que Martine Aubry s’est blessée en prenant pas exempte de drame : Aubry a perdu de contrôler son image. A ce titre, les types un crayon de maquillage dans l’œil d’énonciation pour chaque ouvrage parlent deux frères, l’un mort à la naissance, et que Marine Le Pen a perdu quatorze kilos l’autre d’une leucémie à 29 ans. d’eux-mêmes : si Dati est par définition grâce à un régime. Dans son autobiographie le propre auteur de ses mémoires, Marine Prédestination, toujours, dans le cas de sortie il y a quelques semaines, Rachida Le Pen est à l’inverse l’objet d’une enquête Marine Le Pen, même si dans la bio qui Dati nous fait, elle, partager ses émois à laquelle elle n’a en aucun cas collaboré. lui est consacrée, écrite par Caroline de jeune mère, à deux doigts (vraiment) Plus retorse, la forme liée à Aubry Fourest et Fiammetta Venner, sa vie de de nous filer les coordonnées de relève de la bio par un tiers consentie par famille ferait plutôt penser à la série Claude, son gynéco. l’intéressée. Ainsi, chacune à sa manière Dallas croisée avec une tragédie d’Eschyle. Médiatisée, pipolisée, la femme politique Fortune douteuse, mère ingérable, cultive sa part d’ombre et de mystère, semble désormais, paradoxalement, avoir de visible et d’invisible. Un subtil équilibre trahisons, divorces à gogo constituent autant d’aura que notre voisine de palier. à tenir entre la familiarité et l’identification les frasques de la famille Le Pen, Elle part en vacances, va au supermarché, (je vais aux toilettes comme vous : votez cloîtrée toutes générations confondues se nourrit de grec-frites. Rien qui rappelle, pour moi) et une forme d’élection et de dans son manoir de Saint-Cloud. de près ou de loin, la notion quelque peu leadership (j’ai un destin extraordinaire : A l’opposé, dans son Fille de M’Barek tombée en désuétude de destin. Pourtant, votez pour moi). Emily Barnett et de Fatim-Zohra. Ministre de la justice, ce n’est pas un hasard si paraissent Rachida Dati joue clairement la carte Martine, le destin ou la vie d’Isabelle Giordano au même moment trois ouvrages sur trois de la success story. S’érigeant en modèle actrices majeures de la scène politique : de persévérance et d’intégration, Dati relate (Grasset), 176 pages, 14 € Marine Le Pen de Caroline Fourest et Aubry, Dati et Marine Le Pen. le parcours d’“une fille d’ouvrier de Chalon”, Fiammetta Venner (Grasset), 432 pages, 20 € Dans Martine, le destin ou la vie, élevée dans une famille de douze frères Rachida Dati – Fille de M’Barek et de FatimIsabelle Giordano réhabilite le terme, et sœurs, jusqu’à son édifiante réussite Zohra. Ministre de la justice (XO Editions), avant d’offrir une plongée dans la jeunesse à l’américaine. “Quand Nicolas Sarkozy m’a 273 pages, 19,90 € de la première secrétaire du PS. Issue annoncé que j’allais être nommée ministre Et qui va garder les enfants ? de Béatrice Massenet (Robert Laffont), 204 pages, 18 € d’un milieu aisé, fille de Jacques Delors, de la Justice, j’ai fondu en larmes.” De fait,

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Ollie Schrauwen Le Miroir de Mowgli (Ouvroir Humoir), 50 pages, 15 €

Une relecture poétique de Kipling. Ollie Schrauwen compte parmi les rares poètes de bande dessinée. En quelques livres sophistiqués, nourris de métaphores, d’élans graphiques imposants, de références à l’histoire de son art, Schrauwen s’est construit un univers personnel et parfaitement cohérent. Il détourne l’imaginaire culturel pour parler d’un monde où règnent solitude, errance et folie. Dans Le Miroir de Mowgli, un sauvageon en recherche d’alter ego se console dans les bras des animaux de la jungle. Des mariages de courte durée qu’une esthétique toute d’orange et de bleu se charge de sublimer. Là réside l’astuce de langage : orange et bleu sont des couleurs complémentaires qui se juxtaposent joliment mais se transforment en noir lorsqu’elles sont mélangées. Une transcription graphique de l’union impossible, un catalogue d’images sur le thème du reflet font de cette relecture de Kipling une ode à “l’animal social” pleine de désillusions voilées. Stéphane Beaujean

quartier lointain Déambulation décalée dans une ville à la fois étrange et familière, par l’Américain Ben Katchor.

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es courtes histoires publiées dans Le Quartier des marchands de beauté constituent la suite des déambulations citadines du photographe immobilier Julius Knipl – un premier volume était sorti chez Casterman en 2005. Les flâneries de Julius Knipl permettent à Ben Katchor de faire découvrir une mégalopole étrange. Ressemblant vaguement à New York, peuplée d’habitants aux habitudes curieuses, elle a l’air au premier abord d’une ville ordinaire, recouverte d’enseignes et de néons, avec ses cinémas, ses innombrables boutiques, ses kiosques à journaux, ses diners. Alors que les élégants décors au trait vif ont l’apparence familière des dessins des illustrateurs des années 1940-60 Miroslav Sasek ou Saul Steinberg, Ben Katchor s’amuse à détourner les façades de cette cité hors du temps. Au lieu de fleuristes, de magasins de vêtements, de théâtres ou d’agences pour l’emploi, on trouve un “pavillon de la chaussure cirée”, “le plus vieux magasin continuellement vacant des Etats-Unis”, le “musée d’art immanent”, un “magasin de symétrie”, le “centre de la jeunesse gâchée”… Ses personnages ne sont pas employés de bureau ou commerçants, comme leurs costumes taillés Mad Men le laissent croire, mais “dresseur de cheveux internationalement renommé”, répondeur

de téléphone public, importateur d’olives fantaisie, comptable des économies faites par les clients qui achètent en solde dans les grands magasins, arnaqueur d’anniversaire… Il y a quelque chose d’obsessionnel et de shadokien dans ces antihéros en col blanc. A travers ces nouvelles qui parlent de fast-foods, de baby-boom et d’études de marché dans des termes loufoques, Ben Katchor imagine un nouveau capitalisme à la fois désuet et absurde. Il regrette métaphoriquement une époque qui disparaît, comme dans la nouvelle-titre, “Le Quartier des marchands de beauté”, où les boutiques traditionnelles de conseils en design et esthétique ferment, remplacées par des grossistes en électronique. Parfois complexes à suivre (avec notamment des bulles prolixes), ses histoires aux situations kafkaïennes et saugrenues témoignent néanmoins de son excellence à créer une poésie urbaine et décalée. Anne-Claire Norot Le Quartier des marchands de beauté (Rackham), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par le Professeur A, 112 pages, 23 €

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Mario Del Curto

plantés dans l’attente première Lyon Kaboul Thèbes, aller-retour sous la direction d’Evelyne Didi et Matthias Langhoff Pour fêter ses 70 ans, l’Ensatt, école-théâtre lyonnaise, a fait appel à la comédienne Evelyne Didi et au metteur en scène Matthias Langhoff pour une double création, française et afghane, jouée en un soir autour de la figure d’Œdipe. Les soixante-dix élèves de l’école et les artistes du Théâtre Aftaab accueillis un an à Lyon nous embarquent pour un voyage au long cours. Du 30/6 au 8/7 à l’Ensatt, Lyon Ve, tél. 04 78 15 05 05, www.ensatt.fr

réservez Moi et mon cheveu – Cabaret capillaire mise en scène Eva Doumbia Le diable se cache dans les détails, c’est connu... Et c’est là que le Cabaret capillaire imaginé par Eva Doumbia fait mouche et quitte le seul domaine de l’esthétique pour aborder frontalement l’héritage de l’esclavage et de la colonisation. Du 7 au 9/7 au Festival de Marseille, tél. 04 91 99 02 50, www.festivaldemarseille.com

Krystian Lupa adapte le chef-d’œuvre de Lars Norén, Catégorie 3.1 : une expression brillante de la solitude de paumés attachants qui se voudraient artistes et stars.



h, tu parles à qui ?” La question pourrait être agressive. Elle exprime surtout la difficulté à communiquer. Déjà, les personnages de cette pièce ont du mal à tenir sur leurs jambes. La vie leur échappe. Ils n’ont pas trouvé le bon chemin pour entrer dans la société. Ils appartiennent, comme l’indique le titre choisi par Lars Norén, à la catégorie 3.1, classification administrative qui désigne à Stockholm les marginaux. Drogués, alcooliques, schizophrènes, ils errent comme des épaves dans un lieu qui évoque un parking souterrain ou un hangar désaffecté. Sur le sol, des flaques de pisse. Des matelas traînent çà et là. Les murs sont couverts de graffitis. “Qui suis-je ?” ou “Désobéissance”, peut-on notamment lire. Ce qui signifie qu’à l’égarement est lié aussi un sentiment de révolte. Le type qui vient de poser la question a le visage noyé dans une épaisse barbe noire. Ces quelques mots suffisent à lui donner un semblant d’assurance. Avec cette mise en scène d’une des plus grandes pièces de Lars Norén, Krystian Lupa réussit à articuler la solitude de personnages plus ou moins enfermés en eux-mêmes avec le groupe au sein duquel ils évoluent. Créé au théâtre de Vidy à Lausanne, ce spectacle est le fruit d’un travail avec de jeunes acteurs issus de différentes écoles en France et en Suisse. Lupa, visiblement très en forme, y poursuit l’aventure entamée avec Factory 2 sur Andy Warhol et Persona Marilyn sur Marilyn Monroe.

On y retrouve, entre autres, l’utilisation de la vidéo, avec la présence de deux écrans suspendus à l’avant-scène. Comment ne pas penser à la Factory, par exemple, devant cette séquence à la fois drôle et déjantée où une poignée de personnages tente dans un état second de tourner un porno avec une caméra volée ? La différence étant ici l’absence d’un Andy Warhol pour aimer ces malheureux et les aider à se dépasser. Evoquant des anges déchus, ces paumés attachants se voudraient poètes, stars, artistes. Sauf qu’ils se débattent dans les marécages d’une vie sans horizon, leurs rêves de célébrité noyés dans les brumes de l’alcool et de la drogue. D’ailleurs, l’image à l’écran évoque souvent un miroir. “Il y a de l’espoir à l’infini, seulement il n’y en a pas pour nous”, dit l’un, citant approximativement Kafka. D’une précision remarquable dans la direction d’acteur, ce travail rappelle par moments les clochards célestes de My Own Private Idaho de Gus Van Sant. Lupa y fait aussi preuve d’humour dans la déréliction, à l’image de cette truculente scène de déglingue où un garçon et une fille s’enfilent de l’héroïne dans des toilettes crasseuses. Une vision métaphysique des bas-fonds du rêve. Hugues Le Tanneur La Salle d’attente d’après Catégorie 3.1 de Lars Norén, mise en scène Krystian Lupa, jusqu’au 2/7 à Lyon, Musée gallo-romain, dans le cadre des Nuits de Fourvière, tél. 04 72 57 15 40, www.nuitsdefourviere.com

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l’effet Schools Schools, rencontres internationales des écoles de danse, a mis Angers “sens” dessus dessous. maginez un campus éphémère au cœur le “bien-faire” de leur pratique pour du Quai, le bel ensemble culturel mordre pleinement dans la proposition. d’Angers : c’est un peu l’effet Schools, Ils auront d’ailleurs un peu de mal à rencontres initiées par le Centre habiter Les Epopées miniatures de Faustin national de danse contemporaine dirigée Linyekula, création de sons, de mots, de par Emmanuelle Huynh. Au menu : mouvements. La pépite de ce raout d’une discussions, ateliers et spectacles. On en a folle énergie se cachait dans la petite vu de toutes les couleurs lors de la soirée salle : Our Popsong Will Never Be Popular, d’ouverture. Un S_F Sacre_Fac-similé, un duo d’après la pièce Antonio Miguel de par exemple, de belle tenue. Dominique Miguel Pereira, est proprement envoûtant. Brun, qui travaille depuis des années Alina Bilokon et Léa Rault, du Forum sur l’œuvre phare de Nijinski, Le Sacre Dança de Lisbonne, entament une parade du printemps, en offre ici une lecture amoureuse, façon déesse indienne, aux éparpillée. Sur le plateau, on retrouve membres démultipliés, pour finir la gestuelle de profil ou les genoux rentrés par se foutre sur la gueule comme deux chers à Nijinski. Rondes qui s’épuisent catcheuses. Leur maîtrise est sidérante. ou sauts intempestifs, ce Sacre est On les aime déjà. Philippe Noisette furieusement actuel. Reste aux interprètes Schools du 14 au 18/6 à Angers, compte rendu du CNDC d’Angers à abandonner

Alain Monot

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en quête d’humanité Le Sud-Africain installé à Lille Steven Cohen offre sa propre vision de l’évolution sous forme d’autoportrait. Un choc. teven Cohen et nous, – vers quoi ? The Cradle et un anus chantant !) c’est un peu une of Humankind (“le berceau se télescopent. Comme succession de rendez- de l’humanité”) est à double souvent chez Cohen, on vous manqués : on sens puisqu’il désigne frôle l’overdose de citations était resté dubitatif devant à la fois un site près de et de délires visuels. son Chandelier par exemple, Johannesburg où quelques- Mais l’échange d’une infinie pièce formelle à la beauté uns des plus vieux fossiles tendresse entre lui et Nomsa froide qui s’égarait dans furent découverts et, Dhlamini, née en 1921, un discours simpliste. on l’imagine, une recherche balaie ces objections. The Cradle of Humankind plus personnelle du Au Phénix, la scène est d’une autre force, performeur sur son passé. nationale de Valenciennes portrait en creux de l’artiste Et donc celui de l’être qui recevait cet improbable déraciné qui tente humain. couple dans le cadre de recréer sous nos yeux Des vues stupéfiantes du festival Latitudes son univers. En invitant sa prises dans une grotte, des contemporaines, l’intensité nounou d’autrefois, Nomsa projections en tout genre de ce pas de deux Dhlamini, sur le plateau, font de The Cradle un n’échappa à personne. P. N. Cohen inverse les rôles. foisonnement baroque où The Cradle of Humankind La nonagénaire devient la mort et le sexe, l’Afrique le 11/6 à Valenciennes, compte une enfant égarée, seins et le reste du monde (à rendu. Reprise du 26 au 29/10 nus sur un tutu lumineux. commencer par la France au Festival d’automne à Paris, Lui, l’adulte qui la guide  avec une Marseillaise www.festival-automne.com



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photo Stefan Altenburger

Parmi les sept artistes exposées, la styliste Elizabeth Radcliffe

7 femmes vernissages escape Au programme des Rencontres d’Arles cette année, des expos-manifestes signées Clément Chéroux, Joan Fontcuberta ou Martin Parr, un solo show consacré à Chris Marker et un focus sur la scène mexicaine. A partir du 4 juillet à Arles, www.rencontres-arles.com

updating Fruit d’une recherche menée depuis 2007 par la Villa Arson et des étudiants chercheurs, Le Temps de l’action/acte 1 dessine un aperçu de l’histoire de la performance sur la Côte d’Azur, depuis les premières apparitions des lettristes en 1951 au Festival de Cannes jusqu’aux interventions récentes de Jean-Luc Verna ou Eric Duyckaerts, en passant par les projets de Robert Filliou et Georges Brecht pour “La cédille qui sourit” dans les années 60. Jusqu’au 30 octobre à la Villa Arson, Nice, www.villa-arson.com

reboot Animée par Elie During, une cinquième session Reboot dédiée à la poétique de la miniature et aux maquettes à l’échelle 1. Le 30 juin à 19 h au palais de Tokyo, Paris XVIe, www.palaisdetokyo.com

A Zurich, l’Ecossaise Lucy McKenzie s’est improvisée curatrice de son propre show et s’est entourée de plasticiennes pour élaborer une étrange exposition collective, utopique et diverse.

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ne exposition regroupe sept artistes, sept femmes, travaillant autour du textile. Sur le papier, rien de très excitant. Mais dans les faits, c’est un group show étrange, aux œuvres déroutantes, qui se déroule dans la petite maison de Bärengasse, ancien musée réinvesti par la très contemporaine Kunsthalle de Zurich. Dans cette ambiance domestique, dans cette maison de maître où l’on croise encore un énorme poêle en faïence, il règne une atmosphère de fiction : comme si une communauté de femmes habitait là, partagée entre tradition et modernité, hésitant entre l’austérité des mormons et les déhanchements de la mode, s’adonnant à divers travaux pratiques autour du textile, du vêtement et des arts appliqués. Mais tout cela tient d’abord à la personnalité de Lucy McKenzie : jamais encore exposée en France, Ecossaise née en 1977 et installée aujourd’hui à Bruxelles, elle fait partie de ces artistes qui se plaisent à mélanger arts décoratifs et techniques artisanales avec les formes et stratégies conceptuelles de l’art actuel. Invitée pour un solo show à la Kunsthalle de Zurich, elle arrive finalement entourée de cette petite foule d’artistes femmes, devenant du même coup la curatrice du show, sa décoratrice d’intérieur – c’est une méthode de travail pour elle, exposant rarement seule, s’ouvrant sans cesse aux collaborations, transformant ses expos

en Atelier, du nom de l’agence de design développée avec sa plus proche collaboratrice, la styliste écossaise Beca Lipscombe. A Zurich, parmi d’autres plasticiennes, on croise encore la styliste Elizabeth Radcliffe, les créateurs belges de Pelican Avenue et même la mère, tapissière, de Beca Lipscombe. Cette variété des statuts s’ajoute à l’étrangeté des œuvres disposées dans chaque pièce, et situées hors de tout goût ambiant et mainstream : des robes au motif imitation bois, des collages, des plastrons laineux, des tapisseries, du canevas, des peintures en trompe-l’œil. On découvrira au passage une incertaine Lucile Desamory. Ses collages postsurréalistes, ses tapisseries déconstruites et ses petits dioramas, sortes de maquettes de théâtre ou d’opéra à l’ancienne, sont frappés du sceau de l’étrange. Plus largement, on notera que les communautés de femmes sont une fiction récurrente de l’art actuel : si Andrea Zittel installe son utopie design & craft à Joshua Tree, la Suissesse Maï-Thu Perret alimente un récit décrivant un groupe de femmes installées dans le désert. Comme si l’utopie n’avait plus de chance aujourd’hui qu’au féminin. Jean-Max Colard Town-Gown Conflict avec Verena Dengler, Lucile Desamory, Caitlin Keogh, Pelican Avenue, Beca Lipscombe, Lucy McKenzie, Elizabeth Radcliffe, jusqu’au 14/8 à Kunsthalle Zurich, Bärengasse 20–22, www. kunsthallezurich.ch.

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dans les zones floues du net

encadré

Nous travaillons tous sans le savoir quand nous utilisons internet. C’est le point de départ d’une exposition déstabilisante de Julien Prévieux à la galerie Jousse Entreprise, à Paris. n l’a tous fait : identifier une série de la BAC. Ces dessins, en forme de toiles de lettres déformées pour valider d’araignée ou de panier de crabes, l’accès à son compte mail reprennent les principes d’un logiciel et prouver que nous étions bien américain visant à définir sur la base d’un des humains face à la machine. Déjà, regroupement de données les secteurs c’était bizarre. Mais quand, en plus, à risque dans le domaine de la criminalité. on a appris que l’on tr0availlait à notre insu Sauf que, réalisées manuellement, à numériser des milliers de livres, c’est ces cartographies fastidieuses perdent ici devenu carrément délirant. Cette dérive toute leur efficacité et révèlent de l’équation travail/loisir est au cœur les dérèglements auxquels conduisent du dernier film de Julien Prévieux ces outils de rationalisation que sont actuellement présenté à la galerie les statistiques. Cette expérience fait partie Jousse Entreprise. Un “essai vidéo” plus d’une série de démonstrations que l’artiste exactement, à l’occasion duquel cet artiste développe pour un ouvrage collectif adepte du court-circuitage du système mené par les sociologues Isabelle Bruno capitaliste (avec, par exemple, ses et Emmanuel Didier à paraître en 2012 fameuses Lettres de non-motivation) dans l’excellente collection Zones chez se penche sur la manipulation invisible des La Découverte. utilisateurs d’internet et des logiciels de C’est encore avec cet humour grinçant et géomodélisation comme Google Sketchup. méticuleux dont il a fait sa marque de A l’instar des 750 millions d’internautes fabrique que Prévieux met les pieds dans le qui travaillent sans le savoir au décryptage plat dès la première salle de son exposition. de ces lettres difformes, parce que mal Au mur, une bibliothèque a priori sans scannées ou “photographiées” à la pliure qualité attire le regard. Elle regroupe en fait du livre pour permettre à Google de des livres issus de la collection personnelle peaufiner son œuvre de numérisation de la de Bernard Madoff, saisie par le FBI lors culture mondiale, les adeptes de Sketchup de son arrestation et récemment mise bâtissent pour le compte de Google Earth aux enchères. Au milieu des manuels pour des villes entières, sans aucune milliardaires sur le golf, les cigares ou les contrepartie financière. “Tout était tellement montres de luxe, les thrillers et bestbien foutu qu’on ne savait même plus sellers aux titres forcément prémonitoires qu’on travaillait”, note ainsi la voix off (No Second Chance ou K Is for Killer) qui commente un travelling au ralenti sur prennent sur le champ une autre saveur. une forêt d’écrans Mac, et d’énumérer Pour couronner le tout, Julien Prévieux les exploits de ses compagnons de l’ombre s’est amusé à extraire de ces ouvrages qui ont modélisé “la place Tiananmen, toutes les phrases comprenant le mot l’Espagne tout entière ou les bâtiments “money”. Histoire de faire resurgir, de la Renaissance italienne”. comme dans tous ses travaux, le sous-texte Dans un registre différent, mais qui invisible. Claire Moulène recouvre la même course aux aberrations promue par les outils d’optimisation Dimensions in Modern Management appliqués aux services publics, Prévieux Jusqu’au 28 juillet à la galerie Jousse présente également une série de dessins Entreprise, 6, rue Saint-Claude, Paris IIIe www.jousse-entreprise.com produits avec le concours de policiers

La“bibliot hèque” de Bernard Madoff (Forget the Money, 2011)

photo Marc Domage, courtesy Jousse Entreprise

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l’école est finie Que nous disent ces écoles d’art autogérées fleurissant en marge du réseau officiel et des institutions ? Dernière initiative en date dans le pré carré confidentiel des écoles autogérées : le projet Baba, lancé début mai par Daniel Dewar, Lili Reynaud Dewar, Nicolas Chardon, Karina Bisch et Stéphane Barbier Bouvet, “une école expérimentale et ponctuelle” installée dans l’Atelier vaudois de la Cité des arts à Paris et dédiée à une poignée d’artistes fraîchement diplômés. “Baba n’est l’acronyme de rien”, se défendent les cinq artistes. Dépourvu de règlement interne, ce post-diplôme sauvage présente l’avantage de faciliter la prise de contact directe entre de très jeunes artistes – paradoxalement livrés à eux-mêmes à la sortie de l’école quand ils ont été choyés, voire formatés durant leur cinq années d’études – et des acteurs confirmés de la scène artistique, artistes, critiques ou commissaires, à qui l’on transfère le temps d’une heure ou d’une semaine “les clés, l’autorité et la responsabilité” de cette école éphémère. De la même façon, avec son programme Bocal, le chorégraphe Boris Charmatz proposait il y a quelques années de “penser l’école comme puissance de création, d’activer son potentiel émancipateur” sans s’occuper “d’obtenir un diplôme, ni de se perfectionner ou d’acquérir de nouvelles techniques”. C’est encore ce souci d’autonomie et cette même dimension “performative” qui animent depuis 2005 la Mountain School of Arts des artistes Piero Golia et Eric Wesley à Los Angeles ou la Parallel School of Art, qui propose sur son site un recensement des écoles d’art alternatives depuis les années 70. A l’heure où la recherche s’impose comme un levier incontournable et où les écoles sont en passe de devenir des acteurs clés du champ de l’art, gageons que ces modes de transmission alternatifs devraient gagner du terrain. Au risque, à ainsi se répandre, de perdre de leur impact ?

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HORS SÉRIE

nouvelles stars Elu créateur pour femmes de l’année aux Etats-Unis, le duo Proenza Schouler poursuit son irrésistible ascension.

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l est peut-être en passe de devenir aussi célèbre que Dolce & Gabbana ou Viktor & Rolf. Depuis huit ans, le duo Proenza Schouler gravit en tout cas les échelons de la mode américaine et accumule frénétiquement les distinctions. Déjà couronné en 2007, il vient d’être élu créateur pour femmes de l’année aux Etats-Unis par le très prestigieux Council of Fashion Designers of America. A l’origine de la marque, il y a une simple amitié, celle de deux créateurs que rien ne semblait devoir rapprocher, Lazaro Hernandez et Jack McCollough. Le premier, l’enfant latino, a grandi dans un salon de beauté tenu par sa mère ; le second, issu d’une lignée de banquiers, est un digne membre de la bourgeoisie wasp de San Francisco. Pourtant, lorsqu’il se rencontrent en 1999 sur les bancs de l’école de stylisme Parsons, c’est un coup de foudre. Leur amour pour la couture française des années 50 et leur fascination pour l’esthétique teenager américaine façon MTV les rapprochent et les unissent. Au fil de leurs quatre années d’études, constatant les ressemblances évidentes entre leurs collections, Hernandez et

la panoplie de la working girl new-yorkaise est revisitée à la sauce street

McCollough décident d’unir leurs talents afin de créer ensemble leur collection finale. Ils accolent les deux noms de jeune fille de leurs mères et créent Proenza Schouler. Le succès est immédiat. Incroyablement aboutie pour un travail d’étudiants, leur collection est intégralement achetée par Barneys, le grand magasin chic de l’Upper East Side new-yorkais, qui s’empresse de commander une nouvelle collection. La couleur est donnée. En 2002, lors de la fashion week newyorkaise, le premier défilé de Proenza Schouler fait un carton. Remarqué et plébiscité par les figures les plus influentes de la presse, d’Anna Wintour à Carine Roitfield en passant par André Leon Talley du Vogue américain, totalement extatique devant les coupes et les finitions parfaites de la collection, le style de la marque s’impose très vite. Dans un remarquable numéro d’équilibrisme, il mélange les codes preppy aux influences de la couture parisienne des années 50, tout en rendant un hommage à l’esthétique grunge des années 90. Sous le crayon de Proenza Schouler, la panoplie de la working girl new-yorkaise est revisitée à la sauce street et pimentée de références aux cultures de la jeunesse américaine, tels le surf ou le skate. Mais ce qui marque chez Proenza Schouler, c’est la ligne, toujours la ligne. Architecturale, ultrastructurée, elle ne s’embarrasse d’aucun détail et semble comme limée. Elle est également servie

par un sens aigu du stylisme et de l’accessoire. En 2008, le sac PS1, inspiré du cartable d’écolier et des besaces des années 50, est un vrai it-bag. Leurs chaussures s’arrachent aussi. En juillet 2009, la maison mère de Valentino et d’Hugo Boss Men déboursera pas moins de 3,7 millions de dollars pour s’offrir 45 % des parts de la marque. Naturellement, les icônes indé se sont toutes entichées de Proenza Schouler. Chloë Sevigny, les sœurs Olsen, Kirsten Dunst ou encore Maggie Gyllenhaal portent régulièrement les créations du tandem, qui jouit d’une aura de coolitude extrême servie par un remarquable sens de l’image. En 2010, ils demandent ainsi à Harmony Korine de réaliser un film promotionnel. Le réalisateur livre Act da Fool, étrange court métrage dans lequel de jeunes adolescentes black de Nashville, dont le passe-temps consiste à boire des litres d’alcool en fumant des cigarettes, arborent la collection automne-hiver 2010-2011. Le film surprend et dérange, dans un milieu d’ordinaire si aseptisé. Un peu plus tard, dans un documentaire que leur consacre Loïc Prigent, on découvre deux jeunes hommes sympathiques, deux copains enthousiastes, complètement stupéfaits de leur succès et des réactions que provoque leur travail. Ils vont devoir s’y faire… Géraldine de Margerie illustration Alexandra Compain-Tissier 29.06.2011 les inrockuptibles 129

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A l’occasion du 50e anniversaire des Beach Boys et de la sortie prochaine du mythique Smile, Les Inrockuptibles mettent le cap sur la côte Ouest des Etats-Unis. Une balade à la rencontre des grandes figures et des hauts lieux de la Californie des années 60 et 70.

CD exclusif 12 titres

Brian Wilson et les Beach Boys repris par Alex Chilton, The High Llamas, The Free Design, Norman Blake (Teenage Fanclub), Kim Fowley…

En kiosque le 2 juillet 23/06/11 16:31

la Cassandre du rêve américain Transfuge de la droite dure, célèbre pour son blog éponyme, Arianna Huffington dénonce les dysfonctionnements de la société américaine, qui risquent de faire chuter la première puissance mondiale.

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es Etats-Unis, pays du tiersmonde.” La formule, provocatrice, est signée Arianna Huffington. Dans son nouveau livre, L’Amérique qui tombe, sous-titré Comment les hommes politiques abandonnent la classe moyenne et trahissent le rêve américain, la célèbre éditorialiste n’y va pas avec le dos de la cuillère : “Si nous ne changeons pas de cap, nous risquons, malgré notre passé et ce qui a toujours paru être notre destinée, de nous transformer en pays du tiers-monde.” Franc-parler, liberté de ton et intransigeance, tels sont les signes distinctifs qui caractérisent la diva de la blogosphère américaine et a fait le succès inouï de son site d’information, The Huffington Post. Lancé il y a six ans, celui-ci était à l’origine une sorte de plate-forme ouverte aux blogs

des ses amis : journalistes, acteurs (Diane Keaton, Alec Baldwin), citoyens lambda défendant une cause (microcrédit, écologie). Et puis, surfant sur la vague des journalistes-citoyens de la campagne 2.0 d’Obama, le “HuffPost” s’est peu à peu affirmé comme l’un des médias les plus influents de la planète web. Au point d’être considéré aujourd’hui comme le modèle parfait de ce nouveau type de journalisme numérique, qui inquiète la presse écrite. “Désormais, dès qu’Arianna dit quelque chose, toute la presse américaine suit”, constate un journaliste du LA Times. Bien que parfois surnommée Cassandre en référence à ses origines helléniques et à sa tendance à prédire des catastrophes, Arianna Huffington est un pur produit de l’American dream. Née Stassinopoulos en Grèce en 1950, elle étudie à Cambridge,

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au poste

Bill Kotsatos/Redux/REA

Prisée par les plateaux télévisés, elle ouvre une brèche salvatrice dans un débat politique souvent sclérosé

où elle se fait remarquer pour ses talents de polémiste. A Londres, elle tient des chroniques sur la BBC, rencontre Bernard Levin, un journaliste qui devient son mentor et son amant. Elle le quitte quand celui-ci refuse de l’épouser et publie des best-sellers sur Picasso et Maria Callas (pour lesquels elle sera accusée de plagiat). Elle est alors proche de l’aile ultraconservatrice de la droite américaine. En 1986, elle épouse le milliardaire Michael Huffington, figure du parti républicain de Californie, qui obtient un siège à la Chambre des représentants. Le couple divorce en 1997, avant que Michael Huffington ne révèle publiquement sa bisexualité. Le virage politique à 180 degrés d’Arianna Huffington ne survient qu’en 2003. C’est un voyage à travers le pays qui lui aurait “ouvert les yeux sur la réalité des concitoyens les plus pauvres”, explique-t-elle. De la pure démagogie, hurlent à l’époque ses détracteurs à droite, ce qui ne l’empêche pas de se présenter en candidate libre à l’élection de gouverneur de Californie de 2003 contre un certain Arnold Schwarzenegger. Un échec cinglant qui signera l’acte de naissance de l’Arianna 2.0, celle des nouveaux médias et du net, respectée par les geeks et les “alter” de tout bord. Aujourd’hui, avec plus de 36 millions de

visiteurs uniques par mois, le succès du Huffington Post est à l’image de sa créatrice. A soixante ans passés, Arianna est devenue l’une des journalistes les plus craintes et les plus respectées de son pays. Prisée par tous les plateaux télévisés malgré son accent grec fortement prononcé, elle ouvre une brèche salvatrice dans un débat politique souvent sclérosé, aux Etats-Unis, par l’opposition manichéenne entre les deux partis. Et fait figure d’électron libre avec son émission politique hebdomadaire, Left, Right & Center sur la radio KCRW, reconnue par tous comme une référence absolue en la matière. Enfin, dans son dernier livre, l’éditorialiste vedette part à la recherche des laisséspour-compte du rêve américain, de cette classe moyenne, qu’elle accuse Washington et Wall Street d’avoir abandonnée. Affirmant l’échec de l’administration Obama, son analyse implacable explique, chiffres à l’appui et point par point (industrie, infrastructure, éducation, etc.), comment l’Amérique est “en train de sombrer”. Et comment y remédier. C’est pourtant une autre Arianna qu’on avait rencontrée, il y a quatre ans, à la Los Angeles Public Library. Elle y débattait avec son grand ami Bernard-Henri Lévy (qui tient lui aussi un blog sur son site). Au menu de la discussion, l’un des sujets préférés de notre philosophe : la gauche française “réactionnaire, pro-islamiste et antiaméricaine”. Quelque peu agaçante avec son côté bien-pensant, ses maquilleuses aux petits soins et ses attitudes de diva, cette femme-là nous avait laissés perplexes. Aujourd’hui, on pourra également repenser aux nombreux méfaits qui lui sont attribués : l’avion dont elle s’est fait virer en janvier dernier parce qu’elle ne voulait pas raccrocher son téléphone portable au décollage ; les détectives privés qu’elle engagea pour traquer un journaliste qui ne lui était pas favorable ; l’article anti-guerre signé George Clooney et publié sur son site en 2006, qui n’était en fait qu’un copier-coller de déclarations de l’acteur hors de leur contexte ; ou, dernièrment les vives critiques qu’elle a suscitées, après la fusion entre le Huffington Post et AOL, pour son management jugé “dictatorial” et sa politique de licenciement. A l’heure où l’on prédit l’ouverture d’un HuffPost en France, avis aux amateurs. Yann Perreau L’Amérique qui tombe d’Arianna Huffington (Fayard), 370 pages, 20 €

le coupable idéal le net une fois de plus au banc des accusés. La tragique affaire de Florensac où une adolescente a été tuée par le frère d’une rivale a de nouveau été prétexte à une mise en accusation des réseaux sociaux et du net en général. Venu sur les lieux du drame, le ministre de l’Education Luc Chatel a aussitôt évoqué, sans en être certain, “des échanges de mails, d’insultes sur les réseaux sociaux” avant d’appeler à la lutte contre le “cyber-harcèlement”, sa croisade depuis des semaines. Incriminer les réseaux sociaux et internet lui a permis d’éluder les questions de l’encadrement, du manque de surveillants ou des coupes budgétaires de l’Education nationale. Ce discours a ensuite été repris sans trop de questionnement par le maire, de nombreux médias (France Inter, TF1, France 2…) et une partie de l’opinion publique. Internet représente, il est vrai, le bouc émissaire idéal. Une première raison est qu’il reste suffisamment méconnu pour effrayer les uns et ne pas susciter chez les autres d’opposition argumentée ou de sarcasmes. Quand le maire de Florensac a, outre Facebook, évoqué des SMS, personne n’a blâmé les téléphones mobiles ou stigmatisé les opérateurs. Il y a une autre explication à cette façon systématique, et bien commode, de s’en prendre à internet : l’attaque est d’autant plus facile que celui-ci ne peut pas se défendre. Internet n’a pas de porte-parole, ses grands acteurs sont pour la plupart américains et on ne connaît pas leurs représentants en France, s’il y en a. Taper sur internet ne soulève donc que les protestations d’une minorité d’internautes. Alors que la campagne présidentielle approche, que tous les faits divers seront bons à exploiter et que le gouvernement n’aura de cesse de minimiser sa responsabilité, on peut s’attendre à voir internet devenir le responsable de bien des maux.

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Franck Juery

“j’essaie de mettre la musique au centre, pas les petites histoires “

rencontre

“le classique s’enrichit de la fréquentation d’autres genres” La savoureuse émission de Jean-François Zygel revient le 30 juin pour une sixième saison estivale sur France 2.

L  

a Boîte à musique donne des clés précieuses pour comprendre la musique classique. Pourtant, vous n’aimez pas que l’on vous considère comme un pédagogue. Jean-François Zygel – Non, car la musique classique n’est pas un livre saint qui devrait être expliqué par des commentateurs ! La difficulté n’est pas de la comprendre mais de rentrer en relation avec elle, tout simplement. C’est pour ça que j’ai toujours refusé d’écrire des livres sur la musique. Dans mon émission, j’essaie de faire en sorte que les téléspectateurs aient un rapport de plain-pied avec la musique : c’est comme

si je les invitais chez moi pour écouter des œuvres. Je ne suis pas un animateur télé, je fabrique l’émission comme Jamie Oliver fait une émission de cuisine ! Vous privilégiez le mélange des genres musicaux. Histoire de dépoussiérer le classique ? Je n’aime pas le terme “dépoussiérer” car le fait de prendre ou non la poussière n’a rien à voir avec la contemporanéité. Des chanteurs modernes peuvent être poussiéreux car ils n’amènent rien de nouveau alors que des œuvres des siècles passés peuvent avoir une vitalité extraordinaire. Par contre, je pense que ça n’aurait pas de sens de n’inviter que des artistes classiques.

Aujourd’hui, la musique est beaucoup moins le reflet des classes sociales qu’avant : la radio, internet ont permis un accès permanent à la musique qui fait que la pratique des musiciens est bien plus mélangée. La musique classique ne peut que s’enrichir de la fréquentation d’autres genres, comme la grande cuisine a besoin d’explorer le terroir populaire pour pouvoir se renouveler. A quoi attribuez-vous le fait que la musique classique continue d’avoir une image élitiste auprès du grand public ? Ce n’est pas un problème de moyens financiers comme on l’entend souvent : toutes les études

prouvent que les concerts classiques sont de tous les moins chers. Le souci, c’est que la musique classique est gangrenée par des rituels bourgeois pesants et que le pouvoir politique, les médias se soumettent à ces rites sans les remettre en question. Pour une petite élite, il faut se montrer aux premières de l’Opéra Bastille, au festival d’Aix et c’est tout. Pareil pour les artistes : quand on en reçoit dans les médias, on leur parle sur un ton révérencieux un peu ridicule et surtout on ne s’intéresse pas du tout à ce qu’ils font, mais on leur demande d’où ils viennent, ce qu’ils pensent de tel ou tel truc. Dans mon émission, j’essaie de mettre la musique au centre, pas le biographique ou les petites histoires. Vous allez donner une leçon d’opéra au Stade de France. Pourquoi un tel lieu ? Parce que, justement, ce n’est pas une salle de concert habituelle ! J’ai donné des leçons d’opéra pendant deux ans tous les mois au Théâtre du Châtelet, et on refusait du monde à chaque fois. Le problème avec l’opéra, c’est que pour parvenir à entrer dedans, il faut intégrer un rituel tragique auquel nous ne sommes plus habitués. L’opéra donne lieu à une intensification extraordinaire des sentiments qui est souvent déroutante au premier abord. Raison de plus pour y consacrer un spectacle de grande ampleur ! recueilli par Marjorie Philibert

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offres abonnés 29.06.2011

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NOUVEAU

Nuit Mafrouza

Festival MiMi

le 2 juillet au Saint-André des Arts (Paris VIe)

Le Festival-atelier MiMi offre pour sa nouvelle édition un 26e tour du monde de créations musicales. Au programme : Sarangi Strings Soundsystem (Belgique, Inde, Allemagne), Chris and Cosey (Grande-Bretagne), Emmanuelle Parrenin + Flóp (France), The Last Poets (Etats-Unis)… A gagner : 6 invitations par soir

cinéma En présence d’Emmanuelle Demoris avec des interventions aux entractes d’Abdellah Taïa, écrivain. A partir de 19 h jusqu’à l’aube avec buffet égyptien et petit déjeuner. A gagner: 20 invitations pour 2 personnes

Francofolies

du 7 au 10 juillet à Marseille (13)

musiques

Thomas Dybdahl le 8 juillet, dans le cadre du festival Days Off, à la salle Pleyel

musiques Folk-rock. Il est aujourd’hui numéro 1 des tops danois et norvégien avec son nouvel album Waiting for That One Clear Moment. A gagner : 8 invitations

Pourquoi tu pleures ?

le 5 juillet à la Flèche d’Or, Paris XXe

cinéma

La Dernière Piste de Kelly Reichardt

cinéma 1845, Oregon. Une caravane composée de trois familles engage le trappeur Stephen Meek pour les guider à travers les montagnes des Cascades. Parce qu’il prétend connaître un raccourci, Meek conduit le groupe sur une piste non tracée à travers les hauts plateaux désertiques. Ils se retrouvent perdus dans un désert de pierre. A gagner : 10 places

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musiques Au programme de cette nouvelle édition : Mademoiselle K, Lilly Wood & The Prick, Cocoon, The Dø, Aaron, Yelle, Louis Chedid, Stupeflip, Florent Marchet, Yael Naim, Twin Twin, Brigitte… A gagner : 10 invitations par soir pour la scène “Not Ze Francos”, et 20 invitations pour la Grande Scène pour les 14 et 15 juillet

les InRocKs Lab Party

de Katia Lewkowicz A quelques jours de son mariage, un jeune homme qui n’en a pas l’habitude se retrouve confronté à des décisions cruciales. Face à sa fiancée qui a disparu, face à la fille qu’il vient de rencontrer, face à sa belle-famille dont il ne comprend pas la langue, face à sa mère, sa sœur, ses potes et même aux ouvriers sur le chantier de son futur appartement, il doit trancher. A gagner : 25 places

du 12 au 16 juillet à La Rochelle (17)

Public domaine

musiques Découvrez les deux finalistes du concours InRocKs Lab du mois et retrouvez Memory Tape en concert. A gagner : 5 pass premium pour 2 personnes (coupe-file + 1 conso + 1 goodie InRocKs)

jusqu’au 7 août, Paris IIIe, à la Gaîté lyrique

expo / musiques Avec Public domaine – Skateboard Culture, le skate s’exprime en toute liberté dans l’ensemble des espaces de la Gaîté lyrique à travers la musique, le graphisme, le cinéma, la photographie, la mode, le jeu vidéo… A gagner : 20 pass pour l’expo + 5 invitations pour 2 pour les concerts du 8, 14, 20, 21, 22, 23 et 28 juillet

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés munissez-vous de votre numéro d’abonné et participez sur 

www.lesinrocks.com/ special/club fin des participations le 3 juillet

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Falling Skies à toute vitesse La nouvelle production de Steven Spielberg arrive en France à peine deux semaines après sa diffusion américaine. Un record.

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’amateur de séries n’aime pas attendre, au point que la course contre la montre est devenue son sport favori. Vivant à l’heure américaine et regardant la télévision sur internet, il reste à l’affût des nouveautés, histoire de ne pas se taper la honte s’il croise un amateur plus calé que lui, même sur un forum. Goguenard, le fan se moque des chaînes françaises qui présentent comme des “nouveautés” des séries qu’il a déjà croisées et parfois oubliées depuis longtemps – le meilleur exemple en ce moment s’appelle Private Practice, diffusée pour la première fois sur France 2 quatre ans après ses premiers épisodes ! Sauf qu’en ce début d’été Orange Cinéma Séries coupe le sifflet à l’amateur : la diffusion française de Falling Skies, nouvelle production de Steven Spielberg créée par Robert Rodat, a lieu à peine plus de deux semaines après ses débuts sur la chaîne câblée américaine TNT. Une première. “Nous avons été encouragés par TNT, qui a ouvert un bureau à Paris, explique le directeur des programmes d’Orange Cinéma Séries, Boris Duchesnay. Nous avions envie de diffuser Falling Skies pendant l’été, et face à la date de diffusion américaine (première le 19 juin), nous n’avions pas d’autre solution que d’accélérer pour profiter

de l’engouement autour de cette production de science-fiction événementielle. Le soustitrage et le doublage ont commencé un peu avant la diffusion US. Nous sommes à flux tendu, mais nous considérons que proposer cette série à nos abonnées aussi vite constitue un atout commercial.” Le but ultime de l’opération reste évidemment de parvenir à “endiguer le piratage et à s’adapter aux nouveaux rythmes de visionnage des fans”, selon Duchesnay. “Les séries, contrairement aux films, ne sont pas soumises à la chronologie des médias. Nous devons en profiter.” Depuis déjà deux ans, le site web de TF1 expérimente la VOD sous-titrée payante vingt-quatre heures après la diffusion américaine, notamment pour Lost et Gossip Girl. Mais jamais une chaîne n’avait à ce point pris en compte la part la plus radicale des amateurs de séries pour construire son modèle de diffusion. L’exemple Falling Skies confirme le statut d’Orange Cinéma Séries, bouquet payant encore largement confidentiel, comme une sorte de repaire expérimental

“s’adapter aux nouveaux rythmes de visionnage des fans” Boris Duchesnay, Orange Cinéma Séries

pour spécialistes – toutes les séries HBO y sont diffusées. Les autres chaînes n’échapperont pourtant pas à une réflexion sur la question de la temporalité – Canal+ a d’ailleurs avancé la diffusion des saisons de Desperate Housewives depuis deux ans. Mais on ignore à quel point la vitesse à tout prix sera efficace pour retenir les fans sur le long terme. On ignore également si Falling Skies marquera l’histoire du petit écran, même si le pilote en fait douter. Devant ces personnages de survivants égarés dans un monde postapocalyptique plein d’aliens féroces, on se dit que La Guerre des mondes, District 9 et beaucoup d’autres ont emprunté ce chemin avant cette série. Leurs premières aventures ont le goût étrange des balbutiements forcés, où les uns et les autres gesticulent et soulignent leurs émotions, sans doute pour nous convaincre que le monde fictionnel dans lequel ils nous invitent est déjà en état de marche. Pour l’instant, c’est un peu lourd, même si le mystère central (pourquoi les aliens enlèvent-ils systématiquement les enfants ?) intéresse. A part ça, Noah Wyle (Dr. Carter dans Urgences) a vraiment bien vieilli. Olivier Joyard Falling Skies à partir du 5 juillet à 20 h 40 sur Orange Ciné Max.

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brèves Arte change de tête En place depuis 2003, François Sauvagnargues vient d’être écarté de la direction de la fiction d’Arte, quelques mois après les arrivées conjuguées à la tête de la chaîne francoallemande de Véronique Cayla et de Vincent Meslet. Sauvagnargues est remplacé par Judith Louis, venue de France Télévisions. Il restera comme l’homme qui a mis Arte sur les rails de la production de séries, avec notamment Les Invincibles, Fortunes, Xanadu, ainsi que Ministères, actuellement en tournage.

Don Draper forever Mad Men devrait exister au moins trois saisons de plus, puisque son acteur principal Jon Hamm (Don Draper), vient de signer un contrat de cette durée avec Lionsgate TV et la chaîne AMC. Cela fera donc sept ans de réflexion au total pour la série sixties.

Alias

focus

pilotes d’essai

Téva fête ses quinze ans avec une soirée spéciale sur les pilotes de séries. ègle n° 1 : ne jamais considérer un épisode de série comme un objet autosuffisant. Règle n° 2 : la seule exception à la règle n° 1 concerne le pilote – le premier épisode. Il s’agit d’un véritable minifilm, conçu pour convaincre une chaîne de se lancer dans la production Tyson en série ? des autres épisodes, qui feront la série Spike Lee, Doug Ellin (créateur à proprement parler. Ecrit et produit d’Entourage) et Mike Tyson ont comme un prototype, le pilote s’apparente annoncé officiellement leur donc à une opération séduction. Il doit association pour préparer une lancer les prémices d’une histoire et série dramatique inspirée frustrer pour donner envie d’en voir plus. de la jeunesse du boxeur. Pas simple. Chaque année aux Etats-Unis, “La première idée, c’est de faire beaucoup sont rangés au placard et jamais se rencontrer Entourage diffusés. et The Wire”, a déclaré Doug A l’occasion de ses quinze ans, Téva Ellin. HBO devrait en être programme une soirée spéciale avec le diffuseur. On est d’accord plusieurs pilotes déjà montrés sur la sur le principe. chaîne – donc féminins – qui ont tous débouché sur une série. Le choix est large, avec Drop Dead Diva, Journal intime d’une call girl, Nurse Jackie, Cougar Town, Sex and the City, Ally McBeal… et deux chefs-d’œuvre absolus : Desperate Housewives et Alias. FlashForward (TF1, le 29 juin à 23 h 15) Le premier est un classique (le fameux Trois derniers épisodes de l’unique saison suicide en ouverture), le second, un peu de la série qui devait succéder moins connu en France, est l’un de nos symboliquement à Lost, sauf que non. préférés de tous les temps. En un peu plus Son titre aura au moins eu l’avantage de d’une heure, J. J. Abrams (créateur de la populariser un nouveau mot – le contraire série, mais aussi scénariste et réalisateur de flashback. de ce pilote) réussit à nous faire aimer une héroïne pour toujours. Pleine de Buffy contre les vampires douleur, l’étudiante et espionne Sydney (W9, le 4 juillet à 16 h 50) W9 rediffuse Bristow y traverse une somme d’épreuves la saison 4 de l’une des plus grandes faramineuse, exposées avec une grâce et séries ado de l’histoire, signée Joss une légèreté inouïes. Peut-être pas aussi Whedon. Une connaissance de base fort que les exceptionnelles ouvertures de pour tout fan de séries qui se respecte. Lost, des Soprano, d’Urgences ou encore de Hill Street Blues, mais presque. O. J. Cougar Town (Orange Ciné Happy,

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agenda télé

le 2 juillet à 11 h 35) Saison 2 de cette comédie girlie jamais trop cruche. L’actrice Busy Philipps (ex de Freaks and Geeks et d’Urgences) déchire tout.

La Nuit des pilotes le 29 juin à partir de 20 h 35 sur Téva. Précédée d’un documentaire de 26 minutes. VF. 29.06.2011 les inrockuptibles 135

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émissions du 29 juin au 5 juillet

T-Shirt Stories Documentaire de Dimitri Pailhe et Julien Potart. Mercredi 29 juin, 22 h 40, Canal+

Une cheerleader de l’Idaho State University en novembre 2010

américaines beautés Figure kitsch de la culture populaire américaine, la “cheerleader” incarne les émois d’un peuple entier.

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epuis un siècle, l’Amérique les regarde courir, sauter et sourire sur tous ses stades. Les pompom girls, ou cheerleaders en V.O., avec leurs pompons bariolés et leurs jupes courtes, offrent au pays un miroir reflétant l’image d’un rêve originel : celui d’un peuple joyeux, sportif, attaché à son territoire. Cet archétype féminin est un “corps conducteur” qui alimente la réflexion sur la culture populaire américaine, analyse Olivier Joyard (journaliste aux Inrocks) dans une enquête au bout du mythe US. Au fil d’un voyage le menant du Texas à l’Iowa, le journaliste observe les rites de ces chattes élancées sur les pistes brûlantes de l’Amérique. Du cinéma aux séries, des arts plastiques au roman, Joyard explore les divers champs culturels qui impriment dans l’imaginaire les traces de ces reines du lycée, taille fine, cuisses musclées, poitrine généreuse, à l’image des sulfureuses Dallas Cowboys Cheerleaders. L’érotisme de la cheerleader sature la libido américaine, comme l’illustre la célèbre scène d’American Beauty où Kevin Spacey, subjugué, fantasme une pom-pom girl recouverte de pétales de fleurs. Objet de fascination sexuelle, la cheerleader tient l’Amérique par les couilles autant que par les pompons. Pour autant, elle peut véhiculer une image secrètement subversive et moins aseptisée, comme s’y emploient les radical cheerleaders ou les danseuses afro-américaines. “Populaire ou alternative, la cheerleader est faite de morceaux disjoints qui racontent le pays”, explique Joyard. A partir de stéréotypes qui la caractérisent, elle se transforme et renvoie à la conscience de l’Amérique les ambivalences de ses mythes fabriqués et de ses paradis artificiels : un jeu de dupes sous les jupes des filles.

Jean-Marie Durand Cheerleaders, un mythe américain Documentaire d’Olivier Joyard. Mardi 5 juillet, 22 h 30, Arte

L’histoire du T-shirt pour mieux raconter l’histoire de la jeunesse. Blanc et étroit chez les bikers, déchiré chez les punks, logotisé chez les skaters et les graffeurs, rutilant et démesuré chez les rappeurs, ironique chez les hipsters, le T-shirt est, avec le jean, le seul trait d’union stylistique entre toutes les jeunesses. C’est ce que racontent Dimitri Pailhe et Julien Potart dans cette enquête. Voulant comprendre comment ce basique des vestiaires s’est renouvelé en restant cool, ils sont partis à New York, à Los Angeles et à Tokyo, à la rencontre des inventeurs les plus légendaires de cette sous-culture à col rond. Marc Beaugé

La Grande Invasion Documentaire de Stéphane Horel. Samedi 2 juillet, 19 h, France 5

Une enquête qui dénonce la prolifération maligne du plastique. Venant après l’exhaustif Notre poison quotidien de Marie-Monique Robin et le relativement complet Plastic Planet de Werner Boote, ce documentaire au propos plus restreint peut servir de piqûre de rappel au sujet de l’influence néfaste des produits chimiques, et notamment du plastique. On y fait le point sur des perturbateurs endocriniens comme les phtalates, le bisphénol A, ou les PBDE – qui seraient en plus neurotoxiques. Si l’on tire la sonnette d’alarme actuellement, c’est parce que, dit-on dans le film, la production de plastique des dix dernières années a dépassé celle de tout le XXe siècle. V. O.

Les Démons de l’archipel Documentaire de Baudouin Koenig. Vendredi 1er juillet, 23 h, Arte

Les ratés de la démocratie indonésienne au moment où son économie décolle. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’Indonésie. Enquête sur le pays musulman le plus peuplé du monde (230 millions d’âmes) à l’occasion de son recensement de mai 2010. Un parcours instructif sur la situation politique de cette jeune démocratie qui se cherche, entre laïcité et islam, entre pillage des richesses et indépendantisme (Papouasie occidentale). Un pays où l’on trouve aussi bien un musée de la Trahison communiste qu’une police de la charia ou une commission pour l’éradication de la corruption, qui condamne même des députés. Passionnante traversée. Vincent Ostria

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Le Projet Mandela

Les Kennedy

Documentaire de Samuel Chalard. Mercredi 29juin, 20 h 35, France Ô

Mini-série de Jon Cassar. Mardi 5 juillet, 20 h 35, France 3

Retour sur les longues négociations de Nelson Mandela avec le régime de l’apartheid. Diffusé à l’occasion du vingtième anniversaire de l’abolition de l’apartheid, ce film retrace la dernière partie de l’incarcération de Nelson Mandela, qui passa vingt-sept ans en prison. De 1977 à 1990, le plus célèbre prisonnier d’Afrique du Sud et leader de l’ANC entama de longues négociations avec le pouvoir blanc pour la libéralisation du pays. Le film alterne des interviews d’anciens membres du gouvernement sud-africain, le récit de Mandela lui-même, enregistré au magnétophone pour ses mémoires, et des séquences recréées de toutes pièces, qui ont tendance à accentuer le caractère mythique du documentaire plutôt que de l’ancrer dans la réalité. V. O.

La vie tragique d’une famille de légende. Créée par Stephen Kronish, Joel Surnow et Jon Cassar, à l’origine de 24 heures chrono, cette série en huit épisodes retrace l’épopée des Kennedy, y compris sous ses aspects les plus obscurs et secrets. Portée par le génial Greg Kinnear dans la peau de John F. Kennedy et par Katie Holmes dans celle de Jackie, la minisérie se penche sur tous les épisodes de la saga familiale, de la conquête de la Maison Blanche en 1960 à l’assassinat des deux frères, de leurs enfances respectives à leurs mariages, de leurs relations extraconjugales à leurs exploits politiques… Au récit connu de leur vie publique, les scénaristes ont privilégié le cadre de l’intimité du clan : une projection fantasmatique des expériences vécues par la plus tragique des familles américaines. JMD

la vie était à eux Les grandes heures du Front populaire, page mythique de l’histoire de notre pays. semaine de 40 heures…), avant de s’attarder près son magnifique documentaire sur les divisions entre communistes, sur la Grande Guerre, socialistes et radicaux sur fond de guerre 14-18 – Le Bruit et la Fureur, d’Espagne, de crise économique et Jean-François Delassus de montée du fascisme. se penche sur une autre page mythique de De Blum à Thorez, des ouvriers enfin l’histoire ouvrière : le Front populaire. A partir d’archives sonorisées et colorisées, reconnus dans leur dignité aux patrons malmenés, les nombreuses mais aussi d’extraits de films (La vie est traces filmiques de cette période à nous de Renoir, A nous la liberté de Clair), agitée illuminent ce Front populaire, Delassus éclaire les conditions de la magistralement incarné : une victoire de la gauche rassemblée en 1936. parenthèse enchantée et enchanteresse Il s’épanche sur le souffle épique de notre histoire politique. JMD des grandes grèves dans les usines et des premières vacances en bord de mer Le Front populaire : à nous la vie ! durant l’été 36, et analyse les avancées Documentaire de Jean-François Delassus. Mardi 5 juillet, 20 h 35, France 2 politiques décisives (congés payés,

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Jammin Jamaican

un algorithme décide à la place de l’internaute

A la chasse aux cookies avec le Cookie Monster

enquête

“je ne suis pas un numéro” La “personnalisation”, nouvelle technique de ciblage des internautes selon leurs pérégrinations sur la toile, se fait toujours plus précise et insidieuse.

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ors du récent eG8, Sarkozy célébrait les acteurs de l’internet mondial réunis au jardin des Tuileries avec des trémolos dans la voix. Ces “promoteurs” qui donnent à chacun la possibilité d’accéder à l’information “et pour tout dire au champ des possibles”. Un champ qui risque pourtant d’être largement amputé d’une partie de ses possibles. Car plutôt que de nous ouvrir sur le monde, les géants du web cherchent désormais à satisfaire nos désirs les plus immédiats. Quitte à nous enfermer dans une “bulle” de pertinence et de facilité. C’est ce que martèle Eli Pariser, le fondateur de MoveOn.org qui vient de sortir aux Etats-Unis The Filter Bubble, un livre dans lequel il dissèque les mécanismes de la personnalisation d’internet et ses dangers. La personnalisation, tout le monde en a fait l’expérience avec les pubs

ciblées de Gmail qui tentent de s’adapter, avec plus ou moins de brio, au contenu de nos conversations. Mais Pariser en découvre la partie immergée (et donc invisible) lorsqu’un ingénieur de chez Google lui révèle que la star des moteurs de recherche adapte les résultats affichés en fonction de 57 paramètres glanés sur l’ordinateur de l’internaute. Parmi lesquels le lieu où il se trouve, sa langue, la marque de son ordinateur, de son navigateur, l’historique de ses recherches. Et 52 autres paramètres restés secrets qui font l’objet de nombreuses spéculations sur la toile. Ce qui fait qu’aujourd’hui, deux personnes qui font la même recherche sur Google n’auront pas accès aux mêmes résultats. Aucune volonté de censure, mais une simple préoccupation de pertinence et de rapidité. Seul problème : un algorithme décide à la place de l’internaute et celui-ci ignore jusqu’à l’existence des résultats

écartés. Ce qui ouvre la voie à un internet de la facilité. “En poussant plus loin l’affreux targeting, on enferme les gens dans ce qu’ils sont, en terme de goûts et de choix de vie, sans leur laisser la possibilité de s’ouvrir à de nouvelles choses. Et le phénomène s’accélère avec les réseaux sociaux qui donnent l’illusion de maîtriser l’identité numérique des internautes”, regrette Matthieu de Lesseux, coprésident de l’agence de com DDB Paris. Car Google n’est pas le seul à avoir succombé aux charmes de la personnalisation. Son concurrent chez Microsoft, Bing, s’est récemment acoquiné avec Facebook, pour aller fouiller votre vie sociale virtuelle afin d’affiner ses résultats de recherche. C’est ce qu’on appelle chez eux le friend effect. Et les journaux s’y mettent aussi, à l’image du Washington Post qui propose désormais via sa plate-forme Trove de vous concocter une information basée sur vos centres d’intérêt tels qu’ils se dessinent sur les réseaux sociaux. Mais personnaliser l’internet ne consiste pas à simplement sélectionner ce que l’on montre à l’internaute (en l’excluant du processus de sélection), ce sera aussi bientôt adapter la manière dont on lui parle. Deux doctorants de l’université de Stanford à Palo Alto en Californie, Maurits Kaptein et Dean Eckles mènent des travaux suivis de près par l’élite de la Silicon Valley sur le persuasion profiling. Une technique qui consiste à accorder la manière dont on pitche un produit à la personnalité de l’acheteur potentiel. Et qui se base sur le constat que nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes arguments. Sur Amazon, un internaute sera séduit par un argument d’autorité “Le Monde des livres a adoré cet ouvrage”, quand un autre le sera par le consensus “c’est le best-seller du mois”, et un troisième par l’approbation de ses pairs “43 amis à vous l’ont acheté”. Gros avantage de l’astuce : quand on a trouvé le talon d’Achille d’un internaute, on peut augmenter le taux de conversion (il va cliquer pour acheter) de 30 % à 40 %. Des résultats d’autant plus intéressants (inquiétants ?) que l’internaute succombera au même type d’arguments qu’il s’agisse d’acheter un livre ou une voiture. Eli Pariser avançait fin mai dans le New York Times que la pertinence ne pouvait pas être le seul argument d’internet et qu’il faut s’assurer qu’une recherche sur l’Egypte ne renseigne pas que sur les agences de voyages mais aussi sur les suites de la révolution printanière. Afin qu’internet conserve son potentiel de médium d’interaction révolutionnaire. “Ce qui n’arrivera pas si nous sommes tous coincés dans notre petit monde personnalisé en ligne.” Hugo Lindenberg

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in situ derrière les barreaux Un travail de huit années, au plus près des prisons juvéniles dans onze pays. Du Cambodge à la France en passant par le Brésil, Lizzie Sadin explore chaque continent. Autant d’instants figés qui révèlent les conditions inhumaines dans lesquelles survit cette population. lizzie-sadin.com

visite royale virtuelle On s’y croirait tellement qu’on se demande même si ça vaut encore le coup d’y aller en vrai. Chenonceau est le monument historique le plus fréquenté en France après Versailles et accueille plus de 800 000 visiteurs par an… Sans compter le nombre d’internautes qui testent cette promenade virtuelle gratuite. ecliptique.com/chenonceau

salade-tomates-oignons Le kébab version fast-food est né à Berlin dans les années 1970. Et c’est là-bas, sur un coin de trottoir du quartier turc de Kreuzberg, que se cache le meilleur de la ville. Les Berlinois le savent et font régulièrement quarante minutes de queue sur le trottoir… D’où ce site entièrement dédié au culte du kébab légumes de Mustafa’s. mustafas.de

Mamie fait du surf Qui a dit que les octogénaires n’étaient plus dans le coup ? A 87 ans, Gisèle, en vraie nerd, passe son temps à partager des vidéos en ligne avec ses petits-enfants. Antoine, 89 ans, est accro à l’iPad, et Marcel, 80 ans à peine, passe des heures sur Facebook. Ce web reportage dresse le portrait de ces papis-mamies connectés et brise les stéréotypes. 80ansconnectes.fr

la revue du web Rue89

Internet Actu

The Guardian

secrets publics

Facebook, c’est la vraie vie

petite histoire du rock

Il existe des agences de casting spécialisées dans le recrutement de public pour les émissions de télévision. Pourquoi ? Parce qu’avoir un public donne toujours plus de “peps” sur un plateau, et permet à l’invité de se sentir “moins seul”. Sans compter que les deux pin-up du premier rang peuvent parfois retenir l’attention du zappeur compulsif. La journaliste a participé à trois émissions et racontent la mise en scène du public télévisuel : des petites contributions au placement stratégique, en passant par les aficionados. bit.ly/m6SmNy

Pourquoi ne pas arrêter (deux minutes) de cracher sur Facebook pour tenter de comprendre “le potentiel créatif que l’outil libère” ? L’article propose un décryptage social et psychologique et tente d’aller contre le dédain habituel que provoque tout sujet sur Facebook. Une réflexion partant du postulat que sur le web comme dans la vraie vie, de toute façon, l’essentiel de nos échanges ne vise pas à l’efficacité. bit.ly/dLNYgD

“10 octobre 2007 – Radiohead confirme la mort de l’industrie musicale” C’est la dernière date marquante de l‘histoire du rock selon The Guardian et The Observer, parmi les cinquante établies dans chaque style pour raconter la musique moderne. En un clic, on assiste à la naissance d’un groupe, d’une chanson ou d’un fait divers marquant, le tout sur une frise interactive qui évite efficacement l’effet encyclopédie. Et en bonus, cent titres sont suggérés sur le blog qui accompagne le projet. De quoi combler certaines lacunes sans s’encombrer. tinyurl.com/6jv8bd6

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vu du net

les yeux dans les Bleues Alors que débute la Coupe du monde de foot féminin, le net tire au but. usqu’au 17 juillet, la Coupe du monde de foot féminin se joue en Allemagne (fr.fifa.com/womensworldcup). Septième nation au classement mondial de la Fifa et invaincue pendant les éliminatoires, la France, emmenée par sa capitaine Sandrine Soubeyrand (bit.ly/ mJnInM), a hérité d’une poule coriace (bit.ly/lsBwSc), avec le Nigeria, champion d’Afrique 2010 (bit.ly/lE5bk9), le Canada et l’Allemagne de Silvia Neid (bit.ly/iHWh7Y), tenante du titre. Mais la récente victoire de l’OL en Ligue des champions (bit.ly/jCI9jI) autorise tous les espoirs. On pourra suivre le parcours des Bleues sur Eurosport et (peut-être) sur Direct 8 (bit.ly/kWmLyV), chaîne qui a beaucoup œuvré pour le foot féminin. Alors qu’en 2009, avant l’Euro, l’entraîneur Bruno Bini regrettait sa faible médiatisation (bit.ly/iAsHUR) et que les joueuses se demandaient s’il leur fallait poser nues pour qu’on s’intéresse à elles



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(bit.ly/lbRCZR), les audiences des matchs sur Direct 8 ont décollé : pour France-Serbie l’été dernier (bit.ly/jfvfLd), pas loin de 700 000 téléspectateurs, et plus d’un million pour la finale OL-Potsdam en mai (bit.ly/knL7lE). Mais la route a été longue. En France, la première équipe féminine (bit.ly/kbcK7Y) a été créée en 1917 au sein du club sportif Fémina Sport (bit.ly/kaZfW0). Dans les années 20, les équipes se multiplient (bit.ly/ho4pp7), puis le foot féminin décline avant de renaître dans les sixties (bit.ly/ mhk4tJ). C’est en 1970 que la Fédération française de football reconnaît la pratique féminine, “sous la pression de la réalité” (bit.ly/ivVjE9). L’équipe de France dispute son premier match en 1971, et en 1974-75,

un championnat est organisé (mfff.free.fr/ historique.html), mais le sexisme perdure (bit.ly/iDXvEb). Malgré les réticences et les préjugés, les règles, notamment les temps de jeu, sont harmonisées avec celles des garçons en 1992 (bit.ly/lsUob2). La première Coupe du monde a lieu en 1991 en Chine (bit.ly/mSL3ux), mais la popularité du foot féminin reste limitée (bit.ly/jr1K7I), des sociologues notant la persistance d’“obstacles liés aux dimensions structurelles du pouvoir masculin” (bit.ly/ jeNnAa). En 2009-2010, la France comptait 55 605 licenciées pour 1 676 545 licenciés (bit.ly/eHwBEJ). Avec déjà 80 % de billets vendus, la Coupe s’annonce bien, et un bon résultat des Bleues suscitera certainement des vocations. Anne-Claire Norot

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The Libertines Tout l’été, un groupe de rock vu par un dessinateur de BD. Cette semaine, Ruppert et Mulot mettent les Libertines en roue libre (première partie).

Flammarion

Cette série d’été est extraite de Rock Strips – Come Back dirigé par Vincent Brunner, à paraître le 14 septembre aux éditions Flammarion 142 les inrockuptibles 29.06.2011

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à suivre la semaine prochaine 144 les inrockuptibles 29.06.2011

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film Clerks de Kevin Smith. Sûrement le film que j’ai le plus vu. Répliques cultes, introduction de Jay et de Silent Bob au monde entier, BO incroyable. Un film parfait.

Pater d’Alain Cavalier L’histoire d’une amitié vive, d’une idée culottée, où Alain Cavalier et Vincent Lindon jouent au Président et au Premier ministre. Génial.

La Dernière Piste de Kelly Reichardt La réalisatrice d’Old Joy revisite le mythe de la conquête de l’Ouest et substitue à l’épopée un réalisme dur et coupant.

Beginners de Mike Mills Un adulescent affronte la disparition d’un père haut en couleur. Une comédie à l’arrière-goût de spleen.

Mafrouza d’Emmanuelle Demoris En cinq films, une fresque documentaire débordante d’humanité sur un quartier disparu d’Alexandrie.

Sebastian Total A rebours d’une electro trop formatée, Sebastian sort un album démesuré qui malmène le genre.

L’Assassinat de Mickey Mouse de Pierre Pigot Le Petit Livre bleu d’Antoine Buéno Le Grand Schtroumpf, un sosie de Staline ? Donald Duck, un outil de propagande ? Deux essais ludiques et pointus décryptent la face cachée des mythes de notre enfance.

Disposable - A History of Skateboard Art de Sean Cliver. La bible ! Sean Cliver a recensé toutes les planches de skate des années 70 à nos jours. Cette culture traverse les époques, transperce les genres, cet ouvrage en est le meilleur témoignage. Cinquante ans après sa création, on célèbre aujourd’hui à Paris ce phénomène.

album

Paul O’Valle

livre

Check Your Head des Beastie Boys. Du punk-rock au rap, il y a des montagnes, que Mike D, Ad-Rock et MCA ont franchies les doigts dans le nez. L’artiste Haze (auteur des logos mythiques de Def Jam et de Run DMC) a réalisé l’artwork de ce disque. recueilli par Claire Moulène

Pedro Winter Fondateur du label Ed Banger, avec lequel il prépare la sortie d’ici fin 2011 des albums de Justice, de Mickey Moonlight et de Krazy Baldhead, Pedro Winter est également commissaire de l’expo Public Domaine, actuellement à la Gaîté lyrique à Paris.

Yuksek Living on the Edge of Time Héros d’une electro tabasseuse, Yuksek s’offre une courageuse escapade vers la pop.

EMA Past Life Martyred Saints Entre son Dakota et la scène punk de L. A., EMA produit une musique âpre et fulgurante.

Wu Lyf Go Tell Fire to the Mountain Quatre garçons de Manchester contre le monde mou. La révolution est en marche.

Stuck de Stuart Gordon. Le retour d’un cinéaste culte des 80’s avec un conte moral morbide. La Forêt interdite de Nicholas Ray. Une ode bouleversante à la nature. Cabeza de Vaca de Nicolás Echevarría. L’épopée d’un conquistador happé par la culture indienne.

Le Passé défini IV (1958-1959) de Jean Cocteau Le dernier tome du journal de Cocteau enfin publié. Amer et mélancolique.

Le 89 arabe de Benjamin Stora et Edwy Plenel Un livre clé pour comprendre le “printemps arabe”.

Nicole Krauss La Grande Maison Ecrire pour réparer ce qui a été perdu, ou comment l’on se réinvente après avoir vécu le pire.

Mister Sixties de Robert Crumb Ses nouvelles transgressives et déchaînées de la fin des années 60.

Ace–Face/ Les Aventures de Jack et Max de Mike Dawson Les superhéros côté coulisses. Joyeux et astucieux.

La Survivante de Paul Gillon Un conte érotique et postapocalyptique.

La Salle d’attente mise en scène Krystian Lupa Nuits de Fourvière, Lyon Une adaptation brillante du chef-d’œuvre de Lars Norén, vision métaphysique des bas-fonds du rêve.

Southern Bound Comfort chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui et Gregory Maqoma Festival de Marseille. Un duo dans les cordes pour la danseuse Shanell Winlock et Gregory Maqoma. Autour de la figure du lien.

Fin de partie de Samuel Beckett mise en scène Alain Françon Théâtre de la Madeleine, Paris Une mise en scène efficace, un choix d’acteurs magistral et un duo jubilatoire.

Dystopia CAPC de Bordeaux Venue d’outreManche, la dystopie se décline au CAPC dans une expo aux relents de SF.

Consortium de Dijon Défricheur et unique dans le paysage national, le Centre d’art fait peau neuve.

Tableaux Magasin de Grenoble Une poignée de jeunes artistes se demande comment sortir du cadre (de la peinture).

DiRT 3 sur PS3 Ivresse de la conduite et des grands espaces. Un jeu total qui réconcilie toutes les chapelles.

Dead or Alive – Dimensions sur 3DS Le nouvel épisode de Dead or Alive fait s’affronter des pin-up juvéniles.

No More Heroes – Heroes’ Paradise sur PS3 Un remake sur PS3 bordélique, improbable et unique, à l’image de son créateur, Goichi Suda.

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