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je suis allée place des Victoires avec

Gaëtan Roussel



n mars, Gaëtan Roussel a remporté trois Victoires de la musique : artiste masculin, album rock et album tout court pour Ginger, son disque solo paru il y a un an. Pour la blague, on a donné rendez-vous au leader de Tarmac et de Louise Attaque place des Victoires, à Paris. Mais voilà : passé cinq minutes, il n’y a pas grand-chose à faire autour de la statue de Louis XIV. Le chanteur aime le vin : c’est donc à quelques mètres de là, derrière la jolie place des Petits-Pères, qu’on s’installe, dans un bar à vin de la maison Legrand. Le musicien commande un verre de blanc, domaine Blanchet. “Il a un petit goût de litchi. J’aime bien le vin, j’essaie de découvrir tout ça. Il faut se lâcher, ne pas hésiter à dire ce qu’on pense. Pas chercher à faire bien en disant que ça ressemble à de la myrtille par exemple…” Interrogé sur son dernier coup de cœur, le chanteur évoque un vin de Provence au joli nom, Les Clés du paradis, qui a le mérite d’avoir le même goût en vacances qu’une fois de retour à Paris, où il réside. “Alors que souvent, bah, tu es déçu.” Pour le paradis à l’étranger ? “Le vin espagnol, le vin argentin… Mais bon, je ne suis pas professionnel !” L’Argentine, Gaëtan Roussel s’y rendra ce printemps : une tournée en Amérique latine est prévue. Elle passera par le Brésil, le Chili et l’Uruguay. “Je n’avais jamais envisagé ce succès. Ma satisfaction a été de trouver une façon intéressante d’avancer dans un registre solo. J’ai souvent répété que c’était un disque solo mais pas solitaire. C’est important.” Sur scène, Gaëtan Roussel est entouré de sept musiciens, dont l’ancien bassiste de la Mano Negra Joseph Dahan, le batteur du groupe français PacoVolume, la chanteuse France Cartigny ou encore une choriste prénommée Nathalie. “On l’appelle notre crédibilité jazz, parce qu’elle joue du

saxophone”, sourit-il. “Mais je ne voulais pas monter un autre groupe, ça aurait été schizophrène. C’est un casting qui peut bouger, évoluer. Au départ, les gens ont cru que je faisais un projet solo pour m’esseuler. Au contraire : j’apprends, j’arrive à exprimer des choses en me frottant aux autres.” Ce goût pour les collaborations ne date pas d’hier : avant Ginger, Gaëtan Roussel a offert ses services de compositeur et d’arrangeur à Vanessa Paradis et à Alain Bashung. Il a aussi signé la bande originale de Mammuth, le film de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Projet le plus personnel à ce jour, Ginger lui a permis de développer son béguin pour la pop anglo-saxonne, celle de Beck ou de Damon Albarn, chez qui il apprécie la démarche ludique, le goût pour l’expérimentation. Sur l’album, il s’est offert de belles parenthèses avec ses héros (Gordon Gano des Violent Femmes, Renee Scroggins du mythique groupe new-yorkais ESG). “J’avais envie d’aller vers la pop, de faire des refrains en anglais. De trouver de nouveaux points d’appui, de me décaler.” Le décalage est si réussi que Gaëtan Roussel succédera bientôt à Damon Albarn justement, sur la scène du Zénith. “J’avais adoré le concert de Gorillaz. Les gens ont souvent peur du Zénith. J’y ai vécu des soirées formidables : Oasis, Queens Of The Stone Age…”, se souvient-il en finissant son verre. Avant de s’excuser, avec douceur et humilité : “Je flippe en interview. Les questions, ça me terrorise. J’espère que ça a été, que j’étais à peu près à la hauteur.” Vin sur vin. Johanna Seban photo Emma Pick

“je flippe en interview. J’espère que j’étais à peu près à la hauteur”

Concerts le 1er avril à Nantes, le 2 au Havre, le 5 à Lyon, le 6 à Paris (Zénith)

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en partenariat avec France Culture

Laïcité et pacte républicain Débattons du débat ! jeudi 31 mars à partir de 6 h 45 sur France Culture

No.800 du 30 mars au 5 avril 2011 couverture Jamel couverture Normandie Vikash Dhorasoo par Alexandre Guirkinger

03 quoi encore ? Gaëtan Roussel

08 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement depuis le tremblement de terre, une Française raconte son Japon

18 événement 20 la courbe ça va ça vient ; billet dur

21 nouvelle tête

Brigitte Baudesson

Liz Taylor, star fracassée

28

Austra

22 ici racisme en gros à Rungis ?

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23 ailleurs Richard Prince et le droit d’auteur

24 parts de marché les conditions de travail des techniciens du cinéma français se dégradent

26 à la loupe

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virée sur la route avec Jamel et dans la rue avec les blessés du sarkozysme

43 le FN déjà tourné vers 2012 Marine Le Pen veut banaliser son parti

44 la droite tendue à l’extrême la poussée du FN peut-elle faire exploser l’UMP ?

46 l’union est un combat difficile jeu d’alliances à gauche

Clay Enos/Warner Bros Entertainment

28 Jamel, un homme intègre

Denis/RÉA

Zahia sait lire !

58

47 presse citron revue d’info acide

49 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

50 quiz 54 le cas Screamadelica vingt ans plus tard, le disque narcotique de Primal Scream crée encore l’addiction

David Balicki

Marine/Nicolas, qui qu’a dit quoi ?

58 Lou Doillon la multiple après les podiums et les plateaux, elle fait ses premiers pas au théâtre

63 Zack Snyder : watch that man le cinéaste le plus geek d’Hollywood revient avec un blockbuster féministe

66 wanted Laurent Tixador chasse à l’artiste entre Nantes et Paris

pour la Normandie

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

68 Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder

70 sorties Sucker Punch, Le Vagabond, Bonobos…

74 livre Danielle Darrieux et Max Ophuls

76 dvd les débuts de Krzysztof Kieslowski

78 Dragon Age II + MotorStorm Apocalypse

80 Cascadeur l’homme masqué venu du paradis

82 mur du son festival Europavox, Friendly Fires…

83 chroniques Ed Banger, Tahiti 80, Bombino…

89 morceaux choisis Alex Turner…

90 concerts + aftershow Wu Lyf

92 Robert Maggiori vibrant éloge d’un journalisme d’idées

94 romans/essais Richard Lange, Viviane Forrester…

96 tendance la littérature d’apocalypse face au réel

98 agenda les rendez-vous littéraires

100 bd autobiographie de Yoshihiro Tatsumi

102 Le Cœur des enfants léopards + Fauves + Don Giovanni. Keine Pause

104 Philippe Decrauzat + Malevitch vs Morellet

106 les maillots de foot une affaire de gros sous

108 Cinéma du réel le festival du docu à Beaubourg

110 Arte Creative plate-forme pour les arts numériques

112 XXI lance 6 mois une nouvelle revue de photojournalisme

114 séries le futur des séries est-il sur le net ?

116 télévision le communisme, continent englouti

118 reportage South by Southwest, festival geek

121 vu du net tout sur Bilbo

122 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. Balicki, E. Barnett, B. Baudesson, R. Blondeau, A. Boulant, M.-A. Burnier, M. Despratx, A. Dreyfus, I. Foucrier, H. Frappat, C. Gallot, J. Goldberg, A. Guirkinger, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, C. Larrède, J. Lavrador, C. Guesde, P. Le Bruchec, N. Lecoq, T. Legrand, J.-L. Manet, L. Mercadet, B. Mialot, P Mouneyres, P. Noisette, V. Ostria, M. Pinell, M. Philibert, E. Philippe, S. Piel, T. Pietrois-Chabassier, A. Ropert, M. Sanson, L. Soesanto, P. Sourd lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Jérémy Davis, Thi-bao Hoang, Amélie Modenese, Anne-Gaëlle Kamp conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dounia Hajji tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 19 98 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65, chef de projet marketing direct Alexia Bernard tél. 01 42 44 44 17 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard (tmattard@ame-press. com, tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou abolesinrocks@ dipinfo.fr abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève BentkowskiMenais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition Vente au numéro Belgique et Suisse ; une carte postale RMN jetée dans l’édition générale ; une carte postale EIC jetée dans l’édition abonnés Paris-IDF ; un programme “La Sirène” jeté dans l’édition abonnés des départements 16, 17, 79, 85 et 86 ; un supplément 32 pages “spécial Normandie” broché dans l’édition des départements 27, 76, 14, 50 et 61.

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révoltes arabes Alors que le monde arabe n’en finit pas de secouer un statu quo que l’on avait fini par croire immuable, la passion des médias et opinions occidentaux semble diminuer depuis les grands soirs tunisiens et égyptiens. Certes, on continue de s’intéresser de près à la Libye, peut-être parce que nos forces armées y sont impliquées. A l’heure de rédiger cet édito, la situation libyenne semble évoluer vers le scénario positif. Les rebelles ont repris un certain nombre de lieux stratégiques, Tripoli est bombardé par la coalition et le commandement de l’opération passe aux mains de l’Otan. Le spectre d’un enlisement s’éloigne, la chute de Khadafi se rapproche. Avec toujours la question pas simple de l’après. Le nouveau foyer brûlant est la Syrie, ce qui devrait ébahir l’opinion. La Syrie, pays du régime de fer de la dynastie al-Assad, occupant de fait du Liban, commanditaire d’attentats (dont peut-être celui qui coûta la vie au président libanais Hariri), en première ligne dans le conflit avec Israël ! Que sa population ait le courage de se soulever, que ce régime puisse vaciller, c’est énorme. Au Yémen aussi, la rébellion connaît quelques succès, mais les révoltés du Yémen combattraient sous la bannière Al-Qaeda. Entre la peste et le choléra, qui soutenir ? Par contre, on aurait volontiers soutenu la révolte au Bahreïn, initiée par une jeunesse éprise de liberté. Mais pas de coalition occidentale pour cette pétromonarchie aux mœurs pourtant plus libérales que son puissant voisin saoudien. La révolte y a été transformée par la propagande gouvernementale en affrontement chiites-sunnites puis écrasée avec le soutien militaire de l’Arabie Saoudite. Cet Etat clé des intérêts occidentaux est du côté du pouvoir au Bahreïn, mais de celui des rebelles en Libye : un bon indicateur des complexités de la “révolte arabe”. Pendant ce temps, le peuple égyptien se rendait en masse aux urnes pour approuver à plus de 77 % le projet de réforme constitutionnelle. C’est formidable, mais moins spectaculaire que des bombardements. Il n’y a pas une mais des révoltes arabes, avec des contextes, des vitesses et des perspectives propres à chaque pays. Deux choses sûres dans cet océan d’incertitudes : c’en est fini du vieux monde arabe figé de l’après-guerre froide, et la mutation sera longue, portant autant d’espérances que de risques.

Serge Kaganski

Différents certes, dépouillés, riches et profonds, les Kills sont en vie. Que ceux qui n’ont pas adhéré à la première écoute du déroutant Satellite se rassurent : rock is not dead. Tyler Martin

lettre de Sendai Salutations à ma très chère famille et à mes amis. Premièrement, je voudrais vous remercier pour vos bonnes pensées à mon égard. (…) Les événements ici à Sendai ont été plutôt surréels. Mais je me sens bénie d’avoir des amis merveilleux ici qui m’aident énormément. Depuis que ma hutte mérite encore plus son nom, je suis hébergée chez une amie. Nous partageons nos vivres (…) et un chauffage d’appoint au kérosène. La nuit nous dormons alignés dans une pièce, nous mangeons à la lumière des bougies, nous nous racontons des histoires. C’est chaleureux, amical et beau. Pendant la journée, nous nous aidons les uns les autres à nettoyer ce qui reste de nos maisons. (…) La terre continue de trembler (…). Les sirènes sonnent tout le temps et les hélicoptères survolent la ville en permanence. (…) Certaines personnes sont dépannées, d’autres pas. Personne n’a pu se laver depuis plusieurs jours. L’hygiène nous manque, mais il y a pourtant des choses plus importantes que cela. J’aime le fait d’être réduit aux essentiels. De vivre complètement au niveau de nos instincts, de l’intuition, de prendre soin des autres, de ce qui est nécessaire pour la survie, pas seulement pour moi, mais pour

United States Navy

l’édito

tous. D’étranges univers parallèles apparaissent. (…) On voit des gens qui font la queue pour l’eau et la nourriture, et en même temps on en voit d’autres qui promènent leur chien. Tout ceci a lieu simultanément. Il y a des moments inattendus de beauté, comme le surprenant silence pendant la nuit. (…) Et les Japonais eux-mêmes sont si merveilleux. (…) Je ne vois pas de signes de peur. La résignation, oui, mais la peur ou la panique, non. (…) Il me semble en ce moment que je prends conscience à travers l’expérience directe qu’il y a, en effet, une gigantesque étape évolutionnaire qui a lieu sur la terre entière en ce moment même. D’une manière pas tout à fait claire, au fur et à mesure que j’expérimente les événements qui ont lieu au Japon maintenant, je peux ressentir mon cœur s’ouvrir très grand. Mon frère m’a demandé si j’avais l’impression d’être toute petite en raison de tout ce qui se passe ici. Non, je n’ai pas cette impression. Au contraire, j’ai l’impression de faire partie de quelque chose qui est beaucoup plus grand que moi. Cette vague de naissance (mondiale) est difficile, et en même temps magnifique. Merci encore pour votre tendresse et votre amour. Je vous aime tous aussi. A., enseignante française à Sendai

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction toi l’Auvergnat, qui es mort “Toi l’Auvergnat, quand tu mourras…”, chantait Brassens. Cinquante-sept ans après, c’est fait. L’Auvergnat est mort, à 95 ans. Il s’appelait Louis Cambon et il tenait jadis le Bar des amis dans le XIVe à Paris, où Brassens allait se réchauffer dans ses années de dèche. L’anecdote de la chanson est vraie : Cambon donnait du bois au barde pour l’aider à passer les rudes soirées d’hiver dans les années 50. Thom Yorke patron de presse Radiohead publie un journal pour marquer la sortie physique de The King of Limbs. The Universal Sigh réunit poèmes, dessins et textes rédigés par Robert Macfarlane et Stanley Donwood. A Paris, le journal est distribué devant Beaubourg. Thom Yorke enchaînera bientôt les collaborations : un maxi avec Four Tet et Burial (Ego/Mirrors, tiré à 300 exemplaires) et un album avec MF Doom, producteur de hip-hop US.

le mot

[Nini]

Francis le Gaucher

Carsten Koall/Getty Images

Nini a été la vedette de l’entre-deux-tours des cantonales : ni FN, ni PS pour messieurs Copé, Sarkozy, Vanneste et autres. Ce n’est pas le premier show de Nini sur la scène politique française. Nini est sorti du bois en 1988 pendant une campagne présidentielle où un sortant nommé Mitterrand se prononça “ni pour des nationalisations ni pour des privatisations”. En 2001, pendant une autre campagne présidentielle, parut un livre titré Monsieur Ni-Ni, l’économie selon Jospin auquel les auteurs (Erik Izraelewicz et Christine Mital) attribuaient la paternité. En politique, Nini trahit le renoncement à une ligne claire et ferme au profit d’une lecture “en creux” du type “faut voir”, à la louche, au cas par cas. Hors politique, Nini est un nom de pute, comme Nini Peau d’chien dans la chanson d’Aristide Bruant en 1889, ou Nini de Chantilly dans Chiens perdus sans collier, roman de Gilbert Cesbron.

Fukushima, mon amour Samedi 26, à Berlin, Cologne, Munich et Hambourg, 250 000 personnes ont défilé pour demander la sortie immédiate du nucléaire. C’est la plus grosse manif antinucléaire jamais organisée en Allemagne. Dimanche 27, un Grün (un Vert) va, pour la première fois, diriger un Land (un Etat-région), suite à l’échec du CDU d’Angela Merkel aux élections. Effet Fukushima mais pas que… Le débat sur le nucléaire et l’écologie occupe la vie politique allemande depuis longtemps. A 10 000 années-lumière de la France. grand gentil Lou Lou Reed participe le 9 avril à New York à un concert au profit des victimes du tsunami. Le concert aura lieu au centre culturel Japan Society et réunira John Zorn, musicien de jazz qui s’est beaucoup produit au Japon, Laurie Anderson (femme de Lou Reed), Philip Glass, virtuose de la musique répétitive et le pionnier japonais de l’électroacoustique, Ryuichi Sakamoto. La Japan Society a déjà récolté plus d’un million de dollars et bien sûr les bénéfices du concert seront reversés aux victimes du séisme.

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l’image l’Elysée brûle

champion d’archi Alors que les architectes (ces forts en gueule) ont tendance à se tirer la bourre, ils s’étaient mis d’accord, mercredi 23, pour applaudir la récompense décernée par Frédéric Mitterrand à Frédéric Borel. Il faut dire que ce timide Français de 51 ans, qui s’est vu remettre le Grand Prix national d’architecture 2010, fait l’unanimité parmi ses confrères avec ses bâtiments SF, bavards et diffractés (pour la plupart réalisés dans l’Est parisien). Mockasin au pastis Jeudi 24, on se rue au water-bar du concept-store Colette pour assister au live de Connan Mockasin. Pas gagné d’avance pour le Néo-Zélandais : galvanisé par un apéro pastis musclé, le public manque de couvrir la voix enfantine et la musique onirique de l’auteur du superbe Forever Dolphin Love. Intimiste, un poil timide, concert magnifique. Séance de rattrapage à la Boule Noire en avril. Björk en appli et en spectacle Quatre ans après Volta, l’Islandaise dévoile Biophilia, projet qui interroge les liens nature-technologie. Un spectacle multimédia sera présenté cet été en avant-première au Manchester International Festival, avant de tourner pendant deux ans. Quant au disque, composé en partie à l’aide d’un iPad, il se présentera sous forme d’appli. Pas de date de sortie annoncée. Bowie fuite Toy, album inédit de David Bowie enregistré en 2001, a fuité sur le net. Il inclut des réenregistrements (The Heat of the Morning et Liza Jane), mais aussi des titres inédits comme Silly Boy Blue. Prévu pour 2002, l’album avait été enterré suite aux désaccords entre Bowie et sa maison de disques de l’époque, Virgin. Ce sont donc les premiers nouveaux morceaux de Bowie depuis 2003. Après son opération du cœur en 2004, le chanteur avait arrêté la musique, se contentant d’apparitions aux côtés d’Arcade Fire ou Scarlett Johansson.

Stéphane Lemouton/Abaca

Ecole d’architecture, Paris XIIIe

Agence Frédéric Borel

Le palais présidentiel est sauf, mais la fameuse salle de concerts parisienne pourrait ne pas rouvrir. Fans de rock, amis, riverains : ils étaient plus de 200 samedi après-midi à répondre à l’appel des salariés de l’Elysée Montmartre, soucieux du futur de la salle de concerts. Gravement endommagée par un incendie qui s’est déclaré mardi 22 aux environs de 7 heures du matin, elle pourrait ne pas rouvrir ses portes. Créée en 1807, salle de bal à l’origine, l’Elysée accueille le french cancan naissant, puis, après la Seconde Guerre mondiale des combats de boxe et de catch. Implantée dans un quartier populaire, elle devient à la fin des années 70 le bastion des musiques émergentes. Rock, hard-rock bien sûr et surtout hip-hop et reggae, qu’elle est la seule à programmer. “C’est une salle qui a toujours eu un côté libertaire. Je me souviens d’y avoir vu KRS One, Jungle Brothers avant que ces musiques puissent ambitionner de faire le Zénith. C’était l’Elysée plutôt que la Cigale qui avait un côté plus chic, et cossu”, explique le journaliste Olivier Cachin. Dans les années 2000, la culture électronique y pose ses platines, avec plus ou moins de réussite. Avec son plafond trop haut, son côté grand hangar, la salle se prête aux débordements dance-floor. “C’était un exemple criant de la limitation du son à Paris, se souvient Fabrice Desprez, de l’agence Phunk, spécialisée dans la promotion des musiques électroniques. Ça n’a jamais été la folie furieuse à part peut-être pendant les soirées Scream : tu voyais 2 000 gays torses nus et bodybuildés qui dansaient sur de la house cheesy.” Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de la salle : “Il va y avoir les assureurs et les experts qui décideront si la salle est reconstructible (…) et puis les discussions avec le propriétaire des murs”, a précisé à l’AFP Gérard Michel, président de Garance productions qui gérait la salle depuis vingt-trois ans. A suivre.

En chemise blanche, Gérard Michel, gérant de la salle 30.03.2011 les inrockuptibles 11

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le moment humour de flics sur Facebook

Sur le réseau social, les forces de l’ordre s’assoient sur leur devoir de réserve. En juin 2010, la Direction générale de la police nationale (DGPN) mettait en garde ses fonctionnaires sur l’utilisation des réseaux sociaux. La hiérarchie leur conseillait la prudence : ne pas trop en dire sur eux-mêmes et respecter leur devoir de réserve. L’avertissement n’a pas suffi. Presque un an plus tard, lesinrocks.com ont trouvé un groupe Facebook où des policiers et leurs proches ont posté des photos d’interpellés, à visage découvert, encadrés par des fonctionnaires. Des manifestants, parfaitement reconnaissables. En légendes et en commentaires de ces photos, des propos moqueurs. Le physique, la motivation ou la couleur de peau des citoyens photographiés font l’objet de plaisanteries désobligeantes, dans un français approximatif. Au loin, une manif vue par le viseur d’un Flash-Ball. “Occupation de petits collégiens... Cours d’instruction civique lol.” Un homme menotté encadré par deux CRS. Légende : “Fallait être sage.” Sur une photo où une femme et un enfant noirs marchent près d’un camion de police : “Je dirais bien un truc mais c’est pas bien”. “J’ai deviné lol idem mais je me tais”. L’intégralité des photos est visible sur lesinrocks.com. Nul doute que l’institution, prompte à protéger ses troupes quand elles sont mises en cause par des internautes, ne tardera pas à les rappeler à l’ordre quand elles commettent ce genre de grossièretés.

Whitney Houston

interdit de daube La police a saisi la chaîne hi-fi et la collection de disques d’un citoyen de Folkestone, en Angleterre. Son crime : il écoutait à plein volume et toute la nuit des pop-songs sirupeuses. Son hit en boucle : I’m Every Woman, tube de Chaka Khan massacré par Whitney Houston. Jurisprudence inespérée pour ceux dont les voisins balancent Sardou à fond le dimanche matin ? pour le fun “Le plan, c’était de tuer des gens, chef.” Jeremy Morlock, 23 ans, a avoué devant un tribunal militaire qu’il faisait partie d’une équipe d’exécution (“kill team”) qui s’amusait à tuer des civils afghans. Sur une vidéo, Morlock explique comment lui et ses comparses dessoudaient des civils présentés comme des talibans. Scandale pour l’armée américaine, certains parlent d’un nouvel Abou Ghraib. Cette semaine, Der Spiegel a publié trois clichés où des GI’s, dont Morlock, posent à côté du cadavre d’un jeune Afghan. Barack qui ? Le magazine Newsweek a fait passer à mille citoyens américains le test pour l’obtention de la nationalité US. Résultats : 38 % échouent. 29 % ignorent le nom du vice-président, 77 % ce qu’était la guerre froide, 6 % le jour de l’Indépendance. Overdose de Fox News, de Justin Bieber et de créationnisme ? Newsweek met en cause la complexité de l’organisation politique US, la pauvreté et un système d’éducation décentralisé. Avignon joue l’enfance Du spectacle, Enfant, imaginé par Boris Charmatz pour la cour d’Honneur du palais des Papes, au retour d’Angélica Liddell avec un spectacle où se côtoient enfants, loup et sculptures, en passant par le Petit Projet de la matière d’Anne-Karine Lescop avec des élèves d’une école primaire : la soixante-cinquième édition du Festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet, est résolument placée sous le signe de l’enfance. Elle réunira Arthur Nauzyciel, Patrice Chéreau, François Verret, Jeanne Moreau et Etienne Daho, Cecilia Bengolea et François Chaignaud, Sophie Pérez et Xavier Boussiron, Romeo Castellucci ou Pascal Rambert. métro laïque Claude Guéant l’a dit : les “usagers” des services publics ne doivent pas porter de signes religieux. Ce qui revient, observe l’édito du Monde de dimanche, à “bannir dans le métro les crucifix en collier, le foulard islamique ou la kippa”. Sans compter les robes de bonze. dix de der Vendredi 25, à Pékin, Liu Xianbin en reprend pour dix ans. Pour “subversion”. Le dissident a commis le crime de soutenir les révolutions arabes. Au trou, Liu a déjà passé deux ans après Tiananmen, et neuf ans de 1999 à 2008 pour avoir créé un Parti démocrate. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Yoshikazu Tsuno/AFP

Le 28 mars, à Tokyo

journal du Japon Claudine, une Française qui vit au Japon depuis vingt ans, livre ses impressions. D’Izu, à cent kilomètres au sud de Tokyo, comment vit-on le tremblement de terre, le tsunami et la catastrophe nucléaire ? samedi 12 Quand l’alarme a sonné, je sortais du supermarché. Les gens se sont arrêtés pour écouter, discuter un peu, sans plus. On a vite su que le séisme était fort. Ambiance calme, puis alerte au tsunami. En ouvrant l’ordi, j’ai vu l’ampleur du désastre. dimanche 13 Je refume, ça fait plaisir depuis le temps. J’ai dégusté une soupe de miso au homard, trop bon. J’en profite, que va-t-on manger bientôt ? Je n’ai pas peur, mais voudrais être plus vieille de 15 jours. lundi 14 Pas de contamination à Izu. Une chance car il pleut, ce qui plaque les particules radioactives. Il ne pleut pas sur la côte Est, mais il neigera demain. J’ignore si ça refroidira la centrale, mais ça ne remontera pas le moral des sinistrés. Si la catastrophe nucléaire arrive, on prendra de l’iode. La mère de ma voisine vient de l’appeller pour dire que ça ne servira à rien : il faut en prendre cinq jours avant. Amusant. Pas question de rentrer. Mourir,

sous un autobus à Paris ou par radioactivité au Japon, je n’y échapperai pas, du calme. Aux infos françaises, l’affaire Renault passe avant le Japon, bien. On vient de célébrer nos cerisiers, les premiers du pays à fleurir, la foule vient de loin. Les autres, les sakura, fleuriront début avril. Ce sera peut-être la fête. Le Japon fait appel à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Optimiste, mais je vais faire une croix sur les sushis un moment. mardi 15 Le miracle serait que le vent souffle vers la mer et préserve les autres pays, mais les miracles… Le séisme force 6+ d’hier soir était à 80 km de chez moi. J’étais couchée, c’est mieux passé. mercredi 16 La radio en rapporte un de force 6 à Tokyo ce midi. Faux, c’était à Chiba, vers l’est, ressenti à Tokyo de force 3. Scandale Tepco. La centrale était jusqu’à vendredi certifiée conforme par Tepco, choisie pour son rapport qualité/prix.

On apprend qu’il y aurait eu des incidents de gravité variable sur ces centrales, Tepco aurait falsifié des rapports. Le vent tourne N-E, bonjour les poissons. Depuis vingt ans au Japon, je connais les séismes. Le premier m’a paru exotique, puis j’ai eu ma période parano quatre ou cinq ans avant de m’y faire. Le Japon occulte la Libye, la Côte d’Ivoire et, grande honte, Haïti. Outre la menace nucléaire qui sème la terreur, les financiers redoutent que l’économie mondiale plonge. jeudi 17 Pas d’iode en vente libre, il sera distribué. Pénurie : piles, bougies et… PQ. Je ne suis pas loin du mont Fuji, pourvu qu’il ne se réveille pas ! Le maire de Tokyo, prétend que cette catastrophe est la punition divine de l’égoïsme japonais. Comme d’habitude, il fait ses excuses. Ici, à Izu, on prévoit depuis longtemps un gros séisme. L’ambassade conseille le sud et propose de l’iode. Le vent souffle S-O, mauvais,

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mais devrait tourner N-E. On me harcèle pour que je parte. Je croise les doigts pour les Libyens, nous serons ex æquo au tableau d’horreur. Je vais dormir, moral ok. vendredi 18 Aux infos françaises, la Libye détrône le Japon. J’admire l’abstention des Allemands, qui refusent le nucléaire mais pompent notre électricité. Décision du jour : je reste. Les enfants vont à l’école sans masque, voilà mon dosimètre. En cas de danger, ils seront les premiers protégés, car ils sont l’avenir du pays. C’est officiel. Après 40 ans, on n’appartient plus aux priorités. Alerte par haut-parleur pour l’électricité. On est avertis par deux sons différents. L’un pour les affaires courantes, vieillards égarés, coupures d’électricité, feux d’artifice, séismes et tsunamis peu inquiétants. L’autre pour les cas graves, le tremblement de terre de vendredi, le tsunami après, etc. Les haut-parleurs sont partout. On a le plaisir de les entendre à 7 h, midi et 17 h. Autrefois, celui de 7 h servait de réveil ici. Les gens étaient trop pauvres pour en avoir. Photos de débris de maisons sur des kilomètres. Les constructions en bois léger limitent les blessures en cas de séisme. Les maisons ne sont pas bâties pour durer. Sans le tsunami, il y aurait eu de gros dégâts matériels, mais peu de morts. samedi 19 Je ne veux pas d’iode. J’opte pour la solution d’un médecin et son staff

dans les quartiers irradiés d’Hiroshima : miso dilué quatre fois par jour. Ils n’ont pas été contaminés. Des études ultérieures ont confirmé les bienfaits du miso. La France va envoyer deux robots d’intervention intérieure, un robot extérieur, une benne, un bulldozer et une pelleteuse commandés à distance. Pourquoi si tard ? On se sent Libyens. Sur quelle planète vivent les décisionnaires ? Dégoutée. Je retire ça. Le Japon aurait refusé l’aide. La radioactivité augmente. Doubler la dose de miso (LOL). dimanche 20 Intervention en Libye. Statu quo à Fukushima. Les pompes des piscines 5 et 6 sont relancées, les réacteurs 1 et 2 pas menaçants, le 4, noyé jour et nuit. La radioactivité se disperserait sur l’océan, Chine et Corée pas encore touchées. J’ai une sale mine. Je me crois calme, mais mon subconscient me sape. Parlé trop vite. Le réacteur 3 suscite l’inquiétude, ils l’arroseront à 18 h à la place du 4. C’était trop beau. Je suis allée devant la rivière regarder les cerisiers. Les enfants jouent dehors. lundi 21 Le courant est rétabli dans le réacteur 2, la salle de commande pourrait être reconnectée, bonne nouvelle. Le gros problème, c’est le 3. Ils pensent relâcher de la vapeur dans l’atmosphère, mais le combustible est du MOX, très dangereux. On frôle vraiment la méga cata ! Inquiète.

mardi 22 La pollution nucléaire s’étend à 100 km autour de la centrale. L’océan est pollué, plus de poissons, de coquillages, les délicieuses coquilles Saint-Jacques de Sendai. Que vont devenir les pêcheurs, les fermiers ? Je me tracasse pour les sinistrés. La plupart de ceux qui sont hospitalisés le sont pour hypothermie. On annonce pluie, neige et températures négatives chez eux. J’espère qu’ils ont à manger. Je dois calfeutrer l’étage de la maison et chercher de l’eau de source pour la congeler. Je vais aussi congeler du beurre, je doute qu’on en trouve pendant un bon moment. Petits soucis secondaires, mais qui évitent de penser aux gros problèmes. Je ne m’affole pas encore, mais il faut que je commence à m’organiser. mercredi 23 La situation s’aggrave. Les réacteurs 1, 2 et 3 font peur. On ne parle même plus du 4 qui doit être dans un sale état. Les 5 et 6 seraient ok. Seraient, parce que dès que j’annonce qu’un réacteur semble ok, il se met à faire des bêtises ! On commence à évacuer des sinistrés vers des zones non contaminées. Avec les routes détruites, c’est difficile. Vu une vidéo sur la ville de Taro, où les jeunes, solidaires des vieux, leur trouvent à manger dans les ruines. Aucun ne porte de masque, ça me fait peur pour eux. J’ai un copain japonais médecin dans un hôpital de Tokyo. Essayé de le joindre

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plusieurs fois chez lui, sans succès. Si occupé, ce n’est pas rassurant. Deux séismes 6+ sur la côte Est il y a moins d’une heure, puis de petites répliques, dont une près de Fukushima. Ce matin, pas le doux bruit des cris d’enfants. NHK (groupe audiovisuel public) ne diffuse plus à l’étranger. Incertitude. jeudi 24 Tout semble bien aller. Plus de fumées (??) au-dessus des réacteurs, plus de radioactivité dans l’eau du robinet à Tokyo, plus de coupures d’électricité demain, ici la pluie s’arrête, le soleil illumine et réchauffe la maison. Voilà longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de bonnes nouvelles ensemble. Je jouerais presque à la loterie. vendredi 25 Miracle, le poste de commande du réacteur 2 est raccordé (et les circuits de refroidissement ?), plus de panaches de fumée, l’eau est potable à Tokyo, les légumes des préféctures voisines consommables ! Mais le cœur du réacteur 1 a fondu à 70 % et le 2 à 30 % ; les autres, on n’en parle pas. Plus une bouteille d’eau à Tokyo, on en envoie d’ici à nos amis qui ont de jeunes enfants. La radioactivité y aurait disparu. Plus de coupures d’électricité. Bilan, on peut aller bronzer sur les plages de Fukushima, mais le problème nucléaire ne sera pas réglé avant au moins quinze jours. Je reste sceptique ! C’est de ne pas savoir qui m’angoisse le plus, même si je comprends

qu’il faut ménager les 15 millions de Tokyoïtes. J’attends, dubitative. La Libye, le Yemen, la Syrie... et l’Iran ? J’ai oublié ça la semaine dernière : d’après un officiel de ma préfecture, la vague faisait 30 m ! La faille, 500 km de long et 20 km de large. Il paraît que ça n’arrive qu’une fois tous les mille ans au Japon. Ce serait l’un des cinq plus violents séismes du monde. Il pleut. samedi 26 J’apprends à la radio française que les dons sont bien moindres que pour Haïti, comme si le pays n’avait besoin de rien. Ici, dans le centre des grandes villes, les gens sont riches, et dans les banlieues aussi maintenant. Mais dans les campagnes, les vieux, surtout, sont incroyablement pauvres. Ils me font mal au cœur. Certains, dont les enfants sont en ville, reçoivent de l’aide. Mais si les enfants aussi sont à la campagne, rien. Mon patron, qui connaît quelqu’un qui travaille dans le nucléaire à Tokyo, m’a dit que la suite était imprévisible, dires confirmés par le Premier ministre hier à la télé. Le cœur du réacteur 3 (celui qui carbure au MOX)

j’ai une sale mine. Je me crois calme, mais mon subconscient me sape

présenterait une grosse brèche. Le grand patron de Tepco aurait disparu, pas dans la centrale à ce que je sache. Si c’est vrai, je me demande où il est. S’il s’était fait seppuku (hara-kiri), on le saurait déjà. Rumeurs odieuses. Lors du séisme de 1923, le feu avait détruit Tokyo. La population avait accusé les Coréens vivant sur place d’avoir causé les incendies en jetant des sorts, et les avait massacrés. Maintenant, c’est au tour des Chinois immigrés de faire les frais de la catastrophe. On raconte que ces ouvriers sous-payés, la nuit tombée, attaqueraient les gens qui sortent seuls pour les voler. La police fait des rondes sans rien trouver. Les Américains envoient une barge d’eau douce pour le réacteur 3. Il baigne dans un mètre d’eau contaminée. On disait la cuve endommagée, hier soir on a appris que les canalisations fuient dans la mer. Les gens sont à cran. Des cinglés américains prétendent que c’est pour punir les Japonais d’avoir attaqué Pearl Harbor que Machin (j’ai oublié le nom) a provoqué le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire. dimanche 27 Incroyable optimisme des Japonais : après 50 ans, ils ne risquent rien, ils ont des anticorps. Ah ? beaucoup de quinquagénaires sont pourtant morts irradiés à Hiroshima. Réponse : c’est différent, c’était une bombe. Ça m’a cloué le bec.

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Elizabeth Taylor (1932-2011) La star américaine s’est éteinte le 23 mars. Retour sur le parcours d’une actrice marquée par un goût de plus en plus prononcé pour la monstruosité et l’indécence.

T  

outes les étapes de l’existence, elle les a franchies précocement. Elle entre dans la vie active à 10 ans (Fidèle Lassie, 1943) ; elle devient une vedette à 12 (Le Grand National, 1944) ; à 19 ans, elle est une star (Une place au soleil, 1951) ; c’est la trentaine à peine dépassée (Cléopâtre, 1963) qu’elle commence à se battre avec des phénomènes généralement associés à des âges plus avancés (embonpoint, déclin physique...). A moins de 40 ans, au début des années 70, elle n’appartient déjà plus qu’à l’histoire du cinéma et, après un dernier Cukor passé inaperçu (L’Oiseau bleu, 1976), elle se retire, dispensant tous les dix ans une apparition surpayée dans un Agatha Christie (Le miroir se brisa, 1980) ou une comédie familiale (La Famille Pierrafeu, 1994). Disparue à 79 ans le 23 mars dernier, Elizabeth Taylor aura donc passé près de la moitié de sa vie à être une star du passé. Certes, cette retraite anticipée lui a permis de se repositionner, d’intervenir autrement dans son époque – son engagement avec l’amfAR pour financer la lutte contre le sida n’a jamais failli. Elle lui a laissé aussi beaucoup de place pour continuer à vivre, se marier, divorcer (huit fois en tout, dont deux avec Richard Burton), fréquenter puis soutenir Michael Jackson et continuer, malgré tout, à occuper beaucoup d’espace dans la presse people. Elizabeth Taylor a donc tout vécu prématurément. Dans sa vie, cela a pu être une blessure. Au cinéma, ce don particulier pour l’anticipation des expériences humaines a coloré son travail d’une teinte particulière. La première fois

Qui a peur de Virginia Woolf ? de Mike Nichols (1966)

qu’elle joue la vieillesse, elle a 24 ans. C’est dans Géant de George Stevens (1956). Elle y interprète, en trois heures de récit, quarante ans de la vie d’une femme. Au milieu du film, elle est déjà la mère de Dennis Hopper (l’acteur est pourtant son cadet de seulement quatre ans) ; à la fin, elle est déjà grand-mère. Le maquillage reste pourtant discret ; c’est plutôt l’actrice qui trouve en elle un terreau qui lui permet, si jeune, de figurer la maturité et l’usure du temps. Ce n’est

pourtant pas son avenir à elle qu’elle anticipe, car il ressemblera assez peu à la douceur des vieux jours apaisés de la matriarche de Géant. Elle a seulement 34 ans lorsqu’elle attente au cinéma à sa jeunesse et à sa beauté. Dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (Mike Nichols, 1966), elle paraît déjà quinquagénaire, ménopausée, défaite par l’abus d’alcool mais peut-être aussi par la passion hystérique qui l’unit à Richard Burton. Tout cela (l’alcoolisme,

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Rue des Archives

Le Chevalier des sables de Vincente Minnelli (1965)

la décrépitude, la violence conjugale), elle l’exhibe avec une fureur sidérante – qui lui vaut son second oscar. Avant Liz Taylor, Hollywood a bien sûr brûlé d’autres stars (Rita Hayworth, Gene Tierney, Judy Garland...). Mais elle est probablement la première à avoir fait de cette combustion une arme qui renforce son statut et l’établit absolument comme une immense comédienne. Car ce n’est pas seulement de métamorphose physique qu’il s’agit. En liquidant les atours de la jeune fille idéale

une actrice minnellienne Nul mieux que Vincente Minnelli n’a filmé Elizabeth Taylor, de la postadolescente à la femme mûrissante. Comment passer de la jeune est une femme émancipée, fille rangée à la femme au passé sexuellement riche, émancipée ? Le cinéaste qui qui affole Richard Burton. permit à Elizabeth Taylor Minnelli prend en compte ce saut en zappant les étapes le changement d’époque (de intermédiaires de la vie, ce 1950 à 1965, c’est un monde n’est ni Mankiewicz, ni Brooks, qui a changé), mais aussi ni Nichols, ni Losey, mais l’accélération érotique et Minnelli. Quand Taylor a temporelle qui marque 18 ans, elle joue coup sur coup physiquement Taylor, passée la jeune fille prête à se marier sans crier gare de la juvénilité qui exaspère son père (Le Père à la maturité sexuelle fardée. de la mariée, 1950), puis la En la faisant accéder jeune maman qui exaspère directement au rang de son père avec son bébé (Allons femme moderne, Minnelli lui donc, papa !, 1951). Dans ces accorde ce qu’il refusera à son deux films, si Elizabeth Taylor autre fille de cinéma, sa vraie y est ravissante, sa sensualité fille, Liza Minnelli, qui même est retenue par Minnelli dans son dernier film avec son qui la préfère encore en jeune père (Nina, 1976), sera encore fille classique. Quinze ans une éternelle aspirante plus tard, la donne est – toujours biche chancelante complètement inversée : dans là où Taylor sut devenir Le Chevalier des sables, elle chasseresse. Axelle Ropert

de l’Amérique, c’est véritablement une autre actrice, une autre personne qui éclot, au jeu beaucoup plus extraverti, à la présence inquiétante, presque nocive. Jusqu’à la fin des années 50, elle incarne la haute société américaine, plutôt Côte Est. Cultivée, elle s’éprend d’un parvenu texan (Géant). Richissime, elle aime un sans-le-sou (Une place au soleil). Dans La Chatte sur un toit brûlant (Richard Brooks, 1958), peut-être le premier film, alors qu’elle est à l’acmé de sa beauté, où on entrevoit la trentenaire gironde, hypersexuelle, maniaque des années 60. Elle n’y joue plus une petite princesse, mais une fille avide, qui convoite l’héritage de son beau-père. Dans Le Chevalier des sables (Minnelli, 1965), elle est une déclassée qui vit entourée de beatniks et provoque l’horreur de la bonne société californienne. Dans Cérémonie secrète (Losey, 1968), elle est une prostituée, qui s’immisce dans la vie d’une riche héritière psychotique. On l’y voit roter, se plaindre à son miroir qu’elle n’arrête pas de grossir, détruire avec délectation l’image de perfection distinguée qui fut la sienne jeune fille. Descendre au plus bas de l’échelle sociale, au plus profond des secousses psychiques (elle devient folle dans Soudain l’été dernier), ne plus incarner peu à peu que des viragos hurlantes (La Mégère apprivoisée, …Virginia Woolf ?) : c’est le trajet d’Elizabeth Taylor, actrice fascinée par la monstruosité, l’effondrement, l’obscène. Une autre surprise de ce parcours, c’est la façon dont cette femme sublime devient, dans la fiction, un objet de répulsion pour les hommes, et ce dès l’apogée de sa beauté. Dès La Chatte sur un toit brûlant, son mari Paul Newman ne veut plus la toucher. Tout comme Richard Burton

dans ...Virginia Woolf ? Aucune autre star féminine n’a accepté autant de rôles qui l’excluent de la circulation du désir. Et par deux fois, dans Soudain l’été dernier (Mankiewicz, 1959) puis Reflets dans un œil d’or (Huston, 1967, avec Marlon Brando), son mari est un homosexuel honteux. L’homosexualité masculine, de façon plus positive, structure d’ailleurs de part en part sa carrière : elle fut la partenaire et l’amie de Montgomery Clift et Rock Hudson. Minnelli l’a filmée à trois reprises. Cukor lui a offert son dernier grand rôle. Elle joua dans trois adaptations de Tennessee Williams. Dans la dernière, Boom ! (Losey, 1968), elle incarne la souveraine pré-drag queen d’une île en Méditerranée, entourée de serviteurs gays. Le rôle entérine le devenir icône queer de l’actrice, trônant désormais au panthéon du kitsch homosexuel. A sa mort, on a beaucoup lu qu’elle était la dernière star hollywoodienne. Elle est en tout cas celle qui a occupé la place la plus stratégique dans la mutation que connaît Hollywood au tournant des années 60. Jeune étoile de l’âge d’or des studios et du cinéma classique, elle est la star qui saura le mieux accompagner Hollywood dans sa crise moderniste, doublant la décomposition du classicisme du spectacle parfaitement assumé et construit de sa propre décomposition. Il était donc logique qu’un des plus beaux hommages rendus à cette idole destroy vienne d’un grand écrivain de la destruction : J. G. Ballard. Vaughan, le sulfureux play-boy de Crash (1973), a un fantasme sexuel ultime : mettre en scène un hypothétique “car-crash”, où succomberait Elizabeth Taylor, cette star au glamour cyberpunk. Jean-Marc Lalanne 30.03.2011 les inrockuptibles 19

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz Jean-Edouard tout flou

Matt Damon

“J’ai créé l’Amicale des jeux de mots pourris sur l’actu, y a moyen de toucher bonbon en cotisations en ce moment”

Pierre Perret vs Guy Béart

“J’ai démissionné parce que mon collègue de bureau mangeait ses crottes de nez devant moi toute la journée”

“ ”

Metronomy Woodkid

Les pastilles d’iode

Chris Brown “Et toi, tu fais quoi comme festival cet été han, han ?”

Nagui

“Je crois sérieusement que Pete Doherty est en train de se transformer en panda” François-Marie Banier

Julian Bugier

Jean-Edouard tout flou Jean-Ed en a marre qu’on le ramène sans cesse à la piscine du Loft 1: il a demandé à être désormais flouté sur les images d’archives de ce pan d’histoire de la télé.  Le prestigieux Oxford English Dictionary se met à la page web avec les entrées “LOL”, “OMG”,“FYI” et “ ”. Nagui Après

l’échec de la nouvelle formule des Victoires de la musique, Nagui, qui présentait le show auparavant, fanfaronne. Y a pas de quoi. Pierre Perret vs Guy Béart Après Tupac vs Biggie aux States, choc des titans en France où Béart a témoigné contre l’interprète du Zizi lors du procès qui oppose ce dernier au Nouvel Obs. Gangsta. D. L.

billet dur

A. Duclos

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her Bernard-Henri Lévy, Quinze ans que j’attendais ça ! Enfin tu t’es décidé à donner une suite à ce chef-d’œuvre du cinématographe intitulé Le Jour et la Nuit, que je place dans mon panthéon perso à équidistance du Crépuscule des dieux (Luchino Visconti, Ita., 1972) et de Rodriguez au pays des merguez (Philippe Clair, Fr., 1980). J’ai vraiment hâte de voir ça, car déjà le titre, “Aube de l’Odyssée”, possède quelque chose d’homérien, de kubrickien, et aussi de troyen, qui promet du grand spectacle avec de l’andouillette dedans. Côté marketing, on n’est pas dans la dentelle, BHL, avec l’interview exclu dans Le JDD du marchand d’armes Lagardère, le scénario présenté à l’Elysée devant toutes les huiles internationales, et puis ces bandes-annonces partout dans les JT

depuis deux semaines… A côté, le “Bienvenue chez les Chiites” qui se tournait au même moment à Bahreïn va faire deux strapontins. Là où tu as frappé fort, Bernard, c’est côté casting. Dans ton premier film, tu mélangeais maladroitement acteurs comiques (Alain Delon, Karl Zéro) et actrices tragiques (Arielle Dombasle, Lauren Bacall), alors qu’ici, en ne choisissant que des rigolos, tu mets toutes les chances de ton côté au box-office. Clavier, en chef de patrouille français, est génial. Michèle Bernier en chancelière chancelante est prodigieuse. Se payer Will Smith pour faire le président US, c’est un coup de maître, moins pourtant que celui d’avoir choisi Galabru pour incarner le sanguinaire libyen mangeur d’enfants. J’attends désormais la suite, que je te propose d’intituler “Crépuscule, quand j’avance tu recules”, ce qui finira de faire doublement de toi un héritier des Lumières à l’ère des ampoules basse consommation. Je t’embrasse pas, j’ai projo. Christophe Conte

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Austra Entre The Knife et Kate Bush, l’electro cold et mélodique de ce trio canadien arty est une des découvertes du printemps.

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eat and the Pulse. Le rythme et la pulsation. Depuis la sortie de ce single, qui pourrait résumer à lui seul la problématique de la dance-music, impossible de passer une seule journée sans écouter ce trio canadien. Basé à Toronto, tout comme les Crystal Castles, Austra produit une electro cold inquiétante et fantasmagorique, à mi-chemin entre The Knife et Kate Bush. A l’origine du projet, la chanteuse et compositrice Katie Stelmanis, 27 ans, qui a fait ses classes à l’opéra national. Jusqu’à ses 20 ans, elle n’écoute que de l’opéra à l’exception, confie-t-elle, “de Nine Inch Nails et de Björk”. Suivra une longue phase post riot grrrl (elle fait partie du groupe Galaxy pendant presque dix ans) avec un lp et un ep solos prometteurs mais un peu trop sages. Electronique, dance-floor et synthétique, Austra est son projet le plus abouti, comme en témoigne Feel It Break, un excellent premier album produit par Damian Taylor (Björk, Robyn), et prévu pour le 16 mai. En attendant, inutile de dire que leur concert, lors du festival Les femmes s’en mêlent, est chaudement recommandé. Géraldine Sarratia

Album Feel It Break (Domino) Ep Beat and the Pulse (Domino) Concerts le 1er avril à Paris (Machine du Moulin Rouge), dans le cadre du festival Les femmes s’en mêlent (dans toute la France jusqu’au 3 avril, www.lfsm.net), avec Le Corps Mince De Françoise, CocknBullKid, Trippple Nippples, The Konki Duet, Kool Thing ; le 2 avril à Lille 30.03.2011 les inrockuptibles 21

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Ludovic/Réa

à Rungis, promo sur le coq gaulois Un grossiste en volailles a porté plainte pour discrimination raciale contre la société qui gère le marché : elle lui aurait refusé un nouvel emplacement à cause de ses origines marocaines.

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’est la Légion d’honneur boutonnée au veston que Marc Spielrein, tout-puissant patron de la Semmaris, la société d’économie mixte qui gère le marché international de Rungis, s’est présenté devant le tribunal de Créteil. Le vendredi 18 mars, il y répondait de l’accusation de discrimination portée contre l’entreprise. Une première pour le plus gros marché de produits frais au monde. M. Rahmouni, gérant de la société Félix Fort, grossiste en volailles à Rungis, a porté plainte après que la Semmaris lui a signifié en 2008 qu’il n’aurait pas

dans son réquisitoire, la procureure assure qu’il existe “un pré carré de la volaille”

sa place dans le nouveau pavillon de la volaille qui doit ouvrir ce 15 avril. Pour M. Rahmouni, ça ne fait aucun doute, c’est parce qu’il est d’origine marocaine et qu’il dirige une entreprise sur ce pavillon qu’on veut l’exclure. A la barre, cet homme de 61 ans au physique de fort des Halles raconte, la gorge serrée, les difficultés qu’il rencontre depuis qu’il a racheté la société Félix Fort en 2002. “Il y a un groupe qui veut rester tout seul. J’ai une bonne place au pavillon et c’est ça qui dérange. Or, cette société je l’ai acquise pour la léguer à mes enfants.” Son avocat, Me Cessieux, poursuit : “Petit à petit, les fournisseurs historiques n’ont plus voulu travailler avec lui, on ne lui sert plus la main le matin, et l’inscription ‘sale arabe’ a été inscrite sur les toilettes

du pavillon.” La mise en cause est grave pour la Semmaris, qui gère près de 1 300 entreprises et 12 000 emplois. “La discrimination, c’est à la mode, ça intéresse les médias, se défend Me Raskin, l’avocat de la Semmaris, mais le dossier est vide, il n’y a rien !” Rien n’est moins sûr. Dans sa lettre d’éviction, la Semmaris indique, pour seul et unique motif, des infractions à l’article 19 du règlement intérieur du marché. Il oblige les commissionnaires (ces dirigeants d’entreprises qui jouissent d’une commission à Rungis) à ne vendre de la marchandise qu’à des clients munis de cartes d’acheteurs. Une règle qui vise à lutter contre la fraude fiscale et à empêcher une pratique, semble-t-il, répandue. Or, parmi les entreprises redressées pour cette

infraction, seule celle de M. Rahmouni est frappée d’exclusion. Pour Me Cessieux, il s’agit bien là d’“une discrimination déguisée en acte administratif”. Me Raskin s’indigne : “Ce n’est pas parce que la Semmaris s’est plantée dans ses motivations que la Semmaris est raciste et xénophobe !” Son pdg, M. Spielrein, explique à la barre, d’une voix calme, que “Rungis est un monde extrêmement divers, à l’image de la France et de l’Europe (…) la diversité se voit à la simple visite du marché.” “Oui il y a plein de nationalités à Rungis, réplique le défenseur de la société Félix Fort, mais il y a une hiérarchie ! Le statut de commissionnaire, c’est l’aristocratie de Rungis. Une personne d’origine maghrébine est arrivée en haut de l’échelle, c’est ça qui a dérangé. La volaille et le gibier, c’est le terroir, on veut des Français !” Lors de l’enquête préliminaire, la Semmaris avait tiré une autre cartouche qui réapparaît au procès : la situation de l’entreprise Félix Fort qui a connu un redressement judiciaire. Un argument solide, mais qui ne figure pas dans la lettre d’éviction. Comme une défense montée sur le tard. Pour sa part, au tribunal, la procureure assure qu’il existe “un pré carré de la volaille” et que l’entreprise Félix Fort a été “mise en quarantaine”. La magistrate réclame que le juge reconnaisse la culpabilité de la Semmaris, assortie d’une mesure d’ajournement de la peine pour laisser la possibilité aux deux parties de trouver un accord. Délibéré le 20 mai. Simon Piel

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Antoine Jarrier

Richard Prince et la loi du copyright Star de l’“appropriation art”, l’artiste américain a été condamné par la justice US pour violation du droit d’auteur. Une première dans le monde de l’art contemporain.

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n matière d’art contemporain, le droit d’auteur c’est un peu le nerf de la guerre. Alors que l’on inaugurait lundi dernier la très belle exposition Richard Prince à la Bibliothèque nationale de France (Les Inrocks, n° 799), exclusivement consacrée à ses penchants bibliophiles et à ses customisations de couvertures de romans SF, à l’eau de rose ou carrément porno, l’artiste américain se retrouvait outre-Atlantique pris au piège d’une affaire judiciaire sans précédent. Poursuivi depuis 2009 par le photographe français Patrick Cariou qui l’accuse d’avoir utilisé quarante et une de ses images pour des collages exposés à la galerie Gagosian à New York en 2008, Richard Prince vient d’être jugé coupable de violation de droits d’auteur par la justice américaine. Une nouvelle audience qui se tiendra en mai déterminera les dommages et intérêts que l’artiste et sa galerie devront verser à l’auteur des clichés originaux de l’ouvrage Yes Rasta. En attendant, Richard Prince est sommé de retirer de la vente l’ensemble des œuvres composant la série Canal Zone et d’informer tous les collectionneurs que leurs copies sont illégales. “Cette décision est très importante pour tout l’art ‘appropriationniste”, commente l’avocate

Agnès Tricoire, spécialisée dans la propriété intellectuelle et auteur d’un passionnant Petit traité de la liberté de création (La Découverte). Depuis, au moins, Marcel Duchamp (et ses fameux “ready made”), Rauschenberg ou Warhol, l’“appropriation art” est l’une des pratiques les plus répandues dans l’art contemporain. Richard Prince, par exemple, rephotographia et du coup rendit célèbre ce fameux cliché controversé de Gary Gross représentant Brooke Shields à 10 ans, grimée en vamp ruisselante. Depuis le début des années 80, l’artiste détourne et retouche en effet quantité d’images prélevées dans les magazines, les publicités, les couvertures de livres ou chez ses confrères. Réputée plus souple que la juridiction française en matière de droits d’auteur avec, entre autres, la notion de fair use, “une exception au monopole de l’auteur sur son œuvre”, la justice américaine a cependant ouvert, avec ce verdict, une brèche importante en estimant que

ses customisations de couvertures de romans sont exposées à la BNF

l’œuvre de Prince ne supposait pas de “but de commentaire ou de but critique”. Comme l’explique Agnès Tricoire, ce qui “est choquant dans la démarche de Prince, c’est l’utilisation de ces œuvres comme des matériaux désincarnés, le fait qu’en tant qu’artiste il dénie cette qualité à celui auquel il emprunte”. Mais cette avocate, qui s’est exprimée précédemment sur plusieurs cas de censure dans l’art (dont l’affaire Présumés innocents qui mettait en cause trois commissaires d’exposition, avant de se solder, après dix ans de poursuites, par un non-lieu général), de nuancer dans la foulée son jugement : “Le droit n’a pas à dire ce que l’art doit être. Il doit se contenter de sanctionner des comportements déloyaux. Or, ce qui est problématique ici, c’est que la motivation du juge américain repose sur une analyse critique de l’œuvre, ce qui est toujours aléatoire, subjectif et donc dangereux, alors qu’il vaudrait mieux s’en tenir à des critères objectifs, comme celui de la reproduction de l’œuvre.” Du côté de Richard Prince, silence radio : l’artiste ne s’est pas prononcé sur sa condamnation, tandis que sa galerie, à New York comme dans son antenne parisienne, n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Claire Moulène 30.03.2011 les inrockuptibles 23

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brèves Google épinglé par la Cnil… Google a été condamné à 100 000 euros d’amende par la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’amende la plus élevée jamais donnée par l’organisme. En cause, des données personnelles récoltées par les “Google cars” de Street View et Latitude. En plus des photos, le géant du web collectait illégalement “de nombreuses données concernant les particuliers, identifiés ou identifiables” par le biais de leur wifi, révélant des informations privées (santé, orientation sexuelle…). … et débouté par la justice US Pas de chance pour la future librairie en ligne Google. Un juge fédéral américain a rejeté l’accord de 125 millions de dollars conclu entre Google et des représentants des éditeurs et des auteurs, qui lui aurait permis de numériser les livres initialement publiés aux Etats-Unis. Le juge a expliqué que l’accord allait trop loin et que Google aurait de fait un monopole et la possibilité de bénéficier des livres sans la permission des ayants droit. Radioblogclub condamné Le site d’écoute de musique en ligne Radioblogclub, fermé en 2008, a été condamné en appel à payer aux producteurs de disques plus d’un million d’euros. Les deux fondateurs du site précurseur de Deezer, mais sans accord avec les ayants droit, sont également condamnés à une amende de 10 000 euros et à une peine de prison avec sursis de 9 mois, pour “mise à disposition du public d’un logiciel conduisant à l’écoute et au partage non autorisé d’œuvres musicales protégées”.

Rien à déclarer de Dany Boon (2010) : la fiscalité belge présente des avantages

bienvenue chez les p’tits salaires Alors que la production cinématographique française est en hausse, la situation des techniciens se dégrade toujours plus.



e Film français a mis la puce à l’oreille. Dans l’hebdo destiné aux professionnels, un dessin de Kak ironise sur le record de films produits en France en 2010 : 261 longs métrages. On y voit un technicien se lamenter : “Pourtant, y a pas plus de boulot.” Et un émissaire du Centre national du cinéma (CNC) de répondre : “Ah, mais on n’a pas dit qu’ils se tournaient en France.” Y aurait-il arnaque dans l’histoire ? Depuis plusieurs semaines, le CNC se félicite de la fabuleuse année 2010 : fréquentation record, production inégalée (+13,5 % par rapport à 2009), croissance des investissements (1,4 milliard d’euros), répartition plus équilibrée en faveur des films à moyen budget. Mais la situation de l’emploi ne cesse de se dégrader, déplore Stéphane Pozderec, délégué général du syndicat de la production cinéma et télévision (SNTPCT). Chômage en hausse, contrats précaires, salaires compressés… On connaît, hélas, la chanson. Ce n’est pas le boom des coproductions internationales (+28 % en 2010, près de la moitié des films agréés par le CNC) qui va arranger les choses. D’après Stéphane Pozderec, ces coproductions, très souvent, ne respectent pas l’équilibre de l’emploi, censé être proportionnel aux parts investies. De nombreux producteurs

chômage en hausse, contrats précaires, salaires compressés... on connaît la chanson

français vont chercher des financements en Belgique (les films franco-belges comptent pour un tiers des coproductions), et sur-représentent la part des techniciens belges au générique, pour profiter d’une fiscalité avantageuse. Rien de nouveau, mais le phénomène s’accentue. Inédite en revanche, et particulièrement mesquine, est la situation engendrée par le récent tournage en Tunisie du nouveau film de Jean-Jacques Annaud (Or noir, devis de 38 millions d’euros). La production déléguée Quinta communications, propriété de l’homme d’affaires tunisien Tarak Ben Ammar, a embauché, via une entreprise prestataire dont la fonction est de mettre à disposition la main-d’œuvre, des ouvriers et techniciens français soumis au droit du travail tunisien. Résultat : perte des points retraite, des indemnités chômage, des congés spectacles… Peu scrupuleuse, Quinta communications a demandé au CNC un agrément pour bénéficier du soutien financier de l’Etat français à la production. La Commission d’agrément (où siège le SNTPCT) a émis à l’unanimité un avis défavorable, mais le service juridique du CNC, lui, ne voit dans l’affaire aucune irrégularité. “L’esprit du mécanisme de soutien à la production est détourné de son objet qui est l’emploi, et de manière très grave”, s’insurge Stéphane Pozderec. La balle est dans le camp du tout nouveau président du CNC, Eric Garandeau, à qui appartient la décision de subventionner ou non cet “or noir”. Baptiste Etchegaray

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du gratuit payant Après l’échec de sa première tentative en 2005, le New York Times relance une formule payante sur internet. Au-delà de vingt articles consultés par mois, les lecteurs devront débourser environ 11 euros pour s’abonner et avoir accès aux contenus.

l’éco HS Alternatives économiques s’intéresse aux effets de la crise avec un numéro sur la précarité chez les jeunes et un horssérie sur l’état de l’économie en 2011.

connecting people Après le diagnostic termite, amiante, gaz et électricité, un sénateur propose un diagnostic internet pour permettre aux acquéreurs d’un logement d’être informés sur ses possibilités d’accès au réseau.

culture de quoi ? le cul à l’index Un nom de domaine est né aux Etats-Unis : le .xxx, réservé au porno. Le gouvernement y voit un moyen de simplifier le contrôle parental, et l’industrie du porno une mise à l’écart.

boutiquier Amazon a lancé sa plate-forme d’applications pour smartphones et tablettes tactiles, Amazon appstore for Android. Apple a porté plainte pour usage abusif du terme “appstore”.

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Les émissions culturelles sont obligatoires sur les chaînes publiques, mais leur contenu n’a fait l’objet d’aucune discussion. Pertinente, la revue Télévision s’interroge sur cette absence de réflexion.

livres des pirates D’après une étude du MOTif (Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France) sur l’offre illégale de livres sur internet, les livres les plus piratés en 2010 sont Apocalypse bébé de Virginie Despentes, Tout couscous de Sophie Brissaud, Dracula l’immortel de Dacre Stoker.

du fric pour le numérique Le gouvernement va consacrer 1,4 milliard d’euros au développement de l’économie numérique en finançant des “usages, services et contenus numériques innovants” comme l’e-santé, la sécurité des réseaux, les contenus scientifiques, l’e-éducation.

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Zahia de l’autre côté du miroir L’escort-girl la plus célèbre du monde tente de se racheter une crédibilité dans une vidéo. L’amorce d’une vaste opération commerciale ?

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la vidéo arty

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Début mars, on découvrait avec surprise Zahia en couverture du prestigieux V Magazine. Grimée en pseudo-Brigitte Bardot, elle posait pour une séance photo de douze pages. Le thème : une relecture glamour et suggestive des aventures d’Alice au pays des merveilles. Si l’escort-girl la plus célèbre du monde n’a eu droit à sa couve que pour la version espagnole, elle n’en restait pas moins l’entrée “Z” du “dictionnaire d’une nouvelle ère” proposé par le magazine dans toutes ses versions. “Elle est juste la huitième merveille du monde”, s’était alors exclamé le rédacteur en chef du mensuel, qui ajoutait : “Qui n’aimerait pas l’histoire de la mauvaise fille devenue un ange ?” C’est ça, ouais. Quoi qu’il en soit, Zahia semble avoir prolongé sa séance avec les photographes pour un court film arty où elle incarne une Alice langoureuse dans une ambiance bien pompée (de l’habillage sonore à l’atmosphère visuelle) sur Runaway, le moyen métrage de Kanye West. Non mais sérieux ?

Alice ça glisse au pays des merveilles Pour préparer son fat comeback, Zahia a donc décidé de jouer avec la figure d’Alice, le personnage de Lewis Carroll dont les aventures ont inspiré bon nombre d’intellectuels, au premier rang desquels Antonin Artaud, Gilles Deleuze, Jacques Lacan ou Francky Vincent. Plus proche du “Alice, ça glisse, au pays des merveilles, bravo Francky, je sens tes groseilles” du chanteur franco-antillais que de Deleuze (qui partait de l’œuvre de Charles Dodgson, alias Lewis Carroll, pour fonder sa Logique du sens), Zahia, la femme perpétuellement cambrée, multiplie les poses langoureuses en décolleté suggestif. Grande nouveauté : il est pour la première fois possible d’entendre officiellement sa voix. Le rendu ressemble exactement à ce que l’on pouvait imaginer : une voix de jeune fille qui minaude et qui, si l’on en croit son intonation niaise et sa lente élocution, n’a pas forcément l’habitude de faire des lectures en public. Citant (en le tronquant) Lewis Carroll et se retenant de poser son index sur sa bouche avec un air ingénu, Zahia se demande ainsi avec conviction : “A quoi sert un livre sans images ?” Euh.

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le plan com Si elle n’a semble-t-il jamais trop hésité à se dévêtir, Zahia avance ici masquée, à grand renfort de loup en dentelle censé lui donner un petit air mystérieux. Sur son joli site (qui a dû coûter bonbon), elle se décrit comme “une nouvelle Eve”, “magique et belle, innocente et lumineuse” et n’hésite pas à écrire : “ ‘L’art n’est que sentiment’. J’aime ces mots du sculpteur Auguste Rodin. Mon monde : c’est l’imaginaire, qui pour moi est réel. Rêver, c’est créer.” Bien sûr. Une image moins trash et plus “artistique” probablement prévue dans un plan com à grande échelle : en décembre, on apprenait que Zahia avait déposé une demi-douzaine de marques à son nom (Pretty Zahia, Zahiadora, Zahiadise

ou encore A dream by Zahia), se donnant ainsi un droit d’exploitation exclusif sur un grand catalogue de produits et services : des lotions pour cheveux aux sacs d’écoliers en passant par des colliers pour animaux, des services de crèche ou des “kits d’aide sexuelle, à savoir godemichés, boules de geisha (musculation), vibromasseurs, préservatifs, appareils de massage, jouets sexuels”, selon la tribune.fr. Mise en ligne le 21 mars, la vidéo qui nous intéresse ici arrivait quelques heures avant la conférence de presse de Ribéry annonçant son retour en équipe de France. Et quelques heures avant la mort de maître Capello. Coïncidences ? Diane Lisarelli

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Jamel Debbouze est une des plus grandes stars françaises. En tournée, il fait se déplacer les foules. Sur l’estrade, un enfant de banlieue d’origine marocaine marié à une fille de Grenoble. Dans les gradins, une France diverse venue là pour se marrer et aussi partager quelques valeurs. Loin, très loin de la rengaine obsessionnelle et paranoïaque du gouvernement sur l’intégration.

un homme intègre

par Pierre Siankowski photo Brigitte Baudesson

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e Mans, ses 24 heures, ses rillettes, ses assurances, sa salle de spectacle ultramoderne taille Zénith et son one-man-show de Jamel Debbouze. Depuis le début de l’année, Tout sur Jamel, lancé en février au Casino de Paris, tourne en France, jusqu’en 2012. Hier c’était Orléans, demain ce sera Laval. C’est le grand retour du gars Debbouze sur scène. Certes, il y a eu auparavant les tournées du Jamel Comedy Club auxquelles participait le patron, mais on ne l’avait pas vu seul sur scène depuis 2004. Un septennat, comme on dit. Depuis, la France a changé. Mais pas le public de Jamel. Au lendemain des déclarations de Claude Guéant – “l’immigration incontrôlée” et “les Français veulent que la France reste la France” –, celle de Jamel, sa France à lui, est tout simplement belle à voir. Sur la musique hip-hop de Jay-Z, Snoop Dogg et 50 Cent, on croise des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, des Sarthois de chez Sarthois et des gens “issus de la diversité” comme on dit désormais poliment à la télévision. 19 heures. Le bus de l’artiste vient d’arriver discrètement à l’arrière de la salle Antarès. A son bord, l’équipe

de tournée – Jamel, sa femme Mélissa Theuriau et leur fils Léon (tout juste récupérés à la gare du Mans), des potes de Trappes qui assurent la sécu, Malik Bentalha, une jeune pousse du Comedy Club qui joue en première partie, et Mohamed Hamidi, fondateur du Bondy Blog et coauteur du spectacle. Jamel s’enferme dans sa loge. Alors qu’Antarès se remplit peu à peu, le reste de l’équipe – techniciens et régisseurs – finit de dîner en coulisses. Une vingtaine de personnes en tout. Tout sur Jamel, c’est une tournée digne d’une rockstar. Quinze ans après ses débuts, le petit gars de Trappes, à 35 ans, est une des plus grandes stars françaises, quelque part entre Johnny Hallyday et Yannick Noah. L’ambiance de la tournée est pourtant restée bon enfant. Beaucoup de têtes que l’on croise au Mans étaient déjà présentes en 2004 sur le spectacle précédent. Mélissa Theuriau et le petit Léon traversent les couloirs alors que le jeune Malik Bentalha se chauffe dans son coin. Jamel répondra à nos questions plus tard, nous explique le régisseur de la tournée – il se concentre pour ce soir. Malik Bentalha vient de sortir de scène, il est 21 heures. La salle l’applaudit à tout rompre, le jeune

mec est sacrément prometteur. Après quelques minutes d’entracte, toujours sur du hip-hop, Antarès se prépare. A notre gauche, trois jeunes frères et sœurs habillés comme les Triplés du Figaro, un garçon de 11 ans et deux filles de 5 et 22 ans. Les parents sont un peu plus loin dans la salle, nous dit la grande sœur, plutôt très jolie. A notre droite, Malika et son fils. “Je suis de Casablanca, d’origine marocaine, comme Jamel”, dit-elle fièrement. Le spectacle, c’est pour l’anniversaire de son fils. Chez Jamel, l’ambiance est familiale. Les lumières s’éteignent, le grand rideau rouge s’écarte. Une table et un tabouret de bar sur la droite. Décor minimal. Une sorte d’hologramme triangulaire s’ouvre sur Old School, un morceau d’une des légendes du rap new-yorkais, LL Cool J. L’ombre de Jamel apparaît, statique. Puis il pique des sprints dans tous les sens, à gauche, à droite, accompagné par les poursuites, sous des tonnerres d’applaudissements. Deux écrans géants sont disposés à chaque extrémité de la scène. Les applaudissements vont en s’amenuisant alors que Debbouze se stabilise sur la droite. Un type hurle “Jamel”, qui lui

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“pour un petit Rebeu qui a un bras dans la poche, monter sur la scène de l’Olympia et enchaîner des Zénith, c’est politique”

renvoie son traditionnel “Ta gueule”. La salle explose de rire. Après une ou deux vannes de prise de contact, dont la notable “on m’a dit que vous assuriez au Mans”, le spectacle commence à Trappes, au collège Gustave-Courbet, où Jamel était scolarisé pour de vrai. On y croise Isabelle Truong, une jeune élève asiatique qu’il cherche à impressionner en cours de maths en allant dessiner une parabole au tableau : une parabole avec une prise Péritel, qui capte la BBC. Viré de cours, Jamel se retrouve au cours de théâtre du fameux “Papi”, celui qui l’a découvert au début des années 90 et qui lui a appris son métier. Après sept années d’absence, on retrouve ce personnage “curieux et dyslexique”, comme le définira lui-même Jamel un peu plus tard, avant de préciser : “Cet adolescent,c’est le fond de moi-même. C’est ça que je veux préserver le plus longtemps. Un adolescent, ça découvre. Et le mieux, c’est quand les gens découvrent avec toi. Le stand-up, c’est ce que je préfère. Quand j’ai fait l’Olympia avec mon premier spectacle, c’était comme avoir gagné la Coupe du monde. Le lendemain j’étais hagard, comme Zizou, je ne savais plus quel était mon but. Et avec le temps, en faisant d’autres trucs, je me

suis rendu compte que j’avais envie de faire du stand-up le plus longtemps possible, de vivre vieux comme Guy Bedos, et de m’entretenir, de trouver sans cesse de nouvelles vannes, tout en évoluant vers un truc plus mature, dans mes textes et dans mon jeu. Le stand-up, je maîtrise aujourd’hui. Je suis un bon Jedi, mais pas encore un maître. J’aimerais, dans trente ans, pouvoir faire comme Bill Cosby, mettre quinze minutes à traverser la scène et voir le public mort de rire.” Une question s’est posée, pourtant, au début de l’écriture du spectacle ; une question qui a affolé le tout Paris du stand-up et de ses auteurs, du Paname au Point-Virgule : à 35 ans, marié et désormais père, Jamel pouvaitil continuer à incarner uniquement ce personnage de dézinguant juvénile qui a lancé sa carrière, de Radio Nova à Canal+ en passant par Astérix ? Que faire des “astérisqume” et des “éménèmses” ? Mohamed Hamidi, venu remplacer Kader Aoun, l’ex-partenaire d’écriture de Jamel, a en partie été chargé du dossier. La réponse à toutes les interrogations précédentes est contenue dans le spectacle. En mettant en scène, quasiment au jour le jour, les dernières années de sa vie – comme

le faisait son idole, le stand-upper américain Richard Pryor (aussi aperçu dans Superman III) –, Jamel évoque son évolution autant qu’il l’incarne, au plus près de l’os. Ça commence avec l’ouverture du Comedy Club, qui reçoit un concert de Stevie Wonder, puis un autre des Black Eyed Peas, puis accueille (avant le désastre de Knysna) l’équipe de France de Ribéry et Anelka – son pote de Trappes, dont il dresse un portrait poilant, évoquant sa mère en “cyclope des Antilles”. Des moments de bravoure pourtant vite évacués : ce que raconte surtout Tout sur Jamel, c’est cette “aventure incroyable”, selon les propres mots de l’artiste, vécue par la famille Debbouze (et la famille Theuriau). Celle d’un mariage mixte, et de l’arrivée d’un petit garçon qui se prénommera Léon. “Au début, tout le monde flippait. Ma famille, celle de Mélissa. Et puis au final, c’est Mélissa qui nous filait des vannes”, sourit Jamel. Les histoires sont impayables, on passe d’une famille à l’autre, personne n’est épargné, surtout les parents de Jamel, qui ont pris le relais de son frère, Karim, héros malgré lui de 100 % Debbouze en 2004 (ne pas manquer la prestation d’Air Chouman, surnom du père de Jamel en roi du foutage de honte). 30.03.2011 les inrockuptibles 31

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“je veux bien voter pour le PS, mais je veux d’abord qu’il me rembourse” Certes, la distribution est alléchante – d’un côté Jamel et de l’autre Mélissa Theuriau, présentatrice vedette sur M6 – mais le résultat est au final d’une rare honnêteté. Là où ses spectacles précédents mettaient en perspective l’ascension d’un petit gars de Trappes qui découvrait la téloche, le cinéma, et chantait en duo avec Snoop Dogg et Barry White tout en tirant l’oreille de Joeystarr, Tout sur Jamel met à l’inverse en scène le cheminement à hauteur d’homme d’une des plus grandes stars de l’Hexagone. Ce que retrace la nouvelle livraison de Jamel Debbouze, ce n’est pas la rencontre de deux people qui affolent la presse à scandale : c’est celle d’un jeune mec du 93, d’origine marocaine, et d’une fille issue des classes moyennes-supérieures, née à Grenoble, dans le 38. C’est une histoire comme il en arrive tous les jours dans cette France en marche qui, au Mans, acclamera Jamel de longues minutes à la fin d’un show hilarant – conclu sur le fantastique titre de Jay-Z Empire State of Mind, sur lequel défilent des photos de famille qui prouvent que tout ce que nous avons entendu ce soir est vrai.

“Je me banalise. Ce spectacle, c’est ce que je suis aujourd’hui. Quand je suis entré à Canal+, j’étais dans les étoiles tous les soirs, je ne voulais pas dormir, pour ne rien rater. J’ai vécu des choses incroyables à partir de 25 ans. Dix ans plus tard, je suis moins impressionné par ça, c’est normal, je connais la mécanique. Et aujourd’hui je préfère ma vie à mon métier, je te le dis”, explique Jamel. Sa vie, c’est visiblement ce petit garçon qu’il ne quitte pas des yeux et qu’il préfère confier à sa mère pour ne pas qu’il lui arrive malheur durant l’interview qu’il donne dans sa loge, après sa sortie de scène. Mohamed Hamidi, qui a coécrit le spectacle, est assis en face de lui – les deux semblent aujourd’hui inséparables. Lorsqu’on dit à Jamel qu’on a trouvé son spectacle plus personnel et du coup moins politique dans un contexte pourtant bouillant de droitisation et de montée du Front national, Jamel riposte immédiatement : “Je suis politique de par mon parcours. Pour un petit Rebeu qui a un bras dans la poche, monter sur la scène de l’Olympia et enchaîner des Zénith, c’est politique. Je porte ce discours de toute mon âme. Faire un mariage mixte, c’est politique. Appeler mon fils Léon, c’est politique. Mais ce n’est pas de la politique

comme on l’entend. J’ai le sentiment de faire de la politique de proximité. Mohamed et moi, on vient du tissu associatif. On a été éduqués par des militants communistes qui nous ont fait faire des trucs, pas simplement en dire.” Mohamed Hamidi enchaîne : “La politique, il vaut mieux la pratiquer au quotidien. C’est mieux que de fanfaronner Sarko ceci, où Hortefeux cela. Et puis dire comme on le dit dans le spectacle que l’UMP, on ne peut pas pour une question de santé, c’est déjà pas mal je trouve. Et en plus c’est vrai, quand l’UMP est au pouvoir, ça va moins bien pour nous et nos proches.” Dans la série “plaies”, on évoque Eric Zemmour dans la foulée. Jamel : “Je ne ferai jamais cette émission, justement parce qu’il y a Zemmour. Il ne faut pas qu’il fasse de télé. Parce que c’est dangereux d’entendre ce genre de discours. Il est spectaculaire, il n’a aucune idéologie, je suis sûr qu’il ne pense pas ce qu’il dit : c’est juste un imbécile qui touche des piges. Mets-le sur un plateau en face de moi, et je te l’allume Zemmour, je te l’allume, même de dos, c’est sûr et certain. Mais je ne vais pas entrer dans cette mascarade pour faire de l’audience.” Il est 23 heures. Alors que le reste de la famille Debbouze part rejoindre son

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hôtel, Jamel poursuit l’entretien. Son engagement à gauche est un questionnement. En 2007, il avait soutenu Ségolène Royal. “Je serai beaucoup plus prudent cette fois, on a souvent été déçu. Comme je le dis sur scène, je veux bien voter pour le PS, mais je veux d’abord qu’il me rembourse. Quand tu dis un truc il faut aller jusqu’au bout. Il y a un émetteur et un récepteur : quand tu fais une promesse, tu ne t’adresses pas à un buisson, tu t’adresses à des gens.” Mohamed Hamidi poursuit : “Ce qui est triste, c’est qu’en nommant Fadela Amara, Rama Yade et Rachida Dati, l’UMP a fait le boulot qu’aurait dû faire la gauche, d’une certaine façon.” Puis Jamel reprend : “On a le sentiment qu’au PS les mecs se battent pour une Renault Safrane : on veut une idéologie, des propositions. On voudrait moins de chômage dans les quartiers sensibles où il est à 43 %. Et on aimerait que l’immigration soit moins stigmatisée. On est une valeur sûre et forte de la France, qu’elle s’en serve à bon escient. On ne veut pas se sentir étranger dans notre propre pays.” Le discours est sans ambiguïté. Le Jamel 2011 se définit comme un artisan. De la télé, il en refera probablement, pourquoi pas une sorte de

Saturday Night Live en direct du Comedy Club. Le cinéma, après Hors-la-loi ? “Mon plaisir aujourd’hui c’est de faire un film sur le Marsupilami avec Alain Chabat : on rit, et c’est contagieux. Je ne suis pas un ogre, j’ai envie de prendre du plaisir. Rares sont les trucs qu’on m’envoie et qui me conviennent tout de suite. Ou je les initie, les trucs. En ce moment, je suis en train d’écrire un film d’animation qui s’appelle Pourquoi je n’ai pas mangé mon père. Je suis moins dans l’esbroufe, je suis plus dans les expériences. Je bosse une comédie musicale, je bosse aussi sur une série qui va s’appeler Tiéquar avec Ahmed Hamidi, le frère de Mohamed, ex-auteur des Guignols. J’ai une équipe d’auteurs du tonnerre de Brest, c’est un truc que je mets en place depuis des années.” L’ensemble de la troupe décolle aux alentours de minuit. Direction un hôtel calme situé à quelques kilomètres du Mans. C’est la vie de tournée. Personne n’a vraiment mangé. On finit des restes du midi que la dame de la réception réchauffe gentiment. Malik Bentalha discute avec Mohamed Hamidi. Jamel est monté se coucher, son garde du corps s’est endormi sur

un canapé. On prend des photos au smartphone, ça rigole. Jamel redescend sur les coups d’une heure du matin, les yeux un peu gonflés. Il n’arrive pas à dormir et s’incruste dans une discussion foot. Ça parle de Didier Deschamps, époque joueur. “Un jour, Romario le joueur brésilien, a dit qu’il faisait avec ses pieds ce que Deschamps fait avec ses mains, c’est pas mal je trouve”, dit Jamel, qui évoque Zizou encore et encore. “Zizou, c’était quelque chose, quand même.” La dame de la réception vient chercher un autographe, pour un copain qui s’appelle Thierry. Le fameux Thierry aurait racheté une voiture à Jamel qui ne s’en souvient pas. Il signe l’autographe : “Pour Thierry le mytho.” Amusée, la dame demande à Jamel quels sont ses projets. Il lui répond du tac au tac. “Demain, je vais à Laval. Sinon dans cinq ans, je travaillerai probablement pour le gouvernement américain, dans la finance.” Jamel se lève, chante l’hymne US, salue tout le monde et retourne se coucher. Il est deux heures du matin au Mans. Tournée en France jusqu’en juillet, à Paris les 4 et 5 juin (Grand Rex) et du 14 juin au 6 juillet (palais des Sports) 30.03.2011 les inrockuptibles 33

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là où le débat blesse Parler d’intégration pour mieux désintégrer, donner des leçons de laïcité quand on en viole les fondements : l’UMP a fait le choix, pour tenter de gagner des voix FN, de se couper de millions de citoyens. Des Français de culture arabo-musulmane témoignent. par Alain Dreyfus & Isabelle Foucrier photo Pierre Le Bruchec

C

’est l’histoire d’un dialogue de sourds, où la parole de chacun ne fait qu’ajouter à la cacophonie. C’est aussi l’histoire d’une série de confusions et de positions aussi indignes que décomplexées. Un “débat”. Mais quel est l’objet de la discussion ? “Débattre”, dit Le Petit Robert, c’est “examiner quelque chose contradictoirement avec un ou plusieurs interlocuteurs”. Sachant que le Conseil français du culte musulman, mis en place en 2003 par Sarkozy, a décidé de boycotter la convention du 5 avril sur la laïcité, quelles sont alors les voix contradictoires en présence ? “Derrière ce mot, il y a en réalité une décision de parler fort, mais entre soi. C’est une fausse libération de la parole”, précise la philosophe Seloua Luste Boulbina. L’islam menacerait-il la laïcité ? Mais qu’est-ce que la laïcité ? C’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais aussi la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions.

Dans ce cas, qui enfreint le plus la loi de 1905 ? Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur du 16 mars 2011, “ce débat doit répondre aux attentes des Français dans un souci de cohésion nationale”. Mais qui sont les “Français” du communiqué ? Les électeurs du FN à conquérir avant 2012 ? Ce calcul mal dissimulé stigmatise et blesse. Ses initiateurs disent vouloir clarifier, pacifier, intégrer. Exacerbation des tensions et désintégration sociale en sont plutôt les conséquences. Parmi ceux qui sont sacrifiés sur l’autel des ambitions électorales de l’UMP, il y a les Français musulmans et/ou d’origine maghrébine, qui n’en finissent pas d’être renvoyés, par la classe politique, l’opinion et les médias à la mise en question permanente de leur identité. Le fait même d’être sollicité pour réagir à ce “débat” est encore plus choquant pour certains. “Vous faites un dossier du type ‘Ces Arabes qui ont réussi’ ? Si oui, c’est non”, réagit Fatima Aït Bounoua, professeure de lettres et écrivaine.

Suspicion, inquiétude et, surtout, lassitude. Très remontée, une comédienne refuse de répondre : “Cette enquête est un non-sens. Je ne pense rien de la laïcité, il n’y a rien à dire.” Commenter la stigmatisation serait devenu stigmatisant. Ce sentiment d’être piégé, Mehdi Meklat et Badroudine Abdallah l’ont éprouvé. Sous le nom des Kids, ces deux journalistes de 18 ans travaillent au Bondy Blog et pour France Inter. Non sans humour, Mehdi Meklat regrette : “C’est trop tard, maintenant, on ne peut plus faire marche arrière. La communauté arabo-musulmane de France – comme celle des habitants de Neuilly, d’ailleurs – est stigmatisée. C’est entré dans la tête des gens comme un jingle publicitaire obsédant.” Ils poursuivent : “Nous avons fait un reportage dans notre ancien lycée, à Saint-Ouen. Une fille de terminale a été menacée de renvoi si elle continuait de porter sa longue robe noire, suspectée d’être un signe religieux. Avant d’y aller, nous nous sommes

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Mehdi Meklat et Badroudine Abdallah, journalistes au Bondy Blog et sur France Inter “La communauté arabomusulmane de France est stigmatisée. C’est entré dans la tête des gens comme un jingle publicitaire obsédant””

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Yasmine Baba Amer, technicienne biologiste  “A force de réflexions débiles, on se met à réfléchir à notre identité qui, avant, était très claire. Résultat, je me sens de moins en moins française.”

Ahmed Djouada, musulman pratiquant “le Conseil français du culte musulman, c’est n’importe quoi. Je suis musulman, mais je n’ai élu personne. En quoi sont-ils censés me représenter ?”

Idir Abrous, surveillant pénitentiaire  “Parce que j’ai subi l’intégrisme, je suis dans la vie de tous les jours un Français laïc militant” demandés s’il fallait en parler. Si on relaie ce genre d’histoires, on continue de faire exister ce thème comme un problème. Et si on ne le traite pas, on laisse à d’autres gens, moins bien intentionnés, le soin de le faire.” La vacuité du débat saute aux yeux. Fatima Aït Bounoua détecte une triple arnaque : “C’est une mascarade, c’est-àdire un jeu de masques ! Ce ‘débat sur la laïcité’ est le nouveau nom du débat sur l’islam. Quand ils disent ‘laïc’, il faut donc comprendre ‘non-musulman’. Premier masque. Ensuite, on ethnicise la question pour éviter de parler de la réalité, qui est sociale. Second masque. Enfin, c’est aussi le masque de la séduction, celui que l’on met pour glaner quelques voix. Résultat, on crée ce que l’on craint.” Et l’on ne règle pas les problèmes existants, renchérit Hamadi Dridi, 59 ans, ingénieur : “C’est l’expression d’une France petite, politicarde, court-termiste. Est-ce qu’à l’issue les gens qu’ils pointent du doigt auront un job ? Est-ce que la France aura avancé en matière de recherche, de compétitivité, de santé ? Non. Alors, que va-t-il se passer ? Ils vont les jeter à la mer ?” Si chacun est lucide sur les visées réelles du débat, cela n’empêche pas la déception. Idir Abrous a 38 ans, il est

surveillant pénitentiaire dans la prison pour mineurs de Porcheville. Il se souvient encore de 2003, année où il avait reçu le certificat de nationalité française “signé” de Chirac : “J’avais été touché que le plus grand nombre souhaite la bienvenue à l’individu. Touché d’appartenir au pays des Lumières, celui que mon grand-père avait défendu pendant la guerre.” Comme pour Hamadi Dridi, ce débat fait s’écrouler avec lui l’image d’une France universaliste. Ce repli sur elle-même est vécu comme une régression. A cette France fantasmée pour les uns et décevante pour les autres, tous associent la laïcité comme une évidence et la vivent de façon très personnelle. Dans les années 90, Idir Abrous et Kamel, 43 ans, chef du bistrot parisien Le Toucan, persécutés par les intégristes algériens, ont fui leur Kabylie natale. Pour eux, la laïcité représente la raison même de leur installation en France. Mais attention, rappellent les Kids, cette laïcité française, à force d’être ressassée, peut faire écran. Ils racontent qu’il y a un an, ils étaient partis à New York pour suivre des rappeurs de la Courneuve dans un établissement scolaire du Bronx. Dans une classe où

les garçons portaient leur casquette et les filles leur voile. Pour tous, ce fut un choc visuel. Leur première réaction a été : “T’as vu, t’as vu, elles portent leur voile en classe !” La réalité ne leur est parvenue que dans un deuxième temps : l’ambiance était harmonieuse et tous ces couvrechefs ne gênaient ni l’entente entre les élèves, ni la sensibilité des profs. Mehdi analyse : “Cela ne veut pas dire que je milite pour que les filles portent le voile, cela signifie simplement que notre vision franco-française nous a aveuglés, empêchés de regarder où il fallait. Et par là-même, de nous contenter d’observer le bon.” Idir Abrous, lui, dit que son métier de maton a rendu schizophrène son rapport à la religion : “Parce que j’ai subi l’intégrisme, je suis dans la vie de tous les jours un Français laïc militant. Mais quand je mets mon uniforme, la situation bascule. Ayant été élevé dans la religion, je suis devenu un référent pour les détenus. Je passe beaucoup de temps à rectifier leurs erreurs d’interprétation. Moi qui, en Algérie, me cachais pour manger pendant le ramadan, je fais exprès de ne pas manger devant eux, pour tenter de leur donner une bonne image de l’islam.” Une dualité qui, peu à peu, a envahi son identité tout entière : “Les détenus me surnomment

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“le débat ? Un appel à la division !” Almany Kanouté, 31 ans, est éducateur spécialisé et conseiller municipal à Fresnes. Avec son mouvement, il veut “remettre la politique à sa place”, sur le terrain.

le blédard. Pour certains, c’est incompréhensible que je vienne du même pays qu’eux et que je serve l’Etat français. Mais l’amalgame entre le statut et l’origine est un grand classique pour les rebeus employés dans la pénitentiaire.”   Faut-il être rassuré que les amalgames ne soient pas commis que par les Blancs ? En tout cas chez ces derniers, l’équation “Arabe = musulman” est fréquente, polluante, et de moins en moins discrète. Pour tenter d’apaiser les polémiques suscitées par son débat sur la laïcité, l’UMP s’est enfoncée encore un peu plus, en créant, le 18 mars, l’Union des Français musulmans. Mais à travers le choix de ces termes lourdauds, se croit-elle crédible dans son rôle de force rassembleuse ? Pourquoi l’estimation du nombre des musulmans de France varie-t-elle entre trois et huit millions (l’évaluation haute étant celle du FN) ? Au-delà de cette grossière confusion, l’amalgame qui généralise est le plus fréquemment décrit. Ahmed Djouada, pratiquant, est révolté par cette manie politique de “ranger” les citoyens dans leur communauté d’origine : “On parle des Français d’origine maghrébine comme

d’un bloc indivisible ! Le Conseil français du culte musulman, c’est n’importe quoi. Je suis musulman, mais je n’ai élu personne, moi, en quoi sont-ils censés me représenter ? De même, j’en veux beaucoup à la récupération politique de Ni putes ni soumises, qui a contribué à répandre une image fausse de la femme. Elles croient qu’il n’y a pas d’histoire d’amour en banlieue ou quoi ? Tu aimerais, toi, être représentée par les Chiennes de garde ?” Cette négation de l’individualité, qui permet d’évacuer la complexité, Fatima Aït Bounoua, auteur d’un recueil de nouvelles, l’a vécue à travers la réception de son livre en 2009 : “Ici, comme écrivain, on attend de vous du témoignage. Si j’écrivais ‘Fatima, escalier 14’, ou ‘Voilée, violée, excisée’, je trouverais un éditeur sans problème. Mais se ‘contenter’ de littérature… non, ça n’intéresse personne. Mon livre s’appelle La Honte, et bien sûr on m’a demandé si c’était autobiographique. En fait, c’est à l’étranger qu’on m’a posé des questions proprement littéraires.” Une sorte de curiosité malsaine déguisée en intérêt sincère qui lasse tout le monde. En fait, ça ne va jamais. Ni le droit de surprendre, ni celui de décevoir ou d’être tout simplement soi. Le groupe effraie, l’individu aussi. Quelle marge de

“Au Mali, dont ma famille est originaire, il faudrait sûrement que je m’intègre. Mais ici ? Et m’intégrer à quoi d’ailleurs ? Je suis de nationalité française. Demande-t-on à un Français de s’intégrer ?” Almany Kanouté est élu à Fresnes sur la liste Emergence, un mouvement issu du tissu associatif qui essaime en Ile-de-France et a remporté 11,11 % des voix aux municipales de 2008, soit deux sièges au conseil municipal. Où se situe-t-il politiquement ? “Ni à droite, ni à gauche, mais tout de même plus à gauche qu’à droite”, dit-il. Sans étiquette, il représente un courant qui entend “remettre la politique à sa place”, c’est-à-dire sur le terrain, dont il est issu. Ce qui, selon lui, n’est pas le cas de la plupart des élus qui réapparaissent comme par miracle quand s’annoncent des échéances électorales. Cette proximité vise à faire revenir aux urnes une population qui a cessé d’aller voter pour des partis dans lesquels elle ne se reconnaît plus. Dans certaines cités, la désaffection des bureaux de vote est criante, et l’on ne compte parfois que 10 % de votants… Le programme d’Emergence ? Aide aux sans-papiers, aux sans-abri, aux élèves en difficulté (il déplore d’ailleurs que les cours d’éducation civique soient devenus facultatifs). Pour lui, le débat n’est qu’“un appel de plus à division et à la stigmatisation”. De confession musulmane, il sépare ses pratiques religieuses, qui relèvent de la sphère privée, de son action politique, mais s’étonne de l’absence d’écoles musulmanes alors que les enseignements catholique et juif ont pignon sur rue et sont en partie subventionnés par l’Etat. 30.03.2011 les inrockuptibles 37

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3 questions à Seloua Luste Boulbina* La philosophe Seloua Luste Boulbina explique que la tentation de trouver des boucs émissaires est historiquement ancrée en France.

manœuvre reste-t-il ? Elle est mince, à en croire l’anecdote d’Hafida Guerziz, une journaliste de 26 ans : “Un jour, je discute religion et sexualité avec une amie à une terrasse. A deux tables de nous, une femme de 65 ans s’immisce dans la conversation. Elle nous explique qu’elle, d’origine alsacienne, est fière d’avoir eu quatre enfants gaulois, mariés à de vraies Gauloises, et annonce que tous ses amis vont voter Le Pen à l’élection présidentielle. Je m’assois à sa table, lui explique que ma famille est d’origine algérienne et que ça n’a pas empêché ma grande sœur de se marier à l’église. Elle me regarde, médusée, et me lâche : ‘Houla, vous, vous êtes beaucoup trop ouverte pour moi !’ Et elle se sauve avec son petit sac.” L’absence de dialogue menace la France, si l’on continue de stigmatiser certains citoyens comme “différents”, alors qu’ils ne réclament sans doute que plus d’indifférence. Et du point de vue de l’intégration, les conséquences semblent tout à fait contraires à l’effet escompté. Yasmine Baba Amer, 37 ans, technicienne biologiste à l’université de Créteil explique : “Une de mes grand-mères est française à 100 %, ma mère est née et a grandi ici. Je suis partie d’Algérie en 1998

et j’ai la nationalité française. Depuis mon arrivée, je me suis toujours sentie française. Mais ce sentiment s’étiole. A force de réflexions débiles, on se met à réfléchir à notre identité qui, avant, était très claire. Résultat, je me sens de moins en moins française.” Mehdi Meklat, né d’un père français et d’une mère d’origine algérienne, dit aussi se sentir de plus en plus mal à l’aise. “La seule chose qui me plaît dans le fait d’être français, c’est d’avoir un visa pour aller à l’étranger.” Et Badrou, encore en attente de la nationalité, d’ajouter : “C’est sûr qu’avec mon passeport des Comores, je ne vais pas aller bien loin. Moi, j’attends impatiemment de pouvoir partir aux USA ou en Amérique latine. Ici, je m’endors.” Mehdi ironise : “Génial. Etre français, pour nous, ça signifie pouvoir quitter la France.” Mais pour d’autres, tel Larbi Aarab, 34 ans, documentariste, rien n’est perdu. Ce qui se passe dans le monde arabe change radicalement l’image des musulmans en France : “On commence à s’apercevoir que ce n’est pas parce que tu es pratiquant que tu es contre la démocratie ! Apparemment, pour beaucoup, c’est une révélation.” 

Que pensez-vous des accusations qui reprochent à l’islam d’envahir l’espace public ? Que des musulmans prient dans la rue parce qu’ils ne disposent pas de suffisamment de lieux de culte choque. Mais lorsque le pape est de passage et qu’une grande messe est organisée dans l’espace public, personne ne s’en offusque. L’inégalité d’appréciation n’est pas tant à chercher du côté de la religion que du droit à occuper la rue. La France a-t-elle toujours eu besoin de boucs émissaires ? Le débat sur la laïcité n’est qu’une réactivation d’un imaginaire ancré dans la société française et européenne. On fait comme si l’événement (les prières dans la rue, la construction de mosquées) justifiait le débat sur la laïcité, alors que ce discours, sans remonter aux Croisades, est ancien. De l’affaire Calas à l’affaire Dreyfus jusqu’à celle du voile islamique, il y a toujours eu en France une intolérance vis-à-vis des religions minoritaires. Les protestants, les juifs… Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce sont les musulmans qui en font les frais. C’est d’ailleurs depuis la fin de ce conflit que date l’appellation “Français d’origine musulmane”. C’est l’héritage colonial ? Cette différenciation descend en droite ligne des lois d’exception mises en place en 1874 dans les colonies, qui criminalisaient d’office les autochtones. La psychiatrie du XIXe siècle justifie le travail effectué par le droit, qui conclut à la stupidité du Noir et à la violence congénitale de l’Arabe. * Seloua Luste Boulbina est agrégée de philosophie, docteur en sciences politiques et directrice de programme au Collège international de philosophie.

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“Sarkozy est condamné à la fuite en avant parce qu’il échoue” Pour le sociologue Eric Fassin, le rejet du multiculturalisme auquel se livre l’Etat depuis plusieurs années a fini par conduire à de dangereux amalgames. Le président de la République déclarait le 10 février sur TF1 que le multiculturalisme était “à l’origine de bien des problèmes de notre société”. Sur la même ligne qu’Angela Merkel en Allemagne et David Cameron en Grande-Bretagne, qui eux aussi estiment que le multiculturalisme a “échoué” parce qu’il était “en contradiction avec nos valeurs”. Comment expliquer ce rejet radical et soudain du multiculturalisme qui vient désormais du sommet de l’Etat ? Eric Fassin – En 2003, quand il mettait en place le Conseil français du culte musulman, Nicolas Sarkozy se voulait multiculturaliste. Il espérait contrôler les banlieues par le moyen de l’islam organisé. Or, les émeutes de 2005 ont marqué l’échec de cette stratégie : elles n’étaient pas le fait des islamistes, bien sûr, mais les autorités musulmanes ne sont pas parvenues à les empêcher non plus. En 2007, avec le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, Nicolas Sarkozy redéfinissait sa stratégie. Toutefois, il prétendait encore compenser son discours négatif sur l’immigration par un discours positif sur la diversité. On voit aujourd’hui qu’il a renoncé à cet équilibrisme : il n’est plus question

de diversité. Immigration et islam fournissent désormais les deux arguments centraux de la France sarkozyenne : l’identité nationale, on l’a vu lors du “grand débat” de 2009-2010, se réduit à une construction négative, réactive et réactionnaire. Pourquoi ces glissements progressifs vers le ressentiment ? Le moteur en est l’échec. Nicolas Sarkozy est condamné à la fuite en avant parce qu’il échoue sur tous les fronts – chômage, pouvoir d’achat, diplomatie, insécurité, etc. Il se replie donc sur une politique du ressentiment. Non qu’elle soit efficace… Mais, nous le disions en 2010 dans le deuxième volume de Cette France-là à propos de l’immigration, et il en va de même pour l’islam : si le président continue dans cette voie malgré tout, c’est faute d’avoir autre chose à offrir. Aujourd’hui, comment définiriez-vous ce moment de basculement politique dans le rejet de la culture musulmane, dans cette fuite en avant “culturaliste” ? S’il faut craindre l’immigration, nous dit-on, c’est qu’elle serait porteuse d’une contamination islamique – voir la loi sur la burqa. S’il faut craindre l’islamisme, ajoute-t-on, c’est qu’il provoquerait un afflux d’immigration – voir les réactions face aux révolutions arabes. Autrement dit, quelle que soit la question, la réponse ne change pas : l’islam, à cause de l’immigration ; ou l’immigration, à cause de l’islam.

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Sarkozy en campagne dans la banlieue parisienne,l ors d’une cérémonie de naturalisation, avril 2007

Cette monomanie nous permet de comprendre que le rejet du multiculturalisme mène en soi au monoculturalisme. On parle tantôt des racines chrétiennes de la France, tantôt de l’héritage républicain de la laïcité. L’incohérence révèle le véritable enjeu. On patrimonialise la nation pour en réduire la définition aux Français de souche. Autrement dit, en fait d’histoire de France, c’est l’affirmation d’une identité nationale blanche. Rien ne sépare plus la droite de l’extrême droite. L’intégration fonctionne-t-elle plutôt bien ou plutôt mal en France ? On peut poser la question de l’intégration pour des étrangers. Mais la poser, comme le fait le président, non seulement pour les immigrés mais aussi et surtout pour leurs enfants ou leurs petits-enfants, c’est considérer que ces Français “issus de l’immigration”, comme on dit de manière significative, restent au fond étrangers. Bref, on définit certains Français en les ramenant toujours à leur origine. Il s’agit non pas de prétendre qu’il n’y a pas de problème, mais de changer de grille de lecture. Le problème n’est pas l’intégration mais la ségrégation, la discrimination. Donc, le problème, ce n’est pas qu’il y a des Français d’origine étrangère, mais qu’on les traite comme des étrangers à la nation. Autrement dit, la rhétorique de l’intégration fait partie du problème, pas de la solution.

Philippe Wojazer/Reuters

“la droite impose ses questions même à ses adversaires : c’est le signe de son hégémonie idéologique” Le voile et la prière dans la rue semblent deux points de fixation du rejet de l’islam. Comment interprétez-vous ce double rejet ? Dans les deux cas, il s’agit de visibilité. On tolère l’islam à condition qu’il soit discret : on lui interdit de s’afficher dans l’espace public. Autrement dit, on lui demande de rester privé – ce qu’on n’exige pas du catholicisme (songeons aux processions). Nous voilà dans une logique de tolérance, non de reconnaissance. Cela me rappelle les discussions sur l’homosexualité dans les années 90 : on tolérait les homosexuels mais on les enjoignait à rester discrets. Sinon, l’homophobie se déchaînait contre la visibilité (comme la Gay Pride) et contre les demandes de reconnaissance (le Pacs). L’homophobie représentait donc l’envers de la tolérance. De même, l’islamophobie constitue aujourd’hui l’autre face de la tolérance ostensible pour l’islam. Existe-t-il selon vous une islamophobie développée en France ? Le monoculturalisme, ce repli sur une identité nationale racialisée, correspond-il à une aspiration partagée par beaucoup de nos concitoyens ou à un pur fantasme d’une droite devenue raciste ? Les politiques, à commencer par notre président, prétendent seulement refléter l’opinion. En réalité, ils s’emploient à la façonner. L’opinion ne préexiste pas aux représentations de la société que proposent, en particulier, les politiques. Les Français ne sont pas racistes, xénophobes ni islamophobes par nature. Ces tendances existent, bien sûr, mais elles coexistent avec d’autres, opposées. La politique encourage certaines potentialités de l’opinion au détriment d’autres. Aujourd’hui, la politique de la droite populiste, en France et ailleurs en Europe, attise ces braises. Pourquoi cet embrasement européen ? Le problème ne vient pas que de la droite mais aussi de la gauche. Trop souvent, celle-ci ne propose pas un autre langage. Elle se contente d’offrir une version “à visage humain” du discours de la droite : même si ses réponses sont différentes, elle part des mêmes questions. C’est là le signe de l’hégémonie idéologique de la droite : elle impose ses questions même à ses adversaires. Tout espoir n’est pas perdu pour autant. La stratégie du président ne paie pas ou ne paie plus : il veut certes représenter l’opinion, mais celle-ci ne le suit pas. On l’a bien vu avec le débat sur l’identité nationale ou les attaques contre les Roms : la cote du président n’a pas remonté. La gauche pourrait finir par le comprendre. Il lui faudrait alors refuser d’aller sur ces terrains pour se concentrer sur d’autres problèmes qui concernent directement les électeurs. propos recueillis par Jean-Marie Durand Eric Fassin est professeur à l’Ecole normale supérieure et chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. Il est coauteur de Cette France-là (deux volumes parus en 2009 et en 2010, troisième volume à paraître en 2011). 30.03.2011 les inrockuptibles 41

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édito

Stéphane Lemouton/Abacapress

la chasse aux vieux

objectif urne 2012 Au lendemain des cantonales, Marine Le Pen continue la mue du FN et creuse le sillon de la banalisation du parti d’extrême droite.

 U

n nouveau nom pour le Front ? Alors que l’UMP ne sait plus où elle habite, Marine Le Pen veut monter “un pôle de rassemblement à vocation majoritaire” en vue des législatives. “Le Front national resterait présent, mais il accueillerait des gens de gauche, de droite, des patriotes”, a-t-elle précisé. La présidente du Front national continue de polisser, de dédiaboliser l’image du parti pour en faire une organisation respectable à l’image du PS ou de l’UMP. Et se positionner sur l’échiquier politique à leur égal. Selon un sondage BVA (pour France Info et Les Echos), 52 % des Français estiment que le FN est un parti “comme les autres”. Ils étaient 42 % en septembre. Le Front se banaliserait surtout dans les classes populaires. Pour les cantonales, Marine Le Pen a parlé de vote “d’adhésion”. En réalité, le FN reste en majorité un objet de protestation dans l’opinion, même si c’est de moins en moins le cas.

Le FN n’a remporté que deux sièges aux élections cantonales : à Carpentras (Vaucluse) et Brignoles (Var). La barre des 50 % lui a une nouvelle fois fermé la porte de la représentation. Mais au fond, Marine s’en fout. Le FN a fait des scores inédits même en dehors de ses fiefs historiques, une moyenne de 35,5 % dans les cantons où il était en lice. Il progresse aussi de 290 000 voix entre les deux tours… avec des reports de voix de gauche comme de droite. La progression de Marine Le Pen se confirme : avec 21 % ou 22 %, elle fait presque jeu égal avec l’UMP. “Nous allons vers une tripolarisation de la vie politique”, ajoute Louis Aliot, viceprésident du FN. Pendant quinze jours, on n’aura parlé que de sa compagne. Obsédante Marine Le Pen. Les sondages s’enchaînent et donnent le FN presque invariablement au second tour de la présidentielle. La chef du FN a lancé la chasse aux 500 parrainages d’élus. Pas une minute à perdre. Anne Laffeter

Le vrai but de la stratégie de Nicolas Sarkozy et de son conseiller Patrick Buisson lorsqu’ils provoquent des débats à la chaîne sur l’identité, la sécurité et l’immigration, n’est peut-être pas, comme on le dit souvent, et comme eux-même l’affirment, de reconquérir l’électorat populaire mais plutôt de retrouver les faveurs de l’électorat âgé. En 2007, Nicolas Sarkozy n’était majoritaire que dans les tranches d’âge supérieures à 65 ans. Si les plus de 65 ans n’avaient pas eu le droit de vote (drôle d’idée, convenonsen !), Nicolas Sarkozy ne serait pas président de la République… Cette catégorie de la population se mobilise traditionnellement plus que les autres. Les seniors sont aussi ceux qui sont le plus sensibles aux thématiques d’autorité, de sécurité et d’identité telles qu’elles sont développées par le candidat Sarkozy. Seulement, il n’est pas très glorieux ni valorisant d’affirmer que l’on “chasse le vote des vieux” ! Mieux vaut dire que l’on veut retrouver le contact avec les classes populaires… c’est plus classe. La sur-utilisation de ces thèmes peut effectivement provoquer quelques frissons d’aise chez un électorat conservateur, légitimiste et qui se prête moins facilement que les plus jeunes au jeu du vote protestataire. Mais l’effet pervers de cette tactique, outre les valeurs détestables qu’elle charrie, c’est qu’elle souligne de façon éclatante l’incurie du mode de gouvernance du président : si des débats sont encore nécessaires sur l’identité et la sécurité c’est que ces questions ne sont pas réglées et donc que les quatre premières années de la présidence Sarkozy ont été vaines.

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la droite tendue à l’extrême La poussée confirmée du FN peut accélérer la recomposition de la droite avant la présidentielle. Jusqu’à l’explosion de l’UMP ?

Denis/RÉA



lle y a tout intérêt, donc elle appuie là où ça fait mal. Pour Marine Le Pen, il n’y a aucun doute, après les élections cantonales, c’est “une guerre le couteau entre les dents” qui commence au sein d’une UMP “au bord de la dislocation”. Pour la présidente du Front national, le vote d’extrême droite “a révélé la fracture idéologique très lourde au sein de l’UMP, mais qui traverse aussi la gauche, entre les mondialistes et les nationaux”. “On va assister à une recomposition de la vie politique. Ce qui se passe est la chose la plus importante qui s’est produite depuis trente ans”, insiste-t-elle. Marine Le Pen guette surtout “les conséquences psychologiques sur tout l’encadrement UMP” du résultat des deux cents duels gauche-FN au second tour des cantonales. Un seul siège remporté – en l’occurrence deux, à Carpentras et Brignoles – et c’est “un vent de panique” qui va gagner les députés de la majorité, voulait-elle croire avant le second tour. Et le sondage TNS-Sofres qui la place au second tour de la présidentielle, face à Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry ou François Hollande, après un “21 Avril à l’envers” éliminant Nicolas Sarkozy, lui a donné un large sourire dimanche soir. A l’UMP, les ténors ont cherché de leur côté à minimiser la défaite des cantonales. Et suivant la stratégie arrêtée pendant le week-end, en accord avec l’Elysée, ils ont insisté sur l’inéluctabilité d’une candidature Sarkozy en 2012. “C’est la logique de la Ve République. Personne ne peut penser aller contre le président sortant”, répétaient-ils en boucle.

Mais l’UMP est un bateau ivre depuis que Marine Le Pen est passée à l’abordage, et la stratégie de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle est en question. Or, à partir de son discours de Grenoble, l’été dernier, le chef de l’Etat campe sur la ligne dure. Pour Nicolas Sarkozy, comme la société française glisse vers la droite, il faut déplacer le débat politique dans cette direction, avec des discussions sur la sécurité ou l’immigration, quitte à brouiller les lignes avec le Front national. Depuis le remaniement de février, Claude Guéant, bombardé au ministère de l’Intérieur, est le fer de lance de cette stratégie. Les plus mesurés parmi les critiques du chef

de l’Etat à l’UMP estiment que Nicolas Sarkozy veille à ne pas effaroucher les électeurs FN, pour se garantir de bons reports de voix au second tour de la présidentielle. Les plus inquiets redoutent la préparation d’une alliance en bonne et due forme avec le parti de Marine Le Pen. Dominique de Villepin, qui a annoncé en février ne pas renouveler son adhésion à l’UMP, n’est pas loin du constat dressé par la présidente du FN, quand il explique que le parti est désormais profondément divisé entre “une droite dure, nationale” et “une droite républicaine, humaniste, qui, de plus en plus, se sent mal à l’aise”. “On est de moins en moins un mouvement, de moins

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depuis que Marine Le Pen est passée à l’abordage, la stratégie de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle est en question

Sarkozy et Copé sont sur un bateau…

en moins d’union et de moins en moins populaire”, renchérit une cadre de l’UMP. “Les digues sont rompues” est la phrase la plus prononcée depuis dix jours à gauche mais aussi à droite. Et les lignes de fracture se creusent. Le gendre de Jacques Chirac est habituellement un homme discret. Mais, dans une tribune publiée la semaine dernière dans Le Figaro, Frédéric Salat-Baroux a fustigé ceux qui font de l’UMP les “supplétifs obsessionnels” du Front national. Comme lui, Jean-Louis Borloo a plaidé pour un front républicain. Il veut fonder début mai une nouvelle confédération centriste, à côté de l’UMP, que les troupes radicales

avaient pourtant rejointe en 2002. Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs mis en garde lundi. Au sein de l’ex-RPR, la contestation de la ligne présidentielle se double des calculs personnels des uns et des autres. Une nouvelle fois, François Fillon, possible recours à droite en 2012, est allé taquiner le camp sarkozyste sur la ligne de crête en mettant l’accent sur le vote “contre le Front national” devant le bureau politique de l’UMP. Alain Juppé est lui aussi engagé dans une différenciation, encore subtile, mais qui peut s’affirmer à tout moment. “C’est Nicolas Sarkozy qui incarnait l’UMP. Quand la personnalité qui l’incarne est en situation de faiblesse, tout mouvement

politique est en danger”, analyse Marine Le Pen, qui veut croire que le FN récupérera les déçus de l’UMP, où certains réfléchissent déjà à une contreattaque. Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, aujourd’hui en charge de la préparation du projet de l’UMP pour 2012, estime que la droite est face à un “choix politique majeur, et ce en pleine guerre économique”. “Si on veut sauver la République, on doit remettre de la différence entre l’UMP et le Parti socialiste”, et cela passe par l’apport de “solutions”, de “résultats concrets”. Sans rechigner à s’aventurer sur le terrain glissant choisi par la patronne du FN. “Un maire socialiste de mon département m’a dit : ce n’est pas parce que Marine Le Pen va se mettre à parler de Mozart qu’il faut arrêter d’écouter Mozart”, raconte le ministre de l’Agriculture. “Les postures morales me hérissent. La responsabilité des républicains, c’est de garder son sang-froid, fixer un cap, mais voir aussi ce que vivent les gens.” Pour Bruno Le Maire, droite et gauche peinent aujourd’hui à élaborer “un grand projet” national et européen. “L’extrême droite a un projet clairement identifié, qui est de cadenasser la société européenne. Je pense que nous devons offrir un projet moral, mener une campagne présidentielle non pas crispée mais ouverte”, ajoute-t-il. “La victoire de la gauche aux cantonales peut amener Sarko à évoluer sur sa stratégie”, voulait croire dimanche soir un responsable de l’UMP. Lundi, François Baroin appelait à enterrer les débats sur l’islam et la laïcité. Hélène Fontanaud 30.03.2011 les inrockuptibles 45

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“le seul moyen de me faire bouger, ce sont mes idées. Mais les socialistes n’en ont pas. Je les emmerde” Jean-Luc Mélenchon

Denis/REA

l’union est un combat Si on se réfère aux cantonales, le jeu des alliances à gauche pour 2012 sera plus compliqué que prévu.



n a beau les avoir vues rire aux éclats dans le train des cantonales, les deux “copines” Martine Aubry et Cécile Duflot ont encore du souci à se faire. Alors qu’elles voulaient afficher l’union de la gauche dans l’entre-deux-tours des élections cantonales et que la division de la droite semblait promettre un bon départ, c’est Jean-Luc Mélenchon qui a le premier brisé cette ambition d’unité en refusant de s’afficher avec elles. Les proches de la première secrétaire l’avaient pourtant bombardé de SMS pour parvenir à organiser une photo commune, comme à Dole (Jura), où Martine Aubry s’est déplacée avant le second tour pour soutenir le candidat de la gauche, et à qui Arnaud Montebourg et Jean-Luc Mélenchon ont rendu visite deux heures plus tard… “Si elle était venue

avec nous, je ne serais pas venu”, tacle Mélenchon dans la voiture-bar du train. Remonté comme un coucou dès qu’il entend le mot “socialiste”, il poursuit devant une trentaine de militants réunis dans un restaurant à Dole : “Je déteste les effets d’affichage qui feraient comme si les problèmes étaient réglés. C’est pour ça qu’il y a le Front de gauche. Nous sommes en concurrence pour gagner les cœurs à gauche et passer en tête !” Un instant plus tôt, devant les caméras, Jean-Luc Mélenchon s’était lancé dans une violente diatribe contre Martine Aubry, la comparant à une “mante religieuse” : “Il suffit de paraître dans une péniche en sa compagnie pour être considéré comme étant digéré, ce qui n’est pas dans ses moyens s’agissant de moi.” Arnaud Montebourg est visiblement gêné.

Dans un tel climat, une alliance pour 2012 est-elle possible ? “Non, il n’y a pas de possibilité d’alliance, affirme-t-il aux Inrocks. Ça aurait pu, si le PS était un parti de convictions, mais il n’en a aucune. Les socialistes pensent ensuite pouvoir nous siffler, pour qu’on arrive à la péniche, pour qu’on vienne à leurs pieds ? Le seul moyen de me faire bouger, ce sont mes idées. Eux n’en ont pas. Je les emmerde. Nous voulons les obliger à se positionner par rapport à nos thèmes.” Ambiance… D’autant plus qu’au sein du Front de gauche, tout n’est pas si rose : Mélenchon reprochant sur son blog à son allié communiste d’être centré sur “ses intérêts particuliers”, et de tirer “le tapis” à lui en dissociant au premier tour des cantonales le score du Parti de gauche (1,02 %) de celui des communistes (7,96 %). Et de marteler : “Je suis personnellement responsable de ce bon score.” Pierre Laurent était d’ailleurs sur la péniche au soir du premier tour avec Martine Aubry et Cécile Duflot… Plus tôt, Martine Aubry ne semblait pourtant pas plus inquiète que ça des déclarations récurrentes de Jean-Luc Mélenchon sur les socialistes : “On se connaît bien, confie-t-elle aux Inrocks. On a pris l’habitude de travailler ensemble au ministère (dans le gouvernement Jospin – ndlr), et ça s’est toujours bien passé.” Chez les écolos, à qui le Front de gauche veut disputer la deuxième place à gauche derrière le PS, et à qui Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent reprochent de s’être maintenus au second tour des cantonales même s’il y avait un candidat de Front de gauche mieux placé, réaction de flegme semblable pour relativiser sur “cet hurluberlu du XIXe siècle” : “Mélenchon avait besoin de passer à la télé dans l’entre deux tours.” Et sinon les autres, ça va ? “Ces cantonales seront un moment dans notre histoire, lance Cécile Duflot au Mans (Sarthe), le fief de François Fillon, en compagnie de Martine Aubry. Nous allons travailler sur un projet alternatif à Nicolas Sarkozy. 2012 se joue tous les jours.” Rendez-vous est pris entre le PS et Europe Ecologie pour travailler sur des contrats de gouvernement et des accords électoraux pour 2012. Fort de leurs bons scores, les écolos entendent négocier des circonscriptions gagnables pour les législatives. Martine Aubry se veut rassurante : “Je vais mettre toute mon énergie pour rassembler la gauche. Ma détermination est totale.” Au Mans, elle avait eu ce mot : “J’ai une âme de militante, même les causes perdues, j’y vais.” C’est elle qui le dit… Marion Mourgue

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presse citron

par Christophe Conte

Johnny sauvé par la médecine, Aubry et Fabius plombés par Tariq, Sarko irradié par les “intellos”, Lefebvre pris la main sur la souris. Dans les Hauts-de-Seine, Isabelle, telle Leila Trabelsi en Tunisie, s’est fait balkaniser.

les relous Jean-Marie toujours là “L’Afrique doit se réjouir ce soir, c’est la victoire des primates.” Toujours fin, le patriarche du FN. Jean-Marie Le Pen ironisait dimanche à l’issue du second tour des cantonales sur une déclaration de Claude Goasguen, qui avait déclaré le 22 mars que le FN était “un parti de primates”. Le député UMP de Paris a dit ensuite qu’il avait été mal compris et qu’il avait parlé de “primaires”. C’est donc parti pour les primates du PS...

Fethi Belaid/AFP

Benjamin Lemaire/Wostok

le 21 Avril à l’envers, la tête aussi

Balkannus horribilis

ma gueule “Les Français deviennent fous, c’est aberrant de voter Front national”, tel fut le cri du (ro)cœur de Johnny Hallyday face aux lecteurs du Parisien (25/03). Enchaînant sur le même ton à propos de ses intentions de vote en 2012 : “Si je vote, ce sera en tout cas pour quelqu’un qui sera bien pour la France, mais pas par amitié.” Saluons ici le merveilleux travail du pourtant décrié docteur Delajoux, qui non content d’avoir réparé cette vieille carlingue en a aussi profité pour lui greffer une conscience.

la pétoche Après avoir signé la pétition du Nouvel Obs “Non au débat-procès de l’islam” (24/03), Martine Aubry et Laurent Fabius ont sorti le Tipp-Ex et effacé leurs noms en apprenant que l’infréquentable Tariq Ramadan figurait lui aussi parmi les signataires. Bien joué, sans compter qu’Abd Al Malik, adepte de la lapidation de tympans à coups de rimes de cinquième techno redoublante, est également dans la liste.

le déjeuner de cons Sarkozy est entré officieusement en campagne, comme l’indique la recrudescence des déjeuners

avec des “intellectuels” gratte-miettes à l’Elysée. Les guillemets sanitaires s’imposent autour du terme intellectuel, car le 23 mars c’est Eric Zemmour, Denis Tillinac et Yann Moix qui partageaient la table du chef de l’Etat (Le Monde, 26/03). Avec un tel casting de pétomanes mondains, elle va avoir fière allure la liste de ses soutiens !

grande pompe C’est le site slate.fr (22/03) qui le premier a levé le lièvre : Frédéric Lefebvre a plagié comme un goret pour alimenter son cale-armoire de 500 pages intitulé Le mieux est l’ami du bien. Mais, au contraire d’un vulgaire PPDA singeant une bio érudite sur Hemingway, le sous-ministre d’on ne sait pas trop quoi est allé se servir sur Wikipédia, dans le site ladepeche.fr ou encore sur parisrivegaucheimmobilier.com. Moins cher qu’un nègre : google.fr !

très confidentiel Après la disparition de maître Capello, Télé 7 Jeux songerait à embaucher Claude Guéant pour animer la page Mots-croisade.

Union européenne

La Tunisie, l’Egypte, maintenant les Hauts-de-Seine, c’est vraiment le grand nettoyage de printemps pour les dictateurs et leurs épouses. Dans un département où l’on disait il y a peu que même un teckel paralytique se présentant sous étiquette UMP serait élu dans un fauteuil, Isabelle Balkany s’est fait humilier dans le canton de Levallois, battue par un dissident divers droite issu du prolétariat, Arnaud de Courson de Villeneuve. Leila Trabelsi se sent moins seule, c’est déjà ça. François Fillon a appelé dimanche soir les Français à ne pas “céder au vertige du conservatisme ou de l’extrémisme”... Euh, monsieur le Premier ministre, ça veut dire voter à gauche ? Il va loin là dans le front républicain !

soirée DVD pour Sarko Comme pour le premier tour des cantonales, le chef de l’Etat l’a joué détaché. Il a passé la soirée à l’hôtel particulier de Carla, à mater des DVD (non, pas des divers droite). On hésite entre un gros blockbuster comme Une journée en enfer ou Soigne ta droite…

blonde à l’intérieur Quelle mouche a piqué Martine Aubry ? Dans la Boîte à questions du Grand Journal de Canal+, la première secrétaire du PS répond à la question “Qu’est-ce qui vous différencie de Ségolène Royal ?” : “Je suis brune, elle est blonde.” Mais que veut dire Martine Aubry alors que Ségolène Royal est aussi brune qu’elle ? 30.03.2011 les inrockuptibles 47

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“La décision de me présenter aux primaires va venir sans me précipiter mais sans tergiverser.” Soulagé, François Hollande. Il avait lié sa candidature aux primaires pour la désignation du candidat à la présidentielle de 2012 à un succès électoral enCor rèze : c’est fait.

Tulle, 27 mars

Jean-Luc Luyssen/Abaca

safari

brèves

tout le monde il est content A l’issue du second tour des élections cantonales, chacun trouve quelques motifs de réjouissance. Revue des plaisirs. Copé content ? La droite a remporté le Val-d’Oise, “département de Dominique Strauss-Kahn”, a claironné le secrétaire général de l’UMP sur toutes les chaînes. Une victoire symbolique qui a permis d’éclipser les mauvais scores de la droite en Seineet-Marne… fief de Jean-François Copé !

simple comme un coup de fil DSK a téléphoné à Martine Aubry dimanche soir, pour avoir les résultats. Celle-ci l’a rassuré sur le Val-d’Oise. “C’est une situation vraiment locale qui n’a rien à voir avec notre ami des EtatsUnis”, précise la première secrétaire, qui a lancé en riant à l’exilé de Washington : “Tu n’y es pour rien et le FMI encore moins !”

un petit tacle à Royal Alors que la première secrétaire a toujours pris soin de ne pas faire de bons mots en public contre Ségolène Royal, elle s’est lâchée dimanche soir : “Avec le même statu quo, elle aurait été élue. Elle a

fait 47, moi j’ai fait 53.” Traduction : Royal n’a fait que 47 % à la présidentielle, Aubry avec l’ensemble des forces de gauche l’emporte avec 53 % des suffrages aux cantonales. Une manière de répondre à Ségolène Royal qui dimanche soir a déclaré qu’il “fallait reconnaître que le premier parti de ces élections cantonales, c’est l’abstention”.

l’appel à Aubry Une cinquantaine de parlementaires ont lancé un appel pour soutenir le travail de Martine Aubry : “Tous ceux qui préfèrent critiquer notre maison commune et sa première secrétaire plutôt que la droite affaiblissent le Parti socialiste”, peut-on lire. Un sacré encouragement à Martine Aubry, alors que DSK fait toujours figure de favori dans les sondages. “Beaucoup se sont dit que la méthode Aubry avait porté ses fruits ces derniers mois”, confie l’un des signataires. Et d’ajouter : “Aujourd’hui, ce groupe de soutien est le plus important à l’intérieur du groupe PS à l’Assemblée.”

Marine aime les fonctionnaires La présidente du FN a confirmé aux Inrocks les informations selon lesquelles des hauts fonctionnaires et même des fonctionnaires de rang moins élevé, notamment dans les préfectures, ont commencé à travailler en sous-main pour le parti d’extrême droite. “Et ce en raison d’une tendance très lourde sous Nicolas Sarkozy à l’affaiblissement de l’Etat et même à sa privatisation, notamment dans les secteurs régaliens.”

Mélenchon Tintin Jean-Luc Mélenchon a pour habitude de ne pas ménager les journalistes. On oublie souvent qu’il a lui-même exercé cette profession pour La Croix du Jura sous le pseudo de Jean-Luc Mula, “du nom du bled de ma famille en Andalousie”, raconte-t-il. Il ne faisait pas qu’écrire puisqu’il croquait aussi des dessins, cette fois-ci sous le pseudo de Moz. Le tout au tarif de 60 F la photo (9 €) et 100 F (15 €) l’article. H. F. et M. M.

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affaires intérieures

le PS se projette

P  

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Denis/REA

renez votre respiration. Le Parti socialiste peaufine son projet présidentiel, qu’il votera en bureau national le 5 avril, puis en conseil national le 9 avril. Les militants se prononceront le 19 mai et le texte sera enfin adopté au cours d’une convention nationale le 28 mai… La direction est en train de mettre la dernière main à la pâte. “Le projet est presque terminé, confie Martine Aubry. J’ai fait en sorte que les débats soient le plus collectifs possible. Chacun a été associé. Ça se passe bien. Ce sont les résultats d’un énorme travail.” Guillaume Bachelay, proche de Laurent Fabius, et “plume” du projet, n’est pas le seul à avoir travaillé. Jean-Marc Germain, directeur de cabinet de la première secrétaire, y est aussi directement associé. Si un certain nombre de propositions sont déjà connues, puisque issues directement des conventions thématiques, des forums et des travaux du Laboratoire des idées du PS de ces derniers mois, trois axes se dégagent pour “le redressement de la France” : “comment faire pour que la France retrouve sa voix dans le monde et pèse à nouveau sur la scène mondiale”, “la promotion d’une société de justice et de respect”, pour “rétablir du lien social, casser la spirale de déclassement”, avec l’idée que “l’Etat doit faire mieux avec des armes nouvelles”. Enfin, “de nouvelles pratiques démocratiques”. Le projet devrait donc se présenter sous deux formes : un texte “digéré”, que certains voient comme “une longue introduction” et un plus “lourd” pour ceux qui veulent entrer dans le détail des propositions. Deux réformes “devront être prêtes quand on arrive”, estime Martine Aubry. En somme avoir été pensées en amont au cas où la gauche remporterait l’élection de 2012 : la réforme de l’Education nationale et celle de la fiscalité. “L’important, c’est la cohérence d’ensemble”, ajoute la première secrétaire. Et de glisser, souriante : “Réussir, ça fait toujours plaisir.” Marion Mourgue

que le meilleur perde Perspicace, ce M. Sarkozy ! C’est lui qui avait inventé et voulu la loi électorale qui allait éliminer l’UMP d’un bon nombre de cantons. Cette règle cruelle fixait à 12,5 % des inscrits le seuil sous lequel un candidat ne pouvait se maintenir. A l’époque, les commentateurs crurent naïvement que l’opération visait à éliminer le Front national. Pas du tout : il s’agissait plutôt de faire trébucher une droite que M. Sarkozy aurait auparavant réduite au niveau nécessaire, c’est-à-dire fort bas. Les belles défaites trouvent leur origine dans une stratégie de clairvoyance. L’échec du premier tour obtenu, M. Sarkozy le redoubla d’une opération bien connue des victoricides et qui porte le joli nom de zizanie. Qui choisir au second tour si l’électeur se trouve confronté à un duel entre un socialiste et un candidat d’extrême droite ? Ni l’un ni l’autre, dit M. Sarkozy qui tient là le propos le plus incivique qui soit pour un président de la République : le gardien des institutions incite le peuple à fuir les urnes et à renoncer ainsi à sa souveraineté ! M. Fillon, lui, appelle à voter contre le Front national, c’est-à-dire socialiste. Puis, afin de brouiller les esprits, il déclare qu’il n’existe aucune divergence entre M. Sarkozy et lui, alors que le désaccord saute aux yeux. L’UMP rallie en sa majorité le ni-ni présidentiel, mais M. Juppé voterait PS et les centristes aussi, de M. Borloo à M. Bayrou. Quant à M. Guaino, le conseiller

de M. Sarkozy, sa plume, sa clarté, son intelligence, il assure : “Il y a ce que moi je ferai et ce que j’appellerai à faire.” Pourquoi ces contorsions ? M. Sarkozy s’est jeté dans une situation inextricable, ces alternatives où l’on perd dans les deux termes : s’il penche à droite, il perd au centre ; s’il penche au centre, il perd à droite. Il est présumable qu’il saura se servir d’une position aussi exceptionnelle en jouant à la fois la droite et le centre pour multiplier les mécontents des deux bords. Pour un victoricide authentique, ce qui semble être le cas de M. Sarkozy, la guerre peut présenter un grave inconvénient : par nature, elle fait grimper la popularité des présidents de la République, chefs des armées. M. Sarkozy risque ainsi d’être désorienté par un afflux subit d’opinions positives dont il a perdu l’habitude. Qu’il ne s’en inquiète pas : ces poussées de gloire militaire restent éphémères. Leurs bénéficiaires retrouvent bientôt leur niveau d’impopularité précédent augmenté des hargnes contenues pendant le conflit. En 1991, M. Mitterrand grimpa jusqu’à 60 % lors de la première guerre du Golfe ; cela ne l’empêcha pas de redescendre en moins d’un an vers les 20 % et de perdre avec éclat les législatives suivantes. Ultime garantie : sitôt la paix revenue, le général de Gaulle et sir Winston Churchill eux-mêmes furent chassés du pouvoir, et dans les deux cas pour laisser la place à des socialistes. (à suivre…) 30.03.2011 les inrockuptibles 49

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quiz

le qui qu’a dit Bien qu’il se défende de toute compromission avec l’extrême droite, le président use depuis longtemps du vocabulaire et de la rhétorique du FN. Saurez-vous dire qui, de Nicolas Sarkozy ou de Marine Le Pen, a dit quoi ? 1. “Un certain nombre de territoires, de plus en plus nombreux, sont soumis à des lois religieuses qui se substituent aux lois de la République.” Marine

Nicolas

Eric Feferberg/AFP

2. “Quand on habite en France, on respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement.” Marine

Nicolas

6. “Aujourd’hui, un étranger en situation irrégulière a plus de droits aux soins gratuits qu’un smicard qui paie ses cotisations.” Marine

7. “L’immigration en France est volontairement accélérée dans un processus fou dont on se demande s’il n’a pas pour objectif le remplacement pur et simple de la population française.” Marine

3. “Il faut créer des tribunaux pénaux de proximité présidés par des magistrats issus de la société civile.” Marine

Nicolas

Marine

Nicolas

5. “Nous subissons les conséquences de cinquante années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration.” Marine

Nicolas

Nicolas

8. “La nationalité française s’hérite ou se mérite. L’automaticité de l’accès à la nationalité française sera supprimée.” Marine

4. “La laïcité n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû.”

Nicolas

Nicolas

9. “Je souhaite que l’acquisition de la nationalité française par un mineur délinquant au moment de sa majorité ne soit plus automatique.” Marine

Nicolas

10. “La communauté turque, elle s’intègre pas. Ils parlent entre eux. Ils se marient entre eux. Ils vivent entre eux.” Marine

Nicolas

plus de cinq bonnes réponses ? méfiez-vous de l’un comme de l’autre Moins de cinq bonnes réponses ? méfiez-vous des deux Hamilton/REA

réponses 1  Marine (décembre 2010) 2. Nicolas (février 2007) 3. Marine (fin janvier 2011) 4. Nicolas (décembre 2007) 5. Nicolas (juillet 2010) 6. Nicolas (juillet 2005) 7. Marine (février 2011) 8. Marine (février 2011) 9. Nicolas (juillet 2010) 10. Nicolas (février 2007) 50 les inrockuptibles 30.03.2011

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Steve Double/Retna Pictures

Bobby Gillespie, le leader défoncé de Primal Scream, début des années 90

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le cas Screamadelica Chef-d’œuvre drogué, fondateur, jonglant entre rock et electro, le Screamadelica des Ecossais de Primal Scream ressort vingt ans plus tard en différentes versions luxueuses. On en crie(delica) de joie. par Pierre Siankowski et Samuel Pétrequin

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Kevin Cummins/Getty Images



’est l’histoire d’un disque dingue. Un disque psychédélique et bourré de drogues qui, en 1991, change la face de la musique en propulsant les machines et les samples dans le rock. Dans son sillage hallucinogène, il engendre aussi bien Oasis que les Chemical Brothers. C’est une histoire qui s’est écrite dans une Angleterre en crise, au crépuscule du règne de Thatcher, dans un bain d’ecstasy, dont personne ne devrait théoriquement se souvenir aujourd’hui – ou alors dans les grandes lignes. C’est l’histoire de Screamadelica, des Ecossais de Primal Scream. Tout commence à la fin des années 80, lorsque le groupe emmené par Bobby Gillespie, ancien batteur des Jesus & Mary Chain, traîne du côté de Brighton, où les loyers sont bien moins chers qu’à Londres. Primal Scream compte alors à son actif des singles cultes et deux petits albums, Sonic Flower Groove (1987) et Primal Scream (1989). De ce dernier, le NME écrit alors assez justement qu’il est “confus et manque de cohésion”. Une tournée européenne foireuse a suivi et le groupe a le moral dans les chaussettes. “Nous n’étions pas bons, on n’allait nulle part et ma plus grande angoisse était de devoir reprendre un travail salarié. J’avais travaillé dans l’imprimerie et j’avais détesté ça, se souvient Gillespie. A l’époque, Brighton n’était pas une ville très cool, ce connard de Fatboy Slim n’y avait pas encore monté son business. On se faisait royalement chier, on n’avait pas beaucoup d’argent. On était inscrit à un programme du gouvernement qui nous ramenait juste de quoi payer le loyer. On se contentait de picoler parce que nous n’avions pas les moyens de nous offrir autre chose. On rêvait de prendre de l’ecstasy, mais pour nous c’était hors de prix, une pilule correspondait à ce que nous touchions chaque semaine de l’Etat.” Heureusement, Gillespie a un bon copain d’enfance à Glasgow : il s’appelle Alan McGee, le fondateur de Creation Records. McGee vit entre Londres et Manchester, où il est un pensionnaire régulier de l’Haçienda, antre de

New Order et des Happy Mondays. Il descend régulièrement à Brighton voir son vieux pote. Généreux, à chacun de ses passages il fournit la bande de Gillespie en ecstasy et en disques d’acid-house – sa dernière marotte. “Bobby a toujours été un ami et je croyais vraiment en Primal Scream. Je savais qu’il manquait un petit truc pour que ça explose, même si je ne savais pas exactement quoi. C’est pour ça que je leur filais des ecstas et de l’acid-house en même temps, en me disant qu’un des deux trucs finirait bien par marcher, plaisante Alan McGee. J’aimais tellement le groupe que j’avais mis la pression au NME pour qu’il envoie l’un de ses journalistes voir un concert du groupe.” Le journaliste envoyé au casse-pipe s’appelle Andy Weatherall. Il est maçon dans la vraie vie et, quand il n’écrit pas pour l’hebdo anglais (sous le nom d’Audrey Witherspoon), il gribouille

un fanzine, Boy’s Own. La rencontre entre Weatherall et Primal Scream est un succès : tout le monde se colle une énorme race. Plutôt fan du groupe, Weatherall accepte entre deux pintes la proposition du bassiste du groupe (Andrew Innes) de remixer l’un des titres de Primal Scream – le très désespéré I’m Losing More Than I’ll Ever Have. Quelques semaines plus tard, Andy Weatherall présente trois remixes différents qui enthousiasment le groupe. Gillespie propose à Weatherall d’ajouter à l’une d’elles un sample de la voix de Peter Fonda piqué dans un film de bikers du cinéaste bis Roger Corman, Wild Angels. “We want to be free : we want to be free to do what we want to do! And we want to get loaded. And we want to have a good time!”, crie Fonda avant que des trompettes ne s’envolent vers le ciel et que ne rebondisse sur des chœurs soul une sorte de rythmique proto-dub. Le morceau, rebaptisé Loaded,

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l’écoute peut se révéler une expérience sublime et chaotique, à chaque fois une régénérescence

La pochette mythique de Screamadelica

Alan McGee, le pygmalion. Et, tout mélangés, Primal Scream en 1991.

est clairement une ode à la défonce. “J’avais remarqué que, sur les hits house, on plaquait toujours des samples de trucs qui résonnaient comme des slogans. Je me suis dis que celui-là était assez cool et qu’il poussait plutôt à la fête”, ricane Gillespie. Weatherall passe deux semaines plus tard la version finale du morceau dans un club de Londres, le très branché Subterania. La moitié de la salle sous emprise des drogues (dont Mick Jones des Clash) lui tombe sur le râble en exigeant de connaître le titre et le nom du groupe. Traînée de poudre : en quelques semaines Primal Scream est à la une des journaux anglais, NME en tête. Alan McGee sort le morceau sur Creation en février 90. Après plus de 100 000 exemplaires écoulés, il décide d’enfermer le groupe en studio pour un deuxième essai. Ce sera Come Together, lui aussi hautement narcotique, qui enfoncer le clou : avec ces deux singles au compteur, Primal est, en août 90,

le groupe le plus hype d’Angleterre. Bobby Gillespie : “Les drogues ont fait beaucoup pour nous. A Londres, tout le monde était sous ecstasy et ça a beaucoup décontracté les gens. Tout le monde dansait sur n’importe quoi, tout était ouvert. Tu pouvais passer d’un morceau soul à un truc house ou rock en quelques instants. C’est comme s’il n’y avait plus d’interdits. Je me souviens d’un soir à Londres avec Andy Weatherall, on voit un type lever les mains au ciel sur un morceau de Phil Collins, In the Air Tonight, possédé. On s’approche et on voit que ce mec, c’est Alan McGee.” McGee confirme : “J’étais en transe, comme si Phil Collins tout entier avait pénétré mon corps. J’étais totalement défoncé. Je crois que le génie de Primal Scream, et de Bobby en particulier, ça a été de comprendre les possibilités que l’ecstasy ouvrait à la musique. L’éclectisme que certains reprochaient à Primal Scream s’est soudain transformé en force. Le plus dur a été de canaliser tout ça, parce qu’on prenait énormément de drogues.” Gardant une moitié de tête sur les épaules, McGee fait jurer aux Primal Scream – en permanence sous ecstasy depuis la sortie de Loaded – de mettre au point un programme de travail réaliste. Le groupe décide de couper sa semaine en deux : du mardi au jeudi, il sera en studio. Du vendredi au lundi, Gillespie et compagnie se défonceront où bon leur semble. “J’ai été impressionné par la façon dont ils ont tenu le truc”, raconte McGee. Le boss de Creation, qui mise gros sur le résultat, envoie les meilleurs producteurs pour aider les Ecossais à accoucher de leur monstre à six têtes. Se succèdent Andy Weatherall, bien sûr, mais aussi les électroniciens de The Orb et surtout le légendaire producteur Jimmy Miller, réalisateur des meilleurs disques des Stones : Beggars Banquet (1968), Let It Bleed (1969), Sticky Fingers (1971), Exile on Main St. (1972) et Goats Head Soup (1973). “J’avais rencontré Miller à New York à un moment où il picolait beaucoup. Il était assez déprimé, il n’avait jamais retrouvé un groupe qui puisse le motiver autant que les Stones. Quand je lui ai fait écouter les maquettes, il est devenu complètement dingue, il voulait à tout prix travailler avec ces mecs”, raconte Alan McGee.

Après avoir sorti deux autres singles, Higher than the Sun et Don’t Fight It, Feel It, le groupe livre enfin son disque à la rentrée 1991. Le résultat est éclatant, tout comme cette pochette inoubliable, sorte d’ectoplasme en forme de soleil sur un fond rouge. Screamadelica capitalise autant sur le versant électronique du groupe que sur ses accents stoniens magnifiés par la production de Jimmy Miller. Movin’ on up et le magnifique Damaged semblent tout droit sortis de la moulinette Jagger/Richards. Lors de la soirée de lancement de l’album, à la Brixton Academy de Londres, le groupe invite Weatherall et offre une fête terrible où la kétamine fait son apparition à Londres : “Je me souviens avoir traversé la salle à un moment où Andy mixait, des dizaines de personnes étaient allongées sur le sol, complètement défoncées, les yeux dans le vide : une scène d’apocalypse.” Disque ambidextre à l’ADN complexe qui refuse de choisir son camp, Screamadelica éclabousse de sa liberté toute une génération d’artistes, qui n’ont désormais plus peur de se retrouver les fesses entre la guitare et le sampler tout en confiant leur destinée musicale aux drogues. Les bleeps et les boucles s’arrangent aux mélodies avec une classe folle – aussi passionnante qu’éprouvante, l’écoute de Screamadelica est à chaque fois une régénérescence totale. Sous substances diverses, elle peut se révéler une expérience sublime et chaotique – selon l’heure et la substance. “Je ne sais pas quelle influence nous avons eue sur les groupes qui sont apparus après nous, mais beaucoup de gens m’ont dit que Screamadelica les avait décomplexés. Je pense autant aux frères Gallagher qui sont venus nous voir à Londres l’an passé quand nous avons joué l’album entier pendant deux soirs – chacun est venu son soir (rires)… – qu’aux mecs des Chemical Brothers ou de Daft Punk qui m’ont avoué adorer le disque. Je suis fier de ce grand écart”, conclut humblement Bobby Gillespie. Album et coffret Screamadelica (Creation/Sony) www.primalscream.org 30.03.2011 les inrockuptibles 57

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de l’icône a L’Image Qui sont Lou Doillon ? Déjà égérie, comédienne et top model, la jeune femme ajoute encore une pièce à son puzzle personnel en portant sur scène un texte de Samuel Beckett dans une performance signée Arthur Nauzyciel. Révélation(s). par Patrick Sourd photo David Balicki

E

gérie du cinéma d’auteur dans les films de son père, top model sur les podiums des défilés et abonnée des séries mode dans les magazines, Lou Doillon découvre le théâtre à travers L’Image, une nouvelle de Samuel Beckett portée à la scène comme une installation d’artiste par Arthur Nauzyciel. Cette étrange confession, où Beckett se remémore le jour de son premier baiser, devient l’occasion pour la fille de Jane Birkin et Jacques Doillon de se questionner sur les avantages et les inconvénients d’avoir à gérer dans la vie sa propre image, surmédiatisée depuis l’enfance. Comment vivez-vous cette nouvelle expérience, faire du théâtre ? Lou Doillon – Il m’arrive parfois d’en rêver. Je me retrouve dans les coulisses d’un théâtre un soir de première. A l’affiche d’un Shakespeare, La Nuit des rois peut-être… Je suis avec Arthur Nauzyciel, mon metteur en scène. Je n’ai pas répété, je ne sais rien du texte, ni pourquoi je suis là, et il me dit : “Vas-y, monte sur scène, tu vas bien réussir à faire quelque chose.” Quand je me réveille, je saute sur mon téléphone pour l’appeler en pleine nuit et lui raconter mon rêve. Nous rions ensemble de mon inconscient et de mes angoisses. Comment s’est passée votre rencontre avec Arthur Nauzyciel ? De mon côté, ce fut le coup de foudre. Le rendez-vous était organisé par des gens du cinéma qui avaient décidé de se mettre au théâtre, ce qui au final peut s’avérer très dangereux. Durant notre rencontre, je voyais Arthur s’agacer de plus en plus, une attitude qui me l’a rendu

tout de suite très sympathique. Au final, il nous a expliqué qu’il n’était pas question pour lui de faire un coup avec moi. Tandis que je voyais la petite bande qui m’entourait se renfrogner et se dire “laissons tomber, ça va être trop compliqué, allons voir les théâtres sur les Champs-Elysées”, j’ai tout de suite pensé : “je veux travailler avec ce type, c’est quelqu’un qui m’aime, il a compris immédiatement que le pire serait de me mettre en scène dans un rôle où l’on m’attend.” Lui, il s’est contenté de dire non, et de poser ses conditions… “Tu feras partie d’une troupe, tu te mettras au service d’un texte et tu prendras un train en deuxième classe pour venir répéter à Orléans”, où il dirige le Centre dramatique national. Depuis ce jour-là, je ne l’ai pas quitté et je prends un réel plaisir à travailler avec lui. De quelle manière abordez-vous le métier d’actrice ? J’ai eu une enfance atypique. Du point de vue de l’art et de la création, je me suis construite sur une culture composée de films d’une durée minimum de deux heures trente avec des plans très longs. Enfant, je regardais principalement le cinéma d’Ozu et celui de Bergman. Je n’ai découvert Star Wars qu’à l’âge de 17 ans. Le côté très protestant de mon père m’a amenée à envisager avec beaucoup de distance le travail d’acteur. Pour mon père, l’important est d’être toujours dans la retenue, jusqu’à ce que ça craque peut-être, mais sûrement pas dans l’hystérie gratuite. L’antithèse de l’esbroufe et de la méthode de l’Actors Studio. Je ne supporte pas les films qui m’épatent, ça me met rapidement mal à l’aise, j’ai envie qu’on me laisse venir vers l’œuvre. On le voit avec le drame qui se passe au Japon. La raison pour laquelle on craque en regardant les infos, c’est parce qu’on est devant des

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“depuis que je suis née, je ne rencontre jamais personne normalement, tout le monde a un a priori sur moi”

Chez elle, mars 2011

personnes d’une extrême dignité. On a tellement l’habitude de voir des gens en larmes, hurlant et braillant leur douleur. Ça nous met dans une position de recul et de presque neutralité. Là, tout à coup, avec le drame japonais, chacun est dans la retenue. On a presque honte des questions posées par les intervieweurs. Ces personnes qui ont tout perdu se contentent de baisser la tête et c’est là que l’on se met à pleurer. C’est votre première expérience sur une scène ? Pas vraiment. J’ai commencé par me mettre en scène toute seule. Un spectacle de lecture qui s’appelait Lettres intimes. Durant trois mois, au Théâtre de la Madeleine à Paris puis ensuite en tournée, je lisais la correspondance amoureuse de personnages célèbres, de Céline à Maupassant ou Napoléon Bonaparte. En abordant la case théâtre, je ne voulais pas que ce soit facile. Je me suis donné la contrainte d’improviser entre chaque lettre et j’avais décidé de rester en contact avec

le public en laissant les lumières allumées dans la salle. Puis j’ai fait une performance sur Catherine Millet et Dalí, où Michel Didym cassait des œufs sur moi. L’Image de Samuel Beckett n’est pas un texte de théâtre… C’est un texte très bizarre, une nouvelle écrite par Beckett dans les années 50. Un cauchemar pour un acteur, la chose la plus compliquée que j’aie jamais faite de ma vie. Un texte rempli de pièges où l’auteur s’amuse à réutiliser le plus souvent possible les mêmes mots pour exprimer des sens différents à travers une seule phrase qui se déroule sur quatorze pages. Là sont la beauté et l’intelligence du texte. Impossible de se mettre en pilotage automatique. Quel est le sujet de la nouvelle ? C’est le récit d’un premier baiser, le souvenir d’une première émotion. Beckett nous fait revivre son premier rendez-vous amoureux. Ou comment travailler 30.03.2011 les inrockuptibles 59

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La création du spectacle à New York, en 2008

Andrea Mohin/The New York Times-Redux/REA

“le texte de Beckett est un cauchemar pour un acteur, la chose la plus compliquée que j’aie jamais faite”

sur le verbe et comment faire renaître des images enfouies dans la mémoire. C’est un texte qui explique la fabrique des images et se pose la question de rendre compte du réel avec des mots. Beckett a un tel souci de la précision qu’il ne peut se laisser arrêter par une ponctuation en cours de route. Au final, c’est très émouvant, plutôt drôle et assez pathétique… Le pathétique des adolescents engoncés dans leur corps jusqu’à ne plus savoir quoi en faire. La proposition d’Arthur Nauzyciel tient plus de l’installation d’artiste que de la pièce de théâtre… Le grand danger aurait été de tomber dans l’illustration. Arthur a conçu le spectacle comme une série de partitions qui se jouent sur un vrai gazon, face au public et en pleine lumière. Il y a une performance de musique électronique conçue par l’Anglaise Mileece, une chorégraphie du danseur Damien Jalet et moi, j’ai en charge de dire le texte. Ce qui est émouvant, c’est qu’au final ces trois-là ne se rencontrent jamais. Ils se ratent comme Beckett rate son rendez-vous d’amour. Comment négociez-vous au théâtre avec vos diverses images, celles d’actrice de cinéma, de top model ou d’égérie pour les photographes et les marques ? C’est une des raisons pour lesquelles Arthur m’a choisie : il était curieux de voir comment je pouvais mettre en abyme toutes ces images de moi. Ce qu’il adore chez moi, c’est que je suis la reine du grand écart. J’ai la bizarrerie et la chance d’être née franco-anglaise et aristo-bourgeoise du côté de ma mère, tandis que mon père alsacien-allemand est le fils d’une femme de ménage. Petite, ma mère voulait absolument que je m’adapte et me sente bien partout. D’ailleurs, les gens sont restés sur une idée d’elle très années 70 que je n’ai jamais connue. Birkin dans les années 80, c’était avant tout le théâtre avec Pierre Dux, Pierre Arditi et Patrice Chéreau. Pareil pour mon père, son cinéma est à l’opposé de l’industrie. Sur le plateau, on est au maximum six à tout faire, de la lumière à la pose du gaffeur. De plus, quand j’étais enfant, mon père et ma mère étaient obsédés par l’humanitaire. On partait souvent faire des petits films pour Amnesty International avec Piccoli et toute cette bande. Je me suis retrouvée au Guatemala avec des petites filles pendues quand j’avais 8 ans. Deux mois sur les bateaux des boat people avec Jacques Perrin, entourée par des enfants mourants. J’ai un rapport très bizarre avec l’image que l’on se fait de la notoriété de mes parents et celle

que les gens ont de moi. Paradoxalement, je ne vais presque jamais au cinéma alors que je suis toujours fourrée au théâtre. Je suis passionnée par l’histoire, j’ai toujours la tête dans les bouquins, je dévore les livres sur la Commune et la Révolution française. Comment gérer le côté enfant de stars ? Au fond, en me proposant de jouer L’Image, Arthur s’amuse de cet état de fait. Je suis un peu sa bête de foire. Au début du spectacle, je reste quinze minutes debout sans parler. Chaque soir, j’observe la façon dont les gens me regardent. Est-ce que je ressemble à ma mère, à Charlotte, à mon père, est-ce que c’est vraiment mon père et jusqu’où je suis la fille de ma mère ? Je le ressens comme un bombardement d’images surréalistes. Depuis que je suis née, je ne rencontre jamais personne normalement, tout le monde a un a priori sur moi. Il y a quelque chose d’étrange à n’être jamais neutre pour les gens. Après, je lis des choses incroyables sur moi dans les magazines, que je passe mes soirées au Costes, que j’ai un nombre incroyable d’amants, alors que je passe ma vie chez moi à lire, à faire de la peinture. Je suis la preuve vivante de l’absurdité du monde d’aujourd’hui et de jusqu’où l’on peut fantasmer une image. Plus jeune, j’en ai souffert. Mais aujourd’hui, j’ai ma vie et je m’amuse plutôt de l’écart entre ce que je suis et la façon dont on me voit. Je trouve assez drôle d’observer comment le fantasme de cet animal un peu fou et sauvage qui me colle à la peau se développe et grandit tout seul dans les médias et l’imaginaire des autres. Vous avez créé le spectacle à New York. Le spectacle a été créé en 2000 avec Anne Brochet pour le centenaire de Beckett à Dublin. Anne n’étant pas libre, j’ai repris son rôle pour sa recréation dans le cadre de Crossing the Line, à New York, en 2008. C’était magnifique car on jouait à la tombée du jour sous une verrière située au dernière étage d’un immeuble uptown avec une vue sur toute la ville. A l’époque, d’ailleurs, j’ai beaucoup fait rire Arthur pour ce qui est de ma faculté d’adaptation. Comme nous répétions pendant la fashion week, je pouvais défiler le matin habillée en haute couture et me retrouver quatre heures plus tard à travailler Beckett en jean et T-shirt, puis assister le soir à un colloque sur l’humanitaire. Vos projets à venir ? Nous avons plusieurs projets de théâtre dont celui de monter un spectacle autour de l’auteur et poétesse américaine Dorothy Parker, pour laquelle j’ai une vraie passion. Au cinéma, je vais faire un film avec mon père qui a pour titre Un enfant de toi. Je suis ravie car ça fait onze ans que je le tanne pour que l’on tourne à nouveau ensemble. L’Image de Samuel Beckett, mise en scène Arthur Nauzyciel, du 12 au 16 avril à La Ménagerie de verre, Paris XIe, dans le cadre du festival Etrange Cargo, www.menagerie-de-verre.org

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made in Normandie

pleins feux sur la Normandie

Photo Marc Domage

Les souvenirs d’enfance au Havre de Vikash Dhorasoo, la scène rock du Calvados et de la Manche, le festival Danse d’ailleurs mené par les chorégraphes Héla Fattoumi et Eric Lamoureux à Caen, le projet de parc éolien offshore au Tréport, les échanges rouennaismaoris, les projets de Laurent Fabius pour la SeineMaritime… Voici quelques-uns des sujets qui rythment ce supplément de 32 pages consacré à la Normandie où Les Inrocks sont allés à la rencontre de celles et ceux qui font bouger la région.

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Présentée jusqu’au 28 avril dans l’ancienne bibliothèque des sciences de l’université de Caen, Ecarlate (2004), installation signée Virginie Barré. Collection Frac Basse-Normandie

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Un des premiers matchs avec les poussins du Havre Caucriauville sportif en 1981

mon enfance au 34, rue Camélinat Né à Harfleur en 1973, Vikash Dhorasoo raconte le quartier havrais de Caucriauville. De ses années d’insouciance, d’avant l’adolescence et la crise, il garde un souvenir précis et ému. texte et archives photo Vikash Dhorasoo II les inrockuptibles 30.03.2011

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L’équipe des poussins du HSC au tournoi de Dieppe

Ci-dessus, à 4 ans, à l’école maternelle. Ci-contre : première licence pro

C t

aucriauville, la ville haute, le quartier populaire du Havre. Je me souviens de tout. Les arcades, la tour “réservoir” haute de vingt étages et cette rue du 8-Mai-1945 qui accueillait régulièrement les courses-poursuites entre flics et petits caïds de quartiers. L’endroit était parfait pour ce genre d’exercices. Ma tour à moi est rue Camélinat, au numéro 34. L’HLM familiale se trouve au septième étage, le dernier, et elle ressemble à n’importe quelle HLM. Elle est petite, mais dedans c’est la belle vie. A la maison, il y a souvent du monde. On parle créole, on mange mauricien, on danse le séga, le folklore mauricien, et on regarde les films

de Bollywood, sur le petit téléviseur. La communauté mauricienne est chez elle à la maison. Mon père, Manduth, a été président du “Club dodo”, qui fait la fierté des trois cents familles mauriciennes débarquées au début des années 70 pour travailler sur les chantiers navals. Lui-même travaille là-bas, il est tuyauteur sur des bateaux chargés d’amiante. Les potes de boulot défilent chez nous. Le travail agit comme un véritable lien social, mon père ne parle pas français mais est parfaitement intégré. Nous sommes au début des années 80 et le mélange, la mixité, cela fonctionne vraiment. La peur des étrangers arrivera plus tard. Nous, les enfants, on apprend. A cet âge-là, apprendre c’est s’amuser. L’école Edouard-Vaillant, dirigée

sur le terrain de gravier, j’enchaîne les feintes, évite les merdes de chiens, le bac à sable, le tourniquet et les racines des arbres qui éclatent le sol d’une main de maître par M. Vieux, n’est pas très loin. Le matin, c’est un plaisir de se lever et de filer retrouver les amis, les maîtres dévoués, Melle Lemonnier ou M. Moi. J’adore l’école, j’adore être à l’école. A 16 h 30, les grands frères récupèrent les petits. Le mien, Vipin, m’oublie une fois sur deux, alors je rentre souvent seul jusqu’à l’appartement. Une nouvelle journée commence. Mes potes Fabian et Louis-Serge, dit “Crevette” à cause de son physique squelettique, m’appellent par la fenêtre pour descendre. Moi, mon surnom, c’est Vishnu. Un match de foot se prépare. Il y a aussi mon frère Nanou, Christophe, Leblond, Lebon Paillette et tous les autres… Sur le terrain de gravier, j’enchaîne les feintes de corps. J’évite les merdes de chiens, le bac à sable, le tourniquet et les racines des arbres qui éclatent 30.03.2011 les inrockuptibles III

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L’équipe minime du Havre Athletic Club en 1986

1981 : photo souvenir d’un match en lever de rideau de l’équipe professionnelle, au stade Jules-Deschaseaux du Havre

bio express Originaires de l’Etat d’Andhra Pradesh, dans le sud de l’Inde, ses parents ont vécu à l’île Maurice avant de venir s’installer en Normandie. Vikash Dhorasoo est né à Harfleur, en 1973. Il a été formé au Havre Athletic Club, où il a fait ses débuts dans le foot pro en 1993. Il a ensuite joué à l’Olympique Lyonnais, aux Girondins de Bordeaux, au Milan AC et au Paris SaintGermain. Milieu de terrain doué, sélectionné à dix-huit reprises en équipe de France, il a pris sa retraite en 2007, année où sort en salle Substitute, film coréalisé avec Fred Poulet, qui raconte son expérience de remplaçant lors de la Coupe du monde en Allemagne l’année précédente. Aujourd’hui, il partage son temps entre les tournois de poker, l’émission 100 % foot de M6 et l’écriture d’articles pour So Foot. Il a également fondé sa boîte de production, Trompe le monde (titre d’un album des Pixies). Il a pour projet de produire le long métrage d’un réalisateur indien. En attendant de racheter le HA C ! Marc Beaugé

à chaque déplacement, les parents s’organisent. Au bord du terrain c’est casse-croûte, apéro et le père de Crevette qui crie : “Vas-y les Bleus !” le sol. Surtout, j’essaie de ne pas rentrer dans le gardien d’immeuble, qui passe de temps en temps pour nous virer du seul terrain de jeu à notre disposition. Mais le club du quartier, le Havre Caucriauville sportif (HCS), ne veut pas de moi. Je suis trop petit, paraît-il. Peut-être trop indien aussi. Alors je continue à jouer devant ma tour sous l’œil de nos seuls spectateurs, un couple de vieux scotchés au rebord de la fenêtre. Ils aiment nous voir courir, crier, vivre. Je continue à dribbler des Blancs, des Noirs, des Arabes, des grands, des petits, même quelques filles parfois. Puis, à 7 ans, en 1980, le père de Fabian, dirigeant au HCS, me fait enfin signer une licence. Contre l’avis des autres. Peu importe, c’est parti. J’ai un maillot bleu, mais il est un peu trop clair. Alors Mme Tocques, la mère de Nicolas, notre capitaine, m’achète le bon maillot et me l’offre. Dans la foulée, mon oncle Das m’achète des chaussures de foot de la marque Patrick, belles, magnifiques même. J’en prends soin, je les dorlote. A présent, je joue partout et tout le temps. Le mercredi, entraînement en club au stade Jules-Ladoumègue.

Le samedi, match. Le midi, dans la cour de récré de l’école Edouard-Vaillant. Le soir, en bas de l’immeuble. Et quand il pleut, on joue dans une cage d’escalier avec une boule de papier aluminium. Avec le HCS, on fait des éliminatoires, des tournois interquartiers, et voilà que le foot me fait traverser la rue. Je découvre les autres quartiers populaires du Havre : Mont-Gaillard, Sanvic, La-Mare-Rouge. Les quartiers bourges, le centre-ville, je les connaîtrai plus tard, pendant l’adolescence. Bientôt, je sors de la ville et je joue contre Gonneville, Goderville, ou Saint-Romain et même Dieppe, à quatre-vingts kilomètres du Havre. Une fois, je joue à Lillebonne, sous le pont de Tancarville. C’est la campagne, les gosses de là-bas sont plus calmes, moins vicieux, plus bourrins. On gagne 6-0, on gagne tous nos matchs 6-0. A chaque déplacement, les parents s’organisent. Trois ou quatre voitures, et en route. Au bord du terrain, c’est casse-croûte, apéro et le père de Crevette qui crie : “Vas-y les Bleus !” Puis c’est le grand voyage pour un match de coupe nationale poussin, organisée par la Vache qui rit. On traverse le pont pour aller jouer dans la banlieue

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Alexandre Guirkinger

Ci-contre : chez lui, à Paris, en 2011. Ci-dessus : à 9 ans, au Havre, avec le trophée du meilleur joueur du tournoi des Tréfileries que son équipe a remporté

de Rouen, à soixante kilomètres du Havre. On bat le HAC (Havre Athletic Club), puis on perd en demi-finale contre Oissel. C’est la première grande désillusion. Ils sont moins forts que nous, et pourtant… C’est ça le foot ! C’est dur, c’est violent. Dans la voiture, sur le chemin du retour, je pleure. Adieu le Parc des Princes. Il paraît que c’est à Paris, encore plus loin. Ma mère ne veut pas laver mes affaires pleines de boue, elle n’aime pas encore le foot. Alors, parfois, pour lui faire plaisir, on change de sport. On joue à cache-cache dans les caves communicantes de la cité, imaginées par l’architecte Auguste Perret, qui a redessiné tout Le Havre après la guerre. On fait aussi des coursespoursuites dans les escaliers, on joue aux billes avec les Chinois. De temps en temps, on joue au tennis derrière l’immeuble, sur le parking qui mène au centre équestre de la forêt de Rouelles, réservé aux plus riches. Une fois ou deux, on passe par un trou dans le grillage pour entrer au Havre Tennis Club. On s’échappe ensuite vers le château de la Comtesse, gardé par deux bergers allemands. Trop risqué pour moi. Et puis la crise arrive et le chômage avec. Nous sommes en 1982 : le deuxième

choc pétrolier, consécutif à la guerre Iran-Irak, commence à faire mal. Les pères ne vont plus travailler. Un jour, le mien revient du boulot quelques minutes seulement après être parti. C’est le chômage technique. L’Audi 80 dans laquelle toute la famille, sept personnes, avait l’habitude de s’entasser, sans ceinture, ne quitte plus le parking de la cité. Petit à petit, les visages se ferment, les rapports se tendent et tout se dégrade. Plus personne ne s’amuse dehors. La fenêtre et les volets des vieux restent à présent fermés. L’ascenseur tombe en panne, la minuterie ne marche plus, un sadique traîne dans les caves et la cage d’escalier commence à sentir la pisse. On y retrouve parfois des seringues. Mes sœurs ont 13, 14 ans et pour elles, la liberté s’est déjà envolée. Les gens s’enferment chez eux. Pour moi, Caucriauville, c’est fini. La famille Dhorasoo quitte le petit immeuble de la rue Camélinat pour Aplemont, le quartier d’à côté. Nous emménageons dans un petit pavillon à retaper. Nous sommes en 1983, et très bientôt, je signerai ma première licence au HAC, le grand club de la ville. 30.03.2011 les inrockuptibles V

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le rock normand dans tous ses états Da Brasilians, The Lanskies, The Dadds : la Basse-Normandie est plus riche que jamais en jeunes groupes pop et en formations rock. Panorama d’une région fertile et dynamique. par Johanna Seban VI les inrockuptibles 30.03.2011

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The Lanskies

Maxence Debaker

parallèlement au rayonnement de Saint-Lô, Caen dévoile un dynamisme rock grâce notamment à la création du Cargö

ongtemps, quiconque souhaitait écouter des groupes de pop en Basse-Normandie devait se rendre à Saint-Lô. Préfecture du département de la Manche, cette cité de 20 000 habitants volait il y a cinq ans encore la vedette à sa voisine Caen, plus grande mais davantage ancrée dans une tradition rock, reggae ou electro. Mieux encore, Saint-Lô affichait l’un des plus forts taux de formations indie-pop au mètre carré du pays. Leurs noms irradient régulièrement les colonnes de la presse musicale : Belone, The Lanskies, Da Brasilians, The Fuck, The Dadds, Pink Fish… Un dynamisme qu’explique le peu d’infrastructures culturelles de la ville, son isolement et son climat : pour vaincre l’ennui, les jeunes ont le choix entre monter à cheval – Saint-Lô est la capitale normande

L

de l’équidé – et brancher une guitare. Ville stratégique des Allemands pendant l’Occupation, Saint-Lô est bombardé par les Américains dans la nuit du 6 au 7 juin 1944. Des tracts destinés à prévenir la population sont jetés du ciel la veille mais déviés par les vents. Les bombardements font plus d’un millier de victimes et détruisent la ville à 95 %. Reconstruite après la guerre, Saint-Lô affiche aujourd’hui une architecture sans charme et un grand vide culturel. “Il suffit d’y passer une journée pour comprendre qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que de monter un groupe”, explique Benoît, bassiste des Da Brasilians, formation emblématique de la scène locale, désormais installée à Paris. Le vieux haras de Saint-Lô a survécu aux bombes : ce sont dans ses murs que se situe la salle du Normandy. Œuvrant, au début des années 90, pour la scène indie-rock via le festival disparu Les Remparts du Rock, l’association Les Enfants de la crise fait de Saint-Lô la capitale pop de la région. Et quand la municipalité décide en 1995 de faire du haras un Centre national du cirque, les groupes locaux se réunissent et improvisent une manifestation-concert à la mairie. Le Normandy reste donc une salle rock, dirigée par Nicolas d’Aprigny, ex-chanteur des Empty Bottles, ancien groupe culte de la ville. Outre la programmation pointue (April March, Scissor Sisters, Zita Swoon, Mando Diao, Au Revoir Simone, Gonzales ou Foals y sont passés sur sa scène), la salle favorise l’émergence d’une scène locale. Les soirées Début de siècle s’y organisent chaque année : les groupes de Saint-Lô montent sur scène pour reprendre les titres des artistes qui les ont influencés. Des formations s’y mêlent et s’y créent. “Il y a un côté un peu chauvin ici, explique Nicolas d’Aprigny. Les gars de The Buzz sont influencés par les Lanskies. Ceux de The Fuck vont vous dire que le meilleur concert de leur vie fut celui des Da Brasilians.” Récemment, le jeune Ambroise Carrière fonde à Saint-Lô la structure Annoying Success Label pour développer l’accompagnement des groupes du coin. Son label soutient cinq groupes (Born In Alaska, Pink Fish, The Fuck, B-Ass et The Guest) et organise des concerts au V&B, un espace mi-magasin, mi-bar, dédié au vin et à la bière et situé à Agneaux, commune voisine de Saint-Lô. Parallèlement au rayonnement de Saint-Lô, Caen dévoile un vrai dynamisme rock, dû notamment à la création d’une nouvelle salle de concerts, le Cargö. Ouverte en 2007, cette Smac (Scènes de musiques 30.03.2011 les inrockuptibles VII

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Da Brasilians

actuelles) complète le beau travail de son voisin, le Big Band Café d’Hérouville-Saint-Clair. La prochaine édition de son excellent festival annuel Beauregard réunira The Kooks, Gaëtan Roussel, Agnes Obel ou Kasabian. Installé derrière la gare, le Cargö, dirigé par Christophe Moulin (directeur du festival electro Nördik Impakt), s’inscrit dans un programme global de réaménagement du quartier de la Presqu’île : la salle se situe entre le bâtiment des beaux-arts, les Ateliers intermédiaires (réunissant des collectifs de théâtre) et La Fermeture Eclair, confiée à l’association artistique Amavada et qui devrait ouvrir ses portes début avril. Outre la diffusion de concerts, le Cargö accompagne de jeunes groupes locaux, notamment via les studios d’enregistrement que la Smac met à disposition pour eux 24 heures sur 24. Damien Maurice, responsable de cette activité, résume : “La salle mythique du GeorgesBrassens a fermé en 1997. Il a fallu attendre dix ans pour que le Cargö ouvre ses portes. La Smac a permis à la scène locale de se développer. En Basse-Normandie, on référence 450 groupes avec une vraie activité de diffusion, dont 300 sur l’agglomération caennaise.” Parmi eux, les noms de Concrete Knives, The Lanskies, Chocolate Donuts, Macadam Club, The Shellys ou Manatee sont à retenir. Ils succèdent à Gablé et à Orelsan, des enfants du pays autrefois soutenus par le Cargö, qui se sont depuis offert des carrières au niveau national et à l’étranger. De nombreuses associations, comme Freaky Tunes, AMC & Les Tontons tourneurs, Buzz Production, De l’Ouïe dans l’Air ou même la drôlement nommée Pommeau-Teurgoule-Débarquement complètent ce travail de dynamitage de la scène locale. L’une d’entre elles, Happy Daymon, avait eu la bonne idée de fonder une chorale réunissant sept groupes de Caen : We Are Pop.

Si, la chorale de plus de trente musiciens n’existe plus, la ville de Caen a devant elle de belles soirées sonores. Les concerts en appartement s’y multiplient, et les jeunes pousses y préparent leur conquête du monde : pas moins de quatre groupes bas-normands égayèrent la dernière affiche des Trans Musicales de Rennes. Quant au prix Mediator, concours organisé cette année par Ouest France et auquel ont participé 625 groupes de l’Ouest français, il confirmait la tendance. Trois des dix lauréats figuraient parmi les groupes de la maison Cargö : Born In Alaska, Chocolate Donuts et Concrete Knives.

ça frétille d’Evreux à Rouen Si la région caennaise affiche une vitalité rock nouvelle, les choses changent aussi en Haute-Normandie. En novembre 2010, Rouen voyait s’ouvrir le 106, nouvelle salle de musiques actuelles, à quelques encablures du futur écoquartier du pont Flaubert. Une salle de 1 100 places, une autre de 320, un studio radio et des studios de répétition mis à disposition des groupes permettent à la salle de développer ses axes d’activités : diffusion de concerts, accompagnement de groupes locaux et missions d’action culturelle avec les écoles, les associations, etc. Dans l’Eure, les musiques actuelles ont aussi de belles

soirées en perspective : la vingt-huitième édition du Rock dans tous ses états vient de dévoiler ses premiers noms (Tiken Jah Fakoly, Architecture In Helsinki, Razorlight), tandis que le projet d’une nouvelle salle de musiques actuelles, porté par la mairie d’Evreux, a été confirmé. Prévue pour l’automne 2013, cette Smac devrait prolonger le travail réalisé par la salle de l’Abordage via la création de studios de répétition et d’enregistrement, ainsi que le développement d’activités avec les acteurs culturels locaux, comme la radio associative Principe Actif. Les travaux débuteront dans quelques mois.

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Wilfried Lamotte

un havre rock de moins Le Cabaret Electric, salle de musiques actuelles du Havre, ferme le 30 juin. Entretien avec son directeur Philippe Renault. par Johanna Seban Pouvez-vous rappeler l’histoire du Cabaret Electric ? Philippe Renault – Le Cabaret Electric comprend une salle de concerts d’une capacité de 450 personnes, un bar, des studios de répétition mis à disposition des groupes du Havre. Nous en accueillons près de 300. Situé en centre-ville, il est, depuis 2006, géré par l’association L’Iguane, dans le cadre d’une délégation de service public de la ville du Havre. Elle prend fin cette année, et la salle fermera ses portes le 30 juin. Pourtant, les chiffres jouaient en notre faveur : 90 % de fréquentation pour notre activité culturelle. Sans parler de l’accompagnement des groupes locaux. Quelles sont les raisons invoquées pour justifier cette fermeture ? Le Cabaret Electric est situé, comme le Volcan, sur l’Espace OscarNiemeyer : le bâtiment est vieux et doit être remis aux normes. Dans le cadre de cette rénovation, la ville du Havre a décidé de récupérer l’espace occupé par le Cabaret Electric pour l’implantation d’une grande médiathèque de 4 000 mètres carrés. Il y a une politique de grands travaux au Havre et les musiques actuelles ne semblent pas

les élus aiment bien mettre les musiques actuelles dans des forts : ça fait moins de bruit

être la priorité. On parle surtout du tramway, de la tour Jean-Nouvel, d’un stade de football… Quel avenir cette décision laisse-t-elle entrevoir pour les musiques actuelles au Havre ? La ville évoque le travail du Magic Mirrors, un chapiteau installé sur le quai des Antilles. L’endroit peut accueillir 1 000 personnes, quand la capacité du Cabaret Electric reste de 450 personnes : ce ne sont pas les mêmes spectacles, ni le même public. Par ailleurs, la gestion du Magic Mirrors a été confiée à un promoteur privé : cela n’a rien à voir avec notre démarche, qui relève du service public. La ville envisage aussi un autre projet de salle de concerts, baptisé Tetris, sur le fort de Tourneville. Mais il ne devrait pas voir le jour avant 2013. L’équipe du Cabaret n’a pas été concertée… Les élus aiment bien mettre les musiques actuelles dans des forts : ça fait moins de bruit, ça dérange moins. Il y a peu, lors d’un rendez-vous avec la mairie, notre activité a été associée à celle des boîtes de nuit… Quelles sont les conséquences directes de cette fermeture ? Pour l’équipe, le verdict est sans appel : sept personnes en CDI vont être licenciées, trois CDD ne seront pas reconduits. On a le sentiment qu’il y a une volonté politique de nous écarter du centre-ville. Sans doute pour rassurer la population qui y est probablement plus aisée que celle de la périphérie. www.cabaretelectric.fr 30.03.2011 les inrockuptibles IX

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made in Normandie

quinze groupes à suivre Des couteaux pointus à Flers, une actrice hitchcockienne et des donuts à Caen, des natifs d’Alaska et des poissons roses à Saint-Lô : en Normandie, on a le sens de l’évasion. par Johanna Seban

Belone Copains des Da Brasilians, ces Saint-Lois, dans la place depuis plusieurs années, jouent une pop pétillante et lumineuse, à la croisée des Beach Boys et de Phoenix, au carrefour de la Normandie et de la West Coast californienne.

Chocolate Donuts Un nom sucré et enfantin pour ces jeunes Caennais, déjà maîtres dans l’art de parler aux gambettes avec des bombinettes rock tendues et radieuses. “Dansez à mon enterrement”, dit un de leurs titres : on va se gêner.

Born In Alaska Born In Alaska dans le titre, mais nés à Saint-Lô dans la vraie vie : ces Normands, improbables héritiers de Sigur Rós et des Apartments, distillent une pop atmosphérique et font du ciel le plus bel endroit de la terre.

The Shellys

The Clockwork Of The Moon

Belone

Born In Alaska

Les Fleet Foxes et les Dodos n’en finissent pas d’assurer leur descendance : dans le Calvados, une joyeuse chorale folk, qui a arrêté de se couper les cheveux il y a un petit moment, dévoile des hymnes bucoliques et polyphoniques, comme échappés du désert californien.

Pink Fish Bercés par le rock de The Rapture et des Strokes, les quatre jeunes hommes de Pink Fish ont grandement contribué au dynamisme de la scène saint-loise. Fort d’un premier ep remarqué, le groupe entend bien partir à la conquête du pays avec, dans sa besace, une brochette de grenades rock-uptight qui pourrait les sacrer rois de France.

The Guest

De jolis visuels à l’américaine ornent leurs pochettes à palmiers et coucher de soleil. Les Shellys viennent de Caen et rédigent un chapitre coloré de l’histoire de la pop : guitares mélodiques, refrains rose bonbon et chœurs mixtes anti-spleen appris chez leurs modèles Scissor Sisters ou El Presidente.

Moyenne d’âge des membres du groupe : 20 ans. Ville d’origine : Saint-Lô. Biberonnés aux tubes de Bloc Party et The Rapture, les gandins de The Guest font sa fête à l’electro-rock. Leur nom de groupe est imparable : il leur garantit une place sur tous les billets de concerts de l’histoire du rock.

Beataucue

Concrete Knives

Repéré par l’écurie Kitsuné, le duo normand ne se contente pas d’avoir un des noms les plus cocasses du paysage français. Il donne aussi une irrésistible leçon de débauche sur le dance-floor avec ses hymnes electro ludiques. Boys Noize et Brodinski sont fans.

Souvent décrits comme de jeunes cousins des B-52’s, les Concrete Knives viennent de Flers. En joyeuse et mixte chorale, le groupe déballe des pop-songs radieuses au fort pouvoir rafraîchissant. Certaines ont tout pour devenir des tubes.

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Kim Novak saint-loise, ces quatre Normands, dont un échappé des Lanskies, se décrivent comme de fortes personnalités dépotant un post-punk à rendre malade un reggaeman coutançais.

Les Kitschenette’s

Kim Novak Forts d’albums enregistrés avec des collaborateurs d’Emilie Simon, d’Arcade Fire ou d’Alamo Race Track, les Normands dévoilent un rock capiteux, d’où surgissent les ombres cold-wave de Joy Division et de vibrants hommages au Velvet Underground.

Manatee

Manatee

Un nom emprunté à un fleuve américain et à un titre d’Animal Collective : le trio Manatee, fondé sur les cendres du groupe Norman B, marche dans les pas d’Arcade Fire avec une brochette d’hymnes tendus et orchestrés. Son passage à Rennes en décembre fut une des belles surprises du dernier festival des Trans Musicales.

The Fuck Ils se produisaient récemment en première partie d’un de leurs maîtres, Peter Hook. Grands frères de la scène

Un groupe de Saint-Lô qui chante en français ? Eh bien si. Entre chanson sixties, garage et pop rétro, les Kitschenette’s convoquent Nino Ferrer, Ronnie Bird, Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot sur des chansons d’Austin Power-pop.

Wine Pas Iron And Wine, Wine tout court : basé à Caen, ce groupe rédige un élégant chapitre de folk-rock, sous influence Cat Power et PJ Harvey. Sauvages et brutes, sensuelles et aériennes, ces folk-songs titillent le cœur et hérissent le poil.

Jesus Christ Fashion Barbe Bien chouette nom pour ce groupe aperçu récemment aux festivals des Trans Musicales de Rennes et de Nördik Impakt à Caen. Prônant le “lo-folk’n’roll”, la troupe joue dans les faits des pop-songs sapées pour squatter l’encéphale. A la fois capiteuses et ludiques, tendues et savamment décontractées du couplet, elles pourraient bien valoir à leurs auteurs un très prochain succès national. 30.03.2011 les inrockuptibles XI

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voici la ville Sur son troisième album, Vincent Delerm rendait hommage à Rouen sur un morceau ainsi titré. Il se prête ici au jeu de l’abécédaire pour un inventaire des mythologies locales. Des jardins de l’hôtel de ville à Kiloshop, de l’Armada à l’Armitière. illustration Marion Pinell

a – Armada de Rouen Manifestation réunissant tous les cinq ans des voiliers de tous pays et permettant à des mineures de tous les villages des environs de mettre au monde un bébé portoricain neuf mois plus tard.

b – Bateau ivre Bar à chansons avec scène ouverte le jeudi. Bon paquet de bières Jenlain commandées là-bas, de versions d’Hexagone massacrées, de valseshésitations au moment de monter sur scène pour chanter ses trucs à soi et puis non.

de l’équipe de Rouen. Leur classement à la mi-saison est généralement assez dédiabolisant lui aussi.  

e – Exo 7 Boîte mythique de Petit-Quevilly où se déroulaient, à la grande époque, les concerts pop-rock “debout”. Souvenir de Perry Blake se pointant sur scène devant vingt-cinq personnes, annonçant que son producteur venait d’annuler toute la tournée, que du coup il était venu sans son groupe mais avec un guitariste honorer cette dernière date. Assis tous deux sur leur chaise en plastique face à l’Exo 7 vide, à quoi pensaient-ils pendant ces deux heures de concert magnifique ?

Un de leurs couples vedettes habitait près de chez moi. Et quand je les voyais acheter leur Moltonel épaisseur triple à la supérette, leur cape mauve en prenait un coup.

h – Hockey sur glace Les grandes municipalités françaises investissent généralement dans un sport phare pour le bon rayonnement de leur ville à l’extérieur. Ici, ils ont tout misé sur le hockey sur glace. Alors nous avons un très bon club de hockey sur glace. Super.

i – Isneauville

Formidable fête foraine se déroulant en novembre sur les quais. Mais rive gauche. L’Armada, c’est rive droite.

Destination privilégiée (avec Darnétal et Bonsecours) des véhicules d’auto-école. Ce qui, au regard de la fréquentation des rues entre 11 h et midi, n’est pas une manière très compétitive de préparer un automobiliste à s’en tirer place de l’Etoile le jour où ça se présentera.

d – Diochon (Robert)

g – Gothiques

j – Jardins de l’hôtel de ville

Nom du stade de foot qui dédiabolise pas mal le surnom de “Diables rouges” prêté historiquement aux joueurs

Colombages, caves voûtées et pluviométrie de rêve : Rouen est une ville très sympa pour les gothiques.

Jardins d’atmosphère britannique tellement appréciés qu’on préférera leur consacrer notre J plutôt qu’à

c – Cinéma nordique Très beau festival de cinéma qui, pour la première fois depuis 1988, n’a pas lieu en 2011. Juste l’année où on m’avait demandé de faire partie du jury. L’Armada est maintenue.

f – Foire Saint-Romain

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made in Normandie pas pour autant leurs amis à s’y promener en amoureux. La ville de Mont-Saint-Aignan et son campus universitaire, c’est un peu ça pour moi. C’est également le titre d’une très belle chanson d’Allain Leprest, qui a passé son enfance là-bas.

n – “Non-c’est-pas-vrai-t’as-préféréparler-de-l’Armada-à-la-lettre-A-quede-l’Armitière ?” Question légitime que ne manqueront pas de poser, après publication de cet article, les amoureux de la librairie L’Armitière située rue des Basnage (oui absolument, comme Kiloshop).

t – Taiseux Adjectif qui définit pas mal les Rouennais, je trouve. Et qui me laisse à penser que je suis bien rouennais moi-même.

u – Une attitude Oskar Werner Chanson figurant sur ma première maquette enregistrée au studio Accès Digital, rue Edouard-Adam, le 17 juin 1998. Souvenir d’avoir appelé le patron, François Casaÿs, et de lui avoir demandé : “C’est possible d’enregistrer huit titres le matin et de les mixer l’après-midi ?” Oui oui pas de souci. Merci encore.

v – Vieille peau o – “Oh non pas Peau d’Ane”  Unique phrase prononcée par le comédien Frédéric Cherbœuf dans le premier film de Pascale Ferran, L’Age des possibles. De même que le motard aime assez souvent Johnny, le théâtreux aime assez souvent la bande originale de Peau d’Ane. Cette réplique, au cœur d’un film consacré aux apprentis comédiens, est donc un manifeste à part entière.

Un bruit courait à l’époque : pour les étudiants mâles sur la paille, il suffisait de se rendre l’après-midi dans cette boîte, qui porte le nom d’une chanson d’Aznavour que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et des vieilles dames généreuses vous offraient de quoi payer le loyer. J’y pense encore aujourd’hui chaque fois que je passe devant. Sacré Aznavour.

p – “Pot de chambre de la Normandie”

w – When the Lights Go out All over Europe

Surnom affectueux que donnent les Normands à leur capitale régionale (en raison de sa pluie fidèle et de la pollution émanant des usines environnantes).

Septième titre de l’album Promenade de The Divine Comedy, grand compagnon des années rouennaises. Vu deux fois à l’Exo 7. Acheté deux cravates comme les siennes à Kiloshop.

q – Quarante-huit Jeanne d’Arc. Et à la fin, ce sont les Anglais qui gagnent.

k – Kiloshop Boutique de la rue des Bons-Enfants (fermée puis réouverte rue des Basnage) où l’on achetait au poids, soit des chemises permettant d’imiter les Deschiens, soit des vestes en velours permettant d’imiter les étudiants en lettres. Celle que je porte sur la pochette de mon premier disque pèse 800 grammes.

l – Lecanuet (Jean) Sénateur-maire historique de Rouen qui avait un chouette projet concernant les lieux de musique : les faire tous fermer un par un en centre-ville afin qu’il n’y ait pas de bruit le soir dans la rue. Alors en tournée, quand on passe “à Rouen”, on passe à côté.

m – Mont-Saint-Aignan Probablement, les gens qui ont vécu certains de leurs plus beaux souvenirs à Saint-Lô ou Berck-sur-Mer n’incitent

Nombre de kilomètres à parcourir dans l’enfance pour se rendre certains samedis après-midi “faire des courses à Rouen”. Garer la 309 Chorus au parking du palais de justice, se procurer les albums de Cure et Madness à la Fnac de la rue Ecuyère, acheter de la jelly chez Marks & Spencer et dîner à la Pizza Paï. Le parking a été détruit, la Fnac a déménagé, Marks & Spencer a fermé. La Pizza Paï tient le coup.

x – XTC (“groupe cherche bassiste influence XTC”) C’est le type même de la petite annonce punaisée, sur panneau de liège, dans les boutiques de guitares de la ville. 

y – Yvan Leclerc Rouen est la ville de Flaubert, Yvan Leclerc est le prof spécialiste de Flaubert, Yvan Leclerc est un peu le spécialiste de Rouen par conséquent.

r – Réplique (La) Nom de la très chouette troupe de théâtre de la fac de lettres. Source (à titre vraiment personnel) de grandes émotions, de conséquents tiragesphotocopies de tracts à la Corep, de discutables cabotinages sur l’estrade de l’amphithéâtre Axelrad, et de longues amitiés par-dessus tout.

s – Sex-shop Celui de la rue de la République avait une technique terrible pour éviter les chèques sans provision : il affichait en vitrine le nom et l’adresse des personnes qui lui avaient laissé un chèque en bois. Grand succès.

z – Zut ! Zut ! Avec ces histoires d’Armada, je n’ai pas assez dit à quel point j’aime cette ville. Pas assez parlé des aprèsmidi d’hiver quartier Damiette, quand la nuit a l’air de tomber à 15 h 23. Des soirées de juin dans l’appartement 6, rue des Requis, quand la nuit a l’air de ne pas tomber du tout. De la future mairie, qui ne manquera pas de remettre en place le Festival du cinéma nordique, aussi simplement que celle en place l’a fait disparaître. Vive Rouen ! Dernier album paru Quinze chansons (Tôt ou Tard) 30.03.2011 les inrockuptibles XIII

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Delphine Zigoni/Muséum de Rouen

objectif pour la cité normande : rendre au peuple maori les restes d’un ancêtre et solder un passé douloureux

prise de tête au musée de Rouen Le Muséum d’histoire naturelle restituera une tête humaine maorie à la NouvelleZélande en mai. Une décision qui risque de faire jurisprudence et inquiète le monde des conservateurs. par Manuel Sanson ouen va montrer l’exemple. La ville s’apprête à restituer une tête maorie à la NouvelleZélande. Le 9 mai prochain, l’ambassadeur du pays du long nuage blanc posera ses valises dans la ville aux cent clochers. Il récupérera ce qui appartient à son peuple : une tête tatouée et momifiée datant du XIXe siècle. Objectif pour la cité normande : rendre au peuple maori les restes d’un ancêtre et solder un passé douloureux. Une époque où l’on n’hésitait pas à décapiter des esclaves maoris

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pour alimenter un juteux trafic à destination de riches collectionneurs occidentaux. Un autre temps. Celui du colonialisme, des “zoos humains” et des théories pseudoscientifiques vantant la supériorité de la “race européenne” sur les autres peuples. Fin 2007, le Muséum d’histoire naturelle de Rouen a engagé une procédure de restitution d’une tête maorie dont il dispose dans ses collections – mais qui n’est plus exposée au public depuis 1996. Les élus du conseil municipal – toutes tendances confondues – approuvent la démarche de l’adjointe au maire aux Affaires culturelles, Catherine Morin-Desailly. Une cérémonie de restitution est organisée, l’ambassadeur doit venir récupérer les restes du guerrier maori. “Tout était prêt et, deux heures avant la remise officielle, le ministère de la Culture a mis son veto”, se souvient Sébastien Minchin, le directeur du musée rouennais. Tout s’arrête. Christine Albanel, la ministre de la Culture de l’époque, s’oppose à la restitution en vertu du principe de l’inaliénabilité du patrimoine des musées français. Selon une loi de 2002, tout ce qui rentre dans leurs collections devient définitivement incessible, à moins d’être déclassifié par une commission nationale. Certains directeurs de musées ne voient ainsi pas d’un très bon œil l’initiative rouennaise. Le microcosme muséal craint pour la pérennité de ses collections. La démarche pourrait faire jurisprudence et, selon certains Cassandre, ouvrir la voie à une multitude de demandes de restitution. Sur décision du tribunal administratif, Rouen doit plier face aux injonctions du ministère. Fin du premier acte. Les décideurs rouennais ne lâchent pas l’affaire. Catherine Morin-Desailly, ancienne adjointe à la Culture, a cédé son poste à une élue socialiste depuis les municipales de 2008. Elle siège désormais au Sénat sous l’étiquette Nouveau Centre. Elle dépose une proposition de loi qui rend obligatoire la restitution des têtes maories présentes dans les collections des musées français. Le texte est présenté en juin 2009, puis adopté à l’unanimité. Frédéric Mitterrand, fraîchement nommé ministre de la Culture, soutient la démarche. Le texte arrive à l’Assemblée nationale où il est approuvé sans difficulté avec, notamment, l’intervention de Valérie Fourneyron, députée-maire PS de Rouen. Les seize têtes maories recensées dans les collections nationales vont donc repartir en territoire austral. Elles seront ensuite inhumées dans la terre de leurs ancêtres. Une nouvelle commission scientifique nationale des collections a été installée pour réfléchir aux questions éthiques, juridiques, scientifiques, soulevées par la rétrocession de restes humains. La ville de Rouen a fait figure de précurseur dans cette bataille. Et c’est tout naturellement ici que l’ambassadeur de Nouvelle-Zélande achèvera sa tournée de “récupération” le 9 mai, lors d’une cérémonie officielle. Dans un second temps, les autres têtes maories feront elles aussi le trajet retour vers l’Océanie. Rouen a ouvert la voie.

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Haute-Normandie, le grand pari Situation nucléaire, transports publics, politiques énergétique et immobilière : Laurent Fabius répond sur les enjeux de la communauté d’agglomération qu’il préside. par Hélène Fontanaud et Marion Mourgue La construction du nouvel EPR de Flamanville a commencé en 2007. Des risques sont fréquemment évoqués par les écologistes. Comment analysez-vous la situation du nucléaire en Normandie, au regard de la catastrophe au Japon ? Laurent Fabius – Après ce qui s’est produit au Japon, réétudier l’ensemble de ces sujets est nécessaire. Haute et Basse-Normandie sont parmi les régions de France où il y a le plus d’installations nucléaires. Beaucoup de nos centrales sont bâties pour faire face à un risque sismique de 6 ou 7, beaucoup d’entre elles sont aussi situées près de la mer. Bien sûr, on ne peut opérer les changements nécessaires en un jour, mais il faut d’ores et déjà préparer un rééquilibrage important des énergies. Un réexamen général s’impose. Notre ambition est de faire de la Haute-Normandie une région exemplaire en matière d’énergies alternatives, d’économies d’énergie et de nouvelles technologies. Nous avons beaucoup d’atouts. La Région vient notamment de lancer un appel à projets de 150 millions d’euros pour soutenir les initiatives dans ces domaines. Il y a également un projet très positif de développement de parcs éoliens offshore au large de Fécamp et du Tréport, qui figureraient parmi les plus importants de France. J’ai souhaité que la communauté de l’agglomération Rouen-ElbeufAustreberthe (Crea), que je préside et qui représente 71 communes et un demi-million d’habitants, soit un territoire pionnier pour le développement du véhicule électrique. Dans le cadre d’un partenariat inédit

avec Renault, notre territoire accueille en mars les premiers prototypes de véhicules 100 % électriques de la marque. Le moteur électrique Renault sera également produit dans notre agglomération, sur le site industriel de Cléon. L’industrie du futur se prépare aujourd’hui. Avec Paris, Le Havre et d’autres partenaires, nous travaillons également à l’élaboration d’un réseau cohérent de bornes de recharge le long de la Seine et de l’autoroute A13, pour faire de l’axe Paris-Rouen-Le Havre le premier territoire pour les véhicules électriques en France. Il y a aussi le projet de ligne ferroviaire nouvelle entre Paris, l’agglomération rouennaise et l’agglomération havraise, ainsi qu’avec la Basse-Normandie. Mais, sur ce sujet, nous attendons des engagements concrets du gouvernement. Au vu des contraintes budgétaires et financières, jugez-vous réaliste la construction de cette ligne, dont le coût est estimé entre 8 et 12 milliards d’euros ? Le coût dépendra du tracé choisi. L’enquête publique qui doit débuter en septembre devrait envisager quatre familles de tracés, donc les coûts varient. L’ordre de grandeur reste considérable. Les Régions sont prêtes à contribuer au financement. Nous avons demandé au gouvernement de s’engager réellement, sur un montant précis. Sinon, on reste dans la théorie. Les priorités sont connues : la première, c’est l’amélioration du réseau entre Paris et Mantes. Les trains s’y bousculent, se paralysent et cela explique les retards et la lenteur. Les usagers protestent

et ils ont raison. Quand j’ai été élu la première fois, en 1977, je mettais une heure et cinq minutes en train pour aller de Rouen à Paris. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’effectuer le trajet en une heure et demie ! La deuxième priorité, c’est une gare nouvelle à Rouen pour désengorger l’ensemble du réseau ferroviaire haut et bas-normand. La gare actuelle est totalement saturée, pour le trafic voyageurs comme pour le fret. Il y a urgence. Quelle est votre approche du dossier du Grand Paris ? La Crea, et plus globalement la Normandie, n’ont pas à être considérées comme des “banlieues interstitielles” de Paris. L’agglomération de Rouen existe en tant que telle avec ses atouts considérables. Je préfère la notion d’axe Seine, car le fleuve est ce trait d’union qui relie Paris, Rouen et Le Havre. C’est sur cet axe stratégique que les collectivités travaillent ensemble aujourd’hui. C’est décisif pour notre développement, à condition là encore que le gouvernement s’engage réellement. L’une des difficultés, c’est d’éviter une hausse des prix de l’immobilier alors que de plus en plus de gens vivent à Rouen mais travaillent à Paris… La Crea, autour de Rouen, a des atouts à faire valoir : les loyers sont plus bas qu’à Paris, et nous avons des surfaces disponibles pour les particuliers comme pour les entreprises, à proximité de l’Ile-deFrance. Sans oublier la qualité de vie, en bord de Seine, à une heure de

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“un réexamen général s’impose. Il faut être exemplaire en matière d’énergies alternatives, d’économies d’énergie et de nouvelles technologies”

la mer et au cœur d’un des plus grands ensembles forestiers de France. Est-ce que le manque d’opposition au sein de la Crea ne finit pas par poser problème ? La majorité des 71 communes de la Crea sont de gauche, l’opposition dispose de vice-présidences. J’essaie de rassembler le plus possible, dans l’intérêt général. Le budget de la Crea est généralement voté à la quasi-unanimité. J’ai été d’ailleurs agréablement surpris de la rapidité avec laquelle la Crea s’est installée. Par sa taille, il s’agit de la première communauté d’agglomération de France. Nous avions préparé tout cela soigneusement. J’ai veillé à l’établissement de pôles de proximité, autour des quatre anciens regroupements de Rouen, d’Elbeuf et de deux communautés plus rurales : les services sont décentralisés

de façon à ce que les particuliers n’aient pas de démarches complexes à opérer et bénéficient de services de proximité. Et puis nous faisons en sorte d’offrir des services nouveaux, comme le service de transports Filo’R à partir du 1er juillet 2011. Cela ne se faisait pas auparavant dans les campagnes. Vous passez un coup de fil la veille, avant 19 heures, pour dire que vous avez besoin d’être amené au bourg-centre, et un petit bus vient vous chercher le lendemain à l’heure dite. C’est intéressant pour les élèves, les personnes âgées, pour aller chez le médecin, au marché. Le coût toujours plus élevé des matières premières vous conduit-il à accélérer la mutation dans les t ransports ? Le transport public constitue le premier poste budgétaire de la Crea. Pour l’année 2011, cela représente

près de 80 millions d’euros en fonctionnement et 65 millions en investissements. C’est un enjeu de développement à la fois environnemental et social. Quelles sont les pistes pour le futur ? Premièrement, l’extension du réseau métro et bus : nous sommes en train de changer les rames pour augmenter de 60 % notre capacité d’ici 2012. Deuxièmement, nous travaillons à une meilleure liaison entre les TER et les lignes traditionnelles, nous réfléchissons au projet d’un tram-train entre Rouen et Elbeuf. Troisièmement, nous développons les pistes cyclables et les parkings de desserrement. Quatrièmement, nous incitons les grandes entreprises à mettre en place des plans de déplacement pour leurs salariés. Nous soutenons aussi la location et l’achat de vélos électriques, et nous lançons un grand plan pour le développement des véhicules électriques, CREA’VENIR. Enfin, nous encourageons les économies d’énergie, en particulier dans le logement. Depuis votre arrivée, quelles sont les réussites et quels sont les échecs qui vous ont le plus marqué ? Nous avons réussi à faire émerger une génération nouvelle d’élus. Tout le monde travaille désormais ensemble, dans la même direction. Même si beaucoup reste à faire, notamment sur le plan de l’université et de la recherche, l’agglomération se développe et son attractivité économique et culturelle se renforce. Progressivement, elle s’affirme comme l’une des capitales du nord-ouest de la France. 30.03.2011 les inrockuptibles XVII

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Enertrag

Photo-montage du projet éolien de Veulettes-sur-Mer, “vu” de Saint-Valéry-en-Caux

Le Tréport vent debout contre les éoliennes Le projet de champ éolien offshore, validé par le conseil régional, suscite de nombreuses réserves auprès de la population locale. par Manuel Sanson e Tréport, son port de pêche, ses mouettes, ses falaises de calcaire… et, peut-être, son champ éolien offshore. Dans cette commune de Seine-Maritime de 6 000 habitants, le projet avance mais n’enchante pas tout le monde. Maire, pêcheurs, restaurateurs ou simples citoyens, beaucoup ferraillent contre ce projet porté par la Compagnie du vent, filiale de GDF Suez, et une pétition a déjà réuni près de 5 000 signatures. Le 25 janvier, Nicolas Sarkozy annonçait lui-même les cinq premiers sites retenus pour répondre aux objectifs du Grenelle de l’Environnement. Le Tréport en fait partie. Autre mauvaise nouvelle pour les Tréportais : au conseil régional de Haute-Normandie, PS, UMP et Verts soutiennent le projet. De quoi faire renoncer les opposants ? Au contraire. La bataille des éoliennes commence : “On ne se laissera pas faire, on étudie déjà les possibilités de recours devant le tribunal administratif”, prévient Gérard Bilon, le président de Sans Offshore à l’horizon, association locale créée pour lutter contre l’envahissement éolien. Ancien cadre chez EDF, le retraité ne veut pas voir son environnement détruit. “Je veux encore pouvoir contempler le coucher du soleil.” Le projet à l’étude regroupe 141 éoliennes sur une superficie de 75 kilomètres carrés, le tout situé dans une zone très poissonneuse. Les pêcheurs tremblent. “Vous avez 70 bateaux qui travaillent dans

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la zone des hauts fonds à quelques kilomètres des côtes”, souligne Alain Longuent, le maire PC du Tréport. “ Pour des raisons de sécurité, nous ne pourrons plus aller travailler là-bas, assène Olivier Becquet, gérant de la coopérative des pêcheurs. Sans parler de la destruction de la faune marine. C’est un énorme chantier, les poissons vont fuir la zone.” La phase de construction devrait s’étaler sur trois ans. Le marin prévient : “Si le projet se réalise, c’est la mort des pêcheurs, du port et donc de l’économie locale.” Des craintes reprises à son compte par le maire : “Si nous disposons de 3 000 couverts dans la ville, c’est parce que le port de pêche attire les touristes”, rappelle-t-il. L’édile reste sceptique sur la pertinence écologique du projet. “Le bilan carbone de ce chantier n’est pas fameux. On parle de 3000 mètres cubes de béton coulé pour chaque éolienne…” Autre argument massue : la région est déjà bien lotie en matière énergétique. Deux centrales nucléaires et deux autres projets éoliens offshore auxquels d’ailleurs les pêcheurs ne se sont pas opposés (Fécamp et Veulettes-sur-Mer). “C’est déjà pas mal”, ironise Olivier Becquet. Le petit village d’irréductibles normand ira jusqu’au bout de son combat. “Nous avons affaire à une opposition très locale, relativise Jean-Michel Germa, le président de la Compagnie du vent. Les habitants de la zone concernée sont plutôt favorables au projet. Toutes les précautions seront prises pour ne pas gêner la pêche et si, comme le prévoient les marins, l’activité baisse de 70 %, nous nous engageons à ne pas le mener à son terme.” Persuadé du contraire, il préfère insister sur les “3 000 emplois locaux créés pour la construction et 150 pour l’exploitation.” Aujourd’hui, l’éolien a le vent en poupe, considéré comme une énergie “propre”, une alternative à l’énergie fossile et nucléaire. La France s’est fixé l’objectif d’une puissance installée de 6 000 mégawatts d’ici 2020. Le cahier des charges pour l’appel d’offres est en cours d’élaboration et sera rendu public avant l’été. Mais les opposants normands comptent bien maintenir la pression. Avis de gros temps sur Le Tréport.

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la traversée des espaces A la tête du CCN de Caen, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux ont initié le festival Danse d’ailleurs en 2005. Pour l’édition 2011, ils présentent une performance en résonance avec l’actualité : Lost in Burqa. par Fabienne Arvers photo Laurent Philippe



’avais dit à Eric : ‘J’ai une surprise, j’arrive !’ Il a eu un choc.” On imagine la tête d’Eric Lamoureux face au dernier costume déniché par Héla Fattoumi : une burqa blanche. Ayant grandi en France et rencontré, très jeune, celui qui deviendra son compagnon et complice artistique, qu’est-ce qui a bien pu conduire cette danseuse et chorégraphe d’origine tunisienne à cette démarche qui aboutira en 2009 à la création du solo Manta ? “Je pense que le voile n’est que l’expression d’une problématique intérieure extrêmement profonde où les jeunes filles sont confrontées en permanence au rapport qu’elles entretiennent avec leur propre corps. Si je suis devenue danseuse, c’est parce que je me suis dit qu’il y avait un truc là, à l’endroit du corps. On le survalorise. On me mettait dans un écrin et on en a tellement fait sur mon corps, mon ventre, ma sexualité, ma sensualité, que la danse a été pour moi une façon d’aller chercher pourquoi le corps de la femme est si important dans le monde arabomusulman”, récapitule-t-elle, au retour d’une tournée européenne de Manta qui résonne fortement avec l’actualité des révolutions arabes. “Si on n’était pas arrivé à ce degré d’enfouissement du corps féminin, je n’aurais jamais senti la nécessité de faire l’expérience de cette disparition. Pour moi, c’est vraiment l’endroit de la bascule. J’ai eu besoin de comprendre pourquoi, alors qu’on est en France et que rien ne les y oblige, des jeunes filles choisissent

de porter la burqa. C’est diamétralement opposé à la raison initiale qui était de soustraire au regard le corps de la femme.” Utiliser la danse, le corps en mouvement et la traversée des espaces, géographiques et imaginaires, est aussi au cœur de leur projet pour le Centre chorégraphique national de Caen. Dès 2005, ils proposent au public Danse d’ailleurs, festival ouvert aux artistes rencontrés en Afrique, puis en Asie et aujourd’hui en Inde. Etre dans l’échange et aller là où il y a de la différence, “où ça crée du dialogue, de la friction”, tout simplement. “Notre mode de travail tourne toujours autour de cette question de l’altérité, cet espace de l’entre qui nous caractérise et fonde notre travail depuis vingt ans. On avait envie de le développer encore plus dans ce Centre chorégraphique national situé dans une région qui était alors un véritable désert chorégraphique. Ce qui nous intéresse aussi, c’est comment ces artistes ont compris qu’il est nécessaire de développer dans leur pays d’origine

une danse, d’en être le garant ou le vecteur. Par rapport aux générations précédentes où l’artiste défendait son travail de créateur, il y a cette prise en compte qu’on est un maillon d’une chaîne possible qui peut grandir. Que ce soit avec Salia Sanou et Seydou Boro, Taoufiq Izzediou, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek ou Faustin Linyekula, tous ces gens ont le désir, l’énergie et cette vision du partage.” On retrouvera cette année Taoufiq Izzediou, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek aux côtés d’artistes à découvrir : Djodjo Kazadi (RDC), Nunu Kong (Chine) ou les Monochrome Circus (Japon). Et si Héla Fattoumi n’imagine pas transmettre Manta à une danseuse, elle prépare avec Eric Lamoureux une performance pour huit danseurs mixtes avec les costumes-sculptures de l’artiste Majida Khatari : Lost in Burqa. Tous unis dans un même symbole : l’enfermement. Danse d’ailleurs jusqu’au 2 avril au Centre chorégraphique national de Caen Basse-Normandie, www.ccncbn.com

le Japon à l’honneur Zoom sur le spectacle Lost (Digital Lighting Dance Performance), par la compagnie japonaise Monochrome Circus. “En tant qu’artistes voyageurs, on a des liens depuis 1995 avec un groupe de Kyoto, les Monochrome Circus, qu’on a déjà invité l’année dernière, raconte Héla Fattoumi… Ils font

un travail extraordinaire à Kyoto pour diffuser la danse contemporaine et ont créé un festival, Hot Summer in Kyoto, avec des ateliers animés par des artistes qui viennent du monde entier.” Intuition toujours sidérante des artistes, Monochrome Circus écrit à propos de Lost : “Montrez-moi comment

doit-on prier/La mort est le bruit le plus élevé/ (…) quelqu’un déchiré par la mort et laissé en vie doit trouver un sens là-dedans/Priez pour quelque chose qui a été complètement brisé vers le bas.” Lost (Digital Lighting Dance Performance) sera présenté au public le 1er avril dans le cadre du festival Danse d’ailleurs. 30.03.2011 les inrockuptibles XXI

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la conquête ête de l’Ouestt Grâce à la proximité de l’Angleterre et de ses radios pirates, Rouen et Le Havre ont pris une ne avance sur la France rock, des années 60 à l’explosion losion punk. Retour sur une odyssée, avec quelquesesuns de ses acteurs. par JD Beauvallet

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e 26 avril 1977, neuf ans jour pour jour avant Tchernobyl, une déflagration atomique secoue la Normandie en profondeur : The Clash donne un concert au cinéma Le Chartreux, à Rouen. Le premier en France. Les effets secondaires seront terribles et durables. Premier symptôme : la perte des cheveux. “Soudain, on ne croisait plus beaucoup de fans de rock avec les cheveux longs”, se souvient Eric Tandy, qui formera vite son groupe punk, les Olivensteins. “Toutes les conditions de la révolution sont réunies, la révolution est inéluctable”, disait Lénine, qui avait pignon sur rue pas très loin de là, au Havre.

Et effectivement, la région est prête pour la révolution : dans toute sa nervosité et son urgence, le pub-rock avait déjà réveillé la jeunesse normande avant le reste de la France et tenait en Little Bob Story un précurseur indiscutable. La venue de The Clash sera donc, avant d’autres concerts mythiques en avantpremière nationale (d’Elvis Costello aux Cramps) le catalyseur. A Mélodies Massacre, légendaire magasin de disques de Rouen ouvert en 1973 et aux rayons très pointus (du folk au krautrock), la clientèle change ainsi du tout au tout. “Sur la place, devant la boutique, il y avait deux bancs, se souvient Lionel Hermani, son fondateur. Pendant

des années, ils accueillaient des hippies avachis qui venaient m’acheter du rock progressif… Petit à petit, ils ont été remplacés par des punks qui faisaient encore plus fuir la clientèle ! Mais, au moins, musicalement, j’ai eu l’impression de retrouver mes 16 ans.” Parmi ses clients, tous les piliers de la scène locale, dont l’érudit et sulfureux Jean-Pierre Turmel, fondateur du label Sordide Sentimental, qui accueillera Joy Division pour un single mythique. On y croise encore Jean-Luc Marre, futur pilier du label Pias, ou une partie des fondateurs du collectif de graphistes Bazooka. Le Havre et Rouen tournent alors le dos à la capitale et à ses punks

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Le groupe havrais Ox dans les années 80

de salon, jugés snobinards ou risibles, pour remonter à la source même de l’agitation : de la Normandie, il est alors presque plus facile d’aller à Londres qu’à Paris. Plus âgé que les autres, Hermani part ainsi régulièrement dans la capitale anglaise dévaliser, pour ses propres rayons, les magasins Rough Trade et Beggars Banquet. Epaulé de Tandy, il évangélise par passion (il a une formation d’enseignant), par goût du partage du savoir. Sa première victime, avant même qu’il n’ouvre son magasin, avait été un écolier doué avec qui il partageait les bancs de la terminale – Hermani a trois ans de retard, l’autre un an d’avance. “A l’époque,

dans le genre de lycée prestigieux où j’étais au Havre, les gens bien écoutaient du jazz, du classique et lisaient de la vraie littérature. Moi, je revendiquais le rock et la Série noire, j’étais une bête bizarre. Un jour, un garçon de la classe m’a demandé : ‘C’est si bien que ça, ce dont tu parles ?’ Je lui ai passé des 45t des Beatles, des Kinks, de Dylan et un livre de Horace McCoy. Je ne l’ai plus revu pendant dix jours. Puis il m’a demandé : ‘Tu as d’autres singles, d’autres livres ?’ Trois mois plus tard, il signait son premier article pour Rock & Folk.” L’étudiant, “à Solex et espadrilles”, en question s’appelle Philippe Garnier, il deviendra l’une des rares légendes de la presse culturelle française. Mais avant ça, lui aussi ouvre une boutique

Roger Legrand

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de disques comme d’autres bâtissent des églises : Crazy Little Thing. Le savoir se passe ainsi de Jedi en Padawans, d’Hermani à Garnier, de Garnier à Yves Guillemot (qui reprend Crazy Little Thing avant de s’installer à Londres avec l’échoppe Vinyl Solution), de Guillemot à un gamin de 11 ans, dont il est le pion au lycée. Le gamin, déjà fan des Beatles, deviendra le journaliste et musicien Jérôme Soligny. “Plus tard, au magasin, il m’a fait écouter Bowie, Roxy Music et m’a donné des piles de journaux anglais… Il est devenu mon mentor. C’est dans sa boutique que j’ai rencontré le roadie de mon groupe Lipstick, Stéphane Saunier (qui deviendra M. Rock sur Canal+ – ndlr).” 30.03.2011 les inrockuptibles XXIII

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Roger Legrand

Les Dogs, à Rouen, 1978

Mélodies Massacre et Crazy Little Thing contribuent énormément à l’évangélisation du rock en terres normandes. Hermani et Garnier sont des légendes locales, qui racontent leurs virées épiques dans les entrepôts de disques américains, à la recherche de pépites. De ces “safaris vinyliques”, Garnier a écrit un roman fameux, Les Coins coupés. Hermani évoque en riant Big Cigar, un vendeur irlandais douteux de Detroit chez qui il achetait des pièces inouïes des sixties pour 25 cents – il remboursait ainsi en trente albums achetés puis revendus à Rouen ses voyages aux E tats-Unis ! Chez Mélodies Massacre, Hermani régale ses clients, héberlués par ses souvenirs d’Angleterre. “J’ai commencé à y aller très jeune… J’adorais leur liberté, surtout comparée à la France coincée et campagnarde d’où je venais. J’ai vu les Stones en 1963 dans une petite ville de province… Un jour, par hasard, je me suis retrouvé dans une salle de concerts de Londres où nous étions quinze spectateurs. Sur scène, le groupe débutant avait installé une double grosse caisse. Sur une était marqué ‘Pink’, sur l’autre ‘Floyd’…” C’est chez ces deux disquaires que se retrouvent les fans de musique, pour des discussions homériques et

des ordres d’achat dignes du Haute fidélité de Nick Hornby. Mélodies Massacre devient même un label, légendaire pour avoir sorti les premiers singles des Dogs ou des Olivensteins, un groupe dont Hermani connait les membres depuis toujours : Eric Tandy est son vendeur depuis le lycée, dès 1974. Son frère Gilles est client depuis ses 12 ans. “A l’époque, il ne pouvait même pas atteindre les bacs, il était obligé de les consulter sur la pointe des pieds. Ça ne l’empêchait pas de me poser des questions très précises sur les Byrds, sur Gene Clark”, se souvient Hermani avec tendresse. Stéphane Saunier, lui, a plutôt gâché sa jeunesse en face de son lycée, chez Crazy Little Thing, au Havre. “J’y passais ma vie, je gardais même la boutique quand le successeur de Garnier, Yves, allait faire le coup de poing contre l’extrême droite ! C’était le point de ralliement, on y trouvait tous les singles de pub-rock, puis de punk. On avait tout en amont, y compris les concerts : The Damned, The Jam, Dr. Feelgood,

des siècles avant Phoenix, Little Bob écuma les salles d’Angleterre et des Etats-Unis

les Talking Heads avec les Ramones en première partie dès 1977. C’était comme si les tournées anglaises passaient naturellement par Le Havre ! Le père de Garnier, par le biais d’un club de foot, organisait les concerts.” Les magasins de disques ont très certainement aidé à l’éclosion de cette scène, mais d’autres éléments entrent en compte, qui ont donné depuis toujours à la Haute-Normandie sa longueur d’avance sur le reste de la France du rock. “Les Dogs étaient très en avance sur le rock français, dès 1974, se souvient Eric Tandy. Ils avaient vu les New York Dolls, écoutaient les Flamin’ Groovies…” Si Tandy cite effectivement Garnier et Hermani comme pères fondateurs, il évoque aussi un avantage géographique, dont ces ascenceurs pour le paradis : les ferries qui, inlassablement, relient Le Havre ou Dieppe à l’Angleterre. “Ça ne coûtait rien, on partait le vendredi soir en ferry de nuit, on rentrait le lundi à l’aube, après avoir fait le plein de disques et de concerts à Londres.” “Et puis nous pouvions, dès les sixties, écouter les radios pirates, Veronica ou Caroline, plus la BBC – ce que personne d’autre en France ne pouvait faire”, enchaîne Hermani.

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Collection Eric Tandy

made in Normandie

Les Olivensteins, au Havre, 1978

Little Bob, qui avait ouvert pas mal de portes dès les années 60, remonte encore plus loin : aux docks, source constante de cadeaux venus d’Amérique ou d’Angleterre. Il évoque aussi les bases américaines qui inondaient, dès la fin des années 50, la région de 45t introuvables ou de jeans Levi’s 501. “A Evreux, près de la base, il y avait un club qui accueillait des groupes de rock ricains, où allaient traîner les gosses du coin. Et puis au Havre, il y avait les marines, qui faisaient plein de trafics avec les gens du cru. Un copain avait ainsi récupéré quatre singles de Little Richard, je ne m’en suis jamais remis, ça me hantait la nuit… Plutôt que jouer aux billes, je me suis mis au rock. La ville se prêtait alors au rock : industrielle, violente, sombre, menaçante. On pouvait facilement y choper le blues.” Cette mythologie havraise a séduit Kaurismäki qui vient de tourner, avec Little Bob, son nouveau film. Little Bob : “Les docks, ça a toujours été central, il y avait à une époque 20 000 dockers ici… Quand on était ados, on traînait sur les quais, on rêvassait devant les paquebots, on commençait à jouer du rock, on se disait qu’un jour on partirait en Amérique, en Angleterre.” Et des siècles avant Phoenix, Little Bob tourna effectivement en Angleterre

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et aux States, écumant avec culot et morgue les réseaux pub-rock puis punk, jouant dans toutes les salles légendaires du Royaume-Uni. Un précédent unique qui donnera foi et énergie à toute une scène régionale, unie derrière cette bannière. Et pourtant, on connaît par cœur la rivalité de clocher entre Le Havre et Rouen, entre la ville prolétaire et communiste et la cité bourgeoise sous emprise Lecanuet. Eric Tandy se souvient que “les Havrais nous considéraient comme des bourges”. Little Bob : “C’était surtout vrai dans les années 60, quand il y avait des bastons entre bandes dans les bals d’Yvetot ou de Fécamp, sur terrain neutre.” Hermani : “Quand j’étais gamin, j’avais un groupe, et on jouait dans les casinos de la côte, pour des concours de twists… On était bons, mais s’il y avait à la même affiche le groupe de Bob, des Havrais, c’était eux qui gagnaient. Ils allaient moins à l’école que nous, ils répétaient plus souvent, leurs parents étaient moins stricts que les nôtres, moins bourgeois.” “Les groupes punk du Havre étaient sans doute plus durs, comme Ox ou Teenage Riot. Mais on respectait tous les Dogs, ça a tué la rivalité Rouen-Le Havre chez les fans

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made in Normandie des hymnes sans âge et à la rage intacte, qui sentent bon le doigt d’honneur

Roger Legrand

Roger Legrand

Bad Brains, 1982

Serge Hendrix et Barbe Noire, guitariste et bassiste de Little Bob Story, 1976. En arrière-plan, Little Bob

de rock”, tempère Stéphane Saunier, qui fut chanteur dès 1977 d’Adolescent Sex, puis des teigneux Bad Brains, avant de devenir manager de Fixed Up ou tenancier du label Sonics, puis Closer. En 2011, tout ceci pourrait paraître de l’histoire ancienne, désuète. Mais un album, d’une sidérante modernité, nous a obligés à rouvrir ce dossier : une compilation des chansons, remasterisées avec les techniques les plus diaboliques de notre époque, à partir de vieilles cassettes éparses, des fondateurs Olivensteins. Et surprise : on découvre des hymnes sans âge mais à la rage intacte, à la fois drôles et émeutiers, qui sentent bon le doigt d’honneur, l’adolescence saccagée et le rock primal. Eric Tandy : “Tout ceci a été enregistré avec un seul micro, sur des cassettes achetées en lot de cinq pour

dix francs… Ça n’a pas duré très longtemps… Très vite, un nouveau public est venu et nous a traumatisés. C’était comme des punks à chiens, sauf qu’ils n’avaient pas encore de chiens.” Après cette explosion de la charnière des années 70-80, les deux villes semblent être tombées dans un coma léger, Rouen devenant même un genre de musée Grévin de la pop à jabots, accueillant chaque année, religieusement, pour le même public, son concert-messe des Fleshtones… Beaucoup des acteurs majeurs ont alors déserté, et personne n’a vraiment pris la relève. Un peu comme si somnoler restait le sort impitoyable des villes trop proches de Paris ou, dans ce cas précis, de Londres aussi. “Ce n’est pas seulement ça, tempère Soligny. Il n’y avait plus la moindre solidarité, la moindre émulation, tout le monde s’est bouffé le nez. Par exemple,

Jérôme Soligny, passeur élégant Jérôme Soligny est un des piliers havrais, comme coulé dans ce béton cher à Auguste Perret, l’architecte du centre historique de la ville (inscrit au patrimoine mondial de l’humanité en 2005). Natif des lieux, Jérôme n’a jamais quitté de vue l’estuaire de la Seine ni ces docks où débarqua jadis le rock’n’roll encore vert et frémissant. Au départ simple acteur de la scène locale, au même titre que Little Bob ou Raymond Queneau, il en est devenu l’un des principaux vecteurs. De ses premiers groupes à son statut d’élégante vigie chez nos confrères de Rock & Folk, de ses livres érudits sur Bowie ou Françoise Hardy à ses compositions enlevées pour Daho (Duel au soleil) ou Valli (Place de la Madeleine), l’homme est avant tout un passeur de l’ombre, un amateur dans la plus noble acception du terme. Pour un peu, on en oublierait ses propres disques, ces Two Girls Old ou Thanks for the Wings, entre glitter light et mélodies graciles, et son récent premier roman Je suis mort il y a vingt-cinq ans, tous garants d’un regard à jamais tourné vers des vagues sans cesse renouvelées. Autrement dit, vers un horizon sans limites, rythmé par l’affluence des porte-conteneurs chargés d’idées neuves à explorer et transmettre. Le Havre est un évident check-point, et Jérôme est son ambassadeur. Jean-Luc Manet

au Havre, on me traitait de traître parce que j’avais travaillé avec Daho, un mec classé au hit-parade qui chantait en français ! C’est devenu trop sectaire, écrasant.” Ces dernières années, tous ces vinyles achetés religieusement chez Mélodies Massacre ou Crazy Little Thing ont pourtant refait surface : chez les enfants des anciens piliers de ces magasins, qui ont redécouvert ces pièces originales dans la discothèque parentale, alors même que leurs groupes fétiches – Strokes, White Stripes – les citaient en exemple. Sur cet héritage, une scène rock et érudite s’est bâtie en Normandie – on y retrouve notamment le propre fils de Jérôme Soligny et son groupe à la fougue référencée, Lipstick Traces. L’arrivée de nouvelles salles subventionnées, comme par exemple le 106 à Rouen, le Cabaret Electric au Havre, le Normandy à Saint-Lô ou le Cargö à Caen, est ainsi en train de fédérer cette nouvelle scène, cette ébullition. Une récupération, une officialisation du rock qui fait ricaner Stéphane Saunier : “On ne fait pas du rock pour être payé par la mairie ! Regarde en Angleterre : aucune salle n’est subventionnée, et le rock ne se porte pas plus mal, non ?” A Rouen, la place où tronait la boutique Mélodies Massacre, morte de lassitude au début des années 80, a été rebaptisée, en hommage au chanteur disparu des Dogs, place Dominique-Laboubée. Du Havre à Rouen, on n’est pas pressé d’emprunter l’avenue Little Bob ou l’impasse Olivensteins.

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premiers rendez-vous Quatre festivals à ne pas manquer avant la haute saison de juillet-août. par Stéphane Deschamps et Johanna Seban

Le Rock dans tous ses états Les 24 et 25 juin, l’hippodrome d’Evreux célébrera, pour la vingthuitième fois, le rock au sens large. Si la programmation définitive n’est pas encore disponible, les premiers noms rappellent déjà combien ce festival sait faire le grand écart entre grosses pointures (Razorlight) et jeunes pousses (Civil Civic, Cloud Control), reggae (Tiken Jah Fakoly) et pop (Architecture In Helsinki). Soit trente-cinq groupes, sans écrans géants, à portée de main, et surtout d’oreilles pour un des festivals rock les plus attachants du pays. Les 24 et 25 juin à Evreux, www.lerock.org

Agnes Obel, le 2 juillet au festival Beauregard

Installé dans l’enceinte du château éponyme à Hérouville-Saint-Clair, le festival Beauregard voit grand pour sa troisième édition : il passe ainsi à trois jours de concerts, dispatchés sur deux scènes et, côté programmation, après Phoenix et les Stooges en 2010, le festival continuera de célébrer le meilleur d’ici (Philippe Katerine, Da Brasilians) et de là-bas, surtout quand là-bas, c’est de l’autre côté de la Manche (Kasabian, Two Door Cinema Club…). A noter, la présence de révélations féminines comme Agnes Obel et Anna Calvi. Du 1er au 3 juillet à Hérouville-SaintClair, www.festivalbeauregard.com

La Terra Trema Après une pause en 2010, la Terra Trema reprend du service. La cinquième édition de ce festival résolument international proposera des concerts répartis sur trois soirées entre l’Epicentre, la Brèche, le Point du Jour et le Centre culturel Ferdinand-Buisson. A noter, la présence des Normands détraqués Gablé, récemment auteurs d’un album fulgurant alliant folk patraque et pop foutraque, et celle de la furie londonienne Ebony Bones!, passée maîtresse dans l’art de mêler punk, ragga, soul et funk. Egalement au programme : dDamage, Mami Chan pour un spectacle jeune public, les Canadiens The Luyas… Soit, au total, treize concerts pour dix nationalités représentées. Du 28 au 30 avril à Cherbourg-Octeville, www.laterratrema.com

Les Inrocks débarquent q en Normandie A l’occasion de la sortie du numéro spécial Normandie d e, le e Cargö accueille la rédaction n des Inrocks pour un débat a autour de la scène émergente,, et u soirée de concerts gratuitts une (C Chocolate Donuts, The Lanskiies, Concrete Knives) et DJ sets (IInrocks Steady Crew). A partir de 18 h, le 30 mars au Cargö de Caen

Herbaltablet

Festival Beauregard 

Frank Eidel

Fast and Curious Question de genre. La 106 est la plus petite voiture de la gamme Peugeot. Mais le 106, c’est la rutilante nouvelle salle de concerts de Rouen. Fier paquebot des bords de Seine, le 106 embarquera du 7 au 28 mai un festival d’un nouveau genre consacré aux liens passionnels entre la culture pop au sens large et l’automobile. Un exemple flagrant : la ville américaine de Detroit, surnommée à la fois Music City et Motor City, pour ses courants musicaux et ses usines automobiles légendaires. Des Hot Rods rockabilly aux lowriders de rappeurs, des road-movies aux pochettes de disques, le 106 ouvre le capot et roule des mécaniques lors d’expos, de conférences, de concerts et de projections qui s’annoncent tous passionnants. Le festival s’appelle Fast and Curious, et les thématiques sont intitulées Search & Detroit, Car Watch, At The Drive-In ou encore Down by Low… Au 106, on a tout compris à l’humour sans plomb et à l’essence du rock’n’roll. Et en plus, il y a un grand parking. Du 7 au 28 mai à Rouen, www.le106.com

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Christophe Maout

La façade sud-ouest du Point du Jour conçu par l’architecte Eric Lapierre à Cherbourg

adroites adresses concerts Le Cargö Ouvert en 2007, le Cargö replace Caen au centre de la cartographie des musiques actuelles. Diffusion de concerts et accompagnement de la scène locale avec notamment des studios de répétition mis à disposition des groupes à toute heure. 9, quai Caffarelli, Caen, www.lecargo.fr

Big Band Café Concerts, accompagnement de groupes et formations professionnelles : depuis 1992 à Hérouville-Saint-Clair, le Big Band Café participe au dynamisme des musiques actuelles. Parmi les concerts à venir ce printemps : Syd Matters, Puggy ou le festival Beauregard (voir agenda p. XXVIII). 1, avenue du Haut-Crépon, HérouvilleSaint-Clair, www.bigbandcafe.com

gauche. Depuis six mois, ses deux salles (de 1 100 et 320 places) accueillent les meilleurs représentants du rock, de la pop, de la chanson et des musiques du monde. Outre l’excellent festival Fast and Curious (voir agenda), le 106 accueillera prochainement Yann Tiersen, Angus & Julia Stone ou Noah And The Whale. 106, quai Jean-de-Béthencourt, Rouen, www.le106.com

L’Epicentre Situé au bord de l’eau, l’Epicentre vaut son pesant de cacahuètes notamment pour le festival Terra Trema qu’il programme (voir agenda). Parmi les prochains événements : Fred Lebrasseur et Zwei paar Schuhe. 6, quai Lawton-Collins, CherbourgOcteville, www.lepicentre.com

Le Cabaret Electric Le 106 Situé à côté du futur écoquartier du pont Flaubert, le 106 s’est installé dans un ancien hangar de la rive

La Smac du Havre fermera ses portes le 30 juin (voir p. IX). D’ici là, la salle accueillera notamment Le Prince Miiaou (31 mars),

Les bons plans en Normandie.

La Rumeur (16 avril) et Brigitte (3 mai). Espace Oscar-Niemeyer, Le Havre, www.cabaretelectric.fr

bientôt complété par la création d’une nouvelle Smac à Evreux. 1, avenue Aristide-Briand, Evreux, www.abordage.net

Le Normandy Haut lieu du rock installé dans un ancien haras de Saint-Lô, le Normandy accueillait The Fall ou les premiers concerts de The Divine Comedy dans les années 90. Devenue scène de musiques actuelles, la salle propose désormais le festival des Rendez-Vous soniques et recevra bientôt La Fouine ou les Hushpuppies. Place du Champ-de-Mars, Saint-Lô, www.ecransonique.com

L’Abordage C’est à l’association L’Abordage qu’on doit la programmation du trépidant festival Le Rock dans tous ses états (voir agenda). Installée dans des locaux d’un ensemble sportif, la salle propose de chouettes concerts à l’année (prochainement Psykick Lyrikah ou Kurt Vile & The Violators). Un travail

librairies La Galerne Grande librairie indépendante havraise : 1 000 mètres carrés sur deux niveaux, un espace café et plus de 100 000 livres. Expositions, rencontres et signatures d’auteurs. 148, rue Victor-Hugo, Le Havre, www.lagalerne.fr

L’Orielle Excellente librairie indépendante, L’Orielle propose entre autres un choix pointu en bande dessinée. Conseils avisés à la clé. 10, rue Borville-Dupuis, Evreux, www.librairielorielle.fr

bars Le QG Drôle d’histoire : un ancien de la Star Academy et une ancienne de Koh-Lanta (si, si) s’unissent et ouvrent un bar

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made in Normandie à quelques mètres de la gare de Saint-Lô. Concerts de groupes locaux chaque vendredi. Un deuxième QG s’est ouvert à Cherbourg. Place de la Gare, Saint-Lô, www.le-qg.com

Le V and B Bonjour l’ambiance : dans la zone commerciale d’Agneaux, entre deux entrepôts, se situe ce magasin-café-concert consacré à la bière et au vin. En soirée, le label Annoying Success y organise des concerts de groupes du coin. 54, rue Denis-Papin, Agneaux, www.vandb.fr

L’Ecume des Nuits C’est à l’Ecume des Nuits que Caen organise ses soirées “open mic” : les groupes de la ville, de Chocolate Donuts aux Lanskies, s’y produisent devant la jeunesse caennaise. Qui en profite pour se désaltérer avec la boisson locale, la fameuse embuscade (bière + vin blanc + calvados + grenadine + jus de citron = aïe !). 11, rue des Croisiers, Caen, tél. 02 31 85 22 33

L’Emporium Galorium “Aider les gens laids à avoir une vie sexuelle” : le slogan du bar de l’Emporium Galorium a le mérite d’être clair. Sa programmation musicale est loin d’être laide en tout cas : le bar a réussi à faire venir chez lui Herman Dune ou Brian Jonestown Massacre. 151, rue Beauvoisine, Rouen, tél. 02 35 71 76 95, www.emporium-galorium.com

Le Matahari Expositions et concerts dans ce sympathique bar d’Evreux situé sur les berges de l’Iton. Terrasse pour les jours ensoleillés. 15, rue de la Petite-Cité, Evreux www.matahari-bar.fr

cinémas Le Palace Cinéma associatif Art & Essai situé dans la communauté urbaine de Cherbourg, le Palace propose une programmation pointue, des débats, des cycles thématiques (Palac’Escale, avec une invitation donnée au Brésil cette année). Rue des Résistants, EqueurdrevilleHainneville, tél. 02 33 78 96 49, www.lepalace.org

Cinema Lux Rencontres, spectacles, débats, émissions de radio, partenariats avec l’université et programmation jeune public : le Lux fait beaucoup pour le cinéma à Caen. 6, avenue Sainte-Thérèse, Caen, tél. 02 31 82 29 87

Cinéma Jour de fête Un nom emprunté à Jacques Tati pour ce chouette cinéma indépendant qui propose des films rares. 74, rue de Vienne, Gisors, tél. 0 892 68 04 71

lieux décalés L’Institut mémoires de l’édition contemporaine Installé dans le somptueux cadre de l’abbaye d’Ardenne près de Caen, l’Imec accueille les archives du monde de l’édition. La liste des fonds d’auteurs impressionne : Jacques Derrida, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Jean Genet… Les bâtiments ont été restaurés : l’abbatiale est désormais une bibliothèque tandis que la cour de ferme et la grange aux dîmes accueillent colloques et expositions. L’abbaye d’Ardenne Saint-Germainla-Blanche-Herbe, tél. 02 31 29 37 37, www.imec-archives.com

Le Point du Jour En début d’année, Le Point du Jour consacrait une belle exposition à Helen Levitt. Centre d’art tourné vers la photographie, le lieu expose jusqu’à mai des photographies de l’Espagnol Joachim Mogarra. Rencontres, résidences et un gros travail d’édition : les activités du centre sont multiples, issues du rapprochement, il y a trois ans, entre Point du Jour, éditeur spécialisé en photographie, et le Centre régional de la photographie de Cherbourg-Octeville. 109, avenue de Paris, CherbourgOcteville, tél. 02 33 22 99 23 www.lepointdujour.eu/fr/accueil

La Biscuiterie Une large gamme de biscuits fabriqués maison (financiers, congolos, brownies, cookies et doigts de dames) ont fait la réputation de l’établissement Burnouf dans toute la région. Achats en ligne possibles. Hameau Costard, Sortosville-enBeaumont, www.maisondubiscuit.fr

trois adresses de l’appli Guide Fooding® 2011 Pour découvrir d’autres adresses en Normandie, et partout en France, téléchargez l’appli Fooding 2011, à 2,99 €.

A Contre Sens 8, rue des Croisiers, Caen, tél. 02 31 97 44 48 De midi à 14 h et de 19 h 30 à 21 h 15. Fermé dimanche et lundi. Menus 17-21 € (midi), 44 € (soir), carte 42-51 €. Catégories : néo-bistrot, bar à vin et cave à manger. Sur la carte d’Anthony Caillot (ex-Martinez à Cannes, Etrier à Deauville), rien que des couples inattendus : crabe-bœuf, agneaualgues… Pour accompagner l’ombrine corse (un poisson) à la cannelle servi avec une mousseline de céleri, on se rue sur l’ambitieux cidre Colette du Domaine Dupont (20 €, mais ça les vaut !) ou le saumur blanc de la Tour Grise (29 €). Et pour le confit d’agneau en moussaka, semoule et chou vert au gingembre, pas facile de trancher, tellement le casting est excellent : Grangeneuve (tricastin), Terrebrune (bandol), Minchin (valençay), Le Roc (fronton)… Pas moyen de se tromper : succès annoncé et déjà mérité pour cette adresse que son petit nombre de tables aura sûrement très vite du mal à contenir.

Le Pily 39, rue Grande-Rue, Cherbourg, tél. 02 33 10 19 29, www.restaurant-le-pily.com De midi à 13 h 45 (sauf samedi) et de 19 h à 21 h (sauf dimanche). Fermé mercredi. Formule 18-23 € (midi), menus 39 et 61 €. Catégorie : trop bon. Un coup de canif adolescent aurait pu graver “Pi + Ly = Pily” sur un tronc d’arbre. Si Pierre (pour “Pi”), en cuisine, et Lydie (pour “Ly”), en salle, se sont bien trouvés, nous, on est rudement fiers d’avoir débusqué leur gargote dans une ruelle près du port, bien avant l’arrivée de machin avec ses gros pneus. Quelques lignes directrices typent l’endroit : pas de carte mais deux menus calés chaque mois sur les produits de saison, des fromages pensés comme des plats et, en colonne vertébrale, des ressources

très locales, mâtinées d’ailleurs. Ainsi défilent noix de veau rôtie, cives, échalotes, radis et jus de xérès, tartare de bœuf avec sablé au parmesan ou tempura de camembert fermier, fenouil et gingembre… De la carte des vins encore un peu corsetée (classiques Pellé, Trimbach…), on peut tirer un gewurztraminer, (Adam, 5 € le verre) avec sucres résiduels et épices topissimes, bien assorti au gaspacho. C’est vrai que parfois, les saveurs manquent un peu de légèreté… Mais comment ne pas féliciter Pi Premier pour sa mezza-luna de homard bleu, mousseline de haricots coco, émulsion au combawa et lait de coco ?

Le Bistrot du Pollet  23, rue Tête-de-Boeuf, Dieppe, tél. 02 35 84 68 57 De midi à 14 h et de 19 h 30 à 21 h 30. Fermé dima nche et lundi. Formule 19 € (midi), carte 3 5-40 €. Catégorie : feeling. La serveuse gentillonormando-tonitruante donne le la et virevolte avec bonhomie dans la petite salle carrée. Fi de l’esbroufe, prime au produit ! Tête de veau sauce gribiche, foie de lotte mariné, terrine de queue de bœuf et foie gras, brique de neufchâtel fermier plus coulante que dans vos rêves. Mais ce qui fait courir le chaland, c’est l’ode à la mer : bar entier, rougets barbets sauce vierge, croquant de crabe aux haricots verts, friture d’éperlans sauce tartare, saint-jacques aux lentilles… Repaire familial le week-end, le bistrot est très vite costardé en semaine, au déjeuner. Il faut dire que la formule entrée, plat, dessert à midi en a sous le pied avec ses faux-filet, bar rôti et gratin de pamplemousse ! Aligoté bouzeron Faiveley 2005 (24 €), vin du mois (côtes-du-rhône Jaboulet Aîné) à 19 €. Et, pour exfiltrer le reliquat de votre tétée, acceptez le “bottle bag” gentiment proposé par la maison. D. H.

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cyber la vie Après Watchmen et 300, Zack Snyder, le cinéaste geek qui influence les jeux vidéo, revient avec un blockbuster féministe. Avant de s’attaquer à Superman.

Kevin Scanlon/The New York Times/Rea

par Yann Perreau

ZackS nyder chezlui, àP asadena, Californie 30.03.2011 les inrockuptibles 63

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Vos précédents longs métrages sont des adaptations ou des remakes. Où avez-vous trouvé l’inspiration pour Sucker Punch, votre premier scénario original ? Zack Snyder – D’un peu partout, mais avant tout d’une nouvelle que j’ai écrite il y a quelques années, dans laquelle une fille se fait molester par des bad guys qui l’obligent à danser pour eux. Elle fait un rêve, dans lequel elle quitte son corps pour vivre une aventure. L’idée de la lobotomie vient de La Planète des singes, l’original de 1968, cette scène où ils enlèvent le cerveau d’un type. Ça me fout toujours les jetons. Sinon, mon imaginaire est nourri de tout un tas de choses très spécifiques, le magazine Heavy Metal, les chefs-d’œuvre du manga japonais adaptés au cinéma (Akira, Apple Seed, Ghost in the Shell…). Je suis un peu moins inspiré par la télé, même si mon personnage de Babydoll est tout droit sorti d’un ichitatsu, ces dessins animés japonais pour adultes diffusés en prime time. Le film traite du thème de la folie. Cet asile est peuplé de jeunes femmes qui ne sont jamais désignées comme folles. Le monde de la maladie mentale que j’ai voulu décrire, c’est celui de ces jeunes filles rebelles qui, dans les années 50, étaient envoyées vers ce genre d’institution. A l’époque,

Clay Enos/Warner Bros Entertainment

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’énorme succès de 300, son péplum 3.0, en a fait un des cinéastes les plus puissants et les plus courtisés d’Hollywood. Il n’a certes pas encore le prestige oscarisable de David Fincher ou de Christopher Nolan, mais son beau Watchmen lui a valu les faveurs d’une partie de la critique. Avec Sucker Punch, il livre un action-movie féministe, autour d’une escouade de danseuses de cabaret qui franchissent des mondes virtuels où elles deviennent d’indomptables guerrières. C’est un peu la synthèse entre Tournée de Mathieu Amalric et Lara Croft. Rencontre avec le geek survolté qui a orchestré ces noces numériques.

Emily Browning, Jena Malone et Abbie Cornish avec Zack Snyder sur le tournage de Sucker Punch

si tu étais une fille qui habitait dans le nord-est de l’Amérique et que tu disais à tes parents : “je ne veux pas me marier à ce type, je ne veux pas faire cela”, ils pouvaient te répondre : “Tu es folle, et il faut que tu ailles dans cet endroit pour te faire soigner. Et si tu causes des problèmes, on a une autre solution pour toi : la lobotomie.” A cette époque, ils s’occupaient vraiment ainsi de ces filles, celles qui avaient du répondant et ne faisaient pas ce qu’on leur disait de faire. On pouvait s’en débarrasser en les envoyant dans ce genre d’endroit. Voilà ce qui m’intéressait. La mise en scène de vos films reprend souvent les codes et l’esthétique des jeux vidéo. Je vais dire un truc bizarre, mais je ne veux pas paraître prétentieux pour autant. J’ai l’impression que les jeux vidéo ont été influencés par 300, à tel point que c’est comme si la boucle était désormais bouclée. On dit parfois que j’imite les jeux vidéo, mais à mon avis, c’est plutôt l’inverse. Par exemple, j’ai un ami qui bosse dans l’animation pour jeux vidéo. Un jour, je lui dis : “Serais-tu

“tu rentres dans une boucle intéressante quand tu ne sais plus si c’est toi qui imite les jeux vidéo ou l’inverse”

intéressé par l’idée de travailler avec moi sur ces séquences animées pour un film ?” Il m’a répondu : “Ecoute, c’est dans l’autre sens que cela se passe. Nous, on attend que tu fasses un film, et après on te pompe.” Tu rentres dans une boucle intéressante quand tu ne sais plus trop si c’est toi qui les imite, ou si ce sont eux qui t’imitent. Ceci dit, je joue toujours à Call of Duty, ce genre-là. En ligne. Qu’est-ce qui vous incite à ne filmer quasiment qu’en “blue screen” ? Pourquoi donnez-vous si peu de place aux décors réels, au réel tout court ? Je ne veux pas de décor, pas de réel. L’un des aspects importants de Sucker Punch, à ce propos, c’est ce film dans le film, ce show dans le show. Où la réalité s’arrête-t-elle, où la fiction et le fantastique commencent-ils ? J’essaie de jouer avec cela dans chaque aspect du film. Les premiers plans montrent des rideaux qui s’ouvrent sur cette fille, qu’on découvre sur une scène de théâtre. Tu te demandes alors : “Est-ce réel ?” Et puis, elle se retrouve dans cet asile de fous, et elle-même se demande : “Est-ce la réalité ou suis-je en train de rêver tout cela ?” Le spectateur sait que ça ressemble à la réalité, mais dans une version plus stylisée. Enfin, elle arrive dans ce bordel, c’est le troisième niveau, un monde où elle s’échappe dans ses rêves. A la fin, je veux que tu te demandes si c’est vraiment la fin du film. Que tu te dises : “Attends, avec toutes les

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Clay Enos/Warner Bros Entertainment

Le film est tourné en “blue screen”, sans une once de décor réel

possibilités qui nous ont été données, est-ce vraiment la fin du film ? Et cette fille, au fond, est-elle réelle ?” Votre mère était professeur de peinture, et vous-même avez étudié les beaux-arts à Pasadena. Quelles sont vos références picturales ? J’adore créer des images de type baroque ; j’admire d’une part Frank Frazetta (le créateur de La Légende de Zelda – ndlr) pour ce qui concerne l’univers des fantasy, et d’autre part Jacques-Louis David en termes de peinture classique. David, c’est un peu le Michael Bay de l’art classique français, non ? (rires). Je me souviens, un jour, au Louvre, il y avait cette toile de David, Léonidas aux Thermopyles, et j’ai dit à mon guide – c’était juste avant la sortie de 300 – : “Ça alors, je viens de réaliser cette peinture en film”. C’est exactement la même chose. Sauf que mes acteurs sont obligés d’être un tout petit peu moins dénudés. L’influence de la peinture sur mon travail est fondamentale. Giovanni Battista Tiepolo aussi : j’ai toujours été fasciné par la peinture romantique, surtout quand elle a une dimension fantastique. Notamment cette toile, La Victoire de l’innocence et de la vertu sur le mal, qui m’obsède depuis que je suis enfant et que j’ai toujours gardée dans mon carnet de notes. Comment réussissez-vous à traduire cela en termes cinématographiques ?

Quand vous regardez mes films, tous ces types d’images apparaissent ici et là, de manière bizarre. Il y a toujours des effets spéciaux, certes, comme le pinceau du peintre. Mais là n’est plus la question aujourd’hui. C’est vraiment à toi de décider ce que tu veux créer en termes de cinéma. Car désormais, tout est possible, tu peux créer l’image que tu veux. Ta seule limite, c’est ton imagination, tes rêves. Quels sont les cinéastes que vous admirez le plus ? Ceux qui vous ont aidé à vous construire ? Je suis un fan invétéré de David Cronenberg, mais aussi de John Boorman. Excalibur est un chefd’œuvre. Sans oublier Terry Gilliam. Dawn of the Dead (2003) et Watchmen (2008) sont des films de critique politique, de contestation. 300 a, au contraire, été taxé de film de droite. Quel rapport entretenez-vous avec le contenu idéologique de vos films ? Mon dernier film est probablement le plus neutre que j’aie jamais fait politiquement. On a parfois dit de 300 qu’il était un film à message. Je pense, pour ma part, que Watchmen a une plus grande portée politique. Au sujet de Sucker Punch, on me demande souvent si ce film ne serait pas une sorte de manifeste incitant à l’insurrection et à la rébellion, avec tout ce qui se passe en ce moment au Moyen-Orient… Ce à quoi je réponds : “Cool, ok, bien sûr.” Mais pour

être honnête, de mon point de vue, ce n’est pas aussi politique que cela. Pourquoi s’attaquer au mythe de Superman dans votre prochain film ? En quoi votre film sera-t-il différent de celui de Bryan Singer ? Je dis toujours une chose : il faut connaître les règles afin de pouvoir les briser. A ce sujet, je pense vraiment que le Watchmen original, c’est la règle d’or, la bible pour comprendre l’univers et l’origine des superhéros. Il devrait y avoir des écoles “Watchmen”, où l’on puisse apprendre pourquoi les superhéros existent, ce qu’ils sont, avant de faire de la bonne propagande vous-même, en vous fondant sur les mêmes icônes (rires). Parmi toutes les sortes de superhéros, Superman est le modèle absolu. Le plus puissant d’entre eux aussi, avec cette forme de sagesse. Mon film interrogera un peu tout cela. Il posera aussi la question de la raison d’être de Superman. Je tâche de le rendre accessible, intéressant, et surtout réel. Car tel est le défi de filmer Superman : comment peut-il être assez empathique pour que tout un chacun se dise : “Si j’étais Superman, je ferais cela aussi. Ok, Superman, toi et moi, on est les mêmes, on est sur la même longueur d’ondes.” C’est cela l’enjeu avec Superman. Sucker Punch de Zack Snyder, lire la critique p. 70 30.03.2011 les inrockuptibles 65

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wanted : Laurent Tixador

Une gigantesque chasse à l’homme a commence à la mi-mars entre Nantes et Paris. Abonné aux projets les plus épiques, l’artiste Laurent Tixador a cette fois endossé l’habit du fugitif. Tentative de localisation. par Jean-Max Colard Du côté des chasseurs, les supputations vont bon train. Le chassé suivra-t-il là encore une ligne droite, traversant la campagne française, longeant des autoroutes, dormant sous les ponts ? Ou empruntera-t-il un itinéraire plus sinueux, plus urbain, pour prendre le contrepied des habitudes et mieux semer les poursuivants ? Sur le blog, Huntix-27 a soigneusement analysé la carte : “Comme vous pouvez le remarquer, le chassé part de Nantes et sera certainement amené à passer par Oudon ou Le Cellier. Mais il y a de fortes probabilités qu’il se retrouve de l’autre côté de la Loire (au sud). Il sera par conséquent obligé de passer par un pont quelconque, ce qui réduit considérablement les possibilités d’itinéraires. Si vous souhaitez l’attraper, il sera plus facile de se poster aux abords des ponts de la Loire.” Mais Huntix-22 revient sur cette hypothèse : “Je connais ‘le chassé’ depuis longtemps, mentionne-t-il. Il n’aime pas les lieux touristiques. Il aime les souterrains, les terrains vagues, les lieux désaffectés, le graffiti, etc. Je crois qu’il choisirait plutôt de marcher sur les bords d’une route nationale qu’au bord de la rivière.” Quelques jours plus tard, c’est toujours l’échec côté chasseurs : “18 mars. Ciel gris. Froid. Pas de pluie. Nous sommes partis ce matin en direction de Nantes, après avoir déposé les enfants à l’école. R.A.S., rien à signaler. Nous nous sommes fait un sacré trajet sur les routes départementales de la Mayenne et du Maine-et-Loire. Mais on n’a rien vu.” De notre côté, on s’est contenté de poster une question bête (“T’es où ?”) sur le profil Facebook du chassé. Une réponse est arrivée dans la nuit : “Gros malin, si tu crois que c’est aussi facile de le savoir, tu te mets un doigt dans

Courtesy de l’artiste, galerie In Situ Fabienne Leclerc

C

’est parti : la chasse à l’homme a commencé le 14 mars. Montant de la prime : 1 000 euros. Sur un blog, les chasseurs s’échangent des infos, dressent des cartes d’état-major et tentent d’imaginer comment le fugitif se déplacera pendant trois semaines, de Nantes à Paris. “Pour éviter (le référencement sur) les moteurs de recherche, commente l’animateur du blog, ne mentionnez jamais son nom. Dites plutôt ‘le chassé’.” Pour information, on sait que le chassé voyage à pied, que tout autre moyen de locomotion lui est interdit, et qu’il est attendu le soir du 7 avril dans le VIIIe arrondissement de Paris pour le vernissage de l’exposition Wani à la Fondation d’entreprise Ricard. Il lui faudra donc jouer serré dans les dernières heures en arpentant les beaux quartiers de la capitale. Ultime détail, et pas des moindres : le chassé est Laurent Tixador, artiste sauvage et merveilleux, hors du commun et formidable, pour qui l’art est à proprement parler une aventure. Que ce soit tout seul ou avec son comparse Abraham Poincheval, Tixador aura développé ces dix dernières années un art extrême de l’expédition : traversée de Nantes à Metz à pied et en ligne droite, remontée à la rame du canal du Midi, creusement d’un tunnel en Espagne, expérience de survie sur le toit d’un building coréen… Il fut encore le premier artiste parvenu au pôle Nord pour faire flotter parmi les glaciers un petit iceberg télécommandé. Et voilà qu’il ajoute à son compteur cette nouvelle entreprise, inquiétante, problématique et anxiogène : la chasse à l’homme faite œuvre d’art.

Autoportrait à l’iPhone de Laurent Tixador, seul au milieu de la campagne française, traqué par une trentaine de chasseurs

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l’œil. Je te le dis, mais c’est un secret : je suis quelque part dans la cambrousse. A bientôt à Paris (peut-être).” Connecté, donc. Je me décide à l’appeler un midi sur son téléphone. Il me rappelle quelques heures plus tard. “Salut Laurent, je ne vais pas te demander où tu es… – Si tu veux savoir, quelque part au bord d’une autoroute sous la pluie !” La conversation est régulièrement coupée, on est visiblement en pleine campagne. “T’es caché ? – Mais non, je suis plutôt camouflé. En mode furtif, en quelque sorte.” Encore une interruption. Etrangement, on n’entend aucune voiture en fond sonore. Une autoroute, vraiment ? “Tu te sens traqué ? – Oui, et je sais que je le suis. Avant le départ, je savais que vingt à trente personnes avaient déjà pris leur licence de chasse auprès de la Fondation Ricard. Et parmi elles, un chasseur très méthodique qui a pris quinze jours de congés pour ne faire que ça.” Comme si, entre le chassé et ses suiveurs, avait lieu une immense partie de cache-cache, un jeu de rôle grandeur nature sur le territoire. “Mais non, pas du tout. Il y a la prime de 1 000 euros qui ajoute une motivation très particulière. D’où je suis, je peux t’assurer que cette chasse n’est pas un jeu. C’est quelque chose de très paranoïaque, je vis dans une angoisse permanente. – Mais c’est pour ça que tu as fait cette chasse, non ? – Oui, je voulais faire une marche très différente de mes autres expéditions, je voulais surtout sortir d’une approche contemplative du paysage. Voyager en furtif, ça change complètement ton approche du monde et ton rapport aux autres. Jusqu’à ta manière de te déplacer : d’un côté, je suis ma logique, mais la leur est sans doute basée sur la mienne, et donc c’est calculable. Mais alors, est-ce que je dois sortir de ma logique et me surprendre moi-même ? Quand tu fuis, tu voyages avec la tête de quelqu’un d’autre. – Ton but, c’est quoi ? – Là, c’est d’arriver à Paris, d’être à l’expo le soir du vernissage – Et si on t’attrape ? – Pour cela, il faut avoir pris sa licence de chasseur. Celui qui m’aura coincé me prendra mes chaussures sans violence et les apportera comme trophée à la Fondation Ricard où elles seront exposées. – Dans ce cas-là, tu seras où ? – Je ne serai pas là le soir du vernissage. Je n’ai pas envie de me taper la honte devant tout le monde. Si je suis attrapé, je vais me cacher.” La Chasse à l’homme vernissage de l’exposition Wani le 7 avril à 18 h, en présence ou non de Laurent Tixador, à la Fondation Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe, t él. 0 1 53 30 88 00, www.fondation-entreprise-ricard.com 30.03.2011 les inrockuptibles 67

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Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder Un documentaire fin et patient sur une classe d’adolescents qui découvre avec bonheur le roman de Madame de La Fayette, à la barbe de Nicolas Sarkozy.



l y a quelques années, Nicolas Sarkozy avait franchi le “mur du con” en affirmant que la lecture de La Princesse de Clèves était inutile pour une guichetière de La Poste. Même si la polémique avec le Président n’était pas l’objectif principal du réalisateur Régis Sauder, son documentaire constitue une splendide et subtile réponse au propos présidentiel. Sauder et son équipe se sont immergés dans les classes de première et terminale du lycée Diderot, sis dans les quartiers nord de Marseille. Ils ont filmé les lycéens (et parfois leurs parents) en train d’apprendre et de travailler sur le roman de Madame de La Fayette.

C’est ce qui saisit primordialement dans ce film : voir des adolescentes et des adolescents de quartiers populaires, de toutes origines et de toutes teintes de peau lire ou réciter des extraits du texte, classique de la culture et de la langue françaises. Que leur diction soit fluide ou trébuchante, entendre les mots de Madame de La Fayette passer par la bouche de ces jeunes filmés frontalement et en plans serrés produit une puissante émotion. On pense au travail des Straub, qui faisaient dire du Dante, du Pavese ou du Vittorini aux ouvriers et paysans de Buti. C’est le même type de processus auquel on assiste ici : l’appropriation d’un pan de culture “noble” par une catégorie

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raccord Régis Sauder Cinéaste et documentariste engagé, Régis Sauder a filmé l’école, l’hôpital, la prison, les adolescents, mettant en valeur tous ceux qui tentent de construire une société meilleure. On peut citer Avortement, une liberté fragile (2004, pour France 5), Le Lotissement, à la recherche du bonheur et Lotissement, le temps des illusions (2006 et 2008, France 5), Mon Shanghai (2009, pour la chaîne Voyage).

sociologique à laquelle il n’était pas destiné, du moins pas selon une vision déterministe. Or, ces jeunes que l’on penserait surtout branchés rap et Facebook prennent un certain plaisir à apprendre, dire et analyser un livre qui “n’était pas pour eux”, ou qui serait “inutile” dans notre monde actuel. Or, passée l’émotion première de voir et entendre un texte se transmettre là où on ne l’attendait pas, le plus beau, c’est la compréhension et l’usage qu’en font ces lycéens. Ils ne se contentent pas d’apprendre par cœur, mécaniquement, juste pour se conformer au programme ou simplement pour faire plaisir à leurs parents (ou au réalisateur). Leurs commentaires sur le roman sont fins et personnels. Chacun, chacune relie cette histoire d’amour absolu à ce qu’il, elle vit, à ses propres élans, désirs, hésitations, à sa condition sentimentale et sexuelle. Chacun, chacune s’y reconnaît, s’identifie à la princesse, au prince ou au duc de

“La Princesse de Clèves” comme reflet des flux sentimentaux lycéens

Nemours, ou y reconnaît ses copains ou copines. La Princesse de Clèves comme reflet des flux sentimentaux lycéens ou mode d’emploi existentiel contemporain, toutes classes sociales confondues : peut-on rendre mieux justice au roman de Madame de La Fayette ? Ou mieux répondre à Sarkozy ? Et puis il y a les parents et le personnage, essentiel, de la mère de la princesse. Beaucoup identifient la mère, ses inquiétudes, ses conseils, à leurs parents. Parfois, cette identification est positive, quand ils les voient comme guides ou gardiens de leur intégrité morale ; parfois, elle est critique, quand on sent que les principes moraux des parents les entravent dans leur liberté relationnelle. Les parents sont présents dans le film : souvent d’origine étrangère, ne parlant pas tous un français parfait, leur plus cher désir est de voir leur progéniture s’intégrer, même s’ils ne le formulent pas ainsi, insistant surtout sur la réussite scolaire. Nous, princesses de Clèves paraît s’inscrire dans le sillage de films récents tels que L’Esquive ou Entre les murs. Pourtant, Régis Sauder révèle que ses lycéens marseillais “se sont sentis très proches du film de Christophe Honoré, La Belle Personne, parce qu’ils partagent avec ces personnages quelque chose d’ardent, de vital dans leur relation au texte. Par contre, ils réagissaient plus durement avec des films qui leur sont socialement plus proches parce qu’ils y voient une caricature d’eux-mêmes. Ils ont envie de s’approprier ce qui est différent d’eux, ce qui les élève, non pas leur image déformée.” Ce propos, a priori paradoxal mais au fond logique, résume parfaitement la tonalité esthétique, éthique et politique d’un film qui évite les clichés sociologiques et le prêt-à-voir. Serge Kaganski Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, avec Abou, Albert, Anaïs, Armelle, Aurore, Cadiatou, Chakirina, etc. (Fr., 2009, 1 h 09)

Nicolas Jaar, un ciné fils L’éclat de rire est familier. Mais on ne l’identifie pas encore tout à fait. La voix de Jean-Luc Godard le recouvre. Il parle de fini et d’infini, mais ses propos sont partiellement recouverts par des écoulements d’eau. La première voix reprend la parole. “Aujourd’hui, on voit le mineur ou le majeur assez souvent revenir. Il faut alors qu’ils décident s’ils seront dans l’expression ou dans le bras de fer avec ce qu’il resterait de système. Mais il n’y a plus de système.” Cette fois, on l’a reconnue ; c’est celle de Serge Daney. Quelques clapotis, la voix reprend, ajoutant des propos prélevés à la longue interview filmée que le mythique critique avait accordé à Régis Debray en 1992 (Serge Daney – Itinéraire d’un ciné-fils). “Et en même temps, est-ce qu’on peut décrire bien un paysage si on ne le parcourt pas de haut en bas ? Disons de la terre jusqu’au ciel et du ciel jusqu’à la terre. Aller-retour.” Une nappe de piano s’infiltre parmi les clapotis, bientôt accompagnée de bruitages bizarres, métronome, onomatopées en boucle et en écho. Nous sommes sur le seuil de Space Is Only Noise, le premier album electro du New-Yorkais Nicolas Jaar. A-t-il lu Daney ? Le jeune homme doit être cinéphile puisqu’il cite aussi Godard. Mais peut-être est-il tombé par hasard sur ces paroles et a-t-il seulement été séduit par la gravité de ce timbre, par cette voix cassée par le tabac. Hommage rendu à l’œuvre ou jeu d’associations sonores plus arbitraire : toujours est-il que ce retour musical de Daney nous touche cent fois plus que, par exemple, le pesant spectacle donné l’automne dernier au Théâtre du Rond-Point qui voyait le même entretien Daney/ Debray joué sur un mode stand-up par l’acteur Nicolas Bouchaud. C’est par leur voix, plus encore que par leurs propos, que reviennent intensément les fantômes. Du ciel jusqu’à la terre. De la terre jusqu’au ciel. Aller-retour.

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Je n’ai rien oublié de Bruno Chiche avec Gérard Depardieu, Françoise Fabian, Alexandra Maria Lara, Niels Arestrup (Fr., 2010, 1 h 33)

Sucker Punch de Zack Snyder

Le réalisateur du viril 300 réussit un girl-power movie trépidant dans des univers parallèles et chimériques.

 A

près les zombies dépenaillés (L’Armée des morts, 2003), les hoplites en short (300, 2006), les superhéros en collant (Watchmen, 2008), et les hiboux casqués (Le Royaume de Ga’Hoole, 2010), c’est sur les jeunes filles en minijupe que Zack Snyder a cette fois jeté son dévolu, signant là, surprise, son plus beau film. S’il est difficile de dégager de sa filmographie une vision du monde cohérente, quelques permanences stylistiques (ralentis, surcharge décorative à la limite du pompiérisme) et une appétence pour les bluescreen shots (décors incrustés) plutôt que pour les extérieurs bucoliques dessinent le portrait d’un parfait cinéaste geek, compulsif et rêveur, tel un enfant qui joue seul dans le noir en se répétant ad libitum “Et là, on dirait qu’on serait…”. On dirait qu’on serait quoi, alors ? En l’occurrence, des petites filles qui rêvent d’être des femmes qui rêvent d’être des hommes. Résumons : Babydoll (Emily Browning, marmoréenne), une jeune fille internée abusivement et menacée de lobotomie, s’évade de sa camisole par la pensée. Pour ce faire, elle commence par recouvrir les murs glauques de l’asile par des rideaux de satin rouge : elle sera danseuse de cabaret. Mais danser ne lui suffit pas : avec sa bande de pétroleuses glam glanées à l’HP, Babydoll s’imagine en guerrière, massacrant samouraïs géants

et zombies teutons, féroces dragons et habiles androïdes. Chaque numéro est ainsi l’occasion d’un rêve partagé (qui n’aurait pas déplu à Minnelli), au son d’une BO somptueuse qui recèle, si l’on est attentif, toutes les clés du film : Sweet Dreams (Eurythmics), Where Is My Mind (Pixies), Asleep (The Smiths), Army of Me (Björk)… La sombre réalité et son envers onirique : nous sommes là en terrain connu, voire pilonné ces derniers mois par les Grosses Bertha Inception, Shutter Island ou Black Swan. Sauf qu’ici, le tour de force – d’autant plus remarquable qu’on est à l’asile – est de détacher les visions hallucinatoires d’une éventuelle névrose. Babydoll projette ses visions sur le monde comme autant de films dans une salle de cinéma (la métaphore est filée), et la caméra, en choisissant de traverser – littéralement et à plusieurs reprises – le miroir, entérine son point de vue. Elle regarde autant qu’elle est regardée, le réel et son reflet fusionnent, et la folie n’est plus du côté des rêveuses mais de leurs tortionnaires, ces mad men véreux et vicieux (Jon Hamm, la bonne idée de casting). Les gamines, elles, dansent, rient, jouissent, jouent, traversent le monde et les sept mers. C’est ainsi que sont faits leurs rêves sucrés. Jacky Goldberg

Depardieu fascine dans une énorme daube. Une de plus. “Parasite : organisme animal ou végétal qui vit aux dépens d’un autre, lui portant préjudice, mais sans le détruire”, dit Le Petit Robert. Depuis le XXe siècle, on sait aussi que les parasites peuvent avoir une influence bénéfique sur la vie de leur hôte. C’est ce qui arrive au nouveau film de Bruno Chiche (Hell et Barnie et ses petites contrariétés). Il est parasité par son interprète principal, Gérard Depardieu, qui s’y installe comme en territoire conquis, jouant sa partition en solo, n’attendant rien des autres acteurs du film (parmi lesquels la grande Françoise Fabian, quand même), ni qu’ils le suivent, ni qu’ils l’accompagnent. Il faut dire que l’hôte est bien faible : on comprend à la fois tout, dès les premières minutes (tant c’est gros comme une maison), et rien (tant l’explication finale est poussive et alambiquée) à cette histoire policière mille fois rabâchée d’enfants intervertis. Le spectacle offert par Depardieu, intrus à la fois du récit et du film, est bien plus intéressant, dans son hétérogénéité, que cette histoire de famille invraisemblable baignant dans les clichés. Le parasite croît sur et grâce à son hôte, et nous livre un numéro personnel attrayant, ambigu, troublant. Jean-Baptiste Morain

Sucker Punch de Zack Snyder, avec Emily Browning, Abbie Cornish, Carla Gugino (E.-U., 2011, 1 h 49) Lire notre entretien avec Zack Snyder p. 63

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Médée Miracle de Tonino De Bernardi avec Isabelle Huppert, Tommaso Ragno (Fr., It., 2007, 1 h 23)

Le Vagabond d’Avishai Sivan avec Omri Fuhrer (Isr., 2010, 1 h 26)

Les vicissitudes d’un jeune Juif orthodoxe filmées de façon forte et abrupte. Isaac, jeune homme élevé dans une famille juive orthodoxe, étudie dans une yeshiva (école religieuse). Sa morne existence est perturbée par des douleurs aiguës qui l’amènent à consulter… Cet énoncé reflète la simplicité de ce premier film, dont l’extrême retenue formelle, le sens constant de l’ellipse et le refus du dialogue (du héros comme du film, peu bavards) laissent craindre, par leur radicalité janséniste, un retour de bâton sous forme d’explosion, d’acting out, destiné à se libérer du carcan que constituent des règles religieuses poussées presque jusqu’à l’ascétisme. Cette réaction ne manque pas de se produire : Isaac larguera sauvagement les amarres de la contrainte religieuse. Ceci étant la partie la moins intéressante du film qui, dans un premier temps, pourrait être assimilé à une déclinaison israélienne du syndrome de Bartleby. Isaac est au départ un rebelle interne, une sorte de zombie vêtu de noir, porté sur l’errance urbaine. Son radicalisme religieux est renforcé par le filmage, souvent en plans-séquences fixes, et par des cadrages parcellaires, bizarres, qui montrent une volonté de se dégager des canons classiques. Cela s’explique par le fait qu’Avishai Sivan vient du cinéma expérimental. D’où le travail esthétique sur l’image, la décomposition plastique du réel. Le style fait peu de concessions à la narration romanesque. Le film est abrupt et nu, tout comme la psyché de son héros semble vacante. L’embrayage sur une dramaturgie plus conventionnelle, fondée sur la transgression, est un peu décevant, mais Avishai Sivan n’en reste pas moins un talent à suivre dans le paysage frémissant du cinéma israélien, qui génère régulièrement de belles surprises.

Que serait Médée si elle ne parvenait pas à tuer ses enfants ? Isabelle Huppert a la réponse. Catherine Deneuve, Béatrice Dalle et Isabelle Huppert : elles sont trois actrices qui émulsionnent immédiatement les films où elles se trouvent, spécialité française à nulle autre pareille. La première nuance les films d’une ironie érotique, la deuxième les magnétise de sa plénitude corbeau, la troisième décide à elle seule du poids des scènes. Isabelle Huppert, c’est l’actrice la plus trouée – elle se laisse remplir par le mal, l’absence, les souvenirs – et la plus barricadée du cinéma français – elle renvoie toute tentative d’élucidation. Ici, c’est une corde plus ancienne de l’actrice que Tonino De Bernardi tire en inventant pour elle un dispositif mi-aventureux, mi-théorique. Il lui donne le rôle de Médée, mère vampire comme les affectionne l’actrice, mais une Médée impuissante qui ne peut tuer ses enfants et qui survit dans une banlieue mi-rouge, mi-immigrée. Cette manière de couper les ailes à la puissance meurtrière d’Huppert permet à l’actrice de retrouver une veine années 80 de son jeu, entre Godard (Passion) et Pialat (Loulou) : ce mixte de fureur prolo (souvenez-vous, la petite ouvrière godardienne aux abois, c’était elle) et de bonté exploitée qui lui va aussi si bien. Axelle Ropert

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Tous les chats sont gris d’Aleksi Salmenperä avec Ville Virtanen (Fin., 2010, 1 h 35)

Bonobos d’Alain Tixier Anthropomorphisme ringard, musique grandiloquente… Un recensement de tous les travers du cinéma animalier.

 L

e bonobo (Pan paniscus) est le grand singe le plus proche de l’homme (Homo sapiens sapiens), puisqu’ils partagent 98,7 % de leurs gènes. C’est le seul singe à vivre sous le régime matriarcal, et un mythe moderne lui attribue une sexualité débridée, bien réelle, dont il userait pour briser les conflits – des études récentes montrent que cette copulation pacificatrice ne serait en réalité pratiquée que par les bonobos en captivité. Sa population, en trente ans, serait passée de 100 000 à 10 000 individus dans la zone où il vit, en république démocratique du Congo (RDC). Souvent victime des braconniers, il est aujourd’hui protégé par les lois congolaises et internationales. Il y a dix ans, Claudine André, une Belge qui vit en RDC depuis toujours, a décidé d’ouvrir un centre d’accueil (Lola ya bonobo, “le paradis des bonobos” en langue locale) pour les homoncules en détresse que le hasard mettait sur son chemin dans les rues de Kinshasa. Avec son équipe, elle les réadapte peu à peu à la vie sauvage avant de les réintroduire dans la jungle. Le premier film de cinéma d’Alain Tixier (réalisateur de nombreux sujets pour Les Carnets de l’aventure ou Ushuaïa) est une sorte de docu-fiction qui se donne pour but

le film, à la fois didactique et grand public, inspire pourtant de méchantes pensées

de raconter la trajectoire exemplaire d’un bonobo prénommé Béni, de son enfance à l’âge adulte en passant par sa rencontre avec Claudine André et son séjour à Lola ya bonobo. Bonobos le film, produit par Jean-Pierre Bailly (heureux instigateur des docus à succès de Nicolas Vannier – Loup, Le Dernier Trappeur), à la fois didactique et grand public, inspire pourtant de méchantes pensées. Sans vouloir rejeter par principe le cinéma animalier, on peut quand même s’indigner du fait que l’on continue encore, après de nombreuses polémiques, à pratiquer ce sous-genre comme le faisaient Jean-Yves Cousteau ou Frédéric Rossif dans les années 70. Certes, avec dix fois moins d’argent que Jacques Perrin, Bonobos échappe à la correction numérique abusive d’Océans, mais il n’évite aucun des grands piliers du docucu SVT : musique grandiloquente, morale écolo neuneu (une voix off nous livre les pensées anthropomorphiques du singe), culte du héros sauveur, personnages secondaires sans nom (la plupart des employés de la réserve), bidouillage allègre (alliances de plans pris visiblement dans des lieux et à des moments fort différents), et puis ce petit refoulé colonialiste qui oblige Claudine André (doublée parfois par Sandrine Bonnaire, on ne sait pas pourquoi) à ne jamais quitter ses beaux uniformes kaki ou beiges… Jean-Baptiste Morain Bonobos d’Alain Tixier, avec la voix de Sandrine Bonnaire (Fr., 2011, 1 h 30)

Mélo finlandais décevant. Cette histoire de paranoïa galopante où un père imagine à tort que son fils et sa fille ont une relation incestueuse aurait pu être une comédie grinçante. C’est presque le cas dans la meilleure séquence, où le fils, gardé prisonnier sur une île, s’empare d’un sabre japonais ; son geôlier, ami de son père, saisit la lame. Le bruit mat des doigts coupés tombant sur le sol (puis mis à l’abri dans sa bouche !) est tout ce qu’on retient de cette œuvre sans caractère. On est loin d’y retrouver la touche douceamère et tragicomique du producteur du film, Aki Kaurismäki, plus doué pour la réalisation que son poulain. Vincent Ostria

The Company Men de John Wells avec Ben Affleck, Kevin Costner (G.-B., E.-U., 2010, 1 h 52)

Quatre cadres américains face à la crise. Que filmer de la crise qui ne l’a pas déjà été ? Une multinationale : classique. Quatre cadres perdant tour à tour leur emploi en pleine récession : jusque-là, c’est commun. Leur réaction ? L’un quitte sa femme pour une plus jeune. Un autre, ne se sentant plus digne d’être père, accepte de devenir charpentier. La métaphore du licenciement castrateur, du regain de virilité par le sexe ou par le travail manuel : pas nouveau, pas très fin non plus. En fait, The Company Men, petit film fébrile, blafard et un peu coquet, intéresse surtout pour le traitement de ses acteurs. Ce ne sont pas là quatre simples cadres dynamiques piochés dans un docu, mais quatre acteurs oscarisés et à la carrière un peu somnolente qui viennent se confesser. En cela, le film prend une dimension plus touchante. T. P.-C.

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Bienvenue Mister Chance d’Hal Ashby avec Peter Sellers, Melvyn Douglas, Shirley MacLaine (E.-U., 1979, 2 h 10, reprise)

Chez Gino de Samuel Benchetrit avec lui-même, José Garcia, Anna Mouglalis (France, 2008, 1 h 40)

Postmoderne, postpotache, postGondry : un éprouvant postnavet. oilà déjà le troisième long métrage de Samuel Benchetrit, après Janis et John (2003) et J’ai toujours rêvé d’être un gangster (2008). Trois longs métrages traversés par une même envie : celle de ressembler, de braquer les apparences. Ce sont les sosies de Janis Joplin et de John Lennon dans le premier. C’est le cinéma de Jim Jarmusch dans le second (Coffee and Cigarettes, notamment). Et principalement celui de Michel Gondry dans Chez Gino (avec Soyez sympas, rembobinez). Mais on voudrait tout aussi bien nous y faire rencontrer Coppola père, Woody Allen, Wes Anderson et les frères Coen. Pour hériter de la fortune d’un oncle sicilien, Gino (José Garcia), simple patron d’une pizzéria de Bruxelles, doit prouver qu’il est devenu un parrain respecté en Belgique. Pour ce faire, il engage un réalisateur un peu minable (Samuel Benchetrit lui-même, si si) pour tourner un faux documentaire sur sa vie de mafieux accompli. En clair, le film qu’ils entreprennent n’est autre que la version suédée (c’est-à-dire un remake autoproduit avec des bouts de ficelle) du Parrain de Coppola. Et pourquoi pas, après tout ? Seulement voilà, le film est mal écrit, mal structuré (cette pénible parenthèse italienne en noir et blanc), mal filmé et mal rythmé (l’incapacité maladive à opérer le bon timing d’un gag). Mais ce qui agace le plus, à vrai dire, avec Chez Gino, c’est cette posture de petit malin qui appose ses Post-it dans la marge de l’histoire du cinéma : c’est tout le sens de la mise en abyme du film suédé dans le film suédé, la fausse modestie de la facture du film et cette allure d’autodérision permanente. Bref, en filmant un faux film en train de se faire, Benchetrit a réussi l’exploit de produire deux navets pour le prix d’un.

V  

Un charmant conte philosophique. L’avant-dernier rôle de Peter Sellers. Après la mort de son patron, un jardinier analphabète et inculte, Chance (Peter Sellers), est recueilli par hasard par un milliardaire puissant (Melvyn Douglas, génial) et son épouse (Shirley MacLaine ). Séduits par ses airs de vieux sage et ses phrases sibyllines, ils tombent sous son charme sans comprendre qui il est réellement. Chance va peu à peu conquérir l’Amérique. Un conte contemporain extrêmement riche et touchant : à la fois une fable morale (l’idiot du village qu’on prend pour un génie, les habits qui font le moine), une leçon sur les pièges du langage (qu’arrive-t-il quand on prend au sens figuré des propos tenus au sens propre) et une fable politique visionnaire (le meilleur candidat est celui qui n’a pas de passé) quelques mois avant l’accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis. Peter Sellers, dans son avant-dernier rôle, donne de l’humanité à un personnage opaque et presque inhumain, vague descendant beckettien du Bartleby de Melville. J.-B. M.

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en salle Week-end avec Paul Vecchiali La Cinémathèque de Toulouse accueille Paul Vecchiali tout un week-end. Du 1er au 3 avril, le cinéaste viendra présenter quatre de ses films, et non des moindres : En haut des marches, Les Gens d’en-bas, Femmes femmes et Corps à cœur. Une carte blanche lui permet également de proposer L’Etrange Madame X de Jean Grémillon. Enfin, une rencontre est prévue à l’occasion de la parution de son livre, somme sur le cinéma français des années 1930, L’Encinéclopédie. Week-end Paul Vecchiali, du 1er au 3 avril, Cinémathèque de Toulouse

hors salle Jameson : 4 textes pour 4 films

box-office c’est la lutte Deux nouvelles sorties prennent la tête du box-office au terme des cinq premiers jours d’exploitation. La lutte des classes de Ma part du gâteau (C. Klapisch) réunit un peu plus de 530 000 spectateurs, suivie par la lutte armée de World Invasion: Battle Los Angeles (J. Liebesman) avec 314 000 spectateurs. A signaler, Rango, de Gore Verbinski (2 700 entrées), fait le meilleur démarrage aux séances de 14 h à Paris depuis True Grit il y a un mois (3 600 entrées).

autres films Tous les soleils de Philippe Claudel (Fr., 2010, 1 h 45) Big Mamma : de père en fils de John Whitesell (E-U., 2011, 1 h 47) Easy Money de Daniel Espinosa (Sue., 2010, 2 h 04) Equinoxe de Laurent Carcélès (Fr., 2006, 1 h 20) Toumast – Entre guitare et kalashnikov de Dominique Margot (Sui., 2010, 1 h 29)

Collection Danielle Darrieux

Fictions géo-politiques croise le cinéma, la littérature, la géographie et la philosophie politique en tentant de résoudre cette problématique : comment représenter la complexité de notre système-monde ? Ainsi, Fredric Jameson, philosophe américain ayant contribué au renouveau de la pensée marxiste, propose une analyse de quatre films (ou points cardinaux) comme autant d’exercices de “cartographie cognitive” : Le Jour de l’éclipse (1987) d’Alexandre Sokourov, The Terrorizers (1986) d’Edward Yang, Passion (1982) de Jean-Luc Godard et Perfumed Nightmare (1977) de Kidlat Tahimik. Fictions géopolitiques de Fredric Jameson (Capricci), 196 pages, 13,50 €

Danielle et Max, en 1953

mémoires de… Un très beau livre sur la relation entre Max Ophuls et sa muse du Plaisir et Madame de…, Danielle Darrieux.

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e livre est l’histoire d’un rendez-vous manqué ou, pour le dire autrement, il fait le récit d’une absence. Dominique Delouche, auteur de films sur la danse et de deux longs métrages de fiction interprétés par Danielle Darrieux (Vingt-quatre heures de la vie d’une femme en 1968 et Divine en 1975), a rencontré Max Ophuls un an avant sa mort, à l’occasion d’une projection de Lola Montès,

dont il sortit “matraqué par la virulence du poème, la nouveauté du langage, la provocation formelle”. Dans un article publié par la revue Télécinéma, il fut l’un des seuls, avec les “jeunes turcs” des Cahiers du cinéma, à défendre le dernier film d’Ophuls. Le livre s’ouvre sur le récit de la rencontre entre Ophuls et le jeune aspirant cinéaste, dans le salon de l’appartement de Neuilly où il lui rendit visite à plusieurs reprises, au cours de l’hiver 1956, un an

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le livre fait se répondre un fantôme et une absente avant sa mort prématurée à l’âge de 54 ans. Presque soixante ans plus tard, des bribes de souvenirs remontent à la surface. Il est question de “vide”, de “néant”, de “revenants”, d’“absence”. Delouche se souvient qu’Ophuls demandait à ses acteurs d’être “le reflet du vide”. Ou bien que sur le tournage de Madame de…, il donna à Danielle Darrieux cette seule indication : “Ici, chère Danielle, votre tâche sera extrêmement difficile, vous allez avoir à incarner le vide. Pendant toute la première partie du film, vous devez, avec votre beauté et votre élégance, incarner l’inexistence. N’oubliez pas que vous devez exprimer le néant.” Car Danielle Darrieux est entrée en scène, non pas directement (le livre aurait rêvé d’organiser une rencontre entre Ophuls et sa star fétiche), mais à travers des coups de téléphone, des fax que l’actrice envoie à Delouche, bref des intercesseurs fictionnels pas très éloignés des boucles d’oreilles de Madame de… que, sur le tournage, Ophuls ne cessa de nommer ses “boucliers”. En un jeu illusionniste de miroirs qui fait écho à la mise en scène ophulsienne – ce style du détour, du contournement, du voile, qui fit s’exclamer Mankiewicz, agacé, lors de la projection privée de Madame de que Danielle Darrieux organisa pour lui pendant le tournage de L’Affaire Cicéron : “Take off the curtain !” (“Enlevez-moi ce rideau”) –, le livre fait se répondre un fantôme et une absente. Le paradoxe incarné par la meilleure actrice française est qu’elle n’existe, en tant qu’interprète de son personnage, que pendant la durée de la prise, le reste du temps, la femme “Danielle Darrieux” disparaissant, elle, aux yeux du monde. Delouche raconte ainsi sa visite au “moulin dans les bois, cerné de hautes murailles”, où, telle la Belle au bois dormant, Danielle Darrieux se retire, hors des tournages, un décor où pourtant chaque détail (“un tricycle d’enfant rejeté sur le côté, comme voulant donner une note souriante, peut-être calculée, à ce décor austère”) semble la signature d’un metteur en scène invisible. Comme si, après la mort d’Ophuls qui entraîna son effondrement (“Le vide devant moi”), Danielle Darrieux avait continué, secrètement, en vraie revenante, à lui obéir. Hélène Frappat Max et Danielle – Les années Darrieux de Max Ophuls de Dominique Delouche (La Tour Verte, 2011), 132 pages, 13 €

Cold Fish

Deauville, terre de Sion Le Japonais Sono Sion en perturbateur génial du festival Deauville Asia. n attribuant le prix du meilleur film à Eternity, le jury de la 13e édition du festival Deauville Asia aura au moins eu le bon goût d’honorer la Thaïlande (dont, à l’exception du phare Weerasethakul, on ne sait pas grand-chose). Le drame fantastique et élégant de Sivaroj Kongsakul a en effet été l’un des moments forts d’un festival sans grande imagination, où le néoréalisme toc (Donor) le disputait au mélo hystérique (Buddha Mountain) et au docu-fiction ethnographique (le chinois The Old Donkey, option bonne valeur paysanne vs pieuvre capitaliste : déjà vu). Mais dans sa volonté de consensus (mou), le jury a aussi oublié de récompenser le mauvais élève du festival (donc le meilleur) : Sono Sion, qui réalise avec Cold Fish son film le plus abouti, le plus violent aussi. Moins dispersé que Love Exposure (sa longue odyssée romantico-trash de plus de quatre heures), son dernier film en reprend le principal motif : le décrochage d’un père de famille paumé, ici entraîné par un psychopathe dans une cavale criminelle. Le portrait grand guignol et néopunk d’une société japonaise au bord de l’asphyxie, par l’un des derniers grands malades du cinéma. Romain Blondeau

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Les Amours imaginaires de et avec Xavier Dolan (Can., 2010, 1 h 35), MK2, env. 21 €

Passage souterrain (1974)

une couleur : noir Retour sur Krzysztof Kieslowski avec plusieurs inédits, où l’on découvre un cinéaste incisif, très loin de la pompe de sa période française tardive. Les films L’œuvre de Krzysztof Kieslowski reste mal connue. Lacune que la sortie de ce double DVD comble partiellement avec cinq de ses premiers films. L’aspect le plus flagrant est l’irrésistible glissement du documentaire (genre de ses débuts) à la fiction. Le seul documentaire présenté, Premier amour (1974), démontre que le cinéaste était un peu gêné aux entournures avec le réel. Le film est abouti formellement mais, bien qu’il décrive les difficultés d’un jeune couple, il n’a pas l’acuité de ses fictions. Pourtant, celles-ci conservent une importante dimension documentaire. La scène de mariage de La Paix (1976) semble avoir été inspirée par celle de Premier amour. On y retrouve le même défilé de proches faisant des vœux pour l’avenir de la mariée. Seulement les choses sont inversées : dans le documentaire, les parents souhaitent à la jeune épouse une vie moins mauvaise que la leur ; dans la fiction, la mère espère qu’elle sera aussi heureuse qu’elle l’a été avec son mari. Un effet flagrant de la Kieslowski’s touch : cette scène béate, prélude à un cruel et tragique twist final. L’une des constantes des quatre fictions c’est la trahison, latente ou patente, et/ou

peu de psychologie, pas une once de lyrisme, les premières fictions de Kieslowski sont toujours modernes

la tromperie. C’est le sujet sous-jacent de la première fiction du cinéaste, Passage souterrain (1974), un court métrage réussi, où un jeune homme rend visite à son ex, qui ressemble à un jeu de dupes (le contexte est faussement sentimental). Le plus intéressant reste le parallèle entre des films distincts révélant la même désillusion politique chez le cinéaste : la grève des ouvriers d’un chantier dans La Paix (dont Kieslowski affirmait que c’était le premier film polonais montrant une grève), et celle des travailleurs d’une petite ville, concrétisée par une émeute, dans Une brève journée de travail (1981). A chaque fois, Kieslowski dénigre les petits chefs, les apparatchiks manipulateurs, au profit du peuple (remarque également valable pour l’autobiographique Le Personnel). Discours évidemment mal reçu dans la Pologne communiste. Bien que produits par la télévision d’Etat, La Paix et Une brève journée de travail furent interdits (un label de qualité dans le contexte). Peu de psychologie, pas une once de lyrisme, les premières fictions de Kieslowski, tournées comme des documentaires, sont toujours modernes. Kieslowski, l’antiromanesque. Les DVD Un bonus qui fait une vague synthèse des thèmes des films présentés ; un autre plus consistant où un historien replace utilement les films dans leur contexte politique. Vincent Ostria Krzysztof Kieslowski : Premiers plans 2 DVD, 5 films, Ed. Montparnasse, environ 20 €

Un film chamarré et romantique. Le film On a trop vite évoqué un possible “cinéma générationnel” quand, en deux films solitaires et très autocentrés, Xavier Dolan ne faisait que se raconter. Deux essais pour le fantasme romantique d’un jeune garçon hors du monde, menés au rythme d’un roman cut-up (quelque chose de Rose poussière de Jean-Jacques Schuhl). Dans la petite chronique sentimentale Les Amours imaginaires, il mêle sans aucun souci de hiérarchie Wong Kar-wai, Cocteau, Almodóvar dans un autoportrait en forme de mosaïque pop, suave et colorée, mais surtout incroyablement affranchi. Le DVD Comme en anglais, bêtisier se dit bloopers en québécois, mais ça ne suffit pas à faire des suppléments intéressants. Romain Blondeau

Mourir comme un homme de João Pedro Rodrigues avec Fernando Santos, Alexander David (Port., Fr., 2009, 2 h 13), Epicentre Films, env. 20 €

Le spleen d’un transsexuel en fin de vie. Magnifique. Le film Comment dépasser sa condition, les limites qu’imposent la nature et la foi ? C’est la question que se pose Tonia, transsexuel hésitant à changer de sexe. Et c’est tout le mystère du troisième film du Portugais João Pedro Rodrigues, fascinante variation de mélodrame, de film de guerre, de musical queer et de fantastique diffus. Dans ce film à la beauté mélancolique, la seule issue, la seule possibilité d’élévation, a lieu post mortem. “Lève-toi dans le chagrin”, répétera Tonia. Le DVD Le cinéaste évoque son travail d’enquête sur le milieu trans lisboète des 80’s dans un entretien. R. B.

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brutal fantasy Nouvelle étape dans le jeu de rôle occidental avec un Dragon Age II envoûtant mais déséquilibré.

L  remise de prix sacre britannique pour Mass Effect 2 Mass Effect 2 a obtenu le prix du jeu de l’année lors de la cérémonie de remise des Bafta Awards vidéoludiques, qui s’est tenue mi-mars à Londres et dont l’autre grand vainqueur fut Heavy Rain, revenu avec trois trophées. Des récompenses ont aussi été décernées à Assassin’s Creed: Brotherhood, Super Mario Galaxy 2, Civilization V, Need for Speed: Hot Pursuit, Kinect Sports ou Cut the Rope, alors que le public couronnait le best-seller Call of Duty: Black Ops.

e jeu de rôle occidental est à un tournant. Historiquement dominant, il se trouve confronté à deux tendances intimement liées : la popularité des superproductions japonaises (même si elles aussi semblent depuis peu en crise) et la suprématie, au moins commerciale, des consoles (avec tout ce que cela implique en termes d’interfaces ludiques) sur les plates-formes PC, où il avait bâti son succès depuis les années 1980. Avec Star Wars: Knights of the Old Republic et les deux Mass Effect, le studio américain BioWare, père du classique Baldur’s Gate, avait merveilleusement su s’adapter, trouvant une manière de raconter des histoires complexes en impliquant le joueur pressé. Suite d’un titre déjà controversé, Dragon Age II tente de réitérer l’exploit de ses prédécesseurs SF. Mais, peut-être parce qu’il substitue au space opera soyeux de ces derniers un univers fantasy brutal très référencé, de Tolkien à Donjons et Dragons, le résultat se révèle aussi envoûtant que curieusement déséquilibré. Le décor même surprend. Alors que le genre nous a habitués aux décors féeriques, Dragon Age II se déroule pour l’essentiel dans une cité grisâtre. Ce parti pris n’est cependant pas un hasard : si notre groupe d’aventuriers tourne en rond, il est constamment aiguillé par des éclats narratifs suggestifs. Et nous voilà bientôt, tout en anticipant un tournant épique de l’aventure, baladés de mélodrame familial en rivalité commerciale, assistant tel

personnage en échange d’une récompense, assassinant ou épargnant tel autre selon notre bon vouloir, avec quelques flambées sectaires surnaturelles pour pimenter la sauce et sortir un peu de la routine – on exagère à peine. Au boulot, donc, les amis. De jour comme de nuit, la ville regorge de quêtes à accomplir. Peu à peu, une trinité se dessine. Il y a les textes écrits, peut-être le point fort de Dragon Age II, savamment évocateurs pour qui prendra le temps de les lire. Il y a aussi les scènes cinématiques, aussi raides qu’omniprésentes – n’est pas Final Fantasy qui veut. Et puis les combats, très orientés “action”, à l’image de ceux de Mass Effect, bien conçus mais qui se déroulent à un niveau encore autre, bassement terrestre. Au joueur de faire le lien, s’il le peut. C’est sa responsabilité et, littéralement, son rôle. S’il décide de le tenir sérieusement, il partira pour un voyage qui, malgré quelques désagréments, en vaut largement la peine. Erwan Higuinen Dragon Age II sur PS3, Xbox 360 et PC (BioWare/Electronic Arts, de 55 à 70 €)

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faux départ Jouissif fantasme pour fous du volant, mais timing malencontreux. ertains jeux tombent lancement de ce qui devait limité de niveaux, n’est en particulièrement être l’un de ses gros jeux du particulier pas du meilleur mal. Après avoir printemps et de ne plus goût. lâché leurs bolides approvisionner les magasins Ludiquement, ce dans des environnements après leur livraison initiale. nouveau MotorStorm désertiques, tropicaux puis Les développeurs Apocalypse tient en tout cas glacés, les développeurs n’avaient pourtant pas ses promesses, poussant britanniques de la série de de mauvaises intentions : à l’extrême les principes jeux de course MotorStorm MotorStorm Apocalypse des précédents pour avaient choisi, pour s’apparente au fond à donner naissance à son quatrième épisode, un équivalent comics (avec une sorte de simulation un décor apocalyptique. des interludes dessinés et d’autotamponneuses Une ville confrontée à une un esprit vaguement punk) à grande échelle, à un terrible catastrophe des fantaisies automobiles fantasme pour fous (plutôt naturelle et dont chaque cartoon (rondes, souriantes, que virtuoses) du volant, immeuble menace colorées) de Mario Kart. pour adeptes du flirt de s’effondrer. Tout juste fait-il preuve permanent avec la perte Au Japon, la sortie du jeu d’une certaine insensibilité, de contrôle. Il n’est pas a logiquement été reportée loin d’être exceptionnelle impossible qu’on en vienne sine die. Dans la plupart dans le jeu vidéo, mais qui à l’apprécier. Mais sans des pays européens, elle passe mal quand elle se doute plus tard. E. H. a été maintenue, mais Sony trouve confrontée au réel. a annoncé son intention L’apparition de passants MotorStorm Apocalypse de limiter la campagne paniqués sur notre route, sur PS3 (Evolution/Sony, environ 7 0 €) marketing associée au dans un nombre certes

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Tiny Wings

Pokémon version Noire et version Blanche

Sur iPhone et iPod Touch (Andreas Illiger, 0,79 €) Les oiseaux virtuels ne sont pas tous en colère. L’Allemand Andreas Illiger en présente un tout gentil aux fans d’Angry Birds. Gentil, et décidé à voler loin malgré ses petites ailes – pauvre chou. Du doigt, le joueur les déploie et les replie à volonté. Et se retrouve bientôt aussi possédé que lorsqu’il découvrait Doodle Jump.

Sur DS (Nintendo, environ 40 €) Un bestiaire intégralement renouvelé, des décors plus urbains, de savants effets de perspective graphique et une ambiguïté morale inédite (ne faudrait-il pas libérer ces charmants animaux ?) : l’excellente saga Pokémon fait sa révolution. Ses nouvelles versions, Noire et Blanche, sont aussi parmi les plus riches parues à ce jour. 30.03.2011 les inrockuptibles 79

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mystère de l’Est La légende veut que cet homme masqué et casqué vienne de Metz. Il descend plutôt, à tire-d’aile, du paradis. Cascadeur, ou comment offrir à la pop d’ici de renversantes acrobaties aériennes.

Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

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on connaît la chanson

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ystère et boule de gomme. Cascadeur est un musicien sans visage, toujours vêtu d’une combinaison et coiffé d’un casque de pilote de chasse sur une cagoule de catcheur mexicain. Son premier album, The Human Octopus, flotte entre différents courants musicaux profonds : le lyrisme éreinté de Radiohead, de Talk Talk ou de Sparklehorse ; l’étrange et précieuse pureté vocale d’Antony Hegarty ou de Klaus Nomi ; les compositions claires, savantes et néanmoins populaires de Benjamin Britten ou d’Erik Satie. Un impressionnant disque sonar, dont les influences et l’inspiration circulent comme des échos. Un disque à écouter au casque, toutes écoutilles fermées. De Cascadeur, on ne savait pas grandchose : vainqueur du concours CQFD en 2008, sensation scénique aux dernières Francofolies de La Rochelle et au Festival des Inrocks. Il se prénomme Alexandre et vient de Metz. Pour démasquer l’hommepieuvre (ou plutôt le décasquer), on aurait pu le retrouver à la piscine, ou dans un aquarium. Mais il serait sans doute arrivé en tenue de plongeur. On préfère donc l’interviewer au cours d’un déjeuner, où il arrive accoutré en normal et sans casque – c’est plus facile pour manger. Alexandre est coquet : il refuse de dire son âge. Disons qu’il ressemble à un adolescent, mais largement quadragénaire. L’enfant est en lui. Déjà, quand il a fomenté son projet au milieu des années 2000, il s’est souvenu d’un jouet, un motard blanc sur un tremplin. “La thématique m’intéressait : la dissimulation, la doublure, la prise de risques, l’anonymat… Un cascadeur, c’est l’inverse d’un casse-cou : ça réfléchit à tout.” Vu comme ça, Alexandre est un cascadeur. Il a pensé à tout, conceptualisant Cascadeur dans ses moindres détails. En commençant par le(s) début(s). Le premier album autoproduit de Cascadeur, enregistré en 2005, était dans la formule piano-voix et il s’appelait The Human Octopus, comme le nouveau, sorti le 28 mars. Alexandre avait décidé de sortir de l’ombre après une longue série de collaborations (il a notamment joué des claviers dans Fugu, travaillé avec Orwell et Variety Lab). Flash-back : du piano, il en joue depuis l’âge de 8 ans. Cascadeur sur son tremplin, social et culturel. “L’histoire de ma famille, c’est très important pour Cascadeur.” Fils unique, Alexandre descend d’une famille d’immigrés italiens, arrivés dans l’Est pour travailler dans la sidérurgie. Son père est devenu architecte, puis directeur

“je me déguise pour pouvoir être moi-même” de l’école des beaux-arts de Metz. “Mon père a joué du hautbois, et ma mère, du piano. Ils étaient mélomanes, tous les ans on partait à Vérone voir des ballets, des concerts. J’ai découvert la musique par les disques de mes parents : l’opéra, les Beatles, Pink Floyd, le jazz… C’est sûr, j’ai été conditionné.” La famille vit dans un appartement au-dessus de l’école d’art. Petit, Alexandre aime se déguiser en Zorro pour provoquer les étudiants en duel. Quand il joue du piano (il en joue beaucoup), les étudiants peuvent suivre ses progrès à travers le son qui voyage dans les canalisations de l’immeuble. “Des êtres invisibles m’entendaient”, dit-il. Fast-forward : Cascadeur vit dans un grenier-studio d’enregistrement, où il enregistre The Human Octopus version 2011 (l’odyssée de l’espace, parce que Cascadeur adore Kubrick, et que ça s’entend dans son disque). “Mon studio, c’est un sas, un cockpit, un vaisseau spatial.” Ce disque est quasiment un remake : les morceaux sont issus des trois albums autoproduits par Cascadeur entre 2005 et 2008, réarrangés. Guest-stars : des cordes comme s’il en pleuvait, Midlake sur deux chansons, et surtout The Young Rapture Choir, merveilleuse chorale pop et juvénile de Cognac, dont vous pouvez télécharger un album gratuit sur internet (ce n’est pas un conseil, c’est un ordre !). Et c’est ainsi que Cascadeur s’évade et plane, métamorphosant Alexandre en chef d’orchestre de la musique lunaire. “Je me déguise pour pouvoir être moi-même. La musique me permet d’être celui que je ne peux pas être avec les raisons et les codes sociaux. L’art me construit et me fragilise. Grâce à Cascadeur, j’ose enfin être très émotif, pleurer et trembler visiblement, mais sous ma cagoule.” Bas les casques… Stéphane Deschamps photo Pierre Le Bruchec Album The Human Octopus (Casablanca/Mercury/Universal) www.myspace.com/cascadeur Concerts le 31 mars à Belfort, le 2 avril à Amiens, le 16 avril à Tourcoing, le 20 avril à Alençon En écoute sur lesinrocks.com avec Téléchargement de l’album de The Young Rapture Choir sur www.youngrapturechoir.com

cas d’urgence La mélancolie est bonne conseillère : elle guide automatiquement vers les grands disques. C’est là qu’on se laisse ferrer par Ferré. Le cafard, c’est vraiment une sale bestiole, qui s’incruste en vous à la moindre occasion (marre du boulot ? du métro ? manque de dodo ?) et se cramponne avec une écœurante délectation. Les jours – ou plutôt les soirs, car cet animal vicelard ne s’épanouit que dans le noir – où il vous tombe dessus, il importe de savoir réagir vite afin de ne surtout pas céder à son emprise. N’escomptez pas trouver une oreille secourable à la pharmacie la plus proche, qui d’ailleurs sera certainement fermée. Dans de pareils cas, vous ne pouvez – vous ne devez – compter que sur vos propres oreilles, car c’est par elles que le remède s’écoulera – et s’écoutera. Ainsi, lorsque s’abat la lourde chape de la mélancolie, la musique reste votre alliée la plus fidèle et la plus sûre, celle qui ne vous a jamais déçu et qui jamais ne vous trahira. Cela, au fond, vous le savez déjà : il y a tant d’années qu’elle vous accompagne, vous requinque ou vous galvanise, vous apaise ou vous électrise. Alors, l’âme dans le vague et le cœur dans la brume, vous allez d’instinct vers un de ces disques dont vous connaissez les pouvoirs cathartiques et, à la fin, déjà ragaillardi, vous entendez ceci : “Comme si je vous disais que les amis de vos amis peuvent faire des millions d’amis/Comme si je vous disais d’aller tous ensemble faire la révolution.” Offrant un écho si exact à tous les soulèvements populaires des dernières semaines, ces paroles jaillissent d’une chanson intitulée Le Conditionnel de variétés. Elle figure sur un album (La Solitude) sorti en 1971, mais elle aura toujours 20 ans, cette chanson. Elle emporte et réconforte, et prouve, s’il en est encore besoin, que Léo Ferré est vraiment un chanteur d’avenir.

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Trois ans après la sortie de leur premier album, les Britanniques menés par le dandy Ed Macfarlane reviennent enfin. Enregistré aux côtés du producteur Paul Epworth, en France, dans le Sussex et à New York, Pala verra le jour le 16 mai. Un premier single, Live Those Days Tonight, est déjà en écoute sur le site du groupe. wearefriendlyfires.com

Selah Sue

le joli mois de mai d’Europavox  Niché au cœur des volcans d’Auvergne, le festival de Clermont-Ferrand accueillera, pour cette édition 2011, encore une flopée de groupes européens et d’artistes confirmés. Au programme de ce sixième volet : Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Selah Sue, Boys Noize, Gotan Project, Polock, La Femme, Twin Twin ou Thomas Dybdahl. Du 25 au 28 mai. www.europavox.com

Catherine Losing

J.-B. Mondino

Friendly Fires ravive le feu

cette semaine

Cabaret contemporain La musique classique et contemporaine ? Même pas mal, même pas peur ! Grâce notamment au Cabaret contemporain qui organise des événements dans des lieux insolites (patinoire, péniche, bar…). Prochain rendez-vous parisien, baptisé soirée Hors Pistes, au Studio de l’Ermitage, avec des DJ et des œuvres de Ligeti, Xenakis, Crumb et Fukushima interprétées par les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain. Le 6 avril à Paris (Studio de l’Ermitage) www.cabaret-contemporain.com

les sauts de chat du Prince Miiaou Aussi fascinante sur disque que sur scène, la jeune instigatrice du Prince Miiaou continue son entreprise de conquête avec une tournée à travers le pays. On en miaule de plaisir. Le 30 mars à Rouen, le 31 mars au Havre

jouez en live dans “Ce soir (ou jamais !)” Ce soir (ou jamais !) s’associe aux Inrocks lab, le concours de découvertes musicales des Inrocks, pour permettre à l’un des artistes solo ou groupes du site de se produire en live dans l’émission de France 3. Pour s’inscrire, rendez-vous jusqu’au 2 mai sur le site des Inrocks lab pour poster une vidéo live. Le gagnant, choisi par un jury composé de représentants de l’émission et des Inrocks lab, sera connu à la fin du mois. http://cesoiroujamais.lesinrockslab.com

neuf

The Beta Band Maverick Sabre

Fever Fever Programmé à Londres le 1er mai par Les Inrocks dans le cadre du Camden Crawl, ce trio mixte a promis d’y mettre la fièvre fièvre. Fastoche avec ces chansons sèches, cinglantes, nerveuses jusqu’au tremblement, qui réveillent sans ménagement le punk qui sommeille en vous. www.myspace.com/feverfevertheband

Elevé en Irlande mais révélé à la musique depuis son exil londonien, le très jeune Maverick Sabre s’est déjà positionné pour prendre la relève de The Streets, suite au jet d’éponge de Mike Skinner. Avec un nom pareil, on n’est pas surpris qu’il donne dans la soul tranchante, au scalpel, avec un regard noir et intense d’outsider. mavericksabre.com

The Kinks Il n’y a pas d’âge, pas de lieu, pas d’époque pour réécouter la pop nerveuse des Kinks. Mais il y a une excellente raison : de plantureuses rééditions Deluxe, qui proposent des versions fourmillantes et enrichies des deux premiers albums des Londoniens de terrain. www.deezer.com

Scandaleusement sousestimés de leur vivant malgré des concerts tourneboulants et des chansons défoncées (top pour remuer les fesses de la pop), les Beta Band sont morts pauvres, oubliés, souvent pillés par leurs pairs, de Blur aux Django Django. Un best-of se souvient tardivement du génie précurseur des Ecossais. www.betaband.com

vintage

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“on se sent bien dans notre situation de challenger” Pedro Winter

PedroW inter, en child techno des années 80

Ed Banger, le carton jeune Let the Children Techno, proclame la dernière compilation Ed Banger. Rencontre à Lyon avec Pedro Winter, le fondateur du label electro, et DJ Mehdi, un de ses poulains.

 S

ur le pont de la Marquise, péniche stationnaire et haut lieu des nuits musicales lyonnaises, on y pense, on y pense. On pense à la soirée Mini Sonore de 2010 (destinée aux enfants dans le cadre du festival Nuits sonores) où Pedro Winter se mit dans la poche tout ce que l’ex-capitale des Gaules compte d’electro-mélomanes

en culottes courtes avec son costume de dinosaure à houppette. On pense à l’ambiance très “repas de classe postbac blanc” des soirées organisées par le label de Justice, d’Uffie et de SebastiAn, à laquelle n’ont d’ailleurs pas coupé celles commémorant ses 8 ans. On pense, enfin, au titre de la quatrième compilation frappée du sceau Ed Banger, Let the Children Techno. Jusqu’à ce que DJ Mehdi mette un terme à nos élucubrations. Affable et disert comme un curé de campagne, il est celui qui connaît le mieux Ed Banger et son grand dadais de manager : “L’idée de cette compilation mixée à quatre mains est venue de Pedro. Il voulait décloisonner le label et tourner en dérision certains clichés,

comme celui qui veut qu’Ed Banger soit une grande famille où tout le monde s’aime. Il voulait dresser une cartographie de la musique électronique actuelle telle que nous la concevons et montrer qu’Ed Banger ne se résume pas à un seul son. Quand on dit “Let the children techno”, le sous-entendu est évident. C’est nous qui sommes des grands enfants, capables d’être choqués en 2006 par Justice, en 2008 par Skream et en 2010 par Djedjotronic et Siriusmo. Nous ne sommes pas soumis à une espèce de nomenclature techno qui n’aurait pas évolué depuis les années 90.” N’en déplaise aux persifleurs, la comparaison entre Ed Banger et la célèbre usine à délices de Willy Wonka (dans le roman Charlie et la Chocolaterie) s’arrête au goût prononcé de leurs dirigeants pour une image de marque soignée, créative et excentrique. Monté le jour où Winter est passé, par accident, du management de Daft Punk à la production de disques, le label n’a en effet jamais eu vocation à régner sur le monde des sucreries compressées, hautement énergétiques. A peine remis de sa découverte des bouchons lyonnais (ceux où les quenelles sont des pots d’échappement), Pedro confirme : “La méthode de travail que j’ai choisie, c’est de prendre mon temps. En huit ans, on a sorti seulement 50 maxis, 5 albums et 3 BO de films. Je me sens bien dans cette situation de challenger qui est la nôtre. Ça peut paraître bizarre dans ma bouche, mais je n’ai pas d’ambitions spécifiques si ce n’est de laisser une trace.” Objectif atteint haut la pochette par Let the Children Techno, placé sous le signe du “fun” et de “l’imprévisibilité” où, entre un riff Suicidaire de Mr. Oizo et l’une de ces mélodieuses séances de mastication dont Flying Lotus a le secret, poulains (Cassius, Breakbot, Busy P et DJ Mehdi eux-mêmes) et apparentés (Duke Dumont, Zombie Nation, Discodeine…) se fendent d’inédits sentant tout sauf les fonds de tiroir. Un sans-faute. Benjamin Mialot Album Let the Children Techno de Busy P & DJ Mehdi (Ed Banger/Because) www.edbangerrecords.com En écoute sur lesinrocks.com avec 30.03.2011 les inrockuptibles 83

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OKO

Tahiti touch Une fois encore, retour gagnant pour les Normands de Tahiti 80 avec un album riche en tubes, plus électronique et moderne que jamais.



epuis sa formation, au cœur des années 90 et de la Normandie, Tahiti 80 évolue en marge : des modes, des courants, des étiquettes et, surtout, du grand public. Sousestimée en son pays, la troupe de Xavier Boyer développa, bien avant le carton américain de Phœnix, le profil du groupe moins connu chez lui qu’à l’autre bout du monde. Vraiment l’autre bout, d’ailleurs : c’est au Japon que les Français sont le plus populaires. En France, ils restent, malgré une multitude de tubes imparables, condamnés à siéger aux banquets

de la petite famille des indés. Et voguent de label en label depuis une grosse quinzaine d’années – c’est aujourd’hui sur le leur, Human Sounds, que paraît leur album The Past, The Present & The Possible. “Pas mal de gens n’ont jamais vraiment compris Tahiti 80 ici, explique Xavier Boyer. Le fait qu’on soit à la fois trop pop, pas assez rock, un peu electro, pas assez ceci… Au Japon, je pense que le public s’est reconnu en nous : ce côté groupe français aimant la culture anglo-saxonne, cette figure d’outsiders, c’est quelque chose que les Japonais doivent partager avec nous.” Les quatre albums qui composaient

jusqu’alors la discographie de Tahiti 80 dessinaient un parcours à la fois éclectique et cohérent, comme autant de pièces bigarrées d’un puzzle homogène. Chaque nouveau disque est une renaissance, et ce nouveau recueil, plus riche en claviers et boîtes à rythmes, sonne aussi comme cela, après la série de pop-songs plus classiques du dernier Activity Center. “C’est un disque qui s’inscrivait dans la lignée de mon album solo sous le nom d’Axe Riverboy : on l’avait conçu comme un album presque live, il fallait que la personne qui l’écoute ait l’impression visuelle d’avoir un groupe devant lui. On a tourné pendant

deux ans, on est redevenu un groupe rock. De retour en studio, on a donc eu envie de lâcher un peu les guitares et de reprendre les synthés.” Sans pour autant négliger l’écriture des morceaux : Tahiti 80, aujourd’hui riche de deux membres de plus, reste une des meilleures machines à composer des chansons pop en France, et l’univers plus électronique que dévoile ce chapitre inédit ne saurait en aucun cas altérer le songwriting, exemplaire, du groupe. De Want Some, qui ressemble à une ballade de Teenage Fanclub produite par Air, à Gate 33 et Solitary Bizness, qui pourraient être deux énormes tubes, Tahiti 80 continue de conforter sa position de groupe intemporel, un pied dans la tradition, l’autre tourné vers l’avenir. “J’avais des frères qui écoutaient de la musique quand j’étais jeune. Ils m’ont fait écouter les Stone Roses, les Happy Mondays, des vrais groupes transversaux, issus d’une tradition de rock anglais très marquée, mais qui allaient aussi dans des rave parties. Les chapelles n’étaient pas si distinctes, on pouvait passer d’un genre à un autre. C’est quelque chose qu’on a toujours voulu faire avec le groupe.” L’album bénéficie de la participation de l’ex-Heatmiser et excomplice d’Elliott Smith, Tony Lash, et de celle du producteur scandinave Tore Johansson. Il a beau évoquer “le passé, le présent et le possible”, c’est surtout un réjouissant disque d’avenir. Johanna Seban Album The Past, The Present & The Possible (Human Sounds/Discograph) www.tahiti80.com Concerts le 7 avril à Paris (Bataclan), le 16 à Lille En écoute sur lesinrocks.com avec

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Eric Legnini & The Afro Jazz Beat

Marc Bressant

The Vox Discograph

Malachai Return to the Ugly Side Double Six/Domino

Tortueux et captivant, un grandiose duo de Bristol. ristol abriterait-elle en ses rues le germe de la confusion ? De Massive Attack à Banksy et Tricky, ses enfants semblent ainsi tous dotés d’un vicieux penchant commun pour brouiller les pistes et semer le trouble. Intronisé par Geoff Barrow de Portishead, ce duo partage avec ses concitoyens un don inouï pour embrouiller les fils avec grâce et réaliser l’impensable : construire, sur des bases instables, le plus cohérent des édifices pop. Sinueux, déroutant, inclassable tant les frontières entre les genres semblent ici se confondre, Return to the Ugly Side brise avec audace toutes les règles de l’harmonie pour marier, avec une poésie et une force de frappe insensées, pop sixties (Anne), trip-hop, dub, electro et épopées orchestrales immenses (Monsters). Dans cette fascinante messe noire, ne reste alors plus qu’à se laisser entraîner : le chaos qui y règne est d’une dangereuse séduction.

 B

Ce piano-jazz a la bougeotte : il est belge, italien, africain et parfois américain. Après avoir cohabité avec les jazzmen de la diaspora transalpine (d’Aldo Romano à Di Battista), le pianiste italo-belge Eric Legnini sort un album qui, tout en continuant à s’appuyer sur la musique de toutes les aventures (le jazz, donc), explore l’implacabilité du funk et les chemins de traverse rythmiques de l’Afrique. Comme son nom le laisse deviner, The Vox est surtout articulé sur la voix. Celle de l’Américaine de Paris Krystle Warren qui, riche de sa passion pour la pop et le folk, offre à la moitié des onze thèmes un subtil nuancier, des ténèbres mélancoliques à la grande lumière. Entre cette voix féminine particulièrement inspirée dans le registre soul, le pianiste en chef et ses habituels compagnons, les épousailles sont parfaites. Christian Larrède Concerts les 31 mars et 1er avril à Sceaux, le 2 avril à Vernouillet, le 15 à Vendenheim www.myspace.com/ericlegnini En écoute sur lesinrocks.com avec

Ondine Benetier

François Berthier

www.myspace.com/malachaibristol En écoute sur lesinrocks.com avec

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Lucille Reyboz

Avishai Cohen

Ron Wyman

Seven Seas Blue Note/Emi

Bombino Agadez Cumbancha/Pias Le blues du désert de ce Touareg prodige rencontre son cousin américain. armi les grands moments de la vie du Touareg nigérien Omara “Bombino” Moctar, il y a sans doute ce concert de janvier 2010 au pied de la mosquée d’Agadez (la vidéo est sur internet). La musique s’embrase en joie violente, nécessaire catharsis dans une vie d’adversité. Bombino, 30 ans, rentre alors de trois ans d’exil au Burkina Faso. En 2007, il avait dû fuir le Niger après l’exécution de deux de ses musiciens par les militaires. Un an après Agamgam, chef-d’œuvre acoustique, Agadez est le premier album international de Bombino. Un disque enregistré en partie aux Etats-Unis, avec des musiciens américains. Pour autant, la musique de Bombino n’est pas déracinée ni dénaturée. Nomade dans l’âme, elle est toujours aussi unique et magique. Le rock touareg, ou blues du désert, est par nature économe. Bombino en joue une version épurée, étirée, zébrant ses chansons hypnotiques de riffs de guitare électrique subtils et puissants. Sur Iyat Idounia Ayasahen, Bombino et son groupe sonnent comme un Velvet ocre, au coucher du soleil. Sa voix douce, presque féminine, louvoie comme un ruisseau au milieu de chansons qui ont soif. Il y a une science ancienne, immuable et réparatrice, dans le chant de Bombino. Il y a Skip James, Tim Buckley, Bob Marley et Ali Farka Touré, l’essence de la chanson folk poussée dans les hauts confins du mysticisme. Stéphane Deschamps

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Monogold The Softest Glow En téléchargement sur Bandcamp

Des enfants pour Animal Collective, et des enfants sacrément doués. Dès les premiers arpèges de The Softest Glow, on sait d’où les New-Yorkais Monogold tirent leur pop ébouriffée : directement, sans filtre, du Sung Tongs et du Feels d’Animal Collective. Mêmes psalmodies tribales, mêmes chansons-gigognes aux progressions stellaires. Mais Monogold ne copie-colle jamais : psychotrope et dense, épique et complexe, rempli de chansons belles à filer la chair de poule, The Softest Glow est un univers propre, qu’on explore avec fascination. Thomas Burgel

Concert le 2 avril au Blanc-Mesnil (festival Banlieues Bleues) www.bombinoafrica.com En écoute sur lesinrocks.com avec

En concert cette semaine, l’Israélien prend le large sur des mers inconnues. De Daniel Yvinec à Jan Garbarek, les enchanteurs du jazz actuel sont souvent ceux qui s’éloignent à larges encablures des canons du genre. Le contrebassiste et compositeur israélien Avishai Cohen s’échappe lui aussi : les pieds dans l’une des sept mers et le regard vers l’horizon, il conte en musique la saga de Sinbad le marin. Seven Seas est imprégné des traditions musicales juives qui ont bercé son enfance. Avishai Cohen a enregistré en Suède en compagnie d’un virtuose de l’oud et d’un jeune chien fou. Les compositions, structures et improvisations sont au service d’un déluge d’émotions, discrètes ou telluriques. Pas de clichés dans cet album : le cosmopolitisme de Cohen est à la fois stylistique (labyrinthe virtuose) et culturel, comme une odyssée du métissage. Christian Larrède

monogold.bandcamp.com En écoute sur lesinrocks. com avec

Concerts le 30 mars à Vincennes, le 1er avril à Arcachon, le 2 à Cenon, le 4 à Paris (Olympia, complet) www.avishaimusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Papercuts Fading Parade Sub Pop/Pias

La pop précieuse d’un Américain enfermé dans une chambre (d’échos). “Je ne cherche pas à mettre une claque aux gens” : voilà une manière bien peu aguicheuse pour Jason Quever de défendre son groupe Papercuts. Et effectivement, cet album ne s’agrippe pas, braillard, aux oreilles de son auditeur pour capter son attention. Il s’adresse à lui de façon bien plus discrète, plus insidieuse, et sans doute plus convaincante. Délaissant les airs bariolés à la Devendra Banhart pour se noyer béat dans les brumes et la réverbe, le Californien a bâti son Fading Parade au pied du mur du son spectorien. Sophistiqué, il s’impose pourtant par sa candeur, désarmante. Catherine Guesde www.myspace.com/thepapercuts

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Simon Dalmais The Songs Remain Bee Pop/Abeille Musique

Sin Fang Summer Echoes Morr/La Baleine Inventée dans les cieux d’Islande, une pop-music qui échappe à la pesanteur. vant, cette fanfare biscornue entièrement utopique que tissent là-haut d’Islande s’appelait Sin Fang Bous synthés colorés et instruments ancestraux, – et heureusement, le mot “bous” à base de popopopop céleste (de Buffalo a quitté son nom, la bouse ayant Springfield à Animal Collective), mais si peu à voir avec cette musique gracieuse déréglée de mille chœurs hippies et de et raffinée. Sin Fang, donc, plus encore micro-arrangements épiques. Un art de la aujourd’hui qu’à l’époque de l’enchanteur fugue en catimini qui culmine sur Nineteen, Clangour, est la capsule spatiale qu’a bâtie une chanson comme on n’en entend Sindri Már Sigfússon en marge de son généralement que dans ses rêves les plus groupe Seabear pour fuir toute pesanteur incompréhensibles. JD Beauvallet terrestre. Détachée du quotidien et des réalités mornes, c’est une musique www.myspace.com/sinfangbous

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La pop voyageuse et rêveuse d’un Français bien entouré. Le petit frère de Camille, claviériste de Sébastien Tellier, s’invente à 30 ans une autre famille – d’Olivier Manchon (Clare & The Reasons) au guitariste Sébastien Martel. Puis part en expédition, piano impressionniste et chant délicat, vers un royaume insoupçonné, où Tom Jobim prendrait le thé sur une plage de Californie, en compagnie de Dennis Wilson. Il s’agit de pop voyageuse, aux chansons parfois entrecoupées d’instrumentaux, en BO de films qui restent à imaginer. Toutes ces musiques en suspens annoncent l’émergence d’un maître artisan modeste, stylé et aérien. C. L. www.myspace.com/ simondalmais

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Phil Manley Life Coach Thrill Jockey/Differ-ant

Noah And The Whale Last Night on Earth Cooperative/Pias t Entre production eighties et symphonies pop, retour surprenant des Anglais gonflés à bloc : du tube en tube. ’est en effectuant un drôle de mélange entre le nom du réalisateur Noah Baumbach et celui de son film The Squid and the Whale (en français Les Berkman se séparent) que Charlie Fink a agencé celui de son groupe : Noah And The Whale. En empruntant son patronyme à celui qui réalisa aussi l’an passé Greenberg et en multipliant les références aux films de Wes Anderson dans ses vidéos (revoir le joli film réalisé pour accompagner l’album Peaceful, the World Lays Me down, est vivement conseillé), Noah And The Whale a d’emblée dessiné les contours de son monde : c’est le spleen doré, la tendresse bancale et la mélancolie radieuse de Rushmore qu’on retrouve dans les pop-songs du groupe. Car Charlie Fink, méconnu de ce côté de la Manche, est une star en Angleterre, un génie capable de composer de parfaites petites symphonies pop (Five Years Time, Love of an Orchestra), de chanter mieux encore qu’Ian McCulloch d’Echo & The Bunnymen. Sur Last Night on Earth, son troisième album, Noah And The Whale opte pour une production plus eighties et scrute l’Amérique : celle de Springsteen (Give It All back), celle de Twin Peaks (Wild Thing), celle des campus radios (L.I.F.E.G.O.E.S.O.N.). L’entreprise, franchement déroutante à la première écoute, s’avère redoutable avec le temps : porté par une demi-douzaine de tubes potentiels, Last Night on Earth est une usine à cartons (l’irrésistible Just Me Before We Met, qui rappelle que Coldplay a tout pompé à Echo & The Bunnymen), une formidable leçon de songwriting pop, un truc à renvoyer The Killers et U2 au piquet (Waiting for My Chance to Come). Ce n’est plus Rushmore, c’est Terminator.

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La musique méditative et sautillante d’un évadé américain. Débarrassé de la rigueur et de la cuirasse de son groupe Trans AM, Phil Manley rêve, une brindille d’antimoine aux lèvres. On se croirait chez Kraftwerk : en plein milieu de la Ruhr, dans un sous-bois bucolique. A Forest : on s’imaginerait aussi volontiers dans cette chanson de The Cure, mais sous l’eau, en plongée sans bouteille, sans bulles, dans le mercure. On n’a pas pris de drogue hallucinogène : on écoute juste les plages de sable fin que ratisse avec un peigne en or l’Américain, et cette musique, instrumentale, qui raconte pourtant de très nets paysages, des cavalcades exaltantes sur l’arc-en-ciel. JDB www.thrilljockey.com

Queens Of The Stone Age Queens of the Stone Age Rekords Rekords/Domino/Pias

Treize ans après, le premier Queens Of The Stone Age continue de fumer : danger. Avec un nom pareil, il était évident que le premier album des Queens Of The Stone Age (1998) donnerait un jour lieu à une écoute archéologique. Il vient d’être réédité, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faut faire preuve de patience pour en mettre à jour les trésors, les You Would Know, Mexicola et How to Handle a Rope, entre autres croquis des chefs-d’œuvre de rock’n’roll cool et pugnace qui figurent sur Rated R (2000) et Songs for the Deaf (2002). Avant cette (re)découverte capitale, il faut en effet réussir à entamer les couches de sédiments des années Kyuss (son rugueux, compos manquant de relief) et surtout se faire à l’idée que, sur un bon quart des morceaux, la voix de Casanova du Delta de Josh Homme et les riffs monolithiques caractéristiques du stoner ne sont que des affleurements. Des formalités au regard de la récompense. Benjamin Mialot www.qotsa.heroku.com En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/noahandthewhale Concerts le 26 avril à Lille, le 27 à Rouen et le 28 à Paris (Gaîté Lyrique) En écoute sur lesinrocks.com avec

Lisa Johnson

Johanna Seban

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Guy Aroch

Alex Turner Submarine Domino/Pias En six titres radieux, la BO d’un film signée du chanteur des Arctic Monkeys. e titre du film est Submarine : cette écriture autant romantique pas étonnant qu’Alex Turner, que goguenarde, qui calme ici en rupture avec les Arctic ses crises d’électricité au coin Monkeys pour cette BO d’un piano et d’une guitare inoffensive, agisse en sous-marin. crooneuse. Exemple de ce petit Soit gribouiller le cahier des triomphe, ce moment dylanien où charges, détourner la commande Turner ricane : “Si tu tiens vraiment avec toute la malice et le sens à marcher sur l’eau/Fais au moins de la formule qui font la puissance attention à porter des chaussures de ces chansons où une vie confortables.” Un joli sous-marin anglaise dure trois minutes, rit jaune. JD Beauvallet rigoureusement sifflables sous la douche. Le storytelling En écoute sur lesinrocks.com reste le trademark absolu de avec

 L

Fleet Foxes Battery Kinzie Prévu pour le 2 mai, le nouvel album des Américains se dévoile peu à peu avec un second titre immense, Battery Kinzie, dévoilé lors de l’émission de Zane Lowe sur les ondes de la BBC. onethirtybpm.com

Jamie Woon Night Air Voix scotchante de soulman blanc, chansons produites avec un pointillisme hors norme : Jamie Woon est moderne, splendide mais humble, plus proche du futurisme d’un TV On The Radio que d’un quelconque passé à revisiter éternellement. www.myspace.com/jamiewoon

Cults You Know What I Mean En attendant la sortie d’un album au mois de mai, le couple originaire de San Diego, mais installé à New York, livre un nouvel extrait de leur très prometteur premier enfant à travers un You Know What I Mean sous perfusion Diana Ross. www.gorillavsbear.net

Born In Alaska The Plain Vous pensiez que la Normandie ne donnait naissance qu’à des combos pop-rock sous influence de l’Albion voisine ? Il est temps de vous faire une raison : le groupe de Saint-Lô baptisé Born In Alaska en l’honneur de Sigur Rós et Kings Of Convenience fait frissonner les corps avec son folk grand-nordique, puissant et salé. www.lesinrockslab.com/born-in-alaska 30.03.2011 les inrockuptibles 89

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Dès cette semaine

Adam Kesher 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Akron/Family 19/4 Paris, Café de la Danse And You Will Know Us By The Trail Of Dead 1/4 Paris, Maroquinerie Angus & Julia Stone 26, 27, 28, 30/4 & 1/5 Paris, Trianon Archive 3, 4 et 5/4 Paris, Grand Rex Asa 19/10 Paris, Zénith Avi Buffalo 8/7 Paris, Flèche d’Or Carl Barât 16/4 Paris, Trianon BBK Live Du 7 au 9/7 à Bilbao avec Coldplay, Crystal Castles, Amy Winehouse, Kasabian, Kaiser Chiefs, The Chemical Brothers, !!!, Blondie, Beady Eye, TV On The Radio, etc. Belle And Sebastian 11/4 Paris, Grand Rex Best Coast 23/4 Paris, Maroquinerie Tne Bewitched Hands 30/3 Poitiers, 1/4 Massy, 2/4 Lyon, 7/4 Six-Fours, 8/4 Marmande, 9/4 La Rochesur-Yon Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon Blackfield 29/4 Paris, Trianon James Blake 23/4 Bourges, 25/4 Paris, Maroquinerie Bonaparte 26/4 Paris, Maroquinerie Brigitte 31/3 Flers, 7/4 Les Sablesd’Olonne, 8/4 Béthune, 9/4 Rennes, 21/4 Bourges, 23/4 Chelles, 30/4 Colmar,

Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille

avec Keziah Jones, Jamaica, BB Brunes, etc.

The Dø 6/4 Lille The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère 5/5 Marseille, 6/5 Avignon, 7/5 Nancy, 8/5 Neufchâteau, 12/5 Lyon, 13/5 Toulouse Anna Calvi 30/3 Dijon, 17/4 Marseille, 19/4 Bordeaux, 20/4 Lyon, 22/4 Paris, Trianon, 23/4 Saintes, 24/4 Bourges Cascadeur 30/3 Paris, Fnac des Ternes, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 16/4 Tourcoing, 20/4 Alençon, 24/4 Bourges, 11/6 Montereau Teofilo Chantre 9/4 Paris, New Morning Chocolate Genius Inc. 30/3 Amiens, 31/3 Lille, 2/4 Annecy, 7/4 Paris, Café de la Danse, 8/4 ClermontFerrand, 9/4 Arles, 13/4 Angoulême, 14/4 La Rochelle, 15/4 La Rochesur-Yon, 21/4 Bourges Cocoon 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Concrete Knives 30/3 Caen, 3/4 Lille, 23/4 Bourges Crocodiles (+ Chad Vangaalen) 8/4 Paris, Flèche d’Or Data Rock 4/4 Paris, Flèche d’Or The Dears 15/4 Paris, Flèche d’Or Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Deerhoof 19/4 Paris, Maroquinerie Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing

Does It Offend You, Yeah? 21/4 Paris, Nouveau Casino, 22/4 Angers, 23/4 Bourges Stéphane Eicher & Philippe Djian 9/4, Mulhouse, 19/4 Dinan, 29/4 ConflansSainte-Honorine, 30/4 Villeparisis, 5/5 Meaux, 6/5 Denain, 7/5 Rungis, 18/5 Stavelot, 19/5 Laon, 20/5 Courbevoie, 21/5 Rombas Eli Paper Reed 6/4 Lyon, 7/4 Paris, Flèche d’Or, 10/4 Marmande Elysian Fields 2/4 Amiens, 17/5 Paris, Café de la Danse, 20/5 Montbelliard, 21/5 Lyon, 23/5 Marseille, 25/5 Bordeaux, 26/5 Pau, 27/5 SaintNazaire Eurockéennes de Belfort Du 1er au 3/7, avec Arcade Fire, Beady Eye, Beth Ditto, Arctic Monkeys, Motörhead, House Of Pain, Katerine, Anna Calvi, etc. Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Fancy 8/4 Paris, Nouveau Casino Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Glasser, Le Corps Mince De Françoise, Le Prince Miiaou, etc. Festival Concerts Sauvages Du 2 au 9/4 au Domaine des Portes du Soleil,

Festival Beauregard Toujours aussi novateur, le festival normand s’offre les petits jeunes qui montent et les valeurs sûres du rock et de la pop britannique pour trois jours de concerts estivaux. Du 1er au 3/7 à HérouvilleSaint-Clair, avec Motörhead, The Kooks, Kasabian, Anna Calvi (photo), Katerine, Cold War Kids, Agnes Obel, The Ting Tings, Two Door Cinema Club, Eels, etc. Festival Europavox Du 25 au 28/5 à ClermontFerrand, avec Cocoon, Catherine Ringer, Aaron, Boys Noise, etc. Festival Garorock Du 8 au 10/4 à Marmande avec The Streets, Morcheeba, The Bewitched Hands, Jamaica, Nasser, Katerine, etc. Festival K-Live 27 & 28/5 à Sète avec The Jon Spencer Blues Explosion, Jessie Evans, Servo, etc. Festival Nouvelle Chanson Du 7 au 9 avril aux Sablesd’Olonne avec Brigitte, Bertrand Belin, Arnaud Fleurant Didier, Joan As Police Woman, Yael Naim, etc. Festival Panorama Du 7 au 10/4 Morlaix, avec Vitalic, Crookers, Katerine, Sebastian,

Nouvelles locations

Stromae, DJ Mehdi, Cascadeur, etc. Festival Terra Trema Du 27 au 30/4 à CherbourgOcteville, avec Ebony Bones, Zone Libre vs Casey, The Luyas, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Foodstock 23/4 Paris Francofolies Du 12 au 16/7 à La Rochelle avec Cocoon, The Dø, Yelle, Katerine, Asa, etc. Frankie & The Heartstrings 2/4 Paris, Flèche d’Or Fujiya & Miyagi 21/4 Lille, 22/4 Caen, 23/4 Rennes, 26/4 Paris, Alhambra, 27/4 Strasbourg, 28/4 Lyon, 29/4 Montpellier, 30/4 Marseille Gablé 5/4 Paris, Café de la Danse The Gaymers Camden Crawl Du 30/4 au 1/5 à Londres avec Saint-Etienne, Villagers, Hadouken!, Toddla T, Bo Ningen, Frankie & The Heartstrings, Sound Of Rum… Glasser 30/3 Paris, Divan du Monde, 31/3 Metz, 1/4 Strasbourg, 2/4 SaintEtienne, 3/4 Grenoble John Grant 1/4 Paris, Café de la Danse Guillemots 2/5 Paris, Café de la Danse Hangar 28/4, 5 & 12/5 Paris, Boule Noire Hushpuppies 2 & 3/4 Tourcoing, 8/4 Nantes, 9/4 Chelles, 14/4 Lyon, 15/4 Montpellier, 16/4 Mont-deMarsan, 20/4 Bourges, 22/4 Perpignan, 23/4 Salon-de-

En location

Provence, 27/4 Paris, Alhambra, 30/4 Bordeaux, 12/5 Toulouse, 13/5 Sannois, 14/5 Massy, 18/5 Strasbourg, 19/5 Amiens, 20/5 Pagney, 26/5 Tours, 27/5 Saint-Lô, 15/7 La Rochelle I Blame Coco 1/4 Paris, Alhambra Jamaica 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The BellRays Camelia Jordana 6/4 Paris, Trianon Kasabian 1/7 HérouvilleSaint-Clair Katerine 27/5 Paris, Olympia Mamani Keita 10/6 Paris, Maroquinerie Keren Ann 24 & 25/5 Paris, Cigale Kid Congo and The Monkey Bird 9/4 La Rochelle The Kills 6/4 Paris, Bataclan BB King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 11/4 Chalonsur-Saône, 12/4 L’Isled’Abeau, 24/4 Auch, 29/4 Paris, Grande Halle de la Villette, 1/6 Brest La Fiancée 1/4 Nancy, 16/4 Nice Lilly Wood & The Prick 11/5 Paris, Bataclan Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 6/4 SaintQuentin, 20/5 Paris, Cigale Main Square Festival Du 1er au 3/7 à Arras, avec Coldplay,

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Linkin Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. James Vincent McMorrow 30/3 Paris, Café de la Danse, 1/4 Lille Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Minitel Rose 1/4 Montpellier, 9/4 Auxerre Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris,

Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Alexi Murdoch 13/4 Paris, Café de la Danse Nasser 7/4 Villeurbanne, 8/4 Marmande, 9/4 Morlaix, 16/4 Lille, 14/5 Rennes New York Dolls 11/4 Paris, Flèche d’Or Noah And The Whale 26/4 Lille, 27/4 Rouen, 28/4 Paris, Gaîté Lyrique Les Nuits Botanique Du 10 au 29/5 à Bruxelles, avec Sufjan Stevens, Animal Collective,

Caribou, The Black Lips, Katerine, The Dodos, etc. Les Nuits Sonores Du 1er au 5/6 à Lyon avec Battles, DJ Shadow, The Sonics, Crystal Stilts, Brodinsky, etc. Agnes Obel 4, 5 et 6/7 Paris, Bouffes du Nord Raul Paz 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Josh T Pearson 14/4 Brest, 15/4 Paris, Café de la Danse, 16/4 Rennes, 17/4 Toulouse, 19/4 Colmar, 20/4 Tourcoing Peter, Bjorn & John 9/4 Paris, Point Ephémère

Printemps de Bourges Du 20 au 25/4 à Bourges, avec Aloe Blacc, Lykke Li, The Dø, James Blake, Mélanie Laurent, Yael Naim, etc. Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith, 8/4 Nantes, 9/4 Quimper, 10/4 Rennes, 23/9 Paris, Casino de Paris Sakifo Musik Festival Du 9 au 12/5 à La Réunion avec Chapelier Fou, Yodélice, Stromae, Les Wampas, etc. Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie

aftershow

Wu Lyf le 22 mars à Brighton, The Green Door Store Cette nouvelle salle, au décor industriel saccagé, est le théâtre idéal pour le rock dévasté de Wu Lyf. Il y a plus d’un an, on a confié au collectif de Manchester la responsabilité, sur la foi de trois chansons inouïes, de sortir le rock anglais de la torpeur, du renoncement. Batterie à la Joy Division, guitare agitée, basse étonnamment dansante dans ce magma noir, et orgue maléfique : les jeunes Wu Lyf (19 ans) sont dans un outre-rock, agité de spasmes, de convulsions. Hébété, on participe plus qu’on assiste à ce concert tribal, païen, chanté et joué depuis les entrailles par quatre garçons en fusion absolue. Car ils ont visiblement tout appris ensemble, du commerce rigoureux de leurs chansons à leur composition déraisonnable, et cette autarcie farouche fait la puissance, la grandeur de Wu Lyf – groupe - île dont on ne connaît pas vraiment de pairs, de pères. Emportés par leur transe, ils finissent le concert torses nus, rejoints par leurs fans pour les bacchanales charnelles et hallucinées de Heavy Pop, l’hymne monumental du XXIe siècle à Manchester. Quand on sort de la salle, le nuage radioactif de Fukushima est au-dessus de nos têtes tourneboulées. Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre de mourir irradié : on vient de voir Wu Lyf. JD Beauvallet

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The Sonics 3/6 La Rochelle Sufjan Stevens 9/5 Paris, Olympia, 10/5 Bruxelles Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stromae 3/11 Paris, Olympia Stupeflip 31/3 Nantes, 1/4 Angers, 2/4 Lille, 8/4 Poligny, 9/4 Villeurbanne, 10/4 Marmande, 16/4 Le Creuzot, 29/4 Rouen, 3/5 Paris, Bataclan, 1/6 Saint-Etienne, 8/6 Tours Selah Sue 30/3 Nantes, 31/3 Tourcoing, 6/4 Caen, 7/4 Paris, Cigale, 9/4 Rouen, 13/4 Marseille,

14/4 Montpellier, 15/4 SaintEtienne, 20/4 Metz, 22/4 Dijon, 2/4 Bordeaux, 29/4 Sannois, 27/5 ClermontFerrand, 10/6 Saint-Laurentde-Cuves Super Mon Amour! # 4 Du 5 au 10/4 à Paris, Tourcoing, Nantes et Strasbourg, avec José Gonzalez performing with The Göteborg String Theory, Dan Deacon, Architecture In Helsinki, Deerhunter, Nelson, etc. Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan Tamikrest 22/6 Paris, Point Ephémère Yann Tiersen 7/4 Angoulême, 8/4 Avignon, 9/4 Nice, 10/4 Montpellier, 12/4 Toulouse, 13/4 Bordeaux, 14/4 Nantes, 15/4 Rouen, 16/4 Allonnes, 17/4 Lille, 19/4 Lyon, 20/4 Dijon, 21/4 Rennes, 22/4 Brest Shugo Tokumaru 4/4 Paris, Divan du Monde, 7/4 Lille TV On The Radio 13/7 Paris, Olympia Twin Shadow 14/5 Paris, Machine The Vaccines 24/4 Bourges Villagers 11/4 Paris, Maroquinerie Warpaint 26/5 Paris, Bataclan Wild Beasts 19/5 Paris, Point Ephémère Wire 11/5 Paris, Machine, 12/5 Mulhouse, 15/5 Marseille, 16/5 Montpellier The Wombats 27/5 Paris, Trianon Yelle 7/4 Paris, Point Ephémère

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Professeur de philosophie, Robert Maggiori est aussi chroniqueur à Libé 2, surtout depuis la création du cahier Livres, en 1985

la critique est un sport de combat Sans lien d intersection

En charge des essais à Libération, le journaliste Robert Maggiori interroge les règles du métier de critique. Un récit habité qui fait l’éloge vibrant d’un journalisme d’idées.



our avoir théorisé et mis en pratique la notion de “passeur” dans le champ de la critique de films, Serge Daney incarne, près de vingt ans après sa disparition, la figure modèle du “journaliste critique”. Au sein du même journal, Libération, un autre journaliste, Robert Maggiori, déploie depuis trente ans un geste similaire dans le soin porté à analyser des livres, à la fois au plus près de sa matière et de son lecteur. Comme le cinéma pour Daney, la philosophie occupe Maggiori à plein temps depuis qu’il est entré à Libé, dès sa création au milieu des années 70. Au gré des semaines et des années, ses recensions ont construit une œuvre en soi, erratique, “journalistique”, qui ne tient qu’à un fil : celui de ses propres errances dans le monde de la pensée. Dans son nouveau livre, Le Métier de critique, journalisme et philosophie,

Robert Maggiori se prête à un exercice de retour sur soi qui esquive le cadre trop frontal d’une démarche égotiste pour proposer une réflexion pratique sur les règles de son métier, comme un discours de la méthode. Le récit incarné de son expérience à Libé est ainsi doublé d’un “métarécit” : plutôt qu’une autocélébration d’un critique en proie à ses petites souffrances sans intérêt, son livre cherche à comprendre comment s’est inventée une manière d’écrire sur les idées. Premier précepte : “Faire en sorte que tout article soit accessible au néophyte et irréprochable aux yeux du spécialiste.” Gramsci, Jankélévitch (dont il fut l’élève), Leopardi, Bourdieu, Foucault, Guattari, Deleuze, Desanti, Derrida, Baudrillard (il raconte la douleur qu’il eut à écrire la nécrologie de ce dernier à quelques minutes du bouclage)… : ses textes sur les grands auteurs aimés,

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en marge ni du vrai journalisme, ni de la vraie philosophie selon les critères de “pureté” défendus par les gardiens des temples mais aussi sur des penseurs plus secrets et opaques, obéissent à une éthique de la transmission qui refuse à la fois l’épate du journaliste vaniteux et la platitude du critique paresseux. Il n’en reste pas moins que le métier de journaliste philosophique est marqué par un paradoxe qui tient à un écart avec les deux espaces dont il procède. Le journalisme philosophique a cette particularité apparente de n’être ni du vrai journalisme, ni de la vraie philosophie selon les critères de “pureté” défendus par les gardiens des temples. “Journalisme et philosophie se repoussent, comme des aimants de même pôle”, souligne Maggiori. Ce mystère d’une extraterritorialité, d’une position à la fois dedans et dehors, traverse le livre tendu vers la possibilité d’une réconciliation. Pour ce faire, des techniques de récit reposant sur une “double torsion” s’imposent : la torsion “biographiste”, associée à la torsion “historiciste”. “L’enracinement d’une production théorique dans le terreau d’une histoire de vie” permet une vraie mise en récit journalistique. La complexité d’une pensée, en partie indexée sur le contexte biographique de l’auteur, se raccroche aussi à l’histoire de la philosophie. En écho à Levinas, chez qui “tous les livres” étaient “ouverts en même temps” sur la table, le critique sait qu’il doit esquisser des filiations et des généalogies pour éclairer le sens d’une œuvre, surtout en philosophie où l’examen des pensées fondatrices est une constante. Ces deux principes discursifs ne protègent pas pour autant du défaut de lucidité, la grande peur du critique. La question du choix, par-delà celle des critères qui n’obéissent qu’à ses seuls épanchements, habite Robert Maggiori, comme si de celle-ci dépendait une partie de sa crédibilité, voire de son honneur. Hanté par ce qu’il appelle le “syndrome de Garve” (Garve fut le premier à avoir fait connaître la Critique de la raison pure de

Kant dans un article publié en janvier 1782), l’auteur se dit obsédé par la possibilité, humaine après tout, de passer à côté d’une Critique de la raison pure d’aujourd’hui, “d’un livre inaugural, d’un ouvrage qui marquerait une rupture épistémologique dans l’ordre de la pensée”. Comme l’angoisse du gardien de but avant le penalty, l’angoisse du critique devant la pile de livres, où se cache peut-être l’immanquable manqué, est une condition de vie. A cette anxiété, génératrice d’un éveil constant, vient aujourd’hui se mêler celle, plus sourde et fataliste, de l’effacement progressif du critique tel que Maggiori l’a rêvé et pratiqué. Mal à l’aise avec les bouleversements récents du champ de l’information, avec les diktats de l’info brève et synthétique, avec l’état de la critique, “liquide, indéfini”, avec “le remplacement du jugement par l’avis”, il est forcé de prendre acte de la “disparition, par inanition, progressive et non-violente, de la critique”. Son sincère plaidoyer pour la médiation dissimule, derrière l’écran de sa parole obsédée par les autres, la lumière de son combat fervent : faire de ses articles l’espace d’une pensée contagieuse. Les papiers de Maggiori ont ceci de philosophiques qu’ils produisent réellement de la philosophie, “ne serait-ce qu’au goutte-à-goutte”. N’osant pas revendiquer la place, pourtant pleine et généreuse, qui est la sienne dans le paysage de la pensée, il s’en tient à une confession qui résonne comme la justification d’un statut de passeur derrière lequel vibre un penseur qui ne dit pas son nom : les philosophes l’ont “aidé à faire, à penser, à vivre un tout petit peu mieux”, reprenant l’expression de Bourdieu dans son Esquisse pour une auto-analyse. Comme les livres sur lui, les articles de Maggiori auront eu ce même effet sur ses lecteurs reconnaissants, un tout petit peu mieux éclairés. Jean-Marie Durand Le Métier de critique, journalisme et philosophie (Seuil), 122 pages,14 €, en librairie le 7 avril

l’auteur Né en 1947 en Italie, Robert Maggiori fait ses études secondaires et universitaires en France. A la Sorbonne, il entame un doctorat sous la direction de Vladimir Jankélévitch. Prof de philo au lycée, il participe parallèlement à l’aventure du journal Libération depuis ses débuts. Marqué par l’œuvre de Sartre (sa première grande révélation intellectuelle) et par celle de Gramsci (à propos

de laquelle il publia son premier livre, Lire Gramsci, en 1973), Maggiori écrit alors essentiellement sur le marxisme et les luttes politiques. Après une série d’entretiens avec des philosophes à la fin des années 70, parmi lesquels Sartre et Foucault (dont il égare les enregistrements), il devient chroniqueur régulier dans le Libé 2, surtout à partir de la création du cahier Livres en 1985.

trahir ? Un livre pose une question essentielle au journalisme, celle du “off”. “Donc raconter. Briser, une fois pour toutes, cette règle d’airain qui, depuis tant d’années, depuis que les journaux modèlent en partie l’opinion publique, gouverne la relation entre les journalistes et les responsables politiques : la connivence, la complicité, la compréhension mutuelle.” Ainsi s’ouve le livre de Nicolas Domenach et Maurice Szafran, Off – Ce que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû nous dire (Fayard). On ne reviendra pas sur ce que les deux auteurs divulguent des propos off de Sarkozy. Mais sur ce qu’ils interrogent de crucial : le secret et la trahison, au cœur de notre métier. On leur a soit reproché d’avoir trahi ce “off” (ce que l’interviewé confie hors micro), soit de ne pas l’avoir trahi plus tôt dans leurs articles dans Marianne. Passionnante, cette question du secret et de la trahison concerne tous les journalistes. Vous trahissez ? Vous n’aurez plus jamais accès à la personne interviewée, pendant que ceux qui ne trahissent pas continueront à avoir ses faveurs. Le travail de journaliste consiste-t-il aussi à s’assurer l’accès à la personnalité en question (tous domaines confondus), ou à tout dévoiler d’emblée aux lecteurs ? Il est fréquent, à la grande frustration du journaliste, de voir la personnalité en face de lui dire des choses autrement plus vraies dès qu’il a arrêté son magnéto. Certes, dans le cas du journaliste littéraire, la donne diffère : les écrivains ne sont pas des hommes politiques, ils n’ont pas le pouvoir de faire des affaires sur le dos du pays, de faire alliance avec des dictateurs, d’envoyer des missiles en Irak. Dans le cas d’un politique tel Sarkozy qui instrumentalise le off pour assujettir les journalistes, trahir s’avère salutaire. Tout vrai journaliste se doit d’être un traître un jour.

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Christoph Meckel Portrait-robot. Mon père/ Portrait-robot. Ma mère Quidam Editeur, traduit de l’allemand par Florence Tenenbaum-Eouzan et Béatrice Gonzalés-Vangell, 248 p., 20 €

soleils noirs Richard Lange transforme une poignée de seconds couteaux en personnages principaux d’un conte californien très sombre. Un premier roman qui carbure au vitriol.



u point du jour, un dormeur est, au cœur du désert de Mojave, ramené à la vie par “un chatouillis sur sa joue et un souffle chaud”. Ouvrant l’œil, il découvre un mustang tout droit sorti des Misfits de John Huston. L’homme à l’oreille de qui parlent les chevaux sauvages a grand besoin de leurs conseils : quatre heures plus tard, il va, dans une ville fantôme, affronter un truand au tempérament de pitt-bull et un gang de tueurs mexicains en chapeaux de cow-boy. De cette collision entre le topo du roman noir et le décor du western, le second sortira vainqueur : tournant le dos au pessimisme sans faille de son recueil de nouvelles de 2009, Dead Boys, Richard Lange a inventé pour Ce monde cruel Richard Boone, un héros d’un autre âge que sa trajectoire rédemptrice mène des décors en toc d’Hollywood Boulevard aux paysages pour géants de l’Ouest américain. Pour oser doter d’un happy end un roman situé au confluent des univers de Bret Easton Ellis et de Cormac McCarthy, il fallait n’avoir plus rien à prouver en matière de noirceur. Dotées de fins ouvertes – mais ouvertes sur des gouffres –, les nouvelles de Dead Boys avaient fait de l’ellipse une arme de terreur. En changeant de format, Lange mâtine sa causticité de générosité. Qu’il s’agisse d’un pitt-bull édenté, d’un petit dealer décérébré ou d’un ancien de la légion étrangère, échoué dans un mobile home pestilentiel et dans des obsessions plus nauséabondes encore, les losers qui

traversent ce premier roman échappent à leur statut de personnages secondaires. Tranchant sur cette galerie de paumés à deux ou quatre pattes, Richard Boone allie un patronyme légendaire – Daniel Boone fut le premier trappeur à s’aventurer à l’ouest de Appalaches – au tempérament chevaleresque dont Raymond Chandler faisait l’attribut essentiel de Philip Marlowe. Victime de son goût des causes perdues, Boone, ex-marine, taulard épisodique et serveur de bar branché de son état, en découd avec une paire de blondes aussi venimeuses que vénales, de vicieux trafiquants de faux billets et un organisateur de combats de chiens. Moins que les uns contre les autres, tous sont en guerre contre des passés qu’ils rêvent d’effacer, la Californie de Lange attirant comme un aimant les rescapés (provisoires) d’enfances white trash amochées par l’alcool, l’inceste et la maltraitance. Sprintant sur les brisées de Nathanael West, Joan Didion et James Ellroy, Ce monde cruel confirme ainsi la règle voulant que les grands romans de Los Angeles soient autant de cautionary tales (“contes de mise en garde”), où les déracinés de tout poil se font bouffer par une ville au tempérament d’ogresse. La rencontre entre cette cité cannibale et une prose balistique débouche ici sur des morceaux de bravoure aussi ravageurs qu’une rafale de M16. Bruno Juffin Ce monde cruel (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Deniard, 350 p., 23 €

Un père complice de l’idéologie nazie, une mère autoritaire : à travers ses parents, l’écrivain allemand autopsie son pays. D’entrée de jeu, le titre froid, clinique, donne le ton : le père et la mère sont désignés coupables. Car de qui dresse-t-on le portraitrobot sinon de personnes soupçonnées de crime ? Le diptyque de Christoph Meckel s’annonce d’emblée comme un réquisitoire, d’autant plus impitoyable que l’écrivain allemand, né en 1935, juge ses propres parents. Vingt ans séparent le texte sur le père, paru en 1980, de celui sur la mère – ils sont réunis pour la première fois en un seul livre. “Les deux portraitsrobots allaient ensemble. Ils étaient la description exacte de la bourgeoisie allemande au XX e siècle.” Meckel dessine les contours de deux individus qu’il cherche à tenir à distance, comme si la littérature pouvait anéantir ce qui les relie à lui : “Ecrire sur un homme signifie : détruire la réalité de sa vie pour la réalité d’une langue.” Ses textes rappellent Extinction de Thomas Bernhard, mais aussi l’atmosphère étouffante du Ruban blanc, le film de Michael Haneke. Il y a la mère, d’abord : une femme sèche, pétrie de foi protestante et incapable d’amour. Puis le père, “despote détrôné”, qui, s’il n’adhère pas au parti nazi, se révèle un soldat zélé, occupant la maison de juifs déportés, indifférent aux exécutions. A travers eux, Christoph Meckel exprime la difficulté de se reconstruire sur les cendres de ce passé, en tant que fils et en tant qu’Allemand. Il aurait pu choisir de s’opposer radicalement à ses parents, mais, paradoxalement, il est devenu écrivain, comme son père. Pour mieux le tuer. E. P.

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John Forrester

Viviane Forrester en 1964

un livre à soi La guerre, les seventies à Paris, la littérature : Viviane Forrester signe un autoportrait émancipé, à travers un journal intime et des nouvelles. l est indispensable qu’une femme possède Ezra Pound, Malcolm Lowry et tant d’autres. quelque argent et une chambre à soi C’est comme une frénésie, une boulimie, si elle veut écrire une œuvre de fiction”, une lutte constante contre le néant, celui qui professait Virginia Woolf à la fin des faillit la happer pendant la guerre : “Mais années 20. A l’aube des années 70, Viviane quelle merveille, cette possibilité de relire et Forrester, future biographe de Woolf, a relire et de pouvoir, en une vie, vivre plusieurs retenu la leçon : elle possède sa propre fois celles générées par tant de livres.” pièce de travail dans l’appartement de la rue Lire, écrire, pour conjurer la mort, et de Rivoli qu’elle partage avec le peintre John même “pour ne pas mourir”. C’est une Forrester. Mais elle a beau disposer d’“une obsession, tout comme les camps et la chambre à soi”, elle doute, peine à se vivre et guerre, qui hantent la plupart des nouvelles à s’éprouver pleinement comme écrivain. du recueil Dans la fureur glaciale, qui paraît L’un des – nombreux – attraits de Rue de en même temps, des textes d’une beauté Rivoli, le titre donné à son journal de 1966 à elliptique. Travaillée par le passé, par 1972, est de saisir l’auteur aux prises avec l’Histoire, Viviane Forrester se révèle aussi, ses premiers textes et de donner à voir, telle dans son journal, à l’écoute du présent et une éclosion au ralenti, sa transformation, du monde qui l’entoure, souvent en révolte l’unification progressive de la femme et de contre lui. C’est d’ailleurs de ce sentiment l’écrivain, processus qui s’accompagne d’indignation, profondément ancré en elle, fatalement d’une forme d’émancipation, en que se nourrira son livre L’Horreur l’occurrence sa lente rupture avec John. économique, le best-seller anticapitaliste Au fil des notes, fragments d’une paru en 1996 qui l’a fait connaître intelligence lumineuse, Viviane Forrester mondialement. Là aussi, Viviane Forrester rassemble ses moi épars : “l’enfant très a su résoudre la dichotomie entre triste et très brune dans un jardin vert foncé”, matérialisme et vie de l’esprit, entre action l’adolescente “traquée” (née Viviane Dreyfus, et contemplation. Elle qui préfère parler elle s’est exilée en Espagne avec sa famille d’“habitants” plutôt que de personnages, durant la Seconde Guerre mondiale), habite pleinement le réel, et cette intensité l’amante et l’écrivain. C’est dans et par transparaît dans Rue de Rivoli. C’est ce qui l’écriture qu’elle devient une et indivisée ; rend ce texte si galvanisant. Elisabeth Philippe c’est par les mots qu’elle vit et s’accomplit. Quasiment pas un jour sans l’évocation de son travail ou la mention d’un livre, d’un Rue de Rivoli (Gallimard), 274 pages, 19,50 € Dans la fureur glaciale (Gallimard), 160 p., 16 € souvenir de lecture : Marcel Proust – par dessus tout –, James Joyce, Michel Foucault, Rencontre avec l’auteur le mardi 5 avril à 18 h à l’Imec, 174, rue de Rivoli, Paris Ier Stéphane Mallarmé, Marguerite Duras,

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apocalypse now

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es temps-ci, nul besoin, hélas, d’ouvrir un roman de sciencefiction pour se hérisser le poil : il suffit de lire les journaux. En un clic sur le web, on a vécu un tremblement de terre, vu une vague carnivore recouvrir le monde et la menace d’une catastrophe nucléaire l’assombrir pour de bon – le tout sur une BO d’une extraordinaire stoïcité. Comme Tchernobyl il y a trente ans, l’actualité nipponne vient remuer cette vieille question : celle de la suprématie du réel sur la fiction, sa propension à produire des scénarios que l’imagination livresque la plus fertile aurait peine à concevoir. A côté de la puissance cataclysmique du réel, la littérature de science-fiction et son sous-genre, l’apocalypse, doivent sans cesse se renouveler : sous peine d’être cataloguée genre ringard forever. Les romans de fin du monde sur fond d’hiver nucléaire seront donc priés d’aller se rhabiller. Dernier en date : le mémorable opus de Cormac McCarthy, La Route, exploration irréelle d’un monde irradié, écho aux livres de Philip K. Dick (Blade Runner) et de Robert Merle (Malevil). Plus proche de nous, Antoine Volodine, alias Lutz Bassmann (Les aigles puent). Exit aussi les fables apocalyptiques pour cause de pandémie avec, au passage, une pensée émue pour le très adapté Je suis une

légende de Richard Matheson, ou encore pour En un monde parfait de Laura Kasischke, sorti l’année dernière : l’histoire d’une étrange épidémie transformant l’Amérique en paria au yeux du monde. Stephen King s’est également illustré dans cette veine avec Le Fléau, paru en 1978. Dans son nouveau blockbuster (le seul livre ayant une bande-annonce !), le maître de l’épouvante renoue avec une expression plus traditionnelle de l’apocalypse. Gros sandwich de 1 200 pages, Le Dôme raconte la (sur)vie d’une petite bourgade du Maine prise au piège d’une cloche invisible. Pas de pic radioactif ni de menace virale, donc, mais une pauvre marmotte coupée en deux (l’avènement du “Dôme”) et la prolifération dans ce triste microcosme de toutes les hantises de l’Amérique : terrorisme, privation des libertés, meurtres en série, psychose face aux dangers écologicoclimatiques. Le tout, King oblige, sous la surveillance de méchants aliens étudiant cette humanité sous verre : assez géniale métaphore du travail de l’écrivain. Une fois de plus, King ne fait pas dans la dentelle mais s’impose comme un storyteller de génie. Son créneau : réussir à créer de l’horreur à partir de l’ordinaire, rien que de l’ordinaire (ou presque) – du corps d’un brave fermier sur son tracteur qui vole en éclats à une émeute sanglante dans un supermarché.

2012 de Roland Emmerich (2009)

La littérature de fin du monde peut-elle encore rivaliser avec le réel ? Deux romans explorent les nouveaux champs possibles de l’apocalypse. Ici, l’apocalypse n’est pas un horizon lointain, le délire poético-catastrophique d’un vieil écrivain prophétique, mais une possibilité intégrée à notre vie, dans tout ce qu’elle a de plus banale. Même état d’esprit dans Le chemin qui menait vers vous de William Réjault et Laurent Latorre, où un petit saut dans la machine à accélérer le temps transfigure radicalement notre univers familier. Ce roman d’anticipation situé en 2017 vaut pour cette seule première phrase : “C’est la mort de Nicolas Sarkozy qui a tout précipité.” Ou encore, p. 29 : “Il est de plus en plus difficile de trouver des produits frais depuis la mort de Sarkozy.” Sombre constat qui va pousser un petit groupe de bobos parisiens à s’acheminer à pied vers le Sud-Ouest, traversant une France plongée dans le chaos : pénurie de pétrole, périphérique squatté par des joueurs de foot et des marchands à la sauvette, chaleur suffocante, guérilléros armés… Une apocalypse aux airs de dystopie improbable, mais ô combien savoureuse dans cette réinvention subtile du quotidien. Emily Barnett Le Dôme de Stephen King (Albin Michel), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par William Olivier Desmond, 630 pages, 22 € (tome 1) ; 565 pages, 22 € (tome 2) Le chemin qui menait vers vous de William Réjault et Laurent Latorre (Robert Laffont), 331 pages, 19 €

la 4e dimension vu d’Angleterre Les traductions de livres français en Grande-Bretagne ont dû cesser aux alentours de 1973. Quand le Guardian Le Salon du livre 2011 a attiré 180 000 visiteurs, demande à ses lecteurs ce qu’évoque pour eux la soit, en moyenne quotidienne, une affluence en littérature made in France, ils répondent principalement les mémoires de Castro légère hausse par rapport à l’an dernier. Mais Flaubert, Zola, Saint-Ex et Astérix. Rare auteur Les Chemins de la victoire, c’est l’édition 2011 était réduite à quatre jours au lieu contemporain cité : Michel Houellebecq. Mais bon, le titre lyrique des mémoires de de cinq. Un format “court” conservé l’année il vit en Irlande. Fidel Castro qui paraîtront le 21 avril prochaine. (Michel Lafon). Comme pour ses premiers échos de la rentrée discours, le Líder Máximo fait dans On n’est pas encore en vacances et on parle déjà de la rentrée littéraire. la longueur : 700 pages seulement Parmi les livres prévus, Freedom, le dernier roman de Jonathan Franzen, pour le premier tome. Le second celui de Marie Darrieussecq, qui traitera de l’adolescence, et ceux doit sortir en octobre. de Jean Rolin, d’Eric Reinhardt ou encore de Lydie Salvayre…

180 000 visiteurs au Salon du livre

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Une filature amoureuse et rocambolesque à travers l’Europe de l’Est, peu avant la chute du Mur. assera ou cassera pas ? Adam grand air. Car la crise amorcée entre et Evelyne s’ouvre sur une truculente quatre murs a tôt fait de tailler la route : scène de ménage : Evelyne, serveuse tandis qu’Evelyne et un couple d’amis dans une petite ville d’Allemagne filent vers la Hongrie dans une Volkswagen de l’Est (on est en 1989), vient de rendre datant de l’homme-singe, son collant de son tablier. Arrivée chez elle, elle trouve mec décide de les prendre en filature. Rixes son mari, tailleur pour dames, le nez sur les bords d’autoroute, empoignades dans les jupes d’une cliente. S’en suit dans les toilettes d’hôtel, réconciliations la sempiternelle scène de la valise sous des tentes de camping… sur fond de supplications masculines, Pour pimenter l’aventure, Schulze greffe suivie du départ de madame vers un à cette petite équipée à deux voitures paradis plus clément : l’Ouest. un amant potentiel, “port(ant) un jean et une Voilà comment, une fois encore, Ingo ample chemise blanche qui faisait ressortir Schulze imagine le scénario vaudevillesque son visage cramoisi”, et une autostoppeuse. qui lui permettra de capter ce tournant de l’Histoire que furent l’explosion de la RDA et la réunification allemande. Né à Dresde en 1962, l’écrivain a déjà romancé la ruine d’un homme d’affaires de l’ex-RDA la crise amorcée dans Vies nouvelles et exploré l’ancien bloc de l’Est à travers treize nouvelles entre quatre murs ultra rocambolesques (Portable). a tôt fait de Adam et Evelyne, quant à lui, prend les atours d’une comédie conjugale au tailler la route

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Jim Rakete

2012 de Roland Emmerich (2009)

ciel, meine Frau !

Cette course-poursuite pour le moins farfelue se mêle ainsi aux errances du chassé-croisé amoureux dans ce qui s’apparente de plus en plus à une comédie de boulevard ambulante. Derrière, le décor est moins drôle, ramené à l’obsession des frontières de l’ex-RDA : suspicion, douane et contrôle d’identité jalonnent ce roadbook bavard et plaisant, dont la toile de fond politique figure une opportune parabole conjugale. A la fin, la réunification sera totale. E. B. Adam et Evelyne d’Ingo Schulze (Fayard), traduit de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, 336 pages, 22 €

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s’unit aux écrivains mercredi 30 On de la maison pour célébrer dignement les 100 ans des éditions Gallimard, avec la lecture de premiers romans par leurs auteurs. On écoutera ainsi avec plaisir Tristan Garcia lire des extraits de son beau La Meilleure Part des hommes.

à venir

A 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

Sara Stridsberg Darling River (Stock)

On pénètre dans les univers obsessionnels et souvent exotiques des collectionneurs, avec Emmanuel Pierrat. L’avocat polygraphe, collectionneur de pipes à opium, signe les textes du beau livre Les Nouveaux Cabinets de curiosité (Les Beaux Jours, 176 p., 29 €) et La Collectionnite (Le Passage, 160 p., 17 €).

jeudi 31

On avait adoré son roman La Faculté des rêves, consacré à Valerie Solanas. Avec Darling River, la Suédoise Sara Stridsberg propose de suivre les destinées tragiques et poétiques de quatre lolitas, comme autant de rescapées du roman de Nabokov. Lo, une gamine de 13 ans ; Dolores Haze, issue du roman de Nabokov ; une femelle chimpanzée et une mère errante et anonyme viennent hanter, de leur présence naïve et incendiaire, ces pages tournées vers la question du féminin, propre à Stridsberg. Sortie le 4 mai

voyage de Kaboul à Istanbul, vendredi 1er On en faisant escale à Bordeaux pour trois jours de rencontres avec des écrivains comme Atiq Rahimi, Pierric Bailly, Mathias Enard… et une création-performance de Marie NDiaye (www.escaledulivre.com). Si on préfère les charmes de la capitale, on file à l’exposition La Parisienne, un roman (photo) : l’appartement d’une Parisienne fictive imaginé par Catherine Millet, Valérie Mréjen…

On s’évade dans des vies rêvées : celle d’un scientifique dandy telle que l’a imaginée Jean Echenoz dans Des éclairs, et l’enfance que Bruno Bayen revit dans Fugue et rendezvous. Les deux écrivains sont les invités des Liaisons heureuses (France Inter, 15 h).

Annelies Strba, courtesy galerie Anton Meier

Jusqu’au 4 juin aux Galeries Lafayette

samedi 2

A la cuisine d’Annelies Strba (1997)

On part pour le continent africain, à la frontière de l’Ethiopie et de la Somalie, guidé par Jean Hatzfeld. L’auteur d’Une saison de machettes est l’invité du 7/9 de France Inter pour évoquer son dernier livre Où en est la nuit, roman où se croisent un reporter de guerre français et un coureur de fond africain.

dimanche 3

avec la sortie en poche d’Un homme louche de François Beaune (Folio, 352 p., 6,20 €). Avec ce roman trouble et burlesque, François Beaune réhabilite le journal intime fictif et fait le portrait d’une France aliénée à la société de consommation.

Catherine Hélie

mardi 5

A 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

Joseph Macé-Scaron, directeur adjoint de Marianne et directeur du Magazine littéraire, met en scène Benjamin, bobo-gay parisien et journaliste qui, à la suite d’une promotion dans son journal, le quotidien libéral Le Gaulois, et à la veille de la présidentielle de 2007, se retrouve en marge de ce petit monde du Tout-Paris. Et chacun en prend pour son grade : la cour des sarkozystes, les mondains, le journalisme, la communauté gay du Marais et lui-même. Sortie le 4 mai

Anonyme Le Cimetière du diable (Sonatine)

se plonge dans le journal d’un ado lundi 4 On fantaisiste et vulnérable qui finira mal,

On (re)découvre le superbe texte de Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné, avec Laurent Mauvignier. L’auteur d’Apprendre à finir et Des hommes donne sa vision de ce texte qui l’a marqué, plaidoyer bouleversant pour l’abolition de la peine de mort.

Joseph Macé-Scaron Ticket d’entrée (Grasset)

François Beaune

Après Le Livre sans nom et L’Œil de la lune sorti au mois de janvier dernier, l’auteur anonyme signe le troisième tome des aventures du Bourbon Kid : Le Cimetière du diable. Même cocktail explosif, mêlant ambiance mortifère et culture pop. Dans ce dernier opus, les icônes du rock, d’Elvis Presley à Kurt Cobain, se retrouvent en plein milieu du désert pour assister au festival “Back from the Dead”, sorte d’X-Factor où les perdants sont mystérieusement assassinés. Sortie le 2 juin

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Appollo et Stéphane Oiry Une vie sans Barjot Futuropolis, 64 pages, 16 €

en lisant en écrivant La magnifique autobiographie de Yoshihiro Tatsumi, un des pères du manga adulte, enfin publiée en France.

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nventeur du terme gekiga, Yoshihiro Tatsumi est l’un des pionniers de ces mangas adultes sérieux qui se penchent sur des sujets de société. Après quelques recueils d’histoires courtes magistrales mais désespérées, son ambitieuse et extraordinaire autobiographie est enfin publiée en France. Elle démarre en 1945 alors que Yoshihiro Tatsumi – qui se cache derrière son double, Hiroshi Katsumi – est un collégien de 13 ans. Fan de mangas, il participe avec son frère aîné à des concours de BD. Une passion qui déterminera sa vie puisque d’amusement, le manga deviendra son gagne-pain puis un véritable engagement. Ecrite sur une période de dix ans dans les années 1990, Une vie dans les marges est une fresque complexe mêlant chronique familiale (déboires de son père, relation avec son frère entre rivalité, émulation et amitié), affres de la création, histoire de l’industrie du manga et travail documentaire sur le Japon de l’après-guerre. A travers de minutieuses reproductions de couvertures de magazines, de pages de journaux, d’affiches, on plonge dans ce pays en reconstruction qui essaie de retrouver

une fierté nationale à travers ses sportifs et ses artistes. Malgré la profusion d’informations, l’auteur arrive à créer un récit d’une parfaite fluidité, qui se lit avidement. Tatsumi prend son temps pour raconter les choses suivant cette idée novatrice qu’il énonça à l’époque : “Le temps du récit peut très bien se confondre avec celui de la réalité.” Une vie dans les marges est aussi un roman d’apprentissage. Tout au long du récit, Yoshihiro/Hiroshi doute, est confronté à des choix décisifs. Il se forme au contact de ses idoles, comme Osamu Tezuka, puis va ensuite se défaire de leur influence, pour aller vers des sujets plus sérieux et un style graphique plus cinématographique (il retient des films occidentaux leurs thèmes, leur découpage). On voit naître sa volonté de se différencier, d’expérimenter. “Je compte bien inventer quelque chose de nouveau”, déclare-t-il, passionné. Ambition atteinte avec cette autobiographie lumineuse. Anne-Claire Norot

Une odyssée nocturne et initiatique. Une BD mettant en exergue les paroles de Teenage Kicks des Undertones attire forcément l’attention. Même si Une vie sans Barjot n’est pas le chef-d’œuvre d’efficacité qu’est le tube du groupe irlandais, il propose une sympathique variation sur le même thème : un garçon raide dingue d’une fille sans savoir comment le lui dire. Lors de sa dernière nuit avant de partir étudier à Paris, Mathieu, bac en poche, passe de bars en fêtes et déambule dans sa ville de province avec son pote un peu largué, Barjot (qui rappelle le Camel des Beaux Gosses), pour retrouver Noémie, l’objet de ses fantasmes. Malgré quelques personnages secondaires et scènes assez convenus (baston dans un bar, rencontre avec une pute…), l’errance des deux amis est touchante. Grâce à leur narration fluide, graphiquement impeccable (la ville vide, en décor, est magnifique), Appollo et Oiry retracent avec justesse les doutes et les questionnements de Mathieu mais aussi sa lucidité à la fois mélancolique et exaltée devant le futur qui s’offre à lui et ce passé qu’il abandonne. Si Mathieu ne devient pas adulte cette nuit-là, il n’en est en tout cas pas très loin. A.-C. N.

Une vie dans les marges, tome 1 (Cornélius), traduit du japonais par Victoria-Tomoko Okada et Nathalie Bougon, 456 pages, 33 €

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Eric Legrand

autopsie d’un fait divers Les frères Dieudonné et Criss Niangouna se retrouvent pour une adaptation intensément théâtrale du premier roman de l’auteur congolais Wilfried N’Sondé.

première Béthune, capitale régionale de la culture 2011 Danse, théâtre, musique, expositions, cinéma, multimédia : le programme de Béthune 2011 brasse large et se décline en trois saisons, entre avril et décembre. Lancement le 2 avril avec Art Zoyd, Groupe F, Gotan Project et une création hybride cosignée Carolyn Carlson et Bartabas. Bigre ! Du 2 avril au 17 décembre, tél. 03 21 62 20 11 (le Garage), www.bethune2011.fr

réservez Le Cargo chorégraphie Faustin Linyekula Dans la foulée de la reprise de Pour en finir avec Bérénice au Théâtre de Chaillot, Faustin Linyekula crée Le Cargo, un solo pour “revenir à son propre corps”, sur les traces du poète libanais Adonis écrivant : “Comment marcher vers moi-même, vers mon peuple, avec mon sang en feu et mon histoire en ruine ?” Les 7 et 8 avril au CND, Pantin, tél. 01 41 83 98 98, www.cnd.fr

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our rejoindre les gradins, le public doit enjamber le corps allongé en travers de la salle de Criss Niangouna, protagoniste du spectacle mis en scène par son frère Dieudonné, Le Cœur des enfants léopards. Echo anticipé de ses dernières paroles, au terme d’un monologue qui ne révèle qu’en fin de parcours la raison de sa garde à vue : “Capitaine, je suis parti, tu n’as plus que mon corps.” Pour Dieudonné Niangouna, “le mental du protagoniste est par essence le lieu propre de la scénographie”. Sur le plateau cerné de cinq pas de portes d’où filtrent les lumières, un puzzle métallique aux pièces disjointes supporte les glissements et errements d’un personnage anonyme sur lequel on ne peut dire que des banalités : jeune de banlieue, pauvre, d’origine africaine, paumé. “L’autopsie d’un fait divers”, selon Wilfried N’Sondé. C’est d’abord la voix off de Dieudonné Niangouna qui perce la pénombre, bientôt relayée par Criss, enlaçant un siège fait de barreaux, cachot portatif auquel il s’accroche comme à une bouée, remontant le cours de sa mémoire. Ou plutôt les multiples affluents d’une mémoire qui butte sur le passé immédiat, tente vainement de se rappeler ce qui a pu le conduire en garde à vue, mais se souvient à coup sûr de tous les éléments de sa vie, de ses amis à son amour pour Mireille, de son enfance en banlieue parisienne et de sa pauvreté, comme du Congo où il est né, entouré de son ancêtre et d’esprits compatissants qui, eux, ne l’ont jamais quitté.

De son ami Drissa, interné en hôpital psychiatrique, à son ami Kamel, délinquant devenu islamiste, apprenti terroriste dans un camp d’entraînement, le constat est cuisant. Pour la France “issue de l’immigration”, ainsi qu’on la désigne, le délit de faciès est la règle : “Nous portons sur la gueule la misère du monde qu’elle ne veut pas payer.” “T’es qui, toi ?”, interroge le personnage, le regard planté dans le public. Pour lui, cette question a le goût d’un acte d’accusation. Mais le souvenir de son acte reste une énigme, tant qu’il n’a pas “étalé ses fantômes sur le tapis”. L’acteur est alors le passeur de tous les personnages du livre, flics compris, qui “sortent de sa tête par la force de l’évocation. Enfin, par la force de la torture, pour être honnête”, constate Dieudonné Niangouna. Le passeur, aussi, de tous les enfants léopards : “Est-ce que je te soûle avec l’Afrique, les génocides, les mains coupées en Sierra Leone ?” C’est là pourtant, en Afrique, que Criss et Dieudonné Niangouna ont commencé à faire du théâtre, en créant leur compagnie Les Bruits de la rue en 1997 à Brazzaville, au cœur d’une guerre civile qui embrasait le pays. Une relation si forte qu’elle reste intraduisible : “Chinga ni wa kua” (“les nœuds d’une même ficelle”) ! Fabienne Arvers Le Cœur des enfants léopards d’après Wilfried N’Sondé, mise en scène Dieudonné Niangouna, avec Criss Niangouna. Du 31 mars au 2 avril à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. Du 8 au 31 juillet au Festival Off d’Avignon

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les nuits fauves Avec Fauves, Michel Schweizer prend un coup de jeune. Réjouissant. e Pina Bausch à Pascal Rambert ou Raimund Hoghe, la figure de l’adolescent(e) semble un terrain de jeu fascinant. A son tour, Michel Schweizer la convoque en scène pour un exercice qui déjoue à plus d’un titre les pièges du genre. Pas une teen comedy de plus, mais bien une création adulte dans son écriture sophistiquée. Le chorégraphe n’a pas son pareil pour faire entrer le réel dans ses univers. Au risque, ces derniers temps, de se répéter. Fauves tombe à point, avec sa distribution de jeunes surdoués, chanteurs, danseurs, acteurs, qui rejouent sous nos yeux une vie à vivre. Un futur qui, comme les deux horloges suspendues, a son propre rythme. Un plateau nu, quelques tables et micros. Et un DJ, Gianfranco Poddighe, génial, dont la nostalgie sur vinyle est à l’opposé du monde actuel. Au point que plus d’une fois il sera victime d’une machine à fumigène ! Le principe de la sélection renvoie au monde de la télé-réalité – et ses concours d’un autre temps – mais Schweizer y ajoute des modules de pensée, des textes de Bruce Bégout, une réflexion mortifère. Ils ont la vie devant eux mais fredonnent Forever Young comme des condamnés. Pourtant, il paraît que 72 % des ados se veulent immortels. Les dialogues sont de haute volée : “Michel, c’était comment avant le micro-

Frédéric Desmesure

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ondes ?” Spirituel certes, mais dans la bouche d’ados de talent, c’est carrément effrayant. Et lorsqu’une voix dit préférer le stationnement à l’accélération, avant d’interpréter Heroes de David Bowie, on est au bord des larmes. Fauves parle à chacun de nous, sans distinction d’âge. Philippe Noisette Fauves de Michel Schweizer, du 31 mars au 3 avril dans le cadre du festival Anticodes, Les Subsistances, Lyon, tél. 04 78 39 10 02, www.les-subs.com

hôtel du libre échange Remixant Don Giovanni à la manière d’un DJ, David Marton nous convie à un happening hôtelier aussi humoristique qu’érotique. ouvelle coqueluche du donjuanisme comme de Air, rien n’est impropre à de nos plateaux, d’une pandémie érotique. un caviardage tous azimuts le metteur en Cette délirante partie d’une sélection des plus scène hongrois fine est un prétexte pour incontournables morceaux David Marton s’amuse briser les tabous jusqu’à, de l’opéra de Mozart. de sa formation de chef dans un tour de passeAu final, autant DJ que d’orchestre pour revisiter passe vestimentaire, metteur en scène, David en iconoclaste le répertoire invoquer la figure de Don Marton gagne son pari du lyrique. Avec lui, Juan en la faisant incarner sur les deux tableaux avec le Don Giovanni de Mozart indifféremment en homme ce Don Giovanni qui part prend en toute liberté ou en femme. somptueusement en vrille ses quartiers dans un hôtel Côté musique, Marton et supporte sans honte de charme. Entre le red s’en donne à cœur joie en la comparaison avec carpet du hall, où l’on mixant les genres, du jazz le cultissime The Party s’interroge sur les mérites à la pop et au rock, dans et l’iconique Peter Sellers. Patrick Sourd respectifs des marques une série de digressions Prada ou Gucci, et la vue qui enluminent d’ironie Don Giovanni. Keine Pause panoramique depuis le la partition mozartienne. de David Marton, direction lobby sur des chambres où Du thème de Love Story par musicale Jan Czajkowski, dans se déroulent des partouzes, Henry Mancini à Add It up de le cadre du festival Trans(e) à Mulhouse, compte rendu David Marton traite Violent Femmes et Sexy Boy

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Philippe Decrauzat, Anisotropy, On Cover, 2011, vue de l’exposition, courtesy de l’artiste, production Frac Ile-de-France/Le Plateau, photo Martin Argyroglo

fatale attraction vernissages déconstruction Pour sa première expo perso en galerie, Sarah Tritz prolonge ses expériences de constructions-déconstruites et réalise une série de “all over”. Du fauteuil de mon roi rose. Sarah Tritz à partir du 2 avril à la galerie Anne Barrault, 22, rue Saint-Claude, Paris IIIe, www.galerieannebarrault.com

transmission L’Américain Ben Kinmont se penche sur le commerce de livres anciens et présente cinq projets fondés sur l’échange. Prospectus Paris. Ben Kinmont à partir du 2 avril à la Kadist Art Foundation, 21, rue des Trois-Frères, Paris XVIIIe, www.kadist.org

surimpression Deux pour le prix d’un : la galerie Art Concept présente les travaux récents de Julien Audebert et de Pierre-Olivier Arnaud. Julien Audebert, Pierre-Olivier Arnaud à partir du 2 avril à la galerie Art Concept, 13, rue des Arquebusiers, Paris IIIe, www.galerieartconcept.com

mission Le musée d’Orsay se devait de réactualiser l’œuvre d’Edouard Manet, “inventeur du moderne”. Manet, inventeur du Moderne à partir du 5 avril au Musée d’Orsay, 62, rue de Lille, Paris VIIe, www.musee-orsay.fr

L’exposition de Philippe Decrauzat, fils prodigue des expériences mirifiques de l’op’art, comporte son lot d’effets visuels, toujours aussi prenants. Mais affiche aussi une certaine mélancolie.



n voit flou, double, tout en blanc puis tout en noir, un poteau qui bouge, des peintures qui vibrent et des films en super-huit qui impriment sur la rétine des images persistantes. Mais le show est minutieusement réglé pour prendre la forme d’un mirage : ce vers quoi on avance, recule. Et inversement : si je recule, c’est l’œuvre qui semble s’avancer, sans que jamais on ne touche au but, ni que cette illusion ne prenne fin. Ainsi, le film, sample du générique du Fahrenheit 451 de François Truffaut, enchaîne les zooms sur des antennes hertziennes, en inversant les images ou en les fendant en deux, si bien qu’elles deviennent à elles-mêmes leur propre écho. C’est aussi le cas du premier tableau, un shaped canvas (une toile aux contours irréguliers) qui déplie un W parfaitement symétrique. Plus loin, On Cover traverse tous les murs de la salle, suivant un motif grillagé, aux croisillons stretchés, plus ou moins serrés. Sa composition est en fait dédoublée : la moitié supérieure dépliant en miroir la partie inférieure. “Arrivé à la fin de l’exposition, on en a vu que la moitié”, plaisante Philippe Decrauzat. Et en effet, au retour, il reste à voir l’autre moitié, en quelque sorte, de chacune des pièces. Mais surtout, si l’artiste rêve qu’on n’arrive pas au bout, que la fin n’en soit pas une, c’est que l’expo joue à propager sa zone d’émission

(et de réception) le plus loin possible. D’où cette petite sculpture fluide et raide à la fois, inscrivant dans l’acier des cercles concentriques et crénelés. Comme des ronds dans l’eau, elle fixe un mouvement ondulatoire, et davantage : Anisotropy, son titre (et celui de l’expo), s’inspire de la propriété physique de certains matériaux qui n’ont pas la même apparence selon le point de vue de l’observateur. Mais nul besoin d’être trop théorique. Même si les références scientifiques sont habituelles dans ce travail, leur application suffit à la démonstration. Le visible dévisse à un moment. Comme ce poteau au milieu du Plateau, qui semble avoir été désaxé par la simple adjonction autour de lui d’une table rectangulaire. Mais tout cela reste encore trop formel. Parce que l’expo ne se résume pas à la fiche technique des pièces ou à leur mode d’emploi. Il y a là, derrière cette myriade de mirages, étendue dans tout le Plateau, une mélancolie contemplative digne de celle d’un romantique s’abîmant devant le spectacle infini de la nature. Ce qu’on veut dire, c’est que ces expérimentationslà, loin d’être seulement ludiques, affirment un sentiment d’incomplétude. Quelque chose ici échappe. Se donne et se refuse, attire et tient à distance. Judicaël Lavrador Anisotropy jusqu’au 15 mai au Plateau, place Hannah-Arendt, Paris XIXe, tél. 01 76 21 13 41, www.fracidf-leplateau.com

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Entre Paris et New York, passionnant jeu de miroirs entre l’icône du modernisme Malevitch et le maître de l’abstraction Morellet. es expositions se suivent et heureusement ne se ressemblent pas (toujours). L’an dernier, par exemple, le 6e étage du Centre Pompidou accueillait en grande pompe la rétrospective Soulages, décrété “le plus grand peintre abstrait français”, qui déroulait chronologiquement son aventure de l’outrenoir qui voit plus blanc que noir. Cette année, c’est un autre plus grand abstrait français qui est invité, de manière plus discrète, sur les lieux de la consécration. Mais plutôt que de s’adonner à l’embaumement du musée, François Morellet a pris une décision étonnante et pleine de légèreté : il s’agit de ne remontrer que ses diverses et nombreuses installations créées depuis le début des années 1960, et sa participation au Grav (Groupe de recherche d’art visuel). Autant dire des pièces pour la plupart éphémères, réalisées en fonction du lieu et du contexte, tantôt pour une galerie, tantôt sur un stand de foire, pour un musée ou dans une abbaye, comme à Tournus où il avait aligné au sol un ensemble de néons bleus clignotants. Si la scénographie de l’exposition semble encore bien trop lourde pour installer l’ambiance de fête et de foire espérée par l’artiste, reste que certaines œuvres relèvent pleinement de l’attraction foraine : ici, en actionnant une minivague dans un petit bassin, le spectateur peut déformer à son aise le reflet d’une grille rigide de néons blancs. Là,

François Morellet, Négatif n° 10 (d’après Steel Life n° 14, 1990), 2010, ADAGP François Morellet, courtesy de l’artiste et Kamel Mennour, photo Charles Duprat

la tête au carré

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un commutateur lui permet de faire varier l’alignement des néons. Si les pièces présentées ne sont pas toutes aussi interactives, reste qu’elles tendent à mettre du flottement, de la souplesse et de la dérision dans les formes dures et droites de l’abstraction. C’est là le grand jeu de Morellet. D’où l’autre étonnante exposition qui se déroule en ce moment à la galerie Kamel Mennour : soit une confrontation inattendue mais pleine d’évidence entre Morellet et Malevitch, connu pour son fameux et radical Carré noir sur fond blanc de 1915. On fera remarquer que pendant ce temps, à New York, la galerie Gagosian déploie une énorme et muséale exposition consacrée à l’héritage américain de Malevitch, et aligne des chefs-d’œuvre d’Ad Reinhardt, Barnett Newman, Richard Serra et autres Ed Ruscha pour marquer la déférence des Américains vis-à-vis

du “Black Square” russe, véritable icône du modernisme. Mais à Paris, les jeux déviants de Morellet font de lui un héritier critique, moins respectueux, moins sérieux, plus bâtard, mais tout aussi sagace du maître suprématiste. Où l’on découvrira, par un juste retour d’ironie, un Malevitch pas si “carré” que cela. Les expos se suivent et ne se ressemblent pas (toujours). Jean-Max Colard Malevitch & Morellet, Carrément jusqu’au 30 avril à la galerie Kamel Mennour, 47, rue Saint-André-des-Arts, Paris VIe, www.kamelmennour.com François Morellet dans ses petits papiers jusqu’au 29 avril à la galerie Aline Vidal, 70, rue Bonaparte, Paris VIe, www.alinevidal.com François Morellet, Réinstallations jusqu’au 4 juillet au Centre Pompidou, www.centrepompidou.fr Malevich and the American Legacy jusqu’au 30 avril à la Gagosian Gallery, 980 Madison Avenue, New York 30.03.2011 les inrockuptibles 105

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le maillot faible La nouvelle marinière de l’équipe de France l’illustre à merveille : depuis qu’ils ont de la valeur, les maillots de foot ont peu de sens. 106 les inrockuptibles 30.03.2011

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grosse tendance de ces dernières années, le fluo. Et, curieusement, le rose

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e nouveau maillot “extérieur” de l’équipe de France de football n’est objectivement pas moche. Mais il est totalement incohérent. Il n’a rien d’un maillot de foot, et rien d’un maillot de l’équipe de France. A tout prendre, il a plutôt l’air du maillot de l’équipe de rugby de Brive. Ce qui, au fond, ne devrait pas nous étonner tant que ça. Aujourd’hui, les maillots de foot sont en effet sujets à tous les bidouillages et toutes les expérimentations. Parfois, donc, ils ont l’air de maillots de rugby, d’autres fois de combinaisons de plongée ou de gilets de la sécurité routière. Souvent, ils n’ont aucun lien esthétique avec le club ou la sélection qu’ils sont censés incarner. Longtemps investis d’un rôle d’étendard, les maillots de foot ont désormais une autre vocation. Ils assument des objectifs publicitaires et marketing bien plus cruciaux. Dans le cas de la marinière des Bleus, ce sont les intérêts financiers de Nike et de la Fédération française de football (FFF) qui convergent. Dans le cas d’un maillot de club, c’est encore pire. L’intérêt sonnant et trébuchant du club, celui du sponsor et celui de l’équipementier se rejoignent pour imposer aux designers d’improbables contorsions. Dans l’histoire esthétique du maillot de foot, la rupture remonte à la fin des années 60, et correspond à la libéralisation du sponsoring. En la matière, la France est précurseur. Dès 1968, l’ancêtre de la ligue de football professionnel autorise la présence d’une marque sur les maillots des équipes de première et deuxième division. Mieux, c’est elle

qui négocie un contrat collectif avec Vittel. En 1973, les clubs allemands suivent le mouvement. Puis c’est au tour des clubs britanniques. En Ecosse, le club d’Hibernian ouvre la voie en arborant, dès 1977, le nom de l’équipementier Bukta sur son maillot. Liverpool fait de même en Angleterre en 1979, avec Hitachi. Les réticences de la télévision locale à diffuser les matchs d’équipes ostensiblement sponsorisées tombent cinq ans plus tard. Au milieu des années 80, à de rares exceptions près (le FC Barcelone et l’Athletic Bilbao refuseront jusqu’à la fin des années 2000 la présence d’une inscription sur leur maillot), le système est donc partout en place. Un maillot est un support publicitaire et sa valeur est relative à son niveau d’exposition. Le travail de club consiste donc à bâtir une équipe performante, dont les matchs seront régulièrement diffusés à la télévision. Le travail de l’équipementier consiste, lui, à créer des maillots qui retiendront l’attention et que les supporters voudront porter dans la rue. Tout est alors permis. En Angleterre, où l’identification des supporters à leur club est telle que la moindre horreur trouve preneur, on voit arriver des maillots motif jacquard (Arsenal, 1991) des maillots tartan (Notts County, 1995) ou des maillots mouchetés à la Pollock (Dundee, 1994). Au début des années 90, l’obscur club anglais d’Hull opte même pour un imprimé tigre. Le développement de matières techniques, bien plus malléables que le coton d’antan, permet toutes les extravagances, et les équipementiers, de mèche avec les clubs, ne manquent jamais d’idée.

Ils instaurent pour chaque club le principe d’un troisième maillot, porté par l’équipe à de rares occasions chaque saison, mais allègrement vendu en boutique. Ils inventent le maillot Coupe d’Europe, en sortent un pour célébrer une victoire ou l’anniversaire d’un club. A chaque fois, c’est l’occasion de s’éloigner un peu plus du design historique du maillot du club en question. Dans le football français, à la traîne sur le marketing mais décidé à rattraper son retard, la tendance arrive au début des années 2000. Paris fait alors dans la grisaille, Nice assume le maillot à carreaux alors que Lyon lance le fluo. Grosse tendance de ces derniers temps, le fluo. Comme le rose, curieusement adopté par Metz ou Toulouse ces deux années passées. Mais, si le Cameroun s’était illustré en 2002 avec un impossible maillot sans manche pondu par Puma, les maillots des grandes sélections restaient jusque-là épargnés par les extravagances de leurs équipementiers. La marinière des Bleus marque donc une nouvelle étape, correspondant, naturellement, à une nouvelle ère financière. Nouvel équipementier officiel des Bleus, en lieu et place d’Adidas, Nike s’est engagé à verser chaque année 42,6 millions d’euros à la FFF, plus 2,5 millions d’euros d’équipement par saison. Pour que l’opération soit rentable, au-delà du bénéfice d’image que peut valoir le sponsoring des mutins de Knysna, il faut donc inventer des maillots qui se voient et se vendent. Peu importe leur pertinence esthétique. Marc Beaugé illustration Alexandra Compain-Tissier 30.03.2011 les inrockuptibles 107

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documentaire

la marge au cœur Moins de grands espaces, moins de géopolitique, le documentaire pur et dur plonge dans les interstices de la société et regarde le monde depuis les îlots de survie. La preuve au festival Cinéma du réel.

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e documentaire traditionnel serait en perte de vitesse, les différentes chaînes télé (un de ses principaux débouchés) le dédaigneraient un peu au profit de nouveaux formats plus courts, magazines de reportage ou bien séries documentaires, qui ont le vent en poupe. Pourtant, les réalisateurs présents au Cinéma du réel 2011 semblent poursuivre leur route comme si de rien n’était. Certains d’entre eux ont même tendance à fuir les sujets classiques pour mieux rendre compte du désordre du monde actuel. Une des tendances de l’année, c’est l’abandon de la géopolitique au profit du regard sur des enclaves sociales hors catégorie. Des films de plusieurs pays s’intéressent à la marge, aux aléas de l’existence des laissés-pour-compte. Un peu comme si le bluffant Below Sea Level de Gianfranco Rosi, primé en 2009, commençait à faire école. On ne peut certes pas généraliser à partir de quelques exemples, mais les coïncidences sont troublantes. Histoires de survie, de camps

de fortune, de relogement, partout dans le monde. Au nord-ouest de la Chine, Guo Hengqi filme, dans New Castle, la vie précaire d’une communauté minière en cours d’expropriation et de relocalisation. Alternance de séquences familières chez les autochtones et de paysages d’une beauté aussi fruste que pittoresque ; considérée comme l’un des pays les plus riches du monde, la Chine ressemble au XIXe siècle en dehors de ses mégapoles. Dans Dom, d’Olga Maurina, une poignée de SDF qui vivent sous un abri de fortune à Moscou, près d’une gare, entreprennent d’édifier une maison de bric et de broc ; l’esprit de Dans la chambre de Vanda de Pedro Costa plane sur ce film où la parole est reine. En France, même type de combat et de constat. Marie Dumora, qui a clos sa trilogie sur une famille modeste d’Alsace avec Je voudrais aimer personne, portrait d’une adolescente, sorti en salle en 2010, est restée dans la région et a déplacé sa caméra de quelques kilomètres pour la poser au milieu de “La Place”, un camp

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au poste

Gianfranco Rosi filme la vie cachée et brisée d’un narco repenti dans El Sicario, Room 164

informel à la sortie de Colmar où des familles de gitans, qui y vivent depuis des décennies, sont en instance d’expulsion et de relogement en HLM… Cette fois, Marie Dumora ne suit pas un personnage, ni une famille en particulier, mais papillonne un peu de droite à gauche dans la communauté. Elle reste à l’extérieur, au propre et au figuré. Le sujet est fort, mais on ne sent pas une aussi grande complicité avec son projet que dans ses précédents films. C’est néanmoins d’un grand naturel, transcendé par la musique (tzigane) live. En Italie, on trouve presque le même cas de figure dans Il futuro del mondo passa da qui d’Andrea Deaglio. Encore des gens du voyage, cette fois venus directement de Roumanie, qui partagent un no man’s land aussi idyllique que brouillon, près

histoires de survie, de camps de fortune, de relogement, partout dans le monde

de Turin, avec quelques vieux marginaux, ayant élu domicile dans le coin et cultivant un lopin de terre en toute illégalité. Evidemment, il y a aussi le contrepoint absolu de ces plongées antisociales : voir La Pluie et le Beau Temps, docu bien peigné d’Ariane Doublet (Les Terriens), qui ne quitte pas sa Normandie fétiche, mais fait des allers et retours en Chine pour assister à la transformation industrielle du lin cultivé en France. Film impeccable quoiqu’un peu lisse. Des objets inclassables que le petit écran ne pourra diffuser qu’en renâclant, de préférence à des heures indues, se distinguent aussi au Cinéma du réel. Exemple évident : Claudio Pazienza, un de nos chouchous, qui revient avec Exercices de disparition, œuvre plus grave que d’habitude mais toujours aussi ludico-poétique ; il y est, entre autre, question du deuil (de sa mère notamment). Cela l’incite à interroger la langue en compagnie du philosophe Jacques Sojcher. Celui-ci, avec lequel il forme un tandem incongru (le grand et le petit), va l’accompagner dans une quête presque statique à travers le monde (Afrique, Asie). Mais le plus impressionnant est sans doute le nouveau film de Gianfranco Rosi, auquel est consacré le programme “l’atelier du cinéaste” et qui revient avec un objet assez inattendu : l’étrange et inquiétant El Sicario, Room 164. Ce film sera sûrement l’un des plus marquants du festival, malgré son dispositif minimaliste : dans une chambre de motel, un homme au visage masqué raconte sa “vida loca” (sic). Il s’agit d’un tueur mexicain repenti, un sicario, qui a longtemps travaillé pour les narcotrafiquants… Au cours de son témoignage, il noircit en permanence un bloc de papier blanc avec des mots et des croquis. Comme si écrire et dessiner l’aidait à exorciser l’horreur. Car ce qu’il décrit posément, méthodiquement, est un système criminel d’une cruauté sans limites. Il expose d’abord l’intense corruption mafieuse au Mexique, qui aurait gagné tout l’appareil politique et policier, gangréné par le gangstérisme. Ensuite, les actions du tueur, allant des enlèvements aux pires tortures imaginables. Parfois il se lève et mime les séquences d’un enlèvement. Parfois, les plans du motel sont entrecoupés par des images de lieux où des victimes ont vraisemblablement été séquestrées. Coup de théâtre à la fin du film, lorsque l’homme révèle comment il s’est sorti de cet enfer, dont il était lui-même esclave. Le cinéma du réel, ça peut être aussi ça : un homme qui discute dans une pièce. Vincent Ostria Cinéma du réel Centre Pompidou, Paris IVe, jusqu’au 5 avril. www.cinemadureel.org

tu as tout vu à Fukushima Une catastrophe suivie en direct par des milliards de téléspectateurs. “Le temps du monde fini commence” : la célèbre formule de Paul Valéry résonne dans nos consciences depuis l’accident nucléaire de Fukushima. De Paul Virilio à Jean-Pierre Dupuy, autre philosophe hanté par le motif de la catastrophe (Petite métaphysique des tsunamis), de Günther Anders (Hiroshima est partout) à Ulrich Beck (La Société du risque), les écrits prophétiques des penseurs de “l’accident universel” et de la “catastrophe monstre” semblaient constituer en creux les commentaires des images sidérantes diffusées en boucle sur la chaîne japonaise NHK et les télés du monde entier. La plupart des citoyens-téléspectateurs ont subi, mi-fascinés mi-horrifiés, le spectacle de la catastrophe nucléaire au Japon comme une épreuve nerveusement épuisante. L’incertitude sur l’issue, la passivité devant son déploiement, et les fantasmes sur ses retombées nourrissaient un imaginaire inquiet, dont chacun d’entre nous portait les traces durant ces jours fébriles. Pendant que les sites des journaux présentaient le feuilleton, minute par minute, de l’accident, les débats les plus anxiogènes – mais légitimes – sur le risque nucléaire ou les dérives de la technoscience inconsciente venaient ajouter au sentiment de compassion pour le peuple japonais une impression de vulnérabilité partagée. Le monde industriel s’exposait jusqu’ici à l’accident ; désormais c’est l’accident lui-même qui s’expose à la vue du téléspectateur. A Tchernobyl, nous n’avions rien vu, alors que nous avons tout vu à Fukushima, en direct, en continu, comme si la catastrophe s’était définitivement transformée en spectacle pour des milliards de téléspectateurs angoissés par leur statut d’observateurs de leur propre fin.

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Extraitvi déo de The One d’Aniko Kuikka

exposition universelle Galerie permanente, espace de création, encyclopédie participative… la chaîne francoallemande lance Arte Creative, ambitieuse plate-forme pour les arts numériques.

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e quoi Arte est-il le nom ? D’une marque à vocation culturelle ? D’un projet transmédia tentaculaire ? Avec Arte Creative, sa nouvelle déclinaison sur le web, le diffuseur franco-allemand s’ingénie une fois de plus à subvertir la définition classique d’une chaîne de télévision pour l’ouvrir à des dimensions inédites. Si, avec Arte VOD et Arte+7, la protégée du néo-retraité Jérôme Clément a mis en ligne des extensions logiques de sa programmation hertzienne, Arteradio et Arteliveweb se sont emparés des champs médiatiques laissés en friche (la création radio, la captation de spectacles vivants), les rénovant jusqu’à en faire des domaines réservés – ou presque. Même volonté de marquer son époque avec des webdocs performants, dont Prison Valley (luxueuse machine à documenter) ou le récent Addicts (expérience narrative ambitieuse, mais un échec sur la longueur). Doit-on s’attendre à un tel phénomène d’appropriation avec Arte Creative ? L’ambition de ce nouveau site est double : marquer de son sceau la création numérique contemporaine, mais surtout fédérer un univers hétérogène, traversé de courants parallèles et d’initiatives résolument individuelles. Rien de moins

qu’une plate-forme où doit prospérer l’utopie d’un art total. Vidéastes, net artistes, plasticiens, concepteurs de jeux, graffeurs et graphistes, émergents ou confirmés sont donc invités à sortir de leur isolement et à penser “communauté”, le tout sous la bannière de la seule chaîne capable de parler de contre-culture sans trop faire sourire. Ils devront pour cela accepter les conditions d’accueil inhérentes au net : proximité avec des dizaines d’autres occurrences, durée d’exposition limitée en page d’accueil, référencement toujours délicat dans les sites profus. Avec l’import de deux à quatre projets par jour, la galerie virtuelle promet de réunir “la plus grande expo du monde sur le net” selon son chef de projet, le critique d’art Alain Bieber. L’avenir dira si le vœu était un tant soit peu fanfaron, mais pour l’heure le souci de Bieber et de son équipe est de ne pas faire d’Arte Creative une foire internationale, une auberge espagnole de l’imagerie moderne. D’où une forte volonté sélective, qui se conjugue avec les valeurs traditionnelles d’Arte – maîtrise des

“la plus grande expo du monde sur le net” Alain Bieber, chef de projet

contenus, élitaires pour tous. Il n’y aura donc pas de place pour tout le monde. “Nous ne sommes pas un provider comme Youtube, précise Florian Hager, directeur des nouveaux médias. Pas un fournisseur de contenus, plutôt une plate-forme de travail. Le choix et la contextualisation des œuvres sont faits par nous, en amont.” Cet activisme éditorial s’articule autour de quelques idées-force : un maximum d’œuvres en Creative Commons – donc téléchargeables et diffusables par tous –, un système de coproduction pour les pièces originales et le souhait d’échanges entre artistes, de remixes incestueux. L’horizon proche de ce cousin pop d’UbuWeb est aussi de servir d’incubateur à de nouvelles écritures visuelles, qui viendront – ou pas – nourrir les futurs formats d’Arte, la maison mère. Un retour à l’envoyeur qui serait particulièrement bienvenu, tant la vidéo contemporaine peine à trouver sa place sur les écrans – Die Nacht exceptée. Pour l’heure, on retiendra qu’avec Arte Creative, l’art numérique s’offre comme une denrée quotidienne, et des artistes comme Miltos Manetas, Thomas Lannette ou Jean-Gabriel Périot accèdent à une visibilité inédite. Pascal Mouneyres http://creative.arte.tv/fr

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Justin Jin

Zhongshan, Chine. Isolée, cette ouvrière migrante amène son fils à l’usine de jeans où elle travaille

détour sur images L’équipe du trimestriel XXI lance 6 mois, une copieuse revue qui célèbre avec inventivité le photojournalisme.

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i remettre à l’honneur le grand reportage était l’ambition de la revue XXI, le succès du trimestriel (près de 50 000 exemplaires vendus) a conduit l’équipe à continuer sur sa lancée, cette fois du côté du photojournalisme. Avec un prisme identique : l’obsession des nombres. Vendu en librairie à un prix plus élevé mais sans publicité, 6 mois apparaît comme le bébé (prématuré) de XXI, où le rapport entre image et texte est inversé, mais toujours central. La revue donne à voir l’état du monde à travers 350 pages et 12 portfolios, mais aussi à lire : chaque reportage est commenté par au moins une voix, celle du photographe à travers des légendes, quand ce ne sont pas d’autres intervenants qui s’expriment sur le reportage. “Dans les revues de photo, il y rarement des légendes qui donnent la parole au photographe. Or, pour nous, un travail photographique est avant tout un récit”, explique Marie-Pierre Subtil, rédactrice en chef de la revue. Anciennement grand reporter au Monde

6 mois ne s’interdit rien et fait dialoguer mots et images, présent et passé avec chaleur

(où elle a passé vingt-deux ans), elle s’est lancée avec enthousiasme dans l’aventure, persuadée qu’il y a des lecteurs prêts à mettre le prix pour du journalisme en images (la revue coûte 25 euros). “Un beau livre de photos coûte beaucoup plus cher, et puis le lecteur en a pour six mois !”, souligne-t-elle. A l’heure où les images d’actualité n’ont jamais été aussi pléthoriques, 6 mois offre une respiration permettant de mieux appréhender le monde. On y découvre le travail de la photographe américaine Darcy Padilla, qui a suivi une jeune femme droguée et malade du sida pendant dix-huit ans. Un reportage bouleversant, accompagné d’un texte d’Emmanuel Carrère, qui a rencontré Darcy Padilla à San Francisco. La littérature nourrit ici le photoreportage, elle met l’image à distance, en creuse les traces invisibles. Ce recul peut aussi être sociologique, comme le reportage Les brigades du jean du photographe Justin Jin sur la ville de Zhongshan, en Chine, où sont fabriqués la majorité des jeans vendus dans le monde. Alors que les légendes des photos dénoncent des conditions de travail effrayantes, la revue a choisi de confronter le point de vue du photographe à celui d’un sociologue spécialisé dans le travail en Chine, qui estime que “l’image de l’ouvrieresclave est en partie fausse” aujourd’hui.

Mais 6 mois explore aussi l’histoire du photojournalisme, en rendant hommage à ses grandes figures comme Dennis Stock ou Sergueï Prokoudine-Gorsky, qui photographia la Russie du début du siècle dernier, et dont les photos sont mises en parallèle avec un passage célèbre d’Anna Karénine. 6 mois ne s’interdit rien et fait dialoguer mots et images, présent et passé avec chaleur, inventant même des genres inédits, comme lorsque Sorj Chalandon raconte dans une “photobiographie” la vie du président du Sinn Féin Gerry Adams. Ou comme le dit le reporter de guerre Laurent Van der Stockt dans une interview : “Nous rêvons tous de publier dans une presse qui se servirait intelligemment de l’image, mais elle n’existe pas. Alors ? ... Il faut arrêter de publier ? L’important, c’est d’essayer encore.” Marjorie Philibert 6 mois en librairie, 25 € http://tinyurl.com/5uqax5x

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Netflix vient d’acquérir La Quatrième Dimension (1960)

Netflix plus fort que HBO ? Le géant de la VOD américaine a commandé sa première série originale à David Fincher, au nez et à la barbe de la chaîne des Soprano. Les séries se passeront-elles bientôt de la télé ?



usqu’à la semaine dernière, tout semblait plutôt simple dans le monde merveilleux et profitable des séries américaines. Qu’ils soient superstars ou débutants, les scénaristes et producteurs désireux de faire exister l’un de leurs projets s’adressaient en toute logique à une chaîne de télévision. Ce schéma, immuable depuis les années 50, avait certes évolué : quand seules quatre ou cinq entités étaient susceptibles d’acheter un projet il y a deux décennies (c’est encore la situation française), on en dénombrait une vingtaine en ce début 2011, principalement grâce à l’explosion des chaînes câblées. Comme l’avait prouvé la réussite insolente de la nouvelle venue AMC (Breaking Bad, Mad Men, The Walking Dead), la brèche ouverte au milieu des années 90 par HBO semblait infinie. Jusqu’à la semaine dernière, en tout cas. Car ce que l’on pensait être une évolution sans limite marquait peut-être la fin d’un âge d’or. Géant de la VOD, du streaming et de la location de DVD par internet (20 millions d’abonnés aux Etats-Unis), le groupe américain Netflix a lancé un énorme pavé dans la mare il y a deux semaines en officialisant un accord historique avec David Fincher et Kevin Spacey, producteurs d’une nouvelle série, un thriller politique intitulé House of Cards – Spacey y tiendra

un rôle important, et Fincher réalisera le pilote tout en faisant office de producteur exécutif. Alors que HBO semblait sur le point de remporter la mise et d’allonger un peu plus la liste de ses prestigieuses productions maison (de Boardwalk Empire à Game of Thrones), Netflix a mis tout le monde d’accord en proposant près de 100 millions de dollars pour acquérir la série et la diffuser en exclusivité sur son site. Sans même avoir vu un pilote (qui reste à tourner !), l’opérateur a commandé deux saisons de treize épisodes. Un risque énorme qu’aucune chaîne n’était visiblement prête à prendre. Une manière de forcer un changement de perspective dans une industrie secouée par la nouvelle. Netflix avait avancé ses pions il y a quelques semaines en se portant acquéreur de plusieurs ex-séries majeures comme Cheers, Twin Peaks et La Quatrième Dimension. Son entrée dans le jeu de la création originale s’apparente néanmoins à un pas de géant. Fini le temps des web séries sympas mais mineures, limitées à quelques minutes et à quelques dollars : le net veut désormais manger à la table des grands. Le directeur des contenus chez Netflix, Ted Sarandos, s’est d’ailleurs empressé de pavoiser dans le New York Times : “Il y a encore deux ans, ce genre de

deal était impossible. Cela dit à quel point le marché émerge et à quelle vitesse Netflix est devenu un acteur crédible de l’industrie du divertissement aux yeux du public et des créateurs de contenus.” Bien sûr, la fin des séries fabriquées et diffusées d’abord à la télévision n’est pas encore pour demain. Adaptation d’un thriller britannique du début des années 90, House of Cards ne fera son apparition qu’à la fin 2012. Il faudra encore plus de temps avant qu’un acteur venu du net, même aussi puissant que Netflix, soit en mesure de “remplacer” des chaînes aussi établies et réputées que HBO ou Showtime, pour ne citer que les exemples américains. Mais la tendance est en germe et pourrait un jour se confirmer à grande échelle. Le spectateur, déjà habitué à regarder les séries sur l’écran de sa tablette numérique ou de son ordinateur, ne devrait y voir aucun inconvénient. Il ira là où le vent le portera. Olivier Joyard

Fini le temps des web séries sympas mais mineures : le net veut désormais manger à la table des grands

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brèves Arte classé X La chaîne culturelle met un coup d’accélérateur côté séries originales, et on ne s’en plaindra pas. Alors que la comédie sociale Fortunes est diffusée en ce moment (le mardi à 22 h 25), la très attendue Xanadu, située dans l’univers du X, débarque le 30 avril. Enfin, le tournage de Ministères (huit épisodes chez des apprentis prêtres) débute la semaine prochaine.  

Charlie Sheen rapportait Le magazine Forbes a rendu publique sa liste des émissions qui rapportent le plus de revenus publicitaires à leur diffuseur aux Etats-Unis. CBS peut tranquillement se mordre les doigts, puisque Mon oncle Charlie, dont l’acteur principal Charlie Sheen vient d’être viré après un dévissage alcoolicodrogué flamboyant, figurait en 2010 à la première place des séries-machines-à-cash – presque 3 millions de dollars par épisode. Il faudrait penser à lui trouver un remplaçant.  

focus

The Wire, année zéro

Sortie en français du livre qui a inspiré la mini-série The Corner, elle-même à la source de The Wire. emonter aux sources d’un amour important ne fait jamais de mal. Dans un domaine où la perspective historique est aussi faiblement mise en valeur que dans les séries, c’est même indispensable, si l’occasion se présente. Tous ceux qui ont vu et aimé The Wire (2002-2008) ont aujourd’hui une belle opportunité de prendre de la hauteur. Jimmy Smits Car la géniale création de David Simon, dans un pilote emblème des séries contemporaines Parce qu’il a tenu deux rôles les plus ambitieuses, n’était pas sortie mythiques (Bobby Simone dans NYPD Blue et Matt Santos dans de nulle part. Loin de là. Ancien journaliste A la Maison-Blanche), on croira d’investigation, Simon a passé la plupart toujours au retour de Jimmy de ses années de trentenaire, les nineties, Smits, qui vient de signer à arpenter la ville de Baltimore, et pour un des rôles principaux notamment ses quartiers gangrenés par du prochain thriller politique la drogue. Avec son compère Ed Burns, de NBC (sans titre pour il en a tiré un livre paru en 1997, dont une l’instant), à voir en septembre. première partie est enfin traduite. The Corner - Enquête sur un marché de la drogue à ciel ouvert appartient à la tradition très américaine du journalisme d’enquête flirtant avec la littérature. Le livre n’est Les Beaux Mecs (France 2, le 30 mars pas une simple enquête. Il crée un monde à 20 h 35) Même si tout n’est pas top et des personnages, impose sa respiration, dans cette saga du crime, on est laconique et brutale. “Curt Davis sait que triste de constater qu’une série ça n’aura jamais de fin, que seuls comptent du service public plus ambitieuse l’argent et le désir. Il pourrait remonter que les autres ne marche pas. vingt-cinq ans en arrière, quand le jeu Le Serment (Canal+ Décalé, ne faisait que commencer, il raconterait le 5 avril à 20 h 45) Avant-dernière la même histoire. Il avait un peu d’argent en levée de la captivante saga de Peter ce temps-là, et Dieu sait s’il avait du désir.” Kosminsky sur Israël. De la télévision Juste après, en 2000, Simon et David Mills comme on aimerait en voir plus transformaient The Corner en mini-série souvent, aurait dit Maître Capello. de six épisodes pour HBO. En 2002, The Wire était née. O. J. Persons Unknown (TPS Star, le 4 avril

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agenda télé

à 20 h 40) Le Prisonnier et Lost ont influencé cette série conceptuelle et désuète, qui n’a connu que treize épisodes l’été dernier. Certains valent vraiment le coup.

The Corner – Enquête sur un marché de la drogue à ciel ouvert de David Simon et Ed Burns (Florent Massot), 392 pages, 21 € 30.03.2011 les inrockuptibles 115

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Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone, 50 % bleu, 50 % rouge, 1963. Cholet, MAH © François Morellet. Adagp.

émissions du 30 mars au 5 avril

L’Art et la manière : François Morellet Documentaire de Claire Laborey. Dimanche 3 avril, 13 h, Arte

le spectre englouti Une histoire illustrée du communisme ou les paradoxes d’un espoir trahi.

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ythe symbolisant l’idée d’engloutissement, l’Atlantide offre une parfaite allégorie du destin du communisme. Deux réalisateurs attachés à ses combats passés, Maurice Failevic et Marcel Trillat, cherchent à saisir le sens de l’espérance que cette idéologie a suscitée au XXe siècle et les raisons de son naufrage. A l’inverse de nombreuses analyses au diagnostic sans appel sur l’échec du communisme, L’Atlantide offre un biais d’autant plus intéressant : l’attachement viscéral à son horizon originel le protège d’une négation absolue. Comme pour tout deuil impossible, un spectre rôde. Le film, en rappelant les dérives, reste coûte que coûte habité par une croyance éternelle : ce que le philosophe Lucien Sève appelle une “mise en commun universelle”, par opposition à la “mise en privé universelle” du système capitaliste honni. Le récit chronologique – 1917, le Front populaire, la Résistance, le stalinisme, l’aveuglement du PCF face à l’URSS… – bute sur cette énigme irrésolue : pourquoi, malgré dénis et mensonges, les “cocos” ont-ils encore envie d’y croire ? Dans les entretiens que Failevic et Trillat ont recueillis – militants, anciens cadres du PCF comme Juquin, Séguy, Malberg…, historiens comme Ferro ou Martelli –, transpire cette ambiguïté d’un héritage à la fois encombrant et fantasmé. Par-delà les horreurs, reste ce qu’Alain Badiou et Slavoj Žižek appellent “l’idée du communisme”, projet d’émancipation radicale. “Le communisme n’a jamais eu lieu”, confesse Lucien Sève. A la lumière d’une espérance revitalisée, L’Atlantide invite à prolonger l’histoire du communisme comme si, après avoir été englouti, il pouvait (re)naître de ses cendres humides. Jean-Marie Durand L’Atlantide, une histoire du communisme de Maurice Failevic et Marcel Trillat (2x82 min), jeudi 31 mars, 22 h 50, France 2

Bokassa Ier, empereur de Françafrique Documentaire d’Emmanuel Blanchard. Jeudi 31 mars, 20 h 40, Planète

Une bouffonnerie qui ridiculisa la France avant de sombrer dans la tragédie. Autoproclamé empereur de Centrafrique le 4 décembre 1977, Jean-Bedel Bokassa reproduit avec un faste dérisoire le sacre de Napoléon. Un tyran mégalomane et bouffon, dont Emmanuel Blanchard retrace le parcours, depuis son ascension en 1965 jusqu’à sa chute en 1979. A travers le destin funeste et fumeux de Bokassa, le réalisateur interroge le cadre plus général des relations ambiguës de l’Etat français à ses anciennes colonies. Claire Moulène

Le jeu et le hasard, matériaux de la création artistique. Il y a un passage précieux dans ce touchant portrait de l’artiste François Morellet, grand enfant amusé de 80 ans, réalisé à l’occasion de son exposition Réinstallations au Centre Pompidou, mais heureusement filmé pour la plupart dans l’atelier de l’artiste : ce moment où l’artiste, assis à sa table de jeu, compose des œuvres abstraites à l’aide de l’annuaire. Tirant des adresses et autres numéros de téléphone des suites chiffrées qui lui permettent de tracer “à l’aveugle” des lignes droites sur une feuille de papier quadrillée. Un jeu du hasard qui permet à Morellet de mettre du flottement, de la souplesse, de l’humour et de la dérision dans les formes dures et droites de l’abstraction. Esprits sérieux s’abstenir. Jean-Max Colard

Pop Islam Documentaire d’Ismail Elmokadem. Lundi 4 avril, 23 h 45, Arte

Les aléas d’une télé islamique tentant de concilier dogme et modernité Le titre oxymore est un peu un bluff. Ce documentaire est exclusivement consacré à une chaîne de télé égyptienne, 4Shbab, qui se voudrait un MTV halal. Mais ça ne marche pas : les Arabes accros à la culture occidentale veulent voir autre chose que des défilés de mode pour femmes voilées et des clips à la gloire du Prophète. Et les vrais intégristes sont, eux, scandalisés par ces concessions clinquantes. Du coup, la chaîne, lancée en 2009, a perdu une bonne partie de ses financements saoudiens. Par ailleurs, dans le contexte actuel, une chaîne islamiste progressiste est hors sujet puisque Tunisiens et Egyptiens ont récemment opté pour une liberté hors dogme. V. O.

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Arabe et fier de l’être Un documentaire de Lila Salmi. Vendredi 1er avril, 22 h 40, Arte

La Bisexualité : tout un art ? Documentaire de Laure Michel et Eric Wastiaux. Jeudi 31 mars, 22 h 25, Arte

L’absence de préférence sexuelle est-elle vraiment subversive ? A en croire les participants de ce documentaire zapping, la bisexualité est un des derniers tabous. Cela explique-t-il qu’elle est tendance, comme le démontrent les propos de Frédéric Beigbeder ? Son discours sur les femmes – ses boulets –, sur son hétérosexualité – sa croix –, et sur le fait qu’il n’a jamais rencontré “un mec sexy” vaut le détour dans le genre politiquement correct… Si, comme le documentaire le rappelle, David Bowie donna jadis ses lettres de noblesse à l’androgynie, on ne peut pas le réduire à sa sexualité. La question que pose la bisexualité, c’est l’instabilité amoureuse. Mais il n’en est pas question ici. V. O.

Une enquête sur une émission de téléréalité scientifique et panarabe. Diffusé dans treize pays arabes, le show Stars of science, s’il a la même allure qu’un bon Loft de chez nous, ne juge pourtant pas les candidats sur leur plastique ou leurs prouesses vocales, mais sur leurs compétences scientifiques. Koweïtiens, Saoudiens, Egyptiens, Libanais, tous reflètent l’image d’une jeunesse arabe innovante, qui veut se débarrasser des clichés et participer pleinement à la mondialisation. Mais les traditions ne sont jamais loin ; pas de postures suggestives pour les danseuses et, surtout, interdiction formelle de filmer une fille et un garçon seuls dans la même pièce. Cette enquête de Lila Salmi Dans le cadre d’une Thema “Ce monde arabe qui bouge”, souligne combien Stars of science cristallise les paradoxes des sociétés arabes. Anne Boulant

Assange ou démon ? Enquête sur WikiLeaks et son fondateur, adulés et controversés. n bon documentaire d’investigation force émotionnelle, qui a causé sur un site fournissant lui-même l’emprisonnement du militaire Bradley du grain à moudre aux journalistes : Manning, accusé de l’avoir divulgué. WikiLeaks, qui a révélé sur internet Le contre, c’est que certains documents des foules de documents top secrets, pour diffusés ne sont pas fiables – comme la plupart piratés. Le documentaire de Paul le rapport militaire erroné sur une prise Moreira a le mérite d’exposer le pour d’otages à Bagdad. En définitive, le site et le contre de ce site, dont le créateur d’Assange et de ses associés témoigne Julian Assange est largement interviewé. d’un nouveau rapport à l’information, Le pour, c’est que WikiLeaks sort parfois né avec le net. Mais la transparence des documents explosifs. Exemple : n’est-elle pas un leurre ? Vincent Ostria la vidéo, publiée en avril 2010, d’une bavure patente de l’armée américaine en Irak, WikiLeaks : enquête sur un contre-pouvoir disséquée avec une précision parfaite ; clip documentaire de Paul Moreira, mardi 5 avril, 20 h 51, France 5 édifiant filmé d’un hélico, d’une grande

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Jonathan La Chance

un lieu de rencontres et d’émulation technologique, faisant l’apologie d’un entrepreneuriat festif

reportage

geeks en batterie En mars, à Austin (Texas), se tient chaque année le South by Southwest (SXSW), le festival des start-up. C’est là, entre rumeurs délirantes, remise des Interactive Awards et open bars déjantés que s’invente le futur.

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outh by Southwest (SXSW) est né il y a vingt-cinq ans sous la forme d’un festival de musique devenu incontournable. Aujourd’hui, les Strokes ou Jay-Z s’y succèdent encore entre deux groupes indés qui prennent d’assaut la ville. Une section web ainsi qu’une sélection de films s’y sont greffées depuis 1994. Selon les organisateurs, SXSW Interactive, devenu le rendez-vous branché de l’innovation, serait désormais le plus important du genre et aurait éclipsé les fans de musique avec près de 15 000 participants l’an dernier. Pas un hasard si Twitter et Foursquare y ont été lancés. Le downtown de la capitale texane transformé en “startlandia” accueillait cette année une foule suréquipée, avec un ratio d’un iPad par festivalier, se moquait le Guardian. Les incontournables théoriciens du web 2.0, Clay Shirky, Evgeny Morozov, Violet Blue – qui, pour sa part, officie depuis San Francisco sur l’intersection du sexe et de la technologie –, ont participé aux

conférences aux intitulés parfois intrigants tel “Falling in love with a bot” (“tomber amoureux d’un programme automatisé”). Comme toute convention qui se respecte, SXSW sert d’abord de cadre aux annonces et aux sorties : le lancement de l’iPad 2 a ainsi été habilement orchestré par Apple dans des boutiques éphémères rapidement dévalisées, pendant qu’Internet Explorer organisait la sortie publique de IE9, sa version 9, au milieu du festival. Du côté du “LOL participatif”, Christopher “Moot” Poole du forum 4chan a annoncé le lancement de Canvas, réseau antisocial de mash-up d’images, tout en prêchant les vertus de l’anonymat et de la glande collective en ligne. Quant au lancement attendu de Circle, le réseau social de Google, il n’aura été que rumeur, démentie (pour l’instant) par la firme. Plusieurs thèmes ont dominé les conversations, de la neutralité du net au “game layer” (strate ludique) : la gamification, ou stimulation par le jeu de la motivation individuelle et de la participation (comme donner des badges en récompense

sur Foursquare ou permettre l’accès aux offres Groupon aux participants les plus rapides), pourrait changer le monde, a soutenu Seth Priebatsch, CEO du site de jeu mobile SCVNGR. SXSW peut surtout compter sur une masse critique de technophiles réunis pour tester et en découdre avec ces start-up. Le “géosocial”, combinant la géolocalisation et les applications sociales, a pris le dessus cette année, principalement par le biais de la messagerie de groupe, qui s’est imposée comme la tendance 2011. Récompensé par un Interactive Award, GroupMe instaure la fonction Reply All pour textos. On connaissait déjà l’application de messagerie instantanée Kik : Fast Society, Yobongo, Hashable ou encore Beluga (ce dernier, récemment acquis par Facebook, et testé par nos soins sur place), sont autant d’outils de coordination qui permettent d’échanger à plusieurs via smartphone et de se retrouver. Foursquare, la star de 2010, a battu durant ce week-end son record avec 2,5 millions de check-in sur place. Dennis Crowley, son jeune cofondateur, en a lancé la version 3.0 : la base de données de lieux accumulés par Foursquare sera disponible pour les utilisateurs du site et aux développeurs, ce qui ouvre de nouvelles possibilités de recommandations et des opportunités business. Il a annoncé à l’avenir davantage d’interactions et d’offres locales, sur le modèle de Groupon, le site d’achats groupés qui inspire également Places, le service de géolocalisation de Facebook (Facebook Lieux). Par ailleurs, on utilisera de plus en plus le téléphone pour scanner la réalité, a souligné Denis Brulé, le cofondateur de Moodstocks qui était du voyage avec le pôle de compétitivité français Cap Digital. Pendant le SXSW, Austin reste essentiellement un lieu de rencontres et d’émulation technologique, faisant l’apologie d’un entrepreneuriat festif. A l’heure où la ville entière se transforme en open bar géant avec ses soirées sponsorisées, c’est dans les vapeurs alcoolisées, entre deux tacos, que s’imaginent les start-up de demain. Cheers. Clémentine Gallot (à Austin)

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in situ tchatte d’entreprise Réseau social privé pour entreprises, Chatter veut faciliter la collaboration entre les employés. Sorte de Facebook professionnel, il permet de partager des fichiers lourds, de suivre l’avancée de documents et surtout de tchatter avec ses collègues. chatter.com

dégage ! C’est le cri le plus entendu dans le monde arabe. C’est aussi le nom du site, mis sur pied par les étudiants de l’école de journalisme de Lille pour donner la parole à cette jeunesse en colère. L’équipe a prévu cet été cinq semaines de reportages dans des pays arabes. De jeunes Marocains, Algériens, Egyptiens participent déjà en racontant en ligne leur révolution. ir7al.info  

the music I like Ce site fonctionne avec un plugin qui analyse automatiquement la musique que vous écoutez à partir des sites en ligne ou des applications utilisées (iTunes, Windows Media Player…). Ensuite il suffit de créer un compte pour accéder à l’historique de son écoute et le faire partager sur Facebook et Twitter. like.fm

musée du goulag Le CNRS et RFI se sont associés pour créer le premier musée virtuel rassemblant des archives sonores et visuelles du goulag. Mené par des chercheurs européens, ce projet met à disposition des internautes des extraits de films, des photos et des documents personnels d’Européens déportés au goulag entre 1939 et 1953. Plus de 150 témoignages classés par thèmes : les lieux de déportations, le travail, la faim, la forêt, la mort de Staline. Une belle initiative pour préserver la mémoire de ce dramatique épisode de l’histoire. museum.gulagmemories.eu/fr

la revue du web Los Angeles Times Foreign Policy

Telos

le pouvoir des écrans

l’art de la catastrophe

cocktail Molotov

En Chine, la population découvre les joies du cinéma grand spectacle, ses mutiplexes, ses sièges moelleux, son pop-corn et ses images 3D. L’industrie du cinéma se développe à grande vitesse si bien qu’en quatre ans, le nombre de salles obscures a doublé. Principal acteur de cet essor, le gouvernement a investi en masse pour booster la production et la distribution. Un moyen pour affermir son influence sur la population et exporter la culture chinoise à l’étranger, sûrement pas pour faire plaisir à Hollywood. tinyurl.com/64yqs92

Tremblements de terre, tsunamis, typhons, éruptions volcaniques, attaques nucléaires, terrorisme… Le Japon, stoïque, a vu les catastrophes défiler. Pour répondre à ces événements historiques, les Japonais se sont attachés à produire des œuvres qui témoignent de ces malheurs en série, de la légende du poisson-chat qui ferait trembler la terre aux films de Godzilla ou aux nouvelles de Haruki Murakami. Cet essai en images tente d’interpréter la relation entre production culturelle et déchaînement des éléments. tinyurl.com/4s3ud7n

Dans les pays arabes où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, la révolte est en marche. Malgré leurs diplômes, les jeunes ne trouvent pas d’emploi, ils restent chez leurs parents et vivotent de petits boulots. Les familles, pour qui la priorité était l’éducation de leurs enfants, sont solidaires de leur indignation. Pour la sociologue Monique Dagnaud, l’ouverture d’esprit acquise à l’université mêlée à la colère et la déception des promesses d’emploi non tenues donne ce mélange explosif. tinyurl.com/6hna4gx

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vu du net

love on the Hobbit Alors que le tournage du film Bilbo le Hobbit vient de commencer, retour virtuel sur l’auteur J.R.R.Tolkien. lesquels celui sur la “philologie fictionnelle ne des plus belles Arlésiennes repris par Le Nouvel Obs (bit.ly/eNlT8w), chez Tolkien” (fabula.org/lht/5/62-ferre)... du cinéma contemporain est révèle comment Tolkien a failli devenir sur le point de se dévoiler. Après espion durant la Seconde Guerre mondiale, Car l’auteur du Silmarillion était avant tout un passionné des langues, qui en inventa moult contretemps (bit.ly/g3DAES), au département décryptage des services une dizaine, dont certaines dotées d’un le tournage de Bilbo le Hobbit vient de Sa Majesté. Autre plate-forme vocabulaire et d’une grammaire suffisants officiellement de commencer, francophone d’importance, le JRRVF pour être pratiquées. en Nouvelle-Zélande, avec Peter Jackson (jrrvf.com) recèle un tas d’informations Les fans hardcore ayant beaucoup aux commandes (bit.ly/hWqDd5). sur les Terres du milieu, notamment de temps à perdre pourront ainsi apprendre L’occasion de réviser ses classiques avant un essai sur la psychanalyse dans Bilbo le quenya (bit.ly/frmLM2) ou le sindarin la sortie (prévue en décembre 2012, pour (bit.ly/eK4DoW), ainsi qu’un extrait (bit.ly/fa95uI), grâce à ces cours en ligne, le premier volet : bit.ly/dVy66a), grâce du livre lu par Tolkien lui-même (bit.ly/ très sérieux. On peut entendre ici ce que aux nombreuses ressources du net. eHDU2O). ça donne à l’oral : bit.ly/eIHVjQ. Pour ce qui est de la bio de J.R.R. Tolkien, Parmi les rares interviews filmées Moins chronophage, la recette du la plus complète en français se trouve de l’écrivain, un extrait permet lembas, cette galette de miel elfique dont sur tolkiendil.com/tolkien/bio. Ce portail de le voir faire des volutes de fumée une bouchée est censée nourrir un homme, extrêmement riche comporte également (youtu.be/2p63KQOoOE0), tandis qu’un se trouve sur le skyblog suzelfe (bit.ly/ une encyclopédie, des articles théoriques autre revient, brièvement, sur le caractère gbtWWr). en pagaille (sur la fumette et les Hobbits, prétendument allégorique de l’œuvre Enfin, un petit détour par South Park bit.ly/fQXKl3, ou sur les récurrentes (youtu.be/e-D65evOCX4). Le plus grand permettra de mesurer la force subversive accusations de racisme contre l’auteur, spécialiste français de l’œuvre, Vincent du Seigneur des anneaux – le film : bit.ly/eSi7eo), des quizz, et mille autres Ferré (prof à Paris XIII), dispose lui aussi tagtele.com/videos/voir/57197. choses encore. Détail biographique de son site, pourtolkien.fr, où il recense Jacky Goldberg amusant, le Telegraph (bit.ly/eRMSri), de nombreux textes universitaires, parmi

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La trilogie de la vengeance

Une œuvre déchirante d’un génie renversant de Dave Eggers L’Agence de George Nolfi Une nouvelle de Philip K. Dick adaptée finement pour un jeu de piste enfantin et jouissif.

Julien Doré Bichon Fantasque et écorché, Julien Doré agrandit la chanson française.

Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Une histoire d’amour hors norme sur fond de lutte des classes dans l’Istanbul des années 70.

Le titre m’a intrigué. Je n’ai pas été déçu. Beau ? Oui. Un génie renversant ? Peut-être. Mais Philip Roth reste mon héros. Il continue d’être prolifique en gardant un unique personnage, Nathan Zuckerman, humain, passionnant, fragile et déglingué.

Benoit Peverelli

de Park Chan-wook Le maître du cinéma coréen. Son regard, son sens du rythme et ses scénarios créent les films (presque) mainstream les plus inventifs que j’aie vus. Il semble toujours repousser les champs du possible. Il tourne son prochain film ces jours-ci, avec un iPhone.

Forever Changes de Love La musique d’Arthur Lee est pour moi une source de joie et d’admiration depuis un nombre incalculable d’années. Chaque seconde de ce disque m’ébahit. recueilli par Noémie Lecoq

Waste Land de Lucy Walker Un film qui pose la question des ordures, du recyclage et de l’engagement social.

Les Yeux de sa mère de Thierry Klifa Sous influence Almodóvar, un drame romanesque tendu qui manie avec habileté l’art de la surprise.

Marc Anthony Thompson, alias Chocolate Genius, est en tournée française jusqu’au 21 avril. Son nouvel album, Swansongs, est disponible.

Le Prince Miiaou Fill the Blank with Your Own Emptiness Un troisième album impérieux, aux rythmes martiaux à force d’être carrés. Lucía Puenzo La Malédiction de Jacinta Une interrogation sur le destin des enfants-stars par une écrivaine de la jeune génération argentine.

Agua fria de Paz Fabrega Belle chronique estivale alanguie où la nature fait écho à la neurasthénie des héroïnes.

Chocolate Genius

Dick Annegarn Folk Talk Des classiques du folk américain chantés de la voix puissante et cabossée d’Annegarn.

Yelle Safari Disco Club Un deuxième album fantastique qui redéfinit la pop culture avec aplomb et malice.

Taking off de Miloš Forman. Portrait d’une jeune fugueuse en pleine période hippie. Eastern Plays de Kamen Kalev. Balade urbaine et poétique dans la Bulgarie en crise. Liliom de Frank Borzage. Premier coup d’éclat de Borzage dans le cinéma parlant.

Monika Fagerholm La Scène à paillettes Un polar lynchien sur fond de teen novel kaléidoscopique. La saga d’une jeunesse maudite.

Nina Yargekov Vous serez mes témoins Un roman conceptuel et drolatique, douloureux et hilarant, né d’une expérience dramatique.

Polina de Bastien Vivès L’accomplissement artistique et personnel d’une jeune danseuse par le doué Bastien Vivès.

Soil d’Atsushi Kaneko Atmosphère délétère et humains inquiétants dans un étonnant et palpitant manga.

Mambo de Claire Braud Une épopée ébouriffante et optimiste par une jeune auteur à l’imagination débordante.

Le Cœur des enfants léopards de Wilfried N’Sondé, mise en scène Dieudonné Niangouna Espace 1789, Saint-Ouen Une adaptation intensément théâtrale par Dieudonné et Criss Niangouna, frères dans la vie et sur scène.

Congo My Body Djodjo Kazadi, Serge Amisi et Yaoundé Mulamba Festival Danse d’ailleurs, Caen Un projet danse et marionnettes d’ex-enfantssoldats qui confrontent leurs expériences.

Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] Olivier Py Théâtre de l’Odéon, Paris Une évocation des dernières heures au pouvoir de François Mitterrand. Une réussite...

Richard Prince American Prayer BNF, Paris Entre contreculture et mainstream, Richard Prince décline avec délectation sa passion des livres.

Hans Schabus Nichts geht mehr IAC Villeurbanne Par ses interventions sur l’espace muséal, Hans Schabus interroge le visiteur et modifie ses repères.

Larry Bell Carré d’art de Nîmes Larry Bell révèle à Nîmes la dimension empirique et protéiforme de son travail.

de Blob 2 sur PS3, Xbox 360 et Wii Le Blob revient et repeint le monde du jeu vidéo en couleurs.

Kirby – Au fil de l’aventure sur Wii Un antidépresseur ludique et efficace, débordant de joie de vivre.

Entraînement cérébral et physique du Dr Kawashima sur Xbox 360 Un nouveau programme spécialement conçu pour Kinect.

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