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Gondry

expose à Beaubourg

Algérie

la colère

M 01154 - 794 - F: 2,50 €

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Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.794 du 16 au 22 février 2011

u nouvea

2.50€

Besancenot le goût de la révolution

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j’ai visité une région sidérurgique avec

Audrey Vernon



are de Metz (57). Audrey Vernon descend du train en provenance de Paris et court vers celui qui va la déposer près de Rosselange (57, toujours). C’est dans cette ville autrefois sidérurgique que la comédienne, également speakerine sur Canal+ Décalé, jouera ce soir son spectacle, Comment épouser un milliardaire. D’ailleurs, à Rosselange, il y a un milliardaire qu’on connaît bien : Lakshmi Mittal, indien, 60 ans, quatrième fortune mondiale (28,7 milliards de dollars), patron d’Arcelor-Mittal. En 2006, Mittal a racheté le groupe sidérurgique Arcelor et en a achevé la transformation, à grands coups de délocalisations. On se souvient de la fermeture de l’usine de Gandrange en 2009. Audrey est à peine arrivée sur le quai, où nous attend l’adjoint au maire Daniel Belloni, qu’elle émet le souhait d’aller voir la plaque que les sidérurgistes ont posée juste après la fermeture de plusieurs activités du pôle. Sur le chemin, Daniel Belloni raconte l’histoire de sa région. Il parle de la grande époque, celle de la famille de Wendel, quand les Italiens et les Polonais venaient travailler dans les mines et les hauts fourneaux. Sur la plaque, située à Amnéville, une autre commune de la région où se trouve l’une des sorties de l’usine, est inscrit : “Ici reposent les promesses de Nicolas Sarkozy, faites le 4 février 2008 à Gandrange.” Sarkozy avait juré à l’époque : “Avec ou sans Mittal, l’Etat investira dans Gandrange.” Audrey s’y arrête quelques minutes, puis remonte en voiture. Après un tour à Rombas, à MoyeuvreGrande, d’autres cités minées par la désindustrialisation, on arrive enfin à Rosselange. Par la fenêtre, la comédienne regarde défiler les logements ouvriers. Voilà le Fort-Chabrol, la salle de spectacles de la ville. “J’espère qu’il y aura du monde ce soir, c’est la première fois que je joue ce spectacle en dehors de Paris”, avoue-t-elle, un peu stressée. La salle est magnifique. Quand la sidérurgie était florissante, on y donnait de grands bals populaires. Audrey Vernon traverse le lieu de long en large : “C’est la plus belle salle où j’ai joué”, dit-elle, devant les adjoints au maire,

“ici reposent les promesses de Nicolas Sarkozy, faites le 4 février 2008 à Gandrange”

hyperfiers. Elle s’adresse à Daniel Belloni : “Vous avez pu trouver un tabouret de bar ?” Oui, celui d’un des cafés de la ville, qui l’a prêté pour la soirée. La barre de pole dance, nécessaire au spectacle, est là aussi. La comédienne disparaît dans sa loge. Les Rosselangeois arrivent au comptegouttes, rangent leurs manteaux sur les portants disposés aux abords de la salle, puis vont boire un coup au bar ou s’assoient vite pour être devant. Les lumières s’éteignent, Audrey Vernon apparaît, le spectacle commence. Elle y raconte la vie des milliardaires, comment, d’un claquement de doigts, ils bouleversent celle de nombreuses personnes, même à l’autre bout du monde. A Rosselange, où vivent plusieurs des cinq cents ouvriers qui ont perdu leur emploi après la fermeture, on le sait mieux que quiconque. Il est question de Lakshmi Mittal… La salle ouvre grand ses oreilles, rit de bon cœur. Sur scène, Audrey semble émue. Le public l’est aussi. “C’est pas tous les jours qu’on vient nous jouer des choses à Rosselange”, nous dira plus tard une dame. Le spectacle s’achève, ovation pour la comédienne. Le maire, Vincent Matélic, la rejoint sur scène. “Elle a bien compris ce qui nous est arrivé. C’est très juste. Un pet de Mittal et tout le monde décolle ici”, confie à la sortie un fumeur en pause clope. La salle se vide. Réception pour Audrey Vernon, en petit comité. Elle remercie chaleureusement les Rosselangeois pour l’accueil. Elle repartira le lendemain pour Paris, après avoir visité l’un des derniers hauts fourneaux de la région. Pierre Siankowski photo Vincent Sannier Comment épouser un milliardaire au Sentier des Halles, Paris IIe, chaque jeudi jusqu’en juin 16.02.2011 les inrockuptibles 3

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No.794 du 16 au 22 février 2011 couverture par Farouk Batiche/AFP

03 quoi encore ? Audrey Vernon

08 on discute courrier + édito de Bernard Zekri

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 en une Algérie : divisés, les contestataires subissent la répression

18 événement 22 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

23 nouvelle tête Bestué et Vives

Bensalem B./Andia

Egypte : et maintenant l’armée ?

14

24 ici en Alsace, la xénophobie se porte bien

26 ailleurs la femme d’un politicien anglais fait scandale

28 parts de marché 30 à la loupe Justin Bieber : la mèche est dite

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41 le pari Dakar d’Aubry

Seyllou/AFP

incertitudes au palais de Tokyo

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six jours de la vie de la première secrétaire du PS en visite au Sénégal

45 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites

46 contre-attaque Laure Vasconi

les failles de l’Education nationale

47 presse citron revue d’info acide

48 débats d’idées la justice toujours en quête de repères

32 Olivier Besancenot : heureux ! 52 en attendant la démocratie rencontre avec un opposant de Ben Ali

54 Michel Gondry à Beaubourg devenez cinéaste amateur

58 The Shoes font la paire Londres adore ces producteurs rémois

62 Denis Robert : fin du calvaire

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

alors que son NPA se désagrège, il vient de vivre ses premières révolutions

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il a gagné contre Clearstream

64 les ailes du design Mattia Zoppellaro

les Bouroullec, entre poésie et simplicité

68 Ron Leshem, l’ami israélien portrait d’un écrivain en empathie 16.02.2011 les inrockuptibles 5

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72 Santiago 73 – Post mortem de Pablo Larraín

74 sorties The Hunter, Halal police d’Etat…

78 portrait Jonathan Caouette is back

80 dvd Le Retour de Frank James…

82 Dead Space 2 + Mario Sports Mix

84 Gruff Rhys le génie pop d’un cerveau brûlé

86 mur du son Foo Fighters, The Go! Team…

88 chroniques The Joy Formidable, Mogwai, Daphné…

93 morceaux choisis Ghostpoet…

94 concerts + aftershow Sleigh Bells

96 William T. Vollmann sa nouvelle plongée en enfer

98 romans/essais Iegor Gran, Gregor von Rezzori…

100 tendance le mystère des manuscrits perdus

102 agenda les rendez-vous littéraires

103 bd Ruppert & Mulot, c’est spatial !

104 Romeo Castellucci + Forsythe/Ballet de l’Opéra de Lyon

106 Jirí Kovanda naissance d’une exposition en live

108 Emmanuelle Alt qui est la nouvelle rédac chef de Vogue ?

110 Evgeny Morozov le chercheur US “cyber-sceptique”

112 Ravages une revue au vitriol

113 Anonymous gang d’hacktivistes

114 séries Aaron Sorkin reprend du service

116 télévision la planète se sent mal

118 Enquête villes virtuelles

120 la revue du web décryptage

121 vu du net à la santé des étudiants

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, S. Beaujean, R. Blondeau, M.-A. Burnier, C. Cohen, A. Collette, A. Compain-Tissier, M. Despratx, P. Dupont, C. Fohlen, F. Le Gaucher, J. Goldberg, F. Gorman, M. Guénard, A. Hallet, E. Higuinen, N. Hubinet, O. Joyard, B. Juffin, S. Lagoutte, C. Larrède, C. Lartillot, T. Legrand, H. Le Tanneur, H. Lindenberg,.-L. Manet, A. Meddi, L. Mercadet, B. Mialot, P. Noisette, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, T. Pietrois-Chabassier, V. Sannier, L. Soesanto, L. Vasconi, Mattia Zoppellaro lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinrockslab.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Caroline Fleur, Jérémy Davis conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeurs artistiques Pascal Arvieu, Mathieu Gelezeau (remplaçant) maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse

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1789, 1848, 1917, 2011… Les révolutions sont contagieuses par essence. 1789 a débordé dans toute l’Europe. 1848, commencée à Paris, secoua Rome, Berlin, Munich, Varsovie et jusqu’à Londres. 1905 frappe la Russie, la Pologne et une partie des Balkans. 1917 provoque l’insurrection spartakiste de Berlin avec Rosa Luxemburg et les grandes grèves de 1919 en France. En 1936, le Front populaire français et le Frente popular espagnol se répondent. Le mouvement de 68 naît à Berlin et à Rome avant d’enflammer Paris et l’Europe jusqu’à Prague. En 1989, le printemps de la place Tiananmen à Pékin atteint la Hongrie communiste qui ouvre enfin ses frontières : de là basculent le mur de Berlin et la totalité des régimes communistes de l’Est puis, trois ans plus tard, l’Union soviétique elle-même. Aucun historien ne s’étonnera de voir la révolution sauter de Tunis au Caire, et frémir d’Amman à Sanaa, d’Alger à Damas.  Les révolutions arabes d’aujourd’hui vont-elle apporter aussitôt la démocratie, la liberté, le bonheur ? Nous le souhaitons mais nous savons aussi qu’il fallut un siècle à la France pour passer du jacobinisme terroriste de Robespierre à la démocratie apaisée de la Troisième République. Les révolutions vont plus vite que la démocratie. Après la destruction des tyrannies, les peuples ont besoin de temps pour construire la société nouvelle, des mois ou des années. L’Occident, pour une fois fidèle à ses principes, devra protéger ces libertés naissantes, les militaires ou les religieux ne pas les confisquer.

Bernard Zekri

Kakhoune, Grenoble, 20 ans

Autumn de Wilde

l’édito

Après l’actrice porno, Natalie Portman avec un doigt dans la bouche… Merci d’essayer de nous montrer une femme sous un autre angle (si, si, vous trouverez…) en ces temps difficiles…

White Stripes’ split (…) Les White Stripes, c’était la musique. La musique pour la musique. C’était la rage autodidacte. C’était le live. Le seul groupe dont les efforts discographiques m’ont été presque accessoires, tant la vérité de ce duo se faisait sur scène. (…) La claque monstrueuse que je prenais à chacun de leurs concerts va me manquer. (…) Le bonheur de sortir groggy par les solos assassins de Jack est voué à ne plus rester qu’un agréable souvenir. Aujourd’hui, je suis triste car je sais désormais que mon incroyable attente de leur prochain concert est devenue vaine.

Ce qu’il me restera des White Stripes, c’est donc l’histoire d’un groupe qui m’a donné envie de me remettre à la musique, d’acheter une gratte. C’est la réactivation de mes aspirations adolescentes. C’est la découverte d’une énergie rock qui m’a fait réaliser que l’important dans la musique, c’était la musique. A une époque où chacun aspire à son moment de gloriole médiatique ; ego trip et autres rock’n’roll star attitudes n’ont jamais envahi une de leurs scènes. Mon rapport aux White Stripes, c’est la rencontre d’un type à la guitare décomplexée, au gros son cradingue, qui m’a rappelé que la musique ne résidait pas dans la virtuosité technique mais dans l’engagement, la sincérité et l’intention. Quand je vois mes congénères adulescents s’éclater sur Guitar Hero, je tressaille. Et je vous remercie, Monsieur White, de m’avoir fait redécouvrir ce plaisir intime qui consiste à sortir de ses dix petits doigts un gros accord, fût-il entre deux larsens… Nicolas Chausson

Les Inrocks à Toulouse

Christophe Maé n’est pas mon ami

A l’occasion de la parution d’un 24 pages spécial Toulouse dans le n° 795, les journalistes des Inrocks participeront à divers événements sur place le jeudi 24 février. Débat Culture et médias : quel traitement de l’info en région ? Université Toulouse-I Capitole, 18 h, entrée libre Concerts  Cats On Trees, DJ set de Bastien (Shiva And The Deadmen), punk, garage, cold wave et une surprise ! Le Saint des seins, 5, place Saint-Pierre, 20 h 30, entrée libre DJ set Inrocks Chez Vous, 2, rue des TroisJournées, 00 h 30

N° 792, en page 28, vous analysez “à la loupe” les distinctions remises à Christophe Maé par notre ministre de la Culture. Qu’on récompense Christophe Maé, chanteur calamiteux de la télé, m’importe peu : je ne l’écoute ni ne le regarde. Mais quand le ministre déclare “lorsqu’on vous écoute, on a cette étrange impression d’être comme à la maison”, je réagis. Si le propre de l’artiste était justement de nous arracher à nos maisons, à notre train-train, à notre confort de pensée (ou de non-pensée) ? Si l’artiste a une influence, n’est-ce pas parce qu’il dérange et bouscule ? (…) Alors, Monsieur le ministre, décorez qui bon vous semble, faites dans le populaire – c’est du dernier chic ! –, mais ne mêlez pas l’art à ces mondanités ; et permettez-moi de ne pas avoir l’impression que Christophe Maé est un ami… Nicole Baras

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

Francis Le Gaucher

Les magistrats manifestent. Pour les médias, cela devient “la grogne des robes noires”. Nous avions déjà la grogne des fonctionnaires, des dockers, des enseignants, du personnel d’Air France, etc. En Jordanie, nous avons “la grogne des tribus”. D’ou sort ce vilain mot ? En réalité, c’est une insulte. Grogne vient de groin et de grogner, dit Le Robert, qui signifie “pousser son cri, en parlant du cochon, du sanglier et par extension de l’ours”. Et qui, au figuré, a pour synonymes “bougonner”, “maugréer”, “ronchonner”, “pester” et familièrement , “maronner”, “râler”, “rouscailler”, “rouspéter.” D’autres journalistes, plus attachés au vocabulaire antique, diront : “Levée de boucliers chez les magistrats”. Par ce geste, les soldats romains manifestent leur désapprobation devant un ordre. Nous passons du cochon au légionnaire : c’est un progrès. Mais on voit mal des juges brandir des boucliers, d’autant plus que cet objet reste introuvable dans le commerce depuis l’invention de l’artillerie, sauf dans la police et la fiscalité.

Max Rossi/Reuters

[grogne]

ni putes ni mammas Après avoir fait monter des dizaines de femmes dans son lit, Berlusconi en a fait descendre des milliers dans les rues. C’était dimanche à Rome, Milan, Naples, Palerme, Trieste, etc., les manifs néoféministes du collectif “Se non ora quando ?”, “Maintenant sinon quand ?”). “Défendons la dignité des femmes”, disaient les pancartes portées par des actrices, des mammas et les putes du Mouvement de défense des droits des prostituées. faites vos vœux ! C’est le nouveau trip des bookmakers. La révolution secoue Tunis et Le Caire et la question se pose de savoir quel sera le prochain pays à vivre le grand soir. Si vous pariez 100 dollars, la cote est à 120 au Yemen, 300 en Iran, 4 000 en Syrie et 6 000 en Arabie Saoudite. fous le camp, pauv’con Les derniers mots entendus par Ben Ali sur le sol tunisien avant son décollage aller simple : “Monte, imbécile, toute ma vie il aura fallu que je supporte tes conneries !” Eructé sur la passerelle du Boeing par sa femme, la Trabelsi, d’après Le Nouvel Obs qui cite un gradé présent sur le tarmac. Avec une cruauté digne de Maupassant et Barbey d’Aurevilly, L’Obs évoque l’avenir du couple, l’interminable et terrible face-à-face qui commence. je suis une télécommande Le 10 février au Palais des Congrès de Paris, Microsoft tient un raout technologique sur “la vie au futur”. On apprend que dans une dizaine d’années, l’informatique deviendra invisible, avec la popularisation d’objets intelligents, d’interfaces naturelles et de réalité augmentée. On y voit une brosse à dent connectée faire chaque matin une analyse des paramètres vitaux de son propriétaire, un bras humain équipé d’un capteur se transforme en télécommande numérique et un DJ mixe sur une table tactile transparente. Bienvenue dans Minority Report.

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Lucy Nicholson/Reuters

for a funny valentine Célibataire, marié, pacsé, amoureux ou infidèle, on a le droit de dire non à la Saint-Valentin. Une des alternatives possibles, en 2011, consistait à passer la soirée avec MGMT. Pour fêter Cupidon, le duo de Brooklyn conviait ses fans à partager avec lui une heure de discussion sur sa page Facebook, à 22 h 20, heure française. Ils sont sur Meetic aussi ? Eric lucide Les politiciens de droite n’ont pas débité que des conneries après les vacances de MAM en Tunisie, la preuve : “Je serai le dernier à soutenir Michèle Alliot-Marie parce que mon soutien, probablement, la desservirait. Je suis lucide.” Lâché par Eric Woerth sur la chaîne LCP. Que n’a-t-il été lucide plus tôt au sujet de ses propres oignons ! Syd Barrett, tête contre les murs Décédé en 2006 mais disparu (dans la maison-asile de sa mère à Cambridge) depuis 1978, Syd Barrett n’avait plus fait de musique depuis 1972. Mais il n’avait jamais arrêté de peindre. La galerie londonienne Idea Generation expose, du 18 mars au 10 avril, la plus grande rétrospective consacrée au génial et azimuté fondateur de Pink Floyd : peintures, esquisses et lettres. Voyage dans son cerveau : quel bordel ! Radiohead sort des “limbs” Surprise, surprise : lundi, Radiohead annonçait la sortie d’un nouvel album, The King of Limbs, pour la fin de la semaine. Présenté par le groupe comme “le premier album-journal du monde”, le disque, successeur d’In Rainbows, sera mis en vente en ligne le 19 février. Ceux qui ne se contenteraient pas de sa version digitale pourront toujours se rabattre sur un coffret réunissant deux vinyles, un CD et des visuels réalisés par le groupe de Thom Yorke, à paraître en mai. Gaga bof Eurodance un peu pouilleux. C’est ce qu’on se dit en écoutant le single de Lady Gaga, intitulé Born This Way et extrait de son nouvel album qui paraîtra le 23 mai. Le marketing, lui, est toujours aussi bon : la star a avancé le lancement du titre qui devait être joué en exclu lors des Grammy Awards. Résultat : le titre est n° 1 sur iTunes en France, aux Etats-Unis, au Canada et en Irlande.

Lady Gaga aux Grammy Awards, le 13 février

Neue Road Movies GmbH, photo Donata Wenders

l’image

Pina de Wim Wenders

3D dans le docu

Wim Wenders et Werner Herzog utilisent cette technologie pour des films documentaires. Dimanche 13 février à Berlin. Deux cinéastes nationaux créent l’événement : Wim Wenders et Werner Herzog. Pardon ? On est en quelle année, là ? 1978 ? Ben non, 2011 et les deux aïeuls du cinéma allemand, véritables hérauts des années 70-80, investissent en même temps la technologie dernier cri en tournant leurs derniers films, tous deux des documentaires, en 3D. Jusque-là, le cinéma hollywoodien de divertissement semblait avoir le monopole de ces images à voir avec des lunettes. Voir deux documentaires d’auteurs investir en même temps cette technologie est donc passionnant. Et pour les deux, le choix de la 3D est déterminé par celui du sujet. Pour Wenders, il s’agit dans Pina de rendre compte des impressionnantes scénographies du répertoire de Pina Bausch, joué par les comédiens actuels de sa compagnie. Pour Herzog, la 3D permet de s’enfoncer aux tréfonds de la grotte Chauvet, site archéologique près de la vallée du Rhône dans lequel ont été retrouvées en 1994 les peintures murales les plus anciennes de l’humanité. Les deux films impressionnent par leur façon de dramatiser ce nouveau rendu de l’espace libéré par la 3D. Dans les rues de Wuppertal, le métro, les parcs, les danseurs interprètent en plein air les plus beaux mouvements de la chorégraphe et semblent fendre l’image, sortir de l’écran, rendre la topographie élastique. Le film d’Herzog est plus sidérant encore. Le miroitement de cristal des stalactites, la blancheur du calcium, les sédimentations diverses organisent un univers plastique inouï, accru par la netteté implacable du numérique. Là, sur ces grottes, des hommes se battent avec des bisons, des rhinocéros avancent. Les premières images du monde, celles par lesquelles s’est inventée la figuration, sont scrutées par les toutes dernières, leur dernier état technologique. Et Werner Herzog célèbre leurs noces grandioses. 16.02.2011 les inrockuptibles 11

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Pierre Verdy/AFP

le moment

libérez Jafar Claire Denis, Bertrand Bonello, mais aussi des

tête de com

Sarkozy a servi son boniment sur une chaîne faite pour ça. Jeudi 10, une grande chaîne commerciale organisait une opération de com pour l’Elysée. Une dizaine de Français transformés en fiches humaines devaient permettre au Président de dérouler son discours de candidat. Dans une actu chahutée par des Egyptiens, des juges et des jumelles disparues, comment allait-il s’en tirer ? Par une démo de bonneteau : c’est simple, tout est prioritaire (sécurité, chômage, éducation, chantiers navals, Alzheimer). Il suffit de 500 millions d’euros, pris “sur le budget des autres ministères”. D’où l’effet catalogue, l’effet promesses, c’est en tout cas ce qu’en retint le lendemain matin la presse régionale, celle de la France dite “profonde”. En bonus, une métaphore risquée : “La France est un paquebot géant et le monde est devenu un village.” Un paquebot dans un village ? Comment est-il arrivé là ? Il est donc échoué ! Rassurant : il ne peut pas sombrer, ce n’est donc pas le Titanic, rangez les gilets de sauvetage. Le score : 8,2 millions de voyeurs, contre 8,6 pour la même opé en janvier 2010. Et 54 % de “pas convaincus”.

anonymes tenant à bout de bras des portraits de Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof. Vendredi midi, devant la Cinémathèque à Paris, une cinquantaine de personnes se rassemblent pour apporter leur soutien aux deux cinéastes condamnés et retenus en Iran. La comédienne Aïssa Maïga lit un plaidoyer écrit par Panahi : “Je me soumets à la réalité de la captivité et des geôliers. Je chercherai la manifestation de mes rêves dans vos films. J’espère y retrouver ce dont on m’a dépossédé.” Panahi a été condamné en décembre à six ans de prison et vingt ans d’interdiction de faire son métier pour avoir filmé des manifestations antigouvernementales. Etienne vaut mieux que deux tu l’auras Le 8 février, nous recevons un communiqué de la maison Polydor : “Après un album avec Jeanne Moreau acclamé par la presse (Le Condamné à mort, chez Naïve – ndlr), Etienne Daho, en fin de contrat avec EMI, signe chez Polydor. Toute l’équipe de Polydor est heureuse d’accueillir dans sa maison un artiste à la carrière aussi prestigieuse qu’Etienne Daho.” Le lendemain, nous recevons un communiqué du patron de Naïve : “Après avoir publié un magnifique album, Le Condamné à mort avec la collaboration de Jeanne Moreau, et félicité l’équipe Naïve pour son excellent travail, Etienne Daho a décidé courageusement de signer avec Universal pour ses albums plus légers. Je lui souhaite une très belle fin de carrière.” Duel au soleil, Etienne ? très bonne impression Décidément, la révolution est là. Y compris dans l’industrie, selon The Economist. Le concept : l’impression 3D. Vous modélisez sur votre ordi un objet en 3D, vous appuyez sur la touche print et la machine fait le boulot. En collant les unes aux autres des couches de matière (plastique, résines et métaux, pour le moment), elle fabrique l’objet. Déjà pratiquée pour des prototypes de petites tailles, cette technologie offre des perspectives vertigineuses. Bientôt, nous pourrons produire à domicile un cadre de vélo ou des pièces de bagnole, et nous n’aurons plus besoin d’usines. La révolution est toujours plus près qu’on ne le croit. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Bensalem B./Andia

L’état de siège s’est intensifié ce samedi 12  février 2011

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en Algérie, le printemps arabe est maussade Parfois compromis avec le pouvoir, les partis d’opposition suscitent la méfiance des Algériens. En butte à la répression, la contestation populaire ne trouve pas de traduction politique et le FLN prépare d’ores et déjà une solution interne au régime. par Adlène Meddi, à Alger 16.02.2011 les inrockuptibles 15

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Louiza Ammi/Abaca

40 000 policiers contre 3 000 opposants : l’Etat FLN veille…

“il n’y a aucune jonction entre ce qui se déclare comme opposition et le peuple, les jeunes” lu sur la page Facebook d’une jeune Algéroise

 L

a place du 1er-Mai à Alger n’a pas été Maydan Tahrir, la célèbre place cairote, épicentre de la révolte qui a emporté Moubarak. Le sera-t-elle lors du deuxième rendez-vous des opposants face au pouvoir samedi prochain ? Les avis divergent, surtout que, samedi 12 février, l’onde de choc tunisienne, amplifiée par la révolution égyptienne, s’est violemment heurtée aux boucliers Plexi des 40 000 policiers assiégeant les 2 000 à 3 000 manifestants. 1 contre 10. Plus même. “Ils peuvent être des dizaines de milliers comme ils peuvent être des millions” : pronostic optimiste d’un des initiateurs de la marche sur le nombre des manifestants ? Non. Déclaration du ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, évoquant le nombre de policiers mobilisés ! Des files de véhicules tout-terrain, de camions de CNS (équivalent des CRS) pleins à craquer, des hélicoptères en vol stationnaire, des milliers de policiers en civil, des renforts venus des wilayas limitrophes d’Alger : l’état de siège continue. La veille, le vendredi, des militants du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) se sont accrochés

avec la police assiégeant leur bureau d’Alger : ils voulaient fêter la chute de Moubarak. L’atmosphère reste tendue à Alger depuis les émeutes de janvier : des dizaines de camions de “l’antiémeute” sont cantonnés dans plusieurs artères d’une capitale nerveuse, criblée de mille rumeurs. Pour les initiateurs de la marche du 12 février –  la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD) –, la manifestation de samedi dernier est un succès, au vu de l’état d’urgence en vigueur depuis dix-neuf ans et la stricte interdiction des marches à Alger. Pour ce journaliste d’un grand quotidien algérois, “l’essentiel est de casser le mur de la peur, même un petit millier de manifestants rassemblés dans un seul endroit et pour les mêmes objectifs – un changement démocratique pacifique –, c’est un succès face à l’armada déployée par le pouvoir et ses relais politiques et médiatiques”. D’autant que, depuis la fin des années 1990, on n’avait jamais vu une telle alliance : encerclés par un impressionnant cordon policier, des féministes, des artistes, des étudiants, de jeunes bloggeurs, des journalistes, des retraités, d’anciens cadres injustement incarcérés, quelques

politiques, les familles des disparus des années 1990 et des associations de victimes du terrorisme… tous étaient là, ensemble ! “C’est déjà un challenge important, souligne un sociologue qui a longtemps vécu en Egypte, mais la fracture est là : notre ‘opposition’ est si morcelée que le pouvoir n’a même plus besoin de ruser pour la mater.” Et c’est tout le problème : déjà, le “plus vieux parti d’opposition”, le Front des forces socialistes (FFS, né en 1963), dirigé par une figure de la guerre de la libération, Hocine Aït Ahmed, s’est désolidarisé de la marche du 12. Pourquoi ? Le RCD, membre de la Coordination, est accusé par son frère ennemi, le FFS donc, de “connivence avec le pouvoir” : cela remonte aux années 1990, quand le FFS préconisait le dialogue avec les islamistes, alors que le RCD faisait partie, avec une large proportion de la société civile, du camp des “éradicateurs”. Grand reporter, Ghania Mouffok observe : “Le plus gros problème des initiateurs de cette marche reste l’adhésion populaire.” Plus tranchant, le jeune politologue Tarek Allaouache s’emporte : “Ces prétendus

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Lahcène Abib/Signatures Zohra Bensemra/Reuters

Dissensions dans la manifestation : des jeunes ont reproché à Said Sadi, président du RCD (en chemise blanche), ses liens passés avec le pouvoir

‘opposants’ ne comprennent très probablement pas que la morale et la liberté des Algériens ne dépendent ni du général Toufik (chef des services secrets, le DRS – ndlr), ni du président Bouteflika, ni de l’activisme débile, hystérique et paranoïaque de cette ‘opposition’. Ils font de la politique, un point c’est tout. A ce titre, ils n’ont aucun droit à confisquer la parole du ‘peuple’ plus que ne le fait le système de gouvernement.” La preuve de cette défiance de la population envers ceux qui se voudraient les représentants de la société civile ? Des étudiants ont refusé de se joindre à la manif de samedi tant que Said Sadi, président du RCD, était sur place ! D’autres jeunes du quartier ont attendu que les leaders de la marche s’en aillent pour prendre leur relais alors qu’en début de matinée, ils conspuaient les manifestants en scandant “Bouteflika n’est pas Moubarak” ! “Il n’y a aucune jonction entre ce qui se déclare comme opposition et le peuple, les jeunes. Où était tout ce beau monde durant les émeutes populaires de janvier dernier ?”, lit-on sur le mur Facebook d’une jeune Algéroise.

H’mida Layachi, directeur des quotidiens Algérie News et Djazair News, et spécialiste des mouvements islamistes, renchérit : “Ce n’est qu’après la révolution tunisienne que “l’opposition” s’est rendu compte qu’elle avait raté le coche en ne surfant pas sur les émeutes et les immolations de janvier.” Nacer Djabi, sociologue spécialiste des révoltes de la fin des années 1980, enchaîne : “Les colères populaires sont muettes, dans le sens où personne ne leur donne une dimension politique comme cela s’est passé en Egypte ou en Tunisie, où on a vu la classe moyenne, et même aisée, prendre à bras-le-corps les thèmes socio-économiques de la fronde du peuple. En face, ‘l’opposition’ reste sourde, elle n’arrive pas à écouter, piégée par des schémas dépassés de la lecture des dynamiques sociales. Même les islamistes salafistes, pourtant proches de la rue, ont mis du temps à surfer sur la grogne populaire des années 1980”, appuie-t-il. D’où peut venir l’espoir du changement ? “D’une jonction des organisations de la société civile avec le peuple, après épuration du solde terrible des années 1990, ou bien, comme d’habitude depuis la guerre de libération, d’une alternance interne dans

le régime”, assène tranquillement A., jeune cadre proche des srabess, les puissants services secrets. “Comme depuis l’indépendance, l’armée et ses services secrets préparent la pépinière des hauts cadres de l’Etat, mais avec le déclin de la santé du président Bouteflika, les services ont accéléré la cadence : promotion de jeunes élites, formation de très jeunes membres d’associations citoyennes pour préparer la fatidique alternance du système et le réformer sans cassure”, explique-t-il. En somme, la recette des années 1970, que même les communistes clandestins ont soutenu à l’époque : le fameux “changement de l’intérieur” ! “Oui mais là, il y a vraiment urgence pour sauvegarder le pays : un président très malade, une société qui bouillonne, des enjeux régionaux immenses. Il faut une alternance !” La révolte algérienne est bien compliquée : Etat et peuple se sont forgés dans la violence et l’intrigue ; et il existe des enjeux colossaux en termes de global war, contre Al-Qaeda au Maghreb islamique, et de rente pétrolière. Le modèle algérien du “printemps démocratique arabe” risque de réserver bien des surprises. 16.02.2011 les inrockuptibles 17

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Vendredi 11 février, devant le palais national, après l’annonce de la démission d’Hosni Moubarak

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l’Egypte au risque de l’armée Passé l’euphorie de la victoire, la démocratie reste à construire. Si l’armée a fait pencher la balance en faveur de la révolution, son poids économique et ses liens avec l’ancien régime pourraient freiner les réformes. par Marion Guénard et Nina Hubinet, au Caire photo Corentin Fohlen/ Fedephoto

V  

endredi 11 février, peu avant 18 heures, Ahmed était sur la place Tahrir, avec des amis. Comme tous les soirs depuis le 25 janvier, ou presque. “Tout à coup, des gens se sont mis à hurler de joie dans une rue adjacente. Puis on a vu la nouvelle se propager : de plus en plus de manifestants ont commencé à sauter sur place, à s’embrasser.” Omar Souleiman, le vice-président, venait d’annoncer, dans une phrase lapidaire, la démission d’Hosni Moubarak et le transfert de ses pouvoirs au Conseil suprême des forces armées. Les yeux d’Ahmed se mettent à briller quand il évoque ce moment historique. “Quand on a compris que ce n’était pas une rumeur, on s’est mis à crier, à chanter, à danser. C’était une joie immense, qui nous a submergés.” Grand gaillard de 32 ans, Ahmed est psychiatre à l’hôpital public d’Abbassiya, dans le centre du Caire. Il n’a jamais été politisé, même s’il souhaitait depuis longtemps que le régime en place tombe et que son pays devienne une démocratie. Le 25 janvier, il ne pensait pas que la rue pourrait vraiment renverser le raïs, au pouvoir depuis presque trente ans. Puis les manifestations ont été de plus en plus massives, et il s’est pris à rêver. “On a tous vécu les mêmes choses : les gaz lacrymogènes, les coups de matraque des policiers, les attaques des baltaguis (hommes de main du régime – ndlr)… Nous sommes tous un peu des héros, ça crée un vrai sentiment de communauté.” Lui-même a été arrêté un soir à un check-point de l’armée, alors qu’il revenait de la place Tahrir avec trois amis, bien après l’heure du couvre-feu. Ils ont été détenus et interrogés jusqu’au lendemain 14 heures, les yeux bandés et les mains liées. “J’étais encore plus remonté contre le régime ensuite. Ça m’a donné une raison de plus d’aller manifester.” Vendredi soir, Ahmed et ses amis ont fait la fête jusqu’au petit matin, en écoutant Dalida : “Helwa ya baladi”, “qu’il est beau mon pays”, alors que partout, dans les rues du Caire, les Egyptiens exultaient, célébrant la victoire, leur victoire. Si quelques heures plus tôt, Ahmed avait pris le temps de vérifier l’information du départ de Moubarak, c’est parce que la veille, une immense déception avait saisi le pays. Jeudi soir, la place Tahrir était en fête. Des centaines de drapeaux noir blanc rouge flottent dans la lumière orangée des lampadaires. Des dizaines 16.02.2011 les inrockuptibles 19

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“si l’opposition est divisée, elle ne pourra plus faire pression sur l’armée” Ahmed, 32 ans, psychiatre

Le 12 février, le général Hassan El-Rueini vient saluer les manifestants de la place Tahrir. Qui oscillent entre espoir et scepticisme

de manifestants, assis en tailleur sur le macadam, entonnent des chants révolutionnaires. Hosni Moubarak doit s’exprimer devant la nation pour annoncer son départ. Tous en sont convaincus. Plus tôt dans la journée, l’armée a envoyé des signaux dans ce sens. Même le chef de la CIA a déclaré que la démission du raïs était très probable. “C’est fini, il va partir ! Nous avons gagné, il est coincé, il ne peut pas faire autrement, s’exclame Mohamed, un activiste. Je n’arrive pas y croire ! Mon plus grand rêve va être exaucé ce soir ! Moubarak… Game over !” Une heure plus tard, c’est la douche froide. Le raïs fait de la résistance. Il délègue ses pouvoirs au vice-président, Omar Souleiman, mais refuse de démissionner. Des cris de rage retentissent, la foule le conspue. Des centaines de personnes brandissent une chaussure vers le ciel, à l’attention du Président, un geste particulièrement insultant dans le monde arabe. “Je pense qu’il cherche à nous provoquer. Mais nous ne jouerons pas son jeu, nous resterons pacifiques, nous n’attaquerons personne, nous ne brûlerons pas de bâtiment officiel. Mais nous resterons ici jusqu’à ce qu’il parte !”, assure Chérif, ingénieur de 24 ans, qui abandonne chaque jour, depuis une semaine, le quartier huppé d’Héliopolis pour arpenter la place Tahrir. On connaît la suite. Vendredi, pour éviter le chaos, l’armée tranche et, dans ce bras

de fer engagé entre le peuple et le dictateur, elle choisit de lâcher le Président, peut-être pour mieux sauver le régime. Hosni Moubarak est acculé. “Contrairement à Nasser ou Sadate, ce n’est pas un politicien. C’est un militaire sans vision politique. Il a géré l’Egypte au jour le jour, toujours avec un temps de retard. S’il avait prononcé son dernier discours le 28 janvier, le soir de la prise de Tahrir par les manifestants, il serait peut-être encore là”, avance le politologue Amr Choubaki. Hosni Moubarak a probablement pensé qu’il pourrait jouer le pourrissement et venir à bout du soulèvement. Pour casser le mouvement, le gouvernement mise beaucoup sur la guerre médiatique. Des jours durant, les télévisions et journaux officiels répètent que les manifestants sont manipulés par des “agents étrangers”. Ce discours xénophobe semble fonctionner auprès d’une partie des Egyptiens, lassée par la paralysie du pays. Certains activistes craignent que le mouvement ne s’essouffle. C’était sans compter l’effet Wael Ghonim. Ce bloggeur de 30 ans, directeur marketing de Google pour le Moyen-Orient, a été arrêté au début du soulèvement. Il est l’administrateur du groupe Facebook “Nous sommes tous Khaled Saïd”, du nom d’un jeune Egyptien mort sous les coups de la police à Alexandrie, en juin 2010, et devenu depuis le symbole de la brutalité policière pour des milliers d’Egyptiens.

Depuis le 25 janvier, la page Facebook est devenue un puissant relais des appels à manifester. Wael Ghonim est finalement libéré le 7 février, après douze jours aux mains de la redoutée Sûreté de l’Etat, les services secrets égyptiens. Le soir même, il est l’invité de la chaîne privée Dream TV. Le visage marqué par la fatigue, l’air grave, Wael Ghonim se défend d’être un héros. Il pèse ses mots. “Nous ne sommes pas des traîtres. Nous aimons l’Egypte. Nous faisons cela parce que nous aimons l’Egypte.” A la fin du talk-show, les visages des “martyrs”, les manifestants tués depuis le début du soulèvement, défilent sur l’écran. Wael Ghonim fond en larmes. “Ce n’est pas de notre faute. C’est de la faute de ceux qui étaient au pouvoir et s’y sont accrochés.” L’interview émeut l’Egypte entière. “Beaucoup de mes amis qui ne soutenaient pas le soulèvement ont alors changé d’avis”, raconte Rana, 22 ans. Une partie de l’opinion rallie la contestation, grâce aux larmes et aux mots simples du cadre de Google. Mais au lendemain de la révolution, tout reste à faire. Les activistes des mouvements prodémocratiques le savent. Les yeux cernés après une nuit de fête, les représentants de la coalition du 25 janvier font connaître leurs revendications au syndicat des journalistes. L’ambiance est solennelle, le moment historique pour ces jeunes qui ont entre 20 et 30 ans, et semblent encore étonnés d’être là. Assis

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devant une petite table branlante recouverte d’un drapeau égyptien tagué, trois d’entre eux s’expriment devant la presse, timidement, sans micro. Ils attendent de l’armée qu’elle respecte ses engagements, c’est-à-dire qu’elle organise la transition démocratique. Pour l’instant, c’est la voie que semblent emprunter les militaires. Ils ont annoncé lundi la dissolution du Parlement et la suspension de la Constitution, conformément aux demandes des manifestants. Les amendements constitutionnels devront ensuite être ratifiés par un référendum. Durant six mois, c’est le Conseil suprême des forces armées, composé d’une vingtaine de généraux et dirigé par le maréchal Tantawi, ministre de la Défense, qui va piloter le pays Même si l’armée promet le retour à un pouvoir civil, la situation reste floue. L’institution évoque la tenue d’élections législatives et présidentielle, mais sans en préciser la date. Elle se réserve par ailleurs le droit de promulguer des lois pendant la période intérimaire. “Les militaires égyptiens ne sont pas des gens avec qui on peut discuter”, avance Shahinaz Abdel Salam, une cyber-activiste. Les Egyptiens se demandent notamment comment l’armée va réagir face aux manifestations qui continuent à travers le pays : des ouvriers des entreprises publiques, des employés de banques et

même des policiers manifestent toujours, bien décidés à profiter de leur nouvelle liberté d’expression pour réclamer des augmentations de salaires et des meilleures conditions de travail. Autre problème : l’armée est un acteur clé dans l’économie égyptienne. A la tête de nombreuses entreprises dans l’agriculture, la construction ou le tourisme, les militaires ont beaucoup à perdre en démantelant le système en place. Quand on l’interroge sur l’avenir, Ahmed, le jeune psychiatre, est lui aussi sceptique. “L’armée a beaucoup de pouvoir et il y a peu de chance qu’elle fasse une croix dessus. Parmi les vingt-six gouverneurs, beaucoup sont d’anciens officiers. Idem dans les ministères.” Le jeune homme redoute aussi les divisions au sein de l’opposition. “Entre les mouvements prodémocratiques à l’origine du soulèvement et les partis traditionnels, ou entre les libéraux et les islamistes… Si l’opposition est divisée, elle ne pourra plus faire pression sur l’armée, s’inquiète-t-il. Mais les militaires seront peut-être assez intelligents pour comprendre le changement de mentalités. Je pense qu’ils vont essayer de trouver une solution intermédiaire : faire des concessions en matière de démocratie tout en conservant une partie de leur pouvoir.” Même si, comme Ahmed, ils sont nombreux à savoir que la partie n’est pas encore gagnée, la chute de Moubarak est vécue comme une incroyable victoire

populaire. En squattant la place Tahrir, les Egyptiens se sont réapproprié leur pays que tout un système, rongé par la corruption, leur avait dérobé. Dès le lendemain du départ du raïs, des dizaines de jeunes volontaires, armés de gants en plastique et de balais, se sont attelés au ménage. Ils ont dépoussiéré la place, repeint les trottoirs, briqué les lampadaires. Des gestes d’une grande valeur symbolique. “On nettoie, on prend soin de notre pays, pour préparer un avenir meilleur”, affirme Saïd, les yeux pétillants de joie. L’écrivain Sonallah Ibrahim, 73 ans, a suivi la mobilisation depuis son petit appartement, à Héliopolis. “Depuis deux ans je prenais des antidépresseurs. Le 25 janvier, j’ai arrêté“, confie-t-il avec un grand sourire. Pendant trente ans, l’auteur des Années de Zeth n’a cessé de pourfendre le régime. Pour lui, cette révolution n’est pas seulement une victoire sur le système. Elle est la dignité recouvrée des Egyptiens. Aux yeux du monde et pour eux-mêmes. “Ces vingt dernières années, j’avais honte d’être égyptien. Nous étions considérés comme un peuple passif. Moi aussi, je le pensais. Désormais, je suis fier !”, rigole le vieil homme, les cheveux en bataille et le regard malicieux. Lire également l’entretien avec l’opposant tunisien Moncef Marzouki, p. 52 16.02.2011 les inrockuptibles 21

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“Viens couscousser”

retour de hype

La Gaîté lyrique

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Picard surgelés

Le premier degré

X-Men : First Class “INDOCHINE ONT VOUS AIME”

La couve Kanye West de V Man

“Il fait chaud ou c’est toi qui sues ?”

Snatch Magazine #6 La curation

“Dépêche-toi, cyber-facteur, l’amitié n’attend pas”

“J’ai toujours cru en la supériorité de la fermeture Eclair”

Julie Depardieu

La fashion week

Etienne Daho

La Gaîté lyrique Désormais dédié aux cultures numériques, l’espace ouvrira le 2 mars, à Paris. La curation Ce nouveau mot à la mode dans le petit monde du web français est censé désigner “la sélection de contenu en un tout cohérent et éditorialisé”. C’est surtout un mot très moche. V Man En couve, Kanye West

et un dollar – billet que dix chanceux pourront extirper de la bouche du rappeur en achetant le magazine. Crise de la presse ? “INDOCHINE ONT VOUS AIME” Pancarte tenue par des fans d’Indoche lors des Victoires de la musique. Snatch Magazine #6 Le sixième numéro est sorti, youpi. D. L.

billet dur

 C

hère Danièle Gilbert, Quelle joie de te revoir tous les midis sur FR3 ! Dieu qu’il en aura fallu du temps, et des larmes versées de la couleur de cette encre d’un impossible deuil qui irriguait semaine après semaine les pages courrier de Télé Loisirs, pour qu’enfin, alléluia !, on te retrouve. Trente ans ! Trente ans cette année que la révolution bolchévico-mitterrandocrate a planté ta tête au bout d’une antenne hertzienne comme le symbole expiatoire de sa haine vengeresse envers ton ami l’accordéoniste priapique Giscard d’Estaing, mais également contre cette variété populaire de droite qui, je l’espère, va faire son grand retour avec toi. Claude François, Mike Brant, Bénabar, C’était Jérôme, de là-haut combien sont-ils à pleurer avec nous d’allégresse ? Merci au passage à monsieur Sled, le directeur des programmes

adjoint de monsieur Sarkozy, pour avoir été le seul à oser laver cet affront national et à refaire de toi cette si gironde Marianne de l’heure des blanquettes de veau et des fraises au sucre. Bon, ne nous mentons pas, Danièle, tu as pris, pour cause de chômedu prolongé, un sacré coup derrière la couscoussière, à tel point que j’ai bien failli ne pas te reconnaître. Adieu notamment ce casque d’or, profilé comme un abat-jour Conforama, qui ensoleilla tant les années Stone et Charden. La traversée du désert a fait de toi un renard des sables et, plus troublant encore, tu t’es transformée en homme. Ton émission, en revanche, n’a pas bougé d’un poil et c’est ça qui compte. A propos de poil, la seule grâce que l’on demandera que tu nous accordes, c’est d’éviter de poser nue une fois la gauche revenue. Je t’embrasse pas, t’as de la moustache. Christophe Conte

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Bestué et Vives Avec des œuvres bricolo aux allures de défi, ces artistes barcelonais développent un univers absurde et désopilant.



Vives (à gauche) et Bestué

Courtesy galerie Crèvecœur

emander à une couturière de luxe de détricoter un pull Comme des garçons, à un dentiste de mouler un sourire et à une maquilleuse de simuler une greffe de chihuahua sur un avant-bras… Voici les facéties orchestrées, à Paris, par le duo catalan Bestué et Vives, jamais à court d’idées quand il s’agit de démystifier la galerie et l’art contemporain. Agés de 30 et 32 ans, David Bestué et Marc Vives s’étaient déjà fait remarquer en 2009 lors de la Biennale de Venise avec leurs vidéos gaguesques bricolées. Le soir du vernissage de leur expo parisienne, un cycliste, une gogo danseuse et un potier s’étaient donné rendez-vous devant un public médusé et amusé pour activer une drôle de machine célibataire conçue par les deux trublions. Claire Moulène Jusqu’au 12 mars à la galerie Crèvecœur, 4, rue Jouye-Rouve, Paris XXe, www.galeriecrevecoeur.com www.bestuevives.net 16.02.2011 les inrockuptibles 23

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Francis Demange/Gamma

Jusqu’ici, le bourg était surtout connu pour ses spectacles de music-hall

étranger, tu n’es pas le bienvenu Dans un canton d’Alsace, la gendarmerie demande aux maires de signaler “toute personne d’apparence pays de l’Est”. Confidentiel, le courrier a été distribué aux Kirrwillerois par la municipalité.

D  

e vieilles maisons à colombages entourées de champs et un silence pesant. Située à quarante kilomètres au nord de Strasbourg, la commune de Kirrwiller concentre nombre de clichés alsaciens. Lundi 7 février, ses quelque six cents habitants découvrent dans leurs boîtes aux lettres un petit papier bleu ciel. Surprise à sa lecture. Le tout signé par le commandant d’une brigade locale de gendarmerie et estampillé “mairie de Kirrwiller”. Révélée par les Dernières nouvelles d’Alsace (DNA), l’affaire fait rapidement le tour de l’Hexagone. Même cotidianul.ro, journal roumain en ligne, lui consacre un reportage intitulé “Discrimination en Alsace”. La gendarmerie nationale réagit aussitôt dans un communiqué et qualifie la démarche du brigadier de “maladresse inopportune” soulignant “qu’à aucun moment il n’a voulu stigmatiser une catégorie de population”. Mais comment cette note confidentielle a-t-elle bien pu atterrir chez les Kirrwillerois ?

Au début de l’année, la gendarmerie du canton de Hochfelden constate une recrudescence de cambriolages et de vols dans la région. Le 31 janvier, le commandant de brigade envoie un mail – à usage interne – aux différents maires des communes du canton. L’objet : sensibiliser “l’ensemble (de leurs) citoyens”, afin que ces derniers signalent “tout comportement suspect… et plus particulièrement les personnes originaires des pays de l’Est et des Balkans (Roumains, Croates, Serbes, Bulgares, etc.).” Injoignable, le gendarme en question serait, selon un collègue, parti une semaine pour des “vacances prévues de longue date”. A la réception du fameux courriel, Laurence Jost, maire UMP de Bosselshausen, le transmet “pour information” à son homologue du canton voisin : Patrice Dietler, maire de Kirrwiller. Ce dernier juge la note digne d’intérêt et ordonne sa distribution postale à ses administrés. “C’est une grosse

bourde du maire, lâche Marc Ceccarelli, installé depuis 2006 à Kirrwiller. C’est du délit de sale gueule dans la mouvance actuelle avec les Roms.” Un autre habitant, natif du village, semble moins choqué. “Tous les gens des pays de l’Est ne sont pas des voleurs, mais il y a un réel problème. Moi-même, j’ai déjà été cambriolé.” L’un des proches de Patrice Dietler – qui refuse, lui, de s’exprimer – reconnaît que la diffusion de cette note était une erreur mais explique son geste. “La veille de la diffusion de cette note, la mairie de Kirrwiller venait d’être cambriolée. La volonté première de Patrice était d’informer, pas de stigmatiser !” Laurence Jost comprend “le ras-le-bol de certains élus locaux comme Patrice Dietler, fatigués d’aller presque tous les jours à la gendarmerie”. Bien qu’elle ne transmette jamais directement ce genre d’information à ses administrés, elle ajoute, sourire aux lèvres : “De toute façon, maintenant que tout le monde en parle, je n’ai plus besoin de diffuser cette note.” Geoffrey Le Guilcher

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Amelia Troubridge/London Evening Standard ES Magazine

quand Sally pose, les Tories pestent Au Royaume-Uni, Sally Bercow, l’épouse du président conservateur de la Chambre des communes, s’affiche à demi nue dans les pages d’un quotidien. Et en plus, elle soutient les travaillistes. es courbes font des vagues outre-Manche. Pose lascive, regard bleu aguicheur et un drap de lit pour seule enveloppe… Dans les pages du quotidien Evening Standard du 4 février, Sally Bercow pose sans complexe, à demi nue, à la fenêtre de son appartement avec vue sur le Parlement. La jolie blonde de 41 ans n’a rien d’une inconnue : elle est l’épouse du speaker John Bercow, président conservateur de la Chambre des communes, équivalent britannique de l’Assemblée nationale. Le shooting osé illustre une interview où Sally Bercow, à l’occasion d’un numéro spécial Saint-Valentin, s’épanche sur le caractère “aphrodisiaque” du pouvoir de son mari, et la vie “incroyablement sexy” au palais de Westminster. “Depuis que John est speaker, le nombre de femmes qui lui courent après a augmenté de manière spectaculaire”, ajoute-t-elle. Sur la BBC, cette mère de trois enfants a reconnu que la photo était peut-être “stupide”, mais défendu corps et âme sa liberté de parole. “Dois-je marcher trois pas derrière mon mari, me taire et faire des sandwichs au concombre ? Non. J’ai

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une personnalité, des ambitions à moi, et c’était juste destiné à être drôle.” Avant d’ajouter : “Le problème est que, comme je suis la femme du speaker, tout ce que je fais sort dans la presse et est utilisé contre lui.” Sally Bercow n’apparaît pas comme la meilleure alliée politique de son mari. Coutumière de ce type de déclarations embarrassantes, elle évoquait l’an dernier dans la presse les frasques de sa jeunesse, entre liaisons dangereuses avec l’alcool et aventures sexuelles sans lendemain. Sur Twitter, où elle compte plus de 20 000 followers, dont David Miliband et le député Ed Balls, elle s’exprime souvent à tort et à travers. Elle y qualifie par exemple le chancelier George Osborne de “cinglé”. L’effrontée, surnommée “la Carla Bruni de la politique britannique”, est cordialement détestée dans les rangs conservateurs. Dans le Daily Mail, quotidien réputé conservateur,

“dois-je marcher trois pas derrière mon mari, me taire et faire des sandwichs au concombre ?”

un ministre anonyme la décrit comme “complètement hors de contrôle”. Outre ses sorties dans la presse, son soutien affiché au parti travailliste n’est pas du goût de tous. Cette ancienne publicitaire a tenté sans succès de se faire élire conseillère municipale travailliste à Londres en mai 2010. Et critique vertement le parti de son époux. “Je pense que le parti conservateur se bat pour quelques rares privilégiés et ne représente pas les intérêts de la plupart des gens”, a t-elle notamment déclaré fin 2009, égratignant au passage le “manipulateur” David Cameron. Alors que le speaker est traditionnellement un personnage neutre et consensuel, John Bercow est accusé d’être influencé par son épouse. Et régulièrement exhorté à la démission. Pas rancunier, il monte au créneau pour défendre l’indépendance de sa douce. “Le devoir d’impartialité ne s’applique pas à mon épouse, qui ne fait pas partie de mon mobilier”, assénait-il début 2010. Au lendemain de la parution du Evening Standard, le couple, surnommé par la presse anglaise les “Bercozy”, affichait un front uni lors d’une sortie en famille. Anouchka Collette

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brèves les sources, le secret, la loi L’Association des journalistes de la presse judiciaire a lancé une pétition pour l’abrogation de la loi du 4 janvier 2010 sur le secret des sources. Elle considère que la garantie du secret des sources “est foulée aux pieds par des services de police judiciaire ou de renseignement, qui ont pris l’habitude de se procurer les factures téléphoniques détaillées de journalistes pour identifier, puis neutraliser, leurs informateurs”. Sans elle, les sources se tarissent et le droit à l’information des citoyens est menacé, estime l’association qui demande qu’une nouvelle loi soit adoptée au plus vite par le Parlement. Dailymotion, la télé, les infos Dailymotion diffuse désormais en direct vingt-six chaînes internationales d’information en continu, grâce à un partenariat avec Livestation, plate-forme spécialisée dans la diffusion de chaînes de télé sur internet, smartphones et consoles de jeux. Depuis dailymotion.com/livestation, les internautes ont accès à Al-Jazeera English, BBC World News, CNN, France 24 ou encore RFI Monde… AOL, l’Huffington Post, les 315 millions de dollars Pour 315 millions de dollars, AOL s’est offert le site qui est le roi de l’info en ligne aux Etats-Unis, l’Huffington Post (25 millions de visiteurs uniques par mois), donnant naissance au Huffington Post Media Group. Arianna Huffington en sera la rédactrice en chef. L’idée d’AOL est de générer du trafic et d’augmenter ses recettes publicitaires. D’après AOL, ce nouveau portail devrait attirer 270 millions d’internautes

Fabrice Gousset

Enfr iche, les sous-sols accueillent actuellement une exposition Amos Gitai

c’est le chantier au palais de Tokyo ! Dédié à l’art contemporain, le bâtiment va ouvrir de nouveaux espaces en 2012. La refonte du lieu a provoqué des affrontements entre les tenants du laboratoire artistique et les partisans de la grosse machine muséale.



u 13 avenue du Président-Wilson dans le XVIe arrondissement de Paris, c’est Dynastie tous les jours. Lancé en 2002, le feuilleton du palais de Tokyo enchaîne les rebondissements politicoartistiques. “Le projet, à ses débuts, relevait du miracle commente Nicolas Bourriaud, l’un des deux cofondateurs. Bien que sous-doté et hors normes avec ses horaires non-conventionnels, son sens de la convivialité, son modèle économique privépublic inédit en France, le palais de Tokyo est devenu en quelques mois un phénomène.” Dix ans plus tard, le lieu entame une nouvelle étape avec la rénovation de son sous-sol (9 000 m2) confié à Lacaton & Vassal qui avait officié en 2002. Au départ délaissé par le pouvoir qui n’y voit qu’une aventure éphémère, le palais de Tokyo devient en quelques années l’objet de toutes les convoitises. Premier épisode, le 31 janvier 2007 : Chirac lègue à son ami Alain Seban, président de Beaubourg, les clés du sous-sol du palais de Tokyo. La machine s’emballe. On parle d’un “Centre Pompidou Alma” pour artistes “milieu de carrière” et d’une ouverture pour 2014. Deux clans s’affrontent : des artistes confirmés (Messager, Boltanski, Lavier…) réclament l’officialisation et l’accélération du projet, alors que la jeune garde s’inquiète de “ce mariage forcé” et craint que le site de création contemporaine ne soit phagocyté par le Centre Pompidou. Quelques mois plus tard, Christine Albanel veut remettre de l’ordre et confie à Olivier Kaeppelin, ex-délégué aux arts

plastiques, une mission qui met fin aux ambitions du Centre. En interne, le palais de Tokyo se cherche, poursuit sa programmation internationale ambitieuse et veut asseoir sa souplesse institutionnelle. Le coût des travaux, qui reprendraient en mars, passe de 40 à 21 millions euros. L’ouverture est avancée à avril 2012 pour permettre à Sarkozy d’inaugurer un chantier culturel. Reste à définir les objectifs artistiques et les statuts des directeurs de ce paquebot de près de 20 000 m2. Dans les tuyaux : une réhabilitation des salles de cinéma, une série de monographies XXL et la création d’un auditorium de 500 places. Du côté des statuts, une nouvelle bataille se déclare entre Olivier Kaeppelin qui occupe les lieux (il présente dans les sous-sols en friche une expo Amos Gitai) et les partisans d’une programmation autonome. Au final, c’est le modèle du Centre Pompidou (!), avec un président qui préside (Olivier Kaeppelin) et un directeur en charge de l’artistique, qui l’a emporté. Le directeur du palais sera choisi en octobre suite à un appel à candidatures international. Après une année resserrée sur les espaces des modules, le palais de Tokyo élargi ouvrira en avril 2012 avec la Triennale de Paris. Et Frédéric Mitterrand ? On raconte qu’un temps hermétique à ce projet, il aurait eu une révélation devant une photo du parvis du palais : “C’est notre Rockfeller Center.” Claire Moulène A lire sur www.lesinrocks.com, le feuilleton détaillé du palais de Tokyo.

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média-toc email, old school Une étude de comScore dévoile que l’utilisation des emails a chuté de 59 % aux Etats-Unis chez les 12-17 ans, entre décembre 2009 et décembre 2010. Les jeunes privilégient les SMS, les messageries instantanées et les réseaux sociaux.

OK, vieux Stéphane Hessel, ancien résistant, Edgar Morin, militant et philosophe, et Susan George, cofondatrice d’Attac ont 258 ans à eux trois et presque autant d’années de lutte. Sur Rue89, ils racontent leurs parcours, de 1917 à 2011.

média-tic les Pages Jaunes à la rue Malgré la concurrence Google Street View, les Pages Jaunes se mettent à l’immersion virtuelle dans les rues de France. Le site UrbanDive devrait proposer la vue des rues en 3D et à 360 degrés. Disponible en phase test sur inscription pour Paris (urbandive.com).

au cœur du foyer presse sous pression Selon un sondage TNS-Sofres/La Croix, 63 % des Français estiment que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions des partis politiques et du pouvoir, même si la moitié des sondés les jugent plutôt neutres politiquement. Pour 57 % d’entre eux, la radio reste le média le plus fiable, loin devant internet (35 %).

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“C’est parce qu’on est propriétaire qu’on existe dans la société”, selon Jean-Paul Flamand, sociologue. Le “mensuel postcapitaliste” Regards propose un dossier, “Ma maison à tout prix”, avec chiffres clés, témoignages et conseils financiers. Sans oublier un reportage sur Detroit à la dérive et un entretien avec Florence Aubenas.

“True Grit”, BD virtuelle En attendant la sortie du western des frères Coen, une bande dessinée teasing gratuite de 24 pages adaptée du roman de Charles Portis, True Grit, est à télécharger sur truegrit.fr/novel.

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Justin selon Bieber Phénomène né sur internet et devenu superstar, Justin Bieber sort, à 16 ans, un film sur sa vie. Epanoui par la puberté, il livre en toute humilité sa vison de l’éternité.

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2 l’homme

A en croire sa pose assurée, Justin Bieber n’est plus un enfant. Non, à 16 ans, Justin est un homme qui a bourlingué et qui est désormais solidement installé, bien dans ses baskets, une lumière translucide qui lui sort de l’entrejambe (belle métaphore). D’avant sa puberté, Justin a gardé sa coupe de cheveux qui, comme ses deux prédécesseurs, Zac Efron (de High School Musical) et Samson (de la Bible), constitue sa marque de fabrique, sa force. Cette fameuse coupe qui, entre la coiffe emo et le casque Beatles a révolutionné la gestuelle adolescente : alors que dans les nineties on passait la main dans ses longs cheveux gras pour les faire retomber en paquet devant les yeux façon Kurt Cobain, c’est le coup de tête brusque pour ranger sa mèche sans les mains qui est devenu le tic de toute une génération. C’est donc avec ses cervicales d’acier que Justin pose avec toute l’intensité qui le caractérise sur l’affiche américaine de son film censé faire découvrir au public “son incroyable parcours, de Stratford au Canada où il jouait dans la rue jusqu’à son concert à guichets fermés au Madison Square Garden”. Ouah !

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le parcours d’une vie

Avant de sortir un documentaire sur sa vie, Justin, tel Saint-Simon, avait écrit ses mémoires, modestement intitulés : First Step 2 Forever : My Story. Un titre traduit en français par 100 % officiel : Mon histoire – De mon premier pas vers l’éternité. Dans son histoire de son premier pas vers l’éternité donc, Justin décrit le “tourbillon qui a changé sa vie pour toujours”, c’est-à-dire sa connexion internet qui lui a permis de se faire repérer par Usher, de devenir un produit marketing et de se classer durablement parmi les meilleures ventes aux States. Ainsi donc, après le livre illustré (un petit macaron sur la couve indique “photos exclusives rien que pour toi”), voici venu le film, média plus adapté aux jeunes filles et à leur imaginaire érotique naissant. Pour jouer la proximité Justin rappelle qu’avant d’être une superstar, il habitait dans l’Ontario où, comme le donne à voir l’affiche avec subtilité, il ne faisait vraiment pas beau, y avait de la neige, peu de gens et peut-être même quelques loups communistes mangeurs de bébés. Une vie morne d’adolescent villageois troquée pour celle de grosse reusta à New York où les quelques nuages ressemblent à ceux des tableaux de Tiepolo, où, du coup, il fait grave beau et où Usher paye sa tournée de pizzas et de Champomy tous les soirs. C’est vrai que ça a l’air cool l’éternité.

le message En tant qu’aspirant à l’éternité et tel Jésus en moins poilu, Justin délivre ici un message. En effet, pour les fans qui n’auraient pas encore de bases solides en anglais (c’est rare en primaire), le titre du film Never Say Never pourrait être traduit par Jamais dire jamais. Soit, selon la bande-annonce, ce que répond Justin aux méchantes gens qui osent lui dire que les rêves ne sont pas toujours réalisables. Exactement comme Napoléon III à qui l’on a attribué la paternité de la phrase : “Il ne faut jamais dire jamais”, soit sa réponse toute faite à tous les rabat-joie qui ne croyaient pas en ses coups d’Etat. Autre message du film : “Découvre ce qui est possible si tu n’abandonnes jamais”. A savoir se la raconter puissance 1000 alors qu’on n’a pas encore mué. Diane Lisarelli

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heureux !

Son NPA a perdu plus d’un tiers de ses adhérents mais Olivier Besancenot est regonflé à bloc : avec la Tunisie puis l’Egypte, il vient de vivre ses premières révolutions. Entretien. par Anne Laffeter, Thomas Legrand et Bernard Zekri photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

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de la démocratie. Dans l’histoire, il est rare qu’une révolution populaire se déclenche à partir d’un livre rouge, d’un programme ou d’une idéologie. Même en octobre 1917, la révolution ne s’est pas faite au nom du socialisme mais dans le prolongement de la révolution de février, pour la paix, la terre et le pouvoir aux Soviets. Une révolution est le dénouement d’une situation intenable : une partie de la population d’en bas se révolte et l’oligarchie n’est plus en mesure de gouverner. En Tunisie, après que Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, les manifestants réclamaient du travail et du pain. Ce n’est qu’après la répression que la rue a demandé le départ de Ben Ali. En Algérie, les revendications sont les mêmes, mais pas le dénouement. Les révolutions, comme dit Ken Loach, entretien > Alors ? On y est, sont contagieuses. Les Tunisiens à la révolution ? pensaient : si nous sommes capables Olivier Besancenot – C’est la première d’y arriver, cela va inspirer d’autres fois que j’assiste à l’une d’elles. peuples qui subissent le joug. Jusqu’alors, je militais pour des idées “Contagieux”, ça fait maladie ! révolutionnaires dans un monde Si ça peut faire flipper nos adversaires… sans révolution, à partir de références Un mouvement s’est amorcé, il s’est d’autres générations. J’ai connu la toute passé quelque chose d’impensable. La fin de la révolution nicaraguayenne. révolution égyptienne le prouve encore. Quant aux révolutions de l’Est, elles ne En Tunisie, sans l’alliance de la classe remettaient pas en cause les intérêts moyenne urbaine avec les jeunes occidentaux, comme les intérêts pauvres de province, pas de révolution… français avec la Tunisie et les intérêts On trouve dans tous les processus américains avec l’Egypte. révolutionnaires des alliances Ces révolutions ne sont ni socialistes entre différents secteurs de la société. ni anticapitalistes… Les révolutions estampillées 100 % Elles posent la question sociale et celle “prolétariennes” par quelques livier Besancenot est un révolutionnaire. Il milite pour la révolution depuis tout petit, il connaît tout de la Commune, de 1848, du Che, des sandinistes et quand il parle de la révolution, ses yeux brillent. Il ne l’a jamais connue lui-même mais là, ça y est, il en voit une, puis deux… Besancenot nous parle de ces révolutions du XXIe siècle avec l’excitation du séminariste à qui la Vierge apparaîtrait ! Tant pis si ces révolutions ne sont pas particulièrement socialistes, tant pis si elles ne sont même pas explicitement anticapitalistes, tant pis si les activistes sont des internautes et des geeks plus que des théoriciens et des intellectuels… Ce sont quand même des révolutionnaires.

professeurs rouges sont une illusion. Le problème est de savoir où se situe la force motrice. En Egypte et en Tunisie, c’est le peuple. Entre islamisme et démocratie, l’issue de ces révolutions est encore inconnue. Il n’y a que le processus qui vous intéresse ? Non. Les peuples arabes nous montrent qu’il y a une autre voie que dictature ou islamisme. En tant qu’internationalistes, notre devoir est de lutter contre la complicité de notre gouvernement. On a monté des actions de solidarité en France avec les grévistes de la faim, les militants pourchassés, emprisonnés. L’ambassade tunisienne envoyait sa bande de cogneurs. Un des plus beaux meeting de ma vie, c’était à la Bourse du travail avant la chute de Ben Ali. On a senti le souffle de la révolution. On était inquiets mais les Tunisiens présents nous disaient : il y a eu trop de morts, on ne fera plus machine arrière. Aujourd’hui, personne ne peut parler au nom du peuple tunisien mais nous avons la responsabilité de peser sur les intérêts économiques français, qui ont bien magouillé avec le régime Ben Ali, comme Orange par exemple. Les Tunisiens ont peut-être aussi fait la révolution pour rejoindre la société capitaliste ? Mais la Tunisie, c’était déjà le capitalisme et même un des meilleurs élèves du FMI. Les Tunisiens ne l’ont pas oublié. Les politiciens professionnels ont peur de l’inconnu.

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Olivier Besancenot, porte-parole du NPA, lors du premier congrès de son parti, le 11 février à Montreuil

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En Guadeloupe pendant la grève générale contre l’exploitation et la vie chère, 21 février 2009

Pour eux, c’est le vide. Mais le “vide” en Tunisie, cela veut dire des assemblées générales improvisées, la serveuse qui te tend un tract dans un café… Ces peuples étaient privés de liberté d’expression, puis le mur de la peur est tombé… C’est un point commun à toutes les périodes d’ébullition. Je n’ai pas vécu Mai 68 mais il paraît que tout le monde parlait politique. Lors des grandes grèves de 1995, sous Juppé, les gens parlaient entre eux, ne serait-ce que grâce au covoiturage. Une révolution, c’est un moment d’euphorie avec une forte charge d’adrénaline ou c’est changer le monde pour le rendre meilleur ? C’est un processus fait de flux et de reflux. Ça ne se réduit pas à la seule journée où Ben Ali et Moubarak dégagent. En Tunisie, deux pouvoirs potentiels se font face. Les gouvernements de transition, portés par tous les débris du régime Ben Ali, se battent pour leur légitimité. Il existe un autre pouvoir : celui de la rue. Les forces révolutionnaires les plus politisées proposent une assemblée constituante. Pour changer de système, il ne suffit pas de substituer un gouvernement à un autre car la police et les hautes sphères de l’administration restent dans les mêmes mains. On assiste à une course de vitesse entre des forces révolutionnaires et des forces contrerévolutionnaires. La Tunisie nous rappelle ce que nous savions : ce ne sont pas les révolutionnaires qui sont responsables des morts. Ce vent de révolution peut-il atteindre la France ? Il nous faudrait ici aussi une bonne

vieille révolution. Je suis enthousiaste parce que j’ai vécu quelque chose d’exceptionnel mais je garde la tête sur les épaules. On prend plus de coups qu’on en rend et nous n’en sommes pas encore à une déferlante de révolutions qui pourrait d’ici peu emporter l’ordre capitaliste. Twitter et Facebook ont-ils changé les données de la révolution classique ? C’est bluffant et très important en termes de moyens de communication. Sur les murs, on peut lire “Vive la révolution” et “Vive Facebook”… Mark Zuckerberg est révolutionnaire, alors ? (rires) Il serait surpris si on lui disait ça. En général, toutes les révolutions font preuve d’originalité. Pour répandre la révolution cubaine, Che Guevara avait créé clandestinement et à l’arrache la Radio Rebelde dans la sierra Maestra. Les revendications sociales, le besoin de liberté d’expression, de démocratie ne pourraient-ils pas servir de levier pour une révolution en France ? Oui, toutes proportions gardées. Nous arrivons dans une nouvelle phase de la mondialisation. Il y a eu la crise financière et écologique et certains économistes ont évoqué le retour du keynésianisme. Or, les libéraux se sont parfaitement accommodés de l’intervention de l’Etat lorsque celui-ci a trouvé des milliards pour les banques. En fait, on assiste à une nouvelle offensive libérale de l’ampleur de celle qu’on a connue sous Thatcher et Reagan. Nous n’allons pas sortir de la crise puisque ce sont ces politiques économiques qui l’ont suscitée et qui l’alimentent encore. De plus,

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Corentin Fohlen/Fedephoto

Jobard/Sipa

A Paris lors d’un rassemblement en soutien aux peuples de Tunisie et d’Algérie, 13 janvier 2011

ces politiques n’emportent plus l’adhésion. On l’a vu avec les grosses manifestations en Grèce, en Irlande, en Espagne, en France, avec la révolte des étudiants en Angleterre. Cet acteur de la démocratie, dont on ne parlait plus et qui s’appelle le peuple, se réinvite depuis un an sur la scène politique. Un nouveau cycle pourrait s’ouvrir, fait de révoltes sociales, de grèves générales et de révolutions. Cette déringardisation de la révolution change-t-elle vos rapports de force avec les autres partis de gauc he ? On n’a jamais eu autant de contacts avec des partis à l’international. La gauche radicale aussi forte n’est plus une spécificité française ? On n’est pas le petit village gaulois qui résiste. Face à la mondialisation, il ne faut pas se retrancher derrière les frontières comme le souhaitent certaines formes de souverainisme, voire de nationalisme… C’est une différence entre vous et Mélenchon qui a une position plus protectionniste. Pour nous, l’heure est à l’anticapitalisme par-delà les frontières ! Nous étions les seuls à défendre des solutions comme la répartition des richesses, la réappropriation publique, le salaire maximum, l’interdiction des licenciements. Les autres partis les reprennent. Nous avons marqué des points sur le terrain des idées. Qu’est-ce qui vous différencie des autres partis de gauche, s’ils reprennent vos idées ? Ségolène Royal reprend l’idée d’interdiction des licenciements… Au NPA, on n’a pas l’instinct de propriété.

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Citizen Side/AFP

“Le NPA n’a pas construit sa pensée en fonction de Mélenchon. Qu’il dise, lui, où il en est”

Mais la question, c’est : comment fait-on pour appliquer ces idées ? Pour cela, il faut remettre en cause la propriété capitaliste et rompre avec les institutions dominées par le pouvoir économique. Comment appréhendez-vous les prochaines échéances électorales ? A partir des mouvements sociaux. Nous voulons fédérer les forces anticapitalistes qui militent en leur sein sur la base d’un programme. Il reste des traces des millions de manifestants contre la réforme des retraites. Même si Sarkozy a gagné, il n’arrive pas à se remettre de ce mouvement. Beaucoup ne veulent ni de la droite ni de la gauche molle. La défense des retraites, c’est le contraire de l’image d’une révolution ? Ce sont des acquis sociaux ! On a une fausse idée du déclenchement des révolutions. De quoi part la Commune de Paris en 1871? Le peuple ne voulait pas que les Prussiens s’emparent de Paris. Or, les révolutionnaires ne faisaient pas confiance à leur gouvernement pour les repousser. Une situation révolutionnaire se cristallise sur un événement qui ne l’est pas forcément, comme la convocation des banquets républicains de 1848 ou l’évacuation de la Sorbonne en 1968. Marx disait que chaque révolution connaît son “événement de banquet.” Mélenchon veut une révolution par les urnes, vous c’est l’inverse ? En Egypte ou en Tunisie, il ne s’agit pas de la révolution par les urnes. Le suffrage universel est compatible avec la révolution mais celle-ci ne saurait être une promesse électorale. Le NPA prône un modèle de société qui combine suffrage universel

et démocratie directe où le peuple s’implique sans déléguer sa représentation politique à d’autres. Le NPA n’a pas construit sa pensée en fonction de Mélenchon. Qu’il dise, lui, où il en est. Il tient un discours parfois très radical, parfois pas du tout. Il vient du système politique, il a été ministre et sénateur. Sa logique veut que l’on change les choses de l’intérieur. Au NPA, on pense que pour imposer des réformes audacieuses, il ne faut pas seulement changer le système mais changer de système. Une alliance est-elle possible ? A lui de dire s’il envisage de ne pas être candidat. Imagine-t-il faire campagne pour quelqu’un qui ne soit pas tête de file d’un parti politique, qui défendrait un programme anticapitaliste, sans servir demain de caution de gauche à un nouveau gouvernement socialiste ? Mélenchon vous tend la main pour entrer au Front de gauche. Oui, pour qu’on fasse sa campagne. Je respecte les militants PC, PG, LO, mais je ne leur dirais pas : “Je vais être votre candidat, venez derrière moi.” De plus avant le casting, il y a le scénario : l’anticapitalisme, c’est d’abord un programme, pas seulement un mot à la bouche. Peut-on mettre en œuvre un programme anticapitaliste dans un gouvernement nommé par StraussKahn ? Nous pensons que non. En ce moment, Mélenchon tape sur DSK. Il ne dit pas qu’il ne gouvernera pas avec lui. Le PC ne veut pas d’un candidat qui tape sur le PS. Le problème n’est pas seulement DSK, il n’y a pas un flic gentil et un flic méchant. Jamais un candidat

A Paris, arrêté par la police au cours d’une manifestation contre la privatisation de la Poste, 15 décembre 2009

socialiste n’a fait un pas plus à gauche une fois élu. Le mouvement altermondialiste n’est plus ce qu’il était, les militants de la société civile venus au NPA à sa création sont partis… Nous sommes à la croisée des chemins. Certains, comme Attac, le Dal, ont vécu dans une illusion que “le mouvement se suffise à lui-même”… Mais, dans ce cas, tu laisses les partis en place. Aujourd’hui, la gauche radicale atteint ses propres limites. Nous devons tenter une synthèse entre nous et les mouvements sociaux. De la gauche radicale mélenchoniste au FN, la mode est à la défense de la République et de la laïcité. Aux élections régionales de 2010, Ilham Moussaïd, la candidate voilée du NPA à Avignon, a suscité la polémique. Les féministes tunisiennes disent que la laïcité n’est pas négociable, qu’elle représente le premier rempart contre le radicalisme religieux. Mais elles précisent qu’il ne s’agit pas d’une laïcité à la française du moment, nouvel étendard d’une vision islamophobe. Que pensez-vous du succès d’Indignez-vous, le livre de Stéphane Hessel ? J’y vois l’un de ces petits indices qui définissent l’air du temps. Il n’y a plus besoin de convaincre que le capitalisme, c’est de la merde, et que le monde est injuste. Mais, si l’on garde sa révolte pour soi, cela produit de la haine, des dérives xénophobes. Une révolte, cela doit se partager dans un projet collectif. Julian Assange est-il un révolutionnaire ? Non, mais c’est un bon fouteur de merde, dans le bon sens du terme. 16.02.2011 les inrockuptibles 35

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les ratés de la révolution NPA Le congrès du week-end dernier n’a abouti à aucune orientation concrète. Entre chaos et méthode Coué, le NPA fait du surplace. par Anne Laffeter photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

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uel bonheur d’ouvrir le premier congrès anticapitaliste un jour de révolution !” A la tribune, face aux militants, Olivier Besancenot en jette. On le disait lassé, fatigué, il galvanise ses troupes. Les Egyptiens et Tunisiens sont sa dose d’amphètes à lui. Le facteur peut dire merci à leur courage et leur ténacité. Cela lui permet de parler d’autre chose que de la sinistrose du NPA. “Il ne faut pas être obnubilé par les seules discussions internes mais regarder au-delà de nos frontières”, répond-il dans les couloirs. Pourtant, depuis sa création en février 2009, le NPA a perdu plus de 4 000 adhérents sur 9 500 à ses débuts. On est loin du “parti des 10 000” annoncé en grande pompe. Le NPA, c’est l’histoire d’une révolution interne avortée : la greffe n’a pas pris entre les durs de la LCR et les nouveaux militants. Qui se souvient qu’à sa création le NPA faisait trembler le PS, enthousiasmait les foules et projetait de révolutionner la gauche ? Qu’en février 2009, Olivier Besancenot était au top de la hype politique ? Simple, incorruptible, sympa, radical. Le non à l’Europe en 2005 et les manifs contre le CPE en 2007 l’avaient propulsé aux avant-postes de la contestation. Avec un PS en plein marasme après le congrès de Reims de novembre 2008 (Aubry et Royal s’accusent de tricherie), il est alors considéré comme le meilleur opposant à Sarkozy. Alters en errance, déçus du PS, activistes, syndicalistes, sans-voix, sans-étiquettes, nouveaux militants, le NPA veut faire sortir l’extrême gauche de l’ornière des 10 %. Mais d’autres sont à la manœuvre. Jean-Luc Mélenchon, ancien du PS, crée au même moment le Parti de gauche. Il prend le NPA de vitesse en appelant à un Front de gauche pour les élections européennes. Le PC s’y engouffre. Besancenot refuse. Au mois de juin 2009, le NPA n’obtient que 4,9 % des voix contre 6 % pour le Front de gauche. Aux régionales,

dans les couloirs de l’Espace-Est de Montreuil, c’est pas l’éclate. On est loin de l’enthousiasme des débuts

l’année suivante, c’est la bérézina : 2,4 % contre 5,8 %. Mélenchon s’ancre dans le paysage politique. Le NPA fond comme neige au soleil. Dans les couloirs de l’Espace-Est de Montreuil, c’est pas la grosse éclate. On est loin de l’enthousiasme galvanisant des débuts. C’est profil bas et méthode Coué. “L’ouverture n’est pas un échec, on marque juste le pas”, estime Anne Leclerc de la direction. Les échecs électoraux ? “La campagne des européennes est arrivée vite, il y a eu un retard à l’allumage, explique à la tribune Sandra Demarcq avant d’ajouter : le score est plutôt satisfaisant mais il a déçu bon nombre de militants.” “Aux européennes, je m’attendais à 15 %, raconte Leila Chaibi. On fait le score de la LCR, mais le deal c’était pas la LCR bis, c’était le NPA !” Aux régionales, la candidate voilée Ilham Moussaïd fait fuir pas mal de militants. Au congrès, le NPA semblait vouloir accorder aux femmes voilées le droit de militer mais pas celui de se présenter. La résolution de cette question ultrasensible a été repoussée. Presque un an après les dernières élections, l’hémorragie continue. A l’issue du congrès, six membres de la direction ont claqué la porte, exaspérés par

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Vendredi 11 février, Montreuil

le dogmatisme et la fermeture de la ligne majoritaire. Ils soutenaient la motion unitaire en faveur d’une alliance avec les autres partis de la gauche radicale, dont le Front de gauche. Yann Cochin, de Sud-Energie, s’en va. Quant à Leila Chaibi, fondatrice de L’appel et la pioche (qui organise des pique-niques sauvages dans les grandes surfaces), elle se sent plus utile au Parti de gauche : “Ils prennent en compte la question des précaires, des stagiaires et ne sont pas uniquement focalisés sur les ouvriers.” Danièle Obono, partante elle aussi, s’en désole : “Ces départs sont l’échec du NPA. Les membres de la direction sont incapables de tirer un bilan clair des échecs.” Les partants mettent en cause la stratégie du cavalier seul. Depuis deux ans, le NPA est devancé par le Front de gauche. Populiste, bateleur, Mélenchon est partout, comme ses idées. Il serait le meilleur candidat de la gauche non socialiste pour 20 % des Français. Six points devant Besancenot, à 14 %. “A force de s’isoler, d’adopter une posture virulente résolument anti-PS, Besancenot est devenu l’idiot inutile de la gauche radicale”, estime le journaliste Renaud Dély, auteur de l’ouvrage Besancenot, l’idiot utile du sarkozysme en 2009. “A l’inverse, Jean-Luc

Mélenchon ne tape que sur certains socialistes. Contrairement à Besancenot, il a compris que la question qui se posera en 2012 c’est : Sarkozy stop ou encore ?” Le congrès est un fiasco. Aucune orientation claire ne s’est dégagée. Rien n’a été acté. Le NPA continue à faire du surplace. La motion d’orientation politique de la direction n’a pas obtenu de majorité (48,8%), face aux identitaires (27,8%) et aux unitaires (26%,4). Les trois courants n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un appel au rassemblement anticapitaliste pour 2012, comme prévu initialement. Seuls les textes sur les réponses à la crise et sur la solidarité avec les peuples tunisien et égyptien ont été votés. La ligne ne change pas : pas d’accord avec le Parti de gauche, soupçonné de vouloir faire alliance avec le PS, ce que le NPA a toujours refusé. Les nouveaux porte-parole doivent être désignés en mars et le candidat en juin. “Ça ne se bouscule pas au portillon, faudra forcer les gens, c’est plutôt sain contrairement aux autres partis”, explique Alain Krivine, très à la coule. Besancenot ne cache pas son envie de raccrocher après presque dix ans de monopole médiatique trotskiste. Mais s’il faut sauver l’appareil, il ira. Comme depuis 2002. 16.02.2011 les inrockuptibles 37

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5 dictateurs déchus

Haïti

Jean-Claude Duvalier (“Bébé Doc”) 1971 - 1986 pourquoi il est tombé En avril 1971, à 19 ans, il devient président à la mort de son père, “Papa Doc”. Autoproclamé “président à vie”, il commet de nombreuses violations des droits de l’homme et détourne des millions de dollars. Il est à l’origine de la mort de milliers d’opposants au régime. Une révolte populaire le chasse du pouvoir et d’Haïti le 7 février 1986. Il a ensuite vécu vingtcinq ans en exil en France. et après ? L’instabilité politique est encore pesante à Haïti, notamment après un premier tour d’élection présidentielle chaotique en novembre 2010. Bébé Doc est rentré à Haïti le 16 janvier 2011, prétendant revenir “pour aider le peuple haïtien”.

Chili Roumanie

Nicolae Ceausescu 1967 - 1989 pourquoi il est tombé Son désir d’indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique a longtemps séduit les puissances occidentales. Culte de la personnalité, politique de natalité excessive et collectivisation délirante ruinent le pays. En décembre 1989, il ordonne à l’armée de tirer sur des manifestants à Timisoara. Quatre jours plus tard, il organise un rassemblement en sa faveur, qui se transforme en rébellion populaire. Après un procès expéditif, lui et son épouse sont condamnés à mort et exécutés pour génocide. et après ? Un comité de salut national lui succède, qui rétablit la démocratie et l’économie de marché.

Augusto Pinochet 1973 - 1990 pourquoi il est tombé C’est par un coup d’Etat contre le président socialiste Salvador Allende que Pinochet, alors commandant en chef de l’armée, prend le pouvoir en 1973. Sous son règne, 3 000 opposants trouvent la mort et plus de 29 000 sont torturés. En 1990, cherchant à conforter son pouvoir, il perd un référendum. L’armée négocie sa mise à l’écart. et après ? Pinochet a fait l’objet d’une plainte pour “génocide, terrorisme et tortures” mais il est mort en 2006 avant d’être jugé. Depuis, le Chili s’est démocratisé et en 2006 a élu une femme à la présidence pour la première fois : Michelle Bachelet.

Serbie / Yougoslavie Zaïre

Slobodan Milosevic 1989 - 2000

pourquoi il est tombé Surnommé “le léopard de Kinshasa”, Mobutu Sese Seko a pris le pouvoir après la décolonisation dans un pays en pleine guerre civile. Il est l’instigateur au début des années 70 d’une “révolution culturelle”. La corruption du régime a provoqué une extrême pauvreté de la population. Malade, richissime, à la tête d’un Etat divisé et ruiné, il sera renversé par les troupes de LaurentDésiré Kabila en mai 1997. et après ? Il meurt quatre mois plus tard d’un cancer au Maroc, à 66 ans. Depuis, le pays a subi des guerres meurtrières qui ont fait près de 5 millions de morts.

pourquoi il est tombé Neuf ans après la mort de Tito, Milosevic transforme le régime communiste en place en régime fasciste. La Yougoslavie explose. Président de la Serbie, Milosevic attaque la Croatie puis la Bosnie et mène une politique d’épuration ethnique provoquant des centaines de milliers de morts. Il s’en prend ensuite au Kosovo. L’Occident finit par réagir et bombarder la Serbie. Après des élections truquées et une grève des mineurs, les manifestants réclament et obtiennent sa reddition. et après ? Jugé au Tribunal international de La Haye pour “génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité”, Milosevic est mort en 2006, avant la fin du procès.

Mobutu Sese Seko 1965 - 1997

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A gauche : Haïti Petar Kujundzic/Reuters Roumanie Marco Ugarte/AFP Chili STR/AFP Zaïre Rue des Archives/Agip Serbie Giovanni Coruzzi/AFP A droite : 1848 photo Josse/Leemage Cuba Rue des Archives/FIA Portugal Gerald Bloncourt/Rue des Archives Iran Atta Kenare/AFP

Après la chute des régimes tunisien et égyptien, zoom sur des pays qui se sont levés contre la tyrannie. Que se passe-t-il après la liesse populaire ?

5 révolutions modèles Depuis l’insurrection parisienne de 1848, les révolutions s’imitent et s’inspirent les unes des autres jusque dans leur spontanéité.

A gauche : Haïti, Petar Kujundzic/Reuters. Roumanie, Marco Ugarte/AFP. Chili, STR/AFP. Zaïre, Rue des Archives/Agip. Serbie, Giovanni Coruzzi/AFP. A droite : 1848, photo Josse/Leemage. Cuba, Rue des Archives/FIA. Portugal, Gerald Bloncourt/Rue des Archives. Iran, Atta Kenare/AFP

par Virginie Ballet

Cuba France : 1848

contre Louis-Philippe et la monarchie février 1848 L’opposition réclame un élargissement du corps électoral que Louis-Philippe refuse. En trois jours et cent morts, la foule renverse la monarchie conservatrice et contraint le roi à l’exil. Toutes les classes fraternisent, la parole se libère, journaux et clubs, tel le fameux Club des femmes, se multiplient. Contagion à Rome, Londres, Munich, Berlin qui vivent elles aussi mais sans succès leurs journées révolutionnaires. et après ? A Paris, l’expérience tourne mal et l’armée finit par massacrer les ouvriers déçus et révoltés en juin 1848. En décembre, le pays se retourne et élit Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Il restaurera l’Empire en 1852.

contre Fulgencio Batista janvier 1959 Les maquis organisés par Fidel Castro et Che Guevara rejoignent les insurgés des villes et chassent le dictateur pro-américain Fulgencio Batista. Malgré de nombreuses exécutions d’opposants, la révolution donne une image de romantisme joyeux qui servira de modèle à une jeunesse occidentale en mal de causes exaltantes. et après ? Les Etats-Unis tentent en vain de renverser le nouveau régime. Castro se rapproche de l’Union soviétique qui l’arme et le subventionne. Il emprisonne les contestataires et son système finit par ressembler au socialisme de l’Est. Castro reste en place jusqu’en 2008, date à laquelle son frère Raúl lui succède officiellement.

France : Mai 1968

contre le général de Gaulle mai-juin 1968 Parti d’un soulèvement étudiant anti-impérialiste à Nanterre au début du mois de mai, le mouvement va rapidement s’étendre. Mixité des cités universitaires, abolition des valeurs traditionnelles et du capitalisme… les revendications des étudiants sont nombreuses. Ils sont rapidement rejoints par un mouvement ouvrier, qui réclame notamment une revalorisation des salaires. Plus encore, c’est une contestation de l’autorité gaulliste. et après ? De Gaulle dissout l’Assemblée nationale et remporte triomphalement les élections de juin. En 1969, il perd un référendum sur la décentralisation et s’en va. Pompidou lui succède.

Portugal : la révolution des œillets contre Marcelo Caetano avril 1974

Après quarante-huit ans de régime dictatorial naît dans l’armée un désir de rétablir la démocratie au Portugal et d’accorder l’indépendance à ses colonies. Pour y parvenir, des officiers fondent le “mouvement des forces armées”, dont le symbole était un œillet rouge. Le régime de Caetano est renversé sans effusion de sang. et après ? Après une tentative de coup d’Etat du général Spinola en 1975, le pays élit en 1976 pour la première fois un président au suffrage universel. Une social-démocratie tempérée permet d’intégrer peu à peu le pays à la Communauté économique européenne.

Iran : la révolution verte contre Mahmoud Ahmadinejad juin 2009

L’élection présidentielle de 2009 donne lieu à une contestation unique en Iran. Les partisans de Mir Hossein Moussavi (dont le vert est la couleur de campagne) dénoncent une fraude électorale destinée à maintenir Ahmadinejad au pouvoir. Via les réseaux sociaux, ils descendent dans la rue. et après ? Les manifestations ont été violemment réprimées et Ahmadinejad est resté au pouvoir.

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édito civilisation place Tahrir

A

Alain Finkielkraut a-t-il vu ces Egyptiens qui venaient de se débarrasser pacifiquement de leur dictateur, les a-t-il vus balayer la place Tahrir ? A-t-il reçu le message de cette place de la civilisation ? Aucune revendication idéologique ni religieuse, simplement l’expression de la volonté d’être libre. Un embryon d’organisation sociale, de ”savoir vivre ensemble”, se créait au cœur du Caire. Le calme, le civisme, la fête, la non-violence faisaient de la place un lieu de médiatisation d’une foule qui savait que le reste du monde avait les caméras, donc les yeux braqués sur cette place, devenue la vitrine d’un peuple en train de se libérer. La seule star de cette révolution est un blogueur, et c’est par internet, Facebook et Twitter que se sont tissés les liens entre ceux qui se sont réunis dans une action qui n’avait plus rien de virtuelle. Internet et la rue arabe nous ont offert l’image de la civilisation. Internet et la rue arabe n’étaient pas la sauvagerie. Alors, Alain Finkielkraut, pour une fois, oubliez votre pessimisme, réjouissez-vous…

Seyllou/AFP

par Thomas Legrand

Aubry fait du coupé décalé à Dakar

Sur le marché Kermel de Dakar, le 7 février

La première secrétaire du PS mène sa barque à son rythme. Au Sénégal, elle a surpris en préférant les artistes au Forum social mondial et son agenda à celui des médias. Est-elle complètement larguée ou est-ce une façon de laisser du temps au temps pour prendre le contrepied de Speedy Sarkozy ? 16.02.2011 les inrockuptibles 41

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ros embouteillages à Dakar. Sous un soleil de plomb, le Sénégal accueille la onzième édition du Forum social mondial, le rendez-vous de tous les alters de la Terre. Martine Aubry est arrivée la veille. S’il est prévu qu’elle passe au FSM, jusqu’au dernier moment, le doute plane. L’heure tourne et Martine Aubry a prévu de commencer son séjour par des rencontres avec des artistes sénégalais. A  15 h 30, ce dimanche, rendezvous est pris avec le sculpteur et ami Ousmane Sow. Pas question de décaler le rendez-vous ni de modifier son programme… Qu’on se le dise! Pourtant, au début de l’après-midi a lieu la grande marche d’ouverture du Forum, place de la grande mosquée, là où ont lieu toutes les grandes marches politiques de la ville. La foule est dense, les nationalités mélangées sous le soleil de Dakar, au son de Fela Kuti et des djembés. La première secrétaire du  PS arrive finalement vers 14 heures pour un petit tour de quarantecinq minutes. Avec la délégation fournie du PS qui l’accompagne – une quinzaine de personnes parmi lesquelles Benoît Hamon, Harlem Désir, Jean-Christophe Cambadélis, David Assouline, son directeur de cabinet Jean-Marc Germain… – et les caméras pour la plupart venues de France, elle ne passe pas inaperçue dans cette foule de manifestants. Tout ce qu’elle déteste : “On va se faire insulter avec toutes ces caméras”, marmonne-t-elle. Ça ne tarde pas, un Français lance sur le côté : ”On voit que c’est le temps des élections présidentielles !” La première secrétaire du PS qui dit être venue en ”cheffe de l’opposition” ne relève pas. Pas plus que quand elle entend quelques ”Martine présidente”. A Dakar, Martine Aubry fait son baptême du feu en se rendant à son premier Forum social, une manifestation qu’elle dit avoir toujours suivie de près mais à laquelle elle n’a jamais participé. Le séjour prévu de longue date au Sénégal avait été repoussé deux fois avant d’être calé en plein rendezvous alter, sur fond de révolte tunisienne et de crise alimentaire avec flambée du prix des denrées. ”C’était tout bénéf pour l’expression du PS”, commente Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’international. ”Martine Aubry à Dakar : c’est la rencontre entre une passion pour l’Afrique et une situation internationale. Ce contexte, il aurait fallu l’inventer qu’on n’aurait pas pu. Elle ne passe pas pour délivrer un discours”, glisse-t-il encore, mais pour ”reconstruire une politique de coopération avec l’Afrique alors que le PS n’en avait plus depuis Lionel Jospin”, commente Pouria Amirshahi, secrétaire national du PS à la coopération. Le Sénégal, c’est le premier pays d’Afrique qu’elle a découvert

–  elle avait 25  ans  –, avant de tomber amoureuse du Mali et du Burkina  Faso. Sur le sol, le sable recouvre le bitume, les nids de poule sont légion quand tout à coup une belle route bitumée prend le relais. A l’horizon, de petites maisons basses. Il faut être dans le centre-ville pour voir les immeubles. ”Je suis contente d’être là, au Sénégal. L’Afrique nous rappelle où est l’essentiel par rapport à nos petites querelles”. Elle enchaîne : ”Ouvrir ce Forum social mondial ici après ce qui s’est passé en Tunisie, c’est un grand espoir”, lance Martine Aubry, au milieu de cette foule près de Jean-Marc Germain et Harlem Désir, qui, pour l’occasion, s’improvisent garde du corps, l’un casquette sur la tête et l’autre cahier Moleskine rouge dans la poche de chemise. Dans la marche d’ouverture du Forum social, Jean-Christophe Cambadélis esquisse quelques pas de danse et invite la première secrétaire à le rejoindre, ce qu’elle refuse promptement. Pas question de verser dans le folklore ni de se prêter au jeu de la mise en scène… Quelques mètres plus loin, entre les chèvres qui broutent et les petits vendeurs d’arachides grillées, Martine Aubry poursuit : ”Je me sens plus proche de tous les gens qui sont là que tous ceux qui sont à Davos si vous voyez ce que je veux dire”, allusion au traditionnel sommet économique qui a eu lieu quelques jours plus tôt en Suisse et contre lequel le FSM s’est construit depuis la première édition en 2001. Et inutile de chercher la petite bête : cette année, Dominique Strauss-Kahn n’était pas à Davos… Un DSK patron du FMI que certaines associations présentes sur place critiquent allègrement comme le représentant de leurs maux. Martine Aubry embraye : ”Je n’explique pas que le FSM et le FMI, c’est la même chose. Mais si on veut changer le monde on aura besoin des organisations internationales. Si certains se demandent pourquoi je suis là : avec Dominique, on est dans la même barque.” A voir. La voilà qui déroule un discours que le mouvement altermondialiste ne renierait pas. ”Le monde libéral nous a emmené dans le mur. Il faut retrouver les valeurs qu’on a oubliées, se confronter à cette société civile. C’est pour ça que nous sommes

MARTINE AUBRY ÉCORCHERA À PLUSIEURS REPRISES LE NOM DE SENGHOR

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là, pour poser les bases d’un autre monde.” Façon de renouer avec les ONG –  qui n’avaient pas vu de premier secrétaire du PS depuis la venue de François Hollande à Porto Alegre, au Brésil, en 2002 –, qu’elle prend le temps de recevoir en marge du FSM. ”Si l’altermondialisme signifie qu’on veut construire un autre monde, oui je suis altermondialiste. Nous ne sommes pas dans un monde babas cool mais dans un monde d’hommes et de femmes qui disent qu’un autre monde est possible.” Et de battre en brèche les idées reçues qui résument les alters à des gauchos : ”Je n’ai jamais pensé que le FSM, c’était l’extrême gauche, pour moi c’est le mouvement social, la société civile qui agit.” Elle s’étonne même  : ”Dire que chaque homme et chaque femme doit manger à sa faim, estce gauchiste ? Se battre pour un meilleur accès à l’eau, est-ce gauchiste ?” Mais, ça y est, il est 14 h 45, l’heure d’aller à la rencontre d’Ousmane Sow, que son mari Jean-Louis Brochen lui a présenté il y a quinze ans. Hop, hop, hop, en route, surtout pas question d’être en retard. En passionnée et collectionneuse d’art contemporain, Martine Aubry a concocté un après-midi culture pour l’ensemble de la

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Le 9 février au Forum social mondial avec le premier secrétaire du PS sénégalais, Ousmane Tanor Dieng

délégation : visite d’une exposition photo, puis rencontre avec le designer sénégalais Ousmane M’baye, visite de sa maison et de l’atelier du peintre Soly Cissé. Elle prend le temps de regarder chaque création, d’en commenter les ressemblances avec un Basquiat ou d’y déceler des références mythologiques. De quoi en déstabiliser quelquesuns dans la délégation socialiste qui ont du mal à rester en place, portable à la main et veste de ville sur le dos. Un déplacement de ”cinq jours (six après que son vol de retour a été retardé – ndlr) dans le calendrier qui est le sien, c’est audelà de la norme”, s’enthousiasme Olivier Poivre d’Arvor, patron de France Culture et grand ami de Martine Aubry, qui s’est greffé à la délégation pendant quarantehuit heures. ”Passer du temps ici, c’est important, confiera Martine Aubry en petit comité. J’ai toujours fait comme ça. Par exemple, la Chine m’intriguait, eh bien j’y vais deux fois par an depuis trois ans. C’est comme ça qu’on apprend des choses, je ne sais pas si ça dénote…”, s’interroge-telle. En politique, oui. Après le modèle du ”président normal” dessiné par François Hollande et la fin de ”la dictature de l’urgence” prônée par Gilles Finchelstein,

bras droit de DSK, esquisserait-elle à son tour son modèle présidentiel ? Celui du président qui prend son temps ? Pas la peine pourtant d’attendre de réponse sur ce terrain-là, elle esquive obstinément les questions sur 2012 et sa candidature. ”Vous me posez la question chaque semaine. Je vous répondrai en juin (le dépôt des candidatures pour la primaire du PS commence le 28 juin – ndlr).” Et d’ici là, circulez ! Avec Martine Aubry, c’est quand elle veut. Pas la peine d’attendre qu’elle fasse du Sarkozy en créant l’actu ou en la commentant. La première secrétaire freine des quatre fers devant l’exercice, et titille ceux qui s’y adonnent. Le premier soir, lors d’un dîner avec une quinzaine d’artistes et d’intellectuels, quand arrive le tour de Benoît Hamon de se présenter, elle lance à la cantonnade : ”Lui vous le connaissez, il passe tout le temps à la télé !” Hamon dans le fond de la salle rit jaune et glisse : ”Je passe surtout mon temps à sauver la face de tous ces gens-là.” Façon de rappeler qu’il est resté, lui, durant toute la marche plutôt que d’aller voir les artistes… Mais, pour elle, toujours pas question de se plier au diktat des médias ni de répondre aux petites phrases. ”Ce qui nous réussit, c’est qu’on a

”L’AFRIQUE DOIT AVOIR UNE PLACE AU G20 ET AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU” MARTINE AUBRY

appris à ne jamais regarder les autres”, commente catégorique Jean-Marc Germain. ”Elle ferait mieux de faire du storytelling et d’expliquer clairement pourquoi elle est là”, analyse en off un socialiste un peu désemparé par le fonctionnement de la première secrétaire. Pendant son séjour, Martine Aubry n’a pas rencontré que des artistes. Elle s’est aussi entretenue une heure avec Lula, l’ex-président brésilien resté si populaire et qui a dit que ”ce serait bien que ce soit une femme (en France en 2012 – ndlr)”, commente toute souriante Martine Aubry à l’issue de l’entretien. Puis elle s’est concocté une rencontre avec de jeunes entrepreneurs de Dakar, un déjeuner avec les deux leaders du PS sénégalais, Ousmane Tanor Dieng et Khalifa Ababacar Sall, une visite au groupe de presse de Youssou N’Dour, et a fait un tour rapide au Forum social pour une table ronde sur l’eau. Un petit tour et puis s’en va sans prendre le temps de rencontrer les associations réunies sous les tentes. Son rythme, toujours son rythme... Quand elle veut... Et attention, on est au Sénégal, on parle Afrique ! Si des journalistes s’aventurent à parler de la primaire du PS en France, devant les inter16.02.2011 les inrockuptibles 43

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locuteurs dakarois, Aubry les interrompt : ”Je vous avais prévenu qu’ils avaient été piqués par un moustique particulier.” Fermez le ban. ”Le temps de l’Afrique est venu, nous devons travailler ensemble”, répète-t-elle invariablement au cours de son séjour, avant d’ajouter : ”Comment régler les affaires de la planète sans l’Afrique ? Elle doit avoir une place au G20 et au Conseil de sécurité de l’ONU.” Martine Aubry est venue délivrer un grand discours sur l’Afrique, répondant ainsi à Nicolas Sarkozy qui, en 2007, avait affirmé ici même que ”l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire”. Place du Souvenir, Martine Aubry descend sur un tapis rouge un peu défraîchi, dans une grande ferveur populaire, au son des djembés, avec une haie d’honneur que lui font les jeunes et les femmes en boubous colorés. ”L’homme est né en Afrique, c’est de ce continent que le monde s’est peuplé. Il faut le dire à ceux qui l’ignorent.” Suivez mon regard… ”Ne sont-ils pas entrés par la porte de l’héroïsme ?”, ajoute-t-elle encore en référence aux Africains qui sont morts pour la France pendant les deux guerres mondiales. Elle poursuit sur la colonisation ”qui n’appelle jamais à un bilan mais à un devoir de vérité”. Allusion aux propos tenus par Nicolas Sarkozy en 2005 quand il avait abordé ”le rôle positif” de la colonisation. ”Il faut que les Européens regardent en face leur miroir, reconnaissent les dérives de l’esclavage et les drames de la colonisation”, lance-t-elle à la tribune. Le discours de Dakar d’Aubry a pourtant été peu audible... Non pas qu’il n’ait pas été apprécié sur place, même si elle a écorché plusieurs fois le nom de Léopold Sédar Senghor, mais il a été éclipsé par la phrase d’Anne Sinclair expliquant qu’elle ne souhaitait pas que son mari DSK fasse un second mandat à la tête du FMI… De

L’ENTOURAGE DE MARTINE AUBRY S’EST IRRITÉ DE L’INTÉRÊT PORTÉ À LA PETITE PHRASE D’ANNE SINCLAIR retour de son entretien avec le président sénégalais, Abdoulaye Wade, voilà Martine Aubry devant les journalistes français au Novotel qui la pressent de questions sur DSK et Anne Sinclair. ”J’ai déjà dit que je ne commentais pas les petites phrases, fussent celles de mon amie Anne Sinclair.” Poser une autre question c’est carrément l’agacer : ”Je suis là pour parler de l’Afrique et de la place qu’elle doit reprendre dans le monde, je ne suis pas là pour commenter les phrases des uns ou des autres.” Et de lâcher : ”Cela n’a aucune importance, vous ne comprenez pas les enjeux ?” Dans l’entourage de Martine Aubry, on s’irrite qu’une telle phrase puisse éclipser ses propos sur l’Afrique. ”On ne va quand même pas mettre sur le même plan une phrase d’Anne Sinclair et le discours de Martine Aubry”, s’étranglerait presque Pouria Amirshahi. Et Jean-Marc Germain de glisser : ”Les stratégies de communication pour attirer l’attention ça flambe comme un feu de paille. Ça marque les esprits un moment mais pas sur la durée.” ”Jean-Marc, tu fais un discours ?”, le rappelle à l’ordre Martine Aubry pour éviter qu’il ne parle trop aux journalistes. Ah décidément ces journalistes qui pressent constamment de questions ! ”Ça m’est totalement égal qu’on dise de moi : ’on ne l’entend pas.’ Si on continue avec les petites phrases il ne faudra pas s’étonner que le FN progresse. Je ne suis pas là pour avoir ma bobine dans le journal !” Pareil pour l’émission de Nicolas Sarkozy sur TF1. Martine Aubry ne voit pas pourquoi elle aurait dû écourter son séjour

pour répondre au président. ”Si Nicolas Sarkozy avait fait une conférence de presse sur des sujets majeurs, je serais rentrée. Mais une émission du président, est-ce plus important que de savoir ce qu’on propose pour l’Afrique ?” Tant de parcimonie dans les médias, est-ce tenable quand on est chef du premier parti d’opposition et candidate potentielle : ”J’interviens à chaque fois qu’il y a quelque chose que je juge important. S’il le fallait, je serais rentrée hier soir. Ce n’est pas un problème d’agenda, c’est un choix.” L’agenda de la campagne la rattrape le dernier jour, alors que la plupart des journalistes sont partis. Dans une salle de 600  militants à l’ambiance survoltée, au siège du PS sénégalais, là où Ségolène Royal avait délivré son discours de Dakar en 2009, les femmes en boubous sont venues acclamer Martine Aubry dès sa sortie de la voiture. ”Martine, ma sœur, les héritiers et les héritières de Léopold Sédar Senghor sont fiers de vous accueillir. A partir d’aujourd’hui, nous commençons votre campagne pour l’élection présidentielle de 2012”, lance à la tribune Aminata MBengue Ndiaye, secrétaire générale adjointe du PS sénégalais. Une gauche locale elle aussi en campagne pour 2012 où se joueront élections présidentielle et législative. Discrètement, Martine Aubry répond à la tribune : ”Aujourd’hui, c’est le départ pour 2012, comme tu l’as dit, Aminata.” Sans se caler sur l’agenda médiatique, à petits pas, Martine Aubry est venue soigner son image en Afrique… Si jamais… Marion Mourgue, envoyée spéciale à Dakar

vu, entendu Nicolas Hulot NPAcompatible…

… ou contre Joly en vertes pr imaires ?

Borloo en terrain neutre ?

TF1 censure les mots qui fâchent

Olivier Besancenot l’a rencontré plusieurs fois. Ils ont discuté sortie du système, changement de mode de production, planification, environnement… ”Hulot est partagé entre lobbying et radicalisation de son discours. Nous avons des points de convergence. Je le trouve respectable”, confie le porte-parole du NPA.

Nicolas Hulot et Eva Joly ont prévu de se revoir courant des mois de février et de mars. Le but de ces rencontres est d’éviter d’en arriver à un affrontement lors d’une primaire écologiste, mais si les sondages continuent à ne pas donner clairement l’avantage à l’un ou l’autre, ils devront bien se résoudre à en passer par là.

Inquiétude à l’Elysée. JeanLouis Borloo et Dominique Strauss-Kahn se sont vus secrètement plusieurs fois depuis deux ans. Si le président du FMI décide de se présenter à l’élection présidentielle, Jean-Louis Borloo pourrait alors observer une attitude de neutralité qui risquerait de créer une crise interne au sein du Parti Radical, l’une des composantes de l’UMP.

La pharmacienne niçoise qui intervenait sur le thème de la sécurité sur TF1 jeudi dernier avait prévu de demander au président de relancer ”la police de proximité”. A TF1, on lui a fait comprendre que ce terme, “police de proximité”, était trop connoté PS, et elle a utilisé le terme ”police de terrain”. Du coup, le président n’a pas relevé et a pu éluder le sujet.

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que le meilleur perde

affaires étrangères

qu‘est-ce que tu fais pour les vacances ?

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l‘opposition, une situation de rêve. L‘objectif profond des hommes politiques n‘est pas la victoire mais la défaite.

N

Reuters

icolas Sarkozy s‘en sort bien, il aura traversé le scandale des vacances de Noël sans être éclaboussé. La presse et l‘opposition n‘ont pas lâché Michèle Alliot-Marie et son riche ami tunisien qui l‘a trimballée à l‘œil, ni François Fillon et ses excursions aux frais du raïs égyptien, mais personne ne semblait rien avoir à redire au sujet du président de la République ! Pourtant, lui aussi s‘était fait payer ses vacances par le roi du Maroc. Le couple Sarkozy-Bruni a passé quelques jours, entre Noël et le jour de l'an, dans un palais royal aux frais du contribuable marocain. Quand le président, par la suite, a fait la leçon à ses ministres en leur conseillant fortement de prendre leurs congés en France, il n‘a pas précisé si cette règle s‘appliquerait à lui-même. Une règle absurde puisque la question n‘est pas tant la destination que le financement des vacances. Ce qui pose problème, c‘est aussi de se faire payer sa villégiature par des dirigeants de cleptocraties. T. L.

Les Sarkozy-Bruni invités par le couple royal marocain, en décembre 2009

confidentiel

”D‘abord, Dominique StraussKahn ne sera pas candidat et s‘il est candidat, c‘est moi qui serai en tête de la gauche.” C‘est ce qu‘a rétorqué Jean-Luc Mélenchon à Marine Le  Pen sur RMC alors que cette dernière assurait que l‘ancien socialiste appellerait à voter DSK lors du second tour de l‘élection présidentielle. Le directeur général du FMI est attendu à Paris le 19 février pour une rencontre des ministres des Finances du G20 : une occasion rêvée pour lui d‘annoncer s‘il appellera à voter Mélenchon au second tour en 2012.

par Michel-Antoine Burnier

L‘UMP conservait dans ses rangs l‘une des plus belles victoricides de France et nous ne le savions pas ! Mme Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, de l‘Intérieur, de la Justice, ne s‘était jusque-là distinguée ni par ses succès, ni par ses échecs. Et voici qu‘avec la révolution tunisienne elle manifeste un irrépressible appétit de défaite et nous monte un scénario impeccable. Reprenons. 1. La ministre des Affaires étrangères aurait pu passer ses vacances de Noël au Maroc, en Israël, en Espagne, en Grèce ou tout simplement chez elle à Biarritz. Avec courage, elle choisit la Tunisie, en effervescence depuis dix jours. 2. Là, elle prend gratis et par deux fois l‘avion de l‘un de ses amis, milliardaire proche du dictateur Ben Ali. Dans le même temps, ce dernier réprime à tout-va le soulèvement de son peuple, ce qui laisse Mme AlliotMarie dans la plus parfaite indifférence. Elle n‘en profite surtout pas pour s‘informer. Par malheur, son escapade aérienne échappe à la presse. Comment attirer son at tention ? 3. Mme  Alliot-Marie se signale donc en proposant à la police tunisienne le savoir-faire français reconnu en matière de matraquage. Cette fois, les médias relèvent l‘affaire et l‘opposition s‘indigne. 4. Comme il est logique, les journalistes finissent par apprendre les fréquentations de la ministre et son goût pour les aéronefs gratuits.

5.  “Mensonges !”, s‘écrie Mme  Alliot-Marie aussitôt l‘histoire révélée. Le soir à la télévision, elle certifie qu‘elle n‘a pas une seconde “pensé à mal” en montant dans l‘avion maudit. C‘est avouer qu‘elle ne pense à rien et ne voit rien, ni les révolutions, ni les impairs. En retour, M.  Sarkozy passe pour avoir nommé une étourdie et une incompétente au Quai d‘Orsay. 6. Le président de la République ayant eu l‘habileté de nommer au gouvernement l‘amant de Mme Alliot-Marie, M. Ollier, et Mme Alliot-Marie passant ses vacances avec celui-ci, toute faute de la ministre se trouve de facto multipliée par deux. 7. La presse découvre que le couple a pris deux fois le jet Challenger 600 au lieu d‘une. Cela nous vaut une nouvelle vague d‘indignations. 8.  Le gouvernement nous réservait une deuxième surprise : l‘honnête M. Fillon, Premier ministre, avait luimême passé ses vacances aux frais du dictateur égyptien. Il existe près de deux cents pays au monde, dont deux seuls vivent une révolution. Comment croire que nos ministres, évitant tous les autres, soient tombés par hasard sur ces deux-là ? C‘est M. Sarkozy qui en subira les conséquences sur sa triste cote de popularité. 9. La mauvaise réputation ainsi acquise interdira toute initiative en politique étrangère tant que Mme  AlliotMarie conservera le poste. Pareille science de l‘échec est rare et mérite d‘être enseignée. (à suivre…) 16.02.2011 les inrockuptibles 45

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contre-attaque

bourrage de crânes

Stephan Zaubitzer/Picturetank

Elèves et lycéens français triment. On les gave. Sontils pour autant meilleurs élèves qu’ailleur s ? Plutôt pas. S’ils ont la tête bien pleine, ils grandissent la peur au ventre.

I

l est question de réduire leurs deux mois et demi de vacances estivales. Reste que les écoliers français sont, parmi les petits Européens, ceux qui ont le moins de jours de cours par an. En revanche, ce sont ceux qui ont les journées de classe les plus chargées : six heures par jour. Dans le secondaire, l’emploi du temps s’alourdit plus encore. Est-ce que le système républicain en fait des lycéens plus instruits, matures et curieux que leurs voisins européens ? Réponse : non. Publiée tous les trois ans, l’étude du Programme international pour le suivi des acquis (Pisa) de l’OCDE montre qu’ils se situent tout juste dans la moyenne. Ils sont à la traîne en compréhension de l’écrit, en maths et en culture scientifique. Les premiers de la classe sont les Finlandais. Ils ont pourtant nettement moins de cours. Anglais et Allemands sont plutôt bien classés et, eux aussi, ont des horaires moins chargés. Angélique Del Rey est enseignante et auteur d’un essai très éclairant, A l’école des compétences (La Découverte), qui démontre, entre autres, comment l’école, privilégiant dans ses évaluations le critère d’“employabilité” future des élèves, opère très tôt une présélection pour le marché du travail. Son commentaire sur les résultats du Pisa  : “Entre autres constats, on note que les élèves français ont peur de l’échec. Du coup, ils préfèrent se taire que de répondre faux. Alors que le droit à l’erreur et la capacité à se corriger devraient faire partie de l’apprentissage.”

Comment expliquer ces différences de statuts entre la France et ses voisins ? “Les Français ont le culte de la compétition, poursuit Angélique Del Rey. Les meilleurs sont valorisés, les autres mis sur le côté. J’ai des élèves qui souffrent de phobie scolaire. Une souffrance énorme. C’est notamment l’effet de cette culture.” Dans le même temps, le monde auquel l’école est censée préparer a changé. Il est devenu ultracompétitif. Lors de l’année du bac, on explique aux lycéens que, s’ils ne bossent pas plus et mieux, faute d’une excellente moyenne, ils n’intégreront pas une bonne prépa. Comme s’ils voulaient tous faire HEC ou l’Essec ! Comme s’il n’y avait pas d’autres débouchés. Poussés par papa et maman depuis la quatrième, ils décrochent, à force, un bac avec mention et intègrent une prépa correcte. Mais alors qu’ils étaient dans les meilleurs de leur

”LES ÉLÈVES FRANÇAIS ONT PEUR DE L’ÉCHEC. DU COUP, ILS PRÉFÈRENT SE TAIRE QUE DE RÉPONDRE FAUX”

classe en terminale, cette fois ils sont dans les derniers. Et triment toujours autant, soir et week-ends compris. Angélique Del Rey réagit crûment à la nouvelle approche de l’Education nationale, dite “par compétences”, en vogue depuis une dizaine d’années et dans laquelle l’élève serait apparemment jugé, non plus seulement sur ses connaissances, mais aussi sur des “savoir être”, comme l’autonomie ou la volonté de s’engager dans un projet… “Sur le papier, ça semble parfait. Sauf que l’école ne se soucie pas de savoir comment les élèves acquièrent ces compétences, ou si même elle est en mesure de les y aider. Où et quand, par exemple, leur apprend-on l’autonomie ? Où et quand leur donne-ton les moyens de développer leur curiosité ? Cette nouvelle approche est un leurre.” Et ce n’est pas en supprimant des postes d’enseignants que ça risque de s’arranger. Angélique Del Rey enseigne depuis cinq ans la philosophie dans un centre de soins-études pour adolescents, en Seineet-Marne, réservé à des élèves et lycéens qui souffrent de pathologies diverses, physiques ou psychiques. Chaque année, elle organise avec ses élèves un festival de philosophie, sur un thème et avec un invité qu’ils ont eux-mêmes choisis : “Ils ont une qualité de rapport à la pensée étonnante. C’est un peu paradoxal, mais je m’y sens vraiment bien.” Voilà une enseignante contente. [email protected]

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presse citron

les relous par Christophe Conte

Jean-Louis Bianco se dégage des primaires, le jet-tour des ministres suit son cours, un député PS veut faucher les contre-allées de l’avenue Foch aux riches, le cœur de VGE fait boum pendant que notre président fait Boon.

Fillon revisite l’Egypte historique En visite officielle dans le Golfe, François Fillon a l’esprit tranquille. On lui reproche ses vacances en Egypte. Le voilà qui égrène tranquillement les chefs d’Etat qui s’y sont rendus à l’invitation d’Hosni Moubarak : Mitterrand, Chirac… et Sarkozy. Et sinon tout va bien dans le couple de l’exécutif.

Lionel Bonaventure/AFP

Cambadélis lance un caillou dans la mare

bonnet douane N’écoutant que notre courage, et en dépit des risques que cela implique, nous révélons ici un scandale d’Etat à base de conflits d’intérêts industriels de la plus haute gravité. En effet, le jeudi 10 février, TF1 a piétiné la législation sur les droits d’auteur avec la complicité des plus hautes sphères du pouvoir en diffusant en prime time et en toute illégalité le dernier opus de Dany Boon, Rien à déclarer. Par contre, il ressemble de plus en plus à Christian Clavier, Dany Boon.

rock’n’roll suicide Dans une interview à Libération (8/02), le député PS Jean-Louis Bianco a pris le risque de briser les illusions de millions d’admirateurs en déclarant qu’il ne serait pas candidat aux primaires. Depuis Bowie annonçant en juillet  1973 sur la scène de l’Hammersmith Odeon la mort de Ziggy Stardust, parole, on n’avait jamais autant chialé.

nouvelles frontières On l’avait un peu vite oublié, mais à côté de MAM et son jet-tour de la Tunisie aux frais d’un proche de Ben  Ali, à côté de Fillon et ses vacances prises en charge par des potes de Moubarak, le cas d’Alain Juppé est encore plus édifiant. Grâce au Parisien (10/02), qui balance tout sur les escapades gouvernementales, on réalise que le ministre de la Défense a passé un super Noël tous frais payés en Afghanistan avec une bande rigolarde de potes en treillis. Scandaleux.

restau du cœur On apprend par une indiscrétion de L’Express (9/02) que Valéry Giscard d’Estaing a posé un lapin au restau à Sarkozy pour une raison va-

lable : sa Majesté chuintante se faisait poser un stimulant cardiaque. “Vous n’avez pas le monopole du pacemaker” aurait par ailleurs lancé l’ancien président à son vieil ennemi Chirac devant une bouillie de fèves à la cantoche du Conseil constitutionnel.

Foch bonne idée Dans un projet à mi-chemin du facteur Cheval et du Baron de Münchhausen, le député PS et adjoint au maire de Paris, Jean-Marie Le Guen, propose sur son blog de construire de nouveaux logements sociaux sur l’avenue Foch en supprimant les vastes contre-allées (Lefigaro.fr, 08/02), symbole selon lui de “l’opulence bling bling”. Franchement, souhaiter à de braves gens sans moyen de venir vivre dans cet endroit mal famé, repaire de putes de luxe et de dealers de coke, c’est vraiment pas leur rendre service.

très confidentiel Non seulement Michèle Alliot-Marie s’est fait trimbaler en aéroplane par des proches de Ben Ali, mais en plus elle a reçu à Noël un compact disque de Ben l’Oncle Soul. Et ça, c’est dégueulasse.

Nouvelle expression à la mode en politique : “le petit caillou“. JeanChristophe Cambadélis le met à toutes les sauces. Dernière en date, dans Le Parisien, pour expliquer que ”petit caillou dans la chaussure de l’unité” c’est la ”défaite assurée”. Et si DSK et Martine Aubry sont candidats l’un contre l’autre, c’est le gros pavé ?

Bayrou de secours Le président du MoDem, François Bayrou, a affirmé sur I-Télé qu’il n’y aurait qu’un candidat du centre à l’élection présidentielle de 2012, laissant entendre qu’il s’agirait de lui-même… On n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est bien connu.

dérèglement de comptes pour Tapie Bernard Tapie devra attendre pour toucher ses 253 millions. La Cour des comptes a désavoué le passage en scrèd par le gouvernement et demandé un vote public par le Parlement. Les petits règlements entre amis, c’est vraiment pas joli, joli. 16.02.2011 les inrockuptibles 47

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L’EMPILEMENT DES LOIS SÉCURITAIRES DESSINE CHEZ SARKOZY UNE OBSESSION PATHOLOGIQUE

la rage et le désespoir

Gérard Julien/AFP

débat d’idées

Le conflit entre les magistrats et le président de la République fait apparaître un profond désaccord sur la philosophie de notre droit pénal et révèle une politique judiciaire à la dérive.

L

a fronde des magistrats français radicalise un malaise tenace au sein du monde judiciaire. Accusés de laxisme dès que surgit un drame humain (tel le meurtre de Laëtitia Perrais) dans l’actualité et rappelés à l’ordre par le chef de l’exécutif éructant dans la précipitation d’une légitime émotion populaire des préceptes rétrogrades, les magistrats n’en peuvent plus de ce que l’avocat Christian Charrière-Bournazel appelle la “dérive française”. Dans un essai récent, intitulé La Rage sécuritaire, il dresse un réquisitoire sans appel contre la politique pénale du gouvernement. “J’appelle rage sécuritaire cette phobie qui semble s’être emparée des esprits de nos gouvernants depuis au moins trois ans”, précise-t-il. Loi sur la réci-

dive, test ADN pour les candidats au regroupement familial, loi de rétention de sûreté, loi sur l’hospitalisation d’office, loi antibandes, déchéance de nationalité pour les polygames, responsabilité pénale des parents de délinquants mineurs, amende pour outrage au drapeau, mesures contre les Roms… L’empilement des lois sécuritaires votées depuis août  2007 dessine chez Sarkozy une obsession pathologique  : l’alourdissement des peines de prison comme unique antidote à la délinquance. “La méthode est de promulguer toujours plus de lois destinées à réprimer, à neutraliser, à exclure plutôt que de remédier aux misères sociales, à l’inégalité des chances, et de favoriser l’épanouissement d’une fraternité républicaine”, souligne l’auteur.

Cette dérive sécuritaire procède selon l’avocat d’une pure illusion, “qui n’est en fait qu’un mensonge” : l’idée qu’une sécurité totale serait possible et qu’il suffirait de concocter des lois toujours plus dures et plus fermes (plus d’une dizaine en trois ans) pour faire régner l’ordre. Or, ce désir d’une sécurité totale, “glacé comme l’égoïsme et l’enfer”, est “une négation de notre humanité”. Cette méfiance systématique de l’autre érigée en principe absolu correspond à ce que la philosophe Mireille Delmas-Marty appelle une “anthropologie guerrière”. Les fondements humanistes de notre droit pénal se diluent aujourd’hui dans ce bain sécuritaire, inspiré du droit positiviste italien de la fin du XIXe siècle. Deux lois emblématiques – la loi sur la récidive et la loi sur la rétention de sûreté  – traduisent ce renversement complet de la conception de la peine. En particulier parce qu’elles instaurent le règne de l’arbitraire en empêchant quelqu’un de recouvrer la liberté au seul motif qu’il présente des risques sérieux de récidive, sans limitation de durée, sans critère objectif. “Une personne ne sera plus condamnée seulement pour ce qu’elle a fait mais pour ce qu’on suppose qu’elle est”, regrette Christian Charrière-Bournazel. Or, rappelle l’auteur, les récidives sont extrêmement rares : le taux n’est que de 1,5 % en matière de délinquance sexuelle. Par ailleurs, le passage à l’acte reste un mystère psychique que même les psychiatres ne peuvent élucider totalement. Contraires à notre tradition pénale, ces lois sécuritaires ne font que flatter, dans un pur effet d’illusion, le “besoin éperdu de se sentir à l’abri du malheur”. Traduction d’un modèle de politique populiste, cette rage sécuritaire est le désespoir de notre justice, et au-delà, le signe tangible d’une démocratie fatiguée par la liberté et les risques qu’elle implique. Jean-Marie Durand La Rage sécuritaire, une dérive française de Christian Charrière-Bournazel (Stock), 112 pages, 12 € ; Libertés et sûreté dans un monde dangereux et Vers une communauté de valeurs (Les  Forces imaginantes du droit IV) de Mireille Delmas-Marty (Le Seuil), 288 pages, 21 € et 422 pages, 24 €

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Entrelacs tente une alchimie singulière, celle de déplacer les codes et les ingrédients du genre fantastique dans le champ chorégraphique. Sur le plateau, cinq danseurs multiplient les avatars et les ombres, dans une écriture chorégraphique de la hantise et de la manipulation, du double et du contraire. A gagner : 20 places pour 2 personnes le 2 mars

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“il faut éviter l’affrontement des générations” es droits de son dernier livre, Dictateurs en sursis – Une voie démocratique pour le monde arabe, ont été rachetés par une maison d’édition tunisienne et il est désormais disponible en Tunisie. Moncef Marzouki a dorénavant droit de cité dans son pays. Opposant historique de Ben Ali, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et aujourd’hui chef du Congrès pour la république, un parti laïc de gauche, il avait dû s’exiler il y a dix ans pour se réfugier en France. Le 18 janvier, quelques jours après le départ de Ben Ali, il est revenu chez lui.

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entretien > Un mois après la fuite de Ben Ali, quel est l’état d’esprit des Tunisiens ? Moncef Marzouki – Ce qui saute aux yeux, c’est la libération de la parole. Ils parlent, disent réellement ce qu’ils pensent, ne craignent plus que le voisin soit un sbire de Ben Ali. La révolution des esprits est faite, elle est partout. L’autre jour à l’aéroport de Tunis, c’était un foutoir incroyable. D’un côté du terminal, les bagagistes manifestaient, de l’autre, les femmes de ménage brandissaient leurs feuilles de paie de 80 euros par mois. Puis la police des frontières est arrivée, et eux aussi étaient en grève. Ils ont expliqué qu’un passager à qui ils avaient demandé de donner son adresse avait répondu : “Ça te regarde pas, sale con !” Voilà, c’est la révolution ! Pendant des décennies,

nous avons eu peur de la police. Aujourd’hui, la police a peur de nous. Sur le terrain, la situation semble assez complexe. On ne sait absolument pas ce qui va se passer l’instant suivant. Les nervis de Ben Ali sont toujours là et essaient de garder leur pouvoir. Le gouvernement de transition est un facteur énorme d’instabilité. Personne ne comprend que Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre de Ben Ali, soit encore au gouvernement. Personne ne comprend non plus que des membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) aient été nommés ministres ou gouverneurs de région. C’est de l’incompétence politique et cela ne peut pas passer auprès du peuple, devenu ultravigilant. Quand je suis rentré en Tunisie, j’ai immédiatement suivi le chemin de la révolution. Je voulais rendre hommage à Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid, et j’ai dû traverser de nombreuses villes du pays, où des gens sont morts pour la révolution. L’accueil a été extraordinaire, les Tunisiens se sentaient revigorés, ravis. Dans le même temps, certaines personnes se sont montrées très hostiles. J’ai été attaqué, molesté, on m’a craché dessus. Il s’agissait en fait des milices du RCD, des sbires de Ben Ali. Elles m’ont traité comme il y a des années de cela. J’ai compris que ce n’était pas encore gagné. Les hommes de Ben Ali tentent actuellement de discréditer la révolution en semant le chaos.

Moncef Marzouki à SidiB ouzid, le 19 janvier

Ryad Karmdi/MaxPPP

Opposant de Ben Ali, Moncef Marzouki est de retour en Tunisie après dix ans d’exil. Candidat à la présidentielle, il sait que le processus démocratique ne se fera pas simplement. par Marc Beaugé

Vous a-t-on reproché d’arriver après la bataille et de vouloir en quelque sorte récupérer la révolution ? Oui, certains l’ont ressenti ainsi. Mais ce ne sont pas eux qui m’ont molesté. Il faut que nous expliquions aux jeunes qui ont fait la révolution que pendant des années, nous avons nous aussi lutté contre le régime de Ben Ali. Avant mon départ forcé pour la France, j’ai passé vingt ans à militer, à théoriser la révolution. Des milliers de personnes ont lutté contre Ben Ali, ont été violentées, emprisonnées ou exilées. Les partis d’opposition ont joué leur rôle. Les jeunes le comprennent. Il faut à tout prix éviter l’affrontement des générations. C’est le peuple dans sa totalité qui a fait la révolution. Comment fonctionne le pays aujourd’hui ? On assiste à un très lent retour à la normale. Dans certaines régions,

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“nous ne sommes pas condamnés à un choix entre dictature militaire et dictature islamiste” les administrations fonctionnent à nouveau mais c’est loin d’être le cas partout. Pour maintenir l’ordre, l’armée a dû faire appel aux réservistes. Mais cela doit rester provisoire. Il faut qu’une police honnête et saine puisse fonctionner normalement afin d’instaurer très vite un climat de confiance. Puis il faudra se tourner vers le combat suivant : les élections. J’ai déjà annoncé que j’étais candidat à la présidentielle au nom du Congrès pour la république. L’enjeu pour le moment n’est pas de se faire élire mais d’obtenir l’assurance que les élections seront transparentes. Aujourd’hui, il y a de quoi être inquiet. Les hommes de Ben Ali ont l’habitude des élections, ils savent comment s’y prendre. Les voir voter des lois électorales dans notre dos, comme ils le font actuellement, n’est vraiment

pas rassurant. Dans ce contexte, l’opposition doit, comme nous le faisons, prendre des positions politiques à chaque instant. Le RCD est en voie de dissolution. Nous manifestons très fréquemment et avons accès aux médias nationaux. C’est nouveau pour nous. Vous doutez de la capacité du pays à organiser des élections saines ? Il y a soixante ans, les Indiens ont été capables d’organiser des élections. Pourquoi les Tunisiens n’y arriveraientils pas ? Il faut cesser de se demander si le pays est prêt pour la démocratie. Ça y est, elle est là, l’Occident doit se faire à cette idée. Pendant des années, on nous a répété que la démocratie était un régime occidental, que les pays arabes n’étaient pas faits pour ça. J’ai entendu ça pendant des années, chez vous, en France, de la bouche de décideurs comme Hubert Védrine,

par exemple. Aujourd’hui, ces propos aux relents colonialistes, voire racistes, ne tiennent plus. Il est ridicule aussi de dire que la menace islamiste guette le pays. Nous ne sommes pas condamnés à un choix entre dictature militaire et dictature islamiste. C’est du pur fantasme. En Tunisie, les islamistes et leur parti, l’Ennahdha, n’ont rien à voir avec les talibans. Ce sont des bourgeois. Ils resteront des interlocuteurs aussi longtemps qu’ils respecteront le processus démocratique. La Tunisie est un pays multiple, avec des opinions diverses, il faut l’accepter. En France, vous acceptez bien l’extrême droite tant qu’elle s’inscrit dans le processus démocratique. Dictateurs en sursis – Une voie démocratique pour le monde arabe Entretien avec Vincent Geisser (Les Editions de l’Atelier), 192 p., 19,50 € 16.02.2011 les inrockuptibles 53

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Dans l’un des décors installés à Beaubourg, février 2011

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soyez sympas, réalisez A Paris, Michel Gondry pose pour un mois son Usine de films amateurs itinérante : les participants ont trois heures pour tourner un film, décors et caméra fournis. Rencontre avec un artiste aussi à l’aise à Hollywood qu’à Beaubourg. par Jean-Marc Lalanne photo Laure Vasconi eaubourg, la dernière major ! : c’est par ce mystérieux “statement” que le cinéaste Serge Bozon titrait la carte blanche que lui confiait le Centre Pompidou en novembre dernier. Un musée d’art contemporain peut-il faire office aujourd’hui de major hollywoodienne comme la MGM ou la Paramount ? Beaubourg semble en tout cas prendre la chose très au sérieux puisque, trois mois plus tard, il se change de nouveau en studio. C’est Michel Gondry, à peine descendu de son frelon vert (The Green Hornet), qui se retrouve maître d’œuvre de cette nouvelle mue. Pendant près d’un mois, il transforme le musée en Usine de films amateurs et invite les visiteurs à jouer au cinéma. Désacraliser l’acte de faire un film, revivifier le cinéma en le donnant à partager : telle semble, depuis Soyez sympas, rembobinez, sa vive préoccupation. Il nous parle des films amateurs mais aussi du sérieux scientifique avec lequel Hollywood fabrique ses blockbusters, de la notion d’auteur et de Louis de Funès.

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entretien > Pouvez-vous décrire le fonctionnement de votre Usine de films amateurs ? Michel Gondry – Pour participer, il faut s’être inscrit au préalable. Chaque inscrit se retrouve agrégé à une douzaine de personnes qu’il ne connaît pas. Cette équipe va devoir tourner un film en trois heures. On fournit une vingtaine de petits décors et des caméras. Il y a des ateliers d’écriture. Chaque groupe élit la personne qui tient la caméra, le cadreur. Mais il n’y a pas vraiment de réalisateur parce que l’idée est que le film soit absolument collectif. Dans quelles autres villes cette usine a-t-elle fonctionné ? A New York d’abord, dans une galerie qui m’avait demandé de réfléchir à une installation inspirée de mon film Soyez sympas, rembobinez. Puis la fabrique a circulé à São Paulo, à Rio… Gardez-vous une copie des films ? Oui, le travail est archivé en vue d’un documentaire. J’ai vu la plupart des films, pas tous. Certains sont excellents. J’essaie de ne pas trop les diffuser à l’unité : il faut les juger dans leur ensemble. Les visiteurs emportent-ils une trace de leur travail ? On offre un DVD par groupe. L’idée

est d’obliger ces gens qui ont tourné ensemble à rester en contact pour faire circuler leur réalisation commune. Très peu de gens ont mis leur film sur le net. Ce serait un peu contraire au projet. Avez-vous un regard critique sur YouTube ? C’est aussi une usine de films amateurs, où n’importe qui peut mettre en ligne ses home movies… Je n’ai rien contre YouTube mais pour ce projet particulier, la mise en ligne me semblait antinomique. Un film sur le net est en principe réalisé par peu de gens et vu ensuite par beaucoup de personnes. Là, j’aime bien l’idée que le nombre de participants au film et celui de ses spectateurs soient à peu près équivalents. Est-ce que ces films, produits dans les mêmes conditions, se ressemblent ? Ça change selon les pays. Au Brésil, on a eu des groupes de jeunes issus des favelas, qui ont une vie très dure et ne sont jamais allés au cinéma. Ils racontaient des histoires simples, pas du tout référencées à des univers de cinéma mais très belles. Par exemple, celle d’un groupe d’amis qui prennent le train et y perdent l’un des leurs. Ils traversent tous les décors pour le chercher, la forêt, la maison, etc. Ils finissent par célébrer leurs retrouvailles dans un café. C’était très pur et parfait, très original aussi. 16.02.2011 les inrockuptibles 55

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Du coup, on les a réinvités pour voir ce qu’ils produiraient maintenant qu’ils connaissent le dispositif. Là, ils ont écrit une histoire super trash autour de la drogue et de la prostitution, directement liée avec ce qu’ils vivent. A Manhattan, les films étaient pleins de références au cinéma ? Trop, selon moi. Pour contrebalancer, on a invité des groupes scolaires de milieux différents, des enfants aveugles aussi. Ils m’ont envoyé une carte de remerciements en braille. Leur film était assez simple mais ils se sont amusés. Vous parlez de cette fabrique de films surtout comme d’un projet social, une expérience de vie qui crée du collectif… Porte-t-elle aussi un propos esthétique ? Un point de vue sur la notion d’auteur ou sur la propriété des images ? Ce n’est pas ce qui m’a motivé, en tout cas. J’ai voulu créer un endroit régi par un ensemble de règles propres, où les choses se passent bien entre des gens d’âges et d’origines différents. C’est un système, au sens mathématique du terme, qui permet de produire un résultat imparable par étapes successives. Les questions du piratage et de la propriété intellectuelle étaient au centre de Soyez sympas, rembobinez… Cette question m’intéresse, bien sûr. Je me souviens que la production sur La Science des rêves n’avait pas voulu présenter le film dans le coffret DVD envoyé aux votants des César. J’ai trouvé ça vraiment dommage. L’angoisse du téléchargement illégal finit par porter préjudice à l’exposition du film. C’est un exemple parmi d’autres. J’ai une petite boîte de production pour sortir mes livres et mes DVD ; je l’ai appelée Canal

Street Distribution, un gag : Canal Street est la rue à New York où on trouve tous les DVD pirates. J’ai l’impression que vous avez voulu faire œuvre d’auteur dans le champ du vidéoclip, qui voue souvent les réalisateurs à l’anonymat. Mais qu’aujourd’hui, dans le cinéma, la posture de l’auteur ne vous intéresse plus tant que ça. Lorsque j’ai débuté avec le groupe Oui Oui, je travaillais avec Etienne Charry, qui avait un univers visuel très fort. Sur le clip de Ma maison, il nous avait transformés en insectes dans des galeries. Puis j’ai rencontré Björk, qui apportait beaucoup d’idées à nos clips – un ours, une forêt, une ambiance nocturne – et moi j’organisais ça. J’ai appris très vite que la notion d’auteur se partageait et que ça fonctionnait très bien ainsi. Quand j’ai débuté dans le cinéma, j’ai travaillé au scénario avec Charlie Kaufman. Il avait une façon de raconter très personnelle. Quand j’ai réalisé le DVD de compilation de mes clips, j’ai été surpris de voir quelque chose d’assez cohérent se dessiner et que ce quelque chose, sûrement, c’était moi. Mais j’essaie de ne pas y penser. Souvent aussi, je suis contrarié par l’idée qu’on se fait de mon style, surtout quand on le décline de façon publicitaire. L’emballage des DVD de Soyez sympas…

ou La Science des rêves joue sur le carton ondulé, le coton, le côté Monsieur Bricolage. On ne m’a même pas demandé mon avis. Ce style supposé est devenu un cliché que je n’ai pas envie de reproduire. Dans votre dernier film, The Green Hornet, on a l’impression que vous vous en éloignez délibérement. Oui, peut-être parce que j’ai envie de prouver que ce qui m’appartient en propre est un peu plus profond que ce décorum. Mon style tient aussi je crois à mon rapport aux acteurs. Je les dirige très peu, je leur laisse beaucoup d’air, je suis très discret sur un tournage. Vous vous positionnez de la même façon face à Charlotte Gainsbourg ou Jack Black ? Oui, même si je leur parle de façon différente parce qu’ils n’ont pas les mêmes codes, le même langage… Un acteur américain exerce un contrôle beaucoup plus fort sur le film. Sur Eternal Sunshine…, je ne pouvais pas parler en même temps à Jim Carrey et à Kate Winslet tant ils sont différents. Etes-vous fasciné par les stars ? J’essaie toujours d’effacer ce que les acteurs ont fait précédemment pour dégager de la star une personne réelle. Avec beaucoup de jeunes premiers américains, c’est difficile de dépasser la frime. Sur le clip de Je danse le mia, les Marseillais de IAM voulaient ressembler

“j’ai appris très vite que la notion d’auteur se partageait”

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Sur le banc dans la forêt, Michel Gondry et Stéphane Rozenbaum, le décorateur de tous les films du réalisateur. Il a composé l’ensemble des tableaux de L’Usine de films amateurs dont le camping, la vidéothèque (avec seulement des VHS) et la cuisine

à des rappeurs américains et moi je voulais les filmer comme ils étaient dans la vie. Beaucoup de gens ne voient pas dans mon travail ce goût du naturel qui pourtant, je crois, me caractérise. Quand vous tournez une grosse production pour Hollywood comme The Green Hornet, comment vous posez-vous cette question d’être ou de ne pas être personnel ? Et est-ce qu’on vous laisse vous la poser ? Ça n’a pas été facile. Seth Rogen, qui a écrit et produit le film, m’a imposé des choses que parfois je ne voulais même pas tourner, comme la scène où ils chantent Gangsta’s Paradise dans la voiture. J’avais tort : quand je l’ai vue, je l’ai trouvée super. L’inverse est arrivé aussi : Seth ne voulait pas de la voiture coupée en deux. Pour faire un film de studio, il faut mettre son ego dans sa poche. C’est une négociation incessante. Vous aimiez les précédents films de Seth Rogen, notamment ceux de Judd A patow ? Pas trop ceux d’Apatow, justement. Mais je suis très fan de SuperGrave et de Délire express, deux films qui ressemblent vraiment à Seth. C’est marrant parce que sur mes deux premiers films, Human Nature et Eternal Sunshine…, j’ai pu me sentir un peu prisonnier des compositions narratives très complexes de Charlie Kaufman. J’ai voulu m’en libérer en écrivant seul La Science des rêves. Et avec The Green Hornet, j’ai retrouvé un système hyper contraignant. L’obsession de Seth, ce n’est pas l’histoire comme Charlie mais l’efficacité du gag. Un plan moche, mal foutu, si le gag dedans marche, il voudra le garder. Pendant tout le montage du film,

on effectue des projections test minutées où on filme les spectateurs témoins. Si à la 32e minute tel spectateur rit, ou arrête, ébahi, de manger son pop-corn, on doit en tenir compte. Après, il faut réussir à prendre un peu de champ par rapport à ces fiches scientifiques qui décortiquent le film, retrouver quelque chose d’un peu spontané. Quel sera votre prochain film ? En juillet prochain, je dois tourner l’histoire d’un groupe de jeunes dans un bus public, qu’on suit pendant une heure trente. On observe la façon dont la vie du groupe évolue à mesure que certains descendent. Comme ils sont de moins en moins nombreux, chacun devient un peu moins la caricature de soi : les bullies1 un peu moins bully, les filles un peu moins gamines… A la fin, ils ne sont plus que deux et parlent de choses vraies et intéressantes. Pour préparer le film, on a fondé un atelier pour travailler avec des jeunes amateurs, on les a interviewés pour incorporer leurs histoires au récit. Gus Van Sant avait travaillé comme ça sur Elephant. Ce film vous intéresse ? Non, pas trop. Gus Van Sant, c’est un peu trop cool pour moi. Ce n’est pas bien le cool ? Disons que je trouve ça trop parfait formellement, trop lisse. Je préfère un cinéaste moins adulé par la critique comme Tom DiCillo. Ça tourne à Manhattan est vraiment un excellent film sur le cinéma, plus juste que La Nuit américaine de Truffaut. En marge de L’Usine de films amateurs, le Centre Pompidou vous a offert une carte blanche pour programmer des films. Les choix

ressemblent un peu à une grille télé de prime time des années 70… (rires) Oui, j’adore Louis de Funès. J’aime beaucoup Le Magnifique, qui a un peu inspiré La Science des rêves. Et j’adore Belmondo en général. Mais je n’allais pas mettre A bout de souffle puisqu’on peut le voir dans les cinémathèques. Vous êtes devenu un cinéaste américain mais vous n’avez choisi aucun film américain, comme si ce cinéma n’avait au fond pas trop compté pour vous. Ce n’est pas tout à fait vrai mais le cinéma français des années 70 compte beaucoup pour moi. La Dérobade, un magnifique film sur la prostitution avec Miou-Miou, ou Coup de tête avec Patrick Dewaere restent des films cultes pour moi. J’ai choisi aussi des films anglais parce que Ken Loach et Mike Leigh représentent un cinéma social qui manque en France. Ici, le cinéma indépendant est souvent un peu bourgeois, trop marqué par le milieu social des gens qui le font. Combien coûtera votre prochain film ? Dans les deux millions de dollars. Ce sera un tout petit film de ce point de vue. Cinquante fois moins cher que The Green Hornet… Vous vous sentez à l’aise dans toutes les é conomies ? Pour moi, ça revient un peu au même : je flippe comme un dingue à chaque fois. 1. Petites brutes. Michel Gondry à Beaubourg L’Usine de films amateurs, jusqu’au 7 mars ; rétrospective et carte blanche, jusqu’au 13 mars, au Centre Georges-Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr 16.02.2011 les inrockuptibles 57

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L’Angleterre est folle d’eux, ils écrivent pour Gaëtan Roussel et Shakira. Leur premier album est l’une des joies de ce début 2011. Rencontre avec le duo rémois, à Londres. par Pierre Siankowski photo Mattia Zoppellaro

The Shoes font la paire 08 GPAP Shoes.indd 58

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Benjamin et Guillaume, copains depuis la sixième

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oxton Square, Londres. Dans ce quartier, les Shoes ont enregistré Crack My Bones, leur premier album. Là s’entassent les restaurants coolos, les galeries et les boutiques de jeunes créateurs. Guillaume Brière, premier Shoes de la paire, déboule bonnet sur la tête et propose d’aller dans son lieu favori, un diner à l’américaine. “C’était notre cantine tout au long de l’enregistrement”, explique-t-il. On passe devant le studio où le disque a été mis au point. “On est restés enfermés là-dedans des jours et des nuits.” Le diner est blindé, alors on se replie sur un bar aux larges canapés. Guillaume Brière s’affale : “On va attendre Benjamin ici, il ne devrait pas tarder.” Benjamin Lebeau, second Shoes de la paire, arrive quelques minutes plus tard. En Angleterre, le buzz autour des Shoes, qui grandit depuis deux ans, est à son point culminant. Mike Skinner, le taulier de The Streets, vient de confier au prestigieux Guardian tout le bien qu’il pensait du duo. La veille, les magasins Rough Trade ont commandé aux Shoes une compilation : “J’ai envie de mettre que des trucs en français, lance Guillaume. Tiens, je vais leur mettre du rap français, du Booba.” Dans l’aprèsmidi, le groupe donnera une interview au magazine i-D, véritable bible de la hype britonne. Et, ce soir à Koko, l’une des plus chouettes salles de la ville, plantée au cœur de Camden, les Shoes joueront en tête d’affiche de l’incontournable NME Club – on a connu pire départ en Angleterre. Les deux trentenaires ne s’enflamment pourtant pas : une enfance dans l’Est, ça vous garde la tête froide. “On s’est rencontrés en sixième à Reims, à la cantine. Après on s’est assis l’un à côté de l’autre en cours. On faisait tellement de conneries qu’on a dû nous séparer, un à chaque bout de la classe. Sinon c’était ingérable.” Benjamin reprend : “Je me souviens bien de la première fois que je l’ai vu : il a passé une heure à m’expliquer que je tenais mal ma fourchette. Il devait se prendre pour Nadine de Rothschild à l’époque.” Ils continuent à dérouler leur histoire. Guillaume : “On était des babanes (mot de patois rémois qui désigne des types issus des classes populaires ou moyennes – ndlr) en jogging, on faisait des conneries de jeunes, on ne parlait pas forcément musique. J’avais un groupe managé par mon père où je chantais et jouais de la guitare. Mon frère était à la batterie. Il avait 12 ans et moi 14. On reprenait du Deep Purple mais ce n’était pas ce qu’on aimait vraiment. La musique, je m’en foutais, je voulais être footballeur.” Benjamin Lebeau passe le voir un jour de répétition. “On lui a mis une basse entre les mains et comme par miracle il s’est mis à en jouer, c’était dingue”, raconte Guillaume. Malgré des univers musicaux pas forcément raccord (Benjamin est fan de funk seventies, Guillaume adore le rap français), ils ont tout de même

Benjamin (à droite) : “La première fois que j’ai vu Guillaume, il a passé une heure à m’expliquer que je tenais mal ma fourchette”

en commun Pixies, Cure, les Sex Pistols ou Sonic Youth. “La noise, le punk, on adorait. On faisait des tonnes de reprises, même des trucs super alternatifs. On a même joué des morceaux de La Souris Déglinguée”, se souvient Guillaume. Benjamin, qui s’ennuie un peu avec sa basse, commence à tripoter des samplers. Guillaume, toujours fasciné par le hip-hop, s’achète une console MPC : leurs horizons musicaux s’élargissent. Tout a failli s’arrêter lorsque Benjamin décide de s’installer à Bordeaux. “Il est parti à un moment où ça n’était pas la grande forme pour moi. A Reims, je m’emmerdais, je tournais en rond. J’ai décidé de le rejoindre sur un coup de tête, lance Guillaume. Ils reprennent la musique et croisent la scène locale : Adam Kesher, Tender Forever, Kim. “On a joué avec tout le monde. On passait du rock à la house-music, de la drum’n’bass au punk. On était les petits génies de la scène locale. On montait un nouveau projet par jour. Dès qu’un nouveau style apparaissait, on voulait en comprendre les mécanismes et on s’y mettait. Du coup, on avait du mal à obtenir quelque chose de vraiment cohérent.” Après sept années passées à Bordeaux et un groupe sans véritable avenir, The Film, Benjamin et Guillaume retournent à Reims où les choses ont pas mal évolué autour de la Cartonnerie, la salle phare de la ville. “On est rentrés pile quand ça bougeait. On a apporté une sorte de bonne humeur qu’on avait connue à Bordeaux où tout le monde répétait avec tout le monde. Benjamin

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Music, sur lequel on retrouve le tubesque America et des contributions de Yuksek et Brodinski. La réputation des Shoes dépasse rapidement la Champagne et l’industrie du disque s’intéresse à la fraîcheur de ce duo qui fait des bulles jusqu’en Angleterre. Gaëtan Roussel, qui travaille sur son premier album, Ginger, propose au duo de travailler à la production de ses nouveaux morceaux. Ginger cartonne – il vient d’être sacré album rock aux Victoires de la musique – et place définitivement les Shoes dans la vitrine. Passent ensuite entre leurs mains des titres de Raphael, Julien Doré ou de la bomba latina Shakira qui a craqué sur la Shoes touch et les a invités – avec le renfort de Brodinski et sous le nom de Gucci Vump – à venir donner un coup de pied aux fesses à son dernier album. On doit aux Rémois le tube Loca et son featuring de Dizzee Rascal. “On s’inscrit clairement dans une logique de producteurs, on comprend beaucoup de choses grâce à cette expérience, on apprend à maîtriser tous les genres, c’est assez passionnant. Plus les gens avec qui nous travaillons sont éloignés de notre univers, plus nous sommes intéressés”, explique Guillaume. Bien sûr, lorsqu’on évoque les Neptunes, les lacets des Shoes ne font qu’un tour : “On est fans !” et moi on est hyper sociables alors qu’il y a beaucoup de gens dans la musique qui font la gueule”, explique Guillaume. Ils jouent du folk avec ceux qui deviendront plus tard The Bewitched Hands, tripotent des platines et des samplers avec Yuksek et Brodinski. En 2008, Guillaume et Benjamin balancent quelques morceaux sur le net. Un jeune type de Londres, qui se fait appeler Dennis Bones et édite des 45t vinyles sur son microlabel 50 Bones, propose de sortir deux de leurs titres, Knock Out et Red Light. A l’époque, ils n’ont pas encore de nom, prennent une photo de leurs pompes et décident de s’appeler The Shoes. Ils enchaînent avec deux autres morceaux sur le même label (People Movin’ et Ho Lord), partagés cette fois avec Primary 1, la coqueluche anglaise du moment enrôlée par le DJ et producteur Erol Alkan. L’histoire The Shoes semble lancée. Le clou s’enfonce définitivement au début de l’année 2009 avec Stade de Reims 1978, premier single publié chez Green United

“on est hyper sociables alors qu’il y a beaucoup de gens dans la musique qui font la gueule”

Ils adorent produire pour les autres mais leur premier album est un grand projet. Ils ont travaillé avec Lexxx, l’un des jeunes producteurs anglais les plus en vue. “Il nous a donné le son qu’on cherchait. Au moment où l’on est devenus producteurs, on a donné notre bébé à un autre. Et on a compris ce que ça pouvait apporter”, explique Benjamin. Leur disque pourrait être le vrai bon deuxième Klaxons, une version moderne du Screamadelica de Primal Scream, et chasse la tête haute sur les traces de Hot Chip ou Metronomy. On y entend les voix de Primary 1, Esser, Cocknbullkid, Timothy Bruzon (chanteur de Wave Machine) ou celle d’Anthonin Ternant des Bewitched Hands, venu en voisin. Là où certains craignaient un résultat décousu et sans âme à la UNKLE, les Shoes déboulent avec un vrai kick tendu et générationnel. Têtu, généreux et authentique (voir la pochette signée Gavin Watons), refusant de choisir entre la pop et l’electro, Crack My Bones s’écoute un pied sur la piste de danse et l’autre en dehors, avec la certitude de rencontrer un groupe qui comptera dans les années à venir. Au Koko de Camden, où on abandonne le duo après un concert devant de jeunes Anglais conquis et qui chantent déjà par cœur certains titres à peine disponibles sur le net, les Rémois ont fait une véritable démonstration. Ces Shoes-là sont faits pour marcher. Crack My Bones (Green United Music/Pias), sortie le 7 mars www.theshoes.fr  www.myspace.com/the.shoesmusic 16.02.2011 les inrockuptibles 61

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libre comme le Robert Après dix années de lutte acharnée, le journaliste et écrivain Denis Robert a été blanchi dans son combat contre la chambre de compensation Clearstream. par Pierre Siankowski photo Elie Jorand ’ai appris la nouvelle par mon avocate. Dans un premier temps, elle m’a dit : ‘On a gagné’, mais je n’ai pas compris tout de suite que c’était un jugement aussi important. Puis elle m’a expliqué qu’elle n’avait jamais vu un arrêt pareil. Elle m’a dit : ‘Tu as gagné sur toute la ligne.’ J’attendais ça depuis dix ans. Quand ça arrive, c’est forcément un peu irréel, raconte le nouveau Denis Robert, complètement blanchi. Depuis je bois des coups, tout le monde me file des bouteilles, je vais finir par ouvrir une cave.” L’info est tombée discrètement le 2 février dernier. Elle était contenue dans trois arrêts rendus par la Cour de cassation. Condamné en appel en octobre 2008 pour deux livres (Révélation$ et La Boîte noire) et un film (Les Dissimulateurs) consacrés à la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, le journaliste et écrivain avait refusé une transaction avec la firme, préférant s’en remettre à la plus haute autorité judiciaire française. Dans les trois arrêts rendus, la Cour a définitivement fait pencher la balance en faveur de Robert, annulant les condamnations et soulignant “le sérieux de son enquête” et sa “bonne foi”. Dans ses différentes enquêtes, le journaliste et écrivain installé à Châtel-Saint-Germain, près de Metz (57), avait raconté, documents fournis par un insider à l’appui, comment Clearstream permettait l’utilisation de “comptes non-publiés” pour cacher les dessous pas très chics de la grande finance internationale. Ou encore dissimulait les réserves d’argent de quelques groupuscules douteux et autres crapules de renommée internationale. Denis Robert faisait également état de liens présumés entre l’Eglise de scientologie et

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“je ne peux pas oublier les huissiers à la maison, les tombereaux de saloperies qu’on a déversés sur moi ”

la chambre de compensation. A la suite de cet arrêt, les travaux de Denis Robert vont pouvoir être à nouveau publiés. De son côté, Clearstream, défendu par Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo lors du procès des caricatures, s’est contenté d’une brève déclaration accordée à un journaliste luxembourgeois. “Nous prenons bonne note de la décision de la Cour de cassation. Nous pensons avoir correctement respecté les règles. Nous attendons désormais la décision de la cour d’appel de Lyon”, qui fixera le montant des dommages et intérêts que va toucher Denis Robert. “Je m’attendais à courir un marathon, j’en ai fait dix”, raconte Denis Robert. Depuis 2001, il a dû faire face à une soixantaine de procès, il n’en a perdu que très peu, souvent par faute de moyens. “Après la joie, il y a néanmoins une certaine amertume. Dix ans pour ça ! Dans une démocratie normale, on m’aurait donné raison plus tôt. Je ressens quand même un sentiment de temps perdu, de harcèlement. Je ne peux pas oublier les huissiers à la maison, les tombereaux de saloperies qu’on a déversés sur moi, la couardise de certains journalistes, la bêtise de certains magistrats. Cet enchaînement a abouti à cette situation.” En mai 2006, Denis Robert avait été mis en examen pour “recel d’abus de confiance” dans ce qu’on a alors appelé l’affaire Clearstream 2 : un règlement de comptes Villepin-Sarkozy pour lequel ses révélations sur la chambre de compensation ont été utilisées. Il avait été relaxé en janvier 2010 : le tribunal avait considéré qu’il n’avait fait que son métier de journaliste. “Quand j’ai été mis en examen en 2006, j’ai senti le vent se retourner contre moi. Les mots de Philippe Val (dans une vidéo resurgie la semaine dernière sur le net, l’actuel patron de France Inter tient des propos très désagréables sur Denis Robert, ndlr), le fiel d’Alexandre Adler, de Fabrice Lhomme, de Karl Laske, d’Elisabeth Lévy, les tacles à répétition d’Edwy Plenel

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(partie civile dans l’affaire Clearstream 2, le directeur de Mediapart avait mis en cause Denis Robert lors de son interrogatoire avec les juges d’instruction). A un moment, ces choses s’accumulent publiquement. On entend même des copains qui se mettent à douter.” Pourtant, Denis Robert a tenu bon, grâce aussi à son comité de soutien. “Il faut bien comprendre que je ne suis pas un héros, juste un mec normal. Accepter les transactions m’était tout simplement impossible. Je n’aurai plus pu me regarder dans une glace : c’est une simple histoire de dignité. D’autant que j’ai compris que ce qui compte le plus dans la vie, c’est d’être fier de soi et de voir, dans le regard des autres, qu’on n’a pas trahi”, explique-t-il.

Denis Robert espère que d’autres poursuivront son combat. “Maintenant que ce que j’ai écrit est avéré, on peut aller plus loin. Il faut que des parlementaires et des politiques s’emparent de ça, que des journalistes le médiatisent. C’est ce que j’espère.” Débarrassé de ce fardeau qui le poursuivait depuis 2001, Denis Robert voudrait désormais travailler sur de nouveaux projets : un film sur le journalisme, une exposition, une évocation de la France sous Sarkozy au travers de plusieurs micro-histoires, un portrait filmé de Cavanna, un documentaire sur le cerveau humain, une adaptation en bande dessinée de son dernier roman, Dunk. Après dix ans de Clearstream, c’est du gâteau (lorrain). 16.02.2011 les inrockuptibles 63

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Paul Tahon and Ronan & Erwan Bouroullec

nuage de tissu Inspirés par la modélisation en trois dimensions, les frères Bouroullec ont créé ces Clouds en 2009, en partenariat avec le fabricant de tissus danois Kvadrat. Reliées par des élastiques, ces tuiles en laine ou polyester, disponibles en douze coloris, permettent toutes sortes de compositions domestiques et poétiques

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les ailes du design Stars du design contemporain, les frères Bouroullec inventent des formes pudiques et évanescentes qui circulent entre art contemporain et mobilier fonctionnel. par Claire Moulène

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Appartement 50 © Studio Bouroullec & FLC/ADAGP Paris

chez Le Corbusier Durant l’été 2010, à la Cité radieuse à Marseille, les Bouroullec confrontent leur univers vaporeux au purisme de Le Corbusier. Le temps de cette exposition éphémère, Erwan et Ronan Bouroullec jouent la carte du court-circuit en introduisant mine de rien quelques-uns de leurs objets fétiches : Clouds au mur, tapis Zip, chaises, tables et portemanteaux de la collection Steelwood éditée chez Magis. Et une Lighthouse conçue comme un phare domestique

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ntre le moment où l’on a une idée et le moment où elle prend forme, il peut s’écouler trois ou quatre ans”, explique Erwan, le plus jeune des frères Bouroullec, qui depuis la fin des années 90 essaime aussi bien chez Vitra ou Capellini que dans les musées d’art contemporain. “Le design, c’est du temps.” D’où ce parti pris, plutôt bien vu, d’exposer au centre d’architecture Arc en rêve, à Bordeaux, tous ces “à-côtés” – dessins, croquis, aquarelles, maquettes et projets avortés ou fantasmés – qui, au fil des années, viennent nourrir leur pratique. “Nous présentons également des photographies des objets finis, mais le pari de cette exposition en deux dimensions, c’est d’éviter toute forme de hiérarchisation et de démystifier le processus de création”, commentent les deux frères. En octobre prochain, Erwan et Ronan Bouroullec, respectivement 35 et 40 ans, se prêteront à un tout autre exercice. Invités par le Centre Pompidou Metz, c’est dans l’une des trois immenses salles, au dernier étage du bâtiment conçu par Shigeru Ban, qu’ils pourront exercer leur sens de la mise en espace et du “cloisonnement décloisonné”, déjà testé avec l’un de leur blockbuster, Algue, une paroi synthétique et amovible à la texture organique qui s’est écoulée à près de quatre millions d’exemplaires. “Cet open space est une aubaine pour nous, confirme Erwan, l’occasion rêvée de montrer des objets en situation.”

C’est au MoMa à New York et sur les cimaises de François Pinault que ces deux Bretons élus “designers de l’année” par le salon Maison et Objet ont fait leurs preuves. De là à penser que ce flirt insistant avec l’art contemporain est un signe de leur incapacité à intégrer le circuit marchand du design bon marché, il n’y a qu’un pas. “Nous ne produisons pas que des pièces pour la galerie Kreo”, se défendent-ils. Nous travaillons avec des fabricants comme Vitra ou Ligne Roset, chez qui nous sortons en ce moment un canapé, et qui travaillent de plus en plus en direction du grand public. Cependant, il ne faut pas se leurrer : en design comme en mode, l’hyper bas prix et l’hyper démocratique est monopolisé par une petite poignée de fabricants et de très grosses industries. Pour l’instant, ils n’ont pas fait appel à nous, analyse Erwan. Reste, en marge, des initiatives intéressantes comme celle de ce petit fabricant italien qui, plutôt que de développer une marque, a fait le choix du produit, un produit qui se suffit à lui-même et se passe de toute forme de labellisation.” Exigeants, partisans d’un design sans concession mais à fort potentiel narratif, les Bouroullec irriguent la scène européenne depuis leur atelier de Belleville. “Il n’y a pas de design français, comme il n’y a pas de design allemand ou anglais, italien à la rigueur”, assurent aujourd’hui de concert ces deux défenseurs d’un design sans frontières. Exposition Album jusqu’au 24 avril à Arc en rêve centre d’architecture, 7, rue Ferrère, Bordeaux, www.arcenreve.com A voir Design (made in France) diffusé le 2 mars à 22 h 35 sur Canal+

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la chaise, passage obligé

Paul Tahon and Ronan & Erwan Bouroullec

Studio Bouroullec

Ils en ont produit un certain nombre depuis la fin des années 90 : Vegetal Chair, Papyrus Chair, Steelwood Chair… A l’occasion de leur rétrospective bordelaise, ils présentent toutes leurs chaises rêvées mais non réalisées. Intitulée Album, l’expo se concentre sur le travail de maturation et de gestation annexe qui accompagne le travail des designers : croquis, aquarelles, montages photo, prototypes. Ce que les frères Bouroullec appellent leurs “petites étapes sensibles et intuitives”

libres compositions En 2008, à la galerie Kreo, les frères Bouroullec réinventent l’architecture intérieure avec une série de combinaisons affranchies des conventions : murs textiles, tables flottantes et lampes organiques à trois têtes. Entre le meuble et l’alcôve, ce canapé tout intégré se conçoit comme une aire de repos et de repli 16.02.2011 les inrockuptibles 67

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“Ça me rend fou de ne pas avoir le droit d’aller en Iran.” Paris, février 2011

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l’ami israélien

Ron Leshem n’aurait pas pu écrire Niloufar sans Facebook. De ses échanges avec de jeunes Iraniens, l’écrivain a tiré un livre plein d’empathie. Il y devient un étudiant dans le Téhéran underground, miroir paradoxal du Tel-Aviv d’aujourd’hui. par Elisabeth Philippe photo Christian Lartillot

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n ne l’a jamais rencontré mais on éprouve pourtant l’étrange impression de retrouver un vieil ami. Une poignée de main et un sourire suffisent à Ron Leshem pour faire naître un sentiment d’intimité dans le hall impersonnel d’un hôtel parisien. Pas de formules de politesse ou de banalités convenues. Avec un grand naturel, il embraie tout de suite sur sa grand-mère de 98 ans qui a vécu en France dans les années 30, nous raconte ses frasques, évoque son grand-oncle résistant mort pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est sans doute cette aptitude innée à l’empathie qui permet à l’écrivain de 34 ans, prodige des lettres israéliennes, de se mettre si aisément à la place des autres pour faire entendre leur voix. “L’écriture me permet d’expérimenter ce que je ne connais pas, de vivre la vie des autres. J’ai besoin d’éprouver un désir intense pour mon sujet, d’être attiré sexuellement par mes personnages, confie-t-il entre deux gorgées de Coca light. Quand je sors d’une journée de boulot, je n’ai aucune envie de raconter ma vie de producteur télé (il est directeur des programmes sur Channel 2 – ndlr). En Israël, une règle tacite nous enjoint de parler seulement de ce qui se passe à l’intérieur de nos frontières, de ce que l’on connaît. Du coup, tu consacres ton premier bouquin à ta vie infernale au kibboutz, le deuxième à ta vie merveilleuse au kibboutz, et pour le troisième, tu fais quoi ?” Dans son premier roman, le puissant Beaufort paru en France en 2008 et adapté au cinéma, Leshem s’était glissé dans l’uniforme du lieutenant Erez, un officier de Tsahal. Il faisait sien l’argot cru des soldats pour plonger le lecteur dans la vie d’une garnison de l’armée israélienne terrée dans une forteresse du Sud-Liban. Avec Niloufar, son nouveau roman, il choisit la voie de l’altérité radicale. Lui, l’Israélien, entre dans la peau d’un jeune Iranien. Le héros du livre, Kami,

originaire d’un petit village au bord de la mer Caspienne, débarque à Téhéran pour y suivre ses études. A l’université, il fait la connaissance de Niloufar. “Millionnaire effrontée. Féministe au petit pied” et championne de course automobile, la jeune fille initie le naïf Kami aux fêtes derrière les portes closes, aux orgies où circulent ecstas, coke et alcool, toute cette vie souterraine qu’avait captée le réalisateur iranien Bahman Ghobadi dans son film Les Chats persans. Dans le roman subtil et attachant de Ron Leshem, le Téhéran underground devient une sorte de double de Tel-Aviv, parcouru par la même fièvre, le même besoin de s’étourdir d’excès. L’Iranien n’est plus l’autre mais un alter ego. “J’ai voulu montrer les très grandes similitudes entre la jeunesse de Téhéran et celle de Tel-Aviv, explique Leshem. Même si les jeunes Iraniens sont descendus dans la rue en juin 2009 après la réélection contestée d’Ahmadinejad, ils font preuve, comme les jeunes Israéliens, d’une forme d’individualisme et de fatalisme apathique face au réel. Comme s’ils étaient convaincus qu’ils ne pourront rien changer. Au lieu de se battre, ils se résignent. Avec ce livre, j’ai aussi essayé d’alerter les Israéliens sur le danger qui les guette et qui ressemble à ce que l’Iran a vécu il y a trente ans. Je suis très préoccupé par le rôle politique croissant des extrémistes religieux dans mon pays. Si on ne fait rien, dans vingt ans, ces fanatiques pourraient arriver au pouvoir et Israël n’aura plus rien d’une démocratie. Mais à Tel-Aviv, on préfère continuer à aller en boîte pour danser, pour oublier.” Ron Leshem avoue qu’avant d’écrire Niloufar, il ne connaissait pas grand-chose de l’Iran, cette zone interdite et ennemie. L’aventure de ce roman a commencé avec internet. Leshem passe des heures sur divers réseaux. Une nuit, vers 3 heures du matin, autant par désœuvrement que par curiosité, il prend 16.02.2011 les inrockuptibles 69

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En 2009, Les Chats persans de Bahman Ghobadi décrivait sur un mode semi-documentaire la vie quotidienne d’un groupe rock de Téhéran

contact avec une centaine d’Iraniens sur Facebook. Le lendemain, sa messagerie croule sous les réponses : “Certains m’avaient envoyé des vidéos, de longs messages. J’étais d’autant plus stupéfait que, par exemple, jamais un Egyptien ne m’a accepté comme ‘friend’ sur Facebook.” Avec quatre de ses nouveaux amis, il commence à entretenir une correspondance intense. “Je leur écrivais à partir d’une adresse mail enregistrée en Arabie Saoudite, précise-t-il. A force d’échanger avec eux, j’ai compris à quel point nous étions proches, m’étonnant que certains partagent les mêmes goûts que moi, aiment les mêmes livres que moi, ceux de Romain Gary, par exemple. Fasciné, j’ai commencé à lire tout ce que je trouvais sur l’Iran, à apprendre le farsi. L’idée du livre a germé. J’ai accroché aux murs de mon bureau une immense carte de Téhéran, j’écrivais cent messages par jour à mes amis pour qu’ils me donnent des détails sur tel ou tel lieu. J’ai aussi demandé à des amis journalistes allemands et italiens de vérifier certaines informations sur place pour que mes descriptions soient le plus sensibles et précises possible.” Car lui, bien sûr, ne peut pas se rendre en Iran. “Ça me rend fou, dit-il, tout sourire ayant soudain déserté son visage juvénile. En France, vous ne pouvez pas imaginer ce que ça signifie de ne pas avoir le droit de se rendre dans certains endroits.” Grâce à l’écriture, il a pu transgresser les interdits, trouver un exutoire à une frustration intolérable et se projeter virtuellement dans ce pays à une heure de vol de Tel-Aviv mais qui lui reste hermétiquement fermé. Mais aussi puissante soit-elle, la littérature ne comble pas tous les manques. Ron Leshem a cherché à rencontrer physiquement les trois amis iraniens,

“je suis très préoccupé par le rôle politique croissant des extrémistes religieux dans mon pays” une fille et deux garçons, qu’il considère comme les coauteurs de son livre tant ils s’y sont impliqués mais dont il tait les noms pour les protéger. Ils ont réussi à se retrouver à plusieurs reprises en France, au Canada et une fois au Pérou. Quand il raconte sa première rencontre à Paris avec l’un d’entre eux, son récit oscille entre la farce et le roman d’espionnage : “Mes amis israéliens m’ont dit que j’étais cinglé de donner rendez-vous à un Iranien, qu’il pouvait me prendre pour un agent du Mossad et vouloir me piéger, ou bien que le Mossad pouvait imaginer que je trahissais Israël… Nous devions nous retrouver à 18 heures à mon hôtel. Il n’est arrivé qu’à une heure du matin. Je flippais, j’imaginais que j’allais me réveiller à l’aube devant un agent iranien, un couteau sur la gorge…” Le jeune homme qu’il a retrouvé cette nuit-là est devenu l’un de ses meilleurs amis. En juin 2009, pendant les manifestations en Iran violemment réprimées par le régime des mollahs, Ron Leshem a tremblé pour ses camarades. Chaque jour, il craignait qu’ils soient arrêtés, tabassés par les Bassidji, les nervis du pouvoir. Ce soulèvement a échoué et, pessimiste, Leshem dit ne pas croire davantage en l’actuelle révolution égyptienne avec laquelle son livre entre pourtant tellement en résonance. “Bien sûr, je me réjouis pour les Egyptiens. J’adore ce pays, je parle l’arabe égyptien. Mais j’ai peur que la démocratie les déçoive si elle ne donne pas de résultats rapides et ne réduit pas l’immense pauvreté dans laquelle vit une grande partie de la population. La liberté peut se transformer en un fardeau dont on ne sait pas quoi faire.” Niloufar (Editions du Seuil), traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, 363 pages, 21,80 €

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Santiago 73 – Post mortem de Pablo Larraín Le putsch de Pinochet, le cadavre d’Allende vus par un employé des morgues. Le deuxième volet d’une trilogie sur le Chili par un jeune réalisateur talentueux. Puissant.

 I

Sans lien d intersection

l y a deux ans, nous avions découvert à la Quinzaine des réalisateurs l’existence du jeune cinéaste chilien (il est né en 1976) Pablo Larraín, venu présenter son deuxième film, Tony Manero, l’histoire d’un fan de John Travolta dans La Fièvre du samedi soir qui devient tueur pour assouvir sa passion du disco, sous la dictature de Pinochet, en 1978. A travers le portrait d’un personnage ahurissant, que la caméra suivait de crime en crime un peu à la manière des Dardenne, c’est la déréliction d’une société gangrénée par la violence, l’injustice et le mensonge, et qui ne peut plus s’exprimer que par bouffées meurtrières que décrivait Larraín. Le voici de retour avec le deuxième volet de sa trilogie sur la période Pinochet. Pour Pablo Larraín, le but est explicitement politique et historique : “La société chilienne d’aujourd’hui s’est construite sur le mensonge et la trahison. Ceux qui ont profité de la dictature ont été amnistiés. Se replonger dans l’histoire est mal vu par beaucoup de gens. Mais une nation ne peut pas se construire

sur des ruines, sur un passé qu’elle ne veut pas connaître. Tant que l’histoire ne sera pas reconstituée, le peuple chilien en souffrira. C’est du moins ce que je ressens depuis que j’ai l’âge de penser.” Le grand acteur chilien Alfredo Castro, qui jouait le brun Raúl, personnage principal de Tony Manero, est aujourd’hui Mario, timide employé aux cheveux gris plaqués en arrière, chargé de taper les rapports d’autopsie à la morgue de Santiago. L’action se déroule cette fois-ci quelques années plus tôt, précisément pendant les jours où se déroula le putsch du général Pinochet contre le président socialiste Salvador Allende. De ce coup d’Etat, Larraín ne montre pas grand-chose, préférant se concentrer sur la vie de Mario, cet homme qui croit que rien ne peut le toucher : ses amours chimériques avec sa voisine danseuse et communiste, son travail qui va l’amener à changer de voie, à obtenir un pouvoir qu’il ne pouvait pas imaginer posséder un jour. Des combats violents, de la répression militaire contre les partisans d’Allende,

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raccord

Hitchcock présent

“tant que l’histoire ne sera pas reconstituée, le peuple chilien en souffrira” Pablo Larraín

nous ne verrons que les conséquences, les morts, les fumées, les chenilles d’un blindé. C’est en grande partie dans ce hors-champ que réside toute la force du film. A la guerre civile répondent l’opacité et l’impassibilité apparente de Mario, que Castro sait si bien interpréter : “Alfredo Castro, explique Larraín, est capable de rendre n’importe quel personnage mystérieux, ce qui attise la curiosité du spectateur : qui est donc ce type bizarre ?” Par contraste, la scène la plus marquante du film est celle où nous assistons à l’autopsie du cadavre d’Allende… Sujet chaud, très chaud au Chili, où, il y a seulement quelques jours, la justice a décidé de rouvrir l’enquête sur la mort du président défunt : a-t-il été assassiné, ou s’est-il suicidé, comme l’affirme jusqu’à ce jour la version officielle ? Pour nous, étrangers, cette question peut sembler absurde (après tout, il est mort et, sous les bombardements du palais présidentiel de la Moneda, voyant sa fin approcher, ses rêves s’effondrer, Allende avait des raisons de mettre fin à ses jours), mais pour

certains Chiliens elle reste fondamentale : “Sincèrement, pour moi, explique Larraín en mimant la façon dont le projectile qui a tué Allende a pénétré sa boîte crânienne, après avoir beaucoup travaillé sur cette question, rencontré les médecins, lu le rapport d’autopsie, je crois qu’il s’est suicidé. Mais s’il s’avère qu’il a été tué, alors cela veut dire que Pinochet et les siens nous ont menti une fois de plus. Car, au moment du siège de la Moneda, ils avaient proposé à Allende de quitter le pays sain et sauf.” La scène, dans le film, est impressionnante, fantomatique. Pablo Larraín explique qu’elle a été tournée dans l’hôpital militaire, dans la salle d’opération même où eut lieu, en 1973, la véritable autopsie d’Allende : “Comme l’hôpital était resté longtemps abandonné, on peut dire que tout était resté en l’état : les instruments de chirurgie, les blouses, les murs, etc. Tout. J’ai demandé également au médecin qui avait pratiqué l’autopsie à l’époque de m’aider à la reconstituer. Je pense que nous ne pouvions être plus fidèles à la vérité.” Nul fétichisme dans cette démarche. Mais le désir de reconstituer au plus près la mémoire de citoyens qui, plus de trente-cinq ans après, ignorent encore où sont les cadavres de milliers de leurs proches. Pablo Larraín touche au nerf de ce qui mobilise son cinéma depuis son premier film : l’assassinat d’un régime qui était en train de réformer le Chili, de répartir les richesses, de remédier aux inégalités. Ce qui se joue ici, ce n’est pas seulement le sort d’un héros populaire, mais la fin d’un rêve qui ne repassera jamais. Jean-Baptiste Morain Santiago 73 – Post mortem de Pablo Larraín, avec Alfredo Castro, Antonia Zegers, Jaime Vadell (Chili, Mex., All., 2010, 1 h 38)

“J’ai bien peur qu’Hitchcock ne serve à rien aujourd’hui”, déclarait Louis Skorecki dans ces pages il y a quelques semaines. “Marqueur, truc pour convaincre plus vite spectateurs, producteurs, lecteurs”, le maître du suspense est pourtant partout : la Cinémathèque française lui consacre une rétrospective intégrale, les biographes se penchent à nouveau sur son étrange cas et, indirectement, son ombre plane sur la prochaine cérémonie des oscars… A bien observer les nommés, on y trouve en effet trois disciples convaincus, trois cinéastes de la même génération pour qui Hitchcock a bel et bien servi, et sert encore, à quelque chose : Christopher Nolan, Darren Aronofsky, David Fincher. Si ce dernier a aujourd’hui infléchi son style vers un classicisme plus discret, il commença sa carrière par trois thrillers purement hitchcockiens : Seven, The Game et surtout Panic Room. De Following à Inception, les labyrinthes mentaux de Nolan, s’ils évoquent d’abord Kubrick, doivent tous quelque chose au vieux maître anglais, à commencer par la culpabilité de leurs héros à la poursuite de fantômes féminins. Aronofsky, enfin, qui n’avait jusqu’ici pas démontré de goût particulier pour Hitchcock, a fini par se ranger sous son aile noire, avec Black Swan et sa danseuse-oiselle rendue zinzin par trop d’affection maternelle. Ce “sur-cinéma”, au formalisme exacerbé, obsédé par les fauxsemblants et les psychopathes, rafle aujourd’hui tous les suffrages. Face à ces films-mastodontes, conçus pour gagner, il existe pourtant une autre idée du cinéma, moins audible mais tout aussi noble, un cinéma d’orfèvre au classicisme mat, ayant choisi de troquer la flamboyance des cygnes contre la discrétion des signes : Comment savoir de James L. Brooks en est le meilleur héraut. Lui souhaiter autant de considération qu’à ses bruyants voisins semble hélas un vœu pieux.

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Maryam Takhtkeshian

The Hunter de Rafi Pitts

Un homme recherche son épouse et sa fille disparues dans un Téhéran inquiétant et dédaléen. Tendu et original.



l’heure où le régime iranien serre encore plus la vis et où le cinéaste Jafar Panahi a des ennuis, The Hunter nous donne de bonnes nouvelles cinématographiques d’Iran. Si Rafi Pitts vit en France, The Hunter a été tourné là-bas, dans les conditions que l’on imagine, en farsi, avec des acteurs iraniens. A l’image de l’internationalisme de son auteur, The Hunter mixe avec élégance l’universel et le local, à savoir la stylisation du film noir et la réalité politique contemporaine iranienne. Récemment libéré de prison, Ali est veilleur de nuit, ce qui ne rend pas facile sa vie quotidienne avec femme et enfant. Un jour, à la suite d’émeutes sévèrement réprimées par la police, son épouse et sa fillette disparaissent.

Ont-elles été arrêtées ? emprisonnées ? liquidées ? Ali se met à leur recherche, se heurtant au désespérant labyrinthe kafkaïen qui caractérise tout appareil administrativo-policier en dictature. Pitts dépeint un Téhéran stylisé comme on ne l’a jamais vu, mélange de cité occidentale – où la vie s’écoule comme partout ailleurs – et de dédale sombre et nocturne, de ruelles chelou et de salles d’attente blafardes. Dans un contexte tel que celui de l’Iran, le danger et la paranoïa rôdent à chaque coin de rue : il suffirait presque de filmer ces coins de rue sans en rajouter pour créer une atmosphère de thriller, semble suggérer la mise en scène épurée de Rafi Pitts. Remplaçant au pied levé son acteur, parti le premier jour du tournage (le cinéaste n’a pas cherché un acteur de rechange

pour ne pas avoir à repasser par la commission de censure), Pitts renforce par sa présence à l’écran l’esthétique melvillienne de son film, avec son visage grave et ténébreux, son économie gestuelle et son laconisme. Son jeu tout en inquiétude et en tension s’est calé naturellement sur sa condition de cinéaste travaillant sous la surveillance permanente du régime. A un moment, le film prend la tangente, quitte la ville, file vers la campagne, la lumière, semble passer du noir et blanc à la couleur. Ce n’est ni l’Iran aride des oliviers vu chez Kiarostami, ni le Kurdistan escarpé et montagneux de Ghobadi, mais un paysage forestier de moyenne montagne tel qu’il en existe partout en Europe. Là encore, Pitts montre un Iran inédit, théâtre naturel d’une chasse à l’homme où proie et chasseur se

confondent, avec poursuite en voiture, planque, fusillades… Les figures du film noir se succèdent, infusées d’un sens du tragique impressionnant (la fin évoque celle du chef-d’œuvre de Sirk, Le Temps d’aimer et le Temps de mourir). Dans un cinéma iranien souvent inscrit dans l’héritage néoréaliste, The Hunter explore une voie plus rare, celle du cinéma de genre, déjà empruntée par Jafar Panahi dans Sang et or ou par Nader Homayoun dans Téhéran. Et Pitts gagne sur les deux tableaux : il stylise son substrat politico-social et charge le polar avec l’inévitable contexte politique de son pays. The Hunter, du cinéma élégant et utile. Serge Kaganski The Hunter de Rafi Pitts, avec lui-même, Mitra Hajjar (Iran, All., 2010, 1 h 32)

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Sex Friends d’Ivan Reitman avec Ashton Kutcher, Natalie Portman (E.-U., 2011, 1 h 45)

Halal police d’Etat de Rachid Dhibou avec Eric Judor, Ramzy Bedia (Fr., 2011, 1 h 38)

Une farce sans queue ni tête qui en découd astucieusement avec la réthorique raciste. Halal police d’Etat n’est sans doute pas du “grand cinéma”, mais le déploiement d’un univers très particulier, comique et poétique. Il y a d’abord un niveau primaire, burlesque, enfantin dans l’humour d’Eric et Ramzy, avec le plaisir du déguisement, des perruques, des avanies des corps et des mimiques faciales. Ensuite, un humour de situation, avec ce duo de flics blédards génialement incompétents qui viennent à Paris débusquer un serial-killer sévissant dans les épiceries de Barbès. Puis un délire assez sophistiqué sur le langage, les accents, les différents parlers : l’un de nos deux policiers baragouine un sabir franco-arabe plein de saveur et de créations langagières (“le système d’écoutage”), tandis que l’autre s’exprime dans un français digne d’une khâgne à Henri-IV. Les trouvailles abondent, d’une chambre dadaïste aux meubles en béton à des parodies de Psychose ou du Grand Bleu (de leur producteur, Luc Besson), en passant par un blond refoulé d’Algérie par la police et qui hurle “mais je suis algérien, j’ai mes papiers !” Et quand Eric “le Kabyle” regarde une photo de la tour Eiffel en s’interrogeant “ça doit être une sorte d’église”, le trait pourrait provenir des Lettres persanes. Halal police d’Etat est par ailleurs truffé de dialogues hyper-racistes (“les Chinois sentent les nems à partir de 17 heures”), dans la lignée de la culture ghetto noire américaine (qui a inventé la réappropriation du mot nigger) ou d’un Baron Cohen, meilleure façon de neutraliser la rhétorique raciste. Car cette grosse farce qui paraît sans queue ni tête possède sa cohérence : dézinguer par le rire et l’absurde la France tendue de Sarko et Hortefeux (et un peu aussi l’Algérie de Bouteflika). Vertu politique d’un rire à plusieurs niveaux qui, lui, a beaucoup à déclarer. S. K.

Natalie Portman et Ashton Kutcher en fuck buddies. Amusant. C’est une trame de sitcom hyperefficace, vue et revue de Seinfeld à How I Met Your Mother en passant par Friends. Toujours la même : deux amis décident de ne se voir que pour le sexe et fixent des règles antisentimentales. Le pari de vouloir étendre l’intrigue de vingt à cent minutes était donc un peu risqué, même avec le vétéran Ivan Reitman (S.O.S. fantômes) à la caméra. Et forcément, le film souffre un peu de cet engourdissement d’une histoire qui peine à se renouveler autrement qu’en multipliant ces règles de vie et les personnages secondaires. Mais le film s’échappe bien vite de ce seul système de départ et de la question banale de l’issue (s’aimeront ? s’aimeront pas ?) pour se concentrer sur autre chose : le compromis entre la compatibilité des corps et l’antagonisme des caractères. Ashton Kutcher en fils de, grand échalas mou et béat, fait face à une Natalie Portman campant un solide et énergique médecin d’urgences dans une synthèse conciliant deux types de comiques, le nonchalant et le nerveux. Si le film paraît s’essouffler par endroits, il en ressort néanmoins une comédie romantique bien fichue et très drôle s’intéressant moins à la naissance de l’amour qu’à la peur de se retrouver seul. Thomas Pietrois-Chabassier

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en salle Berlinale 2011 Pour cette 61e édition de la Berlinale, présidée par Isabella Rossellini, seize longs métrages sont en lice pour succéder à l’Ours d’or 2010, Miel de Semih Kaplanoglu. Cette année, le festival fait preuve d’audace avec la présence en sélection officielle de cinq premiers films et de trois films en 3D (dont un du cinéaste allemand Wim Wenders sur la chorégraphe allemande Pina Bausch). La France est notamment représentée par Michel Ocelot avec Les Contes de la nuit et Philippe Le Guay avec Les Femmes du 6e étage (lire ci-contre). 61e Festival international de Berlin jusqu’au 20 février, www.berlinale.de

hors salle histoire(s) de Godard Quelques mois après celle d’Antoine de Baecque paraît la biographie de Jean-Luc Godard par Richard Brody, Jean-Luc Godard, tout est cinéma. Critique au New Yorker et spécialiste de longue date de la Nouvelle Vague, l’auteur s’appuie sur des centaines d’entretiens avec les amis et collaborateurs de Godard, ainsi que des membres de sa famille, pour dresser un portrait riche et fouillé. Paru en anglais en 2008, cette traduction comprend une postface inédite incluant une analyse de Film Socialisme. Jean-Luc Godard, tout est cinéma de Richard Brody (Presses de la Cité), 804 pages, 24,50 €

Positif, le 600e ! Fondée en mai 1952 à Lyon, Positif sort ce mois-ci son 600e numéro. Pour le célébrer, la revue organise avec le Forum des Images à Paris un week-end de films et de rencontres autour du cinéma français, du 25 au 27 février. Positif en kiosque, 7 €, www.forumdesimages.fr

box-office langage des cygnes 90 000 spectateurs en France le jour de sa sortie : Black Swan affole le public. Le film s’apprête à dépasser les 500 000 entrées en première semaine et pourrait bien, si le bouche à oreille se confirme, arriver à 2 millions en fin de course.

autres films Last Night de Massy Tadjedin (E.-U., Fr., 2010, 1 h 32) La Bella Gente – Les Gens bien d’Ivano De Matteo (It., 2009, 1 h 38) Gnomeo et Juliette de Kelly Asbury (E.-U., G-B., 2011, 1 h 24) Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock (E.-U., 1954, 1 h 54, reprise) Le Journal d’une femme de chambre de Jean Renoir (E.-U., 1946, 1 h 26, reprise) Une femme cherche son destin d’Irving Rapper (E.-U., 1942, 1 h 57, reprise)

Largo Winch II de Jérôme Salle avec Tomer Sisley, Sharon Stone, Laurent Terzieff (Fr., Bel., All., 2011, 1 h 59)

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Les Femmes du 6  étage de Philippe Le Guay avec Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain, Carmen Maura, Natalia Verbeke (Fr., 2011, 1 h 46)

Le coup de foudre entre un grand bourgeois et sa bonne dans la France rétro des sixties. Dans la famille Potiche, voici Les Femmes du 6e étage, c’est-à-dire les “bonnes” espagnoles, espèce en voie de disparition depuis la fin de Franco et le boom de l’immobilier parisien, qui a transformé les chambrettes sous les toits en appartements. Chez Genet, puis Chabrol, les bonnes tuent leurs maîtres. Chez Le Guay, les rapports de classe sont moins radicaux. Il faut dire que, contrairement à l’odieux chef d’entreprise de Potiche, le grand bourgeois incarné ici par Luchini est curieux des autres, peu autoritaire, ouvert, avec une dimension enfantine. Tombant sous le charme de sa nouvelle soubrette, M. Joubert découvre l’univers simple et vibrant du 6e étage, phalanstère hispanopopulaire qui lui révèle aussi, au sens chimique du terme, l’ennui mortel de son existence et de son milieu. Un peu comme si la France amidonnée pré-68 était soudain mise en couleurs par un film d’Almodóvar. Finement écrite, tranquillement menée, décrivant avec exactitude le milieu des immigrées espagnoles et la bourgeoisie de l’ère gaulliste, cette fable est surtout excellemment jouée. De Carmen Maura à Natalia Verbeke, les Espagnoles sont toutes parfaites. Au diapason de son personnage, Luchini est à son meilleur, c’est-à-dire en retenue. Quant à la remarquable Sandrine Kiberlain, elle finit par rendre touchante une grande bourge antipathique. On pourrait certes objecter que Le Guay est mollasson sur le sujet de la différence de classe ou de l’immigration en regard de l’âpreté de notre époque. On y voit plutôt l’élégance d’un moraliste : brocarder la bourgeoisie étriquée et morbide, oui, mais en douceur, par la comédie, en préférant l’aquarelle humaine à l’idéologie lourde, et sans exclure la possible mixité sociale. Serge Kaganski

Un thriller d’action qui veut faire riche mais paraît bien misérable. On sent poindre une espèce de gêne hypocrite dans Largo Winch II. Non pas la gêne d’avoir à mettre en scène un beau multimilliardaire sans aucun défaut et à qui tout réussit. Mais celle d’avoir à le faire en pleine crise. Pour y remédier, le film se fait fort d‘éloigner notre héros de sa base (il part vivre dans un village en Birmanie) et, tour de force scénaristique fabuleux, transforme ce vilain fils de capitaliste en un communiste fervent, léguant les 50 milliards de la vente de son entreprise à une fondation humanitaire. Au menu : filmage nouveau riche (multiplication des angles à n’en plus finir), jeu froid et vide de Tomer Sisley (trop occupé à se concentrer sur son accent anglais), caution US (Sharon Stone), étirement du récit (deux heures, parce qu’on a des choses à dire), bagarres sans idées, explosions rasoir. Ce n’est même plus un film, c’est un cahier des charges. Thomas Pietrois-Chabassier

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La Petite Chambre de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond avec Michel Bouquet (Sui., Lux., 2010, 1 h 27)

Jewish Connection de Kevin Asch avec Jesse Eisenberg (E.-U., 2010, 1 h 29)

L’émancipation d’un jeune Juif par le trafic d’ecstasy. Passionnant Jesse Eisenberg. Jesse Eisenberg/Michael Cera : deux spécimens doués, catégorie “ados crevettes à fleur de peau”, que les spectateurs ont tendance à confondre. Pour faire la différence, il faut les observer quand ils penchent du côté obscur dans leur emploi fétiche d’outsider aux prises avec le monde. Dans le bien nommé Be Bad!, Cera reste bon enfant. Tandis qu’Eisenberg, aussi bon geek, sait depuis L’Empire contre-attaque que la peur mène à la colère, du genre qui pousse à l’irréparable. C’est le cas dans Jewish Connection, où il incarne Sam, un jeune Juif hassidique dans le Brooklyn de la fin des années 90. Las de la pression de la famille, d’un futur mariage arrangé, il s’émancipe financièrement et personnellement dans le trafic d’ecstasy. Il trompe les douaniers lors de ses allers-retours New York-Amsterdam via son camouflage zélé et cliché (papillotes, costume noir austère). Le pitch peut faire sourire ; il amuse davantage lorsque l’on sait qu’il est tiré d’un fait divers, et que le personnage d’Eisenberg a entraîné d’autres coreligionnaires dans l’illégalité. De là, on pourrait imaginer ce que deux cinéastes US obsédés par la loi du père dans une communauté ritualisée auraient pu en tirer : James Gray et Sidney Lumet. Jewish Connection n’a ni le tragique romanesque de Gray, ni la science de l’anatomie criminelle de Lumet. Il déroule proprement son programme de film Sundance, avec sujet “audacieux” et lumière hivernale, dedans comme dehors. La tentation et la chute de Sam sont linéaires, et l’on s’attache plus aux bas-côtés, aux détails de la vie de la communauté juive hassidique, qu’à sa trajectoire. Reprenons donc ce qui sépare Eisenberg de Cera – directeurs de casting, prenez des notes. Michael Cera saura toujours s’en tirer (ses vies multiples de jeu vidéo dans Scott Pilgrim). Eisenberg est vite condamné par ses choix. Mais même en train de sombrer, rejeté par les siens, il serre les dents, comme ici. L’obstination y est joliment, admirablement indiscernable de l’inquiétude dans son regard. Léo Soesanto

Le vieil homme et l’infirmière. Bouquet domine un film sans relief. La relation douce-amère d’une infirmière (trop) dévouée et de son patient, un homme revêche qui considère sa vieillesse comme un naufrage. D’une certaine façon, le film a du charme en jouant habilement sur la corde sensible, notamment lorsque s’amorce un dégel relatif de la gangue d’hostilité dans laquelle s’enferme le vieillard. Même si on a déjà vu ça souvent (y compris dans un film américain récent, le plus intense Goodbye Solo), Michel Bouquet parvient à offrir des nuances intéressantes au personnage. Ce qui est énervant, c’est que les réalisatrices se cantonnent à l’intemporalité et à une certaine indifférence géographique, se  privent de la richesse de l’accent et des expressions helvétiques, étrangères aux comédiens français parachutés en Helvétie, dont la notoriété a dû faciliter la production. La Suisse n’est réellement convoquée que pour une tragique séquence de montagne qui aurait pu clore le film en beauté. Mais là aussi, on a refusé de déplaire et préféré finir sur un mode optimiste. Vincent Ostria

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All Flowers in Time (avec Chloë Sevigny)

le retour de l’ami Caouette

Presque disparu de la circulation depuis son génial Tarnation, Jonathan Caouette présente depuis quelques mois son nouveau film, All Flowers in Time, en festival. Un court métrage barré et onirique dont le réalisateur nous explique la genèse.

J  

onathan Caouette était donc devenu muet. Ou peut-être son très beau Tarnation n’était-il qu’une sensation de festival (2004 : Sundance, Cannes…). L’autobiographie filmée

d’un auteur à la carrière aussi éphémère que sa naissance fut longue, douloureuse (vingt ans pour réaliser son premier film). On avait même fini par oublier le nom de ce petit génie texan, retourné dans les limbes de l’underground

avec quelques vidéos expérimentales, un documentaire (Jonathan Caouette as a Film Maker) et un montage d’images musicales pour le festival de Camber Sands (All Tomorrow’s Parties). Jusqu’à ces derniers mois, où circulait sur

internet un étrange teaser rouge sang qui annonçait le “grand” retour (mais au format court métrage) du réalisateur, avec l’énigmatique All Flowers in Time. Impressions confirmées au dernier festival de Sundance, où avait été sélectionné le film (avant Clermont-Ferrand) : Jonathan Caouette n’a rien perdu de sa bizarrerie et de son désir de cinéma. Il évoque un “trou noir” pour justifier sa longue absence des plateaux, un effet page blanche contre lequel a buté son imaginaire baroque. “Je ne trouvais pas la formule pour revenir au cinéma après Tarnation, plus aucune idée qui m’aurait donné envie de refaire un film”, expliquet-il. C’est que le jeune réalisateur avait déjà tout dit, tout montré, dans ce premier film qui mettait en scène plus de vingt ans de sa vie. Au-delà de l’ego-trip futile ou du testament live façon Hervé Guilbert, il inventait avec Tarnation une nouvelle forme d’autofiction, plus proche de l’autopsychanalyse, transformée en geste artistique dans un collage expérimental d’images intimes. Une manière – aussi impudique que salvatrice – de solder un passé familial terrible, de dévoiler ses secrets les plus refoulés (la maladie de sa mère, surtout). “Je suis allé très loin avec ce film, mais ce sont les mois de promotion de Tarnation qui ont été le plus éprouvants, se souvient Jonathan Caouette. Je devais parler du sujet du film (c’est-à-dire moi) devant la presse – une forme de thérapie forcée et en public. C’était très bizarre et constructif en même temps.” Pendant près de six ans, il ne retiendra aucune des propositions que lui envoient les studios américains : jamais assez de “contrôle” sur les projets, et “toujours ce sentiment de devoir réaliser un film sur commande”. Jusqu’à sa rencontre avec

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Jonathan Caouette n’a rien perdu de sa bizarrerie et de son désir de cinéma téléspectateurs, et un vieux cow-boy complice de cette entreprise diabolique. Au milieu de ce grand cauchemar éveillé, articulé dans un montage hypnotique et secret, surgissent quelques souvenirs du réalisateur : le cow-boy est incarné par son grand-père, figure ambiguë et effrayante de Tarnation, et l’enfant victime du signal télévisé est joué par son fils. “Je pense que je voulais réaliser un film autour de mes rêves et de mes cauchemars, une sorte de cadavre exquis des images qui me hantent, explique Jonathan Caouette. Je voulais aussi tenter une nouvelle manière de cinéma, qui m’était totalement étrangère avant : mêler une structure quasi narrative, avec des acteurs,

à une forme expérimentale.” Soit un “cinéma-poverté” comme défini par son auteur, qui convoque quelques grands maîtres rêveurs (“Lynch, Jodorowsky, Kubrick, Hitchcock”) dans un trip psyché et inquiétant. All Flowers in Time n’est certes qu’un court métrage (même si la rumeur annonce sa conversion au long) mais il confirme bien l’importance de Jonathan Caouette à la marge du cinéma indépendant US. Et annonce surtout d’autres films à venir : “Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai de nombreux projets en préparation, indique le réalisateur. J’ai réglé tous les problèmes qui me bloquaient jusque-là, et je reviens dans le jeu du cinéma.” Romain Blondeau

Chris Makos

le collectif d’artistes de Montréal, The Phi Group, responsable du dernier projet de Denis Villeneuve (Incendies), avec qui il retrouve l’envie de tourner. Jonathan Caouette devait encore résoudre une inconnue : par quelle voie pouvait-il donc revenir au cinéma, quand la fiction et le documentaire ont déjà été explorés, confondus ? S’il semble s’engager du côté de la fiction, et même de la science-fiction, Jonathan Caouette n’a pas vraiment tranché dans All Flowers in Time, croisant un récit très Quatrième Dimension avec – encore – un matériau autobiographique. On y découvre une jeune femme aux yeux rouges (Chloë Sevigny, toujours aussi Kids) qui se transforme en monstre ; un enfant en proie à des troubles de l’identité ; un mystérieux signal émis par une émission de télévision qui s’empare de l’âme des

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Falbalas de Jacques Becker avec Raymond Rouleau, Micheline Presle (Fr., 1945, 1 h 51)

Le Retour de Frank James de Fritz Lang Un des rares westerns de Fritz Lang, d’une maîtrise impressionnante. Le film S’il fallait désigner le plus grand metteur en scène de l’histoire du cinéma, nul doute que le nom de Fritz Lang (1890-1976) viendrait automatiquement à l’esprit. En revanche, Le Retour de Frank James ne figure pas au panthéon des classiques du cinéaste allemand. Il s’agit pourtant d’un film génial, la démonstration que Fritz Lang, rapidement tombé de son piédestal en arrivant aux Etats-Unis, est parvenu à ciseler une série de films parfaits à Hollywood malgré les contraintes des studios et des petits budgets, transformant des films de genre très populaires en réflexions personnelles. En 1939, Le Brigand bien-aimé d’Henry King, biographie romancée de Jesse James (interprété par Tyrone Power), remporte un très grand succès. Un an plus tard, la Fox décide d’en produire la suite, dans laquelle Henry Fonda, qui jouait déjà Frank dans le film de King, part à la poursuite des frères Ford, lâches assassins de son frère Jesse. Cette entreprise purement mercantile, et ignorant la vérité historique (Frank James ne fut en rien responsable de la mort des frères Ford), entend profiter de la popularité du film de King et d’Henry Fonda. Lang, qui a déjà signé trois films à Hollywood, accepte la commande avec humilité. C’est l’occasion pour lui, qui a soif d’intégration, de se confronter au western, le genre américain par

excellence, qu’il compare aux mythes et aux sagas germaniques qu’il avait illustrés dans ses films muets. Il y a toujours quelque chose d’intimidant, parce que supérieur, dans la maîtrise du cinéma de Fritz Lang. Le Retour de Frank James ne déroge pas à la règle, avec son utilisation impressionnante de la couleur (pour la première fois dans la filmographie de Lang), sa gestion de l’espace et le déroulement implacable de son récit. Le cinéma de Lang, à la composition et à la rigueur architecturales, est marqué par la notion très germanique du destin, et surtout du combat de l’homme contre sa destinée. Cette thématique est au cœur de films tels que Les Trois Lumières, Les Nibelungen, mais aussi de ses films américains. Lang, également obsédé par le thème de la vengeance (tant individuelle que collective – voir M le maudit ou Furie), prend donc ce “petit” western très au sérieux. La vengeance et son impossibilité ontologique continueront de passionner Lang, qui leur consacrera deux autres chefs-d’œuvre dans les années 50, L’Ange des maudits et Règlement de comptes. Le DVD Commentaires de Bertrand Tavernier et Patrick Brion. Olivier Père

Un très beau film d’amour fou dans le milieu de la haute couture. Le film Peut-on aimer l’image d’une femme avant même de connaître la femme ? Et si la femme réelle n’était que la copie de la statue qui la représente ? C’est l’imaginaire de Falbalas, troisième long métrage de Jacques Becker et exploration très fine et toute en mesure d’une passion pourtant démesurée. Raymond Rouleau y interprète un couturier en vogue (Christian Dior avant l’heure) qui tombe amoureux d’une jeune femme (Micheline Presle) parce qu’elle ressemble au mannequin de cire sur lequel il crée ses modèles. Le film a beaucoup essaimé. On en trouve la trace dans la passion mortifère du Scottie de Vertigo. On en devine l’influence dans certains Truffaut : la statue antique exhumée des entrailles de la terre dans Jules et Jim semble reproduire le visage de Jeanne Moreau ; ou encore la passion malade de Julien Davenne dans La Chambre verte. Le DVD Une revue de presse de l’époque, des essais de comédiens, une table ronde de critiques et une interview de Micheline Presle fourmillant d’anecdotes sur le tournage durant les derniers jours de l’Occupation. Jean-Marc Lalanne Studio Canal, environ 11 €

Le Retour de Frank James de Fritz Lang, avec Henry Fonda, Gene Tierney (E.-U., 1940, 1 h 32), Sidonis, environ 17 €

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Françoise Lebrun dans Maniquerville (2009)

profil cinéaste-paysan Installé sur place, Pierre Creton filme avec inspiration le pays de Caux. Les films Contrairement à ses amis partis en “conservateurs” du paysage : Paysage à Paris, Pierre Creton reste en pays imposé. Durant le tournage, le cinéaste de Caux après les beaux-arts au Havre, passe devant un centre de gérontologie préférant choisir où vivre avant de placer dans le parc d’un château. Parce qu’il est sa caméra. La beauté de son cinéma fasciné depuis l’enfance par ce lieu tient dans cette réconciliation : travailler où on peut “vieillir et mourir dans les arbres”, où il filme et filmer où il vit. Pierre Creton l’idée d’une trilogie lui apparaît. réalise Secteur 545 chez des éleveurs, Ainsi, la Trilogie en pays de Caux arpente avec un double statut : peseur de lait un cycle de vie : la jeunesse, la maturité et cinéaste. Plus tard, il soumet un projet et la vieillesse. Paysage imposé questionne à un lycée agricole sur l’enseignement l’adolescence et son rapport au paysage. de la reconversion des agriculteurs Entre angoisse et ravissement, le film fait

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onduler les frontières entre historique et quotidien, féerie et prosaïsme. Secteur 545 confronte avec douceur les univers ouvrier et artistique : la traite des vaches au quotidien et la pose d’un modèle pour une sculptrice. Les tâches a priori opposées s’harmonisent dans un même élan : être un cinéaste-paysan. Dans Maniquerville, Françoise Lebrun se rend dans une maison de retraite médicalisée pour faire des lectures de Proust. La tendresse n’ôte jamais la sécheresse du lieu où évoluent les résidents : la fatigue pèse et la mort rôde autour de leurs souvenirs brûlés. Avec un dispositif minimal (équipe réduite, DV), Pierre Creton réussit à placer sur la même verticalité temps du travail et temps de l’art. Sa caméra est un crayon noir et le montage une gomme donnant des effets d’estompe. La trilogie est sans cesse travaillée par des motifs récurrents : les cours, la traite ou les lectures. Ce mécanisme de répétition cristallise la patience du cinéaste : une envie de laisser faire, de regarder le temps dans le blanc des yeux. Les DVD Sous forme de carnet intime, un livret riche dévoile les influences de Pierre Creton et retrace la genèse de sa trilogie. Arnaud Hallet Trilogie en pays de Caux Secteur 545 (2004), Paysage imposé (2006), Maniquerville (2009) de Pierre Creton, Capricci, environ 35 €

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fear factory Voyage au centre de la peur. Irrespirable, Dead Space 2 prend un malin plaisir à déterrer nos pires phobies.

à venir Kirby voit double Alors que Kirby – Au fil de l’aventure ne paraîtra en Europe qu’à la fin de la semaine prochaine, Nintendo a déjà annoncé un nouvel épisode, pour l’heure dépourvu de titre. Ces aventures du glouton rose sortiront au Japon cette année. L’éditeur a également révélé que deux autres jeux Wii étaient presque terminés : Zelda – Skyward Sword et un certain Pandora’s Tower sur lequel aucun détail n’a été dévoilé.

a y est : on tient le premier grand jeu de 2011. Mais pour en profiter, il faudra avoir le cœur bien accroché. Suite d’un représentant déjà déterminant du genre survival horror (où, comme le nom l’indique, il s’agit de survivre à un environnement hostile), Dead Space 2 lâche le joueur dans un monde futuriste particulièrement oppressant, lui confiant le rôle d’un certain Isaac Clarke. Dans le premier épisode, cet ingénieur nullement préparé aux rencontres qui l’attendaient découvrait ce qui était arrivé à l’équipage d’un vaisseau avec lequel le contact avait été rompu. Dans cette suite, qui se déroule trois ans plus tard, notre homme se réveille d’un long coma et ne va pas tarder à comprendre que l’épidémie monstrueuse a gagné la station spatiale sur laquelle il a été soigné. Dead Space 2 est un jeu d’action. Lourdement armé, le joueur y affronte tout un tas de créatures répugnantes bien décidées à se jeter sur lui. Mais si sa structure l’apparente à un parc d’attractions cauchemardesques et soigneusement conçues, le jeu adopte un rythme volontairement haché. Le doute est

permanent : quand et comment ladite action va-t-elle s’imposer à nous ? les monstres surgiront-ils dans notre dos ? d’où vient ce sinistre grognement ? osera-t-on ouvrir cette porte derrière laquelle se cache peut-être quelque chose de terrifiant ? Plus que le choc de la confrontation (avec une bestiole mutante ou une vision née dans l’esprit malade de notre personnage), c’est l’incertitude qui provoque l’angoisse. Cette dernière est intimement liée aux endroits visités, tantôt délibérément neutres (un couloir sombre, un conduit d’aération scandaleusement étroit), tantôt furieusement évocateurs (une chambre d’enfant, une station de métro). Un peu comme dans BioShock, le joueur ramasse en passant des éléments qui lui révèlent peu à peu comment les choses ont mal tourné. Ces lieux ont une histoire à nous raconter, dans laquelle il sera entre autres question des troubles agissements d’une secte. Mais c’est encore par son côté pesant, sa manière de susciter une inquiétude presque physique en jouant sur tous les registres de la peur que Dead Space 2 impressionne le plus, confrontant subtilement le joueur à ses phobies. S’il opte pour la version PS3, ce dernier aura droit en bonus à un remake de l’épisode dérivé Dead Space Extraction, paru à l’origine sur Wii et tout aussi recommandé. Erwan Higuinen Dead Space 2 sur PS3, Xbox 360 et PC (Visceral Games/EA, de 50 à 70 €)

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va y avoir du fun Fantaisie sportive frénétique au pays de Mario. Très amusant. ario Sports Mix convaincant semble bondissent à des hauteurs peut surprendre. presque traditionnel improbables, se jettent D’abord par à l’époque de Kinect des peaux de banane, l’identité de ses et du PlayStation Move. slaloment entre les concepteurs, Square Enix Les dernières fois que fantômes qui envahissent étant plutôt connu pour l’on avait pratiqué le volley brusquement le terrain les jeux de rôle Final Fantasy sur console, c’était de basket. et Dragon Quest. Ensuite, debout et en s’agitant Pensé pour se jouer alors que les simulations généreusement. à plusieurs (à domicile ou sportives modernes optent Rien de tel ici : retour via internet), Mario Sports soit pour une large variété à la position assise. Mix est mû par une vision d’épreuves façon Sorte de jeu centriste, ouvertement fantasmatique Jeux olympiques, soit Mario Sports Mix semble du sport, née moins au pour la célébration pointue viser le juste milieu, cœur des stades ou devant d’une discipline unique, ne se voulant ni trop dur la télé que dans les jeux Mario Sports Mix nous invite à prendre en main, ni trop aux règles changeantes à pratiquer quatre sports, vite épuisé et mobilisant et aux parties sans cesse ni plus ni moins : basket, le corps mais sans trop recommencées des cours volley, hockey et dodgeball, le fatiguer. Ce serait un peu de récréation. On a connu plus connu chez nous triste si, dans la longue pire source d’inspiration. E. H. sous le nom de balle aux lignée des jeux sportifs prisonniers. S’il fait (bon) Mario (Kart, Tennis, Golf…), usage des fonctionnalités il n’optait pas pour Mario Sports Mix sur Wii de la manette Wii, une action aussi frénétique (Square Enix/Nintendo, environ 5 0 €) son gameplay globalement – les personnages

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Wispin Sur iPhone et iPod Touch (Grumpyface Studios, 0,79 €) Des vagues d’ennemis se succèdent. La routine, quoi… Sauf que, pour les vaincre, le héros très cartoon de Wispin doit arborer la même couleur qu’eux. Au joueur, donc, de le faire passer en un éclair du rouge au vert ou au bleu tout en gérant ses déplacements. Avec, à la clé, une petite gymnastique mentale tout à fait vivifiante.

IG Magazine #12 268 pages, 8,50 € Tous les deux mois, IG Magazine propose un florilège d’articles d’actualité, d’interviews et de dossiers. Kirby, Gran Turismo, Total War et l’histoire du jeu de pêche sont, entre autres, au menu du passionnant numéro 12 d’une revue qui gagnerait sans doute à approfondir davantage certains sujets, quitte à en aborder moins. 16.02.2011 les inrockuptibles 83

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l’amour du Rhys Leader cramé des furieux Super Furry Animals, Gruff Rhys est aussi un délicat génie pop : la preuve avec son splendide, ouaté et luxueux deuxième album solo.

 O Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

n préfère ne pas savoir ce qui est passé par les poumons, les narines, les veines de Gruff Rhys – tout accumulé, le Gallois a sans doute connu la vie chimique d’un punk de 193 ans. De mémoire de journaliste, jamais une interview ne nous avait paru plus surréaliste. Recroquevillé sur sa chaise et tête basse comme un gamin qu’on engueule, avec son pull scandinave aux improbables couleurs, ses petits yeux d’écureuil qu’il ne relève, sourire timide, que pour vérifier qu’on est encore là, il parle avec la lenteur et les heurts d’un vieil homme. Il grimace douloureusement quand il bloque sur un mot ou dès qu’une

phrase doit dépasser les dix mots. Il se paume dans ses réponses, doit tourner sept cents fois ses neurones dans son cervelet avant de sortir un bout de phrase un poil cohérent. “Concrètement, notre dernière tournée avec les Super Furry Animals aux Etats-Unis est allée assez loin, explique, en morceaux, le chanteur. Notre guitariste a quand même terminé avec une double pneumonie et une pleurésie. Et moi je toussais du sang. Après quatorze ans de tournée, il faut se poser des questions sur la manière dont on vit… Il y a des limites à l’hédonisme.” Le garçon est donc, assez visiblement, cramé. Ce qui n’empêche pas ses réponses d’être passionnantes.

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on connaît la chanson

Lynch-music

Mark James

David Lynch fait de la musique moins intéressante que celle influencée par David Lynch.

Ni le personnage d’être un génie – on pèse notre mot. Car Gruff Rhys est le leader des Super Furry Animals, groupe majeur et enfants terribles de la pop britannique. Car Gruff Rhys est la moitié, avec Boom Bip, de Neon Neon, l’un des plus excitants projets electro-pop des dix dernières années. Car Gruff Rhys est un homme incroyablement prolixe, jamais au repos, prêt à aller partout où son cerveau maboul le mène – chez Gorillaz comme sur son foldingo documentaire Separado!, road-movie musical, familial et sciencefictionnel en Patagonie. Et surtout parce que Gruff Rhys, en plus d’être doté de cette inimitable voix de velours râpé, est sans doute l’un des mélodistes les plus doués

un homme incroyablement prolixe, prêt à aller partout où son cerveau maboul le mène

de sa génération. Loin des délires psychiatriques des Super Furry Animals, son magnifique et increvable album de pop en dentelles sucrées, Candylion (2007), en avait fait la radieuse démonstration. Pour une performance, Rhys avait fabriqué son propre petit hôtel surréaliste, avec les centaines de savons et accessoires volés depuis une décennie et demie dans les chambres visitées. Le nouvel album sera donc conceptuel : il s’appelle Hotel Shampoo, affine encore l’art du bonhomme et tourne une longue page patachonne de son existence. “Cet album est, dans ses thèmes, biographique ; je ne pense pas avoir jamais à ce point exploré mon propre passé. Me débarrasser de tous ces trucs, comme me débarrasser de toutes ces chansons personnelles, est un soulagement. Comme le retour à une année zéro. Hotel Shampoo est le document des quinze dernières années, quelque chose ressemblant à un boom économique suivi d’un krach, où l’on se rend compte de l’espèce d’hallucination absolue qu’on a traversée. C’est la rigueur après la frivolité. La perpétuation des clichés rock’n’roll ne m’intéresse pas. Les bons concerts et les bons disques, si. J’avais envie de fragilité : je suis heureux d’essayer d’être sensible.” Et nous, béats d’admiration pour les merveilles colorées que le garçon, cramé ou pas, réussit à extraire de son cortex noueux. Hotel Shampoo porte bien son nom : plus abouti, plus plein encore que Candylion, il mousse à grand volume en mélodies légères. Davantage qu’un hôtel, c’est d’ailleurs un palace : le confort des chansons est princier, le moelleux de chaque refrain se déguste comme un mets fin, on se love dans cette voix en cascades ouateuses. La crise intime a donc du bon : rarement on avait croisé krach aussi gracieux. Thomas Burgel

Combien sont David Lynch, qui mènent de front tant de projets ? Comment peut-on être à la fois stakhanoviste et adepte de la méditation, contemplatif et frénétique ? Entre deux films, une publicité, un tweet déroutant, une animation pour le net, une publicité ou une conférence, on le retrouvera bientôt à Paris en maître d’œuvre d’un nouveau club, dont il a pensé l’espace. On connaît bien sûr sa passion chevillée aux neurones pour la musique. On l’avait vu, pour un concert-performance d’une vingtaine de minutes qui avait agacé, consterné ou amusé une assistance religieuse à l’Olympia, lors du Festival des Inrocks de 2002. Plus récemment, il s’était glissé, fantôme inquiétant, comme graphiste, vocaliste et photographe du très bel objet Dark Night of the Soul, album collectif mené par Danger Mouse et le regretté Mark Linkous de Sparklehorse. Son nom est même devenu un adjectif très couru dans la critique musicale. Par musique lynchienne, on entend des chansons à la fois voluptueuses et dangereuses, murmurées et assourdissantes d’angoisse. Portishead : lynchien. Bat For Lashes : lynchien. Chairlift : lynchien. En souvenir sans doute de la musique de Twin Peaks, susurrée par la spectrale Julee Cruise sur les nappes glissantes et toxiques d’Angelo Badalamenti, le label “lynchien” s’attache surtout aux femmes, pourvu qu’il y ait de l’éther et du mystère dans l’air. C’est donc logiquement sous influence Laurie Anderson qu’on retrouve aujourd’hui David Lynch, le temps d’un single de dance-music onirique, Good Day Today. Un single tellement gaillard et normal (il a travaillé avec le roué Moby) qu’on hésitera à le décrire comme, hum, lynchien. Un terme qui va sans doute mieux à la “b-side”, I Know, pantelante et déglinguée comme une flânerie de Tom Waits sur Mulholland Drive. Lynchien : perdu et sans collier. www.davidlynch.com

Album Hotel Shampoo (Ovni/Pias) www.gruffrhys.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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seize ans de Foo Fighters filmés Deux mois avant la sortie d’un nouvel album qui s’annonce musclé, la bande du chevelu Dave Grohl dévoilera bientôt un documentaire retraçant son histoire depuis 1994. Réalisé par l’oscarisé James Moll, le film sera projeté en avantpremière mi-mars au festival texan South by Southwest, et sortira en DVD au cours de l’année.

la fin de The Go! Team ? Après LCD Soundsystem et les White Stripes, c’est au tour du groupe de Brighton de prendre la tangente en annonçant sa possible séparation. Alors que le troisième album de The Go! Team vient à peine d’arriver dans les bacs, leur leader, Ian Parton, a déclaré à la radio BBC 6 que “cet album pourrait bien être le dernier, tout comme cette tournée”.

un Arctic Monkeys en solo et en BO

cette semaine

Le groupe de Johnny Borrell s’arrête cette semaine en France pour présenter son nouveau line-up et ses derniers morceaux lors d’un concert surprise à la Flèche d’Or. Le 22 février à Paris

TV On The Radio au printemps Après trois ans de silence, le bouillonnant quintet de Brooklyn livrera un nouvel album en avril sur le label Because. Intitulé Nine Types of Lights, le quatrième effort de TV On The Radio succédera au groovy et expérimental Dear Science, paru en 2008.

Guy Aroch

Razorlight surprise

neuf

Terry Hall Grouplove

Concorde Sur les scènes des festivals ou le tracklisting de compilations, Vampire Weekend a régulièrement croisé Phoenix. De ces rencontres, le groupe français Concorde a fait une affaire personnelle, empruntant la frénésie rieuse des uns et le sens pop royal des autres sur un Candy Boy particulièrement séduisant. www.withconcorde.com

En studio à Los Angeles pour peaufiner le quatrième album des Arctic Monkeys, Alex Turner fera ses premiers pas en solo le 14 mars avec la sortie du maxi Submarine. Composé pour le premier long métrage du même nom du réalisateur Richard Ayoade, à l’origine du DVD live des Monkeys, l’ep comportera six titres composés à la guitare acoustique et au piano, et marque une nouvelle collaboration entre Turner et James Ford, producteur des deux derniers disques du groupe de Sheffield.

On verra prochainement ces Californiens mixtes lors d’une soirée Custom en compagnie d’Alex Winston : deux grands espoirs de la pop américaine à la même affiche ! Option plus électrique et lyrique pour Grouplove qui, comme les Pixies, teste l’élasticité de la pop-music dans des chansons aux dynamiques extravagantes. myspace.com/groupmusic

The Feelies Héros absolus d’un rock crispé, nerveux et épileptique, dont on entend aujourd’hui encore les échos, de Yo La Tengo aux Strokes, les vétérans du New Jersey, venus à la musique dans la foulée du punk, se reforment en 2011. On peut même déjà écouter un nouveau titre, avant une tournée qu’on espère européenne. myspace.com/thefeelies

Le bougon et bouleversant chanteur des Specials a été plus qu’actif ces dernières années, reformant son groupe de légende ou collaborant avec Damon Albarn. On le retrouve avec Marina Céleste, ancienne chanteuse de Nouvelle Vague : ils partagent une reprise imparable du Beds Are Burning de Midnight Oil. www.marinaceleste.fr

vintage

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Les Tshetsha Boys, maîtres du shangaan

la danse des parias La fièvre et la débauche des clubs africains, où l’electro s’invente chaque jour de nouvelles danses, racontées dans deux compilations fantastiques. Paris aussi est en feu.



ans les boîtes africaines, c’est à qui invente sa chorégraphie. L’année passée, on a noté un certain engouement autour du “Guantánamo” (on fait semblant d’avoir les mains menottées) et une nette poussée de fièvre pour la “grippe aviaire” (on bat frénétiquement des ailes). Toujours très populaire dans les soirées, reste la “caméra” – il faut tourner une manivelle imaginaire en regardant son ou sa partenaire. Voilà qui plaît beaucoup. Surtout lors d’un premier contact. Le “Zidane” (on fait mine de donner un coup de boule) a fait rage voici quatre ans avant son interdiction. Trop éméchés, certains danseurs avaient du mal à retenir leur geste. Les goûts évoluent vite dans ce milieu. Comme pour la musique, où un son en chasse un autre, ici

à Paris, on vous propose des rendez-vous “coupé-décalé” dans des lieux clandestins

un gimmick remplace un autre gimmick. Ce qui demeure, c’est qu’aujourd’hui la dance et l’electro africaines se limitent de moins en moins à leurs milieux d’origine. En région parisienne, on voit désormais régulièrement des affiches annonçant des soirées “100 % kuduro”, du nom de cet hyper rythme qui dézingue en Angola et à Lisbonne. Ou bien on vous propose des rendez-vous “coupé-décalé” dans des lieux clandestins où règnent des DJ aux surnoms accrocheurs, tel le venimeux Serpent Noir échappé d’Abidjan. Serpent Noir figure avec dix-sept autres invités sur la compilation The Sound of Club Secousse Vol. 1 réalisée par Etienne Tron. Ce Français, membre du duo de producteurs Radioclit et du groupe The Very Best, y a rassemblé quelques-unes des nouvelles tendances qui aident au “travaillement” des corps dans les clubs de Kinshasa, de Luanda, de Londres ou de Pantin. Soukous, coupé-décalé, kuduro mais

aussi bubu music de Sierra Leone, funana du Cap-Vert et shangaan d’Afrique du Sud. Un premier cocktail explosif. Etienne entend faire de Secousse un label dédié à la promotion des musiques du ghetto et contribuer ainsi à leur développement durable. Certains titres sont assez anciens, comme Eki Bis par l’empereur du soukous congolais Lutchiana et Petit pompier des impayables mousquetaires du zouglou ivoirien, Magic System. D’autres sont plus récents. C’est le cas du morceau des Tshetsha Boys produit par Nozinja, à l’origine du shangaan, cette electro minimaliste qui a remplacé le kwaito en Afrique du Sud. Le label anglais Honest Jon’s Records vient de rassembler quelques titres emblématiques du shangaan. Tous sont produits par le même Nozinja, surnommé Dog, qui officie dans un homestudio jouxtant sa cuisine à Soweto. Sur le net, vous trouverez cette vidéo des Tshetsha Boys. Vêtu de

salopettes rouges, coiffé de perruques bleues, le visage masqué, ce gang des postiches s’adonne à des danses autant simiesques que stylisées sur un rythme ultratrépidant (180 bpm), sur lequel se déplient des chants zoulous et une ligne mélodique gringalette au Casio. L’un semble faire “l’excavatrice” : il creuse le sol avec ses bras. Un autre “le Singer” : il tricote frénétiquement des guiboles. C’est la danse des parias. Le rigodon des taudis. Et une revanche. Depuis qu’il a lancé le shangaan, Dog roule dans Soweto au volant d’une Mercedes flambant neuve. Lui aussi vient d’inventer sa propre danse : “le tiroircaisse”. Francis Dordor various artists The Sound of Club Secousse Vol. 1 (Crammed Discs) www.crammed.be En écoute sur lesinrocks.com avec various artists Shangaan Electro (Honest Jon’s Records/Modulor) www.honestjons.com 16.02.2011 les inrockuptibles 87

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Jeremy Cowart

en route pour la joie Mêlant shoegazing et sauvagerie grunge, les Gallois de The Joy Formidable déballent un premier album fougueux. En tournée française cette semaine.



ympans sensibles et oreilles fragiles, 2011 pourrait bien vous achever. Il y a quelques semaines, on découvrait le rock noir, sale et maléfique de Salem, puis on retrouvait celui de Earth. La révolution sonore continue avec les Gallois de The Joy Formidable, qui adorent escalader et sagouiner le mur du son. Réhabilitant il y a deux ans le shoegazing et la noisy-pop avec le mini-album A Balloon Called Moaning, le groupe présente en ce début d’année The Big Roar, un disque qui porte bien son nom. Traduction de “pororoca”, en langue tupi-guarani, le “big roar” est un phénomène naturel visible chaque année sur le fleuve Amazone : lorsque la rivière rencontre

“notre ambition : créer une musique sans contraintes, expérimentale, sans ego”

les eaux de l’Atlantique, une immense vague se crée pour déferler et remonter le fleuve sur quinze kilomètres. Dans la langue locale, le pororoca fait référence au bruit, fracassant, provoqué par cette vague que les surfeurs connaissent en Gironde sous le nom de mascaret. Parfaite image pour illustrer la férocité et la sauvagerie des douze morceaux de The Big Roar : chaque titre porte en lui une dimension épique et sauvage, et le disque tout entier semble avoir été enregistré dans un immense studio fait de murs d’amplis. “La vérité, pourtant, c’est qu’on a enregistré la majorité des chansons dans une petite chambre chez nous. On ne peut même pas appeler ça un studio. C’est juste un ordinateur dans un coin et quelques câbles qui traînent.”

Originaires du pays de Galles, la chanteuseguitariste Ritzy Bryan et le bassiste Rhydian Dafydd se rencontrent au sein d’un premier groupe, Tricky Nixon. “On a dû le dissoudre : un membre était un peu fou.” Les deux amis se concentrent alors sur un nouveau projet. “Notre ambition était de créer une musique sans contraintes, expérimentale, sans ego.” Dès 2008, les singles se succèdent (Austere, Cradle) et la presse britannique voit en The Joy Formidable la relève grunge des Breeders ou des Yeah Yeah Yeahs. Une première prestation à Paris, sur la scène de la Maroquinerie en 2009, annonce la couleur : les concerts, qui s’enchaînent pendant deux ans, seront explosifs. “On faisait constamment des tournées, on écrivait sur la route. The Big Roar a été composé ainsi, sur la durée, par petits

bouts.” Une fois son écriture achevée, le disque est envoyé aux Etats-Unis pour être confié au mixeur Rich Costey, producteur des Foo Fighters ou de Nine Inch Nails. Résultat : avec ses couplets épiques comme chipés chez Arcade Fire (A Heavy Abacus), ses structures complexes, ses accalmies (Maruyama) et sa production très nineties, The Big Roar est un disque fascinant, obsédant, capiteux. Dans la langue tupi-guarani, on a vérifié, bravo se dit “rogüerohory”. Francine Gorman & Johanna Seban Album The Big Roar (Atlantic/WEA) Concerts Inrocks Indie Club (avec The Dodoz, The Airborne Toxic Event et Divine Paiste) : le 16/2 à Rennes, le 17/2 à Lille, le 18/2 à Paris (Flèche d’Or), le 19/2 à Saint-Lô www.myspace.com/ thejoyformidable En écoute sur lesinrocks.com avec

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Botibol Born from a Shore Hiphipip/Anticraft

De Bordeaux, une pop illuminée à l’Américaine. “Né sur une rive”, affirme le titre, qui ne précise pas si c’est celle de la Gironde ou de l’Hudson. C’est dire si Botibol, bordelais, parle couramment et sans accent un idiome enchanté, inventé par Animal Collective et quelques autres illuminés de l’autre côté d’un peu d’eau. Admirablement chantées en polyphonies touffues, ces chansons ont ainsi grandi dans cette douce utopie hippie où chacun a laissé à l’entrée du camp les réglements de la pop, du folk ou de l’electronica. C’est donc d’un pas libre et léger que le Français clopine, parfois dans le plus simple appareil, souvent vêtu comme un prince d’Haight-Ashbury, mélange de soie et de haillons. Jusqu’à trouver sa propre cadence, sa petite ferveur sur les magnifiques Walk Slowly, We Were Foxes ou Friends, qui donnent envie de rejoindre la chorale, de chanter à tue-tête pompette et de “courir vers la mer”. JD Beauvallet www.myspace.com/botibol

Tapes ’N Tapes Outside Ibid/Differ-ant

Hercules & Love Affair Blue Songs Cooperative/Pias Après le tube Blind, Andy Butler poursuit cahin-caha son odyssée néodisco. “Just because you’re blind…” Il y a trois ans, ces mots répétés en boucle par Antony furent les plus beaux entendus sur une piste de danse depuis des lustres. En plein revival néodisco, Blind rappelait que le genre, loin de se limiter aux refrains hédonistes chantés par des barbus en casque de chantier, était depuis ses origines habité par une dimension tragique et existentielle. Le disco, ou l’endroit où l’on parle de soi, de son statut (minoritaire), de sa place dans le monde. Cet aspect extrêmement personnel, cet intime projeté aux yeux de tous, faisait de ce premier album d’Hercules & Love Affair un de ces disques que l’on tient fort contre soi. Blue Songs ne parvient pas à réitérer le petit miracle. Tout est là pourtant. Le concept décliné (ces blue songs), des interprètes de haute volée (dont Kele de Bloc Party), de plutôt bonnes chansons. Mais rien n’y fait. En dépit de quelques moments de grâce (dont l’éblouissante Painted Eyes, qui semble interprétée par Sylvester, vingt ans plus tard), l’album ne parvient pas à recréer cet équilibre fragile (entre rétro et futuriste, intime et dance-floor) qui le rendait si original. Trop souvent, ces Blue Songs donnent dans le revival house et disco : on y entend du Chic (Falling), du Grace Jones et pas assez d’Hercules. Dommage.

Ces anciens grands espoirs du rock US remplacent la grâce par le savoir-faire. Outside : résolument. Mais pas totalement hors cadre pour autant. C’est dans une marge certes, mais parfaitement délimitée, fléchée, qu’évolue la musique de ces Américains : l’indie-rock. Ces grands espoirs de 2005, qui n’ont jamais vraiment confirmé, y sont même tellement confortablement installés, citant ici les Pixies, là les Born Ruffians, ailleurs les jeunes Talking Heads, qu’ils en livrent une fois encore un genre de best-of, de guide pratique – “Le rock alternatif qui fait jouir Pitchfork pour les nuls”. Alors bien entendu, parce que le genre se veut tolérant, voire excentrique, ils y rajoutent des arrangements absurdes et très réussis, des envolées électriques tourneboulantes. C’est décoratif mais insuffisant. Virés par leur label XL, débarrassés d’un Dave Fridmann qui avait peinturluré leur album Walk It off comme une rombière baroque, ils tentent de retrouver la tension, la nervosité et la simplicité de leurs premiers pas. Mais la fougue, la foi semblent les avoir désertés : la jeunesse et l’innocence, en somme. JD Beauvallet www.myspace.com/ tapesntapes

Géraldine Sarratia www.myspace.com/herculesandloveaffair

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Julien Mignot

Têtes Raides

Ian McNeil

L’An demain tôt Ou tard/Wagram

Akron/Family The Cosmic Birth and Journey of Shinju TNT Dead Oceans/Differ-ant Dans le folk et le rock, ces Américains jouissent sans entraves. es rigolos théâtraux de The Polyphonic Spree aux incantations très inquiétantes de la Danielson Family, on a vu beaucoup de hippies ces dernières années dans le rock américain, psalmodiant à qui mieux mieux, les bras au ciel et la toge au vent. Cérémonies solsticiales grand-guignolesques pour les uns, messes noires flippantes pour les autres, on a ainsi hésité entre famille Adams et Manson Family. Chez Akron/Family, depuis leur envoûtant premier album de 2005, ça a toujours été messe en plein air, dans des bois hantés, sous un soleil de plomb. Animal et collectif, le folk l’a toujours été chez ce groupe aux rôles indéfinis, aux symphonies pastorales toujours sauvageonnes, intrépides, affranchies des formats. Ryan Vanderhoof, un des oufs de cette secte hagarde, n’est plus là depuis belle lurette (il a rejoint un temple bouddhiste), mais lui survit un psychédélisme épanoui, un esperanto toqué où jacassent fieldrecordings, electro et acid-rock. Peut-être plus dur, siphonné et âpre encore que ses prédécesseurs (Chris Koltay, producteur du free-rock possédé de Liars, Holy Fuck ou No Age, est aux manettes), The Cosmic Birth and Journey of Shinju TNT ne trompe pas avec sa pochette représentant un volcan vomissant : c’est un magma furieux, destructeur, toxique qui remodèle magnifiquement la géographie accidentée de ces agités du bocal, qui font passer Devendra Banhart pour Nicolas le jardinier : LSD contre verveine menthe.

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JD Beauvallet www.myspace.com/akronfamily

(Please) Don’t Blame Mexico

Dixième album et toujours le besoin de raconter à hauteur d’homme. Spontanément, on assurera que L’An demain est un album important. Christian Olivier, parolier, chanteur et gueule frontale de l’équipe, a recruté une section rythmique qui autorise punk-rock initial ou ska à la mode malienne. Des chansons définitivement de traverse y racontent à l’instinct la réalité : le disque s’achève par un texte, laissé anonymement sur le répondeur de l’émission de Daniel Mermet, qui dit les yeux de la rue et la peur des gens. Juste avant, on nous offre le portrait rayonnant de Gérard, mécanicien des âmes et des durites : les gens de peu montrent la voie de l’utopie. Aujourd’hui, le cirque rock des Têtes Raides, pas donneur de leçons mais d’émotions, est en ville : rejoignons la parade. C. L. Tournée dans toute la France, et les 14, 21 et 28 mars à Paris (Bataclan) www.tetesraides.fr

Concorde Sauvage Records La pop référencée et enjouée de Parisiens qui vendent du rêve. Michel Foucault (Saved My Life), Elephant Man… On porte ses références avec malice chez ce groupe qui a piqué son nom à une merveille de Prefab Sprout. Il aurait tout aussi bien pu l’emprunter à une chanson de XTC ou de Todd Rundgren, autres références parmi des centaines de cette pop lettrée et, logiquement, excentrique et un peu maniaque. Mais pas besoin d’avoir fait pop +7 pour se goinfrer de ces mélodies en serpentins, de danser comme un parfait réjoui sur ces refrains en cascades, à l’image de The Behinders, pièce montée que l’on dévale en toboggan, sourire au vent. JDB

Paul Collins King of Power Pop! Alive, en import Le roi de la mélodie power-pop californienne reprend son rang d’autorité. Après quelques parenthèses acoustiques plutôt dispensables, Paul Collins revient à ce qu’il sait faire de mieux : des mélodies pop lumineuses, aux guitares à la fois sucrées et serrées, de vraies chansons forcément nerveuses… Et effectivement, c’est à ses grandes heures, au cœur d’un passé au sein des Nerves ou du Paul Collins Beat, que ses présents Don’t Blame Your Troubles on Me ou C’mon Let’s Go puisent l’électricité éternelle d’une pop essentielle. Sa version induite de The Letter ne parle que de ça. Jean-Luc Manet www.myspace.com/paulcollinsbeat

www.myspace.com/ pleasedontblamemexico En écoute sur lesinrocks. com avec

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The Soft Boys

Daphné

A Can of Bees ; Underwater Moonlight

Bleu Venise V2/Polydor/Universal Daphné triomphe avec un album mélancolique et pourtant accueillant. ujourd’hui, la chanteuse a envie d’orange et de désir, elle rêve de frimas vikings à l’ombre du palais des Doges. Elle rêve de mots simples, d’une chanson qui fait le pitre, cent fois tendrement couchée sur le métier, et de périls qui font frissonner. Comme celles d’un palais imaginaire, trouble et poétique, les treize pièces de l’album s’enroulent autour des volutes que Larry Klein (producteur de Madeleine Peyroux ou Melody Gardot) décrit comme un “doux rêve d’opium”. Daphné, qui a le goût revendiqué des belles choses, s’est en outre attaché les services de Vince Mendoza (arrangeur de cordes chez Björk) et a veillé à ce que l’amour – celui que l’on perd, et celui que l’on fait, comme dans L’Homme à la peau musicale – articule les sessions d’un album lent et serein. La mélancolie, magnifiée, est élevée à hauteur de l’un des beaux-arts.

Yep Roc

Rééditions nécessaires d’un groupe sous-estimé de l’indie-rock. Redécouverte de la prescience des Soft Boys, incompris quatuor de Cambridge qui pava jadis le chemin pour R.E.M. ou les Flaming Lips. D’abord avec le décoiffant mais trop vert A Can of Bees (1979), dépositaire d’un blues industriel et sardonique. Ensuite et surtout avec l’inusable Underwater Moonlight (1980), sommet de rock clair-obscur aussi élevé que celui grimpé par la banane du Velvet.

 A

Benjamin Mialot www.yeproc.com

www.myspace.com/ luniversdedaphne En écoute sur lesinrocks.com avec

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Claude Gassian

Christian Larrède

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Steve Gullick

Mogwai Hardcore Will Never Die, but You Will Rock Action/Pias

Quatorze ans après ses débuts, Mogwai s’invente enfin une jeunesse. Hardcore Will Never Die, but You Will est très spécial : c’est une jouvence, une renaissance. Sans doute l’un des plus beaux des sept albums du groupe, écrit sans souci de temps, produit dans les rondeurs électroniques par le Delgados Paul Savage (Franz Ferdinand, King Creosote). Pas de grande révolution, juste un courant d’air. On sent le groupe relâché, sûr de lui, suffisamment certain de ses forces pour ne pas en surjouer, prêt à revenir batifoler, sourire aux lèvres, dans les beaux paysages qu’il a lui-même inventés depuis près de quinze ans. Finis les confinements, les morceaux claustrophobes. Finies aussi les évidences, la recherche à tout prix des dédales soniques, le vieux réflexes des progressions atomiques. La lumière qui baigne la splendide ouverture White Noise, la très kraut How to Be a Werewolf ou la belle à chialer Letters to the Metro est celle, d’une pureté cristalline, des matins glorieux. L’énergie des quasi tubesques San Pedro, de l’incroyable George Square Thatcher Death Party, de la primalscreamesque Mexican Grand Prix est celle, la plus éclatante, du plaisir innocent et simple gamin de jouer ensemble. Le premier album de Mogwai, en 1997, s’appelait Young Team – le groupe semblait alors aussi vieux que la Voie lactée. Il aura fallu attendre quatorze ans pour qu’il s’invente une resplendissante jeunesse. Thomas Burgel www.mogwai.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

Gang Of Four Content Grönland/Pias

Ghostface Killah Apollo Kids Def Jam, en import

Le rappeur vétéran du Wu-Tang Clan sidère par sa vitalité et sa justesse. On ne peut que s’émerveiller face à la niaque dont font montre les membres (encore vivants) du Wu-Tang Clan près de vingt ans après leur premier fait d’armes. Elle fait du neuvième album solo de Ghostface Killah un modèle de hip-hop bouffon (Starkology et son sample de Tears For Fears), classieux (Superstar, ses choristes nubiles, ses claviers blaxploitation), baratineur (How You Like Me Baby) et collaboratif (Troublemakers, avec Raekwon, Redman et Method Man). Il en faudra toutefois un peu plus pour nous convaincre de la légitimité de la suite de l’immense Supreme Clientele, annoncée dans la foulée de la sortie d’Apollo Kids. B. M.

Le retour impressionnant des inventeurs de la fusion punk-funk de la fin des 70’s. Souvent imité, jamais égalé, Gang Of Four a retrouvé le chemin des studios, seize ans après le tiède Shrinkwrapped. Bien que n’arrivant pas à la pochette des inépuisables machines à danser que sont Entertainment! (1979) et Solid Gold (1981), Content est tout à fait respectable, avec ses riffs débités en tranches façon Nip/Tuck (I Party All the Time), ses lignes de basse galbées comme la représentation d’une tension sinusoïdale par un oscilloscope (le très math-rock You Don’t Have to Be Mad), ses paroles acerbes ânonnées d’une voix de prêtre vaudou… Enregistré au moment où Franz Ferdinand, The Rapture et autres disciples déferlaient sur nos côtes, ce septième album aurait peut-être permis à Andy Gil et Jon King de trôner au sommet de la vague. Il leur faudra aujourd’hui se contenter de l’écume. Benjamin Mialot www.gangoffour.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

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Ghostpoet Cash and Carry Me Home Brownswood Recording/La Baleine Une voix suave et imposante débarque dans le hip-hop anglais : délicieux. album de ce rappeur Le garçon, venu de Coventry, anglais, publié par le label avoue des passions apparemment de l’infatigable Gilles contradictoires pour Badly Drawn Peterson, s’appelle Peanut Boy et la scène grime, pour Fela Butter Blues & Melancholy Jam. et Radiohead : et tout ceci s’entend, Visiblement, Ghostpoet a plus forcé par échos qui ricochent, jusqu’à sur la marmelade de spleen obséder dans ce blues futuriste que sur le beurre de cacahuètes : et outrageusement sensuel. pas une trace de gras dans ce Tricky a trouvé là un sérieux hip-hop ascétique et planant, sparring-partner sur le ring. JD Beauvallet murmuré d’une voix mélancolique qui en contient mille, avec toute cette humanité et cette autorité www.ghostpoet.co.uk que l’on connaissait plutôt En écoute sur lesinrocks.com avec du côté de Gil Scott-Heron.

 L’

The Strokes Under Cover of Darkness Enregistré dans la douleur, le quatrième album des New-Yorkais commence à filtrer sur le net. Offert en téléchargement gratuit pendant 48 heures sur le site du groupe, le premier extrait de Angles est en écoute. Pour le reste, rendez-vous le 21 mars. www.youtube.com

Delicate Steve Wondervisions Nouveau chez Luaka Bop, le délicat Steve joue la plus onirique des musiques instrumentales. Son premier album sortira le 11 mars, et la vidéo de Wondervisions annonce déjà de belles synchros lo-fi pour les prochains championnats de basket. www.stereogum.com

Cracbooms Modèle Amandine Après le folk ouaté de Cocoon et le rock effronté de Mustang, c’est au tour de ce quatuor d’émerger du ventre des volcans auvergnats. Avec leur très vintage Modèle Amandine, ces jeunes Clermontois ressuscitent la pop française des années 60 avec un sens inné du décalage. Cracboom ! www.cqfd.com/cracbooms

Mélanie Laurent En t’attendant Deux mois avant sa sortie prévue le 2 mai, l’actrice et chanteuse offre un avant-goût de son premier album composé aux côtés de Damien Rice et Joel Shearer à travers l’imposant et touchant En t’attendant, à télécharger sur son site jusqu’au 28 février. www.melanielaurent-music.com 16.02.2011 les inrockuptibles 93

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Ariane Gruet-Pelchat

aftershow

Sleigh Bells le 8 février à Paris, Maroquinerie C’est devant un mur d’amplis Marshall que l’on retrouve le duo de Brooklyn composé de Derek E. Miller et Alexis Krauss, venu jouer ce soir son troisième concert à Paris. Et c’est sans doute Miller, ancien membre du groupe californien Poison The Well, qui a choisi la chanson accompagnant l’entrée sur scène  – un morceau de metal hurlant qui donne un avant-goût féroce de la soirée à venir. Sleigh Bells a pris le parti de jouer toutes les chansons de son premier album, Treats, sur un décor assez minimaliste : sur scène, seuls trônent

Adam Kesher 18/2 SaintBrieuc, 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Akron/Family 19/5 Paris, Café de la Danse Angus & Julia Stone 26, 27, 30, 28/4 & 1/5, Paris, Trianon Olöf Arnalds 28/2 Paris, Studio de la Comédie des Champs-Elysées Asa 19/10 Paris, Zénith Band Of Horses 26/2 Paris, Cigale Carl Barât 7/3 Paris, Trianon Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon

Blackfield 29/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille James Blake 17/2 Rennes The Boxer Rebellion 25/3 Paris, Nouveau Casino British Sea Power 16/3 Paris, Flêche d’Or Buzzcocks 26/3 Paris, Elysée Montmartre Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-en-

Bresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Anna Calvi 22/4 Paris, Trianon Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 20/4 Alençon Chapelier Fou 18/2 Metz Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Divan du Monde, 24/3 Puteaux, 25/3 Strasbourg, 26/3 Rouen, 29/3 Cenon, 30/3 Amiens, 31/3 Lille,

le duo, une guitare et un mur d’amplis. Le chant de Krauss, parfois délicat et innocent comme celui d’une petite fille, parfois plus proche d’un cri perçant et puissant, enchante la foule, pendant que Miller, caché sous sa capuche noire, livre ses mélodies intenses et ardentes. Loués pour leurs concerts extrêmes et impressionnants, les New-Yorkais sont attendus au tournant : dommage alors que la plus grande partie de leur live soit issue d’un fond sonore préenregistré, destiné à laisser les deux furies infliger de sérieux dégâts à la scène de la Maroquinerie. Et à crever les tympans de la foule à grand renfort de décibels. Francine Gorman

2/4 Annecy, 7/4 Paris, Café de la Danse, 8/4 ClermontFerrand, 9/4 Arles, 13/4 Angoulême, 14/4 La Rochelle, 15/4 La Rochesur-Yon, 21/4 Bourges Cocoon 16/2 Toulouse, 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Pascal Comelade 3/3 Paris, Cité de la Musique Charlélie Couture 9, 10, 11 & 12/3 Paris, Boule Noire, 18/3 Montpellier, 19/3 Marseille, 24/3 Valence, 25/3 Grenoble, 26/3 Besançon, 31/3 Guyancourt, 1/4 Liévin, 7/4 Plélanle-Petit, 8/4 Brest, 9/4 Alençon, 27/5 Schiltigheim,

10 & 11/6 Paris, Casino de Paris Crystal Fighters 16/2 Nantes, 17/2 Angers, 18/2 Le Havre, 19/2 Paris, Point Ephémère Cut Copy 19/3 Paris, Nouveau Casino

17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille The Dodos 18/5 Paris, Point Ephémère

Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dø 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg, 18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9 & 10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon,

Elista 11/3 Paris, Maroquinerie Esben And The Witch 19/2 Saint-Malo, 21/2 Paris, Point Ephémère Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan

Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Deerhunter 8/4 Dijon, 9/4 Paris, Gaîté Lyrique, 10/4 Tourcoing

7/4 Paris, Flèche d’Or, 10/4 Marmande

Dum Dum Girls Nouveau passage du girls-band californien à l’occasion de la sortie de son nouvel ep, He Gets Me High, attendu pour le 1er mars. 23/4 Marseille, 24/4 Paris, Machine Ebony Bones! 24/2 Paris, Trianon Eli Paper Reed 6/4 Lyon,

Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar, Glasser, Le Corps Mince De Françoise, Le Prince Miiaou, etc. Festival 3C Du 14 au 17/3 Paris, Boule Noire, avec

Jérôme Van Den Hole, Pendentif, Brune, Claire Denamur, Benoit Doremus, etc. Fleet Foxes 30/5 Paris, Bataclan Fujiya & Miyagi 26/4 Paris, Alhambra Gablé 5/4 Paris, Café de la Danse Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo Glasser 17/2 Rennes, 29/3 Tourcoing, 30/3 Paris, Divan du Monde, 31/3 Metz, 1/4 Strasbourg, 2/4 SaintEtienne, 3/4 Grenoble Glasvegas 17/3 Paris, Maroquinerie John Grant 1/4 Paris, Café de la Danse PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Jacques Higelin 19/2 Carhaix, 25/2 Gien, 5/3 Tremblayen-France, 6/3 Suresnes, 15/3 Anzin, 24/3 Lyon Peter Hook joue Unknown Pleasures 10/3 Paris, Trabendo I’m From Barcelona 11/3 Paris, Café de la Danse Inrocks Indie Club février 18/2 Paris, Flèche d’Or, avec The Joy Formidable, The Dodoz, The Airbone Toxic Event, Divine Paist Inrocks Indie Club mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, May 68 Interpol 15/3 Paris, Zénith Iron & Wine 17/2 Paris, Alhambra Jamaica 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris,

Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The Bellrays Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Jonny 24/2 Paris, Flèche d’Or Camelia Jordana 6/4 Paris, Trianon Katerine 27/5 Paris, Olympia Keren Ann 24/5 Paris, Cigale BB King 30/6 Paris, Grand Rex Kocani Orkestar 11/4 Chalonsur-Saône, 12/4 L’Isle-d’Abeau, 24/4 Auch, 29:4 Paris, Grande Halle de la Villette, 1/6 Brest Konono n°1 2/3 Paris, Gaîté Lyrique La Fiancée 18/2 Niort, 19/2 Caen, 17/3 Strasbourg, 18/3 Nantes (+ Florent Marchet), 1/4 Nancy, 16/4 Nice Ray Lamontagne & The Pariah Dogs 17/2 Paris, Olympia The Legendary Tigerman 23/2 Paris, Maroquinerie Lilly Wood & The Prick 18/2 Nantes, 19/2 Lorient, 11/3 CergyPontoise, 12/3 Ris Orangis, 24/3 Marseille, 25/3 Toulon, 26/3 Nice, 11/5 Paris, Bataclan Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 12/3 Les Sables-d’Olonne, 6/4 SaintQuentin, 20/5 Paris, Cigale Main Square Festival Du 1 au 3/7 Arras, avec Coldplay, Linkin

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Dès cette semaine

Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. Florent Marchet 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2  Annecy, 19/2 Fontaine, 20/2 Poiré-surVie, 3/3 Angers, 4/3 Lorient, 5/3 Brasparts, 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 2/4 Istres, 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise,

6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/4 Dijon, 4/6 Saint-Denisde-Pile, 23/7 Bournezeau, 24/9 Seclin, 7/10 Franconville, 13/10 Illkirch Melismell 17/2 La Bourboule Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan Metronomy 19/3 Nice, 4/5 Paris, Cigale, 21/5 Toulouse, 22/5 Bordeaux, 23/5 Rennes, 24/5 Lyon, 25/5 Tourcoing, 26/5 Strasbourg Kylie Minogue 11/3 Toulouse, 14/3 Nantes, Marie Modiano 8 & 15/3 Paris, Salon musical Saint-Eustache

Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Yael Naim 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon Nasser 19/2 Ax-lesThermes, 5/3 Cachan, 8/3 Riorges, 11/3 Paris, Machine 18/3 Nyons,

19/3 Brainans, 21/3 Paris, La Défense, 25/3 Marseille, 7/4 Villeurbanne, 8/4 Marmande, 9/4 Morlaix, 16/4 Lille, 14/5 Rennes Youssou NDour 7/3 Paris, Casino de Paris Noah And The Whale 16/2 Paris, Café de la Danse Nouvelle Vague 20/3 RisOrangis Les Nuits de l’alligator Du jusqu’au 26/2 Paris, Maroquinerie, et Evreux, Beauvais, Mérignac, ClermontFerrand, avec Laura Veirs & The Hall Of Flames, The Legendary Tigerman, Caitlin Rose etc. Owen Pallett 22/2 Paris, Café de la Danse

Raul Paz 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Josh T Pearson 14/4 Brest, 15/4 Paris, Café de la Danse, 16/4 Rennes, 17/4 Toulouse, 19/4 Colmar, 20/4 Tourcoing Olivia Pedroli 17/2 Bordeaux Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan Razorlight 22/2 Paris, Flèche d’Or Gruff Rhys 4/3 Paris, Café de la Danse Catherine Ringer 30 & 31/3, 4 & 5/4 Paris, Boule Noire, 7/4 Ris-Orangis, 8/4, Massy Rococo 24/2 Besançon, 25/2 Mulhouse, 26/2 Haguenau, 3/3 Fougères, 4/3 Brest, 5/3 Quimper, 6/3 Vannes

Caitlin Rose 16/2 Vannes, 18/2 Tulle, 19/2 La Rochesur-Yon, 20/2 Paris, Maroquinerie Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 31/3 Strasbourg Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale The Sisters Of Mercy 5/3 Paris, Trianon The Specials 27/9 Paris, Olympia Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Stranded Horse 23/2 Lyon, 24/2 Nancy, 25/2 Annecy, 26/2 Besançon,

1/3 Paris, Café de la Danse, 3/3 Roubaix, 4/3 Liège, 15/3 Rennes, 26/3 Niort Stromae 3/11 Paris, Olympia Success 18/2 Magnyle-Hongre, 19/2 Saint-Ouen Super Mon Amour! # 4 Du 5 au 10/4 à Paris, Tourcoing, Nantes et Strasbourg, avec José Gonzá