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No.780 du 10 au 16 novembre 2010

au nouve

2.50€

films de filles

le cinéma change de sexe Léa Seydoux

M 01154 - 780 - F: 2,50 €

d’Action directe à la prison : témoignage dossier high-tech

le geek c’est chic

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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j’ai pleuré la défaite d’Obama avec

a se passe à l’hôtel Bristol, notre deuxième maison depuis que la plupart des stars américaines ont décidé d’y donner leurs interviews en mangeant des macarons. On raconte à Denzel Washington que de notre point de vue, l’histoire d’Unstoppable, le film de Tony Scott (lire critique page 91) dont il est venu faire la promo, n’est pas seulement celle du sauvetage d’un train fou qui menace de zigouiller une ville entière de Pennsylvanie. Et si ce train fou était celui de la finance devenue incontrôlable ? L’acteur nous impose un léger silence embarrassant, suivi d’un rire sonore décoiffant. “Ah, je n’y avais jamais pensé ! Le train de la finance qui vrombit à travers l’Amérique. Oui, c’est ça ! Vous avez eu trop de temps pour y réfléchir.” Piqué au vif, on envisage de questionner la superstar aux deux oscars (meilleur second rôle pour Glory en 1990 et meilleur acteur en 2002 pour Training Day) sur l’approche de la retraite. Juste pour l’énerver. Après tout, son personnage dans le film est sur le point de plier les gaules. Mais Denzel adoucit l’atmosphère avec son exceptionnel sourire Ultrabrite. Le smile qui tue. Même l‘attachée de presse américaine qui rédige ses mails nerveusement dans un coin de la pièce, tout en vérifiant qu’on ne pose pas de questions inconvenantes (t’as pas pris un peu de bide, Denzel ?), semble disposée à laisser passer n’importe quoi le temps de ce sourire. L’acteur reprend tranquillement. “Oui, le film dresse le portrait d’une Amérique populaire qui lutte contre les grandes corporations. Dans certains endroits où nous avons tourné, le taux de chômage était de 70 %.” La conscience ouvrière du cinéma américain existe donc. Depuis le début de sa carrière sur grand écran dans les années 1980, Denzel Washington a joué de manière répétée des hommes sans qualités. Dernièrement, cela ressemble presque à un motif. “On ne m’a jamais demandé d’être un superhéros. Tant mieux, j’aime les mecs normaux. Ado, j’ai bossé

C

“le cœur de la politique américaine est toujours dirigé par des Blancs”

Ian Daniels/Startraks/Abacapress

Denzel Washington à la Poste. J’ai ramassé les poubelles. J’attends maintenant de mon métier des aventures.” S’il travaille souvent avec les mêmes (cinq films avec Tony Scott, quatre avec Spike Lee), Denzel Washington confesse son désir de tourner avec Scorsese, Gus Van Sant, Tarantino. Joli trio. Dans un Hollywood chloroformé, regrette-t-il, à l’image de nombreux créateurs actuels, la liberté créative mythique qui régnait durant les années 1970 ? Un ange passe. “Non ! Les Noirs ne travaillaient pas à Hollywood durant les seventies. Pas de liberté pour moi !” Denzel a rangé son sourire. Il faut dire que nous sommes le 3 novembre, lendemain de la défaite de Barack Obama aux élections de mi-mandat. Comment prend-il ce retour de bâton ? “Le cœur de la politique américaine est toujours dirigé par des Blancs. L’espoir, c’est que les petits Noirs, Hispaniques ou Asiatiques de 5 ans peuvent se dire maintenant qu’ils ont une chance d’arriver en haut.” Mais que paie Obama ? “D’abord, le peuple a tendance à reprendre le pouvoir qu’il a donné. Ensuite, la question raciale demeure. Les gens n’arrivent pas à s’y faire. Depuis quatre cents ans en Amérique, les Noirs ont été programmés par l’esclavage, les Blancs par l’esclavagisme. Indéniable. Enfin, le peuple n’a pas de boulot. Les démocrates ont poussé jusqu’au bout la réforme du système de santé. Même si elle est utile, ceux qui ont faim n’en ont rien à faire de leur santé. Je n’ai pas besoin de santé, puisque je n’en ai aucune.” Denzel a dit “je” naturellement. Sincérité ou déformation professionnelle ? Pas le temps de le questionner. Juste un moment pour demander comment il voit l’Amérique des prochaines années. “Clinton a réussi à se faire réélire, pourquoi pas Obama ? La pression est sur les républicains. J’espère qu’on évitera un blocage du pays pendant deux ans, comme certains le redoutent.” Olivier Joyard

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No.780 du 10 au 16 novembre 2010 couverture Léa Seydoux par Patrick Swirc maquillage/coiffure Go Miyuki stylisme Aurélien Storny assisté d’Ann So. Combinaison en cuir “biker” Jean-Claude Jitrois, chaussures Marc by Marc Jacobs

05 quoi encore ? Denzel Washington

10 on discute courrier + édito de Serge Kaganski

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement l’Etat espionne-t-il les journalistes ?

30

18 photosynthèse 20 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

Patrick Swirc

le Festival Les Inrocks Black XS

21 nouvelle tête Melchior Derouet

22 ici le “mur des expulsés” en Turquie, restrictions sur le net

26 parts de marché The Independent lance le titre i

47 Denis Darzacq/Agence Vu

24 ailleurs

28 à la loupe Fergie, glamour en fuite

30 Léa Seydoux, fille de cinéma et cinéma de filles le cinéma français est-il en train de changer de sexe ?

41 PS, des promesses ou pas ?

50

les socialistes veulent rester crédibles les politiques en quête de défaites

45 presse citron revue d’info acide

Hugues Lawson

43 que le meilleur perde

46 propagenda UMP, la fabrique de l’info

47 contre-attaque

58

de l’urgence de décélérer

48 débats d’idées étrangers sans condition

Roborock

50 weh, samdi chui a chatlet la jeunesse de Paris et de banlieue converge aux Halles. Immersion

58 spécial high-tech & geek dans les années 1980, on se moquait de lui. Aujourd’hui, le geek est un héros

74 mes années prison 78 Mark Ronson, producteur hip il a produit Amy Winehouse ou Lily Allen. Son nouvel album rêve des eighties

Philippe Garcia

l’ancien d’Action directe Régis Schleicher a passé 26 ans en prison. Il sort un livre

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86 Le Braqueur de Benjamin Heisenberg

88 sorties cinémas Potiche, Rubber, Belle épine, Commissariat, Unstoppable…

94 livre/expo Jacques Demy célébré

96 DJ Hero 2 + Medal of Honor…

98 Die Antwoord le nouveau son rap vient du Cap

100 mur du son Feist, Saint Etienne, Public Enemy, The Feelies, festival Africolor…

101 chroniques Cocoon, Sun Ra, Patrice, The Bees, The Count & Sinden, Kings Of Leon…

109 morceaux choisis Mansfield.TYA…

110 concerts + aftershow Ray Davies

112 Louise Bourgeois l’artiste face à Eugénie Grandet

114 chroniques romans/essais Frederick Busch, Pierre Zaoui…

116 tendance Hollywood, monde virtuel

118 agenda les rendez-vous littéraires

120 bandes dessinées le Japon 70’s de Masahiko Matsumoto

122 Phil Darwin Nianga + Edit Kaldor, Julie Nioche…

124 Samuel Richardot + Didier Marcel

126 Anna Dello Russo + semaine critique de la mode

128 Patrice Chéreau une vie sur les planches

130 Renaud Girard reporter en Afghanistan

131 l’influence des médias ont-ils trop de pouvoir ?

132 séries Sons of Anarchy, la saga des bikers

134 télévision Stéphane Hessel, éternel militant

136 la revue du web décryptage

137 vu du net les Français favorables à l’euthanasie

138 best-of le meilleur des dernières semaines

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs Emily Barnett, Guillaume Belhomme, Patrice Blouin, MichelAntoine Burnier, Clélia Cohen, Michel Despratx, Amélie Dubois, Jean-Baptiste Dupin, Pascal Dupont, Vincent Ferrané, Philippe Garcia, Jacky Goldberg, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Laurent Laporte, Judicaël Lavrador, Hugues Lawson, Jean-Philippe Leclaire, Thomas Legrand, Géraldine de Margerie, Léon Mercadet, Philippe Noisette, Vincent Ostria, Olivier Père, Guillaume Perrier, Elisabeth Philippe, Jérôme Provençal, Emilie Refait, Philippe Richard, Axelle Ropert, François Rousseau, Patrick Sourd, Patrick Swirc lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Caroline Fleur, Thi-bao Hoang, Jérémy Davis conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65

service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un encart “Cinémathèque Albatros” dans l’édition abonnés Paris-IDF ; un supplément 8 pages “Jean Genet” encarté dans l’édition abonnés et kiosques Paris-IDF ; un supplément 8 pages “Sibérie inconnue” encarté dans l’édition abonnés Paris-IDF et dpts Rhône-Alpes, et dans l’édition kiosques des dpts Rhône-Alpes ; un supplément 24 pages “Festival GéNéRiQ” encarté dans l’édition abonnés Paris-IDF et des dpts du Grand-Est

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Pour moi, Florent Marchet, c’est mon meilleur concert de l’année. C’était en juin à la Rosière de Pessac. Chansons sublimes et présence énorme. Chapeau.

l’édito

le cancer néolibéral

Serge Kaganski

velvet72, lu sur lesinrocks.com

Renaud Monfourny

En une sorte de baroud de la dernière chance pour relancer l’économie américaine, Ben Bernanke, président de la Fed, a actionné la planche à billets pour y injecter 600 milliards de dollars. Cela a fait les manchettes de la presse. Danger !, hurlent des économistes, qui voient se profiler là du “Madoff à la puissance cent mille” (PierreAntoine Delhommais, Le Monde du 6/11). Ce qui a moins fait les unes, c’est une tribune signée Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche (“Campus américains : le français en déclin”, encore dans Le Monde du 1er/11), constatant deux nouveautés inquiétantes dans le système universitaire US : la sécurité professionnelle des enseignants s’érode et les départements non rentables (comme les langues étrangères) sont supprimés. Les auteurs craignent un devenir orwellien de l’éducation. Quel rapport entre ces deux nouvelles ? Le néolibéralisme, qui détruit les économies et reformate les consciences, corrode la prospérité collective et les cerveaux, nous entraîne vers un cauchemar techniciste où les êtres sont les variables d’ajustement des gigantesques profits d’une minorité. Le 17 novembre sortira sur les écrans français Inside Job, un documentaire de Charles Ferguson, qui fait lui aussi le lien entre la corruption de la finance et celle de l’enseignement. Un exposé limpide des temps que nous vivons, depuis les origines, en 1980, avec l’arrivée de Reagan ouvrant l’ère de la dérégulation, jusqu’aujourd’hui, où l’on retrouve dans l’administration Obama des responsables (et profiteurs) de l’écofinance dérégulée, dont Ben Bernanke. Conclusion : Wall Street a phagocyté Washington et Harvard. Dirigeants politiques, leaders financiers, agences de notation et (certains) enseignants de haut niveau se partagent un gâteau dont le levain est un mélange de cupidité, de virtuosité mathématique et d’impunité. Dégâts directs : des millions de citoyens américains à la rue, des zones économiques et des pays qui vacillent. L’auteur d’Inside Job n’est ni Mélenchon ni Bakounine, mais un pur produit de l’élite américaine. Nul besoin d’être marxiste ou anticapitaliste pour saisir l’absurdité criminogène du système actuel et appeler au rétablissement d’une régulation financière internationale cohérente et coercitive, sans laquelle ce système implosera ou explosera (et nos sociétés avec), tôt ou tard.

Richard Yates et “Les Noces rebelles” de Sam Mendes

Jonathan Krohn, 15 ans, Américain, conservateur

J’ai vu le film de Sam Mendes : j’ai pleuré, beaucoup pleuré. Pour la première fois, j’ai vu une Kate Winslet transfigurée, et un Leonardo DiCaprio à son acmé. Plus rien ne m’étonne désormais de lui, c’est un acteur hors norme (Les Infiltrés, Gangs of New York, Aviator, incontournable Inception). Quant à Kate Winslet, elle m’a envoutée. Il n’y a rien à ajouter, il faut voir le film pour comprendre. Car c’est indescriptible. Tout cela pour vous dire que du coup je me suis appropriée le livre de Richard Yates, mais que je n’ai toujours pas réussi à le finir puisque sans cesse des images du film viennent ponctuer ma lecture et me plonge dès lors dans une réflexion infinie.

C’est le symbole de la décadence, de la médiocrité, de l’empoisonnement public : ou comment une bande d’incultes abrutis se retrouve ébahie devant un ado de 15 ans, déjà un peu moins attardé qu’elle. Entre lire et comprendre il y a tout un monde, et lire pour lire me semble peu d’affaire. Pour quelqu’un qui se réclame de l’empirisme en tout cas, tant d’innéisme est paradoxal. Ça lit trois livres et ça se prend pour Montaigne. Ce raccourci est à l’image de notre société où l’on érige des statues (…) sans attendre que la personne fasse ses preuves, jusqu’à tout galvauder, tout stariser (…). Ceux qui à l’époque avaient le goût parfait appelaient cette espèce des pédants. apay, lu sur lesinrocks.com

gsfdn, lu sur lesinrocks.com

reality star Je me souviens d’un temps pas si lointain où NBC lançait le concept de reality show où un inconnu pouvait gagner le droit de se présenter aux élections présidentielles avec tout le budget pour faire campagne. Dès lors, rien d’étonnant à voir Jonathan Krohn parfaitement préparé à devenir une machine politique géniale et si fascinante pour les Américains. Le show avant tout le reste. folkdeath, lu sur lesinrocks.com

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction

le mot

François le Gaucher

Martine Aubry ? Incontournable. Ségolène Royal ? Incontournable. Incontournables aussi les produits financiers, Jean d’Ormesson, une injure d’automobiliste comme “connard”, la porte de Brandebourg, pourtant contournée par des milliers de Berlinois à la chute du Mur, et Lady Gaga elle-même, qui a hélas contourné Paris et ses grèves. L’adjectif est récent : d’après Le Petit Robert, il date de 1967 dans son sens propre. Au sens figuré, il apparaît en 1982. Il fit florès : les médias l’utilisèrent avec frénésie pendant plus de dix ans. Puis il disparut ou presque. Etait-ce parce qu’un jour, un journaliste intelligent avait contourné physiquement sur un plateau de télévision un personnage prétendu incontournable ? Le mot revient en force aujourd’hui. Pourquoi ? Mystère. Un sentiment de fatalité ? Que veut dire incontournable ? Simplement essentiel, important, difficile à remplacer et, dans les meilleurs cas, indispensable.

Bertrand Guay/AFP

[incontournable]

Matignon Academy Un président qui annonce en juin un remaniement pour l’automne, c’était déjà une première. Mais le chef de l’Etat a fait mieux en lançant la Matignon Academy : depuis des mois, les prétendants à la succession de Fillon défilent pour décrocher le gros lot. La machine à pouvoir se transforme en machine à broyer du premier-ministrable sous les caméras. Sarkozy s’est-il piégé tout seul ? C’est le temps du chouchou tournant, éphémère. Duel en premier plan : Borloo versus Fillon. Mais l’autre jour à Troyes, ce fut Baroin. Et si un sondage surprise remettait MAM en pole position ? Et si un lapin magique type Bruno Le Maire jaillissait du chapeau du maestro ? Certains parient sur le retour de Juppé. Mais pourquoi pas Guéant ? Des témoins en témoignent : Sarkozy jouit du spectacle de la course des rats. Attention : profit non garanti. D’abord, Fillon, à qui Sarkozy avait demandé de montrer son envie de rester, lui a joué un joli tour : il faut de la continuité pour réformer. Le piège se referme ? Pour réformer, Sarkozy est obligé de garder Fillon. En fait, c’est presque Fillon qui garde Sarko. Et l’UMP ne veut pas de Borloo qui pourrait aller monter ailleurs sa fédé de centre-droit…

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l’image

Photomasi/Bureau 223

Fotogramma/Andia

Photomassi/JBVNews

Kristy Sparow/wireimage

Mash-Photography

Pour huit Français sur dix, le remaniement ne permettra pas à Sarkozy de retrouver leur confiance. Pour que Fillon parte, tapez 1, pour que Borloo reste, tapez… hola Rubio ! On connaissait les Grizzly Mothers, clones de Sarah Palin voici le beau gosse du Tea Party : Marco Rubio, le charme latino en plus, le genre frais rasé propre sur lui. Fils d’exilés cubains, le voici sénateur de Floride. Il se présentait contre un républicain old school, Charlie Crist. Il a crucifié Crist avec 49 % des voix contre 30 %. coup de foudre Ryan Leslie doit-il sa popularité récente en France à sa collaboration avec Booba ? Toujours est-il que son concert le 4 novembre à l’ElyséeMontmartre à Paris était plus que complet. Un pèlerinage pour les admirateurs de cet ancien élève de Harvard, ex de Cassie et compositeur injustement méconnu ici. Dans la foule compacte, des durs à casquettes et des teddys chantonnaient en chœur les paroles d’un lover-Leslie en forme et ravi de parler français. Ryan, Paris te fait un gros câlin. ciné89 Découverte, au cinéma le Grand Action à Paris, de La rue est à eux, tout premier film de la critique du Monde Isabelle Regnier : tourné avec les journalistes et les internautes du site Rue89, le film raconte, dans un faux bordel en réalité très construit, les grandeurs et les misères de la presse en ligne naissante, la vie quotidienne des obscurs journalistes de terrain, mais aussi la nouvelle tyrannie qui s’est substituée à celle de la vente des journaux : celle du nombre de clics.

fumé le Berlu !

Stéphane Lagoutte/MYOP

Des putes, des mineures, de la dope : Berlusconi est en pleine forme.

jeunes pols En 2005 comme en 1965, on disait les jeunes (18-29 ans) dépolitisés. Ça a bien changé. Cet automne, si un sur dix seulement est membre d’un parti poltique, un sur deux a déjà participé à une manif. Ça s’explique. Chaque année, 150 000 élèves sortent de l’école sans diplôme. Pour les autres, le sésame ne protège ni du chômage ni du déclassement. Les demandeurs d’emploi de moins de 25 ans n’ont jamais été si nombreux, 23 % de leur génération. L’avenir est “prometteur” pour 25 % (contre 60 %

Dernier missile dans le canardage anti-Berlusconi, tiré par la presse italienne le 3 novembre : une nouvelle pute, Nadia Macri, qui cette fois parle de dope. De la marijuana apportée à la villa de Sardaigne par le jet privé de Berlu. Elle a balancé devant un juge de Sicile. De l’herbe plein les piaules pour elle et vingt-cinq autres filles. Non, elle n’a pas vu Berlu fumer des joints. Mais elle l’a vu baiser dans la piscine avec une fille de 17 ans. Rien d’illégal d’ailleurs : en Italie, la majorité sexuelle est à 14 ans. Berlu se défend. Toutes ces histoires sont inventées par la Mafia pour se venger parce qu’il lutte contre elle. Gianfranco Fini, le président de la Chambre des députés, qui a fusionné il y a deux ans son Alliance nationale avec le Forza Italia de Berlu, a demandé publiquement son départ. Mais quelque chose nous dit que cette histoire est loin d’être finie, Gianfranco.

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Vincent Ferrané

le moment

au Danemark, 54 % aux Etats-Unis et 36 % en Allemagne). 47 % souhaitent créer un jour leur entreprise : y aurait-il deux peuples de jeunes bien tranchés ? Ou bien y a-t-il de futurs patrons dans les manifs ? En croisant ces derniers sondages, il saute aux yeux qu’un futur entrepreneur sur deux ne se voit pas un avenir “prometteur”. Hadopirouette D’après un sondage BVA pour La Tribune, l’Hadopi a fait baisser le piratage. 53 % des pirates ont réduit ou stoppé leur activité. Mais La Tribune relativise : le résultat ne porte que sur les 17 % des sondés qui admettent avoir téléchargé illégalement. Le quotidien s’interroge sur les 83 % restants : ils n’ont pas internet, ils sont inconscients de l’illégalité du téléchargement (sur certains sites comme Megaupload) ou ils mentent ? tendance poilu Le 11 novembre est toujours l’occasion de replonger dans la guerre de 1914. Mais pourquoi, s’est demandé l’historien Nicolas Offenstadt. Dans 14-18 aujourd’hui, la Grande Guerre dans la France contemporaine (Odile Jacob), il analyse les ressorts de la fascination. Depuis dix ans, on ne compte plus les films, romans, pièces de théâtre et BD qui s’emparent du mythe. Le poilu est tendance, il n’est pas mort dans le cœur des Français.

1 minute et 29 secondes de délibération

Enfin, Michel Houellebecq se voit reconnu par les jurés du Goncourt. Soulagement général : Houellebecq a remporté le prix Goncourt. Pour son roman le plus total, aussi subversif que les précédents mais moins sulfureux. “C’est celui où j’ai fait le plus d’efforts de fluidité de lecture, de suavité…”, déclarait Houellebecq à propos de La Carte et le Territoire, en recevant le prix Goncourt, le 8 novembre. Rarement dans l’histoire des prix, un Goncourt aura été aussi attendu et espéré pour un auteur. Ce lundi, l’émotion était à la hauteur d’un sentiment que nous sommes nombreux à partager, celui d’une injustice enfin réparée. “Je suis quelqu’un qui oublie les mauvaises choses”, a précisé Houellebecq, en plus de se dire très content. En effet, le jury avait par deux fois refusé de le lui attribuer pour des romans pourtant importants (Les Particules élémentaires en 1998, et La Possibilité d’une île en 2005). Que l’institution ignore encore l’un de nos plus grands écrivains pour récompenser des livres mineurs n’aurait certes pas été bien neuf, mais aurait fini par relever de l’acharnement. Enfant et adolescent, l’écrivain s’était “mis à penser qu’il y avait une littérature contemporaine au moment du Goncourt. Ça sert à ça”. Pourvu que le jury s’en souvienne encore longtemps.

big in Japan Pendant qu’un A380 battait de l’aile jusqu’à l’aéroport de Singapour, un autre atterrissait les doigts dans le nez à Tokyo. A bord, une poignée de musiciens français (The Shoes, Alb, Mister Mister) invités par Air France à composer des morceaux pendant le vol, puis à jouer le lendemain dans une salle de la ville. Dans Shibuya, un des quartiers groovy de la ville, les yeux brillent. Première soirée à la coule dans un petit bar avec les musiciens. Et c’est dingue, mais en deux heures, la sono du bar passera un morceau d’Alb et un autre de The Shoes remixé par Monsieur Monsieur. Impossible de connaître le pourquoi du comment de cette improbable coïncidence : les barmen ne parlent pas anglais au Japon. tout Eddy Samedi soir. Dernière date de la série de concerts d’adieux d’Eddy Mitchell à l’Olympia. Le public est un peu celui des Chiffres et des lettres, mais la classe et la voix d’Eddy sont intactes. Sur la route de Memphis, Couleur menthe à l’eau, La Dernière Séance et Le Cimetière des éléphants entrent au panthéon de la chanson française, avec brio et brillantine. Monsieur Eddy donnera encore quelques concerts au palais des Sports en mars, puis ce sera la retraite, à 69 ans. L. M., B. Z., avec la rédaction

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… Bernard Squarcini, le directeur de la Direction centrale du renseignement intérieur, ont-ils organisé la surveillance des m édias ?

l’Etat a-t-il ouï ou non ? Le Canard enchaîné et Mediapart l’affirment : l’Etat espionne les journalistes. Affolé par l’affaire Woerth-Bettencourt et les soupçons pesant sur le financement de la campagne de Balladur, le pouvoir tenterait d’étouffer des révélations. n-con-trô-la-ble ! Jusqu’où vont aller les retombées nucléaires de l’affaire Bettencourt ? En plus du front judiciaire, déjà bien sanglant, s’ouvre un deuxième front à couteaux tirés : la guerre entre le clan Sarkozy et certains médias. Le Canard enchaîné et Mediapart accusent l’Elysée de surveiller illégalement les journalistes qui enquêtent sur les affaires Bettencourt et Karachi. Le Canard a tiré le premier en désignant Nicolas Sarkozy lui-même en ordonnateur du flicage. Selon son rédacteur en chef

I

Rémi Ochlik/IP3/Maxppp

Witt/Sipa

Claude Guéant ou…

Claude Angeli, une petite unité serait dévolue à cette tâche au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dirigée par Bernard Squarcini. Le Canard précise que “ce rôle ne plaît guère à Squarcini”, qui aurait mieux à faire avec le terrorisme mais qui “se doit d’obéir et de passer à l’acte”. Edwy Plenel, le patron de Mediapart, soutient que l’espionnage est piloté par Claude Guéant. Le secrétaire général de l’Elysée et le patron de la DCRI vont porter plainte. “Un procès serait une bonne occasion de défendre la liberté de l’information face à un pouvoir qui n’a cessé de la piétiner”, a déclaré Plenel à l’AFP. “Ce n’est pas le genre du Canard de baisser le bec, ni celui de Mediapart, ces plaintes servent à intimider la presse en général”, répond Angeli. Sarko, superviser directement l’espionnage des journalistes ? Un peu gros, estiment les sceptiques. Dans les bureaux refaits à neuf du Canard enchaîné, Claude Angeli répond calmement : “Le Canard ne s’engage pas dans une polémique, comme ça, sans savoir où il va.” Ses informations ont recoupé les soupçons des journalistes de Mediapart Fabrice Lhomme et Fabrice Arfi. Ils affirment avoir été pistés et géolocalisés en mars-avril grâce à leurs téléphones

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portables. Ils achevaient leur enquête sur les rétrocommissions qui auraient servies selon eux à financer la campagne d’Edouard Balladur en 1995. Dans Le Contrat – Karachi, l’affaire que Sarkozy voudrait oublier (Stock), ils impliquent Sarkozy, à l’époque ministre du Budget, puis directeur de campagne de Balladur. “Sarko baisse dans les sondages, l’affaire Woerth-Bettencourt est un sac de merde, l’éventualité de rétrocommissions est un dossier emmerdant”, estime Claude Angeli avant d’ajouter : “Le procureur Courroye a été un moyen de protection jusqu’à un certains temps, la deuxième étape : ennuyer les journalistes.” Nous voilà ramené vingt-cinq ans en arrière, quand François Mitterrand avait fait installer une cellule d’écoutes téléphoniques directement à l’Elysée. Une affaire qu’Edwy Plenel connaît bien pour avoir été une des personnes les plus écoutées. Fabrice Lhomme, enquêteur depuis vingt ans, est inquiet : “C’est un retour en arrière, j’avais l’impression qu’après les écoutes de Mitterrand ça avait changé, mais ça s’aggrave.” Aujourd’hui, il n’est pas encore question d’écoutes à proprement parler, mais d’interception de “fadettes” (contraction de factures détaillées) de téléphone. Contrairement aux écoutes, elles ne prouvent pas que des informations aient été échangées. En revanche, elles permettent de connaître les interlocuteurs des journalistes. Grâce aux fadettes de David Sénat, la DCRI a su que le conseiller de la garde des Sceaux avait discuté avec l’enquêteur du Monde Gérard Davet. Soupçon de tuyautage ? Mutation ! Suite à cette sanction, Le Monde a déposé le 20 septembre une plainte contre X pour violation du secret des sources dans l’affaire Woerth-Bettencourt. De même, le journal estime que le procureur Courroye, sur la base de fadettes de deux de ses journalistes, a cherché à dessaisir la juge Isabelle Prévost-Desprez pour “violation du secret de l’instruction”. Après avoir reconnu une enquête sur l’origine des rumeurs autour d’une liaison entre Carla Bruni et le chanteur Benjamin Biolay, Squarcini a admis avoir enquêté sur

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“j’avais l’impression qu’après les écoutes de Mitterrand ça avait changé, mais ça s’aggrave” Fabrice Lhomme, Mediapart David Sénat, mais pas sur les journalistes. “Dans toute cette histoire, on joue sur les mots, s’indigne Fabrice Lhomme, enquêter sur les sources revient au même qu’enquêter sur les journalistes.” Ces enquêtes s’ajoutent à celle menée au Quai d’Orsay après une plainte contre X de Bernard Kouchner en 2009 suite à des fuites dans Le Canard. La DCRI a mené des interrogatoires pour découvrir qui fournissaient des infos confidentielles, faisant régner une ambiance délétère dans les couloirs du ministère. Parallèlement, on a appris que trois cambriolages avaient touché des journalistes enquêtant sur l’affaire Bettencourt : vol d’un ordinateur et d’un GPS chez Gérard Davet, vol de l’ordinateur d’Hervé Gattegno au Point et de deux ordis à Mediapart. Selon Le Canard, “ces opérations pourraient avoir été confiées à des officines”. Des cabinets d’enquête privés, sous-traitants de l’ombre de l’espionnage aux pratiques illégales (hacking, écoutes…), composés d’anciens policiers ou agents des services secrets. C’est aussi l’avis de Fabrice Lhomme. “Nos enquêtes dérangent beaucoup d’intérêts financiers qui peuvent faire appel à des officines”, estime-t-il. Fadettes, géolocalisations et cambriolages ultra voyants ont le même but pour Lhomme et Angeli : intimider les sources. Dissuader tous les petits David Sénat en herbe de se sentir des velléités d’émancipation. Les conséquences se font déjà sentir. “Certaines personnes ne nous prennent plus au téléphone mais privilégient le tête-à-tête”, raconte Lhomme. Renforcer la protection des sources étaient pourtant une promesse de campagne de Sarkozy, avec une loi votée début 2010. Mais ses termes restent flous. Il est stipulé que le secret peut être levé en “cas d’impératif prépondérant d’intérêt public”. Il semblerait que le bien-être du clan Sarkozy en soit un.

“Je ne vois pas en quoi cela me concerne”, a répondu Nicolas Sarkozy interrogé sur les cambriolages. “Il se mêle de tout, contrôle tout et tout d’un coup joue les empotés, rétorque Claude Angeli. Pourquoi n’a-t-il pas dit : ‘Les coupables seront punis’, comme il le fait à chaque fait divers crapuleux ?” Il n’est pas de bon ton au gouvernement de défendre la presse. Les ministres se sont relayés pour qualifier Mediapart de site “fasciste” après la publication des accusations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt. “Des trucs ont fuité dans la presse, ajoute Lhomme, un hebdo a été contacté pour enquêter sur des prétendus ennuis fiscaux d’un de nos actionnaires.” L’article du Canard a également déclenché une réaction en chaîne. “Totalement farfelu” pour l’Elysée. Des “allégations grotesques” pour le porte-parole Luc Chatel. Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, a déclaré : “Ce n’est pas la première fois que Le Canard enchaîné est pris en flagrant délire.” Brice Hortefeux sur France 2 : “Il n’y a pas de police politique dans notre pays (…) c’est une plaisanterie. Vous savez, la DCRI, ce n’est pas la Stasi ou le KGB (…).” “Fantasme” pour MAM. “Vieux fantasme français” pour Nathalie KosciuskoMorizet. “On assiste à une mobilisation générale complètement folle, souffle Claude Angeli avant d’ajouter : A qui le tour : Amara, Besson ? Mais quand on a sorti en 2005 que Sarkozy avait été placé sur écoute, là ce n’était pas farfelu !” Selon Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters sans frontières, à ce climat d’intimidation il faut ajouter les procédures judiciaires contre les journalistes : mises en examen, gardes à vue, perquisitions. Nicolas Sarkozy a donné l’exemple en étant le premier président à porter plainte contre un média (l’affaire du SMS du nouvelobs.com) depuis Pompidou (pour une histoire de droit à l’image). Des journalistes contactent Julliard pour connaître les risques de certains sujets – trafics, affaires de pédophilie… Par crainte, explique-t-il, “que le juge demande des rushes ou veuille identifier les sources”. Dans son dernier classement sur la liberté de la presse, RSF classe la France 44e. Depuis 2002, elle a perdu 33 places. Anne Laffeter

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7/11. Katerine troque sa banane pour une pomme dans les coulisses de la Cigale

les Inrocks en scène Sur scène ou en coulisses, déjantés ou plus sages, retour sur des moments forts du Festival Les Inrocks Black XS. par Johanna Seban photo Pierre Le Bruchec 6/11. Bus Palladium

6/11. Nerveux et efficace, le set des Californiens de Local Natives, héritiers des Talking Heads

Dans le public : Gaspard de Justice et David d’I Am Un Chien 18 les inrockuptibles 10.11.2010

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Chaude ambiance au Bus Palladium, qui accueillait les aftershows du Festival 4/11. Grand-messe folk-rock lors du concert des Texans de Midlake, à la Cigale 6/11. La cold-pop enivrante des Californiennes de Warpaint s

4/11. A la Boule Noire, concert vertigineux d’Anna Calvi

5/11. L’ex-Libertines Carl Barât dans les couloirs de la Cigale 10.11.2010 les inrockuptibles 19

6/11. Bus Palladium

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Damon Albarn et Flea

retour de hype

“J’ai perdu ma dignité contre deux tickets boisson”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Lil Wayne

Christine Lagarde

“Nan mais vazy laisse-moi manger ma banane, tain”

le marché de Noël

Zach Galifianakis George Bush le PSG

Grandaddy

“C’est quel degré d’alcool les Mon Chéri en fait ?”

“T’as écouté le duo Rihanna/ Bon Jovi ?”

Shaquille O’Neal

les moustiques

au sommet : pour Halloween il livrait sur internet une interprétation toute personnelle de Sweet Dreams de Beyoncé, déguisé en bonnasse. Sublime. “T’as écouté le duo Rihanna/ Bon Jovi ?” Les deux ont fait un truc ensemble et on préfère pas l’entendre en fait.

Sans lien d intersection

Damon Albarn et Flea En même temps qu’il planche sur un nouvel album de Gorillaz, Damon Albarn annonce répéter avec son nouveau groupe composé de Tony Allen et de Flea des Red Hot. Pourquoi pas. Lil Wayne L’autoproclamé “best rappeur alive” est sorti de prison et on est bien contents. Shaquille O’Neal est

Impian

“Qui veut épouser ma grand-mère ?”

billet dur

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her Pierre Sled, Moi qui te prenais pour un copain Davant ! Un grand couillon un peu collant qui, dans les mariages, si on le pousse un peu, va nous faire Hotel California des Eagles à la guitare. Et si on le pousse encore, va finir par nous jouer un vieux Dire Straits des familles. Et si on le pousse encore un peu, va finir tout habillé dans la piscine avec sa gratte de merde ! Bref, un Assurancetourix rock FM, inoffensif et sympa, du genre à accompagner les enfants au sport le week-end et à faire un crochet par Carrefour derrière. A voter centre-droit mais à trouver qu’“il y a du bon des deux côtés, et Sarko on peut lui reprocher plein de choses mais il a le courage de la réforme, on a pris des places pour Marc Lavoine, tu veux une Tourtel ?” Avec Madame, vous formiez

ainsi aux yeux de tous un couple témoin de petits beaufs exemplaires comme les adore Guillaume Canet, une fusion idéale entre l’ami Ricoré et miss Maaf. Alors, quelle stupéfaction de vous découvrir aujourd’hui en Bonnie & Clyde du PAF ! Les rumeurs que je colporte valent ce qu’elles valent mais on dit que c’est toi, Pierrot le Fou, qui aurait glissé 30 grammes de coco dans les chaussettes de Delarue pour qu’il se fasse serrer et que Soph’ lui pique sa place. Et puis là, bingo, Pierrot Gourmand, tu viens de te faire bombarder conseiller aux programmes de France 3 grâce au nouveau DRH de France Télés, tu sais, le type qui a le courage de la réforme. La chaîne présidentielle, c’est quand même plus confort que La Chaîne parlementaire, pas vrai ? Chapeau mec, pour un ancien de Stade 2 tu t’en sors mieux que Lionel Chamoulaud. Je t’embrasse pas, j’ai piscine. Christophe Conte

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Melchior Derouet Dans sa nouvelle création, Rodrigo García met cet acteur aveugle face à un défi a priori impossible : jouer un critique d’art.

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cteur et aveugle, Melchior Derouet revendique une passion pour les danses de salon, la valse et le rock, ou l’amour du sport, l’équitation, la voile et même le ski qu’il pratique guidé par radio avec un moniteur. A 28 ans, il fête ses vingt ans de carrière, ayant découvert son métier d’acteur, enfant, sous la houlette d’Ariane Mnouchkine et de la troupe du Théâtre du Soleil.

Aujourd’hui, pour le passage à la scène d’une commande d’un texte en braille, Rodrigo García trouve en lui la perle rare capable de commenter une fresque de Masaccio, datée du XVe siècle, sans que cela lui pose de problème. Car Melchior Derouet a développé une autre façon de voir : “J’ai vu cinq fois Mort à Venise et j’aime la gamme des gris à travers laquelle Visconti évoque le brouillard. Je vais

aussi voir les expos de peinture ; les couleurs, le grain d’une image sont des choses que le corps peut appréhender.” En affirmant que le corps est capable de synthétiser des images, Melchior n’a qu’une maxime : qui vivra verra. Patrick Sourd photo Christian Lartillot C’est comme ça et me faites pas chier Festival d’automne à Paris, Théâtre de Gennevilliers, jusqu’au 14 novembre, www.festival-automne.com 10.11.2010 les inrockuptibles 21

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Studio Tricolore

liberté, je graffe ton nom

S

Dans les Pyrénées-Atlantiques, “le mur des expulsés” oppose le préfet au maire de Billère. Le représentant de l’Etat veut faire effacer la fresque.

eptembre 2009. Le maire socialiste de Billère, dans les Pyrénées-Atlantiques, décide d’inaugurer une fresque en hommage aux familles expulsées par le gouvernement sur un des murs de la commune. Quelques mots (“liberté, égalité, fraternité”), graffés en couleur par des artistes bordelais, le Studio Tricolore, sur le mur de la salle des fêtes qui est vite surnommé le “mur des expulsés”. “Tout ce qu’il y a de plus républicain”, souligne le maire. Dans un coin, on peut aussi lire les mots “expulsés” et “honte”. C’est là que le bât blesse. Attaqué par le préfet pour non-respect de son devoir de neutralité vis-à-vis de l’action gouvernementale, le rebelle Jean-Yves Lalanne a aujourd’hui jusqu’au 26 décembre pour faire effacer la fresque. Un ordre donné par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 26 octobre, qui confirme la décision rendue en première instance à Pau au mois de janvier. “Au-delà de cette date, la commune devra payer 100 euros d’astreinte par jour de

retard”, explique le maire, qui n’a, semblet-il, pas l’intention de baisser les bras. “Le préfet veut empêcher qu’un élu de la République soit solidaire des mouvements sociaux. Il nous avait déjà attaqué l’année dernière quand nous avions prêté une salle communale pour la votation contre la privatisation de la Poste, et il avait perdu !”, s’enorgueillit l’élu socialiste. Quand on lui demande si ce n’est pas un peu de la provocation dans son duel contre le préfet qu’il qualifie de “zélé”, le maire ne manque pas d’ironie. “Nicolas Sarkozy voulait une droite décomplexée, moi aussi, je suis pour une action politique décomplexée ! Ce n’est pas comme si nous avions entonné un concert de casseroles

“c’est une action de solidarité avec ces enfants que nous connaissions, et qui ont été expulsés” Jean-Yves Lalanne, maire

sous les fenêtres du préfet. C’est juste une action de solidarité avec ces enfants que nous connaissions, qui allaient à l’école avec nos enfants, et qui ont été expulsés.” “Bien sûr que les mots ont un sens, mais cette fresque ne trouble pas l’ordre public. C’est plutôt l’expulsion de ces sans-papiers qui a perturbé nos concitoyens”, s’insurge l’élu, décidé à se battre jusqu’au bout pour défendre les auteurs de la fresque. Après avoir dénoncé un “acte de censure intolérable”, en soulignant qu’il fallait remonter au “XIXe siècle pour trouver une décision qui demande la disparition d’une œuvre d’art”, Me Blanco, l’avocat de la commune, a donc déposé deux recours : un devant le Conseil d’Etat, un autre devant la Cour européenne de justice pour défendre “la liberté d’expression” et “la liberté de création” des auteurs de la fresque. “Si tous nos recours sont épuisés et que le droit n’est plus de notre côté, on sera bien obligés de se plier à la décision de la cour administrative, mais comme le roseau, précise cet élu décidément audacieux. On plie mais ne rompt point !” Emilie Refait

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Girolame

l’Etat turc tique sur YouTube Dans un pays qui compte 40 millions d’internautes, la liberté d’expression sur le net est sous contrôle. Des restrictions incompatibles avec l’entrée dans l’Union européenne. es internautes turcs en profitent à pleins tubes. Depuis quelques jours, ils jouissent de la liberté de naviguer sur YouTube, dont l’accès leur était interdit depuis près de trois ans. Les pages qui posaient problème à la justice ont été retirées : des montages potaches postés depuis la Grèce, qui mettaient en doute la virilité et les pratiques sexuelles des Turcs et de leur idole nationale, Mustafa Kemal Atatürk. Pour les juges, une insulte à l’identité nationale et hormonale turque. Cette liberté de surfer risque d’être de courte durée. La plate-forme de partage de vidéos pourrait être prochainement censurée. Cette fois, c’est la diffusion

L

“les sujets tabous ont à voir avec l’armée, les questions de minorités” Reporters sans frontières

d’une vidéo compromettante pour l’ancien chef de l’opposition qui a été jugée illicite et justifierait de couper le sifflet à YouTube. Le dinosaure du parti kémaliste, Deniz Baykal, 72 ans, avait été filmé à son insu alors qu’il batifolait avec son ancienne assistante Nesrin Baytok, devenue députée. La fameuse vidéo avait fini sur un site islamiste et le scandale avait entraîné la démission de Baykal de la présidence du CHP (parti républicain du peuple). YouTube n’est pas le seul à subir les foudres de la justice turque. Selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, près de 5 000 sites sont toujours bloqués. Deezer, la plateforme de blogs WordPress, les réseaux sociaux comme MySpace, Google Maps… Tous en ont fait les frais à un moment. La Turquie a été ajoutée à la liste des pays ennemis du net dressée en 2010 par Reporters sans

frontières (RSF). Comme la presse et l’édition, les sites d’information y sont étroitement surveillés et la magistrature reste un bastion des laïcs autoritaires et procéduriers. “Les sujets tabous ont notamment à voir avec Mustafa Kemal Atatürk, l’armée, les questions de minorités, principalement les Kurdes et les Arméniens, et la dignité nationale”, indique RSF. “Il ne faut pas avoir peur de YouTube”, a essayé de rassurer le président de la République Abdullah Gül, issu de l’AKP, parti musulman modéré. Et si l’interdiction fait tache pour un pays candidat à l’Union européenne, la vieille garde kémaliste s’inquiète, car la Turquie, jeune et dynamique, consommatrice frénétique de nouvelles technologies, se veut plus ouverte et plus libre. Plus de 40 millions de Turcs (sur 77 millions) utilisent internet, tout le pays est

connecté à la toile et a appris à utiliser les serveurs anonymes, les proxies : pendant son interdiction, YouTube est resté parmi les cinq sites les plus fréquentés dans le pays. Même le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, fondateur de l’AKP, a reconnu avoir utilisé le site de partage de vidéos, et des associations de défense des internautes sont apparues. L’affaire YouTube a même été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les réseaux sociaux ont trouvé en Turquie un terreau fertile. Facebook y compterait 25 millions d’utilisateurs. Mais à son tour, le site est menacé par la justice pour avoir autorisé un groupe favorable au PKK, la guérilla kurde honnie par le gouvernement. Une trentaine de plaintes a été déposée et la justice a donné suite. Guillaume Perrier

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pub un jour, pub toujours Contrairement à ce que prévoyait le projet de loi, la pub sera maintenue avant 20 heures sur les antennes de France Télévisions. Pour le groupe UMP de l’Assemblée nationale, présidé par Jean-François Copé, l’état des finances publiques ne permet pas de compenser la fin de la publicité en journée. Pour ce faire, 400 millions d’euros auraient été nécessaires en plus des 450 millions déjà dépensés par l’Etat pour compenser la fin de la pub après 20 heures. des intellectuels contre Acta Plus de soixante-dix universitaires américains ont demandé au président Obama de faire preuve de transparence en présentant le traité Acta devant le Sénat et en ouvrant un débat public sur le sujet, plutôt que de le signer unilatéralement. Cet accord sur la contrefaçon, mais qui concerne également la propriété intellectuelle, a été discuté internationalement dans l’opacité totale, et pourrait menacer le net libre et ouvert. autorités en fusion ? Un rapport parlementaire sur les autorités administratives indépendantes, rédigé par les députés Christian Vanneste (UMP) et René Dosière (PS), conclut que ces autorités sont trop nombreuses et propose un rapprochement, voire une fusion de l’Hadopi, de l’Arcep et du CSA. L’enterrement discret de l’Hadopi ? des extraits moins brefs D’après une indiscrétion du site Macrumors, on va bientôt pouvoir écouter 90 secondes, et non plus 30, des morceaux proposés sur iTunes. Apple en aurait décidé ainsi sans consulter les labels qui ne devraient pas être ravis de voir plus de la moitié de chaque chanson divulguée en streaming. Apple estime que cela guiderait mieux les internautes dans leurs achats.

Anna Gowthorpe/PA Wire/Abacapress

brèves

le 26 octobre, jour du lancement de i, à York

le newspaper s’abrège pour durer En perte de vitesse, le quotidien The Independent lance i. La déclinaison allégée et bon marché d’un titre racheté par le Russe Alexandre Lebedev.

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epuis son lancement en 1986, l’influence du quotidien anglais The Independent sur ses pairs, ainsi que la qualité de ses écrits et de ses scoops, ont été inversement proportionnels à ses chiffres de vente. Bon dernier des quotidiens nationaux en termes de vente – 185 815 ventes quotidiennes contre plus de 3 millions pour le Sun –, The Independent reste pourtant une référence, fréquemment pillé pour son contenu et ses innovations. Il a ainsi été le premier des “grands” quotidiens à offrir une version en format tabloïd, taille vite adoptée par la concurrence avec des résultats de vente autrement plus spectaculaires. En nette perte de vitesse depuis deux ans, le quotidien récemment racheté (pour une livre !) par le Russe Alexandre Lebedev, a lancé le 26 octobre un nouveau quotidien, i, le premier payant de qualité commercialisé en Grande-Bretagne depuis un quart de siècle. Avec un format et une maquette “journal gratuit”, i présente une version compactée, simplifiée et concise du copieux The Independent, expurgé notamment de ses fameux débats d’idées et de ses interminables comptes rendus de cricket ou de courses de chevaux. Plus de photos, d’informations pratiques, de pages people/TV et de news à picorer : i vise la clientèle pressée des transports en commun et concurrence par le haut les gratuits comme The Evening Standard, lui même devenu gratuit l’an passé après son rachat par… Lebedev. Vendu 20 pence (23 centimes d’euro)

– un sous-titre ricane : “un millionième du prix de Wayne Rooney” –, sans doute destiné à devenir gratuit un jour, i invente en quelque sorte le gratuit payant. Du coup, face à cette concurrence de l’intérieur, The Independent a également fait peau neuve pour accentuer la complémentarité entre les deux titres. Une journaliste qui a déjà connu, depuis 1986, plusieurs changements de maquette et de format du quotidien commente avec résignation cette proposition journalistique pourtant assez radicale : “Une fois de plus, The Independent a eu une idée révolutionnaire. Une fois de plus, faute de vrais moyens financiers pour le faire savoir, ça ne bouleversera pas notre diffusion. Et une fois de plus, ce sont les gros groupes de presse qui vont piller nos idées, nos formats et vont empocher les dividendes. C’est comme ça depuis vingt-cinq ans : on innove, les autres suivent et en profitent.” Avec son sous-titre “The paper for today”, i est publié sur 56 pages du lundi au vendredi. Il ressemble à l’ultime coup de poker d’un quotidien dont on annonce la fin inéluctable depuis presque deux ans. L’Angleterre se réveillerait alors moins intelligente, moins informée et moins indépendante d’esprit. JD Beauvallet

“i” vise à concurrencer, par le haut, les gratuits

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média-tic média n° 1

“MySpace a un problème” C’est ce qu’a déclaré Jonathan Miller, n° 2 de News Corp, propriétaire du site. MySpace, qui vient de se refaire un look, subit des pertes “non acceptables” et devra “retrouver une rentabilité dans les prochains trimestres.”

fil rompu Le gratuit 20 minutes a résilié son abonnement, jugé trop cher, à l’AFP. Une telle décision risque de poser des problèmes rédactionnels. D’autres désabonnements pourraient intervenir dans la presse quotidienne régionale.

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mince de gratuit ! Culture, tendances et détours par Strasbourg. Zut ! est gratuit mais élégant. Sur une seule ville mais rempli de (bonnes) choses à montrer. Avec des articles sur Patti Smith, Douglas Kennedy…

journalisme assis ? La quatrième édition des Assises internationales du journalisme et de l’information s’ouvre à Strasbourg les 16, 17 et 18 novembre. Débats sur les agences de presse, la pratique des partenariats, le personal branding…

Selon Médiamétrie, la radio a rassemblé 42,3 millions d’auditeurs quotidiens de septembre 2009 à juin 2010, avec une durée d’écoute moyenne de 2 heures 54. Premier média du matin, la radio réalise les deux tiers de son audience entre 6 et 9 heures.

riche idée Dans son 83e numéro, la revue Cassandre/ Horschamp propose un entretien avec la sociologue Monique Pinçon-Charlot sur les pratiques culturelles de la haute bourgeoisie.

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Fergie, femme de l’année ? LOL Consacrée par le Glamour américain et Billboard, la chanteuse des Black Eyed Peas fanfaronne. Mais y a vraiment pas de quoi.

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au fait, c’est qui ? Pour ceux qui auraient vécu dans une grotte ou revêtu une combinaison anti-mauvais goût ces dernières années, une présentation s’impose. Née le 27 mars 1975 (date officielle) en Californie, Fergie officie aujourd’hui chez les Black Eyed Peas, cet horrible groupe mené par un certain Will.i.am qui cartonne pas mal chez les adolescents et ceux qui n’ont jamais vraiment quitté cet âge de la vie. Pour repère, I Gotta Feeling (titre le plus téléchargé de l’histoire) c’est eux et David Guetta avec qui le groupe semble avoir noué un pacte maléfique – qui aura probablement pour issue l’explosion de la planète Terre toute entière. La précision s’impose car au fil de sa carrière, Fergie a considérablement changé de tête – une évolution imputable à la chirurgie esthétique et aux miracles de Photoshop. Aussi est-elle parfois difficilement reconnaissable. Heureusement pour les moins physionomistes, Fergie a un signe distinctif : elle incarne la vulgarité. Toujours à moitié nue ou vêtue d’accoutrements ultravulgos, Fergie consommerait 7 % de la production mondiale de string en acrylique, faux ongles putassiers et crayons contour à lèvres. Femme de l’année, vraiment ?

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2010 Etrange choix de la part du Glamour US, qui semble avoir quelques problèmes de discernement si l’on considère que parmi les femmes de 2010 sont aussi nommées Cher et Donatella Versace. Peut-être s’agit-il d’une année à thème Ravages-de-la-drogue-etchirurgie-esthétique ? Mystère. Du côté du Billboard, c’est le “talent” et la “puissance” de Fergie qui sont récompensés. Entre wasp et white trash, elle succède étrangement à Beyoncé au moment où les républicains célèbrent leur victoire aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis. “Fergie a envahi l’industrie de la musique telle une tornade et nous sommes ravis de célébrer sa carrière et son incroyable succès de ces dernières années” a déclaré Bill Werde, rédacteur en chef du magazine sans penser à ajouter : “2010 année de la pisse, il était donc logique que nous consacrions la seule artiste de variété connue pour s’être urinée dessus en plein concert.” Dommage.

le message “Je crois que toutes les femmes ont le pouvoir de changer le monde” affirme dignement Fergie en culotte. Dans les pas d’Olympe de Gouges qui écrivait en 1791, dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, “La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également le droit de monter à la tribune”, elle monte donc au créneau pour raconter sa life, son mariage avec Josh Duhamel (qui, d’après nos sources, n’aurait aucun lien de parenté avec Alain) et sa collection de chaussures. Si sur le fond c’est consternant, sur la forme, les graffitis fuchsia “ghetto girly” sont à souligner également. On y trouve en effet un écho aux tags de collégiens, du genre de ceux qu’on se laissait dans nos agendas pour illustrer “les mots” et qui se terminaient invariablement par la formule de politesse obligée : Big Bisou Bien Baveux. Là pour le bisou, on s’en passera. Diane Lisarelli

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la nymphe Léa

En France, elle illumine le cinéma d’auteur. Les blockbusters, elle les tourne plutôt à Hollywood. Rencontre avec une jeune fille qui fait tenir ensemble les deux extrémités du cinéma. par Jean-Marc Lalanne photo Patrick Swirc

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ans La Belle Personne, on la découvrait les cheveux noir corbeau, grave et profonde, belle comme Anna Karina dans Vivre sa vie. Avant, les plus attentifs se souviennent de l’avoir vue dans Une vieille maîtresse de Catherine Breillat ou dans De la guerre de Bertrand Bonello. Après, on n’a cessé de la revoir : rendue à sa blondeur naturelle, et étonnamment délurée dans Plein Sud de Sébastien Lifshitz, blottie dans une cuisine tandis que son père converse avec un nazi dans Inglourious Basterds de Tarantino, princesse d’Angoulême comploteuse dans Robin des Bois de Ridley Scott... Surgie dans un cinéma d’auteur français jusque-là presque confidentiel, elle a aimanté l’intérêt d’Hollywood. L’an prochain, on la découvrira au côté de Marion Cotillard dans Midnight in Paris de Woody Allen, puis en méchante tueuse opposée à Tom Cruise dans Mission:Impossible 4. Cet automne, sa présence un peu obtuse, son magnétisme dark ont rayonné successivement dans le chef-d’œuvre de Raúl Ruiz (Mystères de Lisbonne), le délicat moyen métrage de Louis Garrel (Petit tailleur), en décembre prochain dans le nouveau film d’Amos Gitai (Roses à crédit), et enfin dans un premier film français d’une vraie force où, en adolescente tendue et endeuillée, elle est émouvante comme jamais : Belle épine de Rebecca Zlotowski. Entretien > Dans Belle épine, comme avant dans La Belle Personne, votre jeu est très intériorisé, un peu secret. Léa Seydoux – Je lisais hier un article dans Les Cahiers du cinéma... La critique de Vénus noire... Je vais vous lire ce passage : “Plus un personnage est stimulé comme réservoir à fantasmes, moins son intériorité paraît accessible.” Ça m’a parlé. Dans La Belle Personne de Christophe Honoré, j’avais l’impression d’être filmée comme un fantasme, qu’il fallait donc que je sois impénétrable. Alors que Prudence dans Belle épine n’est pas un personnage à fantasmes. On vit le film à travers elle, ce n’est pas un personnage que l’on regarde, c’est elle le regard. La difficulté était que sa souffrance devait être contenue mais lisible, que l’on ait quand même accès à son chagrin. 10.11.2010 les inrockuptibles 31

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Dans la scène finale de Belle épine, je crois que c’est votre mère réelle qui apparaît dans le film... L’actrice qui devait jouer la mère s’est désistée et Rebecca voulait garder secrète l’identité de celle qui la remplaçait. Elle m’avait seulement dit qu’elle voulait une actrice anglaise. Je m’étais imaginé face à Jane Birkin ou Kristin Scott Thomas... Quand est venu le moment de faire le plan, j’étais donc derrière la porte et je ne savais pas qui j’allais découvrir. Quand j’ai vu ma mère, je me suis effondrée. La caméra continuait de tourner. Il faut dire que j’ai une histoire particulière avec elle, Rebecca n’a pas eu cette idée pour rien... C’était étrange parce que face à sa mère, on n’est plus une actrice, on est juste face à sa mère. J’étais inquiète pour elle aussi parce que je sais qu’elle est pudique, elle ne se doutait pas que ça me mettrait dans cet état de la découvrir là. Elle est restée très concentrée pendant les prises et à la fin, elle s’est mise aussi à pleurer. Il y a un parti pris étonnant dans vos choix de carrière : vous tournez dans d’énormes machines américaines mais en France on vous voit dans des films d’auteur. Faire des films commerciaux ici, ça ne s’est pas présenté ? Si si, j’ai eu des propositions de films très commerciaux mais qui ne m’intéressaient pas. Mon seul critère pour choisir un projet est : vais-je apprendre quelque chose ? Faire un film hollywoodien apprend forcément, ne serait-ce qu’à pratiquer l’anglais. Mais aussi à tourner des scènes d’action comme dans Mission:Impossible 4 pour lequel j’ai suivi des cours de combat, de tir... Dans les films d’auteur français, on me propose aujourd’hui des rôles importants, avec quelque chose à défendre en tant qu’actrice. Je ne viens pas du théâtre, je dois donc me fabriquer peu à peu, en faisant des films. J’ai besoin de rencontrer des gens qui peuvent m’emmener quelque part. Quand avez-vous voulu être comédienne ? Vers la fin de l’adolescence. J’avais envie de jouer, de faire partie d’une équipe, de trouver à la fois une famille et quelque chose qui n’appartienne qu’à moi. Votre grand-père Jérôme Seydoux est coprésident du groupe Pathé. Le cinéma, c’est aussi une affaire de famille ? Oui, mais ce n’est pas à ça que je dois mon goût pour le cinéma. C’est plutôt passé par mes parents. Mon père a un métier qui n’a aucun rapport avec le cinéma et pourtant il a une forte sensibilité artistique, il m’a emmenée très tôt au musée... C’est surtout ma mère qui m’a transmis le goût du cinéma, elle a produit quelques films assez underground, sénégalais, suédois, quand j’étais très petite. Et j’ai une sœur qui est écrivaine, une autre qui a été photographe de reportage... J’ai été entourée très tôt par des gens qui avaient la volonté de s’exprimer artistiquement. Pourquoi avez-vous accepté Mystères de Lisbonne ? J’avais très envie de rencontre Raúl Ruiz, j’avais adoré le scénario, j’avais envie de tourner en costumes... Les conditions de tournage étaient précaires. Raúl était malade mais tournait pourtant sept jours sur sept. Comme le budget était très juste, le film réutilise sans arrêt les mêmes costumes réarrangés sur différents acteurs, les mêmes décors déguisés pour montrer des lieux différents. Et pourtant le film est somptueux, visuellement sublime.

A l’inverse, quand vous vous retrouvez sur un tournage très luxueux comme Robin des Bois, vous vous sentez comment ? Plutôt à l’aise. Dans les superproductions américaines, contrairement aux films français, si tu es pris pour un rôle tu dois rester sur le lieu de tournage durant presque toute la durée, même si tu ne tournes pas pendant plusieurs jours. Ils veulent avoir les gens sous la main tout le temps... C’est pas mal, on peut être en observation, on a le temps de lire... A l’autre bout de la chaîne du cinéma, vous jouez dans le moyen métrage de Louis Garrel... Louis, j’aime ses goûts. Je l’aime comme acteur et comme réalisateur, et les deux sont très liés chez lui. Dans Petit tailleur, ses amis les plus proches jouent dans le film. J’étais un peu la pièce rapportée, mais c’était plaisant de les observer en bande. C’est aussi un film générationnel, où toute l’équipe a le même âge... Petit tailleur est certes un film de jeunes, mais aussi un film très rétro, obsédé par les années 1960... Oui, mais je me reconnais là-dedans. Je suis assez nostalgique. Très jeune, je m’habillais vintage, j’ai un goût pour la mode et le design des années 1950. La modernité peut me faire assez peur. Internet ? Facebook ? Non, ce n’est pas trop mon univers. Ça va trop vite, ça communique trop. Je vais parfois sur internet voir des trucs, écouter des chansons... Mais là aussi, j’ai des goûts plutôt rétro. J’aime Stevie Wonder, la Motown, Gainsbourg, Barbara, Charles Trenet... Je ne suis pas quelqu’un de très au fait de ce qui sort, de ce qui se fait... Adolescente, j’avais les goûts des gens de ma génération mais j’avais quand même le sentiment de ne pas être comme eux. J’essayais de leur ressembler. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je n’avais qu’une envie : ressembler aux autres. Parce que je voulais m’intégrer. Je sentais que je ne collais pas au cadre... Mais en quoi ? Par exemple, je n’étais pas très bonne à l’école, je souffrais beaucoup du système scolaire. Ça me rendait malade d’aller à l’école tous les jours, je me sentais jugée, c’était un poids quotidien. Ado, je me demandais vraiment : “Mais pour quoi je suis faite ?” Le déclic a eu lieu quand j’ai rencontré un garçon qui voulait devenir acteur. J’ai eu l’intuition que pour moi ce serait ça. Ce que j’aime dans ce métier, c’est que j’y trouve du réconfort. Aller sur un plateau et vivre avec une équipe, ça me réconforte. Que des gens viennent vers moi pour me proposer d’être dans leur film, ça me réconforte... Mais ça vous réconforte de quoi ? De quel chagrin ? Je ne sais pas ce qu’il est ni d’où il vient, mais oui je travaille sûrement pour combler un chagrin. Et aussi parce que sur les tournages, j’ai eu le sentiment peut-être pour la première fois que je servais à quelque chose, que je pouvais tenir une place. Mais je ne veux pas avoir l’air triste non plus. Même si je sais que c’est fragile, en ce moment je suis dans une situation très agréable, je fais des films aux Etats-Unis, je rencontre des gens qui me passionnent. Je peux profiter pleinement de ce que ce cinéma peut avoir d’enfantin, de joyeux et d’amusant quand on arrive à ce qu’on veut, à se sentir libre et qu’on peut naviguer à peu près comme on veut. Lire aussi l’article sur les réalisatrices françaises pages suivantes et la critique de Belle épine p. 92

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“que des gens viennent vers moi pour me proposer d’être dans leur film, ça me réconforte”

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Un poison violent de Katell Quillévéré

La Vie au ranch de Sophie Letourneur

Belle épine de Rebecca Zlotowski

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Depuis quelques années, les premiers films français parmi les plus intéressants sont signés par des réalisatrices. Le cinéma français est-il enfin en train de changer de sexe ? Discussion sur la question avec trois d’entre elles. par Serge Kaganski et Jean-Baptiste Morain

moteuse !

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n l’avait remarqué à Cannes, ça se confirme cette saison : l’automne 2010 du jeune cinéma français est majoritairement féminin. Se sont succédé sur les écrans Un poison violent de Katell Quillévéré, La Vie au ranch de Sophie Letourneur, Belle épine de Rebecca Zlotowski, en attendant Bas-fonds d’Isild Le Besco ou Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud. On pourrait y ajouter Les Runaways de la Canadienne Floria Sigismondi ou Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac (un garçon, certes, mais féminin, si l’on en juge par sa filmo). Cette féminisation des forces vives du cinéma appelle son lot de questions et de contre-questions. Le cinéma serait-il en avance sur la question sociétale et politique de la parité ? Les réalisatrices dessinentelles collectivement un regard féminin ? A contrario, regrouper des artistes en fonction de leur sexe a-t-il un sens ? Ne risque-t-on pas de les enfermer dans un ghetto réducteur ? Mettre en exergue cette féminisation est-il un geste féministe ou au contraire inconsciemment misogyne ? Estimant que le mieux était que les cinéastes elles-mêmes en parlent, nous avons proposé à trois d’entre elles – Sophie Letourneur, Katell Quillévéré et Rebecca Zlotowski – cette réflexion sur le féminin au cinéma. A cette montée en puissance des réalisatrices correspond aussi une féminisation des fictions. Certes, la jeune femme est un sujet éternel du cinéma depuis le Loulou de G. W. Pabst. Ce qui est nouveau dans la vague de films actuelle, c’est la prise de pouvoir des filles occupant le centre de l’écran et reléguant les

garçons aux marges. Ainsi de Belle épine, centré sur le visage et le corps de Léa Seydoux, discrètement érotisés. Le principal personnage secondaire est la copine de Léa, les garçons étant cantonnés à un fantasme (un groupe de motards) ou à un simple vecteur de passage de l’état de fille à femme (Johan Libéreau n’est là que parce que Léa Seydoux veut “coucher”). La Vie au ranch est consacré à une bande de jeunes filles qui partagent le même appartement. Les garçons sont présents, mais comme un élément du décor, un agent d’ambiance. Dans le magma de corps et de voix, les seules qui accèdent à l’individualité d’un personnage sont des filles. Un poison violent est entièrement axé sur les fantasmes et inquiétudes de son personnage principal, une jeune fille de 15 ans. Et le cœur du film de Jean-Paul Civeyrac est l’amitié fusionnelle entre deux lycéennes, les garçons étant rapidement éjectés du film par les personnages et par le sujet. La bonne nouvelle, c’est que tous ces films sont singuliers, différents. Formellement, rien de commun entre le formatage indé-hollywoodien des Runaways et le “je” irréductible d’Un poison violent ou de Belle épine, où les réalisatrices font corps avec leur héroïne. Et si La Vie au ranch et Des filles en noir sont tous deux très stylisés, leur forme de stylisation est quasiment opposée. Du côté de Letourneur, une matière sans cesse mouvante, un brouhaha parfois au bord de la dissonance, de l’informe, une sensation d’improvisation et de vie saisie sur le vif (alors que le film est très écrit et maîtrisé) qui évoque les films de Rozier ou de Cassavetes. A côté de ce film “plein”, Civeyrac travaille plutôt le “creux”, l’épure, le suggéré, les plans soigneusement composés (mais sans jamais se figer dans le picturalisme), les lumières délicatement sculptées. Ses modèles seraient plutôt du côté de Bresson, Murnau, Tourneur. Les nouvelles réalisatrices sont certes des femmes, c’est indéniable (et si nous y incluons Jean-Paul Civeyrac, qu’il le prenne comme un hommage), mais ce sont avant tout des individus, des êtres singuliers, des cinéastes – terme indifféremment masculin et féminin. S. K. 10.11.2010 les inrockuptibles 35

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Sophie Letourneur réalisatrice de La Vie au ranch

François Rousseau

pour autant des amies proches, on ne forme pas une bande, contrairement aux filles que je montre dans mon film. Je n’ai pas de bande dans le cinéma. Les films sur des héroïnes de 20 ans, il n’y a pas que des filles qui les font : je pense à La Vie rêvée des anges d’Erick Zonca ou à Des filles en noir de Jean-Paul Civeyrac.

A

près une formation en arts plastiques, atypique pour une cinéaste, Sophie Letourneur s’est fait connaître dans les festivals de cinéma avec les moyens métrages Manue Bolonaise et Roc et canyon. Après ces chroniques sur l’enfance et l’adolescence, elle poursuit dans la même veine plus ou moins autobiographique avec son premier long, La Vie au ranch, sur une bande de filles de 20 ans, en plein sas entre l’adolescence et l’âge adulte. Travaillant les corps et la parole de ses actrices comme un sculpteur travaille la glaise, Sophie Letourneur y fait joyeusement exploser un certain nombre de clichés sur l’image de la femme au cinéma. la vague des jeunes femmes cinéastes “Je pense que c’est le genre de choses que remarquent surtout les journalistes. Katell, je la connais bien, je connais son travail, on a le même chef op… Rebecca, j’ai aussi appris à la connaître. On s’apprécie mais on n’est pas

“l’enjeu du film, c’est l’image de la femme au cinéma”

un regard particulier ? Peut-être qu’on ne filme pas les jeunes femmes comme les filmeraient des hommes… Et encore, je n’en suis pas sûre. Il me semble que le film de Katell aurait pu être fait par un homme. Je crois que le regard se différencie selon chaque individu, pas selon le sexe. Mais quand on est une artiste, femme, mère, on se pose forcément la question de la féminité, de la maternité, dans le contexte de son art et de sa condition d’artiste. Dans La Vie au ranch, je pose directement la question de l’image de la femme au cinéma. C’était un enjeu central dans l’écriture et la mise en scène de ce film. Je voulais donner une image de la jeune fille qui ne corresponde pas à celle qu’on voit généralement au cinéma, que ce soit d’ailleurs dans les films de mecs ou de filles. J’ai eu des partis pris dès le casting. Et j’ai fantasmé mes personnages à ma manière, plus crades et moins soignés que dans la réalité, en exagérant. Je me suis dit que ce serait bien de montrer des filles qui ne sont pas dans l’obsession de leur image ou dans l’orientation de leur image pour la conformer à un regard de mec. Cela dit, je ne crois pas qu’il existe un regard spécifiquement féminin. La façon dont on filme des jeunes filles dépend de son propre positionnement par rapport à la question de l’image de la femme au cinéma. Moi, c’était mon sujet. Rebecca Zlotowski ou Katell Quillévéré ont un autre propos dans leurs films respectifs. Chez Rebecca, c’est le deuil, chez Katell, c’est le rapport à la religion, au désir et à l’interdit.” la féminisation du métier “Quand on regarde la liste des Palmes d’or à Cannes, il n’y a pas beaucoup de femmes. Mais depuis des pionnières comme Agnès Varda, il y a quand même eu Catherine Breillat, Claire Denis, Noémie Lvovsky, Pascale Ferran, Laurence Ferreira Barbosa… Je me demande d’ailleurs si on leur a posé le même genre de questions à l’époque. Rebecca, au départ, est scénariste. Scénariste est peut-être plus un “métier de femme”, de même que monteuse. Il y a des postes dans le cinéma qui sont plutôt féminins. Je vais répondre à un niveau très personnel plutôt que général. J’ai un enfant, et la vraie difficulté pour moi, c’est ça : concilier ma vie de mère et ma vie d’artiste. Etre mère, ça occupe, ça laisse peut-être moins d’espace pour réfléchir et développer des projets artistiques. La question majeure tourne pour moi autour de ça. Ma plus grande difficulté, c’est de trouver la disponibilité mentale pour me consacrer à la création.” propos recueillis par Serge Kaganski La Vie au ranch avec Sarah-Jane Sauvegrain, Eulalie Juster, Mahault Mollaret, en salle depuis le 13 octobre

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Patrick Swirc

“quand je crée, je ne revendique pas le fait d’être une femme”

Katell Quillévéré réalisatrice d’Un poison violent

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emarquée pour L’Echappée, son troisième court métrage, prix Jean-Vigo 2010 avec son premier long métrage, Un poison violent, Katell Quillévéré, tout juste 30 ans, a également été programmatrice du festival du moyen métrage de Brive. Dans Un poison violent, elle raconte l’adolescence et la découverte de la sexualité d’une jeune Bretonne. parler de soi “J’ai senti une très grande diversité, et dans les sujets et dans la forme, entre nos trois films. En revanche, nous avons toutes trois choisi un sujet personnel : pas forcément de l’autobiographie, mais quelque chose qui a un rapport avec parler de soi et comment parler de soi. Mais Sophie part de l’altérité complète, du documentaire. Rebecca plonge son film dans un milieu, celui des motards, avec une part fantasmatique qui lui permet de rejoindre des questions plus intimes.” le féminin et l’art “Je n’ai jamais été à l’aise avec l’idée qu’il y aurait une identité sexuelle chez un réalisateur dès lors qu’il est dans un processus de création. Pour moi, dès lors que je crée, je ne revendique pas le fait d’être une femme. En plus, l’identité sexuelle est une question éminemment complexe, parce qu’il y a une identité physique, une identité psychique et une identité qu’on développe quand on invente, qui est peut-être plus polymorphe encore.

Quand j’invente un personnage, je me mets à essayer de penser comme un vieillard de 80 ans qui va bientôt mourir, comme une jeune fille de 14 ans, comme une femme proche de la ménopause qui vient d’être quittée, etc. Du coup, mon identité se déploie, devient diffuse, diverse. Je n’ai jamais été à l’aise avec la question du féminin en art. Et puis un tas d’hommes immenses m’ont influencée, comme Bergman. Si je me demande : ‘Si je n’avais rien su d’eux, est-ce que j’aurais pu savoir si c’était des hommes ou des femmes ?’, je crois que non.” filmer l’adolescence “A partir du moment où je vais chercher une actrice qui est dans son adolescence et qui, par définition, n’est pas actrice de métier, je suis obligée de faire avec ce qu’elle est. Je dois être consciente que je suis aussi en train de filmer un documentaire sur ce qu’elle est à cet âge de sa vie. Et que mon film ne sera réussi et riche que si j’accepte de m’ouvrir à cette vérité-là et à la saisir. Du coup, il faut que je sois encore plus ouverte et attentive aux accidents du réel, à une fragilité qui fera partie des plus belles choses qu’elle pourra me donner. On peut aussi avoir cette démarche-là avec tous les acteurs : mon film est aussi un film sur Michel Galabru à la fin de sa carrière, et je dois l’aider à me donner cette part-là de lui, celle du vieil homme. Mais je pense que c’est encore plus criant quand on est face à quelqu’un qui ne joue pas parce qu’il ne sait pas ce que c’est que de jouer. Cela influence forcément la forme finale.” le jeunisme “Ce que j’ai pu constater, au moment de la promo, c’est qu’il y a une presse un peu mode, un peu culture, un peu people qui s’empare des filles et de leurs premiers films parce qu’elles ne sont pas trop moches et pas trop vieilles mais qui ne va pas publier des papiers de fond. Evidemment, nous en profitons nous aussi. Mais ça devient un système qui fabrique ce mouvement. Je ne pense pas qu’il y ait une réalité derrière la sortie rapprochée de nos films respectifs, simple coïncidence. C’est un vrai phénomène de jeunisme, oui, et c’est à la mode d’être artiste et jeune. Je ne suis pas sûr que ce soit une avancée.” propos recueillis par Jean-Baptiste Morain Un poison violent avec Clara Augarde, Lio, en salle depuis le 4 août 10.11.2010 les inrockuptibles 37

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les clichés sur la féminité “Ce qu’apportent les trente dernières années du point de vue des études sociologiques, c’est une réflexion sur la notion de genre. Elle n’est pas associée au sexe. Aujourd’hui, on peut assigner à des hommes des valeurs de féminité et à des femmes des valeurs de virilité. Est-ce qu’il existe un cinéma masculin et un cinéma féminin ? Je ne sais pas. On pourrait aussi poser d’autres questions : est-ce qu’il y a un cinéma pédé, un cinéma lesbien ? Y a-t-il un protocole dans la mise en scène qui serait lié à la sexualité ? Certainement, dans la mesure où le désir dans le cinéma a une place prépondérante. C’est passionnant mais inextricable. Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait un cinéma d’hommes et un cinéma de femmes. Et le contraire sous-entendrait quelque chose de grave : si l’on assignait aux femmes plus de sensibilité, plus d’intimité, tous ces clichés qu’on peut accoler à la féminité, ce serait une manière de sous-entendre qu’il y a moins de mise en scène dans le cinéma féminin, qu’elles mettent moins de rigueur, de cérébralité dans leurs plans. C’est faux : regardez nos films.”

Rebecca Zlotowski réalisatrice de Belle épine

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assée par Normale sup’ et par la Fémis, la vive et brune Rebecca Zlotowski confie avec un brin de honte et de coquetterie qu’elle doit beaucoup à ces deux écoles qui l’ont aidé à se cadrer et à passer outre sa léthargie naturelle. A voir Belle épine, son premier film, qui sort cette semaine, on a un peu de mal à la croire, tant c’est l’un des films les plus exigeants, les plus scandés et les plus travaillés de sa génération. bourgeoises et parisiennes “Quand on regarde le nombre de films de femmes sélectionnés à Cannes en mai dernier, on s’aperçoit qu’il y en avait très peu. Je ne crois pas qu’il y ait plus de films réalisés par des femmes en ce moment. Notre vrai point commun à toutes les trois n’est pas sexuel mais social et presque géographique : nous sommes bourgeoises (pas des grandes non plus) et parisiennes (Katell et moi étions même dans le même collège). Nous sommes surtout représentatives de la propension des jeunes de notre génération à faire un film quand ils sont issus de ce type de milieu.”

filmer la jeunesse “Je pense que mon film raconte une histoire de gens jeunes parce que c’est un âge plus proche du mien et parce qu’on essaie de raconter des choses que l’on connaît. Avec l’idée naïve que c’est comme cela qu’on le racontera le mieux. L’adolescence a été essorée par des cinéastes que j’aime comme Gus Van Sant, Larry Clark, Pialat. Je ne me voyais pas l’aborder. J’ai préféré la jeunesse. Ce qui me plaisait, c’était de faire jouer des rôles de jeunes gens à des actrices un peu plus âgées, comme on le faisait dans le cinéma hollywoodien. Et la disparition est vraiment un sujet de cinéma à plein. J’ai superposé les deux : la jeunesse, on ne peut la filmer que lorsqu’elle disparaît. Désigner la jeunesse, c’est aussi accepter qu’elle se soit éloignée de moi. Donc forcément, on filme différemment : le scope, l’horizontalité, le 35 mm avec des arrière-plans très flous pour que les personnages puissent disparaître rapidement dans la profondeur, se flouter eux-mêmes. Voilà ce qui m’intéressait : comment les choses peuvent s’évanouir, mais aussi comment les scotcher un moment pour qu’on les voie.” propos recueillis par Jean-Baptiste Morain Belle épine avec Léa Seydoux, Anaïs Demoustier, lire critique p. 92

“notre vrai point commun n’est pas sexuel mais social”

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I tout nu 10.11.2010

Pierre Moscovici, députéP S du Doubs. Il a été en charge de la convention sur l‘économie au PS

édito promesses

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par Thomas Legrand

Vers une rigueur de gauche ? Sans reprendre le mot tabou de “rigueur”, Pierre Moscovici pousse le PS à ne pas “promettre la lune” pour 2012.

Jean-Claude Coutausse/Fédéphoto

Barack Obama a déçu, il a été sanctionné. Le PS doit en prendre de la graine. Les socialistes de 2012 ont un avantage sur Obama en 2008, ils savent, eux, qu‘il y a eu une crise financière majeure. Comment construire un programme sans promettre des avancées sociales ? Faut-il vraiment se résigner à une sorte de rigueur de gauche qui serait simplement plus juste que la rigueur de dr oite ? Faut-il vraiment céder à ces logiques comptables établies par une idéologie libérale, celle-là même qui nous a emmenés dans le mur à l‘automne 2008 ? Ne serait-il pas temps au contraire de faire des propositions “raisonnables” et financièrement possibles à assumer, qui ne nous mettraient pas à la merci d‘une dégradation de notre niveau toujours avantageux auprès des agences de notation ? Faut-il, au contraire, se foutre des agences de notation qui brident les aspirations à changer le m onde ? Si les primaires socialistes ne reflètent pas ces interrogations pour qu‘enfin le PS choisisse vraiment un camp, ce ne sera même pas la peine de se déplacer pour aller y voter.

Entretien > Le PS peut-il éviter de faire des promesses coûteuses et espérer gagner quand même en 2012 ? Pierre Moscovici – Il n‘y a pas encore d‘attente fixée sur la gauche, ou plutôt il y a des attentes contradictoires ou complémentaires. La première concerne l‘incarnation et le style de gouvernance. II y a une aspiration à des transformations radicales, des transformations de gauche. Pour autant, je

suis persuadé qu‘il n‘y a pas d‘attente d‘une gauche qui rase gratis, et qui promette la lune. Les Français sont inquiets et extrêmement lucides. Ils ne supporteraient pas une gauche dont les promesses apparaîtraient d‘emblée comme non finançables, excessives ou illusoires. Il faut du changement, mais il faut que ce changement soit crédible. Nous ne devons pas pour autant tomber dans un écueil : celui d‘une victoire 10.11.2010 les inrockuptibles 41

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sur la base d‘un rejet du sarkozysme tellement puissant que ce président serait battu par n‘importe qui. Cela créerait une désillusion qui conduirait la gauche à ne jamais gagner deux élections de suite. Ce qui est arrivé à Barack Obama, c‘est l‘attente d‘un charisme qui déçoit et qui provoque à mimandat un rejet très fort. Or le mi-mandat vient très vite en France... Est-ce que l’électeur de gauche peut entendre aujourd‘hui ce discours de rigueur de gauche ? J‘en suis convaincu, mais je ne reprendrais pas ce terme. Je ne serai pas dans une posture néo-barriste qui consiste à dire c‘est dur, c‘est très dur, et nous allons faire une politique de rigueur plus dure que la droite, mais plus juste. Nos électeurs n‘acceptent pas les illusions mais ils ne veulent pas non plus de la purge ou des punitions. Ceux qui pensent qu‘on peut conduire des politiques à guichet ouvert qui conduiraient à une nouvelle dégradation de la dette du pays, ceux-là se trompent et mentent. Il faudra que ce soit la politique du changement crédible, donc qu‘en matière de croissance ce soit des politiques qui créent des opportunités. Tout ce qui est croissance, éducation, innovation, investissement structurant devra être privilégié. Tout cela a un coût... Il faudra faire des choix très clairs qui privilégient l‘investissement par rapport au fonctionnement courant. Il faudra avoir le courage de dire qu‘il y aura des économies sur certaines dépenses publiques. Il y aura sûrement des poursuites de restructuration de l‘Etat, de son périmètre, de son mode de gestion. Les maîtres mots seront le choix d‘investissement, la sélectivité de la dépense publique et une réforme fiscale d‘ampleur, avec de nouveaux prélèvements qui devront peser avant tout sur les couches supérieures et moyennes supérieures. recueilli par Thomas Legrand et Anne Laffeter

“il faut être réaliste !” Paroles de militants socialistes vis-à-vis des contraintes financières. Ils ne veulent plus des beaux catalogues de promesses électorales. Michel 65  ans, éducateur à la retraite, Cherbourg On ne peut pas promettre demain de raser gratis. Il faut que notre discours soit clair  : batailler sur les 60 ans pour les retraites n‘a aucun sens. Ce qui a du sens c‘est la durée de cotisation. Il faut dire les choses clairement ! On ne peut pas faire rêver les gens sur n‘importe quoi. Je pense qu‘on doit pouvoir retrouver les mots pour faire rêver sur le retour aux valeurs, au vivre ensemble, au partage des valeurs. Alain, 62 ans, instituteur à la retraite, Cherbourg Les promesses, c‘est un piège ! Souvent on considère que le programme de campagne n‘engage plus après l‘élection. Mais je n‘ai pas l‘impression que les dirigeants du PS soient dans cet état d‘esprit aujourd‘hui. En 2012, ce sera dur. On ne pourra pas contenter tout le monde. Benjamin, 35 ans, créateur de sites internet, Alès Tout le monde est conscient de la gravité des difficultés

et des efforts à fournir pour redresser le pays si la gauche arrive au pouvoir en 2012. Mais si on veut qu‘il y ait une alternance, il faut redonner un espoir. Sauf que l‘on est revenu des périodes où on promettait tout et n‘importe quoi. L‘enjeu ce n‘est pas uniquement de gagner en  2012, c‘est de ne pas perdre en 2017 et de s‘inscrire dans la durée. Pour qu‘il n‘y ait pas de déception, il ne faudra pas tenir de discours démagogique. Marie-Jo, 82  ans, Parisienne retraitée, Marseille L‘attente en  2012 sera forcément très grande à notre égard. Il faut être réaliste ! J‘ai connu l‘élection de François Mitterrand en  1981 puis la rigueur en  1983. On ne peut pas refaire la même chose, car les Français ne sont pas dans le même état d‘esprit. En  1981, ils rêvaient. Aujourd‘hui, les Français ont conscience de la crise, on ne peut pas promettre la lune, il faut rester dans des choses gérables. On doit arriver en promettant l‘exemplarité des compor-

tements et du train de vie des ministres. Gilles, 28 ans, agent administratif, Marseille Le discours du PS est crédible mais j‘aimerais qu‘il promette un peu plus, que ça fasse rêver un peu plus. On n’en est pas là, pourtant c‘est le rêve qui fait avancer le monde. Il faudrait un Barack Obama au PS, aujourd‘hui on n‘y est pas. Pierre, 42  ans, cadre, Malakoff (Hauts-de-Seine) Si l‘on prend le discours de Benoît Hamon, ce n‘est pas crédible. On nous dit qu‘on garde la retraite à 60 ans, mais on ne nous dit pas à quel taux, or c‘est ça qui est important. Donc on joue sur les mots. Gaël, 45  ans, fonctionnaire, Nantes Le discours des dirigeants du PS est plutôt sage. On n‘est plus dans un catalogue de promesses comme on avait pu l‘être lors des précédentes élections. C‘est aussi lié à une évolution de la sociologie des votants. Recueilli par Marion Mourgue

vu, entendu

2,4

millions de téléspectateurs

C‘est le score établi par JeanLuc Mélenchon lors de son passage à Vivement dimanche, soit 17 % de part d‘audience. Un score dans la moyenne, alors que Besancenot avait explosé les compteurs en 2008 avec 21 %.

Humour

Egalité

Eva Joly a fait savoir par un ami commun à Dominique Strauss-Kahn qu’elle ne lui voulait pas de mal quand elle avait lâché dans Libération qu’elle le connaissait... pour l’avoir mis en examen ! DSK a répondu par l’intermédiaire du même ami qu’il ne l’avait pas mal pris et qu’il avait même trouvé ça drôle !

Le PS organisera en décembre sa convention sur l‘égalité, présidée par Benoît Hamon et qui fixe ”une feuille de route pour cinq, dix, quinze ans”. Mais la priorité numéro 1 est l‘Education, insiste le porte-parole du PS, ajoutant qu‘il faut aller d‘un ”Etat réparateur vers un Etat prévoyant”. Ça commence par l‘augmentation du nombre de places en crèche, des classes moins chargées dans le primaire, le retour de la semaine à cinq jours, le renforcement des activités sportives et artistiques au collège, la création d‘un indice de mixité sociale pour les lycées et la refonte de la formation des enseignants.

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III tout nu 10.11.2010

que le meilleur perde

affaires étrangères

Birmanie : nouvelle guerre civile ?

L

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l‘opposition, une situation de rêve. L‘objectif profond des hommes politiques n‘est pas la victoire mais la défaite.

Feng Li/Getty Images/AFP

es Birmans ont voté pour la première fois depuis vingt ans. Une parodie d’élection : l’armée se réserve un quart des sièges, deux tiers des candidats appartiennent à des partis officines de la junte, des centaines de milliers de Birmans sont interdits de vote. Aux dernières élections en 1990, la Ligue nationale pour la démocratie (LND, qui a boycotté le scrutin cette année) d’Aung San Suu Kyi raflait plus de 80 % des sièges. L’Assemblée n’a jamais siégé. Le général dictateur Than Shwe, au pouvoir depuis dix-huit ans, s’en est chargé. Depuis 1989, le prix Nobel de la paix est en prison ou résidence surveillée. Le véritable enjeu actuel est l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution qui prévoit de désarmer en partie les milices des différentes minorités ethniques qui tiennent les frontières (donc une partie du trafic de drogue) et de les incorporer à l’armée. Les rebelles s’y opposent. Son adoption a relancé les guérillas ethniques. Des affrontements entre une milice du peuple karen et la junte birmane ont éclaté à la frontière thaïlandaise, faisant des victimes sur le territoire thaï. Des milliers de Birmans ont passé la frontière pour fuir les combats. Le spectre d’une nouvelle guerre civile hante la Birmanie. A. L.

confidentiel “Nicolas Sarkozy est aujourd‘hui un des problèmes de la France (...) et il est temps que la parenthèse politique que nous vivons depuis 2007 soit refermée.” Dominique de Villepin au micro du Grand Rendez-vous Europe 1/Le Parisien. C‘est à cette hargne que l‘on mesure que Dominique de Villepin sera un réel problème pour Nicolas Sarkozy en 2012...

par Michel-Antoine Burnier

Peut-on donner du pouvoir à ses adversaires même s‘ils n‘en veulent pas ? Voilà une question primordiale que M. Sarkozy doit se poser tous les matins. Voyez comme il a relevé le Parti socialiste. Il y a peu, le PS se déchirait entre Mme Aubry et Mme Royal, M. Valls réclamait qu‘on en change le nom, M. Mélenchon le quittait, M. Frêche le ridiculisait, tous comportements clairement orientés vers la défaite. Désormais, nous voyons un parti en tête des manifestations, regroupé autour de sa première secrétaire. A qui attribuer ce retournement, si ce n‘est à M. Sarkozy qui en fut l‘habile stratège ? Pareille opération ne réussit que dans la durée, car elle suppose : 1. d‘unifier vos adversaires contre vous. Ce PS éclaté et querelleur, M.  Sarkozy l‘a rassemblé en se fabriquant l‘image d‘un président des riches inconscient du peuple qui souffre. Cet hymne à l‘argent tombait pile dans les catégories de la pensée socialiste : la doctrine ressemblait enfin à la réalité, ou à sa caricature. Comment le PS, pour l‘honneur de son nom, aurait-il pu ne pas réagir, se réunifier, protester, et jouir ainsi sans riques des immenses plaisirs de l‘opposition ? 2. de perdre les élections locales. Comme depuis 1982 les décentralisations successives ont délégué aux conseils municipaux, départementaux et régionaux des pouvoirs et des budgets considérables, il convient de livrer ceux-là à

vos adversaires. C‘est ainsi que MM. Mitterrand et Defferre, inventeurs de la première décentralisation, ont autrefois perdu toutes les élections locales et pu susciter contre leurs gouvernements des résistances sérieuses et financées. Sur le sujet, épigone de génie, M.  Sarkozy possède une bonne avance. Il a déjà su perdre des élections municipales. Ce printemps, il a abandonné vingt-et-une régions sur vingt-deux à la gauche, mieux que M. Chirac : c‘est un record. Après les retraites, il se prépare un échec aux cantonales de mars  2011. Il vise plus loin encore  : les élections sénatoriales de l‘automne  2011. Cette fois, il s‘agit d‘offrir la chambre haute à une gauche dominée par les socialistes, phénomène inédit sous la Ve  République. On ne voit pas mieux pour entraver le travail législatif du prochain gouvernement. Quel goût pour la défaite ! Le 19  octobre, la sixième journée de grèves et de manifestations contre la réforme des retraites fut un succès, mais rien ne pouvait empêcher le Sénat de voter la loi. Pourquoi ne pas s‘arrêter en pleine gloire, sachant que M. Sarkozy en subirait les conséquences lors de l‘élection présidentielle de 2012 ? Eh bien non, les syndicats organisent de nouvelles journées pour le plaisir de voir diminuer, en pleines vacances, l‘ampleur des arrêts de travail et le nombre des manifestants. (A suivre) 10.11.2010 les inrockuptibles 43

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10.11.2010 tout nu IV

safari

Thomas Samson /AFP

Philippe wojazer/Reuters

Jeudi 4 novembre pour le dîner en l’honneur du président chinois Hu Jintao. Photo 1 : Brice Hortefeux et son épouse. Photo 2 : conséquences ?

pifomètre

Hollande, merci Dukan…

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semaine précédente

2

1

0

Olivier Besancenot

4

André Chassaigne

4

Ségolène Royal

5

Manuel Valls

9

Dominique Strauss-Kahn

11

Eva Joly

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe. Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

Donner, qui a l’habitude d’évaluer l’endurance des chevaux a, cette semaine, une petite tendresse pour l’ancien patron du PS  : “Trois  points pour Hollande qui, à force de rater ses come-back, va devenir touchant. Serait-ce une stratégie ?” Aubry toujours solide et Mélenchon qui tient la distance. Et encore, notre panel nous a rendu ses notes avant le gros câlin médiatique obtenu par Mélenchon dimanche dernier sur France 2 chez Michel Drucker.

15

Jean-Luc Mélenchon

le reste du panel

H

ollande en tête. Comme notre reportage le montre avec les militants du PS (voir page  42), notre panel réclame aussi du “réalisme”… Il donne une prime au candidat qui affirme sans ambages qu’il ne faudra pas trop promettre en 2012 et faire des économies. Une prime au candidat qui ne se contente pas de faire maigrir les dépenses mais qui donne l’exemple en fondant lui-même. Notre chroniqueur hippique, Christophe

Martine Aubry

Rama Yade, 33 ans, secrétaire d‘Etat aux Sports La politique, une passion ? Oui, celle de servir quelque chose de plus grand que soi. Les Inrocks ? Audacieux de m’avoir mise en couverture, aux côtés de Cohn-Bendit. La gauche, tu l‘aimes ou tu la quittes ? Trop archaïque. Absence de projet. Les électeurs de gauche méritent mieux. Personnalité politique préférée ? Nicolas Sarkozy. Avant, de Gaulle. Détestée ? Tout ce qui ressemble à l’extrême droite. A la haine, à l’exclusion. Moment politique le plus triste ? Défaite aux municipales de Colombes, même si je n‘étais pas tête de liste. Le plus heureux ? Mon premier discours lors de l‘investiture de Nicolas Sarkozy. Le plus ridicule ? La France se qualifie pour le Mondial. Je dis ma joie aux médias et après j‘apprends qu’il y a eu “la main de Thierry Henry”. Gloups.

François Hollande

notre panel

Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ?

cette semaine

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V tout nu 10.11.2010

presse citron

les relous par Christophe Conte

Martin Bureau/AFP

Richard E. Aaron/Redferns/Getty Images

Tout le monde s’occupe des journalistes – mais seul Borloo pourrait nous en faire un Grenelle –, Devedjian fignole le réglage de son siège éjectable et Jean-David Levitte explore la toundra. Copé, lui, fait de l’ombre aux Ramones.

Sid Vicious

Portrait dans Marianne (30/10) de l’ambitieux Jean-François Copé, où l’on apprend que celui qui se voit à l’Elysée en 2017 (et surtout dans ses rêves) a eu une jeunesse méchamment rock’n’roll. Champion d’Ile-de-France du glaviot aux premiers rangs des concerts de Sham 69, sniffeur de glu dans l’arrière-cour du Gibus, il avait maculé les murs de sa chambre de graffitis anars et de posters d’Angelic Upstarts. Bon, en vrai il est fan de Liane Foly et d’Yves Duteil, et dans sa chambre d’ado, il avait punaisé une affiche de Pompidou.

C’est l’affaire du moment, révélée par Le Canard enchaîné (3/11) : Sarkozy s’occuperait personnellement de l’espionnage des journalistes ! Pas certain que les méthodes changent en 2012, puisque divers prétendants au trône –  Hollande, DSK, Montebourg, Borloo ou même Kouchner  – espionnent sans se cacher une journaliste au moins une fois par semaine le samedi soir.

gratin de Grenelle Jean-Loulou Borloo adore les Grenelle. S’il est nommé Premier ministre, on va en bouffer à toutes les sauces. A commencer par un Grenelle de la fiscalité qu’il appelle de ses vœux dans une interview au Parisien (2/11). Devraient suivre un Grenelle du brushing, un Grenelle du sevrage de pastaga, un Grenelle du costard Monsieur de Fursac en promo et un Grenelle du “C’est vraiment moche de devoir discuter avec Christian Vanneste quand on est noceur humaniste.”

le mal du siècle Patrick Devedjian, le ministre de la Relance (lol), ne se fait pas d’illusion sur son maintien au gouvernement lors de la prochaine purge. Dans

Jean-Luc Mélenchon s’est fait tout gentil sur le plateau de Vivement dimanche, expliquant que c’était pour lui “l’occasion d’être présenté autrement que la brute pour laquelle on veut (le) faire passer”, et se disant “pas habitué à tant de gentillesse” à la télévision. C’est fou ce que les canapés rouges de Drucker, ça vous change un Mélenchon en guimauve.

vengeance

Copé, quel punk !

espion, couche-toi !

miel

Le Point (4/11), il déclare : “Ma présence, c’est le problème de Sarkozy. Il ne faut pas compter sur moi pour faire la danse du ventre pour rester. J’ai de moins en moins de souplesse dorsale.” Eh ouais, quand on a passé sa jeunesse une barre à mine à la main pour cogner du gauchiste, on finit avec un mal de dos carabiné.

Jean-Dav’ Lagaffe L’Express du 3/11 publie les bonnes feuilles du livre de Jean-Pierre Jouyet, président de l’AMF (Autorité des marchés financiers), Nous les avons tant aimés, où il revient sur les débuts de la relation entre Nicolas et Carla. A l’époque, alors que Sarko essayait de rester discret, son conseiller diplomatique Jean-David Levitte crut bon de faire taire la rumeur en présence de Sarko, arguant “que tout cela était ridicule, car chacun savait que Carla avait été la compagne de Laurent Fabius”. Depuis, Levitte a été nommé ambassadeur en Sibérie.

très confidentiel La navigatrice sarkophile Maud Fontenoy vient de se faire bombarder au Conseil économique et social. C’est con, on l’aurait plutôt vue en conseillère d’Hortefeux sur la Route du Rom.

Dans son livre sur les conflits d’intérêts paru il y a deux mois, Martin Hirsch taclait sévèrement Jean-François Copé. Le patron des députés UMP a préparé sa vengeance. Il a proposé de sucrer la rémunération de l’indélicat – 160 000 € par an – en tant que président de l’Agence pour le service civique. A la demande du gouvernement, l’amendement a été retiré. Ça augure quand même de jolis règlements de comptes…

coq “Dominique StraussKahn, prêt à diriger la France… ou le monde ?”, s’est demandé en une l’édition européenne de l’hebdomadaire américain Newsweek. Les strauss-kahniens en ont rougi de plaisir, fanfaronnant sur les chances de leur poulain. Michel Rocard les a calmés : “Qu’il finisse son boulot au FMI. C’est beaucoup plus important que d’être président de la République…” Ça dépend pour qui. Si Rocard s’en moque, les strauss-kahniens attendent quand même d’être m inistres ! 10.11.2010 les inrockuptibles 45

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Note préparée par l’UMP dont les chiffres se retrouvent distillés dans les journaux (Challenges du 9/09 ci-dessous et Le Figaro du 18/10 ci-contre)

propagenda

UMP, la fabrique de l‘info Quand des hommes politiques veulent donner du poids à leur com, ils n‘hésitent pas à la parer des couleurs de l‘info.

S

i Nicolas Sarkozy passait de 39 à 20  ministres, il permettrait d‘économiser un milliard d‘euros sur dix ans.“ En voilà une info alléchante en ces temps de remaniement et de rigueur budgétaire ! Surtout quand elle est lancée début septembre sur le ton de la confidence par le porte-parole de l‘UMP Dominique Paillé. “On peut vous préparer une note pour vous le développer si vous voulez…“ Non seulement on nous donne un scoop, mais en plus il est livré clé en main ! Quelques jours après, la note est envoyée à la rédaction des Inrocks, le tout sur papier blanc sans en-tête et par coursier... Pas de quoi laisser de trace. On ouvre joyeusement l‘enveloppe. C‘est une belle note de quatre pages, tapée à l‘ordinateur, intitulée pompeusement “Comment trouver facilement 1 milliard d‘euros“ et qui repose sur “une simulation sincère“ (sic). La note précise que “l‘analyse repose notamment sur le travail du rapport Dosière (du nom du député PS – ndlr)“. Mais, nous dit-on aussi, “malgré la qualité de son travail, le rapport Dosière ne permet pas de connaître le coût de chaque cabinet

ministériel”. Sherlock-Holmes-DominiquePaillé a donc enquêté et livré tous ses chiffres. L‘équation se met en place : remaniement + rigueur + note Paillé = recyclage de com. Si le porte-parole tenait tant à ce que cet argumentaire sorte, pourquoi ne pas avoir attendu son point-presse hebdomadaire du lundi pour le communiquer ? Parce qu‘il a plus de poids s‘il sort dans un

en pratique

rapport à René Pour rester crédible, Dominique Paillé a respecté l‘esprit du rapport du socialiste René Dosière. Celui-ci en convient : “C‘est une petite étude. Ils se sont inspirés des résultats que j‘avais obtenus. Ils utilisent les chiffres différemment mais on arrive à peu près au même résultat. J‘arrive à environ 7 millions d‘euros d‘économie par ministère et par an, soit 860 millions sur cinq ans. Je suis donc un peu au-dessus de leur estimation sur dix ans avec 1,7 milliard.”

journal réputé de gauche. Alors, on attend… Et là, déçus, les “experts de l‘UMP“ peuvent compter sur d‘autres canards. On voit passer une première brève dans Challenges le 9 septembre, sans indication du mode de calcul : “S‘il passait de 39 à 20 ministres, le président de la République permettrait d‘économiser 1  milliard d‘euros sur dix ans.” Trois semaines plus tard dans Le Figaro, le 18 octobre, un confidentiel explique que “des experts de l‘UMP ont fait leurs comptes”. Ah tiens ! Si “Nicolas Sarkozy opte pour une équipe resserrée“, il s‘agirait d‘une “belle source d‘économie”. Banco ! On retrouve les fameux chiffres : “en passant de 39 à 20, l‘Etat économiserait 125 millions d‘euros par an, soit 1 milliard 250 millions tous les dix ans”. Quant à Dominique Paillé, il s‘interroge toujours : “Vous avez tort de ne pas en parler, c‘est une info intéressante, surtout à l‘approche du remaniement.” Vous pouvez être sûr au moins que si le gouvernement passe de 39 à 20 ministres, on nous fera le coup d‘une économie d‘un milliard d‘euros sur dix ans... Marion Mourgue

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VII tout nu 10.11.2010

contre-attaque

calme ta life !

L

e déjeuner s’expédie aujourd’hui en 38 minutes contre 65 il y a trente ans. Nos conversations téléphoniques duraient alors 7 minutes, elles en prennent maintenant moins de 2. On parle en bouffant ses mots et l’écriture SMS écourte la durée d’émission des messages. Sur Facebook, poster des courriers longs et bourrés de sens désigne un ahuri que Twitter redresse en limitant son texte à 140 signes. Sur nos ordis, on utilise les raccourcis clavier, façon de gagner encore du temps. Et tout à l’avenant... Le speed dating est lui aussi limité à 7 minutes chrono, après on s’ennuie, c’est bien connu ; 7 minutes toujours, c’est le temps moyen que dure le câlin d’un couple français, en deçà les sexologues disent qu’il y a problème. A part ça, on achète des surgelés en deux temps trois mouvements et jusqu’à pas d’heure. Qu’on décongèle en quelques minutes. Dans les hyper, il y a une file paiement rapide quand on a moins de deux achats. Et c’est tant mieux car le parking est limité à vingt minutes. Vous n’avez pas vous aussi le sentiment que le temps raccourcit ? En vrai, il est comme il est, le temps, il ne bouge pas. C’est nous qui nous agitons de plus en plus. Paul Morand a montré de quelle manière “l’homme pressé”, comme s’il était grillé par la coke, ratait sa vie à vouloir tout hâter, tandis que son contemporain Proust préconisait de cultiver un délicieux ennui dans un temps suspendu. Suivant les conseils de ce dernier, il paraît urgent de calmer le jeu et de retrouver la vitesse du pas. Bref, glandouiller. Et pour

Denis Darzacq/Agence Vu

Contre l’emballement de nos vies, il est urgent de décélérer, rétropédaler, retrouver la vitesse du pas.

commencer, se plonger sans hâte dans Eloge de la lenteur, essai du Canadien Carl Honoré qui a judicieusement inventorié les initiatives de toutes sortes d’escargots modèles, comme le Club de la paresse à Tokyo, qui a ouvert un café avec des concerts à la bougie, pour ceux qui voudraient se taper un petit roupillon en musique. Expression pionnière de cette tendance au ralentissement, le “voguing”, récupéré et popularisé par Madonna, initialement inventé dans les clubs de la scène gay de Harlem il y a une quinzaine d’années. Le jeu consistait à maîtriser ses mouvements et les ralentir à l’extrême dans des figures proches des poses prises par les mannequins dans Vogue. Les couturiers, jusqu’à aujourd’hui, se sont réapproprié le voguing en faisant défiler, lors de leurs collections, homos et transsexuels surmaquillés sur des airs de dance lentissimo.

Dans ce train épicurien à petite vitesse, en plus du Slow Food déjà bien repéré, figure en première place l’Institut international pour ne pas foutre grand-chose (International Institute of Not Doing Much), club américain distingué composé de vacanciers professionnels dont le Manifeste du slow prône l’inaction absolue. Cet institut déclare la guerre aux hyperactifs et aux workaholics, êtres grossiers dont l’obsession est de tout faire en temps réel, et de s’en coller aussitôt un peu plus. Pas inintéressant non plus : la méditation orgasmique offerte par le Slow Sex Movement qui offre des ateliers inspirés du bouddhisme tantrique où l’on réapprend – à deux – l’art sacré des caresses. Bon, ça se passe à San Francisco et New York, mais si l’information pouvait inspirer à des petits malins la création d’une filiale du côté de chez nous, on ne saurait que les encourager. [email protected]

en pratique le temps retrouvé Se caler dans un fauteuil confort et s’endormir sur Eloge de la lenteur, l’essai de Carl Honoré, pourtant passionnant (Marabout). Ou, mieux, sur La Lenteur de Milan Kundera (Gallimard). Devenir membre de l’International Institute of Not Doing Much sur http://slowdownnow.org. A défaut, pratiquer le Qi Gong, la gymnastique chinoise aux mouvements décomposés et ralentis. A Paris, on peut s’initier dès le lever du soleil dans le jardin du Temple, dans le IIIe. Les sites abondent, dont www.qi-gong-paris.fr. Le Slow Food en France est sur www. slowfood.fr et sur slowfood.paris.terroirsdumonde.over-blog.com 10.11.2010 les inrockuptibles 47

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débat d’idées

Olivier Culmann/Tendance Floue

Le philosophe Guillaume Le Blanc s’interroge sur le statut d’étranger et pointe les failles d’un système qui laisse une partie de ceux qui lui appartiennent dans l’invisibilité ou l’attente.

étrangers sans condition

O

n ne naît pas étranger, on le devient. Or, ce devenir forme l’un des grands scandales politiques actuels. A quelle expérience sont assignés les étrangers dans la société française ? Comment définir leur condition, autrement qu’à travers les seuls critères sociaux et économiques ? Que signifie “ne pas être d’ici” ? Le philosophe Guillaume Le Blanc, 44 ans, déjà auteur de Vies ordinaires, vies précaires (2007), creuse cette énigme de la condition d’étranger dans une réflexion pleine de souffle et de vitalité, Dedans, dehors. Mobilisant ses lectures de Derrida, Deleuze, Balibar ou Butler, l’auteur développe une pensée riche et complexe, habitée par l’idée d’épuiser son sujet, comme si la notion d’étranger restait toujours un peu étrangère au sens commun, et qu’il fallait creuser loin pour en débusquer le sens, sa condition indigne. L’étranger est d’abord “celui qui se trouve acculé à ne pas pouvoir être, au sens plein du terme”. Les militants de Réseaux sans frontières, de la Cimade, du Gisti, les auteurs du collectif Cette Francelà… soulignent depuis des années combien la condition d’étranger est un effet de la précarisation juridique et sociale imposée par les Etats. “Etre désigné comme étranger, c’est potentiellement ne plus être vu que comme membre d’un groupe de

parias dont l’existence ne tient plus qu’à l’expulsion hors des sphères de l’audible et du visible”, écrit Le Blanc. L’impossibilité de bénéficier de propriétés majeures de la vie humaine (des papiers, un travail légal, une citoyenneté politique…)  le prive de l’accès à une existence nouvelle. La vie d’étranger n’a comme horizon que sa propre déshumanisation. Scindé “entre un régime public de désignation qui l’ostracise et un régime d’expérience privé qu’il ne peut faire apparaître au grand jour”, l’étranger reste un sujet séparé, propulsé à la lisière des nations et de lui-même. Déplacé sans être parvenu à se replacer, déclassé sans être parvenu à se reclasser, l’étranger rôde dans les parages de la vie sociale, “en po-

L’AUTEUR INVITE À L’INVENTION D’UN AUTRE “DEVENIR ÉTRANGER” QUI SE DÉFINISSE PAR UNE OUVERTURE AUX AUTRES

sition satellite”. La condition d’étranger repose sur une désignation qui crée la possibilité “d’être dedans tout en étant dehors” : on peut aller à l’école mais ne pas avoir de logement, travailler mais ne pas pouvoir voter… Sans support, l’étranger reste un “être de la pure attente”, comme les héros de Beckett désespérant de l’arrivée de Godot. Lutter contre cette invisibilité pour l’accès à des papiers, au droit de vote des étrangers…, c’est ainsi lutter contre l’Etat en tant que “garant des épreuves de sélection” (Christian Boltanski). Guillaume Le Blanc rappelle avec force que “c’est seulement quand une vie a voix au chapitre qu’elle peut commencer à compter, au même titre que n’importe quelle autre vie”. Et l’auteur d’inviter, par-delà l’action collective, à l’invention d’un autre “devenir étranger” qui ne se définisse pas par la condition d’injure, mais par une ouverture aux autres, “en soi et hors de soi”. Se penser soi-même comme un étranger et refuser de penser l’autre comme étranger relève d’un même geste, intime et politique, qui associé à l’hospitalité, dessine un horizon d’acceptation de l’étrange condition étrangère. Jean-Marie Durand Dedans, dehors, la condition d’étranger de Guillaume Le Blanc (Seuil), 214 pages, 18 € ; à lire aussi : Arabes en/de France (Loubatières), 240 pages, 35 €. A voir, expo photo France 14 à la BNF jusqu’au 21 novembre.

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“weh, samdi chui a chatlet” En 2016, après six ans de travaux, Châtelet aura changé de visage. En attendant, il reste le point de convergence de la jeunesse de Paris et de sa banlieue. Immersion. par Marc Beaugé photo Hugues Lawson 50 les inrockuptibles 10.11.2010

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Paris, 30 octobre 2010

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Chaque jour, entre 500 000 e t 1 million d e personnes transitent par Châtelet

“c’est du jerk, hein, mais pas celui de tes parents” Greedy, 19 ans

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ar où commencer ? Par où entrer dans cette improbable cour des Miracles ? A qui parler ? Qui en premier ? A peine le temps de se poser la question que, déjà, on nous tombe dessus. A quelques mètres de l’entrée du Forum des Halles, entre le Flunch et le magasin Dr. Martens, un type en poncho de pluie nous a repérés. Il veut de l’argent pour son association humanitaire, on file tout droit. Trente secondes plus tard, devant le McDo, une petite meuf nous aborde à son tour. Elle aimerait bien nous parler de l’association de quartier pour laquelle elle opère à Clichy, et éventuellement nous refourguer des cartes postales. Mais on connaît l’histoire. Bientôt, un type à l’air chelou nous siffle. Il semble enclin à partager avec nous des substances prohibées. On a ce qu’il faut, merci mec. C’est un samedi après-midi et ça grouille dans tous les sens. Entre cinq cent mille et un million de personnes transitent chaque jour à Châtelet, qu’elles y passent en RER ou en métro, fassent du shopping dans le Forum ou traînent en surface. C’est le lieu de toutes les rencontres et de toutes

Sur la terrasse du Forum, les jerkers s’entraînent plusieurs fois par semaine

les sollicitations. Ici, en un après-midi, si vous êtes en veine, on vous accostera une dizaine de fois. Théo, 16 ans, et ses potes sont des experts en la matière. Ils viennent de Poissy et chassent les filles à Châtelet. Ils y passent leur après-midi, plusieurs fois par semaine, et connaissent tous les trucs. “Si tu veux une Black ou une métisse, tu vas devant le KFC, mais si tu veux une Blanche ou une Rebeu, il vaut mieux aller à côté du McDo ou du Quick”, dit Théo alors que deux filles pas mal passent à proximité. Avec Jérôme, son pote le plus entreprenant, ils leur sautent dessus. Chacun sa fille, le numéro est rodé. La voix s’adoucit. Un peu : “Vas-y, tu viens d’où ? Tu fais quoi à Châtelet ?”, demande Théo à sa cible. La fille est de Saint-Denis, elle est venue acheter des Vans. Elle sourit, mais résiste. Avant de lâcher son numéro, elle veut l’avis de sa copine, alors Théo s’adapte : “Prends le mien, tu vois, tu m’envoies un message ce soir, ok ?” Elle note consciencieusement, la face est sauvée. “C’était une ‘Z’, une Zaïroise, je les aime, elles”, se marre Théo en se repliant.

Et ça continue. Il vient de repérer une fille dans un magasin de pompes un peu cheapos. Il fonce à l’intérieur, la fille est en train d’enfiler des escarpins mais il lui fait son numéro. Réceptive, elle lui donne rendez-vous devant le magasin dans deux minutes. Trop tard, il est déjà passé à autre chose. Une grande Black et une petite blonde discutent tout près. Théo s’occupe de la première. Fastoche. La fille, de Bondy, lâche déjà son numéro. “A Châtelet, on attrape les numéros ou alors les Facebook, t’as vu, explique Théo. Il y a des moments d’échec, mais ça va, on s’en sort. En un après-midi, on peut ramasser dix contacts. Faut juste de la capacité à bien parler. Après, il faut gérer. Je note le numéro et je prends la fille en photo avec le téléphone. Le soir, je regarde, et j’envoie des messages ti-gen. Dans 50 % des cas, on se revoit et on conclut. Souvent, ça se passe encore à Châtelet. Si on veut faire le romantique, on paie le KFC. Ou on les amène discuter vers le cinéma, dans le Forum, c’est calme là-bas. Après…” Après, les gars vont au plus simple. Impossible de ramener les filles à la maison ou de payer

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une chambre d’hôtel, alors ils les emmènent dans le parking de deux mille places, sous le Forum des Halles. Entre les voitures, ils se roulent des pelles et plus. De toute façon, tout se saura. Sur un compte Facebook ouvert à cet effet, les habitués de Châtelet balancent les histoires de cœur des uns et des autres. Construit à l’emplacement des Halles de Paris, inauguré en 1979 après plus de dix ans de travaux, le Forum des Halles est une monstruosité architecturale. Sur 182 hectares, en souterrain, cohabitent une immense gare de métro et RER, la plus dense d’Europe, et un centre commercial de cent soixantedix boutiques. Les coins et recoins sont innombrables. L’endroit parfait pour chourer, cavaler, semer les flics. Ici, les vols à la tir sont trois ou quatre fois plus nombreux que dans un centre commercial moyen. Même topo en surface : partout des escaliers, terrasses, baies vitrées, tunnels. Autant d’endroits pour se planquer ou squatter. A quelques mètres de l’une des entrées du Forum tourne un vieux

manège. Trois gamins s’amusent pendant que les parents patientent gentiment sur les bancs. A dix mètres de là, quelques Guadeloupéens un peu chauds se marrent, crient, fument et font tourner une bouteille de rhum. Du lundi au dimanche, ils sont là, c’est leur coin d’île. Juste au-dessus de leur tête, sur une immense terrasse, la musique résonne. On monte voir. Une trentaine d’ados en jeans slim, Vans et hoodies sont en train de danser. Les bras ne bougent presque pas mais le jeu de jambes est assez dingue. On dirait un croisement entre hip-hop et crump. On demande des précisions : “C’est du jerk, hein, mais pas celui de tes parents”, explique Greedy, 19 ans, le leader de la bande, aussi souple dans le mouvement que dans la vanne. “Aux Etats-Unis, notamment à Los Angeles, ça fait trois ans que ça marche. Ici, en France, ça a commencé il y a un an seulement. Aujourd’hui, on est une centaine à se retrouver plusieurs fois par semaine pour danser.” Presque toujours, cela se passe à Châtelet, sur la terrasse. Là-haut, les jerkers dansent devant des vitres sans tain. Ils peuvent se corriger, 10.11.2010 les inrockuptibles 53

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“vas-y, tu viens d’où ? Tu fais quoi à Châtelet ?” Théo, 16 ans

En un après-midi, Théo et ses potes peuvent obtenir dix contacts

s’admirer, se mater les uns les autres. Là-haut, surtout, personne ne vient les chercher, ni les embrouilleurs ni les flics. Seuls quelques touristes passent ici. “Quand on a vraiment envie de se montrer, il nous suffit de descendre l’escalier et d’entrer dans la fosse”, reprend Greedy, alors que ses danseurs se dispersent. Des filles plutôt pimpantes viennent d’arriver sur place. A Châtelet, la concurrence est rude. Chaque bande doit revendiquer son territoire, le défendre. Cela a toujours marché comme ça. Au début des années 1980, peu après l’ouverture du Forum, “c’était le western”, raconte Astro, ancien habitué des lieux. “Je me souviens d’un tag, au marqueur, sur la fontaine des Innocents. Sur le dessin, un mods était poursuivi par un skin et un rockeur. Les mods, avec leurs costards bien propres, étaient les têtes du Turc, les fils à papa, ils se faisaient taper par tout le monde. Les punks, eux, se faisaient cogner par les skins. Il y avait aussi des tensions internes entre rockeurs, d’un

côté les Cats, la crème, et de l’autre les Ny-joh, les Johnny, quoi, les rockeurs de banlieue… C’était vraiment chaud.” Aujourd’hui, les bastons restent fréquentes. Depuis deux ans, elles se sont même intensifiées. A Châtelet, on règle des histoires de banlieue et des affaires locales. Une bande baptisée Candy Shop s’est illustrée ces derniers mois, au point d’avoir les honneurs du Parisien. Souvent, Guadeloupéens et Martiniquais se mettent dessus. Chacun défend son espace, son business, le territoire est codifié. Le soir, les dealers et les toxicos du coin traînent dans le jardin, derrière le Forum, où les arbustes servent de planque. Pour le calme, de nombreux SDF s’installent sur la terrasse, à l’endroit même où les jerkers s’agitent l’aprèsmidi. Pour des raisons techniques, les skateurs de Châtelet sont historiquement à la fontaine des Innocents. Ce jour-là, ils sont deux à tourner, laborieusement. Les figures ne passent

pas, les planches valdinguent en permanence mais ils gardent le sourire. “C’est un bon endroit, dit Rod, 24 ans. Le revêtement est en marbre, ça glisse bien. Pour les figures, il y a les murets tout autour de la fontaine. Et quand beaucoup de gens sont assis dessus, c’est comme si on avait du public.” En réalité, les skateurs sont en déroute à Châtelet. Trop d’histoires, trop d’embrouilles, le gros de la troupe est parti à Bercy ou au palais de Tokyo. Autour de la fontaine des Innocents, les rares skateurs qui restent font profil bas. Rod rate une nouvelle figure. Assis sur le muret, cinq mecs de Mantes-la-Jolie se bidonnent. Un Black très grand, aussi intimidant qu’hilarant, se dresse et demande la planche. “Vas-y, file-la moi, je vais te montrer.” Rod baisse les yeux, s’exécute. Il a perdu la partie. Ici, ça chambre, ça jacte, ça négocie dans tous les sens. Ici, les argots de toute la région parisienne se croisent en même temps que les lignes de RER. En permanence, on apprend de nouveaux

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Autour de la fontaine des Innocents, les skateurs sont en déroute et se font régulièrement “emprunter” leur planche

“file-moi ta planche, je vais te montrer” un jeune de Mantesla-Jolie

mots. La “niafou” est une fille un peu vulgos qui, pour plaire aux mecs, va parfois se parfumer gratos dans le Sephora du Forum. Le “mamadou lines” est son pendant masculin alors que le “bougzer” est un gars de la cité avec piercings et crête. On schématise. Chacun a sa définition, son accent. Vu de l’extérieur, les conversations sont aussi incompréhensibles que drôles. Et elles n’arrêtent jamais. Un jour, dans un coin de Châtelet, on tombe sur Amell. Avec quatre copines, elle fume tranquillement une chicha. Elle parle beaucoup, vite et fort. Elle est drôle, insolente. Amell a 17 ans. Elle a grandi entre Dourdan et Grigny et est venue pour la première fois à Châtelet il y a deux ans. “Ce jour-là, j’étais avec des meufs de Grigny, on traînait au niveau de la place Carrée, dans le Forum, pas très loin du H&M. Des meufs nous ont embrouillées. Elles nous ont demandé d’où on venait. Bah, on s’est battues avec elles. Et on est revenues le lendemain. Bah, on s’est encore battues !” Elle éclate de rire.

Quelques jours plus tard, on la retrouve seule chez Momo, rue SaintDenis. Il est 17 heures, elle mange un grec. “Je viens tout le temps ici, dit-elle. Momo est une légende de Châtelet, tout le monde le connaît. Parfois, quand on n’a pas d’argent, il nous fait cadeau…” Juste au-dessus de sa tête, la télé branchée sur Arsenal-West Ham hurle à tue-tête. “Châtelet, c’est chaud, faut se faire respecter. Aujourd’hui, les filles n’ont plus peur de se battre. On se tire pas les cheveux, on se griffe pas, hein. On y va plus fort que les bonhommes. Maintenant, ouais, c’est patate-balayette.” Il y a quelques mois, un samedi vers 19 h 30, elle traînait avec une bande de copines, les Baana Danger. Au niveau de la fontaine des Innocents, elles sont tombées sur une bande rivale, les Baana Massacreuses. Une fille a pris un coup de stylo dans la cuisse. Les flics ont débarqué à cinquante, ils ont gazé tout le monde, Amell s’est fait arrêter. Pour cette affaire, pas sa première, 10.11.2010 les inrockuptibles 55

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Mylène, 19 ans, a découvert le quartier grâce à sa mère

“wesh wesh sava einh weh samdi chui a chatlet mai ya pah mey pote avk mwa dzl” Amell, 17 ans, par sms

le jugement vient de tomber. Amell a été placée dans un centre d’éducation renforcée. Elle ne peut plus sortir le soir et n’a de permission qu’un week-end sur deux. “Je vais essayer de me calmer. Peut-être, je vais moins traîner par ici…”   Après plusieurs années de palabres et polémiques, les travaux de réhabilitation de Châtelet ont commencé en mai dernier. Une partie des jardins du Forum, là ou se retrouvaient quelques papys boulistes, est désormais inaccessible, protégée par de grandes palissades vertes. Le projet de réhabilitation prévoit d’y aménager une clairière de plus de 4 hectares. Comme le centre commercial, la gare sera aussi largement réaménagée. Plus spectaculaire, une immense feuille de verre, la Canopée, viendra chapeauter le Forum. La fin des travaux, d’un coût total de 760 millions d’euros, est prévue pour 2016. Cette modernisation vise aussi à fluidifier et à sécuriser Châtelet. Moins de zones d’ombre, moins de passages étroits et donc moins de bandes qui s’installent et rivalisent. Une illusion ? Les trois lignes de RER et six lignes de métro continueront de se croiser dans la gare. Dans le Forum,

on vendra encore des fringues, des baskets et des disques. Dehors, les sex-shops de la rue Saint-Denis vont peut-être dégager, c’est en tout cas la volonté de la mairie. Mais en sera-t-il de même pour tous les bars, les fast-foods, les grecs ? Et quid des pierceurs, des tatoueurs, des vendeurs de fripes ou de fringues gothiques ? Il faudra plus qu’une feuille de verre et une augmentation générale des loyers pour démanteler un lieu aussi dense. En attendant, jeunesse se passe donc encore ici, à Châtelet. Non loin d’une entrée du Forum, une petite bande s’active dans une boutique sombre. Mylène, 19 ans, cheveux rouges, piercing et tatouages apparents, lace les bottes noires de sa copine. Celle-ci patiente gentiment. “Vas-y, lui lance Mylène. Faut que tu traverses deux fois le magasin. La première fois, c’est pour t’habituer à la hauteur. La seconde fois pour voir si la taille est bonne…” La semelle des bottes fait une quinzaine de centimètres. “Désormais, il y a plus de gothiques sur Montmartre ou Bastille, raconte Mylène, mais à Châtelet, on vient encore faire du shopping. On se retrouve

autour de cette boutique, le Grouft, on passe aussi dans les boutiques du Forum. J’aime bien Châtelet, il y a de l’énergie.” Elle sourit. “En fait, c’est à cause de ma mère si je viens ici, c’est elle qui m’a donné envie…” L’intéressée n’est pas loin. “Je venais au milieu des années 1980, raconte Valérie la maman, coiffeuse à domicile. Mes parents étaient stricts, il n’y avait rien d’extravagant dans mon look. Alors, ici, j’en prenais plein les yeux. Je venais seule, je m’installais autour de la fontaine des Innocents et je regardais les gens. Ils étaient incroyables. D’un côté, il y avait les gars et les filles avec des coupes iroquoises. Quelques mètres plus loin, c’était les new wave, lookés comme Robert Smith. Puis, au fond, au niveau des arcades, il y avait les punks. C’était dépaysant pour moi qui venais de Boulogne… Je suis contente que ma fille Mylène vienne ici, qu’elle ait une personnalité, du caractère.” Démonstration quelques minutes plus tard. Un gars à casquette persifle sur le passage de Mylène. Elle hurle : “Qu’est-ce t’as, toi ? T’as un problème ?” Le gars baisse les yeux. Ici, mon pote, c’est Châtelet.

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la revanche des geeks

Roborock

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vec un chiffre d’affaires de 50 millions de dollars en 2009, le site ThinkGeek est une caverne d’Ali Baba florissante. On y trouve des sabres lumineux, des clés USB en forme de Dark Vador, des kits pour cultiver des bactéries, et bientôt de la viande de licorne. La cible de ce bric-à-brac inutile et à l’humour au énième degré est claire : les geeks. Et le succès de ThinkGeek atteste qu’il ne s’agit plus d’une poignée d’ados attardés. Le geek, tel qu’on l’imagine, vit déconnecté de la marche du monde, plus à l’aise avec les machines que ses contemporains, et se réfugie dans des passions incompréhensibles à la majorité. Doté d’un humour régressif, il utilise un vocabulaire codé, bardé de références à l’informatique et à l’heroic fantasy. Le geek s’habille comme un plouc, avec des chemisettes à carreaux et des mocassins et, en général, il n’est pas sportif. En réalité, il existe une vaste diversité de types et de comportements geeks : les passionnés d’informatique, qui “jailbreak” les iPhone de leur entourage moins balèze, ceux qui s’immergent dans une sous-culture Star Wars, Donjons et Dragons

Raillés et méprisés dans les années 1980, les geeks et leur culture infiltrent aujourd’hui toute la société. Qui es-tu, le geek ? par Anne-Claire Norot

(très années 1980-1990) ou les romans de SF de William Gibson, les addicts aux jeux vidéo, les fans hardcore de musique, les Otaku obsédés de mangas et d’animes, les lecteurs de comics… Parfois, tout ceci se recoupe, se croise, se mélange. Le dictionnaire étymologique anglo-saxon fait remonter le mot “geek” dans son sens actuel à “environ 1983”. A cette époque, il était “utilisé dans l’argot adolescent pour désigner des pairs manquant de savoir-vivre et obsédés par les nouvelles technologies et les ordinateurs”. Raillés, ignorés et méprisés dans les cours de lycées, les geeks faisaient profil bas dans l’ombre des hédonistes, des sportifs et des extravertis, rois de ces années fric et chic. Dans son livre The Second Self (1984), la sociologue Sherry Turkle étudiait cette nouvelle relation d’intimité à la machine et constatait que “pour les enfants comme pour les adultes, les ordinateurs séduisent parce qu’ils fournissent à chacun une chance de tout contrôler, mais ils peuvent enfermer les gens dans une obsession de contrôle, dans un besoin obsessionnel de créer leur propre univers privé”. A l’époque, on utilisait d’ailleurs plus fréquemment le mot “nerd”. Mais il ne faut surtout pas confondre : 10.11.2010 les inrockuptibles 59

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alors que le nerd est incapable de communication, le geek sait se comporter en société, certes parfois sans grand enthousiasme. Depuis la fin des années 1980, les geeks ont pris le pas sur les nerds. Avec l’arrivée des newsgroups et des bulletin board systems (BBS) permettant de communiquer via ordinateur, puis évidemment de l’internet, certains nerds se sont ouverts, ont appris à socialiser, devenant ainsi des geeks, toujours passionnés mais moins isolés. Le cinéma et les séries ont aussi contribué à rendre cool ce type de population, montrant moins de nerds autistes à culs-de-bouteille et plus de geeks, certes pas toujours bien intégrés mais sympas et se tapant même la fille à la fin. En vivant en ligne et en faisant des bons mots sur son blog, on peut plaire sans être un canon. Depuis, les geeks revendiquent leur geekitude. Après le Geek Pride Festival en 1998-2000 à Albany (photos très parlantes sur bit.ly/cLy1WZ), le Geek Pride Day a été instauré en 2006 en Espagne, puis est arrivé en France sous le nom de la Journée du geek en 2010 (25 mai, anniversaire de la première de La Guerre des étoiles et hommage à Douglas Adams, auteur du Guide du voyageur galactique, bible de l’humour geek). En outre, le geek n’est plus uniquement un homme : les geekettes sont apparues, assumant leur passion pour le cosplay ou Linux. Aujourd’hui, non seulement le geek ne se cache plus, mais il est populaire. Il faut dire que certains de ses centres d’intérêt sont sortis de l’underground :

les vrais geeks sauront toujours démasquer le branché déguisé

Denis Poroy/AP/Sipa

Rencontre entre Ghostbusters et Star Wars au Comic-Con de San Diego, salon de la BD devenu la mecque des geeks

le succès du Seigneur des anneaux a relancé l’heroic fantasy, les premiers de la classe n’ont plus honte depuis que les aventures d’Harry Potter se sont vendues à plus de 400 millions d’exemplaires dans le monde, les mangas sont désormais largement acceptés… Surtout, être geek a permis à Bill Gates ou à Mark Zuckerberg de gagner beaucoup, beaucoup d’argent. Mais en infiltrant ainsi la société, le geek ne risque-til pas de perdre son essence ? Récupérés, devenus respectables grâce aux séries télé – Seth Cohen, le gendre idéal de The O.C. (Newport Beach, en France) –, ils ont même contaminé le monde de la mode. On parle de “geek chic”, symbolisé par les lunettes de Justin Timberlake à l’avant-première de The Social Network. Aujourd’hui, n’importe qui ponctuant ses phrases de lol et d’irl ou possédant un iPhone et sachant twitter peut se revendiquer geek, comme certains politiques voyant là un bon moyen de faire jeune. Mais les vrais geeks se reconnaîtront toujours et sauront toujours démasquer le branché déguisé. Plongé dans la chambre d’un vrai fan de World of Warcraft ou au Comic-Con de San Diego, l’imposteur en T-shirt au slogan cryptique et aux lunettes en écaille ne fera pas longtemps illusion. Le vrai geek ne pose pas, il est seulement obsessivement immergé dans sa passion. Lors d’une récente interview, Mark Zuckerberg rétablissait la vérité en commentant The Social Network : “On dirait que la seule raison pour laquelle j’ai fait Facebook, construit quelque chose, c’était pour choper des filles, intégrer une institution sociale. Ce que n’ont pas compris les gens qui ont fait le film, c’est que dans la Silicon Valley, si on construit des choses, c’est parce qu’on aime ça.”

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Ils sont geeks et ont bouleversé la vie de milliers d’autres. Portraits de douze célébrités bien connectées. 2

1  Steve Jobs, la star Derrière l’iPod, l’iPhone ou l’iPad ne se cache pas une société mais un homme. Car Steve Jobs est Apple. Fondateur de l’entreprise en 1976, il est rappelé à son chevet en 1997 alors qu’elle est au plus mal (entretemps, il a créé le studio Pixar). Par un mélange détonant de flair, d’intransigeance, de marketing et – un peu – de technologie, il fait d’Apple la star de l’électronique grand public des années 2000. Au point qu’aujourd’hui, de Colette à Wall Street, le monde entier est suspendu à ses annonces ou aux rumeurs sur son état de santé. 2  Les Wachowski, les asociaux Nourris aux comics et à Tolkien, Larry et Andy Wachowski ont transcendé et popularisé l’esprit geek dans Matrix, fable futuriste où s’opposent monde virtuel et monde réel. Notoirement reclus et asociaux, ils déclinent leur univers très référencé dans des comics (ils ont publié chez Marvel) et au cinéma, adaptant par exemple Speed Racer, série d’anime sixties de Tatsuo Yoshida. Des rumeurs sur un changement de sexe de Larry (devenu Lana) n’ont jamais été confirmées. 3  Ray Kurzweil, le gourou Génie précoce, inventeur touche-à-tout, pionnier de la musique électronique ou de la reconnaissance de caractères, Ray Kurzweil est un visionnaire pour les uns, un illuminé pour les autres. Gourou d’un néoscientisme, Ray Kurzweil a une foi inébranlable dans

Rexfeatures/Sipa

par Anne-Claire Norot et Jean-Baptiste Dupin

le pouvoir de la science : théoricien de la singularité, moment historique où l’intelligence humaine sera dépassée par celle des machines, et du transhumanisme (l’amélioration artificielle de l’homme), il n’exclut pas aujourd’hui d’accéder à l’immortalité. 4  Chris Anderson, l’économiste Arrière-petit-fils d’un des fondateurs du mouvement anarchiste américain et diplômé de physique, il initia dès 1994 les pages internet de The Economist. Rédacteur en chef depuis 2001 de Wired, la bible des nouvelles technologies, Chris Anderson est aussi l’auteur de deux livres visionnaires et controversés sur les bouleversements économiques induits par le web : La Longue Traîne, sur les stratégies de niche, et Free, sur l’économie de la gratuité. Fan d’avions radiocommandés, il est le fondateur de DIY Drones et 3D Robotics, une entreprise d’équipement de robotique. 5  Richard Stallman, l’activiste Idole de tous les dingos d’informatique tendance libertaire, Richard Stallman est l’anti-Bill Gates. Parmi les premiers hackers, il est toujours resté attaché à cette éthique de partage, d’indépendance et de méritocratie. Créateur dans les années 1980 du concept de logiciel libre, il a développé le système d’exploitation GNU, popularisé l’idée de copyleft et ainsi ouvert la voie à Linux ou Wikipédia. Activiste inlassable, il lutte contre la brevetabilité des logiciels ou la gestion des droits numériques (DRM).

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Pieter Baert

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6  Bill Gates, le premier On ne présente plus Bill Gates, cofondateur puis dirigeant de Microsoft et aujourd’hui le retraité le plus riche du monde. Même s’il doit plus sa fortune à son sens des affaires qu’à son habileté (réelle) de programmeur, il incarne, y compris pour ses détracteurs, le mythe de la Silicon Valley : celui du bidouilleur de génie qui a conquis le monde depuis sa chambre. Et malgré sa tête d’œuf. 7  Moot, le précoce C’est en 2003, à l’âge de 15 ans et en cachette de ses parents, que Moot (de son vrai nom Christopher Poole) crée 4Chan, en s’inspirant du site japonais Futaba Channel. Forum controversé où images et commentaires sont postés anonymement, 4Chan a vu naître tous les phénomènes du net (rickrolling, lolcats…) et compte 10 millions de visiteurs uniques par mois. Fervent défenseur de l’anonymat en ligne, Moot a été élu la personne la plus influente par les lecteurs de Time en 2009. Soutenu par quelques gros investisseurs, il lancera bientôt Canvas. 8  William Gibson, le visionnaire En imaginant dans son premier roman, Neuromancien, un futur fait de réseaux informatiques et de cybernétique, William Gibson a créé un concept – le cyberespace – et un sous-genre de la SF – le cyberpunk –, qui ne sont aujourd’hui plus très loin de la réalité. Idole des hackers, comptant U2 parmi ses fans et toujours à l’avant-garde

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de l’imaginaire, il est aussi un fin observateur de l’époque comme l’a montré sa récente analyse du pouvoir de Google dans le New York Times. 9  Larry Page et Sergey Brin, les Google men Ils se sont rencontrés à Stanford, en 1995, et la légende veut qu’ils aient alors passé tout leur temps à se chamailler. Larry Page, le bricoleur, qui, étudiant, avait fabriqué une imprimante en Lego, et Sergey Brin, petit génie des maths, se sont cependant assez entendus pour mener ensemble un projet universitaire sur les backlinks (liens pointant vers un site). Ils ont ensuite développé l’algorithme PageRank puis lancé Google en 1998. A leurs heures perdues, Page investit dans les énergies renouvelables tandis que Brin, ayant découvert qu’il risquait de développer la maladie de Parkinson, s’implique dans la recherche médicale. 10  Brian Eno, le musicien Clavier fou au sein de Roxy Music, Brian Eno s’est rapidement lancé dans une carrière d’artiste solo et de producteur qui l’a vu devenir un des pionniers de la musique électronique. Fasciné par la technologie, il a créé en 1995 le son de Windows pour Microsoft, composé la musique du jeu Spore et des sonneries pour Nokia, ou encore co-inventé Bloom, une application pour iPhone. Il est l’un des membres fondateurs du think tank The Long Now Foundation, qui “promeut la pensée à long terme”. 10.11.2010 les inrockuptibles 63

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Kinect, sans manettes Fantasme ultime du gamer, le dispositif de reconnaissance de mouvement de Microsoft sort cette semaine. Plus besoin de manettes pour jouer. Comme dans Minority Report ? par Erwan Higuinen

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oilà, ils sont au complet. Quatre ans après Nintendo (et sa Wii) et deux mois après Sony (et le PlayStation Move), Microsoft lance cette semaine son dispositif de reconnaissance de mouvement, baptisé Kinect et destiné à la Xbox 360. Mais s’il est le dernier arrivé et le plus cher des trois (150 euros avec le jeu Kinect Adventures!, 300 euros si l’on achète la console en même temps), c’est aussi le plus ambitieux. Car, cette fois, plus besoin de télécommande factice ou de joystick rassurant : le corps même du joueur fera office de manette. Après une mise à jour promise pour début 2011, la reconnaissance vocale – déjà disponible au Japon et dans les pays anglophones – s’ajoutera au programme. Depuis l’annonce officielle de Kinect (sous le nom de code Project Natal) en juin 2009, une séquence de Minority Report est dans tous les esprits : celle où Tom Cruise manipule un ordinateur via de simples gestes dans l’espace. Et les imaginations s’échauffent. Ne plus devoir

appuyer sur des boutons, posséder une machine qui vous obéit au doigt et à l’œil. Bienvenue dans la science-fiction. Avec le fantasme est venue la méfiance. Et si tout cela n’était qu’un gigantesque mensonge ? Et si Milo and Kate, le jeu présenté en 2009 par le game designer Peter Molyneux, qui promettait une interaction poussée avec un petit garçon virtuel, ne voyait jamais le jour ? Sur Milo, c’est aujourd’hui le silence radio. Mais Kinect est bien là et Minority Report, plus très loin. Kinect se présente sous la forme d’un boîtier monté sur pivot, à poser sur (ou sous) son écran, et qui marie une caméra vidéo à un capteur de profondeur destiné à “scanner” la pièce et à identifier les silhouettes de ceux qui s’y trouvent. La première bonne nouvelle est que, malgré les inquiétudes (faudra-t-il rester debout ? pourra-t-on se tenir à plusieurs devant l’objectif ?), ça marche. Les possesseurs de Xbox 360 peuvent poser leur manette : ils n’en ont plus

faudra-t-il rester debout ? Pourra-t-on se tenir à plusieurs devant l’objectif ?

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Grâce au dispositif de reconnaissance Kinect, on entre virtuellement dans l’univers du jeu via son avatar

Kinect Adventures! sur la Xbox 360

besoin pour naviguer d’un menu à l’autre de leur console. Il est d’ailleurs probable que Kinect ne restera pas longtemps confiné au domaine ludique. En attendant, c’est bien des jeux que découlera le premier verdict. Alors, gadget coûteux ou révolution ? Au moment du lancement, les jeux sont au nombre de dix-huit. Dont trois de danse, trois programmes de fitness (parmi lesquels EA Sports Active 2.0, qui surveille aussi notre rythme cardiaque), et un certain Zumba Fitness, qui promet de marier les deux. Les autres ne frappent pas non plus par leur originalité, des simulations sportives dérivées de Wii Sports aux collections de minijeux familiaux en passant par un Kinectimals qui, sous la double influence d’EyePet et de Nintendogs, propose de câliner des bébés tigres entre deux parcours d’obstacles effectués en bondissant sur place dans son salon. Visiblement, les développeurs se cherchent encore. D’où, parfois, d’étranges partis pris. Le jeu de course Kinect Joy Ride demande ainsi au joueur de tendre les bras et de tourner un volant imaginaire.

Mais à quoi bon se passer de manette si c’est pour faire comme si on en manipulait une ? Tant qu’à rompre avec ses habitudes de jeu, n’y aurait-il pas moyen de faire évoluer son petit bolide autrement ? Mais le vrai problème de Kinect relève de l’“uncanny valley” (“vallée dérangeante”). L’expression désigne le sentiment de malaise qui naît de la simulation des comportements humains. Plus cette dernière se rapproche de la réalité, plus ses imperfections choquent. Et avec Kinect, aussi précis soit-il, le système ne prend pas exactement en compte tous nos gestes. Il subsiste un délai d’une fraction de seconde et, parfois, des imperfections. Rien de scandaleux : il faut juste le savoir, et faire avec. Et si, d’autre part, on regrette de ne pas pouvoir toucher les félins trop choux de Kinectimals, c’est bien le signe qu’au fond, le jeu fonctionne. L’essentiel est sans doute ailleurs. Déjà, techniquement, Kinect tient ses promesses. Ce n’était pas forcément gagné pour un accessoire élaboré dans un but essentiellement commercial – pour attaquer la Wii sur son propre terrain, en gros. Kinect Sports (signé Rare) et ses épreuves d’athlétisme plus crevantes que nature, ou Dance Central (par les auteurs de Rock Band) offrent déjà des expériences ludiques rafraîchissantes ; jouer au foot dans son salon en décochant un tir puissant de son vrai pied droit ou exhiber sa poker face très travaillée, mine de rien, c’est déjà bien. Surtout, des titres Kinect sont en chantier chez quelques grands créateurs. Phénomène ultra-geek, la simulation de pilotage de robots géants Steel Battalion s’apprête à renaître. Et, cette fois, nulle nécessité d’abandonner son salon à un tableau de pilotage surdimensionné. En 2001, Tetsuya Mizuguchi marquait les esprits avec Rez, shoot’em up génial (et synesthésique : le jeu se revendiquait de Kandinsky). Annoncé pour 2011, son successeur spirituel, Child of Eden, utilisera Kinect. On en salive déjà. Pour Xbox 360 (Microsoft, environ 150 € avec le jeu Kinect Adventures!) 10.11.2010 les inrockuptibles 65

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le geek, ce héros

A l’origine c’était un nerd, personnage fétiche du réalisateur de teen-movies John Hughes. Mais au tournant des années 2000, le geek est né sous la caméra de Judd Apatow. Histoire d’une consécration. par Jacky Goldberg

U

n adolescent hirsute rentre chez lui après les cours. Sa mère absente, il se rue vers le frigo, y prend quelques tranches de fromage pour hamburger, du pain de mie, une part de gâteau au chocolat et un verre de lait. Il s’installe devant la télé et, tout en dévorant ce qui sera vraisemblablement son seul dîner, regarde son show comique préféré. Riant à pleines dents, il se mire dans le téléviseur où, par la magie d’un champ-contrechamp, son héros (Gary Shandling, humoriste de stand-up des années 1980) soudain lui ressemble. En fond sonore, I’m One, extrait du film Quadrophenia des Who (le mod, ancêtre du geek ?), où Pete Townshend chante tendrement : “And I can see that this is me, and I will be, you’ll all see, I’m the one” (“Et je sais que c’est moi, vous allez voir, je serai celui-là”). On ne saurait mieux décrire que par cette séquence bouleversante, issue de la série de Paul Feig et Judd Apatow, Freaks and Geeks, l’essence du geek : c’est dans la solitude de sa chambre ou d’une salle obscure, dans le face-à-face avec un écran (cinéma, télé, ordinateur) que ce “désarmé existentiel” (pour reprendre le terme d’Emmanuel Burdeau dans son passionnant livre-entretien avec Judd Apatow 1) se trouve des modèles, se gagne une estime. Diffusée à la télévision américaine lors d’une unique saison entre 1999 et 2000, Freaks and Geeks se déroule au début des années 1980 dans la banlieue de Chicago. Un détail d’importance, qui fait de cette grande série un hommage non dissimulé à John Hughes, le maître ès teen-movies des eighties décédé en août 2009. Dans la poignée de films qu’il réalisa ou produisit à cette

le geek, “désarmé existentiel”, cherche moins à s’échapper de la société de consommation qu’à s’y trouver une place singulière

époque, Hughes parvint à dresser, avec une sensibilité extrême, le portrait d’une génération sous contrainte, cherchant moins à s’échapper de la gluante toile consumériste qu’à s’y trouver une petite place, singulière. Dans cet écosystème étudié avec l’attention d’un ethnologue, Hughes donna une place particulière aux nerds, tribu dont il se sentait le plus proche – le terme, péjoratif et pas tout à fait synonyme de geek, fut inventé en 1951 par le magazine Newsweek et popularisé dans les années 1960, qui serviront d’ailleurs de toile de fond aux premiers véritables teen-movies : ceux de George Lucas (American Graffiti en 1973) et de John Landis (American College en 1978). A travers les personnages joués par Anthony Michael Hall – dans Sixteen Candles, Breakfast Club ou Une créature de rêve –, John Hughes dépeint le nerd en éternel dadais goinfré de pop culture, obsessionnel, qui peut bien ignorer le dédain des prom queens et les brimades des plus forts, puisque ceux-là croupiront à jamais dans leur ville natale quand lui s’envolera vers la réussite sociale grâce à son intelligence. Ce modèle, au fort potentiel commercial, sera déployé dans une flopée de teen-movies dont on commence tout juste à apercevoir la richesse (voir le beau documentaire de Clélia Cohen et Antoine Coursat, Teen Spirit), parmi lesquels Fast Times at Ridgemont High, Porky’s, Karaté Kid, Revenge of the Nerds ou Say Anything. Puis plus rien, ou presque. Après ce feu d’artifice, les nineties semblent ignorer superbement ces asociaux. Seules quelques comédies régressives les caricaturent en puceaux attardés (American Pie) ou en rockeurs décérébrés (Wayne’s World) – une exception : le génial Max Fischer, joué par Jason Schwartzman dans Rushmore de Wes Anderson (1998). C’est que les années 1990, avec le sida galopant, l’héroïne triomphante et le désespoir résumé par les cris de Kurt Cobain, appartiennent essentiellement

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le rêveur Freaks and Geeks, la série créée dans les années 2000 par Paul Feig et Judd Apatow

le loser Napoleon Dynamite de Jared Hess (2004)

le surdoué Jason Schwartzman (au centre) dans Rushmore de Wes Anderson (1998)

le sentimental Steve Carell dans 40 ans, toujours puceau de Judd Apatow (2005)

aux freaks. Et l’adolescence de devenir le terrain de cinéastes indépendants davantage inspirés par Burroughs que par Mickey Mouse : Gus Van Sant (My Own Private Idaho), Gregg Araki (Nowhere), Harmony Korine (Gummo), Larry Clark (Kids), Todd Solondz (Bienvenue dans l’âge ingrat)… La problématique n’y est plus de trouver sa place, même singulière, dans le système, mais de consumer aussi vite que possible ce qu’il nous reste d’innocence avant inventaire définitif. Et dans cette jungle inhospitalière, le geek préfère courber l’échine et attendre son heure… Aussi, au tout début des années 2000, Freaks and Geeks orchestra parfaitement la transition. En mettant côte à côte les freaks et les geeks, underdogs unis par leur mal-être existentiel mais inévitablement séparés par le destin que la société leur réserve, Judd Apatow préparait le triomphe à venir des seconds, à la fois littéralement (c’est son premier grand œuvre) et symboliquement (retour aux golden eighties et changement de paradigme). Les années 2000 appartiendront ainsi presque sans partage aux geeks

(même Araki ou Clark se sont adoucis), dont le blason cerné de valeurs positives (sociabilité, intelligence, culture, voire sex-appeal) a définitivement remplacé celui du nerd. Napoleon Dynamite devient le héros de son lycée d’Idaho en dansant sur Jamiroquai ; Steve Carell décomplexe des bataillons de collectionneurs de figurines dans 40 ans, toujours puceau ; McLovin donne une leçon de coolitude dans SuperGrave ; et Riad Sattouf tend un miroir à tous les adolescents moyens qui se sont un jour rêvés en Beaux Gosses. Dernier exemple en date, le milliardaire de 26 ans devenu le héros en quasi-temps réel du film de David Fincher, The Social Network, termine de recouvrir ce portrait plutôt heureux d’une véritable détresse : devant son écran, Mark Zuckerberg ne parvient pas à faire autre chose qu’actualiser la page Facebook de son ex… Lorsque, trente-sept ans plus tôt, Pete Townshend chantait “I’m one”, il n’imaginait certainement pas ce sens-là. 1. Comédie, mode d’emploi d’Emmanuel Burdeau (éd. Capricci), 144 pages, 13 € 10.11.2010 les inrockuptibles 67

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A défaut de faire de la bonne musique, le groupe de Rivers Cuomo fait le buzz en déclinant à l’envi une stratégie geek. par Diane Lisarelli

A

un moment, Weezer c’était bien. C’était dans les années 1990, on portait des sacs à dos et personne, ou presque, en France n’avait internet. Depuis, Matt Sharp a quitté le groupe et Rivers Cuomo, son binôme devenu leader, galère à retrouver le niveau du Blue Album (1994) ou de Pinkerton (1996). Résultat, Weezer refuse de prendre sa retraite et mise tout sur ce qu’il lui reste : sa geek credibility. A défaut de faire de bons albums, Weezer a décidé de squatter l’internet. Artworks, clips, produits dérivés et coups promo s’inspirent de la culture web, reprenant et détournant les mèmes (concepts ou phénomènes internet) de manière plutôt intelligente mais un tout petit peu flag’. Evidemment, Weezer n’est pas le seul groupe à avoir compris l’importance d’occuper l’espace internet en vue de vendre un peu plus d’albums sur l’iTunes Store : récemment M.I.A., les Klaxons, Holy Fuck, OK Go, ou Yelle et Hold Your Horses en France, ont su s’inspirer de l’esthétique gifs animés scintillants, pop-up dans tous les sens, détournements et lolcats en tout genre. Mais Weezer, qui a toujours été considéré comme un groupe de geeks – Rivers Cuomo, ancien étudiant loser à Harvard, portait des grosses lunettes à monture noire quand ce n’était pas la mode –, en fait un tout petit peu trop. La preuve.

Sean Murphy

Weezer : geeker n’est pas jouer

Leclip de Pork and Beans

vidéos Si Weezer

a toujours multiplié les références à la pop-culture dans ses vidéos (Happy Days dans le clip de Buddy Holly, le Muppet Show dans le clip de Keep Fishin’, Hugh Hefner dans le clip de Beverly Hills), c’est en 2008 et le clip de Pork and Beans que le groupe s’attaque frontalement à la culture web. Détournant ou débauchant une vingtaine de vidéo-stars de YouTube, le groupe en appelle alors avec brio à la mythologie foisonnante du net. Résultat : un beau bestiaire de la geekitude vu des dizaines de millions de fois sur internet. Un coup de maître que le groupe tente péniblement de reproduire depuis. Dernier exemple en date : un clip en collaboration avec l’équipe de Jackass, l’ancienne émission de MTV, dont les productions entre “fail”, “LOL” et “WTF” sont l’essence même du contenu dont raffolent les internautes. Moué.

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produits dérivés Surfant sur la vague de popularité virtuelle des Snuggies, ces sortes de combinaisons-couvertures en polaire destinées aux gens qui passent leur temps face à un écran, Weezer a lancé sa propre version de l’accessoire n° 1 du geek en mal de vie sociale. Le groupe a dû donner de sa personne en reproduisant le spot de pub type télé-achat et en allant jouer sur le plateau du Late Show de David Letterman habillé de la sorte. Un site (weezersnuggie.com, plus en service) avait même été créé avec comme argument de vente : un album (Raditude) offert pour tout achat de la chose. Carrément.

artworks Si pour la majorité de la population la pochette de Raditude (2009) représente juste un chien sautant au milieu du salon d’un ménage moyen, pour ceux qui zonent sur internet régulièrement elle s’impose surtout comme un gros clin d’œil à la culture web – dont tout un pan est dévolu aux photos d’animaux ridicules et à leur détournement. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour que les internautes s’attaquent à la pochette de l’album, insérant le chien dans d’autres clichés pour créer des images plus ou moins absurdes. Un concours improvisé mais prévisible auquel Weezer s’est vite rallié en offrant un exemplaire de l’album dédicacé à la meilleure création. Bien vu. De la même manière, la pochette du dernier album, Hurley, affiche le portrait du personnage qui porte le même nom dans la série Lost, une des plus téléchargées et commentées sur le net. Comme par hasard.

promo Après le Snuggie l’année dernière, au tour du groupe Gregory Brothers en 2010 de servir à Weezer pour assurer sa promo. Alors au top des téléchargements sur l’iTunes Store avec ses titres faits de samples de discours ou de déclarations télévisés autotunés (souvent des faits divers), les Gregory Brothers, qui squattent les sites de buzz avec leur projet Auto-Tune the News depuis plusieurs mois, se sont ainsi laissé convaincre de faire une vidéo avec Weezer. Etrangement, le résultat, plutôt mauvais contrairement aux dernières productions des Gregory Brothers, a été mis en ligne pile au moment de la sortie de Hurley. Ben voyons. le Weezer arrosé Au début du mois d’octobre, un certain James Burns de Seattle a décidé d’attaquer le groupe sur son propre terrain en lançant une campagne virtuelle (via le site thepoint. com). Le principe ? Réunir 10 millions de dollars qui seront offerts au groupe pour qu’il se sépare : “Si nous réunissons au moins la somme de 10 millions, nous aurons alors peut-être une chance de ne plus devoir entendre un nouvel album merdique de Weezer tous les ans.” “Je n’en peux plus de voir mes amis être déçus année après année. Je n’en peux plus du cucu fantasmatique de leurs pochettes et de leurs vidéos musicales. (...) Si chacune des 852 000 personnes qui ont acheté Pinkerton nous envoie 12 dollars, nous remplirons nos objectifs. Je vous en supplie, Weezer : prenez votre oseille et tirez-vous !”, ajoutait le petit rigolo. “Pwned”, comme on dit sur le net. 10.11.2010 les inrockuptibles 69

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electro-market

Le geek aime les nouveautés technologiques, les bidules électroniques et les objets cultes. Sélection ciblée en fonction de ses hobbies.

le geek tech

par Erwan Higuinen, Anne-Claire Norot, Philippe Richard

une tablette pour la HD L’Archos 101 internet Tablet fonctionne sous Android. Dotée d’un écran de 25 cm de diagonale, elle bénéficie d’un processeur cadencé à 1 GHz et d’une capacité de stockage de 8 ou 16 Go. Elle peut lire des vidéos HD. Archos, entre 300 et 350 €

kit d’extraction d’ADN  Solutions chimiques, gobelets, microtubes, seringues… Il y a tout dans ce coffret, mis au point par un spécialiste en biologie moléculaire, pour jouer au petit savant chez soi, et extraire et visualiser son propre ADN. imaginascience.com, 44,97 €

une oreillette pour oublier le bruit La Jabra Go 660 est équipée d’un système de suppression de bruit de fond qui procure une très bonne qualité d’écoute. Elle est dotée de deux micros qui identifient la source sonore, puis accentuent la voix tout en éliminant les bruits environnants. Jabra, 100 €

un disque petit mais costaud Avec moins de 155 cm3, le disque dur Rikiki Go peut stocker jusqu’à 1 To de données. Son boîtier en aluminium brossé le protège contre les chocs et les chutes. Disponible en gris, rouge et bleu. LaCie, à partir de 110 €

un disque pour être branché Le myDitto simplifie la vie. Ce disque dur réseau (NAS) de 1 To ne nécessitant aucun paramétrage permet de partager tous ses fichiers. Il suffit de le brancher sur la box de son fournisseur internet et d’activer la clé USB livrée avec. Dane-Elec Memory, 250 €

robot en kit Près de 600 briques, un microprocesseur 32 bits, un écran à matrice, des liens de communications USB et Bluetooth, des capteurs sensoriels et un logiciel de programmation pour fabriquer et faire évoluer son propre robot : c’est le Lego Mindstorms NXT 2.0 Lego, 299 €

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PS3 et sa manette intuitive Cette console de 320 Go, Blu-ray, est accompagnée du PlayStation Move qui détecte les mouvements et permet de reproduire tous les gestes du joueur sur l’écran pour une immersion totale dans le jeu. Sony, 329 €

le geek jeux vidéo

clavier modulable Le clavier Shift propose aux joueurs un système de touches totalement customisable pouvant s’adapter à tous les jeux. Il bénéficie de trois niveaux de hauteur, de pieds très larges et d’un repose-poignet intégrant des parties en gomme pour éviter les glissades. SteelSeries, 25 €

portable pour les gamers Equipé d’un écran Full HD et du nouveau processeur Intel Core i7, le GX660R de MSI peut recevoir jusqu’à 12 Go de mémoire. Il permet ainsi aux utilisateurs de profiter de tous les jeux, des traitements vidéo et photo avec un maximum de confort et de rapidité. MSI, 1 600 €

jeu de combat rétro Le jeu BlazBlue: Calamity Trigger, avec son look manga en 2D, s’accompagne d’une manette de jeu géante pour retrouver les sensations d’une borne d’arcade à la maison sur sa PS3. Hori, 146,45 €

bannière WoW  Pour encore plus se croire dans le monde d’Azeroth, le fan de World of Warcraft choisira, selon son appartenance à la Horde ou à l’Alliance, l’une de ces deux belles bannières pour décorer sa chambre. Thinkgeek/Blizzard Entertainement, environ 29 €

une manette pour son iPhone Le iGame Stick est un support ergonomique pour iPhone et iPod Touch qui prend la forme d’une manette de jeu. Livré avec deux cadres interchangeables et de tailles différentes, il est doté d’un revêtement “soft touch” comparable à celui des manettes de jeu pour consoles. Energy, 20 € 10.11.2010 les inrockuptibles 71

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le geek musicien

casque dynamique Destiné aux passionnés de musique, le casque UR-55 offre un grand confort audio avec une dynamique hors du commun et de fortes basses. Les oreillettes sont pivotantes et le cordon mesure 1,2 m. Koss, 70 €

sac haut-parleur Les geeks prosélytes partageront leurs obsessions musicales avec ce sac haut-parleur au look de ghetto-blaster vintage. On y branche un iPod ou n’importe quel lecteur mp3, et il en diffuse la musique. Audio Couture, 39,99 €

convertisseur universel de vinyles et cassettes en mp3 Comment sauvegarder ses vieux 7” de Denim et ses précieuses cassettes de compilation de Creation Records ? Et surtout comment pouvoir les réécouter sur son lecteur mp3 ? En les convertissant via ce petit appareil pratique, estampillé U-Record. Ion, 56 €

concentré de musique Le récepteur Streamium NP2900 permet d’écouter facilement sur sa chaîne hi-fi tous les mp3 d’un PC et toutes les radios internet. Son grand écran couleur (8,8 cm de diagonale), très lisible, affiche les informations sur le titre, la pochette de l’album ou le nom de la radio reçue. Philips, 300 €

baladeur mp3 précis Elégance et design pour un produit haut de gamme en aluminium et tout en finesse (7,2 mm d’épaisseur). Bénéficiant d’un écran LCD de 5,1 cm, ce Walkman S750 offre une très bonne qualité d’écoute grâce à différents procédés éliminant 98 % du bruit ambiant. Sony, 130 €

PC sans fausse note HP s’est associé au célèbre producteur et rappeur américain Dr. Dre. Résultat : le PC portable HP Envy Beats Edition bénéficie d’une technologie unique permettant de restituer une musique numérique avec un son de très bonne qualité. HP, 1500 €

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le geek SF

une plaque pour son iPhone Le chargeur par induction PowerPad est conçu pour recharger son iPhone 3G ou 3GS sans avoir besoin de le brancher sur une prise de courant. Il est commercialisé avec un étui de protection pour votre smartphone. Gear4, 100 €

des lunettes 3D précises Cette paire de lunettes est équipée de lentilles optiquement correctes. Elle bénéficie aussi d’une courbure enveloppante afin d’augmenter le champ de vision et la sensation de relief. Elle sera disponible avant cet hiver aux Etats-Unis, puis en France en 2011. Oakley, 150 €

une TV pour le cinéma Le Philips Cinema 21:9 Full HD 3D est le premier écran 3D au format cinéma (et non au format 16/9) du marché. Exit, donc, les bandes noires en haut et en bas de l’image. Il dispose d’une diagonale de 58 pouces (1,47 m) avec un rétroéclairage LED. Philips, 4 000 €

coupe-pizza “Star Trek” Le gadget ultime pour les trekkies qui aiment manger des pizzas en regardant Star Trek : un rutilant pizza-cutter qui a la forme de l’Enterprise. thinkgeek.com, environ 18 € T-shirt Blade Runner Les fans de Philip K. Dick et de Ridley Scott porteront fièrement ce T-shirt “Plus humain qu’humain” et se prendront pour un réplicant échappé de Blade Runner. lastexittonowhere.com, environ 20 €

enceintes de glace Le GLA-55 est un kit audio 2.1 au look très original. Ce modèle se pilote par simple effleurement de touches chromées. Il dispose d’un puissant ampli numérique bi-amplifié de 100 W couplé à un égaliseur DSP (traitement numérique du signal). Harman/Kardon, 800 €

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Régis Schleicher, arrêté près d’Avignon le 15 mars 1984

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d’entre les murs

Régis Schleicher a passé vingt-six ans en prison. Ancien membre d’Action directe, il raconte dans un livre comment ses compagnons de détention lui ont donné la force de se retourner sur son passé.

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cause du magnétophone posé sur la table du restaurant, le serveur se fait curieux. “Monsieur, vous êtes connu, non ?” Réponse amusée de Régis Schleicher : “Si vous trouvez qui je suis, vous êtes vraiment très fort…” La photo la plus récente de l’ancien membre d’Action directe date du 16 mars 1984, au lendemain de son arrestation près d’Avignon. Aujourd’hui âgé de 53 ans, dont vingt-six passés en prison, Régis Schleicher assure la promotion de son dernier livre, Clairvaux, instants damnés mais refuse de se laisser photographier ou filmer. On lui fait remarquer qu’en passant chez Denisot, Ardisson ou Ruquier, il vendrait quatre fois plus de livres. “Oui, mais j’aurais cent fois plus d’emmerdes !”, répond en souriant celui qui bénéficie depuis le 26 mai dernier d’une liberté conditionnelle. Dans Clairvaux, instants damnés, Régis Schleicher raconte ses camarades de détention de la centrale de Clairvaux, dans l’Aube – Le Gros, La Goutte, Ratko, les deux Mounir – mais aussi les matons, les frites du mercredi et le dégoût du quotidien. “Finalement un jour, un mois, une année, un perpète se sont écoulés… Et au bout le vide pour la plupart nous a néantisés !”, écrit celui qui est, lui, sorti

par Jean-Philippe Leclaire debout du néant. Rencontre à Lyon, au restaurant Rouge Tendance (ça ne s’invente pas !), dont le serveur cherche encore qui pouvait bien être ce motard pas très grand mais costaud, tantôt grave, tantôt souriant, dont la tête désormais sans moustache lui semblait pourtant si familière. Entretien > Quelle est l’histoire de ce livre ? Régis Schleicher – En 1997, je me rends compte que je suis en train de perdre la langue. Ça fait une quinzaine d’années que je suis “dedans”, je tourne avec un vocabulaire de quelques centaines de mots. Fin 1997, je me retrouve à l’isolement, avec encore moins de mots. J’ai du temps à perdre. En dehors d’une promenade de deux heures le midi, je croupis dans une cellule d’une dizaine de mètres carrés. J’écris les premiers chapitres du livre, puis je suis transféré à Moulins, en détention normale. En février 2003, je fais une tentative de cavale qui échoue. Le PC sur lequel j’écrivais est saisi et tout ce qu’il y a dedans est analysé, versé au dossier et imprimé sur procès-verbal. Je récupère tout ça au moment du procès pour tentative d’évasion alors que je suis à nouveau à l’isolement à Clairvaux, courant 2005. J’ai ensuite sorti deux romans1. Clairvaux…, je ne le finirai

que durant les neuf mois de ma période de semi-liberté, en 2009 et 2010, à Lyon. Je bossais la journée ; le soir et le weekend je rentrais au placard et j’écrivais. Quand on referme votre livre, on se pose forcément la question : à quoi sert la prison ? Un jour, un psychiatre m’a demandé : “Qu’est-ce que vous avez appris en prison ?” Je lui ai retourné la question : “Vous pensez sincèrement qu’en laissant croupir quelqu’un pendant vingt ans dans une cellule de dix mètres carrés il va apprendre quelque chose ?” L’administration pénitentiaire pourrait se servir de vous comme d’un exemple : l’ancien terroriste qui s’est cultivé grâce à la prison et publie désormais des livres… Je ne veux surtout pas devenir un exemple ! Tout ce que j’ai appris en prison, je ne l’ai pas appris grâce à la prison. J’avais seulement la chance d’être curieux et je savais quelles ficelles tirer. J’ai appris des langues étrangères parce que j’ai fait la démarche de contacter le Centre national d’enseignement à distance ou la faculté. Il a fallu interpeller l’administration pénitentiaire pour obtenir des subventions qui permettent de payer les frais d’inscription, très coûteux pour un prisonnier. Si je suis sorti de prison debout et pas rempli de haine et d’amertume… (il s’interrompt) Un homme se définit par les endroits 10.11.2010 les inrockuptibles 75

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où il passe et les relations sociales qu’il établit. Aujourd’hui, je suis le produit de tous les gens dont je parle dans mon livre, ceux que j’ai aimés et ceux que je n’ai pas aimés. A tous, même aux pires des violeurs ou des meurtriers, vous dites vouloir redonner “une part d’humanité”… Je suis entré en prison avec une vision du monde assez manichéenne : les bons et les mauvais, les rouges et les noirs. La prison m’a offert le “luxe” de côtoyer des gens venus d’univers très différents. J’ai rencontré des fachos et des pervers capables d’élans du cœur insoupçonnés, d’une vraie générosité. J’ai aussi rencontré des gens de mon monde, des militants soi-disant altruistes qui ne respectaient pas leurs valeurs. J’ai vite compris que le monde n’était pas si binaire. L’interview que vous avez récemment accordée au Progrès est titrée : “Je ne veux plus changer le monde”. Est-ce un aveu d’impuissance, ou le monde n’est-il pas si mal que ça ? Ce titre, c’est une bonne accroche, mais tendancieuse car incomplète. Le journaliste m’a demandé où j’en étais politiquement et je lui ai répondu : “Je suis encore privé de mes droits civiques, je suis revenu à des ambitions plus modestes, je ne veux plus changer le monde.” Je voulais dire que le monde n’avait pas besoin de moi pour changer. Que ça me plaise ou pas, je n’ai pas d’interaction là-dessus. Mais je ne me considère pas non plus comme un “repenti d’Action directe”, comme j’ai pu le lire sur un site internet. Dès 2005, dans une interview par écrit à Libération alors que vous étiez encore en prison, vous avez quand même été le premier ancien membre d’Action directe à exprimer très clairement des regrets. Sans entrer dans le débat de savoir si notre combat était juste ou pas, en étant un minimum honnête et lucide, je suis obligé de reconnaître que des gens ont souffert. Quand le soir vous rentrez à la maison et qu’au lieu d’un mari ou d’un père vous trouvez une chaise vide, c’est une douleur qui s’apprivoise mais ne s’efface pas. Il faut la respecter et se faire petit devant ça, éviter les déclarations indécentes qui remuent le couteau dans la plaie. Vous faites référence à des propos tenus à l’époque par un autre membre d’Action directe, Jean-Marc Rouillan2 ? Peu importe de qui je parle. J’ai commencé à lutter parce que j’étais

Bouchon/AFP

“j’ai compris que la douleur et la souffrance n’appartiennent pas à un seul camp”

sensible à l’humain et aux souffrances de l’humanité. Mon adolescence, c’était Pierre Overney3, l’Espagne, le Chili, le Vietnam… Malgré ces élans d’humanité, j’avais fini par ne plus voir l’humain, mais seulement la fonction. Quand vous vivez en groupe réduit et sous la pression des événements, vous avez un point de vue sectaire, le combat justifie le combat. Lors de vos différents procès, vous aviez encore une attitude très radicale. Vous avez même menacé des jurés. Comment s’est produite cette évolution ? Il y a une quinzaine d’années, j’ai perdu quelqu’un qui m’était infiniment cher. Cette mort m’a amené à réfléchir autrement que de manière théorique à la mort des autres, à la violence dont j’avais été l’auteur ou le coauteur. J’ai compris que la douleur et la souffrance n’appartiennent pas à un seul camp. J’ai un pote qui a été tué sous mes yeux (Ciro Rizzato, lors d’un hold-up à Paris, le 14 octobre 1983 – ndlr). Sa mère et sa compagne aussi ont pleuré. Ces regrets, vous auriez pu les garder pour vous. En les publiant, avez-vous

Le 31 mai 1983, avenue Trudaine à Paris, deux policiers meurent sous les balles d’Action directe

voulu que vos mots arrivent jusqu’aux familles de vos victimes ? Oui, mais ça ne veut pas dire que j’ai envie d’entrer en contact avec elles. Moi, même vingt ans après, je ne voudrais pas rencontrer celui par qui la souffrance est arrivée. Une rivière de sang a coulé, et on ne peut pas jeter des ponts comme ça. Le cinéma a récemment produit sur la bande à Baader ou sur l’extrême gauche italienne des films qui condamnent ces mouvements mais en donnent une vision souvent romantique. Avec Action directe, on est toujours dans le dur… Le sang est toujours moins rouge ailleurs. Quand vous marchez dedans, c’est plus sordide. Prenez Che Guevara : on l’a érigé en icône révolutionnaire, quitte à oublier qu’en Bolivie son groupe n’était guère plus important que le nôtre et qu’il a été balancé par ceux pour lesquels il était venu lutter. Politiquement, où vous situez-vous aujourd’hui ? Pour moi, la politique a toujours été indissociable de l’engagement. Or, je ne suis plus disposé à y consacrer du temps et de l’énergie. J’ai d’autres priorités.

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En 2005, vous vous déclariez encore “militant communiste”. Vous le restez aujourd’hui ? Communiste, oui. Militant, non. Vos parents étaient engagés politiquement à gauche mais pas à l’extrême gauche. Votre père a même été l’un des fondateurs de la CFDT. Comment ont-ils vécu votre basculement dans la violence ? Ce fut très douloureux parce que j’ai lutté avec des armes dans une société qui pour eux ne le justifiait pas. L’éducation qu’ils avaient essayé de me donner, c’était le respect de l’homme, y compris de son intégrité physique. Ils se sont demandés ce qu’ils avaient loupé. Quelle est la réponse ? Rien. J’ai eu la chance infinie de pouvoir discuter librement avec eux. Mes parents ont non seulement toujours été présents mais – là, ça va sembler “hérétique”– ils ont toujours considéré que j’étais un honnête homme. Ils pensaient que j’étais sincère, épris de convictions, même si j’ai basculé dans des choses qu’ils condamnaient. Comment cela s’est-il produit ? A l’époque, une grande partie de la jeunesse adhérait à ces courants politiques. Kouchner, July, Cohn-Bendit pensaient la même chose que moi. Mais ils n’ont jamais opté pour la lutte armée… Ils avaient peut-être déjà des plans de carrière. Moi, j’étais plus jeune, peut-être plus sincère aussi, et j’ai rencontré des gens qu’eux n’ont pas rencontrés et inversement. Avez-vous lu le livre que vient de publier Jean-Marc Rouillan4 ? Non, pas encore. Je pense que je ne serai pas d’accord avec ce qu’il dit. Mais j’ai lu pas mal de ses précédents bouquins, il a un vrai talent d’écrivain. Mais attention, mon bouquin ne parle pas d’Action directe. On m’a jugé et condamné pour les faits que j’ai commis au nom d’AD. Aujourd’hui, je pose des actes différents, dont ce livre. Qu’on me juge désormais sur ces actes. Clairvaux, instants damnés (L’Editeur), 304 pages, 19 € 1. Les Pacifiants (Edite), 2006 ; Huis clos (Alexipharmaque), 2009. 2. Dans La Dépêche du Midi datée du 26 juillet 2005, Jean-Marc Rouillan déclarait notamment : “On veut clairement un repentir officiel (…). On veut faire publicité de notre intervention sur l’inutilité de la lutte armée, sur sa dangerosité.” Or précisait-il, “nous croyons toujours valable notre positionnement communiste”, tout en concédant que “les conditions de la lutte armée n’existent plus”. 3. Militant maoïste tué le 25 février 1972 par un vigile devant les portes des usines Renault à Boulogne-Billancourt. 4. Infinitif présent (Editions La Différence).

depuis epuis p son arrestation rrestation en n mars 1984 condamnation Régis Schleic Schleicher cher a été condamné deux fois à la réclusion à perpétuité : pourr sa participation à la fusillade de l’avenue Trudaine à Paris le 31 mai 1983, au cours de laqu laquelle elle deux ainsi ux policiers ont été tués, ain si que e pour une série de hold-up,, dont nt un braquage avenue de Villiers liers le 14 octobre 1983, qui a vu la mort de l’un des participa participants, ants Ciro ro Rizzato. menaces Lors d’un procès e en décembre 1986, cembre 1986, Régis Schleicher Schleich her menace enace les membres du jury populaire pulaire en leur promettant “les es rigueurs de la justice prolétarienne”. olétarienne”. Le lendemain, cinq q des neuf jurés se font porter être rter pâles et le procès doit êt tre renvoyé. nvoyé. Ces incidents aboutissent aboutisssent à la a création de la Cour d’assise d’assisse spéciale, éciale, uniquement composée composé ée de magistrats. conditionnelle Fin juillet 200 2009, 09, après rès vingt-cinq ans de prison,, il bénéficie d’un régime de semi-liberté, libération mi-liberté, puis d’une libérat tion conditionnelle nditionnelle depuis le 26 mai 26 mai dernier. rnier. A ce titre, il lui est encore encore interdit pourr erdit d’évoquer les faits pou lesquels ainsi squels il a été condamné ains si que e de rencontrer les parties civiles iles ou ses anciens complices. complice es. Régis gis Schleicher travaille pourr l’association ssociation caritative lyonnaise lyonnaisse La Pierre angulaire. Il ne devrait devra ait recouvrir couvrir la totalité de ses droits droits qu’en ’en mai 2015. membres Cinq autres memb membres bres de premier plan d’Action directe directte sont nt sortis de prison. Joëlle Aubron Aub bron estt décédée des suites d’un can cancer ncer du poumon le 1er mars 2006 à l’âge ge de 46 ans. Nathalie Ménigon Ménig gon vit sous un régime de libération n conditionnelle nditionnelle depuis le 17 juillet 2008. juillet 2008. En prison, elle a subi vasculaires bi deux accidents vasculaire s cérébraux. rébraux. Maxime Frérot et Georges Cipriani bénéficientt d’un un régime de semi-liberté. Jean-Marc an-Marc Rouillan a lui aussi bénéficié néficié d’un régime de semiliberté erté à partir de décembre 2007 décembre 20 007 mais ais a été réincarcéré pour dess propos tenus dans L’Express L’Expresss du 1er octobre 2008. Il déclaraitt notamment : tamment : “En tant que communiste, mmuniste, je reste convaincu u que e la lutte armée à un moment momen nt du processus révolutionnaire estt nécessaire.” 10.11.2010 les inrockuptibles 77

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Amy, Lily, Michael et moi

Producteur successful d’Amy Winehouse et Lily Allen, le très hip Mark Ronson vient de sortir un album euphorique et nostalgique des 80’s. Il est vrai qu’à l’époque, il passait la soirée chez les Lennon avec Michael Jackson ou discutait avec Springsteen dans la cuisine de ses parents… par JD Beauvallet photo Philippe Garcia



ui est Mark Ronson ? Le producteur vedette d’Amy Winehouse et de Lily Allen ? Le DJ hip-hop admiré par ses pairs ? Le poster boy que s’arrachent les journaux mondains ? Le fan cinglé de musique et de sons, qui écoute tout et connaît par cœur toutes les pochettes de disques ? Tout ça à la fois et bien plus encore : une personnalité hors normes, façonnée par un destin romanesque. Entretien > Quand as-tu été happé par la musique et son pouvoir pour la première fois ? Mark Ronson – Je me revois, j’ai 3 ans, je suis assis derrière une batterie que j’ai construite moi-même… A Londres, mes parents étaient un de ces couples un peu sauvages et hip des années 70, ils organisaient

de grosses fêtes à la maison… Cette nuit-là, à cause du boucan, je me suis réveillé et je me suis installé avec ma batterie devant un haut-parleur… Nigel Olsson, le batteur d’Elton John, a crié : “Regardez le putain de gamin ! Achetez lui une vraie batterie !” Quelques mois plus tard, j’avais la mienne. A quel moment commences-tu à t’intéresser sérieusement à la musique ? A 7 ans, je lisais les notes de pochettes des albums, le magazine Billboard, je voulais tout savoir, une éponge, un vrai nerd. Je ne regardais pas la télé, je ne jouais pas aux jeux vidéo mais je voulais savoir dans quel studio avait été enregistré telle prise de batterie. A 13 ans, j’ai croisé le rédacteur en chef du magazine Rolling Stone, Jann Wenner. Je lui ai expliqué que je trouvais la version 1986 de Don’t Stand So Close to Me de Police un peu décevante. Il m’a dit : “Gamin, t’as un vrai problème. Mais je veux bien te filer un stage !” Je me suis retrouvé deux étés de suite à Rolling Stone, avant d’écrire pour des fanzines de hip-hop ou de hard-rock. J’étais à mourir de rire : un gringalet avec une voix de fille… Mon boulot, entre autres, consistait à téléphoner à tous les disquaires du top “modern pop” pour compiler leurs charts et déterminer qui serait numéro un cette semaine-là. D’où venaient tes connexions dans la musique ? Mon père était manager de groupes pop. Après le divorce de mes parents, ma mère s’est remariée à New York avec Mick Jones de Foreigner. Le groupe était alors au sommet : il y avait sans arrêt des musiciens à la maison. Je me souviens qu’un jour j’ai commencé à soûler Billy Duffy de Cult avec la gamme pentatonique du blues. Il m’a répondu : “Mec, t’as 14 ans, tu ne devrais pas te soucier de conneries pareilles, tu devrais picoler et commencer à pécho.”

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Paris, octobre 2010

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Xposure/Abacapress

Mark Ronson avec… Amy Winehouse

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“au mariage de Tom Cruise, j’ai mixé Gwen Stefani avec la BO de Top Gun” … Boy George

De l’extérieur, on imagine ta vie très glamour, entre fêtes et défilés de mode. Il y a pourtant un côté très laborieux dans ton travail de producteur. Je passe quatorze heures par jour enfermé dans un studio ! Je peux passer neuf heures d’affilée à régler un son. Pour beaucoup de musiciens, le studio est un endroit irréel, une évasion du vrai monde : moi, c’est mon vrai monde, mon chez-moi. C’est ce qui se passe dehors qui me semble le plus bizarre. Tu as vécu des moments magiques en studio ? Le premier jour d’enregistrement de Back to Black d’Amy Winehouse a été une révélation. Le groupe était déjà installé et soudain, j’entends le rythme parfait, celui derrière lequel je courais depuis des années avec mes machines : c’était Homer Steinweiss, le batteur des Dap-Kings. Tous les meilleurs breaks de hip-hop que j’avais accumulés dans ma vie étaient là, face à moi, en chair et en os. Je me suis alors rendu compte que pendant toutes ces années, sans le savoir, j’avais tenté de créer un être humain avec mes machines. Je les ai alors abandonnées à la poussière. Tu es réputé pour ton sérieux, ton côté consciencieux. Tu l’as toujours été ? J’ai toujours été très pragmatique, sans doute grâce à ma mère. Elle a brillamment élevé cinq enfants avec une idée fixe : pour chacun d’entre nous, la certitude qu’elle mourrait pendant notre onzième année. Sa mère

était morte quand elle avait 11 ans. Elle avait donc pris la décision de ne pas être trop proche de nous, pour nous éviter ce déchirement. Du coup, à mon tour, je ne prends jamais rien pour argent comptant. Ma première production a été Nikka Costa, en 2001 : tout le monde prédisait un triomphe, des héros de jeunesse comme Busta Rhymes me félicitaient (il l’imite)… Et le disque s’est quand même planté. Idem pour mon premier album, en 2003. On me disait : “Tu dois être déçu.” Je répondais : “Non, j’avais prévu l’échec.” Avant de finalement connaître le succès derrière Lily Allen ou Amy Winehouse, j’ai connu douze années d’échecs. Je voyais tous les mecs avec qui j’avais démarré dans les petits clubs hip-hop – Diplo, The Neptunes, Danger Mouse – cartonner les uns après les autres. Je me suis dit : “Tu n’es peut-être pas fait pour ça, sois réaliste.” Amy Winehouse, c’était un peu ma dernière chance. Ma seule chance. Qu’une chose soit claire : je n’ai pas fait la carrière d’Amy et Lily. C’est même l’inverse : ce sont elles qui m’ont fait. Tu te souviens de ta première rencontre avec Amy Winehouse ? Elle est venue dans mon petit studio de New York et devait repartir à Londres le soir même. D’habitude, quand un artiste vient à ma rencontre, je lui fais écouter des bouts de chansons que j’ai en stock. Là, j’ai immédiatement su que je n’avais aucun titre digne d’elle. “Mais si tu repasses demain, je vais bosser

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James Peltekian/Camerapress/Eyedea

… Lily Allen

Zoren Gold & Minori/Camerapress/Eyedea

c compile d’une d une vie

sur une idée pour toi.” J’ai pris un tambourin, mis plein d’échos dessus, comme une version cheap de Phil Spector, et j’ai trouvé le riff de piano de Back to Black. Elle a répondu : “C’est exactement le son que je cherche.” Elle voulait moderniser le son du juke-box de son pub de Londres où elle jouait au billard, des trucs comme les Shangri-Las, les Cadillacs. Quand elle chante : “They tried to make me go to rehab but I said no, no, no” (“Ils ont essayé de m’envoyer en cure de désintox mais j’ai dit non, non, non”), elle raconte une réunion de famille dramatique. Pourtant, c’est joyeux, entraînant, à la Ray Charles, deux univers cohabitent. Les sujets qu’elle aborde ont sauvé sa musique du rétro. Des dizaines de filles blanches ont fait ce genre de soul depuis : elles n’ont pas évité le pastiche. Mon métier de DJ a aussi aidé : je voulais des rythmes que je puisse passer en soirée, enchaîner avec du hip-hop. Quand on ne connaît que ses frasques, on ne peut pas imaginer à quel point Amy est musicale. Mais elle avait tout composé à la guitare sèche, avec des accords jazz compliqués. Tu es à la fois un producteur reclus et un “poster boy”. Comment vis-tu cette dualité ? Si je suis pote avec Jay-Z ou Diddy, c’est parce que j’ai été DJ hip-hop pendant des années. Je ne les ai pas rencontrés dans le jet privé de Beyoncé mais dans des clubs poucraves de New York. Ma crédibilité sur le circuit hip-hop, je l’ai gagnée en travaillant dur. Depuis deux ans, j’ai commencé à me retrouver dans les tabloïds : le fait que ma sœur ait été la petite copine de Lindsay Lohan ou le nom de mes copines sont devenus plus importants que ma musique. Je ne suis pas taillé pour ce rôle, je ne me sens pas à l’aise dans les fêtes, dans les médias, je suis plutôt introverti, un geek qui a tout appris dans sa chambre. J’aime rester en retrait.

1975 Naît à Londres dans une famille hip et mondaine. une 1982 Ses parents se séparent, sép parent, Mark Ronson suit sa mère à New York où elle épouse ép ouse Mick Jones, guitariste de Foreigner, voisin et ami de la famille Lennon, chez qui il rencontre r Michael Jackson. 1990 Fugue au nom du grunge. Se réfugie chez less Lennon, revient après six jours. six x jours. 1993 Se fait un nom comme DJ dans le circuit hip-hop. Jay-Z Jay y-Z ou Sean “Diddy” Combs le prennent sous leur aile. 1999 Mannequin pour po ur une campagne Hilfiger. 2 2001 Première production : Nikka Nik kka Costa. Hip mais échec commercial. com mmercial. 2 2003 Premier album, Here He re Comes the Fuzz. Succès Su ccès critique mais faibles ventes ven ntes malgré la présence de Jack White, Mos Def ou Rivers Cuomo (Weezer). 2 2004 Création de son label Allido. All lido. Signe le rappeur Saigon, puis i W Wale l et Rh Rhymefest. f

2006 Produit l’album Back to Black d’Amy Winehouse et l’accompagne en tournée. Travaille sur l’album Alright, Still de Lily Allen, ce qui lui vaut un Grammy Award. DJ au mariage de Tom Cruise. 2007 Carton anglais de sa reprise des Smiths, Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before. Il enchaîne avec un album de reprises, Version, où il reprend Coldplay, Radiohead ou The Jam, épaulé par Robbie Williams, Lily Allen ou Ol’ Dirty Bastard. 2008 En studio avec Nas ou Kaiser Chiefs. 2010 Produit Duran Duran. Album Record Collection, avec Boy George, Ghostface Killah, Spank Rock, D’Angelo et Duran Duran au générique. Il produit une chanson pour l’album posthume de Michael Jackson. Vit avec l’actrice française Joséphine de La Baume, également chanteuse du prometteur groupe SingTank. Si T k

Comment es-tu devenu DJ hip-hop ? Je voulais à tout prix travailler dans la musique, c’était ma seule compétence. Petit à petit, c’est devenu mon métier, qui finançait mon label, mon studio. Je me suis retrouvé à jouer pour des marques ou à Las Vegas… Un jour, j’ai fait DJ à une fête de Noël de Martha Stewart (magnat de la presse US – ndlr). Là, je me suis dit : “Mec, qu’est-ce que tu fous de ta vie ?” Je n’en pouvais plus de souiller ainsi des chansons de Michael Jackson, AC/DC ou Deee-Lite, je me sentais sale, traître. Une vraie pute. Quelques sets mémorables ? Le dîner des correspondants de la Maison Blanche ou le mariage de Tom Cruise, où ils ne voulaient que du hip-hop… En principe, pour un mariage, tu laisses tes raretés et ton ego de DJ au vestiaire, mais là, j’avais une surprise : mélanger les beats de Gwen Stefani avec le riff de la BO de Top Gun. Tom Cruise a visiblement adoré, il dansait en faisant semblant de tirer au gun ! Qui t’a donné goût à la production ? RZA, le producteur du Wu-Tang Clan, a été une révélation absolue. Quand je faisais l’album d’Amy Winehouse, je me demandais à chaque rythme, à chaque son de piano : “Est-ce que RZA le samplerait ?” Si la réponse était non, je le virais. En matière de production, mes seuls héros venaient de ce que je connaissais : le hip-hop – Gang Starr, la furie de Bomb Squad, RZA. Phil Spector, pour moi, n’était alors qu’un taré avec un flingue et une perruque. Tu as grandi entre New York et Londres. Te sentais-tu déraciné ? J’ai grandi à Londres, puis j’ai suivi ma mère à 8 ans. New York, c’est chez moi, même si mon ADN reste anglais. Une chanson me résume bien : Fools Gold des Stone Roses – une pure mélodie pop avec des 10.11.2010 les inrockuptibles 81

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beats hip-hop. A New York, on m’a tout de suite fait sentir que j’étais étranger – les gosses se moquaient de mon accent, à tel point que je l’ai renié. Ce n’était pas vraiment de la schizophrénie, mais je faisais tout pour me fondre, m’adapter, comme dans le film Zelig de Woody Allen. C’est devenu mon mécanisme de survie. Suivant à qui je parle, où je suis, mon accent change radicalement. Quel genre d’enfant étais-tu ? Mon rôle, depuis le début, a été celui de diplomate, de médiateur. Je tentais d’enrayer les disputes, les bagarres : je n’ai jamais été très doué avec les conflits, je ne voulais pas faire mère Teresa, mais juste acheter ma paix. Mon père prenait pas mal de drogues et d’alcool quand j’étais petit, l’explosion était toujours proche, on marchait sur des œufs. Alors je tentais de désamorcer les bombes. En vérité, le divorce a presque été un soulagement : il y avait trop d’engueulades, de portes claquées, de vases brisés. Finalement, cette séparation m’a construit musicalement : à New York, je découvrais LL Cool J, Eric B., De La Soul. Je venais passer mes vacances chez mon père à Londres où j’achetais Blur, EMF ou The Wonder Stuff… Ça a façonné mon univers. As-tu cherché à impressionner tes parents, à leur prouver ta propre valeur ? Comparée aux mères new-yorkaises, ma mère était stricte. Je devais être rentré à 21 h 30. Mais du moment que j’avais fait mes devoirs, elle ne m’a jamais empêché de faire de la musique. A 15 ans, j’ai formé mon premier groupe, je crois qu’elle et son mari étaient même fiers de moi. Lui a commencé à s’inquiéter quand je suis devenu DJ à 17 ans. Dans n’importe quelle autre famille, le père aurait dit : “Bon, tu t’es amusé avec ta guitare, maintenant, pense à tes études de droit.” Lui, c’était plutôt : “Bon, tu t’es amusé avec tes platines, maintenant, reviens tout de suite à ta guitare” (rires)… C’était vraiment une personnalité, il avait vécu six ans à Paris, où il était guitariste de Johnny Hallyday… Je ne pouvais pas rêver

Emilie Bailey/NME/Fastimage

“ma musique a toujours été déconnectée du réel. Je ne sais pas à quoi j’essaie d’échapper”

de l’impressionner, encore moins de le surpasser. Etre reconnu, progresser, vivre de ma musique sans trop de compromis, ça suffisait à mon bonheur. On raconte que tes parents recevaient des gens comme Bowie pour dîner. Tu t’en souviens ? Il y a beaucoup de mythes. Je crois que je me souviendrais d’avoir régulièrement vu Bowie ou Warhol à la maison. Je ne me rendais compte de rien, je trouvais même normal, quand je me levais à 7 heures pour aller à l’école, de voir mon père jouer aux échecs avec Daryl Hall (de Hall & Oates) – j’étais très jeune, je ne voyais pas qu’ils étaient défoncés. C’est sans doute pour ça qu’aujourd’hui je peux travailler avec n’importe qui : je ne suis pas impressionné par les stars. Après tout, je me réveillais parfois au beau milieu de la nuit, allais chercher à boire au réfrigérateur et me retrouvais dans la cuisine à discuter avec Springsteen. Tu as également rencontré Michael Jackson… Grâce à mon copain d’enfance Sean Lennon : il venait dormir chez eux un soir et Sean m’a invité. On faisait de la musique ensemble, on était voisins, mon beau-père me laissait utiliser son petit home-studio, on a passé la soirée à supplier Michael Jackson : “Allez Michael, donne-nous une ligne de basse et on va essayer de te faire une chanson.” Il nous a donné une pure mélodie Michael Jackson (il la fredonne), et on est partis s’enfermer dans le studio, quelques étages plus bas. Je n’en ai parlé à personne sur le moment, parce que personne ne m’aurait cru, ou on m’aurait tabassé… D’ailleurs, cette histoire n’est pas vraiment finie pour moi (il sort son ordinateur d’un sac)… Je ne sais pas si ma chanson sera au générique final, mais un album inédit de Michael Jackson sort ces prochaines semaines, basé sur des maquettes retravaillées par des producteurs. J’ai bossé sur cette maquette des années 1990, j’en ai fait un mélange entre le son des Jackson 5 et le Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John (il fait écouter, fier)… Finalement, je l’ai faite, ma chanson basée sur une idée de Michael !

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“après ma reprise des Smiths, j’ai reçu une menace de mort d’un gosse de 15 ans. J’ai trouvé ça formidable”

A l’adolescence, comment as-tu fait pour te rebeller contre des parents aussi cool ? Je n’ai pas vraiment eu de crise d’adolescence, je ne suis pas un rebelle. J’aimerais bien mais je n’y arrive pas. A 15 ans, j’ai quand même claqué la porte de la maison. Avec Sean Lennon, on était à fond dans la scène de Seattle, Nirvana et Pearl Jam. Un jour, il m’appelle et me dit : “Tu fais quoi ce soir ? – Je finis mes devoirs. – C’est con, parce que Dave Abbruzzese, le batteur de Pearl Jam, est à la maison.” Je n’oublierai jamais cette discussion avec ma mère. Les émeutes de Los Angeles venaient de commencer et elle avait peur que New York soit touchée. “Je t’interdis d’y aller. Si tu sors, tu ne reviens pas.” Je n’allais pas rater cette chance et je me suis réfugié chez les Lennon. Mais au bout de deux jours, mon lit, ma chambre ont commencé à me manquer, et quand j’ai essayé de rentrer en douce, elle avait changé les serrures. Elle m’a fait mariner quatre jours de plus avant d’accepter une rencontre dans un café. Ton nouvel album, Record Collection, est une sorte d’hommage à ta jeunesse, aux tubes des années 1980. Ce sont les vieux claviers complètement dingues de Duran Duran, avec qui je travaillais alors, qui ont donné le déclic du nouvel album. Je voulais faire l’inverse de l’album précédent : pas de soul, pas de cuivres, pas de guitares, pas de sixties, pas de reprises. J’ai acheté des synthés tellement rares que certains n’existent qu’en deux exemplaires. J’ai entassé tout ça dans

le studio des Dap-Kings. Ils sont à fond dans le funk sixties et la musique éthiopienne, ils pensaient que j’étais devenu dingue. Au bout d’une semaine de boucan, on a trouvé un équilibre entre le son d’un vrai groupe et ces bips analogiques. Pendant trois mois, on a tâtonné, sans écrire la moindre parole. La musique des années 1980 a été caricaturée, on oublie à quel point la pop des charts, sans doute pour la dernière fois depuis, pouvait être expérimentale. Ce sont les images, les coupes de cheveux qui ont mal vieilli, pas les chansons. En voiture, j’écoutais récemment à New York une radio 80’s. Chaque chanson était merveilleuse. XTC, Thompson Twins, Bananarama… Je doute que dans trente ans, on écoute les trucs des charts de 2010, Katy Perry ou Justin Bieber… Record Collection est un album totalement irréel, divorcé de son époque. Ma musique a toujours été déconnectée du réel. Je ne sais pas à quoi j’essaie d’échapper. C’est peutêtre pour compenser autre chose que ma musique est aussi euphorique… Ce disque est sans doute nostalgique, mais pas atteint de ce que j’appelle “la maladie Lenny Kravitz” – ça ne sonne bien que si ça sonne vintage. C’est idiot, mais je préfère la façon dont on enregistrait les batteries en 1964 ou les prises de synthés avant le logiciel ProTools. C’est une nostalgie strictement esthétique : j’écoute tout ce qui sort. Humainement, c’est pareil : je repense avec tendresse à des épisodes de ma vie, mais je ne lâcherai pour rien au monde ce que je suis devenu, ma copine, mon groupe, mon chien… J’ignore tout du syndrome Peter Pan. Je suis un adulte heureux et responsable. Cet album est un sale coup pour le purisme : on y croise des membres de The Drums comme du Wu-Tang, des Zutons comme de Duran Duran… Dans ma tête, ça se passe comme ça : toutes les formes de musique se télescopent. Mes DJ sets ont déjà entériné ça, on peut y entendre Morrissey ou Thom Yorke dans une sélection hip-hop. Bien sûr, ça peut froisser : à l’époque de ma reprise des Smiths, qui avait cartonné en Angleterre, j’ai reçu une menace de mort. Je trouve ça formidable qu’un gamin de 15 ans qui vit en Suisse prenne ça tellement à cœur. A une époque où tout le monde se fiche de la musique, c’est rassurant de savoir que les Smiths comptent à ce point pour des gosses. Album Record Collection (Columbia) Concert le 19/11 à Paris (Cigale)

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Le Braqueur de Benjamin Heisenberg Le parcours haletant d’un braqueur énigmatique. Encore une belle surprise venue du jeune cinéma allemand.



a “nouvelle vague” du cinéma allemand ne faiblit décidément pas. Alors que les Christian Petzold, Christoph Hochhäusler ou Angela Schanelec enchaînent les bons films, voici le moins connu (du moins en France) Benjamin Heisenberg et son superbe Braqueur, repéré à la dernière Berlinale, où il était aisément l’un des deux ou trois meilleurs films de la compétition officielle. Le braqueur, c’est un certain Johann Rettenberger (impeccable Andreas Lust), trentenaire sec et osseux, visage de sphinx, allure de quidam ordinaire – le genre de type que l’on ne remarquerait absolument pas au milieu d’un groupe. Et pourtant,

à côté de sa portée métaphysique et politique, un film d’action jouissif, digne des meilleurs représentants du genre

Rettenberger possède un certain nombre de particularités sortant de l’ordinaire. D’abord, comme le suggère le titre, il braque des banques. Oui, des banques, pas simplement une. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de faire un coup puis de se tirer avec le fric sous les cocotiers d’un quelconque paradis fiscal ou judiciaire, comme dans les films de braquage habituels. Non, le hold-up bancaire semble pour Rettenberger une activité nécessaire à son équilibre, une addiction, un défi existentiel, un exercice sportif. D’ailleurs, deuxième particularité de notre homme, il est également champion de marathon. Il s’entraîne régulièrement, participe à des courses, qu’il gagne. Il y a évidemment un lien étrange mais fort entre les deux disciplines pratiquées par Rettenberger. Les deux sont pourvoyeuses d’adrénaline, suscitent un esprit de compétition avec les autres, mais peut-être encore plus avec soi-même. On ne sait trop en quoi les braquages

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raccord

Deneuve/ Depardieu, le dernier couple

aident le coureur, mais on voit bien comment la course d’endurance est utile au braqueur, en lui garantissant vitesse, agilité, résistance physique. Le braqueurcoureur a aussi une vie, il fréquente une jeune femme, qui ignore tout de ses activités dans le secteur financier. Mais, et c’est une autre singularité du personnage, Rettenberger semble privé d’affect, indifférent à tout. A la fois absent au monde et d’une présence hyperconcentrée au moment des courses ou des braquages, Rettenberger est un paradoxe fait homme, oscillant entre les deux pôles de la représentation cinématographique des corps humains, l’incarnation et le spectre. A côté de sa forte teneur théorique et de sa portée métaphysique, voire de sa dimension politique (à l’heure où les banques sont à juste titre pointées du doigt comme principales responsables

et bénéficiaires de la crise, ce braqueur s’en prend finalement aux plus grands voleurs de notre époque), Le Braqueur est aussi un film d’action jouissif, digne des meilleurs représentants américains ou asiatiques du genre. Les séquences de hold-up sont mises en scène avec une précision, une netteté et une dimension physique admirables. Quant à la longue et haletante fuite finale (une quinzaine de minutes dont on ne dévoilera pas l’issue), c’est l’un des plus purs moments de cinéma et de mise en scène que l’on ait vus de mémoire récente. Pas de dialogue, pas de graisse, que des plans, du mouvement, du montage, de la géométrie, de la sculpture de temps et d’espace : Bresson, Melville, Johnnie To sont les référents qui viennent à l’esprit. “Mouvement” est sans doute le mot-clé résumant Rettenberger. Incapable de se poser, de se fixer une place dans la société, c’est un homme d’action au sens le plus concret et le plus immédiat, un corps en mouvement perpétuel dont le centre existentiel est la marge, la fuite. “Born to run” pourrait être sa devise, sa morale. Si Heisenberg se montre magnifique rythmicien et géomètre, il n’explicite jamais les motivations de son héros. Cette opacité avait gêné la critique US à Berlin : elle aimait le film tout en regrettant son absence d’éclaircissements. En effet, hormis ses actes, son pur présent, on ne sait pas grand-chose de Rettenberger, de son milieu familial, de son enfance, des raisons qui l’ont fait basculer. Mais ce mystère du braqueur, laissant le champ totalement ouvert à la réflexion des spectateurs, participe évidemment de la beauté laconique de ce film impressionnant de rigueur et de cohérence. Serge Kaganski Le Braqueur de Benjamin Heisenberg, avec Andreas Lust, Markus Schleinzer (All., Aut., 2010, 1 h 30)

le réalisateur Benjamin Heisenberg a cofondé la revue cinéphile Revolver, matrice de la nouvelle génération de cinéastes allemands. Il a collaboré au scénario du Bois lacté de Christoph Hochhäusler. Le Braqueur est son troisième long métrage. Rencontré à Paris, Heisenberg est vif, sympathique, se réclame aussi bien de Bresson que du cinéma américain. Son grand-père, prix Nobel de physique, lui a peut-être transmis le goût des mises en scène tirant vers la géométrie et l’abstraction.

On est bien d’accord : on va au cinéma pour se retrouver orphelin, et on laisse sa famille au vestiaire. Mais quelquefois, on va au cinéma pour se trouver des parents – et pas seulement une fiancée, un fiancé ou de meilleurs amis. Lesquels ? Azéma et Dussollier ? Baye et Arditi ? Huppert et Luchini ? Non, nos préférés sont plus grassouillets et plus alanguis : les meilleurs parents du cinéma français, ce sont Deneuve et Depardieu. Dans Potiche de François Ozon, Depardieu suffoque de bonheur quand il apprend qu’il est peut-être père, Deneuve pardonne les frasques de sa progéniture avec la légèreté d’un papillon, et leur art familial se déploie tranquillement, refuge où même Ozon, en fils dingue de ses parents, se love quand la partition acide de la satire devient trop pénible à tenir. Mais les meilleurs parents, ce sont aussi ceux qui s’aiment d’amour fou. Le couple Deneuve/Depardieu, c’est la blondeur complice, on a l’impression qu’ils se connaissent depuis toujours et que jamais ils ne se lasseront l’un de l’autre. Deneuve s’amusera toujours des excès de Depardieu, Depardieu sera toujours dépassé par la beauté de Deneuve. Ce sont des parents sensuels, un peu comme si la Peau d’Ane de Demy prenait une chambre en ville et ouvrait son manteau de fourrure pour son mari : une bonté érotique émane d’eux. C’est le dernier grand couple du cinéma français, car malgré des tentatives diverses (Kiberlain/ Lindon : trop quotidien, Cassel/ Bellucci : trop bizarre, Cotillard/ Canet : trop gamin), aucun successeur n’est là, sans doute parce que les années 1990 et 2000 ont enterré le goût de l’amour fougueux. Le public n’est plus là pour ça, et le relativisme des sentiments, l’obsession du second degré, la trivialité bon ton interdisent l’arrivée du nouveau couple 2010, celui qui rénoverait un romantisme moribond.

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Potiche de François Ozon

La success-story d’une épouse au foyer catapultée à la tête d’une entreprise. Ozon capte les mutations culturelles et sociales de la fin des seventies dans une comédie de mœurs vintage affriolante.

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lus que jamais, le nom du cinéaste invite à un piètre jeu de mots : Ozon(s). Ou osez Ozon. Ou encore : comment Ozon a-t-il osé ? On pourrait imaginer une infinité de variantes, tant il n’y a rien que le cinéaste semble désormais se refuser. Ozon ose tout : glisser Deneuve dans un survêt, faire danser Depardieu sur un tube du groupe Il Etait Une Fois ou encore livrer, sous les atours d’une comédie ludique et sémillante, un regard singulièrement aigu sur notre époque. Potiche se déroule en 1977 dans une bourgade du nord de la France, la bien nommée Sainte-Gudule. C’est là que vivent les Pujol, une famille d’industriels dont l’usine de parapluies

une comédie résonnant avec l’air du temps doublée d’un sublime manifeste féministe

constitue la principale activité économique de la région. Le film commence au moment où des grèves d’ouvriers mettent à mal l’autorité de Robert Pujol (Fabrice Luchini), patron despotique que le film campe facétieusement en ancêtre de Sarkozy (“Cassetoi pauv’con !”). Il est entouré d’une épouse soumise mais altruiste (Deneuve), d’une secrétaire dévouée (Karin Viard), de son fils, frais émoulu de Sciences-Po, genre de Hutch, mais vivant pour l’art et votant à gauche (Jérémie Renier), de sa fille, enfin, “drôle de dame” coiffée en Farrah Fawcett et en instance de divorce, encore plus réac que papa (Judith Godrèche). Voilà le réalisateur lâché sur son terrain de jeu favori : la veine parodique et sophistiquée, celle d’Angel et de 8 femmes. Potiche fait son chemin entre soap familial et théâtre de boulevard, avant que l’histoire n’accouche d’un bras de fer entre monsieur et madame – après que celle-ci a repris les rênes de

l’entreprise avec l’appui de son ex-amant et député syndicaliste (Depardieu). A partir de là, le foyer Pujol devient le théâtre d’un pugilat politique où tous les coups sont permis, même (surtout) les plus pourris. Ozon transforme son portrait de famille en petit laboratoire des mutations sociales de la fin des années 1970, où s’affrontent l’émergence d’une pensée ultralibérale d’un côté et le développement d’une politique sociale et progressiste de l’autre. Tels des Atrides giscardiens, ou les Ewing de Dallas, les Pujol se livrent une guerre sans merci, dont la dimension comique masque mal la brutalité. Par un système de clin d’œil et d’écho, le film résonne aussi avec le paysage politique d’aujourd’hui : les guerres fratricides à l’intérieur des familles politiques, le divorce Hollande-Ségo, et surtout l’ascension politique de cette dernière, lorsque, entre autres exemples drôlissimes, dame Pujol évoque pour se faire élire

la beauté des oiseaux. Ozon en profite pour capter une actrice au sommet de sa hypitude. Star du passé investie par de jeunes réalisateurs cinéphiles, actrice d’un pur présent (par ses choix ultra contemporains) plus cool souvent que beaucoup de ses cadettes (posant par exemple en couguar pour le magazine gay Têtu), Deneuve devient dans Potiche une créature du futur antérieur : celle qui, au passé, va changer les choses, modifier les mentalités et la perception de la femme dans une société encore patriarcale. Ce point de rencontre entre une actrice (atemporelle) et son personnage fait de Potiche non seulement une comédie alerte résonnant avec l’air du temps, mais un sublime manifeste féministe, s’ajoutant à tous ceux déjà réalisés par Ozon. Emily Barnett Potiche de Francois Ozon, avec Catherine Deneuve, Fabrice Luchini, Gérard Depardieu (Fr., 2010, 1 h 43)

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Welcome to the Rileys de Jake Scott avec James Gandolfini, Kristen Stewart (E.-U., 2010, 1 h 50)

Commissariat d’Ilan Klipper et Virgil Vernier (Fr., 2010, 1 h 29)

De jeunes flics sur leur nouveau lieu d’affectation. Un documentaire à l’inquiétude sourde. Contrairement à ce que son titre semble indiquer, Commissariat n’est pas qu’un film sur les flics. Comme tout bon documentaire, il n’est d’ailleurs réductible à aucune thématique définitive. On y voit de douces rondes de nuit, de glaçants interrogatoires, d’autres plus chaleureux, des fantômes en cellule de dégrisement, des flics-pompiers, des flics-assistantes sociales, des victimes, des coupables, des cris, des SOS ; rien que de déjà vu, mais jamais sous cet angle, attentif et hagard. Après un premier documentaire dans une école de police (Flics, 2006), Klipper et Vernier ont suivi quelques élèves sur le lieu de leur première affectation : le commissariat d’Elbeuf-sur-Seine, petite agglomération près de Rouen. Ni tout à fait rurale, ni tout à fait urbaine, la zone décrite est une confluence de maux moyens, un précipité de souffrances enrobées, une France banalement white trash, éloignée du pays à feu et à sang décrit sans pudeur par Le Droit de savoir et consorts. On penserait plus naturellement à Depardon, qui montre actuellement à la BNF cette même France de sous-préfectures entre deux. Mais il y a quelque chose de plus inquiétant chez Klipper et Vernier, une douleur sourde que l’auteur de Faits divers avait tendance, dans ce film-ci en tout cas, à recouvrir d’un voile de truculence. Encadré, au début et à la fin, par deux clichés lancés comme fausses pistes (une cuisinière lâchée du haut d’un HLM, le nettoyage d’un mur au Kärcher), Commissariat va plutôt puiser son inspiration du côté du Wiseman de Law and Order. Avec ses longs plans fixes qui laissent place au hors-champ et dévoilent le dispositif – les gens ont conscience d’être filmés et le manifestent –, le film interroge sans relâche le rapport au pouvoir et à l’institution, instaurant un dérangeant (mais passionnant) parallèle flic-citoyen. Un beau film, donc, qui prouve que le territoire n’a pas dit son dernier mot face à la carte. Jacky Goldberg

Le parrain des Soprano face à la sainte-nitouche de Twilight dévergondée en stripteaseuse. Comme l’expose l’affiche du film, Welcome to the Rileys est un coup arrangé pour faire se rencontrer James Gandolfini et Kristen Stewart : lui dans la peau d’un père qui a perdu sa fille et elle de plus en plus bad girl dans les fringues crasseuses d’une fille perdue, stripteaseuse à La Nouvelle-Orléans. On vous laisse deviner la suite, gnangnan et bienpensante, limite puritaine. Que le prétexte du film (aux enjeux aussi clignotants que décoratifs) ne puisse être que le désir de voir ces deux acteurs jouer ensemble n’est en soi pas un problème. Encore faudrait-il que cet échange produise quelque chose : face à la bonhomie sans chichis de Gandolfini, la petite Kristen, au charisme et au potentiel indéniables, déploie une panoplie de tics malheureusement à l’unisson de l’exotisme misérabiliste de Sundance. Amélie Dubois

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en salle Juliet Berto à la Cinémathèque La Cinémathèque française rend hommage à l’actrice et réalisatrice Juliet Berto, vingt ans après sa mort. Sa moue et sa voix rauque furent d’abord associées à une époque contestataire, de La Chinoise de Godard à L’Escadron Volapük de René Gilson. On la vit aussi chez Glauber Rocha ou Joseph Losey. Mais elle reste surtout attachée au cinéma de Jacques Rivette, où elle put exprimer toute sa fantaisie. Elle réalisa aussi trois beaux films dans les années 1980 (dont Neige), avant de mourir brutalement en 1990. Jusqu’au 21 novembre à la Cinémathèque française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr

Rubber

hors salle JLG de A à Z Amour, Champ-contrechamp, Lang (Fritz), Mort, Nouvelle Vague, Pisser dans le lavabo, Vélo, Vivre sa vie, Wiazemsky (Anne)… Ce sont quelques-unes des 250 entrées du Dictionnaire des passions consacré à Jean-Luc Godard. Jean-Luc Douin, journaliste au Monde, a trouvé dans cette forme une façon ludique et éclairée d’aborder la vie et l’œuvre du réalisateur d’A bout de souffle. A quand une encyclopédie ? Jean-Luc Godard, dictionnaire des passions de Jean-Luc Douin (Stock), 462 pages, 25 €

box-office Europa trust La baraka n’en finit pas pour EuropaCorp. Non contente de squatter les deux premières places depuis deux semaines avec Les Petits Mouchoirs et Arthur 3, la société de Luc Besson part également en tête des démarrages du 3 novembre avec L’homme qui voulait vivre sa vie, qui surclasse La Princesse de Montpensier.

autres films Saw 3D de Kevin Greutert (E.-U., 2010, 1 h 30) Réfractaire de Nicolas Steil (Sui., Lux., 2010, 1 h 37) Severn, la voix de nos enfants de Jean-Paul Jaud (Fr., 2010, 2 h) Small Is Beautiful d’Agnès Fouilleux (Fr., 2010, 1 h 46) Les Contes de la ferme de Hermina Tyrlova (Rép. tchèque, 2010, 38 min) Le Secret de Charlie de Burr Steers (E.-U., 2010, 1 h 39) Wow mon pote de Kemal Uzun (Tur., 2010, 1 h 40) The Dinner de Jay Roach (E.-U., 2010, 1 h 44) Le Manteau d’Alberto Lattuada (Ita., 1954, 1 h 30, reprise) La classe ouvrière va au paradis d’Elio Petri (Ita., 1972, 2 h 05, reprise)

de Quentin Dupieux La course meurtrière d’un pneu filmée en roue libre, avec un sens certain de l’étrangeté comique.

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as facile de faire un cinéma maigre. Pas facile de faire un cinéma maigre et d’être en plus intelligent. Le risque, c’est de faire des films où la petitesse du matériau est écrasée encore un peu plus par l’emprise du cerveau. Dans Steak, qu’on avait beaucoup aimé, Quentin Dupieux (alias Mr Oizo) nourrissait la déflagration par une inventivité continue et cultivait une sorte de morgue laborantine qui donnait une force obstinée à son cinéma. Cinéma maigre sans doute, mais également tenace. Ici, Dupieux, casse-cou amateur de scuds solitaires, réduit encore un peu plus sa matière : on n’a plus deux débiles (Eric et Ramzy) en roue libre, mais seulement un pneu. Lequel est un serialkiller qui déambule sur les routes et zigouille en vrombissant tout ce qui bouge. Il piste une fille ravissante qui l’honore par son indifférence de papier glacé (Roxane Mesquida en petite fiancée du tirage de gueule), et il est pisté sans relâche par un flic loser. Dans cet art de l’impassibilité que recherche Dupieux, il s’agit de trouver l’équilibre entre la nullité et la terreur, bref d’arriver à construire un canular qui serait aussi une grenade – mais une grenade

on ne sait jamais si le néant ne frôlerait pas la métaphysique

dégoupillée. On attend l’explosion, elle aura lieu, mais avec une détonation volontairement plouf plouf, et on ne sait jamais si le néant ne frôlerait pas, des fois, la métaphysique. Qu’est-ce qui fait qu’on échappe au film épuisé par avance ? Le sens de la direction d’acteurs (de même qu’Eric et Ramzy sont pour beaucoup dans la réussite de Steak, le flic mi-idiot, mi-passionné joué ici par Stephen Spinella et qui a vraiment “à cœur de foutre en taule ce satané pneu” injecte de la foi dans cette fiction sceptique), une certaine plénitude plastique (lumière rose doré californienne), une manière crâneuse de ne jamais tirer tout le dividende de son pari (l’inverse de Buried de Rodrigo Cortès qui boursoufle un parti pris ultraminimaliste) finissent par créer de la matière – enfin. Dans ces moments où les arrièrepensées trop claires laissent la place au présent de la scène, une vraie étrangeté comique surgit : par exemple, lorsque le pneu regarde à la télé une retransmission de Formule 1, lorsque Roxane Mesquida joue les appâts robotiques piégés, lorsque la femme de ménage découvre des traces noires dans le lit qu’a occupé le pneu et soupire sur le mode : “Encore un qu’a fait des cochonneries cette nuit.” En dépit de la blague, les objets auraient-ils vraiment une vie ? Quand le cinéma, le meilleur conseiller au monde, reprend du terrain, enfin on respire. Axelle Ropert Rubber de Quentin Dupieux, avec Stephen Spinella, Roxane Mesquida, Jack Plotnick (Fr., 2010, 1 h 25)

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Date limite de Todd Phillips

Unstoppable de Tony Scott

avec Zach Galifianakis, Robert Downey Jr. (E.-U., 2010, 1 h 40)

avec Denzel Washington, Chris Pine (E.-U., 2010, 1 h 35)

Retour du tandem acteur/ réal de Very Bad Trip pour une comédie parfois un peu lourde, souvent très drôle. Avec les sorties synchrones de The Dinner et de Date limite, Francis Veber semble être le nouvel horizon de la comédie américaine. Dans le second, Zach Galifianakis compose une sorte de François Pignon (idiot attachant qui accumule les gaffes) traversant la moitié des Etats-Unis aux côtés de Robert Downey Jr., dans un rôle à la Campana (souffre-douleur puni pour son arrogance). Plus proche de l’esprit anar des premiers Veber (La Chèvre, Les Fugitifs) que de celui, crapoteux, des récents (Le Dîner de cons, dont The Dinner est un remake poussif), le film de Todd Phillips (Very Bad Trip) remplit son contrat de comédie potache, un tantinet bourrine mais très drôle, essentiellement grâce au talent de Galifianakis, ouragan burlesque absolument imprévisible, agent surdoué de la mise en désordre du monde. C’est certain, le club des idiots de génie compte désormais un nouveau membre. J. Go.

Deux cheminots à la poursuite d’un train bourré d’explosifs. Du cinéma d’action formellement brillantissime. Il y a un peu plus d’un an, L’Attaque du métro 123 s’achevait sur le triste constat que Tony Scott, après une décennie à rugir dans le tourbillon des nouvelles images (d’Ennemis d’Etat à Déjà vu), ne parvenait plus à mettre son savoir-faire à jour, se complaisant dans la reprise paresseuse de schémas usés – “Il a désormais un train de retard”, concluions-nous à l’époque. Qu’à cela ne tienne : si le train est parti sans lui, semble-t-il ici répondre, il va tout faire pour le rattraper, et le dépasser. Cette volonté est littéralement le moteur d’Unstoppable : alors qu’un train rempli de produits chimiques s’élance à toute allure et sans pilote dans la Pennsylvanie prolétaire, menaçant de détruire une ville, deux cheminots désobéissants (Denzel Washington et Chris Pine) se lancent à sa poursuite. Ce simplisme volontaire du scénario permet à Tony Scott de s’adonner à ce qui lui plaît vraiment – fracasser des images contre d’autres images –, faisant la synthèse parfaite de ses récits de mavericks désobéissants mais aptes à sauver la nation (USS Alabama et Top Gun) et de ses films plus théoriques sur la résistance de l’actuel sur le virtuel, de l’ancien sur le nouveau (Domino, Déjà vu). Le programme est encore plus clair ici, puisque ce runaway train au chiffre porte-bonheur (777), que Scott filme comme une pièce de musée (comment ne pas penser au début de La Bête humaine de Renoir ?), symbolise une classe ouvrière bafouée, reléguée hors de la photo (et donc de la fiction) par des actionnaires cyniques et dépassée par des événements que les caméras-moustiques de Fox News ne parviennent plus vraiment à relater. Seuls quelques cheminots droits et fiers, cow-boys hawksiens au professionnalisme sans faille, se révèleront capables de maîtriser ce monstre ivre de vitesse. “Nous chanterons les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux”, écrivait Marinetti en 1909 dans Manifeste du futurisme. Un siècle plus tard, il s’est trouvé un brillant continuateur. Jacky Goldberg 10.11.2010 les inrockuptibles 91

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Belle épine de Rebecca Zlotowski Un premier film français qui fait se rencontrer Pialat et Carpenter. Une vraie réussite.

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l y a deux, trois lieux communs du jeune cinéma français que Belle épine détourne si prestement qu’ils n’apparaissent vraiment que dans l’après-coup de l’analyse rétrospective. La règle qui prescrit, par exemple, qu’une réalisatrice fasse son premier long métrage sur le passage d’une adolescente à l’âge adulte. Ou cette autre qui veut que le deuil soit le moteur narratif nécessaire de tout film d’auteur. Le personnage de Prudence qu’incarne Léa Seydoux est bien ainsi, dans Belle épine, une jeune lycéenne laissée seule par le décès brutal de sa mère et la démission provisoire d’un père (parti en voyage) et d’une sœur aînée (incapable de partager son chagrin). Mais ces données de base ne valent précisément, chez Zlotowski, que dans la mesure où elles délimitent un cadre. Et encore ce cadre luimême est-il soigneusement déplacé pour éviter toute identification directe de l’héroïne à la réalisatrice. La délocalisation

de l’histoire à la fin des années 1970 brouille la piste autobiographique et ouvre un espace autre. De même, son personnage central vit d’abord et avant tout la période de deuil comme un temps de vacance et d’aventure. Abandonnée à elle-même, Prudence rejette la fatalité de son prénom pour partir à la découverte du monde étrange et périphérique des motards qui tournent allègrement chaque soir et jusqu’à la mort autour des nouvelles halles de Rungis. Ce branchement d’un corps sur un autre circuit que celui de la routine quotidienne, c’est proprement le sujet de Belle épine et ce qui fait aussitôt dévier le film de son ancrage français vers un imaginaire américain. Ces blousons noirs traversant la nuit sur une musique spectrale et électronique évoquent

irrésistiblement l’œuvre de Carpenter. Ils font basculer Prudence et le spectateur de Passe ton bac d’abord de Pialat à New York 1997. Et la référence américaine vaut surtout ici comme signe d’un désir, plus vaste, de cinéma. A dire vrai, cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu un premier film cherchant à ce point, par-delà le “réalisme social”, à affirmer la puissance du fantasme et de la fiction. D’un modèle de cinégénie comme Léa Seydoux jusqu’au merveilleusement théâtral Nicolas Maury (dans le rôle du cousin) en passant par la transfiguration baroque d’une scène de réparation de moto en tableau d’anatomie à la Rembrandt, tout respire le goût bienvenu du légendaire et de l’artifice. Que désirer d’autre pour la suite si ce n’est que cette épine s’enfonce plus avant dans le cinéma français ?

tout dans ce film respire le goût bienvenu du légendaire et de l’artifice

Patrice Blouin Belle épine de Rebecca Zlotowski, avec Léa Seydoux, Anaïs Demoustier, Agathe Schlenker (Fr., 2010, 1 h 20). Lire aussi le portrait de Léa Seydoux p. 30

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Comanche Station

l’Ouest, le vrai Le maître du western de série B sec et bouillonnant, Budd Boetticher, en cinq films. Les films Sidonis édite cinq des sept westerns réalisés par Budd Boetticher et interprétés par Randolph Scott entre 1956 et 1960. Manquent Sept hommes à abattre et Le Courrier de l’or. L’Homme de l’Arizona, Décision à Sundown, L’Aventurier du Texas sont de très bons westerns, mais La Chevauchée de la vengeance (Ride Lonesome) et Comanche Station, deux films jumeaux, constituent la conclusion et l’épanouissement formel de ce cycle placé sous le signe d’un dépouillement superbe et presque arrogant. Ride Lonesome et Comanche Station sont les déclinaisons d’un scénario unique. Les deux films débutent de la même façon : la silhouette d’un cavalier émerge d’un désert rocailleux. A chaque fois, l’homme (Randolph Scott, à peine moins minéral que le paysage qui l’entoure) est défini comme une force opaque mue par une obsession morbide. Dans Comanche Station, il recherche sa femme, capturée par une tribu comanche plusieurs années auparavant. Il sauve désormais des femmes blanches prisonnières des Indiens en espérant retrouver un jour son épouse parmi celles-ci. Dans Ride Lonesome, Randolph Scott est devenu chasseur de primes afin de venger la mort de sa femme, pendue à un arbre par un hors-la-loi. Ces curieux huis clos en plein air, sur le thème tragique de la vengeance, sont traversés par l’inquiétude, et leurs conclusions charrient un désespoir presque glaçant. Posture des acteurs, maîtrise de l’espace, durée quasi contemplative des plans, utilisation somptueuse des décors et de la lumière naturelle : la mise en scène relève de l’évidence et atteint une forme de perfection. La réussite de ces films est le résultat de l’osmose professionnelle entre trois hommes : le cinéaste Boetticher, le scénariste Burt Kennedy et l’acteur Randolph Scott. Chacun excelle dans l’art du minimalisme, sait exprimer d’un trait net et précis des sentiments excessifs, confus et bouillonnants. Les DVD Les habituelles présentations érudites de Bertrand Tavernier et Patrick Brion. Olivier Père L’Homme de l’Arizona, Décision à Sundown, L’Aventurier du Texas, La Chevauchée de la vengeance, Comanche Station (Editions Sidonis, environ 17 € chaque DVD)

Dog Pound de Kim Chapiron avec Adam Butcher, Shane Kippel (E.-U., 2010, 1 h 31)

Révision de notre jugement à la hausse pour cette plongée vériste dans une prison pour jeunes. Le film Après l’amusant mais puéril Sheitan, Kim Chapiron réalise un second long métrage nettement plus ambitieux et réussi. Même si cela n’est mentionné nulle part au générique, Dog Pound est un remake de Scum d’Alan Clarke (le cinéaste et téléaste anglais responsable d’Elephant, qui avait inspiré Gus Van Sant). Scum (1979) est un chef-d’œuvre sur une maison de redressement pour adolescents, célèbre pour sa brutalité et son nihilisme. Chapiron transpose l’action dans une prison pour mineurs du Montana, mais les drames et les péripéties sont les mêmes : bizutages, rackets, viols et agressions diverses, et explosion de violence collective contre l’administration carcérale. Les jeunes interprètes, débutants et issus pour la plupart de la délinquance, apportent un surcroît de vérisme à un film qui surprend par sa sobriété. Le DVD Les suppléments proposent des scènes coupées, un making-of et une rencontre avec Kim Chapiron à l’occasion de la présentation de Dog Pound au Festival de Tribeca à New York. O. P. Warner Home Video, environ 20 € 10.11.2010 les inrockuptibles 93

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Michel Paul/Ciné-Tamaris

Jacques Demy avec CatherineDe neuve sur le tournage de Peau d’Ane (1970)

Demy à la une Pour les vingt ans de sa disparition, Jacques Demy est célébré par un livre subtil et touchant ainsi que par une expo-hommage dans sa ville de Nantes.

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asard un peu merveilleux d’une mystérieuse concordance des étoiles et des astres ? Sortilège de la Fée des Lilas ? La chose semble en tout cas réglée comme un mécanisme d’horlogerie : l’édition française nous amène des nouvelles du cinéma de Jacques Demy exactement tous les quatorze ans. En 1982, Jean-Pierre Berthomé sortait la première somme sur le cinéaste, de son vivant, déroulant le récit de son œuvre film par film, jusqu’au dernier, à l’époque Une chambre en ville. C’est en 1996 que Camille Taboulay proposa un deuxième Demy-livre, plus sinueux, moins chronologique, nouant et dénouant de subtils fils herméneutiques au sein de l’œuvre. Et c’est donc en 2010 que nous parvient le troisième ouvrage sur le sujet, intitulé tout simplement Jacques Demy et signé conjointement par Olivier Père (collaborateur régulier des Inrocks) et Marie Colmant (journaliste à Canal+). Le livre propose une lecture à double vitesse sur chacun des douze longs métrages : une immersion analytique dans

l’œuvre avec la première ; puis un plan large sur l’inscription du film dans le contexte (politique, sociétal ou biographique…) de son époque. On retiendra particulièrement la façon dont Marie Colmant emprunte certains chemins – “Comme ceux de Vincente Minnelli, d’Alfred Hitchcock et de Douglas Sirk, les films de Jacques Demy sont bien habillés” – qui ne sont que superficiellement superficiels et touchent au contraire au noyau de son cinéma. La part la plus émouvante du livre tient à des cartes postales, essaimées tout au long du livre, écrites à la main par Agnès Varda et adressées à “Jacques” au cimetière Montparnasse. La légèreté, la simplicité de ces notations d’épouse veuve qui continue à parler à celui qu’elle aime par-delà la mort les préservent de toute forme trop pesante de pathos. On notera enfin le soin important accordé à l’objet, bénéficiant d’une direction artistique assurée par les fameux M/M (responsables, entre autres, de l’univers graphique de Björk) et des trésors iconographiques des archives Demy soigneusement entretenues

par Ciné-Tamaris. La société d’Agnès Varda a d’ailleurs prêté beaucoup de pièces de sa collection à la Ville de Nantes qui – et c’est l’autre actualité Demy du mois –, pour les vingt ans de la mort du cinéaste, lui consacre une exposition. On y retrouve les fétiches de sa jeunesse : sa caméra d’enfant avec laquelle il bricola ses premiers films d’animation, ses marionnettes… Et puis des documents liés ensuite à ses longs métrages, affiches, photographies, coupures de presse. L’exposition ne manque pas de charme, mais est un peu limitée par sa scénographie minimale et l’étroitesse de son espace. Une nouvelle exposition Demy, bénéficiant cette fois de toute la logistique de la Cinémathèque française, est d’ores et déjà dans les starting-blocks et devrait être prête courant 2012. Jean-Marc Lalanne Jacques Demy d’Olivier Père et Marie Colmant, préambule de Mathieu Demy (La Martinière), 280 pages, 4 5 € Exposition Un Nantais nommé Demy jusqu’au 26 février à la Médiathèque Jacques-Demy, N antes, t él. 0 2 40 41 95 95

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HORS-SÉRIE Bruce Springsteen ou le rock incarné : entre héroïsme, œuvres au noir et combats politiques, la trajectoire d’une icône américaine.

+ CD sampler 2 titres exclusifs  tirés du coffret The Promise: The Darkness on the Edge of Town Story.

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bienvenue au club Une playlist infernale, une platine bouillante, des scratches ahurissants : le retour du jeu dont vous êtes le DJ hero.

 O business Zynga vaut-il plus qu’EA ? Aurait-on changé d’époque ? Selon le magazine américain BusinessWeek, la valeur boursière du concepteur de jeux pour réseaux sociaux Zynga a dépassé en octobre celle d’Electronic Arts, poids lourd historique du secteur vidéoludique et éditeur de FIFA, Madden, Need for Speed ou Les Sims. Principal succès de Zynga, le jeu FarmVille compte près de 60 millions d’utilisateurs sur Facebook.

n pourrait croire que DJ Hero 2 se trompe d’époque. A l’heure où Kinect invite les joueurs à se libérer de la longue oppression des manettes pleines de boutons, comment ose-t-il exiger qu’ils apprennent à manipuler ça ? Le ça en question est une platine de DJ, ou presque, avec tout un tas de touches et de leviers qu’il conviendra d’actionner au moment voulu. Le ça est un bien bel objet, pour être honnête, qui donne d’emblée une folle envie de tester notre “cross-fading freestyle” (c’est le vocabulaire du jeu, toutes nos excuses aux amoureux de la langue française) sur le dernier Lady Gaga. Ou sur un mix de Kool And The Gang et de Grandmaster Flash, d’Afrika Bambaataa et de Salt’n’Pepa, de Justice et de Janet Jackson – la playlist est particulièrement riche, celle du premier DJ Hero venant encore s’y ajouter pour les acheteurs du pack hors de prix comprenant ladite platine. Contrairement aux apparences, DJ Hero 2 est bien de son époque, celle de la diversification des manières de jouer et de la simulation ludique des actions réelles. Simulation est le mot-clé : DJ Hero

le gameplay, subtil et exigeant, procure le sentiment exaltant de faire corps avec la musique

ne fera pas de vous un as des platines mais son gameplay subtil et exigeant (à moins de s’arrêter au niveau facile) procure le sentiment exaltant de faire corps avec la musique. Mieux : il ne s’agit pas seulement d’appuyer au bon endroit au bon moment mais aussi, à divers stades du titre choisi, de lui apporter sa petite touche personnelle, en improvisant un scratch inédit, en s’offrant un joyeux retour en arrière de quelques secondes avant de repartir de l’avant… Alors que la maison mère Guitar Hero (ses guitares en plastique, ses batteries pour de faux) tend à se répéter, DJ Hero étend son territoire un an après un premier titre prometteur. Car c’est avec la structure même des morceaux qu’il nous fait jouer, parfois sagement, parfois sur la corde raide. Il s’agit aussi d’une aventure éminemment sociale. Vous possédez deux platines ? Il est possible de s’affronter ou de coopérer. Un camarade n’est pas intimidé par The Message ? Qu’il se saisisse sans tarder du micro. “Ton freestyle-scratch, il est juste chanmé”, s’était-on entendu dire lors de la phase initiation. On avait eu honte – et vérifié que personne n’avait surpris ces propos déplacés. Au vu de la manière dont le jeu permet de s’ébattre au cœur de la matière sonore, la voix avait pourtant raison. Juste chanmé. Erwan Higuinen DJ Hero 2 Sur PS3, Xbox 360 et Wii (FreeStyleGames/Activision, de 45 à 70 € pour le jeu seul, 110 € avec une platine)

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le revers de la médaille Situé en Afghanistan, le Medal of Honor nouveau, tout à la gloire de l’armée US, rate largement l’occasion de sortir des sentiers battus. n 1999, Medal cette année de stratégie tout à fait se dérouler of Honor créait en remplaçant la Seconde ailleurs, rien de particulier l’événement. Guerre mondiale par à noter pour le vétéran Supervisé par un conflit contemporain. des guerres virtuelles. Steven Spielberg et conçu Et pas n’importe lequel Ludiquement, celle-ci ne comme une sorte de car, au sein d’un bataillon marquera pas davantage pendant vidéoludique du d’élite, c’est en Afghanistan les esprits, ses missions film Il faut sauver le soldat que nous envoie le Medal ne se révélant ni très Ryan, le jeu de tir en vue of Honor nouveau. L’idée originales ni très bien subjective (ou FPS) marquait peut choquer – là-bas, on amenées – on peine les esprits par sa façon de tombe encore beaucoup sous souvent à saisir ce que plonger le joueur en pleine les balles – mais moins, le jeu attend de nous. Seconde Guerre mondiale. au fond, que la manière L’occasion était belle pour Depuis, au fil des épisodes, dont elle est mise en œuvre. Medal of Honor de repartir la série a perdu de son Car, craignant sans doute de l’avant. Raté, et sur éclat et, sur le créneau de la polémique, l’éditeur tous les plans. E. H. la fusillade grand public aborde son sujet (risqué, Medal of Honor Sur PS3, à alibi historique, s’est mais pas dénué d’intérêt) Xbox 360 et PC (Electronic Arts, de 55 à 70 €) laissé dépasser par l’ultra avec une grande timidité. spectaculaire Call of Duty, Ici s’affrontent donc dont les créateurs avaient de courageux soldats justement fait leurs armes américains (qui s’attachent sur Medal of Honor. évidemment à épargner Dans l’espoir de lui les civils) et de méchants donner un seconde souffle, talibans. Les décors Electronic Arts change mis à part, l’action pourrait

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Angry Birds Halloween

Sengoku Basara: Samurai Heroes

Sur iPhone et iPod Touch (Rovio/Chillingo, 0,79 €) Depuis bientôt un an, les possesseurs d’iPhone propulsent des oiseaux vengeurs sur leurs ennemis jurés – les cochons, comme chacun sait. La sortie d’une version Halloween payante d’Angry Birds pourrait sembler bassement mercantile. On y verra plutôt une excellente occasion de prolonger l’expérience du génial jeu original.

Sur PS3 et Wii (Capcom, de 40 à 50 €) Réponse des studios Capcom à Dynasty Warriors, beat them all à succès du concurrent Koei, Sengoku Basara téléporte la frénésie martiale de ce dernier dans un Japon féodal imaginaire peuplé de ninjettes déchaînées et de samouraïs poseurs. S’il n’innove que très modérément, ce défouloir stylé se révèle étrangement obsédant. 10.11.2010 les inrockuptibles 97

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sonic south Die Antwoord, sensation hip-hop trash et cinglée venue d’Afrique du Sud, déboule avec un premier album qui marie Eminem et Prodigy.

I  Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

l est un peu plus de 21 heures à Amsterdam. La salle s’appelle Trouw, elle est située en plein cœur de la ville. A l’entrée, le public des rappeurs sud-africains de Die Antwoord est aussi bizarre que le groupe lui-même. Des gens cool, des gens pas cool du tout (punks à chiens, ex-fans des Beastie Boys). Tout le monde se masse pour découvrir la sensation venue de l’autre hémisphère et surtout du web. On entre. La salle est tout en longueur. Derrière la scène, on projette la tête d’un garçon victime du progéria (sénescence accélérée), héros malgré lui du clip Enter the Ninja, l’un des hits du crew. La bière coule à flots et les pétards tournent à la vitesse du tournesol. Au bout de quelques minutes, les lumières

s’éteignent, le progéria disparaît (enfin) et le DJ du groupe monte sur scène. Il s’appelle DJ Hi-Tek, c’est pas très original, et il balance des beats un peu technoïdes en attendant la venue des deux MC, Ninja le garçon et Yo-Landi Vi$$er la fille. Ils débarquent un instant plus tard. Lui avec des tatouages dégueu sur sa poitrine sportive, elle dans un jogging moulos à moitié sexy, qui laisse apparaître des seins bien trop gros pour son corps minuscule. Le public hurle des trucs en hollandais, Ninja lui jette de l’eau dessus, et Hi-Tek balance la purée. Le groupe commence par In Your Face, le morceau qui ouvre son premier album. C’est compact, entre Eminem et Prodigy. Le disque est à cette image, jonglant entre une fascination pour le rap white trash

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on connaît la chanson

bye-bye Walkman Nostalgie : les usines Sony ont récemment fabriqué leur tout dernier Walkman.

et les instrus métalliques. L’écriture est haute en couleur, parfois empreinte de sordide, mais toujours pleine d’humour. Les productions sont d’une efficacité redoutable, frisant parfois l’ambiance Dance Machine mais toujours avec goût. “Comme Eminem, nous racontons nos vies de Blancs désœuvrés dans les banlieues blanches (celles du Cap – ndlr). Pour la musique, nous nous sommes inspirés des raves et du son qui s’échappait des taxis lorsque nous traînions près des feux rouges, souvent de la techno”, notera Ninja un peu plus tard. C’est ce même Ninja qui mène la revue en checkant le Hollandais enthousiaste, pendant que Yo-Landi Vi$$er remue son petit boule à l’envi – on a envie de lui faire l’amour

“en Afrique du Sud, quand tu fais du rap et que tu es blanc, on pense que tu es dingue”

en la cognant un peu contre le radiateur. Le public ne connaît pas la moitié des titres, hormis Enter the Ninja et Zef Side qui provoquent de véritables mini-émeutes. Pourtant, tout au long du concert, des bières vous tombent sur la tête : voilà longtemps qu’on n’avait pas vu une performance aussi extatique sur scène. Le tout dure un peu plus d’une heure, et se conclut par Wat Kyk Jy, qui semble vouloir dire un truc en batave si l’on en croit la joie des gens jusqu’au fond du Trouw. Quelques minutes après son concert, le groupe nous reçoit dans sa loge pour une brève rencontre. Les deux MC sont peu bavards. Ninja n’a pas inventé la poudre mais fait preuve d’une énergie débordante.“C’est une revanche pour moi ce soir à Amsterdam. Un jour, j’avais envoyé une demo à un type d’ici pour qu’il me signe sur son label. Il m’a répondu que ça l’intéressait, puis plus de nouvelles. Entre-temps Interscope nous a signés pour le monde. J’espère que ce connard était dans la salle, plein de regrets.” Il affiche les ambitions du groupe : “Die Antwoord va devenir un phénomène mondial, j’ai suffisamment attendu pour que ça se produise enfin. J’ai joué dans une demi-douzaine de groupes avant que ça ne prenne, dans un pays où quand tu fais du rap et que tu es blanc, on pense que tu es dingue. En Afrique du Sud, les gens ne comprennent pas bien ce qui se passe pour nous, c’est un pays où les types manquent d’ambition, sont incapables d’avoir même l’idée d’être connus en dehors de leur village”, explique Ninja, laissant Yo-Landi conclure par un rot phénoménal. Durant l’été, plusieurs blogs ont avancé l’idée que Die Antwoord pourrait être un groupe fabriqué. On pose la question. Yo-Landi, repue, rugit : “C’est n’importe quoi ces rumeurs, je connais Ninja depuis que je suis petite.” Pour la version officielle, les deux sont juste bons amis et ont eu un enfant par accident. Ils confirment d’ailleurs cette version. Il est 23 heures. Pierre Siankowski photo David Balicki Album $O$ (Interscope/Polydor/Universal) www.dieantwoord.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Le Walkman vient de mourir dans une usine japonaise, dans l’indifférence narquoise des lecteurs MP3, qui tuaient ainsi définitivement le père (to père). La mémoire (16 Go) courte, ils ont oublié un peu vite que, sans cet ancêtre audacieux, ils n’auraient jamais connu nos poches. Car à l’époque, à la fin des années 1970, nous n’étions que quelques-uns à transporter avec nous des chansons gravées à vie sur un disque dur encombré, déjà, de noms de producteurs, de musiciens obscurs et de studios d’enregistrement : le cerveau. On tuait alors le temps pendant les épuisantes leçons de tout, en écoutant les albums qu’on avait laissés dans nos chambres. Pour les vrais fondus, ceux qui ne pouvaient pas envisager partir en vacances sans leurs meilleurs amis de vinyle, il y avait bien des électrophones portables – mais même si on a connu de vrais intoxiqués de musique, on n’en a jamais vu un actionner son Teppaz avec casque Radiola dans la rue. Je n’oublierai jamais le premier Walkman touché, immédiatement adoré pour les possibilités et l’émerveillement qu’il offrait. L’amour des listes, des compilations savamment dosées, remonte au premier Walkman : ces cassettes patiemment assemblées étaient nos cartes de visite, nos déclarations de foi (voire parfois d’amour), qu’on s’échangeait dans les cours de récréation. Elles nous déterminaient, nous garçons de peu de mots : une grimace sur une chanson suffisait à rompre une amitié. C’est dingue l’énormité des émotions, des sensations, des impressions qu’on pouvait faire tenir sur les 90 minutes d’une cassette BASF Color. Le Walkman, c’était surtout l’autorisation de totalement s’isoler, sans rendre de comptes. Une clé pour s’ouvrir au monde, mais aussi pour claquer la porte.

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Feist en documentaire En attendant son nouvel album, annoncé pour l’an prochain, Feist publiera le 6 décembre un film retraçant la conception, l’enregistrement et la promotion de son troisième et dernier disque en date, The Reminder, paru en 2007. Intitulé Look at What the Light Did Now, le DVD, qui reviendra sur les nombreuses collaborations de la chanteuse (Gonzales, Renaud Letang, Clea Minaker), sera accompagné d’un disque de treize morceaux live.

cette semaine

Festival Africolor : c’est reparti Vingt-deuxième édition de l’excellent festival dédié aux musiques d’Afrique : du 12 novembre au 24 décembre, vingt-cinq concerts dans vingt villes de la Seine-Saint-Denis. A voir pour les têtes d’affiche Lokua Kanza, Omar Pène, Danyèl Waro ou Mahmoud Ahmed, mais aussi et surtout pour les créations inédites et les découvertes. www.africolor.com

Saint Etienne, au nom du fan Contre 150 livres sterling (173 euros), les fans de Saint Etienne peuvent commander, jusqu’au 20 novembre, une version deluxe de l’album de Noël du groupe, A Glimpse of Stocking. Explication : il comprendra un morceau inédit, sur lequel la chanteuse prononcera le prénom de celui ou celle qui aura passé commande.

Public Enemy sauvé Les New-Yorkais de Public Enemy avaient décidé de s’attaquer à la crise du disque en faisant appel aux fans pour financer l’enregistrement de leur onzième album. Ravis, les rappeurs ont annoncé avoir réuni 51 000 dollars (59 000 euros) sur le site participatif Sellaband. Encore sans titre, le disque succédera à How You Sell Soul to a Soulless People Who Sold Their Soul?

The Feelies : un album vingt ans après Ils l’avaient promis l’an dernier, ils le font : les Feelies, pionniers et pères spirituels du rock indé américain, dont ils ont posé les bases dans les années 1980, sont en train d’enregistrer leur cinquième album, vingt ans après le quatrième. Le groupe s’était reformé pour la scène en 2008. Sortie prévue au printemps prochain.

Elliott Smith

neuf Alex Winston

Avey Tare Dans la ouate plus que dans les watts, dans l’éther plus que sur terre, on peut danser sur l’electro onirique, sur le folk futuriste de ce dissident d’Animal Collective, qui donne de furieuses envies de se mettre à poil autour d’un feu de camp pour psalmodier les bras tendus vers le soleil. Il doit y avoir de la drogue dans ces chansons entortillées. www.paw-tracks.com

Une des sensations du récent festival américain du CMJ, cette harpie venue de Detroit a marqué les esprits avec un étrange maxi composé de reprises (Mumford & Sons, Rolling Stones ou Jack Peñate). Confirmation sur scène, où elle évoque la rencontre au sommet de Joanna Newsom, pour l’excentricité folk, et de Passion Pit, pour l’electro songeuse. Une star. www.myspace.com/alexwinston

The Field Mice Avec quatre ou cinq guitares chétives, des chambres d’écho et une frénésie toute adolescente, ces Anglais, méprisés de leur vivant, bâtirent un mur du son délicieusement romantique et de guingois. Ils tiennent leur revanche plus de vingt ans après, fréquemment cités en exemple, notamment par les Drums. Leur chanson Sensitive reste un chef-d’œuvre. www.myspace.com/thefieldmicesarah

Pour célébrer dignement les sept ans de la mort mystérieuse du troubadour américain, le label Domino sort une très digne compilation. Elle ne suffira pas à expliquer l’aura et la béatification si cruellement tardive du songwriter américain le plus bouleversant de sa génération. De cqfd.com aux sommets des charts, son influence demeure massive. www.sweetadeline.net

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Bottalico

du Cocoon à l’âme Retour éblouissant du duo folk français, avec un album aux arrangements de soie et au songwriting d’or.

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n trouvera sur Where the Oceans End, le deuxième album de Cocoon, le meilleur morceau de l’année d’Elliott Smith. Il s’intitule Mother, et il est beau comme une maman. Rien d’étonnant ici : depuis le succès médiatique du duo, quelques mois après sa victoire en 2007 au concours CQFD, Cocoon ne cesse d’offrir à la France ses plus gracieuses folk-songs. Enfantin, son univers a souvent alimenté les critiques de ses détracteurs. Platiné, son succès a sûrement fait des jaloux. Mais Cocoon n’a pas volé sa consécration : le songwriting, soigneusement appris chez Neil Young, Bon Iver ou Harry Nilsson, est véritablement d’or. Un peu hâtivement, il a valu au duo, qui est désormais parisien, d’être sacré nouveau pape d’une scène clermontoise : ses ballades vont pourtant bien au-delà des sommets du Mont-Dore. On les chanterait partout où le ciel est grand, dans un chalet des Appalaches, sur la route du cap Horn. Après My Friends All Died in a Plane Crash, le deuxième album des Français invente l’histoire d’une baleine nommée Yum Yum, venue embarquer le groupe pour un voyage fantastique digne d’un conte de Miyazaki. C’est joli, mais l’essentiel est ailleurs. Composées avec une méticulosité

d’orfèvre (I Will Be Gone, Baby Seal), les chansons de ce nouveau recueil replacent l’écriture naturelle de Cocoon dans un écrin plus sophistiqué, modelé par les doigts de fée du producteur Ian Caple. Dickon Hinchliffe des Tindersticks est venu signer les arrangements de cordes. Plus orchestré et opulent que son prédécesseur, Where the Oceans End confirme les talents de compositeur de Mark Daumail, qu’on perçoit au fil des morceaux comme le plus digne correspondant français du Scandinave José González. Capable, sur scène, de revisiter avec humour des singles d’OutKast ou d’Amy Winehouse, il est, quand on passe aux choses sérieuses, une des plus belles raisons de saluer les forces vives du pays. La preuve avec ce morceau, enfin, baptisé Super Powers, à la conclusion bouleversante, qui semble échapper d’un tiroir à trésors de M. Ward : c’est dire le niveau de compète. Johanna Seban Album Where the Oceans End (Barclay/Universal) Concert le 13/12 à Paris (Casino de Paris) www.frompandamountains.com En écoute sur lesinrocks.com avec 10.11.2010 les inrockuptibles 101

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Sun Ra plus cosmiqueq ue jamais,d ans les seventies

Ra lovely Nouvelles météorites signées Sun Ra, pionnier toujours aussi influent du jazz cosmique, dans une poignée de rééditions et un album inédit.

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elon ses dires, Sun Ra est né sur Saturne, avant d’être téléporté vers 1914 à Birmingham, Alabama, où il passe une partie de son enfance derrière un piano. Après avoir frayé à Chicago avec l’orchestre de Fletcher Henderson, l’individu imagine au début des années 1950 son propre ensemble, l’Arkestra, qui profite des talents et de l’audace de solistes comme Pat Patrick, John Gilmore ou Marshall Allen. Jusqu’à la disparition de son chef suprême en 1993, la coterie signe, en costumes de science-fiction étrangement inspirés par l’Antiquité

à huit musiciens, une énergie qu’un orchestre philharmonique aurait du mal à concevoir

égyptienne, de fabuleux disques de jazz : straight ou expérimental, peu importe, mais toujours exubérant. L’astre Sun Ra est impossible à éteindre. Pas une année sans la réédition d’un pan de sa gigantesque discographie. Des labels (Art Yard, Kindred Spirits, ESP, Atavistic, Leo…) ont succombé au magnétisme du personnage et se chargent à intervalles réguliers de provoquer ses nouvelles révolutions. Certaines années tiennent même du jubilé. 2010, par exemple : pas moins de six rééditions et un inédit redisent la singularité d’un musicien pas comme les autres. Art Yard et Kindred Spirits publient (le premier sur CD, le second sur vinyle réduisant l’embonpoint de Sun Ra à 180 grammes) Sleeping Beauty, On Jupiter, The Antique Blacks et Disco 3000. Sur ces disques, l’Arkestra raconte son odyssée au son de rengaines servies par des savoir-faire

instrumentaux hors-normes et par la bonne humeur qui préside aux joutes sonores de l’équipage. Jazz, blues, cabaret, funk ou même disco, la mixture est efficiente, et même supérieure sur Paris Tapes, double disque inédit qui revient sur un concert donné par le Mythic Science Arkestra en 1971 à Paris. Au Châtelet, après les acclamations de rigueur, Sun Ra et ses musiciens s’en donnent à cœur joie : le Farfisa est frénétique, les saxophones vindicatifs, les percussions irrésistibles, et la voix de June Tyson finit de changer le spectacle vivant en exceptionnel morceau de vie. Autre label dévoué à l’œuvre de Sun Ra, ESP y va lui aussi de ses rééditions importantes. S’il inaugure une sunresque série intitulée College Tour, c’est au son d’un coffret qu’il célèbre avec perte et fracas la figure du roi Soleil : The Heliocentric Worlds

of Sun Ra, soit trois disques sur lesquels le musiciengourou jongle avec les éléments d’un univers dont il est le centre. A force de mouvements emportés, Sun Ra dirige une autre musique, voguant sur des planètes soumises à d’artificielles dérives des continents. Par exemple, le Cosmic Chaos, sur lequel le groupe, pourtant réduit à huit musiciens, délivre une énergie qu’un orchestre philharmonique commun aurait eu du mal à seulement concevoir. Comme souvent chez Sun Ra, le free-jazz prend là des airs de fête, et la folie créative est contagieuse. Guillaume Belhomme Albums Sleeping Beauty, On Jupiter, The Antique Blacks, Disco 3000, Paris Tapes (Kindred Spirits/Rush Hour en vinyle ; Art Yard/Orkhêstra en CD ) ; College Tour Volume One, The Heliocentric Worlds of Sun Ra (ESP/Orkhêstra) www.elrarecords.com

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Patrice One Because Originaire de Sierra Leone, l’Allemand Patrice déploie dans sa nouvelle mosaïque musicale de vraies poussées de génie. our Patrice, 2010 est une année féconde. Marié à la chanteuse Ayo, l’artiste allemand d’origine sierraléonaise vient de goûter pour la deuxième fois aux joies de la paternité, heureux événement suivi par la sortie de ce sixième album, qu’il n’hésite pas à présenter comme son meilleur. Et c’est vrai en partie : One contient certaines des chansons les plus mélodiques et les mieux orchestrées de son répertoire. Joyau du disque, le superbe Walking Alone, aux amples mouvements de cordes, entraîne l’auditeur dans un poignant tourbillon introspectif. Mouillant dans les mêmes eaux symphoniques et toujours accompagné par les Demon Strings, The Maker, blues lent aux reflets trip-hop, fait songer à la manière dont Tricky pourrait adapter George Gershwin. Sur ces deux titres, Patrice se montre à son avantage, sans doute parce qu’en faisant appel à la part de souffrance en lui-même il s’oblige à dépasser les limites d’une imagination musicale trop habituée à naviguer

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Art JR. Photo David Meignan

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à l’intérieur d’un éternel triangle d’influences, entre folk, soul et reggae. Dans un même élan d’audace et de vérité, il s’expose comme jamais pour humilier son ego. D’abord sur Ain’t Got No (I Got Life), une reprise inspirée de Nina Simone ; puis sur Kingfish, ragga tribal et incisif. Sur ce dernier, lui qui hier chaussait volontiers les godillots du militant (Murderer, Moneypulation) avoue n’avoir aucun message à délivrer et faire partie d’une génération qui n’a rien à dire. Ce que la suite du disque tend hélas à confirmer. Car passé ces quatre premiers morceaux, Patrice tombe assez souvent dans la précipitation (Wiggle & Rock)

ou cède à la facilité (Nobody Else’s, Nothing Better), prouvant au passage combien il est difficile de chanter l’amour béat (surtout quand on ne s’appelle ni Stevie Wonder ni Paul McCartney). Enregistré entre Londres, Cologne, le New Jersey et la Jamaïque, One ressemble finalement au portrait de l’artiste sur le livret : un visage recomposé à l’aide d’une mosaïque de baffles en pleine forêt, l’image même d’une âme fragmentée, voire éparpillée, toujours à la recherche d’une unité. Francis Dordor www.myspace.com/patricemusic En écoute sur lesinrocks.com avec

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The Bees Every Step’s a Yes Fiction, en import

The Count & Sinden Mega Mega Mega Domino/Pias L’electro tonitruante et joyeuse de deux hurluberlus des dance-floors anglais. S’il existe bien une raison d’aimer l’Angleterre, c’est pour ces rois dingos du dance-floor qui ont toujours aidé notre pauvre sang à circuler après sept pintes. Leurs noms : Andrew Weatherall, Fatboy Slim, Chemical Brothers, Basement Jaxx, Audio Bullys… En 2010, les nouvelles idoles du genre s’appellent The Count & Sinden, et elles ont monté une entreprise de guinche grand standing. Avant de débouler définitivement sur la longueur d’un album, ils ont choisi de baliser le terrain avec une poignée de maxis devenus des classiques de la musique de liesse UK (l’obsédant Beeper ou Hardcore Girls). Mega Mega Mega pousse l’expérience un peu plus loin : aux bombes de dance (Elephant 1234, Panther, After Dark chanté avec les Mystery Jets), il faut désormais ajouter des morceaux à la cool énergie tropicale (Llamamé), voire spaghetti (Desert Rhythm), ou encore des fusées un peu planantes qui rassemblent Prince et Boards Of Canada (You Make Me Feel So Good). “Nous voulions aussi montrer que nous pouvions descendre un peu de la piste”, explique Sinden. L’hiver va être long – et ces deux types des plus précieux.

Retour discret des petits maîtres de la pop anglaise vintage. L’île de Wight est coupée du monde : depuis un notoire festival pop des années 1960, elle est restée hippie et happy. Pour preuve, les Bees continuent, sur ce quatrième album, d’entretenir cette flamme, cette flemme aussi : nonchalantes et rayonnantes, leurs popsongs sont depuis presque dix ans une valeur refuge face à l’agitation vaine et les hypes biodégradables. Les mélopées font l’éloge de la paresse, d’autres racontent Gaïa en bégayant : rien de bien neuf dans cette pop toujours aussi exaltée, organique, euphorique. Si ce n’est que là les Bees ne sont plus seuls : l’histoire a eu, à grand renfort d’autres animaux azimutés, de Panda Bear à Animal Collective, la bonne idée de les rejoindre dans ce paradis artificiel où batifolent psychédélisme bucolique, pop pour chorales ivres et folk avec (professeurs) tournesols dans les cheveux. Une chanson s’appelle pourtant Change Can Happen : surtout pas. JD Beauvallet

Pierre Siankowski photo Grégoire Bernardi Concert le 13/11 à Paris (Social Club) www.myspace.com/countandsinden En écoute sur lesinrocks.com avec

www.wearethebees.tumblr.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Lars And The Hands Of Light The Looking Glass Cornflakes Zoo/Platinum Utopique et radieuse, la pop de Danois qui veulent du mal au froid. Avec son glorieux riff à la nonchalance contagieuse, le single Me Me Me donnait envie de jouer au bowling avec le Big Lebowski. L’album de ces Danois se charge, lui aussi, de prolonger le plus loin possible l’été, l’insouciance et l’adolescence. Pendant que d’autres, sur PS3, s’enferment dans un monde virtuel de guerre ou de football, Lars And The Hands Of Light ont choisi la pop pour divorcer de la réalité : mélodies euphoriques et chant flegmatique repoussent avec dédain l’époque, sa tension et sa colère. A la manière de Pulp, ils construisent avec allumettes et ficelles multicolores une bulle souriante, bienveillante : avec Lars, l’hiver ne passera pas l’hiver. JDB www.myspace.com/larsandthehandsoflight

Diplo Chasing the Dragon Rubadub, en import

Le génial DJ américain délaisse l’electro pour le psychédélisme. On ne sait pas si Diplo tient, sur le téléphone qu’il vante dans une publicité TV, les comptes de sa plantureuse discothèque. Après la musique africaine ou brésilienne, le surdoué DJ américain recense ici les pop-songs sixties les plus bariolées et les hymnes garage ou soul seventies les plus agités de sa vaste collection psyché, pour un mix en forme de trip tourbillonnant. Une merveille cultivée et défoncée, que l’on déconseille aux autoradios – sauf ceux des tapis volants et des dragons roses. JDB www.myspace.com/diplo

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Silvouplay Electric Family

Bot’Ox

Osorno Records/Discograph

Babylon by Car L’electro suave et castagneuse de deux jeunes vétérans français. Plutôt que de se tartiner la trombine de Botox, qui veut garder la mine fraîche – et la gambette alerte – fera bien de s’enduire les oreilles de Bot’Ox. Premier album de bel acabit, Babylon by Car confirme en tout cas ce que laissaient fortement supposer les productions antérieures du duo : Benjamin Boguet (Cosmo Vitelli) et Julien Briffaz ([T]ekël) forment une paire du tonnerre, qui génère une musique terriblement (aéro) dynamique en puisant à la source electro autant que dans le réservoir rock. Au cœur de Babylon by Car se trouve le morceau éponyme, redoutable machine à lessiver les dance-floors, digne des plus ardents brûlots (post) punk-disco de !!! ou de LCD Soundsystem. Aussi fulgurant soit-il, ce single ne doit pas occulter le reste. Particulièrement palpable sur ces autres pics que sont Crashed Cadillac et Tragedy Symphony, une même fièvre, déclenchant de très séduisants remous, parcourt l’album de bout en bout. Jérôme Provençal www.botoxmusic.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Dan Winters

I’m A Cliché

Kings Of Leon Come around Sundown RCA/Sonymusic Le trône des Kings Of Leon ressemble de plus en plus à des latrines de stade. ur scène, lors de leurs derniers concerts anglais, les jeunes Américains paraissaient totalement paumés, contemplant avec hébétude, lassitude et résignation le chaos qu’étaient devenues leur vie, leur musique. Condamnées au gigantisme pour cause de miraculeux triomphe anglais (festivals, notamment), les chansons des Kings Of Leon en ont subi avec cruauté les dommages collatéraux : plus question d’écrire des mélodies mais des hymnes boursouflés, collectifs ; ordre de faire taper les mains largement au-dessus des têtes ; devoir impératif de riffs emphatiques pour atteindre les stades jusqu’au fond des travées ; obligation de batteries démesurées, absurdes. Devenue une sorte de U2 indie-hypocrite, la fratrie Followill a dû se défrusquer dans l’affolement de toute sa fraîcheur, sa naïveté, sa nervosité pour devenir de morbides et flapis notables du rock héroïque : il faut beaucoup de patience, voire de mansuétude, pour retrouver la moindre étincelle dans ce fatras de gros son, de grosses ficelles et de grasses facilités. Et pourtant : en quelques instants de grâce chancelante (la prise de conscience salvatrice de Back down South ou le spectorien Mary), ils retrouvent leur grandeur de péquenauds flamboyants, largement dépassés par leur propre musique. Mais pour en arriver là, que de décibels maltraités, que de torses bombés, que de baudruches gonflées. JD Beauvallet

S

L’electro fière et braillarde de Français qui veulent le dance-floor à leurs pieds. Un riff synthétique rugissant, des basses vrombissantes, un beat qui écrase les hannetons, une boucle qui explose le disco : c’est la France, monsieur. Et plus précisément, Versailles, maison mère de toutes ces compressions et castagnes de dance-floors. Silvouplay, c’est un peu l’émission Top Gear après quinze Red Bull : des bolides hilares et des mécaniques hallucinées, tournant trop vite, jusqu’au vertige. Silvouplay pousse à l’extrême les clichés de la French Touch : mélodies baroques, psalmodies vaporeuses, mais aussi groove exorbitant et brutalité rock. Les titres auraient suffi à écrire cette chronique : ils disent Something Stupid, You Rock the Dancefloor ou Nod Your Fucking Head, et c’est effectivement un joyeux et forcené mélange de tout ça. JDB www.silvouplay.com En écoute sur lesinrocks.com avec

www.kingsofleon.com En écoute sur lesinrocks.com avec 108 les inrockuptibles 10.11.2010

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Rico Forhan

Mansfield.TYA Refaire tout comme hier Vicious Circle Les deux fausses ingénues mettent un grain de sable et de folie dans leur folk noir. e single, en édition languide, elle évoque très limitée par mesure un Diabologum retourné de santé (mentale) publique, aux cavernes, à un âge d’avant est livré soigneusement l’électricité, d’avant la société. enveloppé dans une affiche : “Tu n’as qu’à tuer ta mère/ heureusement, ça ralentira Si tu ne sais pas quoi faire.” les émanations toxiques de cette C’est chanté en chorale solennelle, chanson cinglée, qui hurle c’est absolument terrible et sans jamais hausser le ton, fascinant : cette chanson fait croire déchire l’air sans jamais convoquer à l’existence du diable. JDB l’électricité. Frondeuse www.viciouscircle.fr et exaspérée tout en restant



Mayra Andrade au Studio 105 Fin novembre sort le premier album live de la chanteuse capverdienne Mayra Andrade, enregistré en septembre au studio 105 de la Maison de la Radio. En l’attendant, on peut toujours écouter (et regarder) la belle dans le même studio mais en mai, en duo avec Hugh Coltman. www.youtube.com

Fredrika Stahl Twinkle Twinkle Little Star En marge de son ravissant album, la Suédoise a enregistré sur son site ce chant de Noël tout en givre et flocons : joyeuse idée, puisqu’elle est devenue la BO officielle de la récente pub Nissan. La belle jouera prochainement avec Ronnie Spector – un conte de fées en plus d’un conte de Noël. www.myspace.com/fredrikastahl

Lightspeed Champion ’Til I Die. Lightspeed Champion vient d’annoncer la sortie, le 13 décembre, de son nouveau maxi, Bye Bye. La chose s’ouvrira sur cette somptueuse reprise de ’Til I Die des Beach Boys. Les autres morceaux ont été arrangés par le légendaire Van Dyke Parks. http://soundcloud.com/dominorecordco

Let It Bleed Blank Un nom emprunté à un album des Rolling Stones pour ces quatre Lillois à mèche : riffs crasseux, hymnes sensuels et guitares comme échappées d’un carton de demos des Libertines. Que ça saigne, oui, mais du cœur. www.cqfd.com/letitbleed 10.11.2010 les inrockuptibles 109

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Aaron 14 & 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 10/11 Marseille, 12/11 ClermontFerrand, 26/11 Nancy, 27/11 Strasbourg, 1/12 Rouen The Amplifetes 12/11 Caen, 13/11 Le Mans, 20/11 Le Havre, 26/11 Marseille Anoraak 13/11 Reims, 19/11 Montpellier, 20/11 Perpignan, 27/11 Bruxelles, 2/12 Angers, 16/12 Strasbourg, 18/12 Marseille Arcade Fire 24/11 Marseille, 26/11 Lyon BB Brunes 24/11 Paris, Olympia Bertrand Belin 12/11 Tours, 18/11 Allonnes, 1/12 Paris, Boule Noire The BellRays 16/11 Bordeaux, 18/11 Villeneuve -d’Asq, 19/11 Paris, Machine du Moulin Rouge, 20/11 Creil, 21/11 Brétigny-surOrge, 24/11 Besançon, 26/11 Tarbes, 27/11 Auch, 28/11 Montpellier, 29/11 Lyon, 30/11 Strasbourg, 4/12 Istres Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino The Bewitched Hands 10/11 Marseille, 11/11 Montpellier, 12/11 Arles, 19/11 Sannois, 20/11 Tourcoing, 24/11 Brest, 25/11 Nantes, 26/11 Laval, 27/11 Angoulême The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Sarah Blasko 27/11 Caen, 1/12 Strasbourg, 2/12 Lyon The Bloody Beetroots 10/11 Paris, Grande Halle de la Villette V. V. B rown 15/11 Paris, Bataclan

Bumcello 26/11 Paris, Trabendo Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Caribou 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Cascadeur 12/11 Arles, 20/11 Perpignan, 25/11 Amiens, 10/12 Rennes, 15/12 Belfort, 16/12 Mulhouse, 17/12 Mondorfles-Bains, 18/12 Dijon

Chocolate Genius Méconnu de ce côté de l’Atlantique, Chocolate Genius vient dévoiler le songwriting éblouissant de son récent album Swansongs. David Byrne, Marc Ribot, Vincent Segal ou Seb Martel sont déjà fans. 24/11 Paris, Boule Noire Clarika 6/12 Paris, Palace Soirée Custom 18/11 Paris, Nouveau Casino, avec The Shoes, Chapel Club

Da Brasilians 11/11 Brest (+ Katerine), 17/11 Paris, Flèche d’Or, 19/11 Alençon (+ Katerine), 20/11 Lille (+ Katerine), 23/11 Strasbourg (+ Katerine), 26/11 Reims (+ Katerine), 30/11 Paris, Bataclan (+ Gush) Einstürzende Neubauten 16 & 17/11 Paris, Cité de la Musique Tiken Jah Fakoly 19/11 Perpignan Foals 16/11 Lille, 17/11 Nantes, 19/11 ClermontFerrand, 20/11 Bordeaux, 21/11 Toulouse, 23/11 Lyon, 24/11 Strasbourg, 25/11 Paris, Elysée Montmartre Fortune 13/11 Reims, 20/11 Paris, Maroquinerie, 9/12 Rennes, 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix Chris Garneau 19/11 Blois, 20/11 Colmar, 25/11 Le Havre Godspeed You! Black Emperor 14/1 Paris, Grande Halle de la Villette, 28/1 Marseille, 1/2 Toulouse Goldfrapp 22/11 Paris, Trianon Gorillaz 22 & 23/11 Paris, Zénith Gossip 9/12 Paris, POPB, avec Metronomy, Hercules And Love Affair Cee-Lo Green 1/12 Paris, Trabendo Gush 30/11 Paris, Bataclan Hangar 11/11 Amnéville, 12/11 Dijon, 16/11 Lille, 17/11 Paris, Maroquinerie PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Hey Hey My My 13/11 Briec, 23/11 Paris, Bataclan, 3/12 La Roche-

sur-Yon, 11/12 Magnyle-Hongre Holy Fuck (+ Buck 65) 22/11 Paris, Flèche d’Or Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo Inrocks Indie Club 19/11 Paris, Flèche d’Or, avec The Walkmen, Frankie & The Heartstrings Inrocks Indie Club décembre 17/12 Paris, Maroquinerie, avec White Lies, Iliketrains, The Vaccines Interpol 16/11 Marseille John & Jehn 10/11 Caen, 11/11 Lorient Junip 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Katerine 19/11 Alençon, 20/11 Lille, 24/11 Lyon, 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne La Fiancée 13 & 16/11 Paris, Ciné 13 The Lanskies 12/11 Lille, 19/11 Cherbourg, 11/12 Bordeaux Le Prince Miiaou 12/11 Lorient, 20/11 Bourgoin Robin Leduc 17/11 Paris, Zèbre de Belleville Madjo 16/11 Paris, Maroquinerie Florent Marchet 19/11 Rouen, 26/11 Villeurbanne, 27/11 Delémont, 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine

Marina & The Diamonds 30/11 Paris, Alhambra Minitel Rose 20/11 Le Havre, 28/1 Orvault, 6/2 Tours Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen Jean-Louis Murat 12/11 SaintChamond, 16/11 Nantes, 23/11 Paris, Alhambra Yael Naim 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse, 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon JP Nataf 13/11 Franconville, 18/11 Avernes, 19/11 Orléans, 20/11 Le Havre, 26/11 Beaucourt, 18/1 Paris, église SaintEustache The National 23/11 Paris, Olympia Scout Niblett 12/11 Lille, 13/11 Metz, 14/11 Grenoble, 15/11 Montpellier, 16/11 Lyon, 17/11 Belfort Nuits sonores Du 10 au 14/11 à Toulouse, avec Chloé, Ivan Smagghe, Pantha Du Prince, Erol Alkan… OMD 25/11 Paris, Casino de Paris Raul Paz 11/11 Marseille, 12/11 Toulouse, 13/11 Etaples, 7/12 Paris, Bataclan,

11/12 Rouen, 15/12 Cébazat, 16/12 Lyon, 17/12 Montpellier, 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Phantom Buffalo 21/11 Paris, Maroquinerie (+ Shannon Wright), 23/11 Rennes (+ Shannon Wright), 24/11 Evreux, 25/11 Paris, International (+ Trumans Water), 2/12 Bordeaux Plan B 16/11 Paris, Bataclan, 17/11 Lille Pony Pony Run Run 12/11 Paris, Zénith, 17/11 Bordeaux

Gaëtan Roussel Beau succès pour Ginger, premier album solo du Louise Attaque Gaëtan Roussel. Et une longue tournée française pour fêter ça. 13/11 Le Mans, 17/11 Nancy, 18/11 Luxembourg, 25/11 SaintEtienne, 26/11 Valence, 27/11 Avignon, 7/12 Toulouse, 9/12 Istres, 10/12 Reims, 11/12 Vars-lesClos, 6/4 Paris, Zénith Xavier Rudd 26/11 Paris, Elysée Montmartre, 30/11 Rouen Severin 13/11 Metz, 19/11 Evreux, 20/11 Tourcoing, 24/11 Palaiseau, 25/11 Orléans Sexy Sushi 10/11 Orléans, 3/12 Paris, Cigale Soulwaxmax 23/12 Paris, Grande Halle de La Villette avec 2ManyDJs, Soulwax Spoon 15/11 Paris, Elysée Montmartre

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Dès cette semaine

Suede 28/11 Paris, Elysée Montmartre Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou Yann Tiersen 21/11 ClermontFerrand, 22/11 Paris, Elysée Montmartre, 23/11 Marseille Tokyo Police Club 25/11 Paris, Maroquinerie Trans Musicales de Rennes Du 8 au 11/12, avec Funeral Party, Gonjasufi, Stromae, M.I.A, Matthew Dear, Janelle Monáe… Two Door Cinema Club 25/11 Paris, Olympia Vampire Weekend 17/11 Paris, Zénith

Catherine Watine (+ Maud Lübeck + Christelle Berthon), 26/11 Paris, Théâtre de la Reine Blanche Wavves 22/11 Paris, Point Ephémère Emily Jane White 12/11 Strasbourg, 13/11 SaintMaixent, 15 & 16/11 Paris, Européen, 18/11 Orléans, 19/11 Toulouse, 20/11 La Rochesur-Yon, 22/11 Dijon, 23/11 Marseille, 24/11 Périgueux, 26/11 Aubenas Shannon Wright 10/11 SaintNazaire, 11/11 Tours, 12/11 Magny-le-Hongre, 13/11 Angoulême, 14/11 Toulouse, 15/11 Marseille 18/11 Dundingen (Suisse), 19/11 Mâcon, 20/11 Bourgoin-Jallieu, 21/11 Paris, Maroquinerie, 23/11 Rennes

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aftershow

Nouvelles locations

En location

Ray Davies Le 31 octobre à Paris, Olympia Plusieurs fois annulé, ce rendez-vous à l’Olympia avec Ray Davies avait tout du Grand Soir, et pas question en ce week-end de la Toussaint de croire en la mort artistique du plus précieux des songwriters anglais – malgré une panne d’inspiration digne d’une grève dans la raffinerie pop depuis bien trente ans, malgré une carrière solo sans intérêt et un nouvel album de duos épouvantails, où il se tire plusieurs bastos dans le culte en massacrant les Kinks avec Bon Jovi ou Metallica. Un début acoustique, à deux guitares, laissait augurer d’une belle soirée au coin du feu avec l’Oncle Ray et son storytelling pince-sansrire dans lequel il intègre des bouts de son fabuleux répertoire. Il ne chante pas toujours très juste mais la magie opère, jusqu’à l’arrivée d’un groupe de baloche qui va légèrement plomber l’affaire, hormis sur les basiques You Really Got Me, All Day and All of the Night, Til’ the End of the Day, triplette redondante des early years. Pas un seul titre en revanche de Something Else, ni de Village Green, ni de Arthur (hormis un Victoria tronqué et bluesy), la triplette magique des golden years ! Meilleur moment de la soirée : Moments, justement, titre peu connu, rarement joué, qui nous fit croire le temps d’un bref instant au miracle attendu. Christophe Conte

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Courtesy Cheim & Read, Hauser & Wirth et galerie Karsten Greve. Photo Christopher Burke © Adagp, Paris 2010

Eugénie Grandet, 2009

un dernier trait d’Eugénie Quand un personnage de roman inspire l’art contemporain : à la fin de sa vie, Louise Bourgeois a travaillé autour de l’Eugénie Grandet de Balzac. Un hommage en miroir entre deux champs artistiques.



’est un message posthume d’une rare délicatesse que nous délivre Louise Bourgeois, décédée en mai dernier à 98 ans. A travers une expo et un livre, l’artiste lève le voile sur l’un des derniers mystères de son œuvre : le processus identificatoire au personnage de Balzac, Eugénie Grandet. A travers une fine analyse, l’historien de l’art Jean Frémon, qui organisa la première expo Louise Bourgeois à Paris en 1985, alors qu’elle était encore quasiment inconnue en Europe, décline ainsi quelques-uns des indices qui ont permis cet étrange mariage à travers les siècles – Eugénie Grandet

a été publié pour la première fois en 1833 avant de devenir sous la IIIe République un best-seller de l’Education nationale auquel Louise Bourgeois, qui étudiait dans les années 30 au lycée Fénelon à Paris, n’aura sans doute pas échappé. Les parallèles sont pour la plupart biographiques. La relation au père – du côté d’Eugénie, le terrible et mesquin Félix Grandet, tonnelier ; du côté de Louise, le manipulateur et volage Louis Bourgeois, restaurateur de tapisseries anciennes – en constitue sans aucun doute l’axe majeur. La relation tendre à une mère fragile et soumise en est un autre – celle d’Eugénie

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Courtesy Cheim & Read, Hauser & Wirth et galerie Karsten Greve. Photo Christopher Burke © Adagp, Paris 2010

en marge

mourra, asphyxiée par le climat délétère qui règne dans la maison de Saumur ; celle de Louise souffrira toute sa vie de l’humidité de la rivière qui jouxte la maison familiale. Chez Louise Bourgeois, toutefois, la mère conservera un statut ambigu, à l’image de cette œuvre monumentale baptisée Maman, une araignée de bronze d’environ dix mètres de haut qui porte sous l’abdomen un sac plein d’œufs de marbre. A l’inverse, la Destruction du père, une installation clé de 1974, conçue comme un festin anthropophage, est sans appel, tout comme la récurrence des phallus, rebaptisés ironiquement “fillettes” par l’artiste. Au-delà de ces clés psychanalytiques, d’autres analogies relient l’œuvre de Louise Bourgeois à l’épopée sans lumière de l’héroïne balzacienne, comme cette obsession pour le motif de la maison. Vrai personnage chez Balzac, qui entame chacun de ses romans par une description précise des lieux du crime familial – au sens chabrolien du terme –, elle devient un sujet répétitif chez Louise Bourgeois, à l’image de ses “femmes-maisons”, dessins et peintures des années 40 montrant une femme debout dont la tête est une maison au tracé enfantin. L’autre lien qui unit en filigrane Louise et Eugénie est évidemment celui de la couture, une activité pleine d’humilité et d’ennui qui rythme le quotidien d’Eugénie et a construit l’imaginaire de Louise, fille de tisserands. “J’ai passé ma vie à faire un trousseau/Moi qui n’ai jamais été troussée (…) J’ai passé ma vie à faire des rideaux/Pour cacher les vitres sales”, écrit Louise Bourgeois dans son texte inédit Ode à Eugénie Grandet. Dans l’expo présentée actuellement à la Maison de Balzac, c’est encore à travers un ensemble de seize broderies miniatures que Louise Bourgeois rend un dernier hommage à son héroïne, seize reliquaires composés à partir de restes hérités de son enfance, perles, boutons, fleurs artificielles. “C’est toute la province française qui est là, en boîte”, commente avec justesse Jean Frémon. Des heures de travail qui convoquent au passage un troisième personnage féminin, hérité cette fois de la mythologie grecque : Pénélope, et son ouvrage à jamais inachevé. A bien y regarder, cet ultime pied de nez consistant à rallier in extremis le patrimoine laissé par la littérature constitue une hérésie dans le paysage de l’art contemporain. Non pas que les artistes soient indifférents à l’héritage littéraire, quand les écrivains, on l’a vu en cette rentrée, s’inspirent largement de la figure de l’artiste. Disons plutôt que ce qui intéresse aujourd’hui les artistes, c’est davantage la figure même de l’écrivain plutôt que le personnage romanesque (sauf, exceptions notables, Bartleby, Bouvard

et Pécuchet ou Des Esseintes). On l’a vu dans L’Ile de la répétition, le dernier film de Benoît Maire, une circulaire amoureuse et bavarde tournée en super-8 qui met en scène quatre écrivains clés du romantisme : Søren (Kierkegaard), Emily (Dickinson), Thomas (Chatterton), John (Keats) et une héroïne, Cordélia, qui apparaît dans Le Journal d’un séducteur. Tandis que dans les cas où le “personnage” refait surface, il s’agit presque systématiquement d’un personnage imaginaire : Reena Spaulings, par exemple, issue d’un roman collectif du même nom écrit par les membres de la Bernadette Corporation – devenue aujourd’hui le prête-nom d’une galerie new-yorkaise – ; Madame la Baronne, fil rouge à une expo en trois volets d’Emilie Renard ou Mardi, inventé par le commissaire narratif Raimundas Malasauskas à l’occasion d’une programmation d’une semaine, l’été dernier, au Centre Pompidou, et qui fait directement écho au Vendredi de Michel Tournier. Claire Moulène Livre Moi, Eugénie Grandet (Gallimard/Le Promeneur), précédé d’un essai de Jean Frémon, 144 pages, 16 € Exposition Moi, Eugénie Grandet, jusqu’au 6 février à la Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, Paris XVIe

livre exposition Après les personnages, après les écrivains, restent les livres. Qui peuvent parfois servir de point de départ aux artistes et à une jeune génération de commissaires d’exposition très “littéraires”. C’est le cas d’Emilie Renard, qui a justement tissé la trame de sa prochaine expo au Frac des Pays de la Loire sur la base d’un livre, et pas n’importe lequel. “Je postule que le catalogue de l’exposition a déjà été écrit, qu’il est déjà publié, lu, connu, commenté et disponible en librairie, traduit même en plusieurs langues et qu’il s’agit du livre de Virginia Woolf, Les Vagues”, écrit ainsi, en préambule, la jeune commissaire d’expo.  Les Vagues du 26 novembre au 20 février au Frac des Pays de la Loire, La Fleuriaye, Carquefou

pétition, piège à con ? Yann Moix a signé un texte aux côtés de révisionnistes. On ne s’improvise pas intellectuel engagé. On ne saurait trop conseiller à Yann Moix de se contenter d’écrire de mauvais livres ou de réaliser de sombres navets. Car quand il adopte la posture de l’artiste engagé, il dérape dangereusement. L’auteur de Podium a signé une pétition contre la loi Gayssot, qui condamne toute contestation de crime contre l’humanité. Selon lui, ce texte aurait notamment le tort de mettre sur un même plan “les révisionnistes médiocres et les révisionnistes brillants” (on s’étrangle) et empêcherait de lutter efficacement contre les derniers. Gros hic : la pétition en question a également été paraphée par des négationnistes tels que Robert Faurisson. Dès que l’affaire a été rendue publique, Moix s’est justifié en affirmant avoir été piégé : il ne savait pas qui seraient les autres signataires, croyait que Robert Badinter en ferait partie… Peut-être. Sur son blog, une phrase du texte expliquant son opposition à la loi Gayssot, retirée par la suite, laisse pourtant penser le contraire : “J’ai signé une pétition en ce sens, sur laquelle figurent évidemment, figurent logiquement, mes pires ennemis et les ordures les plus avérées”. Mais finalement, qu’il ait su ou non importe peu. On ne s’aventure pas sur des terrains aussi glissants sans un minimum de précautions, et surtout de réflexion. L’outrance pseudo-iconoclaste n’a jamais tenu lieu de pensée. Mais l’affaire Moix a au moins le bénéfice d’illustrer les limites d’une certaine surenchère dans le politiquement incorrect. Ça peut faire chic à Saint-Germain-des-Près, mais ça ne fait sûrement pas d’un écrivaillon un intellectuel engagé. Ce ne sont pourtant pas les motifs de révolte qui manquent actuellement. Seulement, développer une vraie pensée demande plus de temps qu’un lamentable coup d’éclat.

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HORS-SÉRIE 20 monstres sacrés qui ont marqué la vie littéraire américaine du siècle passé.

des vies en noir

 N Bret Easton Ellis OJack Kerouac OPhilip Roth OJ. D. Salinger OWilliam Burroughs OJames Ellroy OJohn Fante O Saul Bellow OAllen Ginsberg ORichard Brautigan OTruman OCapote O Joan Didion OHubert Selby Jr OSusan Sontag OToni Morrison OJim Harrison ODon DeLillo ORaymond Carver OJay McInerney OWilliam T. Vollmann

+ CD 8 titres

Sufjan Stevens, John Cale, Matmos ...

EN KIOSQUE DÈS MAINTENANT 08 780 114 115 SLIV SEQ.indd 114

é à Brooklyn en 1941, Frederick Busch s’est éteint à 64 ans, encore fâché avec le monde. Même si le lecteur français n’a accès qu’à une mince partie de son œuvre, nouvelles et romans confondus (environ une vingtaine de livres, dont trois publiés en France), cela est bien assez pour se représenter la dose de défiance et de froide lucidité que l’auteur nourrit à l’égard du cœur humain. De Filles à Souvenir de guerre en passant par L’Inspecteur de nuit, les thèmes tournent en boucle, telle une rengaine dérangeante : l’inaptitude au bonheur domestique, le couple et son naufrage, la maladie, les traumatismes liés à la guerre. Des obsessions qu’on retrouve dans Missions de sauvetage, recueil nourri de sombres pensées mais, si l’on en croit son intitulé, en vue d’une rédemption… Les personnages de Busch, entre deux âges, sont profs, avocats, journalistes, issus d’un milieu bourgeois ou universitaire. Tous traînent un boulet : un mariage raté, un amour perdu, un deuil, un cancer. Mais tous ont eu une seconde chance, ont cru un instant “revivre”. Les nouvelles de Busch commentent la ruine de cet espoir : deux amants amoureux mais forcés de se séparer en raison d’un mari malade  (“Une dernière fois en souvenir du passé”) ; une prof ayant refait sa vie avec un Noir plus jeune qui décède subitement (“Le Fond du verre”) ; une scénariste de téléfilm enfin reconnue qui se fait accuser de plagiat (“Maintenant que c’est le printemps”), etc. Pas de sauvetage possible, nous dit Busch. A la place de la rédemption espérée : quelques heures de joie dans un monde de confusion, d’espoirs trompés, d’occasions manquées. Contre cela, que peut le langage ? Sa mise

Robert Birnbaum

Décédé en 2006, le NewYorkais Frederick Busch a ausculté les hantises de l’Amérique cultivée et bienpensante. Son dernier roman et un recueil de nouvelles viennent clore une œuvre prolifique et profondément désabusée. en échec constitue un aspect fascinant de la prose de Busch, pétrie de dialogues à la fois réflexifs et vains entre des êtres incapables de formuler leur douleur. Que peut la jeunesse ? Un jeune soldat est “cassé” par son expérience en Irak et devient étranger à sa famille (“Paré à l’action”), une adolescente se retrouve SDF (“La Mission du bon secours”), une autre est internée en HP pour cause de dépression (“La Fatigue du métal”) ? Pour se remonter le moral, et avant d’avaler un tube entier de Prozac, il reste heureusement Nord, polar situé dans une bourgade peu engageante du nord de l’Etat de New York. Le héros, ex-agent de la police militaire, y recherche un adolescent disparu tout en ruminant un passé scabreux : la mort de sa fille, suivi du plaquage de sa femme, le tout sur fond de réminiscence de guerre du Vietnam. Busch campe là un roman atmosphérique d’une rare puissance, où le cosmos décentre un peu l’homme de sa souffrance. Le personnage principal est un autre cœur en hiver, tough guy pas bavard et anti-héros chandlerien, qui trouve dans cette solitude offerte par l’Amérique rurale un retranchement à ses tourments. C’est là que Busch consent enfin à desserrer un peu l’étau du désastre : au fond d’un diner paumé, dans “le brouillard des conversations, de la fumée de cigarette, du sirop d’érable, du café fort, et d’un burrito”. Emily Barnett Nord ; Missions de sauvetage (Gallimard), traduits de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphanie Levet, 368 pages, 2 3,90 € et 384 pages, 24 €

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dans le repaire de l’ogre

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Classic Foto Regensburg

Une histoire de séquestration à deux voix, violente et cauchemardesque. L’Allemande Andrea Maria Schenkel prend le lecteur au piège dans un roman suffocant. ès les premières pages, on devine la fin. L’histoire qui se joue là est une lutte à mort, un combat dont l’un des deux adversaires ne sortira pas vivant. L’issue est – en partie – connue d’avance, et pourtant jamais la tension ne se relâche. Ultra noir et oppressant, Bunker ne laisse pas un moment de répit. Ce troisième roman de l’Allemande pervers et retors, un affrontement Andrea Maria Schenkel, auteur de La Ferme tout autant physique – la violence du crime et d’Un tueur à Munich, repose est omniprésente – que psychologique. sur une intrigue minimaliste : un homme On est dans le “bunker” avec les deux enlève une femme, Monika, et la séquestre personnages, enfermé avec eux dans ce dans un moulin isolé. La voix du ravisseur huis clos suffocant. L’écriture extrêmement alterne avec celle de la victime ; concrète et crue de Schenkel fait ressentir des monologues nerveux, fiévreux, jusqu’à l’humidité qui suinte des murs constamment sous pression, de la vieille bâtisse, l’odeur âcre qui règne qui se succèdent et se répondent dans la pièce, la douleur des coups… Le livre par surimpression jusqu’à se brouiller. ressemble à ces cauchemars dans lesquels D’ailleurs, la grande force de ce bref on tente de fuir un ennemi ou un prédateur roman est de brouiller tous les repères. mais où l’on court désespérément sur place. Les rapports entre le bourreau et sa victime Avec cette histoire aux confins de la folie, se troublent dans un jeu de manipulation Andrea Maria Schenkel joue avec nos peurs

archaïques, comme dans les contes de fées. Tous les ingrédients sont là : l’ogre, la forêt dans laquelle Monika, tels le Petit Poucet ou Hansel et Gretel, se perd. On pense également à ces faits divers récents – Natascha Kampusch, l’affaire Josef Fritzl (qui devrait être au cœur du prochain roman de Régis Jauffret) –, histoires d’enfermement vraies mais impensables qui engendrent ce mélange dérangeant de fascination et de répulsion, celui-là même que l’on éprouve à la lecture de Bunker. Elisabeth Philippe Bunker (Actes Sud), traduit de l’allemand par Stéphanie Lux, 130 pages, 13,50 €

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musée d’Art contemporain de Lyon, photo Blaise Adilon

Edward Ruscha, The Back of Hollywood (1977)

Hollywood stories Hollywood, usine à rêves ou machine à cauchemars ? Motif récurrent de la littérature actuelle, ne serait-il pas surtout une préfiguration de l’étrange virtualisation de nos vies ? ynch en a fait une hallucinante Weisberger, auteur du Diable s’habille Le mensonge et la confusion entre traversée du miroir (Mulholland Drive) ; en Prada. Après avoir taillé un costard fiction et réalité sont au cœur de Suite(s) Kazan, une machine à broyer au monde de la mode, elle publie avec impériale(s) de Bret Easton Ellis. Scénariste un homme (Le Dernier Nabab) ; Wilder, Stiletto blues à Hollywood un nouveau page à Hollywood, le narrateur a vu sa jeunesse un monstre à l’agonie ressassant son âge turner visant à mettre en boîte le star-system, vampirisée et phagocytée par un film, d’or passé (Sunset Boulevard). Le cinéma à travers l’ascension assez grotesque tandis que sa vie actuelle prend de plus s’applique depuis des décennies à ternir d’un folk-singer. Hollywood y ressemble à en plus des airs de polar. Chez Ellis, son image – à tel point que dauber sur L’Ile de la tentation, entre sunlights et tapis le message est clair : le cinéma, la fiction, Hollywood est devenu un art à part entière. rouge, photocall et réveillon géant organisé ont pris le pouvoir sur la réalité. Une fois Rien d’étonnant, donc, à ce que par MTV au Chateau Marmont. A la fin, ce réel contaminé, la vie du narrateur est la littérature participe à cette entreprise on est quitte pour une crise d’hystérie condamnée à tourner en boucle comme de démolition rondement menée. noyée dans un happy end (chick lit oblige) une série B sans fond et sans logique. Historiquement, les écrivains ont et agrémentée d’une leçon de vie sur Certes, Ellis fait sa “critique”, au sens une revanche à prendre sur Hollywood : les effets pervers de la célébrité. moral, de Hollywood : il démontre comment dans les années 1930, des auteurs comme Il y a les corps qu’Hollywood ignore, ceux les jeux de pouvoir et de stratégie sociale Fitzgerald, attirés par les sommes qu’il absorbe puis rejette ; ceux, enfin, qu’il ont becqueté l’art et les films ; comment ce mirobolantes offertes contre leurs digère pour les incorporer à sa mécanique. système perverti ne fait plus qu’engendrer services, se sont vus exploités par les Qu’en dit sa créature la plus emblématique ? des déchets humains, drogués et/ou studios versatiles et capricieux (Le Dernier Dans les Fragments de Marilyn, Hollywood alcooliques. Mais le climax de cette Nabab est une adaptation par Harold Pinter se rapporte surtout au plateau de cinéma : descente en flammes tient surtout à sa du dernier roman de Fitzgerald). la star y voit un piège, une arène où elle résonance avec notre époque : à savoir Aujourd’hui encore, les romanciers sera forcément mal jugée, à laquelle elle la prépondérance du virtuel dans nos vies. installés à L.A. s’en donnent à cœur joie : tentera d’ailleurs d’échapper en 1954 en Il suffit de balancer les mots “storytelling”, Ellroy – qui fait de la victime centrale du créant sa propre compagnie à New York. “vlog”, “YouTube” pour rappeler à quel Dahlia noir une jeune starlette – et surtout La mélancolie et la peur suintent à chaque point notre réel a été rattrapé par sa mise Bret Easton Ellis, dont le dernier opus page, suggérant une vie intérieure en scène. Et si Hollywood se met à refleurir dissèque l’usine à rêves de manière inédite à l’opposé de l’icône souriante inventée comme motif dans les livres ou au cinéma, et cauchemardesque. par les studios. Hollywood incarne ici une c’est bien qu’il apparaît comme la matrice Ellis s’est défendu d’avoir voulu en faire machine servant à travestir le réel, autant de cette confusion si contemporaine entre la satire, genre affectionné par Lauren qu’à l’engloutir pour le commercialiser. fiction et réalité. Emily Barnett



la 4e dimension Chalumeau commence mal Le prix de la première phrase la plus mal écrite est attribué à Laurent Chalumeau : “Tout de suite, le jour qu’il était venu s’installer chez eux, un moment que Charlotte était à la cuisine, Fabrice avait dit à Romain, ‘Sérieux ? ça te gêne pas que je suis pédé ?” (Bonus, Grasset)

Peter Doherty se livre Pas besoin d’attendre l’âge de la retraite comme Keith Richards pour écrire ses mémoires. Les Carnets d’Albion, journal intime composé de poèmes, collages et dessins du dandy rockeur Peter Doherty, paraissent en France le 16 novembre (Florent Massot).

Mad Men en librairie Dans la série Mad Men, le personnage de Roger Sterling se pique d’écrire ses mémoires. Le livre sera publié “pour de vrai” à Noël, sous le titre Sterling’s Gold – Wit and Wisdom of an Ad Man.

Franzen, la honte Pendant dix ans, Jonathan Franzen n’a pas pu écrire une ligne. Dans un entretien au Guardian, il explique : “J’avais honte de presque tout ce que j’ai pu faire dans ma vie personnelle ces quinze dernières années.” Honte de son mariage, de son divorce, de ses aventures… Espérons que le succès de Freedom le détende un peu.

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L’Evangile selon saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964)

face à la fêlure Dans une réflexion sur les “catastrophes” de la vie, Pierre Zaoui déploie une philosophie vitaliste grâce à laquelle le pire se pense à défaut de se panser.



ue faire de la douleur du quotidien, de l’événement qui fait basculer l’ordre apaisé des choses, de la fêlure qui vous transperce et vous brise ? Comment survivre au deuil amoureux, à la mort de l’autre, à la maladie qui surgit ? Faut-il taire ces expériences, les fuir, les apprivoiser ? Ces questions traversent l’histoire de la philosophie, sans que jamais n’ait été épuisé le vertige de leur énigme. Pour Pierre Zaoui, membre de la revue Vacarme et l’une des plus brillantes figures de la nouvelle génération de philosophes, il est facile de céder à la tentation du déni de ces objets impurs. Le matérialisme, qui court d’Epicure à Spinoza, ne s’intéresse par exemple qu’à la vie pleine et joyeuse. Par opposition, la tradition religieuse pose comme principe que la souffrance reste une épreuve salutaire. L’une et l’autre postures produisent paradoxalement les mêmes effets : l’incapacité à penser l’événement de la catastrophe intime en lui-même.

C’est contre cette carence que Pierre Zaoui s’élève dans La Traversée des catastrophes, un essai magistral et exigeant, y compris dans le mode de lecture auquel il invite, bouleversant par l’énergie et la finesse qu’il déploie de bout en bout. A une riche lecture de l’histoire de la pensée, au cœur de laquelle se distinguent Nietzsche et Deleuze, l’auteur mêle son propre vécu : l’analyse abstraite des concepts ne peut faire l’économie de l’épreuve de l’incarnation. L’enjeu de la réflexion de la catastrophe tient à l’exigence d’unité de la pensée et de la vie. C’est la leçon du Parménide de Platon : l’important n’est pas de savoir spéculer, de bien vivre ou d’avoir une idée de toutes choses, “mais d’avoir une vraie idée des choses ou des événements qui nous arrivent”. Ce à quoi il s’essaie à travers des chapitres prenant à bras-le-corps (malade) la mort, la douleur, le deuil amoureux. “Il faut y aller”, proclame-t-il, comme pour affirmer la nécessité vitale de se frotter à ces objets “impurs, impropres, obscurs” : des “souterrains” que seule la pensée consciente

de sa propre fébrilité parvient à éclairer. Zaoui, en héritier de Deleuze, défend une “philosophie vitaliste” qui tente de penser la vie “jusque dans ses derniers retranchements”. Ethique de l’immanence, qui évacue toute transcendance, sans doctrine et sans père, ce vitalisme naît de l’expérience, elle-même consolidée par le travail de la pensée. Car “penser n’est jamais s’arrêter de vivre, mais s’arrêter pour vivre”. A rebours de toute posture normative ou moraliste, le texte de Zaoui affiche l’immense modestie d’une gigantesque ambition : penser pour survivre au pire, à la vie immanquablement traversée par les catastrophes, et continuer, “contre toute attente et toute espérance”. A l’impossible traversée de la vie, on est tenu. Plus encore qu’un manuel de survie, cette Traversée des catastrophes a la beauté secrète d’un chemin de traverse au bout duquel frémissent d’une même voix la joie et la tristesse. Jean-Marie Durand La Traversée des catastrophes – Philosophie pour le meilleur et pour le pire (Seuil), 375 pages, 2 3 € 10.11.2010 les inrockuptibles 117

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mercredi 10

On dépasse les clichés sur nos rapports avec nos amies les bêtes grâce à Animaux & cie (Grasset, 256 pages, 29 €), beau livre de photographies de Nicolas Guilbert accompagné d’un texte de Cécile Guilbert, qui pose de façon sensible la question de notre humanité.

jeudi 11

à venir William Burroughs

fait un bras d’honneur à la globalisation vendredi 12 On avec l’exposition Kiss My Mondialisation. L’écrivain Jean-Charles Massera investit le champ sonore (enregistrements, chansons, fictions polyphoniques) pour se livrer à une critique politique. Jusqu’au 28 novembre à l‘Institut d’art contemporain de Villeurbanne, www.i-art-c.org

samedi 13

On se met à l’heure colombienne avec une rencontre sur le thème de l’écriture de la violence organisée au Centre Pompidou-Metz dans le cadre des Belles Etrangères, avec les écrivains colombiens Hector Abad Faciolince, Gonzalo Sanchez, Evelio Rosero et le Français Mathias Enard. Jean-Charles Massera

dimanche 14

Séance de rattrapage pour ceux qui n’ont pas pu se rendre au Théâtre de l’Odéon le 18 octobre. France Culture diffuse l’enregistrement de la lecture des extraits de Just Kids, le livre de Patti Smith, donnée par l’icône rock herself et par Isabelle Huppert.

Théâtre & Cie > France Culture > 20 h

lundi 15

On refait le voyage aux origines avec la sortie en poche de Retour à Reims, récit intime et bouleversant dans lequel le sociologue Didier Eribon, spécialiste de Foucault, retourne dans sa ville natale et fait son coming-out social en s’interrogeant sur les rapports de classe. Flammarion, Champs essais, 256 pages, 8 €

Jean Genet est né le 19 décembre 1910. On prend de l’avance pour fêter le centenaire de l’auteur du Journal du voleur et on réserve dès maintenant ses places pour la Semaine Jean Genet organisée du 23 au 27 novembre, au Théâtre de l’Odéon. Parmi les manifestations, une lecture d’Elle dirigée par Olivier Py, un débat sur le thème de la prison ou encore un colloque sur la censure dans la traduction littéraire.

mardi 16

www.theatre-odeon.fr

Christine Angot Les Petits (Flammarion) Christine Angot revient aux éditions Flammarion, qu’elle avait quittées pour le Seuil le temps de publier, en 2008, son roman Le Marché des amants. C’est début janvier qu’elle y sortira son nouveau livre, Les Petits, où il ne s’agirait pas pour elle de se mettre en scène mais d’écrire autour du rôle que jouent les enfants au milieu d’un couple, d’une histoire d’amour. Et de la façon dont les adultes s’en accommodent (ou pas). Sortie le 5 janvier

William Burroughs inédit

Jean Genet par Ernest Pignon-Ernest

Catherine Hélie

A partir de 14 h 30, tél. 03 87 56 41 21

Renaud Monfourny

En ce jour férié, on échappe à la dépression avec Mes vies d’Edmund White (10/18, 473 pages, 8,60 €), autobiographie du romancier et critique américain dans laquelle il évoque ses psys, sa mère, ses tapins… Confidences toujours avec la réédition de Queer, introspection signée William Burroughs (Christian Bourgois, 201 pages, 7 €) et Le Métro blanc et autres histoires, recueil de textes rares de l’inventeur du cut-up (Christian Bourgois, 319 pages, 8 €).

Blade-Runner (A Movie) est l’unique œuvre de Burroughs encore inédite en français – son titre a inspiré celui du film de Ridley Scott. Les éditions Tristram avait depuis longtemps le projet de publier ce roman, de la trempe des Garçons sauvages, et le sortiront début janvier sous le titre Le Porte-Lame. En s’inspirant de la structure d’un scénario, Burroughs écrit le roman d’un film qui se situerait en 2014, en plein trafic de médicaments et autres guerres entre laboratoires pharmaceutiques. Le porte-lame (blade runner) est celui qui transporte la marchandise à travers New York. Sortie le 6 janvier

Mathieu Lindon  Ce qu’aimer veut dire (P.O.L) Mathieu Lindon publiera son nouveau roman lors de la rentrée de janvier. Avec ce texte autobiographique, Ce qu’aimer veut dire, l’écrivain revient sur Michel Foucault, sur son père, l’éditeur Jérôme Lindon, sur l’homosexualité, la drogue, sur toute une époque, les années 70-80… Sortie le 5 janvier

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Hubert et Marie Caillou La Chair de l’araignée Glénat, 80 pages, 15 €

entre deux ères Sur le Japon des sixties en pleine mutation, un recueil de nouvelles douces-amères signé Masahiko Matsumoto.

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a Fille du bureau de tabac est la première parution en français de Masahiko Matsumoto, un des membres fondateurs du mouvement gekiga, avec notamment Yoshihiro Tatsumi (L’Enfer) et Yoshiharu Tsuge (L’Homme sans talent). Apparu à la fin des années 50, le gekiga désigne une bande dessinée adulte se penchant sur des sujets de société. Ce recueil de nouvelles met en scène des jeunes filles débrouillardes – certaines gagnent leur vie comme représentantes en préservatifs – et des garçons pas très dégourdis, qui tournent en rond chez eux et se laissent porter par l’air du temps en rêvassant. Tous doivent faire face à des problèmes typiques de leur époque : mariages arrangés, avortement, alcoolisme, chômage, désœuvrement… Le Japon de Masahiko Matsumoto est celui des années 60 et 70, un pays en pleine mutation économique, où la vie est difficile pour les classes moyennes, où il faut s’adapter sans cesse aux changements de la société, où la jeunesse remet en cause le modèle ancestral.

Les personnages sont toujours sur le fil, dans des situations incertaines et instables, hésitant à prendre des décisions, toujours entre deux boulots ou deux prétendants, déménageant inopinément. En arrière-plan, Masahiko Matsumoto décrit avec justesse un Japon lui aussi en mouvement, peuplé de chantiers de construction, d’immeubles en démolition. Les protagonistes de La Fille du bureau de tabac essaient pourtant de surnager. Ils fuient leurs préoccupations dans l’insouciance (ou l’alcool), gardent l’espoir que l’entraide et le rêve apporteront des jours meilleurs. L’auteur, qui manie à ravir l’ellipse et le sens du burlesque, laisse d’ailleurs toujours imaginer que les choses ne sont pas si graves et peuvent finir par s’arranger. Moins sombre que Tatsumi, moins introspectif que Tsuge, Masahiko Matsumoto raconte son pays avec une douceur qui dédramatise les problèmes, sans les nier pour autant. Une brise d’utopie seventies pour atténuer la noirceur du quotidien. Anne-Claire Norot

L’anorexie traitée avec pudeur et inventivité. Difficile de parler de l’anorexie sans tomber dans la dramatisation ou sans surligner l’émotion. Pourtant Hubert et Marie Caillou s’en sortent très bien dans ce roman graphique élégant et sensible. On y suit les destins de deux jeunes anorexiques, sympathisant chez le psy et tentant de s’aider et de vivre malgré leur mal-être. Le récit, dur, émaillé de détails douloureux et crus, est adouci par le petit côté irréel de la ligne claire très Chris Ware de Marie Caillou. Sous son apparence un peu désincarnée (sans mauvais jeu de mots), renforcée par une belle palette de couleurs froides, son trait est émouvant et terriblement inventif. Pour rendre les obsessions des jeunes gens et leur quotidien moins inhumains, les auteurs flirtent même parfois avec le fantastique. Rarement le refus de s’accepter et l’incompréhension des autres auront été traités avec autant de délicatesse. A.-C. N.

La Fille du bureau de tabac (Cambourakis), 272 pages, 2 1 €

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Christophe Raynaud de Lage

doc Phil Darwin et mister Nianga Le trait d’union entre le stand-up et le théâtre politiquement engagé de Thierry Bédard ? L’acteur congolais Phil Darwin Nianga.

première Novart Huitième édition de cette biennale bordelaise des arts de la scène qui fait la part belle aux artistes inclassables, voire irrécupérables, tels qu’Eric Da Silva, Edit Kaldor, Michel Schweizer, Kris Verdonck ou Benoît Lachambre. Jusqu’au 21 novembre à Bordeaux, tél. 05 56 79 39 56

réservez El Viento en un violin texte et mise en scène Claudio Tolcachir Deuxième spectacle de ce metteur en scène argentin programmé au Festival d’automne, qui nous conte l’histoire d’amour tumultueuse de Lena et Céleste, composant, in fine et malgré tant d’obstacles, un portrait de famille inédit et non conventionnel… Du 16 au 20 novembre à la Maison des Arts de Créteil, tél. 01 45 13 19 19, www.maccreteil.com

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art de pratiquer le grand écart, Phil Darwin Nianga le possède à fond. Connu et reconnu comme une figure montante du stand-up, il partage son spectacle, Rapplique, où se presse un public remarquablement jeune et multiculturel (on dirait des scolaires, mais sans les professeurs), entre commentaires de l’actualité, échanges de vues avec l’audience, anecdotes de sa jeunesse et de ses études en Algérie, puis de son arrivée dans la banlieue parisienne, et imitations impayables de tous “les Renois, les Rebeus et les Reblancs” qu’il croise au quotidien. Il roule des yeux à merveille, danse d’un bout à l’autre et se fait l’ambassadeur des personnes croisées au cours de ses voyages depuis l’enfance à Brazzaville, suivant son diplomate de père. Ces temps-ci, il démarre fort en évoquant la déchéance de la nationalité française imaginée cet été par Nicolas Sarkozy : “Ça calme… Maintenant, si je vois un Français de souche dans le métro, je me lève et je lui donne mon siège. Mais il faut savoir distinguer entre le Français de souche et le Français générique…” Et d’enchaîner tout naturellement sur les problèmes culturels posés par l’intégration. Là encore, pas d’attaque frontale, si ce n’est celle de l’humour qui, par l’absurde, déjoue et se joue de tous les clichés. Ce qu’il résume en une formule qui fait mouche : “Le cliché, c’est pas bon, c’est pour ça qu’on l’appelle aussi le négatif.”

Il sait de quoi il parle, “lui qui rêvait d’être Eddie Murphy en arrivant à Paris”, nous dit Thierry Bédard, qui le met en scène dans Des ruines…, un texte de l’auteur malgache Jean-Luc Raharimanana. Car les écoles de théâtre étaient “fermées à ce genre de type, et il est passé au standup, normal quand on vit en banlieue, école redoutable pour raconter des histoires… Mais ce type est un tragédien”. Là aussi seul en scène, il va incarner le “je” que pose pour la première fois dans ses textes Jean-Luc Raharimanana. Après 47, sur l’insurrection malgache, ou Les Cauchemars du gecko, un regard politique sur l’axe Sud-Nord, Des ruines… “redit cette rage, cette révolte contre ce monde”. Mais cette fois, ajoute Thierry Bédard, “il dit la douleur de porter toutes ces choses”. Un long monologue écrit pour Phil Darwin Nianga et porteur d’universalité, à l’écoute aussi bien de l’Afrique que de la banlieue parisienne où vit désormais l’auteur. Un “je” déchiré, en ruines, mais encore debout : “Cette simple conscience que la vie est encore érigée dans l’instant, qu’importent les poussières qui tombent de mes ruines, vivre est toujours laisser une part de soi à la mort.” Fabienne Arvers Rapplique mise en scène Philippe Sohier, avec Phil Darwin Nianga, les 7 et 14 décembre au Théâtre Traversière, Paris XIIe, tél. 01 43 41 81 27, reprise à la rentrée tous les mardis Des ruines… de Jean-Luc Raharimanana, mise en scène Thierry Bédard, le 10 novembre au Forum du Blanc-Mesnil, tél. 01 48 14 22 00, www.leforumbm.fr

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le chinois pour les nuls La performeuse hongroise Edit Kaldor fait œuvre de salubrité publique en nous initiant aux subtilités de la langue chinoise avant qu’il ne soit trop tard. vec C’est du chinois, Edit Kaldor Après avoir pris bonne note de la mise s’amuse à manier la carotte en garde, chacun s’interroge sur sa et le bâton pour inventer paranoïa en s’appliquant à répéter les mots une performance pince-sans-rire en mandarin de ce cours de langue qui incarnée par une famille de vrais Chinois. prend les allures d’un jeu de la marchande. Après un solide coup de gong, l’un Partant du plus simple, du chocolat, d’une des comédiens nous gratifie d’un sonore marmite de riz , du tofu ou d’une canette “Ni hao !” qui veut dire “Bonjour !”, et cette de bière, nos hôtes, devant leurs étals locution stridente détend d’autant plus de vieux cartons, réussissent le prodige de l’atmosphère que la courte introduction nous décomplexer vis-à-vis d’une langue qui la suit est en anglais. “Merci de vous où “café” se dit effectivement “ka fei”. Au fil intéresser au mandarin, nous avons mis au de la leçon, on découvre même, grâce à une point une méthode rapide pour l’apprendre… gorgée de bière et à un coussin farceur, Sachant qu’il s’agit d’une étape importante que le Chinois rote et pète dans sa langue, qui peut conditionner votre futur.” comme tout un chacun. Un pont entre On reconnaît bien là cette légendaire les civilisations aussi jubilatoire qu’utile. délicatesse propre aux habitants de l’empire Patrick Sourd du Milieu de laisser planer un doute C’est du chinois conception et mise en scène sur la date précise où tout Européen Edit Kaldor, les 16 et 17 novembre, en mandarin sans surtitres, à la Novart de Bordeaux devra nécessairement parler le chinois.

Agathe Poupeney/Fédéphoto

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l’envolée des sens

Une méditation chorégraphique défiant les lois de la pesanteur. Planant. oin du sol. On peut on pense au Dormeur du val caresse ou ce pied saisi être chorégraphe de Rimbaud. Mais ici, il n’y a au vol, n’appartiennent et ne pas résister ni décor de “frais cresson qu’à Julie Nioche. à cet appel d’air. Ces bleu”, ni “deux trous rouges On découvrit cette artiste années danse l’ont prouvé. au côté droit”. Julie Nioche dans une cour à Dijon, Du Rossignol de Régine est seule à sa façon, un rêve le temps d’une performance Chopinot au Castor qui pourrait mal tourner incendiaire ; on la retrouve et Pollux plus récent du duo sur les constructions ici dans l’exercice d’une François Chaignaud/Cecilia sonores d’Alexandre Meyer. combustion toute intérieure. Bengolea, l’élévation peut Et puis l’extase se Fille de l’air, sûrement pas : être autre que spirituelle. transforme en lévitation. plutôt une héroïne moderne, Julie Nioche le dit On verra l’interprète debout, c’est-à-dire affranchie autrement, parle de mise en mais ne touchant plus de trop de gravité. Philippe Noisette situation et de contraintes. terre ; repliée ou dépliée. Dans un dispositif telle une De la poupée grandeur œuvre d’art faite de cordes, nature manipulée, Coppelia Nos solitudes conception et interprétation Julie Nioche, poids et autres poulies, du ballet classique, au Centre Pompidou, Festival elle met son corps en jeu, aux expérimentations sous d’automne, compte rendu actionnant d’une cassure forme de décomposition du En tournée le 18/2 à Dunkerque du poignet ou simplement mouvement de Muybridge, (Bateau Feu, t él. 0 3 28 51 40 40), à genoux ce mécanisme Nos solitudes est le 18/3 à Amiens (Safran, à vue. Lorsqu’elle arrive un formidable laboratoire tél. 0 3 22 69 66 00), l e 2 6/3 à sur le plateau, s’attache visuel. Et, pour tout dire, Evry ( Agora, t él. 0 1 60 91 65 65), – six points d’ancrage, sensuel. Mais certains le 3/5 au Théâtre d’Arles (tél. 0 4 90 52 51 51) si l’on veut – et s’allonge, gestes, comme cette

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Sans titre (Afrika Korp), 2010, courtesy galerie Balice Hertling

vernissages Etienne Chambaud A Vassivière, Etienne Chambaud file la métaphore du hors-champ pour élaborer une passionnante Contre-histoire de la séparation. Pièce clé : un film réalisé avec le critique d’art Vincent Normand, qui met en parallèle la création et la disparition de la guillotine et du musée public. A partir du 13 novembre au Centre d’art de Vassivière, tél. 05 55 69 27 27, www.ciapiledevassiviere.com

Walid Raad Dans le cadre du Festival d’automne à Paris, une rétrospective fait le bilan de quinze ans d’activités de l’Atlas Group, association fantôme créée par Walid Raad qui documente la dimension sociale, politique et esthétique du conflit libanais. Jusqu’au 5 décembre au CentQuatre, 104, rue d’Aubervilliers, Paris XIXe, tél. 01 53 35 50 00, www.104.fr

Pedro Cabrita Reis Monumentales et minimales : c’est sur la base de ce double credo contradictoire que s’échafaudent les installations de Pedro Cabrita Reis, présentées tout l’automne au Carré d’art de Nîmes. Gageons que le bâtiment de Norman Foster constituera un terrain de jeu idéal pour l’artiste portugais. Jusqu’au 23 janvier au Carré d’art de Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, www.carreartmusee.nimes.fr

peint sur du vent Empreintes d’effets de matière et de lyrisme, les toiles du jeune Samuel Richardot s’aventurent sur le sol mouvant de la panne d’inspiration, et ouvrent de nouveaux horizons à la peinture.

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vec Samuel Richardot et sa manière de faire place nette sur la toile à des formes de taille modeste, l’horizon de la peinture se dégage. Pour donner sur quoi ? Beaucoup de blanc d’abord, et entre les blancs, des motifs ténus, longilignes, feuillus, torsadés, surtout pas géométriques, qui évitent en outre de trop se toucher. Samuel Richardot, à 28 ans, ne se réfugie pas derrière l’alibi d’un sens de lecture. Loin de se présenter comme un continuum, le tableau se permet au contraire

les formes semblent indifférentes les unes aux autres

le luxe d’une composition décousue, les formes semblant indépendantes, voire indifférentes les unes aux autres. La précision des contours, préparés au ruban adhésif de manière à éviter les débords, renforce cette impression d’autonomie. Le tableau est un archipel où chaque îlot de peinture semble menacer de faire sécession, mais est rattrapé aussitôt au vol par des effets de surface et de matière. L’acrylique et l’huile imitent ici l’aspect délavé de l’aquarelle et de ses couleurs translucides. Les tons ne sont pas francs, jamais univoques. Même ce vernis couleur chêne apposé diectement sur un petit tableau n’arbore pas une densité brune implacable et échoue à recouvrir complètement un fond vert olive diaphane.

C’est que la toile a été trempée. Et que sur ce terrain liquide rien ne peut vraiment tenir. Comme si Samuel Richardot savonnait la planche sur laquelle il s’avancait. Sa seule rambarde est alors le contour au Scotch avec lequel il forme un mince creuset. Une flaque de peinture y est versée. Elle sèche en une nuit. L’eau s’évapore, se retire, et laisse des traces d’écume sur la toile, des traces fluides, vaseuses et marécageuses. Samuel Richardot applique une démarche radicale devenue très courue : le peintre n’a pas entièrement la main sur le tableau qui se fait de lui-même. Car si longtemps un peintre a dû adapter ses moyens, ses outils et ses processus à son regard sur le monde, la réciproque est devenue tout aussi vraie. Reste que quand le protocole était donné, tout était dit. Chez Richardot, c’est là que tout commence : ces textures lavées ou diluées, ces effets de transparence, ces formes contenues et espacées se connectent aux cycles de la nature, à la texture des éléments, à leur consistance vaporeuse et intangible. Surtout, on retient ça : les formes et les couleurs naissent d’une toile déséchée, qu’il a fallu laisser dégorger avant d’y puiser une source d’inspiration et ne pas rester en cale sèche. Si la plupart des peintres aujourd’hui peignent à partir d’images quelque chose de solide, il sont de plus en plus nombreux, comme Samuel Richardot, à travailler aussi à partir de rien, sur du vent, des sables mouvants. Judicaël Lavrador Jusqu’au 10 décembre à la galerie Balice Hertling, 47, rue Ramponneau, Paris XXe, tél. 01 40 33 47 26, www.balicehertling.com

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encadré

cas d’école

Pierre Antoine

Décryptage d’un format en vogue : l’expo performée.

interstices Coincé entre Basquiat et Larry Clark, Didier Marcel tente d’instiller une poésie du lieu dans le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. ans un passionnant entretien pour la revue en ligne Rosa B, l’auteur américain Matthew Stadler annonce une anthologie de textes sur la notion et le paysage de “zwischenstadt” : ce terme, inventé par l’urbaniste allemand Thomas Sieverts, désigne ces lieux intermédiaires d’“entreville” situés à la lisière de l’urbain et de la campagne. On pourrait aussi bien en faire la compilation visuelle, avec les photos de Jeff Wall ou de Jean-Marc Bustamante, et peut-être faudrait-il y intégrer le travail paysagiste de l’artiste Didier Marcel. Coincé dans ces pages comme il l’est au musée entre l’énorme rétrospective Basquiat et la censurée expo Larry Clark – pas facile d’exister dans ces conditions –, l’artiste a en effet tenté d’installer la fiction d’un lieu. Dans la grande allée centrale de l’ARC, dont il a réduit la courbe, il envoie le visiteur se promener entre d’énormes rochers en papier mâché, dans un territoire intermédiaire, entre une rangée de bois coupé et un grillage, quelque part au bord de la forêt et d’une ligne TGV. Ensuite l’espace se délite un peu, la promesse du lieu n’est pas entièrement tenue, mais on croisera, comme dans ces “holzwege”, ces chemins qui ne mènent nulle part, des figures de cerf extrêmement stylisées, en métal rouillé, sculptures toutes récentes, encore peu sûres d’elles-mêmes et que l’artiste s’est risqué à montrer fraîchement. Une “tentative d’exposition”, une poésie du lieu qu’il n’est pas facile de faire exister dans le brouhaha du monde. Jean-Max Colard

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Sommes-nous l’élégance jusqu’au 2 janvier au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, www.mam.paris.fr L’espace social de la lecture entretien avec Matthew Stadler par Thomas Boutoux, www.rosab.net

L’exposition-agora orchestrée il y a deux semaines dans le forum de Beaubourg par Vincent Normand, Tiphanie Blanc et Yann Chateigné est exemplaire. Intitulée Fun Palace, en hommage au “projet cybernétique non réalisé de l’architecte Cédric Price qui a servi de modèle théorique au Centre Pompidou”, elle s’appuie sur la plupart des leviers actionnés par une nouvelle génération de commissaires-critiques. Un travail de défrichage d’abord, ici rebaptisé “archéologie du présent” et qui consiste à exhumer des archives, anecdotes et témoignages permettant de réactiver l’“utopie primitive du Centre Pompidou”. Oubliée la critique institutionnelle dure (même si l’on discute au passage “la prétendue utopie du Centre”) et les “re-enactments” (reconstitutions) politiques des années 1990, désormais l’exposition se parachute sur le terrain même de ses recherches et se pense comme la traduction sans perte ni transformation d’une mémoire à peine enfouie. Au risque parfois de se transformer en coquille vide lorsque les commissaires font le choix de présenter les documents témoins d’un projet éphémère de 1982 – qui consistait à occuper le mur du fond du forum pour y présenter des expositions semi-clandestines – plutôt que de “réactiver” cette expérience. Côté forme, Fun Palace est également emblématique, avec sa scénographie réalisée à partir des “restes d’expositions”, cimaises, socles, venus construire un paysage tautologique de l’exposition. Surtout, en accueillant durant dix jours des événements (un concert du label Junior Aspirin Records, une projection d’un film d’Etienne Chambaud ou une conférence de Camille de Toledo et de l’historien des archives Yann Potin), elle lorgne du côté d’une tendance (depuis les premiers “marathons” d’Hans Ulrich Obrist jusqu’aux “cabarets” de Raimundas Malasauskas) à introduire la prise de parole au sein de l’espace photogénique de l’exposition.

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semaine critique de la mode

1 sac à dos is back 2 New Balance, chaussures La nature et les grands maison espaces étant dans l’air du temps, le sac à dos fait actuellement un étonnant détour par nos villes. Pendant que les branchés en manque d’authenticité fonceront tête baissée sur des vieux sacs à lanières en cuir, prenez un peu d’avance en optant pour un sac aux couleurs vives qui transpire la technique et le savoir-faire. Soyez donc téméraire et portez du Millet, du Gregory ou du Fjällräven, qui contrasteront parfaitement avec votre veste en tweed. Laurent Laporte

illustration Alexandra Compain-Tissier

La marque qui a officiellement conçu la première “running-shoe” au début du siècle dernier est une des rares qui peut encore se vanter d’avoir gardé une partie de sa production dans son pays d’origine. Car c’est dans le Maine, aux Etats-Unis, que New Balance fabrique encore ses meilleures paires de chaussures, des chaussures de sport particulièrement performantes et confortables qui portent systématiquement un numéro de modèle sur la languette. Comme il est compliqué de tous les mémoriser, retenez-en un. Le plus cool : le 996. L. L.

3 tombée pour la frange On pensait qu’elle était sortie de cet enfer, mais non, il a fallu qu’elle remette ça. Kate Moss est retournée à la frange, confirmant une évidence absolue. Qu’elle soit courte, longue, balayée en mèche ou droite comme celle d’un poney, la frange est devenue le basique capillaire incontournable. Un règne mystérieux peut-être explicable par la polyvalence de ce rideau de cheveux qui, tel un jean, sait être aussi bien rétro pin-up, Swinging London qu’electro minimale allemande. En revanche, l’insulte “pute à frange” est bel et bien périmée depuis 2002. Géraldine de Margerie

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Anna Dello Russo, la modemaniaque Fashion director du Vogue Japon, l’Italienne a rejoint le cercle très fermé des icônes de la mode grâce à son sens aigu du spectaculaire.

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Vous pensiez que l’influence des Indiens d’Amérique sur la mode s’arrêtait aux chaussures Minnetonka de votre copine ? Loin de là. L’imprimé navajo s’apprête à faire un carton dans nos contrées en manque de folklore. Ces motifs géométriques et colorés provenant de l’Oregon ont la particularité de fonctionner sur tout. Il faudra donc aller chercher vos chemise, blouson, sac, couverture, gilet ou tapis chez Pendleton, spécialiste de l’imprimé najavo depuis 1909. L. L.

Vittorio Zunino Celotto/Getty Images/AFP

4 imprimé navajo en flèche

alayons le débat d’emblée. Anna Dello Russo n’est ni superficielle ni futile ni risible. Elle est juste magnifique. Chacune de ses tenues est un spectacle, chacune de ses déclarations un aphorisme mode. Le plus grand ? “Fashion is everywhere ! The sky is fashion ! My darling, the Sistine Chapel is fashion !” Née en 1962 à Bari, diplômée en littérature italienne et en histoire de l’art, la “fashion maniac”, telle que la définit Helmut Newton, a travaillé pour le Vogue Italie et le Vogue Uomo avant de devenir la fashion director du Vogue Japon. En parallèle, elle est consultante pour des marques de mode et, surtout, modèle préféré des streetstylers, ces bloggeurs à l’affût des meilleurs looks de la rue. Autour des défilés, c’est elle la plus sollicitée. Ses looks sont aussi sidérants que sa silhouette est athlétique, et elle ne recule devant aucun obstacle climatique, aucune convention vestimentaire. Elle peut être en robe du soir à 10 heures du matin ; elle est aussi capable de porter une cerise géante ou une mégatranche de pastèque en guise de chapeau. Anna Dello Russo est une esthète jusqu’au-boutiste. Elle s’interdit de porter des jeans, ou des talons de moins de douze centimètres. Elle ne porte jamais deux fois la même chose. Lors de la dernière Fashion Week parisienne, elle était arrivée avec cent tenues (qu’elle a toutes achetées, ce qui fait d’elle une exception dans le monde très intéressé des rédactrices de mode). Ses autres règles de vie ? Anna Dello Russo ne boit ni alcool ni café, ne fume pas et évite les soirées interminables. Mais elle consacre des heures chaque matin au yoga, et multiplie les séjours en Inde pour se “ressourcer”. Comme souvent, l’extravagante dissimule une vie d’ascète. Géraldine de Margerie

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portrait

décors et corps Du théâtre au cinéma, Patrice Chéreau déploie les mêmes obsessions des corps et des visages, comme l’illustre son exposition au Louvre. Sur Arte, Stéphane Metge explore cet art de la mise en scène.



ace aux comédiens auxquels il adresse des indications et des regards pénétrants, Patrice Chéreau se livre imperceptiblement à un geste répété : sa main, fugitivement, s’accroche au col de sa chemise, comme s’il y cherchait un quelconque appui. En déséquilibre, à la recherche de la justesse des corps dans l’espace, il mêle à sa concentration extrême l’abandon de ses postures mécaniques. Dans chaque plan du beau documentaire de Stéphane Metge qui le révèle au cœur de son processus créatif, Chéreau exhibe cette double posture : son obsession du contrôle et sa perte associées dans un même mouvement. Comme si son regard captait tout, sauf la conscience de lui-même. A l’occasion de l’exposition du musée du Louvre Les Visages et les Corps dont Patrice Chéreau est le commissaire, Stéphane Metge s’intéresse à son art de la mise en scène, tel qu’il s’est déployé tout au long de sa carrière protéiforme (théâtre, opéra,

cinéma). Le film tente de saisir, sur la durée de ses expériences éclatées, ce qui agite Chéreau au fond de lui, ce qui l’éclaire, ce qu’il éclaire, comment son regard s’est constitué. L’intéressé ne le sait peut-être pas lui-même tant le cercle de ses obsessions n’échappe pas à l’étrangeté de ses origines (l’apprentissage du regard grâce aux peintures de son père ?). Chéreau fait en revanche preuve de clairvoyance lorsqu’il évoque son mode d’appropriation des textes et le plaisir qu’il éprouve à provoquer l’interaction entre les acteurs. Grâce à de formidables images d’archives et des entretiens approfondis, Stéphane Metge explore les paysages continus de Chéreau, traversés d’effets de rupture qui obéissent à une logique d’extension et d’élargissement d’un désir fondateur. “Très tôt, j’ai admiré”, confie Chéreau : les sculptures et les peintures du Louvre, mais aussi les spectacles et les films. En 1960, déjà, il découvre, ébloui, le Berliner Ensemble mettant en scène

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PatriceChé reau et la mezzo-soprano Waltraud Meier

Ros Ribas

Chéreau construit son œuvre de ses propres affects autant que des faits sociaux

Bertolt Brecht. “J’ai vite réalisé que j’étais bien dans une salle de spectacle, ça m’a semblé mieux que chez moi”, dit-il. Même s’il avoue que les raisons de faire ce métier se transforment sans cesse, le plaisir de vivre dans ce sanctuaire reste son moteur. Strehler, Sobel et Planchon l’initient au théâtre. Le comédien Daniel Emilfork le pousse à interpréter Richard II : bien que très jeune, il joue déjà avec conviction. Emilfork, le visage émacié, la voix aristocratique, évoque alors le caractère du jeune promis : “Chéreau me rappelle Fritz Lang, il y a chez lui une recherche dans la rythmique des mouvements, comme s’il voulait s’approprier la vie même.” Ses expériences à Gennevilliers, Sartrouville ou en Italie le conduisent au TNP de Villeurbanne au début des années 1970, moment où son geste théâtral s’affirme. En 1973, il monte La Dispute de Marivaux, un tournant. “Nous sommes tous des enfants de La Dispute”, dira l’un de ses comédiens. Chéreau renouvelle la lecture de Marivaux, mais, surtout, “le rapport au texte devient concret”, viscéralement lié à la pratique du plateau, traduisant la recherche du sens des mots dans l’espace : “Le lien entre ces mots et l’espace est le corps des acteurs.” Ce tropisme du corps investi par le texte se déplace aussi dans son travail sur l’opéra. Sa proposition de L’Or du Rhin de Wagner fait scandale en 1976 à Bayreuth :

les wagnériens conservateurs lui reprochent de mettre“trop de théâtre” dans sa mise en scène et de sacrifier la musique. Ce rapport au corps des acteurs est un motif obsessionnel de ses films. Dans L’Homme blessé, son premier grand film réalisé en 1983, les corps s’attirent sans cesse, même si “le plaisir est impossible”. Au Théâtre des Amandiers de Nanterre où il s’installe au début des années 1980, son art théâtral trouve son parfait accomplissement. Il y crée une école restée célèbre. Les images de son enseignement auprès des jeunes élèves d’alors (Valeria Bruni Tedeschi, Laurent Grévill, Vincent Perez, Bruno Todeschini…) consignent l’énergie créatrice de Chéreau, proche de ses comédiens, au plus près de leur souffle, comme s’il avait besoin de se frotter au grain de leur peau, de se mesurer aux frémissements de leurs voix incertaines, de percer le mystère de leurs visages. “Je pars toujours du désir que j’ai pour un comédien”, dit-il. De l’espace du plateau (théâtre, opéra) à celui du cadre (cinéma), le geste du metteur en scène se déploie toujours à partir de ce désir exploratoire. Ce travail de pédagogue, avoue Chéreau,“renouvelle alors son envie de mettre en scène”. Partagé entre son travail au sein d’une cage dorée – une école à l’abri du dehors – et sa curiosité pour le monde extérieur, Chéreau construit une œuvre nourrie de chuchotements et de cris, de ses affects et de faits sociaux. Les tragédies politiques de l’époque résonnent dans les intimités blessées et les souffrances des chairs. Dans La Reine Margot, film sur les massacres de la Saint-Barthélemy, on devine les échos des massacres en Yougoslavie. Les fêlures du monde et des hommes s’entremêlent sans cesse dans un chaos orchestré par son regard et son désir de mettre à nu les malentendus, sans pouvoir les résoudre. Dans sa sublime mise en scène de la pièce de Koltès, Dans la solitude des champs de coton, une danse hystérique, nerveuse, malade de sa propre peur, livre sur Karmacoma de Massive Attack l’image d’une souffrance exaltée. C’est sur ce nœud inextricable qui associe l’effroi du spectacle de la violence et l’impossibilité d’en détacher le regard que se construit l’univers de Chéreau. Où la solitude, éternelle, s’écrase dans un champ de béton. Jean-Marie Durand Patrice Chéreau, un artiste au travail, documentaire de Stéphane Metge. Lundi 15 novembre à 22 h 30, Arte

au poste

irrévérences Après les évictions de Guillon, de Porte, et maintenant de Dahan, l’humour politique attend sa relève. Le passage éclair – à peine deux mois – de Gérald Dahan à la matinale de France Inter laisse un souvenir ambigu. D’abord celui d’un humoriste mal à l’aise avec la chronique trempée dans le venin de l’actualité, en quoi il répondait au souhait de Philippe Val, soucieux de ne pas prolonger les surenchères subversives de Guillon et Porte, ses cauchemars. Moins incisif que ses prédécesseurs, moins brillant dans l’art de l’imitation que son complice d’Europe 1 Canteloup, Dahan laissera cependant le souvenir d’un humoriste sacrifié deux jours après une chronique, pour le coup bien salée, sur la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie, assise à ses côtés, raide comme la justice. Comme si, depuis le fracas de Porte et Guillon (qui publie chez Stock ses chroniques, On m’a demandé de vous virer), il était devenu périlleux pour les humoristes d’allumer à tout va les politiques à côté desquels (sur lesquels) ils s’assoient. Pour combler cette carence satirique, France Inter mise désormais sur les nouveaux Sophia Aram et Ben, prometteurs l’une et l’autre, même si leur aisance en studio reste plus tiède que sur la scène des théâtres Trévise et Temple où leur écriture prend des risques. Dans les marges de la messe radiophonique, résonnent surtout d’autres voix fielleuses : Frédéric Pommier, Artus de Penguern et le magistral Comte de Bouderbala perpétuent sur l’antenne une tradition d’irrévérence, que d’aucuns prétendent à tort éteinte. Comme dans tous les médias, une nouvelle génération de comiques, errant de scène en plateau (Alex Lutz, Mathieu Madénian, Gaspard Proust…), s’agite aujourd’hui. Empruntant des styles différents, plus ou moins politisés, insolents, survoltés, ils partagent une même inclination : la férocité de leur parole, nourrie de l’accablement contemporain.

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Eric Girard

Le journaliste Renaud Girard avec des moudjahidin lors d’une embuscade contre l’Armée rouge en 1986

livre

le grand jeu Le regard personnel et éclairé d’un reporter qui couvre les conflits afghans depuis 1986.

 D Sans lien d intersection

’après sa notice biographique, Renaud Girard, grand reporter au Figaro depuis 1984, a “couvert la quasi-totalité des conflits de ces vingt-cinq dernières années” – ce qui n’est pas rien. Son livre de souvenirs sur ses reportages s’ouvre en décembre 2008. Suite à l’attaque terroriste du Taj Mahal, hôtel de luxe de Bombay, par un groupuscule pakistanais du Cachemire, Girard est envoyé par sa rédaction au Pakistan. A son arrivée, constatant que la tension entre l’Inde et le Pakistan a baissé d’un cran, le journaliste change

l’auteur nous éclaire sur la réalité et la complexité du conflit afghan, loin des idées reçues

son fusil d’épaule. Il décide de se focaliser sur “la troisième guerre” de la région (après celles d’Irak et d’Afghanistan), celle des zones tribales frontalières pakistanaises de l’Afghanistan, qui aurait fait déjà 2 000 morts. Cette région qui échappe au gouvernement d’Islamabad est sous domination pachtoune, la principale tribu afghane, à laquelle appartiennent aussi bien les talibans que le président afghan Hamid Karzaï. Ce secteur, grâce à son incontrôlable frontière, est la principale base de repli des rebelles islamistes (dont Ben Laden, que d’aucuns disent toujours terré en Afghanistan) et Peshawar, “capitale mondiale du terrorisme”, en constitue le principal accès. Mais le vrai sujet du livre, c’est tout simplement l’Afghanistan, au fil des différents voyages qu’y a

effectués Girard depuis 1986 – alors que le pays est occupé par les Soviétiques. Loin d’être chronologique, le récit est monté comme un film, entrecoupé par une abondance de flash-backs des voyages précédents, qui surviennent et disparaissent un peu artificiellement (l’auteur les présente comme des rêveries au milieu d’un reportage). Souvent, on se mélange les pinceaux avec les époques, parfois la digression va trop loin (les dix pages exogènes sur le Rwanda), mais on sait gré au journaliste de nous éclairer sur la réalité et la complexité du conflit afghan, loin des idées reçues (exemple : la proximité religieuse des talibans et de l’Alliance du Nord du feu commandant Massoud qui les combattait), et de nous rappeler que la clé du problème se trouve au Pakistan (exemple :

la collusion probable de l’ISI [Inter Services Intelligence], service secret pakistanais, avec les talibans). On se familiarise aussi avec le terme de “guerre asymétrique” (inventé par Sun Tzu) ou celui de “fixeur”, désignant les guides-interprètes accompagnant les journalistes occidentaux, et qui s’étend désormais à nos propres banlieues… Si ce livre-jeu de l’oie n’offre pas de solution éclatante à la guerre, il éclaire ses enjeux, et rappelle comment les Occidentaux y ont accumulé les bévues. En observant par satellite un village afghan depuis les Etats-Unis, on a décidé de le bombarder car on y a vu des hommes en armes excités. Mais il ne s’agissait que d’une fête de mariage. Vincent Ostria Retour à Peshawar de Renaud Girard, (Grasset), 272 pages, 18 €

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La légende de Jean-Michel Basquiat rapportée entre underground new-yorkais et célébrité, fulgurance artistique et vie brûlée.

théorie de la relativité Passant en revue les théories de la communication, Daniel Cornu relativise l’influence que l’on prête trop généreusement aux médias.



es médias façonnent-ils l’opinion publique ou ne font-ils que la refléter ? La question, posée en même temps que les médias de masse émergeaient, reste toujours une énigme. Si elles ont permis d’éclairer les mécanismes de fabrication et de réception de l’information, les théories successives élaborées tout au long du siècle dernier par des chercheurs en sciences sociales butent sur l’impossibilité de définir abstraitement l’effet supposé des médias. “Paradigme des effets incertains”, leur pouvoir serait selon Daniel Cornu ambigu, ouvert, troué, traversé par trop d’incertitudes pour lui conférer une importance démesurée. Pour autant, sans pouvoir être défini rigoureusement, ce pouvoir existe imperceptiblement, ne serait-ce que par l’hystérie des commentaires qu’il provoque au sein de l’espace public. Parce qu’il est aussi le produit d’une ambition démocratique et qu’il participe à sa manière au déploiement d’un certain “esprit public”, on s’y intéresse, on y investit,

on s’en méfie, on le courtise, on le brocarde. Il suffit d’observer l’actualité pour prendre la mesure de ce pouvoir symbolique, surtout en ces temps où la presse et le pouvoir entretiennent un violent rapport de force. Dans un essai précis et pédagogique, idéal pour tous les étudiants spécialisés en sociologie des médias, Daniel Cornu analyse toutes les théories sur le pouvoir médiatique, des premiers écrits sur la presse écrite au début du XXe siècle jusqu’aux écrits sur les médias audiovisuels. De Gabriel Tarde à Robert Ezra Park, de Harold Lasswell à Marshall McLuhan, de Paul Lazarsfeld à l’école de Francfort…, de nombreux auteurs ont théorisé les mécanismes d’une influence. Pour aboutir, notamment chez Lasswell, à la métaphore de la “seringue hypodermique” qui sert “à qualifier l’influence directe, comme par injection, des messages médiatiques sur les individus”. Le soupçon de la manipulation pèse sur les médias de masse, accusés par l’école de Francfort de développer une culture standardisée qui

anesthésie toute faculté de résistance, et prépare même “à l’accueil passif d’une pensée totalitaire”. Même si depuis tous les travaux empiriques ont prouvé l’inanité de cet effet direct (déjà Lazarsfeld avec sa thèse Personal influence), beaucoup dénoncent encore la nocivité des médias de masse sur le public “vassalisé”. Or, les consommateurs de médias le font souvent de manière “oblique”, en bricolant, grappillant ici et là, comme l’analysaient déjà dans les années 1960 les sociologues Richard Hoggart (La Culture du pauvre) et Michel de Certeau (L’Invention du quotidien). Tous les travaux récents, notamment en France (cf. Eric Maigret, Erik Neveu, Rémy Rieffel, Eric Darras…) indiquent qu’aucune méthode ne permet de mesurer l’action des médias sur le long terme, ni leurs influences sur les changements sociaux en profondeur. D’où cette proposition de Daniel Cornu : “le pouvoir des médias tiendrait-il finalement à l’impression ou à la conviction qu’on en a ?” Jean-Marie Durand Les médias ont-ils trop de pouvoir ? (Seuil, Presses de Sciences Po), 137 pages, 14 € 10.11.2010 les inrockuptibles 131

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+ CD 12 titres extraits de la B.O. du film culte d’Edo Bertoglio “Downtown 81” Liquid Liquid, Suicide, The Lounge Lizards, Gray, DNA, etc.

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cambouis

vieux motards que j’aimais Deuxième saison d’une série de bikers à la fois rugissante et subtile.

B

ienvenue à Charming, Californie. Ironie : c’est un patelin tout sauf charmant, dirigé en contrebande par des types patibulaires en cuir noir, tatoués des pieds à la tête, des bagouzes plein les doigts et du cambouis sous les ongles, pour camoufler le sang séché qui s’y est incrusté. Officiellement membres d’un club de bikers travaillant dans un garage familial de la ville, les Sons of Anarchy sont en réalité un gang impliqué dans le trafic d’armes. Ils fricotent avec leurs concurrents latinos, irlandais, chinois, tout en s’arrangeant avec la police locale. Bref, une sorte de Oz à ciel ouvert, qui voit d’ailleurs l’irruption d’un groupuscule d’Aryens. Ces membres redoutables d’une Ligue nationaliste sont bien décidés à rayer de la carte ceux qu’ils considèrent comme des beatniks attardés, et leur affrontement constitue la ligne de force de cette saison 2. Mais, comme souvent dans les séries actuelles, la vérité de Sons of Anarchy est ailleurs, dans la cohabitation de la violence des situations et la délicatesse des enjeux. Les personnages sont pris entre leur propre barbarie et l’intérêt qu’ils se portent les uns les autres. Dans SOA, ce qu’on trouve de mieux à faire en rentrant d’une expédition punitive avec du sang plein les mains, c’est de couver du regard l’un des

siens, récemment veuf, parce qu’il n’arrive plus à passer du temps avec ses enfants. Faire cohabiter une vie de hors-la-loi avec un certain code moral, incarner une mythologie de l’Amérique tout en ne taisant pas ses fondations violentes. Oui, l’esprit western règne sur ces cow-boys un brin anachroniques, chevauchant leur Harley rugissante sous un soleil de plomb, et luttant pour leur territoire dérisoire. Comment être des héros après la disparition des temps héroïques ? Cette question qui taraudait les Soprano hante aussi les motards de Charming. Plus largement, SOA appartient à cette nouvelle race de séries qui a parfaitement digéré les innovations des années 2000 et en fait son fonds naturel (invention d’un milieu, personnages méandreux, etc.). Ce western moderne possède évidemment sa Calamity Jane : Gemma, matriarche du clan, à la fois femme du chef et mère de son bras droit et principal opposant – trio furieusement shakespearien. A la fois terrifiante et vulnérable, comme la cicatrice saillante qui barre son décolleté tatoué,

faire cohabiter une vie de hors-laloi avec un certain code moral

c’est le personnage le plus fort de la série, écrit avec un amour absolu. Et pour cause : l’actrice Katey Sagal est à la ville l’épouse de Kurt Sutter, créateur et showrunner de Sons of Anarchy, un ancien de The Shield. Pour créer sa propre série, il a passé du temps avec des Hell’s Angels en Californie du Nord. Acteur de formation, il y fait de régulières apparitions (Big Otto, le biker en prison, c’est lui) et a donc épousé la vénéneuse matriarche. Autant dire qu’il est immergé jusqu’au cou dans sa série. Comme ses motards, Sutter est un dur au cœur tendre, un grand sensible qui confesse doutes et états d’âme sur son blog passionnant (sutterink.blogspot.com). Ces dernières semaines, ses billets ont pris un tour amer. Sutter s’y interroge sur le paradoxe entre le fait que son show ait de plus en plus de succès (la saison 3 a très bien démarré sur FX et la 4 est déjà commandée), et qu’il ait de moins en moins de contrôle créatif. Il était persuadé que ce serait le contraire… Il voudrait pousser sa série encore plus loin, on l’en empêche. Il doit soudain lutter contre la devise de mécaniciens des dirigeants de chaîne : “If it ain’t broke, don’t fix it.” Si ce n’est pas cassé, pourquoi réparer ? Cette saison 2 est peut-être la dernière saison libre de Sons of Anarchy. Profitez-en. Clélia Cohen Sons of Anarchy, saison 2. Le jeudi à 23 h 10 sur M6

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brèves Drôles de dames le reboot Un an et demi après la disparition de Farah Fawcett, ABC vient de mettre en chantier une nouvelle version de son hit seventies, avec notamment Drew Barrymore à la production. Le tournage du pilote du reboot de Charlie et ses drôles de dames aura lieu en janvier à Miami. Pas trop tard pour le casting, demoiselles.

bye bye Big Love C’est de l’annulation style HBO, avec pincettes et trémolos dans la voix. Il n’en reste pas moins que Big Love, série discrète mais emblématique sur des mormons polygames, s’arrêtera après la diffusion de sa cinquième saison, qui commence en janvier prochain. On regrettera notamment son extraordinaire générique au son de God Only Knows des Beach Boys, ainsi que la présence captivante de Chloé Sevigny. Par contre, Bored To Death et Eastbound & Down ont toutes deux gagné un troisième tour de piste.

focus

zombies en folie

Adaptée d’un comics à succès, The Walking Dead, la nouvelle série de la chaîne AMC, déchire tout. ncore une. Encore une série potentiellement grande. Américaine, fallait-il le préciser. Précédée d’un buzz mondial car diffusée simultanément dans 120 pays (mais pas encore en France), The Walking Dead promettait de remettre au goût du jour la mythologie féroce construite autour des zombies par les films de George Romero. Sans trembler mais en marquant sa différence, cette adaptation d’un comics Maison close prolongée signé Robert Kirkman (édité en France En France aussi, on renouvelle. par Delcourt) tient ses promesses. C’est Avec un million de au moins vrai de son pilote diffusé le téléspectateurs en bout de 31 octobre et rempli de moments étranges, course après une pointe à voire sidérants, l’un des plus beaux pilotes 1,7 million pour l’épisode vus depuis des années. Comment un d’ouverture, les audiences cinéaste sympathique mais sans ampleur excellentes de la série cul et comme Frank Darabont (La Ligne verte) historique, située dans un bordel au XIXe siècle, ont peut-il se surpasser et offrir un objet logiquement poussé Canal+ à filmique aussi fracassant ? Mystère lancer l’écriture d’une saison 2. de la série moderne. Toujours est-il que The Walking Dead s’impose d’emblée comme une fable émouvante sur le rêve américain mutilé et repris à zéro. Son héros, un flic, se réveille à l’hôpital après un coma et constate que tout ce qui Entourage (Série club, le 14 à 22 h 20) constituait sa vie a disparu : sa femme, son Il est facile de trouver cette comédie fils, les humains en général, remplacés sur Hollywood superficielle, alors par les morts-vivants. Comme si le réel qu’elle est simplement légère. Revoir s’était vidé de sa substance et devait être la saison 3 en donne la preuve. reconquis. La série raconte l’histoire de sa survie, son retour aux origines du héros Cold Case (France 2, le 15 à 20 h 35) Lilly américain – tel un solitaire de western, Rush semble porter tous les malheurs il se déplace à cheval –, sa mutation de l’Amérique sur ses épaules en d’homme civilisé en pionnier. Puisque nous réactivant depuis six saisons des affaires classées. On a un peu mal pour elle. sommes à la télé, cette quête existentielle sera bientôt doublée d’une autre, profondément intime, alors qu’un groupe Profiler (AB1, le 15 à 20 h 40) Un drame de survivants entrera en jeu. Notons policier de la fin des années 1990, dont qu’aucune chaîne française ne s’est encore le sujet caché/profond était un portrait intéressée à cette bombe. Olivier Joyard en mouvement du visage de l’actrice Ally



agenda télé

Walker. Monomaniaque mais sublime.

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émissions du 10 au 16 novembre

Un monde fétiche

Thomas Dworzak/Magnum Photos/ France 5

Documentaire de Jérôme Scemla et Charles-Antoine de Rouvre. 14 novembre, 23 h 00, France 3

engagé

un héros de notre temps A 93 ans, Stéphane Hessel, résistant, déporté, diplomate, militant des droits de l’homme, est l’humaniste modèle.

 S

téphane Hessel est le fils de Franz Hessel, qui fut le modèle du personnage de Jules dans Jules et Jim, le roman d’Henri-Pierre Roché (qui était Jim) à l’origine du film de Truffaut. Mais ce qui caractérise cet humaniste nonagénaire, alerte et souriant, ce sont avant tout ses activités politiques et sociales, qui l’animent encore aujourd’hui. On le suit, impeccablement mis, à Paris, chez lui ou dans la rue, et à Trouville. Il désigne des endroits correspondant à des moments cruciaux de sa vie : l’avenue Foch, où il fut torturé par la Gestapo avant d’être envoyé au camp de Buchenwald ; le palais de Chaillot où on promulgua en 1948 la Déclaration des droits de l’homme, à la rédaction de laquelle il avait participé. Libre-penseur et fier de l’être, de par son éducation (ses parents allemands peu à cheval sur les conventions bourgeoises), Hessel se définit avant tout par son inextinguible militantisme, son “démon de l’engagement” – à gauche toute, mais sans dogmatisme. Ancien diplomate, c’est avant tout un homme de terrain, pragmatique, qui désarme par son apparente perfection : aimable, polyglotte, altruiste, éloquent. Sa vraie force est résumée par le sous-titre “Sisyphe heureux” ; on le voit quand il raconte comment, pendant des années, il rédige avec abnégation des rapports sur l’Afrique qui seront ignorés par les gouvernements successifs qui les lui commandent. Résolument antireligieux (“les monothéismes sont facteurs de violence”), il se dépense sans compter à son âge avancé pour “l’aide efficace au développement et l’aide efficace contre la pauvreté”. A la longue, Hessel est presque agaçant. On aimerait lui trouver des failles, des défauts. Peut-être son inconstance amoureuse (héritée de sa mère), qu’il avoue délicatement… Vincent Ostria

Stéphane Hessel, Sisyphe heureux, Empreintes, documentaire de Sophie Lechevalier et Thierry Neuville. 12 novembre, 20 h 40, France 5

Panorama du fétichisme actuel, du zentaï branché au latex d’antan. Il est ici moins question de déshabillage que de collection, de voyeurisme et d’exhibitionnisme. On se serait passé du filmage archi maniéré de cette traversée des pulsions tactiles ou visuelles des uns et des autres, allant du bon vieux fétichisme du pied au goût pour les prothèses médicales. Succinct, ce catalogue donne néanmoins une idée de ce qui se trame chez certains de ceux qui se sont lassés de la sexualité classique. On y évoque assez peu le SM et le bondage, catégories les plus concernées par cette obsession pour des gadgets et des matières qu’on pourrait taxer d’objets transitionnels (doudous) pour adultes. V. O.

Les Amis d’Orwell Emission de Radio Libertaire, un mardi sur deux, 16 h.

Un rendez-vous pour déjouer les pièges de notre société de contrôle. Avec cette bimensuelle conçue par le collectif Souriez vous êtes filmés, Radio Libertaire surveille les surveillants. Les Amis d’Orwell décrypte les techniques du flicage total et pousse l’idéologie sécuritaire dans ses retranchements. Vidéosurveillance, biométrie, lois liberticides mais aussi instrumentalisation des corps et formatage des esprits : un éclairage vital face à la complexité d’un monde à la transparence trompeuse. Archives en écoute sur http://souriez. info/Ecoutez-les-amisd-Orwell, avec notamment une intervention récente de l’écrivain Bruce Bégout. Pascal Mouneyres

World in progress Soirée thématique présentée par Maïtena Biraben. 10 novembre, à partir de 20 h 50, Canal +

Des initiatives à foison pour changer la vie. Souvent, les reportages et documentaires traitent des épreuves de la vie. Cette fois, c’est le contraire. Cette riche programmation est consacrée au “social business” : toutes sortes d’initiatives individuelles pour améliorer le quotidien, en France comme dans le monde. Réjouissant panorama : dans le nord de la France, François Marty s’occupe des exclus, auxquels il fournit un travail et/ou une maison écologique ; en Inde, Govindappa Natchiar a révolutionné l’ophtalmologie en soignant des milliers de pauvres à prix réduit. Un impressionnant éventail d’actions judicieuses et altruistes. V. O.

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Toqué de Tokyo Documentaire de Peter Stuart. 15 novembre, 20 h 50, Canal +

l’ermite et l’art Formidable plongée dans l’univers d’un original hirsute qui vit au fond des bois. De l’art très brut.

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ans le Lot, un hurluberlu hirsute s’active dans les bois à des tâches peu compréhensibles. Il déterre des rochers, et improvise des hymnes à Brigitte Bardot ou d’invraisemblables complaintes contre la procréation. Cet homme post-préhistorique a également creusé une grotte dont il a orné les murs de bas-reliefs superbement stylisés. Ce documentaire, adoptant un mode très pur, privilégiant le plan-séquence qui inscrit l’humain dans un paysage désert, suit pas à pas ce singulier de l’art, à la limite de la folie d’Artaud et du primitivisme de Kaspar Hauser. Poésie à tous les étages comme seul le documentaire le permet. En Argentine, un certain Lisandro Alonso fait son miel de tels sujets, entre réalité brute et mise en scène. En France, terre du discours, de l’académie et de la raison, on refuse à la fiction d’aller aussi loin dans l’aphasie narrative. Conséquence d’un intérêt relatif pour ce sujet asocial : son format télé jivaro, le réduisant au sacrosaint standard du moyen métrage, qui nous laisse sur notre faim. V. O.

Antoine déconne au Japon Pourquoi Antoine de Caunes, qui interprète et réalise des films non comiques, ne peut-il s’empêcher de faire le clown dès qu’il voit une caméra de télé ? Arbre français qui cache la forêt nipponne, il arpente Tokyo muni de sa grille farcesque et de ses déguisements outrés, à la recherche du fun/kitsch/décadent. C’est presque intéressant lorsque ça parle de poisson, mais même là le potache s’amuse à chambrer les autochtones. Heureusement, le Roland Barthes de la farce et attrapes nous apprend tout de même quelques trucs, notamment sur le cinéma gore comique et le film de néo-karaté, dont on ignorait l’existence. V. O.

Le Plein Pays Documentaire d’Antoine Boutet. Dimanche 14 novembre, 0 h 15, Arte

Fric, krach et gueule de bois : le roman de la crise Emission spéciale présentée par Guillaume Durand, réalisée par Bernard Faroux. Mardi 16 novembre à 20 h 35, France 2

Une soirée spéciale pour évoquer la crise et le monde transformé qui en sortira. crite par l’économiste Daniel Cohen l’invention possible d’un nouveau modèle et par l’écrivain Erik Orsenna, cette économique, qui impose des outils de émission spéciale tente d’éclairer, régulation et repense la question de deux ans après son éclatement, les l’environnement. Par sa tonalité et ses enjeux de la crise économique, financière hypothèses, on devine que cette émission et sociale dans laquelle le monde reste se distinguera de celle qui pourtant lui empêtré. Présenté par l’acteur Pierre Arditi, ressemble, présentée en 1984 par ce “roman illustré de la crise” donne ici Yves Montand, Vive la crise. En 2010, lieu à des reportages, extraits de films et France 2, à l’image de la France, préfère d’actualités, qui remontent aux années 70 parler de “gueule de bois”. On ne rit plus et s’achève dans une prospective fragile : avec la crise, on l’endure. JMD

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in situ si t’aimes la musique La Cité de la musique met en ligne des centaines d’heures de concerts enregistrés chez elle. Et soixante spectacles diffusés en direct chaque année sur l’internet. La programmation recouvre tous les courants musicaux (du baroque à l’electro). Prochain live, le 27 novembre à 20 heures avec l’Ensemble intercontemporain. citedelamusiquelive.tv

énigmes en photos Un site pour partager les photos et jouer aux devinettes avec les autres utilisateurs. En découvrant ce que représentent les clichés énigmatiques postés par les internautes, ils accumulent les crédits qui permettent de participer au concours de la photo du mois et bientôt de les dépenser dans une boutique. phozz.com

infos vertes Doit-on utiliser des peintures bio ? Comment recycler au bureau ? Ginkoo recense tous les trucs et astuces liés à l’environnement ainsi que l’actualité de la politique menée en matière de développement durable. L’occasion de réfléchir pour prendre, vraiment, les résolutions qui pourront agir sur l’état de notre planète. ginkoo.fr

entreprise de conscience Ils sont chefs d’entreprise aux quatre coins du monde, et ils contribuent à faire bouger les lignes de l’économie capitaliste. Les entrepreneurs solidaires proposent une gestion où le social et l’environnement priment le profit. Ils présentent leur activité dans ce webdocumentaire produit par Capa avec la participation de Canal+ et du CNC : Ecotact aménage les bidonvilles du Kenya. Peaceworks vend de la sauce tomate israélo-palestinienne… changer-le-monde.canaplus.fr

la revue du web The Independent

Histnet

BusinessWeek

la vérité sur les repas dans l’avion

le devoir d’oubli

Coca inonde l’Afrique

Le numérique a remplacé les vieilles boîtes à chaussures. Les souvenirs se conservent désormais sur internet ou dans nos smartphones. Sauf que la plupart des courriels et SMS (stockés par milliers) sont sans importance. Pourquoi les garder ? “Nous nous laissons aveugler par le fantasme qui nous fait croire que nous pouvons tout archiver” explique l’historien suisse Peter Haber. Il serait trop dur de nous séparer librement du flot de données lié au passé. La question de l’oubli devrait donc désormais gagner sa place dans le débat de société. tinyurl.com/36cw4sg

Après avoir conquis le monde, Coca-Cola veut inonder le tiers-monde. Installé en Afrique depuis 1929, la boisson est devenue le plus grand employeur du continent, avec 65 000 employés et 160 usines. Sa part de marché est de 29 %, avec 9,1 milliards de litres vendus par an. D’ici 2020, l’entreprise souhaite doubler son investissement et prévoit de dépenser 12 milliards de dollars. Une stratégie liée au fort développement de la consommation des habitants, et racontée de l’intérieur par le pdg de l’entreprise, Muhtar Kent. tinyurl.com/3288fje

Des scientifiques ont démontré que le bruit des avions rend les repas quasi insipides. La succession de sons durant le vol, à différentes fréquences, fait perdre aux passagers le goût du sel et du sucre. De manière plus large, l’étude associe donc l’ouïe aux plaisirs du palais. Et révèle que la musique peut jouer un rôle dans l’appréciation des dîners. Un restaurateur l’a bien compris : ses plateaux de fruits de mer sont servis avec des iPod, pour écouter le bruit des vagues en mangeant. tinyurl.com/35o4xkh

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invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS scènes

Giant City Au Théâtre de la Cité internationale du 18 au 20 novembre. Un spectacle de Mette Ingvartsen. La chorégraphe danoise invente mille et une façons pour le corps de se laisser posséder par l’espace et par le monde qui l’entourent. A gagner : 10 places pour 2 personnes le 19 novembre. Appeler au 01 42 44 15 62 le lundi 15 novembre entre 11 h 30 et 12 h.

cinéma

Rubber

vu du net

de sa belle mort Alors que les Français souhaitent une nouvelle loi sur l’euthanasie, le web est bien vivant sur la question.

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n sondage publié le 30 octobre, à l’occasion de la Toussaint, dans Sud Ouest Dimanche (bit.ly/bLGN1Y) confirme que l’écrasante majorité des Français (94 %) est en faveur d’une nouvelle législation sur l’euthanasie. Jean-Luc Romero (jeanluc-romero.com), conseiller régional d’Ile-de-France et ardent défenseur de la cause (youtu.be/ R8wS-Gg00CI), en tant que président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (admd.net), s’en félicite et compte ainsi faire plier le gouvernement (qui n’a rien fait malgré les promesses de Nicolas Sarkozy lors la campagne présidentielle : dai.ly/aEPEoD), en janvier lors de la discussion au Sénat d’une loi sur la question (senat.fr/leg/ppl09-659.html). C’est d’ailleurs sur ce site qu’on peut trouver le dossier plus complet sur l’état de la législation en Europe et dans le monde : senat.fr/lc/lc49/lc49.html. Ce vieux débat qui ressurgit régulièrement à la faveur de cas médiatiques – Vincent Humbert en 2003 (Le Post, bit.ly/96lXU2), Chantal Sebire en 2008 (Rue89, bit.ly/cFFiE9) –, s’est trouvé ces dernières semaines une chambre d’écho opportune dans plusieurs œuvres d’art. Deux films en salle depuis le 3 novembre, d’abord : Les Yeux ouverts, un documentaire maladroit sur les soins palliatifs (bit.ly/bQ9EQj), et Kill Me Please, une fiction caustique belge (évidemment) (bit.ly/9rbJHF). Et, plus réjouissant artistiquement mais farouchement opposé à l’euthanasie, le dernier roman de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, qui taille un costard pour l’hiver à l’association

zurichoise Dignitas (dignitas.ch), dont une responsable se fait méchamment corriger par le héros du roman, Jed Martin. Visiblement touchy sur la question, l’écrivain s’en explique dans une interview accordée à surlering.com : dai.ly/9gwi2O (à 1 h 29). On aurait en outre tendance à l’oublier, mais l’euthanasie ne touche pas que les êtres humains : elle concerne aussi les animaux, comme le rappelle ce poignant article de L’Aisne Nouvelle sur le chien Hugo (“Derrière sa truffe coquine et son joli poil noir, ce rottweiler de sept ans cache pourtant mal sa détresse” : bit.ly/ aPyCm8). Ratoupedia, l’encyclopédie du rat domestique, explique ainsi comment achever les souffrances de son rongeur de façon éthique (ratoupedia.org/wiki/ Euthanasie), tandis que le forum Aqua Goldfish donne “les différentes méthodes d’euthanasie du poisson rouge”, notamment avec des clous de girofle (bit.ly/aB7Wu4). Pendant que South Park (La mort : southpark-tv.com/south-park-6.html) et Groland (youmake.tv/video?id=10028) se battent pour la blague la plus scabreuse sur l’euthanasie, le blog Routierpourlavie, jamais avare d’une bonne vanne, s’en paie une tranche sur l’autel de la Kro : bit. ly/9Hh55O. Dieu merci, il en reste certains pour prendre le sujet au sérieux, comme le chanteur-auteur-compositeur Mat et Eau (son album reggae sans barbelé est téléchargeable sur Yozik : bit.ly/9GuQj7), et son bel hymne à l’euthanasie (bit. ly/9bA9JH) : Mourir dignement. Rien à ajouter. Jacky Goldberg 10.11.2010 les inrockuptibles 137

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Un film de Quentin Dupieux. Sortie le 10 novembre. Dans le désert californien, des spectateurs incrédules assistent aux aventures d’un pneu tueur et télépathe, mystérieusement attiré par une jolie jeune fille. Une enquête commence. A gagner : 15 places pour 2 personnes pour une séance au choix. Appeler au 01 42 44 15 62 le lundi 15 novembre entre 12 h et 12 h 30.

scènes

Aventures, Nouvelles aventures Musique de György Ligeti, à l’Opéra de Lille (59), du 18 au 20 novembre. Sans aucun texte préalable, le compositeur a noté les parties musicales de cet opéra directement en phonétique. Une dramaturgie de l’absurde mise en scène par Charlotte Nessi et sous la direction de Denis Comtet. A gagner : 5 places pour 2 personnes le 19 novembre à 20 h. Appeler au 01 42 44 15 62 le lundi 15 novembre entre 12 h 30 et 13 h.

musique

Inrocks Indie Club Le 19 novembre à la Flèche d’Or, Paris XXe Au programme : le quatuor new-yorkais The Walkmen et son univers fait de pianos antiques, guitares acérées et basses suaves ; et la pop classieuse et mélodieuse de Frankie & The Heartstrings. A gagner : 10 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 12 novembre entre 12 h et 12 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 04/11/10 18:20

Before Today d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti Des collages géniaux à l’apparence foutraque desquels émergent des mélodies vaporeuses et intemporelles. Cet album est celui de la consécration, mais cela fait des années qu’Ariel Pink et son entourage (John Maus, Geneva Jacuzzi) réinvestissent les gimmicks des années 1970 et 1980 avec cette grâce spectrale.

En présence d’un clown Ingmar Bergman L’avant-dernier Bergman, inédit en salle en France. Une farce folle et macabre pleine de rage.

Le Dernier Voyage de Tanya Aleksei Fedorchenko Un beau film russe sur les rituels du deuil dans une tribu d’Asie centrale.

For the Ghosts Within’ Wyatt/Atzmon/Stephen Des classiques de tous temps et de toutes origines par Robert Wyatt et quelques amis.

Le Règlement Heather Lewis Un premier roman trash et violent, autour de marginaux rompus aux concours équestres.

Dementia de John Parker Film culte du cinéma de minuit, sorti dans l’indifférence générale en 1955. A l’époque, on ne savait pas le comprendre ; aujourd’hui on appelle ça du cinéma. recueilli par Johanna Seban

Adam Kesher Les Français d’Adam Kesher viennent de sortir leur deuxième album, Challenging Nature. Le groupe sera en tournée en France jusqu’au 1er décembre.

Crazy for You Best Coast Pop-songs efficaces et euphoriques d’un duo californien. Easter Parade Richard Yates Deuxième chef-d’œuvre enfin traduit de l’auteur culte aux Etats-Unis. Toxic Charles Burns Un récit angoissant truffé de trouvailles de mise en scène virtuoses.

Courchevel Florent Marchet Un troisième album acide et vicieux, qui dépeint la mélancolie bourgeoise.

Just Kids Patti Smith La vie de Patti Smith et Robert Mapplethorpe dans le New York underground des sixties-seventies.

Vénus noire Abdellatif Kechiche Le destin terrible d’une jeune Sud-Africaine exposée comme un animal de foire. Sombre et violent.

de Roberto Bolaño C’est le dernier roman sur la jeunesse perdue. C’est Kerouac qui aurait troqué le whisky pour le mescal.

Maciek Pozoga

Les Détectives sauvages Des filles en noir Jean-Paul Civeyrac La fièvre mortifère de deux adolescentes en quête d’absolu par le plus méconnu des grands cinéastes français.

AfroCubism AfroCubism La crème des musiciens maliens et cubains invente un espéranto qui donne espoir.

Fragments Marilyn Monroe Des carnets intimes bouleversants de lucidité qui livrent un portrait morcelé de la star. Coffret Frank Borzage Quatre chefs-d’œuvre de la fin du muet du maître du mélodrame. Zack et Miri font un porno Direct en DVD, le meilleur film depuis longtemps de Kevin Smith. Six films de Dario Argento Le maître du giallo en six films dont le splendide Inferno.

La Chenille Suehiro Maruo Récit érotico-gore élégant et violent.

Working Collectif D’édifiants témoignages de travailleurs mis en BD par une pléiade de dessinateurs.

C’est comme ça et me faites pas chier Rodrigo García Théâtre de Gennevilliers, Festival d’automne à Paris Voyage introspectif vers l’enfance teinté de mélancolie.

Merce Cunningham Dance Company Théâtre de la Ville, Festival d’automne à Paris Un an après la disparition de Merce Cunningham, une belle plongée dans le répertoire du chorégraphe.

Le Cas de la famille Coleman texte et mise en scène Claudio Tolcachir Théâtre du RondPoint, Festival d’automne à Paris Un théâtre centré sur les rapports de groupe et les conflits qu’ils génèrent.

Fresh Hell Palais de Tokyo, Paris Une exposition qui suit les chemins cabossés de la création artistique.

Alexei Kalima Alexei Kalima Galerie Anne de Villepoix, Paris Un jeune artiste russe tourné vers des formes d’expression subtiles.

Gabriel Orozco Centre Pompidou L’artiste mexicain s’offre une rétrospective libérée des contraintes muséales. Ludique et enchanteur.

Enslaved: Odyssey to the West sur PS3 et Xbox 360 Un voyage mouvementé, lumineux et touchant.

Winter Voices – Avalanche sur PC et Mac Un jeu étonnant sur un sujet audacieux : le deuil.

Front Mission Evolved sur PS3, Xbox 360 et PC Une bonne série B, avec un vrai univers. Une bonne surprise.

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