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Moubarak dégage!

qui écrit les livres des hommes politiques ?

Natalie Portman

cygne de triomphe

M 01154 - 792 - F: 2,50 €

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Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.792 du 2 au 8 février 2011

u nouvea

2.50€

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je suis allé à la pharmacie avec

Nicolas Bedos

O

n a attendu quelques minutes en bas de chez lui, puis il est arrivé, l’air convaincu. “On va aller à la pharmacie”, a-t-il lancé. Avant de nous rassurer. Nicolas Bedos n’avait rien de contagieux, il souhaitait simplement nous faire partager l’une de ses passions. “Je me sens bien dans les pharmacies, c’est propre, frais, apaisant, raconte-t-il en marchant. L’été, j’y donne parfois mes rendez-vous et il m’est même arrivé d’y passer plus d’une heure à discuter, tranquillement.” Tout ça est très sérieux. “J’ai même une amie, un mannequin canadien, qui m’envoie des MMS des plus belles pharmacies qu’elle visite. Elle voyage beaucoup, elle voit des trucs assez dingues. Saviez-vous qu’il y a de très belles pharmacies en Italie ?” Son spot habituel se situe dans le bas Marais, pas très loin de l’Hôtel de Ville, mais Nicolas Bedos a, cette fois, opté pour une pharmacie de la rue de Bretagne, proche de son domicile. Il entre dans l’établissement, les pharmaciennes sourient. Spontanément, c’est vers les produits destinés à apaiser les maux d’estomac qu’il se dirige. “J’en ai tout le temps sur moi, dit Nicolas Bedos. Je ne peux pas me passer de Spasfon. Parce qu’en plus d’être complètement hypocondriaque, je suis très angoissé. Comme tous les gens qui donnent l’impression d’être parfaitement à l’aise, je stresse, je somatise.” Et les semaines qui viennent de s’écouler n’ont sans doute pas arrangé la situation. Sa réjouissante “Semaine mythomane”, diffusée chaque vendredi sur France 2, dans l’émission Semaine critique !, cartonne mais suscite polémique sur polémique. De son attaque contre le gouvernement israélien à la caricature de Sarkozy en “VRP cocaïné”, tout est bon pour faire le procès du fils de. Qui parfois le cherche vraiment.

“je me badigeonne de crèmes en tout genre… C’est mon côté grosse pute métrosexuelle”

Simple invité de l’émission Tout le monde il est beau, sur Canal+, il n’a pas pu s’empêcher, tout récemment, de cisailler les flics de nuit. En peu de temps, Nicolas Bedos s’est donc fait beaucoup d’ennemis, mais c’est autre chose qui le ronge. “Franchement, je me demande si ce n’est pas une connerie de faire de la télé. Je ne suis pas humoriste, ni chroniqueur. Je suis auteur, j’écris des pièces de théâtre, des films. Voilà, c’est ça mon métier. La télé, c’est bon pour mon côté narcissique, et mon envie de plaire, mais, au fond, je m’en fous. Ça me détourne de mes vrais objectifs. D’ailleurs, ça y est, j’ai décidé que j’arrêterai à la fin de la saison.” En attendant, l’air de rien, Nicolas Bedos a glissé vers le rayon parapharmacie. Devant lui s’étalent des crèmes hydratantes ou exfoliantes. Il y en a pour le visage, les mains, les pieds. Il les aime toutes et il assume. “Ça, c’est l’autre raison pour laquelle je traîne dans les pharmacies, je me badigeonne de crèmes en tout genre. Autour de ma baignoire, il y a toujours plein de produits à la noix.” Il tranche : “C’est mon côté grosse pute métrosexuelle.” Les pharmaciennes sourient encore. Chez elles au moins, on peut dire ce qu’on veut. Marc Beaugé photo Bruno Fert/Picturetank

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No.792 du 2 au 8 février 2011 couverture Natalie Portman par Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin/Trunk Archive/Photosenso

03 quoi encore ? Nicolas Bedos

08 on discute 10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement au cœur de la tourmente égyptienne

16 photosynthèse une fashion week de luxe

18 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

20 nouvelle tête Alex Winston

Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin/Trunk Archive/Photosenso

courrier + édito de Bernard Zekri

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22 ici mort d’un critique rock devenu SDF

24 ailleurs la société civile belge face à la crise politique

26 parts de marché Nicolas Demorand, de la radio à Libé

28 à la loupe Christophe Maé, chanteur sympa et décoré

30 Natalie Portman, l’étoile noire

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elle est incroyable en danseuse schizophrène dans Black Swan. Rencontre

39 les livres des politiques 42 contre-attaque

48

échanges numériques, fabrique d’abrutis ?

43 presse citron revue d’info acide

45 que le meilleur perde

Jean Jullien

petite cuisine autour de l’écriture

les politiques en quête de défaites

46 débats d’idées

52

48 “m’as-tu vu” au Siècle ? c’est le club le plus secret de France, pour hommes d’affaires et patrons de presse

52 The Streets, c’est fini excité par la nouveauté, le petit génie Mike Skinner se lance dans le cinéma

Phil Fisk/CAMERAPRESS/Gamma

ces universitaires qui rentrent dans le rang

58 penser la vie collective 60 plus peur du célibat il y aura toujours quelqu’un quelque part pour le célibataire multiconnecté

68 sur la condition noire

60

Lilian Joly

philosophes et penseurs réfléchissent à une vie fondée sur le lien social

rencontre avec les écrivains américains Percival Everett et Danzy Senna 2.02.2011 les inrockuptibles 5

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72 Carancho de Pablo Trapero

74 sorties Le Discours d’un roi, Rien à déclarer, Contre toi, Morgen…

78 livres Vecchiali fait revivre les années 30

80 dvd Closed Vision de Marc’O…

82 La 3DS au banc d’essai + Tron Evolution

84 The Go! Team entre pop roudoudou et lo-fi cradoque

86 mur du son Lightspeed Champion, Les Eurockéennes…

87 chroniques Arlt, Freddy Koella, Joan As Police Woman, Family Of The Year, Earth…

93 morceaux choisis James Blake…

94 concerts + aftershow Anna Calvi

96 le roman d’un tueur Gary Gilmore raconté par son frère Mikal

98 romans/essais Geoff Dyer, Yannick Haenel...

100 tendance le retour du conte... au cinéma

102 agenda les rendez-vous littéraires

103 bd les doux fantasmes de Jimmy Beaulieu

104 Pierre Rigal se la joue rock + Krzysztof Warlikowski

106 Arnold Odermatt les photos brutes d’un ancien policier

108 J. Crew les secrets d’une marque tendance

110 Marc-Olivier Fogiel nouveau départ pour l’ex-animateur

112 Olivier Poivre d’Arvor les enjeux culturels de la France

113 courts métrages le petit format se porte bien

114 séries Skins donne des boutons aux réacs US

116 télévision les écolos montent aux arbres et au front

118 Chrome OS le système de Google se fait attendre

120 la revue du web décryptage

121 vu du net le cognac, breuvage bling-bling

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs P. Azoury, E. Barnett, P. Blouin, M.-A. Burnier, A. Compain-Tissier, J.-P. Deniaud, M. Despratx, G. Drouault, P. Dupont,B. Fert, P. Fraser, J. Goldberg, M. Guénard, E. Higuinen, N. Hubinet, L. Joly, O. Joyard, B. Juffin, J. Jullien, N. Lecoq, J. Lecointre, T. Legrand, L. Mercadet, A.-S. Mercier, B. Mialot, P. Mouterde, P. Noisette, H. Nozick, V. Ostria, Y. Perreau, M. Philibert, E. Philippe, P. Richard, P. Sourd, A. Vicente lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté d’Arthur Bellot tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Margaux Monthieu tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Matthieu Pigasse directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2011 directeur de la publication Matthieu Pigasse © les inrockuptibles 2011 tous droits de reproduction réservés Ce numéro comporte un encart abonnement de deux pages Belgique et Suisse jeté dans l’édition vente au numéro Belgique et Suisse.

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l’édito

le vieux monde passe la main En Auvergne le 16 décembre, un adolescent de 15 ans se fait arrêter pour avoir voulu venger Julian Assange et WikiLeaks. Participant à une opération Payback du réseau de hackers Anonymous, il s’était attaqué à trois sites de paiement en ligne qui bloquaient les finances d’Assange. Le jeune génie, passionné d’informatique depuis ses 6 ans, avait pris pour ce faire le contrôle d’une centaine d’ordinateurs avec le consentement de leurs propriétaires. Il savait que c’était illégal mais voulait se battre pour la liberté d’expression. En Arabie Saoudite, des sujets du roi Abdallah s’aperçoivent à leur grand dépit que des citoyens tunisiens les suppriment de leurs listes d’amis sur Facebook : ceux-ci reprochent à Ryad d’avoir accueilli le satrape en fuite Ben Ali. Sur CNN et Al Jazeera, de jeunes manifestants égyptiens s’adressent directement au Président Obama et aux Américains pour leur demander qu’on les débarrasse de leur lamentable et sénile raïs. En Tunisie, les citoyens ont appris par WikiLeaks dans quelle piètre estime le gouvernement américain tenait Ben Ali, sa femme et son clan, puissant encouragement à la révolution. Dans l’univers de la spéculation, les marchés, symbole d’une cruelle modernité, n’aiment pas trop que ça bouge. Effrayés par les révoltes de la liberté, ils ont dégradé la note de la Tunisie quatre jours après le départ du raïs. Tant pis pour la politique et la démocratie. Les pays en cause, Tunisie, Egypte, Yémen, Algérie, étouffaient ou étouffent sous le pouvoir figé de vieux malades. Plus de la moitié de leur population a moins de 25 ans, les tyrans 80 et le pouce. La logique, la démographie, le bon sens et internet portent un jugement sans appel : les gérontocrates épuisés vont passer la main.

Bernard Zekri

Moi, Anna Calvi ne me fait pas du tout penser à PJ Harvey, mais bien plutôt à un croisement assez réussi entre Julee Cruise et Nick Cave. Comte Damien, lu sur lesinrocks.com philo sans avenir Monsieur Hollande, après Rama Yade regrettant dans ces mêmes pages l’école de la IIIe République, vous souhaitez (je vous cite) ne pas “encourager des formations qui ne correspondent pas aux besoins non seulement de l’économie mais aussi de l’ensemble du pays”, et cela en réponse à une question concernant l’inscription des étudiants en histoire de l’art ou en philosophie. Je suis professeur de philosophie dans un lycée de la banlieue est lyonnaise et je viens de m’entretenir avec un de mes élèves – brillants – qui ne sait pas que faire plus tard... En revanche, il sait qu’il veut écrire (le malheureux !) et qu’il veut faire des études de philosophie parce qu’il a le goût de la matière (le doublement malheureux !). Si j’avais lu votre entretien avant, j’aurais pu lui tenir le même discours. La philosophie, c’est contreproductif, c’est une perte de temps social et économique. Finalement, vous êtes un peu comme mes élèves qui arrivent le 1er septembre de chaque année en affirmant que la philo ça sert à rien. Par chance, j’arrive, sans les contraindre, à les convaincre que ce n’est pas le cas. Sébastien B, Lyon

sérieux ? “Sérieux ?”, vous interrogez-vous à propos du choix de l’homme de l’année Bixente Lizarazu, par le magazine GQ. “Sérieux ?”, nous interrogeonsnous, à notre tour, après avoir vu la couverture présidentielle des Inrocks avec l’ex-secrétaire du PS François Hollande. Amitiés, et bravo pour votre nouvelle formule. Emmanuel Poncet, rédacteur en chef adjoint de GQ

Cécile de France dans le dernier Eastwood

à propos de Au-delà Je vous remercie de m’avoir permis d’entrevoir, le temps d’une lecture, que je n’ai peut-être pas tout à fait tort de penser que ce film est un bon film. (…). Au-delà est à mon sens un film majeur, d’une grande intelligence et d’une rare pudeur. L’histoire, le scénario, ici plus que nulle part ailleurs sans doute, ne sont que prétextes. Prétextes à “faire” (du) cinéma, prétextes à ouvrir cette fenêtre dont parlait André Bazin, pour “filmer le temps qui passe” de Serge Daney, pour observer les hommes

sans les toucher, regarder leurs âmes sans les violer, contempler leur monde, le nôtre, sa réalité, ici, ailleurs, maintenant. Au-delà n’est pas un film sur la mort, ni sur un “après”. Ça, c’est le sujet du scénario, le sujet du roman dont il est tiré. Le sujet du film d’Eastwood, c’est la vie qui s’écoule, la vie qui se cogne, la vie qui se rompt… et l’homme, digne, qui résiste et se relève. Un film sur l’homme debout, envers et contre tout, jusque devant la mort. (…) Laurent

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction la une qui tue La photo de David Kato, militant gay en Ouganda, avait fait la une du tabloïd local Rolling Stone, avec ce titre : “Pendezles !” (les homos) (cf. Les Inrocks n° 783). David avait gagné son procès contre le journal. Mais, le 26 janvier, il n’a rien pu contre le type venu l’assassiner chez lui à coups de marteau.

le mot

[mea-culpa]

Matt Barnes

Marc Hoffer/AFP

“Tunisie : le mea-culpa de Nicolas Sarkozy” titre un quotidien, “Mea-culpa” tout court, annonce un autre, “Frédéric Mitterrand fait son mea-culpa”, assure un troisième. Dans cette histoire, les médias voient des mea-culpa partout. Un reporter a même trouvé des policiers tunisiens “qui faisaient leur mea-culpa”, ce qui semble curieux pour des musulmans. Pour d’autres raisons, la déportation des Juifs sous l’Occupation, par exemple, la SNCF fait des mea-culpa. Mais personne n’a cité la formule complète : “Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa”, “ma très grande faute”. Il est vrai que le mea-culpa du président de la République semblât léger. Dans les articles, sans doute pour éviter les répétitions, Nicolas Sarkozy “bat sa coulpe” et Frédéric Mitterrand “fait acte de contrition”. Nos journalistes nagent en pleine religion du confessionnal. N’oublions pas qu’après le confiteor, le mea culpa et l’éventuelle absolution, il y a surtout la pénitence !

la génétique des moustiques Pour combattre la dengue, la Malaisie a lâché 6 000 moustiques mâles génétiquement modifiés de façon à engendrer des descendants fragiles, à faible espérance de vie. Test à petite échelle (il y a des milliards de moustiques en Malaisie) mais critiqué par des associations : “La recherche sur les conséquences d’un tel test est insuffisante.” ma vie, mon œuvre, mon Momo Johnny Marr, l’ancien guitariste des Smiths, a annoncé qu’il se lançait dans son autobiographie, après avoir reçu une offre motivante d’un éditeur. Ça risque d’être moins drôle que celle de Keith Richards. Et on ne veut rien savoir sur la quéquette de Morrissey. Drake plus ultra Champion du hip-hop sous Lexomil, le canadien Drake, wunderkind du rap mondial, est venu au Zénith de Paris donner son premier concert français. Résultat : un feu d’artifice (qui culmina sur le titre bien nommé Fireworks), des filles en panique totale et des garçons forcément un peu jaloux sous les casquettes. Jay-Z, Kanye West et Lil Wayne ont de quoi se faire du souci. dénazifiés 27 janvier : les quatre supporters du FC Metz, membres du groupe la Horda Frénétik, accusés d’avoir fait entrer un symbole nazi dans le stade Saint-Symphorien (en réalité un drapeau sur lequel était

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inscrit “Gegen Nazis”, “Contre les nazis”), sont acquittés (cf. Les Inrocks n° 789). Soutenus par des homologues allemands et norvégiens, ils ont été sauvés par un brillant procureur et par la défense rock d’un avocat qui cita l’hebdo que vous tenez entre les mains. Allez les Grenats.

le moment quand le gratin dîne, la liberté trinque

Rex Features/Sipa

Manifestants et journalistes l’ont appris à leurs dépens : il ne faut pas s’inviter au dîner du Siècle. Mercredi soir, place de la Concorde devant l’hôtel Crillon, des pancartes apparaissent sur le coup de 19 heures : “Pouvoir au peuple”, “Non au nouvel ordre mondial”. Soixante-dix personnes venues manifester leur opposition au dîner du Siècle, club obscur et huppé qui réunit mensuellement l’élite politico-médiatico-industrielle de la France (lire p. 48). Emmanuel Chain, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, Arlette Chabot, Louis Gallois, Serge July et les autres invités du Siècle ne verront pas ce chahut. Des camions de police surgissent, un cordon bleu se forme autour des manifestants et des journalistes présents. Palpation pour tous puis direction le commissariat du XIe arrondissement. Ou plus exactement le parking du commissariat. Entre les véhicules, deux enclos ont été improvisés avec des barrières de chantier, histoire de séparer les manifestants munis de papiers d’identité – la majorité – et les autres. “Qui êtes-vous ?”, demande un policier après une nouvelle fouille. “Presse.” L’agent s’arrête. “Vous êtes de la maison ?” Hésitation. “Euh non… de la presse…” “J’avais compris ‘préf’ (préfecture). Videz vos poches de blouson, s’il vous plaît.” Nous avons pu regagner nos pénates sur le coup de 21 h 30.

Fred Dufour/AFP

le film tordant du street-artist anglais Banksy est nommé aux oscars, dans la catégorie documentaire. Le mystérieux Banksy, dont un tabloïd londonien publiait récemment une photo censée mettre enfin un visage sur son nom, sera bien entendu absent à la cérémonie du 27 février. Il a pourtant lâché : “Je suis opposé à l’idée même de prix, mais prêt à faire une exception pour ceux auxquels je suis nommé.” Parlant de la statuette des oscars, il ricane : “La dernière fois que j’ai vu un homme nu peint en or, c’était moi.” chant pour chant Au Midem, la Sacem publie les résultats d’une enquête sur les Français et la musique. D’où il ressort que : 1. La musique est la troisième activité culturelle après la télévision et la lecture (quid de la lecture des programmes télé ?). 2. Le média préféré pour écouter de la musique est la radio. 3. L’immense majorité des 15-24 ans (82 %) a recours à internet pour découvrir des nouveautés, mais 57 % des jeunes citent la radio et 47 % la télé. “Si on additionne les deux, cela donne 104 % donc, devant internet”, conclut l’enquête. On n’a rien compris, mais ça fait du monde. l’attrape-foot Un an après la disparition de Salinger, l’écrivain le plus reclus de sa génération, les héritiers de son ami londonien Donald Hartog ont fait don à l’université d’East Anglia d’une rare correspondance, datée de 1986 à 2002. Elle révèle un homme moins misanthrope que sa réputation ne l’a fait, passionné de jardinage et surexcité par la carrière du tennisman Tim Henman. L’auteur de L’Attrape-Cœurs y commente la Coupe du monde de football de 1990, tout au long de cinquante lettres et quatre cartes postales. Bordeaux (In)rocks ! Pour fêter l’édition régionale Aquitaine des Inrocks, quelques journalistes se sont invités pour une soirée aux platines de la Rock School Barbey à Bordeaux. Passage de vieilleries pop et de nouveautés, entre les concerts des chanteuses folk d’April Shower, de la chorale pop Crane Angels et des joyeux lurons de Kid Bombardos. Deux jours plus tard, le festival Bordeaux Rock s’achève à la Flèche d’Or, avec les concerts de Pendentif et Alba Lua. David Balicki

Marc Hoffer/AFP

Banksy goes to Hollywood ! Faites le mur,

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l’image

internet fucked me Les films porno à la demande dans les hôtels Marriott, c’est terminé. Ce n’est pas une campagne des Tea Party qui a eu la peau des nuits d’ennui des costumes-cravate en voyages d’affaires. Juste le business qui fatigue. Ça ne marche plus : 50 % de recettes en moins l’année dernière. Avec un portable et internet, plus besoin de commander des pornos payants sur sa télé, et on s’évite un moment de solitude à la réception en réglant sa note. Association de licenciés Les salariés de la maison d’édition BD L’Association (qui vient de fêter ses 20 ans) sont en grève depuis le 10 janvier pour protester contre le projet de licenciement de la moitié de l’équipe. Les salariés réfutent l’argument des difficultés économiques et demandent un assainissement du fonctionnement de la boîte, dirigée par “un bureau dont le mandat n’a pas été renouvelé depuis de nombreuses années”. A Angoulême, les salariés, soutenus par plusieurs auteurs, étaient présents sur un stand vide pour expliquer leur situation. Le programme éditorial n’est pour le moment pas bouleversé avec deux belles sorties : Le Mambo de Claire Braud et Le Royaume de Ruppert et Mulot.

des souris, pas des Mickey

Art Spiegelman a été couronné à Angoulême. Le palmarès a fait la part belle à l’international. C’est Art Spiegelman qui sera le président du jury du prochain Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. L’auteur de Maus a en effet reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême à l’issue de la 38e édition. Après Will Eisner en 1975 et Robert Crumb en 1999, Art Spiegelman est le troisième auteur américain récompensé. “Etant donné mes pauvres talents de dessinateur, j’ai un peu l’impression d’être le président Obama recevant le prix Nobel de la paix…”, a déclaré l’auteur, joint au téléphone lors de la cérémonie de clôture. La récompense est pourtant méritée. Figure de la bande dessinée underground dans les années 60 et 70, Art Spiegelman a lancé la revue Raw dans les années 80, permettant à des auteurs de la jeune garde US comme Charles Burns de se faire connaître. Avec Maus (1986), dans lequel il raconte la vie de sa famille pendant la Shoah – et représente les nazis par des chats et leurs victimes par des souris –, il est le premier auteur de bande dessinée à recevoir un prix Pulitzer. Maus avait également reçu le prix du Meilleur Album étranger à Angoulême en 1988. Depuis, Spiegelman a notamment publié A l’ombre des tours mortes en 2004. Le festival a par ailleurs récompensé Manuele Fior, auteur de Cinq mille kilomètres par seconde, aux aquarelles magnifiques (prix du Meilleur Album), David Mazzucchelli (prix spécial du Jury pour Asterios Polyp), Joe Sacco (prix Regards sur le monde pour Gaza 1956), Brecht Evens (prix de l’Audace pour Les Noceurs), Naoki Urasawa (prix Intergénérations pour la série Pluto) et Ulli Lust, qui partage avec Elodie Durand le prix Révélation. Dommage néanmoins que Christophe Blain et Nine Antico soient absents du palmarès.

“lâchez-moi !” Jeudi 20 janvier, 16 heures, sur le tarmac de Roissy. Dans le vol AF3096 Paris-Bamako, tandis que le pilote entame un “good afternoon, ladies and gentlemen…”, un Malien expulsé entre en hurlant dans l’avion. “Lâchez-moi ! Laissez-moi descendre !” Des passagers filment la scène (vidéo récupérée par les inrocks.com). D’autres se lèvent pour protester contre les quatre policiers qui attachent l’homme sur son siège. Deux escouades de la police aux frontières rappliquent et interpellent quatorze voyageurs. Onze d’entre eux terminent en garde à vue et sont passibles de poursuites judiciaires. on ne meurt qu’une fois Les BO haletantes de James Bond contre Dr. No, Bons baisers de Russie, Goldfinger, On ne vit que deux fois ou Amicalement vôtre, c’était lui : le compositeur anglais John Barry est mort d’une crise cardiaque, à l’âge de 78 ans. L. M., B. Z., avec la rédaction

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“nous ne sommes plus des esclaves !” Les Egyptiens sont toujours plus nombreux à rejoindre la mobilisation. Mais l’opposition peine à se faire entendre et le rôle de l’armée paraît incertain. Récit au Caire entre manifestations et crainte des pillages. photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

L

e bourdonnement des hélicoptères de l’armée, sillonnant jour et nuit le ciel de la capitale égyptienne, a remplacé le bruit strident des klaxons dans les embouteillages, qui encombrent d’ordinaire les rues. Sur la Corniche, l’avenue qui longe le Nil, lieu de drague par excellence, on ne flirte plus. Les amoureux aux yeux langoureux, roucoulant bras dessus bras dessous dans le vent léger du crépuscule, ont laissé place aux voitures calcinées et aux débris de verre, qui partout jonchent le sol. Le centre-ville du Caire, mégalopole de 15 millions d’habitants, est en état de siège. Les chars ont pris position sur la vaste place Tahrir, la place de la Libération, où flotte depuis vendredi une odeur de plastique brûlé. Une épaisse fumée noire s’élevait encore dimanche du siège du Parti national démocrate, le parti d’Hosni Moubarak, incendié par les manifestants dans la nuit de vendredi à samedi. Jamais l’Egypte n’a été aussi éloignée de l’image

de carte postale. L’époque des pharaons avec ses temples immémoriaux qui semblent dormir au bord du Nil, miraculeuse source de vie en plein cœur du désert, et reléguée à des années-lumière. “Nous allons montrer au monde entier que nous ne sommes plus des esclaves ! C’est fini ! Voilà ce que je réponds à ceux qui disent que les Egyptiens sont des lâches”, hurle un manifestant avant de ramasser une grenade lacrymogène et de la lancer vers les policiers. A quelques mètres de la place Tahrir, devant un char, deux touristes japonaises, coiffées d’un grand chapeau, semblent égarées. Derrière elles, un KFC a fait les frais des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre : les vitres sont explosées et des débris de chaises, tables, et papiers encombrent la salle du restaurant. A l’angle, une ruelle mène à une petite mosquée, coincée entre les immeubles, où un centre de premiers soins a été improvisé. “Karim, Medhat, Mohamed, Wahba…” Amani Sadeq, une jeune femme

fluette de 28 ans, médecin dans un hôpital public, énumère les noms de ceux qui sont morts là hier soir, avant d’avoir pu être transportés. “Nous recueillons leurs noms pour que les familles puissent retrouver leur trace.” Elle raconte comment, avec la trentaine de médecins présents samedi soir, ils se sont organisés en équipe de cinq pour recevoir les blessés. “Regardez : ce sont des balles réelles”, assure Mohamed, un autre médecin volontaire, en montrant une balle en cuivre de la taille d’une phalange. Derrière lui des hommes prient sur des grandes nattes, d’autres dorment à même le sol, enveloppés dans des couvertures. “J’ai été blessé hier quand les policiers ont commencé à tirer sur nous devant le ministère de l’Intérieur”, explique Ahmed, 15 ans, dont l’œil gauche est recouvert d’un large pansement. C’est devant ce symbole du régime que les affrontements ont été les plus violents samedi soir. “J’ai commencé à manifester vendredi.

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“l’insécurité est provoquée. Entre un régime autoritaire et la chienlit, le choix est vite fait” Marc Lavergne, politologue

Le Caire, 28 janvier

Je n’appartiens à aucun mouvement politique mais j’attendais ce moment depuis longtemps”, raconte Ashraf, 24 ans, un ingénieur qui a lui aussi passé la nuit dans la mosquée. “Maintenant, on va continuer de manifester jusqu’à ce que Moubarak s’en aille, affirme-t-il. On se battra jusqu’à la dernière goutte de sang.” Comme lui, l’immense majorité des manifestants sont des Egyptiens ordinaires qui ont participé la semaine dernière à la première manifestation de leur vie. Certains exigent de meilleures conditions de vie : tous ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts même en cumulant deux emplois. D’autres aspirent à plus de justice : ils veulent pouvoir choisir leurs dirigeants et ne supportent plus un système gangrené par la corruption et le piston. Après plusieurs jours de manifestations, le verrou de la peur est tombé. Beaucoup, horrifiés par la violence de la répression, sont aujourd’hui tout aussi déterminés que les activistes qui ont lancé le mouvement,

comme Nourhane, jeune fille coquette de 20 ans. Cette étudiante en journalisme a rejoint le mouvement Justice et liberté il y a quelques mois. “J’ai décidé de m’engager après l’histoire de Khaled Saïd”, expliquet-elle. Ce jeune homme de 28 ans avait été battu à mort par des policiers en civil en juin 2010 à Alexandrie. Des photos de son visage tuméfié ont circulé sur internet et poussé de nombreux jeunes Egyptiens, jusque-là apolitiques, à s’engager. Ce sont ces militants des mouvements démocratiques, comme le Mouvement du 6 Avril, né durant la protestation d’avril 2008, qui ont préparé la manifestation du 25 janvier, la “journée de la colère”, inspirée de la révolution tunisienne. “Avant le 25, tout le monde pensait que ce mouvement était seulement virtuel”, raconte Bahaa, un cancérologue de 52 ans, l’un des manifestants de vendredi. “Chacun pensait être le seul à y aller. Et tout le monde a été surpris par l’ampleur de la mobilisation”, dit-il avec un grand sourire. Une semaine après le début du soulèvement, la confusion s’est installée. Dans le quartier de Mounira, non loin du centre-ville, les vivres commencent à manquer. Chaque soir, les habitants s’organisent pour défendre les habitations et les magasins des bandes de pillards, dispersées dans la ville. Armés de bâtons, de couteaux et de barres métalliques, les hommes mènent la garde à tour de rôle. “Les policiers ? Mais ils ne sont plus là ! Ils sont partis en un claquement de doigts. Alors, avec les jeunes, on assure la sécurité”, explique Ahmed, la cinquantaine, propriétaire d’une échoppe de jus de fruits. Même scénario à Maadi, une zone résidentielle huppée, où se concentrent les étrangers. “Avec les voisins, nous avons fabriqué des cocktails Molotov et nous nous sommes mis au balcon pour les jeter sur les pilleurs, en cas d’attaque”, raconte une Française de 28 ans, qui réside à Maadi avec son compagnon égyptien. Léopoldine de Villeneuve a eu moins de chance. Elle a passé la nuit de vendredi seule avec ses enfants. L’avion de son mari, qui rentrait de France, a été dérouté sur Beyrouth. “J’ai mis les enfants dans leur chambre et j’ai passé la nuit avec une matraque à la main, en fumant et en buvant pas mal. Il ne s’est rien passé, mais j’ai la gueule de bois”, raconte la jeune femme encore émue. Magasins vidés, vitrines éclatées, et bijouteries pillées Des scènes de vandalisme ont eu lieu un peu partout dans la capitale. Le Musée national du Caire, qui renferme notamment les trésors de la tombe de Toutankhamon, a subi des vols et

des dégradations, alors que l’armée était censée protéger ce symbole de l’histoire du pays. Les autorités accusent les casseurs, particulièrement la jeunesse désargentée des quartiers les plus populaires. “Les pilleurs ? C’était les prisonniers en fuite”, assure Ahmed. Un passant nuance : “Ou bien des “baltagi”, des policiers en civil, venus pour foutre la merde ! Comment savoir ?” Dans ce désordre généralisé, alors qu’internet est coupé depuis plusieurs jours et le téléphone encore chancelant, les rumeurs courent les rues. Selon Marc Lavergne, politologue au CNRS, détaché au Caire, ce chaos est délibéré. “Le régime lâche la bride à certains membres de la police pour semer la panique chez les citoyens. Les policiers n’ont pas disparu du jour au lendemain sans ordre de leur ministère. L’insécurité est provoquée. Entre un régime autoritaire et la chienlit, le choix est vite fait. On risque de voir l’opinion basculer contre les manifestants, estime le chercheur. Et la communauté internationale aura l’impression qu’un pouvoir fort est nécessaire en Egypte.” Vendredi soir les chars de l’armée se sont déployés dans le centre du Caire, acclamés par les manifestants, persuadés que les militaires allaient prendre leur parti contre le régime. Mais la situation semble plus compliquée. Les soldats n’ont pas empêché les policiers de tirer et personne ne sait pour l’heure quelle est la position de l’armée. Ce sont deux généraux issus du sérail, Omar Suleiman, le chef des services de renseignements, et Ahmed Shafik, général et ancien dirigeant de l’armée de l’air, qui ont été nommés aux postes de vice-président et de Premier ministre. “On semble s’orienter vers un régime tout militaire, en tout cas en matière de sécurité”, explique un diplomate français. De son côté, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique Mohamed ElBaradei se pose en chef de file de la contestation et a reçu le soutien des Frères musulmans, seule véritable force d’opposition en Egypte. Pour l’instant, le gouvernement fait la sourde oreille. “Au-delà de la chute d’Hosni Moubarak, les manifestants demandent la fin d’un système qui les méprise. L’économie égyptienne est basée sur la rente, elle n’a pas besoin de beaucoup de population pour tourner, explique Marc Lavergne. Les hommes d’affaires, les politiques et les militaires sont nombreux à profiter de ce système et ils ont beaucoup à perdre.” Même si beaucoup espèrent un scénario à la tunisienne, les Egyptiens risquent d’avoir plus de mal à se débarrasser de leur dictature. au Caire, Marion Guénard et Nina Hubinet 2.02.2011 les inrockuptibles 15

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les fastes de la haute couture Fini le profil bas : lors de la fashion week, les couturiers ont affiché un luxe sans fard. es dernières années, effrayée à l’idée d’afficher sa richesse aux yeux d’un monde en crise, elle était devenue raisonnable, ennuyeuse et minuscule. Elle jouait un rôle. Mais elle n’a pas tenu bien longtemps. Cette saison, la haute couture a retrouvé la banane. Sur le podium, on a remarqué l’incroyable trip asiatique de Riccardo Tisci chez Givenchy et les extravagances horticoles chez Martin Margiela. Mais on a surtout compris que le duel entre les vieilles gloires (Lagerfeld, Galliano, Valentino) et les créateurs qui montent (Simoens, Kayrouz, Rolland) ne faisait que commencer. Pourtant, c’est au pied du podium que la transformation est la plus nette. Chez Dior, le défilé, organisé dans les jardins du Musée Rodin, fut scruté par plus de huit cents invités, un chiffre qui n’aurait étonné personne au début des années 2000, mais qui était devenu inconcevable. Chez Givenchy, le luxe était ailleurs. Le majestueux appartement de la place Vendôme où se tenait le défilé avait été parfumé à l’huile d’amande verte. Les présentations des collections des grands joailliers, désormais accolées à la semaine de la mode, confirmèrent cette impression. La haute couture a retrouvé ses habitudes, et Liliane Bettencourt, présente aux côtés de sa chère fille au défilé Armani Privé, avait l’air parfaitement à son aise.

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Marc Beaugé photo William Daniels

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Défilé printempsété 2011 de Stéphane Rolland, mardi 25 janvier, Théâtrenat ional de Chaillot, Paris 2.02.2011 les inrockuptibles 17

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L’Eurovision

Radio France

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“Pardonnez-moi mon père parce que j’ai pécho”

Nico d’Hélène et les garçons

Mark Zuckerberg Le branchet

“N’empêche, on n’a jamais vu autant d’Arabes à la télé”

L’expo Hervé Guibert à la MEP

Le handball

Le porno inspiré de Berlusconi

“T’es pas cap de voter Sophie Favier  aux cantonales ?” “Grosse marade” is the new “lol”

“Je chante l’eau et le lait” Kings Of Leon vs Glee

L’expo Hervé Guibert à la MEP A partir du 9 février et jusqu’au 10 avril, la Maison européenne de la photographie organise la première rétrospective en France de l’œuvre photographique d’Hervé Guibert. Le branchet Encore méconnu du grand public, le branchet est ce “héros moderne pour qui il est branché d’être un déchet”. Un contemporain qui s’applique à boire et à dire n’importe quoi – deux activités que l’on retrouvera

Les débats sans fin sur le mariage gay

le 8 février au Social Club (Paris) lors du Bal des branchets, organisé par Brain Magazine. Le porno inspiré de Berlusconi Inspiré de la vie sexuelle du Cavaliere, Bunga-Bunga, Presidente est en tournage. Mark Zuckerberg Le créateur de Facebook est apparu dans un sketch du Saturday Night Live alors hosté par Jesse Eisenberg, l’acteur qui joue Zuckerberg dans The Social Network. Bien joué pour son image de gars sympa. D. L.

Charlotte Schousboe

billet dur

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her Patrick Poivre d’Arvor, Lorsqu’on a eu comme toi la France entière pendue à ses lèvres pendant des décennies, finir gérant de Copy Top, c’est pas top. Malgré le temps libre que t’a pourtant accordé ton éjection scélérate par le cardinal Paolini depuis son saint-siège cathodique, il est à croire que tu passes en effet plus de temps à la photocopieuse qu’à ta table de labeur littéraire, où, en Chateaubriand pâli par tant de fausses lumières vaniteuses, tu sembles impuissant à te résoudre à poser ton séant. Bon, je te l’accorde, cette histoire d’emprunts à la bio américaine d’un vieil écrivain alcoolique, c’est pas très grave. En revanche, quand, sous ta pression, ton éditeur se croit obligé d’emprunter à Brice Hortefeux son logiciel à excuses bidons en plaidant l’envoi d’un mauvais fichier, là, ça manque cruellement de panache.

Après, lorsqu’on apprend que tu as publié en douce des lettres d’une ancienne compagne pour servir de béquille à ton imaginaire romantique défectueux, on enjambe l’indélicatesse pour aller chevaucher la pire des mufleries. Ça ne te ressemble pas, Patrick, même si tes fans les plus endurants et quelques insomniaques chroniques se souviennent qu’en intitulant ton ancienne émission Vol de nuit, c’est moins à Saint-Exupéry qu’à Lacan que ce titre renvoyait la politesse. Pourtant, je t’excuse, car le plagiaire de circonstance que tu incarnes aujourd’hui à travers la vindicte sournoise des jaloux demeure avant tout un grand plagié. Combien de Tarte Levy, de Guimauve Musso ont ainsi allègrement siphonné le réservoir à eau de rose que constitue ton œuvre sans que personne ne s’en émeuve ? Je t’embrasse pas, j’ai une Castro ! Christophe Conte

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Alex Winston Cette malicieuse Américaine fait des bulles avec la pop. Elle est bientôt en concert à Paris.



Nick Dorey

eux qui aiment les rangements stricts n’inviteront sans doute pas chez eux Alex Winston, jeune New-Yorkaise (mal) élevée à Detroit. Sa tête est un vaste bazar, où s’entrechoquent pop espiègle, folk rieur et electro onirique, sans hiérarchies, frontières ou logique. D’ailleurs, Alex Winston a voulu consigner toute cette confusion sur un premier maxi en carte de visite, sur lequel elle reprenait aussi bien les Rolling Stones que Jack Peñate (Basement Covers est en téléchargement gratuit sur heavyrocmusic. com). Désormais produite dans une décontraction idoine par les excellents The Knocks, vus au dernier Festival des Inrocks, Alex Winston, chanteuse d’opéra de formation, est donc à la fois girl-group acidulé des sixties, hippie sauvageonne des seventies ou indie-starlette de l’electro-pop du XXIe siècle. Beaucoup pour une seule femme ? Quand on a les épaules, la malice et l’inconscience d’Alex Winston, on peut s’offrir tous les dédoublements de personnalité. Schizo et zozo, donc. JD Beauvallet

Concert à la soirée Custom, avec Grouplove et We Are Enfant Terrible, au Nouveau Casino (Paris), le 16 février, www.myspace.com/ alexwinston

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Courtesy Rock & Folk

Au centre, Daniel Vermeille dans les locaux de Rock & Folk

it’s only rock’n’roll life Plume du Rock & Folk des années 1970, Daniel Vermeille a été retrouvé mort sur un parking de Sète. Drogue, prison, alcool : parcours d’un érudit devenu SDF.

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ète est un bel endroit pour disparaître. C’est un fantôme du passé que le gardien du parking du centre-ville a fait revenir en découvrant le corps sans vie de Daniel Vermeille le 23 janvier. Ce SDF de 58 ans était une curiosité locale. Mille histoires sulfureuses tournaient autour de cet homme détruit par la drogue et l’alcool. Copain de Keith Richards, d’Iggy Pop dit-on aussi, des nuits de défonce avec les Stones. En mourant, Daniel Vermeille s’est rappelé au bon souvenir des plumes du Rock & Folk des années 1970 dont il fut un des premiers grands rock critics. Avant de tomber dans l’oubli. Daniel Vermeille a mené sa vie à l’image du rock de son époque : sauvage, violent, sans concession. Benoît Feller le rencontre pour la première fois dans les bureaux du mag en 1971. Ils ont à peine 20 ans et la même envie viscérale d’écrire sur le rock. Feller décrit Vermeille comme une encyclopédie, un stakhanoviste capable d’écrire trente feuillets en une nuit. Un fan absolu des Stones, spécialiste aussi de West Coast US, de Grateful Dead et Jefferson Airplane. “L’homme au nez cassé, au look de chef indien, se souvient Philippe Manœuvre, actuel rédacteur

en chef, c’était quelqu’un d’ombrageux et un grand érudit du rock.” Son style très psyché lui valut un jour cette remarque de Philippe Paringaux (réd chef de l’époque) : “T’as écrit ça défoncé ? Parce que si c’est le cas, faut continuer, sinon faut en reprendre.” Vermeille avait deux passions : le rock et la défonce. Fils de riches agents immobiliers de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), il entretenait avec eux des rapports tendus. “Il occupait le premier étage de leur maison, entouré de 10 000 disques, il était fragile, puissant physiquement, affectif, révolté, ses amis avaient tous des couteaux”, se souvient Feller. “Sa mère était venue me voir une fois, elle avait des hématomes partout, raconte Paringaux, Daniel lui avait cassé la gueule pour se procurer des produits.” En 1972, Vermeille débarque à Sète. L’artiste Hervé Di Rosa a 15 ans. “Il disait qu’il revenait de Villefranche-sur-Mer, de la villa où les Stones enregistraient Exile

à Sète, il était devenu une curiosité locale à qui on prêtait des nuits de défonce avec les Stones

on Main Street”, se souvient-il. Le critique leur traduit les paroles, les laisse tirer sur ses joints, leur parle de Burroughs, d’Artaud, du Velvet Underground, de la beat generation. De tout ce qu’on n’apprend pas à l’école ou dans une petite ville de province dans les années 1970. Après 1975, il écrit moins et finit par disparaître en 1979. Chantal Koechlin, épouse du fondateur de Rock & Folk, Philippe Koechlin, raconte : “Il y avait deux sortes de critiques : les connus – Garnier, Paringaux, Manœuvre – et ceux qui arrêtaient d’écrire et tombaient dans la misère.” Il part pour Hawaï. Pour Paringaux, il coupait de la canne à sucre. Pour Di Rosa, il aurait rencontré une Américaine et cultivé du hasch. Au bout de deux ou trois ans, il finit par revenir s’installer dans le Sud. On perd sa trace jusqu’en 1992-93. Philippe Koechlin reçoit à cette époque un coup de fil de la police. Vermeille lui demande de témoigner en sa faveur. Il est accusé du meurtre de sa petite amie lors d’une beuverie. Il prendra dix ans de prison. Une fois sorti, il va sombrer définitivement dans l’alcool et se clochardiser. Philippe Paringaux conclut : “Sa vie est assez symbolique d’une génération qu’on peut qualifier de perdue.” Anne Laffeter

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Jorge Dirkx/REA

Le 23 janvier 2011. Alex Hermans et Felix De Clerck (les bras levés) à la tête de la manifestation Shame

c’est l’histoire de 5 Belges qui en mobilisent 40 000 Près de huit mois après les législatives, la Belgique reste sans gouvernement. Lancée sur le net par des jeunes, la “marche de la honte” a rassemblé la société civile.



ls disent “avoir réussi là où les politiciens ont échoué”. Le 23 janvier, Alex Hermans, Simon Vandereecken, Thomas Royberghs, Felix De Clerck et Thomas Decreus, 23 ans de moyenne d’âge, ont réuni près de 40 000 personnes à Bruxelles sous le slogan : “Honte aux politiciens !”, alors que la Belgique est bien partie pour décrocher le record du monde du pays sans gouvernement pendant la plus longue période – un titre détenu par l’Irak, 289 jours. “On leur demande d’arrêter de s’incendier et de retourner à l’essence du politique pour former un gouvernement respectueux de tous”, précise Simon, graphiste. Wallons ? Flamands ? Unionistes ? Séparatistes ? Ou bien naïfs et apolitiques ? Ces jeunes refusent les étiquettes. Thomas R., 20 ans, assure être “d’un peu partout en Belgique”. Il étudie l’histoire en néerlandais à la VUB, une université de Bruxelles, mais parle parfaitement français. “Aucun de nous n’est séparatiste, notre discours à la manif était plutôt unioniste, concède Simon. Mais nous voulons nous placer au-dessus de ces querelles.” Aujourd’hui, ils ont le succès modeste. “Réunir 40 000 personnes ici est un exploit, estime Simon. Mais dans n’importe quel autre pays, des centaines de milliers

de personnes se seraient mobilisées ! Et le médiateur nommé par le roi vient de démissionner. Un sale coup.” L’histoire de ces Belges est d’abord celle d’une rencontre virtuelle. Dix jours avant la manifestation, ils ne s’étaient jamais retrouvés tous les cinq dans la même pièce. “Chacun de son côté, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose, nous avons lancé un appel à manifester sur Facebook, raconte Simon. Les internautes ont laissé des messages sur nos “murs” pour nous dire que d’autres avaient la même idée. On a décidé d’agir ensemble.” Pourquoi ce déclic ? Pour tous les cinq, il s’agissait d’un premier engagement citoyen. Chez Simon, toutefois, on parle politique à tous les repas. Alex est étudiant en sciences politiques. Felix, coordinateur d’une résidence pour artistes, est le fils du ministre de la Justice – au sein du cabinet réduit chargé des affaires courantes et faisant office de gouvernement provisoire. Thomas D. fait lui de la recherche en philosophie politique.

“ils ont reporté sur nous les attentes qu’ils avaient à l’égard des politiques !”

Lancé un dimanche soir sur internet, l’événement Shame compte 1 200 inscrits dès le lendemain matin. Les premières rédactions appellent. Conférence de presse devant des médias belges et étrangers, et dix jours plus tard, ces cinq jeunes prononcent un discours devant les manifestants. “Ma vie a changé, reconnaît l’un des deux Thomas. Je n’aurais jamais pensé me retrouver à papoter dans le bureau du Premier ministre Yves Leterme.” “La réaction des gens est surprenante, voire un peu inquiétante, ajoute Simon… Ils ont reporté sur nous toutes les attentes qu’ils avaient à l’égard des politiques !” Entre les examens et le boulot, Simon, Felix, Alex et les deux Thomas ont eu à peine le temps de se rencontrer, physiquement, pour discuter de la suite des événements. Sur internet, certains les appellent même à créer un parti. “Je ne me vois pas faire cela, assure Simon. Je ne suis pas un politicien !” “Il ne faut pas qu’à notre tour nous tournions en rond sans être productifs, ajoute Thomas R. Bien sûr, nous n’avons pas été élus, mais les Belges voient en nous une lueur d’espoir. Il faut que nous allions jusqu’au bout de notre engagement.” Perrine Mouterde

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et maintenant, Libé ! Après France Inter, Nicolas Demorand a quitté Europe 1. Personnalité publique, le remplaçant de Laurent Joffrin a-t-il été recruté par le quotidien pour son seul talent de journaliste ?

brèves Dailymotion voit l’avenir en Orange France Télécom-Orange va payer 58,8 millions d’euros pour acquérir 49 % de la plate-forme française de vidéos en ligne Dailymotion. Le groupe a aussi posé une option pour monter à 100 % en 2013. Le site, créé en 2005, affiche un chiffre d’affaires 2010 de 18 millions d’euros, contre plus de 300 millions estimés pour son concurrent américain YouTube. L’opérateur et le site pourraient proposer des contenus premium payants. Apple : la tentation du monopomme C’était prévisible : Apple voudrait imposer aux éditeurs de presse que tout abonnement sur iPad et sur iPhone passe par iTunes. La firme à la pomme prendrait alors 30 % sur chaque commission. Inadmissible, selon les trois syndicats de la presse française, qui vont saisir l’Autorité de la concurrence. Ils estiment qu’il coûtera bientôt plus cher de distribuer son journal en version numérique qu’en version papier, et que les offres multisupports pourraient disparaître. Et pourtant, il y a quelques mois, l’iPad et Apple semblaient les sauveurs de la presse…



nnoncée le 26 janvier, au cœur d’un hiver riche en rebondissements sur le front des médias, l’arrivée prochaine de Nicolas Demorand à la tête de Libération en remplacement de Laurent Joffrin, et aux côtés de Nathalie Colin en charge de la gestion, fait l’effet d’une bombe. A cela, plusieurs raisons. Le timing d’abord : le journaliste radio, installé depuis quatre mois seulement sur la tranche du 18-20 h d’Europe 1, avait promis de s’accorder le temps nécessaire pour imprimer sa signature sur la radio du groupe Lagardère, où il ne semblait pas avoir pris totalement ses marques, après treize années passées à Radio France (France Culture de 1997 à 2006, France Inter jusqu’en juin 2010). Le déplacement sur la carte médiatique, ensuite : né au journalisme par la radio, Demorand a peu d’expérience en presse écrite (principalement des articles pour les Inrocks et Beaux Arts magazine au début des années 2000). D’où l’étonnement de le voir arriver au sein d’une rédaction prestigieuse de la presse quotidienne, qui ne l’a d’ailleurs pas toujours bien traité (en 2004, suite à son absence de réaction après le renvoi de Miguel Benasayag de France Culture, Pierre Marcelle le qualifia de “caniche”). Il n’est pas exclu que les salariés de Libé – qui attendaient plutôt le retour de leur ancien camarade Renaud Dély, aujourd’hui sur Inter –, l’accueillent un peu froidement, contre la volonté de l’actionnaire Edouard de Rothschild, qui a su convaincre l’intéressé de rejoindre la rue Béranger.

des audiences décevantes ont pu précipiter sa décision

Pour rejeter sa candidature, il faudrait que 66 % des journalistes votent contre Demorand, ce qui paraît peu probable. “L’ambiance est sceptique”, glissait un journaliste la semaine dernière. “On aurait besoin de quelqu’un qui connaît la presse écrite”, confiait une autre tout en concédant que le nouveau directeur pourrait surtout avoir “un rôle de représentation”. Au-delà des motivations personnelles de Demorand – se libérer d’Europe 1, où il s’ennuyait, surtout depuis que le big boss et ami Alexandre Bompard était parti ; une audience décevante avec 243 000 auditeurs perdus entre novembre et décembre 2010 ; l’envie de se frotter à l’animation d’une rédaction, d’écrire des éditoriaux, de redéfinir un avenir pour un quotidien aux finances fragiles… –, cette nomination souligne une tendance dans la presse écrite : un journal doit être incarné par une “vedette” publique. Tous les journaux se plient plus ou moins à cette “peopolisation”, comme si leur survie dépendait de la notoriété du pilote. Pour un titre comme Libération, d’où ont émergé de grandes figures du journalisme hexagonal, cet appel à une personnalité extérieure à son code génétique a des airs de “normalisation”. Alors que le nouveau patron d’Europe 1, Denis Olivennes, a annoncé le remplacement de Demorand par un autre Nicolas célèbre – Poincaré –, le premier devrait prendre ses fonctions le 1er mars, après avoir exposé son projet lors d’une assemblée générale. Il aura alors à prouver que sa nouvelle vie à Libération tient plus de l’audace (enfin un brillant quadra à la tête d’un quotidien !) que de l’aberration. Jean-Marie Durand

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Facebook en train Will.i.am a des puces Will.i.am, des Black Eyed Peas, vient d’être nommé directeur de l’innovation d’Intel, le géant de l’électronique. Son domaine ? Les portables et les tablettes, des éléments qu’il utilise déjà dans sa musique.

Un sondage de comScore de décembre 2010 révèle que 37,8 millions de Français visitent des réseaux sociaux, Facebook menant la danse avec 32,8 millions de visiteurs uniques en décembre.

iThunes

Intel Photos

En téléchargeant la dix-milliardième application sur iTunes, une Anglaise vient de remporter sur le site un chèque-cadeau de 10 000 dollars.

WikiTimes

Luc Besson perd un élément Pierre-Ange Le Pogam, cofondateur de la société de production EuropaCorp avec Luc Besson, vient de quitter celle-ci en raison de “divergences stratégiques”. Pierre-Ange Le Pogam reprocherait à Luc Besson ses recrutements trop people et ses dépenses, alors que plusieurs films récents n’ont pas été rentables.

back in black La revue Alibi est consacrée au polar, au roman noir, mais aussi à l’actu criminelle. Au sommaire du premier numéro, les jurys populaires vus par Eric Halphen, la série télé Sherlock, les policiers et truands devenus écrivains, une interview de R. J. Ellory…

Dans la foulée de WikiLeaks, le New York Times envisage de créer un système permettant aux détenteurs d’informations secrètes et/ou classées de les lui communiquer.

cerveau disponible

par le petit bout de la lucarne Dans un essai, un docteur en neurosciences nous ressert la rengaine sur l’influence pernicieuse de la télé. Une “preuve” parmi d’autres : il y a plus de téléphages chez les alcooliques.

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la subjectivité pure et simple. Si son amie Sophie n’a pas réussi à être infirmière, (il suppose que) c’est la faute à la télé. Il ne se cantonne pas à l’étrange lucarne. Selon lui, le septième art est tout aussi nocif. Il trouve de l’incitation au tabagisme jusque dans Avatar (heureusement qu’il n’a pas vu Mad Men. LOL). Mais l’influence de l’audiovisuel sur le comportement est elle-même infirmée dans ce livre (voir la description du “déficit vidéo” : un petit enfant imite un adulte qui accomplit un acte ludique devant lui, mais reste amorphe en voyant la même scène sur un écran). De toute façon, l’auteur ne va pas très loin. S’il était cohérent, il irait jusqu’à la racine du problème : le capitalisme. Ce qu’a fait, il y a longtemps, Guy Debord dans le radical La Société du spectacle, écrit dans un style auquel Desmurget, stakhanoviste du point d’exclamation, est étranger. Vincent Ostria

Freddy 3 : les griffes du cauchemar de Chuck Russell, 1987

ichel Desmurget, docteur en neurosciences, est très remonté contre la télévision. Dans son livre au titre subtil, TV lobotomie, il imagine des avertissements à placer au bas des petits écrans : “Regarder la télé tue”, ou “Trop de clips musicaux vous exposent au sida”. Provocation dont il est assez fier ; il se targue de fustiger la “bien-pensance boboïsante”. L’ennui c’est qu’il croit à ses formules. Pour lui, le petit écran est responsable de tous les maux : il rend cardiaque, idiot, violent, obèse, anorexique, alcoolique, accro au tabac, obsédé sexuel, etc. Le livre porte comme sous-titre : “La Vérité scientifique sur les effets de la télévision”. Nombre d’affirmations sont étayées par des statistiques tirées d’études diverses. En observant un groupe donné, par exemple des alcooliques, on constate qu’il y a plus de téléphages chez eux que chez des non-alcooliques. Et ainsi de suite… En fait, cette compilation d’études n’est pas très détaillée et souvent contradictoire. D’ailleurs, Desmurget préfère souvent

TV lobotomie de Michel Desmurget (Max Milo), 318 pages, 19,90 € 2.02.2011 les inrockuptibles 27

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Christophe Maé enfin distingué Lors du Midem, Frédéric Mitterrand a remis au gentil chanteur à succès la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Sérieux.

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la distinction

A défaut d’avoir gagné un NRJ Music Award – trophée dont personne n’a rien à carrer – lors du Midem, Christophe Maé a reçu une décoration honorifique du ministre de la Culture. Fait chevalier des Arts et des Lettres, le chanteur ajoute son nom à la liste des “personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire

ou par la contribution qu’elles ont apportée au rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde”. Il rejoint ainsi Dorothée, Nikos Aliagas, Céline Dion ou Philip Glass – qui n’est pourtant jamais apparu en prime time sur TF1. Visiblement ému, Christophe pose ici avec sa médaille, la bouche grande ouverte, aux côtés d’un Frédéric Mitterrand admiratif face à cette superposition audacieuse de rayures.

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Frédéric Mitterrand

Eric Gaillard/Reuters

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Christophe Maé Christophe Maé est l’auteur de tubes à succès et de maximes énigmatiques (“C’est pas pour autant qu’il faut qu’on s’attache et qu’on s’empoisonne avec une flèche qui nous illusionne”) ou polémiques (“C’est ma terre où je m’assois, ma rivière, l’eau que je bois, qu’on n’y touche pas”). Plus gros vendeur de l’année, il multiplie les tubes qu’une oreille inattentive aurait bien du mal à distinguer les uns des autres tant chacun ressemble au précédent. Son succès persistant (son premier album en 2007 dominait déjà les ventes) est un mystère que l’on peut éventuellement percer à l’aide des paroles d’un de ses nouveaux morceaux. Intitulé Pourquoi c’est beau, Christophe explique à un jeune garçon : “Petit, je suis aussi petit que toi/Quand tu veux savoir/Pourquoi c’est beau ça et ça, ça ne l’est pas ?/ Vois, la beauté, bonhomme, ne s’explique pas”. Un énoncé lapidaire qui fait écho à Kant et à sa Critique de la faculté de juger. A moins qu’il ne nous renvoie en pleine gueule la pensée de Bourdieu développée dans La Distinction – Critique sociale du jugement ? Quoi qu’il en soit, Christophe Maé source du rayonnement des Arts et des Lettres en France et dans le monde, “ça fait mal”.

Hasard de l’agenda : lors de la même semaine, Frédéric Mitterrand a écarté Céline des célébrations nationales et décoré Christophe Maé. “Le public vous apprécie, les Françaises et les Français vous aiment, vous avez su toucher le public avec lequel vous avez réussi à créer, cher Christophe, un rapport singulier. Lorsqu’on vous écoute, on a cette étrange impression d’être comme à la maison, comme si vous touchiez l’intime, le cœur de chacun. Sans même vous connaître, on a l’impression que vous êtes un ami”, a-t-il affirmé avant de manquer se casser la gueule dans le salon d’un grand hôtel cannois. Ainsi, au-delà de ses chiffres de vente, Christophe Maé se voit aussi récompensé pour son image bien travaillée de bon pote, de gars gentil toujours prêt à improviser un petit morceau au coin du feu. Et ça, ça en fout un coup aux rabat-joie prêts à citer cette fameuse phrase de Céline : “Si on se laissait aller à aimer les gens gentils, la vie serait atroce.” Diane Lisarelli

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Sans titre-1 1

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un amour de Swan Elle est sidérante en danseuse étoile schizophrène et mutante dans le film de Darren Aronofsky. “Un rôle presque nocif”, raconte Natalie Portman.

Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin/Trunk Archive/Photosenso

par Jean-Marc Lalanne et Alex Vicente photo Inez van Lamsweerde & Vinoodh Matadin

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“un an avant le début du tournage, je me suis entraînée trois heures par jour avec une danseuse pour développer les muscles de mes orteils”

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e près, on peine vraiment à reconnaître Nina, la danseuse psychotique qu’elle incarne avec tant de justesse dans Black Swan. Timide et menue, assise dans un fauteuil deux fois trop grand, on la verrait plutôt en cygne blanc qu’en cygne noir, même si elle prétend le contraire. “Je ne vis pas pour faire plaisir aux autres”, assure l’actrice, pendant qu’un journaliste de la table voisine l’interroge sur le nom du designer de sa robe violette. Elle n’en a pas la moindre idée. “Je suis tellement gênée”, s’excuse-t-elle. Ses formes exquises, sa beauté hypnotique, on dirait qu’elle s’en fiche. Comme si elle observait le cirque de l’affolement qu’elle provoque depuis le cordon de sécurité derrière lequel elle a toujours pris soin de se retrancher. Pourtant, elle se sait en lice pour la saison des prix et a finalement accepté, après dix-huit ans de réticence, de jouer le jeu d’Hollywood. Exit le silence sur sa vie personnelle, qui l’a même conduite à ne pas utiliser son nom de famille (le vrai étant Hershlag). Bienvenus l’annonce de sa grossesse, les baisers en public avec son compagnon (le danseur bordelais Benjamin Millepied, chorégraphe du film) ou même un salut inattendu depuis la scène des Golden Globes – antichambre d’un oscar plus que probable – à sa grand-mère juive de Cincinnati, qu’on imagine bien un gin tonic à la main regardant sa petite-fille à la télé. Actrice surdouée et dévouée à son métier façon stakhanoviste, Natalie Portman

atteint enfin le sommet avec un film qui fonctionne aussi comme une métaphore de sa carrière. entretien > Vous avez commencé la danse à l’âge de 4 ans avant de vous tourner vers le cinéma. Etait-ce un rôle idéal pour vous, dans la mesure où il réunit vos deux passions ? Natalie Portman – Un rôle idéal mais surtout un incroyable défi. Je suis restée imprégnée par le personnage longtemps après la fin du tournage et je ne m’en suis pas encore complètement séparé. C’était une grande opportunité pour moi mais aussi un rôle extrême, presque nocif. J’avais déjà travaillé dans d’autres films aussi exigeants au niveau des émotions. Mais dans Black Swan, j’ai dû affronter quelque chose de tout à fait nouveau : l’engagement physique. En tant qu’actrice de cinéma, j’ai souvent tendance à penser que le physique ne compte pas et que les expressions du visage, le regard suffisent. Cette fois, j’ai dû travailler avec tout mon corps car il fallait que je m’exprime par le mouvement. Je devais montrer à quel point Nina est rigide, timide et angoissée au début et comment elle se libère progressivement par la danse. C’était une question de style et de technique. Découvrir et apprendre tout cela fut une vraie chance. Le métier de Nina l’isole du monde extérieur. Le vôtre aussi ? Tout à fait. Curieusement, ce film, qui dénonce à sa manière l’isolement du métier d’artiste m’a conduit à m’isoler moi-même. Je me suis

1999 – Star Wars: Episode 1 – La Menace fantôme de George Lucas

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1994 – Léon de Luc Besson

révélée Natalie Portman a 12 ans lorsque Luc Besson fait d’elle la petite puce accrochée au pelage de l’ours Jean Reno. A l’époque, le film dérange parce qu’un tueur à gages y enseigne les techniques du tir d’élite à une enfant rescapée du massacre de sa famille par un gang et qui a bien l’intention de venger les siens. Aujourd’hui, le plus troublant est plutôt l’étonnante érotisation par Besson d’une fillette qui, à force de déambulation en petite culotte et moues photogéniques, tient plus de Lolita que de Cosette.

abandonnée Léon mène la comédienne vers une adolescence laborieuse où s’enchaînent les seconds rôles dans des films de premier plan. Dans Heat (Michael Mann, 1995), elle a pour beau-père Al Pacino, mais se désole que son père biologique la néglige. Désespérée, elle se taille les veines dans une baignore. Dans Mars Attacks! (Tim Burton, 1996), elle est la fille du couple présidentiel Jack NicholsonGlenn Close et voit ses parents (parmi des millions d’humains) massacrés avec allégresse par des Martiens aussi cruels que farceurs. Chez Besson, Mann ou Burton, c’est donc toujours le drame de l’abandon que rejoue la très jeune fille. La nouvelle triologie Star Wars la propulse à 17 ans vers les rôles adultes. Mais justement un peu trop vite. Dans l’épisode 1, elle assiste (encore) à un génocide, celui du peuple Naboo, dont elle est la reine, par d’affreux drones du côté obscur de la Force. Fine diplomate, la jeune souveraine en exil secoue ciels et planètes pour que les forces de la République interviennent. Natalie Portman, une innocente toujours déflorée par l’horreur du monde, une frêle personne toujours contrainte d’assumer des responsabilités qui l’expulsent précocément de l’enfance.

2004 – Closer de Mike Nichols

dénudée Star Wars fait de la jeune actrice une star. Reste à gagner la reconnaissance. Elle vient très tôt grâce au vieux routier du film psychologique US, Mike Nichols (Le Lauréat). Dans Closer, elle incarne une jeune stripteaseuse un peu fruste qui vit avec Jude Law et frétille du cul en string sous le nez de Clive Owen. Après les lourds oripeaux de la princesse Amidala, Natalie rappelle qu’elle a un corps et tout le monde convient que ça lui va bien : premier Golden Globe et première nomination à l’oscar (les deux en second rôle). 2.02.2011 les inrockuptibles 33

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totalement immergée dans le rôle. Un an avant le début du tournage, j’ai commencé à m’entraîner trois heures par jour avec une danseuse professionnelle qui m’a appris à développer les muscles de mes orteils avec d’interminables séances de pliés. Six mois avant le tournage, j’ai commencé à nager un kilomètre et demi par jour et à faire cinq heures de ballet. Deux mois avant, j’ai dû apprendre la chorégraphie en y travaillant huit heures par jour. Vous devez vous aussi vous battre pour les premiers rôles, faire face à la déception quand vous ne les obtenez pas et affronter une concurrence féroce de la part des autres actrices. Cela arrive probablement dans tous les métiers. Ce sentiment d’être en concurrence provient à mon avis d’un manque d’assurance. Il disparaît dès qu’on a développé une personnalité forte en tant qu’artiste. Quand j’étais plus jeune, j’avais un fort esprit de compétition car j’avais peur qu’on me remplace par n’importe qui et à n’importe quel moment. Heureusement, ça a changé. Maintenant, je me rends compte que je ne pourrais pas faire la même chose que les autres actrices, de la même façon qu’elles ne peuvent pas faire ce que je fais… Etes-vous une control freak ou quelqu’un qui sait lâcher prise ? Il faut toujours lâcher prise ! La raison pour laquelle les premières prestations d’un comédien sont généralement les meilleures, c’est qu’il n’est pas complètement conscient de ce qu’il fait. Lorsqu’un acteur se voit au cinéma pour la première fois, c’est presque comme un voyage astral. Cette expérience peut vraiment être destructrice. On peut devenir exagérément conscient de

sa personne. Arriver à me laisser aller a été une lutte constante. Le jeu d’acteur devrait être l’exact contraire du travail du ballet. Les danseuses se regardent constamment dans le miroir pour travailler leur technique. Elles savent qu’on ne les appréciera que si elles atteignent une perfection presque “objective”. A l’inverse, un acteur doit savoir faire abstraction de son image à l’écran. Devenir obsédé par son apparence est le pire qui puisse lui arriver. Vous avez dû apprendre à lâcher prise dans vos choix aussi. A vos débuts, mis à part Léon, vous alliez vers des projets moins risqués, des grosses productions comme Star Wars. Peu à peu, vous avez exploré des zones plus obscures, des personnages sombres comme la stripteaseuse de Closer, des films étrangers avec Gitai ou Wong Kar-wai, des cinéastes indés... Je pense qu’avant d’être adulte, au moment où l’identité est en pleine construction, il est préférable de renoncer aux rôles qui peuvent vous affecter très intensément. J’ai donc délibérément dit non à ceux qui pouvaient demander une charge affective, un investissement personnel trop profonds (comme Roméo + Juliette, Ice Storm ou le remake de Lolita – ndlr). Aujourd’hui, il me semble que j’ai eu raison parce qu’un rôle comme Nina dans Black Swan peut vraiment vous perturber. Comme je le disais, je m’y suis tellement investie que j’aurais pu en perdre la tête. J’ai eu la chance d’avoir une personnalité assez forte pour pouvoir m’y confronter. J’ai vu des acteurs sortir fragilisés d’une telle expérience. La santé d’un comédien peut en pâtir. 2008 – Hotel Chevalier de Wes Anderson

“être obsédé par son apparence est la pire chose qui puisse arriver à un comédien” 34 les inrockuptibles 2.02.2011

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meurtrie

2006 – V pour vendetta de James McTeigue

Après avoir bénéficié pendant six ans de la caravane tout confort Star Wars, miss Portman semble avoir envie de prendre des risques. Elle accepte par exemple ce très curieux premier long métrage d’un assistant réal de L’Attaque des clones, produit par les Wachowski et à revers du spectaculaire hollywoodien. Dans cette fable politique sur le fascisme, l’actrice incarne, cheveux rasés, la mémoire de tous les crimes contre l’humanité dans un film hanté par la Shoah. Une question qui prend un sens biographique particulier pour cette jeune femme, dont les arrièregrands-parents sont morts à Auschwitz, qui est née à Jérusalem et qui, entre deux Star Wars, y est retournée un semestre pour apprendre l’hébreu.

aventureuse Cet attachement à Israël est possiblement une des raisons qui a conduit la star hollywoodienne à accepter le road-movie d’Amos Gitai, tourné à la frontière jordanienne. Mais c’est plus généralement un goût de l’actrice pour les cinéastes d’origine étrangère. En 2007, elle enchaîne la coproduction internationale de Milos Forman (Les Fantômes de Goya, où elle donne la réplique à Javier Bardem et Michael Lonsdale) et Wong Kar-wai (My Blueberry Nights) où elle fait merveille en aventurière experte en poker et toujours prête à tout flamber.

2007 – My Blueberry Nights de Wong Kar-wai

2010 – Black Swan de Darren Aronofsky

magnétique Deux amants, las et désœuvrés, se retrouvent dans l’élégante chambre d’un grand hôtel parisien. La vue donne sur un avantageux bouquet de toits haussmanniens ; l’iPod joue en boucle une chanson charmante et kitsch avec couplets en français ; Natalie Portman et Jason Schwartzman sont les très glamours Américains à Paris de ce chromo ironique et stylé. Où Natalie Portman s’accoude entièrement nue à un buffet.

accomplie A 29 ans, elle trouve le rôle de sa vie avec un personnage censé avoir dix ans de moins qu’elle. Elle parvient à ressusciter en elle une juvénilité de bébé, une candeur enfantine, mais qu’elle nuance d’une inquiétude paroxystique. Quelque chose va craquer dans ce corps dressé pour accomplir des performances hors limites. Et avec une virtuosité ébouriffante, elle transforme le moindre tressaillement de muscle en pressentiment d’un cataclysme. En route pour l’oscar.

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“plus jeune , j’ai délibérément dit non aux rôles qui demandaient une charge affective trop profonde” Pensez-vous qu’il faille obligatoirement souffrir pour créer ? Pas nécessairement. Je ne pense pas qu’il faille sacrifier quelque chose, ni qu’il faille subir quoi que ce soit quand on travaille dans un film. Ce qu’il faut faire, c’est accepter de laisser mourir quelque chose qui est en vous. Je crois que la mort et la résurrection sont deux étapes importantes dans le processus créatif. A chaque fois que vous composez un nouveau rôle, des éléments que vous portez en vous doivent disparaître et laisser place à quelque chose de nouveau. Vous êtes-vous nourrie d’autres rôles ou d’autres films pour cette prestation ? Nous avons beaucoup pensé à ce que fait Catherine Deneuve dans Répulsion de Roman Polanski, à Isabelle Huppert dans La Pianiste de Michael Haneke. Quand j’ai rencontré Darren il y a neuf ans, il m’a parlé aussi d’un roman de Dostoïevski, Le Double, une étonnante exploration de l’ego. “A un moment du film, ton personnage aura des relations sexuelles avec lui-même”, m’a-t-il annoncé. J’étais très choquée par l’idée de cette scène et je le lui ai dit. Mais aujourd’hui, je comprends toute son importance. Nina se regarde à travers les yeux des autres ; elle vit pour plaire aux autres. Elle ne sait pas qui elle est, jusqu’à ce qu’elle devienne une artiste avec sa propre personnalité. Mais cette attirance pour elle-même fait naître aussi beaucoup de dangers… On a dit que cette scène de sexe entre femmes était juste un truc facile pour attirer le public masculin… (rires) Je pense qu’il s’agit d’une scène nécessaire car c’est le premier moment où Nina se laisse aller et se fait plaisir au lieu de faire plaisir

aux autres. C’est sa première rébellion contre un monde qui l’opprime. J’ai recommandé mon amie Mila Kunis à Darren Aronofsky car je savais qu’elle pouvait danser. Ils se sont rencontrés sur Skype et il l’a engagée sur-le-champ. J’aurais dû penser à cette fameuse scène avant de suggérer son nom : il aurait été plus facile de la tourner avec une parfaite inconnue… Votre éducation a-t-elle été aussi stricte que celle de votre personnage ? Quand des parents investissent tout sur leurs enfants, ça peut se passer comme ça. Heureusement, ça n’a pas été mon cas. Professionnellement, mes parents ne m’ont jamais obligée à faire quoi que ce soit. En revanche, ils ont été très durs en ce qui concerne mes études. C’est sans doute un comportement très juif… (rires). Quand j’avais 97 sur 100 à un examen, ils me disaient : “Il faut que tu aies 100 sur 100 !” Donc je connais bien ce sentiment mais heureusement pas avec la même intensité que mon personnage. A votre avis, le rôle de Nina sera déterminant dans votre parcours ? J’en suis certaine. C’est l’expérience la plus enrichissante et stimulante que j’ai jamais eue en tant que comédienne. Entre autres parce que ma relation avec Darren Aronofsky était presque télépathique. Il disait la moitié d’un mot et je comprenais tout. Ce niveau de communication entre acteur et réalisateur demeure très rare. Je ne l’ai jamais eu avant avec un autre cinéaste. recueilli et traduit par Alex Vicente Black Swan de Darren Aronofsky, avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel (E.-U., 2010, 1 h 48), sortie le 9 février. Critique dans le prochain numéro

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La Nuit juste avant les forêts

NOUVEAU

Au Théâtre de l’Atelier (Paris XVIIIe)

Barbara Carlotti e

A la Cité de la musique (Paris XIX )

Musée du quai Branly (Paris VIIe)

expo Véritable hymne aux femmes orientales, l’exposition dévoile un autre visage des femmes, du nord de la Syrie à la péninsule du Sinaï, en présentant un ensemble exceptionnel de 150 costumes et parures traditionnels du ProcheOrient, sélectionnés par le couturier Christian Lacroix. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes à l’inauguration le 7 février.

Christian Lacroix.

Thomas Geffrier

musiques Une promenade littéraire et musicale dans l’univers des dandys. Mêlant interviews, chansons, lectures de textes, Barbara Carlotti part à la rencontre de Bowie, de Brummel, de lord Byron, d’Oscar Wilde et de Gainsbourg, qu’elle fait dialoguer avec ses propres mélodies. A gagner : 5 invitations pour 2 personnes le 9 février.

scènes Une pièce de BernardMarie Koltès. Avec Romain Duris. Un homme tente de retenir un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; il lui parle de tout comme on ne peut jamais parler à personne, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile. A gagner : 3 invitations pour 2 personnes le 11 février, 3 invitations pour 2 personnes le 16 février et 4 invitations pour 2 personnes le 23 février. Merci d’indiquer la date de votre choix

L’Orient des femmes

Nouvelle Vague Haute culture : General Idea Une rétrospective de 1969 à 1994, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (Paris XVIe)

expo

Première rétrospective en France du collectif canadien General Idea. Ce trio "a été le premier à montrer les liens entre la consommation, le rapport à l’information et la sexualité, avec beaucoup d’humour", affirme Fabrice Hergott, directeur du musée. A gagner : 10 invitations pour 2 personnes à l’inauguration le 10 février.

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Tournée du groupe pop-rock

musiques

Après avoir célébré la new-wave anglaise, Marc Collin et Olivier Libaux proposent une lecture inédite de la nouvelle vague française des années 80. Le 8 février à Rouen (76) - Hangar 23. Le 11 février à Illkirch-Graffenstaden (67) - L’ILliade. Le 12 février à Lille (59) - L’Aéronef. Le 26 février à Nice (06) - Théâtre Lino-Ventura. Le 18 mars à Saint-Brieuc (22) - La Citrouille. Le 20 mars à Ris-Orangis (91) - Le Plan. Le 21 avril à Toulouse (31) - Le Bikini. A gagner : 3 invitations pour 2 personnes chaque soirée. Merci d’indiquer la date de votre choix

pour profiter de ces cadeaux spécial abonnés envoyez vite le titre de l’offre qui vous intéresse par e-mail à : [email protected] Merci d’indiquer vos nom, numéro d’abonné et adresse postale. Si plusieurs dates sont proposées, veuillez préciser votre choix. Les gagnants tirés au sort seront informés par e-mail. Fin des participations le 6 février

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I tout nu 2.02.2011

édito régulator

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Sarkozy en grand régulateur de la finance mondiale. A la tête du G20, le président se présente comme le pourfendeur en chef de la spéculation. Cette posture ou même, ne soyons pas suspicieux, ce combat, est celui classiquement dévolu au président de la République française. La France est certainement le pays capitaliste développé qui se méfie le plus du libéralisme ambiant. C’est aussi un positionnement confortable. Personne ne pourra sérieusement reprocher au président de n’avoir pas réussi à mettre la finance mondiale en ordre dans six mois. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher d’en avoir trop promis, trop annoncé, sur cette question (comme sur tant d’autres…). Ce positionnement, enfin, peut devenir une arme contre Strauss-Kahn. En martelant que la question au cœur du débat mondial est la régulation de la finance et que la France a un rôle majeur à y jouer, l’abandon de la tête du FMI par un Français serait présenté par Nicolas Sarkozy comme un abandon de poste préjudiciable aux intérêts du monde. Cet argument massue et, il faut le dire, assez fort est déjà distillé par les proches du président.

Jean Lecointre

par Thomas Legrand

nègres en politique Un ancien ministre brise l’omerta, et des rédacteurs de l‘ombre, ces fameux nègres littéraires, témoignent à visage découvert. Enquête.

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2.02.2011 tout nu II

Chantal Brunel

Cyril Bitton/fedephoto

Jack Guez/AFP

Eric Baudet/fedephoto

U

n coming out qui n‘est pas passé inaperçu : en 2009, Roger Karoutchi révélait son homosexualité dans une autobiographie – Mes quatre vérités, chez Flammarion – alors qu‘il briguait l‘investiture UMP pour les élections régionales en Ile-de-France. Aujourd‘hui, l‘ancien ministre accepte de briser un autre interdit en reconnaissant qu‘il n‘a pas écrit son livre tout seul. Il demandé pour cela l‘aide d‘un nègre littéraire et nous dévoile même son nom : Guy Benhamou, ancien journaliste à Libération. Rares sont les hommes et les femmes politiques qui acceptent ainsi de lever un secret bien gardé : “80 % d‘entre eux ne rédigent pas eux-mêmes leurs ouvrages, précise l‘éditeur parisien Jean-Claude Gawsewitch. C‘est un problème de temps et de talent, beaucoup ne savent d‘ailleurs pas vraiment écrire”, poursuit-il. Bien entendu, la plupart refusent de reconnaître avoir eu recours à une plume de l‘ombre. Certains cherchent même à le camoufler à l‘éditeur, “avec un succès relatif”, s‘amuse l‘ancien secrétaire général d‘Albin Michel, Thierry Pfister. Seul Jacques Chirac a accepté de cosigner ses mémoires parus fin 2009, Chaque pas doit être un but, pourtant rédigés à la première personne, avec son nègre, l‘historien Jean-Luc Barré. Une quasi-exception dans les milieux politique et de l‘édition. “Le plus curieux, c‘est qu‘à l‘arrivée, lorsque le livre existe, le signataire est souvent convaincu qu‘il l‘a vraiment écrit”, poursuit Pfister. Le déni devient total. “Tous les nègres n‘acceptent pas facilement de passer d‘une proximité privilégiée à l‘oubli pur et simple.” C‘est avant l‘été 2008 que Thierry Billard, directeur littéraire chez Flammarion, contacte Roger Karoutchi pour lui proposer de retracer sa vie dans un livre moyennant un à-valoir de 8 000  euros. “Je n‘en voyais pas bien l‘intérêt, nous raconte l‘ex-

MohamedS ifaoui

secrétaire d‘Etat. J‘avais déjà accepté des interviews dans la presse sur mon enfance au Maroc, mais de là à en faire un livre...” Thierry Billard, lui propose un marché  : imaginer ensemble le déroulé des chapitres et faire intervenir ce que les Anglo-Saxons surnomment un ghostwriter. C‘est ainsi que Guy Benhamou a confessé une douzaine de fois Roger Karoutchi, qui refuse toutefois d‘évoquer son homosexualité pendant que le magnétophone tourne. La page consacrée à cette information est la seule qu‘il a rédigée lui-même. “J‘ai refusé que l‘on m‘aide sur ce passage et même interdit de toucher une virgule.” Guy Benhamou a rédigé près de vingtcinq ouvrages en dix ans pour des personnalités, pas forcément politiques, sans que son nom apparaisse en couverture. Il est loin d‘être le seul. L‘une des stars les plus productives de la “négritude littéraire” s‘appelle Jean-Paul Brighelli. Ce professeur de lettres marseillais, normalien, agrégé, est plus connu du grand public pour avoir

en pratique

des livres qui ne se vendent pas Malgré le recours à des plumes de l’ombre, les livres signés de personnalités politiques ne font pas recette dans les librairies. Rares sont ceux qui atteignent les 5 000 exemplaires. Les récents essais de Chantal Jouanno, Cécile Duflot ou Valérie Pécresse ont même été de véritables flops. Celui de la députée Chantal Brunel est déjà retiré des présentoirs. Parmi les exceptions, Jean-Luc Mélenchon a vendu plus de 60 000 exemplaires de son livre, Qu’ils s’en aillent tous !, alors que le président du Parti de gauche est l’un des rares leaders politiques à avoir la réputation d’écrire lui-même ses ouvrages. Ce que confirme son éditrice, Sophie Charnavel, responsable éditoriale à Flammarion. “Il a beaucoup travaillé pour que ce soit extrêmement accessible”, ajoute-t-elle. Les lecteurs privilégieraient-ils alors des livres plus “sincères”, qui ne sont pas rédigés par d’autres ? Le ventes ne dépendent pas que de la qualité littéraire du signataire ou de son “nègre”, mais du sujet traité. C’est pourquoi la maison d’édition et la plume de l’ombre sont souvent amenées à négocier avec le politique pour faire des révélations accrocheuses. M. M.

publié en 2005, sous son propre nom, un brûlot sur l‘école, La Fabrique du crétin, aux éditions Jean-Claude Gawsewitch. Les mémoires de Patrick Balkany, dans lesquels le maire de Levallois affirme avoir couché avec Brigitte Bardot ? C‘est lui. A son actif, des ouvrages de stars politiques, de droite comme de gauche. Il a un temps prêté officieusement sa plume au romancier Joseph Joffo et rédigé quelques confessions de people, comme le témoignage, paru en janvier 2005, de la fille de Michel Sardou, victime d‘un viol collectif. Lui n‘enregistre pas ses entretiens, prend tout en notes. Après les confessions, la rédaction peut se révéler douloureuse. Il faut “faire corps avec son sujet, témoigne-t-il. Vous êtes sommés d‘entrer dans la psychologie de celui pour lequel vous écrivez. Pendant quinze jours ou trois semaines, je deviens véritablement l‘autre. Quand je me transforme en Patrick Balkany, par exemple, vous imaginez bien que ce n‘est pas facile à vivre pour l‘entourage...” Nicolas Domenach le dit lui aussi. Le directeur adjoint de la rédaction de Marianne fut, dans les années 1980, l‘accoucheur de François Léotard pour son livre après la défaite de la droite à la présidentielle de 1988, Pendant la crise, le spectacle continue, ainsi que de Jean-François Deniau pour un autre ouvrage. “Entrer dans l‘écriture, c‘est entrer dans l‘âme”, raconte-t-il. Claude Askolovitch, lui, affirme n‘avoir été nègre “qu‘une seule fois avec un politique, en 1993. Sur le coup, j‘ai trouvé ça amusant, parce que ça nous plonge au cœur du pouvoir. Mais j‘avais 30 ans, et surtout, je n‘écrivais pas encore sur la politique. Je me suis dit ‘Plus jamais !‘, car après il faut des années pour rétablir des relations normales avec les hommes politiques. Aujourd‘hui, je fais des livres d‘entretien, et mon nom apparaît toujours.”

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“QUAND JE ME TRANSFORME EN PATRICK BALKANY, VOUS IMAGINEZ BIEN QUE CE N’EST PAS FACILE À VIVRE POUR L’ENTOURAGE...” JEAN-PAUL BRIGHELLI Un pacte de confiance entre un politique et son nègre s‘impose. Thierry Pfister, ancien journaliste au Monde, fut conseiller de Pierre Mauroy à Matignon de 1981 à 1984, tout en jouant les plumes de l‘ombre pour deux de ses ouvrages1. Il a ainsi, en quelque sorte, succédé à Franz-Olivier Giesbert, qui avait secondé Mauroy pour son premier livre, Héritiers de l‘avenir, en 1977. Devenu ensuite éditeur, Pfister raconte que “par expérience, mieux vaut qu‘il existe un lien préalable, une certaine proximité, plutôt que d‘associer artificiellement une personne et une plume. Dans le second cas, les échecs sont nombreux”. Les rapports entre un politique et son nègre peuvent tourner au conflit. JeanPaul Brighelli raconte ainsi sa collaboration avec Jean-Louis Borloo pour son livre Un  homme en colère chez Ramsay en 2002. Lorsqu‘il a envoyé le manuscrit à l‘élu centriste, ce dernier l‘aurait rappelé, furibard : “Vous n‘avez pas bien compris. Le sujet, le vrai sujet, c‘est moi !” Son premier jet “se voulait trop strictement politique”, dit-il. Jean-Louis Borloo n‘a pas souhaité nous répondre, tandis que son éditeur de l‘époque se contente de confirmer que les relations entre les deux hommes s‘étaient révélées très difficiles. Entre Chantal Brunel et son nègre, Mohamed Sifaoui, journaliste régulièrement contesté pour ses enquêtes sur l‘islamisme, le clash fut même spectaculaire. Pour son ouvrage paru en janvier 2010 au

Cherche Midi, dans lequel elle prenait parti pour la réouverture des maisons closes, la députée UMP de Seine-et-Marne a même changé de plume en cours de route. “Il n‘y a pas une ligne de Sifaoui dans mon livre car mon assistante parlementaire a découvert qu‘il avait fait des copier-coller d‘articles sur internet. Je me suis alors fait aider par une autre journaliste, Laurence Beneux, mais sur une seule des quatre parties du livre. Le reste, c‘est moi qui l‘ai écrit, ça m‘a pris six mois.” Plumes de l‘ombre et éditeurs doivent enfin convaincre les politiques de se lancer dans des déclarations croustillantes, quitte à se fâcher avec leurs conseillers en communication. L‘ancien ministre Christian Estrosi, lui, s‘est rétracté. Il devait sortir en 2010 un ouvrage écrit par Jean-Paul Brighelli, dans lequel il taclait Brice Hortefeux à quelques mois du remaniement ministériel. “Au même moment, Sarkozy a dit à ses ministres qu‘avant d‘écrire ils devaient se concentrer sur leur travail au gouvernement”, raconte Jean-Claude Gawsewitch. Mais Jean-Paul Brighelli n‘a pas rédigé le livre de l‘ancien ministre pour rien. Christian Estrosi l‘a transmis à un journaliste ami, Philippe Reinhard, qui l‘a légèrement reformaté : ainsi, en mars 2010, paraissait la biographie Christian Estrosi – La Trajectoire d‘un motodidacte, signée du journaliste politique. “Philippe Reinhard a effectué un vrai travail de journaliste, se défend Jean-Claude Gawsewitch. Le texte

Jean-Louis Borloo

François Lo Presti/AFP

Patrick Balkany

Roger Karoutchi

Thomas Coex/AFP

Vim/Abaca

Jean-Paul Brighelli

de Christian Estrosi lui a servi, mais il a eu de grands entretiens supplémentaires avec le ministre, notamment sur son parcours personnel et son enfance.” Si certains politiques n‘écrivent pas une ligne de leurs ouvrages, quelques-uns participent réellement à la rédaction. C‘est le cas de François Léotard, fin lettré, pour l‘ouvrage qu‘il avait rédigé en 1988 avec l‘aide de Nicolas Domenach : “Il avait un réel souci de l‘écriture. Il voulait ses mots à lui, donc il réécrivait tout, raconte ce dernier. Je l‘aidais surtout à lui faire sortir ce qu‘il avait au fond de lui.” Dominique Strauss-Kahn aussi est un gros travailleur. Lui trouver un nègre fut la mission un peu particulière confiée à Bernard-Henri Lévy en 2001, pour la rédaction du livre phare du leader socialiste, La  Flamme et la Cendre, chez Grasset. L‘écrivain Marc Villemain fut retenu. “DSK m‘envoyait par mail des flots de pages, témoigne ce dernier. J‘avais pour consigne de les rendre plus littéraires. Quand il abordait des questions techniques sur la monnaie ou sur la fiscalité européenne, je retouchais peu et seulement sur la forme.” Au-delà de l‘intérêt que certaines plumes de l‘ombre trouvent à cette activité, la “négritude” permet de mieux gagner sa vie. Si Jean-Paul Brighelli demande 10 000 euros par ouvrage, les tarifs varient le plus souvent entre 5 000 et 8 000 euros, pour un travail de trois à six mois. Certaines plumes, qui n‘ont pas été recrutées par un éditeur mais directement par un politique, sont payées sous forme de CDD d‘assistant parlementaire. D‘ici à 2012, les nègres les plus demandés vont pouvoir tenter de faire monter les enchères. Les leaders politiques devraient, une fois encore, se bousculer en librairie. Michaël Moreau 1. C‘est ici le chemin (1982) et A gauche (1985)

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contre-attaque Le numérique a libéré un flux ininterrompu de textes, d’images et de sons. Mais les réseaux sont accusés de vider la parole de son sens, voire de fabriquer une génération d’abrutis.

bon, et pis voilà !

S

ur les portables, les messages trop longs sont coupés d’office. L’excellent Twitter les limite à 140 signes. Le langage SMS, avec émoticônes et messages préenregistrés, qui mélange le parler techno et le verlan des lascars et qui s’appuie sur une orthographe phonétique, donne la prime à ces cancres que sont les geeks. Car on bouffe les mots, on coupe les phrases qu’on ponctue par un “et pis voilà !”, à charge pour l’interlocuteur de deviner la suite. C’est un fait, on parle et on écrit mal. De plus en plus mal. A commencer par le premier d’entre nous, le président Sarko, fâché avec la grammaire, et dont le parler popu se voudrait (inconsciemment ?) proche de sa base. Entre autres perles, il déclarait à la télévision, à propos de Borloo : “J’aurais souhai-

té qu’il restât.” Grave mortel, non ? Ces nouveaux modes d’expression sont passés depuis longtemps dans le langage courant. Des ministères aux agences de pub, crânes d’œufs et créatifs se voient priés d’être performants en réunion, d’enchaîner les slides (autrefois appelés “transparents”, ce qui veut tout dire) et de faire court, si possible sans verbe ni ponctuation, cet héritage d’un monde dépassé. Dans La Pensée PowerPoint – Enquête sur ce logiciel qui rend stupide (La  Découverte), Franck Frommer mène une attaque en règle brillante contre l’écriture à puces, la manie du bullet-point et sa syntaxe télégraphique, support d’une pensée sans arguments, proche de la liste de slogans. A l’exception notable des mouvements pour la démocratie à l’Est, ou des manifestants

en pratique hara-kiri tout net Vous voulez décrocher ? Suivez le mode d’emploi de web 2.0 Suicide Machine, site néerlandais qui “permet de supprimer vos profils de socialisation qui dévorent votre énergie, de tuer vos faux amis virtuels et de vous débarrasser complètement de votre alter ego sur le web  2.0”. C’est encore meilleur que d’arrêter de fumer. Pour réapprendre à parler normal, reste ensuite à reprendre la lecture des romanciers et philosophes du XVIIIe. Ou à s’inscrire aux cours libres du Collège de France. Pour en savoir plus sur le même sujet, un classique  : Comment tu tchatches ! de Jean-Pierre Goudaillier (Ed. Maisonneuve et Larose).

iraniens puis tunisiens qui ont pu, grâce à eux, organiser leurs rassemblements contre leurs tyrans respectifs, Facebook et les réseaux sociaux imposent un babil léger comme seul code d’expression acceptable. Et même si on a intégré que ces nouveaux langages facilitent les contacts amicaux et professionnels, et qu’ils favorisent la légèreté et la dérision, ils ont souvent tout du badinage futile des précieuses à la cour de Louis XV. Sérieux s’abstenir ! Internet et les réseaux sociaux auraient libéré la parole. Mais quelle parole ? Pour un meilleur échange entre les individus ? Ou bien, en se “dématérialisant”, la parole se serait-elle vidée de son sens ? Voilà un moment que philosophes et penseurs dénoncent Facebook et consorts comme des forums nervosistes dont l’effet le plus manifeste, à travers des murs entiers de messages abscons, est de détourner les individus des véritables enjeux et combats à mener. Fesse-Bouc, comme il s’autoparodie, fabriquerait une génération d’abrutis inconscients. Ça peut aller loin. Le jour de Noël, Simone Back, une Britannique de 42 ans se suicidait par overdose médicamenteuse, non sans avoir annoncé son geste aux 1 048 “amis” de son Facebook. Selon le Guardian de Londres, il ne s’en est pas trouvé un seul pour intervenir. Dans les mondes virtuels, on a les amis qu’on peut. Va-t-il bientôt être in de ne plus être online ? Et z’y va, c’est bon. [email protected]

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presse citron

les relous par Christophe Conte

Xavier Mouthon/Globepix

Manuel Valls joue au président, Cali câline Bernie, Jacquot a des problèmes au casque et Carlita se découvre de droite. Pendant ce temps, Joe Dalton et le chien le plus stupide de l’Ouest font leur entrée en politique.

Rama Yade, star system “Je ne suis pas un people”, clame Rama Yade dans l’émission Stars en questions, entre Geneviève de Fontenay et Patrick Sébastien. Attention, pour rester ambassadrice à l’Unesco et surtout membre du panel du pifomètre des Inrocks, il faut rester cr édible !

Christian Jacob et Nicolas Sarkozy

Immunisé par son titre d’“homme politique de 2010”, François Fillon canarde ces temps-ci comme à la fête foraine. Une indiscrétion du Canard enchaîné (12/01) révélait que le Premier ministre avait récemment qualifié Christian Jacob de “Rantanplan de la majorité”, samplant au passage Jean-Christophe Cambadélis. On en déduit donc que Jean-François Copé serait dans l’histoire un genre de Lucky Luke traînant derrière lui ce boulet, et on vous laisse du coup deviner à qui on pense pour le rôle de Joe Dalton.

hyper faux président Après son passage à l’émission d’anticipation politique Bonsoir Monsieur le président sur Canal Jimmy (27/01), Manuel Valls s’est carrément pris au jeu. Il est ainsi allé fêter sa victoire au Chouquet’s, une boulangerie d’Evry, avant de réunir ses 23 supporters place du Marché pour une nouba qui a entraîné tout ce beau monde jusqu’à des 11 heures du soir. Selon les dernières rumeurs, il aurait été vu au Parc Astérix avec Nolwenn Leroy.

tailler une hype Cette année, VSD a avancé son numéro du 1er avril au 27 janvier en bombardant en une la vieille racketteuse de pièces jaunes avec ce titre : “Bernadette reine de la hype !” Un signe qui ne trompe pas, l’autre jour sur le plateau d’Ardisson, le troubadour ségoléniste Cali lui a proposé ses services pour aller racler les fonds de poches des pauvres avec Douillet et d’autres pingouins du même genre. Et Cali, c’est hype. Non, on déconne.

tête de veau Pendant que Bernadette fait la belle, c’est la mémoire de Jacques qui se fait la malle. “La grande

épreuve” titrait le JDD (30/01), évoquant Alzheimer à propos des troubles dont souffre l’ancien chef de l’Etat. Maladie contagieuse chez les Français, qui ont visiblement oublié tous les coups tordus et la gouvernance lamentable de celui que tout le monde s’accorde aujourd’hui à trouver “sympa”.

Carla in blue “Je ne me sens plus vraiment de gauche”  : cruelle confidence de Carla Bruni-Sarkozy dans un entretien au Parisien (31/01), comme quoi Alzheimer ne touche pas que les vieillards. Lassée du caviar bobo, la première dame préfère désormais les œufs de l’UMP et s’adore visiblement en Cendrillon d’une droite Disneyland décomplexée et cool. Bernie, elle, est super wild à côté.

très confidentiel Liliane et Françoise Bettencourt, la mère et la fille, se sont affichées ensemble lors du défilé haute couture Armani, place Vendôme à Paris. Pendant ce temps, Eric Woerth faisait les soldes au Kiabi de Chantilly.

Daniel Joubert/Reuters

western avec des nains

élection sans risque Nicolas Hulot envisage de se présenter à la présidentielle mais, à en croire ses proches, il ne veut pas en passer par les primaires organisées par les écolos. Gaffe Nicolas, sache qu’au bout du processus, il faudra bien y passer, il y aura toujours des électeurs…

Jouanno sélectionneuse “On ne peut pas faire honte à la France et prétendre ensuite rejouer en équipe de France.” C’est ce qu’a déclaré la ministre des Sports à L’Equipe, ajoutant : “Je suis certaine qu’il existe d’autres talents qui n’ont pas sali la France.” Bientôt la liste des 22 façon Chantal J ouanno ? 2.02.2011 les inrockuptibles 43

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Alpha Condé et Bernard Kouchner le 21 décembre à Conakry

propagenda

Kouchner en veut encore

A

u 27, rue de la Convention, dans le XVe  arrondissement de Paris, au rez-de-chaussée du ministère de la Coopération, annexe du Quai d’Orsay, certains en sont restés bouche bée. Bernard Kouchner, ex-ministre des Affaires étrangères, y a carrément un bureau… Lui qui n’a plus aucune fonction officielle a le droit à son espace personnel et à sa secrétaire. “On traite bien ceux qui ont eu des fonctions importantes”, entend-on dans les couloirs. D’autant mieux traité que Bernard Kouchner ne fait pas qu’y passer. L’ex-French Doctor se rend aussi régulièrement à la cantine, somme toute bien installée, puisque à deux pas de la Seine. “Il n’y va pas en minable, raconte un observateur, mais plutôt en ambianceur. Il est très populaire, toujours entouré d’une flopée de gens.” Cuisinière, staffs… le politique serre des mains, c’est bien connu, quel que soit le terrain. Bernard Kouchner prend ses quartiers à la Coopération après le remaniement du 15  novembre où il se voit débarqué du Quai d’Orsay. Le 21 décembre, il accompagne Henri de Raincourt, ministre de la Coopération, et la délégation française pour l’investiture de président de Guinée, Alpha Condé, un ami depuis le lycée. En Guinée, Kouchner est surnommé le “frère jumeau” du président… Rebelote le 26 janvier 2011, Bernard Kouchner se rend à nou-

Cellou Diallo/AFP

Après son départ du Quai d’Orsay, Bernard Kouchner, toujours populaire, n’a pas renoncé à jouer un rôle à l’international. veau en Guinée-Conakry, cette fois-ci en visite privée et non sur invitation des autorités guinéennes. Visite amicale et à titre gracieux, nous dit-on, et qui n’a pas été officiellement annoncée par les autorités. Seul le déplacement de l’ex-ministre dans les hôpitaux de la capitale a donné lieu à une couverture par les médias locaux. Une visite qui a duré selon des témoins environ trente minutes dans chaque établissement, les CHU Ignace-Deen et Donka. Entouré de quelques Français, Bernard Kouchner était aussi accompagné d’une délégation du ministère de la Santé guinéen et du ministre Dr.  Namory Keïta. Après quelques poignées de mains, il a prononcé un long discours pour préconiser l’instauration d’une assurance mala-

SON NOM CIRCULE POUR LE POSTE DE HAUT REPRÉSENTANT DE L’ONU POUR LA RECONSTRUCTION D’HAÏTI

die en Guinée. Une déclaration qui a réjoui la directrice de l’hôpital Ignace-Deen, présente sur place. “M. Kouchner, en tant que fondateur de plusieurs sociétés humanitaires et sanitaires telles que BK Conseil, nous ne pouvons que nous réjouir de sa visite et de sa politique sanitaire, qu’il veut mettre au profit de la Guinée.” Une allusion à BK Conseil au moment où les déplacements se multiplient… De quoi faire penser à certains que Bernard Kouchner reprendrait du service auprès des dirigeants africains avec sa société BK Consultants (BK pour Bernard Kouchner, BK Conseil ayant été dissoute dès le 18 mai 2007 après sa nomination ministérielle). Créée le 15 janvier 2004 par Bernard Kouchner, cette structure BK Consultants, enregistrée à son adresse personnelle, a été “mise en sommeil”, selon les termes de l’intéressé, du fait de ses responsabilités au Quai d’Orsay. Vérification faite, la société BK Consultants a été radiée le 25 août 2009, ce qui signifie qu’elle n’a plus aucune existence juridique. Pour l’instant, Bernard Kouchner, dont le nom circule pour le poste de haut représentant de l’ONU pour la reconstruction d’Haïti, n’a plus de structure à son nom. Il n’a pas pour autant renoncé à jouer un rôle à l’international, a fortiori en Guinée grâce à son amitié avec Alpha Condé. Marion Mourgue

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VII tout nu 2.02.2011

que le meilleur perde

affaires intérieures

Valls fait le beau devant DSK

J

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. par Michel-Antoine Burnier

Stéphane Lemouton/Abaca

e pense que Dominique Strauss-Kahn est sans doute, demain, le mieux placé pour l‘emporter face à Nicolas Sarkozy. Je souhaite qu‘il prenne des responsabilités et ses responsabilités parce que je pense que nous avons besoin et de sa vision et de son expérience.” Ces propos ont été tenus par Manuel Valls le 30  janvier sur  Europe 1 ! Ce même Manuel Valls qui officialisait le premier sa candidature à la primaire du PS en expliquant sur RTL qu‘il irait jusqu‘au bout, pour clarifier “le débat entre les anciens ministres de François Mitterrand et ceux qui veulent en profondeur renouveler la gauche”. Une attaque en règle contre Ségolène Royal, Martine Aubry, mais aussi DSK ! Ce renouveau, Valls l‘avait déjà affiché haut et fort dans un livre paru au printemps 2008, au titre sans ambiguïté : Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche ! Alors quelle mouche l‘a piqué, lui qui théorisait que la génération des quadras devait prendre la main ? Manuel Valls, sentant le vent tourner, préparerait-il sa sortie par le haut ? Essaierait-il de se placer pour l‘après, au cas où DSK serait candidat ? Ou tout simplement d‘occuper l‘espace “réalisteéconomique” si le patron du FMI ne se lance pas dans lapr imaire ? M. M.

confidentiel “La violence, d‘où qu‘elle vienne, n‘est jamais la solution, parce que la violence n‘appelle rien d‘autre que la violence.” Nicolas Sarkozy, le 30 janvier, à propos des événements en Egypte. Dire “d’où qu’elle vienne”, c‘est une façon de ne pas prendre parti pouvant faire penser que l’on renvoie les manifestants et Moubarak dos à dos. Sarkozy étend donc la fameuse “réserve” de la France concernant ses anciennes colonies… au reste du monde.

En prévision de l‘élection présidentielle de 2012, droite et gauche fourbissent leurs armes victoricides, et parmi celles-là, l‘une des plus redoutées des citoyens : la fiscalité. Comme il est logique, M. Sarkozy nous menace d‘une réforme générale de l‘impôt avant le scrutin, les socialistes, pour après si jamais une maladresse les portait au pouvoir. L‘histoire tend à prouver que l‘exercice fait passer ses auteurs pour rapaces et dépensiers, et pour incompétents s‘ils sont au gouvernement. Second avantage : les débats fiscaux exacerbent deux sentiments fort répandus dans la population, ceux de l‘injustice et de l‘inégalité. Voilà pourquoi il convient d‘apporter un soin particulier aux modalités d‘une bonne réforme ou d‘une bonne augmentation des impôts, ce qui revient au même. Il faut donc : 1. L‘annoncer longtemps à l‘avance, et de préférence avant un scrutin. En parler dès aujourd‘hui, c‘est favoriser pendant plus d‘un an toutes les rumeurs, les propositions fantaisistes ou des plans proches de la demande de rançon. Riches comme pauvres s‘angoissent à l‘idée de payer davantage. 2. Menacer les citoyens. Ceux-ci doivent vivre dans une insécurité permanente. La remarquable multiplication des niches fiscales puis la brutale suppression de certaines d‘entre elles y contribuera pour beaucoup. Cela ne concerne pas que les propriétaires de

yachts. On attire tel citoyen par une déduction sur une économie d‘énergie, un investissement écologique, une épargne, un achat de logement, un mariage, un divorce, une donation, un héritage. Puis on lui supprime ce petit privilège alors qu‘il ne peut plus faire marche arrière. La victime saura poursuivre d‘une longue rancune les auteurs de cette vilaine farce. 3. Prétendre que l‘on va simplifier les impôts mais les compliquer. Une feuille d‘impôts claire pourrait réveiller un sentiment civique chez le contribuable. L‘obscurité nourrit l‘indispensable sentiment d‘injustice. 4. Faire confiance à la psychologie des masses. Les augmentations se perçoivent toujours, les diminutions jamais. 5. Encourager les cadres et les classes moyennes à réclamer une taxation accrue des riches. Ils crieront vengeance lorsque, recevant leur avis, ils découvriront que les riches, ce sont eux. 6. Casser la croissance. Comme toute dépression entraîne à terme une reprise, il convient de retarder celle-ci le plus possible. Plus lourd pour les entreprises, outre la mauvaise humeur patronale, l‘impôt présente l‘avantage de faire baisser l‘investissement et d‘accélérer le chômage ; sur les citoyens, il fait reculer la demande, donc les rentrées de TVA. On en arrive à cette figure admirable : les Français croient payer davantage tandis que l‘Etat touche moins. (à suivre...) 2.02.2011 les inrockuptibles 45

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En analysant l’audace de quelques penseurs français dans les années 60-70, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie dénonce le retour actuel à un ordre universitaire qui ne produit plus d’idées innovantes.

L’université de Vincennes au début des années 70

JLGGB

débat d’idées

ces universitaires qui rentrent dans le rang

L

a puissance d’une œuvre de création, artistique ou intellectuelle, tient souvent, dans ses principes explicatifs, à la personnalité iconoclaste de son auteur. C’est ainsi que Sartre analysa l’œuvre de Flaubert, ou Gide celle de Dostoïevski. Il existe aussi une manière sociologique d’examiner la création, invitant à éclairer ses conditions de possibilité. Plutôt que se pencher sur des vies singulières, cette démarche confère à la question de la création un enjeu politique qui excède le cadre d’une subjectivité, fût-elle géniale. C’est la voie qu’ouvre un jeune sociologue français (29 ans), Geoffroy de Lagasnerie, dans deux brillants essais, Logique de création et Sur la science des œuvres1. Il existe selon lui une “écologie des idées”, des périodes qui se révèlent plus ou moins accueillantes à l’innovation. La preuve avec le destin des grands penseurs français des années  60-70 comme Foucault, Bourdieu, Lévi-Strauss, Deleuze, Derrida : une époque où l’invention des concepts et la circulation des théories de la connaissance échappaient à un cadre universitaire figé.  Par opposition au tournant conservateur qui aurait gagné la vie des idées à partir des années  80, Geoffroy de Lagasnerie évoque un paradis perdu de l’audace de la pensée. “Un retour à l’ordre universi-

taire a participé au fond d’une destruction des conditions de la création et de la qualité du débat intellectuel”, affirme-t-il, comme si la normalisation du champ universitaire était responsable de l’absence des Deleuze, Derrida, Bourdieu, Foucault… d’aujourd’hui. Ce que partageaient ces auteurs à l’époque, c’était une “rétivité épidermique à l’ordre universitaire et disciplinaire”. Contre les grandes machineries académiques, ils préférèrent la voie d’un “mouvement d’éloignement”. Accueillis alors dans des institutions parallèles – l’université de Vincennes, l’Ecole des hautes études en sciences sociales… –, ils créèrent un pôle de pensée “hétérodoxe” face à un cadre “orthodoxe”. En remettant en cause la manière dont l’université tendait à “déconnecter les

“UNE DESTRUCTION DES CONDITIONS DE LA CRÉATION ET DE LA QUALITÉ DU DÉBAT INTELLECTUEL”

lieux de savoir les uns des autres”, à “délimiter et juxtaposer des cercles distincts de production”, en s’affranchissant des frontières entre modes de pensée, en mettant en résonance leurs idées avec d’autres sources d’énergie, ces penseurs obéissaient à une “logique de production d’espaces”, inventant leur propre contexte. En miroir, le constat désenchanté que Geoffroy de Lagasnerie dresse du paysage actuel de la pensée universitaire se fonde sur ce décalage entre un ample geste transgressif et une dissémination de la pensée, morcelée, refermée sur ses parties limitées. Mais son éloge de la création d’hier bute sur deux angles morts. L’auteur ne fait qu’esquisser la crise de l’université actuelle sans en donner une vision suffisamment nourrie, comme s’y essayait récemment un ouvrage collectif, Refonder l’université (La Découverte). Et surtout, l’auteur néglige la réalité d’un paysage intellectuel en (re)construction permanente au sein de l’université française, où, en dépit des effets de système et des contraintes politiques et financières, s’inventent de nouvelles pensées critiques, dont la sienne –  nerveuse, riche, stimulante – forme un signe éclairant et paradoxal. Jean-Marie Durand 1. Logique de création (Fayard), 268 pages, 18 € ; Sur la science des œuvres, questions à Pierre Bourdieu (et à quelques autres) (Editions Cartouche), 126 pages, 15 €

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“m’as-tu vu” au Siècle ? C’est le club le plus select de France, bien que presque personne ne le connaisse. Pdg du CAC 40, patrons de presse et anciens ministres s’y croisent et y discutent des affaires du monde. Un lieu pour se montrer. par Anne-Sophie Mercier illustration Jean Jullien

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n jour, le réalisateur Pierre Carles a décidé que devait cesser ce rituel qu’il avait toujours pris comme une gifle. Lui et quelques centaines d’amis les ont donc pistés, les petits messieurs, les qui s’en sortent toujours, les bien mis, les importants, venus à l’une de leurs fameuses réunions du Siècle. Ils ont brandi des poings vengeurs, scandé “Nous ne vous oublierons pas !”. Une petite vidéo postée sur le net et le tour était joué. L’essentiel n’était-il pas de savoir ? Voilà les participants démasqués, la preuve du complot enfin connue de tous. Regardez le ballet des voitures aux vitres teintées, regardez comme ils ont souvent l’air gêné. Plus de soixante ans qu’ils étaient là, peinards. Pensez, les réunions ont commencé en 1944. Pris en gros plan, les conspirateurs, avec tremblé de l’image suggérant l’info volée, donc importante. Ils pressent le pas, fuient la caméra. Trop tard. On vous connaît, on vous a vus sur internet, vous êtes membres du Siècle. Au fait, c’est quoi, le Siècle ? Juste un club qui se réunit le dernier mercredi de chaque mois. Et alors, la liberté de réunion et d’association, ça existe ? Certes, mais ces gars-là, ce sont cinq cent quatre-vingt participants tous au top dans leur domaine. Pdg du CAC 40, anciens ministres, étoiles montantes de la politique, patrons

de presse et de l’édition. Artistes, éditorialistes en vue, médecins reconnus. Des noms ? Alain Minc, Michel Pébereau, Louis Schweitzer, Edouard de Rothschild, Denis Olivennes, Claude Bébéar, Matthieu Pigasse (patron des Inrocks), Franz-Olivier Giesbert, Teresa Cremisi, (pdg de Flammarion), David Pujadas, Jean-François Copé, Rachida Dati… Avec une certaine naïveté, ils ont choisi l’Automobile Club de France, sur la place de la Concorde, en face de l’Assemblée nationale, pour cadre de leurs agapes. La tranquille puissance de la finance et de la haute administration qui se met en scène là, à quelques centaines de mètres à peine des élus du peuple transformés en pantins, otages du suffrage universel. Vous n’avez pas honte ? La vérité, c’est qu’ils n’y ont sans doute même pas pensé. Pierre Carles, auteur de ce petit film qui mit en rage Denis Kessler, ancien patron du Siècle (remplacé par Nicole Notat depuis janvier), et ceux qui le soutiennent dans ce combat ne sont pas les seuls à poser la question de la légitimité du club. Légalement, rien à dire. On voit mal en quoi une réunion de nombreuses huiles professant tous des opinions parfaitement républicaines et n’ayant en tête aucun trouble à l’ordre public pourrait poser problème. Politiquement, c’est plus compliqué. Jacques Julliard, l’éditorialiste de l’hebdomadaire Marianne, qui en fut membre et s’y rendit parfois

“par curiosité”, ne cache pas ses doutes. “Les gens qui se rencontrent au Siècle ont une position dominante dans leur secteur. Ce club contribue à créer une super-élite, c’est indéniable. Aux EtatsUnis, la question politique que pose l’existence de cette super-élite est en soi un sujet d’études, pas chez nous. Des sociologues comme Wright Mills ont travaillé sur le sujet. Leurs conclusions sont sans appel : il est bon pour la démocratie que les élites quelles qu’elles soient restent en quelque sorte étanches les unes par rapport aux autres. J’ai vécu un an à Princeton. Quand j’expliquais aux Américains que j’étais prof à l’EHESS et chroniqueur à l’Obs, que j’avais un pied dans le monde universitaire, un autre dans celui de la presse, je les surprenais.” Reste à savoir en quoi l’existence de cette super-élite pose un problème. Alain-Gérard Slama, éditorialiste à France Culture et au Figaro, est un membre assidu du Siècle. L’agressivité à laquelle il se heurte ne le surprend pas. “Nous vivons une période particulière. Entre l’échec des politiques économiques, la détestation des financiers et ce sentiment, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, que ces gens ne méritent ni leur rang, ni leur place dans la société, que finalement ils ont failli, il est logique que ce rendezvous jouissif des élites, perçu d’ailleurs comme tel, suscite de la haine.” Que l’étalage de cette jouissance soit un objet de détestation, un point de fixation, on peut donc le comprendre. Mais la théorie du complot qu’agitent 2.02.2011 les inrockuptibles 49

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Alain-Gérard Slama, éditorialiste à France Culture et au Figaro : “L’entrée au Siècle, c’est comme une décoration, comme le jour où on entre à Ulm ou à l’X”

les pires ennemis du Siècle ne tient guère la route. Elle est certes au cœur de notre imaginaire. Les sociétés secrètes ont fait rêver les plus grands écrivains, Balzac en tête. Ces quelques lignes magistrales extraites de L’Histoire des Treize, treize conspirateurs qui mettent Paris à leurs pieds, paru en 1833, résument parfaitement les questions que posent ces clubs puissants et discrets. “Ce monde agissant tout entier pour un seul de ses associés quand l’un d’eux réclame l’assistance de tous ; cette vie de flibustier en gants jaunes et en carrosse, cette union des gens supérieurs, froids et railleurs... cette religion du plaisir fanatisa treize hommes qui recommencèrent la société de Jésus au profit du diable.” Ce qui est possible dans l’univers balzacien pour une poignée d’hommes désireuse de bouffer le monde l’est-il pour une armée de barons repus ? Difficile de comploter quand on est plusieurs centaines, même si lors des dîners l’assemblée se répartit par tables de huit convives. Car le placement n’est pas libre et le chef de table dirige la conversation. “Personne ne doit être exclu, c’est un lieu où se recrée la conversation telle qu’elle existait au XVIIIe siècle, ce qui donne parfois aux échanges un tour inattendu”, analyse Denis Jeambar, ancien patron du Point, de L’Express et d’Europe 1, longtemps membre du conseil d’administration. Bien sûr, il y a le fameux apéritif, qui finit impérativement à 21 heures, où en théorie toutes les rencontres sont possibles, qui permettrait de régler les affaires du monde entre soi. Même Jacques Julliard reconnaît que l’on peut certes “y faire son marché” mais que les exemples avérés sont rares. “Philippe Villin, le grand manitou du Figaro, y a recruté Giesbert”, se souvient-il, en admettant que les deux hommes avaient mille autres lieux pour se croiser : les politiques, les membres de la haute administration et les patrons de presse peuvent se voir à Sciences-Po, en tant qu’anciens élèves ou enseignants, à l’ENA, sur les plateaux de télévision…

Michèle Cotta fut la première femme à intégrer le Siècle : “C’est un lieu qui lisse, qui aplanit. Pour moi, c’est le temple de la pensée unique”

“La famille Bérard-Quelin, propriétaire de la puissante Correspondance de la presse, et qui a créé le club, faisait et défaisait les carrières sous la IVe République. Le père était une espèce de pape radical, qui, arrêtons de fantasmer, n’avait plus aucun pouvoir sous la Ve”, s’amuse Michèle Cotta. Celle-ci fut d’ailleurs la première femme à intégrer le Siècle en 1983. Non seulement le Siècle ne fait plus la loi mais on y trouve des gens qui ne sont plus au sommet de leur carrière. Marc Tessier, ancien président de France Télévisions et membre assidu, en est un parfait exemple. Au Siècle, on peut même s’ennuyer ferme. “Je me suis retrouvé à des tables superchiantes avec des administrateurs de la SNCF”, se souvient Julliard. Alain Duhamel, un temps membre du club, l’a déserté parce qu’il n’y “apprenait plus rien”, Jacques Attali, dont on connaît le goût pour les puissants, en a démissionné. On fait mieux comme lieu de complot. S’ils n’y règlent pas les affaires qui les concernent, n’y recrutent guère, ne rencontrent pas toujours des maîtres du monde, pourquoi diable y vont-ils ? Pour s’y montrer. Car l’intégration est un vrai parcours d’obstacle. Il faut plaire à 66 % des membres. “L’entrée au Siècle, c’est comme une décoration, ou comme le jour où on entre à Ulm ou à l’X. C’est le même plaisir, ce qui donne à ce club un côté réunion de vieux enfants qui me frappe toujours”, analyse Alain-Gérard Slama. Qui va même jusqu’à évoquer un lieu où des gens de pouvoir ont “enfin des relations normales”. Car au Siècle, la violence est prohibée. “Il est mal vu d’être arrogant quand on est au pouvoir, et l’opposition n’y est jamais humiliée”, se souvient Michèle Cotta. Les éclats de voix y sont très mal vécus. Quand on devient un facteur de gêne, on se retire de soi-même. On pratique beaucoup le suicide social au Siècle : tout plutôt que subir le ricanement intérieur de l’autre. Jean-Marie Messier, Jean-Yves Haberer (Crédit Lyonnais),

Eric Woerth se sont faits plus que rares. Ce refus de la violence sociale et verbale écarte d’emblée les polémistes nés et a sans nul doute assuré la pérennité du Siècle. Mais où s’arrête le culte de l’équilibre, de la tempérance ? “C’est un lieu qui lisse, qui aplanit. Pour moi, c’est le temple de la pensée unique. Si tu crois profondément en quelque chose, tu t’enflammes, et là, c’est comme si tu crachais à table. La maîtrise de l’expression est si importante au Siècle qu’on ne peut s’y montrer ni excessif ni romantique. Ça devient donc le lieu d’échange des idées reçues”, déplore Michèle Cotta. “Le Siècle, c’est le lieu de formation d’une opinion moyenne, celle des riches”, tranche Julliard. L’économiste Alain Cotta, pourtant considéré comme anticonformiste dans le milieu, est plus nuancé. “On peut tout dire au Siècle, tout dépend de comment on le dit.” Lisse, maîtrisé, équilibré : est-ce parce que le Siècle est un vrai robinet d’eau tiède qu’il n’accueille guère les nouvelles élites ? “Il faut faire entrer les femmes, les jeunes, les artistes”, admet Philippe Labro. L’écrivain, ancien patron de RTL, peut-être parce qu’il a toujours navigué entre plusieurs mondes, de l’écriture au cinéma, y a fait entrer Alain Terzian, président des César, François Dufour, le fondateur du groupe de presse Play Bac, et se mobilise pour que Yannick Bolloré, le jeune patron de Direct 8, en devienne membre. Denis Jeambar a poussé la candidature d’Emmanuel Krivine. Mais le conseil d’administration va devoir faire des choix : on compte près de trois cents personnes sur la liste d’attente… Toute passion aurait donc déserté ce lieu trop bien fréquenté ? Pas si sûr. Au Siècle, on raconte que certains membres prennent prétexte du dîner pour se trouver des alibis. Ils sont annoncés mais font défection au dernier moment. Un minois croisé dans Paris, un sourire un peu appuyé, et les voilà partis le cœur en vrille. La cage dorée qui pousse à la liberté : l’idée ne manque pas de charme.

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“je veux tout recommencer”

Mike Skinner avait peur de ne plus s’amuser avec The Streets : à l’heure du dernier album, le petit génie anglais a sabordé le projet qui a fait sa gloire. Ultime interview d’un garçon décidé. par Thomas Burgel photo Phil Fisk

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Mike Skinner (ici en 2002), chroniqueur réaliste de l’Angleterre prolétaire et déclassée

un des premiers singles de The Streets s’intitulait Let’s Push Things Forward. “Faisons avancer les choses”, promettait ainsi, en 2002, Mike Skinner, jeune blanc-bec de Birmingham qui posait son flow de faux cockney forcené sur un hip-hop fondamentalement britannique. Il inventait là une musique insulaire, élevée dans les banlieues de briques et les pubs houblonnés, dans les clubs ecstasiés et les remugles de kebabs, chez les lads bas du front ou les premiers fouineurs du UK garage. Skinner, l’un des meilleurs documentaristes de l’Angleterre des noughties, offrait une vraie culture urbaine à une Grande-Bretagne jusqu’alors incapable de s’extraire de la domination absolue du rap américain. Mais à force de trop faire avancer les choses, l’Anglais a fini par heurter une butée : sa propre passion. Quatre albums plus tard, il annonce

brutalement que son Computers and Blues sera le der des ders : lassé de son propre jouet et effrayé par les automatismes, retrouvant le frisson de l’inconnu dans l’actuelle écriture d’un film, Mike Skinner a le courage de saborder The Streets avant de sombrer dans son propre cliché. Décision admirable d’un garçon libre qui part en nous laissant comme ultime héritage un album au goût amer d’adieux, assez tordu, familier et étrange à la fois, constellé de quelques grands morceaux (l’ouverture Outside Inside, le très drôle OMG, les petits tubes Without Thinking, Those That Don’t Know ou Trust Me, le finale Lock the Locks…). The Streets nous gratifie surtout d’une passionnante et ultime interview en forme de bilan définitif. Ce qui ne signifie pas qu’on ne parlera plus jamais à Mike Skinner : le garçon, attachant et décidément brillant, sait où il va. Nous sommes prêts à le suivre.

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“un bon artiste est celui qui sait prendre les mauvaises décisions pour en tirer un élément positif”

entretien > Tu arrêtes The Streets comme on part à la retraite… Tu as fini par considérer ça comme un boulot, quotidien et pesant ? Mike Skinner – Non, même si ça y ressemble. Ça a pris toute ma vie, forcément la routine s’installe. C’est évidemment un job créatif mais je considère que toute forme de créativité doit avoir ses propres limites, ses barrières. The Streets n’était pas un projet à la forme totalement libre. Il comporte des éléments immuables, un certain type de musique que je produis et dont j’écris les textes… Je n’aurais pas été capable de révolutionner tout ça et ce n’est pas non plus ce que je cherchais. J’ai décidé assez tôt de faire un cycle de cinq albums puis de m’arrêter. Dès mon deuxième album en fait, A Grand Don’t Come for Free. Quand tu regardes mes disques, notamment les pochettes, tu trouves une certaine unité graphique, des correspondances qui appartiennent au même univers.

Univers dont tu as fait le tour… Tout se résume à un choix simple : veut-on gagner plus d’argent ou être plus heureux ? Je me suis fait beaucoup d’argent par le passé, j’en ai aussi beaucoup dépensé – et je me suis rendu compte que l’argent n’était pas ce qui allait me rendre heureux. Les moments que j’ai le plus aimés ont été ceux où je créais quelque chose sans savoir précisément ce que j’étais en train de faire. Les gens le sentent. J’ai donc besoin de tout recommencer, de retrouver l’excitation avec quelque chose d’inconnu, de neuf. L’ennui, la fatigue, la lassitude auraient-ils pris le dessus ? J’ai traversé des périodes de véritable épuisement. Il m’a fallu changer ma façon d’agir pour m’en sortir. Au milieu du processus de Computers and Blues, j’ai dû tout arrêter pendant près de six mois : j’étais malade, épuisé, je ne pouvais plus rien faire. Je ne sais pas clairement ce qui m’est arrivé. Peut-être une forme de fatigue chronique ou un désordre neuronal. Nous en sommes arrivés à la conclusion que je devais ralentir, m’arrêter un moment, que je souffrais d’une surcharge de travail. Je suis quelqu’un de très sensible. J’ai eu beaucoup d’obstacles mentaux à dépasser toutes ces années, avec des hauts et des bas toujours très intenses. Je pense ne pas être très loin de la bipolarité. Je vis des périodes où je me sens incroyablement confiant, avec une vision très solide des choses, d’autres où je me trouve sans intérêt, où j’ai l’impression de ne faire que de la merde. C’est le propre des artistes, non ? Les bons artistes ont besoin de ressentir les émotions de manière intense et profonde. Un bon artiste est celui qui sait prendre les mauvaises décisions pour en tirer un élément positif et forcer les gens à l’accepter. Si on fait toujours ce que l’on attend de nous ou ce qui est logique, l’ennui vient rapidement. Le meilleur exemple, c’est Original Pirate Material, 2.02.2011 les inrockuptibles 55

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“ce sont les concerts qui me manqueront le plus, pouvoir hurler devant cinq mille personnes” mon premier album. Quelques mois avant que l’album ne sorte, rapper sur des beats bizarres avec un accent anglais à propos de vies anglaises moyennes semblait la pire chose qu’on puisse imaginer. Eh bien cette mauvaise idée s’est transformée en succès… Les charts britanniques d’aujourd’hui sont bourrés de rappeurs anglais. Avant que je commence, une majorité d’Anglais essayaient de prendre un accent américain. Mais à peu près au même moment, des gens comme Dizzee Rascal s’affirmaient eux aussi avec confiance comme de vrais Britanniques. Désormais, quand on entend un accent américain chez un rappeur anglais, ça sonne presque ringard, passéiste. Ton mode de vie a sans doute beaucoup changé depuis les débuts de The Streets… Quelque chose en moi reste perpétuellement jeune. Ça vient sans doute d’un style de vie un peu rock’n’roll, des tournées, de tout ça. D’une certaine manière, tu n’as même pas besoin de grandir quand tu es dans un groupe, quand tu mènes une vie comme la mienne. Mais je me suis marié, j’ai une petite fille : une partie de ma vie est adulte. Ça m’a offert une routine, mais cette fois une belle routine, terre à terre, quotidienne, ce dont manquent les musiciens, généralement. En tournée, si tu en as envie, tu peux sortir et faire n’importe quoi toutes les nuits. Mais personne ne peut survivre à ça. Si je l’avais fait, je n’aurais pas dépassé les 35 ans. Je serais même sans doute mort à 27 ans… Disons qu’on apprend à se protéger. Mais j’ai quand même traversé ces excès. La cocaïne, notamment. Oui. Le fait d’être britannique, et plus particulièrement le fait d’être un Britannique pris dans le music business… Tout ce que je racontais se rapportait à cette réalité impossible à ignorer, à éviter. Les artistes britanniques sont cinglés avec ça. J’ai beaucoup voyagé, dans le monde entier : ce sont vraiment les plus dingues. Dans n’importe quel festival du monde, les plus fous sont les Anglais, et c’est vrai des fans aussi. Quand j’ai débarqué dans l’industrie de la musique, on trouvait de la cocaïne partout. Aujourd’hui, elle est dans tous les milieux, dans tout le pays. Des gens avec des boulots tout à fait normaux en prennent, des gens plus âgés en prennent, tout le monde en prend dans les pubs : c’est presque universel. En tombant dans ces excès, as-tu eu peur de perdre contact avec ce que tu étais vraiment ? J’ai perdu le contact plusieurs fois. Mais j’étais dans ma vingtaine. Je crois que tout le monde, à cet âge, se dit avec innocence et inconscience : “Je me marre pour l’instant mais il faudra bien redescendre à un moment ou à un autre.” Ce mode de vie est malsain

et dangereux, on le sait. Mais on profite de sa jeunesse en attendant la suite. Tu as présenté dès le début Computers and Blues comme ton dernier album. Cela a dû avoir un impact sur sa conception. Je voulais un résultat futuriste. Le précédent était plutôt tourné vers le passé, j’avais voulu enlever tous les éléments liés à la vie moderne. Computers and Blues part du concept inverse. Je disais ça hier à mes proches et on en a rigolé : ce disque est comme mon “greatest hits”… La musique se voulait très neuve et il reste des éléments de ce désir, des techniques plutôt modernes, des coupures assez soudaines et violentes au sein même des morceaux. Quant aux textes, je voulais écrire quelque chose de contre-utopique, des histoires de robots qui prennent le contrôle du monde, des choses à propos de guerres électroniques. Mais je me suis rendu compte que ça donnait l’impression que je faisais mon malin, ce que je déteste. Ce qui marchait le mieux, c’était quand je parlais de mes propres émotions. Je pense notamment à une chanson comme Blip on a Screen : je regarde un écran dans un hôpital et j’y vois l’image de la naissance de mon enfant en ultrasons… C’est vers ça que je me suis dirigé : les technologies déclenchant ou accompagnant une émotion. Comme la chanson sur Facebook, OMG. C’est par ce biais que le futurisme a fait son irruption dans l’album. D’où son titre. As-tu des regrets ? Oui, un : je déteste toujours le dernier album que j’ai fait. Je suis content lorsqu’il sort, les gens semblent intéressés, mais le fait d’avoir été plongé dedans pendant si longtemps crée chez moi un sentiment de rejet. A chaque fois, je me suis senti en rébellion par rapport à ce que je venais de publier, je me suis toujours dit que ça aurait pu être mieux. Si je regrette quelque chose, c’est cette amertume, le fait de ne pas avoir pleinement profité de ma musique à sa sortie. N’as-tu pas peur qu’à un moment The Streets te m anque ? Ce sont les concerts qui me manqueront le plus. Pouvoir hurler devant cinq mille personnes, les faire sauter comme un seul homme… Mais je suis quelqu’un d’assez borné. J’ai besoin que les gens croient en ce que je fais. Je pense que j’aurais perdu ma crédibilité si j’avais continué. Je veux que les choses aient l’air neuf, j’ai besoin de me sentir un peu perdu. Ce sera le cas avec le film dans lequel je me suis lancé. Album Computers and Blues (Warner) the-streets.co.uk Interview intégrale sur

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comment penser la vie collective ? A l’heure du tout-profit et de l’individualisme, philosophes et penseurs envisagent une vie fondée sur le lien social et la conscience des autres. Une nouvelle utopie politique. par Jean-Marie Durand près l’indignation du pugnace Stéphane Hessel, un nouveau motif politique issu de la réflexion philosophique prolonge le débat : le souci du bien commun. Que faire de nos colères individuelles ? Les traduire dans d’autres manières d’envisager la vie collective, à l’heure où le monde se dissout dans l’individualisation des modes de vie. Au Triomphe de la cupidité (titre de l’essai de l’économiste Joseph Stiglitz), à la surévaluation des biens marchands, à la sous-estimation de la vie relationnelle, des auteurs opposent un contre-horizon de vie fondé sur le lien social et la conscience des autres. Un indice de l’édification de cette nouvelle pensée ? Le titre même du nouvel ouvrage des deux théoriciens de la gauche critique des années 2000, Toni Negri et Michael Hardt qui, après leurs bibles pour altermondialistes convaincus, Empire et Multitude, viennent de publier aux Etats-Unis Commonwealth. Dans cette réflexion sur une organisation sociale qui “libérerait pleinement la puissance du commun”, les auteurs définissent ce nouvel horizon d’espérance comme “la négation du propre”. Le propre étant la figure opposée au commun. Pour la philosophe Mireille Delmas-Marty, auteur de Vers une communauté de valeurs ? (Forces imaginantes du droit, vol. IV), il existe une différence entre les biens propres, “que chacun défend”, et le bien commun, “dont personne ne se sent en charge”. Pour de nombreux penseurs critiques d’aujourd’hui, l’enjeu repose ainsi sur une volonté de contredire le philosophe grec Aristote qui écrivait : “Ce qui est commun au plus grand nombre suscite le moins d’intérêt.” Le commun n’est pas un spectre mais une “idée neuve”, estime le sociologue Christian Laval qui commence le 2 février à Paris un séminaire sur le sujet. De la philosophie au droit,

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pour en savoir plus Toni Negri et Michael Hardt Commonwealth (Belknap/Harvard, US) Mireille Delmas-Marty Vers une communauté de valeurs ? (Seuil) François Flahault Où est passé le bien commun ? (Mille et une nuits) Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret De la convivialité (La Découverte) Stéphane Ferret Deepwater Horizon (Seuil) Emilie Hache Ce à quoi nous tenons, propositions pour une écologie pragmatique (La Découverte) Collectif Penser à gauche, figures de la pensée critique aujourd’hui (Editions Amsterdam)

de l’écologie à la convivialité, des voies politiques s’esquissent par lesquelles un monde commun pourra enfin s’incarner. la philosophie pour repenser le bien commun Dans son livre Où est passé le bien commun ?, le philosophe français François Flahault (auteur en 2008 du Crépuscule de Prométhée) pose comme principe vital la nécessité de “réhabiliter la notion de bien commun et de la repenser”. Défini comme “l’ensemble de ce qui soutient la coexistence, et par conséquent, l’être même des personnes”, ce bien commun se fissure parce qu’il repose sur un malentendu : l’insuffisance de la pensée des droits de l’homme à le faire vivre complètement. Car si les droits de l’homme se veulent un recours contre tout abus de pouvoir, ils ne disent rien des relations interhumaines ni des rapports économiques ou politiques. La déclaration universelle des droits de l’homme favorise une vision plurielle de l’humanisme mais “laisse sans réponse la question de savoir comment les concilier” et comment concilier plus largement universalisme et diversité culturelle, souligne aussi Mireille Delmas-Marty. Pour Flahault, il faut repenser le bien commun à la lumière des connaissances anthropologiques acquises au cours des dernières décennies. Grâce à la primatologie (l’état de nature est un état social), la paléoanthropologie et la psychologie du développement, on sait désormais que “la coexistence des êtres a précédé leur existence individuelle”. D’où l’obligation de prendre en compte l’interdépendance, non seulement utilitaire mais véritablement ontologique, entre les hommes : “Il faut en passer par les autres pour être soi.” la convivialité pour partager De ce principe absolu, magistralement théorisé par Flahault, plusieurs implications pratiques peuvent découler. Le concept de “convivialité” en forme une assez stimulante. Défendu par Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret, le convivialisme, déjà promu en 1973 par le sociologue Ivan Illich, fusionne des idées issues autant des théories de la décroissance que de celles de l’antiutilitarisme. Pour eux, le monde a basculé depuis trente ans dans une forme de totalitarisme inversé qui rejette tout ce qui est de l’ordre du commun : d’où l’urgence de remettre au cœur de l’espace public la “common decency” de George Orwell ou ce qu’ils appellent un “socialisme universalisé et radicalisé”. Contre l’efficacité utilitariste, la démesure de tout,

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si les droits de l’homme se veulent un recours contre tout abus de pouvoir, ils ne disent rien des relations interhumaines y compris de la production et de la consommation, la focalisation sur une croissance qui met en péril la nature, ou la marchandisation généralisée, l’appel à la convivialité invite à s’autolimiter, à freiner ses pulsions égoïstes, à penser sa présence au monde en relation avec les autres. A penser comme le grand philosophe Castoriadis, qui écrivait : “Je préfère acquérir un nouvel ami qu’une nouvelle voiture.” l’écologie pour coexister L’écologie vient renforcer la construction de cette maison commune. Pour Stéphane Ferret, auteur de Deepwater Horizon, nous sommes parvenus à un tel degré de prise de conscience sur nous-mêmes et sur l’état du globe terrestre que seule l’écologie peut nous amener “à réviser en profondeur notre vision du monde et nos manières d’être”. La question écologique sera pour Ferret “la question centrale du XXIe siècle”. La morale kantienne qui posait comme évidence que “le monde d’avant les hommes” était dépourvu de raison et de valeur ne tient plus : aujourd’hui, chacun admet que l’homme est un objet biologique qui partage une origine commune, et donc un destin commun, avec tous les objets biologiques terrestres. Pour Emilie Hache, philosophe proche de Bruno Latour, une écologie

Fred Tanneau/AFP

apéro géant à Rennes : réinventer la convivialité ?

pragmatique peut contribuer “à l’élaboration de ce monde commun en participant à faire exister une cosmopolitique”. Cette “cosmopolitique” vise à permettre la coexistence d’une multiplicité d’êtres à partir de nouvelles expérimentations politiques. Elle nous invite à penser collectivement aux conséquences de nos actes. le droit pour responsabiliser Le droit aura toute sa part à jouer dans ce monde commun : la “force imaginante” du droit tient selon Mireille Delmas-Marty à sa capacité à réinventer un “humanisme juridique, pluriel et ouvert”, capable de solidifier un destin commun. Dans des domaines aussi variés que la promotion d’une paix durable, la protection de l’environnement, l’encadrement des nouvelles technologies, “le droit peut contribuer à réaliser l’idée de bien commun, c’est-à-dire à lui donner un sens en ordonnant les valeurs et en responsabilisant les acteurs”. “Apparemment utopique”, cette voie dessine en réalité un horizon “pleinement réaliste” puisqu’elle est “notre seule chance de survie”. Un pseudo-paradoxe traverse les écrits de ceux qui repensent aujourd’hui le bien commun : l’utopie politique qu’ils construisent ne fait que traduire l’urgence de ses usages pratiques. Séminaire Christian Laval animera “Du public au commun” au Collège international de philosophie, les mercredis 2 et 9 février, 9 mars, 6 avril, 11, 18 et 25 mai et 8 juin, 1, rue Descartes, Paris Ve, tél. 01 44 41 46 80, www.ciph.org 2.02.2011 les inrockuptibles 59

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toujours seul plus jamais célibataire

C’est la vraie révolution de l’amour 2.0. Connecté à Facebook ou Meetic, sollicité en permanence, le célibataire ne craint plus le vide affectif : il y aura toujours quelqu’un pour lui quelque part. par Marc Beaugé illustration Lilian Joly

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’est la meilleure période de l’année, il le sait et espère en profiter. “Entre le 1er janvier et la Saint-Valentin, il y a un pic d’activité, tout le monde se montre plus entreprenant.” Il se souvient avoir conclu l’an dernier, à cette même époque, avec deux “très jolies filles”. Adrien a 36 ans, habite le XIe arrondissement de Paris et travaille pour une grosse banque anglaise. Il y a dix-huit mois, il s’est séparé d’Estelle avec qui il sortait depuis quatre ans. Un mois plus tard, il a mis au point sa stratégie pour rebondir et s’est inscrit sur Meetic et sur Adopteunmec. Il a aussi remis en état la page Facebook qu’il avait ouverte trois ans plus tôt sans jamais vraiment y prêter attention. Et comme il est perfectionniste, il a aussi créé un compte Twitter. Aujourd’hui, Adrien n’a toujours pas de fiancée ou de relation sérieuse. Mais il a fait du chemin. “J’ai d’abord traversé une période de boulimie, dit-il. Les six premiers mois, comme tous les mecs qui sortent d’une relation longue, j’ai multiplié les aventures, jusqu’à une ou deux par semaine. C’était marrant mais un peu grotesque. Progressivement, je me suis calmé.” En ce moment, Adrien rencontre une fille par mois et dit conclure une fois sur deux. “Rien de dingue. En fait cela me rappelle ma moyenne quand j’étais étudiant.” Pour lui, l’apport d’internet est ailleurs. “Je ne vois plus le célibat de la même façon. Ce n’est absolument pas pesant, ennuyeux, parce que je sais qu’il y a toujours une possibilité. Sur un réseau ou un autre, il se passe toujours quelque chose, un message, un flash…” Si, l’air de rien, la révolution de l’amour 2.0 était là ? On ne se marie pas plus aujourd’hui qu’il y a dix ans,

on ne fait pas plus d’enfants non plus, et aucune étude statistique sérieuse ne démontre que l’on roule plus de galoches ou que l’on fait davantage l’amour. A priori, les rencontres que l’on fait aujourd’hui en ligne auraient de toute façon eu lieu, hier, au travail, dans un bar ou un cercle d’amis. Passé l’esbroufe, la frénésie des premières semaines et le record de baise sans lendemain, internet reste donc un support plus qu’un générateur de relations. Son véritable impact est autre. Internet est en train de faire disparaître le célibat tel que nous le connaissions, il suffit d’interroger des utilisateurs de sites de rencontres et réseaux sociaux pour s’en convaincre. Comme Adrien, beaucoup évoquent le confort de se savoir entouré. Alain, chercheur d’une quarantaine d’années, s’est inscrit sur Meetic Affinity, le versant haut de gamme de Meetic, et Point Communs, un site de rencontres qui met en contact des gens aux goûts culturels communs. Il dit “consulter chaque jour plusieurs profils correspondant à ses goûts. La plupart du temps, je n’en fais rien. Mais je suis content que ça existe, c’est rassurant”. Pour Corinne, cadre supérieure dans le luxe, la peur du célibat a même disparu. “En ce moment, je suis en couple, tout va bien, dit-elle. Mais après ma courte expérience sur les sites de rencontres, je sais que je n’aurais aucun mal à trouver quelqu’un si besoin. Le célibat n’a plus rien d’effrayant.” Pour peu que l’on soit connecté et habile dans la navigation, il est aujourd’hui possible d’évoluer en permanence sur un épais et rassurant matelas de contacts. Les chiffres donnent le vertige. Sur Facebook, que Mark Zuckerberg créa à l’origine pour choper des nanas, plus de 350 millions de profils peuvent 2.02.2011 les inrockuptibles 61

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se croiser. En France, 15 millions de personnes, soit un quart de la population, auraient le leur. Chaque jour, il y aurait 2 millions de mises à jour de statuts. Au total, on estime que 16 millions de Français sont inscrits aux réseaux sociaux. La fréquentation des sites de rencontres est presque aussi spectaculaire. Aux Etats-Unis, une étude montre que Match et Zoosk, deux des plus gros sites de rencontres généralistes, ont reçu respectivement 4,6 et 4,8 millions de visiteurs uniques en novembre dernier. En Inde, dans un pays où les mariages arrangés restent très fréquents, les sites Shaadi et Bharat Matrimony comptent aussi des millions d’abonnés. Idem pour Jiayuan et Zhenai, deux sites chinois. Au total, le business des rencontres sur internet, en rapide augmentation, générerait à travers le monde entre 3 et 4 milliards de dollars chaque année. En France, où Meetic règne en maître avec ses 850 000 clients, une personne sur cinq se serait déjà inscrite sur un site de rencontres et une sur dix le serait toujours (lire le portrait du créateur du site p. 70). Un temps réservé aux geeks en mal de tendresse (Julian Assange y fit longtemps un malheur sous le pseudo Harry Harrison), ces sites sont entrés dans les mœurs à mesure qu’ils ont fait leurs preuves. Car s’ils n’ont pas généré une explosion des relations et des mariages, ils ont remplacé de façon sûre les lieux de rencontres traditionnels. Aux Etats-Unis, des universitaires ont étudié 3 000 couples. Ils en ont conclu qu’internet représentait le troisième “lieu” de rencontres, derrière le cercle d’amis et au coude à coude avec les bars et restaurants. Le site américain EHarmony affirme avoir été à l’origine de près de 271 mariages par jour aux EtatsUnis entre le 1er janvier 2008 et juin 2009, soit près de 4,8 % des mariages enregistrés dans le pays sur cette période. Meetic avance des chiffres comparables pour la France. S’appuyant sur une étude de l’Ifop, il revendique 200 000 mariages en cinq ans, soit 5 % des unions. Il affirme que 38 % des clients qui se sont désinscrits l’ont fait parce qu’ils avaient trouvé ce qu’ils étaient venus y chercher. Il s’agirait du premier motif de résiliation. Adrien fait les comptes. Ses affaires ne marchent pas très bien sur Adopteunmec, mais chaque jour, sur Meetic, une dizaine de jeunes femmes vont sur sa page. Il reçoit une alerte à chaque fois et peut instantanément

Meetic réfléchit à un service de géolocalisation capable de trouver des célibataires à votre goût

aller visiter la fiche de celle qui a cliqué sur sa photo. En moyenne, deux filles le flashent ou lui envoient un mail chaque jour. Sur Facebook, il assure ajouter une demi-douzaine de contacts par semaine et dit recevoir régulièrement des messages de filles qu’il ne connaît pas ou simplement par l’entremise d’amis d’amis. Il y a aussi les “poke”, les “like” et les commentaires sur certaines de ses images. “Je bosse beaucoup, je fais du sport, j’ai des amis en vrai, dit-il, je n’ai plus le temps ou l’envie d’être un forçat de la drague sur internet. Mais ça n’arrête pas. Je dois recevoir une dizaine de notifications par jour. A chaque fois, cela génère un mail et mon téléphone vibre. Un agréable fond sonore…” Aujourd’hui, il suffit au célibataire de remplir un questionnaire ou deux pour que l’amour, ou plutôt un début de promesse d’amour, se pointe. Sa position s’inverse pour devenir très confortable. Ce n’est plus à la ou au célibataire de faire le premier pas, on vient à eux. Ils n’ont même plus à fouiller sur internet : en 2007, Meetic a lancé le service Affinity qui garantit à ses abonnés l’envoi par mail de profils correspondant à ses goûts. Présent depuis 2003 sur l’internet mobile, le site vient de lancer sur Nokia et Windows Phone 7 les premières applis françaises de sites de rencontres. Les applis iPhone, BlackBerry et Android sont aussi en voie de développement. Et le progrès ne va pas s’arrêter là. Suivant le modèle de sites américains, Meetic réfléchit à un service de géolocalisation capable de trouver des célibataires à votre goût. A plus long terme, il ne sera sans doute même plus nécessaire de remplir le moindre questionnaire. En fonction de vos visites sur internet, de vos achats, de vos horaires de connexion, un programme ira se balader sur tous les sites de rencontres et vous dénichera les perles rares. Plus que jamais, les célibataires seront sollicités. Il y a cinq ans environ, dans la foulée de la série des Brigdet Jones, le terme “célibattante” avait fait un tabac, inspirant émissions, articles et témoignages de femmes indépendantes et courageuses. Passé de mode, le mot a perdu une grande partie de son sens. Les peines de cœur, les râteaux, les salauds, la solitude existent toujours mais le célibat ne ressemble plus à cette longue épreuve dont seules les plus fort(e)s ressortiraient vivant(e)s. Pourvu qu’on s’en donne un minimum la peine, des voyants clignotent en permanence autour de soi. “Même si au final, il ne se passe rien, c’est crucial pour la confiance en soi, estime Gérard Neyrand, professeur de sociologie à l’université de Toulouse et spécialisé dans le sujet. Il reste difficile de trouver un partenaire pour former un couple mais on sait au moins que l’on peut plaire à quelqu’un.” Ironiquement, certains sites contribuent à ce bourdonnement sentimental, même quand ce n’est pas leur vocation première. Quand Adrien s’est inscrit sur le site de microblogging Twitter, il voulait faire comme tout le monde : suivre l’actualité, voir des liens,

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lire des vannes. Il n’avait pas prévu les rencontres. Mais il a fini par “envoyer des messages directs à deux filles qu’(il) trouvait marrantes”. Il n’a pas conclu mais d’autres ont eu plus de chance. Sur internet, chaque coin et recoin de parole, qu’il s’agisse d’un forum ou même des commentaires d’un article, peut aujourd’hui se transformer en lieu de séduction. Stéphane, musicien de 37 ans, a ses quartiers sur les sites communautaires tels que Netlog, Badoo ou Tchatche. Il lui arrive aussi d’aller draguer sur le chat du Nouvel Observateur. “Tous les endroits sont bons, dit-il. Je n’aime pas les gros sites de rencontres comme Meetic parce qu’ils sont payants

et qu’il y a énormément de dragueurs prédateurs, les filles restent méfiantes, elles vous voient venir. Sur les sites que je fréquente, elles sont plus détendues, plus ouvertes à la discussion.” Il sourit, il sait comment tout cela fonctionne. Après avoir frénétiquement usé des rencontres par internet, au point, selon ses dires, d’avoir couché avec 250 filles en un an, Stéphane a beaucoup ralenti. Grâce à internet, il rencontre une fille de temps en temps. Il n’a pas de relation stable ou de fiancée. Techniquement, il est donc célibataire. Il accepte le terme mais il en rigole : “Je reste connecté !” Comme celui d’Adrien, son célibat est virtuel. 2.02.2011 les inrockuptibles 63

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Simoncini, Meetic man Il a créé le site de rencontres en 2002. Aujourd’hui, il voyage en jet privé et court après les bonnes idées des “gamins”. par Guillemette Faure

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e bus avançait à folle allure dans les montagnes monégasques en direction d’un château où Microsoft organisait une soirée. A bord, des patrons de start-up invités pour un forum sur les nouvelles technologies. Marc Simoncini s’est levé et a crié au chauffeur : “J’espère que vous avez une bonne assurance, les gens qui sont à bord valent des millions.” Jeremie Berrebi, créateur de Net2One en 1997, se souvient de la scène, vieille de dix ans : “On savait qu’on valait du vent.” Marc Simoncini, 47 ans, fondateur du site de rencontres Meetic en 2002, se souvient de l’histoire mais corrige. “Je lui ai dit qu’il risquait de faire brûler quatre milliards de valorisation boursière.” Finalement, “Simoncini est le seul à avoir pesé des milliards”, précise Berrebi. Informaticien de formation, Marc Simoncini monte sa première boîte à 22 ans – spécialisée dans la fourniture de services Minitel – puis iFrance, un portail internet. Juste avant l’éclatement de la bulle internet, en 2000, il fait monter les enchères et vend iFrance à Vivendi, période Messier, pour plus d’un milliard de francs. Une semaine plus tard, il achète sa première Aston Martin. Jean-Marie Messier reste une relation de cette époque. Il a joué un rôle actif dans le rapprochement entre le géant du site de rencontres Match.com et Meetic. Sa boîte, Messier Maris Partners, a été mandatée l’an dernier pour vendre les parts de Simoncini dans Meetic (23 %). “Ça a fuité, ça n’aurait pas dû se savoir”, regrette Marc Simoncini à propos de la quête d’un repreneur. A la nouvelle, le titre plonge. La vente n’a pas eu lieu, faute d’un acheteur prêt à débourser la somme que souhaitait obtenir Simoncini (Meetic est valorisé à environ

“Mark Zuckerberg n’a rien inventé : les réseaux sociaux existaient partout”

500 millions d’euros). “Ça fait longtemps que dans sa tête, il est parti”, commente un financier du secteur. Marc Simoncini reconnaît qu’il s’est dégagé du quotidien de Meetic depuis deux ans. L’ancien petit jeune surdoué est maintenant à la tête d’un paquebot et ne reconnaît plus les gens dans l’ascenseur. La réussite de l’entrée en Bourse de l’entreprise en 2005 s’est aussi accompagnée de frustrations. Il déteste le “court-termisme” que font peser les actionnaires qui surveillent les résultats trimestre après trimestre. “C’est comme si vous faisiez des travaux dans votre appart et que quelqu’un passait voir et disait : ah c’est tout détruit, ça ne vaut plus rien.” Il préfère être seul à bord. “La gestion du quotidien m’ennuie”, admet-il. Maintenant qu’il a fait fortune, Marc Simoncini a la coquetterie de se dire “un vrai mauvais manager”. “Je ne suis pas du tout organisé, pas capable de structurer le travail”, prétend-il. Chez Meetic comme chez iFrance, il s’est toujours appuyé sur un directeur général pour l’opérationnel pur et dur. Simoncini est la figure solaire, le séducteur marrant. Il est entouré d’une équipe réputée, disons, moins sympathique et Meetic n’est pas connu pour sa bonne ambiance. Ceux qui ont travaillé avec lui parlent d’un mec debout à 5 heures du matin, avec “une force de travail délirante”, un type “hyperconnecté” qui répond à ses mails immédiatement. Au moment de redessiner des services du site, “il imprimait les écrans et commentait tout à la main”. “J’ai fait Jaïna pour ne pas m’ennuyer chez Meetic.” Jaïna Capital, un fonds d’investissement avec lequel il veut investir 100 millions d’euros dans des start-up pendant les trois ans qui viennent. “J’adore les entrepreneurs. J’adore passer trois heures avec un gamin qui m’explique une idée sur iPhone.” “Mon truc, c’est de développer

des boîtes”, dit-il. Parmi les entreprises dans lesquelles il a mis des billes : Regimedukan, la boutique en ligne du régime moitié steak de mammouth, moitié avoine (“c’est la même chose, un abonnement pour un service…”) ; Appsfire, pour échanger des applis iPhone ; Zilok, un site pour tout louer… Et puis, bien sûr, son investissement dans le poker avec Winamax, “à l’origine une belle rencontre avec Bruel”. On comprend que c’est aussi une belle rencontre avec un modèle économique. Le cœur du métier est celui de Meetic : faire venir des joueurs en les convainquant que tous les autres sont là. S’il a dit oui au poker, il a dit non au pari sportif. Simple question d’extensibilité du marché : “Il n’y a pas de pays où trois jeux arrivent à coexister.” Tous les soirs, il présente I-Lab sur I-Télé, trois minutes pendant lesquelles des entrepreneurs parlent de leur future start-up. La présentation des projets ânonnée face caméra est assez indigeste. Les réactions de Simoncini en disent long sur la façon dont il a déjà exploré toutes les idées d’internet. “Y en a combien qui vendent vraiment quelque chose ?”, demande-t-il au fondateur d’un site de vente de créateurs. “Le fléau, c’est le faux commentaire. Comment vous allez résoudre ce problème ?”, dit-il à la conceptrice d’un site comparateur de voyages. “Ce que j’ai vu est uniquement textuel, c’est normal ?”, lâche-t-il au créateur d’un site pour apprendre l’anglais. Côté médias, il a investi dans Bakchich, dans Owni, dans Atlantico (un projet de site d’info plutôt ancré à droite). “J’ai essayé de voir des gens complètement différents, des gens du papier qui passent au web, des gens du web qui passent au papier… J’ai investi pour être là, pour comprendre, je me fiche du contenu. Ce qui m’intéresse, c’est la mécanique”, résume-t-il. “Ça m’a intéressé de savoir comment marche un journal, d’essayer de comprendre s’ils

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“je me fiche du contenu. Ce qui m’intéresse, c’est la mécanique”

Stéphane Lagoutte/Challenges/REA

politique mais a tout fait pour influer sur le texte des amendements de l’autorisation des jeux en ligne. Il a longtemps voté à gauche (“vous vous dites de gauche, on vous emmerde pas”, dit-il à propos des dirigeants d’entreprise) mais a préféré Nicolas Sarkozy en 2007.

vendent du papier ou de l’info. Mais je me rends compte que l’info n’a plus de valeur reconnue.” Il s’amuse de voir son copain Xavier Niel, le patron de Free, arriver parmi les actionnaires du Monde : “Ce qui me fait rire, c’est le choc culturel… Imaginer Le Monde géré comme Free !” Ceux qui l’ont approché prêtent une autre motivation à son attention à l’économie des médias : il a envie d’être reconnu autrement que comme un génie du marketing web. Il aime parler de ses lectures, a rencontré un éditeur parce qu’il envisageait de raconter sa vie dans un livre, avant d’y renoncer. Il a aussi donné son aval à un projet de film sur

son aventure Meetic avant, là encore, de faire marche arrière. On trouvera d’autres paradoxes. Lui qui met en avant sa vie simple voyage en jet privé, est bronzé toute l’année. Il achète des tableaux d’art contemporain, “le seul endroit où on peut ne pas être raisonnable”, que l’on trouve accrochés dans son bureau de Jaïna Capital. “On a pris petit mais bien”, dit-il de ses locaux très chic rue François-Ier, les trois fenêtres de son bureau balayant la Seine. A Malakoff, il vit dans une ancienne usine près d’ateliers occupés par les artistes Sophie Calle, Christian Boltanski et Annette Messager. Il affiche de la distance avec le monde

Avec ses copains Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée.com) et Xavier Niel, ils préparent l’ouverture en septembre de l’Ecole européenne des métiers de l’internet. L’idée : régler leurs problèmes de recrutement et se doter d’une nouvelle pépinière à bonnes idées. Elle entre dans la même logique que celle du fonds d’investissement ou d’I-Lab : “Quand on finance, on finance très tôt : le meilleur moment pour miser sur un gamin, c’est à la sortie de l’école.” Granjon, Niel et Simoncini déjeunent régulièrement ensemble pour discuter des projets dans lesquels ils peuvent mettre des ronds. Simoncini est le plus investi. “Xavier (Niel – ndlr) n’a pas besoin comme Marc d’être proche des start-up. Même au sein de son fonds, Marc aime lancer des projets lui-même”, dit de lui Jeremie Berrebi. Simoncini, qui a lu Steve Jobs (“le génie”) pendant son service militaire, éprouve aujourd’hui bien plus d’admiration pour le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, que pour celui de Facebook. “Mark Zuckerberg n’a rien inventé : les réseaux sociaux existaient partout – il a bien exécuté une idée. Le créateur de Twitter, lui, a créé quelque chose de nouveau sans copier quoi que ce soit de connu.” Sur Skype la moitié de la journée pour échanger des idées, Simoncini est “toujours à l’affût”, dit un ancien employé. “Je passe ma vie sur internet”, confirme l’intéressé. Le web selon lui, “c’est besogneux, il n’y a pas de fulgurance, que des essais successifs. On pense que j’ai sauté dans le bon train, mais on ne sait pas combien j’en ai laissé passer.” 2.02.2011 les inrockuptibles 65

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monomanie.com Où aller pour rencontrer spécifiquement un chômeur, un amoureux des chiens ou un fan de moustaches ? Panorama des sites de niche. par Diane Lisarelli politique Découvrir sur le tard que votre target a voté Sarkozy n’est plus un risque. Avec les sites droite-rencontre.com et gauche-rencontre.com lancés fin 2009, on sait de quel côté de l’échiquier politique s’inscrit l’autre. Lieux de rendez-vous de “ceux qui veulent bien discuter politique, mais pas se disputer toute leur vie !”, ces deux sites quasi identiques (code couleur rouge et fille brune sur la homepage de gaucherencontre, bleu et fille blonde pour celle de droite) réuniraient près de 30 000 membres (16 000 à droite et 12 000 à gauche). Alors que les dérivés gay-droite et gay-gauche viennent d’être mis en ligne, un constat s’impose : pour les célibataires centristes, c’est mal barré. religion Si en France le sujet reste un peu délicat, les sites de rencontres

n’hésitent pourtant pas à jouer la carte du communautarisme au sens anglo-saxon. Ainsi, le fervent musulman aura le choix entre inchallah.com (baseline : “Une rencontre, si Dieu le veut”), mektoube.fr ou amourmaghreb.com pour trouver l’élu(e) de son cœur tandis que l’internaute de confession juive draguera sur jdream.fr, jdate.fr ou feujworld.com et que le bon chrétien ira, lui, sur theotokos.fr ou mariagechretien.com. Bonne ambiance. âge Plus besoin de mentir sur son âge pour pécho dans la génération du dessous. Surfant sur la mode des “cougars”, ces femmes dites “mûres” croqueuses de minets, des sites comme allocougar.com, femmecougar.com ou cougar-rencontre.net fleurissent aujourd’hui. Pendant masculin : hommepuma.com pour

les “séducteurs” qui n’ont “pas peur de la différence d’âge” et aiment “les jeunes femmes, de quinze, vingt ou trente ans de moins”. Soit la variante politiquement correcte du Sugar Daddy ? Ce terme anglo-saxon qui désigne ces hommes plutôt à l’aise financièrement et aimant la compagnie de jeunes filles intéressées. Si le site américain sugardaddie.com existe depuis 2002, il a désormais son pendant français : sugardaddy.fr qui met à l’honneur en homepage une jeune fille blonde peu vêtue et bien trop maquillée pour être honnête. Charmant. infidélité Nombreuses sont les personnes déjà maquées sur les sites de rencontres lambda. Rencontre-entremaries.com, gleeden.com, jtetrompe.com, www.ashleymadison.com, ou air-adult.com, leur dédient des espaces. Valeur ajoutée :

une “discrétion totale”. Et la grande classe avec ça. physique Chouchou des médias dans sa catégorie, beautifulpeople.com est un site réservé aux “gens beaux” où, pour être réellement inscrit, il s’agit de se soumettre à un vote populaire pendant 48 heures. Passé ce délai, l’intéressé(e) se voit autorisé(e) à entrer dans cette communauté dite “élitiste” ou être sévèrement blackboulé(e). Pour les filles (soit la majorité de ceux qui tentent l’inscription), il y a curvyblackbook.com qui offre aux filles rondes exclues par beautifulpeople un abonnement gratuit d’un an et une dignité partiellement retrouvée. écologie En l’absence de partiecologiste-rencontre, le sympathisant vert trouvera l’âme sœur sur ecolorencontre.com qui

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garantit des “relations durables” ainsi que des jeux de mots de haut niveau. A en croire la page d’accueil, il s’agira donc de se promener dans un champ d’herbes hautes en montrant du doigt les nuages. Une vie saine comme celle des membres d’amours-bio. com ou de lovepeace.ch, le site de rencontres germanophone lancé par Greenpeace et qui promet de bien bonnes soirées à la coule autour d’un plat de quinoa au tofu. profession Pour les fans d’Une femme d’honneur et ceux qui n’ont pas le temps de sortir de la caserne, rencontre-militaire.com se présente comme “le premier site européen communautaire spécialisé dans les rencontres amicales et amoureuses entre militaires (toutes corporations confondues) et ou avec des civils”. Moins ciblé et plus relax,

pole-rencontre.fr reprend l’esthétique du site de Pôle Emploi et propose à tous les chômeurs de s’inscrire. Au choix, les rubriques “chômeur cherche chômeur” ou “chômeur cherche salarié”. Travailler moins pour pécho plus. virginité 40 ans toujours sur rencontre-puceau.com ? Phoenix Corp, société de e-business spécialisée dans les sites de rencontres par affinité, présente la chose comme suit : “Si vous êtes majeur et puceau, vous trouverez sur ce site des femmes qui veulent bien vous faire découvrir le bonheur de coucher. Elles savent que ce sera votre première fois, qu’il y aura des maladresses, des actes trop rapides et même des ratés. Mais tous les hommes passent par là ! Rencontrez de vraies femmes : finis les vidéos et les mouchoirs !” Classe.

Rassurez-vous cependant : rencontrepucelle.com promet en revanche de “faire l’amour” dans le respect. hobby Si votre passion n° 1 consiste à fumer des cigarettes en tous lieux, rencontrefumeur.com se propose de vous faire rencontrer l’âme sœur – à l’image de la dame toute nue sur la homepage, d’ailleurs beaucoup plus chaude que celle de rencontrenonfumeur.com. Côté contre-culture, metalmeet.fr réunira les fans français de metal à la manière du site américain punkmatch.com qui réunit les punks ou de trekpassions.com destiné aux fans de science-fiction. On recense également cupidtino.com, site international destiné aux accros d’Apple, marmitelove.com pour les cuisiniers en herbe qui aiment les marmites ou rencontremonchien.com qui pose la question

en page d’accueil : “Pourquoi ?”. Réponse : “Parce que ceux qui aiment les chiens ont envie de rencontrer quelqu’un qui aime les chiens”. Ainsi que “pour des rencontres très canines”. OK. Grand n’importe quoi. En la matière, la palme revient aux sites ricains. Dans le pire, on recense : womenbehindbars.com et inmate.com pour femmes et hommes incarcérés, 420dating.com pour les fumeurs de ganja pas encore écroués, littlepeoplemeet.com pour les personnes de petite taille, nolongerlonely.com pour les malades mentaux, stachepassions.com pour les fans de moustaches, positivesingles.com pour les gens qui ont (déjà) des MST, diapermates.com pour les gens qui aiment se déguiser en bébé et uniformelove.com pour les gens qui aiment se déguiser tout court. 2.02.2011 les inrockuptibles 67

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family affair

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Rencontre avec deux écrivains passionnés par la condition noire aux Etats-Unis : Percival Everett, auteur d’un nouveau roman caustique, et sa femme Danzy Senna, qui sort un récit autobiographique sur la dérive de son père noir. par Yann Perreau photo Patrick Fraser

ls n’ont pas l’habitude de parler l’un de l’autre, préfèrent en général rester discrets sur le sujet. Ils vivent ensemble depuis quelques années à Hancock Park, au sud d’Hollywood, dans une grande maison où ils se sont installés à la naissance de leur deuxième enfant. Danzy Senna et Percival Everett sont tous les deux écrivains. S’il fallait les comparer à d’autres couples littéraires, on penserait d’abord à Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre plus qu’à André et Clara Malraux ou encore aux poètes Sylvia Plath et Ted Hughes. Chez Senna et Everett, nul soupçon de jalousie vis-à-vis du succès de l’autre comme chez Plath et Hughes. Pas de femme écrasée par la carrière du mari – le couple Malraux. C’est plutôt une forme de radicalité commune dans les thèmes de leurs livres qui caractérise le couple Senna-Everett : l’identité dans la société multiculturelle américaine, les questions raciales, leurs implications complexes et pernicieuses dans le moindre repli du quotidien. Avec humour et une distance ironique chez Everett, avec l’authenticité de la catharsis chez Senna. Dans le salon de leur maison où on les retrouve, des livres en pile (Catch 22, Roland Barthes) à côté d’un minipiano pour leur fils. Sur une étagère, une photo de famille en noir et blanc les montre dans leur jardin, l’air serein, confiants en l’avenir. Ils sont ensemble depuis sept ans. “On se connaissait déjà un peu avant”, rappelle Senna. Lorsqu’ils se sont rencontrés, lui était marié, écrivain et professeur respecté de USC (University of Southern California) ; elle, une célibataire

new-yorkaise, journaliste free-lance et auteur du remarqué Symptomatique (Métailié), brûlot contre le milieu sclérosé d’une intelligentsia new-yorkaise bourrée de préjugés racistes. Ils avaient lu leurs livres respectifs et les avaient appréciés. Au festival America de 2004 à Vincennes, invités à une même table ronde, ils ont immédiatement sympathisé. Ils ont marché côte à côte dans Paris, sur les traces de l’écrivain noir américain James Baldwin, qui avait quitté les EtatsUnis pour s’y installer. De retour au pays, ils se sont retrouvés et moins d’un an après naissait leur premier fils, Henry. Celui-ci tient son prénom de l’oncle préféré d’Everett, source d’inspiration certaine pour l’écrivain qu’il deviendra plus tard : comme Everett, ce chirurgien se couchait rarement avant trois heures du matin, lisait beaucoup. Il tenait une clinique pour toxicomanes. Aujourd’hui, à 55 ans, Percival Everett porte toujours un regard malicieux sur les traumatismes de l’Amérique. C’est ce qui a fait sa réputation, au fil d’une œuvre prolifique : plus de quinze livres publiés dont six traduits en français. “J’apprends beaucoup en écrivant. A chaque livre, je constate à quel point je sais peu de choses. Aussi, après quinze livres, j’en sais moins… qu’à peu près qui que ce soit.” L’homme parle de façon désinvolte, sans trop y réfléchir. Il ponctue ses propos de traits d’esprits et de jeux de mots. Il dit apprécier Lacan, Wittgenstein et Bertrand Russell, qu’il enseigne à ses étudiants. Dans Effacement (2004), il racontait les désarrois d’un universitaire noir dont le livre ne se vendait pas car trop intello, et propulsé romancier à succès après avoir

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“En Europe, les gens savent d’où ils viennent. Nous, on essaie toujours de recoller les pièces du puzzle.” Danzy Senna

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“j’apprends beaucoup en écrivant. A chaque livre, je constate à quel point je sais peu de choses” Percival Everett publié sous pseudo un pastiche de livre blackploitation écrit comme “en direct du ghetto”. Pas Sidney Poitier, dernier roman d’Everett, se présente à nouveau comme une sorte de méditation tragi-comique sur la question de l’identité, avec une réelle profondeur métaphysique. Un roman d’apprentissage picaresque inspiré par le théâtre de l’absurde. “Je suis le fruit, né sous de mauvais auspices, d’une grossesse hystérique, commence le roman. Et, chose surprenante, je suis peut-être bizarre ; mais pas hystérique (…) J’ai la peau noire, et offre aux yeux du monde l’apparence de M. Sidney Poitier, ce que ma pauvre mère dérangée, et désormais défunte, n’aurait pas pu savoir lorsque, à ma naissance, elle me nomma Pas Sidney Poitier.” Avec ce funeste prénom, le pauvre garçon, parfois surnommé plus simplement “Pas”, ne cesse de subir humiliations et brimades diverses, dès l’école : “Comment t’appelles-tu ? – Pas Sidney Poitier – OK, mais donc comment tu t’appelles ? – Je vous l’ai déjà dit : Pas Sidney Poitier.” La réponse lui vaut systématiquement un coup sur la tête. Dans Pas Sidney Poitier, l’écrivain fait une apparition, par le biais d’un homonyme. Un certain Percival Everett, professeur de “non sens”, sorte de charlatan au charabia incompréhensible, donne d’exécrables conseils de vie à son élève Pas Sidney Poitier : “Lisez Althusser et Habermas et dites-moi ce que vous en pensez, car je n’y ai rien compris.” Sa femme évoque un autre passage de son livre. “Ah bon, j’ai écrit cela ?”, s’étonne le vrai Percival Everett. Il dit souffrir d’une espèce “d’amnésie littéraire” : “Je ne sais jamais comment ni pourquoi je commence un livre et quand il se finit. Je constate simplement, après coup, qu’il est là.” Difficile, dans ces conditions, de développer davantage l’aspect littéraire en entretien. Dommage. On se rabat alors sur des questions pratiques : comment se passe la cohabitation entre deux écrivains ? “Impossible d’écrire dans la même pièce, répond Senna. Percival est insomniaque et il a emménagé au bout de la maison pour éviter de me réveiller au milieu de la nuit.” Elle appelle cette pièce où s’enferme son mari son “cabinet d’écriture à la Jack Nicholson dans Shining”. Début janvier, Danzy Senna a publié en France Où as-tu passé la nuit ? (voir Les Inrocks n° 788), récit autobiographique de son enfance. En toile de fond, le divorce traumatisant de ses parents, également écrivains : Fanny Howe, femme de lettres issue de la haute bourgeoisie wasp bostonienne, et Carl Senna, un “Noir extrêmement prometteur, comme on aimait le dire à l’époque”. Sauf que celui-ci restera longtemps prometteur puis rien du tout. Il sombrera dans l’alcool et l’amertume et commencera à battre sa femme. ll apparaît au début du livre comme cet homme “beau et mystérieux, élégamment vêtu (…) bonhomme en papier

tout droit sorti d’un film de Sidney Poitier”. L’archétype du mâle noir dans ce qu’il est censé symboliser, qu’Everett déconstruit avec humour dans Pas Sidney Poitier. “C’est étrange comme coïncidence”, dit Senna. Sur la photo de couverture de l’édition américaine de son livre, son père jeune ressemble étrangement à son mari. Dès qu’on le lui fait remarquer, Senna refuse de basculer dans la “psychanalyse facile”. Mieux vaut se référer à un passage de son texte : “Toute ma vie, j’ai entendu mon père imputer la responsabilité de toutes ses fautes et de tous ses échecs à la société, au racisme, à la pauvreté – mais jamais à lui-même (…) Et pourtant, lorsque je voyage dans le Sud, où me poursuit l’odeur fantomatique des ‘étranges fruits’ 1 et où je sens le goût de l’oppression dans ma bouche, je sais que son point de vue n’est pas dénué d’une certaine vérité.” L’Amérique et ses démons, on y revient irrémédiablement. L’histoire personnelle n’est qu’une partie de la grande histoire. Senna a vécu à Londres et se souvient de ses amis noirs anglais qui l’interrogeaient : pourquoi, aux Etats-Unis, êtes-vous obsédés par cette question de la couleur de la peau ? “Peut-être parce que l’Amérique est un pays particulier, fondé sur l’esclavage et le génocide ? Pour vous, en Europe, c’est différent. Les gens savent d’où ils viennent. Nous, on essaie toujours de recoller les pièces du puzzle.” Danzy Senna et Percival Everett vont venir s’installer en France en 2012, pour un an. Sauf qu’en France, il n’y a pas de politique similaire au multiculturalisme à l’américaine : Senna reste bouche bée quand on lui explique que le terme “affirmative action” se traduit en français par “discrimination positive”. “Assez parlé de politique”, soupire la jeune femme. Miles, leur fils cadet déboule dans la cuisine à point nommé. Ni elle ni Everett ne supportent ces gens “bien intentionnés” qui aiment leurs enfants parce qu’ils sont “couleur café” et se réjouissent d’avoir pour amis un “couple mixte”. “Notre quartier est devenu un tel modèle de mixité conjugale que c’en est ridicule”, ironise Everett. Au sujet du politiquement correct, il évoque la censure de cet éditeur qui a décidé de supprimer l’emploi du mot nigger dans la dernière édition des Aventures d’Huckleberry Finn de Mark Twain. “Ce genre de choses arrive souvent dans notre pays. Les gens ont toujours peur de ce qui est difficile à accepter.” Pas eux. 1. L’expression “étranges fruits” renvoie à Strange Fruit, chanson interprétée par Billie Holiday en 1939. Le titre fait référence au corps d’un Noir pendu à un arbre. Le terme est devenu synonyme de lynchage des Noirs aux Etats-Unis. Percival Everett Pas Sidney Poitier (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, 298 pages, 22,50 € Danzy Senna Où as-tu passé la nuit ? – Une histoire personnelle (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Béatrice Trotignon, 280 pages, 21 €

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Danzy Senna, Percival Everett et l’un de leurs fils chez eux à Hancock Park (Hollywood), 23 janvier 2011

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Carancho de Pablo Trapero Habile suspense romantique, en Argentine, entre une belle urgentiste et un avocat pas clair.

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écouvert il y a une dizaine d’années avec Mundo grúa, Pablo Trapero est l’un des réalisateurs les plus productifs de la “nouvelle vague” argentine qui a émergé à la fin des années 90. Intense, physique, assis sur des récits et des personnages solidement écrits, le cinéma trapérien est sous forte influence américaine, avec Martin Scorsese comme principale boussole. Son risque est de parfois frôler l’académisme, ou du moins la sensation de déjà-vu, ce qui était le cas de Leonera, film-performance certes pas mauvais mais qui souffrait d’un excès de muscles. Carancho, lui, conjugue avec un certain bonheur cinéma d’action, plongée sociétale et vibrato d’une histoire d’amour. “Je voulais raconter une histoire d’amour, mais comme en temps de guerre, donc marquée par l’urgence, le danger”, explique le cinéaste, rencontré à Paris. L’histoire d’amour se noue ainsi difficilement entre Luján (superbe Martina Gusman), médecin urgentiste toujours sur la brèche, et Sosa (très bon Ricardo Darín), un “carancho”, avocat spécialisé dans la défense des victimes d’accidents de la circulation mais qui a un peu trempé dans les magouilles pas nettes des assurances. Luján est d’une droiture sans faille, et d’une beauté en permanence marquée par son harassant travail. Sosa est un genre de Clooney gaucho, un quinqua séduisant en quête de rédemption, qui a du mal à se dépêtrer du réseau semi-mafieux dans lequel il est mouillé. Trapero crée un beau suspense romantique à travers cette relation toujours au bord de l’implosion en raison des dures circonstances qui l’entourent. Ces circonstances, ce sont d’abord les accidents de voiture, donnant lieu à de saisissantes scènes d’action

et à quelques séquences qui pourraient avoir été prélevées dans la série Urgences. Et puis le réseau liant assureurs et avocats sans foi ni loi, faisant leur beurre sur le malheur des autres, allant jusqu’à mettre en scène de faux accidents (comme dans l’excellent Accident du protégé de Johnnie To, Soi Cheang). L’image de l’Argentine n’en ressort pas grandie, mais Trapero voit là un problème plutôt universel : “La corruption n’est pas le fait d’un gouvernement ou d’un pays en particulier, mais d’individus dans tous les pays. C’est ce qui explique la crise financière, les pays riches et pauvres, etc. C’est toujours plus facile de parler de la corruption des autres. Les pays riches évoquent ainsi souvent la corruption dans les pays pauvres. La corruption paraît toujours abstraite, extérieure à soi et lointaine. Parfois, la frontière est mince

le réalisateur fait éclore une romance émouvante et fragile au milieu des immondices

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Leo the last

entre la corruption et la première petite entorse à la légalité. C’est ce dont parle le film.” Sosa est ce personnage-type de film noir qui a voulu mettre juste le doigt dans le pot de confiture puis s’est retrouvé happé à son corps défendant dans un engrenage le dépassant. Son parcours du combattant vers la rédemption passera notamment par une scène marquante où il tabasse un escroc à coups de tiroir de bureau. “Dans cette séquence, explique Trapero, il y a quand même une certaine pudeur parce que je ne montre pas la tête tabassée. La violence hors champ est peut-être encore plus intense. Elle passe par le son et c’est le spectateur qui complète l’image, qui imagine ce qui se passe.” Impact physique, tension, suspense, description analytique d’une société corrompue qui incarne l’état actuel de notre monde, Carancho est aussi prenant qu’éprouvant. Au milieu de toute cette noirceur, Pablo Trapero parvient à déployer une romance aussi émouvante et fragile qu’une fleur qui éclôt au milieu des immondices. Serge Kaganski Carancho de Pablo Trapero, avec Martina Gusman, Ricardo Darín (Fr., Arg., 2010, 1 h 47)

tout Trapero Mundo grúa (1999) Un ancien musicien de rock cherche du travail dans le bâtiment. Minimalisme et noir et blanc jarmuschiens, qui lancent Trapero et la nouvelle vague argentine. El Bonaerense (2002) Le quotidien d’un flic de base, occasion d’une plongée dans les quartiers déshérités de Buenos Aires. Voyage en famille (2004) Une tribu familiale se rend à un mariage à l’autre bout du pays. Mix entre le road-movie et le film de famille. Nacido y criado (2006) La vie confortable d’un bourgeois bouleversée par une tragédie qui brise sa famille. Leonera (2008) Une détenue met au monde un enfant en prison. Relecture féminine et maternelle du film de prison.

Leonard DiCaprio serait-il le Guillaume Canet américain ? On réfléchit bien fort et on dit : non. Déjà parce que sans avoir jamais réalisé de films, Leonardo est un bien meilleur cinéaste (qui porte à lui seul, inspire, habite, de Shutter Island à Inception, tout un genre du cinéma contemporain). Et pourtant, il y a bien une chose qui les unit : leurs congénères n’ont pas l’air de tellement les porter dans leur cœur. Quasiment aucune nomination aux César pour Les Petits Mouchoirs. Et aux oscars, si Shutter Island compte parmi les oubliés des nominations, Inception figure parmi les plus plébiscités. Mais si le film est, pour la majorité des votants, un des meilleurs de l’année, ce n’est pas grâce à son acteur principal. Ce n’est pas la première fois que le comédien doit encaisser ce type de vexation. Déjà en 1998, Titanic obtenait un nombre record de statuettes, mais DiCaprio, lui, n’était même pas nommé. Il ne le sera que deux fois, en 2005 pour Aviator, et plus étrangement en 2007 pour Blood Diamond. Et pas pour Les Noces rebelles où il était stupéfiant, ni pour Arrête-moi si tu peux, pourtant le rôle de sa vie. Ce n’est évidemment pas plus grave que ça, mais il est étrange que les oscars ne voient pas que DiCaprio incarne plus que quiconque aujourd’hui une forme spécifiquement américaine du génie de l’acteur. Quelque chose dans l’identification aux émotions jouées qui vient évidemment de l’Actors Studio, mais aussi une légère réserve qui l’éloigne par exemple d’un De Niro pour l’approcher de la famille des acteurs plus neutres (Paul Newman, Robert Redford, Tom Cruise…). Mais les oscars ne privilégient pas forcément le génie américain en matière de jeu : ni Marilyn Monroe, ni Cary Grant, ni Gary Copper, ni John Wayne ne l’ont eu… Mais en revanche, ils tombent systématiquement dans le panneau du cabotinage anglais. Emma Thompson, Laurence Olivier, Daniel Day-Lewis l’ont eu, et bientôt Colin Firth pour Le Discours d’un roi.

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Notre étrangère de Sarah Bouyain avec Dorylia Calmel, Assita Ouedraogo (Fr., Burk., 2010, 1 h 22)

Colin Firth, déjà un Golden Globe et bientôt sansd oute un oscar

Le Discours d’un roi de Tom Hooper La royauté britannique par le petit bout de la lorgnette. Racolage à tous les étages.

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i le monde anglo-saxon ne délirait pas autant sur cette tragi-comédie archaïque et racoleuse, on n’y aurait même pas fait attention. Mais ce navet publicitaire au puissant parfum de naphtaline est pressenti pour les oscars. On n’a plus le choix : il “vous bouleversera”, promet-on sur l’affiche (citant Le Figaro). Qu’est-ce qui séduit si largement dans ce Discours du roi ? D’abord probablement son style visuel ultraclinquant, et en particulier son emploi abusif du grandangle qui vise à transformer le plan le plus insignifiant en petit événement pour l’œil ; ensuite, son irrévérence supposée à l’endroit de la royauté (britannique). L’enjeu, fort simple, est de déclarer : “Le roi est nu.” Autrement dit, un roi est un humain comme les autres ; il a les mêmes faiblesses. Tout le film repose sur une particularité du roi George VI (1895-1952), affligé d’une infirmité gênante : il bégayait. Pour le débarrasser de ce handicap – lourdement appuyé par la mise en scène –, on fait appel à un charlatan australien, Logue, qui

dérision et apitoiement mêlés avec une duplicité manipulatrice

devient le Jiminy Cricket du roi. Il lui enseigne la trivialité et le malmène sans ménagement pour le soigner. Pourquoi pas. Le problème, c’est qu’on utilise un tel détail pour regarder la royauté par le petit bout de la lorgnette. Pour son orthophoniste sauvage, le roi n’est pas le roi, c’est son copain Bertie (diminutif d’Albert, son vrai prénom). Si encore la caricature était radicale et sans rémission, clairement politique, ce serait une splendide mise à mort de la royauté par un sujet de sa très gracieuse Majesté. Mais l’irrévérence tourne court. Le film se clôt par un miracle : maîtrisant son trac et surmontant bravement son infirmité, George VI livre un vibrant discours radiophonique à son peuple, qu’il exhorte à résister à l’Allemagne nazie. On oublie naturellement que, déjà à cette époque, le monarque faisait de la figuration, et que le véritable artisan du sursaut britannique fut indubitablement Winston Churchill, dont le célèbre discours sur “le sang, le labeur, les larmes et la sueur” a laissé un souvenir autrement plus profond. Il faut arrêter de raconter des fables de midinette, surtout si elles mêlent avec une telle duplicité manipulatrice la dérision et l’apitoiement.

Drame de la filiation en Afrique. Une jeune métisse part rechercher sa mère en Afrique sans savoir que celle-ci a émigré en France… Ce premier long métrage touche à la mauvaise conscience des Français vis-à-vis des immigrés africains, descendants de leurs colonisés. Le film s’appuie sur un substrat documentaire convaincant, notamment la partie tournée au Burkina Faso. On est moins convaincu par la construction et l’intégration dynamique de deux pans de récit qui se déroulent en montage alterné. Ils sont tellement indépendants qu’on ne fait le lien entre eux que tardivement, sans comprendre pourquoi la réalisatrice a choisi de ne pas les faire résonner ensemble. Dramatiquement, c’est assez stérile. La fille rencontre la famille de sa mère, mène l’enquête. Pendant ce temps, celle-ci poursuit sa vie d’immigrée. Constat pertinent, voire didactique… Un filmdossier. Le précipité émotionnel qui pourrait en résulter n’arrive jamais. De cet ensemble hétérogène, on retiendra, malgré tout, quelques moments très réussis, notamment les séquences entre la métisse occidentalisée et sa tante alcoolique, ou avec sa bonne à tout faire. V. O.

Vincent Ostria Le Discours d’un roi de Tom Hooper, avec Colin Firth, Geoffrey Rush (G.-B./Aust., 1 h 58, 2010)

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Rien à déclarer de Dany Boon Surproduit et sous-écrit, le blockbuster annoncé et plutôt piteux de l’homme aux Ch’tis. n douanier français (Dany Boon) La question étant : qu’est-ce qui pousse vit une idylle avec une jeune près du tiers de la population française à se femme belge. Hélas, le frère ruer dans les salles pour voir de tels films de la belle n’est autre que (sans préjuger de l’audience de ce nouvel le douanier belge le plus violemment opus boonien) ? On peut évoquer l’aspect francophobe du monde (Benoît Poelvoorde). familial de Bienvenue chez les Ch’tis : pas de Difficile de juger le troisième film de Dany sexe, pas de vulgarité, pas de violence. Si Boon à l’aune du reste de la production c’est le cas, Rien à déclarer risque alors française. Non que Rien à déclarer pose d’en décevoir plus d’un million, avec ses longs le moindre obstacle à l’analyse esthétique : et laborieux passages sur les problèmes tout est mal filmé, mal écrit, peu drôle (nous gastriques d’un trafiquant “chargé” de avons ri deux fois en une heure quarante, boulets de drogue, le déshabillage d’un et grâce à Bruno Lochet), l’interprétation suspect qui se retrouve en slip, et les inégale (Poelvoorde a une très bonne scène, scènes d’action un peu trop réalistes où des émouvante, avec son fils). Les dialogues personnages se font buter comme dans sont bourrés de clichés, et l’analyse n’importe quel polar d’Olivier Marchal. des rapports entre la France et la Belgique Bref, sans doute poussé par un budget semble bien surannée (sérieusement, qu’on devine disproportionné par rapport en est-on encore là ?). à ses ambitions artistiques mais pas à Le propos, bien-pensant et anodin ses espérances commerciales, Dany Boon (la xénophobie, c’est mal), aboutit à une perd de sa simplicité. Reste que la vraie impasse consensuelle (les gens racistes, raison de son succès se situe peut-être on peut pas les changer, mais ils ne sont ailleurs : la plupart des spectateurs ne pas si méchants que ça). Mais on se doit sont pas sensibles aux détails des films. de tenir compte du nombre d’entrées inédit Ce qu’ils aiment, c’est retrouver un univers affiché par le précédent film de Dany Boon, rassurant, même quand il est entièrement Bienvenue chez les Ch’tis (20 479 826 pour faux. Alors, oui, sans doute, ceux qui adorent être précis), qui lui a valu de battre le record les vieilles tables de bistrot de campagne détenu par La Grande Vadrouille de Gérard avec la nappe à carreaux et le chignon Oury, la reconnaissance éternelle des beaufs de la patronne aimeront Rien à déclarer. et de l’office du tourisme régional du On craint qu’ils soient nombreux. Jean-Baptiste Morain Nord, la Légion d’honneur des doigts fins de Sarkozy, la bise de Line Renaud Rien à déclarer de Dany Boon, avec lui-même, et l’affection éternelle, elle, du public Benoît Poelvoorde, Karin Viard, François Damiens, Bruno Lochet (Fr., 2010, 1 h 48) français.

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en salle en piste ! Pour sa sixième édition, Hors Pistes, proposé au Centre Pompidou à Paris, tisse des liens entre des images de différentes natures : amateurs, scientifiques, artistiques, télévisuelles… Elles sont notamment regroupées autour de la vaste et riche thématique du sport. A travers des installations, des programmes audio et vidéo, le visiteur est immergé dans un univers où il ne distingue plus toujours le professionnel de l’amateur, le sportif du spectateur. Les nombreuses projections de films, originaires de vingt pays, complètent le travail de dépistage des nouvelles tendances, orientations ou fractures dans l’incessant fourmillement contemporain des images. Hors Pistes jusqu’au 6 février au Centre Pompidou, Paris IVe

hors salle Allemagne années 2000 Depuis une dizaine d’années, le cinéma allemand est dans une belle dynamique de création. Portée par une série de films à succès international (Cours Lola, cours !, Good Bye Lenin !, La Chute, La Vie des autres) et par les œuvres d’auteurs majeurs révélés dès les années 90 (Angela Schanelec, Christian Petzold, Thomas Arslan), une jeune garde se révèle : Christoph Hochhäusler (Sous toi, la ville), Benjamin Heisenberg (Le Braqueur), Ulrich Köhler (Montag)… Pierre Gras explique les raisons de cette renaissance, trente ans après la mort de Fassbinder. Good Bye Fassbinder ! de Pierre Gras (Jacqueline Chambon), 352 pages, 23 €

box-office Les Chemins montrent la voie Pour la première séance parisienne, 1 789 spectateurs se sont engagés sur Les Chemins de la liberté. Le film de Peter Weir arrive en tête mais sans écraser la concurrence : avec moitié moins de copies distribuées, Angèle et Tony arrive deuxième avec 769 billets vendus tandis que 742 innocents ont plaidé en faveur de L’Avocat. Les autres sorties sont à la traîne. Philippe Katerine n’a pas la banane : avec 158 spectateurs Je suis un no man’s land est loin de faire le plein.

autres films Océanosaures 3D – Voyage au temps des dinosaures de Pascal Vuong et Ronan Chapalain (G.B., Fr., 2010, 40 min) De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites de Paul Newman (E.-U., 1972, 1 h 40, ) Chasse à l’homme de Fritz Lang (E.-U., 1941, 1 h 45)

Contre/toi de Lola Doillon avec Kristin Scott-Thomas, Pio Marmaï (Fr., 2010, 1 h 25)

Huis clos entre un jeune homme et une femme qu’il séquestre. Contre/toi, le second long métrage de Lola Doillon, trois ans après le remarqué Et toi, t’es sur qui ?, est avant tout un film de situation. Plus que de personnages par exemple, qui ne sont à peu de choses près que la production de la situation qui les enserre, tour à tour chat et souris, prédateur et proie, etc., selon un principe de réversibilité tout de même assez prévisible. Cette situation est à la fois peu banale (un homme décide d’enfermer une femme dans une cave) et pourtant souvent traitée au cinéma (modèle du genre, L’Obsédé de William Wyler ; détournement notable des genres : La Cage de Pierre Granier-Deferre, où c’était Ingrid Thulin qui séquestrait Lino Ventura). Dans un film d’enlèvement, si la motivation du rapteur n’est pas l’argent, c’est souvent l’amour, ou le désir sexuel, l’envie en tout cas de posséder l’objet du désir en le tenant sous cloche. Mais pas ici, en tout cas pas dès le départ. La raison pour laquelle le jeune kidnappeur (Pio Marmaï) enferme l’élégante femme-chirurgien (Kristin Scott-Thomas), c’est la vengeance. Vengeance d’un acte dont la victime de l’enlèvement est responsable, mais pas exactement coupable. Le film est ambigu et intéressant tant que le ressentiment du jeune homme reste aveugle aux dénégations de sa victime, que quelque chose résiste. Lorsque le film emboîte l’autoroute du syndrome de Stockholm avec montée du désir entre agresseur et agressée, il devient hélas beaucoup plus schématique, simple illustration d’une mécanique trop identifiée. La situation, d’abord intrigante, accouche alors de développements aisés à anticiper. Et les meilleurs moments sont ceux qui échappent à la situation pour revenir aux personnages. Comme ces scènes, dispersées à divers endroits du récit, où la femme enlevée revient chez elle après sa claustration et ne sait plus trop quoi y faire. Le coup de fil à la mère, où rien ne se dit mais où la tension sourd à chaque instant, est de ce point de vue une scène assez forte, dans un film qui en comporte trop peu. Jean-Marc Lalanne

Un chic type d’Hans Petter Moland avec Stellan Skarsgård, Bjørn Floberg (Nor., 2009, 1 h 17)

Comédie indigeste sur la reconversion d’un gangster. Gangster minable sorti de prison, Ulrick devient mécanicien dans un garage, mais il tombe dans un engrenage fatal… On se doit de constater que, depuis longtemps, le cinéma norvégien ne brille pas par sa finesse et opte souvent pour des scénarios gras et glauques dont les héros sont des bourrins bourrus évoluant dans un cadre sinistre (seule exception : le plutôt délicat Nouvelle donne de Joachim Trier, anomalie dans le contexte). Là, dès le départ, le réalisateur, armé de son naturalisme déterministe doublé d’humour lourd et répétitif, a décrété que les pantins que nous observerons seront immondes. Dans le fond, ils ne diffèrent pas tellement des personnages d’Aki Kaurismäki. Mais si le Finlandais sait élever le débat, transcender la glauquerie, Moland, lui, se refuse à poétiser la trivialité. Il reste rivé au sol avec ses semelles de plomb, qui font sombrer le film. Vincent Ostria

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Slovenian Girl de Damjan Kozole avec Nina Ivanisin (Ser., Cro., All., Slo., 2009, 1 h 27)

Morgen de Marian Crisan Portrait cocasse et prenant d’une amitié entre un vigile roumain et un clandestin turc.

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orgen (“demain” en allemand) est le premier long métrage de Marian Crisan, jeune cinéaste roumain palmé d’or en 2008 au Festival de Cannes pour son court métrage Megatron. Morgen pourrait être qualifié de “buddymovie à la roumaine”, en précisant de quoi il s’agit : comme beaucoup de films roumains, Morgen raconte l’histoire d’un pauvre hère, Nelu, la quarantaine, vigile de son état dans le supermarché d’une petite ville-frontière avec la Hongrie, porte officieuse de l’Europe pour de nombreux immigrés clandestins venus de l’Asie mineure. Comme dans beaucoup de films roumains également, Nelu se fait engueuler par tout le monde sans guère réagir : son patron, les douaniers qui l’empêchent de rapporter une carpe de Hongrie (la pêche est son hobby), sa femme et son beau-frère qui lui reprochent tout et n’importe quoi. Nelu encaisse, résiste, obéit, fataliste. Un jour qu’il pêche, il tombe sur un Turc qui vient de passer la frontière et qui ne parle que sa langue maternelle. Nelu le recueille, le cache. Nelu et le Turc n’ont rien en commun, ils ne peuvent pas communiquer (d’ailleurs on ne sait trop ce que pense Nelu), mais les deux vont bientôt faire la paire. Et le cinéma roumain continue son petit bonhomme de chemin avec ses déchus d’une société qui se débrouillent comme ils peuvent et dont les mésaventures constituent le sel même de la comédie, dont la particularité réside dans le fait que rien, absolument, n’y est drôle sans

le processus d’identification affectueux qui peut s’opérer avec ceux qui nous sont si lointains mais proches à la fois que nous nous reconnaissons dans leurs réactions (c’est le propre de Laurel et Hardy, bien sûr). De sa grande sœur l’italienne, la comédie roumaine à la veine grinçante a retenu une leçon capitale : on peut se moquer des pauvres et des faibles aussi, à condition de le faire sur le dos de la société et de sa désorganisation, contre la corruption, contre les lois injustes quand elles sont appliquées connement. Mais la comédie roumaine a une singularité : elle est conçue par des cinéastes qui ont en commun d’avoir une idée très précise de ce que signifie une mise en scène efficace et même une conception presque radicale de la forme ou même du formalisme cinématographique. Dans la lignée de Cristi Puiu (La Mort de Dante Lazarescu) ou Corneliu Porumboiu (Policier, adjectif), tous ces réalisateurs pratiquent le plan-séquence avec un sens du timing juste, une discrétion (nous n’avons pas affaire à des m’as-tu-vu) et une maestria impressionnantes, qui aboutissent à un cinéma qui sème la panique dans notre cerveau : faut-il pleurer ou faut-il rire ? Là, plus que jamais, le doute est permis, et presque imposé par la mise en scène. Jean-Baptiste Morain

Drame social slovène, porté par sa jeune actrice. Avec ce film slovène, nous entrons dans une autre dimension du monde. Kozole raconte une histoire désormais universelle – ça existe aussi en France, mais oui  –, celle d’une jeune femme obligée de se prostituer pour payer ses études. Bien évidemment, elle cache son activité à ses proches (ses parents sont divorcés), qui se gardent bien de se poser trop de questions. Kozole livre au passage le portrait d’un père maladroit, représentant d’une génération perdue qui a vécu comme un traumatisme le passage du communisme au capitalisme et qui se réfugie dans la musique. C’est sur cette société éclatée et infantile que doit tenter de pousser une certaine jeunesse slovène. Mais des apprentis proxénètes entrent dans la partie. Tout se dérègle, les repères de la jeune femme disparaissent, et les hommes la laissent tomber les uns après les autres. La mise en scène, assez sage, au fond très sociologique (un peu trop sans doute), n’a certes pas la rigueur formelle des jeunes générations roumaine ou allemande. Mais elle a le mérite de laisser une pleine liberté d’expression à sa jeune actrice principale, Nina Ivanisin, qui tient le film sur ses seules épaules sans jamais faiblir, avec une vaillance admirable. J.-B. M.

Morgen de Marian Crisan, avec András Hatházi, Yilmaz Yalcin, Elvira Rîmbu (Rou., Fr., Hon., 2010, 1 h 40) 2.02.2011 les inrockuptibles 77

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les madeleines de Vecchiali Le cinéaste Paul Vecchiali fait remonter à la surface le cinéma français des années 30 dans un ouvrage herculéen, et réussit à en faire une œuvre émouvante et personnelle.

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e dictionnaire en deux tomes du cinéaste Paul Vecchiali (Femmes, femmes ; En haut des marches ; A vot’ bon cœur…) est une somme à la fois monumentale, extrêmement érudite, à bien des égards conforme au cahier des charges d’un dictionnaire, mais aussi un peu folle et à plusieurs titres très atypique. D’abord parce que Vecchiali déjoue la norme qui veut qu’un dictionnaire soit une œuvre collective. Ici, le dictionnaire découpe un champ précis (le cinéma français, les années 30) et accomplit l’exploit de le traiter entièrement seul. En pas moins de 2 000 pages, il couvre en solitaire presque tous les films français des années 30, mais aussi tous les films suivants (souvent jusqu’aux années 60) des cinéastes qui ont débuté durant cette période. C’est donc des milliers de notes critiques que Vecchiali a amassées, revoyant les films, souvent plusieurs fois (fréquemment, il détaille la façon dont il a changé d’avis : par exemple, il découvre

tardivement qu’Untel père et fils de Duvivier, généralement conspué pour pétainisme, serait un chef-d’œuvre). Le caractère herculéen de l’entreprise impressionne. Sa vertu corollaire, c’est la totale subjectivité de cette vision monoculaire. Puisqu’il est seul, Vecchiali dit tout ce qu’il pense, et c’est souvent d’une grande insolence. Il y a quelque chose de savoureux à le voir démonter un à un les films de Jean Renoir (même si, contrairement à lui, on tient Le Carosse d’or et Le Fleuve pour des œuvres magnifiques) ou d’Henri-Georges Clouzot, en épargnant arbitrairement tel ou tel autre, avant de reprendre le passage à tabac. Il faut dire qu’en vrai geek cinéphile Vecchiali accorde une double note à chaque film (l’une informant de l’accueil réservé à l’époque, l’autre du jugement de Vecchiali – il accorde ainsi un cœur noir au Roman d’un tricheur de Guitry mais quatre cœurs rouges à La Mille et Deuxième Nuit d’Alexandre Volkoff).

Danielle Darrieux dans Battement de cœur d’Henri Decoin (1940)

La limite de l’exercice tient à la forme de l’ensemble. Même si les films sont classés par leurs réalisateurs, l’œuvre est davantage un dictionnaire de films que de cinéastes. Et il manque à cet enchaînement de critiques au film par film un texte plus ample, où Vecchiali se confronterait à ce que produirait le cinéma de Renoir comme geste esthétique, au-delà de la question de ce qui est raté ou réussi dans chaque film, exprimé le plus souvent sur le mode (amusant) du billet d’humeur. Lorsqu’il parle de films qu’il admire, Vecchiali se détache davantage des films pour analyser la logique interne de l’œuvre, comme dans les très belles pages sur Ophüls. Sur les films de Decoin pour Darrieux, auxquels Vecchiali accorde presque systématiquement quatre cœurs, son enthousiasme est contagieux. Et le principal mérite de l’ouvrage est bien sûr celui de transmettre des connaissances, de faire découvrir des noms totalement tombés dans l’oubli. Sauver quelque chose de l’ensevelissement de tout et de tous par le temps, extirper un monde des abysses et le ramener à la surface, c’est le sens secret de ces travaux de colosse, leur part la plus émouvante. Un homme octogénaire y ressuscite l’univers sensible de son enfance : ses idoles, mais aussi tous ces seconds rôles oubliés, comme autant de madeleines, et puis les histoires, les mythologies, la façon de vivre qui allaient avec. Cette encinéclopédie est aussi le roman d’une vie. Jean-Marc Lalanne L’Encinéclopédie – Cinéastes “français” des années 30 et leur œuvre de Paul Vecchiali (Editions de l’Œil), 2 tomes, 40 € chacun

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Flocons d’or (1976) de Werner Schroeter, un cinéaste qu’a admiré et connu Michel Foucault

l’image Foucault Entre Michel Foucault et le cinéma, il y eut une histoire en pointillé. Un livre réunit ces fragments épars. frère… Ou, plus ontrairement à de ne retrouver dans leur exactement, elle offre Deleuze, à Rancière ouvrage qu’une sélection ou, tout récemment, des textes et entretiens que la possibilité de comprendre ce qui, dans à Alain Badiou, le philosophe a consacrés la pensée de Foucault, a pu Michel Foucault n’a pas au cinéma, leurs articles générer un tel croisement : publié de livre sur très éclairants entre l’attention le cinéma. Son parcours d’introduction permettent du philosophe au “grain a pourtant croisé, de façon d’avoir, pour la première minuscule de l’histoire” ponctuelle mais décisive, fois, une approche globale (ce qu’il caractérisait l’histoire du septième art, des rapports de Foucault lui-même de méthode comme plusieurs textes aux images en mouvement. “Blow up”) et le septième et entretiens, disséminés Cette vue d’ensemble art, une rencontre se devait au fil des Dits et écrits, balaie ainsi l’idée reçue d’avoir lieu. en gardent la trace. D’une selon laquelle l’histoire de On retrouve cette même interview essentielle aux Foucault et du cinéma se Cahiers du cinéma sur la résumerait à un croisement passion minutieuse dans les pages précieuses que “mode rétro” à un dialogue unique : l’adaptation par Foucault consacre aux avec Hélène Cixous autour René Allio, en 1976, films qu’il aime, et avant de Marguerite Duras en du témoignage publié tout dans ses descriptions passant par une analyse par l’auteur, trois ans admirables de la très fine du film de Pasolini, auparavant, Moi, Pierre “cinégénie” des acteurs. Enquête sur la sexualité, Rivière, ayant égorgé ma Qu’il s’agisse de Michael la pensée de Foucault n’a, mère, ma sœur et mon Lonsdale  (“il est épais et de fait, cessé de plonger massif comme un brouillard dans les salles obscures. Foucault a écrit sans forme”) ou des Dork Zabunyan et Patrice des descriptions héroïnes des films de Maniglier ont eu la Schroeter (“Dans La Mort judicieuse idée de réunir, admirables de Maria Malibran, en un seul volume, certains de la “cinégénie” la manière dont les deux de ces fragments. Et, des acteurs femmes s’embrassent, même si l’on peut regretter

C

qu’est-ce que c’est ? Des dunes, une caravane dans le désert, une fleur vorace qui s’avance, des mandibules d’insecte, une anfractuosité au ras de l’herbe”). Et c’est ici la surprise principale : si Foucault est allé au cinéma, c’est moins pour en retirer les bases d’un système théorique que pour exercer d’abord cette sensibilité particulière à la façon dont l’objectif invente un corps nouveau, “entièrement plastique”, comme échappé à luimême. Patrice Blouin Foucault va au cinéma de Dork Zabunyan et Patrice Maniglier (Bayard), 164 pages, 21 €

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Splice de Vincenzo Natali avec Adrian Brody, Sarah Polley (Fr., Can., 2009, 1 h 47)

Closed Vision de Marc’O Sous influence lettriste, un premier essai expérimental du cinéaste et dramaturge Marc’O, connu surtout pour son grand film psyché Les Idoles. Le film En 1951, Marc-Gilbert Guillaumin, alias Marc’O, est, à 24 ans, le programmateur du Tabou, le club existentialiste du 33, rue Dauphine qui, de Boris Vian à Miles Davis en passant par Juliette Gréco, défraie la chronique. Au Tabou, il programme les poètes lettristes. L’un deux, Isidore Isou, a tourné quinze minutes d’un film sauvage qu’il voudrait rallonger. Marc’O n’est pas producteur ? Il trouvera, par sa gouaille et ses fréquentations, l’argent nécessaire pour qu’Isou tourne ce qui restera le chef-d’œuvre du cinéma lettriste : Traité de bave et d’éternité. Dans la foulée, il réunit les fonds pour la revue ION, à laquelle participe un jeune mec de 18 ans rencontré à Cannes : Guy-Ernest Debord. En 1954, lorsqu’un Américain improbable propose à Marc’O de tourner un film de recherche, les lettristes sont déjà divisés et Debord prépare le situationnisme. Marc’O en est loin : la rupture pour la rupture, l’agression verbale sur les grands aînés que sont les surréalistes l’emmerdent un peu. Il crie lui aussi, mais il ne sait pas vraiment sur qui. C’est la première chose qui surprend (et peut-être déçoit) à la découverte de ce film qui a dormi plus de cinquante ans dans les caisses de l’underground : Marc’O peine à y trouver sa propre voix ; il dit aux surréalistes : je vous aime trop pour faire autrement que vous. Mais j’ai l’âge de vous hurler dessus. J’asphyxie les vieillards de 40 ans qui

m’asphyxient. Mais avant, je les embrasse une dernière fois. Même ceux qui sont morts trop tôt, comme Jean Vigo, dont Marc’O a fait la découverte au ciné-club du Quartier latin, et à qui le film doit tout sur la forme (l’impression de collage) comme sur la géographie (Closed Vision est tourné à Cannes, soit à quelques kilomètres de là où Vigo tourna A propos de Nice – Debord logea toute l’équipe chez ses parents). Le film fut présenté off à Cannes en 1954, reçut l’aval de Cocteau et de Buñuel, qui ne devaient pas en revenir de trouver encore un jeune homme qui vénère à ce point les “images de rêve”. Inspiré aussi par le monologue intérieur de Joyce, comme par Isou, Marc’O met en place une guerre d’indépendance entre l’image et le son – ce qui, entre l’Indo et l’Algérie, tombe à pic. Mais ce type-là, c’est son génie, a toujours su tomber à pic. Ses Idoles, en 1968, avaient trois tours de cadran d’avance sur tout le monde : sur mai, sur la pop culture, sur les punks aussi (Sid Vicious en 1977 s’habillait exactement comme Clémenti dans Les Idoles). De tout cela, Closed Vision est le brouillon. Le DVD Un passionnant dialogue entre Marc’O et André S. Labarthe : “Tu arrives, comme Vigo, à un moment de basculement du cinéma…” Philippe Azoury

Très beau film fantastique. Le dernier film de Vincenzo Natali fait partie de ces séries B mineures, comme La Maison de Cire (autre coproduction Dark Castle), que le temps permettra peut-être de réévaluer. Parce qu’il dissimule, sous ses atours kitsch de thriller génétique, sa mise en scène impersonnelle, une audace conceptuelle rare dans le cadre fragile du cinéma de genre. Splice pourrait être ainsi une version détraquée d’Avatar, un jeu pervers et plus incarné sur le motif de l’hybridation du réel et du virtuel. Cette nouvelle déclinaison du mythe de Frankenstein (où un couple de savants clone une créature incontrôlable) opère le rapprochement troublant du numérique et de la chair : Dren, le plus beau monstre vu au cinéma depuis Jeepers Creepers. Une sorte d’avatar raté, mélange d’images de synthèse et de prises de vue réelles (l’étonnante Delphine Chanéac), qui entraîne son couple géniteur – et le film – dans un vertige macabre et sexué. Très loin de l’idéal virtuel prôné par Cameron (et son renoncement final à l’humain), Natali invente donc une voie intermédiaire : le Splice, littéralement la “jonction” du virtuel et du réel. A l’écran : le sexe entre l’homme et son avatar. Romain Blondeau

Closed Vision de Marc’O (E.-U., Fr., 1954, 1 h 10), éditions Choses vues, environ 18 €

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L’Incompris de Luigi Comencini Dans l’Italie huppée des années 1960, l’incompréhension tragique entre un père et son fils. Le film Pourquoi les enfants l’incommunicabilité, c’est plus il attire la colère de son font-ils des conneries ? bel et bien celui de Luigi père. Plus il tente de cacher Parce qu’ils ne sont pas que Comencini (ou plus encore son propre chagrin, plus des signes extérieurs de celui de Valerio Zurlini et son père le croit insensible. réussite sociale et affective, son Journal intime, autre Les malentendus mèneront parce qu’ils veulent se faire drame, morbide et florentin, à une scène finale aussi remarquer de leurs parents, sur la famille). efficace, retorse, que belle. répond Luigi Comencini, Le consul anglais en “Je le croyais le plus fort, que l’on qualifie souvent Toscane vient de perdre son je comprends qu’il était de cinéaste de l’enfance épouse, et il est affligé. en réalité le plus fragile”, (ses Aventures de Pinocchio, Il a deux fils, Andrea, 10 ans, conclura le père dans quelques années plus tard, et Milo, 5 ans. Il demande à un éclair de lucidité. sont la meilleure adaptation l’aîné de cacher le décès de La cruauté de l’enfance, à ce jour du roman leur mère à son cadet. Mais les actes manqués mal de Carlo Collodi). Milo est encore totalement interprétés, les conventions L’Incompris est un dans l’inconscience sociales, la préservation mélodrame. Il se déroule de l’enfance, et donc devine des apparences, voilà sous les couleurs chaudes tout. Le consul se fâche, Comencini de Florence, et raconte persuadé qu’Andrea a trahi l’histoire d’un malentendu sa promesse. Plus Andrea décrit une société tragique entre un père et un se défend, plus il s’enfonce. aliénée par fils. On est loin d’Antonioni, Plus il tente d’aimer et de ses artifices mais le vrai cinéma de distraire son petit frère,

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ce que décrit Comencini : une société aliénée par ses artifices, des quiproquos qui font fi de l’intelligence des individus. Pourtant, jamais le cinéaste italien ne condamne ses personnages ou ne s’apitoie sur le sort d’Andrea. Il lui ouvre même à un moment une porte de sortie (très truffaldienne, encore plus eustachienne), que le destin refermera aussitôt. Le DVD Pas de bonus. Jean-Baptiste Morain L’Incompris de Luigi Comencini, avec Anthony Quayle, Stefano Colagrande, Simone Giannozzi (It., 1967, 1 h 45), C arlotta, e nviron 1 5 €

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une 3DS et des hommes La nouvelle console portable de Nintendo, présentée mi-janvier, fait saliver. Première prise en main, et belles promesses.

N   à venir une suite pour FF XIII Les héros de Final Fantasy XIII auront droit à un second tour de piste. L’éditeur japonais Square Enix a révélé qu’il offrirait une suite directe (sur Xbox 360 et PS3) au jeu de rôle disponible en Europe depuis mars 2010, comme il l’avait déjà fait pour l’épisode X de la saga. Baptisé Final Fantasy XIII-2, le jeu est attendu au Japon dans le courant de l’année et promis aux joueurs occidentaux pour l’hiver prochain.

intendo avait vu grand. En ce 19 janvier, deux conférences de presse simultanées à Amsterdam et à New York devaient permettre d’en savoir plus sur la console portable destinée à succéder à la DS, et dont les images en relief visibles sans lunettes font saliver depuis son annonce officielle en mars 2010. Première information : sa date de sortie. En Europe, ce sera donc pour le 25 mars prochain. Mais si les révélations n’ont pas manqué, du système d’échange de données entre consoles aux contenus 3D qu’elles pourront lire (entre autres, des courts métrages Aardman et des vidéos d’Eurosport), c’était surtout une belle occasion de s’offrir un aperçu de ses jeux. Le premier contact n’a rien de dépaysant, tant le design de la 3DS la rapproche des DS actuelles. Une première bonne surprise est cependant au rendezvous : son ministick analogique, essentiel pour naviguer dans les mondes en trois dimensions, se révèle à la fois confortable et précis. Mais ce n’est que l’une des manières de manipuler la 3DS, qui reprend non seulement l’écran tactile de la DS, mais dispose en plus d’un système de détection de mouvements comparable à celui de l’iPhone et qui permet, par exemple, de viser un point de l’écran en déplaçant sa console.

Cette abondance de modes de contrôle n’est cependant pas sans revers : pencher la 3DS fait facilement perdre le point de vue idéal pour percevoir le relief (que l’on peut régler ou désactiver), rendant l’image floue. Mais cette 3D, alors ? Son impact dépend des jeux. Pour certains (Ridge Racer, Dead or Alive: Dimensions, Puzzle Bobble Universe ou Nintendogs+Cats, voire Resident Evil: The Mercenaries), l’affaire paraît purement cosmétique, alors que d’autres (PES 2011, Super Monkey Ball, Zelda: Ocarina of Time) y gagnent une profondeur prometteuse et que Kid Icarus Uprising, plus délicat à maîtriser que prévu, demande à être réexaminé. Il manque peut-être un titre d’emblée enthousiasmant – PilotWings Resort en est le plus proche –, pourtant cette première prise en main de la 3DS rend avide d’en découvrir davantage, notamment parce que sa vision du futur vidéoludique fait curieusement écho à la préhistoire du cinéma, aux lanternes magiques et dioramas animés du XIXe siècle. Lego Star Wars III: The Clone Wars est une fenêtre ouverte sur un coffre à jouets précieux et Super Street Fighter IV, un petit théâtre vibrant de poupées combattantes. Pour le lever de rideau, rendez-vous au printemps. Erwan Higuinen Nintendo 3DS Disponible en Europe à partir du 25 mars, environ 250 €

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Tron tronqué N’y avait-il rien de mieux à faire pour adapter le(s) film(s) culte(s) ? Une déception, eu égard aux précédentes et très réussies productions Disney. n appelle ça un cas eux. Tout juste devront-ils au joueur moyennement d’école. Que font se faire aux lancers de exigeant sa dose d’action les développeurs disque et courses en moto tour à tour aérienne de jeux vidéo sans emblématiques de Tron et musclée. imagination (ou pressés qui s’intercalent entre Mais, au-delà même par les délais, ce qui revient deux séquences d’escalade du fait que les récentes souvent au même) quand empruntées aux aventures productions vidéoludiques ils doivent adapter un film ? du prince oriental. Disney (Epic Mickey, Ils reprennent le gameplay Cela ne fait pas pour Toy Story 3, Split/Second d’un jeu à succès et autant de Tron Evolution Velocity) témoignaient repeignent ses décors aux un mauvais jeu. S’il souffre d’une exigence supérieure, couleurs du long métrage en d’un léger manque de c’est au regard de ce question. Voilà précisément finition technique (certaines que représentent les films, le choix du studio canadien chutes hors des décors celui de 1982 comme Propaganda, dont la sont essentiellement dues sa suite d’aujourd’hui, dernière création – vraiment à un défaut de visibilité) que l’affaire se révèle la dernière : sa fermeture et si ses scènes non cruellement décevante. a depuis été annoncée – interactives, faiblardes, Tron, le cinéma, le jeu aurait pu s’intituler Prince peinent à conférer un vidéo. N’y avait-il vraiment of Persia : Dans l’univers sentiment d’urgence à nos rien de mieux à imaginer ? E. H. de Tron. acrobaties répétées, le jeu Les adeptes de la saga se révèle globalement Tron Evolution sur PS3 et d’Ubisoft devraient en effet bien pensé, suffisamment Xbox 360 (Propaganda/Disney, environ 6 0 €) se sentir d’emblée chez en tout cas pour offrir

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Pix’n Love #15 Nail’d Sur PS3, Xbox 360 et PC (Techland/ Deep Silver, de 40 à 50 €) Nouvel arrivant sur le créneau du jeu de course en milieu extrême (les déserts de l’Arizona, le parc de Yosemite…), Nail’d souffre de la comparaison avec ses luxueux prédécesseurs Pure et MotorStorm. Son esprit arcade aiguisé (vite, toujours plus vite !) garantit néanmoins de fiévreuses envolées au fil de ses circuits escarpés.

Editions Pix’n Love, 132 pages, 9 €, www.editionspixnlove.fr Tous les deux mois, la revue Pix’n Love propose une plongée érudite dans le jeu vidéo d’antan. Son n° 15 se penche sur les glorieux Marble Madness, Duke Nukem 3D et Secret of Mana, et se distingue par un ensemble sur le jeu d’aventure 80’s, L’Aigle d’or, que les anciens possesseurs juvéniles d’ordinateurs MO5 ne sauraient oublier. 2.02.2011 les inrockuptibles 83

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Sans lien d intersection

dream Team Extraordinaire antidépresseur : le troisième album des Anglais joyeux de The Go! Team affine encore l’équilibre du groupe, entre pop roudoudou et lo-fi cradoque.

 D Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

eux voies, généralement, se présentent à l’adolescent musicien un peu désorienté par ses hormones. Il peut aller flirter avec les étoiles romantiques et broder des joliesses pop en secouant vaguement ses cheveux longs dans le soleil couchant. Ou il peut s’enfermer dans la cave, fumer du crack avec ses copains et hurler ses petites révoltes informes. L’Anglais Ian Parton, tête très occupée de la remuante troupe internationale The Go! Team, n’a jamais choisi sa voie. Ou plutôt si : l’adorable garçon a choisi les deux. C’est le destin de ce groupe génial : inventer un moyen terme passionnant entre la perfection d’une big pop roudoudou

pour masses béates et le cradingue de la production à deux boules poilues des gens qui abhorrent le mignon-gnon-gnon. “Si Rolling Blackouts est le plus pop de nos trois albums, ce n’était pas une décision consciente, explique Parton. Mais les choses sont peut-être devenues… un peu plus abordables. Certaines fréquences sonores, présentes sur Thunder, Lightning, Strike et sur Proof of Youth (leurs deux premiers albums – ndlr), ont disparu. Reste que ce n’est toujours pas de la hi-fi, loin de là. J’avais très peur de ça, à tel point que nous avons fini par coller les enregistrements sur une cassette, à partir de laquelle nous avons fait le mastering… La lo-fi est quelque chose d’excitant, pour moi, c’est un truc de jeunesse. Quand je pense à la musique,

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on connaît la chanson

un Jono sait quoi Paisible, dansante, electro et acoustique, une chanson de huit minutes de Jono McCleery enchante l’hiver.

je pense à des garages, à des caves, on colle quelques micros au scotch, et c’est parti – pas à un studio à 1 500 euros par jour, avec les meilleurs producteurs planqués derrière des écrans géants. Disons que nous sommes désormais à mi-chemin entre lo et hi-fi : nous sommes medium-fi. On fait exactement l’inverse de ce que les radios aiment diffuser.” Plus pop, Rolling Blackouts ? Légèrement, sans doute. Mais pas fondamentalement différent de ses deux extraordinaires prédécesseurs : une indomptable montagne russe dévalée l’X sur la langue, une bacchanale crado-foldingue où pop, hip-hop, funk, trucs et bidules, westerns et blaxploitation, bijoux de Buckingham et block parties du Bronx font gouzi-gouza dans un bordel hilarant.

“nous sommes désormais à mi-chemin entre lo et hi-fi : nous sommes medium-fi”

La nouveauté principale ? Un peu plus de jeunesse, encore un peu plus d’éructations adolescentes : l’omniprésence d’une section de cuivres juvéniles fait sonner les morceaux du groupe comme la marche triomphante d’un implacable commando des plaisirs orgasmiques. “J’ai toujours pensé que les sections de cuivres étaient sous-utilisées, précise Parton. Peut-être, soyons honnêtes, parce qu’elles n’ont pas vraiment l’air ‘cool’. Mais entre les bonnes mains, c’est putain de cool. C’est un son qui peut t’arracher la tête. Et si tu en as vingt et que tu les multiplies par deux sur bande… Là, on a pris un groupe de gamins d’une quinzaine d’années : je ne voulais pas d’excellents musiciens, je voulais qu’ils soient techniquement limités, que ça sonne un peu faux – c’est selon moi ce qui donne toute cette énergie.” La nouveauté secondaire ? Ninja, intenable, pétillante et clownesque MC du groupe, explique en chambrant gentiment qu’il a fallu se battre contre la frousse de Parton de colorier sans déborder, racontant aussi sa trouille de mettre trop d’ordre dans ses innombrables samples, lui qui avoue en posséder à la maison des heures et des heures – de tout et de n’importe quoi. “Il y a clairement plus de chant, plus de mélodies en général, explique-t-elle. Et plus de ces très redoutées harmonies ! On en trouvait parfois, avec Karen. Mais Ian chialait ‘Nooooon, pas d’harmonies, pas d’harmonies, les harmonies c’est le mal !’ Il y en a pourtant partout, maintenant. C’est le festival de l’harmonie ! Il accepte même quelques petits ‘Oooh’ ici ou là ! Le fait d’avoir eu un gamin a dû l’attendrir…” Le résultat final ? Comme les précédents, mieux que les précédents, bien plus abordable mais pas moins piquant, Rolling Blackouts est un album en Technicolor, intenable, magique, et l’antidépresseur idéal pour les époques grises, un excitant légal pour les soirées en roue libre. Thomas Burgel Album Rolling Blackouts (Memphis Industries/Pias) www.thegoteam.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

C’est une chanson qui, à la fin 2010, aurait pu faire économiser en menuiserie : pas besoin de podium quand un titre se retrouve à la fois numéro un, deux et trois de l’année, dans un genre très flou, très vague : l’électronique acoustique, qu’on pardonne l’oxymore. Ainsi, Tomorrow de Jono McCleery aurait été la meilleure chanson de folk majestueux, la meilleure en ambient electro et la meilleure en breakbeat ankylosé. En huit minutes intenses et gracieuses, elle réunit des artistes qui ne se seraient jamais rencontrés ailleurs, disons Nick Drake, Aphex Twin et Brian Eno. La chanson s’appelle donc Tomorrow et, dans son refus de choisir son camp, d’accepter les frontières, elle porte parfaitement son nom : puisse demain ressembler à cette musique qui n’invente sans doute rien, mais qui agence de façon fluide et neuve plusieurs vocabulaires, voire plusieurs grammaires. Comme José González, Bonobo ou Fink, avec qui il a tourné, le Londonien fait partie de cette génération qui préfère nettement les after aux before, ces moments nébuleux où les corps affaissés descendent de la fête, de la liesse, pour l’aisance d’une mélancolie molletonnée, comfy et cosy. Dans ces instants entre chien et loup, au paillasson du jour, cette musique se révèle dans toute sa douce perversité, à la fois assoupie et tendue, rassurante et néanmoins dérangeante. C’est exactement la musique universelle, folklore urbain et aux aguets, vers laquelle tendait Thom Yorke en solo, à qui il manquait peut-être parfois la sensualité, la clarté de ce single. En attendant qu’une publicité filmée dans la brume (avec une licorne ?) ou un film au romantisme tapageur ne l’épuise à la tâche, ne le vide de son sang, de sa sève, il est encore temps d’écouter Tomorrow, d’écouter demain. www.jonomccleery.com

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David Swanson

des nouvelles du Champion Devonté Hynes, alias Lightspeed Champion, a évoqué la sortie d’un album avec son nouveau projet, Blood Orange. Le disque, encore sans titre, a été enregistré à New York en 2010. Un premier single paraîtra prochainement sur Terrible Records, le label de Chris Taylor (Grizzly Bear). Inspiré par la “pop orientale” et “la dance-music du New York des années 80”, l’album sortira chez Domino en juin. 

il était une voix Comme son nom l’indique, le festival parisien Au fil des voix met en avant les chanteurs (et chanteuses). La nouvelle édition débute le 3 février avec notamment Toumast, Sorry Bamba et Danyel Waro. Et rebelote la semaine suivante avec Ana Moura, Faiz Ali Faiz & Titi Robin, ainsi que Rodrigo Leão et ses invités chantants de marque : Neil Hannon et Stuart Staples. Du 3 au 5 et du 10 au 12 février à Paris (Alhambra), www.aufildesvoix.com

des sous pour Daniel Johnston cette semaine

premiers noms pour les Eurockéennes La liste est encore courte, mais prometteuse : Arctic Monkeys, Arcade Fire, Motörhead, Tiken Jah Fakoly, House Of Pain et Boys Noize se produiront à Belfort du 1er au 3 juillet.

Avant son passage par la Cigale la semaine prochaine, la belle Danoise promène les folk-songs nocturnes de Philharmonics dans les salles françaises. Le 2 février à Reims, le 3 à Nantes, le 5 au Havre, le 6 à Rennes

Steve Gullick

Robert John

Agnes Obel en tournée

Vous êtes riche, généreux, et vous aimez Daniel Johnston ? Faites un don pour lui permettre de publier son comic book Daniel Johnston’s Infinite Comic Book of Musical Greatness. L’artiste aurait également composé une bande originale pour accompagner la chose. Somme à atteindre : 10 000 dollars d’ici le 6 mars. Les dons sont à envoyer via la plate-forme d’aide aux artistes Kickstarter (www.kickstarter.com).

neuf

Japan Fergus & Jeronimo

Jonny 2011, année de Jonny ? Ah que peut-être. Fondé par le Teenage Fanclub Norman Blake et Euros Child de Gorky’s Zygotic Mynci, copains depuis plus de dix ans, Jonny dévoilera en avril un premier album de pop délicieuse et romantique. Toute la musique qu’on aime. www.turnstilemusic.net

Des noms empruntés à l’adaptation anglaise de La Guerre des Boutons pour ce duo de Texans qui joue un drôle de mélange de garage-rock et de soul, de pop, de rock et de roll. Comme si les Barracudas jouaient avec The Drums, comme si Otis Redding revisitait Yo La Tengo (si, si). www.myspace.com/fergusgeronimo

Van Der Graaf Generator Incroyable mais vrai : le légendaire groupe sixties/seventies de Manchester, mené par Peter Hammill et revendiqué comme influence par des centaines d’héritiers (de Genesis à Joy Division, de Pulp à TV On The Radio !), tournera au printemps. Et en profite même pour signer avec le label Esoteric pour un nouvel album ! www.peterhammill.com

A la suite du récent décès de leur bassiste, Mick Karn, on a beaucoup réécouté les dandys anglais de Japan. Et miracle : de Ghosts à Night Porter, leur pop alambiquée et atmosphérique a beaucoup mieux vieilli que leurs vestes à épaulettes en satin. www.myspace.com/japansylvian

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Julien Bourgeois

les chansons se dérobent, défrichent l’immuable, jouent avec les repères et l’imaginaire

“on aime les cancres et les psychopathes” Avec ses chansons en clous rouillés, le duo Arlt décoiffe la chanson française. L’album s’appelle La Langue : elle râpe et dérape.

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e soir de la dernière SaintSylvestre, cinq mille oiseaux tombent morts dans les rues de Beebe, Arkansas. Quatre jours plus tard, seconde pluie funeste de cinq cents volatiles à Pointe Coupée, Louisiane. A défaut de pouvoir l’expliquer, on y voit un signe, comme un rappel : il est urgent de réécouter la chanson Après quoi nous avons ri, sur La Langue, premier album d’Arlt sorti fin 2010, où Eloïse Decazes chante “Partout tous les oiseaux sont tombés au sol, d’un coup d’un seul.” On repasse tout l’album comme on consulterait l’oracle, pour entendre demain. Ce qu’on y découvre est encore plus étrange : une chanson folk française

dissidente, différente, traversée par les souvenirs de troubadours médiévaux, errant aveugle dans un souterrain de velours, poursuivie par les chiens de l’enfer du vieux blues, alanguie sous le soleil voilé d’une bossa new-wave, et qui toujours s‘échappe. Des faits : Arlt est un duo parisien composé de Sing Sing (chant, guitare) et Eloïse (chant). Quand il était petit, Sing Sing rêvait de ne rien faire. Il s’est retrouvé à gratter une guitare “bousillée, impossible à accorder” et à écouter plein de disques. Eloïse, elle, rêvait de devenir fleuriste. Elle a fini par chanter comme on respire, au supermarché ou chez le dentiste, “pour parer à l’angoisse de la fraise”. De leur rencontre, il y a une poignée d’années, est

né Arlt, dont le nom a été emprunté à l’écrivain argentin Roberto Arlt, qu’ils n’avaient pas lu. La Langue est leur premier album, enregistré en quelques petits matins de février 2009 dans une maison probablement hantée d’Arcachon, hors saison. “Les influences sont des fantômes”, dit Sing Sing. “On aime les cancres et les psychopathes”, réplique Eloïse. Les originaux, donc : pionniers du blues, aventuriers du jazz, chansonniers buissonniers, rockeurs épurés, et beaucoup d’autres. Impossible, et surtout inutile, de les citer. La Langue est un nid en haut d’un très vieil arbre : un espace étroit mais vital, spartiate mais accueillant, construit à l’instinct avec

des marabouts de ficelle. Eloïse et Sing Sing y cherchent refuge et vertige. Dans le format chronométré des chansons, ils dilatent l’espace-temps à coups de tournures archaïques et de tourneries frémissantes, effusion de sens. Leurs chansons se dérobent, défrichent l’immuable, jouent avec les repères et l’imaginaire de l’auditeur. Pour les rattacher à des disques récents, façon garde-fou, on pourrait citer La Maison de mon rêve, le premier album de CocoRosie, ou le dernier album de Bertrand Belin (leur ami), Hypernuit, dont La Langue sonne parfois comme la suite, l’aube. Sing Sing : “Je ne sais pas comment on écrit une chanson. Je travaille avec des bouts de ritournelles, des airs quasiment naïfs, et des suites d’accords que j’ai envie de vivre comme des aventures. Quand j’arrive à un morceau trop précis, on cherche à en rendre l’accès mystérieux, toujours dans l’épure. L’idée, c’est d’avoir une réduction. Comme un grand orchestre joué par une seule guitare, qui évoque les choses par ombres, par reflets.” On s’y noierait. Stéphane Deschamps Album La Langue (Almost Musique/Socadisc) Concert Le 19 février à Paris (Maroquinerie), dans le cadre des Nuits de l’alligator (avec June & Lula et Michael Rault). www.myspace.com/arltmusic En écoute sur lesinrocks.com avec 2.02.2011 les inrockuptibles 87

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Mathias Clamer

Koella le koala

Musicien de l’ombre, de Dylan à Cookie Dingler, l’Alsacien Freddy Koella est un guitariste hors norme. Il s’aventure sous les projecteurs en célébrant son Amérique d’adoption.

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reddy Koella a une gueule d’atmosphère, façon Tom Novembre ou Buster Keaton en couleur. Grand escogriffe (de la nuit) flegmatique, le guitariste alsaço-californien (il est né à Mulhouse et vit aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années) est connu dans l’ombre pour avoir accompagné, au cours des deux dernières décennies, des gens tels que Willy DeVille, Bob Dylan, Dick Annegarn, Francis Cabrel, k.d. Lang, Lhasa ou Carla Bruni. Et en parlant de femmes libérées, il était aussi guitariste de Cookie Dingler à l’époque de l’énorme tube eighties. Mais aujourd’hui, alors que sort Undone, son deuxième album solo (de guitare),

pas très éloigné du koala, marsupial agile peu réputé pour sa nervosité, Koella n’en fait jamais trop

l’homme se libère du rôle à la longue frustrant d’accompagnateur. Des albums instrumentaux de guitaristes, on en voit passer beaucoup, mais on en écoute peu. Si celui-là charme l’oreille, c’est parce qu’il reste loin des exercices de style, des démonstrations bavardes et virtuoses, de la musique décorative. Undone est moins un album de musicien (certes en pleine possession de ses moyens) que le disque d’un homme timide et rêveur, qui s’exprime et se soigne avec une guitare, comme il l’a toujours fait. “Je suis un mec sensible. A l’école, les gamins se foutaient de ma gueule parce que j’avais une voix particulière, à cause de problèmes de sinus. Ça m’affectait, j’étais marginalisé dans ma tête. Quand j’ai commencé la guitare, vers 11 ans, c’est devenu ma voix. Les sons que je tirais de la guitare

me permettaient de déconnecter, de me sentir bien physiquement.” A 14 ans, Freddy se met un moment au violon classique et découvre dans le même temps le blues de Lightnin’ Hopkins, JB Lenoir, Muddy Waters. “J’étais complètement fasciné. Comme j’avais une tendance à la déprime, le blues était un moyen de sortir cette mélancolie, je pouvais l’exprimer avec un instrument. C’était une thérapie, c’est sûr, et ça l’est toujours.” Sa gueule d’atmosphère, avec des papillons noirs qui volettent à l’intérieur, Freddy Koella l’a donc mise dans son disque, dédié (entre autres) à l’irremplaçable Lhasa, dont l’esprit rôde. Baigné dans le blues, avec la souplesse du jazz et des vapeurs latines peut-être humées dans l’air chicano de Los Angeles, Undone ne se laisse pas cataloguer. Les cordes de sa guitare sont aussi celles d’un funambule méditatif,

qui semble attraper les notes comme des souvenirs, comme elles passent, aériennes et lascives. Pas très éloigné du koala, marsupial agile peu réputé pour sa nervosité, Koella n’en fait jamais trop. “Les tempos sont lents, pour suivre et digérer chaque note. Je laisse mes doigts courir.” Très bien accompagné (le batteur Jay Bellerose et le contrebassiste David Piltch sont des habitués des sessions avec Joe Henry et T-Bone Burnett), Freddy Koella déambule dans sa bulle qui flotte en altitude, quelque part entre la ligne bleue des Vosges et la blue note américaine. Stéphane Deschamps Album Undone (tôt Ou tard/Wagram) www.freddykoella.com

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My Little Cheap Dictaphone The Tragic Tale of a Genius

Wire

At(h)ome /Wagram

Red Barked Tree

Emphatique et imposante, de la pop américaine (bien) faite en Belgique. ans Les Faiseurs de silence, Fantasio présente à Spirou une révolutionnaire invention de son cru : l’aspison, un appareil portatif capable d’avaler tous les bruits environnants mais qui, une fois arrivé à saturation, peut à tout moment vomir le prodigieux vacarme qu’il renferme. Eh bien, écouter le quatrième album des Belges de My Little Cheap Dictaphone, opéra pop où les bajoues de Brian Wilson tiennent implicitement le premier rôle, c’est un peu comme assister à une vidange de l’aspison : on en ressort le sens de l’orientation en berne et le squelette friable, mais avec la certitude du cosmonaute revenu des étoiles que l’on passera une bonne partie de notre vie à remettre ça. A guetter l’élocution vacillante de Ralph Mulder, frontman des sous-estimés Alamo Race Track (Slow Me down), à se laisser balayer par les bourrasques symphoniques de What Are You Waiting for (avec Jonathan Donahue, de Mercury Rev), à opiner du chef au rythme de In My Head… bref, à clamer que, bien qu’il inclue de quoi faire siffler les oreilles d’Arcade Fire et de Nick Cave, The Tragic Tale of a Genius est grandiose.

Pink Flag/Differ-ant

Retour gagnant, pop et fier, de vétérans intacts du punk originel. Ahurissant : à un âge où la plupart de leurs coreligionnaires des années punk ont viré affairistes, bêtes de foire ou, plus prosaïquement, cadavres, les garçons de Wire continuent de se taper la tête contre les murs avec la même obstination, la même tension. Leur glaise demeure, comme aux temps merveilleux d’Outdoor Miner ou de Map Ref. 41°N 93°W, la pop-music, qu’ils raidissent en des chansons étranges, aussi suaves que glaciales, aussi ravissantes que perturbées, aussi dansantes que glissantes. Exemple avec Please Take, tube potentiel une fois encore saboté – une habitude depuis plus de trente ans – par une stridence ou une fulgurance – ici : “Fuck off out of my face/You take up too much space”. On connaît des centaines de leurs suiveurs qui se sentent personnellement visés. JD Beauvallet

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Benjamin Mialot www.mylittlecheap.net

Kmeron

www.myspace.com/wirehq

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Richard Jones I Reside in Icebergs Virage Tracks Un Gallois visite l’americana en classe grand luxe, en passant par Bordeaux. Comme le confirme le titre de cet album, une partie de Bordeaux (avec dessus les groupes Pendentif, April Shower, etc.) s’est détachée tel un iceberg du continent et navigue, sereine, vers les Amériques. Sur un label bordelais (fondé notamment par l’ex-footballeur nonchalant Johan Micoud), le Gallois Richard Jones foule déjà, torse bombé et geste aristo, les avenues les plus luxuriantes de l’americana : celles pavées d’or par Ray Lamontagne ou par Thomas Dybdahl, ces soulmen pâles et fervents. Un lyrisme que le Gallois pousse parfois, d’une voix et d’une guitare pareillement cascadeuses, jusqu’aux abords de Radiohead. Benjamin Montour

Joan As Police Woman The Deep Field Pias Sexy, girly, groovy, le retour de la New-Yorkaise est un délice. e premier single extrait du nouvel album de Joan As Police Woman ressemble à ce qu’aurait pu donner une reprise par Prince du Cry Me a River de Justin Timberlake. Baptisé The Magic, le titre est une leçon d’écriture habile et ronde, et son refrain fait le sexe en disant Joan As Peau Lisse Woman. Sensuel, The Deep Field, le troisième album de la New-Yorkaise, regorge de chansons lascives (Action Man, Run for Love) et rappelle par moments le projet Lovage de Dan The Automator. Timbre de voix attrape-cœur, production à l’ancienne et lenteur lumineuse (Human Condition, Kiss the Specifics) : Joan Wasser apparaît aujourd’hui comme la fille cachée d’Al Green. Cette fille vous veut du bien. Johanna Seban



Concerts le 23/2 à Paris (Flèche d’Or), le 24 à Tourcoing www.myspace.com/joanaspolicewoman En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/richardjonesmusic

Elista L’Amour, la Guerre et l’Imbécile Wagram Jolis arrangements mais flacon un peu lisse pour le retour des Français. Troisième album pour Elista, formation française discrète dont le premier recueil, surtout, avait séduit cœurs et oreilles. “On voulait faire plus simple sans pour autant faire simplet” : L’Amour, la Guerre et l’Imbécile est un disque pop, calme et serein, aux arrangements délicats (Des couleurs à ta robe). Soignés (La Part de toi, La Ballade criminelle), les textes côtoient malheureusement des mélodies devenues lisses : si la FM pourrait suivre, tout ceci flirte parfois trop avec la variété. J. S. Concert le 2/2 à Paris (Maroquinerie) www.myspace.com/ elistamusic En écoute sur lesinrocks.com avec

Crystal Fighters Star of Love

Zirkulo/Pias

Le disque dingo d’Espagnols au croisement d’Animal Collective et des Klaxons. Aux époques molles les remèdes durs, contre la grisaille morale les bazookas aux obus fluo. L’antithèse de The XX porte un nom : Crystal Fighters. Installé à Londres, Crystal Fighters est, comme Delorean ou El Guincho, né en Espagne – au Pays basque en particulier, dont ils tirent l’usage déraisonnable d’instruments percussifs traditionnels comme la txalaparta et le txistu. L’Espagne est en crise, mais sa jeunesse, furieuse, les bras en l’air et les idées en pagaille, n’a pas bouclé sa propre révolution, une post-Movida devenue rave frénétique. Crystal Fighters se traduit en une apocalypse rythmique, au croisement des Klaxons et d’Animal Collective : une collision à très haute vitesse entre folk tribal (le génial single Follow, la très belle At Home) et électronique bulldozer (Xtatic Truth, Solar System). Un album ahurissant, qui se traverse comme un champ de mines et s’écoute, si possible, sur trampoline. Thomas Burgel Concerts le 16/2 à Nantes, le 17 à Angers, le 18 au Havre, le 19 à Paris (Point Ephémère) www.crystalfighters.com En écoute sur lesinrocks.com avec

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Moddi Floriography

Steven Barston

Impeller/Differ-ant

Family Of The Year Our Songbook Washashore/Volvox Bientôt en concert, des hippies au poil, cousins californiens des Fleet Foxes. hez ces Californiens, on lave éblouissants comme Stupidland ou donc son linge sale en famille : Chugjug, dont s’est emparé une publicité de la dentelle et de la bure, américaine pour un médicament des salopettes en vieux denim antidouleur. Et effectivement, cette et du satin. Ainsi va leur folk, d’apparence musique mixte, plus qu’un acide rustique, ploucard même, mais qui encouragerait la fuite, est une pilule prodigieusement mélodique, sophistiqué, qui rend la vie moins rosse, plus rose, ce qui arracha à Steven Tyler d’Aerosmith, la décore de l’intérieur en grange étrange juge en la matière, un cri psychédélique à longueur de chorales d’amour : “Des Mamas & The Papas sous hystériques, de guitares en volutes, acide !” Mamas, Papas et leurs enfants de claviers excentriques, d’étranges aussi, comme les Fleet Foxes ou Avi dialogues. Malgré les apparences, un foyer Buffalo, autres mélodistes nonchalants, modèle : plutôt famille Tenenbaum dégingandés et à la coule avec qui que famille Manson. JD Beauvallet ces freaks très chic partagent des liens de sang. La famille est large, elle s’étend Concert le 11/2 à Paris (Maroquinerie) de Cocoon en France à Fleetwood Mac sur www.familyoftheyear.net la lune, et chante en cascades, à l’unisson En écoute sur lesinrocks.com avec sur d’authentiques pop-songs déguisées en folk-songs : endimanchées en amish, mais trop joyeuses, sophistiquées et sensuelles pour vraiment tenir bien longtemps dans cette austérité. Leur ferveur, leurs harmonies diaboliques, leur beauté boudeuse : tout ceci se paie cash, en quelques tubes

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Grandie sur une île du Nord norvégien, une musique sauvageonne et féerique. Partout où la mer est périlleuse, la lande ravinée, l’humeur fouettée par le crachin et la roche bouffée par le lichen, pousse l’esprit de Yann Tiersen. Accordéon en déroute et harmonium dans les chaussettes, on l’a croisé partout (en Islande, au Canada…) où l’homme est réduit à la mélancolie par l’hostilité des éléments. Dans le nord de la Norvège, sur l’île castagnée de Senja, Moddi fait avec ce qu’il a : une mandoline oubliée par un marin russe, le bandonéon de sa mère, une voix de vieille femme burinée à la Nico et un spleen entortillé dans ses blondes bouclettes – entre insulaires, lui et Tiersen parlent la même langue. Mais d’un matériel aussi solennel, grave et lourd, le producteur Valgeir Sigurðsson (Björk, Múm, CocoRosie) tire une musique vagabonde et chatoyante, douce et usée comme du bois flotté. Sur son site, il faut regarder les vidéos : cette musique se voit autant qu’elle s’écoute. JDB www.myspace.com/ moddimusikk

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Jim Yamouridis Into the Day Starlight Walker Le rock hanté d’un Australien qui confond Puy-de-Dôme et Appalaches. “Rassemble ton troupeau et attends le déluge” (Say Goodbye). Sur l’arche de l’Australien d’Auvergne Jim Yamouridis, Nick Cave, Leonard Cohen et Johnny Cash partent en croisière. Des hommes au chant panoramique et aux images millénaires qui, sous la houlette d’un berger d’ascendance grecque, revisitent les évangiles des Appalaches, le gospel de Memphis et la musique populaire du Pirée. Mais, sur le troisième album de Yamouridis, le goût des horizons lointains va de pair avec un éloge de l’immobilité, du voyage en chambre et de l’odyssée au foyer. D’où la captivante rencontre d’une voix de sept lieues et de chansons rêvées au coin du feu, dont les couplets contemplatifs sont relevés d’arrangements aussi sveltes que vagabonds. Recrutés chez Las Ondas Marteles et chez les Bad Seeds, une guitare chromée, une contrebasse bourlingueuse et un violon névropathe invitent au pays des chapelles de pierre noire les fantômes de la Factory de Warhol et des studios Sun. Bruno Juffin www.cqfd.com/jim En écoute sur lesinrocks.com avec

Dylan Carlson

Earth

Angels of Darkness, Demons of Light, Vol. 1 Southern Lord/Differ-ant La fin du monde est proche : les Américains de Earth en composent, dans un magma électrique, le folklore irradié, désolé, magnifique. e titre ne ment pas : les anges noirs un blues industriel, laconique, avec et les démons lumineux s’entendent du mercure dans les veines et du mauvais clairement, dans un épique combat, sang dans les guitares, que tend tout au long des cinq plages ce chef-d’œuvre récalcitrant. mazoutées, désertées, irradiées On ne peut pas vraiment dire que ces de cet album. Et qui gagne à l’arrivée ? pionniers de toutes les perversions La beauté terrible, effroyable, d’un album du metal depuis une vingtaine d’années qui reprend les choses, mal en point, s’assouplissent, s’épanouissent, mais là où les avaient laissées leur précédent l’album joue moins sur la tension, et obsédant The Bees Made Honey in the la puissance, l’effroi. Va-t-on l’écrire ? Oui. Lion’s Skull. Les abeilles continuent donc Il est ici question – et on sait à quel point à faire leur miel dans le crâne du lion, Carlson se fiche de toute idée de ou dans la gueule du loup, ou dans la fosse respectabilité – d’une sidérante musicalité. putride de l’humanité. Pour avoir travaillé avec l’élite amochée Plus électrique et paradoxalement du grunge, leur producteur Stuart peut-être plus impassible encore, Angels Hallerman (Mudhoney, Soundgarden…) of Darkness, Demons of Light, Vol. 1 est a déjà prouvé qu’il savait canaliser les électriques. Il n’en fait rien ici, laissant cette un mastodonte, une énormité, un monstre à sang froid et à gestes lents : on croirait musique s’écouler magnifiquement telle le Velvet Underground de White Light/White de la lave dégueulée de l’enfer, se nourrir Heat joué à la mauvaise vitesse, sur une monstrueusement d’elle-même, brûler platine épuisée. Cette musique n’a d’autre ses propres terres. Musique étale et fatale, but qu’elle-même, totalement hermétique à la beauté du diable – de ses anges noirs et de ses démons lumineux. JD Beauvallet à la raison, aux formats, au temps. Dans ce magma sonique en faux calme, www.myspace.com/earthofficial on ne cherchera pas la petite bête : qu’importe si une guitare ou la grande faucheuse fait tel bruit glaçant, si ce long trémolo qui arrache les larmes est celui d’un violoncelle ou d’un chat qu’on pend. Le rescapé Dylan Carlson, dont l’histoire, on l’espère, ne retiendra pas que son amitié dangereuse avec Kurt Cobain, a beau citer Pentangle ou Tinariwen parmi ses récentes influences, c’est plutôt vers



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James Blake The Wilhelms Scream R&S/Pias Cet électronicien anglais sera l’un des grands espoirs de 2011. e “Whilhelms Scream” en pensait réservée aux fans de question est un effet spécial The XX. Sauf qu’à leur minimalisme utilisé par les ingénieurs inquiet, l’Anglais préfère une du son des années 50 dans luxuriance placide, quelque part les films fantastiques. Avec James entre les psalmodies soul pâles Blake, on a plutôt affaire à un d’Antony et les langoureuses fantastique ingénieux du son. D’une miniatures dubstep de Mount langueur qui donne franchement Kimbie ou de Darkstar. Envoûtant. JDB envie de ne rien faire, furieusement, là, tout de suite, sa dance-music tout à fait horizontale provoque www.myspace.com/ le genre d’apathie béate que l’on jamesblakeproduction

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Tamikrest Toumastin Le deuxième album de nos Touaregs préférés sortira en avril et s’appellera Toumastin. La preuve avec un trailer qui présente de nouvelles chansons, des interviews et des images pour nous aider à passer l’hiver. www.youtube.com

Sapta Represent This Freakin’ Rock La rhétorique, comme cette façon sauvageonne de casser des briques aux infrabasses, rappelle forcément l’acidhouse anglaise. Inutile de préciser que cette electro parisienne préfère le gant de boxe au gant de velours – ses caresses sont de virils mais délicieux ramponneaux. www.cqfd.com/sapta

She & Him Don’t Look Back Esthétique sixties, jolie robe, chœurs façon Brill Building et joyeuse chorégraphie pour le nouveau single, rétro et rose bonbon, de la paire M. Ward/Zooey Deschanel : si vous ne souriez pas, il faut consulter. www.youtube.com

TV Girl On Land Eux-mêmes descendance de descendance de descendance, les Drums commencent déjà à faire des bébés : TV Girl, par exemple, de Californie. Mêmes raideurs pop, mêmes racines 80’s et 90’s, même fascination apparente pour les vieux héros britanniques, de New Order aux Smiths. Le tout, sous le soleil. www.lesinrocks.com 2.02.2011 les inrockuptibles 93

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Adam Kesher 4/2 Marne-laVallée, 18/2 Saint-Brieuc, 7/4 Paris, Boule Noire Adele 4/4 Paris, Cigale Angus & Julia Stone 26, 27 & 28/4 Paris, Trianon Olöf Arnalds 28/2 Paris, Studio de la Comédie des ChampsElysées Band Of Horses 26/2 Paris, Cigale Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris, 19/3 Toulouse Blackfield 29/4 Paris, Trianon Aloe Blacc 24/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3 Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-en-Bresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Anna Calvi 8/2 Paris, Nouveau Casino Barbara Carlotti présente “Nébuleuse Dandy” 8 & 9/2 Paris, Cité de la Musique Cascadeur 12/3 Metz, 17/3 Rennes, 19/3 Chelles, 23/3 Paris, Café de la Danse, 24/3 Canteleu, 25/3 Poitiers, 31/3 Belfort, 2/4 Amiens, 10/4 Morlaix, 20/4 Alençon

Chapelier Fou 18/2 Metz Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Divan du Monde Cocoon 9/2 Lille, 10/2 Rezé, 11/2 Reims, 14/2 Lyon, 15/2 Marseille, 16/2 Ramonville, 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Cold War Kids 15/2 Paris, Bataclan Pascal Comelade 3/3 Paris, Cité de la Musique Charlélie Couture 4/2 Nancy, 10/2 Lyon, 11/2 Toulon, 12/2 Nice, 9, 10, 11 & 12/3 Paris, Boule Noire, 18/3 Montpellier, 19/3 Marseille, 24/3 Valence, 25/3 Grenoble, 26/3 Besançon, 31/3 Guyancourt, 1/4 Liévin, 7/4 Plélan-le-Petit, 8/4 Brest, 9/4 Alençon, 27/5 Schiltigheim, 10 & 11/6 Paris, Casino de Paris Crystal Fighters 16/2 Nantes, 17/2 Angers, 18/2 Le Havre, 19/2 Paris, Point Ephémère Cut Copy 19/3 Paris, Nouveau Casino Fyfe Dangerfield 2/2 Paris, Boule Noire Daphné 7/2 Paris, Bouffes du Nord Death In Vegas 27/5 Paris, Alhambra Deerhunter 10/4 Tourcoing Alela Diane 8/5 Strasbourg, 9/5 Paris, Cigale, 10/5 Lille The Dø 11/2 Rouen, 12/2 Alençon, 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg,

18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9 & 10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille Dum Dum Girls 24/4 Paris, Machine Elista 11/3 Paris, Maroquinerie Esben And The Witch 19/2 Saint-Malo, 21/2 Paris, Point Ephémère Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan Fargo All Stars #4 8/2 Paris, Flèche d’Or, avec Tift Merritt, Dolorean, Deer Tick Les femmes s’en mêlent # 14 Du 19/3 au 3/4 à Paris, Bordeaux, Brest, Belfort, Ajaccio, avec Jessy Bulbo, Amandititita, Afrodita, Pau Y Amigos, Sonido Lasser, Drakar, Glasser, Le Corps Mince De Françoise, Le Prince Miiaou etc. Festival 3C Du 14 au 17/3 Paris, Boule Noire, avec Jérôme Van Den Hole, Pendentif, Brune, Claire Denamur, Benoît Doremus, etc. William Fitzsimmons 7/2 Paris, International Arnaud Fleurent-Didier 8/2 Paris, Cigale Fujiya & Miyagi 26/4 Paris, Alhambra Gang Of Four 18/3 Paris, Trabendo PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia

Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo Inrocks Indie Club février 18/2 Paris, Flèche d’Or, avec The Joy Formidable, The Dodoz, The Airbone Toxic Event, Divine Paist Inrocks Indie Club mars 25/3 Paris, Flèche d’Or, avec The Go! Team, May 68 Interpol 15/3 Paris, Zénith Iron & Wine 17/2 Paris, Alhambra

Jamaica Nouveau passage parisien pour le trio français, dont l’album No Problem fut une des belles surprises pop de 2010. 8/2 Paris, Alhambra, 6/4 Strasbourg The Jim Jones Revue 8/4 Paris, Bataclan, avec The Legendary Tigerman, The BellRays Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg Jonny 24/2 Paris, Flèche d’Or Camelia Jordana 6/4 Paris, Trianon Katerine 27/5 Paris, Olympia Keren Ann 24/5 Paris, Cigale K’s Choice 2/2 Nice, 4/2 Montpellier, 5/2 Marseille, 8/2 Rennes, 11/2 Hérouville Saint-Clair La Fiancée 17/3 Strasbourg,

18/3 Nantes (+ Florent Marchet) Lilly Wood & The Prick 4/2 Calais, 9/2 Paris, Cigale, 10/2 Angers, 11/2 Mérignac, 12/2 Agen, 18/2 Nantes, 19/2 Lorient, 11/3 CergyPontoise, 12/3 Ris-Orangis, 24/3 Marseille, 25/3 Toulon, 26/3 Nice, 11/5 Paris, Bataclan Luke 31/3 Hérouville Saint-Clair Ray LaMontagne & The Pariah Dogs 17/2 Paris, Olympia The Legendary Tigerman 23/2 Paris, Maroquinerie Lykke Li 21/4 Paris, Cigale Madjo 12/3 Les Sables d’Olonne, 6/4 Saint-Quentin, 20/5 Paris, Cigale Main Square Festival Du 1 au 3/7 Arras, avec Coldplay, Linkin Park, Arcade Fire, Portishead, The Chemical Brothers, PJ Harvey, Elbow, etc. Florent Marchet 3/2 Toulouse, 4/2 Perpignan, 5/2 Toulon, 8/2 Montbrison, 12/2 Reims, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 20/2 Poiré-surVie, 3/3 Angers, 4/3 Lorient, 5/3 Brasparts, 11/3 Angoulême, 18/3 Nantes, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 2/4 Istres, 13/4 Lille, 14/4 Beauvais, 15/4 Rennes, 29/4 CergyPontoise, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 14/5 Strasbourg, 15/5 Bruxelles, 20/5 Avoine, 21/4 Dijon, 4/6 Saint-Denisde-Pile, 23/7 Bournezeau, 24/9 Seclin,

7/10 Franconville, 13/10 Illkirch Melismell 17/2 La Bourboule Mercury Rev joue “Deserter’s Songs” 25/5 Paris, Bataclan Minitel Rose 6/2 Tours Kylie Minogue 11/3 Toulouse, 14/3 Nantes, Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Moriarty Du 14 au 20/3 Paris, Trianon Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Yael Naim 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille Noah And The Whale 16/2 Paris, Café de la Danse Nouvelle Vague 20/3 Ris-Orangis Les Nuits de l’alligator Du 11 au 26/2 Paris, Maroquinerie, et Evreux, Beauvais, Mérignac, ClermontFerrand, avec Laura Veirs & The Hall Of Flames, The Legendary Tigerman, Timber Timbre, Caitlin Rose, etc. Agnes Obel 2/2 Reims, 3/2 Nantes, 5/2 Le Havre, 6/2 Rennes, 8/2 Mâcon, 9/2 Lyon, 10/2 Paris, Cigale, 11/2 Strasbourg

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Dès cette semaine

Owen Pallet 22/2 Paris, Café de la Danse,

Ron Sexsmith 2/5 Paris, Maroquinerie

Raul Paz 10/5 Montargis, 13/5 Noyon

Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 31/3 Strasbourg

Olivia Pedroli 17/2 Bordeaux Puggy 1 & 2/4 Paris, Bataclan Rococo 24/2 Besançon, 25/2 Mulhouse, 26/2 Haguenau, 3/3 Fougères, 4/3 Brest, 5/3 Quimper, 6/3 Vannes Caitlin Rose 16/2 Vannes, 18/2 Tulle, 19/2 La-Rochesur-Yon, 20/2 Paris, Maroquinerie Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith

Sum 41 5/2 Paris, Zénith Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester

Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale The Sisters Of Mercy 5/3 Paris, Trianon The Specials 27/9 Paris, Olympia Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse Success 3/2 Vire, 18/2 Magnyle-Hongre, 19/2 Saint-Ouen

Nantes et Strasbourg, avec José González performing with The Göteborg String Theory, Dan Deacon, Architecture In Helsinki, Deerhunter, Nelson, etc. Syd Matters 29/3 Paris, Olympia

Super Mon Amour ! # 4 L’excellent tourneur Super investit la Gaîté Lyrique pour son épatant festival. A ne pas manquer (entre autres) : José González et Deerhunter. Du 5 au 10/4 à Paris, Tourcoing,

Nouvelles locations

Josh T. Pearson 14/4 Brest, 15/4 Paris, Café de la Danse, 16/4 Rennes, 17/4 Toulouse, 19/4 Colmar, 20/4 Tourcoing Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan Yann Tiersen 7/4 Angoulême, 8/4 Avignon, 9/4 Nice,

10/4 Montpellier, 12/4 Toulouse, 13/4 Bordeaux, 14/4 Nantes, 15/4 Rouen, 16/4 Allonnes, 17/4 Lille, 19/4 Lyon, 20/4 Dijon, 21/4 Rennes, 22/4 Brest Thieves Like Us 11/2 Lorient Richard Thompson 6/2 Paris, Café de la Danse

En location

Troy von Balthazar 15/4 Paris, Machine The Two 3/2 Paris, Nouveau Casino Warpaint 26/5 Paris, Bataclan White Lies 23/2 Tourcoing, 14/3 Toulouse, 18/3 Bordeaux, 19/3 Rennes, 22/3 Paris, Cigale

Timber Timbre 21/2 Paris, Maroquinerie

Kim Wilde 18/3 Paris, Cigale

Boubacar Traoré 4/3 Paris, Cigale

Saul Williams 9/2 Paris, Nouveau Casino

Tricot Machine 3/2 Paris, Boule Noire, 8/2 Lille, 10/2 SaintEtienne, 14/2 Lyon, 15/2 Marseille, 16/2 Toulouse

The Wombats 25/2 Paris, Maroquinerie Hawksley Workman 8/2 Paris, Café de la Danse

aftershow Anna Calvi

Robert Gil

le 17 janvier, en Black Session à Paris, Maison de Radio France Deux jours plus tôt, on assistait à ce qui restera sans doute le meilleur concert de 2011 avec la fée Joanna Newsom, intouchable depuis le sommet de son tapis volant. Comme on aime aussi les créatures plus vénéneuses, on a eu envie de revoir Anna Calvi, invitée à inaugurer la nouvelle saison des Black Sessions en direct sur France Inter. L’instrumental Rider to the Sea, joué en introduction sur scène comme sur album, donne le ton, implacable et terrassant. Pas de demi-mesure dans ces brûlots qui parlent de désir et de diable, en extirpant d’une guitare des cascades lyriques un brin surchargées. Elle les interprète sourcils froncés, tendue jusqu’au bout de son chignon sévère, en dominatrice indomptable. Le contraste est sidérant quand elle balbutie quelques mots entre deux chansons : sa voix devient alors chétive, sa silhouette si fragile qu’une pichenette suffirait à la faire tomber. Comme il faut meubler une heure entière à l’antenne, elle joue une poignée de reprises : le standard Jezebel en cavalcades flamenco ou encore Joan of Arc de Leonard Cohen. Elle assène le coup de grâce avec Surrender d’Elvis – en français, “succombez” : c’est un ordre. Noémie Lecoq 2.02.2011 les inrockuptibles 95

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18 décembre 1976. Un mois avant son exécution, Gary Gilmore quitte l’hôpital après une overdose de barbituriques

violent express Figure de tueur légendaire, Gary Gilmore est ressuscité le temps d’un livre extrême par son frère Mikal, journaliste à Rolling Stone. Quatre décennies après Le Chant du bourreau de Norman Mailer sur le même sujet, l’envers du décor familial US se dévoile.



u cœur de la nuit américaine, une petite frappe ivre morte flingue un employé de motel. Puis, menottes aux poignets, défie le juge de l’expédier sur la chaise électrique. Avec Nebraska, l’album sous influence Flannery O’Connor de Bruce Springsteen, la Faucheuse fait des heures sup. Quand le disque sort en 1982, la trame de Johnny 99 – où un assassin demande à être exécuté afin d’expier “les pensées qui le hantent” – ne fait qu’amplifier l’écho d’un récent fait divers. En 1980, l’affaire Gilmore a déjà valu à Norman Mailer un prix Pulitzer et, trois ans plus tôt, permis à un groupe punk anglais de s’infiltrer dans le top 20 : double de l’assassin ayant inspiré au romancier son Chant du bourreau et aux Adverts l’un des singles phare de l’été 1977, Gary Gilmore’s Eyes, le Johnny de Springsteen traîne ses santiags sanglantes dans le sillage d’un meurtre gratuit. Un (double) meurtre auquel le frère de son auteur, Mikal Gilmore, consacrera en 1994 un livre de souvenirs (enfin traduit), qui se trouve être également l’un des plus saisissants romans que les routes de l’Ouest et la déroute de la terre promise aient jamais inspiré.

Dès sa photo de couverture, Un long silence s’ouvre aux fantômes : avec leurs visages hâves et hantés, un homme et une femme visiblement malmenés par la vie semblent y sortir d’une version en noir et blanc d’American Gothic, le tableau avec lequel Grant Wood figea en 1930 les tensions muettes de l’Amérique rurale. Seule manque, à l’arrière-plan, la bicoque victorienne égarée au milieu des plaines – ici, c’est dans des caboches d’enfants que les esprits frappeurs ont élu domicile. Trois garçonnets fixent l’objectif, et celui du milieu a le regard revolver des pires pistoleros de western : entre Gary Gilmore et le monde, le duel a déjà commencé. Quand la photo est prise, au tout début des années 50, le quatrième membre de la fratrie Gilmore n’est pas encore né. Quatre décennies plus tard, une douloureuse enquête permettra à l’absent – Mikal, qui a entre-temps gagné ses galons de rédacteur à Rolling Stone – de retracer la généalogie des crimes commis par son frère. Si, en mille pages d’une écriture inhabituellement sobre, Le Chant du bourreau retraçait l’enchaînement d’événements ayant mené Gary Gilmore

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Corbis

Gilmore va, en janvier 1977, honorer le rendez-vous pris dès l’enfance avec un peloton d’exécution

devant un peloton d’exécution, puis, dans une seconde partie, décrivait l’invraisemblable curée médiatique suscitée par l’obstination d’un condamné qui, en refusant toute demande de grâce, accéléra le rétablissement d’une peine de mort alors suspendue aux Etats-Unis, Un long silence revient sur les sources secrètes d’une tragédie familiale. Issue d’une lignée de mormons établis au sud de Salt Lake City, Bessie Brown a été élevée dans le culte du sang –  une conception du châtiment remontant aux origines d’une religion marquée par l’assassinat de son premier prophète. Fuyant cette emprise, la jeune Bessie tombe dans les bras d’un beau parleur, Frank Gilmore. A 40 ans, Frank, convaincu d’être le fruit d’une liaison clandestine entre sa mère – spirite de son état – et Harry Houdini, est lui-même devenu un roi de l’évasion, et fuit les cohortes de gogos que son don pour le baratin lui permet d’escroquer. Commencent, des forêts de l’Oregon à l’Alabama redneck, des années d’errance,

de naissances enregistrées sous des noms d’emprunt, de déménagements nocturnes et, pour les gosses, de sempiternelles éclipses paternelles – jamais, en retraçant la chronique de ces existences balayées par un vent mauvais, Mikal ne parviendra à découvrir l’exacte nature des menaces qui pèsent alors sur sa famille. Quand le futur journaliste vient au monde, Frank a fini par faire fortune, et son quatrième fils (légitime, le nombre de ses autres enfants restant indéterminé) sera le seul à ne pas faire les frais de sa brutalité. Dans un foyer où, alcool aidant, les torgnoles pleuvent sous le moindre prétexte, les rares moments de communion surviennent lors des premiers passages d’Elvis à la télévision. Fan de rock’n’roll, Gary, le souffre-douleur préféré de Frank vire blouson noir puis cambrioleur, voleur d’armes, gobeur de drogues et casse-cou autodestructeur : quand ses copains se disent “qu’un garçon qui n’avait pas peur de se faire écraser par un train pouvait être un peu dangereux”, l’express du destin fonce déjà sur lui. A 35 ans, après avoir passé la moitié de sa vie entre maisons de redressement et pénitenciers, puis, par une nuit de juillet, flingué de sang-froid un pompiste et un tenancier de motel, ce poète épisodique et dessinateur de talent va, en janvier 1977, honorer le rendez-vous pris, dès l’enfance, avec un peloton d’exécution de l’Utah. Entre-temps, le destin des Gilmore a illustré toute la noirceur des chansons de leur idole Johnny Cash. Après le décès de Frank, ils perdent leur “Maison sur la colline” (titre de chapitre emprunté à une chanson de Springsteen, Mansion on the Hill) et se retrouvent dans un mobile home miteux, tandis que le plus artiste des frères, Gaylen, endosse l’imperméable du William Burroughs junkie puis se fait poignarder dans les bas-fonds de Chicago, et que l’aîné, Frank Jr, rejoint la cohorte spectrale des sans-abri. Pour garder la tête hors du bain de larmes, l’amoureux des livres qu’est Mikal se raccroche à l’écriture, ce qui lui permettra en 1994 de léguer à la littérature de son pays le poignant portrait d’une Amérique maudite dès le berceau. Bruno Juffin Un long silence de Mikal Gilmore (Sonatine), traduit de l’anglais (E.-U.) par Fabrice Pointeau, 566 pages, 22 €. En librairie le 10 février

sauvé par le rock’n’roll Comme le héros d’une chanson de son songwriter favori, Lou Reed, la vie de Mikal Gilmore a été “sauvée par le rock’n’roll”. Dès 1967, il tombe sous la vénéneuse emprise de The Velvet Underground & Nico. Neuf ans plus tard, la semaine même où son frère Gary est arrêté pour

un double meurtre, la plume de Mikal lui vaut d’être embauché par le magazine Rolling Stone. L’anthologie des articles qu’il y publie (Night Beat, 1998) fait la part belle aux enfants sauvages de l’Amérique (d’Elvis à Kurt Cobain) et a sa place aux côtés des écrits de Greil Marcus.

en marge

encore Sarko Comment rire de Sarkozy ? En ne se trompant pas de cible. Pour se payer la tête de Sarkozy, deux solutions existent : soit la franche satire, manière de dévoiler le pire en tournant en dérision les faits et gestes du chef de l’Etat – c’est le cas pour le livre de Patrick Rambaud, Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier (Grasset, 14 €) ; soit adopter la stratégie de la grimace narquoise, de la moue amère calée sur une enfilade de tristes évidences et de menues révélations. Non que l’essai préfacé par Daniel Schneidermann (sans doute caché derrière le mystérieux “envoyé spécial” censé signer le livre), Crise au Sarkozistan, ne pousse l’antisarkozisme à son comble, démontant chaque boulon du désormais célèbre marchepied présidentiel. L’auteur dégomme tout : non-séparation de la justice et du pouvoir, impunités des politiques, servitude des médias… Pardon ? C’est là que le brûlot coince : très vite, il apparaît que le présentateur d’Arrêt sur images s’est surtout fixé pour objectif de tancer, pour ne pas dire démolir, ses confrères. D’abord une pichenette à Pujadas, puis une grosse baffe à Drucker – “cette glorieuse légende liftée” – jusqu’au déboulonnage en règle d’Elkabbach, “faire-valoir des forts” et, à en croire Schneidermann, véritable suppôt de Satan. Et le pamphlet anti-Sarko de ressembler par trop au règlement de comptes d’un homme parti furax de France Télévisions. Notons au passage que ces pauvres “médias contrôlés par les oligarques” auraient, eux, bien du mal à rétorquer à ces édifiantes attaques : on ne trouve Crise au Sarkozistan que sur internet (www. lepublieur.com, 11 euros) et il faut compter entre trois semaines et un mois (autrement dit une éternité) pour le recevoir. Rambaud, lui, ne se trompe pas de cible : ses fausses intrigues de cours passent en revue le pire (Roms, retraites, affaire Bettencourt) dans une parodie acerbe et hilarante, dont “notre chatouilleux leader” ressort K.-O.

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Nicolas Fargues Tu verras

Jason Oddy

P.O.L, 196 pages, 15,50 €

on ne vit que deux fois Excès orgiaques à Venise ou délire mystique à Varanasi : l’Anglais Geoff Dyer signe un roman bipolaire déroutant, méditation légère sur l’existence.

U  

n titre symétrique pour un étonnant roman-diptyque, le quatrième de l’écrivain et critique d’art anglais Geoff Dyer. Les deux faces de ce livre spéculaire se reflètent dans le miroir que leur tendent le Grand Canal et le Gange, voies d’eau jumelles qui parcourent et irriguent ce texte au confluent de la fiction, de l’essai et du récit de voyage. Effervescence dionysiaque, la première partie, “Voir Venise”, se lit comme un anti-Mort à Venise. Jeff Atman, journaliste free-lance, est envoyé à Venise pour couvrir la Biennale d’art contemporain. La quarantaine bien tassée, un peu aigri et les cheveux fraîchement teints (clin d’œil à Aschenbach, le héros vieillissant et fardé de Mort à Venise, le chef-d’œuvre de Thomas Mann), Atman s’envole pour la Sérénissime, blasé à l’avance. Sur place, entre deux Bellini, il rencontre Laura, une jeune galeriste américaine. Sexe, parties dans les palais, rails de coke sur un yacht… Voilà Atman projeté dans une étourdissante débauche vitale à laquelle Dyer insuffle un rythme speedé. Souvent très drôle, l’écrivain distille ses traits d’humour vachards et égratigne le milieu de l’art et son système de castes. Fond noir. Changement de décor et rupture de ton radicale. La deuxième partie, “Mourir à Varanasi”, est le reflet de la première, son double inversé. Un journaliste dont on ne saura jamais s’il s’agit de Jeff ou d’un de ses avatars doit écrire

une chronique de voyage sur Varanasi, anciennement Bénarès. Dans ce récit à la première personne, sobre et contemplatif, il n’est plus question d’orgies, de beuveries, ni de sexe. Au luxe, à l’exaltation de la chair et de ses plaisirs succèdent la misère et la description des corps qui brûlent sur le Gange : “Je dégageai ma main et repris ma marche, tâchant d’avoir l’air d’être là depuis des semaines, d’avoir l’habitude des lépreux, de ne pas avoir hâte de voir des cadavres brûler sur le ghât de Manikarnika.” Le personnage prolonge son séjour. Voyage sans retour. Peu à peu, il se laisse gagner par la fièvre de l’Inde, entre l’extase spirituelle et le délire mystique. Reliées par des motifs qui se répètent telles des réminiscences, les deux histoires se font écho sans se répondre. L’une n’est pas la résolution de l’autre, plutôt sa réinterprétation. Une réincarnation. L’excès ou l’ascèse, l’action ou la méditation… Ce livre bipolaire explore les voies qui s’offrent à l’homme pour traverser la vie, faire face à la solitude et à son destin, jusqu’à ce qu’il ait atteint l’autre rive. Jeff et son double s’abandonnent tous deux à des “divertissements” pour repousser toujours plus loin l’idée de la mort. Elle enveloppe pourtant le roman tout entier. Comme les linceuls recouvrent les corps sur les bûchers du Gange. Elisabeth Philippe

Nicolas Fargues délaisse la satire sociale pour un récit intimiste, auscultation de la douleur d’un père. “Tu verras.” La phrase reste en suspens, incertaine et maladroite. Tu verras quoi ? Ça passera ? Ça s’arrangera ? Impossible. Cette douleur-là ne passe pas, plaie béante qui jamais ne cicatrisera : la perte d’un enfant. Le narrateur du dernier roman de Nicolas Fargues fait face à ce deuil intolérable, de l’ordre de l’impensable. Son fils Clément, 12 ans, est mort, tombé sous les roues du métro. Accident ? Suicide ? Clément avait peut-être plus souffert qu’il ne le disait du divorce de ses parents. Peut-être ne supportait-il plus “toutes les impitoyables humiliations qu’on s’inflige à cet âge entre garçons, entre filles et garçons”. Le père ressasse ces interrogations, rumine les erreurs qu’il a pu commettre, ses colères injustes, ses paroles inutilement cassantes. Boucle suffocante de remords et de larmes, les cinquante premières pages du livre terrassent. L’écriture tendue, au bord de l’abîme, cadre avec la juste focale ce portrait d’un homme dévasté qui a désormais “tourné le dos à la vie”. On retrouve aussi, distillées, les obsessions de l’auteur de Beau rôle : la couleur de peau, l’Afrique… Mais peu à peu, le thème de la douleur s’y dilue et le livre perd en force. Comme si Nicolas Fargues avait été submergé par son sujet, avait cherché à lui échapper. Une dommageable fuite en avant. E. P.

Voir Venise, mourir à Varanasi (Denoël), traduit de l’anglais par Isabelle D. Philippe, 400 pages, 23,50 €. Sortie le 10 février

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Peter Ackroyd Les Carnets de Victor Frankenstein

C. Hélie/Gallimard

Philippe Rey, traduit de l’anglais par Bernard Turle, 352 pages, 21 €

moi, Kafka, Bowie et les autres Yannick Haenel, l’auteur de Jan Karski, livre un autoportrait d’écrivain à travers les œuvres qui l’ont marqué. Beau et hanté. ’autres avant lui se sont prêtés Le Sens du calme s’ouvre sur cette au jeu : tenter de se dépeindre phrase : “J’ai trouvé Jésus dans une poubelle” intimement au travers – prononcée après que l’écolier Haenel d’autoportraits qui ne soient pas a trouvé un Christ en croix abandonné sur le des récits autobiographiques. Dans bord de la route. “Phrase idéale”, parce que la collection “Trait et portrait”, on a vu “c’est elle qui a décidé qu’il m’arrivait quelque passer Podalydès en amoureux des voix chose” : dès lors, le livre sera placé sous (Voix off), Marie NDiaye en mal de mère le signe de l’iconoclasme. Pour entrer dans (Autoportrait en vert) ou Catherine Cusset sa propre religion (la littérature, le désir), sur son vélo new-yorkais (New York, journal l’écrivain doit abjurer toutes les autres d’un cycle), comme autant de portraits (y compris en renonçant à une carrière en creux. Cette fois, c’est Yannick Haenel militaire), trouver son veau d’or (les mots) et qui s’y colle – auteur dont on rappelle devenir un sublime hérétique (un écrivain). qu’il fut au centre d’une polémique Plus loin, Haenel se dit “délivré, comme l’opposant à Claude Lanzmann, après un saint”, “dans les fêtes, dans[ant] au ralenti, la parution de son roman Jan Karski. avec un sourire égaré, comme font C’est à moitié surpris qu’on tombe les mystiques juifs”. Cette mystique sur le récit, dès les premières pages, du autour de l’acte d’écrire va de pair avec une visionnage par l’auteur enfant du Chagrin et sacralisation, baudelairienne en diable, du la Pitié. Haenel parle de “révélation du mal”, statut de l’écrivain : la tendance emphatique expérience traumatique dont on craint de Haenel, tour à tour exaspérante, un instant qu’elle donne son la au livre, belle et angoissante. mais également son seul projet. Mais non. Mais l’auteur n’est pas non plus étranger Car Haenel invoquera par la suite bien à un certain art de la rétention – cette d’autres références (la Bible, Botticelli, manière de fermer presque trop vite les Kafka, David Bowie) et en vient vite phrases, de faire retentir les mots (et là au sujet qui lui importe : comment naît-on c’est inévitablement à Barthes qu’on pense, à soi-même écrivain ? celui de La Chambre claire ou de Roland Cette mue existentielle, l’auteur la rend Barthes par Roland Barthes). C’est peut-être palpable par une exploration de sa vie, cela, “le sens du calme” : s’en remettre mi-puzzle, mi-labyrinthe. Des bancs de aux décors et à leur rigoureux découpage l’école (où il fait l’expérience de l’exclusion, (un train de nuit vers Florence, un concert en étant seul catholique dans une classe à Londres complètement stone), dans de protestants) à l’ivresse enchantée ce mélange paradoxal d’“éblouissement” d’un séjour à la Villa Médicis à Rome, et de “solitude”. Emily Barnett un fil rouge : le langage. La naissance des mots sous le palais ; leur éclosion, Le Sens du calme (Mercure de France), 240 pages, 1 9 € plus tard, sur la page blanche.

 D

Brillante variation sur le mythe de Frankenstein. Après plusieurs romans et surtout un nombre considérable de bios (Shakespeare, Dickens, Edgar Allan Poe…), Peter Ackroyd ressuscite une autre légende de la littérature anglaise : Victor Frankenstein. Soit les confessions, au début du XIXe siècle, d’un jeune scientifique follement ambitieux en quête de “l’étincelle de vie”. Celle qui, “en transmettant le flux électrique à la carcasse humaine”, sera capable d’engendrer un être parfait. Des cours d’anatomie à Oxford aux conférences sur l’électricité à Londres jusqu’aux expériences sur des cadavres, l’étudiant finira, comme on sait, par créer un monstre. De ce récit prométhéen, Ackroyd tire un brillant pastiche à la gloire du roman gothique – avec bas-fonds londoniens, nuit sans lune et imprécations fantastiques. L’œuvre qui a lancé la science-fiction fait au passage l’objet d’une réinterprétation. Allégorie sur la condition humaine, réflexion sur le thème du progrès et de la science, Victor Frankenstein devient ici un cas de schizophrénie patente : sa créature n’est autre qu’un double, gavé de ses pulsions à affronter. Autre entorse à l’original : Victor devra se confronter à ses propres créateurs (Mary Shelley, Polidori, Lord Byron), que l’écrivain glisse facétieusement dans son livre – donnant ainsi au chef-d’œuvre de 1818 des airs de métaroman ludique et moderne. E. B. 2.02.2011 les inrockuptibles 99

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Black Swan de Darren Aronofsky

le conte est bon Genre enchanté et sexuel, le conte est tombé en désuétude au rayon littérature. Aujourd’hui, c’est un cinéaste, Darren Aronofsky, qui revisite les règles du genre tout en les pervertissant dans son somptueux Black Swan. e conte de fées, avec ses maîtres, Charles en désuétude en littérature. c’est du sexe, du sexe Perrault au XVIIe siècle Avec Black Swan, Darren et les frères Grimm au XIXe. Aronofsky signe un et encore du sexe. Depuis, Lewis Carroll Du sexe adressé somptueux conte gothique, a quand même inventé une aux enfants, donc sublimé mortifère, qui montre Alice au pays des merveilles, les étapes que va suivre dans des symboles que cette gamine qui rapetisse leur imaginaire ou leur une jeune fille pour passer ou s’agrandit comme un inconscient pourra capter de son statut d’enfant dans sexe en érection. En 2003, comme une leçon morale. lequelle la maintient sa Catherine Millet revisite Car le conte s’impose maman – Natalie Portman toujours comme un manuel Riquet à la houppe dans s’appelle Nina dans le film, Riquet à la houppe, Millet à la comme niña (“enfant”) en de vie, qui apprend au petit loupe, Christine Angot livre garçon ou à la petite fille espagnol, et son corps, à une version hyper réaliste comment grandir. Voilà force d’entraînement et de de Peau d’Ane et Eric pourquoi le conte s’arrête régime, a acquis l’étrangeté Chevillard réécrit Le Vaillant d’un corps de vieille petite toujours à “ils vécurent heureux et eurent beaucoup Petit Tailleur. En 2007, fille – à celui de femme d’enfants” : dans cet univers Eric Reinhardt intitulait sexuée, assumant son désir certes son roman Cendrillon. et sa jouissance. Gamine enchanté, le temps adulte En fait, et à moins de voir importe peu, seuls comptent frigide figée comme par en l’Histoire d’O (1954) de les rites de passage pour un sortilège maléfique dans y parvenir, c’est-à-dire pour Pauline Réage une sorte de ses attributs de petite fille conte – mêmes univers clos, – vêtue de rose pâle, passer de l’état d’enfant château hors du réel et à celui d’être sexué. entourée de peluches, rituels initiatiques –, La collecte et l’écriture emprisonnée par l’amour c’est aujourd’hui au cinéma de ces histoires hyper dévorant de sa mère –, signifiantes (d’abord orales) que se revisite le mieux Nina devra s’en sortir pour ce genre pourtant tombé s’est étrangement arrêtée accéder au rôle de sa vie,



celui du Cygne dans le ballet de Tchaïkovski Le Lac des cygnes. Cygne blanc de l’innocence, mais également cygne noir du mal. Ce que filme Aronofsky à travers les scènes d’hallucinations psychotiques de Nina, c’est une suite de symboles sexuels tout droit issus du conte de fées : du doigt de Nina qui saigne constamment – comme la Belle au bois dormant qui se pique le doigt – à ses irruptions cutanées dans le dos, comme le début de sa métamorphose. Tel un conte, Black Swan est un univers clos : celui de ces boîtes à musique tapissées de miroirs où une petite ballerine n’en finit pas de tourner en rond sur une comptine angoissante, reproduit à échelle de tout le film. Nina parviendra-telle à sortir de la boîte (symbole de virginité), à franchir les miroirs ? Mais ce qu’il y a de plus intéressant dans Black Swan, c’est la manière dont Darren Aronofsky bouscule les règles du conte : ici, l’accomplissement de soi passe par le mal, l’acceptation de sa part animale, et le désir sexuel assumé et l’ambition professionnelle puisent à cette même source. Pour devenir une femme, il faut être prête à tuer. Dans Black Swan, la métamorphose réussie n’est pas celle de l’animal en femme, contrairement au conte, mais de la femme en cygne noir. Nelly Kaprièlian

la 4e dimension le cri du cœur de PPDA PPDA outragé ! PPDA brisé ! Mais PPDA drapé dans sa dignité. Accusé de plagiat, il dénonce une cabale et profite d’une colonne dans Le Monde pour mettre son cœur à nu : “Depuis mon adolescence, j’écris des livres (…). Qu’on me laisse ce bonheur, comme cet honneur. Et qu’on en profite pour relire Hemingway.” Bonne idée.

Battisti : France vs Italie Intellectuels français et italiens se déchirent autour de Battisti par tribunes interposées. L’écrivain Antonio Tabucchi accuse BHL, Vargas & co de considérer les Brigades rouges comme des “héros romantiques”. Réponse cinglante de Fred Vargas qui parle de “lynchage aveugle”. Ça chauffe.

coup de gueule d’Orhan Pamuk L’écrivain turc, prix Nobel de littérature, dénonce la “marginalisation” des auteurs qui n’écrivent pas en langue anglaise et déplore le manque de traductions. “La majorité de l’expérience humaine reste ignorée”, s’indigne-t-il.

pas de boycott pour Ian McEwan Des écrivains propalestiniens ont appelé le romancier britannique à refuser le Prix Jérusalem qui récompense le meilleur auteur étranger. Ian McEwan a accepté le prix, répondant à ses détracteurs : “Votre ligne n’est pas la mienne. Ayez l’obligeance de respecter ma décision.”

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entre les pavés Les captivants écrits de Roberto Bolaño de 1998 à 2003, en marge de son dernier opus monumental 2666.

A  

ccolé au nom du prodigue Bolaño, cet Entre parenthèses sonne comme un vœu de chasteté – créatrice s’entend. On comprend aussi pourquoi, depuis sa mort en 2003, l’écrivain chilien fait l’objet d’un quasi-culte auprès de ses contemporains (pas une parution posthume sans que Fresán, Alan Pauls ou Vila-Matas se répandent en préface, articles et hommages). Proclamé grand gourou des lettres latino-américaines à partir de 1998, année de parution des Détectives sauvages, Bolaño était aussi un ardent observateur attelé à la vie intellectuelle et à l’air du temps, un orateur désinvolte mais généreux en exercices d’admiration. Dans ces quelque cinq cents pages de notes, chroniques, discours, interviews et articles rédigés entre 1998 et 2003, tout n’est pas passionnant, loin s’en faut. On fera volontiers l’impasse sur les conférences données par l’auteur sur l’état de la littérature argentine ou de la poésie chilienne, comme sur ses longues pages consacrées à l’exil (Bolaño a fui le régime de Pinochet à 20 ans pour s’installer au Mexique, puis en Espagne). Ce qui n’empêche pas de saisir au vol quelque assertion cruciale (“la littérature n’a rien à voir avec les prix nationaux, mais plutôt avec une étrange pluie de sang, de sueur, de sperme et de larmes”) et parfois hantée (“parfois la patrie d’un écrivain, ce n’est pas les gens qu’il aime, mais leur souvenir”). Ses chroniques, rédigées en marge de 2666, odyssée rock de mille pages et son ultime livre, sont celles qui parlent le mieux des obsessions bolañiennes. Circulation

entre les genres, pop culture, éclectisme des références, qui portent l’écrivain à s’épancher aussi bien sur les Hells Angels que sur H. S. Thompson, Tourgueniev, Antoine Bello (!) et Philip K. Dick. Bolaño disait : “Je suis beaucoup plus heureux en lisant qu’en écrivant”. Bolaño est un lecteur infatigable, citant Borges, Jarry, Rimbaud, Lautréamont et Kafka dans un joyeux bordel qui est le lieu même de la création. Entre Parenthèses prend tout son sens dès lors qu’on y voit un palimpseste de l’œuvre bolañienne. Une arrière-boutique, en somme, où seraient rangées en vrac les chimères de l’écrivain, où il suffit d’un pas pour tomber sur une de ses phrases magnétiques, évoquant “les livres mystérieux que lisent les femmes lorsqu’il fait froid” ou les amis, ces “ombres qu’une fois nous avons crus familières et qui, en réalité, sont aussi étranges qu’un dinosaure”. Entre les lignes, Bolaño se livre, se dissèque. Dans la partie intitulée “Scène”, plusieurs textes se situent à cette frontière indécidable entre récit fictionnel et fragment autobiographique (“Jim”, “Plage”). Dévoilement qui se poursuit, en fin de volume, dans une interview accordée par l’écrivain à Playboy quelques jours avant sa mort. Un modèle d’ironie, de dandysme et de classe inouïe où Bolaño, se sachant condamné, trouve encore le moyen de braver la mort – “cette pute chaude qui fait claquer des dents au plus endurci”. Emily Barnett photo Renaud Monfourny Entre parenthèses (Christian Bourgois), traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio, 490 pages, 2 5 € 2.02.2011 les inrockuptibles 101

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Robbe-Grillet et Perec mode d’emploi. En compagnie de Valérie Mréjen, on revisite l’œuvre des deux écrivains à partir d’extraits d’émissions littéraires et d’images d’archives. Au cours de cette rencontre, l’auteur de L’Agrume lira un texte inédit.

mercredi 2

A 13 h à l’Auditorium du Petit Palais, Paris VIIIe, www.petitpalais.paris.fr

retourne aux origines jeudi 3 On de l’œuvre de Pascal Quignard. Régis d’Audeville

En 1976, l’auteur de Villa Amalia écrivait, au sortir d’une dépression, Inter aerias fagos, poème en latin et matrice des livres à venir. Le texte a été traduit par sept poètes, parmi lesquels Christian Prigent ou Michel Deguy : un nouveau livre est né, Inter (Argol, 19 €). Pascal Quignard lira les différentes versions.

A défaut de célébration nationale, on consacre deux jours au génie (littéraire) célinien au Centre Pompidou avec des rencontres dédiées à l’œuvre vociférante de Céline “réprouvé et classique”. Parmi les débats, “Céline et l’histoire”, avec Daniel Lindenberg.

vendredi 4

Les 4 et 5 février au Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

samedi 5

Du 3 au 8 février au Théâtre de Gennevilliers, www.theatre2gennevilliers.com

Louis-Ferdinand Céline

On voyage dans le New York des sixties avec la sortie en poche de Sylvia de Leonard Michaels (Points, 5,50 €), le récit glacé d’une histoire d’amour toxique. Paraissent également en poche le recueil de nouvelles de Michaels, Conteurs, menteurs, crues et ironiques (Points, 8,50 €).

dimanche 6

On fête la sortie du dernier numéro de The Review of Contemporary Fiction, consacré aux éditions P.O.L. Rendez-vous à la librairie Village Voice avec notamment Marie Darrieussecq, Christine Montalbetti, l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens et John O’Brien, qui dirige la revue.

lundi 7

A partir de 19 h, 6, rue Princesse, Paris VIe

enfants aux prises avec la guerre. mardi 8 Des Dans Lark et Termite de Jayne Anne Phillips qui paraît en poche (10/18, 8,60 €), on écoute les voix de deux enfants dont le père est piégé dans le chaos de la guerre de Corée. Dave Eggers, lui, retrace le parcours de Valentino, jeune Soudanais qui tente d’échapper au sort des enfants soldats dans Le Grand Quoi, récit d’apprentissage qui sort aussi en poche (Folio, 8,40 €).

à venir Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence (Gallimard)

A 19 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

On plonge dans le monde fantomatique et troublé du Musée de la mer, la première pièce de Marie Darrieussecq, créée et jouée en islandais (surtitrée en français). Une œuvre d’anticipation mettant en scène quatre personnages dans une ville assiégée.

Valérie Mréjen

Le nouveau roman d’Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, sortira en traduction française fin mars. Après Istanbul, souvenirs d’une ville, l’auteur revient avec une histoire d’amour proche du roman de mœurs. Publié en Turquie en 2008, Le Musée de l’innocence nous plonge dans les souvenirs amoureux de Kemal, nouveau riche turc, qui se prit de passion pour Fusun, la belle et pauvre vendeuse. A travers 83 chapitres, Orhan Pamuk dessine en toile de fond la Turquie des années 70 et ses disparités grandissantes. Pour la petite anecdote, un “musée de l’innocence”, conçu par Orhan Pamuk lui-même, devrait ouvrir à Istanbul courant 2011. Sortie le 24 mars

Nicole Krauss La Grande Maison (Editions de l’Olivier) Forte du succès de son dernier roman L’Histoire de l’amour, celle qui forme avec Jonathan Safran Foer le nouveau couple phare des lettres new-yorkaises revient avec un roman aussi singulier que le précédent : l’histoire d’un bureau qui se raconte au travers de ses différents propriétaires aux quatre coins de la planète, de la guerre d’Espagne au Chili de Pinochet. A New York, un poète, Daniel Varsky, donne à une jeune romancière, Nadia, un bureau qui aurait appartenu à Federico Garcia Lorca. L’histoire se poursuit à Londres, à Oxford et à Jérusalem, et fait se joindre, comme souvent chez Krauss, histoires intimes et grande histoire. Sortie le 5 mai

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Marie Pommepuy et Patrick Pion Cœur de glace Dargaud, 72 pages, 14,95 €

l’amour à quatre Un roman graphique existentialiste et délicatement érotique, par le Québecois Jimmy Beaulieu.

C  

omme dans A la faveur de la nuit, paru en début d’année, le Québécois Jimmy Beaulieu utilise dans Comédie sentimentale pornographique des personnages et situations déjà apparus dans quelques-unes de ses œuvres antérieures. Un matériau qu’il retravaille pour élaborer un ambitieux et cohérent roman graphique de près de trois cents pages. Louis, un jeune homme misanthrope, désire s’éloigner du monde et profiter de l’argent qu’il a gagné en réalisant un film commercial pour se consacrer à la bande dessinée. Il se retire dans un vieil hôtel décati qu’il a acheté sur la Côte-Nord, région quasi déserte du Québec, et y invite sa petite amie Corrine, bisexuelle et adepte de l’amour libre, et un couple d’amis, Léonce et Muriel. Autour de ce quatuor, point d’ancrage du récit, un charmant ballet de personnages secondaires, dessinés d’un trait gracieux

la frontière entre fantasme et vie réelle s’estompe vaporeusement

et virevoltant, qui brouillent les pistes. Des intrigues parallèles, des histoires dans l’histoire et des flash-backs complexifient la narration, aussi libre que la sensuelle Corrine. On plonge dans les bandes dessinées de Louis, où il transforme Corrine et Muriel en superhéroïnes délurées. On assiste aux pièces de théâtre extravagantes que les jeunes femmes jouent pour passer le temps. On feuillette le roman de Martin, un écrivain en crise, amoureux transi de l’ex de Corrine. Les personnages côtoient leurs doubles de fiction et la frontière entre fantasme et vie réelle s’estompe vaporeusement… Malgré son titre, Comédie sentimentale pornographique est plus un marivaudage existentiel qu’un porno hardcore. Jimmy Beaulieu aime dessiner les femmes nues. Il le montre – les garçons comme les filles ne pensent… qu’aux filles – et il y excelle, son trait sensuel sublimant les courbes de ses héroïnes. Mais, derrière ce récit délicieusement érotique, Jimmy Beaulieu s’interroge aussi sur ce que signifie grandir, passer définitivement à l’âge adulte tout en conservant en soi une part d’enfance et de rêve. Anne-Claire Norot

Un conte d’Andersen revisité avec onirisme et humour noir. Cœur de glace est une relecture libre, baroque et perverse du conte La Reine des neiges d’Andersen. Une fillette, Gerda, part à la recherche de son ami Kay qui a été enlevé par la Reine des neiges, mais elle se retrouve elle-même capturée par des ogres. Espérant obtenir un sursis avant d’être dévorée, Gerda raconte alors, à la manière des Mille et Une Nuits, sa terrifiante odyssée à la jeune geôlière, qui la prend en affection. Marie Pommepuy, moitié de Kerascoët, creuse ici la même veine étrange que dans Jolies ténèbres, dont elle cosignait le scénario avec Fabien Vehlmann. Mettant en scène enfants mignons, animaux attachants et créatures fantastiques, elle explore avec poésie et humour noir les liens entre l’enfance et la malignité, la cruauté et l’innocence. Elle est merveilleusement aidée dans cette tâche par le dessinateur Patrick Pion, dont le trait évoque l’illustrateur anglais Arthur Rackham (1867-1939), le formidable inventeur d’univers pour Peter Pan ou Alice au pays des merveilles. A.-C. N.

Comédie sentimentale pornographique (Delcourt), 2 85 pages, 2 5 € 2.02.2011 les inrockuptibles 103

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Pierre Grosbois

Micro

haute tension Le chorégraphe toulousain Pierre Rigal revisite le rock avec les furieux de Moon Pallas. Electrique et sensuel.

première C’est de la danse contemporaine Le festival toulousain se plie en deux – une seconde session est espérée en avril. Pour cette première partie, focus sur Alain Buffard, qui reprend entre autres son saisissant Good Boy, Trisha Brown et des Early Works de belle mémoire ou son Set and Reset sans une ride. Et Raimund Hoghe. Parfait. Du 2 au 18 février au CDC Toulouse, tél. 05 61 59 98 78, www.cdctoulouse.com

réservez Salves chorégraphie Maguy Marin Salves, sur le fil de l’émotion, de la révolte, de la peur, de l’épuisement. De l’euphorie également. Fragmenté comme un explosif, ce spectacle d’une richesse inouïe vous prend et vous porte très loin. Du 9 au 11 février au 104, Paris XIXe, www.104.fr



n pourrait résumer le caractère du danseur-chorégraphe Pierre Rigal, actif depuis 2002, en lui collant l’étiquette de monomaniaque. Il développe une idée, pas deux. L’évolution humaine dans un précis d’intelligence graphique, Erection, les souvenirs d’enfance liés au foot dans le mésestimé Arrêts de jeu, ou l’enfermement, mental autant que physique, dans Press, sa création la plus aboutie. Mais de chaque idée fixe, Rigal fait un feu d’artifice d’invention. Micro ne déroge pas à cette règle : en chorégraphiant un concert avec de vrais musiciens – le trio Moon Pallas, rencontré par l’intermédiaire de sa complice Mélanie Chartreux –, notre enfant du rock donne à voir la musique. “Un opéra microscopique qui met en scène des créatures prémusicales”, résume Pierre Rigal. Et c’est vrai qu’une fois branchés les amplis, ouverture magistrale, le laboratoire de sons s’affole. Déjouant le piège des poses électriques, convoquant des fantômes plutôt que des héros, la troupe rend concrète une bande-son par à-coups. Les guitares et claviers sont des accessoires prolongeant des corps en scène. Une cymbale en guise de couvre-chef, le microphone comme une lance, chacun y va de sa mythologie personnelle : le fan de base, qui se la joue guitar hero, le musicos en manque à qui on retire sa caisse claire – et qui finit par prendre le rythme des particules ambiantes et élémentaires. Micro ne fait

pas non plus l’économie de la sensualité, silhouette gainée de jean ou de sequins qui transpire le sexe. La pièce de Pierre Rigal se construit donc en séquences, évacuant la gestuelle appuyée – on peut le regretter – au profit d’une danse d’objets de caractère, à l’image de cette forêt de pieds angoissante, qui dit bien la solitude du chanteur. Micro, c’est un peu Rigal contre tous : Mélanie donc, hiératique et parfois déshumanisée, et le trio magique que constituent Malik Djoudi, Gwenaël Drapeau et Julien Lepreux. Bien sûr, comme dans un vrai show, Micro a des baisses de tension qui permettent sans doute à la bande de reprendre son souffle. Il faut les voir au finale, épuisés, pour comprendre qu’une heure quarante de rock, c’est tout sauf une sinécure ! De création en création, Pierre Rigal donne une place centrale à la musique, souvent jouée live et originale. Avec Micro, il pousse à bout son engagement. Rigal basculera bien un jour dans l’opéra ou autre. A vrai dire, on s’en fout, car Micro est à vivre toutes affaires cessantes. Et sans rappel. Philippe Noisette Micro de Pierre Rigal, jusqu’au 6 février au Théâtre Vidy-Lausanne, en tournée le 17 février à Chambéry, du 17 au 26 mars à Toulouse, les 5 et 6 avril à Quimper, le 9 à Douai, le 12 à Albi, le 15 à Tarbes, les 7 et 8 juin à Poitiers Erection/Arrêts de jeu/Asphalte de Pierre Rigal, du 1er au 20 mars au Théâtre SylviaMonfort, Paris XVe, tél. 01 56 08 33 88, www.lemonfort.fr

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Warlikowski par Warlikowski Avec un montage de textes réunissant Kafka, Koltès et Coetzee, Krzysztof Warlikowski questionne son parcours d’artiste dans un troublant autoportrait.



de nombre de ses pairs, c’est dans le fait qu’il sait aussi user de la scène pour aborder des sujets qui lui sont personnels. Collages de textes, ses spectacles se construisent alors à partir d’un matériau qu’il sculpte à sa guise pour en contrôler le propos et s’en revendiquer comme un auteur à part entière. Ce fut le cas avec (A)pollonia, événement du Festival d’Avignon 2009 où, à travers un portrait de sa patrie, la Pologne, il réveillait les démons de l’histoire pour provoquer sur scène un débat sur la Shoah et acter de la nécessité d’un travail de mémoire sans lequel il n’est pas d’avenir pour une nation. Avec sa dernière création, La Fin (Koniec), il pose d’une manière encore plus intime la question de ce qui le motive en tant qu’artiste, s’interroge sur sa propre destinée et sur les sources de son inspiration. Mélange d’exhibition et d’extrême pudeur, le spectacle convoque Kafka, Koltès et Coetzee pour une confession à décrypter entre les lignes. Dominé par l’image puisée chez Kafka de l’énigmatique sculpture d’un chasseur Boschiman foudroyant d’un coup de sagaie un homme

blanc à terre, la proposition de Krzysztof Warlikowski nous plonge dans l’univers fantasmatique d’un rêve qu’il partage avec nous. Ainsi, le voici s’identifiant aux antihéros et aux femmes fatales qui hantent la boîte de nuit de Nickel Stuff, un scénario inédit où BernardMarie Koltès se questionne sur la fin du désir d’être artiste. Et l’on ne s’étonnera pas plus de retrouver sur ce parquet de bal le célèbre Joseph K. du Procès de Kafka en aficionado de la culpabilité, ni Elizabeth Costello, la conférencière atypique du roman éponyme de Coetzee, en candidate recalée au passage vers une autre dimension. Au-delà du splendide de l’exercice de style, on salue ici la proposition d’un artiste qui ose, au sommet de son art, prendre date à 49 ans de ce qu’il nomme “la première prémonition de la fin”. Patrick Sourd La Fin (Koniec) d’après Nickel Stuff de Bernard-Marie Koltès, Elizabeth Costello de John Maxwell Coetzee, Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka, mise en scène Krzysztof Warlikowski, en polonais surtitré, jusqu’au 13 février à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe, www.theatre-odeon.eu

Magda Hueckel

tre metteur en scène ou être artiste ? Telle est la question… Au théâtre, la frontière entre les deux statuts fait figure de tabou. Et de fait, très peu s’aventurent à franchir ce Rubicon pour se revendiquer d’une mue transformant le metteur en scène, traditionnellement désigné comme un artisan au service du texte, en créateur assumant la pleine responsabilité d’une œuvre à travers laquelle il ose dire “je”. Est-il besoin de rappeler les lettres de noblesses engrangées par Krzysztof Warlikowski en qualité de metteur en scène ? Qu’il s’agisse d’Iphigénie en Tauride de Gluck (2006), de L’Affaire Makropoulos de Janacek (2007), de Macbeth de Verdi (2010), on sait la magie sans pareille à travers laquelle son talent s’exprime sur les plateaux d’opéra et tout autant sur ceux des théâtres quand il s’attaque au répertoire contemporain avec Purifiés de Sarah Kane (2001), Angels in America de Tony Kushner (2007) ou Un tramway, d’après Tennessee Williams en 2010 avec Isabelle Huppert. Mais là où Krzysztof Warlikowski se différencie

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Urs Odermatt, Windisch, courtesy galerie GP & N Vallois, Paris

vernissages sous-emploi Julien Prévieux, l’auteur des Lettres de non-motivation, nouvel Eloge de la paresse, reproduit l’atelier de quelques grands penseurs du siècle dernier. En modèle réduit. A partir du 3 février à la galerie Edouard-Manet, Gennevilliers, www.ville-gennevilliers.fr

sous le soleil L’Anglais Anthony McCall braque à nouveau ses sculptures de lumière en forme de halo conique pour faire du spectateur une ombre, un passager, extasié, aveuglé par le feu sacré. A partir du 2 février au Collège des Bernardins, Paris Ve, www.collegedesbernardins.fr

sous tension Une expo historique sur le monochrome malmené dès les années 60 par Fontana, torturé dans les années 90 par Steven Parrino, et essoré aujourd’hui par Morgane Tschiember. Jusqu’au 5 mars à la galerie Tornabuoni, Paris VIIIe, www.tornabuoniart.fr

Hergiswil, 1987

droit au brut Son freak est chic. Découvert sur le tard et connu pour ses photos de voitures accidentées, l’ancien policier suisse Arnold Odermatt expose d’autres facettes de son œuvre à la galerie Vallois, à Paris.

 L

a légende veut que ce soit le défricheur Harald Szeemann qui ait sorti de l’ombre, au tournant des années 2000, le photographe suisse Arnold Odermatt. Une trouvaille venue compléter la longue liste des artistes bruts et amateurs dont ce commissaire hors normes était friand, à l’image de la guérisseuse Emma Kunz dénichée dès 1976 ou du clochard céleste Miroslav Tichý découvert à l’âge de 76 ans par Szeemann, et qui bénéficia en 2008 d’une grande rétrospective à Paris au Centre Pompidou. Arnold Odermatt signe aujourd’hui un surprenant retour sur images à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Rencontré le lendemain du vernissage, il nous a raconté sans détour mais avec beaucoup de pudeur son ahurissante trajectoire, qui l’a conduit du canton de Nidwald aux cimaises de la Biennale de Venise en 2001, en passant par quarante années au service de la police suisse-allemande.

“Tout a commencé en 1935, lorsque j’ai gagné un appareil photo après avoir collectionné pendant des années les vignettes que l’on trouvait dans les paquets de savon. J’avais alors 10 ans, dix frères et sœurs et mon père était garde-forestier”, se souvient Odermatt, la mémoire intacte et l’œil frétillant malgré ses 85 ans. “Aucun de nous ne savait manipuler l’appareil et nous n’avions même pas les moyens d’acheter une pellicule. J’ai économisé centime après centime grâce à mes spectacles de magie et j’ai pu me payer mon premier film. Lorsque je suis allé le faire tirer, le développeur a eu tellement pitié de moi qu’il ne m’a pas fait payer et m’a offert gracieusement une deuxième pellicule. J’ai commencé à photographier comme cela, dans un grand souci d’économie qui ne m’a jamais fait défaut”, se rappelle encore le vieil homme qui, depuis, a pourtant réalisé plus de soixante mille images, dont une grande partie reste à développer. “J’avais suivi une formation de pâtissier mais, après la guerre, je ne trouvais pas de travail et je me suis engagé dans la police.

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encadré

l’art de la table

Stansstad, 1965

Je voulais me servir de mon appareil photo et, dès le premier jour, j’ai proposé à mon supérieur de réaliser des clichés pour documenter les accidents de la route.” “Il a d’abord refusé, raconte-t-il amusé, au motif, prémonitoire sans doute, que les images peuvent être manipulées et ne constituent pas de preuve suffisante. Mais j’ai désobéi et j’ai commencé à photographier systématiquement les carambolages, les traces de pneus et les phares brûlés des voitures accidentées. Mon chef a fini par admettre qu’il fallait aller avec son temps et nous sommes devenus pionniers en matière de constat photographique dans tout le canton du Nidwald.” Pendant quarante ans, jusqu’en 1990, date à laquelle il prend sa retraite, Odermatt réalisera ainsi, avec un acharnement et un systématisme digne des Becher (que, précise-t-il, il ne connaissait pas à l’époque), des milliers d’images : “Une pour le constat, l’autre pour moi.” “Au passage, j’ai formé mes collègues à la pratique photographique, mais la méthode Odermatt, qui consistait à adopter un point de vue en contre-plongée, une vision en surplomb

“j’ai commencé à photographier dans un grand souci d’économie qui ne m’a jamais fait défaut”

Urs Odermatt, Windisch, courtesy galerie GP & N Vallois, Paris

Avant l’œuvre : le support, condition de sa réalisation.

réalisée depuis le toit de la fourgonnette de police, n’a finalement que très peu essaimé, ajoute Odermatt. Il fallait être très motivé.” “Ma rencontre fortuite avec le photojournaliste suisse Werner Bischof (l’un des premiers membres de l’agence Magnum – ndlr) a été décisive, il m’a convaincu de garder tous mes négatifs et rappelé qu’en tant que policier j’avais accès à des motifs auxquels personne d’autre ne pouvait prétendre.” Tout est allé ensuite très vite pour Odermatt, “vraiment surpris” par l’engouement que suscitent ses images après que son fils eut convaincu les éditions Benteli (bientôt suivies de Steidl) de publier sa première monographie. “Alors que pendant quarante ans mes photos n’avaient intéressé personne, je recevais tout à coup des lettres de New York, la visite de deux commissaires de Chicago et de Christoph Vitali de la Fondation Beyeler, jusqu’à ce que Szeemann voie mes images dans une galerie berlinoise et décide de m’inviter à la Biennale de Venise.” Aujourd’hui, Odermatt continue d’exhumer et de développer seul son immense collection de négatifs. Parmi les dernières redécouvertes : une série d’autoportraits et des photos de famille très freak qui n’ont rien à envier au meilleur de la photographie plasticienne. Claire Moulène Jusqu’au 5 mars à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36, rue de Seine, Paris VIe, www.galerie-vallois.com

Une génération d’artistes se constitue moins par l’âge que par une idée partagée, indifférente à celles de leurs aînés immédiats. C’est le cas, en France, pour Marc Geffriaud, Isabelle Cornaro ou Benoît Maire… Ailleurs, du côté de Joséphine Meckseper, Carol Bove ou Lucy Skaer. Si les exégètes de chacune de ces œuvres trouveront difficilement un vocabulaire commun, une similitude de procédés témoigne d’un lien fort. Pour aller vite, nous pourrions parler d’un nouvel “art de la table” que l’époque préfère nommer “display”. Le support (tables, socles, vitrines, parois de bois…) devient inaliénable et condition de l’œuvre réalisée. Que Mark Geffriaud “dresse” la table à la verticale ou que Joséphine Meckseper privilégie la vitrine ne change rien. Comme si, pour la première fois, une génération d’artistes prenait acte que l’avantgarde et ses rejetons avaient, au cours du XXe siècle, tenu toutes leurs promesses de “tabula rasa”. Ils se font les héritiers d’un siècle qui, de déconstruction en analyse, d’examen en morcellement, n’aurait laissé que la paillasse pour seul objet tangible. Plutôt que l’objet – peinture ou sculpture – soupçonné, par eux, d’un autoritarisme coupable, c’est la “table rase” qu’il s’agit d’accepter en héritage et de réinvestir. Ces artistes confrontent sur la table textes, images et objets, pour en attendre, dans un agencement inédit, un sens nouveau. Une première construction autour et à partir de laquelle déployer dans l’espace documents, films et installations, sans céder, s’il se peut, à l’exigence du fini et de la synthèse. Car de même que le display se confond avec le plan de travail, l’installation restitue l’atelier de recherche. Une pratique qui constitue une autre forme, peut-être, du néostudio dont Judicaël Lavrador s’est plu, ici-même (Les Inrocks n° 791) à dessiner les contours. * Gilles Drouault est directeur de la Galerie de Multiples, 17, rue Saint-Gilles, Paris IIIe, tél. 01 48 87 21 77

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le génie J Peut-on vendre des fringues en masse et à des prix modestes, tout en ayant une image cool et pointue ? C’est l’exploit que réalise l’enseigne américaine J. Crew, sur le point de mettre un pied en Europe.



ommençons par le commencement. Créé en 1947, transformé au milieu des années 80, J. Crew est un réseau de 320 magasins à travers les Etats-Unis, également très présent sur internet. Une enseigne de mode mainstream, pour petits et grands, surfant sur les piliers du look américain, le “everyday wear“ des cols blancs. Un concurrent direct pour Gap, Uniqlo, Cos ou H & M, mais à l’image très différente. J. Crew est excitant et, indépendamment de ses tarifs plus abordables, jouit d’une image que l’on pourrait rapprocher de celle de Ralph Lauren. Aux Etats-Unis, c’est même l’enseigne préférée de la creative class chère à Richard Florida. Pour expliquer ce succès, il y a les circonstances. Depuis plusieurs saisons, aussi bien chez l’homme que chez la femme, la tendance lourde revient à piller les vestiaires de papa, voire de papy. On vous en a déjà parlé, de ces néoréacs jouant avec les codes du look preppy, workwear ou outdoor pour mieux prendre à contre-pied l’idéologie véhiculée par un marché abruti de tendances sans âme ni histoire. Cela tombe bien pour J. Crew, dont le style de toujours est un doux mélange de ces styles authentiques. Mais il y a autre chose. Le crew J. Crew, mieux que tous les autres, sait renifler l’air du temps, humer l’humeur qui aura l’heur de plaire, proposant le bon produit pile poil au bon

tout semble choisi pièce par pièce, comme par la main d’un ami proche

moment. Des exemples ? La chemise en chambray il y a plus d’un an, quand celle en denim s’essoufflait et, plus récemment, des New Balance parce que la tendance sportswear est de retour. Si J. Crew est aussi précis, c’est parce que ses chefs designers ne sont pas, comme ailleurs, des rats de studio occupés à recopier les créations des maisons de prestige. Ici, les chefs designers ont une marge de manœuvre. Employée depuis 1990, Jenna Lyons dirige la femme. Pour l’homme, c’est Frank Muytjens, formé à l’école Ralph Lauren, qui est en charge depuis 2004. Et sa cote est telle qu’il fut le premier styliste d’une marque grand public nominé – en 2010 – au titre de meilleur designer américain par GQ/CFDA, le Conseil américain des fashion designers, équivalent de notre Fédération du prêt-à-porter. Preuve qu’il est possible de conjuguer mode grand public et qualité. Chez J. Crew, si le produit est important, le point de vente l’est tout autant. Ainsi en 2009, la marque décide de développer l’homme pour répondre à la stagnation du marché féminin et installe un magasin-vitrine dans un ancien “liquor store“ au cœur de Tribeca à New York. La sélection est plus restreinte mais surtout plus qualitative. Le mobilier de l’ancien tenancier est conservé afin que la communication reste congruente. Les vendeurs sont super formés, super sapés, le service client est une politique avec laquelle on ne rigole pas, ici ce n’est pas Paris…

Chez J. Crew, le vêtement est pourvu d’un contexte autour duquel la marque peut raconter une histoire à ses clients fidèles. Pour valoriser ses produits, J. Crew accueille ainsi des pièces sélectionnées chez d’autres marques haut de gamme, institutions renaissantes comme Barbour ou Gloverall, ou labels plus confidentiels tels Warehouse ou Mister Freedom. On y retrouve même des magazines, ou des carnets de note. L’éditing est précis, tout semble savamment choisi, pièce par pièce, comme par la main d’un ami proche. De façon générale, le tour de force de J. Crew est là. Etre un énorme groupe avec le circuit de distribution correspondant, mais renvoyer l’image d’une échoppe vendant des produits rares. Résultat des courses ? Un succès marketing doublé d’un succès commercial. Malgré une baisse des revenus lors du second semestre 2010, due à une mauvaise gestion des stocks femme, la marque ne s’est jamais aussi bien portée. En 2010, deux sociétés d’investissement ont proposé près de 3 milliards de dollars pour racheter l’enseigne, soit la plus grosse offre publique d’achat de l’année pour une marque du secteur de l’habillement. En attendant, J. Crew étend doucement son influence. Par internet, elle livre désormais au Japon et au Canada. Dans les semaines qui viennent, on pourra aussi commander depuis l’Angleterre. Puis ce sera l’Europe entière. Encore un peu de patience. Herbert Nozick illustration Alexandra Compain-Tissier 2.02.2011 les inrockuptibles 109

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Fogiel, silence radio et bruit médiatique Après trois saisons à la matinale d’Europe 1, Marc-Olivier Fogiel a annoncé son départ. Ce séjour sur les ondes lui a-t-il donné la légitimité journalistique tant souhaitée ?

M  

arc-Olivier Fogiel s’ennuie. Il jongle avec les SMS pendant la matinale d’Europe 1. Semble ailleurs. Avec Jean-Pierre Elkabbach les relations sont à nouveau dans le rouge. Hors micro l’ancien patron d’Europe 1 bougonne qu’il ne voit pas l’intérêt d’inviter la fille de Robert Boulin à la matinale ; Fogiel rétorque qu’il ne comprend pas ce que Martine Aubry – son invitée – va dire de plus. A 41 ans, Marc-Olivier Fogiel n’avait certainement pas imaginé faire une troisième saison dans ces conditions. Un an plus tôt, il se voyait partir avec Alexandre Bompard – alors patron de la radio – aux commandes de France Télévisions, ou lui succéder à la direction d’Europe 1. Non seulement Nicolas Sarkozy leur a préféré Rémy Pflimlin à la tête de la télévision publique mais Bompard a fait venir Nicolas Demorand à Europe 1. Un deuxième fils préféré, un surdiplômé qui incarne ce que Fogiel n’est pas ; Bompard a même tenté de convaincre Demorand de faire la matinale. Et puis Bompard est parti, laissant Marco face à Denis Olivennes avec qui le courant passe moins bien. Sur la dernière vague Médiamétrie, la matinale d’Europe 1 a perdu un point d’audience cumulée. Et la goutte d’eau, voilà Demorand, qu’on dit déjà parti à Libé (lire p. 26), en direct de la Tunisie pour son émission du soir. C’est déjà difficile de se lever à 2 heures du matin tous les jours… Cela fait certes un demi-siècle que les présentateurs de matinale le font mais, quand on est une star de la télé, on n’est pas obligé de s’infliger ça. Pourquoi a-t-il souhaiter s’y jeter ? “Il est venu à la radio chercher une légitimité journalistique”, dit-on dans son entourage. “Marco” a le complexe de l’animateur depuis ses années Sabatier. Tout remonte à son arrivée à RTL. Son père dentiste compte deux journalistes radio parmi ses patientes. Elles lui ouvrent les portes quand il est encore ado. Il découpe les dépêches, passe des journées entières dans le bureau des flashs assis à côté de Dominique Martin, à la regarder travailler, va chercher les résultats des courses, se fond dans le paysage. “Tout à

coup, ça paraissait évident qu’il soit là”, se souvient Jérôme Godefroy, un ancien de RTL. Le jeune Fogiel abandonne ses études, monte d’un étage et rejoint la sphère de Patrick Sabatier qui se cherche un assistant. Il bifurque ensuite avec lui vers la télé. Il remplacera d’abord Denisot sur Canal+ avant d’avoir son émission Télé+ où il bouscule Bardot, Bouvard. Des années qui lui colleront à la peau ; il est caricaturé par les Guignols accompagné d’une hyène. La radio lui redonnera de la rondeur. Il revient sur RTL pour une interview de dix minutes à 8 h 50. Mais l’animateur marche parfois sur les pieds du journaliste, comme lorsqu’à la rentrée 2005, il interviewe Mimie Mathy qui vient de se marier. Elle parle de ses larmes, revient sur l’émotion de la nuit de noces. Problème : l’interview a été réalisée avant le mariage, les souvenirs ont été inventés. Fogiel se fait taper sur les doigts en toute discrétion. L’année suivante, Axel Duroux, patron de RTL, envisage de ne pas le reprendre. Les tests qualitatifs le placent en bas de la liste des personnalités préférées de la radio. Fogiel est trop clivant. Mais, à la rentrée, il est attendu sur M6 (filiale de RTL Group). Pour faire jouer les synergies de groupe, on le garde à bord de la matinale. Son désir de reconnaissance journalistique reste intact. Lorsque Christophe Hondelatte abandonne la tranche du matin, Marc-Olivier Fogiel convoite la place. Quand elle est attribuée à Vincent Parisot, il va voir Europe 1. Bompard fait le pari de lui confier la matinale. “Il a tenu son engagement de ne faire que ça. C’est basique et banal mais pas évident de la part d’une star” dit-on chez Lagardère où l’on guettait le “syndrome Delarue” à son arrivée. “Au bout d’une semaine, tout le monde a vu que c’était le contraire. Jean-Luc Delarue avait toutes les facilités d’antenne que n’a pas Fogiel. Mais Fogiel a l’implication que n’avait pas Delarue. C’est un énorme bosseur.” “On lui a ajouté des flotteurs”, explique-ton encore à Europe 1. Marc-Olivier Fogiel n’écrit pas ses lancements. La radio a créé un poste de rédacteur en chef du matin. “On a mis du monde en cuisine. Un peu plus qu’avec un vieux routier de la

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au poste

Hadopédagogie Une étude révélatrice sur les avatars du téléchargement.

radio.” A la différence d’un Jean-Luc Delarue, qui pouvait improviser sur les sujets qu’il ne maîtrisait pas quitte à faire des bourdes, Fogiel préfère rester sur les terrains qu’il maîtrise. A la mort de Philippe Séguin, il est briefé dans l’oreillette. En interne et à l’extérieur, l’image ne suit pas aussi vite. “Il faut parfois lui rappeler que non, la tentative de suicide de Laura Smet ne fera pas l’ouverture”, raille un collègue. Lors des funérailles de Guillaume Depardieu, l’AFP signale parmi les personnalités “l’animateur Marc-Olivier Fogiel”. Coup de fil d’Europe 1 à l’AFP : il y a erreur, Marc-Olivier Fogiel n’est pas “animateur” mais “journaliste”. Ceux qui l’imaginaient repartir chez lui la matinale

“on lui a ajouté des flotteurs, explique-t-on à Europe 1, on a mis du monde en cuisine”

terminée le voyaient revenir l’après-midi, rester tard pour courir après le meilleur invité pour le lendemain. Car son arrivée est aussi celle d’un carnet d’adresses fourni. Il devient numéro 2 de fait. Habitué à être maître à bord (il a été patron de sa boîte de prod à 27 ans), il ne calcule pas la hiérarchie intermédiaire, fait le tour des bureaux, débarque chez Bompard à tout moment, reçoit des candidats quand la radio envisage des changements. Tout ça pour se retrouver en quelques mois sans Bompard, concurrencé par Demorand. Le voilà prêt à “répondre aux propositions de télévision que l’on a pu [lui] faire”, comme il le dit dans son message d’adieu à ses collègues d’Europe 1. Dans ce mail, il dit aussi rejoindre Matthieu Pigasse (actionnaire majoritaire des Inrocks) pour développer de nouveaux projets éditoriaux. “Les interviews avec des gens qui applaudissent en plateau, ce n’est plus pour lui”, dit un proche. Journaliste, on vous dit, pas animateur. Guillemette Faure

Les Français ont-ils compris et pris en compte les efforts de pédagogie de l’Hadopi ? Pas sûr, comme le révèle une copieuse étude sur les biens culturels et les usages d’internet que la Haute Autorité a dévoilée au Midem. On découvre d’abord que 49 % des internautes déclarent consommer des biens culturels de façon illicite. Ils n’ont donc pas été freinés par la loi, et le battage autour du sujet pourrait même avoir donné des idées à certains : si 25 % des usagers illicites avouent télécharger depuis plus de cinq ans, 29 % le font en effet depuis moins de six mois. Globalement, la loi ne semble pas tellement inquiéter les internautes : seuls 22 % des internautes trouvent qu’Hadopi les “concerne personnellement” et 52 % avouent que l’Hadopi ne les incite pas à changer de comportement quant à leur consommation en ligne de produits culturels. 42 % des internautes téléchargeant illicitement avouent utiliser encore le P2P, 37 % utilisant des sites de téléchargement direct (qui échappent à la loi), comme Rapidshare. Ce que l’on soupçonnait fortement est confirmé : le premier frein à l’usage licite (37 %) est le prix des œuvres – et là, toute la pédagogie du monde ne pourra pas y faire grand-chose, sauf si les maisons de disques finissent par réaliser que 7,99 € pour un album virtuel, c’est effectivement un peu cher –, suivi par la trop pauvre diversité de l’offre légale (21 %). Ce qui rebute cependant moins les pirates que les autres : les usagers illicites dépensent plus pour leur consommation de produits sur le net que les téléchargeurs licites (30 € contre 23 € par mois) ! Enfin, il semble que les internautes n’identifient pas très bien les plates-formes légales et illégales : 53 % pensent en effet que, s’ils payent, les contenus téléchargés sont forcément légaux. Ce qui n’est pas toujours le cas sur les sites payants de téléchargement direct…

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essai

Poivre met son grain de sel dans la culture Olivier Poivre d’Arvor, nouveau directeur de France Culture, décrit le paysage dévasté de la culture française face à l’hégémonie américaine du numérique. Pourtant il refuse tout “déclinisme”.

 L

e discours partagé sur un supposé déclin de la culture française souffre d’un malentendu, signe du manque de rigueur des “déplorateurs” estampillés. Associée pour les uns à des pratiques créatrices insipides et fermées au monde extérieur, liée pour les autres à une politique publique essoufflée, la culture française ressemblerait à un paradis perdu où ne végètent que des artistes mineurs ou académiques, transparents sur le marché mondialisé de l’entertainment.

réinventer une politique publique culturelle en phase avec son époque

A ce constat caricatural et paresseux, Olivier Poivre d’Arvor, nouveau directeur de France Culture, oppose une vision plus nuancée et réfléchie dans un essai stimulant sur la réalité du paysage culturel français et son rapport complexe au monde contemporain. Même s’il s’en distingue sur bien des points, son essai Bug made in France partage avec le livre de Frédéric Martel, Mainstream, paru l’an dernier, la conviction que la bataille des contenus culturels s’accélère, et que dans un univers dématérialisé, le soft power est devenu un enjeu majeur. Comme Martel, Poivre d’Arvor mesure que le soft power fera la différence entre les nations dans le futur, notamment dans leur

capacité à faire circuler idées, œuvres et marques, à développer les creative industries à l’échelle mondiale… La révolution digitale illustre le marasme français : les Américains contrôlent seuls les nouveaux outils (Wikipédia, Google, Facebook, YouTube, Amazon, iTunes, Yahoo!…). La France a manqué “le train de la modernité”, celui “d’un web contributif, de la fabrication d’une intelligence collective, connective et planétaire”. Pour Olivier Poivre d’Arvor, nos gouvernants ont adopté “une attitude conservatrice, défensive, protectionniste et malthusienne face à ces questions d’accessibilité à la culture”, à l’image de la

loi Hadopi. La muséification de la France participe de cet esprit de renoncement à la nouveauté. Plus intéressée par les commémorations et la conservation du patrimoine, la France se retrouve “à la traîne de la révolution numérique”. La faute à un “certain monde intellectuel, blanc, hexagonal”, hermétique a “la création qui se fait, la modernité technologique, la culture monde, les cultures urbaines, populaires, l’audace artistique, les pratiques culturelles des jeunes… ” Contre ces partisans d’un monde ancien, aussi poussiéreux que fantasmé, l’auteur invite à réinventer une politique publique culturelle en phase avec son époque. Ce constat, sévère ne le mène pourtant pas dans la voie du “french bashing” généralisé. Pour se frotter directement aux œuvres, pour entretenir sa curiosité dans les festivals, théâtres, musées, galeries, concerts, que ne fréquentent jamais les réactionnaires pontifiant sur le déclin de la culture française, Olivier Poivre d’Arvor réfute tout discours “décliniste”. Sa passion du “braconnage culturel”, chère à Michel de Certeau, le conduit à réaffirmer ce qui a toujours fondé la politique favorable à la création en France : la foi dans l’idée d’un “impératif culturel” dont les institutions sont garantes. Plutôt qu’un déclin de la création, la capitulation culturelle est l’histoire d’un dédain de la création. Jean-Marie Durand Bug made in France, ou l’histoire d’une capitulation culturelle (Gallimard), 144 p., 12 €

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Logorama de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain, oscar 2010 du meilleur film d’animation.

cinéma

le court à long terme Au-delà du net, la diffusion télé reste une vitrine essentielle pour le court métrage. A l’heure du festival de Clermont-Ferrand du 4 au 12 février, Canal+ affirme encore son envie de révéler de jeunes auteurs.

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endre le court métrage vivant et attractif : telle est la vocation historique de Canal+ à travers pratiquement une dizaine d’heures de programmation par semaine, sur trois cases bien distinctes. Sur Canal+ Cinéma, Mickrociné est dévolu à une programmation internationale et grand public, tandis que Le Petit Coin des horreurs revisite le genre de l’horreur version court. Mensomadaire donne quant à lui rendez-vous une fois par mois pour des courts métrages plus expérimentaux, notamment du côté des technologies numériques. Une politique éditoriale forte que viennent compléter des programmations spéciales, sous le titre La Collection. De fait il semble que la diffusion internet, loin de concurrencer la diffusion télé, renforcerait plutôt globalement l’intérêt du public, en faisant mieux connaître un format associé à tort au cinéma d’auteur. Pascale Faure, directrice du département “Programmes courts et créations”à Canal+ nous l’explique : “Le court métrage s’est beaucoup démocratisé. Aujourd’hui, avec une bande d’amis et une caméra DV, on peut faire le sien et le poster sur internet, ce qui contribue beaucoup à populariser le genre”

De plus en plus de jeunes réalisateurs privilégient en effet la visibilité rapide (et potentiellement massive) que permet le net par rapport à un financement qui reste de l’ordre du parcours du combattant. Mais, nuance Pascale Faure, “la diffusion télé est une économie petite, mais qui peut quand même offrir des débouchés intéressants. Tandis que sur le net, le film va être diffusé de façon anarchique, et de plus ça lui enlève le côté inédit qu’on demande pour la télé.” De ce point de vue, s’il est encore boudé du grand public, le court métrage reste toujours la meilleure carte de visite pour un jeune réalisateur, la façon d’affirmer un style et une singularité d’auteur. Canal+ a ainsi soutenu une quarantaine de films en 2010, pour un budget de l’ordre de 1,5 million d’euros. “On fait tout pour donner de la vitalité au genre, raconte Pascale Faure, car le problème pour le court métrage, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’actu : il y a des festivals, mais pour le public, on ne peut pas dire que ce soit une actu… Donc on va essayer d’amener le public

Marjorie Philibert

le court métrage reste toujours la meilleure carte de visite pour un jeune réalisateur

A voir aussi Court-Circuit, spécial ClermontFerrand, vendredi 4 février sur Arte, à 0 h 30 ; la nuit du court métrage dans Libre-Court sur France 3, à 0 h 40, le samedi 12 février ; Histoires courtes les dimanches sur France 2 vers 0 h 15.

soit par l’aspect éditorial (par exemple, un genre comme l’horreur) soit par des films construits autour d’une personnalité, d’un thème dans l’air du temps.” Le concours annuel “La Collection” invite ainsi les jeunes auteurs à proposer un scénario autour d’un thème et d’une personnalité à choisir parmi une liste. Si l’année 2009 avait pour thème la crise, autour de personnalités comme Virginie Despentes, François Bégaudeau ou Moustic, l’édition 2010 proposait d’écrire pour Nathalie Baye. Des tremplins qui montrent que tout reste possible : ainsi cette année, Logorama, (un court métrage de François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain) préacheté par Canal+ est nominé pour les Césars 2011 du meilleur film d’animation et du meilleur court métrage. Le tout après avoir raflé l’Oscar du meilleur film d’animation en mars dernier. Ou comme le dit Pascale Faure : “On peut faire la différence avec la créativité et la foi!”

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scandale

Skins, réaction épidermique Diffusée depuis deux semaines, l’adaptation américaine de la série anglaise est déjà menacée par une puissante association conservatrice.



e déchaînement est quasiment sans précédent, l’hystérie quotidienne, la menace bien réelle. Depuis la diffusion du premier épisode de Skins version US sur MTV, le 17 janvier dernier, l’Amérique panique et les créateurs de la série originelle, qui travaillent sur cette adaptation fidèle, découvrent chaque jour l’ampleur des interdits que leur impose ce pays. Pour rappel, Skins existe depuis 2007 sur le réseau british E4 et met en scène des adolescents dissipés (des ados, quoi). On les voit gober des pilules, glisser leurs mains dans des culottes amies, insulter leurs parents, chercher toute rage dehors le curseur d’une vie instable. Mais sans aucune image franchement crue : pas l’ombre d’un sexe ou d’un sein à l’horizon, Larry Clark peut dormir tranquille, il demeure seul sur son terrain. Pourtant, l’association ultra-conservatrice PTC (Parents Television Council) a sorti les crocs sans crainte des raccourcis, dressant ce portrait-robot carabiné de Skins : “La série pour enfants la plus dangereuse jamais vue.”

une enquête pour violation des lois américaines sur la pornographie infantile

Ridicule ? Cela dépend pour qui et de quel point de vue. Moins d’une semaine après la diffusion du premier épisode, Skins avait déjà perdu plusieurs annonceurs majeurs (H&R Block, Wrigley, General Motors, Taco Bell et Subway), tous poussés au retrait par le lobbying du PTC. Cette organisation fondée en 1995 par un certain L. Brent Bozell III, un réactionnaire notoire, s’est faite connaître grâce à ses positions radicales en terme de mœurs. Sa mission : traquer “l’indécence”. Le PTC a connu son heure de gloire en hurlant aux loups lorsque Janet Jackson a montré un téton (recouvert d’une étoile) à la mi-temps du Superbowl 2004. Ses cibles ont (ou ont eu) pour nom NYPD Blue, Glee, Friends, American Dad, FBI : Portés disparus, et on ne parle que des séries… Son pouvoir est bien réel. Car au-delà des retraits d’annonceurs, des ennuis judiciaires menacent potentiellement Skins. Responsable pour MTV du développement des séries, Liz Gateley avait accepté que le casting américain suive la même orientation que celui du show anglais, en utilisant des acteurs ayant l’âge de leur rôle – entre 15 et 19 ans. Beaucoup trop jeune pour le PTC, qui a saisi illico les autorités fédérales et leur a demandé d’ouvrir une enquête pour violation des lois américaines sur la pornographie infantile ! Acculé par ce tir de barrage grossier, le cocréateur de la série Bryan

Elsley s’est fendu d’une longue lettre rendue publique le 25 janvier : “Skins est écrite du point de vue des teenagers, elle reflète leur vision du monde. (…) Elle essaie de dire la vérité. Cette vérité peut être douloureuse pour les adultes et les parents. (…) Nous partons de l’idée que les ados ne sont pas naturellement destinés à mal se comporter, mais plutôt qu’ils sont intensément moraux et enclins à juger leur propre comportement et celui des autres. Parfois, mais pas toujours, ils se trompent. (…) Notre approche n’est pas inconséquente.” Et sinon, que vaut la série ? Disons que l’horrible polémique n’empêche pas notre relative déception. Pour l’instant, le copier-coller est quasi parfait, mais il manque pourtant à ce Skins 2.0 un peu de tout : la douceur rêche de l’original, son humour, son désespoir chantant. Les changements (le personnage gay a été remplacé par une lesbienne) n’apportent pas une flamme nouvelle. On garde malgré tout espoir, puisque l’épisode 2 s’est avéré meilleur que le premier. Reste à espérer que la série passera l’hiver : si le pilote a rassemblé trois millions de spectateurs attirés par le scandale, l’audience a chuté de moitié la semaine suivante. La chaleur des débuts qui retombe ? Olivier Joyard Skins,chaque lundi sur MTV US. En France au mois d’avril.

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brèves Canal+ / Orange : fusion et questions Qu’adviendra-t-il du somptueux catalogue de séries acquis par le bouquet Orange (Warner, HBO) ? C’est un des enjeux de la fusion entre Orange Cinémax et TPS Star, annoncée le 19 janvier. Canal+ et Orange ont trouvé un accord pour endiguer leurs pertes d’argent. La chaîne cryptée historique aura le contrôle éditorial de la nouvelle chaîne baptisée Orange Ciné Star, qui sera proposée “entre 10 et 15 euros” par mois. Les “petites” chaînes du bouquet Orange devraient par ailleurs continuer à exister et voir leur diffusion augmenter. Globalement une bonne nouvelle pour l’amateur de séries ? On attendra la réalisation concrète du projet, prévue fin 2011, pour se prononcer.

focus

Showrunners,  têtes de séries

Qui accueillera The Kennedys ? Retirée in extremis de la grille de la chaîne History Channel suite aux plaintes de membres du clan Kennedy, la mini-série produite par l’ex de 24 heures chrono, le très républicain Joel Surnow, trouvera sans aucun doute un accueil plus œcuménique à l’étranger. Vendue dans une cinquantaine de pays, cette biographie intime sera diffusée sur la BBC en mars. Canal+ pourrait en être l’acquéreur français.

agenda télé The Good Wife (M6, le 3 février à 20 h 45) Julianna Margulies (Carol Hathaway dans Urgences) revit dans cette série judiciaire délicate et enlevée où elle interprète une ex-avocate trompée par son politicien de mari. Nostalgie. Sous le soleil (TF6, le 3 février à 10 h 35) Quand on demande aux Américains quelles séries françaises ils connaissent, ils répondent presque invariablement Sous le soleil. Ils se foutent de notre gueule ou quoi ? Mad Men (Série Club, le 6 février à 20 h 40) Rattrapage de la saison 2 des aventures de Don Draper, celle de la déliquescence de plus en plus claire de son mariage. L’épisode 11 situé à Palm Springs est génial.

Une série documentaire au casting alléchant sur les créateurs de séries. ls ont acquis une réputation extrêmement favorable ces dernières années et sont souvent considérés comme les rares esprits libres de Hollywood. Mais les créateurs de séries (ou ceux qui dirigent l’écriture et la production, parfois différents des créateurs) restent souvent planqués dans l’ombre. Il aura fallu l’initiative d’une chaîne française pour que ceux-ci sortent le bout de leur nez. David Simon (The Wire), David Shore (Dr House), Alan Ball (True Blood, Six Feet Under), Meredith Stiehm (Cold Case), Shawn Ryan (The Shield), Clyde Phillips (Dexter), Jason Katims (Friday Night Lights), Carlton Cuse (Lost), Ronald D. Moore (Battlestar Galactica), les frères Kessler et Daniel Zelman (Damages) ou encore Vince Gilligan (Breaking Bad) ont accepté de se livrer aux caméras de Virginia Vosgimorukian et Anthony Dubé. Un casting très solide pour une plongée dans un monde parallèle désirable. Le principe ? Croiser le point de vue de ces showrunners avec celui de leurs principaux collaborateurs et décrypter une méthode, sinon une vision du monde. Dans le premier épisode, diffusé cette semaine, Vince Gillligan éclaire bien son héritage personnel (ce qu’il doit à Chris Carter des X-Files) et son goût pour une écriture “visuelle”, à contre-courant de ce qu’on attend en général des séries. Sa référence à Kubrick est inattendue et passionnante. S’il manque parfois la sensation d’une immersion totale dans le processus créatif et dans les “cuisines” d’une industrie fascinante, cette série documentaire apporte la preuve que ceux qui font aujourd’hui de la télévision y réfléchissent avec une acuité peu commune. Une parole qui vaut de l’or. O. J.

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Showrunners : Vince Gilligan de V. Vosgimorukian et A. Dubé (26 min). A partir du 8 février à 22 h 30 sur Orange Cinémax. 2.02.2011 les inrockuptibles 115

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émissions du 2 au 8 février Trafics : les rubis des Khmers rouges Documentaire d’Olivier Weber. Jeudi 3 février, 23 h 40, France 2

L’activiste Cécile Lecomte, militante des Robin Wood, des journées entières dans les arbres.

guerres vertes Du haut des forêts au fond des océans, les écoguerriers sont sur tous les fronts.



ans les forêts de séquoias californiennes et sur les mers du Sud, perchés dans des arbres centenaires ou plongés dans des eaux glacées, des guerriers d’un nouveau type élargissent le territoire de la contestation écologique. Défendre les arbres qu’on abat, protéger les baleines qu’on tue, militer pour le respect de l’air qu’on respire, dénoncer la circulation des déchets nucléaires : la large gamme des actions de ces “insurgés de la Terre” est à la mesure des multiples périls écologiques. Réalisateur d’un récent documentaire sur la folie, Un monde sans fous ?, Philippe Borrel s’est penché sur la douce folie de quelques-uns de ces militants attachés au principe de désobéissance civile. Une folie nourrie par une réflexion argumentée sur la biodiversité, d’une appréhension lucide du scandale du productivisme. Cette enquête passionnante dessine un paysage mondialisé, sans frontières, sans cartes, d’une lutte politique qui, fixée sur des terrains diversifiés, repose sur un désir partagé d’activisme. Habités et même happés par le sens du combat, ces militants s’élèvent contre la cupidité des industriels et la lâcheté des politiques. A la fois stratèges dans leurs sabotages et naïfs dans l’expression de leur utopie, ces insurgés ne pensent qu’à la préservation du bien public et à la sauvegarde d’un monde commun, que les Etats impuissants ne peuvent plus garantir. Agiles comme des écureuils, telle la gracieuse Cécile Lecomte, militante des Robin Wood, qui pratique “l’escalade politique” en se suspendant au-dessus des voies ferrées pour stopper les trains de déchets nucléaires, ces écoguerriers se heurtent pourtant aujourd’hui à un durcissement des législations, notamment aux Etats-Unis. Le Patriot Act pousse les autorités politiques et policières à réprimer, en toute légalité, cette protestation morale et vertueuse, qu’ils n’hésitent pas à assimiler à du pur terrorisme. Par la force des choses, les insurgés de la Terre sont aussi devenus des insurgés du droit.

Jean-Marie Durand Les Insurgés de la Terre documentaire de Philippe Borrel. Mardi 8 février sur Arte à 20 h 40

La secrète reconversion d’ex-Khmers rouges. Le journaliste et écrivain Olivier Weber mène une enquête passionnante sur le commerce clandestin de rubis au Cambodge, dont il explore les ramifications dans l’ouest du pays, ancien fief des terribles Khmers rouges, devenus aujourd’hui une mafia régnant sur cette enclave quasi indépendante. Dirigée par le fuyant général Ee Chhean, qui nie avoir été un des seconds de Pol Pot (bien que beaucoup l’attestent), et à présent gouverneur, la région est devenue une plaque tournante pour plusieurs activités lucratives : casinos, prostitution, trafic de pierres… V. O.

Le Troisième Age au septième ciel Documentaire d’Andrea Rawlins-Gaston. Dimanche 6 février, 22 h 55, France 3

Le plaisir sexuel comme refus de la vieillesse. Renoncer à la sexualité, ce serait accepter sa fin : les personnes du troisième âge qu’a rencontrées Andrea Rawlins-Gaston posent comme principe vital l’entretien de leur désir. Peu importe le vieillissement de la chair pourvu qu’ils aient l’ivresse. Avec l’âge, leur sexualité se déploie même encore plus vigoureusement. Les techniques médicales n’expliquent pas tout : leur vitalité sexuelle tient aussi à leur volonté de ne pas baisser la garde. Du libertinage à l’amour fidèle, les seniors réinventent de nombreuses voies de l’extase, comme autant de chemins de survie. JMD

Orange amère Documentaire de Patricia Bodet et Bernard Debord.Mardi 8 février, 20 h 35, France 5

Comment Orange continue à prendre ses employés pour des pompes à fric. Il y a longtemps que le ver est dans la pomme, ou plutôt dans l’Orange, alias France Telecom. Un précédent documentaire, La Mécanique Orange, en 2008, décrivait déjà le marasme au sein de l’entreprise, lancée dans une course effrénée à la rentabilité après sa privatisation. La vague de suicides qui s’ensuivit sanctionna une inhumaine politique commerciale. Cette enquête montre que, malgré les discours rassurants, les conditions de travail n’ont pas changé d’un iota dans l’univers impitoyable des plates-formes Orange. V. O.

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Cut Up : Le Sexe Magazine de Philippe Monerris. Mardi 8 février, 0 h 10 Arte

Jackie Berroyer dans l’enfer du stupre et de la fornication. Berroyer, le guide (spirituel) du précieux magazine documentaire Cut Up pose le sujet dans ce numéro consacré au sexe : “Voilà un beau sujet, un sujet banal et pourtant inépuisable. Libre ou tabou, le sexe est partout. Il arrive même, on aura tout vu, qu’il soit mêlé à l’amour. Prenez le sexe et n’oubliez pas de le rendre, c’est un thème délicat et fort dont Cut Up se doit de s’emparer fermement…” Parmi les extraits de films documentaires exhumés, voir la séquence bondage nippon, ou le sujet sur les poupées érotiques en silicone, déjà vu partout. Un segment vaut le détour : la check-list des procédures et postures d’un tournage de film X. Vincent Ostria

Caïds des cités : le nouveau grand banditisme Enquête de Jérôme Pierrat. Lundi 7 février, 22 h 40, Canal+

Le banditisme issu des cités bouleverse le milieu. Diffusée début janvier, cette enquête a suscité un intérêt à la mesure de l’énormité “spectaculaire” de ce qu’elle décrit : le nouveau grand banditisme dans les cités sensibles. D’où la décision de Canal+ de reprogrammer ce reportage en immersion auprès de petits caïds devenus gros, dont les pratiques – attaques de fourgons blindés à l’arme de guerre, voitures-béliers contre des distributeurs bancaires, règlements de compte sanglants – bousculent les règles et les hiérarchies du milieu traditionnel. Grâce à son travail d’approche, Jérôme Pierrat met à nu les coups tordus de ces criminels du bitume, de Renard le voleur de voitures qui fait démarrer n’importe quelle grosse cylindrée à “PSG”, trafiquant d’armes et d’explosifs. Des histoires de bandits d’aujourd’hui. JMD

sans toit ni moi Perdre son logement, c‘est perdre tous ses repères, parfois jusqu’à sa personnalité. Le parcours du combattant des sans-abri pour retrouver un lieu d’existence. a perte du lieu, c’est comme la perte à mener, et la volonté démente qu’ils d’un autre, du dernier autre…“ écrit exigent, pour retrouver un logement. l’ethnologue Marc Augé dans Journal Epaulés par des militants associatifs d’un SDF, ethnofiction (Seuil). Dans tenaces, ces exilés d’eux-mêmes son documentaire Mon combat pour un toit, naviguent entre espoir et résignation. Stéphan Moszkowicz traduit ce sentiment Au-delà de leur quête d’un territoire de perte de soi-même quand un toit n’est intérieur, de murs qui protègent du dehors, plus là pour vous abriter. En suivant sur ils doivent aussi reconstruire leur vie : une longue durée les parcours erratiques du toit au moi, leur combat ressemble de plusieurs mal logés, jetés à la rue pour à un parcours incessant que Moszkowicz des motifs variables (la perte d’un emploi filme avec énergie et empathie. JMD conjuguée à un divorce, la pauvreté comme Mon combat pour un toit documentaire seul horizon depuis des années…), de Stéphan Moszkowicz. Mercredi 2 février sur France 3 à 23 h 15 le documentariste consigne les combats



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Laurent Bazart

enquête

Google ronge son OS Chrome OS, l’ambitieux système d’exploitation de Google pour PC portables et tablettes, se fait toujours attendre. Trop en avance ?



u dernier Consumer Electronic Show (CES), cette grand-messe high-tech annuelle qui s’est tenue à Las Vegas du 6 au 9 janvier dernier, Android était omniprésent. Le système d’exploitation pour mobile de Google se retrouvait dans les tablettes tactiles, les smartphones et même dans les autoradios. Mais quid de Chrome OS ? De nombreux internautes surfent sur le web avec le navigateur Chrome. Mais combien savent que le moteur de recherche planche depuis des mois sur… Chrome OS, un système d’exploitation pour PC portables, netbooks et tablettes ? Pas beaucoup, certainement. Il faut dire que le projet de Google est ambitieux. A la différence de Windows ou de Mac OS, celui-ci démarre sous forme d’un navigateur web qui permet de se connecter (à distance) à différentes applications en ligne comme la messagerie ou la bureautique. Très peu d’applications sont donc installées sur l’ordinateur. C’est le principe du cloud computing (l’informatique dans les nuages) dont les services les plus connus par le grand public sont les webmails. Un ordinateur sous Chrome OS s’apparente donc à un Minitel dans le sens où ses fonctionnalités sont limitées aux plus courantes : surfer, écrire et échanger des

e-mails, créer des fichiers bureautiques basiques, et se détendre avec des jeux en ligne. Autant d’activités qui nécessiteront une connexion internet via une borne wifi ou un réseau 3G. Aux Etats-Unis, l’internaute paierait à la consommation, de 20 dollars (pour 1 Go) à 9,99 dollars par jour pour une connexion illimitée. A écouter Google, son OS serait très efficace et performant car il ne serait pas encombré par des applications inutiles et gourmandes en énergie. Histoire de rassurer le grand public qui craint de voir son PC envahi par des virus, Google met aussi en avant la sécurité de son OS. En empêchant l’installation de logiciels par l’utilisateur, en isolant les applications et en reposant sur un noyau Linux, ce système présente en effet moins de vulnérabilités structurelles que Windows. Avec de tels atouts, on se demande pourquoi Google hésite à le lancer officiellement. Peut-être parce que ce système d’exploitation exige une “rééducation” de l’utilisateur. Le site

sans stockage et avec peu d’applications, Chrome OS exige une “rééducation” de l’utilisateur

Ubergizmo a pu le constater en testant le Cr-48, le premier prototype de portable avec le système d’exploitation Chrome OS : “Branchez une clé USB et rien ne se passe. Branchez un appareil photo et rien ne se passe non plus. Branchez une webcam, toujours rien. Il n’y a pas de chat vidéo via Skype (mais Google chat devrait fonctionner…). Beaucoup de choses ‘essentielles’ pour tous les utilisateurs font défaut.” Autre contrainte : le stockage des données en ligne. Pas sûr que les utilisateurs soient prêts d’oublier le stockage physique sur un disque dur et de tout confier à Google. Dans une interview accordée au Guardian, Richard Stallman, père du système d’exploitation libre GNU et fondateur de la Freesoftware Foundation, indique que la percée du cloud computing permettra au gouvernement américain “de saisir les données sans présenter un mandat de perquisition”. Mais l’explication qui paraît la plus crédible serait que Chrome OS fusionnerait avec Android. C’est l’avis de Paul Buchheit, le créateur de Gmail et du service publicitaire AdSense. Selon ce développeur, aujourd’hui parti de Google pour rejoindre un business angel, Android ferait très bien l’affaire une fois adapté aux netbooks. Or, la prochaine version d’Android sera compatible avec les smartphones et les tablettes… Philippe Richard

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in situ réglez vos comptes Vous partez en week-end avec des amis ? L’un avance l’essence, le deuxième paie l’hôtel et le dernier fait les courses. Résultat, c’est la galère pour mettre les compteurs de chacun à zéro. Ce site permet de régler tout ça, puisque c’est lui qui fait les comptes et avertit tout le monde de ses dettes par mail ou Facebook. tricount.com

guide végétarien Ce site est un guide complet (et mondial) des restaurants servant des plats végétariens, écrit par et pour des voyageurs. Il liste aussi les magasins de cosmétiques bio et propose des recettes de cuisine. On repère 64 lieux à Paris, et un ou deux bons plans dans une vingtaine de villes françaises.  happycow.net

dessine-moi en Lego Petits et grands vont pouvoir s’amuser avec ce site qui permet de transformer des photos ou images en dessins constitués à partir de briques Lego. Et cela ne se limite pas au virtuel, puisque le site nous informe du nombre et de la couleur des briques nécessaires à la construction, en vrai, d’une telle œuvre Lego. brickify.com

Un film, une image Attention, risque d’addiction. Destiné aux cinéphiles, WTM offre des fiches sur un grand nombre de films et propose de se créer une DVDthèque virtuelle. Mais son grand atout, c’est son jeu. A partir d’une capture d’écran, les internautes doivent retrouver le titre du film dont elle est extraite : des personnages dans l’ombre, des droïdes dans l’espace ou des scènes de danse cultes, les images sont aussi nombreuses que mystérieuses. Un passionné a déjà identifié 1 745 films. Le défi est lancé. whatthemovie.com

la revue du web Megalopolis

City Journal

Rue89

Paris sous caméra

NY des écrivains

déco peu urbaine

1993, la première caméra de vidéosurveillance se montre en Ile-de-France. 2011, pas un coin de la région qui ne soit épié. Près de 20 000 caméras filmeraient les recoins de Paris, dans les transports en commun surtout. Le terme de vidéosurveillance laisse place à celui de “vidéoprotection”, plus séduisant pour l’opinion. La sécurité dans l’espace public est devenue un marché, qui pèse déjà plusieurs centaines de millions d’euros sur l’Etat, principal financeur, et représente une véritable manne d’argent public pour les entreprises du secteur. tinyurl.com/4mb33v6

New York ne laisse jamais indifférent. On l’aime ou on le déteste. Au fil des siècles, les écrivains ne se sont pas mis d’accord. Tocqueville, Henry James et Hemingway la détestaient, Fitzgerald en était fou. En tout cas, la Grosse Pomme a toujours été une source d’inspiration indéniable. Le grand journalisme y a attiré dans les années 20 des auteurs comme Edmund Wilson et Dorothy Parker, et la ville a abrité pas moins de cinq prix Nobel. Washington Irving et Jonathan Franzen (Les Corrections) en ont même fait un personnage à part entière. tinyurl.com/29jg5yr

Depuis 2006, l’association Paysages de France lutte contre la “pollution visuelle” des pubs géantes. Une trentaine d’activistes, fatigués de voir leur belle ville de Montauban recouverte de panneaux publicitaires, se sont mis à les bâcher, en toute légalité. Sans agitation, ils créent de nouveaux slogans, le temps d’une journée, avant de remettre tout en état le soir même. Le collectif des Déboulonneurs, plus radical, a choisi de barbouiller et de démonter les panneaux. Résulat : 45 gardes à vue en cinq ans. tinyurl.com/5rqg3s7

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Dans Pass the Courvoisier, P. Diddy & Mr. T dégustent

vu du net

cognac en tube La consommation mondiale de cognac, breuvage favori des rappeurs, bat tous les records. Explications sur le web. e cognac ne connaît pas la crise : cognac (cognac.fr). On trouve sur leur site, en 2010, l’eau-de-vie charentaise une histoire illustrée du cognac (bit.ly/ a battu tous les records de vente f3XNrS) ou des conseils de consommation (1,860 milliard d’euros, + 30 % par (bit.ly/h6vEGz). Pour en savoir plus, ce site rapport à l’année précédente, La Tribune, (encyclopedie.cognac.fr) détaille toute la bit.ly/fapum1), essentiellement grâce au chaîne de fabrication du luxueux breuvage, marché asiatique, Chine en tête (Sud Ouest tandis que cognac.com, le plus gros site bit.ly/f4nVfs). L’Express (bit.ly/hO2ofC) anglophone – seulement 7 % des ventes explique comment les quatre grandes se font en France –, met à disposition marques de cognac (Hennessy, Rémy différents articles, comme un guide pour Martin, Martell, Courvoisier) se sont déterminer la valeur du cognac ou un réveillées à la faveur d’un marketing glossaire (bit.ly/fjdqly). Pour ceux qui se astucieux et d’une réorganisation rendent sur place, “Les Etapes du cognac” structurelle, sous l’égide du BNIC, propose plusieurs itinéraires dans les Bureau national interprofessionnel du vignobles et les chais (bit.ly/gd06FJ).

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Une des raisons de la bonne santé économique du cognac est sa “prémiumisation”, à savoir l’élévation en gamme qui permet de vendre très cher. Ici, (bit.ly/d73hpj) des exemples de bouteilles de luxe, avec diamants incrustés ou métaux précieux. Parmi les trouvailles marketing, l’alliance surprenante avec le milieu du rap, culminant avec le tube Pass the Courvoisier de Busta Rhymes en 2002 (youtu.be/ JAYXRtNxsGA). L’article, A brief History of Cognac and Hip-Hop sur cognac.com (bit.ly/Cfiy) révèle les dessous de cet acoquinement, notamment la volonté, pour les Afro-Américains, de se démarquer des Wasp buveurs de whisky. En 2010, le cognac n’avait rien perdu de sa force attractive parmi les rappeurs, puisque Jay-Z (bit.ly/ iff4dv), Dr Dre (bit.ly/9PxTFw), Ludacris (bit.ly/gTaeTT), Ice-T (bit.ly/aDnO89) ou encore T.I. (bit.ly/avkyzK) viennent de lancer leur marque de cognac personnalisée. En France, un talentueux duo de slameurs lui rend hommage dans le “slam du cognac” : youtu.be/RH4bhDaB6qk. “Yeah, je suis né ici dans le Cognac, un pays verdoyant qui vous donne la gnac, avant moi François fut le premier, depuis beaucoup l’ont aimé, yeah.” Jacky Goldberg

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Aladdin Sane de David Bowie Premier disque acheté, à 9 ans ; complètement ensorcelée. Il m’a toujours suivie depuis. Le piano sur la chansontitre est dissonant, agressif, mais juste avant de frôler l’insupportable, il se réintègre à l’ensemble. Cette idée de juxtaposer laideur et beauté, tension et libération a formé ma propre esthétique musicale.

My Own Private Idaho

Anna Calvi Anna Calvi Un premier album audacieux de la fille fantasmée de Jeff Buckley et PJ Harvey.

Laure Adler Françoise Au-delà d’une bio de Françoise Giroud, l’histoire des médias politiques durant un demi-siècle.

Reflection (What Does Your Soul Look Like) de Peter Doig J’ai beaucoup appris en peinture en étudiant le travail de cet artiste, cette immobilité un brin dérangeante qui se dégage de ses toiles, même quand l’image est jolie. recueilli par Noémie Lecoq

Je suis un no man’s land de Thierry Jousse Un chanteur revisite son territoire d’enfance. Onirique, drôle et enthousiasmant.

La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue Croisement entre le conte merveilleux et le docu ethnographique dans une communauté de gens du voyage.

The Green Hornet de Michel Gondry Seth Rogen enfile avec une désinvolture irrésistible le masque du Frelon vert, cousu main avec élégance et éclat par le couturier Gondry.

Cold War Kids Mine Is Your Crise de gigantisme chez les Américains qui livrent ici des hymnes dévastateurs.

Kurt Vonnegut Le petit oiseau va sortir Un recueil de nouvelles inédites qui remet en avant le génie sombre et drôle de l’auteur, décédé en 2007.

Divers Tradi-Mods Vs Rockers Dialogue entre musiciens anglo-saxons et congolais : chansons frétillantes, electro dévergondée et pop cosmique.

Salem King Night La rencontre du hip-hop, de l’electro et d’une morgue gothique. Pour se préparer à l’Apocalypse.

Valérie au pays des merveilles de Jaromil Jires. Un film de vampire baroque et érotique. La Brune et moi de Philippe Puicouyoul. Un document sur le Paris punk des 70’s. Le Temps des grâces de Dominique Marchais. Documentaire lumineux de clarté et de rigueur.

Marco Mancassola La Vie sexuelle des superhéros Vrai-faux polar, parodie de comicbook, fresque désenchantée : le roman le plus original de cette rentrée.

Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer Un “roman noir” de la chaîne de production de la viande.

L’Ile aux cent mille morts de Jason et Fabien Velhmann La BD de pirate revisitée avec humour par un étonnant duo.

Renée de Ludovic Debeurme Sur l’ordinaire monstruosité des hommes, la poésie unique de Debeurme.

Kamui-Den de Shirato Sanpei Le parcours de trois enfants du XVIIe siècle pour mieux parler du Japon des sixties.

La Fin (Koniec) mise en scène Krzysztof Warlikowski Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris. Avec un montage de textes, Warlikowski questionne son parcours d’artiste.

Parcours Trisha Brown Festival C’est de la danse contemporaine, Toulouse Plongée dans les années 80 au cœur de l’œuvre de la chorégraphe américaine Trisha Brown.

Identité texte et mise en scène Gérard Watkins Théâtre de la Bastille, Paris Pris d’une nausée identitaire, les personnages crèvent dans un monde qui transforme l’obscène en politiquement correct.

Emma Nathan

Comment savoir de James L. Brooks Une intelligence hors pair dans l’entendement des sentiments humains. Une splendeur.

de Gus Van Sant Les films qui traitent chaque plan comme une œuvre d’art m’inspirent énormément. J’adore celui-ci, sa cinématographie, son originalité, le jeu de River Phoenix.

Anna Calvi Anna Calvi sera en concert le 8 février et le 22 avril à Paris, le 29 mars à Metz et le 30 à Dijon.

Claude Rutault Exposition-suicide Galerie Emmanuel Perrotin, Paris Des toiles de la même couleur que le mur où on les accroche : humour et radicalité.

Matti Braun Salo La Galerie, Noisy-le-Sec L’Allemand crée le trouble par ses hybridations de formes et son rappel constant de la porosité entre les événements, les cultures et les époques.

Denis Savary La Ferme du Buisson, Noisiel Le Suisse tire les ficelles d’une exposition conçue sur le modèle de la maison de poupée. A l’échelle 1.

Ghost Trick – Détective fantôme sur DS Singulière expérience ectoplasmique et intellectuelle dans un magnifique monde en 2D.

Cave Story sur Wii, PC et Mac Univers SF foutraque, graphisme kawaii et aventures palpitantes.

Gray Matter sur Xbox 360 et PC Aux limites du surnaturel, virée à Oxford en compagnie d’un savant travaillant sur le psychisme. Très singulier.

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