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No.777 du 20 au 26 octobre 2010

au nouve

2.50€

le président

anti jeunes

Ra l Ruiz génie des mystères

Sufjan Stevens l’album de l’année M 01154 - 777-F: 2,50 € Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

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j’ai sauvé l’industrie du disque avec

Antoine de Caunes

 A

près une grande boucle en trublion cathodique, en acteur puis réalisateur de cinéma, Antoine de Caunes revient cet automne à ses premières amours rock. D’abord à travers une anthologie DVD de son émission Chorus qui, le dimanche après la messe, évangélisa à la charnière des années 1970 et 1980 toute une génération aux délices électriques d’une musique jusque-là tricarde sur les écrans. Ensuite avec la parution d’un Dictionnaire amoureux du rock, abécédaire de plus de 700 pages où l’homme qui parle plus vite que son ombre prend le temps de flâner à travers l’histoire des musiques qui l’ont constitué, faisant le récit de ses rencontres avec quelques grands héros d’une plume subjective et trempée de cette ironie tendre qui est depuis toujours sa marque de distinction. Une double occasion d’inviter Antoine à parcourir les rayons du disquaire Gibert Joseph, à Paris, où il a comme tous les mélomanes de la capitale ses habitudes. On se retrouve en haut de l’Escalator, celui qui plonge vers ces entrailles repues de nouveautés et de rééditions, et déjà Antoine piétine d’impatience à l’idée d’y faire son marché de saison. “Je connais bien les vendeurs, ils me conseillent des choses dont ils estiment qu’elles vont me plaire. Souvent ils voient juste, parfois ils croient bien faire en m’indiquant le nouveau sous-Springsteen dont je n’ai pas forcément envie.” Il déclare posséder environ 7 000 disques, après de réguliers écrémages, n’écoute plus de vinyles (“je n’ai plus de platine”) et se désole toujours un peu du MP3 : “Pour moi, la musique a toujours été synonyme de partage : on se retrouve autour d’un disque que l’on écoute religieusement et dont on parle pendant des heures. Il y a une forme d’autisme à écouter de la musique au casque, coupé du monde extérieur.” Aussi, il télécharge peu, “enfin, on va dire ça…”, rigole-t-il en ces premières heures de flicage Hadopi. On est en tout cas témoin d’une chose : l’enfant

“il y a une forme d’autisme à écouter de la musique au casque, coupé du monde extérieur”

du rock Antoine de Caunes a gros appétit lorsqu’il s’agit de dévaliser les rayons de CD. Devant le présentoir des nouveautés, il embarque sous nos conseils le nouveau Ben Folds dont les textes sont signés Nick Hornby, ce qui a l’air de beaucoup l’exciter, et une réédition d’un trésor sixties signé du groupe américain The Smoke. De son propre chef, il choisit le dernier Robert Plant, l’album de Brian Wilson reprenant Gershwin, le dernier John Mellencamp (“même s’il est un peu chiant”), le Ray LaMontagne, Band Of Horses, l’album de Clapton (“j’y suis allé à reculons et finalement il y a de bonnes choses”), le nouveau Lloyd Cole (“par curiosité, pour voir où il en est”), hésite devant un live des Avett Brothers (“le groupe que j’ai le plus écouté cette année”) tandis qu’il prie Phil Collins et ses reprises Tamla monotones d’aller se faire voir ailleurs. Au rayon indé, il n’a pas de mots assez vibrants pour parler d’artistes aussi différents qu’Arcade Fire, Them Crooked Vultures ou Richard Hawley. Il s’arrête aussi devant le bac Morrissey pour rappeler, comme il le fait longuement dans son livre, sa grande passion pour les Smiths. “Je suis très estampillé rock américain, or à l’origine c’est grâce aux Beatles et à la pop anglaise qu’est né mon amour pour la musique. L’Amérique est venue beaucoup plus tard, avec Bruce et Dylan, mais je reviens souvent en Angleterre pour voir ce qui s’y passe.” Devant le rayon français, par contre, de Caunes peine à trouver un disque récent qui l’emballe : “De toute façon, j’en ai assez pour aujourd’hui, je viens de sauver l’industrie du disque à moi tout seul.” Christophe Conte photo David Balicki DVD Chorus (coffret 3 DVD, INA), 30 € Livre Dictionnaire amoureux du rock (Plon), 736 pages, 23,90 €

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No.777 du 20 au 26 octobre 2010 couverture Bertrand Guay/AFP

03 quoi encore ? Antoine de Caunes

10 on discute l’édito de Bernard Zekri

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

16 événement la Maison de l’histoire de France fait débat ça va, ça vient. Le billet dur

19 nouvelle tête Theophilus London

28

Stéphane Lagoutte/ M.Y.O.P.

18 la courbe

20 ici la sous-préfète et les Roms

22 ailleurs les banquiers US détroussent les proprios

24 parts de marché quand les salles de ciné redessinent Paris

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26 à la loupe Lorie à poil avec des champignons

28 les jeunes disent non les lycéens dans la bataille

39 … la jeunesse est dans la rue la droite ne comprend rien aux jeunes

41 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites

54

43 presse citron 44 contre-attaque les papis plombiers

45 propagenda Enderlin, victime de la guerre des images

Mœbius Productions

revue d’info acide

46 débats d’idées l’éthique de la désobéissance

48 les voleurs de pétrole les Américains piquent du brut en Irak

52 Le Carré fois deux

58

54 Mœbius le mutant riche exposition sur la transformation pour le père de L’Incal et de Blueberry

58 Sufjan Stevens, ange damné

Marzuki Stevens

roman pop et SF pour le fils de John

64

une maladie étrange et une remise en question : le songwriter a tout surmonté

64 la guerre par les drones 68 c’est l’histoire de… Raúl Ruiz il sort une splendide fresque romanesque

US Air Force

quand le pilote tue devant son ordinateur

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74 Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz

76 sorties cinémas Les Petits Mouchoirs, Biutiful, Picture Me, Bassidji…

79 dvd Survival of the Dead, Film socialisme

80 reportage Cantona tourne avec HPG

82 Castlevania + Batman, Wii Party

84 Tricky rencontre punchy

86 mur du son PJ Harvey, Areski, Cascadeur…

87 chroniques Hurts, Yann Tiersen, Moussu T e Lei Jovents, Superpitcher...

93 morceaux choisis Yelle...

95 concerts Pierre Henry à domicile

96 Girls Don’t Cry la nouvelle BD de Nine Antico

98 chroniques romans/essais Didier Blonde, Juli Zeh, Antoine Bello…

100 tendance le roi Karl Lagerfeld est partout

102 agenda les rendez-vous littéraires

104 bandes dessinées Studs Terkel/Peter Bagge

106 l’art est-il en crise ? + Thea Djordjadze

108 Les Chaises par Luc Bondy + Francophonies en Limousin

110 Nouvel rhabille H&M + semaine critique de la mode

112 “Après la gauche” des intellectuels réinventent le futur

114 les portraits de “Libé” pleine page sur des personnalités

115 tendance la sitcomologie a son site

116 séries Eastbound and Down

118 programme télé Basquiat, peintre et maudit

120 polémique PowerPoint nous prend la tête

121 La revue du web le meilleur du net

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs Stéphane Beaujean, Guillaume Belhomme, Romain Blondeau, Patrice Blouin, Michel-Antoine Burnier, Anouchka Collette, Hector De La Vallée, Michel Despratx, Jean-Baptiste Dupin, Pascal Dupont, Baptiste Etchegaray, Valentine Faure, Vincent Ferrané, Emilie Helmbacher, Erwan Higuinen, Olivier Joyard, Aurore Lartigue, Christian Lartillot, Nolwenn Le Blevennec, Noémie Lecoq, Thomas Legrand, Anne-Sophie Le Mauff, Hugues Le Tanneur, Géraldine de Margerie, Léon Mercadet, Benjamin Mialot, Paul Moreira, Vincent Ostria, Olivier Père, Elisabeth Philippe, Jérôme Provençal, Virginie Roels, Axelle Ropert, Marion Rousset, Léo Soesanto, Patrick Sourd, Sophie Trelcat, François Valner, Mattia Zoppellaro lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary, graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Thi-bao Hoang, Caroline Fleur conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65

service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau)

abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un encart abonnement 4 pages “Les Inrockuptibles” broché en page centrale dans toute l’édition ; un encart “Le 106” dans l’édition Paris-IDF et les départements 22, 29, 35, 56, 44, 49, 53, 72, 85, 14, 27, 50, 61, 45, 41, 37.

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l’édito “Un déferlement d’égocentrisme et de veulerie”, écrit dans Le Figaro un Luc Ferry effrayé par les manifestations de la jeunesse. Luc Ferry s’y connaît mieux en égocentrisme qu’en jeunesse. Il le prouve en insistant : “La situation des jeunes n’a jamais été aussi enviable qu’aujourd’hui.” A la rigueur, on pouvait le dire en Mai 68 : c’était vrai ou presque. Aujourd’hui, c’est archifaux. La société de 68 prétendait accéder enfin à la consommation de masse ; celle d’aujourd’hui tombe dans la pénurie, à commencer par celle de l’emploi. Retraite ou non, ne cherchez pas plus loin pourquoi les jeunes sont dans la rue : ils se sentent rejetés. Du coup, ils font peur. On comprend les gouvernants : depuis les grandes manifestations d’étudiants, à l’automne 1986 et la mort de Malik Oussekine, tous les mouvements de jeunesse l’ont emportés contre les gouvernements... On remarque que Sarkozy s’est bien gardé de réformer l’Education nationale, sauf avec prudence et à la marge. Cette semaine, il ne lui reste qu’un but, tenir jusqu’à la Toussaint : le salut par les vacances. “Je connais bien les jeunes, ayant été jeune moi-même”, disait autrefois un vieux maire réac, après avoir interdit un concert de rock. Sarkozy ne pourrait même pas tenir pareil propos. Croyez-vous qu’on ait pu être un vrai jeune en adhérant chez Chirac à 20 ans. D’ailleurs, regardez le lipdub des ministres organisé l’an dernier par les jeunes de l’UMP. La prestation se révéla si grotesque qu’ils durent la retirer en vitesse. La lutte des classes persiste et nous en avons la preuve deux fois par semaine mais la culture d’âge a remplacé la culture de classes. Les jeunes rebelles des années 1960 s’étaient révoltés en lisant les mêmes livres que leurs aînés, Gide, Malraux, Martin du Gard. Les rebelles d’aujourd’hui mettent en ligne leurs insurrections, leurs fêtes, leurs malheurs, emportés par un appétit de communication inconcevable il y a vingt ans. Autrefois, il fallait trois jours pour organiser une manif dans l’urgence, il suffit désormais de quelques heures. En Mai 68, la jeunesse ne supportait plus la distance entre les libertés du monde moderne et les mœurs louis-philipparde que lui imposaient les moralistes dirigeants. Aujourd’hui, le gouvernement a expulsé la génération Facebook de la liste de ses amis.

Bernard Zekri

Estelle Rancurel

le rejet

Je ne suis toujours pas sûr de pouvoir définir ce qu’est un rocker, en revanche je pense pouvoir avancer qu’un “vrai rocker” ne sait pas où se trouve Colette et n’investira jamais dans une cravate Hermès. Thomas Dupas infernal Resident Evil Afterlife Le ridicule ne tue pas, paraît-il. En revanche, il coûte cher à faire, et cher à voir. Paul Anderson, qui a oublié depuis longtemps son chouette Event Horizon, en sait quelque chose : en 3D (c’est la mode), avec plein de ralentis (ça fait passer le temps) et sans directeur artistique (ou alors, il est surpayé pour ce qu’il a fait), il torche le dernier Resident Evil avec la grâce d’un vide-ordures. Ce qui est plutôt cohérent vu la laideur visuelle du film, dont l’aspect lifté dévitalise le moindre plan. Ça ne ressemble à rien, ça ne raconte rien, ça se prend pour du Cameron (qui aurait dû garder sa caméra relief pour lui), et on en ressort presque déprimé. Afterlife ? There is nothing. Guillaume Banniard

le succès de Facebook Succès par hasard, c’est certain, quand on voit les rencontres ou les moments improbables ayant présidé à l’élan Facebook. Mais, plus généralement, une illustration de la création contemporaine, saisissant les idées quand elles apparaissent, aussi bien surgissant dans votre esprit quand vous êtes aux toilettes que suggérées par un ami un peu naïf. Cynique, en quelque sorte, mais aussi réaliste : y a-t-il place pour le fair-play dans la création industrielle, dans la recherche scientifique, dans le travail artistique ?

Bien sûr, une bonne collaboration me semble toujours plus louable que le mode du “plus rapide à mettre en œuvre”. Et certainement plus efficace aussi dans l’absolu – à savoir l’obtention d’un plus grand savoir (je suis scientifique). Mais pas forcément dans la mise en pratique d’un business, domaine que je connais peu… En tout cas, j’ai pris beaucoup de plaisir à voir ce film riche, aux angles d’approche multiples. Cathead Le William-North, lu sur lesinrocks.com

jour de grève On se traîne tous en voiture dans une opération escargot de grande ampleur. Je ne sais pas si c’est la bonne méthode pour contrecarrer quoi que ce soit mais de mon côté, solidaire de toute initiative, pour patienter dans ma bave, j’allume mon autoradio. Mélangeant Marx, Smith et Ravachol, Eric Cantona explique qu’il est inutile d’aller manifester dans la rue car dorénavant, pour saboter le système, il suffit d’aller enlever ses sous de la banque. Cantona est victime du syndrome Jean-Claude Van Damme : il impressionne tant qu’il ne parle pas. Je ne suis pas branché sur Rire et chansons mais, après le rire, voici la chanson : L’Amour fou de Cali. Si j’ai bien tout compris à l’analyse politique de ce titre très dancefloor, il déclare que même à 62 ans, avec ou sans toutes ses annuités, on a le droit et le devoir d’aimer et d’être aimé. Je vois bien le message crypté de ce single qu’il adresse à Martine Aubry : jouissons ensemble et faisons fi de notre différence d’âge. Pierre Derensy, Paris.

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction mort par expulsion Mardi 12 octobre à Heathrow, l’aéroport de Londres, Jimmy Mubenga n’a pas supporté le poids des trois mastards assis sur lui sur le vol British Airways 77 pour l’Angola. Demandeur d’asile en cours d’expulsion, il est mort étouffé juste avant le décollage au milieu des passagers. L’un deux a raconté au Guardian : “On l’a entendu appeler au secours, dire qu’il étouffait, ça a duré longtemps mais je n’ai pas bougé. J’avais peur d’être expulsé de l’avion et de perdre mon boulot. Mais le gars a perdu plus que moi et maintenant je vais y penser jusqu’à la fin de ma vie, à chaque fois que j’irai me coucher.” amphibologique Que se passe-t-il dans la tête de Ségolène Royal quand elle dit qu’elle n’a pas dit ce qu’elle a dit ? Mardi, on la voit à la télé : “Je demande aux lycéens de descendre dans la rue mais de façon très pacifique.” Mercredi, elle est mitraillée par la droite et une partie de son parti. Jeudi, elle nie : “Je n’ai pas dit ça.” Dit quoi ? Problème, en syntaxe française, la phrase est amphibologique : elle a un double sens. Tout dépend quelle moitié on accentue. Ségolène parlant d’une voix monotone, égale, il est impossible de trancher. ashes to ashes Pour faire monter le buzz avant la sortie mondiale (le 28 octobre) de Life, sa très attendue autobiographie, Keith Richards persiste et signe dans le magazine anglais AnOther Man : oui, il a sniffé les cendres de son père. En prime, il conseille Amy Winehouse et Pete Doherty sur la façon de se droguer pour, comme lui, parvenir sans encombre à l’âge de 66 ans.

le mot

François le Gaucher

[tabou]

Max Nash/AFP

“Il faut lever le tabou”, “briser le tabou”, “faire sauter le tabou”... Quels tabous ? Eh bien, le tabou de la retraite à 60 ans, du bouclier fiscal, de l’impôt sur les grandes fortunes, du modèle républicain, du Distilbène (médicament nocif)... Dans un quotidien, on trouve sept fois le mot tabou en deux pages, dont une fois en énorme au milieu d’un titre. D’ou vient le mot tabou ? Des antiques croyances polynésiennes, ou le mot signifie “interdit, sacré” Cela s’écrit d’abord tapu, puis tatoo au XVIIIe siècle, tabou chez Jules Verne puis chez Freud qui intègre le concept à la psychanalyse. Aujourd’hui, le sens des clichés s’affaiblit, cela signifie notion, idée, point de vue ou silence. Attention : les snobs écrivent totem à la place de tabou.

un comptage politique A Paris le 12 octobre, défilé contre la réforme des retraites : 333 000 manifestants selon les syndicats, 89 000 selon la police. La police triche et minimise ? Courageuse, la rédaction de Mediapart a organisé son décompte. Surprise : elle arrive à 76 000, moins que la police. Les politologues le savent depuis longtemps : syndicats et partis, de droite comme de gauche, gonflent leurs chiffres, et davantage à Marseille qu’en Bretagne. Que les militants se consolent avec cette remarque admirable de Jacques Duclos (1896-1975), numéro 2 du PCF stalinien, qui pour une fois disait une vérité : l’important n’est pas le “chiffre arithmétique” – le nombre réel de manifestants –, “mais le chiffre politique”, “celui que les manifestants ont conscience d’être avec l’aide de leur journal de classe”. à mort l’art vivant Lors un dîner en ville, le directeur d’une grande scène parisienne nous raconte qu’un élu de gauche lui a dit : “Donner des crédits pour le théâtre, c’est comme financer l’orchestre du Titanic.” Attention, icebergs droit devant.

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Peter Macdiarmid/AFP

l’image

tous ensemble, tous ensemble

Sur toute la planète, la sortie des mineurs chiliens a scotché les Terriens devant leur poste En regardant l’image de la sortie du premier des mineurs chiliens, on savait qu’un milliard d’autres humains voyaient la même chose au même instant. Comme le 11 Septembre. 5 h 10 en France mais en Chine, au Japon, il était midi. On peut aussi comparer avec l’alunissage de l’astronaute Armstrong en 1969 : “Petit pas pour l’homme, grand pas pour l’humanité” devient “J’étais avec Dieu et avec le diable”, du deuxième “minaute”, Mario Sepulveda. Sous terre, les 33 se sont mis d’accord pour partager à égalité la manne des interviews. Le pacte survivra-t-il à l’air libre et au montant des chèques proposés à certains ?

Peter Brandt/AFP

allant voir la dernière œuvre de l’artiste chinois Ai Weiwei exposée à la Tate. Un parterre de 1 000 mètres carrés, 150 tonnes de fausses graines de tournesol peintes à la main par 1 600 artisans de la ville de Jingdezhen. Pour décoder, il faut savoir que pendant la Révolution culturelle, les images de propagande représentaient Mao en soleil et le peuple en fleurs de tournesol. Avec ses tournesols, Ai Weiwei se fout de la gueule de Mao et dit aux jeunes Chinois d’aujourd’hui : existez ! Les autorités de Pékin, qui apprécient peu ce genre de provoc, surveillent le lascar de près. Ai Weiwei s’était déjà fait remarquer en se photographiant faisant un doigt d’honneur à la Maison Blanche. Ba(t)squiat Jeudi soir, direction le musée d’Art moderne pour le vernissage Basquiat. Mais ce soir-là, on expose à guichets fermés. Solution de repli : la porte en face, le palais de Tokyo, où le collectif MYFACE célèbre les 75 ans des superhéros de DC Comics (les concurrents de Marvel). Batman graffité, esquisses de Wonder Woman ou Superman côté obscur, sur fond de musique house. Basquiat aurait adoré. le pied Dans la bannette ce matin, le livre le plus cool du mois. So Foot publie Football total et contre-culture chez Solar et compile ce qui fait l’essence du magazine, des textes bien sentis à la lisière sport/société, et des photos à se pisser dessus. Entre autres, Robert Plant en maillot orange, tennis et slip à rayures fuchsia. Il joue au foot avec ses potes. Magnifique. main tendue On a de nouveau le droit de mendier au Sénégal, l’interdiction n’aura tenu que six semaines. Fin août, le code pénal interdit de faire la manche dans les rues. Une centaine de mendiants sont arrêtés à Dakar. Sept maîtres coraniques sont même condamnés pour avoir fait mendier de jeunes garçons. Début octobre, le président Wade annule l’interdiction, car “l’aumône est une pratique recommandée par la religion (l’islam)”. Explication : les maîtres coraniques sont des leaders d’opinion à ménager dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012.

Hugo Infante/Notimex/AFP

l’affaire tournesols Jusqu’au 2 mai, faites-vous plaisir en

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Owen Richards

Romy impératrice

Jean-Baptiste Millot

le son

funk la crise !

Attention, attention, phénomène funk en vue.

Ho New/Reuters

Le nouvel as du funk s’appelle Trombone Shorty et mercredi soir, à Paris, il a mis le feu au New Morning. Il danse, il chante, souffle dans la trompette comme Armstrong, dans son trombone comme personne, du Fishbone en plus soul, du Defunkt en plus rock. Le guitariste donne le vertige, les lignes de basse bougent les bassins, à la batterie ça cogne comme Led Zep, les filles dansent, des couples s’embrassent, Lenny Kravitz monte sur scène pour le rappel. Le funk, dans son berceau de La Nouvelle-Orléans, s’est trouvé un nouveau Prince. Trombone Shorty. On vous aura prévenus, ne ratez pas son prochain passage en France. Make it funky, sexy comme le bonheur.

Vendredi soir, soirée Décade au Social Club à Paris organisée par Brain Magazine. Un DJ par décennie, on aime toujours autant le concept. Entouré de sa bande de potes, Mouloud chauffe le dancefloor avec une super selecta hip-hop et rap français (Democrates D, Le Crime). Backstage, dans l’arrière-salle du Social Club, c’est la mini-émeute. Les chiottes sont pétées, ça fume, ça picole. Les deux Zombie Zombie racontent leur concert de la veille dans l’hôtel particulier d’agnès b., rue Dieu. “Elle avait laissé de vrais Basquiat au mur, l’hallu.” Toute de noir vêtue, super classe, Romy du groupe The XX devise avec sa blonde girlfriend. “Je ne sais pas trop ce que je vais jouer pour mon set nineties : du hip-hop ou des trucs plus dark. Je flippe un peu.” Réponse cinq minutes plus tard dans la cabine DJ : Romy carbure au whisky-glace et balance du hip-hop, Aaliyah en tête. Kif. ça sent bizarre, non ? Sur France 2, Jean-Paul Guerlain a déclaré : “Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un Nègre. Je ne sais pas si les Nègres ont toujours tellement travaillé.” Indignation générale. Guerlain s’excuse avec humilité. Mais à le lire, on comprend qu’il ne s’excuse pas tant auprès de ses frères noirs qu’auprès de la société Guerlain elle-même dont il ne veut pas ternir l’image. embrouilles en mer de Chine On aime ce genre de truc passé inaperçu, où le monde aurait pu basculer, comme dans un épisode de 24 heures chrono ou MI5. En septembre, sous les îles Diaoyutai (en chinois) ou Senkaku (en japonais), des pêcheurs chinois sont encerclés par des gardes-côtes japonais. Le capitaine chinois est mis en état d’arrestation pendant seize jours, le temps que les Japonais mesurent leur erreur. La réaction chinoise est rapide : déploiement d’une flotte de guerre, convocation de l’ambassadeur japonais, embargo sur les exportations de métaux rares. Le pire : Pékin menace de provoquer une hausse du yen sur les marchés de change. Le capitaine a été libéré. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Le1 4 octobre, aux Archives nationales, employés, historiens et public débattent du projet

l’histoire défiance Voulue par Sarkozy, la “Maison de l’histoire de France” s’appuie sur une vision étriquée du passé qui suscite la colère d’historiens de renom. Et son implantation au siège des Archives nationales inquiète les salariés.

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ôtel de Soubise occupé” : le siège des Archives nationales, dans le IIIe arrondissement de Paris, est investi par ses salariés depuis le 16 septembre. Objet du conflit : l’annonce par Nicolas Sarkozy, le 12 septembre, de l’implantation de son curieux projet de “Maison de l’histoire de France” sur le site. Cette “Maison” semble poser deux problèmes. D’abord aux salariés qui craignent autant pour leur emploi que pour l’avenir de l’institution. “On est six ou sept à occuper les lieux chaque nuit. On dort sur la moquette du hall d’exposition, devant de Gaulle et l’Appel du 18 juin. Au total, c’est plus d’une centaine de personnes qui s’opposent depuis le 16 septembre”, explique Dominique Mallet, 38 ans, agent technique. Le problème est ensuite idéologique : quelle orientation Sarkozy compte-t-il donner à cette “Maison de l’histoire de France” ? L’intersyndicale des Archives nationales a organisé, le 14 octobre, une réunion publique. Les grévistes distribuent à l’entrée la pétition “Non à la Maison de l’histoire de France aux Archives nationales”, déjà signée par près de 4 000 personnes. Hervé Lemoine, directeur du service des Archives de France au sein du ministère de la Culture, a tenté de faire interdire la prise de parole (menaces de sanctions et présence d’un huissier). Les salariés en lutte ont trouvé la parade : ils ont invité

la fine fleur des historiens français à s’exprimer. Arlette Farge, Christophe Charle, Michèle Riot-Sarcey, Nicolas Offenstadt ou encore Daniel Roche sont présents. Difficile de faire interdire sur le futur emplacement de la “Maison de l’histoire de France” la prise de parole d’experts reconnus. Le public, plutôt nombreux, s’installe sous les dorures XVIIIe. Hervé Lemoine arrive, entouré de quelques renforts, et s’assoit au milieu de l’audience. La réunion peut commencer. Wladimir Susanj, de la CGT Culture, rappelle les enjeux : “Par cette occupation des locaux, nous signifions au président de la République Nicolas Sarkozy et au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand notre refus de voir la Maison de l’histoire de France s’installer sur le site historique des Archives nationales. Nous estimons que l’installation de cette Maison se construit au mépris de la conservation et de la communication des sources de l’histoire, au mépris des intérêts de la population et de nos concitoyens.” La salle applaudit sans réserve. Hervé Lemoine ne bronche pas pour le moment. C’est aux historiens de prendre

“on occupe les lieux chaque nuit” Dominique Mallet, agent technique

la parole. Nicolas Offenstadt, spécialiste de la Première Guerre mondiale et auteur de L’Histoire bling-bling, intervient. Quelques minutes avant le début de la réunion, il nous résumait ses inquiétudes : “Ce qui me paraît frappant, c’est à quel point l’histoire est aujourd’hui une ressource importante en politique. On sait que Sarkozy n’est pas un fou de culture, donc on peut penser que s’il s’intéresse à l’histoire, c’est parce qu’il pense que cela a des échos – et non par un goût personnel extrêmement profond. Si pendant la campagne de 2007 on a déjà utilisé des grandes figures historiques – Guy Môquet, Jeanne d’Arc, Jean Jaurès – c’est qu’il est difficile de construire un modèle progressiste. Le passé devient donc une ressource considérable. Mais ce qui est frappant, avec cette utilisation de l’histoire c’est que l’on nous demande d’adhérer. L’histoire n’est plus un outil pédagogique, un objet de discussion ou de réflexion et devient un mécanisme d’adhésion à des projets, un vieux récit rassurant. Cette ‘maison’, c’est le symbole d’une France étriquée : en caricaturant un peu, ce serait la vitrine historique de l’identité nationale telle qu’elle a été débattue. Inacceptable pour des historiens critiques.” Devant l’assemblé, il s’appuie sur des exemples très concrets. “Dans l’un des derniers rapports concernant le projet, le rapport de Jean-François Hebert, qui date de 2010, on nous annonce que la Maison de l’histoire de France sera ouverte à l’Europe

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“une vitrine de l’identité nationale inacceptable pour des historiens critiques” Nicolas Offenstadt, historien

et au monde. Or qu’est-ce qu’Hebert nous propose comme expositions dans ce rapport ? L’histoire du drapeau français, les origines de la France, ou encore les Français et l’impôt.” La salle rit, Hervé Lemoine reste silencieux. Arlette Farge, qui se présente comme “une femme politisée mais pas une femme politique”, avoue regretter “l’affrontement idéologique” avec certains de ses “pairs”, mais s’attaque à cet “objet figé” qu’est ce projet de Maison de l’histoire de France.

“On donne le nom de maison comme on dirait maison d’enfermement ou maison close. J’y vois la même intention que dans la dénomination Cité de l’immigration, faite pour renvoyer aux cités de nos banlieues”, conclut Arlette Farge, émue. Les regards se tournent alors vers Hervé Lemoine, qui prend la parole pour tenter de rassurer les historiens et usagers des Archives en colère. Il n’y parviendra pas, répondant uniquement sur les aspects techniques

du transfert et laissant l’assemblée démunie sur la question idéologique. Cet ancien cadre du ministère de la Défense s’est rapproché de l’entourage du président lors de la campagne de 2007, séduit par son discours sur le “passé”. Lemoine s’est vu confier une première mission en 2008 : réfléchir à un projet de musée civil et militaire. En janvier 2009, Sarkozy annonce la création de ce musée pour “renforcer l’identité et répondre à un besoin de sens”. En février 2010, Lemoine est nommé à la direction des Archives nationales. Assez proche du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand – passionné par cette “Maison” –, il est aujourd’hui le principal artisan du “grand projet” de Sarkozy. Tout comme Hervé Lemoine lors ce cette réunion publique – qu’il a quittée, excédé, après une altercation avec un débatteur –, Nicolas Sarkozy risque de se heurter dans les mois qui viennent à une vaste opposition des intellectuels. Pierre Siankowski photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Pina Bausch “J’ai fais la greffe toute la semaine j’ai trois bras désormais”

Le flash-ball

Vanessa Demouy

EuropaCorp

La Fiac “Il est vintage, le jean de la femme de Fillon ?”

Bigard à Matignon

Shakira reprend The xx Jarvis Cocker + Discodeine

Les creepers à bout pointu

Basquiat

“On n’est pas chez Flunch, ici” “7 % de réussite au bac, bravo les branleurs”

Raphael  + Fatals Picards  = sordide

La Fiac Le grand raout de l’art contemporain se tiendra du 21 au 24 octobre au Grand Palais et dans la cour Carrée du Louvre. Discodeine + Jarvis Cocker Le duo français frappe très fort avec Synchronize, single house et hédoniste avec Jarvis Cocker en invité de luxe. Hit.

“Tu sais allumer un barbecue, Kevin ? J’m’occupe des saucisses”

Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch Le documentaire allemand sur la chorégaphe connaît un succès surprise au ciné. Vanessa Demouy L’actrice qui a le cœur caraïbe sur la main fait un retour topless remarqué dans la nouvelle campagne de prévention contre le cancer du sein. La classe, Vaness.

billet dur her Lefa de Sexion D’Assaut, Je tenais à m’excuser. Non, sincèrement, depuis que je découvre – comme dans ces pages la semaine dernière – la béance de la blessure qui fut la tienne ces derniers temps, accusé d’homophobie pour quelques phrases malheureuses prononcées en juin dernier dans un journal de hip-hop, alors qu’en réalité tu n’es que paix, droiture et amour (y compris entre hommes), et bien j’ai honte. J’ai honte d’avoir cru, comme tant d’autres prêts à craquer une allumette dans ce grand bûcher médiatique, que toi et ta bande de petits irresponsables pensiez réellement ce que vous disiez. Mais non, c’était pas vrai, enfin vous étiez jeunes, un peu cons, depuis vous avez mûri. Oui, en juin dernier vous étiez plus

Renaud Monfourny

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jeunes de six mois, ça change tout. Depuis, tu as rencontré un tas d’associations de tarlou… enfin d’homosexuels, et ça va mieux. Je ne te cache pas que tout le monde n’a pas ma mansuétude. Un ami qui, il faut le préciser, n’est pas tout à fait réglo du slip, si tu vois ce que je veux dire, prétend que tout ça, tes excuses publiques, c’est du flan. Il pense simplement que toi et tes copains, vous commenciez à grelotter dans vos baggys à cause des annulations de concerts, du boycott des radios, et que votre maison de disques et vos avocats vous ont prié fermement d’aller éteindre l’incendie à grands seaux d’eau bien lubrifiés par une tolérance de pure forme. A bien y réfléchir, je me demande s’il n’a pas raison. Désolé. Je t’embrasse pas, ça fait pédé. Christophe Conte

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Theophilus London Obsédé par la pop des années 1980, ce rappeur de Brooklyn sera l’une des sensations du Festival Les Inrocks Black XS.

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ur le net, pendant des mois, les chansons de ce jeune olibrius de Brooklyn ont cavalé comme feu de prairie. Ses propres chansons ? Mouais… En réalité, la spécialité de ce dandy instruit a longtemps été de poser ses raps sur des morceaux qui ne lui avaient rien demandé, composés par des artistes auxquels il n’avait rien demandé ! Sur la mixtape qui l’a révélé, baptisée This Charming Mixtape en hommage à des Smiths qu’il vénère avec la même passion que Madonna ou les Ramones, il détournait ainsi, de son flow suave et élastique, des titres d’Amadou & Mariam, Kraftwerk ou Whitney Houston ! Theophilus London a attendu avant de révéler ses propres productions, son univers : excentrique et ambitieux, il est aujourd’hui la star montante du rap US, déjà pourchassé par Damon Albarn ou Mark Ronson. London calling : il faudrait être sourd pour ne pas l’entendre.

JD Beauvallet Concert le 5/11 à Paris (Boule Noire), Festival Les Inrocks Black XS, www.myspace.com/ theophiluslondon 20.10.2010 les inrockuptibles 19

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Renaud Garnier/Ouest France/Maxppp

Béatrice Lagarde, lors de sa prise de fonctions, Sables-d’Olonne, 2009

hors norme quant aux Roms Aujourd’hui, l’Etat traite les Roms en parias. En 2002, confrontée à une situation de crise, la sous-préfète de Gironde privilégia le dialogue et dut affronter les préjugés. Elle raconte.

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n mai 2002, la sous-préfète de Gironde, Béatrice Lagarde, est alertée, par les services sociaux de l’état sanitaire dans lequel vivent plus de 1 000 Roms à Langon, ville de 4 000 habitants située près de Bordeaux. Elle prévient aussitôt son préfet, Christian Frémont, qu’elle envisage d’aller jeter un œil avant de fermer le camp. Frémont, qui est aujourd’hui directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, l’avertit qu’en cas de pépin, il ne volera pas à son secours. Le camp a alors une sale réputation : trois mois plus tôt, un travailleur social s’est fait tirer dessus accidentellement par un enfant de 8 ans qui jouait avec une arme. Depuis, aucun représentant de l’Etat n’y a plus remis les pieds. A son arrivée, accompagnée par un inspecteur de la Dass, la sous-préfète prend dans ses bras un des enfants du camp. “En signe de respect, je suis allée me présenter aux femmes pour leur demander l’autorisation de visiter.”

Elle découvre le quartmonde : des fils électriques pendus au-dessus des flaques d’eau, des rongeurs qui grouillent à quelques mètres de nourrissons, des sanitaires qui débordent : “L’inspecteur de la Dass a déguerpi au bout d’un quart d’heure ! Je suis restée pour les persuader qu’ils ne pouvaient vivre avec des risques d’électrocution, de saturnisme, de maladie de peau. Les femmes le comprenaient. Restait maintenant à convaincre les hommes !” Elle s’engage sur une promesse : leur trouver un toit ou un autre terrain. Et fixe une date : tous doivent quitter le camp dans un mois. “Je savais qu’à partir du moment où ils m’avaient laissé l’enfant dans mes bras sans me le retirer, l’accord était scellé. Je l’ai remis à sa mère, et nous sommes partis.” Un mois durant, elle organise des réunions publiques invitant la population et les élus à trouver aux familles une solution de repli. “L’une des plus grandes leçons que j’en ai tiré : de droite ou de gauche, catho ou pas,

les personnes perdent tous repères à propos des gens du voyage. Ne reste qu’un rejet viscéral, animé par des préjugés ancestraux : ce sont des voleurs de poule, des casseurs, qu’ils retournent chez eux !” La sous-préfète doit taper du poing sur la table : “Vous ne pensez tout de même pas que je vais leur coller une étoile jaune et les jeter dans la Garonne ? Aidez-moi, j’en appelle à votre sens civique !” Pari gagné. Avant la date prévue de fermeture du camp,elle trouve des terrains, des maisons, des campings disponibles. Des élus, elle obtient aussi, qu’une fois vidé, le terrain soit réhabilité pour que les Roms puissent y revenir dans de meilleures conditions. Le 25 juin 2002, les caravanes, les fourgons et 1 000 nomades sont sortis du camp sans contrainte.

“vous ne pensez tout de même pas que je vais leur coller une étoile jaune ?”

Les mois suivants, Béatrice Lagarde passe devant d’autres camps illégaux et va discuter avec les Roms d’une possible évacuation : “Ils m’offraient une tasse de café et m’invitaient à m’asseoir avec eux devant un feu sur lequel cuisaient des harengs. Je me pointais là en tailleur, autant dire que je traînais l’odeur du poisson pendant quinze jours !” En mars 2003, la presse locale annonce la mutation de la “sous-préfète aux manouches”. Un matin, sa secrétaire l’appelle, nerveuse, apeurée : “Un groupe d’hommes, des gens du voyage, s’est massé dans le hall d’entrée, qu’est-ce qu’on fait ?” Béatrice Lagarde les fait tous monter dans son bureau : “Ils m’ont fait la bise, puis m’ont remis un bouquet de roses orange en me disant : tu es la seule qui a été honnête avec nous, merci.” Et quand on lui demande si elle peut commenter la méthode employée aujourd’hui pour évacuer les camps illégaux, sa réponse est simple comme un coup de sifflet : “non !” Virginie Roels

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Joe Raedle/Getty Images/AFP

des saisies et des homes Aux Etats-Unis, les banques s’appuient sur de faux documents pour expulser des propriétaires. Lié à la crise des subprimes, ce scandale pourrait provoquer un nouveau désastre économique. n mars, Angela Iannelli, 46 ans, était dans tous les journaux, photographiée avec son perroquet sur l’épaule. Quelques mois plus tôt, en rentrant du bar où elle travaille, elle se retrouvait à la porte de sa maison à proximité de Pittsburgh. Un agent employé par la banque était entré chez elle, avait coupé l’eau et l’électricité, mis à sac son intérieur, rempli les toilettes et les lavabos d’antigel, emporté son perroquet, et cadenassé sa porte. Une saisie comme il y en a eu des millions depuis le début de la crise ? Oui. A ceci près qu’Angela Iannelli a toujours remboursé son emprunt immobilier en temps et en heure. Une erreur de la banque donc. A l’époque, on consacre encore de longs articles à ce qui semble être des dérapages isolés du système. Puis les dossiers se sont accumulés. En Pennsylvanie, un couple de retraités poursuit une banque pour une erreur similaire. Eux n’avaient même pas contracté d’emprunt. Ailleurs, une maison saisie à la place de celle du voisin. Ou deux banques requérantes pour un même bien. Une saisie en fait adressée au propriétaire précédent. Des dizaines d’expulsions alors que l’emprunt venait d’être renégocié. Partout, de plus en plus de plaintes déposées par des particuliers, et de condamnations d’organismes de crédit incapables de démontrer la validité des

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procédures. Les enquêtes consécutives à la multiplication des cas de saisie irrégulière ont permis de mettre à jour les pratiques douteuses des banques pour accélérer les saisies. En cause : le robo-signing, ou la signature à la chaîne de documents sans aucune vérification. La une du New York Times du 4 octobre montrait trois cessions de créances signées du même nom… mais paraphées par trois personnes différentes. Dans une déposition reprise par la presse, une ex-employée d’un cabinet juridique de Floride mis en examen raconte les détails d’un système peu scrupuleux fait pour expédier les saisies : fausses signatures, documents antidatés, piles d’actes certifiés tamponnés vierges, à remplir plus tard, employés entraînés à imiter, sur son ordre, la signature de la directrice. Une fois renflouées par le plan de sauvetage du gouvernement après la crise des subprimes, les banques ont donc continué à fermer les yeux sur des pratiques contestables qui risquent non seulement de leur coûter très cher, mais surtout de faire replonger le marché

Obama a mis son veto à un projet de loi visant à faciliter les procédures de saisie

immobilier dans le chaos. “Il y a un potentiel pour des plaintes en nom collectif avec à la clé des milliards de dollars possibles pour les propriétaires qui ont perdu leur logement dans des procédures reposant sur ces faux documents”, déclarait Richard Kessler, avocat de Floride. Les trois quarts des cas qu’il étudie ont révélé des saisies frauduleuses. A quelques semaines des élections de mi-mandat, et alors que le mois d’août a encore battu des records de saisies (95 364), un nouveau scandale bancaire fait mauvais genre. Il y a trois semaines, la Chambre étudiait, sans que ça n’émeuve personne, un projet de loi visant à faciliter les procédures de saisie… auquel Obama, popularité oblige, n’a pu qu’opposer son veto. Vendredi dernier, la Bank of America annonçait un moratoire national sur les saisies en cours. Avant elle, les banques JPMorgan Chase et GMAC avaient admis des “erreurs de procédures”, et partiellement suspendu les saisies. Résultat : un marché complètement bloqué – un tiers de l’offre immobilière est constitué de biens saisis. Encore pire : la négligence des banques pourrait amener les acheteurs des titres adossés à des crédits immobiliers à poursuivre les banques en justice, et les forcer à racheter ces titres. Et si ça marche, les banques pourraient à nouveau être insolvables. Le foreclosuregate est en marche. Valentine Faure, à New York

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La maquette du multiplexe Etoile-Lilas qui ouvrira en 2012 dans le XIXe

brèves pas si Free A la suite du refus de Free d’envoyer les mails Hadopi à ses abonnés, un nouveau décret a été publié au Journal officiel : pour chaque message de la Haute autorité non transmis aux internautes dans les 24 heures, les fournisseurs risquent 1 500 euros d’amende. Aucune notification n’a cependant été faite à Bruxelles, contrairement à la réglementation. Facebook et Google oublient le droit à l’oubli Une charte consacrée au droit à l’oubli sur internet a été adoptée par une douzaine de sites collaboratifs et moteurs de recherche. Le texte comprend la création d’un “bureau des réclamations” virtuel pour les réseaux sociaux afin de centraliser les demandes de modification ou de suppression d’un compte. Si Skyblog et Microsoft France font partie des signataires, pas de nouvelle en revanche de Facebook et Google. Pomme cul Apple pourrait bientôt barrer la route aux “sextos”, SMS sexuels échangés sur les mobiles. Un brevet pour les filtrer, déposé en 2008 par l’entreprise, vient de lui être accordé. L’option permettrait aux parents de verrouiller le téléphone de leurs enfants. Gap et son logo golri Le nouveau logo de Gap n’a pas duré longtemps. En sept jours, il a essuyé les critiques des internautes dont plus de 2 000 messages sur la page Facebook de la marque. Qui a donc décidé de revenir à son ancienne image : un grand carré bleu foncé sous son nom en blanc. Le nouveau logo comportait un petit pavé de ciel en haut à droite. Moqueur, le site craplogo.me propose désormais de l’adapter à n’importe quel mot.

multiplexes multifonction A Paris, la création de nouvelles salles de cinéma sert à réhabiliter des quartiers délaissés. Les pouvoirs publics appuient leur implantation.

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e faire une toile sur les Champs” va définitivement entrer dans le dictionnaire des expressions désuètes. Après les Halles, Bercy et le quartier de la Très Grande Bibliothèque (la BNF), le nord-est parisien est désormais érigé en nouveau temple du cinéma de la capitale : UGC annonce pour 2013 un multiplexe dans la zone d’activité Claude-Bernard aux confins du XIXe ; Pathé prévoit de s’installer à quelques mètres, dans le parc de la Villette ; et l’exploitant d’art et essai Etoile Cinémas (qui compte entre autres Le Balzac et La Pagode) ouvrira dès 2012 sept salles à la porte des Lilas. A cela s’ajoute la réouverture du mythique Louxor à Barbès. La Ville de Paris n’a pas lésiné : elle a déboursé 30 millions d’euros pour voir renaître ce palais de style néo-égyptien laissé à l’abandon dans les années 1980. Volonté politique (Bertrand Delanoë a doté Paris d’une “Mission cinéma” dès son arrivée), et signe du temps : après des décennies de chutes de fréquentation et de fermetures successives, la salle de cinéma est devenue une pièce maîtresse de l’aménagement urbain, la machine à booster des nouveaux quartiers ou à requalifier des zones fragiles. “Aller voir un film, c’est aussi prendre un verre ou dîner dans le coin”, explique le sociologue Emmanuel Ethis. “Quand un cinéma s’ouvre, tout un quartier s’anime.” Efficacité prouvée à Stalingrad, jadis aux mains des dealers, devenu branché depuis

le nord-est parisien est érigé en nouveau temple du cinéma de la capitale 

l’ouverture des deux MK2 le long du canal de l’Ourcq. “Le XIXe n’a pas vocation à n’accueillir que les populations marginales” prévient son maire Roger Madec, qui se souvient encore de l’arrivée de la fée Karmitz dans son bureau. Il espère bien réitérer le miracle avec l’“UGC MacDo” (le long du boulevard MacDonald…), lorgnant aussi vers Aubervilliers. Avec l’arrivée prochaine du tramway, du RER et le projet de construction d’une passerelle enjambant le périphérique, le pari s’annonce déjà gagné. La salle de cinéma est en fait le dernier avatar métropolitain destiné à cautériser la cicatrice Paris/banlieues. A ceux qui cherchent désespérément de vue le Grand Paris, il suffira bientôt de grimper sur la terrasse suspendue de l’Etoile Lilas, aux confluents du XXe, Bagnolet, Les Lilas et Le Pré-Saint-Gervais. “Une zone vouée à devenir un nouveau centre-ville” assure David Henochsberg, le directeur d’Etoile Cinémas qui a risqué 10 millions d’euros pour ce projet. Et aucun service n’est trop bon pour attirer un public qui pourrait être tenté par le home cinema : bars/restos, animations, fauteuils confortables… “Le cinéma est devenu un cocon protecteur : le spectateur vient y chercher des émotions collectives mais doit se sentir chez lui.” Poussée à l’extrême, cette maxime donne le Germain Paradisio, première salle privée à la demande que lance... MK2. Pour 2 600 euros la soirée, les very important parisians en mal de sensations fortes peuvent louer la petite salle (look “savane” : moquette zébrée, hautes herbes sur les murs et canapés couleur fauve) et profiter des services du bar Costes juste au-dessus, rue de Buci. Cette fois loin du périph, rassurez-vous. Baptiste Etchegaray

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2 000 pour les “33”

60 secondes décisives

Plus de 2 000 journalistes pour commenter sur place le sauvetage des 33 mineurs chiliens ! Un show médiatique boursouflé qui consacre les prochains héros d’Hollywood.

New York Minute, un nouveau webdoc créatif d’Arte sur la ville évoquée à travers quelques instants cruciaux. A voir dès le 20 octobre sur nyminute.arte.tv

David Merle/TF1

canon Standard se paie une super secrétaire en couverture. Le trimestriel culture et mode expose la vie de bureau avec Karin Viard et les assistantes des Mad Men.

think global

un scénario de trop

Lancement de inaglobal.fr, un site destiné à nourrir la réflexion dans le domaine des médias et des industries créatives, coordonné par Frédéric Martel, auteur du récent essai Mainstream.

Le scénario du téléfilm Un mari de trop avec Lorie et Delon, diffusé le 11 octobre sur TF1, ressemble étrangement à celui du film américain, Fashion Victime avec Reese Witherspoon. Plagiat ?

promo en 140 signes

sextape pas banale

Les stars utilisent surtout Twitter pour leur promotion, selon une étude anglaise. 75 % de leurs messages servent à signaler leurs apparitions télé et leurs produits commerciaux.

Courteney Cox et David Arquette divorcent mais laissent une sextape sur internet. Coup de pub pour un organisme contre les violences conjugales.

quand la BNF fait Bing Un accord a été signé entre Gallica.bnf.fr, le site de la BNF, et Bing, le moteur de recherche du géant informatique Microsoft. Ce dernier indexera et rendra plus accessibles les 1 250 000 documents en ligne de la bibliothèque.

Laurent Habib

tête de com Patrick Swirc

les nases communicants Le patron d’Euro RSCG s’élève contre une communication porteuse de mensonges et déconnectée du réel. L’amorce d’un changement dans un milieu peu enclin à l’autocritique ?

 L

es communicants ont mauvaise presse. Comme si on leur imputait la crise de confiance dans la parole publique dont ils maîtrisent les représentations (politiques, médias, entreprises…). “Trop de messages, trop de mensonges, pas assez de sens” : le mélange explosif, dénoncé par l’un d’entre eux, Laurent Habib, patron de l’agence Euro RSCG C&O, ouvre l’ère du doute. Comme le souligne la récente démission du patron du Service

d’information du gouvernement (SIG), Thierry Saussez, la “com” ne renvoie, au mieux, qu’à sa propre vacuité, au pire, à la pure facticité et aux effets de manipulation de ses discours outranciers. “Par narcissisme, la communication a fini par devenir son propre objet. Par cynisme, elle est devenue le lieu par excellence d’idées déconnectées du pouvoir d’agir, proprement incapables de transformer le réel. En un mot : inutiles”, s’emporte dans un élan de lucidité Laurent Habib.

Après avoir abusé d’idées vaines et sans valeur, “à grand renfort de mensonges, de compassion, d’emphase, d’émotions, de clichés, de lapalissades, de truismes et de niaiseries”, le temps d’après-crise est venu pour les communicants de faire leur mea-culpa. A rebours de leur tentation naturelle – le cynisme et le mépris pour des sujets, consommateurs de leur propre suffisance –, les nouveaux communicants doivent accompagner des “transformations créatrices d’une valeur durable”.

Bien que marginale dans la grande famille du pouvoir d’influence médiatique, l’invitation au changement amorcée par un cador de la communication est un symptôme éclairant d’un nouvel et encore timide réexamen critique des acteurs publics sur leurs propres pratiques. Jean-Marie Durand La Communication transformative, pour en finir avec les idées vaines de Laurent Habib (PUF), 185 pages, 15 € 20.10.2010 les inrockuptibles 25

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Lorie aux champignons Pour prouver qu’elle est désormais une femme, Lorie pose nue dans la mousse pour Paris Match. Oh, la grosse truffe.

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la coupe de MILF

Dix ans après avoir déboulé sur la scène musicale comme un moucheron pugnace dans une soupe à l’oignon, Lorie s’essaie à un retour organisé en deux axes : un téléfilm diffusé en prime-time sur TF1 et une nouvelle coupe de cheveux digne d’une “mother I’d like to fuck”. L’occasion donc de se pencher sur l’actu capillaire de celle qui fut jadis marketée comme la Britney Spears française. Principale information : Lorie est désormais une Femme avec un “f” majuscule. La preuve ? Elle a sacrifié sa longueur blonde caractéristique des êtres juvéniles au profit d’une coupe de shampouineuse tout droit sortie des années 1990 à Palavas. Seconde information : le coiffeur de Lorie est probablement mélomane car il faut en vouloir personnellement à une personnalité médiatique pour la laisser sortir de son salon avec une coiffure ressemblant au pelage d’un yorkshire terrier en fin de vie. Pas cool.

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promenons-nous à oilpé dans les bois “De quoi parlait le vent ? De quoi tremblaient les branches ? Etait-ce, en ce doux mois des nids et des pervenches, parce que les oiseaux couraient dans les glaïeuls, Ou parce qu’elle et moi nous étions là tout seuls ?” écrivait cet égocentrique de Victor Hugo au début de son poème Dans la forêt. En réalité, l’auteur des Contemplations n’avait rien pigé, la nature était en émoi à l’idée que, cent cinquante ans plus tard, Lorie allait venir poser à oilpé pour Paris Match. “J’ai rencontré le bon photographe qui m’a vraiment mise en confiance (…), on s’est vus pendant deux heures, il m’a expliqué son projet, on voulait quelque chose de classe, de glamour, pas vulgaire...”, déclarait la chanteuse à la radio. Bien joué. Car quoi de plus classe que de poser nue adossée à un arbre dans la mousse parsemée de champignons ? Ben pas grand-chose, effectivement.

Lady Chatterley de supermarché Il est loin le temps où Lorie promettait de rester notre meilleure amie, s’enthousiasmait à l’arrivée du week-end, prônait la positive attitude et affirmait préférer rester toute seule car les garçons “sous leurs airs innocents, ce sont de vrais brigands”. En 2008 déjà, la chanteuse avait choqué avec un titre inédit de son album 2Lor en moi ? (probablement un hommage à la carrière politique de Jacques Delors), composé par son ex-compagnon Garou (l’intermittent) et faisant explicitement référence à la sodomie. Le morceau intitulé Où tu n’oses pas étant jusque-là resté reservé aux initiés, il s’agissait aujourd’hui de signifier au grand public qu’à 28 ans Lorie a désormais des relations sexuelles. Pour ce faire, la chanteuse s’est pliée au rite de passage des ex-jeunes starlettes sur le retour : la session photo nue-mais-soft dans un magazine à grand tirage. En Lady Chatterley de supermarché Lorie prend donc une pose lascive, mais tout sauf naturelle, et n’hésite pas à se définir comme une girl next door. “Je fais rêver et je suis accessible à la fois”, affirme-t-elle dans son interview à Paris Match. En l’occurrence on parlera plutôt de girl next le coin à champignons. Ça tombe bien, c’est la saison. Diane Lisarelli

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non, non et non! A Rennes, Toulouse ou Paris, après une semaine de forte mobilisation, les lycéens surmotivés se préparent à prolonger leurs actions.

par Anouchka Collette, Nolwenn Le Blevennec, François Valner photo Guillaume Binet/M.Y.O.P.

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Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P.

“Quand on voit nos parents rentrer crevés le soir ou galérer pour boucler leurs fins de mois, on a davantage conscience des problèmes de la société.” Paris, 16 octobre

“Reculerl ’âge de la retraite va mécaniquement retardern otre entréed ans la vie active” :  Paris, 14 octobre

Vendredi, Arthur s’est levé à l’aube pour rien. L’horloge du lycée Emile-Zola dans le centre de Rennes affiche 7 heures. Devant les grilles, l’adolescent s’ennuie. Levé à 5 heures du matin, il déprime mollement : “Y a personne. C’est mort, je crois que je vais devoir aller en cours aujourd’hui et j’ai même pas pris mes affaires de sports pour cet après-midi”, finit-il par lâcher derrière son appareil dentaire. Si personne ne bloque ce matin, c’est parce que le mouvement lycéen rennais a une grosse gueule de bois. Arthur n’a pas bien écouté à l’AG de la veille : les lycéens ont voté une trêve pour relâcher un peu la pression et que la semaine prochaine, cela “explose” à nouveau. A Rennes, la semaine a été agitée. Dès mardi, les deux plus gros lycées de la ville, Joliot-Curie et Bréq (Bréquigny), ont été bloqués. “A ce moment-là, j’ai compris que le mouvement lycéen partait fort et qu’il y avait de grandes possibilités”, raconte Jules, porte-parole des jeunes NPA à Rennes (la Fidl et l’UNL n’existent quasiment pas). Mercredi, la colère est montée d’un cran, les slogans se sont rodés. Et jeudi, ce fut l’apothéose. Une journée vécue comme magique par les lycéens. “Nous n’avions pas vu ça depuis les mobilisations contre la réforme Darcos”, dit Jules. “La force qu’on avait hier, c’était énorme et dynamique”, renchérit José. Près de 7 000 manifestants ont défilé dans le centre-ville : une majorité de lycéens, mais aussi des étudiants et quelques salariés “des secteurs en lutte”.

Cette journée a fait de Rennes la ville de province à la mobilisation lycéenne la plus forte. “Z’avez pas vu les cartes au journal de France 2 ?”, demande un élève de seconde. Les lycéens ne s’en vantent pas mais les retombées médiatiques de cette journée ont aussi été excellentes parce qu’il y a eu des débordements. Deux cents élèves ont organisé “un blocage économique” (forcer les magasins à baisser leurs rideaux) dans le centre commercial Alma, avant de bloquer la rocade sud pendant plus d’une heure. C’est la face obscure des mobilisations bretonnes : elles sont fortes mais peuvent vite déraper. Selon Ouest-France, ces actions ont été encouragées par les autonomes de Rennes et le SLB (le syndicat des travailleurs bretons), qui gonflent les cortèges rennais depuis toujours. Le service d’ordre des lycéens, mal organisé, essaie de garder un œil sur eux ainsi que sur les casseurs, surnommés par les élèves les “cassos” ou les “wesh”. Après l’euphorie de jeudi, les AG lycéennes et étudiantes ont voté la pause. Emile-Zola a écouté, Arthur est allé en classe. Mais Bréquigny, le plus grand lycée de l’académie, au sud de la ville, a désobéi. Ce lycée général et professionnel de 2 500 élèves a la réputation de se mobiliser sans ciller. Vendredi matin, une cinquantaine

Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P.

à Rennes, grosse mobilisation et petits débordements

A Toulouse, le 16, le cortège lycéen était le plus bruyant : “Les jeunes auboul ot, lesvie ux au bistrot”

d’adolescents ont décidé de bloquer les dix entrées de l’établissement. A 9 heures, un cortège de cent élèves est parti “débrayer” les lycées JeanJaurès et Descartes. Au final, il n’y avait que 700 lycéens dans la rue. Mais la journée n’a pas été perdue. Ce matin-là, des étudiants de Rennes-II et des précaires sont allés bloquer le dépôt de pétrole de Vern-sur-Seich, évacué par des CRS vers 10 heures. A 15 heures, il y avait encore dix-sept fourgons sur place. Samedi, les lycéens, dispersés parmi les 25 000 manifestants, ont évoqué l’organisation de la semaine à venir : “On a ni salaire ni emploi à protéger, alors on sera encore là.” Nolwenn Le Blevennec

à Toulouse, ça ne s’arrêtera pas avec les vacances Les lycéens toulousains ont de la suite dans les idées. Depuis une semaine, ils battent le pavé sans relâche. “Et on continuera le temps qu’il faut”, annonce Audrey, 17 ans, élève de terminale. “On a une conscience, une opinion et on sait ce qu’on fait”, martèle Amadou, en première. Et l’opinion est de plus en plus partagée. La révolte se propage, les manifs aussi et le nombre de lycées touchés se multiplie. “On est plus qu’en 1789 !”, peut-on lire sur une banderole.

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turbin, les vieux au jardin.” Amadou n’a plus de voix. “On ne va pas tout casser, mais on ira jusqu’au bout pour que cette réforme ne passe pas.” Un lycéen dresse fièrement sa pancarte : “La jeunesse ne bat pas en retraite”. François Valner

Guillaume Binet/M.Y.O.P.

à Paris, on fuit la police et les casseurs

“Sarko serre les fesses, on arrive à toute vitesse”, clame cette pancarte. Le débat dépasse le cadre des retraites. “Sarkozy t’es foutu, la jeunesse est dans la rue” ou “Sarko au Kärcher”, reprennent les lycéens. “On est des citoyens comme les autres, agressés par la politique de Sarko comme les autres”, résume Elsa, élève de première. La réforme des retraites, simple d étonateur ? “On est concernés par cette réforme en premier lieu parce que, à ce rythme-là, on va devoir bosser jusqu’à 70 ans”, explique Amadou entre deux slogans hurlés dans le mégaphone. “25 % de chômage chez les jeunes et on rallonge l’âge de départ à la retraite, y a un truc qui va pas non ?”, interroge Julien. “Ça renforce en tout cas l’idée que la jeunesse est totalement sacrifiée, on ne veut pas de cette sociétélà, s’insurge Audrey. “On est aussi là pour nos parents, explique Emeline, en t erminale ; les miens sont ouvriers et il est hors de question qu’ils se tuent au travail jusqu’à 67 ans !” “Métro, boulot, caveau”, peut-on lire sur l’autocollant de cette lycéenne.

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Samedi, l’ambiance est bon enfant. Le cortège lycéen est de loin le plus bruyant lors de cette manifestation unitaire qui a rassemblé 130 000 personnes selon les syndicats (24 000 selon la police). Les profs et les parents suivent, mais prennent bien soin de rester à l’écart. “Les lycéens ne sont pas dupes, ils ont une conscience et ne pensent pas tous qu’à sécher les cours”, lâche Franck, prof gréviste de sciences économiques. Un élu, écharpe tricolore en bandoulière, tente d’intégrer le cortège, il est repoussé et conspué aussitôt. “On est apolitiques et c’est important qu’on le reste”, explique Audrey qui annonce la création d’une coordination lycéenne. La contestation s’organise, tout comme les blocages de lycées. A quelques jours des vacances scolaires, les lycéens promettent de ne rien lâcher. “On va démontrer qu’on peut s’inscrire dans la durée”, assure Clémence Maulat du syndicat lycéen UNL 31. “Le peuple s’exprime et il doit être entendu”, revendique Emeline. Les slogans et les chants s’enchaînent. Imaginatifs : “Les jeunes au boulot, les vieux au bistrot !” et “Les jeunes au

6 h 45, lycée Voltaire, dans le XIe arrondissement de Paris, l’un des fers de lance de la mobilisation. Depuis le 12 octobre, les blocages sont quotidiens. Ce vendredi matin, ils sont une vingtaine à grelotter, essentiellement des élèves de seconde comme Clémence, 15 ans. “Les premières et terminales passent le bac, ils sont moins enclins à nous soutenir”, explique-t-elle. Affiliée à l’UNL, principal syndicat lycéen, l’adolescente motive ses troupes. La journée débute par un étrange ballet : les jeunes arpentent les rues à la recherche de poubelles, nécessaires au blocage. Au grand dam de certains habitants du quartier, sur le qui-vive pour empêcher le “vol”. “Etre obligé de crapahuter dehors à une heure pareille”, râle Daniel, un voisin. Butin : une trentaine de poubelles et des barrières de chantier. Sous l’œil désapprobateur de la proviseure, les élèves empilent leur fatras devant l’entrée principale du lycée. Juchés sur les poubelles, les bloqueurs chantent pour se réchauffer. Clémence, au mégaphone, entretient le moral des troupes. Slogan favori : “Carla, on est comme toi, on s’fait baiser par le chef de l’Etat.” Malgré les traits tirés, thermos, chocolat et gâteaux permettent de tenir. Une banderole au milieu du boulevard “Contre la réforme des retraites, faites du bruit !” incite les automobilistes à klaxonner. Une chaîne humaine barre la route aux récalcitrants. Le lycée est réputé prompt à se mobiliser. Simon, un terminale, explique : “Au-delà de l’ambiance sympa du blocage, il y a une vraie réflexion.” George, élève de seconde, confirme : “Ici, on vient

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on est très sérieux quand on a 17 ans de classes moyennes ou modestes. Quand on voit nos parents rentrer crevés le soir ou galérer pour boucler leurs fins de mois, on a plus conscience des problèmes de la société.” Ils ne se jugent pas trop jeunes pour s’inquiéter des retraites. “Cette réforme nous concerne : reculer l’âge de la retraite va mécaniquement retarder notre entrée dans la vie active.” “Ils sont manipulés par leurs profs”, glisse un représentant du rectorat, venu en “observateur” à Voltaire, où 60 % du corps enseignant s’est mis en grève. “Pas du tout”, réplique Sonia. Petite brune énergique, elle est à l’origine de la toute première AG, organisée grâce à Facebook et des tournées de textos. Les élèves se défendent d’être les marionnettes des syndicats ou des partis. “Le mouvement n’est sous l’égide d’aucune organisation. Les syndicats s’impliquent, pour nous structurer et transmettre des infos, mais on est autonomes”, affirme Sonia. Quand la police débarque, les bloqueurs filent doux. “On entend parler de nos camarades gazés, des tirs de flash-ball ou des chiens : on veut éviter les bavures”, explique Sonia. A 10 h 30, avec les rumeurs de l’arrivée de “casseurs”, départ précipité, direction le rectorat pour un sitting. Ils sont désormais plus d’une centaine et zigzaguent en manifestation “sauvage” au beau milieu de la circulation. Les élèves des lycées voisins, prévenus par textos, viennent grossir les rangs. Alors qu’une délégation est reçue par le rectorat, on improvise dehors quelques pas de hip-hop, on joue du tam-tam. Un vieux poste de radio grésille. A 13 h 30, plus personne. “Le froid, la faim et l’envie de pioncer ont eu raison des effectifs”, analyse George. Samedi, même désertion, plus surprenante, lors du cortège national. Les rares voltairiens présents s’éparpillent. “C’est la honte pour le lycée”, s’insurge Sonia. Lundi, une AG sera organisée pour “faire le point”. Elle envisage à regret de “ralentir le rythme”. Bonne élève, elle continue à travailler mais s’inquiète. “A Voltaire, la réussite au bac est en dessous de la moyenne nationale.” Anouchka Collette

Le jeune Victor Colombani est devenu président du premier syndicat lycéen. Rencontre entre plateaux de télé et manifs. par Anne Laffeter photo Guillaume Binet/M.Y.O.P.

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ais c’est un gamin” est la première chose qui vient à l’esprit lorsque Victor Colombani (aucun lien avec Jean-Marie Colombani) descend les marches de RTL. Récemment élu président de l’Union nationale lycéenne (UNL, premier syndicat lycéen avec 6 000 adhérents revendiqués), il enchaîne télés, radios, interviews. Il représente la voix de la jeunesse dans une mobilisation qui est en train de changer la face de la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Rien que ça. C’est beaucoup de pression pour un petit mec de 16 ans, non ? “Je fais le job.” Les directs qui s’enchaînent ? “Je commence à avoir l’habitude et j’ai pas le temps d’être angoissé.” Au micro de RTL, il vient de débiter un discours impeccable, calibré. Maintenant, Victor est pressé. Avec Antoine Evennou, 18 ans, ancien président reconverti attaché de presse, il saute dans un taxi : il faut enchaîner sur la manif. Ecouteurs d’iPhone plantés dans les oreilles, Antoine est nerveux. Ils sont à la bourre et crevés : couchés à 2 heures, levés à 5 pour organiser la journée marathon manif-presse. Ils s’enfilent un club-sandwich en slalomant entre les manifestants pour rejoindre la tête du cortège. Antoine se retourne impatient, fait signe à Victor de se magner, il répondra aux Inrocks plus tard. Derrière la banderole de tête du cortège, aux côtés de Bernard Thibault, Annick Coupé et Jean-Baptiste Prévost de l’Unef, la première organisation étudiante, Victor est le plus jeune, le plus petit aussi. “C’est bien plus que des gamins, affirme un vieux routier de la CGT, ils sont impressionnants de responsabilité et de réflexion.” Avec ses quarante manifs dans les pattes, Victor est plutôt rodé. Il a commencé en 2002, lors de la manif emblématique contre Le Pen. A 16 ans, Victor Colombani fait presque figure d’ancien du militantisme syndical

Victor Colombani pendant la manif de Paris, mardi 12 octobre

lycéen. Elève en première ES à Henri-IV, toujours délégué de classe, il a adhéré en fin de troisième. Loin de Mai 68 et des utopies libertaires, l’UNL est tendance réalisme politique social-démocrate. Il ne dira pas qui, de Aubry ou DSK, a sa préférence. “En tant que leaders syndicaux, on est censés représenter toute une organisation, tous les lycéens adhérents quelle que soit leur opinion”, justifie Juliane Charton, trésorière de l’UNL et autre figure du mouvement. L’UMP martèle qu’ils sont instrumentalisés et manipulés par les socialistes. La droite s’appuie sur le fait qu’une partie des militants de l’UNL passe ensuite à l’Unef (les deux organisations sont proches) et qu’un nombre non négligeable d’anciens membres de la principale organisation étudiante travaillent aujourd’hui pour le PS. “L’UNL est politiquement et économiquement indépendante”, oppose Victor.

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Les représentants de l’UNL savent qu’ils sont des proies, que le gouvernement attend le moindre faux pas. Ils se doivent d’être irréprochables, ultra responsables, plus adultes que les adultes pour déjouer les pièges de la caricature. Il leur faut surjouer la maturité, se prendre au sérieux pour être pris au sérieux. Derrière les éléments de langage délivrés par les cadors de l’UMP se dessine une vision conservatrice de la jeunesse, incarnée par une école dans laquelle l’élève n’a pas droit à la parole et écoute sagement les leçons des maîtres. Une philosophie autoritaire dont Victor Colombani et ses “camarades” représentent l’exact opposé. “Sa confiance en lui, il la tient d’une éducation à tendance doltoïste du côté de sa mère, qui laisse la parole aux enfants”, rapporte son père. Victor Colombani ne passe pas ses weekends à s’exploser la tête à coups de pétards et d’ecsta sur les ultrabasses du Rex Club.

La techno, ça le tient éveillé pour bosser vers 23 heures quand il “s’endort sur son ordi”. Son temps, il le consacre de plus en plus au syndicalisme lycéen. Moins au piano et à la guitare, plus du tout au théâtre. Victor s’en amuse : “Ma prof d’éco m’a dit : je t’entends plus à la radio qu’en cours.” Un investissement qui inquiète son père même s’il le respecte. “J’aimerais lui dire : travaille, rentre en classe. Mais c’est le discours de Morano et je ne peux pas reprendre un discours de vieux connard, concède papa Colombani. Alors je lui dis qu’il peut faire ce qu’il veut à condition de continuer les études.” C’est le risque de

“ma prof d’éco m’a dit : je t’entends plus à la radio qu’en cours”

la présidence. “Une drogue”, lâche Antoine Evennou qui pendant deux ans a mis sa scolarité entre parenthèses et passé sa vie dans leurs locaux de Barbès. En y entrant, Juliane Charton prévient : “J’ai plein de coups de fil à passer, on doit organiser tous les piquets devant les lycées.” Tracts, affiches, dossiers, autocollants s’entassent sur des bureaux et étagères entre du jus d’orange et des restes de McDo. L’UNL, c’est l’école du militantisme et du syndicalisme. Pour elle, trois-quatre heures par jour et en cas de “mouv’”, beaucoup plus. Juliane a 21 messages sur son répondeur. Ça n’arrête pas. Antoine lui a booké LCI à 8 h 15 le lendemain matin. Elle a fait le 20 h de France 2 la veille. Elle allume son ordi et rigole : “Ça sert de passer au 20 h, j’ai 87 nouvelles demandes d’amis sur mon Facebook et pas mal d’insultes aussi.” Victor Colombani n’est pas là, aujourd’hui, c’est cours à Henri-IV. Demain, manif. 20.10. 2010 les inrockuptibles 33

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les raisons de la colère

La réforme des retraites a jeté les lycéens dans la rue mais c’est un ras-le-bol général qui les motive. par Marc Beaugé, Anouchka Collette, Emilie Guédé, Etienne Labrunie, Nolwenn Le Blevennec, Pierre Siankowski photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P. A Paris, samedi 16 octobre

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retraites

bouclier fiscal

allocations

“Ne pas se faire casser par le travail”

“On enlève les impôts à ceux qui gagnent le plus”

“La classe moyenne n’a droit à rien”

Edgar, en terminale S au lycée Voltaire à Paris, évoque l’épuisement de son père, travailleur humanitaire, quand il rentre de mission, et le stress au travail enduré par sa mère, en arrêt maladie prolongé. “Je n’ai pas envie de me faire exploiter jusqu’à la moelle et casser par le travail. Selon l’Insee, l’espérance de vie en bonne santé est de 63 ans. Quand on fait des études longues, et qu’en plus on connaît une période de chômage, on peut commencer à travailler à 30 ans. Pour finir à 71 ans ? Il y a d’autres solutions que la réforme injuste proposée par le gouvernement.”

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emploi “Au mieux la précarité, au pire le chômage”

“Quand je vois des SDF qui ont presque mon âge dans la rue, ça me fait peur : je m’identifie”, raconte Sonia, en terminale ES au lycée Voltaire à Paris. “Notre horizon à court terme, c’est au mieux la précarité, au pire le chômage. La longueur de nos études n’y changera rien.” La jeune fille évoque l’âge du premier emploi stable, “27 ans en moyenne, comment vit-on avant ?” Et de citer l’exemple d’une de ses amies, titulaire d’un bac +5, qui cherche un travail et… ne parvient même pas à décrocher un stage.

La mesure phare du gouvernement révolte (aussi) dans les lycées et universités. Hélène, 22 ans, participe à la manifestation parisienne contre la réforme des retraites mais entend protester contre l’ensemble de la politique menée actuellement. Et de ce point de vue, le bouclier fiscal est un symbole : “Il n’y a plus aucune justice dans ce pays. On enlève les impôts à ceux qui gagnent le plus. Ça m’énerve vraiment !”

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affaire Bettencourt  “Woerth vole de l’argent et on embête mes parents” Maëve, lycéenne rennaise de 17 ans, vit dans des “conditions minables” et trouve ça assez facile d’aller se servir chez une vieille dame qui a perdu la tête. Elle habite au Blosne, un quartier difficile du sud de Rennes, dans un appartement d’une cité HLM : “Quand la ville veut faire des économies d’énergie, ils nous coupent la lumière pendant quelques heures”, dit-elle. Elle ne supporte pas qu’on ait dit un jour à ses parents artistes que le RSA n’était pas une subvention et qu’ils allaient devoir y renoncer : “Je suis exaspérée de voir qu’un type comme Eric Woerth vole de l’argent et qu’on embête mes parents avec les aides sociales.”

“Entre les très riches et les très pauvres, il y a tous les étudiants de la classe moyenne, et eux n’ont droit à rien”, proteste Camille, élève avocate parisienne de 24 ans. Dans la ligne de mire, l’annonce de la suppression du cumul de la demi-part fiscale et des APL, sur laquelle le gouvernement a finalement reculé. “Les politiques considèrent qu’il faut compter uniquement sur la solidarité familiale, même si la classe moyenne en souffre. Vu le prix des loyers, surtout à Paris, cette mesure était inadmissible.”

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écologie “On parle mais on ne fait pas grand-chose” Pour Emeline, élève de terminale à Toulouse, “l’écologie reste un concept. On en parle beaucoup, on communique dessus, mais on ne fait pas grand-chose de vraiment concret”. Et même en le voulant, ce n’est pas toujours évident : “Si on veut par exemple s’équiper d’éoliennes, on ne peut pas faute de moyens. Il faut être riche pour pouvoir adopter une conduite écologique. C’est révoltant !” Que faire ? “Le jour où je verrai, par exemple, des panneaux photovoltaïques sur le toit de L’Elysée, là j’y croirais. Mais ce n’est pas demain la veille. Comme pour les retraites, notre génération va payer l’addition.”

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Geoffroy, 16 ans, vient de se faire toucher au visage par un tir de flash-ball

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capitalisme “La société fonctionne en faveur d’une minorité” “Le capitalisme est un système basé sur le profit, censé tout justifier : les guerres, les famines, les crises financières. C’est absurde !”, s’insurge Damien, 17 ans, en terminale L au lycée Voltaire à Paris. “Cela débouche sur une répartition des richesses très déséquilibrée : moins de 1 % de la population mondiale détient plus de 35 % des richesses. La société fonctionne en faveur d’une minorité”, déplore ce fils d’un ouvrier de la métallurgie et d’une prof. Sa solution ? “Une société contrôlée par les travailleurs et non les entreprises. Et une production fondée sur les besoins, pas sur la rentabilité.”

Montreuil l’insoumise La population, toujours prompte à se mobiliser, soutient largement le mouvement des lycéens. Surtout quand la police dérape avec un tir de flash-ball dans le visage d’un ado.

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immigration “Ne plus opposer les Français et les ‘moins’ français”

“Comment peut-on dire qu’on va enlever sa nationalité à quelqu’un car il est immigré de deuxième génération ?”, s’interroge William, 17 ans, scolarisé au lycée Fénelon à Lille. “C’est une politique de la division qui est menée par Sarkozy, on essaie d’opposer les gens entre eux, les Français et les ‘moins’ français, les jeunes et les moins jeunes… C’est une manière de nous détourner des choses importantes, de nous infantiliser tous autant que nous sommes.”

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police dans les lycées “Ils font du délit de sale gueule” Antony, alias Jésus, a des dreads qui ont l’air de dater des années 1980. Le lycéen de 18 ans est scandalisé par les récentes intrusions des flics dans les lycées. Particulièrement par les descentes avec des chiens pour trouver de la drogue : “Ils font du délit de sale gueule et viennent armés.” Et puis, il y a ces “soi-disant policiers référents” qui prennent leurs quartiers dans les établissements depuis la rentrée. “Les CPE et les infirmières suffisent largement pour nous surveiller et nous conseiller. S’ils nous mettent un policier à domicile au lycée Bréquigny de Rennes, je peux vous garantir qu’il ne sera pas bien reçu.”

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sorties

La nuit, “on galère” On sort où quand on a 17 ans et pas un rond ? “On galère, répond Aude, lycéenne de SeineSaint-Denis. Les grandes boîtes de banlieue, c’est ultra beauf et assez cher. A Paris on se fait jeter de partout, sauf si on est habillée comme une pute…” Beaucoup de lycéens parlent des tarifs prohibitifs, des RER qui s’arrêtent à minuit et demi et des soirées de merde sur un banc. “Hey, monsieur, c’était déjà comme ça quand tu étais au lycée ?”

par Marc Beaugé

I

l fait beau et quelques adolescents traînent devant le lycée Jean-Jaurès. Trois gars à casquette discutent, assis sur un muret, deux filles maltraitent leur portable. Derrière eux, l’établissement est clos. Une simple feuille a été scotchée sur la porte : “Hasta la victoria siempre”. A l’endroit même où, la veille, Geoffrey, 16 ans, du lycée Condorcet, a été touché en plein visage par un tir de flash-ball, le calme est saisissant. Juste en face de l’établissement, une salle de concerts-cafétéria, La Pêche. A midi, les lycéens de Jean-Jaurès viennent souvent y manger un morceau. Dans le passé, à l’époque notamment des manifs anti-CPE, ils sont même venus y faire leur banderole. On sonne, on nous dit de monter. Ont-ils vu ce qui s’est passé ? Non, rien, la salle était fermée. Mais un voisin a tout vu et voudrait raconter. On va donc voir Pascal, un peu plus haut dans la rue. Il était un peu plus de 9 heures jeudi, il revenait de l’école primaire où il avait déposé ses enfants. De sa fenêtre, il a d’abord vu un groupe de 200 à 300 élèves chassés à coups de bombes lacrymogènes. Une vingtaine d’entre eux sont revenus, ont mis des poubelles et une grille de chantier au milieu de la rue. Ils ne lançaient rien, ne semblaient pas agressifs. Mais les flics sont descendus vers eux. “Ils étaient cinq, dont deux armés de flash-ball, raconte Pascal. Ils n’ont fait aucune sommation, n’ont pas tiré en l’air.

A une vingtaine de mètres du groupe, ils ont utilisé leurs flash-balls à quatre ou cinq reprises. Ils ont tiré en direction des lycéens alors qu’ils ne représentaient aucune menace… Un jeune a été touché au visage.” Victime d’un décollement de la rétine et de multiples fractures à la pommette, Geoffrey risquait encore, dimanche, de perdre son œil. Pour Pascal, 48 ans, impossible de laisser passer ça. “Nous sommes des citoyens. Nous avons tous une conscience politique, ici.” Ici, c’est Montreuil, ville sensible, engagée, prompte à bouger, à dénoncer, et même à rembarrer le reporter de France 2 qui se présente, parce que la couverture des événements au journal de 20 heures a déplu. Montreuil est à gauche, c’est historique. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cinq maires se sont succédé, les trois premiers étaient communistes, le suivant, Jean-Pierre Brard, en place pendant vingt-quatre ans, fut au PCF jusqu’en 1996. En 2008, lors de l’élection de Dominique Voynet, le candidat de l’UMP n’a même pas fait 10 % au premier tour. “Montreuil est une ville impliquée, insolente, la fibre militante y est très forte”, dit Dominique Voynet, assise dans son bureau à la mairie. Elle rappelle que la CGT et NPA y ont leur siège et que de nombreuses associations, dont Emmaus International, y sont également installées. La ville compte aussi des dizaines de lieux en friche, servant tour à tour de squats, 20.10.2010 les inrockuptibles 35

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aux Roms ou à la “forte communauté anarcho-communiste de la ville”. “Il se passe toujours quelque chose chez nous”, dit Dominque Voynet. L’année dernière, Joachim Gatti, 34 ans, touché lui aussi par un tir de flash-ball, avait perdu un œil dans l’évacuation d’un squat de la ville. Aujourd’hui, c’est Geoffrey. Ses potes de Jean-Jaurès et de Condorcet sont désormais réunis devant la mairie, ils vont rejoindre à pied les manifestations parisiennes. Parmi eux, il y a Yan, grand, mince, longs cheveux blonds dans le visage. Il était quelques mètres derrière Geoffrey quand le coup est parti. “J’avais mon vélo, ça me permettait de me déplacer plus vite”, raconte-t-il. Il confirme les propos de Pascal, les coups de lacrymo, les lycéens qui détalent, puis un groupe, plutôt calme, qui remonte. Et, boum, le flash-ball. “Ça m’a choqué, bien sûr, mais ça ne m’a pas du tout découragé”, dit Yan. Ses parents sont un peu plus haut dans le cortège. Lui est photographe, elle est maquilleuse, de vrais Montreuillois. “Bien sûr qu’on est content qu’il se mobilise, on l’a même un peu encouragé, dit sa mère. Après ce qui s’est passé jeudi, on lui a juste rappelé qu’il y avait des règles dans les manifestations et qu’il fallait faire gaffe à soi. Mais on n’allait pas l’enfermer à la maison…” Le mouvement des lycéens serait parti spontanément de quelques élèves d’une

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

samedi 16, les copains lycéens de Geoffroy partent de Montreuil pour rejoindre la manifestation parisienne

terminale de Condorcet. Le mercredi, ils étaient en sortie scolaire à Polytechnique. Toute la journée, ils ont mis au point le blocus. Le lendemain matin, à la première heure, ils sont parvenus à bloquer leur bahut. Puis ils ont rameuté les élèves de Jean-Jaurès, habituellement à la pointe de l’action, mais cette fois-ci empêchés par la présence policière. “Nous ne sommes pas manipulés, explique Margot. Je ne comprends même pas comment on peut dire cela. Parce qu’on est jeunes, on ne pourrait pas penser, se mobiliser pour notre avenir ? C’est une façon de nous décrédibiliser. Dans le passé, on a pu sentir la présence du NPA dans le mouvement, mais là on ne les a pas vus. Sur certaines actions, quelques adultes, des gens de la CGT, nous aident parfois

à nous organiser. C’est normal, nous sommes solidaires, nous nous battons ensemble.” Personne n’a prévu de lâcher. Les lycéens de Montreuil veulent continuer le mouvement, prolonger le blocus des établissements. Pascal, lui, n’en revient toujours pas de ce qu’il s’est passé sous ses fenêtres. Il rappelle, apporte des précisions, nous met en contact avec des voisins qui ont eux aussi assisté à la scène. L’un d’eux affirme que les flics ont tenté d’embarquer le jeune blessé avant que les pompiers ne s’interposent. “Je vais écrire au procureur de la République, je ne peux pas faire autrement”, annonce Pascal. Le témoignage complet de Pascal ainsi que la courte vidéo qu’il a filmée sont disponibles sur le site des Inrocks.

consignes de fermeté pour la police

L

e 9 octobre, le ministre de l’Education nationale Luc Chatel mettait en garde les lycéens : “Manifester sur la voie publique est dangereux.” Depuis, des dizaines de vidéos sont apparues sur internet : dans l’une d’elles, on voit un policier de Lyon frapper du poing le visage d’un lycéen manifestant pour les retraites. Dans une autre, c’est un CRS, à Argenteuil, qui matraque un lycéen isolé et inactif puis le saisit à la gorge afin de le dégager sur le trottoir. A Montreuil (93), c’est un jeune lycéen de 16 ans qui reçoit au visage un tir de flash-ball lui fracturant la pommette en de multiples endroits. Il en a pour un mois d’hospitalisation et risque de perdre son œil. La succession de ces violences ouvre une question rituelle : les policiers sont-ils tenus ? Se sont-ils sentis libres de frapper des lycéens non menaçants ? De viser au flash-ball les visages, alors que

le règlement l’interdit formellement ? Au ministère de l’Intérieur, un conseiller de Brice Hortefeux répond ceci : “Il n’a été donné aux policiers aucune consigne de dureté contre les manifestants. En revanche, des directives très claires de fermeté sont données en ce qui concerne les casseurs : les policiers ont pour devoir d’interpeller tout individu qui porte atteinte aux biens et aux personnes.” Seulement voilà : les vidéos montrent que les lycéens qui ont été blessés ne cassaient rien, ne violentaient personne. Réponse du conseiller : “Mais qu’est-ce qui le prouve ? Dans ces vidéos, on ne voit rien de ce que faisaient ces jeunes avant.” Il existe une autre vidéo des violences policières. Elle a été tournée mercredi 13 octobre à Paris, en fin de la grande manif pour les retraites. On voit le journaliste de Canal+, Thierry Vincent, qui brandit sa carte de presse devant des CRS en train d’évacuer la place de la Bastille. Rien n’y fait : les CRS

envoient au journaliste une volée de matraque. Le journaliste, pourtant, n’avait rien cassé qui justifiât une telle sanction. “Tout ce que je peux vous en dire, répond le conseiller du ministre, c’est qu’en regardant les images, je suis très étonné par la manière dont ce journaliste reste devant les policiers. On dirait qu’il attend l’affrontement… C’est un comportement étrange qui fabrique une tension. Et puis prendre des coups, c’est le risque de son métier.” Le ministère défend ses policiers qui, en retour, répondent à une demande de fermeté, comme l’explique l’un d’eux, du Groupement d’intervention de la police nationale (GIPN) : “Depuis que Sarkozy nous a donné le taser ou le flash-ball, on n’a jamais eu tant d’armes à notre disposition. On nous demande une politique de fermeté et des opérations coups de poing. Et pour tout dire, ce n’est pas pour nous déplaire.” Virginie Roels

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édito Mélenchon, méchant con ?

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Non. Mélenchon n’est ni méchant ni con. Il a simplement décidé d’occuper une position. Celle du “populiste assumé” ou “beauf de gauche”. En réalité, il s’inscrit dans la vieille tradition bien de chez nous du gueulard vengeur, de l’égalitaire éruptif. C’est du sansculottisme, du georgesmarchisme. Traiter Pujadas de “salaud” n’est pas très fin mais c’est une réaction de téléspectateur énervé, un “aux chiottes l’arbitre”, pas une insulte. Nous, journalistes, tapons sur les politiques, alors ne nous formalisons pas quand ils nous tapent dessus – tant qu’ils ne demandent pas nos têtes… Si l’on accepte mieux les outrances d’un Mélenchon que les intimidations de petites frappes de Tapie, par exemple, c’est parce que l’on sait que Méluch est un vrai amoureux de la politique, un bagarreur intello cultivé et même subtil qui sur-joue le rustre. On n’est pas naïfs non plus, c’est aussi un notable. En 2012, si la gauche gagne, il sera ministre des Transports ou du Logement. Alors il retrouvera l’usage de l’imparfait du subjonctif et ses bonnes manières.

Ulrich Lebeuf/M.Y.O.P.

par Thomas Legrand

cours jeunesse, la droite est derrière toi ! En digne “parti de l‘ordre”, la majorité fait preuve d’une belle fermeture d’esprit en considérant la mobilisation des jeunes comme infantile. Effet boomerang garanti.

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allait pas les chercher… A force de prendre les gamins pour des gamins, à force de leur dire qu‘il valait mieux qu‘ils s‘occupent de leurs petites affaires plutôt que de manifester contre la réforme des retraites, la droite a fini par les énerver. Il faut dire que les dirigeants UMP sont restés bien droits dans leurs bottes. “Au risque de paraître décalé, ce n‘est pas dans la rue que les lycéens doivent être actuellement”, lance en bon père de famille Jean-François Copé sur France Info. “La jeunesse, nous nous faisons un devoir de lui expliquer où

sont les priorités”, tranche Frédéric Lefebvre dans une interview au Figaro. En somme, les enfants, rentrez vous coucher, le spectacle est fini. Sauf qu‘à force de les sermonner avec des déclarations pseudo-protectrices, la droite est en train de se mettre la jeunesse à dos. “Ni bambins ni pantins”, réplique la Fidl, deuxième organisation lycéenne. “Nous ne sommes plus seulement ignorés mais tout bonnement méprisés par un gouvernement qui ne considère pas sa jeunesse et qui ne reconnaît pas la légitimité des jeunes à 20.10.2010 les inrockuptibles 39

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être des citoyens préoccupés par la précarité, le chômage, les inégalités”, ajoute la Fidl dans un communiqué déjà tristement classique, à l’image de ceux des grandes centrales syndicales. Avant de lâcher : “En nous méprisant de la sorte, que le gouvernement ne s‘étonne pas de voir la contestation et la mobilisation lycéenne s‘accélérer.” Sarkozy devrait relire Dolto ! Dès lors, les lycéens ont commencé à se regrouper et à descendre dans la rue. “Sarko, t‘es foutu, la jeunesse est dans la rue” ou encore “Sarko, serre les fesses, on arrive à toute vitesse”, a-t-on pu entendre dans les cortèges. A Lille, Marseille, Lyon, Bordeaux… les lycéens se sont retrouvés aux côtés des salariés derrière des banderoles sur lesquelles on pouvait lire “La retraite une affaire de jeunesse”. “C‘est vraiment prendre les jeunes pour des imbéciles que de penser que la retraite est une question qui ne les concerne pas. Ils se sentent concernés car ils craignent que cela rende encore plus compliqué leur propre entrée sur le marché du travail”, affirme Michel Fize, sociologue au CNRS, spécialiste des questions sur la famille et la jeunesse, et auteur du Livre noir de la jeunesse. Un constat partagé par Denis Muzet, de l‘institut Médiascopie : “Quand les dirigeants s‘étonnent que les jeunes manifestent dans la rue contre la réforme des retraites et suggèrent que ce n‘est pas leur place, ils attestent de l‘étroitesse de leur vision de la société. Les jeunes en ont une vision compréhensive, systémique. Ils raisonnent “tout ensemble”. Ils savent bien, par exemple, que l‘allongement de la durée du travail pour leurs parents ne leur facilitera pas la tâche, à eux, pour trouver du travail.” Dès lors, pour se sortir de cette impasse, la droite a sorti son deuxième argument choc : si les jeunes sont dans la rue, c‘est que la gauche, ou plus particulièrement Ségolène

CHAQUE FOIS QUE LES JEUNES SONT DESCENDUS DANS LA RUE, ILS ONT OBTENU GAIN DE CAUSE Royal, et les syndicats les y ont poussés. François Fillon a ainsi jugé “irresponsable que l‘extrême gauche et une partie du PS mettent les jeunes dans la rue”. Sur France Inter, François Baroin a dénoncé “cette irresponsabilité de dire aux jeunes d‘aller dans la rue”. Le sénateur-maire UMP de Marseille Jean-Claude Gaudin n‘a pas dit autre chose sur I-Télé : “Ceux qui poussent les lycéens à descendre dans la rue sont irresponsables.” Eric Woerth, dans La Croix, a trouvé “scandaleux la récupération de la jeunesse”. Tout comme Luc Chatel sur RTL qui, avec sa double casquette de ministre de l‘Education nationale et de porte-parole du gouvernement, a mis en garde contre des “tentatives de récupération par quelques groupuscules très politisés”. Ça sent les éléments de langage distribués à toute la majorité, à qui consigne a été faite de rester mobilisée pour passer la bonne parole... Il n‘en fallait pas plus pour que l‘argument leur revienne comme un boomerang. “Il suffit de dire que les jeunes sont l‘objet de manipulation et d‘instrumentalisation pour qu‘ils aient encore plus envie de manifester et dire justement qu‘ils n‘agissent sur aucun ordre politique ou syndical”, explique Michel Fize. Décidément, la majorité a encore des progrès à faire sur la psychologie des jeunes. “Quand j‘entends des hommes politiques parler de gamins de 16

ans, je tombe des nues. La mécanique de l‘infantilisation joue à plein, mais elle est en train de se retourner contre la droite”, ajoute le sociologue. Car depuis trente ans, à chaque fois que les jeunes sont descendus dans la rue, ils ont obtenu gain de cause. En 1986, après les manifestations et la mort de Malik Oussekine en marge d‘un cortège, Jacques Chirac retire la réforme Devaquet. Huit ans plus tard, en 1994, Edouard Balladur fait machine arrière sur le contrat d‘insertion professionnelle (CIP). En 2006, Dominique de Villepin est contraint de céder sur le CPE. Le plus souvent, aux yeux des gouvernants, 100 000 jeunes manifestants dans la rue valent un million de non-lycéens, c‘est la crainte du “péril jeune”. Qu‘en sera-t-il en 2010 ? “La réforme des retraites est l‘étincelle qui met le feu aux poudres, car l‘inquiétude de la jeunesse est plus profonde et générale. La droite sait que c‘est là qu‘elle peut être mise en échec”, analyse Denis Muzet. D‘autant plus que, selon Michel Fize, “ce mouvement montre qu‘il y a une augmentation de la conscience sociale et politique des jeunes. Jusqu‘à ces dernières années, les jeunes ne descendaient dans la rue que pour défendre “leurs“ intérêts, aussi légitimes soient-ils. Aujourd‘hui, ils défendent un intérêt plus général et surtout leur existence personnelle et sociale. Derrière ce mouvement s‘exprime un besoin d‘être reconnu dans la société. Et ils se rappellent au bon souvenir des gouvernants”. Des gouvernants engoncés dans leurs contradictions : à 13 ans, un jeune est responsable pénalement selon Nicolas Sarkozy mais immature pour manifester à 16  ans. Par contre, à 22  ans, aucun problème, aux yeux de la majorité, pour diriger l‘Epad, le quartier d‘affaires de la Défense... Il est vrai que le candidat s‘appelait alors Jean Sarkozy. Marion Mourgue

vu, entendu promotion

Sarkozy et ses femmes...

rentrée littéraire

A l‘occasion du prochain remaniement, de nouvelles têtes devraient faire leur entrée au gouvernement. L‘une d‘entre elle pourrait être Valérie Rosso-Debord, députée de Meurthe-et-Moselle qui s‘est fait remarquer au sein de la majorité pour son travail parlementaire. “Elle s‘est très bien débrouillée sur les retraites”, confie le ministre des Relations avec le parlement Henri de Raincourt.

Le journaliste Renaud Dély et le dessinateur Aurel ont croqué avec irrévérence la vie de Nicolas Sarkozy, littéralement mené à la baguette par “ses” femmes (épouse, ex-fiancées, ministres, mère). Rama Yade l’envoie promener quand il lui propose une place de choix pour les européennes, Carla le met au régime, l’empêche de lire L’Equipe et lui fait travailler son périnée. Quant à Rachida Dati,

Et de trois ! Trois ministres à la veille du remaniement se sont mis à publier un livre. Après Chantal Jouanno et Rama Yade, c‘est au tour de Bruno Le Maire, ministre de l‘Agriculture, de s‘y coller. Prochain sur la liste des auteurs : Frédéric Lefebvre, avec un livre prévu pour novembre. Ceci ne doit rien au hasard S‘il n‘est pas ministre, il aimerait bien le devenir !

elle s’arrange pour être toujours avec lui sur les photos. Au milieu de tout ça, le président essaie tant bien que mal de faire bonne figure. Si la BD est imaginée, l’enquête derrière est fouillée. A tel point que certains conseillers du président ont ri jaune en la lisant. Sarkozy et ses femmes (Drugstore, éditions Glénat), 128 pages, 15 €

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que le meilleur perde

affaires étrangères

du rififi en Chine

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Kyodo Kyodo/Reuters

ait exceptionnel, vingt-trois anciens dignitaires du Parti défient le pouvoir et réclament la levée de la censure dans une lettre virulente. Publiée quelques jours avant l’attribution du prix Nobel au dissident Liu Xiaobo qui a provoqué l’ire des dirigeants, elle a été immédiatement censurée en Chine. Deux épines pour Hu Jintao alors que s’ouvre une bataille entre courants réformistes et autoritaires pour sa succession en 2013. Les 23 mettent en cause la censure des “mains noires invisibles“ du département de la propagande. “Même le Premier ministre de notre pays, Wen Jiabao, est privé de sa liberté d’expression et de presse“, dénoncent-ils. Dans un discours du 21 août, ce dernier demandait l’ouverture politique, seule solution selon lui pour calmer le vent de révolte et sauver le régime. Il récidive un mois plus tard à l’ONU et le 3 octobre sur CNN où il dit  : “La liberté de parole est indispensable à toutes les nations.“ Ces propos inhabituels d’un dignitaire ont été censurés. D’autre part,120 militants ont signé une lettre ouverte réclamant la libération du prix Nobel. L’histoire ne dit pas si Wen Jiabao a pris conseil auprès de François Fillon. J.-P. D.

Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

Le Premier ministre chinois Wen Jiabao : “La liberté de parole est indispensable”

confidentiel Après avoir regretté l’omniprésence de la libido et de la testostérone dans la vie politique sur ABC, Christine Lagarde récidive dans un entretien au Monde : “Je

crois que les femmes ont un style de prise de décision et de direction d’équipe plus participatif, plus inclusif, plus respectueux.”

Elle n’a pas écouté Rachida Dati chez Pascale Clark descendre Brice Hortefeux : “Je

ne sais pas s’il aurait les qualités pour être Premier ministre, je vous le dis très franchement.” Pas besoin de testo pour flinguer en politique.

par Michel-Antoine Burnier

Immenses cortèges, grèves à répétition, grèves reconductibles  : la crise sociale représente l‘un des temps forts de la défaite, puisqu‘il s‘agit du phénomène le mieux à même d‘ébranler un gouvernement en place. Avec les retraites, M. Sarkozy parvint à en susciter une, ce qui jusque-là lui manquait. Vous noterez qu‘il attendit avec sagesse une période d‘impopularité extrême pour s‘y mettre, devinant que la réforme ne lui aurait pas valu tant d‘hostilité au début de son quinquenat. Une belle crise sociale exige que l‘on en suive avec attention les principes et les étapes. 1. Proposer une réforme ambitieuse sur un sujet délicat. Quoi de mieux que les retraites ? La gauche n‘a jamais osé y toucher ; la droite les a déjà réformées deux fois, sous l‘autorité de M. Balladur puis de M. Raffarin, et à l‘évidence sans régler la question. 2. Mettre en cause les populations les plus nombreuses et les plus diverses. M. Juppé y était parvenu en 1995, dressant contre lui une telle coalition de mécontents, des cheminots aux étudiants et des médecins aux postiers, qu‘il obtint deux mois de grève et la paralysie du pays avant de trébucher. M. Sarkozy joue plus large encore  : les retraites, cela indigne du lycéen qui s‘y voit déjà au vieillard convaincu qu‘on en veut à sa maigre pension en passant par la grande masse des salariés.

3. Montrer qu‘on ne tient pas ses promesses. M. Juppé avait promis de baisser les impôts, avant de les augmenter. M. Sarkozy, lors de sa campagne présidentielle, avait certifié qu‘il ne toucherait pas à la retraite à 60 ans. 4. Résister à la grève et aux manifestations. Le gouvernement doit jurer qu‘il ne cédera pas, qu‘il n‘existe pas d‘autre politique possible et que tout compromis mènerait au désastre. Ces propos lui seront fort utiles si jamais il recule. Là, M. Sarkozy suit avec courage la trace de ses modèles  : M. Juppé bien sûr mais aussi M. de Villepin. On se souvient que ce dernier, alors Premier ministre, s‘était longtemps entêté à défendre son contrat première embauche (CPE) avant de tout lâcher face à l‘ampleur de la sédition. 5. Sous la contrainte, faire enfin des concessions aussi tardives qu‘inutiles, mais sans bouger sur l‘essentiel. Pour les syndicats, le moindre amendement à la loi prouve que l‘on peut faire reculer le gouvernement. Voilà les contestataires encouragés à se battre jusqu‘au bout. Là encore, M. Sarkozy suit le modèle. 6. Parvenir à ce bien rare : une capitulation en rase campagne. C‘est, on s‘en doute, la dernière étape, qu‘ont su atteindre en leur temps MM. Juppé et de Villepin. Avec quelques efforts supplémentaires, la présente situation pourrait y conduire. M. Sarkozy, parfois maladroit, saura-t-il en profiter ? (A suivre) 20.10.2010 les inrockuptibles 41

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safari

Ryan Parteka

On recherchait Eva Joly, portée disparue du paysage politique français. On l‘a retrouvée à Reykjavík, en Islande, en train de faire un big up avec Björk. La probable candidate d'Europe Ecologie, qui a conseillé la justice islandaise pendant la crise financière, a fait ses adieux à son deuxième pays avant la campagne pour 2012.

pifomètre

Aubry bon pied, bon œil Qui a le vent en poupe à gauche, dans l’optique de la présidentielle de 2012 ? La réponse de notre panel. notre panel

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semaine précédente

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André Chassaigne

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Eva Joly

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Olivier Besancenot

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Manuel Valls

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éloigné du pays en ces temps de grèves franco-françaises. Hollande reste fort comme tous les cadors du PS. Mélenchon et Valls se maintiennent pas mal sur les bordures gauches et droites du PS. Petit mieux pour Besancenot que l’on a beaucoup vu dans les cortèges. Chassaigne ne voit toujours pas le jour et Eva Joly reste scotchée au fond du pifomètre… Bernard Gilbert lui attribue un point. “Vraiment, elle me fait pitié“, dit-il. On a aussi du cœur au pifomètre !

Jean-Luc Mélenchon

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Dominique Strauss-Kahn

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François Hollande

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Rama Yade, 33 ans, secrétaire d’Etat aux Sports. Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

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Ségolène Royal

le reste du panel

A

ubry a réussi son “retour” auprès de notre panel qui l’a aimée jeudi dans A vous de juger sur France 2. Evelyne Ghaya nous dit : ”Elle a fait des propositions concrètes et a gravi une marche.” Dans cette période très sociale, la première secrétaire du PS paraît être en bois dur. C’est du solide, pas très rigolo mais carré. Elle prend le pas sur Royal qui régnait sur le pifomètre depuis deux semaines, et surtout sur DSK qui semble bien

Martine Aubry

Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante d‘un magasin de presse, Paris XIe La politique, une passion ? Une réalité quotidienne qui attise souvent ma colère. Les Inrocks ? Unique. La gauche ? Qu‘elle sorte de la caricature. V ite ! Personnalité pr éférée ? François Hollande. Détestée ? Trop nombreux. Tous ceux qui oublient pourquoi ils sont élus. Moment le plus triste ? Le recul de l‘âge de la retraite sans décote à 67 ans. Le plus drôle ? Les députés et ministres, lors de certaines séances à l‘Assemblée. Le plus ridicule ? Le cérémonial de la garde républicaine... d‘un autre âge ! Le plus émouvant ? Le labrador de François Mitterrand suivant le cercueil lors de ses funérailles.

cette semaine

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V tout nu 20.10.2010

presse citron

les relous par Christophe Conte

Nicolas Sarkozy prépare sa retraite, Marine Le Pen parle aux vrais Français, Nicolas Dupont-Aignan invente le mélenchonisme de droite et nos comiques quitteraient leurs ministères. Ségolène, elle, reste en totale planitude.

poubelle L’ex-conseiller de Mitterrand, Jacques Attali, a rédigé un rapport choc pour sortir de la crise : gel des salaires des fonctionnaires, hausse de la TVA, allocations familiales sous conditions de ressources. Vu ce que Sarko a fait du premier rapport Attali, on se demande si ça valait la peine qu’il en fasse un second…

fumée

Sylvère Selbonne/AFP

Sur France 2, Rama Yade a attaqué Cécile Duflot, genre “sur le site des Verts, je n’ai trouvé que des propositions sur les drogues”. Alors, Rama Yade, on fait dans le populo maintenant ?

Royal au bar Pataquès autour des propos de Ségolène Royal au JT de TF1 (12/10), qui demandait aux jeunes de “descendre dans la rue, mais de façon très pacifique”. Propos jugés par la droite comme une incitation à manifester, et donc à foutre la chienlit comme au bon vieux temps. Ségo, jamais à court d’une contorsion, prétend qu’elle n’a jamais appelé à manifester dans la rue. En fait, elle voulait juste inciter les jeunes à sortir boire des coups sans alcool (la fête est plus folle) et à aller au concert de Cali. Ce qui, somme toute, est assez pire.

réformé P12 Malgré la forte mobilisation contre les retraites, le président de la République a tenu en Conseil des ministres à rappeler sa détermination dans ce dossier. Selon lexpress.fr, Sarkozy aurait donc dit à qui veut bien l’entendre que “c’était un devoir de réaliser cette réforme et qu’on la mène jusqu’au bout, c’est indispensable”. Vous entendez  : jusqu’au bout ! D’ailleurs, en 2012, pour montrer l’exemple, il sera lui-même à la retraite.

vache de souche Invitée de Questions d’info sur La Chaîne parlementaire, Marine Le  Pen a appelé les vrais Français à “un sursaut vital”. Selon elle, “la pérennité de notre civilisation est en cause”. C’est exact, la pérennité de la civilisation des bovidés camionneuses aryennes, dont la famille Le Pen est une sorte de catalogue en relief, risque bien d’avoir du plomb dans la carlingue. Qui s’en plaindra ?

Aignan pr ésident ! Bien décidé à concourir au nom de son groupuscule Debout la République à la prochaine pré-

sidentielle, Nicolas Dupont-Aignan a trouvé son positionnement. Selon Le Point (14/10), il aurait dit : “Je veux être le Mélenchon de la droite.” Il a donc commencé par traiter Arlette Chabot de “pas très gentille madame”, tandis qu’il s’emportait face à une interview de Lorie par David Pujadas à coups de “jeune freluquet”, “zut votre mère” ou, encore plus saignant, “paltoquet à coiffe de Playmobil”.

remaniés Selon Le Nouvel Obs, qui consacre sa couverture du 14  octobre aux “secrets du remaniement”, Henri de Raincourt, Michel Mercier et Marc-Philippe Daubresse sont annoncés parmi les ministres non-reconduits. C’est dommage, ils étaient mes préférés. Ils sont en revanche pressentis pour la reformation des Inconnus.

très confidentiel Depuis le Vatican, Nicolas Sarkozy a envoyé en loucedé un SMS à Jean-Marie Bigard : “Le vieux t’embrasse, il regrette que tu sois pas là, il a suradoré ta blague du rabbin qui se branle sur le mur des Lamentations.”

échalote A qui le tour pour Matignon ? Dernier nom à circuler pour la succession de Fillon, Gérard Larcher, l’actuel président du Sénat. On en vient à se demander qui fait circuler ces noms ? Sarko pour se marrer, les conseillers de l’Elysée parce qu’ils savent pas quoi faire ou les intéressés pour se faire mousser ?

pétoche Alain Juppé, vous hésitez beaucoup en ce moment. Après votre remarquable “Ai-je intérêt à monter sur le Titanic” du gouvernement, récemment servi au Président, vous voilà hésitant à accueillir, comme vous l’a proposé Nicolas Sarkozy, le G20 à Bordeaux en novembre 2011. Pourquoi ? Ça risquerait de mettre un gros boxon à quelques mois des législatives. Ça va le trouillomètre ? 20.10.2010 les inrockuptibles 43

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contre-attaque

le bon tuyau des petits vieux C’est le plombier ! Les papis ont tout compris, investissant une filière que les jeunes ont désertée. Manière pour eux de tuer l’ennui et de compléter leur pension.

Hector De La Vallée

L

es papis font de la résistance. Veulent pas (tous) partir à la retraite. Sur seniorsavotreservice.com, les petites annonces abondent de messieurs d’un âge certain qui se disent touche-à-tout et disponibles pour tous travaux de bricolage. Comme ces Retraités dépanneurs, à Gagny, les associations d’anciens ouvriers et artisans fleurissent, proposant leurs services aux particuliers, à coût réel. Chacun en fonction de ses capacités, ils proposent une intervention en jardinage, pose de papier peint, de carrelage ou de moquette. Le nombre de retraités offrant leurs services pour réparer une fuite d’évier ou un ballon d’eau chaude est impressionnant. A croire qu’une génération entière de plombiers est passée comme un seul homme à la retraite. Les papis plombiers trouvent là le moyen de compléter opportunément une retraite souvent médiocre. Au passage, ils tuent un peu le morne ennui de la mise en inactivité forcée. Car on est vieux plus jeune. Et vieux plus longtemps. A  65  ans, on a souvent l’impression de n’en avoir que 50. Ce qui fait qu’en dépit des manifs pour abaisser l’âge de la retraite, encore un Français sur trois n’envisage pas de se mettre sur la touche avant 65  ans. D’ailleurs, on ne dit plus vieux. On dit seniors. Et on ne peut même pas reprocher à ces papis plombiers de voler le pain de qui que ce soit. Depuis le 1er janvier 2009, les règles légales du cumul emploi-retraite ont été assouplies. Elles devraient l’être encore. Reste qu’un jour, les vieux deviennent

vieux pour de bon. Et dans l’incapacité d’intervenir sur les bidets ou les toilettes bouchées. Qui le fera ? En passe d’être reléguée dans les archives de l’histoire, la profession de plombier n’attire définitivement plus. Les jeunes préfèrent faire informaticien. C’est moins sale. Mais pas forcément un bon calcul ! Pour achever de s’en convaincre, il faut lire l’extrait du très sérieux blog de François Jeanne, journaliste expert et chroniqueur sur ZDNet.fr : “Il faut exiger des recruteurs de jeunes infor-

maticiens qu’ils cessent de jouer ainsi avec la vie professionnelle de générations entières de diplômés. Ceux-ci semblent d’ailleurs l’avoir compris, qui ne montrent plus un enthousiasme débordant pour ces formations. Aussi, comme tous les ministres de l’Education depuis trente ans, je vous le dis, amis jeunes : choisissez un métier manuel. Avec un CAP de plombier et si vous savez vous servir d’Excel, à vous l’avenir !“ Il faut dare-dare revaloriser le métier de plombier. [email protected]

en pratique fini les fuites avec… Type d’annonce postée sur topannonces.fr : ”Bricolage plombier sanitaire (retraité avec expérience) rech. travaux chez particulier (rémun. Cesu), tél. 04 70 98 .. ..” Sur les sites d’emplois spécialisés, comme seniorsavotreservice.com, on en trouve des flopées. Reniflant le juteux marché des baby-boomers mis sur la touche à l’insu de leur plein gré, Actif senior plus, une jeune agence d’intérim, s’est même récemment créée à leur intention. Un deal gagnant-gagnant, comme on dit : les deux exploitants font leur argent avec les seniors, mais ceux-ci sont bien contents de retrouver une activité. A consulter également : jobretraite.fr et seniorscopie.com, ainsi que la lettre d’info éditée sur le net par Notre temps, magazine senior. A lire : Le Guide de la retraite active.

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France 2/Bureau de Jérusalem

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propagenda

un cauchemar moderne En septembre 2000, France 2 diffusait un reportage montrant la mort d‘un enfant palestinien sous des balles ennemies. Depuis, son auteur est la cible d‘attaques incessantes.

I

l règne dans un Un enfant est mort, le livre de Charles Enderlin, l’asphyxie, le sentiment d’absurde, de cauchemar éveillé des textes de Kafka. Joseph K. se cognait à la bureaucratie hermétique. Enderlin, lui, est devenu une cible dans la guerre de l’image. Dans son livre, il raconte comment, pendant dix ans, un réseau a travaillé obsessionnellement à sa perte. Rappel des faits  : en septembre 2000, le cameraman palestinien qui travaille pour Enderlin, correspondant de France  2 en Israël, filme la mort sous des balles très probablement israéliennes du petit Mohamed Al-Dura, au carrefour de Netzarim, à Gaza. Autour de l’homme et de son petit garçon, réfugiés derrière un tonneau, on voit les projectiles arracher des éclats aux parpaings, la poussière soulevée par les rafales, la terreur du père qui hurle en demandant qu’on arrête de tirer, puis l’impact de balles à grande vitesse qui le plaquent contre le mur. Le père est gravement blessé, l’enfant agonise et meurt. Enderlin diffuse. La séquence devient aussitôt une icône dans le monde arabe. Je connais peu d’images aussi claires d’un événement. A part peut-être celles du 11 septembre 2001. Les deux tragédies vont générer chacune leurs théoriciens du complot. Le réseau qui va s’attaquer à Enderlin est dirigé par Philippe Karsenty, conseiller municipal UMP de Neuilly-sur-Seine, proche des néo-conservateurs, et des “journalistes“ de Metula News, une “agence d’informations israélienne“. J’avais rencontré un membre de Metula News, Gérard Huber, un psychiatre. Il m’avait appelé : “J’ai la vidéo et vous allez voir, ça saute aux yeux, c’est une mise en scène.” Il voulait me convaincre de réaliser un documentaire étayant sa thèse. Il a passé les images au ralenti. Je ne voyais que chaos et panique. Lui pas. Il était dans

une autre dimension. Soudain, il avait stoppé net la bande : “Là ! Vous voyez, c’est très clair ! – Heu quoi ?...– Les trois doigts, voyons, les trois doigts !” A cet endroit-là, la main d’un homme qui fuyait passait furtivement devant l’objectif. En gelant l’image, trois doigts étaient visibles... Gérard Huber tenait LA preuve : “J’ai mené mon enquête, c’est un code dans le milieu du cinéma, ça signifie que c’est la troisième prise. C’est une scène qu’ils jouent pour la troisième fois !...” Et ce n’était pas tout, Gérard Huber avait aussi la preuve que le petit était vivant. Il me jurait qu’il avait été vu à Gaza, le jour même. Bon, il n’avait pas la “preuve” sur lui, mais il me l’apporterait si le sujet m’intéressait. Quelques mois auparavant, j’avais rencontré Thierry Meyssan, l’homme qui était sûr que l’avion du Pentagone n’en était pas un. Je trouvais chez les deux personnages la même passion obscure. La volonté de croire primait sur les faits. J’ai pensé que les deux réseaux allaient rester des phénomènes de frange, inoffensifs. Des théoriciens du complot comme l’époque en compte tant. Je me trompais. Le livre d‘Enderlin nous apprend que le réseau Karsenty a réussi à gagner à sa cause une série de notables du monde médiatique. Trois journalistes, d’abord : Luc Rozensweig, un ancien du Monde, Denis Jeambar, ex de L’Express et Daniel Leconte, producteur de documentaires. Les trois hommes ont vu eux aussi la bande vidéo, notamment troublés par des enfants qu’on

DES THÉORICIENS DU COMPLOT COMME L’ÉPOQUE EN COMPTE TANT

voit rire pendant la fusillade (je me souviens d’une invasion israélienne en septembre 2004, les rues étaient pleines d’enfants aux rires hystériques qui couraient ramasser les balles de M16 écrasées après chaque salve de la position israélienne, ils les collectionnaient comme des calots). Si le débat peut exister sur l’origine des balles (un combat urbain est un événement particulièrement chaotique), aucun journal sérieux et légitime n’est venu confirmer par une investigation les hypothèses du réseau Karsenty. Même les services secrets israéliens n’ont jamais alimenté l’hypothèse du complot. Pourtant, le cercle des soutiens du réseau s’agrandit. De noms prestigieux. Les philosophes Pierre-André Taguieff et Alain Finkielkraut, Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, Richard Pasquier, du très installé Crif... Une interview que Philippe Karsenty donne à un journal israélien en 2009 est citée par Enderlin. Elle est fascinante. C’est une sorte de méthode du refus d’enquêter que Karsenty a appliqué à l’événement. Pourquoi n’a-t-il pas tenté de rencontrer des témoins directs, demande le journaliste ? “Parce que les gens que l’on voit dans le film soutiennent les affirmations de France 2, sinon ils dévoileraient les détails.” Le fait que les services secrets israéliens n’aient jamais mentionné la moindre mise en scène ? “Qui veut se suicider ? Le premier qui le dira... C’est dangereux !” Exhumer le corps du petit Mohamed pour faire des tests ADN ? “Je ne suis pas intéressé (...) Un tel examen pourra prouver tout au plus qu’un membre de la même famille est mort le même jour...” Le livre d’Enderlin installe toutefois les termes d’une énigme qu’il ne résout pas : pourquoi des esprits aussi brillants ont-ils pu se laisser emmener par de tels arguments ? Paul Moreira Un enfant est mort (Don Quichotte), 199 pages,18 €

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débat d’idées

l’éthique de la désobéissance Exclus de la démocratie délibérative, des citoyens se mettent volontairement hors la loi. La désobéissance, nouvelle valeur démocratique ?

Conférence de presse de la Brigade activiste des clowns

Philippe Marie/Gamma

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ésobéir pour contester des mesures à l’œuvre dans un régime démocratique n’a rien d’une évidence. Il existe tant d’autres recours, moins aventureux, pour faire entendre sa voix. Alors pourquoi des profs, des postiers, des agents du Pôle emploi, des policiers ou des inspecteurs du travail refusent-ils publiquement d’appliquer une loi, un décret ou une circulaire qu’ils jugent injuste et illégitime ? “Qu’est-ce qui conduit un individu à encourir les rigueurs de la répression (en acceptant les sanctions financières, le licenciement, l’arrestation, la mise en examen, la garde à vue, le fichage ou le procès) afin de défendre ce qu’il ressent comme une grave atteinte à la liberté, à la démocratie, à la justice ou à l’égalité”, interrogent le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier dans Pourquoi désobéir en démocratie ? Ils ont combiné leurs savoirs pour dégager le sens d’un phénomène que d’autres, telle la journaliste Elisabeth Weissman (La Désobéissance éthique), s’étaient récemment attachés à décrire. Depuis les années 60-70, les causes de la désobéissance civile ont changé. Aux “nobles“ combats –  du manifeste des “343 salopes” pour la dépénalisation de l’avortement à celui des “121” pour le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie – s’en sont substitués d’autres, plus ordinaires. Des enseignants qui ne font pas passer d’évaluation à leurs élèves de CM1 et de CM2, des médecins qui n’exigent pas la carte Vitale de leurs patients, des kinés qui ne s’inscrivent pas à leur ordre professionnel nouvellement créé… Exception faite de la défense des sans-papiers qui a donné lieu en 2009 à l’appel des 144

contre le délit de solidarité, les droits de l’omme ne semblent plus être au cœur des motivations. On entend d’ici les critiques de gauche envers une démarche catégorielle et individuelle : chacun défendrait sa chapelle, pour un résultat médiocre. Mais ce que montrent au contraire les auteurs, c’est que tous réagissent plus ou moins explicitement à une même logique du résultat, qui broie les individus. L’hôpital, l’école, la

UNE VOLONTÉ DE PARTICIPER AU PROCESSUS DE DÉCISION POLITIQUE ET DE CONTRÔLER L’ACTION DES DIRIGEANTS

justice ou la police sont sommés de répondre à des objectifs chiffrés et autres indicateurs de performance finement élaborés. De plus en plus de professionnels, exclus de la délibération et dépossédés de leur métier, se mettent hors la loi car ils n’ont d’autre moyen d’exprimer leur volonté de participer au processus de décision politique et de contrôler l’action des dirigeants. Face à des “tentations autoritaires“ qui s’expriment au sein même de l’exercice démocratique, ils refusent de donner leur consentement, renouant avec l’esprit de l’Américain Henry David Thoreau, auteur en 1849 de La Désobéissance civile ou d’Hubertine Auclert qui, en 1879, refusait de payer ses impôts tant qu’elle n’aurait pas le droit de vote. Reste à savoir l’impact que peuvent avoir, au-delà de leur portée politique, des actes sporadiques et passagers. D’autant qu’ignorer cette désobéissance, qui se nourrit de l’écho qu’elle rencontre, peut suffire à la neutraliser. Mais au moins est-elle le signe d’une vitalité démocratique. Marion Rousset Pourquoi désobéir en démocratie ? d’Albert Ogien et Sandra Laugier (La Découverte), 216 pages, 20 €

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A A Bassora, le port pétrolier irakien, les Américains piquent discrètement un million et demi de tonnes de brut par mois. par Anne-Sophie Le Mauff

près cinq mois de négociations et d’entretiens avec les ministères de l’Intérieur, du Pétrole et de la Défense irakiens, nous voilà enfin autorisés à visiter ce monstre de ferraille d’un kilomètre et demi, couché sur le golfe Persique. Jamais une caméra n’avait encore pénétré jusqu’ici. Pris en sandwich entre les eaux iraniennes et koweitiennes, le terminal pétrolier de Bassora est la grande station-service off-shore du golfe Persique. Jour et nuit, cent vingt ouvriers et ingénieurs s’y relaient pour exporter plus d’un million et demi de barils par jour de pétrole irakien. Pour l’atteindre, nous naviguons deux heures sur un bateau navette de la South Oil Company, la société qui gère les champs de pétrole du sud irakien. Pas la moindre trace, ce 25 janvier 2010, de la cinquième flotte américaine chargée de sécuriser la zone avec la marine irakienne. Nous accostons le long d’une des parois rouillées de la plate-forme. Un officier irakien nous escorte. Concentré, silencieux, il suit le moindre mouvement de notre caméra. Le directeur du terminal, Ali Nasser, nous guide. Il a passé dix ans ici. Formé pendant trois mois aux Etats-Unis à la gestion d’un terminal pétrolier, il explique : “Il y a deux plates-formes, deux jauges avec chacune trois bras de chargement pour faire passer le brut du terminal au pétrolier.” Dans cet enchevêtrement de gros tuyaux blancs jalonnés de compteurs bleus circule le sang de l’économie irakienne : le pétrole brut de la troisième réserve mondiale, après l’Arabie Saoudite et le Venezuela. Contre l’une des deux plates-formes est amarré un pétrolier de 350 000 tonnes, le Navarino III : pavillon panaméen, équipage pakistanais. Au rythme de 60 000 à 70 000 barils à l’heure, le chargement durera deux jours et demi. 350 000 tonnes de brut, c’est plus d’une journée de consommation pour un pays comme la France. Coût de la cargaison : plus de 150 millions de dollars. Casquette bleue sur la tête, Abdul Muthaleb mâche un chewing-gum sans perdre une miette de notre visite. Il dirige tous les sites pétroliers du sud irakien. Regard sévère, il est les yeux et les oreilles de la South Oil Company. Il dit aux employés que nous croisons ce qu’ils doivent faire et dire. Il n’hésite pas non plus à fixer les limites. Discrètement, sans savoir que nous enregistrons, il se penche à l’oreille d’Ali Nasser : “Contente-toi de généralités… Tu réponds si elle t’interroge, mais rien de plus.” Sur la plate-forme, l’ambiance est tendue. Le cameraman, qui déjà se sentait mal à l’aise, devient blême et ses mains se mettent à trembler. Sans que je m’en sois aperçue, un officier américain surgi de la plate-forme l’a abordé et lui a recommandé de ne 20.10.2010 les inrockuptibles 49

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“quand les Américains amarrent leur bateau, ils nous disent : allez vous reposer, prenez votre pause” surtout pas essayer de “voler des images”. Le ton était celui d’un avertissement et le cameraman a eu peur. Comme beaucoup d’Irakiens qui ont connu l’occupation de leur pays, il craint le pire face à un soldat américain. C’est à ce moment-là que je remarque, à une centaine de mètres devant nous, un autre pétrolier amarré à la seconde plate-forme du terminal, la “A”. Le navire crache une fumée blanche et porte le nom d’Astro Chorus. Dès que je m’intéresse à ce navire, tout se complique. Ali Nasser élève la voix en expliquant que nous ne pouvons pas aller plus loin sur la plateforme. Deux officiers américains en uniforme sable nous barrent le passage. Le militaire qui avait intimidé le cameraman se joint à eux. Nous empêchant d’approcher du navire, ils mettent un soin particulier à ne nous adresser aucun mot ni aucun regard. Nasser explique qu’il s’est entendu avec eux pour que je ne filme rien ici. Le directeur des sites plaide notre cause : “Tout de même, c’est notre terminal, ou pas ?, dit-il à Nasser. Nous donnons l’impression que les Américains nous contrôlent. Dis-leur que les Français ne filmeront pas, qu’on veut juste aller voir.” L’ingénieur refuse. Nous faisons demi-tour. L’atmosphère se détend à mesure que nous revenons vers le Navarino III. Ce pétrolier-là, on peut en filmer tous les tuyaux, tous les boulons. Nous pouvons même accéder à son pont. Heureusement, notre caméra a réussi à voler quelques images de l’Astro Chorus et de l’échange tendu avec les Américains. Le temps de fumer une cigarette avant de repartir pour Bassora, deux ouvriers s’approchent de nous. L’un d’eux travaille depuis plusieurs années sur la plate-forme. Il lâche une curieuse confidence : “L’Astro Chorus est affrété par les Etats-Unis et le brut qu’il embarque n’est pas jaugé.” Nous aimerions le questionner là-dessus, mais le chef Abdul nous fait signe qu’il faut partir. De retour à Bassora, je décide de m’informer sur cet Astro Chorus. Est-il vraiment venu, comme l’affirme l’ouvrier, se servir sans payer à la pompe ? Internet ne fournit que très peu d’informations sur ce pétrolier. On y apprend que Chevron, la deuxième compagnie pétrolière des Etats-Unis après Exxon Mobil, le louait encore le 17 janvier 2008. Chevron le louait-il toujours quand nous l’avons vu au terminal de Bassora ? Je contacte le propriétaire du pétrolier à Athènes, la Maran Tankers Management Inc. On nous répond que, pour des raisons de sécurité, on ne peut pas nous dire qui louait le navire ni où était expédié son chargement. Nous contactons aussi Chevron, à Los Angeles, qui se contente de nous informer que “Chevron n’a aucune activité aujourd’hui en Irak”. A Bassora, cité portuaire, carrefour de toutes les intelligences du milieu du pétrole, un retraité de la South Oil Company m’amène devant un ingénieur, Taleb1. Depuis dix ans, Taleb est responsable des jauges au terminal de Bassora. Son badge professionnel le prouve. Il se dit prêt à nous raconter comment

les Etats-Unis “mettent la main sur le pétrole irakien”. Je le retrouve chez lui le soir-même. La salle de séjour est petite, ornée de deux rideaux marron aux motifs orientaux. Taleb transpire de peur. Pendant que nous préparons la caméra, il enroule un cheich autour de son visage. “Nous avons été très surpris de vous voir sur la plate-forme. L’Astro Chorus est un bateau américain. Ils se servaient en pétrole et ne voulaient pas que des journalistes français les voient faire. C’est pour cela qu’ils vous ont interdit d’approcher.” Je lui réponds que lors de notre visite, ses chefs nous ont appris que la sortie du pétrole irakien est très contrôlée : des jauges de la dernière technologie mesurent le pétrole embarqué dans les tankers ; bons de commande, tampons et jusqu’à la signature du capitaine rendent la fraude impossible. L’ingénieur explique que ces précautions sont parfois contournées : “Quand les Américains amarrent leur bateau, ils nous disent : ‘Partez, allez vous reposer, prenez votre pause.’ Leur bateau est rempli pendant deux ou trois jours. Puis ils repartent. Ils ne laissent aucun document écrit qui manifesterait leur passage ou leur ponction à la pompe. Quand je reviens voir la jauge, je la retrouve à zéro.” Cela ne pourrait-il pas signifier, justement, qu’ils n’ont pas pris de pétrole ? Il nous arrête : “Il y a le son du générateur, c’est comme ça que je sais qu’ils chargent du brut.” Cela se produit souvent ? “Environ cinq fois par mois.” Cinq fois par mois ? Si l’ingénieur dit vrai, les Américains pomperaient illégalement, tous les mois, près d’un million et demi de tonnes de brut au terminal de Bassora. Pour l’Irak, dont le pétrole assure 95 % des recettes, cela ferait un beau manque à gagner. De retour à Bagdad, nous demandons un rendezvous au ministre irakien du Pétrole. Son porte-parole, Assem Jihad, un homme corpulent aux cheveux noir corbeau, nous reçoit. Je lui rapporte ce que nous avons vu et entendu à Bassora. L’Astro Chorus ? Il ne connaît pas mais “une chose est sûre : aucun tanker ne charge du pétrole sans un accord signé avec la société Somo (la société d’Etat chargée des exportations de brut – ndlr). La procédure est stricte : pas de passedroit ou de contrat particulier pour les Américains. Que ceux qui disent qu’ils embarquent du pétrole sans payer en apportent les preuves. Si c’est avéré, nous procéderons à des enquêtes”. La rhétorique du parapluie : si les Américains volent du pétrole, on agira. En attendant, on ignore s’ils le font. Mais le pouvoir irakien l’ignore-t-il vraiment ? A Baladiyat, quartier de l’est de Bagdad, on nous sert un thé dans le salon de Mourad, un avocat qui a son bureau au ministère du Pétrole. Il nous assure en riant que dans ce ministère comme dans toutes les strates du gouvernement “chacun sait que les Américains volent du pétrole irakien”. En remplissant nos tasses, il nous rapporte une discussion entendue

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derrière la porte d’un bureau du ministère du Pétrole, en 2008. “Un grand dirigeant du pays se plaignait de la disparition de plusieurs dizaines de milliers de barils au terminal de Bassora. Un haut fonctionnaire lui a répondu qu’il n’avait pas lieu de se mettre en colère car tout le monde, lui compris, connaissait l’origine de la perte. ‘Je le sais ! Mais nous étions convenus qu’ils avertiraient à chaque fois qu’ils se servent !’, a répondu le dirigeant.” Un autre fonctionnaire de l’Etat irakien – appelons-le Yasser – témoigne lui aussi à condition de rester anonyme. Il y a encore trois ans, il travaillait comme comptable à la Somo. Il s’est penché sur des dizaines de contrats pétroliers, y compris ceux signés avec les Américains. “J’ai constaté à plusieurs reprises qu’ils ne payaient qu’une partie du pétrole acheté. Aujourd’hui, ils se servent directement à la pompe et sans payer.” Que répondent les Américains à ces accusations ? Pendant plusieurs semaines, nous avons contacté par téléphone et par email le département d’Etat américain, dirigé par Hillary Clinton. Des fonctionnaires nous ont promis une réponse, qui ne nous est jamais parvenue. Quant à l’ambassade américaine à Bagdad, elle n’a jamais répondu à nos questions. A Bassora, à Bagdad, l’Irakien de la rue est persuadé que l’Amérique rembourse ainsi une partie de son effort de guerre. Ils soupçonnent le pouvoir irakien d’ignorer le scandale en adoptant l’attitude des trois singes chinois de la sagesse : se boucher les yeux, les oreilles et la bouche. D’ailleurs, les élus du pays n’ont pas été pressés de répondre à nos questions. Sauf un : Hazem al-Araji. Il est l’un des chefs du mouvement chiite de Moqtada al-Sadr, le principal opposant à la présence américaine en Irak, qui a trente-neuf députés au Parlement. “Nous le disons : des compagnies américaines, appartenant à des hommes politiques américains, pillent le pétrole en toute liberté. – De quels hommes politiques voulez-vous parler ? – Pas la peine de donner des noms, tout le monde les connaît.” Il n’en dira pas plus. Le président Barack Obama en a fait la promesse : fin 2011, les 56 000 soldats américains encore stationnés en Irak partiront. Mais ce ne sera pas la fin de la présence américaine : ils seront remplacés par 7 000 mercenaires placés sous l’autorité d’Hillary Clinton, pour protéger cinq camps américains et deux sous-ambassades installées dans le nord du pays. Il sera intéressant de savoir combien d’entre eux, sur la plate-forme “A” du terminal de Bassora, s’occuperont de sécuriser les tankers qui viennent prendre à la pompe le pétrole irakien.

L’Irak est la troisième réserve mondiale de pétrole, après l’Arabie Saoudite et le Venezuela. Le pays tire 95 % de ses recettes de la vente de brut. Le terminal pétrolier de Bassora fait office de gigantesque station-service off-shore du golfe Persique

1. Les prénoms des témoins ont été modifiés.

en partenariat avec L’Effet papillon, le magazine de l’international, tous les samedis à 12 h 45 sur Canal+, en clair 20.10.2010 les inrockuptibles 51

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Le Carré fois deux Il partage avec son père John Le Carré les mêmes préoccupations géopolitiques. Mais c’est dans un grand roman d’aventures mixant SF et pop culture que Nick Harkaway livre sa vision du monde. par Nelly Kaprièlian photo Mattia Zoppellaro

n peut parler de mon père, ça ne me dérange pas”, dit Nick Harkaway, qui a pris un pseudo pour se lancer lui-même dans une carrière littéraire. Le genre de situation pas facile. D’autant qu’il aurait reçu le très royal à-valoir de 300 000 livres pour Gonzo Lubitsch ou l’Incroyable Odyssée (The Gone-Away World en VO, paru en 2008 en Grande-Bretagne), ce que récoltent peu de jeunes auteurs pour publier leur premier roman. Il suffit pourtant de se plonger dans le roman en question pour tomber sous le charme. Un être humain normalement constitué qui entreprend de revisiter le genre oublié de l’épopée, sur fond de monde postapocalyptique, de références

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“à l’école, on me demandait si c’était mon père qui écrivait mes dissertations” parce que l’Angleterre a eu un précédent de taille, Martin Amis, fils de Kingsley ; peut-être aussi parce que l’inventivité de Nick Harkaway, sa capacité à recréer tout un monde en mixant littérature et références cinématographiques, pour mieux nous donner à voir l’absurdité de nos gouvernements et du monde, est convaincante.

pop avec kung-fu, ninjas et pirates, situations et dialogues aussi absurdes que chez Tarantino, tout en se risquant à une métaphore de la guerre en Irak ou en Afghanistan, cet homme-là ne peut pas être complètement mauvais. “J’ai voulu écrire un livre en forme de collage”, déclare Nick Harkaway, qu’on rencontre chez lui, dans sa maison très cosy d’Hampstead, à Londres. “Comme j’ai toujours été le fils de John Le Carré, je suis habitué à ce que tôt ou tard les gens m’en parlent. Déjà, à l’école, on me demandait si c’était mon père qui écrivait mes dissertations. Ça me rendait fou mais avec le temps je m’y suis fait. Quand le livre est sorti en Angleterre, la question a très vite été évacuée, heureusement.” Peut-être

Né en 1972, Harkaway avoue avoir été d’abord inhibé par l’ombre de son père, faisant ainsi un détour d’une dizaine d’années par le cinéma avant d’affronter son désir d’écrire : “Disons que j’avais avant tout l’envie de dire des histoires. Je ne suis pas fâché d’avoir été bloqué par la stature littéraire de mon père vers l’âge de 20 ans : ça m’a évité d’écrire des conneries. J’ai donc d’abord été pendant dix ans un piètre scénariste, dont aucun des scénarios, pourtant achetés, n’a été porté à l’écran ! (rires). C’est quand je me suis marié que j’ai décidé de me mettre sérieusement à écrire. Ou alors j’arrêtais tout et je me consacrais à une œuvre humanitaire.” Il lui faudra plusieurs mois d’écriture et deux cents pages rédigées avant d’oser en parler à son père. C’était lors de l’anniversaire de sa mère, en Cornouailles : “Mon père était ravi et, pour être franc, l’avis que je redoutais vraiment, qui me terrifiait, c’était celui de ma mère, qui a été éditrice.” A table ce jour-là, ils ont dû se raconter, comme souvent, des histoires, “partager des anecdotes. Ça a toujours été le mode de communication de notre famille”. Une famille recomposée (Harkaway a trois demi-frères, qui ont eux-mêmes un autre demi-frère), unie, heureuse, aimante. “C’est possible, à condition de le vouloir. Pour moi, l’amour, la liberté, la paix ne sont pas des concepts, ce sont des actes, des verbes à transformer en actions. Cela se voit aussi dans la politique : la paix est une chose qui s’obtient en y travaillant. A la minute où vous cessez vos efforts, le pire est à craindre…” C’est peut-être de cette famille que l’auteur tire son optimisme politique, placé au cœur de son roman. A travers un groupe de jeunes gens formés dans une école militaire

top secrète, en charge de conduire des camions pour aller mettre le feu à un pipeline dans un pays qui pourrait se trouver au Proche-Orient – acte qui sauverait le monde, ni plus ni moins –, Nick Harkaway affirme qu’il marche, à sa façon déjantée, burlesque, générationnelle et pourquoi pas postmoderne, sur les traces de son père, ancien agent des services secrets britanniques et grand écrivain des chaos du monde, du soviétisme à la globalisation. Mêmes obsessions pour les questions de géopolitiques. Sauf que le fils a choisi la fable, la métaphore, le conte SF et l’absurde : “Parce que l’absurde, c’est le réel. Quand on voit l’absence de raisons pourlesquelles on est entré en guerre, et on reste en guerre, avec l’Afghanistan et l’Irak, on se dit que la réalité dépasse en absurdité tout ce que l’on pourrait croire.” Son père lui a transmis le goût de l’écriture à son insu, “ne serait-ce que parce qu’enfant, je le voyais écrire, m’en parler, lire des passages de ses manuscrits à ma mère. J’avais conscience de tout le processus”. Le Carré est resté d’un pessimisme sombre mais Harkaway s’est inventé sa propre vision : “J’aime les happy end car écrire un livre qui finit mal est une façon de se résigner au pire, d’accepter que le monde aille de travers. Or je suis pour changer le monde. Les électeurs devraient faire pression pour réinvestir le gouvernement ou les grandes entreprises, au lieu de se laisser manipuler, ce qui est le cas actuellement. Il faut redevenir collectif. Pourquoi n’utilisons-nous pas internet pour tous se rassembler et faire entendre notre voix ? Pour en revenir à mon père, si on creuse un peu, c’est aussi un optimiste : il croit fondamentalement dans la capacité compassionnelle des invidividus.” C’est, ajoute Harkaway, le vrai sujet de son premier roman, “à moins que ce ne soit celui du quatrième, que je suis en train d’écrire ? Je mélange un peu tout” (rires). En deux ans, le fils est devenu plus prolixe que le père. Gonzo Lubitsch ou l’Incroyable Odyssée de Nick Harkaway (Robert Laffont) traduit de l’anglais par Viviane Mikhalkov, 672 pages, 23 €, www.nickharkaway.com 20.10.2010 les inrockuptibles 53

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Mœbius le mutant Il s’appelle aussi Jean Giraud, selon qu’il dessine L’Incal ou Blueberry. Il est l’un des rares auteurs de BD à passer de la SF au western. La transformation: c’est le thème de sa riche exposition à la Fondation Cartier. par Clarisse Bouillet et Anne-Claire Norot photo Jérôme Brézillon

Chez lui, octobre 2010

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Dessine xtrait d’Arzak l’arpenteur, nouvel album

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C

’est l’homme aux deux noms et aux activités multiples : auteur et dessinateur de BD cultes, de Blueberry à L’Incal ; cofondateur de Métal hurlant en 1975, magazine expérimental et transgressif de bande dessinée SF ; collaborateur sur des films (Alien, Tron, Abyss, Le Cinquième Elément…). Unique dans la bande dessinée française, il a bouleversé les formes et les codes de sa discipline et on le célèbre dans le monde entier. Aujourd’hui, il sort Arzak l’arpenteur, qui redonne vie au héros d’une bande dessinée mythique publiée en 1975. Pour rendre hommage à cette carrière protéiforme et sans cesse réinventée, la Fondation Cartier lui offre une impressionnante exposition sur le thème de la transformation. Entretien > Vous êtes à la fois Jean Giraud, père du lieutenant Blueberry, et Mœbius, auteur et dessinateur de bandes dessinées de science-fiction. Pourquoi cette double identité ? Mœbius – Il était vital pour moi de prendre un pseudonyme, j’avais besoin d’un mot de passe pour naviguer d’un monde à un autre et pouvoir en revenir. Mais Jean Giraud et Mœbius n’ont toujours fait qu’un. Il y a eu une mutation de la bande dessinée dans les années 1960-70 et je suis un des rares transfuges d’un genre à un autre. J’ai l’impression d’avoir réussi cette mutation sans abandonner le point d’origine. L’idée de transformation revient souvent dans votre œuvre et c’est aussi le thème de votre exposition… Ce qui m’intéresse, c’est plutôt la difficulté à garder son identité et sa forme dans la métamorphose. Ça vient peut-être de ma bipolarité mais j’ai toujours eu du mal à garder les formes stables. Quelque chose glisse en moi qui rend les choses évanescentes. Le thème de la transformation subie s’est donc imposé. Quand mes personnages vivent normalement et que soudain des excroissances commencent à leur pousser, ce n’est pas normal mais monstrueux, presque une pathologie cancéreuse, une anarchie cellulaire ! L’instabilité physique que je traduis dans mes dessins rejoint l’angoisse de la folie, comme une métaphore de l’instabilité psychique.

Arzak l’arpenteur est la suite d’Arzach, histoire débutée il y a trente ans. Comment le personnage a-t-il évolué ? Il y a trente ans, cette histoire sans paroles très énigmatique avait quelque chose de transgressif. Arzach était une espèce de boule d’énergie. Ça se voit dans le graphisme, dans le thème, dans le choix de l’orthographe mouvante (l’orthographe du nom du héros change au gré de ses apparitions – ndlr) et dans l’utilisation que j’en ai fait au cours des années, qu’il a traversées sous forme de toutes sortes d’avatars – je l’ai décliné en posters, en dessins, en films… Généralement, je lui donnais le nom de Starwatcher, “celui qui observe les étoiles”. Récemment, la maison d’édition que nous avons créée avec ma femme et qui se consacrait à mes œuvres un peu marginales s’est voulue plus ambitieuse. Nous avons pensé que ça serait bien d’avoir un vrai titre, avec un héros. Par ailleurs, des producteurs japonais m’avaient demandé un sujet pour un film d’animation. J’avais écrit un scénario avec Arzach. Mais la production s’est effondrée et le scénario est resté. Arzak l’arpenteur vient de tout cela. Vous avez commencé à dessiner très jeune, dès les années 1950. Qu’est-ce qui vous a mené vers la BD ? Je viens d’une famille sans tradition artistique, ni du côté de mon père, qui était d’une famille bourgeoise, ni de celui de ma mère qui avait des origines paysannes. Je suis arrivé au dessin par deux biais. Dans la bibliothèque de mes grands-parents, il y avait pas mal de livres du XIXe siècle – pas de littérature mais des livres d’images, des gravures d’artistes comme Gustave Doré, Edouard Riou ou Alphonse de Neuville. Et parallèlement, à l’école, je retrouvais la culture de la jeunesse de l’époque, bercée par Tim l’Audace, Les Pieds Nickelés, Tintin… D’où ces deux pôles : le pôle Mœbius, à travers tous ce graphisme

“je prends mon succès l’esprit tranquille”

du XIXe siècle, et celui de la BD purement productrice d’images simples pour enfants sur les thèmes de l’aventure. Comment vous êtes-vous formé ? J’ai travaillé avec Joseph Gillain (Spirou, Jerry Spring…) pendant un an. On peut dire qu’il m’a initié. J’étais déjà plein de sève, j’avais vendu beaucoup d’histoires dans les journaux mais ça partait dans toutes les directions, sans forme. Gillain a structuré pour toujours mon graphisme, c’était formidable. Un voyage au Mexique en 1956 m’a apporté de nouveaux thèmes qui annonçaient Mœbius. Mais la maturation a été longue. C’est seulement quand je suis rentré à Paris que j’ai trouvé via la science-fiction une passerelle possible entre mes publications dans les journaux et mon exigence artistique. Vous avez collaboré aux films Alien, Le Cinquième Elément. Comment avez-vous découvert la science-fiction ? Quand j’étais adolescent, mon père m’a apporté un jour la revue Fiction, en me disant de la lire. Je lui ai obéi (rires) et j’ai vraiment aimé ! Cette revue mensuelle publiait des nouvelles traduites de revues américaines et des nouvelles françaises. J’ai découvert tous les grands auteurs, Heinlein, Asimov, Philip K. Dick, Jack Vance, Philip José Farmer, qui très vite sont devenus mes écrivains de référence. J’aimais la SF sociocosmique, où l’idée qu’un homme mis dans une situation d’extériorité représente le genre humain. C’est cet intérêt pour la sciencefiction qui a engendré la création de Métal hurlant en 1975 ? Il était nécessaire d’inventer ce magazine. Pour atteindre une capacité de création maximale, il fallait ruser d’une façon insupportable. Hergé avait créé une sorte de malentendu magique mais puissant : faire croire qu’il travaillait pour les enfants alors qu’il œuvrait pour tout le monde, en expurgeant sa création de tout ce qui relevait de la sexualité. Nous voulions nous émanciper de cette méthode. S’émanciper, ça voulait dire travailler à l’intérieur, dans sa tête, mais aussi socialement, parce qu’il y avait des structures de surveillance très

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Le légendaire lieutenant Blueberry, par Jean Giraud

actives – l’Education nationale, les élus, les associations de parents et la police. Il ne faut pas oublier que, quand on a sorti Métal hurlant, on a aussi créé une revue appelée Ah ! Nana, son équivalent féminin et féministe. Elle s’est arrêtée au neuvième numéro après convocation au Quai des Orfèvres, avec interdiction d’affichage – ce qui signifiait la mort de la revue. Vous y alliez fort aussi… Ben non, il s’agissait d’un numéro spécial sur l’inceste, c’était cool ! (rires) En tout cas, ça secouait. A l’époque, l’expérimentation s’imposait, nous cherchions à établir une sorte de spectre de ce qui était possible. Pour ça, il fallait tester. Mais l’envie de bousculer, de choquer n’était pas si délibérée. Cela ressemblait aux sorties de classes, quand les élèves se déversent dans la cour de récré. Ils crient, et au bout de trente secondes, ça commence à se tasser. Nous, nous entrions dans la période “cri” ! C’était sympa comme tout. On avait en plus l’impression d’être à l’unisson de tout ce qui se passait en littérature, en musique, en mode, en art, une explosion artistique tous azimuts.

Vous aimez toujours la transgression ? Pas systématiquement. Mais il y a des moments où elle est nécessaire. A l’heure actuelle, on est plutôt dans une période de résistance, de consolidation de conquêtes qui semblaient acquises mais qui, en fin de compte, ne le sont pas. Ce n’est pas facile. Et tous les gens qui par nature aiment la transgression doivent aujourd’hui ronger leur frein ! La résistance à l’autorité, c’est important pour vous ? J’ai vraiment un problème avec l’autorité et ceux qui l’incarnent, qu’il s’agisse d’un policier ou d’une personne dans mon entourage qui, d’un coup, devient autoritaire. Chaque fois, je dois faire un effort pour prendre du recul, sortir de ma pathologie de résistance ! Je dois reconstituer toute la structure sociale pour me dire que cette manifestation d’autorité peut se justifier – par deux millions d’années d’histoire ou je ne sais quoi ! En fait, je suis un anticorps à pattes ! (rires) Vous n’avez jamais caché avoir pris de la drogue. Ça faisait partie de la culture de toute une époque. J’ai utilisé le cannabis

comme un outil de travail, à doses homéopathiques. Je fumais des herbes naturelles, ni traitées ni poussées. Une inhalation, même légère, me branchait sur une autre perception du monde, de moi-même, de mon réservoir émotionnel, de mots et de références. Ma relation au cannabis est particulière : j’ai été initié au Mexique en 1956 par des artistes qui m’ont transmis une sorte de cahier des charges : n’utiliser l’herbe que pour se transcender et surtout ne jamais mettre en danger son intégrité personnelle. Je ne me suis jamais trouvé dans une situation de dépendance. Je me désolidarise totalement de la manière, profane et perverse dont la fumette s’est répandue dans les sociétés occidentales. Voir des copains s’allumer des pétards le matin au réveil fut le signal de la dérive. Je me suis dit : “Mince, on sort du sacré !” Le cannabis est un maître un peu cruel, puissant et dangereux, il faut s’en approcher avec beaucoup de précautions et de méfiance. Etes-vous à l’aise avec votre succès ? J’ai très vite considéré le talent de dessinateur comme une sorte de passe-droit extraordinaire, avec tout ce que ça peut impliquer comme risque de corruption. Le succès donne un pouvoir, ça permet de couper les files d’attente. Récemment, j’étais à la Poste pour retirer un recommandé et je n’avais pas ma carte d’identité. Le gars me dit : “C’est pas la peine, monsieur Mœbius, je vais vous apporter votre paquet.” Chaque fois, je m’interroge, juste pour éviter que ça aille de soi. Même si c’est ce que je désirais. On ne commence pas une carrière artistique en se disant : “Je ne veux pas être célèbre, je ne veux pas être aimé”. Je prends le succès avec l’esprit tranquille. L’exposition de la Fondation Cartier, c’est une volonté d’aller de l’avant, de progresser, d’étendre toujours l’image le plus loin possible, sans restriction. J’ai voulu être connu, non seulement par mes contemporains mais aussi dans l’avenir et me retrouver réintégré dans le passé. Etre connu aussi des anges, reconnu par les hiérarchies, célestes ou pas ! (rires) Mœbius-Transe-Forme jusqu’au 13 mars à la Fondation Cartier, 261, boulevard Raspail, Paris XIVe, tél. 01 42 18 56 50 www.fondation.cartier.com Arzak l’arpenteur (Mœbius Productions/ Glénat), 72 pages, 18 € 20.10.2010 les inrockuptibles 57

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l’ange damné

On a failli ne plus entendre le magnifique songwriter américain Sufjan Stevens, abattu par une crise existentielle et une étrange maladie. Son nouvel album, grandiose et bouleversant, en porte les traces. par Thomas Burgel photo Marzuki Stevens

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Q

uand tous les génies pop un peu trop vite proclamés seront retombés dans l’oubli universel, Sufjan Stevens, lui, continuera sans doute à dessiner quelques belles arabesques dans la mémoire et dans l’histoire. A 35 ans, l’Américain a déjà tiré la queue d’une belle comète sur une poignée d’albums (dont les majeurs Seven Swans, Illinoise et Michigan). Immense plume folk en même temps qu’arrangeur grandiose, multiinstrumentiste solitaire et artisan du beau absolu, l’ultraprolifique Stevens a réussi à conjuguer Steve Reich et pop-music, Gershwin et modernisme, ambitions himalayesques et ventes conséquentes. On a pourtant failli perdre le bonhomme. Une profonde crise existentielle doublée d’une étrange maladie ont englué ses ailes angéliques. Le boy-scout sage et bigot des années précédentes est presque tombé dans la folie, près de laquelle il avait de toute façon toujours gravité. Le morceau John Wayne Gacy Jr. ensevelissait déjà sous les joliesses le portrait cru et malsain d’un immonde serial-killer, prouvant une certaine attirance pour les horreurs de l’âme. Mais Sufjan a retrouvé la lumière. Une lumière noire : celle de The Age of Adz, album bouleversant où il plonge sa science musicale dans les arcanes de la furie, encrasse ses préciosités dans un paganisme brutal, parle crûment de la peur et de la mort, de la peur de sa mort, de l’enfermement et de la maladie, de lui-même et du cosmos. Entretien > En 2009, tu as beaucoup parlé de ta crise de création. Comment s’est-elle manifestée ? Sufjan Stevens – Ces dernières années, j’ai beaucoup remis en question la fonction même de mon travail, de la musique dans le monde dans ce qu’elle a de plus fondamental. Pourquoi existet-elle, pourquoi ce langage si vital pour moi, pourquoi ce besoin impératif d’en faire ? Il y a tellement de vocations plus grandes, plus utiles : les gens qui ramassent les poubelles, ceux qui transportent le courrier, les médecins. “Pourquoi je suis musicien, pourquoi je chante, quelle est ma contribution à la société ?” Ça s’est transformé en

questionnements plus larges sur mes motivations, avec le sentiment que je ne croyais plus en ce que je faisais, en ma voix. Ça explique ta longue absence ? J’ai aussi été très malade : une forme étrange de désordre du système nerveux qui m’a rendu incapable de me concentrer donc de travailler. J’avais des symptômes perturbants, étranges : je ne dormais plus, je sentais des aiguilles me transpercer les mains et les pieds. Ça a touché mon système nerveux. Je ne pouvais plus répondre aux stimuli. Je n’arrivais plus à assimiler certaines informations, même normales, basiques, sociales. Pendant quelques mois, j’ai arrêté toute activité. J’étais incapable de chanter juste, c’était beaucoup trop épuisant. Je n’avais aucune énergie, j’étais aliéné par la maladie. J’ai dû oublier totalement la musique pour me concentrer sur mon corps. Il m’a fallu cinq ou six mois pour m’en sortir. Les médecins n’ont jamais su ce que j’avais eu. Je suis allé voir des ostéopathes – pour une raison que j’ignore, la plupart de mes symptômes se traduisaient par une forme de stress musculaire, je perdais ma mobilité et seules les manipulations ou l’acupuncture m’ont m’aidé. Dès que j’ai commencé à me sentir mieux, j’ai programmé la tournée : je voulais absolument jouer sur scène. J’avais passé tellement de temps isolé à Brooklyn, introverti, à ne penser qu’à moi-même… Comment cela s’est-il traduit dans ta création ? The Age of Adz indique un changement dans mon approche. Je n’ai pas essayé de donner un lustre particulier à l’album, je ne crois pas qu’il comporte beaucoup de poésie, il reste pour moi intime et instinctif. C’était nécessaire pour

que je puisse me sentir à nouveau connecté avec ce qui fait la matière crue et fondamentale de la musique : les émotions primitives. L’album s’inspire beaucoup du travail de l’artiste outsider Royal Robertson… Le bonhomme souffrait de schizophrénie, il était empli d’une colère incroyable. Son travail apparaît extrêmement brut, juvénile. Quelque chose de possédé, d’obsessif transpire dans tout ce qu’il crée. Je pense que ça ne peut provenir que d’une coupure extrême avec le monde, c’est le résultat de sa maladie ainsi que de son incapacité à différencier la réalité et l’imaginaire. Royal plane sur le projet comme une ombre tutélaire mais je tenais à ne faire aucune référence culturelle, géographique ou historique le concernant. Je cherchais plus à m’engager dans sa vision, son espace cosmique ; d’une certaine manière, j’ai intégré son travail au mien. Une forme de folie plane sur cet album, une voix qui imprime sur chacun des morceaux le sens de la perte et du désespoir. D’une certaine manière, j’ai saisi la voix de Royal, le fardeau de son expérience et la façon dont il souffrait de l’isolement. Mais c’est toujours moi, ça reste quelque chose de très personnel. La plupart des chansons traitent directement de mon profond désir physique, du besoin d’affection, de contact après des mois de solitude. Le travail de Royal porte précisément là-dessus. Il y a une grande orientation cosmique mais c’est aussi très intime, physique. Il parle de l’argent dont il a besoin pour manger, de sa volonté d’avoir une relation charnelle avec une femme. Dans le même temps, j’y trouve un parallèle bizarre entre le cosmos, l’outre-espace et l’espace

“je ne dormais plus, je sentais des aiguilles me transpercer les mains et les pieds”

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Album The Age of Adz (Asthmatic Kitty/ Differ-ant) sufjanstevens.bandcamp.com Interview intégrale sur lesinrocks.com

l’art des barges Ils n’ont jamais appris l’art et n’ont souvent trouvé leur inspiration que dans les méandres de la folie profonde et violente.

P

our The Age of Adz, Sufjan Stevens s’est beaucoup inspiré de l’œuvre et de la vie de Royal Robertson (19361997). “Prophet” Royal Robertson, ancien peintre de panneaux routiers, est devenu peintre tout court et totalement cintré quand sa femme Adell l’a plaqué. Comme le décortique le sobre et magnifique documentaire Make, qui s’intéresse également aux cas bouleversants des artistes Judith Scott, Hawkins Bolden ou Ike Morgan, s’enclenche alors pour le bonhomme le tourbillon effrayant de l’enfer mental et de l’isolement extramondain, des visions violentes, bibliques et prophétiques, nourries d’obsessions pour le cosmos et de paranoïas aiguës, de la croyance en un complot mondial des catins unifiées menant le monde à son apocalypse. Royal Robertson fait partie des outsider artists, autodidactes devenus artistes sans faire les beaux-arts, génies sans éducation préalable, créateurs à la marge dont

RoyalR obertson, devant chez lui, 1991. Sufjan Stevens a utilisé une de ses œuvres pour la pochette de son album

la chose, par définition, ne possède qu’elle-même pour référence. Certains sont sains d’esprit. Mais les plus passionnants de ces punks véritables sont totalement mabouls – bipolaires effrayants, schizos au dernier degré. Des marges aux barges, la frontière est parfois infime. En musique, les cas pathologiques sont nombreux, passionnants et souvent émouvants. Derrière le désormais célèbre Daniel Johnston se planquent des dizaines de personnages tarés, d’histoires folles, de parcours brisés, de cinglés patents. Hasil Adkins, grande influence du punk qui, enfant, a découvert la musique sur le transistor de papa. Il a cru qu’Hank Williams jouait de tout tout seul, s’est mis à vouloir faire pareil, s’est fabriqué un instrument avec des fils de fer et une boîte de conserve, a inventé le psychobilly, enregistré des dizaines d’albums parlant de poulets, de décapitation, de police et de hot dogs, mangeait quotidiennement des kilos de viande crue et autant de vodka.

Michael E. Smith. Courtesy of At Home Folk Art Gallery

intime du corps. L’album porte aussi beaucoup sur le système nerveux. Notre société reste obsédée par l’espace et ses mystères mais nos corps et nos âmes se révèlent aussi vastes et énigmatiques. The Age of Adz est assez désespéré… Nous avons désormais conscience de la finitude de notre monde, d’un mode de vie postindustriel qui n’est pas tenable. Ça remet en question notre rôle en tant qu’être humain ; au final, notre façon de vivre nous engage dans un génocide. J’en suis extrêmement conscient et cela peut devenir assez traumatisant. Avais-tu quelque chose de particulier en tête quand tu as commencé à écrire The Age of Adz ? J’ai pris la décision de mettre de côté mes instrumentations standard – piano, guitare, banjo. J’ai arrêté d’écrire des chansons pour expérimenter des sonorités sur un vieux synthétiseur analogique. J’avais un peu joué avec l’électronique auparavant mais jamais aux dépens du reste. Beaucoup de chansons sont nées de cette expérimentation sur les sons et les techniques – pour laisser advenir les accidents et les surprises. Il reste pourtant énormément d’orchestrations… J’ai superposé les arrangements sur ce paysage sonique basé sur l’improvisation, sur quelque chose de primal, sur des instincts fondamentaux. En tant qu’artiste, voire artisan, je me suis senti obligé de structurer tout cela, d’appliquer des formes plus traditionnelles sur quelque chose de non-traditionnel. Mon processus n’a pas forcément changé, mais j’ai dû commencer par me saboter pour revenir ensuite vers mes vieilles habitudes. Je ne pense pas que l’album soit si différent des précédents ; ce sont encore des chansons, c’est toujours moi qui chante, et il y a toujours cette espèce de pompe qu’on retrouve sur mes autres disques. L’album trouve aussi sa source dans les rythmes, le mouvement – des choses physiques qui peuvent parler à tout le monde. Mais ça reste de la pop-music. Peut-être ce que j’ai sorti de plus pop jusqu’à présent.

Florence Foster Jenkins, riche femme persuadée d’être une grande cantatrice quand son chant évoquait plutôt l’égorgement d’une truie à la chignole rouillée, donnait chaque année de luxueux concerts auxquels se pressait le Tout-New York pour se payer une bonne poilade. Pauvre hère très schizophrène, mort à 40 ans, Wesley Willis était un clochard pas vraiment céleste aux chansons obscènes et primitives (My Mother Smokes Crack Rocks, Cut the Mullet…). Jack Mudurian, mais aussi le zinzin illuminé québécois Normand L’Amour, ou encore Larry “Wild Man” Fischer : autant de personnages dont les biopics, s’ils existaient, ressembleraient plus à Las Vegas Parano qu’à Walk the Line. T. B. A voir : Make de Scott Ogden et Malcolm Hearn (documentaire à paraître sur Asthmatic Kitty). A écouter : Songs in the Key of Z, vol. 1 et vol. 2 (Gammon/en téléchargement). A lire : Songs in the Key of Z: The Curious Universe of Outsider Music par Irwin Chusid (A Cappella Books/ Chicago Review Press). Outsider music : le vrai punk, c’est ça (sur lesinrocks.com)

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british pop

COLLECTORAMA

DU SWINGING LONDON À LA BRITPOP

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US Air Force

drones de mort

Utilisés presque tous les jours par l’armée américaine en Afghanistan, ces avions sans pilote sont en train de bouleverser l’art de la guerre. Fascinant et inquiétant. par Marc Beaugé

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es gars se planquaient dans une petite maison au cœur d’un village paumé, à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Ils se croyaient à l’abri. Mais ils sont morts tous les sept, atomisés par un premier missile, puis un deuxième. Ils n’ont rien entendu, rien vu venir. Le drone volait silencieusement à plusieurs kilomètres au-dessus de £leur tête. Le pilote – le tueur – était à douze mille kilomètres de là, tranquillement installé dans la base de commandement de Creech, au Nevada, devant deux écrans de contrôle. Il lui a suffi d’appuyer sur le bouton rouge de son joystick pour que tout pète. C’était le 10 octobre dernier, et c’était

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A gauche, un opérateur de drones sur la base de commandement de Creech, Nevada. Il pilote le Predator (ci-dessus), l’un des plus utilisés par l’armée américaine. Créé dans les années 1990 pour des missions d’observation, ce drone est désormais équipé de deux missiles

la routine. Depuis plusieurs semaines, les Américains multiplient les attaques de drones. Alors qu’ils en menaient à peine une par semaine en 2008 et 2009, ils en ont totalisé 24 au cours du seul mois de septembre, pour un bilan de 140 victimes. A ce rythme, les attaques pourraient bientôt être quotidiennes. Pour Michel Polacco, spécialiste de la question à Radio France et aviateur, c’est un véritable tournant dans la pratique militaire. “Jusque-là, les drones servaient d’outils d’appoint pour les avions de guerre classiques et on ne les utilisait que pour des missions d’observation et de renseignement. Depuis le début de la guerre en Afghanistan, le rapport s’inverse. Ils remplissent de plus en plus les tâches autrefois réservées aux avions. Surtout,

c’est le premier conflit dans lequel les drones tuent.” Même l’écrivain Maurice G. Dantec n’avait pas anticipé un développement aussi rapide. Dans Babylon Babies, paru en 1998, il prophétisait la guerre de drones pour 2013 seulement. En anglais, le drone est un “bourdon”. C’est un aéronef sans pilote à bord. En France, des drones sont régulièrement utilisés pour assurer la sécurité d’événements à hauts risques. Ce fut le cas lors du voyage officiel du pape Benoît XVI en septembre 2008, ou pour le sommet de l’Otan à Strasbourg en avril 2009. Ailleurs, ils luttent contre les incendies, contrôlent des ouvrages architecturaux, surveillent des frontières, viennent en aide aux victimes

de catastrophes naturelles (après le tremblement de terre en Haïti en 2010 notamment) ou retransmettent des compétitions sportives. Le photographe Raphaël Dallaporta en a même récemment utilisés pour enregistrer des images de site archéologique au sud de Kaboul. Depuis quelques semaines, un modèle de drone à 300 euros, piloté par iPhone et capable de filmer, est aussi commercialisé. Intrinsèquement, un drone n’est ni bon ni mauvais, il est ce qu’on en fait. Et depuis des décennies, c’est surtout une arme de guerre. Lors de la Seconde Guerre mondiale, on envoyait des bombes télécommandées, mais les premiers véritables drones militaires furent utilisés par les Américains pendant la guerre du Vietnam. 20.10.2010 les inrockuptibles 65

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Kate Brooks/Cosmos

Au cours du seul mois de septembre, les attaques ont fait cent quarante victimes en Afghanistan et au Pakistan. Certaines études affirment qu’un tiers des victimes de drones sont des civils

A l’époque, ils relevaient des informations en terrain ennemi, localisaient des missiles terrestres, coupaient des communications et larguaient même des prospectus. Les Américains, à peine concurrencés par les Israéliens, n’ont pas perdu leur avance. Ils fabriquent les drones, les vendent et en usent. De 2002 à 2009, leur flotte est passée de 167 drones à près de 7 000 appareils. Certains sont plus grands que des Boeing 767, d’autres ressemblent à des avions miniatures. Les plus petits, encore en voie de développement, ont des tronches de libellule. Aujourd’hui, les modèles servant simplement à la reconnaissance restent majoritaires, mais les drones armés sont en constante augmentation. Il n’y en avait que 22 en 2002, il y en a aujourd’hui près de 150. Financièrement, l’armée s’y retrouve : un drone coûte beaucoup moins cher qu’un avion de chasse. Techniquement, ils ont aussi des avantages. “Leur principal atout est leur autonomie”, juge JeanJacques Cécile, auteur de La Guerre des robots a commencé et ancien du renseignement militaire. “Alors que la mission d’un pilote ne dépasse jamais

huit heures, certains drones peuvent voler pendant trente heures. Ils peuvent aussi intervenir sans risque dans des territoires difficiles d’accès, comme au Pakistan et en Afghanistan.” Pour Michel Polacco, la prolifération des drones a aussi une résonnance politique. “Dans des conflits longs, compliqués et contestés, la mort ou la capture d’un pilote sont des catastrophes. L’effet politique et médiatique est terrible. Les drones réduisent ce risque-là.” Barack Obama est particulièrement sensible à cet argument. Au cours de sa première année de mandat, l’armée a commandé plus de frappes de drones que sous George W. Bush en huit ans de pouvoir. Désormais, on tue assis devant son ordinateur. On tue les fesses au chaud. En juin dernier, Philip Alston, rapporteur spécial des Nations unies pour les exécutions extra-judiciaires, dénonçait cette façon de faire la guerre. “Les opérateurs sont basés à des milliers de kilomètres du champ de bataille et participent au combat à travers des écrans d’ordinateur et des systèmes audio. Il y a un risque de voir

se développer une mentalité PlayStation dans l’acte de tuer.” Les opérateurs, pour la plupart anciens pilotes, font eux-mêmes état de ce malaise à tuer à distance, entre deux pauses café. La solution de l’état-major pour les apaiser ? Une balade sur le terrain de temps en temps. Mais la prolifération des drones pose surtout la question des bavures. Selon certaines études, les frappes tuent un tiers d’innocents. Ainsi, l’attaque qui a éliminé Baitullah Mehsud, chef des talibans pakistanais, a également provoqué la mort de sa femme, de son beau-père et de sa belle-mère, ainsi que de sept gardes du corps, tous considérés comme des civils. Pire : avant d’aboutir, l’attaque fatale a été précédée par une quinzaine de frappes infructueuses. Combien de civils tués ? On ne sait pas. A vrai dire, on ne sait pas grand-chose de ces frappes car la plupart ne relèvent plus du Pentagone mais de la CIA. Elles sont donc secrètes et échappent à tous les contrôles. Sont-elles illégales ? Les Nations unies refusent de l’envisager pour le moment mais

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pour apaiser le malaise des opérateurs, l’état-major les envoie de temps en temps sur le terrain

US Air Force

Le Global Hawk est l’un des drones les plus perfectionnés de la flotte américaine. Réservé à l’observation, il peut évoluer à 20 kilomètres d’altitude et voler plus de trente heures sans escale. L’US Air Force dispose d’une quarantaine de drones de ce type

la thèse a ses partisans. Parmi eux, Mary Ellen O’Connell, vice-présidente de l’American Society of International Law. “Dans la plupart des attaques de drones, explique-t-elle, les Etats-Unis ciblent un seul individu mais beaucoup meurent, ce qui pose la question de savoir s’ils respectent l’immunité des civils.” Elle accuse aussi les Etats-Unis de déployer “des drones hors des zones officielles de conflits, au Pakistan et au Yémen”. Gary Solis, spécialiste de droit militaire à l’université de Georgetown, va encore plus loin. Pour lui, “ce n’est pas une guerre mais un programme d’assassinats ciblés, comme celui que nous condamnons chez les Israéliens lorsqu’ils éliminent des figures du Hamas”. Contestables au niveau moral et juridique, les attaques de drone sontelles efficaces du point de vue militaire ? Théoriquement en mesure de distinguer une marque sur un paquet de cigarettes, les drones n’ont toujours pas permis d’atteindre les chefs d’Al-Qaida. Ils n’ont pas non plus empêché les talibans de se rapprocher de Kaboul. Au Pakistan et en Afghanistan, leur usage, perçu

comme un flagrant manque de courage, renforcerait même la motivation des insurgés. “Chaque mort d’un noncombattant déclenche l’hostilité d’une famille, un nouveau désir de revanche et davantage de recrues pour les insurgés”, résumait récemment un ancien conseiller du Pentagone. Mais il en faudrait plus pour ralentir la prolifération des drones. En 2010, pour la première fois, l’armée américaine aura formé plus d’opérateurs de drones que de pilotes de chasse. Cette année, elle aura dépensé 3,8 milliards de dollars1 dans l’achat de nouveaux appareils. Ce n’est pas forcément une bonne chose pour les militaires en charge de leur exploitation. Ceux-ci croulent sous les informations collectées et sont incapables de les exploiter. Il leur faudrait vingt-neuf ans pour visionner les images enregistrées l’an dernier par les drones américains en Afghanistan, en Irak et au Pakistan. 1. Le budget de l’armée américaine a augmenté de 74 % entre 2002 et 2008. Il est actuellement de 715 milliards de dollars par an. 20.10.2010 les inrockuptibles 67

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c’est l’histoire de… Plus de cent films et aujourd’hui Mystères de Lisbonne, splendide fresque balzacienne. Rencontre avec Raúl Ruiz, cinéaste baroque et conteur fascinant. par Serge Kaganski photo Christian Lartillot

C

Raúl Ruiz

e boulimique de travail a réalisé son premier film en 1961. Il a tourné au Chili, en France, au Honduras, en Allemagne, au Portugal, aux Etats-Unis… Des polars, des films d’aventures, des expériences formalistes, des feuilletons, des telenovelas, des mélodrames, des comédies, des tracts pataphysiques, quelquefois tout en même temps. C’est un conteur fascinant, doté d’une érudition infinie et d’un humour aussi fin qu’irrésistible (il est capable de digresser avec humour sur les queirozistes, partisans du romancier Eça de Queiroz, et les camilistes, fans de Camilo Castelo Branco – équivalence lusitanienne d’une querelle entre balzaciens et flaubertiens). A près de 70 ans, ayant frôlé la mort à la suite de graves ennuis de santé, Raúl Ruiz signe Mystères de Lisbonne, d’après Camilo Castelo Branco, produit par un autre célèbre Branco, Paulo. Au départ série de six heures pour la télévision portugaise et Arte, cet éblouissant fleuve de cinéma romanesque et feuilletonesque a été ramené à un film de cinéma de quatre heures et demie pour les salles françaises. Quatre heures et demie qui passent comme une heure, tant cette coulée filmique évoquant aussi bien Balzac ou Dumas que Rembrandt ou Vélasquez se révèle un chef-d’œuvre récapitulatif et terminal qui n’a pourtant

rien de monumental ou d’intimidant. Ni de terminal d’ailleurs, puisqu’ayant repoussé la maladie et la mort, l’incroyable Raúl Ruiz s’est déjà lancé dans de nouveaux projets. Pour Mystères de Lisbonne, il a fait tourner des actrices françaises. “C’était assez théâtral, se souvient Clotilde Hesme, Raúl faisait beaucoup de plans-séquences. On savait qu’on ne serait pas récupérés au montage ! J’avais beaucoup de texte, très écrit, à l’exception d’une scène où j’ai dû improviser un peu. Je n’ai jamais vu un plateau de cinéma aussi silencieux, un tel silence de travail, de concentration. Aucune hystérie. C’est le metteur en scène qui amène ça, avec une intelligence et une acuité formidables. Les grands ne parlent pas, seule la puissance de leur mise en scène fait jouer les acteurs.” Léa Seydoux a tourné trois jours pour quelques scènes : “C’était bref mais je suis très contente de l’avoir fait. Raúl était affaibli, tout le monde essayait de ne pas causer de troubles, d’être très concentré. Quand je tourne, certains réalisateurs me touchent par la façon de porter leur film, on sent qu’ils sont complètement investis, qu’ils y mettent toutes leurs forces, toute leur âme. Raúl est extrêmement bouleversant. Je n’avais pas lu le scénario intégral, je me laissais porter, je m’offrais à lui. C’est un film réalisé avec peu de moyens mais très riche, comme La Belle et la Bête de Cocteau.” Raúl Ruiz est né et a grandi de l’autre côté de la terre, dans le lointain Chili. Son goût pour les structures labyrinthiques naît des feuilletons radiophoniques

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A son domicile parisien, octobre 2010 20.10.2010 les inrockuptibles 69

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1968 : un jeune cinéaste chilien signe son premier long métrage. Tres tristes tigres est la chronique en noir et blanc du week-end d’été à Santiago de trois marginaux

qu’il écoute assidûment et des livres qu’il dévore enfant : “Je lisais des auteurs comme Stevenson, Chesterton… Le boum de la littérature latino n’avait pas encore eu lieu, je ne connaissais pas Borges. Il existait une littérature chilienne, mais plutôt des fresques socialistes gigantesques, inspirées par Jack London.” Il aime aussi le théâtre de l’absurde (Adamov, Ionesco…) et le cinéma. “Je voyais des films pas forcément bons, comme Les Espions de Clouzot, film provocateur, volontariste, mais qui contient de très jolies choses. Ou des films atypiques comme Mickey One d’Arthur Penn.” Quand on lui demande comment il est devenu cinéaste, Ruiz propose malicieusement une réponse freudienne et une réponse marxiste. Selon la première, quand à 10 ans il voit Jeanne d’Arc de Victor Fleming avec Ingrid Bergman, il est pris de l’envie irrépressible d’entrer dans le film, de prendre Jeanne/Ingrid dans ses bras, de la sauver et de fuir avec elle. “J’ai découvert qu’un réalisateur pouvait faire ça, sauver un personnage condamné ! Je l’ai d’ailleurs souvent fait dans mes films.” Selon le point de vue marxiste, Ruiz comprend grâce à la Nouvelle Vague qu’il est possible de faire des films avec le peu de moyens financiers disponibles au Chili. Il tourne son premier film, le court métrage La Maleta, en 1961. Cette première période chilienne est, de son propre aveu, assez expérimentale, un peu dans la lignée de Film de Beckett, loin du baroque débridé qui fera sa réputation. “Notre esthétique était radicale, on voulait arriver au degré zéro du cinéma.

Coll. Cat’s

1983 : Les Trois Couronnes du matelot. Dix ans après le coup d’Etat de Pinochet, neuf ans après son arrivée en France, Raúl Ruiz obtient un vrai succès d’estime avec ce flamboyant conte maritime

Nous étions très influencés par la culture et les idées françaises. Notre cinéma était très dépouillé.” Le 11 septembre 1973, un coup d’Etat précipite la chute du président socialiste Salvador Allende et la prise de pouvoir sanglante du général Pinochet. Peu porté sur l’idéologie ou les prises de positions politiques affirmées, Ruiz parle de cette période avec un surprenant détachement. “J’ai été très pragmatique. Quand j’ai vu qu’on arrêtait le cinéaste Patricio Guzmán, je me suis dit, ça va continuer, c’est le moment de quitter le pays. Je suis parti un mois après le coup d’Etat. Le geste héroïque consistait à ne pas se couper les moustaches. Les moustaches, c’était la gauche !” Le moustachu n’émigre pas tout de suite en France. Epousant des trajectoires sinusoïdales surprenantes, comme une préfiguration de ses films à tiroirs, il atterrit à Ouarzazate, au Maroc. Le cinéaste Peter

“j’ai failli créer un club anti-Petit Prince ! Je l’ai relu depuis, ce n’est pas si mal”

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1997 : Généalogies d’un crime. Au faîte de sa gloire, le cinéaste accède désormais au star system du cinéma français. Après Marcello Mastroianni, avant Isabelle Huppert, Laetitia Casta ou Bernard Giraudeau, Catherine Deneuve s’insère dans les torsions baroques ruiziennes. Ici aux côtés de l’acteur fétiche du cinéaste, Melvil Poupaud

1992 : irruption d’un Inconnu superstar. Didier Bourdon dans la petite fabrique ruizienne, qui, après une baisse de régime à la fin des années 1980, retrouve toute sa vigueur avec L’œil qui ment

1999 : Le Temps retrouvé. Proust passé à la moulinette facétieuse et pas déférente pour deux sous de Raúl Ruiz

Lilienthal, juif allemand uruguayen que Ruiz a connu au Chili, l’a fait venir sous prétexte d’une bourse bidon. Lilienthal lui présente un de ses amis producteur à la télévision publique allemande et Ruiz part tourner un film au Honduras pour la deuxième chaîne allemande ! A cette époque, il croisera des gens comme le cinéaste allemand Werner Schroeter. Il arrive en France vers la fin de l’année 1974. “J’ai d’abord fait des courts puis Dialogue d’exilés, un film politique mais ironique qui m’a créé des problèmes. Mes compatriotes ont mal réagi parce que je n’étais pas assez pathétique. Je me suis retrouvé puni d’un double exil : exilé du Chili et exilé de la communauté chilienne de Paris ! Le PCF m’a accueilli, ce qui en dit long sur les circonvolutions ironiques de la politique ! J’ai sympathisé avec les gens des Cahiers du cinéma de l’époque : Pascal Bonitzer, Serge Daney… Ils sortaient de leur période maoïste et rigolaient plus qu’avant. Une époque riche, très ouverte.” Soutenu par Daney, l’un des critiques les plus influents de l’époque, Raúl Ruiz entame ce qu’on pourrait appeler sa période Stevenson avec Les Trois Couronnes du matelot, La Ville des pirates ou L’Ile au trésor, série de films mêlant onirisme, aventure et parfum de contes sortis de vieux grimoires, une traduction de ses passions littéraires enfantines. “La Ville des pirates, c’est un cocktail entre Salvador Dalí, Walt Disney, Raymond Roussel, avec aussi une critique de Saint-Exupéry. J’ai failli créer un club anti-Petit Prince ! Je l’ai relu depuis, ce n’est pas si mal.”

Ruiz installe sa réputation de cinéaste conteur, baroque et romanesque. Sans toucher un très large public, il fait son trou en France, s’enracine dans notre pays et notre cinéma. Il enchaîne les projets, dirige un temps la scène nationale le Volcan au Havre. Dans les années 1990, il connaît sa période peut-être la plus florissante, artistiquement et commercialement, et tourne avec des stars comme Catherine Deneuve, Marcello Mastroianni, Michel Piccoli ou des figures populaires comme Pierre Bellemare, Didier Bourdon et Laetitia Casta (Les Ames fortes en 2001). “A mes débuts en France, Pierre Bellemare était le seul Français que je comprenais à la radio. Quand je l’ai rencontré, on a commencé à se raconter des histoires. Bellemare est très chilien pour ça. Il a une culture proliférante où tout se mélange, des recettes de cuisine à Mallarmé ! Deneuve, elle, m’a écouté puis m’a dit : “OK, vous pouvez utiliser mon nom !” Sous-entendu, vous pouvez monter financièrement votre film.” Ruiz enchaîne Trois vies et une seule mort, Généalogies d’un crime ou Les Ames fortes d’après Giono. A la même époque, il tourne Le Temps retrouvé, transposition à l’écran de la dernière partie d’A la recherche du temps perdu, le chef-d’œuvre réputé inadaptable de Proust. Ruiz s’en sort magnifiquement, avec un film complètement ruizien qui réussit à retranscrire l’esprit de Proust tout en présentant l’élite des acteurs français du moment sous leur meilleur jour : Deneuve, Béart, Pascal Greggory, Edith Scob, sans oublier John Malkovich ou la mascotte de Ruiz, Melvil Poupaud. 20.10.2010 les inrockuptibles 71

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2010 : retour au sommet avec Mystères de Lisbonne. Ici, le cinéaste et deux des comédiennes du film, Léa Seydoux et Clotilde Hesme

S’il est vain de comparer le film au livre, Le Temps retrouvé surclasse infiniment les adaptations littérales du type Un amour de Swan de Volker Schlöndorff. Présentée à Cannes, cette production très ambitieuse sera l’un des plus gros succès de Ruiz. Après ce coup d’éclat, la carrière de Ruiz suivra un cours plus inégal malgré de jolies réussites comme Ce jour-là, hilarante comédie avec Bernard Giraudeau. Mystères de Lisbonne n’en surgit qu’avec plus de puissance. Quand Paulo Branco lui a proposé de travailler sur Castelo Branco ou sur Cosmopolis de Don DeLillo (finalement pour Cronenberg), Ruiz a choisi le roman feuilletonesque : il adore le mélodrame. “Je suis sensible à l’aspect onirique, voire surréel, de ces histoires abracadabrantes. Et j’aimais bien Castelo Branco, que je connaissais à travers les films d’Oliveira. On trouve chez lui un côté portugais que j’apprécie beaucoup : on installe le mélodrame puis on l’oublie. Ça pourrait se terminer très mal, mais chez Castelo, ça se termine abruptement, ni bien ni mal, et on passe à autre chose.” Luxe rare pour lui qui commence parfois à tourner avant d’avoir un scénario, Ruiz dispose de six mois pour préparer le film et de trois mois pour tourner. Malgré sa splendeur, Mystères de Lisbonne n’est pas une production gigantesque. Pour les décors, l’Etat portugais a prêté ses nombreux palais et couvents. La structure en feuilleton permet une grande liberté dont le cinéaste s’est enivré. “Les personnages peuvent disparaître puis réapparaître quand on les avait oubliés, retour impensable dans une structure classique

“sous Pinochet, c’était héroïque de ne pas se couper les moustaches” en trois actes. Avec le feuilleton, les proliférations sont admises et même souhaitables.” Pourtant, Ruiz avoue garder un souvenir mitigé de l’expérience, pour une raison très simple : il croyait tourner son dernier film. “Le médecin a été assez honnête pour me dire que mes chances de survie étaient à 50-50. Puis c’est devenu 5-95. Ma santé était un feuilleton ! Ça a rendu le tournage solennel, pathétique, que sais-je ? Mais ça m’a obligé à aller à l’os. Ce n’est pas un film obèse.” Avant de prendre congé d’un Ruiz amaigri mais arborant une suprême élégance de séducteur latino, on se demande si après ces quelque quarante années passées en France, il se sent plutôt français ou plutôt chilien, si son ironie constante ne cache pas avec pudeur une blessure d’exilé jamais cicatrisée. Sa réponse claque comme un magnifique viatique pour temps d’identités nationales. “Je ne sais pas où est ma seconde patrie : parfois le Chili, parfois le Portugal, parfois la France. Mon domicile fixe est ici, à Paris… pardon, à Belleville, nuance. Ici, c’est le monde, les nationalités les plus invraisemblables s’y côtoient.” Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz, lire critique pp. 74-75.

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Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz Adapté d’un roman-fleuve portugais, un feuilleton grandiose et échevelé brassant les pays, les générations et les destins. Ruiz signe son chef-d’œuvre, et plus encore.



uelquefois, le cinéma le plus romanesque peut vous toucher aussi directement qu’un film qui vous parlerait de vous-même. Non qu’il vous ressemble avec une acuité telle que le miroir brandi vous brise le cœur, mais parce qu’il réveille de sa somnolence une fleur inconnue en vous, qui ne s’ouvre que très rarement – la fleur de l’art. Le cinéma romanesque n’est pourtant plus tellement en forme. Captif d’adaptations académiques excessivement coûteuses, il semble s’être réfugié avec davantage de bonheur dans des formes plus contemporaines (Two Lovers de James Gray). Il existe pourtant actuellement deux grands cinéastes romanesques. Ils ne sont ni anglo-saxons ni français, mais originaires de ce Sud où les fictions ténébreuses abondent. Le premier est portugais, c’est Manoel de Oliveira qui, avec Francisca, Val Abraham et La Lettre, a inventé un cinéma romanesque lusitanien capiteux et tordu. Le second est chilien,

c’est Raúl Ruiz, connu pour sa prolixité et ses explorations labyrinthiques du souvenir, et qui se place ici sous l’égide du premier (même écrivain de chevet – Camilo Castelo Branco –, même langue, même producteur – Paulo Branco), mais une égide amusée tant la malice est perpétuelle chez ces hommes du Sud. Reprenons depuis le début. Mystères de Lisbonne est un film-fleuve nouant les destins d’un prêtre, d’un vil séducteur, d’un semi-orphelin, d’une amoureuse éconduite, d’une épouse tyrannisée. Un jeune bâtard se découvre une mère aimante. Une jeune femme brune poursuit de sa vengeance l’homme qui l’a anéantie. Une jeune femme blonde doit choisir entre trois jeunes hommes et se trompe peut-être. Elle mourra jeune. Les intrigues, successives et orchestrant cependant des réapparitions, s’accrochent les unes aux autres comme les excroissances aventureuses (surprise des tours de la fiction) et pourtant préméditées (justesse des rebondissements) d’une vaste toile d’araignée.

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raccord

debout le mort

On peut parler de miracle, car le genre romanesque aboutit à une équation inouïe : la splendeur et la légèreté tout ensemble. Splendeur de la mise en scène, avec ces mouvements coulissants faisant surgir les personnages comme autant de fleurs sauvages et pensives, menacées par la trame des secrets. Splendeur du décorum reconstitué avec une finesse d’aquarelliste. Mais aussi légèreté par la relance du découpage en épisodes, et surtout par un humour proche de l’impassibilité d’Oliveira, mais encore égayé par des cocasseries à la Guitry : un valet sautille comme un caniche trop bien élevé, mille et une servantes espionnent au grand jour des secrets que les personnages principaux sont bien les seuls à croire défendus, un esprit cosmopolite veille au grain. On peut parler de chef-d’œuvre, mais ce serait négliger la dimension si alerte d’un film où l’esprit parieur métamorphose chaque scène en coup de dé. Pourtant, la toute fin du film atteint quelque chose de sublime lorsque l’art accepte de déposer les armes tournoyantes de la fiction.

Lors de cette trêve où l’éternité a enfin son mot à dire, l’araignée ruizienne rappelle à elle tous les fils luminescents de sa fresque pour composer une laterna magica où Bergman (Fanny et Alexandre), Truffaut (Les Deux Anglaises et le Continent) et Welles (La Splendeur des Amberson) resurgissent. D’un coup, et ce coup vous terrasse, Mystères de Lisbonne ne déploie plus seulement un art du récit, mais propulse un sujet dont la simplicité dépouille le baroque de ses détours : la destinée des orphelins. Dans le film, les chagrins sont toujours moins justes qu’on ne le croyait (les victimes le sont surtout d’ellesmêmes), et en même temps toujours plus profonds qu’on ne s’y attendait. Quoi d’autre que l’art finalement – qui serait défi et consolation lancés aux chagrins jamais résolus de l’enfance. Axelle Ropert Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz, avec Adriano Luz, Afonso Pimentel, Ricardo Pereira, Clotilde Hesme, Léa Seydoux, Melvil Poupaud (Port., 2010, 4 h 30)

le romancier Mystères de Lisbonne est un roman de Camilo Castelo Branco, écrivain portugais né en 1826 et mort en 1890. Il a traduit Chateaubriand et tenté d’écrire un équivalent lisophone à La Comédie humaine de Balzac. Son roman le plus fameux est Amour de perdition, adapté au cinéma en 1979 par Manoel de Oliveira. Lequel s’est inspiré aussi de sa correspondance pour filmer la fin de sa vie dans Le Jour du désespoir (1992) et l’a utilisé comme personnage de fiction dans Francisca (1981).

Comme Dave, le personnage de son dernier roman paru en France, Will Self est peut-être un prophète. L’écrivain britannique a eu un “pressentiment”, autant dire une révélation : “Le cinéma est mort”. L’assertion est extraite de son roman-enquête, Walking to Hollywood, dont Courrier International a publié quelques bonnes feuilles. Dans un drôle de renversement historique (le livre qui annonce la mort du cinéma), l’auteur reconverti Cassandre repose cette question vieille comme les années 80 de “la fin” du 7e art. Soit le point de rupture qui déplacerait le cinéma de son statut prédominant vers une marge plus obscure. Exit donc le grand spectacle populaire, l’écran comme manière d’“appréhender le monde” : le cinéma aurait perdu “son hégémonie de près d’un siècle sur l’imagination”. Vieille litanie du concept de faillite du médium dont Will Self se croit l’inventeur – post-punk imprécateur en croisade contre le ciné marchand et ses consommateurs, les “gros culs” d’ados. C’est oublier que la mort du cinéma (et sa résurrection) a déjà été l’obsession critique des 80’s : de Godard, Daney, Wenders… Mais pour Godard, penser la fin du cinéma après avoir observé sa faillite face à l’Histoire(s), c’était surtout un moyen de libérer de nouvelles pratiques et de définir les nouveaux contours du médium. Bref, réveiller le mort. Rien à sauver au contraire pour Will Self. Et puisqu’il y a un cadavre, il y a “forcément un assassin”, dont il a vite fait de découvrir l’identité : la télévision, les jeux vidéo, internet, la 3D… Au croisement de ces multiples régimes d’images, le cinéma étoufferait, incapable de réinventer de nouveaux mondes ou simplement de saisir la réalité du nôtre. C’est oublier Godard encore (Film socialisme), et avec lui De Palma (Redacted), Romero (Diary of the Dead) et les Cloverfield, qui en collaborant avec l’“assassin”, en absorbant les nouveaux médias, ont prouvé que le cadavre du cinéma bougeait encore.

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Ipcress de Sidney J. Furie avec Michael Caine, Nigel Green (G.-B., 1965, 1 h 48, reprise)

Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet  L’industrie lourde du cinéma français à l’aise dans ses tongs au Cap-Ferret. Une certaine idée de l’enfer.



omme l’indique le pluriel du titre, on peut distinguer plusieurs films dans le grand œuvre (plus de 2 heures 30) du réalisateur Canet. 1) Le film de genre très français, “film de potes”, comme La Belle Equipe de Duvivier, Le Crime de M. Lange de Renoir, Un éléphant ça trompe énormément (et la suite) d’Yves Robert, Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré et les nanars de Marc Esposito (Le Cœur des hommes 1, 2…). Genre auquel il faut un peu de subtilité et même de féminité (Renoir, Duvivier, Robert) pour éviter qu’il ne sombre dans la beauferie, la grossièreté et la misogynie – Canet n’a aucune de ces deux qualités. 2) Le film de genre encore plus français : le film de vacances (la série des Bronzés, toujours le grand Esposito, etc.). Ici, cette bande improbable de potos se trouve sur le bassin d’Arcachon, dans la maison du plus riche d’entre eux, un restaurateur stressé et résolument hétéro, François Cluzet. 3) Le film de cabotins : s’en tirent ceux qui jouent dans leur catégorie. Par exemple, Cluzet et Bonneton, vrais acteurs comiques, font ça très bien. Cotillard, recordwoman incontestée de la pleurnicherie, réussit un nouvel exploit en ajoutant aux traditionnelles larmes le petit geste qui n’appartient qu’aux grands champions : la dégoulinure du nez. Et Magimel, en homo refoulé bondissant du placard, est très mauvais pour la première fois de sa carrière. 

4) Le film politique : Les Petits Mouchoirs, dans son déploiement sociologique, est le reflet exact de la France de Sarkozy – lui-même un habitué du Cap-Ferret (le message est clair). Cluzet incarne le parvenu bling-bling mais pas trop ; Cotillard, la gentille joint addict qui aime la musique et couche avec tout le monde (suivez mon regard…) ; Magimel, en masseur-kiné, les professions libérales, mais sympatoches, proches du peuple, qui apprennent le sens des vraies valeurs auprès d’un ostréiculteur au grand cœur. 5) Le film lacrymal et moralisant qui fait surtout rire (les scènes avec Dujardin, la leçon d’éthique finale) et la comédie qui ne fait pas rire (le gag pesant des textos). Voilà. P.-S. : Nous en profitons pour demander à nos proches : 1) de ne jamais venir nous voir en groupe à l’hôpital quand nous serons mourant, surtout si c’est pour chialer comme des veaux ; 2) de faire appel à des vigiles le jour de notre enterrement pour éviter qu’un ostréiculteur rougeaud ne vienne déverser un sac de sable sur notre cercueil ; 3) de ne jamais nous inviter à passer des vacances avec une bande de théâtreux hystériques dont l’un d’entre est le sosie de Michel Leeb. D’avance merci. Jean-Baptiste Morain Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet, avec François Cluzet, Marion Cotillard, Benoît Magimel, Gilles Lellouche (Fr., 2010, 2 h 34)

Un anti-James Bond tordu et sombre, porté par un Michael Caine fascinant. Coproducteur des James Bond, Harry Saltzman détourna ses collaborateurs (Ken Adam aux décors, John Barry à la musique) pour initier en solo dès 1965 sa propre série d’agent secret. Leur mission : créer l’anti-007, alias Harry Palmer, barbouze myope, roublard, cuisinier amateur et plus préoccupé à lutter contre sa hiérarchie qu’à faire du tourisme sexuel. C’est l’un des meilleurs rôles de Michael Caine, prototype du héros pour qui le mot classe signifie autant style que racines ouvrières. Pendant réaliste de 007, Ipcress dispense aussi un flair pour le bizarre le temps de cadres tarabiscotés. Une friandise pop, à l’amertume de thé trop infusé. L. S.

Bassidji de Mehran Tamadon (Fr., Sui., Iran, 2009, 1 h 54)

Plongée au cœur de l’islamisme persan : une leçon de dialectique. Une idée relativement biscornue : partir pour l’Iran pour explorer les extrêmes du régime des mollahs. D’abord les champs de bataille de la guerre Iran-Irak, haut lieu de la martyrologie islamonationaliste, où les Perses viennent en pèlerinage. Le reste se résume à des débats argumentés avec des membres d’une milice religieuse officieuse, les bassidji. Attiré par ces fanatiques qui ne lui ressemblent pas, le cinéaste tente d’en débusquer les contradictions. Malgré l’austérité de ce documentaire montrant l’endroit du décor iranien, sectaire et rigoriste, la vision de femmes-corbeaux parmi les carcasses de tanks a un certain charme… Vincent Ostria

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Picture Me d’Ole Schell et Sara Ziff (E.-U., 2009, 1 h 25)

Biutiful d’Alejandro González Iñárritu avec Javier Bardem, Maricel Alvarez, Eduard Fernández (Esp., Mex., 2010, 2 h 17)

Javier Bardem en saint-salopard dans un chemin de croix aux airs d’enluminure numérique. Bien relou. D’Amours chiennes à Babel, Alejandro González Iñárritu est autant cinéaste que sage-femme : le hasard doit y accoucher au forceps de la nécessité, la douleur de la révélation. Et la misère de la beauté, dans le programmatique Biutiful (orthographié comme dans “c’est bô”). Dans ce cinémalà, la montagne accouche en fait d’une souris. Du papillon, il y a l’effet et le filet, tant les films d’Iñárritu évoquent un maillage où “tout est lié”, noces stériles et ridicules de Lost et de Lelouch. Où l’on attrape personnages et spectateurs au pathos et au tape-à-l’œil. Le buzz cannois annonçait un Biutiful allégé et moins alambiqué, la galerie habituelle de personnages-dominos laissant place à un Javier Bardem occupant l’espace en voyou barcelonais. En vain : il est chargé comme une mule dans le registre saint-salopard. Son business de dealer est chancelant, sa femme est trop folle pour s’occuper de leurs enfants, il est diagnostiqué d’un cancer en phase terminale. Le martyr est filmé dans un Barcelone interlope, loin de sa réputation festive, mais Iñárritu préfère s’en servir comme toile pour ses afféteries transies habituelles (des morts qui parlent ! suspendus au plafond ! une super poursuite d’immigrés clandestins !). On n’a rien contre les chemins de croix, mais on voit plus l’enluminure qui cache le vide que l’illumination dans celui d’un Bardem s’affaissant. Sa résignation, son regard tombant étaient terrifiants quand il était la Mort incarnée chez les Coen (No Country for Old Men). Une force chaotique au mystère cent fois plus grand (“pourquoi tue-t-il ?”) que celui qu’Iñárritu veut trousser ici sur un air de Santa Barbara (“pourquoi j’ai le mal de vivre ?”). En mort qui marche, Bardem n’est plus que tics et ingrédients pour gaz lacrymogène. Léo Soesanto

La vie de top, c’est pas top : documentaire intime et circonstancié. Sara Ziff ne correspond pas complètement au cliché physique du top-model. Elle est encore plus atypique pour avoir signé un documentaire sans fard sur son métier difficile. En fait, c’est surtout son petit ami, Ole Schell, qui a réalisé le film. Sara elle-même n’a tourné que quelques bribes en DV. Ce n’est donc pas exactement l’œuvre intime qu’on attendait ; le soustitre, “Le Journal vérité d’un top-model”, reflète assez peu la réalité du film. Les séquences filmées sur le vif de la vie de Sara alternent très classiquement avec des témoignages (de collègues, parents, sociologue, etc.). Une fois la déception passée, on voit qu’il s’agit d’autre chose : d’un pamphlet sociétal qui dit tout haut ce que tout le monde murmure sur ce milieu prédateur. Adolescentes de 14 ans propulsées sur les podiums internationaux, photographes pratiquant ce qu’on appelait jadis “droit de cuissage”, anorexie encouragée, argent trop facile… Les vraies fashion victims ne sont donc pas celles qui sont accros aux magazines de mode, mais celles qui y figurent. Si Picture Me n’est pas un grand film (d’art), il a le mérite de donner un bon coup de pied dans cette pétaudière des apparences aux effets très pervers. V. O.

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Une chambre en ville de Jacques Demy (1982)

en salle Avant le barnum 3D de Tim Burton, l’Alice de Lewis Carroll se conjuguait en animation bricolée sous l’œil du cinéaste Jan Svankmajer. Pour la première fois en France, le Forum des Images organise en présence du réalisateur tchèque la rétrospective intégrale de son œuvre (1964-2010). Entre les séances thématiques réunissant près d’une trentaine de films courts, les projections de ses cinq longs métrages d’animation, une rencontre avec le public et l’avant-première de son dernier opus, Survivre à sa vie, un portrait complet de l’un des derniers surréalistes. Intégrale Jan Svankmajer du 26 au 31 octobre au Forum des Images, Paris Ier, www.forumdesimages.fr

hors salle Espagne fantastique Oublié l’âge d’or de la fin des 60’s (Jesus Franco, Narciso Ibáñez Serrador) : le cinéma de genre espagnol s’est offert ces dernières années un sérieux lifting. Du versant hardcore (Nacho Cerdà et sa magnifique Trilogie de la mort) aux influences classiques (Les Autres, L’Orphelinat), en passant par les formes hybrides (REC), panorama d’un cinéma en plein renouveau dans le documentaire d’Yves Montmayeur, bien nommé Viva la muerte. Viva la muerte le 23 octobre > Ciné Cinéma Club > 22 h 15

box-office le sacre des méchants Finis les bons sentiments. Des hommes et des dieux a été détrôné dans sa cinquième semaine d’exploitation par le terrible Gru du film d’animation franco-américain Moi, moche et méchant, qui dépasse le demi-million d’entrées en cinq jours. Suivi de près par le Bel et sombre inconnu de Woody Allen qui rassemble plus de 300 000 spectateurs en première semaine. L’ultra attendu Social Network de Fincher réalise un bon démarrage pour la première séance, au coude à coude avec Arthur 3 de Luc Besson.

autres films Cehennem 3D de Biray Dalkiran (Tur., 2010, 1 h 45) Paranormal Activity 2 de Tod Williams (E.-U., 2010, 1 h 31) Alpha & Omega d’Anthony Bell & Ben Gluck (E.-U., 2010, 1 h 28) Allez raconte ! de Jean-Christophe Roger (Fr., 2010, 1 h 17) Divorce à la finlandaise de Mika Kaurismäki (Fin., 2009, 1 h 42) Ma petite planète chérie de Jacques-Rémy Girerd (Fr., 2010, 44 min)

Moune Jamet/CinéTamaris

animation tchèque

Badiou se fait des films Recueil d’articles du philosophe Alain Badiou sur le cinéma, écrits sur plus de cinquante ans et inégalement opérants.

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n aura beau chercher, aucun des grands critiques de cinéma n’a signé d’ouvrages de philosophie. André Bazin n’a pas écrit d’“Ontologie du concept”, ni Serge Daney de “Salaire de Platon”. Les philosophes, en revanche, de Deleuze (L’Image-Mouvement/ L’Image-Temps) à Rancière (La Fable cinématographique), ne semblent pouvoir s’empêcher, à un moment donné de leur carrière, de publier un opus spécifique dédié au septième art. Collection exhaustive de la trentaine d’articles et d’entretiens qu’il a consacrés au sujet de 1957 à 2010, le Cinéma d’Alain Badiou ne peut cependant pas tout à fait prétendre appartenir à la même catégorie que ses glorieux prédécesseurs. Car si le cinéma a toujours accompagné le parcours du penseur radical, il a longtemps été soumis au filtre sévère du militantisme, mao et postmao, et à sa rhétorique hautaine. Ainsi encore, en 1983, à propos d’Une chambre en ville : “Là où se cherche une éthique, Demy fait l’éloge de la vertu. Cette croyance est nuisible car elle détrempe la dureté d’une confiance.” Et il faut attendre à peu près la moitié du livre, et 1994, pour trouver une véritable approche frontale de son objet (in “Les faux mouvements du cinéma”). Or si cette définition centrale du cinéma comme lieu de “passage”, de “visitation”, de l’Idée connaît par la suite diverses reformulations (en particulier sur les points essentiels de l’impureté du médium et de son caractère

“de masse”), elle n’empêche pas l’auteur de poursuivre par ailleurs d’autres voies, assez distinctes, d’exploration (comme dans l’article, très “philosophie pour classe de terminale”, sur Matrix). Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, c’est la non-systématicité de l’ensemble, son côté mouvant et multiple, qui fait son intérêt. Malgré le mépris, assez naïf, affiché par Badiou pour la critique cinématographique (voir “Peut-on parler d’un film ?”), ce sont surtout les textes où il traite d’un film dans sa singularité qui emportent le plus clairement l’adhésion. Sur Le Dernier des hommes de Murnau, sur Passion de Godard ou sur Un monde parfait d’Eastwood, il parvient, en effet, mieux qu’ailleurs, à trouver la juste distance entre exigences politique, philosophique et artistique. Dans les dernières lignes du dernier article, une citation de Conrad vient admirablement fixer cette visée profonde, et ponctuellement atteinte, du philosophe : l’art n’a pas d’autre fin que “d’introduire un peu de justice dans l’univers visible”. Patrice Blouin Cinéma d’Alain Badiou (Nova éditions, 2010), 366 pages, 25 €

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Survival of the Dead de George A. Romero avec Kathleen Munroe (E.-U., 2009, 1 h 30)

Directement en DVD, le nouvel opus de la saga romerienne du zombie. Un étonnant western gothique. Le film Tandis que les “masters of horror” des années 1970 et 1980 (John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper…) se maintiennent tant bien que mal en état de survie artistique, George A. Romero continue de faire preuve d’une vitalité étonnante, tout en restant fidèle à ce qui fit sa gloire : le film de zombies, sous-genre décliné par le cinéaste en cinq suites et autant de formes cinématographiques, toutes passionnantes, depuis le succès historique de La Nuit des morts-vivants en 1968. Malgré la gloire que lui a apportée ce chef-d’œuvre de l’horreur moderne, Romero est demeuré toute sa vie un indépendant, voire un marginal. Mis à l’écart des studios comme de la respectabilité critique, il a continué à exprimer son talent et son regard acerbe sur le monde moderne dans des films modestes, mais intègres et réussis. Son dernier opus est excellent, enthousiasmant et spectaculaire, au point que sa sortie directement en DVD passe pour une injustice. Survival of the Dead renoue avec la série B classique. Cette allégorie sur le bellicisme humain obéit aux codes du western, venant confirmer l’hypothèse selon laquelle Romero est un cinéaste hawksien. Celui qui aimait transformer ses films d’horreur en satire du consumérisme ou de la politique américaine semble ici s’intéresser davantage à l’action pure. Cinéphile, mais aussi héritier de la culture pop, Romero n’oublie pas l’influence de la bande dessinée et tempère le désespoir de son propos par beaucoup d’humour macabre, notamment dans les différentes manières de mettre un zombie hors d’état de nuire, et l’inventivité des nombreuses morts violentes qui parsèment le récit. A l’univers du western vient s’ajouter une touche d’épouvante gothique, avec les visions d’une magnifique jeune morte-vivante chevauchant un étalon noir. Le DVD On a droit à un making-of anecdotique sur le tournage du film et à un commentaire audio de Romero et de ses principaux collaborateurs. Olivier Père

Film socialisme de Jean-Luc Godard avec Catherine Tanvier,  Christian Sinniger, Agatha Couture (Fr., Sui., 2008, 1 h 48)

Godard prend un bateau. L’Europe tombe a l’eau. Le film Godard a toujours gagné à faire des pauses dans son œuvre. Après la grâce du début des années 1960 et les voyages révolutionnaires du début des années 1970, il redevenait dans les années 1980, avec Sauve qui peut (la vie) et les films qui ont suivi, le cinéaste le plus en phase avec son époque. Film socialisme, symphonie cinématographique polymorphe, forcément impure, traversée d’éclairs, de nuages lourds et sombres, libre, est à nouveau la boussole de notre temps. Le DVD En bonus, un teaser pauvret et facile (meilleures répliques godardiennes) pour l’interview accordée par Godard à Mediapart, et un court métrage d’Anne Mosset. Jean-Baptiste Morain Wild Side, environ 20 €

DVD et Blu-ray (Opening), environ 15 et 20 € 20.10.2010 les inrockuptibles 79

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Marie d’Estrée, Eric Cantona et HPG en pleine action

Cantona joue à Nantes Nantes, la ville cinégénique de Jacques Demy et désormais de HPG ! Le hardeur y tourne son second long métrage “tradi”, avec Eric Cantona. Voyons voir…

 R

ezé, dans la proche banlieue de Nantes. Un hangar planté dans une zone commerciale. C’est ici que HPG, hardeur pionnier du genre “gonzo” toujours en activité et réalisateur salué d’On ne devrait pas exister – un premier film “classique”, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2006 –, tourne son second long, Les Mouvements du bassin. Il est neuf heures et quelques. Des batteries de chaises en fer de couleur orange, marquées “Ville de Nantes”, ont été disposées devant des tréteaux. Un micro est posé dessus. Les journalistes garnissent les rangs. HPG, veste noire, pantalon noir, chemise noire, déboule sur le parking avec deux membres de son casting. En tête Eric Cantona, raide comme la justice – rapport à des problèmes de dos hérités d’une scène de baston de la veille – mais le torse toujours bombé comme à l’époque de Manchester United. Il porte un sweat rouge et une barbe de dix jours. Derrière lui, Marie d’Estrée, une très très grande femme blonde, charnue et ultramaquillée. Elle met presque une tête à Canto, dont elle interprète la femme (les autres acteurs, le free fighter Jérôme Le Banner, la splendide Joana Preiss et Rachida Brakni, alias madame Canto dans la vraie vie, ne tournent que la semaine

prochaine). Thierry Lounas, patron de Capricci, qui produit le film, vient compléter la bande. Tous prennent place derrière les tréteaux. L’ambiance est digne d’une prise de parole syndicale. HPG laisse passer quelques secondes. Cantona regarde le ciel en se tripotant le menton. La dernière fois, il avait dit à la presse : “Quand les mouettes suivent le chalutier, c’est qu’elles savent qu’on va jeter des sardines à la mer.” Là, il laisse amplement la parole à HPG, chef de bande qui parle peu mais bien. Le réalisateur déclare qu’il tourne avec le plus petit budget du cinéma français. Il explique que tous les acteurs sont payés au tarif le plus bas. Il les en remercie, d’ailleurs. Il pitche. “Mon film, c’est l‘histoire de gens qui se soustraient au regard des autres pour être heureux. Moi-même, j’ai 44 ans et j’essaie d’être heureux, c’est un travail quotidien. C’est pas un film d’intello avec des envolées lyriques, mais il y a un peu de réflexion quand même.” Canto sourit, puis prend le micro, résume son personnage en quelques mots : “Une sorte de légionnaire raté, un gradé, quoi. C”est un type qui donne des leçons aux autres.” Son couple avec Marie d’Estrée ? HPG prend le relais. “Elle n’est pas d’accord avec sa façon d’être mais elle l’accepte parce qu’elle l’aime. L’amour,

ça fait tolérer des choses.” La conférence est pliée en quinze minutes.  Les scènes entre Canto, HPG et Marie d’Estrée sont reportées en début d’après-midi : deux ostéos doivent défiler pour soigner le dos abîmé de l’ancien footballeur. En attendant, HPG reçoit la presse dans le Westfalia Mercedes qui accueillera la première scène de la journée. “Comme t’es pas une meuf je ne ferme pas la porte”, dit-il en s’asseyant sur les coussins roses et fuchsia du combi. Il est un peu inquiet pour le dos de Canto mais ne flippe pas outre mesure. “J’aime bien l’artisanat. Mon film parle de gens qui bâtissent leur univers avec des moyens modernes. Je parle de leur quotidien, c’est fascinant à filmer, ce côté besogneux. Je le sais parce que je suis moi-même besogneux, j’ai dû mal à faire les trucs, à apprendre les textes, etc. Alors je fais moi-même mes films et je me donne le premier rôle”, plaisante HPG, avant de reprendre. “Ce film, je le finance et je le fais aussi parce que je suis un stakhanoviste du porno. Je fais beaucoup de films, qui me permettent de gagner de l’argent et de le réinvestir.

“si Canto est bon au foot c’est son problème. J’aime ce qu’il dégage, c’est tout. C’est un bon acteur”

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HPG parle beaucoup à Canto, c’est son film

Capricci/Sebastien Multeau

Marie d’Estrée

C’est mon engagement physique qui favorise mon engagement intellectuel, cérébral. Les deux sont de plus en plus liés chez moi, et ça me permet de faire si je puis dire des allers-retours entre le cinéma porno et le cinéma classique.” Il poursuit, simple et sincère, sur son métier de réalisateur. “Quand j’étais petit, je voulais qu’on me suive à vélo. Là, on me suit à vélo et je suis content, j’ai l’impression qu’il y a des gens derrière moi.” Cantona ? “Le football ne m’intéresse pas, ça m’emmerde, s’il est bon au foot, c’est son problème. J’aime ce qu’il dégage, c’est tout. C’est un bon acteur.” Canto est finalement sur pied. Scène devant le Westfalia. HPG se fait éjecter du camion. Cantona lui piétine la tronche pour de vrai, HPG a les traces sur la figure. Il fait les cascades pour de vrai, comme Bébel. On le voit bondir du toit du Westfalia sur le capot d’une voiture conduite par Canto, lancée pour de vrai, puis les deux hommes s’asticotent. Ils préparent la cascade. Canto est en mouvement, il porte une veste de chasseur, répète seul dans un coin du plateau, parle peu. Idem pour HPG, habillé tout en noir. Plusieurs scènes, par mesure d’économie, sont des plans-séquences. Tout est réglé au millimètre, même les noms d’oiseaux que les deux s’envoient. HPG parle beaucoup à Canto, c’est

son film. Les consignes changent mais ce sont toujours les siennes. Il fait, défait, tente. L’ex-numéro 7 de Manchester United s’avoue impressionné par la liberté de HPG, une liberté qu’il a lui-même cultivée tout au long de son itinéraire balle au pied. “Hervé est un garçon qui s’autorise à faire les choses. Les gens comme lui sont très peu nombreux aujourd’hui, on a envie de les suivre. C’est pour ça que je suis là, à Nantes, c’est pour cela que tous les acteurs font des sacrifices pour tourner dans ce film. Cette liberté est nécessaire, il faut la cultiver.” Eric Cantona dit ça comme d’habitude, avec lenteur et détermination. Il part dans un fou rire lorsqu’on évoque un projet de film, porno cette fois, dont HPG a parlé – pas forcément sérieusement. Branlette sous les bambous, ça s’appelerait. Canto rit mais reprend son calme. La dernière scène de la journée est en route. Après avoir sauté sur le capot, HPG se frite avec Cantona, qui semble terrorisé, fait des claquettes sur le toit de la voiture, et quitte le plateau par une porte dérobée – il le quitte comme un prince, on peut le dire. Canto, désemparé, tombe comme un enfant dans les bras de son immense femme (Marie d’Estrée est incroyable). La scène est d’une rare justesse. HPG revient dire “coupez”. C’est fini pour aujourd’hui. Le film est attendu pour 2011. Pierre Siankowski 20.10.2010 les inrockuptibles 81

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les promesses de l’ombre D’abord déstabilisant, le dernier volet de la série Castlevania finit par séduire en s’ouvrant à des univers inédits toujours aussi inspirés.

O  à venir Déjà promus stars de la pub (pour Renault et Coca-Cola), les Lapins Crétins d’Ubisoft auront bientôt leur propre série télé. Aux manettes : le génial studio britannique Aardman (Wallace et Gromit). En attendant, les lagomorphes hurleurs reviendront à leurs premières amours dès le 25 novembre avec le jeu The Lapins Crétins – Retour vers le passé (sur Wii).

ù est le château ? Où sont les vampires, les spectres, les momies ? Et la créature du docteur Frankenstein ? Les premières heures passées dans le monde de Lords of Shadow ont de quoi déstabiliser les fans : leur aurait-on changé leur Castlevania ? L’histoire même de la conception du jeu est suspecte. A l’origine, le projet du studio espagnol MercurySteam n’était en effet nullement rattaché à la saga d’épouvante Konami, et ce n’est qu’après plusieurs mois de développement que la décision fut prise d’en faire, sous la supervision du producteur star Hideo Kojima (Metal Gear Solid), le nouveau Castlevania. Faut-il conclure à une trahison des principes sur lesquels repose la série née en 1986 ? Pas le moins du monde. D’abord parce qu’en abandonnant la structure qui domine les Castlevania depuis 1997 et Symphony of the Night (le joueur révèle le plan d’un palais à mesure qu’il l’explore) au profit d’une progression linéaire (un niveau, puis un autre), Lords of Shadow renoue avec l’esprit des tout premiers épisodes. Quant aux extérieurs que notre héros parcourt sans lâcher son fouet, ruines à ciel ouvert ou plaines lumineuses, ils ne se substituent pas aux plus traditionnels couloirs obscurs et caves humides mais s’y ajoutent. Et contribuent

à une expansion bienvenue de l’univers de Castlevania, série souvent accusée, ces dernières années, de faire du surplace. On aurait surtout tort de reprocher à Lords of Shadow de ne pas être un pur Castelvania car, s’il est un élément qui caractérise la saga, c’est bien son impureté. Jeu de plate-forme, de combat et d’aventures, Castlevania est depuis toujours un aspirateur à idées ludiques, sa grande réinvention de 1997 étant d’ailleurs inspirée de Metroid. Rien d’étonnant, donc, à ce que Lords of Shadow suive les traces de God of War (sa brutalité, ses architectures monumentales), Devil May Cry (ses affrontements aériens), Prince of Persia (ses murs à escalader) et même Shadow of the Colossus (ses colosses à terrasser). Ce goût de l’emprunt vaut aussi pour les créatures de toutes origines (cinéma d’horreur, littérature gothique, BD, jeux vidéo) qui alimentent son bestiaire. En vingt-cinq ans, Castlevania est devenu un fascinant musée interactif des cultures fantastiques. Le dernier accrochage de ses fabuleuses collections mérite largement la visite.Erwan Higuinen Castlevania – Lords of Shadow Sur PS3 et Xbox 360 (MercurySteam/ Konami, env iron 70 €)

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Wii Party

Batman en couleur Flirtant avec le kitsch de la série des 60’s, un sommet d’inventivité dû au très créatif studio WayForward. aru à la fin (Robin, Hawkman, Blue de l’été 2009, Beetle…) qui l’accompagnent le sombre et musclé (et qu’un deuxième joueur Batman – Arkham peut prendre en main), nous Asylum était le parfait voilà lancé en pleine bagarre contemporain des films de de rue (ou de musée, Christopher Nolan. Adapté d’égouts…). Les niveaux d’un dessin animé récent, se parcourent de la gauche L’Alliance des héros se révèle vers la droite, les ennemis bien plus jovial et coloré, surgissent de partout, flirtant même par moments les décors sont en partie avec le kitsch désinhibé destructibles… Les vétérans de la série télé sixties du beat them all, de Double interprétée par Adam West. Dragon à Street of Rage, Mais ses créateurs ne seront pas dépaysés. américains connaissent Très accessible, L’Alliance des visiblement aussi leurs héros est d’ailleurs le jeu classiques sur le plan idéal pour s’initier au genre. ludique. Aux commandes de Mais si la partition est Batman ou de superhéros connue, l’interprétation qui plus ou moins célèbres en est faite ne manque pas



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d’inventivité, de l’utilisation de la manette Wii (avec laquelle on vise l’écran ou que l’on agite pour donner des coups) à la manière dont les dialogues entre les personnages se marient à l’action. Sans parler d’inspirations visuelles telle cette séquence où, de dos au premier plan, Catwoman regarde Batman se battre sur les toits de Gotham City. Chouette surprise de ce début d’automne, L’Alliance des héros confirme que WayForward, responsable de plusieurs bons jeux Wii (A Boy and His Blob, LIT) et DS (Contra 4, Mighty Flip Champs), est un studio à suivre. E. H.

Sur Wii (Nintendo, environ 40 €) Héritier bariolé des Mario Party (sans Mario et sa bande, mais avec des Mii), Wii Party s’apparente à un jeu de société assisté par ordinateur. Manette en main, les participants lancent des dés virtuels et avancent de case en case sur le plateau d’un quasi-jeu de l’oie où les attendent quatrevingts épreuves (d’adresse, de mémoire, de hasard…) simples mais bien conçues. Riche en variations sur ce principe de base, Wii Party peut aussi se pratiquer en solo – mais la fiesta ludique perd alors forcément de son piquant. Original ? Pas le moins du monde. Mais imparable. E. H.

Batman – L’Alliance des héros Sur Wii (WayForward/Warner, environ 4 0 €)

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on the ring again Passionné de boxe, Tricky parle de son nouvel album dans une salle d’entraînement de Paris, où il vit désormais. En short et prêt au combat.

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ne salle de boxe du XVIIe arrondissement. On descend au sous-sol, on marche sur des tapis, on tape un peu dans un sac lourd, et là Tricky déboule en short, avec les gants, le marcel, la panoplie. Notons que le kid de Bristol n’a pas la carrure de Mike Tyson : il combattrait plutôt dans la catégorie poids moyen, option “loisir”. Tout comme son idole avouée, Chris Eubank, Anglais champion du monde des poids super moyens WBO (1991-1995), dit “Simply the Best”, l’un des boxeurs les plus fantasques, excentriques et violents qu’a connu le noble art. “Chris Eubank avait tout, je voulais être lui”, explique Tricky en fichant un petit coup dans le punching-ball. Voici un peu plus d’un an qu’il a posé son sac de sport ici. Les autres licenciés connaissent Tricky, pas forcément sa musique, mais sa dégaine au moins, sa tronche. Il avoue avoir trouvé une certaine quiétude dans cette salle. Celle après laquelle il court depuis des lustres, et qu’il ne trouvera certainement jamais – comme le prouve l’écoute de son tout dernier album, à l’équilibre toujours instable. Mais la musique ne semble plus être l’unique moyen dont dispose l’Anglais pour parer les coups. “Je suis un type comme les autres dans cette salle : je viens, je m’entraîne, je prends des coups, j’en donne. Je prends ma douche, je m’en vais. La boxe a donné une colonne à ma vie. J’ai vécu dans beaucoup d’endroits, à Londres, New York, Los Angeles, Paris maintenant. Je n’ai jamais pris le temps de m’arrêter quelque part, de me construire un environnement.” Installé dans le quartier de La Chapelle, Tricky s’est fondu dans Paris. On l’a vu résider au 104, mixer à l’Elysée Biarritz, tenir l’antenne toute une soirée sur Le Mouv’. “On m’avait dit de me méfier de Paris, que j’aurais du mal à m’intégrer. C’est tout l’inverse,

Ecoutez les albums de la semaine sur

j’ai beaucoup d’amis ici. Je sais que je n’y finirai pas ma vie, mais je me suis attaché à cet endroit. Et j’ai tous les plans pour choper de l’herbe”, lance-t-il dans un éclat de rire. Un type de la salle passe et le checke. “Alors champion, on l’écoute quand ton disque ?” Tricky sourit humblement et se gratte l’arrière de la tête. A Paris, il a pu prendre le temps de réfléchir à sa musique, d’aller au plus près de l’os. “Mes précédents albums étaient beaucoup plus complexes, plus difficiles d’accès. Sur ce nouveau disque, j’ai pris le temps d’élaguer, d’aller dans des directions très précises. Je crois que c’est mon disque qui sonne le plus Tricky depuis des lustres, au moins depuis BlowBack.” Court et ramassé (dix chansons qui dépassent à peine les trois minutes), Mixed Race pourrait aller rechercher par la manche ceux qui avaient quitté le bateau Tricky. A la fois sombre et rocksteady, sec et suintant par endroits, ce neuvième essai est réussi. On s’accroche ainsi au très incantatoire Every Day, on groove le cerveau fracassé sur UK Jamaican et Time to Dance, on évite Hakim, morceau arabisant un peu foiré, on songe à faire l’acquisition d’un gun sur Murder Weapon. On finit ramassé sur la moquette avec le plafond qui tourne aux écoutes répétées d’Early Bird et Really Real. “J’ai réécouté attentivement mon disque l’autre jour et j’ai compris que, malgré tout, j’étais un type louche, plaisante Tricky. Je ne crois pas à la rédemption, je sais qu’on se confronte éternellement aux mêmes démons. Ma musique en est la preuve. De Maxinquaye à Mixed Race, j’ai combattu les mêmes choses, j’ai porté les mêmes fardeaux, la solitude, la paranoïa. Je me suis confronté aux mêmes artistes : Kate Bush, Public Enemy, Kurt Cobain, PJ Harvey. Je ne crois pas qu’on puisse changer vraiment, on peut simplement un jour décider d’assumer sa trajectoire. Je crois que c’est ce que j’ai décidé de faire depuis que je suis à Paris”, remarque-t-il. “Je ne sais pas encore ce que je vais faire ce soir. Après l’entraînement, il m’arrive de rester chez moi, car je suis éprouvé physiquement. C’est une première. Je prévois un peu du coup”, conclut-il, alors qu’un autre boxeur “loisir” vient lui serrer la louche. “Alors mon vieux Tricky, la patate ?” Pierre Siankowski photo Vincent Ferrané

avec

Album Mixed Race (Domino/Pias) www.trickysite.com/

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hommage

Solomon Burke (1940-2010) Puissante et suave, une voix légendaire de la soul s’est éteinte. Un gros homme nous quitte. Le dernier album de Solomon Burke sortira en France début novembre. Rencontre au sommet : il a été enregistré à Memphis par Willie Mitchell, le légendaire mentor d’Al Green – sur la pochette, on voit d’ailleurs “Number 9”, le micro iconique de Green. Ce fut l’ultime production de Willie Mitchell, mort le 5 janvier 2010. L’album s’appelle Nothing’s Impossible. Mais ce qui ne va pas être possible, c’est de dire à Solomon Burke tout le bien qu’on pense de ce disque : lui aussi est mort, à l’âge de 70 ans, le matin du 10 octobre dans l’aéroport d’Amsterdam, où il venait d’atterrir pour un concert au Paradiso. Mettons qu’il était en transit avant l’aller simple pour le paradis, bien mérité après un demi-siècle au service de la soul (dont il était l’un des plus gracieux chanteurs), de Dieu (car il était aussi pasteur), de la vie (il a eu vingt-et-un enfants) et de la mort (il était entrepreneur de pompes funèbres). Surnommé “The King of rock’n’soul” lors de son arrivée sur le label Atlantic en 1960, Solomon Burke est un monarque éclairé, dont le royaume part du gospel (il en chantait comme un dieu dès l’âge de 7 ans) et s’étend jusqu’aux vertes vallées de la country, en passant bien sûr par les plus hauts sommets de la soul. Réhabilité par le film The Blues Brothers en 1980 (Everybody Needs Somebody to Love, c’est sa chanson), Solomon Burke connaîtra une autre renaissance en 2002 avec le solennel Don’t Give up on Me, sobre écrin d’une voix unique et inaltérable, puissante et romantique, garnie de duvet d’ange : la voix royale.

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Cascadeur en maxi Lauréat du concours CQFD 2008, Cascadeur publiera un premier maxi, Walker, le 1er novembre. Il se produira à Paris (Cigale) le 7 novembre, dans le cadre du Festival Les Inrocks Black XS.

Son dernier véritable album solo, White Chalk, a plus de trois ans. Le prochain devrait paraître en février. C’est une “indiscrétion” du Bad Seeds Mick Harvey qui a mis la puce à l’oreille : “Je me suis engagé à tourner avec ma chère amie Polly après la parution de son nouvel album en février 2011. Nous avons enregistré cet album en mai dernier dans le Dorset.” Une tournée européenne vient d’être annoncée, avec un passage à Paris (Olympia) le 24 février.

Après Shishimumu et Take to the Trees, Phantom Buffalo publiera son troisième album, Cement Postcard with Owl Colours, le 2 novembre. Le groupe partagera la scène de la Maroquinerie (Paris) avec Shannon Wright le 21 novembre.

cette semaine

double retour d’Areski Légende de la chanson buissonnière aux côtés de Brigitte Fontaine, Higelin ou Pierre Barouh, voire Sonic Youth et Turzi, Areski sort son deuxième album, Le Triomphe de l’amour, quarante ans après le premier. Du triomphe et de l’amour, il y en aura sans doute pour son concert du 26 octobre à Paris (Café de la Danse).

la vie de Julian Cope au cinéma Après Joy Division ou Ian Dury, c’est au tour de l’ancien leader des Teardrop Explode d’être honoré. Il faut dire que sa vie est pleine de rebondissements : on lui doit, en plus de quelques albums très influents, des livres experts sur le rock allemand des années 70 ou les alignements de rochers néolithiques des campagnes anglaises. Le film sera basé sur son autobiographie, Head-on. Rhys Ifans (Good Morning England, Human Nature, Coup de foudre à Notting Hill…) pourrait jouer le rôle de celui qui se décrit comme un “chaman cosmique”. Comique, aussi.

Renaud Monfourny

Phantom Buffalo, troisième

Vincent Idez & Franck Esposito

album et concert pour PJ Harvey

neuf

Yuck

Twin Shadow

La caravane du revival poursuit son chemin : après les années 80, elle est entrée dans les années 90 et se trouve aux portes du grunge. Hirsutes, chevelus et plutôt inspirés sur des longues chansons toutes en guitares guenilleuses (Rubber ou Georgia), les Américains mixtes de Yuck l’attendent à bras ouverts. www.myspace.com/yuckband

Installé à New York après un parcours étonnant (de l’île de la Dominique à la Floride en passant par la new-wave anglaise), George Lewis Jr. a été découvert par Chris Taylor de Grizzly Bear. Devenu Twin Shadow, il a signé chez ses héros de 4AD et sort en novembre un album parfait pour se calfeutrer en automne. www.myspace.com/thetwinshadow

Janis Joplin

Claudine Longet

L’une des voix les plus puissantes, douloureuses et déglinguées de l’histoire du rock s’est éteinte il y a précisément quarante ans. Histoire de se frotter à cette furie toujours sulfureuse, le magazine anglais Mojo propose une sélection d’images (live, TV, interviews…) toujours stupéfiantes. tinyurl.com/2dob92k

Pour beaucoup, la carrière musicale de Claudine Longet s’arrête à quelques chansons et minauderies irrésistibles dans La Party. Mais elle chanta aussi avec grâce les Beach Boys, des pop-songs mélancoliques et des bossas à mettre le feu. Hello Hello, best-of plantureux, se souvient de cette grande absente. www.cherryred.co.uk

vintage

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l’heure de Hurts Entre Top of the Pops exubérant des années 1980 et esthétique glacée, l’electro-pop extravagante de Hurts propose un fragile accord de paix entre grosse fiesta et coup de grisou.



n des groupes les plus étranges de la rentrée : il cite dans la même phrase, et avec une conviction identique, Prince et Joy Division, les Smiths et Michael Jackson. Et c’est bizarrement ce que l’on voit, ce que l’on entend sur scène : un drôle d’accord de paix entre l’euphorie tapageuse des uns et la mélancolie palpable des autres. En ce sens, Hurts est bien un groupe de Manchester, qui n’aurait pas choisi son camp, localement, entre l’esthétique glaciale du label Factory et les chants communautaires, boursouflés de Robbie Williams. “Nous sommes deux personnalités très opposées, ombre et lumière, explique Adam Anderson, clavier

“nous n’avions rien, nous n’étions rien, on ne pouvait que rêver”

du groupe. Nous nous épaulons en permanence : en musique comme dans la vie, Theo a tendance à être positif ; moi, je suis très sombre. Theo, constamment, me remonte du fond.” Et le fond, le groupe l’a touché quand, il y a deux ans, il vivait reclus, fauché, dans une chambrette insalubre de Rusholme, quartier glauque de Manchester. Hurts avait alors tout sacrifié : son confort, ses études, sa vie sociale, sa famille, ses amis, pour se ruer en brûlant les ponts dans une fuite en avant. Car le duo, fraîchement formé sur les ruines de groupes sans lendemain, où la démocratie rabotait les âmes, venait de voir la lumière, noire : Unspoken, une première chanson venue de nulle part. “On savait qu’on tenait enfin un truc à nous, qui nous dépassait. C’est comme si jusque-là, en musique, nous étions à l’école.” Le groupe

s’enferme alors dans son monde, ne sait pas s’il fait jour ou nuit dehors : pendant des mois, pas une note de musique ne sort de la chambre, où se dessinent aussi une image, une attitude, un univers à prendre ou à laisser. Terrifiés et exaltés par leur entêtement, leur enfermement, Adam et Theo composent sans répit, mettant à exécution les journées entières passées à étudier la pop-music, à disséquer les albums empruntés à la médiathèque, à dévorer des biographies, à se passionner pour le son – de Phil Spector à Alan Wilder de Depeche Mode, une influence flagrante aujourd’hui. “L’énormité des arrangements, la démesure des refrains, c’était juste une réaction à la misère, la nullité dans laquelle nous vivions alors dans notre chambre de Manchester. Nous n’avions

rien, nous n’étions rien : on ne pouvait que rêver. C’était notre échappatoire. Et du caniveau, on voyait les étoiles.” Et effectivement, côté surproduction, péplum, cette musique ne se mouche pas du coude. Fatalement, une telle grandiloquence finit parfois en palais de chantilly – le genre d’horreur qu’hantait autrefois Ultravox. Car le duo a tellement fui sa réalité qu’il fait parfois comme si la vie était un épisode heureux de Top of the Pops 1984 – avec Yazoo et Tears For Fears. Parfois totalement hors-jeu, comme sur l’infect Stay ou le pompeux Devotion, où Kylie Minogue ne fait que passer, le duo joue ainsi sur ce terrain très glissant, entre liesse et spleen, vulgarité et préciosité, où les Pet Shop Boys ont pignon sur rue. Ça ne marche pas toujours, mais au moins, dans la frivolité si frileuse de la pop à paillettes, Hurts a le courage et l’inconscience de pousser ses rêves de grandeur jusqu’au bout, de les incarner jusqu’aux revers de ses costards Don Draper. Michel Houellebecq appréciera : tout en cafard et flamboyance, le duo joue même des slows. Des slows à briquets, des slows à lubriquer. JD Beauvallet photo David Balicki Album Happiness (RCA/SonyMusic) www.myspace.com/ithurts En écoute sur lesinrocks.com avec

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Natalie Curtis

“ce que je voulais faire depuis le début” Une mue presque intégrale : Yann Tiersen explique le renouveau saisissant de sa musique sur le captivant Dust Lane. l s’est passé pas mal de choses dans ta vie entre la BO de Tabarly et le nouvel album Dust Lane… Ma mère est morte, un ami proche également. Mais je passe pas mal de temps à Ouessant, j’ai donc un rapport particulier à la mort. Un rapport rassurant : le cimetière est situé en face du bar… Je connais assez bien les voisins de mes parents du coup (rires). J’aime bien ce rapport-là, ça fait partie de la vie. Ces décès, celui de ta mère en particulier, ont-ils influencé ta création ? Non… J’étais bien avancé

I

dans Dust Lane quand ma mère est morte, juste avant qu’on parte en tournée aux Etats-Unis. Mais c’est assez bizarre, je fais souvent des albums “prémonitoires”. La musique relève de l’inconscient : on analyse, on emmagasine tout ce qu’on peut voir et sentir et on en arrive à avoir ce genre de “prémonitions”, à les retranscrire dans ce que l’on écrit. Ma mère était malade : ce genre de choses, même si tu ne veux pas l’accepter, tu le sais. Après, la mort n’est pas du tout un thème central de Dust Lane, et je ne le trouve pas particulièrement sombre.

Dust Lane constitue-t-il pour toi une libération ? Je ne voulais pas faire un album instrumental. J’ai donc commencé à faire des chansons. Mais j’étais auparavant, au niveau des voix, assez tributaire d’un vieux truc, très français. Travailler dur sur de vrais chœurs a un peu explosé ces complexes. J’ai bossé par intermittence, beaucoup de choses ont “perturbé” le processus – l’album pour Miossec, la bande-son

“j’aime bien qu’on n’entende pas tout mais que tout soit là”

de Tabarly… Ça m’a permis de faire des pauses, de prendre du recul, ça m’a surtout permis de tout déconstruire. J’avais besoin de ça pour arriver à faire ce que je voulais : cet album ressemble à celui que je voulais faire depuis le début. C’est un point de départ. Peux-tu parler du processus d’écriture puis d’enregistrement ? Tout s’est développé dans le temps. Sur les bases acoustiques, on a commencé à bidouiller les transitions, j’ai beaucoup expérimenté avec les voix, les textures, les synthés, que j’adore depuis longtemps mais que je n’avais jamais vraiment utilisés. Cette phase-là m’a amené à cette fameuse déconstruction, à découper les choses, à repartir à zéro, comme sur un morceau neuf. J’avais l’idée d’un truc assez flou : j’aime bien qu’on n’entende pas tout mais que tout soit là, que ce soit très dense. C’est la première fois que j’écoute l’album fini et que je ne me souviens pas de la manière dont je l’ai fait. Je ne le dis pas avec prétention. Je ne peux vraiment pas me souvenir de la manière dont je suis arrivé à ce résultat. Tu sembles désormais plus tourné vers l’étranger que vers la France, tu as signé chez Mute et Anti… Je n’avais jamais tourné aux Etats-Unis et c’était complet partout. Etonnant. Ils connaissaient tout, étaient super réceptifs. Le public américain est très ouvert. C’est génial. L’année dernière, par exemple, on a dû faire trois concerts en France, sur un total de cent. La réalité est là : ça devient logique d’aller signer sur un label à l’étranger. propos recueillis par Thomas Burgel Lire la chronique ci-contre

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Yann Tiersen Dust Lane (Mute/Naïve) Tempétueux, beau et contrasté, le nouvel album du Breton est la révolution universelle d’un homme neuf. Route du Rock 2010. On savait que le concert de Tiersen était l’événement des 20 ans du chouette raout. On savait que le bonhomme était allé longuement tester de nouveaux morceaux sur les routes américaines. On savait que le Breton s’était entouré d’une fine mais large équipe – Matt Elliott de Third Eye Foundation ou les Gravenhurst, notamment, sur l’album, Josh Pearson, Laetitia Shériff ou d’autres, parfois, sur scène. Ce que l’on ignorait encore, c’est qu’il était – depuis ces quelques années sans véritables nouvelles – allé frotter ses crins et ses idées au tonnerre de Zeus. Le concert fut une baffe mémorable. Et pour le vieux boulet de sa BO d’Amélie Poulain – traîné depuis des années par un Tiersen pourtant depuis en constante évolution –, un sanglant assassinat. En groupe, tempêtant dans l’œil du mur du son, Tiersen n’était pas méconnaissable : il était en revanche profondément transformé. Le même homme mais en neuf.

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Ses morceaux, ceux que dessine encore plus finement la production parfaite de Dust Lane, sont comme des peintures de Pollock – de la matière première sonique jetée à la folie sur des toiles à nouveau vierges. Elles sont des symphonies grandioses aux tremblements dissonants, des épopées russes qui ne se lisent qu’entre les lignes, des chansons à tiroirs infinis. Perdu, dans ces dédales contrastés, entre lumières miraculeuses et failles abyssales, on pense à Mogwai quand lui, déjà ailleurs, a changé de galaxie. Chantés en anglais, les titres de Dust Lane révèlent un paradoxe fascinant : pointillistes dans leurs effets et textures, complexes dans leurs glissades structurelles et grands dans leurs compositions, ils sont aussi et surtout des œuvres profondément instinctives, violemment sentimentales, insaisissables comme l’écheveau émotionnel d’une humanité intégrale. T. B.

Casiokids Topp Stemning På Lokal Bar Moshi Moshi/Discograph L’electro-pop bouillonnante et givrée de Norvégiens pressés. “Casio” pour leur amour des synthés déglingués, “Kids” pour leur euphorie juvénile. Enfin autorisée à s’exporter, la troupe de Bergen évoque Animal Collective sous acide, ou Brian Wilson flottant sur la voie lactée. Tout en å et en ø, ces huit morceaux zinzins aux harmonies célestes sont pervertis à coups de beats frénétiques et de riffs post-punk. Vite fait, bien fait. Noémie Lecoq

www.yanntiersen.com En écoute sur lesinrocks.com avec

www.myspace.com/casiokids

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Mogwai Un live furieux des Ecossais, épaulé d’un passionnant DVD. Un live de Mogwai, drôle d’objet à écouter dans un canapé, cerné de voisins pas tous portés sur les tremblements de terre et les éclats d’étoiles, sans la sueur, sans la pression des chairs ni celle des bières. Retrouver Friend of the Night, Mogwai Fear Satan, I Know You Are But What Am I? en versions instables et rêches suffit à l’érection des tympans. Mais l’audio n’est ici qu’un appendice : celui de Burning, documentaire réalisé par Vincent Moon et Nathanaël Le Scouarnec. Et Burning est, une fois n’est pas coutume, un film live fascinant. Le portrait impressionniste au fusain sombre et gros grain d’un groupe dans ses efforts pour faire bouger les constellations, un film habité, incarné, animé par le sens maniaque de l’instant, du détail, du primordial, de l’émotion des deux réalisateurs français. Thomas Burgel www.mogwai.co.uk En écoute sur lesinrocks.com avec

The Jazz Passengers Reunited Yellowbird/Harmonia Mundi Retour superflu d’une légende de l’underground jazz new-yorkais. Fondé à la fin des 80’s par le saxophoniste-poète Roy Nathanson, The Jazz Passengers a sorti des disques de jazz-rock fantasque avant de se séparer. Le groupe revient au son de Reunited, enregistré en compagnie d’invités de marque (Debbie Harry, Elvis Costello, Marc Ribot…) mais sentant fort le lendemain de fête, les convives ayant abusé des mélanges : ballade édulcorée, rock vineux ou blues qui tache. Guillaume Belhomme

Dan Monick

Special Moves Rock Action/Pias

Aloe Blacc Good Things Stones Throw/Discograph

António Zambujo Guia World Village/ Harmonia Mundi Le fado doux d’un Portugais enchanteur. Réservé jusqu’alors aux chanteuses, le fado se pare ici des attributs d’une masculinité nonchalante, et de quelques regards vers l’ailleurs, où croisent la trompette de Chet Baker ou le murmure épicurien de João Gilberto. Le dodelinement d’un tendre carrousel, la fêlure du chant entre nostalgie et mélancolie, la pudeur d’une guitare portugaise qui sonne comme une timide mandoline : le chant de Zambujo fait d’une scène un univers, d’une modulation un fleuve frissonnant : c’est bon d’être vulnérable.

Propulsé par un tube en or, du hip-hop qui lorgne vers la soul et le funk. Une chanson n’appartient plus à son auteur dès lors qu’elle est diffusée ailleurs que dans sa seule caboche. Prenez Aloe Blacc. S’imaginait-il devenir le mendigot le mieux rémunéré de l’histoire en composant I Need a Dollar, hymne officiel de la Grande Récession devenu aspirateur à cash grâce au flair de la chaîne HBO ? Sans doute pas, et peu importe : I Need a Dollar est avant tout un tube de l’été d’un genre inédit, coquet, conscient et dansant. Soulagement : l’album Good Things est encore mieux que ça. Parce qu’il ne ressemble pas à un diorama de l’âge d’or de la Motown. Parce que la concision du hip-hop (Miss Fortune), la polissonnerie du funk (Hey Brother) et la fébrilité de la soul (Mama Hold My Hand) y font jeu égal. Parce qu’il est tout simplement, d’une pudique reprise du Femme fatale du Velvet à un Politician digne des grands de la blaxploitation (Marvin Gaye, Curtis Mayfield…), rempli de belles chansons cuivrées et (wha)ouatées. Benjamin Mialot www.aloeblacc.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Christian Larrède Concerts Les 23 et 24 octobre à Paris (Café de la Danse) www.antoniozambujo.com

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Marco Dos Santos

german lover En frottant son electro-pop intimiste à de nouvelles influences dub et latino, l’Allemand Superpitcher frise le sans-faute.

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es mousquetaires du label électronique Kompakt, Aksel Schaufler, alias Superpitcher, a toujours été le plus pop, mélancolique et cœur d’artichaut. Dès ses premiers maxis, les hors-format Heroin ou Tomorrow, ce jeune homme dandy dévoilait son goût pour les ambiances lentes, transies, pour ces mélopées techno qui mêlaient avec une délicatesse infinie science dance-floor, intimité pop et mélodies apprises chez Roxy Music ou David Bowie. Une inclination confirmée avec Here Comes Love (2004), un premier album qui apportait un peu de douceur à une période parfois trop rompue au minimalisme – on se souvient encore avec émotion de ses miraculeux Happiness ou People. Il revient aujourd’hui enfin avec Kilimanjaro, disque solaire, vertigineux, à maturation lente – Schaufler l’a porté six ans. “J’avais commencé à bosser sur un autre album il y a quatre ans, explique-t-il. Il était quasiment terminé, mais j’ai perdu toutes les données de mon disque dur. C’est une des pires choses qui puisse arriver à un musicien. Je me suis dit : tout arrive pour une raison, même si tu ne la comprends pas. J’ai donc fait le deuil et continué.” Très actif en tant que DJ et remixeur, il s’attelle alors à un autre projet : Supermayer, un duo electro avec son vieil ami et boss de Kompakt, Michael Mayer, connu pour ses mixes minimaux tendus

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et castagneurs. Une expérience bénéfique, si l’on en croit les cimes sur lesquelles convie aujourd’hui ce Kilimanjaro. Si Schaufler est toujours aussi romantique et verse sans vergogne dans les crève-cœurs (Give Me My Heart back), il n’hésite plus à s’ouvrir, à frotter son sentimentalisme minimal à des influences dub (l’introductive et géniale Voodoo) ou latino (la chamanesque et trippée Black Magic). Il maîtrise avec une rare intelligence le spectre électronique, livrant un album qui alterne à la perfection hymnes club ecstasiés (la droguée Rabbits in a Hurry), respirations atmosphériques et chansons de lover plus intimistes (Joanna, Friday Night). “Je suis le mouton noir de le famille”, chante-t-il dans l’autobiographique et renversant Country Boy. Qu’il ne change surtout pas. Géraldine Sarratia

El Boy Die The Black Hawk Ladies & Tambourins Semprini Records/Differ-ant

Hippie et placide, un album où le folk fait des ronds de fumée – pas clairs. Il y a dans ces chansons, dans leurs chœurs sabbatiques (Journey of a Lame Deer), leur pouls tribal (Man Eagle) et leurs arrangements de cuivres et claviers d’une beauté dépassant l’entendement (l’instrumental Pathway to Heaven), de quoi entrer en transe. Venus prêter main fragile, des membres d’Herman Dune, de Yeti Lane et de Cyann & Ben ont déjà succombé à ce folk nébuleux et haut perché aux faux airs de somnifère sonore. Combien suivront avant que les autorités ne réagissent ? B. M. www.elboydie.com En écoute sur lesinrocks.com avec

Album Kilimanjaro (Kompakt/Modulor) www.myspace.com/superpitcher

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Cluster Qua Klangband/Le Son

JD Beauvallet

www.myspace.com/ theonlyclusterthatmatters

Jules Dromigny

Du Maquis/Harmonia Mundi

Quarante ans après leurs premiers blips, retour des géniaux pionniers electro. Distribuée à l’emportepièce à trop de vétérans insignifiants, l’étiquette de “précurseur séminal” semble avoir été inventée pour des groupes comme Cluster. Influents dès leurs débuts en 1971 – de Bowie à Eno –, ils demeurent une source constante d’inspiration pour toute une electro contemplative et hypnotique – de M83 à Radiohead. Après quarante ans de recherches soniques, Hans-Joachim Roedelius et Dieter Moebius reviennent sauver l’époque de la surtension : les plages de Qua ne sont que baume mais ne s’abaissent pourtant jamais à la décoration new-age plouc. Etonnamment courtes, elles grouillent au contraire de vie et de malice, de textures miraculeuses, fuyant la nature morte pour se déplacer comme des dunes au rythme de percussions étouffées, calfeutrées. Alors Qua ? Wunderbar (à shisha).

Moussu T e Lei Jovents Putan de cançon Manivette Records/Harmonia Mundi Depuis Marseille, des chansons subversives qui donnent envie de succomber à la paresse, à la bouteille et au hamac.

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t si la cigale avait raison ? Si, contrairement à ce qu’en conclut la fable, la vraie prudence résidait non dans l’accumulation de biens mais dans le bon usage du moment présent ? Pour Moussu T e Lei Jovents, la question ne se pose pas. Conforme à une posture qu’ils défendent depuis leurs débuts en 2005, les Ciotadens proposent un quatrième album qui se veut

à la fois un manifeste du dilettantisme et un prétexte à s’y abandonner sans façon. Autant dire : Putan de cançon est une réussite, un disque à la fois jovial, distrayant et subversif. On y conspue la dictature de L’Horloge (“On ne prend plus le temps d’aimer”). On y incite à la flânerie, à la rêverie, à la polissonnerie. Sur Comme 2 mouches, on y encourage même un peu l’ivrognerie. Autant d’activités contreproductives qui échappent

à la frénésie de l’époque et détournent de l’angoisse du vide, exaltées avec un zèle dissident sur des musiques gaies et chaloupées, qui semblent vouloir épouser le mouvement des vagues agitant le littoral marseillais, du Nordeste brésilien ou du delta du Mississippi. Ce sens de l’unité dans la nuance, d’un chant provençal traversé de blues et de maracatu, Moussu T e Lei Jovents en ont fait une signature, un style à eux, qu’ils pimentent ici d’un soupçon de tropicalisme avec des guitares un peu plus électriques qu’à l’habitude (Alba 7). Evidemment, il sera toujours plus facile d’être cigale, de chanter et de danser sous le soleil généreux de Marseille, où l’on se sentira toujours moins dépourvu quand la bise sera venue. Dans Bons baisers de Marseille, les collègues ne se privent d’ailleurs pas de nous faire un peu bicher. Mais après tout, leur but n’est-il pas justement de rendre contagieux un certain bien-être, de suggérer qu’au lieu de pester vainement contre l’époque il serait préférable de réapprivoiser ce sens du plaisir pouvant illuminer certains des instants qui la produisent ? Francis Dordor

http://moussut.ohaime.com

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François Berthier

Yelle La Musique

Kitsuné/Topplers

Riche retour de l’electro espiègle de Yelle : en avant La Musique.

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epuis qu’internet a joué les prodigieux accélérateurs de particules, un groupe est vétéran/retraité après deux mois de carrière, une nouveauté semble une antiquité en quelques heures. Depuis que Yelle, frimousse goguenarde et electro pétulante, est apparue, il s’est ainsi écoulé des siècles : tant de suiveuses, tant de parodies depuis MySpace 2006… Trois ans jour

pour jour après son premier album, et sept ou huit tours du monde (et du beau monde : Chiddy Bang, Crookers…) additionnés sur sa carte Flying Blue, Yelle revient aux fondamentaux : le label Kitsuné et une electro-pop moins fluo, moins fluette, liée à Lio, mordorée par Moroder – notamment sur un remix hébétant signé Discodeine. JDB www.yelle.fr

Wolf Gang Lions in Cage A Londres, un jeune garçon fait sa fête à la pop, et le pont entre le décorum rococo d’Empire Of The Sun et la flamboyance de Mika. Ce Lions in Cage pourrait bientôt s’échapper et s’inviter sur la FM tout l’hiver. www.myspace.com/thisiswolfgang

Gorillaz Live on Letterman Avant leur passage à Paris, échauffement avec ce live de quarantecinq minutes tourné en direct du Ed Sullivan Theater dans le cadre de la célèbre émission de David Letterman : outre l’excellente qualité de l’enregistrement et le casting (Mick Jones, Paul Simonon, De La Soul), la prestation est tout bonnement formidable. tinyurl.com/2u3enx9

Bab Lee Sous les cocotiers. From Côte d’Ivoire via l’insolite compile The Sound of Club Secousse (consacrée à la dance-music africaine), un grand instru coupé-décalé qui donne envie de bouger son popotin dès le matin. Attention : ce morceau provoque l’addiction. www.youtube.com

Goldigger Petit amusement L’electro tapageuse de ce jeune surdoué des platines – 17 ans seulement – n’en est qu’à ses balbutiements mais fait déjà beaucoup de bruit sur la planète DJ. Dans les pas de Brodinski, Goldigger creuse son sillon. www.cqfd.com/thegoldigger

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Aanorak 20/10 Toulouse, 23/10 Arles, 2/11 Lille, 6/11 Rennes, 13/11 Reims, 19/11 Montpellier, 20/11 Perpignan, 2/12 Angers, 16/12 Strasbourg Aaron 14 & 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 20/10 Paris, Social Club, 23/10 Angers, 6/11 Rennes, 10/11 Marseille, 12/11 ClermontFerrand, 26/11 Nancy, 27/11 Strasbourg, 1/12 Rouen Against Me! 7/11 Paris, Maroquinerie The Amplifetes 12/11 Caen, 13/11 Le Mans, 20/11 Le Havre, 26/11 Marseille Arcade Fire 24/11 Marseille, 26/11 Lyon Archie Bronson Outfit 31/10 Paris, Maroquinerie BB Brunes 24/11 Paris, Olympia Beast 20/10 Bourgen-Bresse, 21/10 Mulhouse, 22/10 Sannois, 23/10 Nantes, 24/10 Laval Best Coast 3/12 Paris, Nouveau Casino The Bewitched Hands… 29/10 Rennes, 30/10 Vendôme, 4/11 Lyon, 5/11 Mulhouse, 6/11 Nancy, 8/11 Paris, Zénith, 10/11 Marseille, 11/11 Montpellier, 12/11 Arles, 19/11 Sannois, 20/11 Tourcoing, 24/11 Brest, 25/11 Nantes, 26/11 Laval, 27/11 Angoulême Big Boi 5/11 Paris, Elysée Montmartre The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes

The Bloody Beetroots 10/11 Paris, Grande Halle de la Villette Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand, 22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Caribou 4/11 Montpellier, 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Cascadeur 21/10 Figeac, 22/10 Tulle, 29/10 Vendôme; 6/11 Brétignysur-Orge, 7/11 Paris, Cigale, 12/11 Arles, 20/11 Perpignan, 25/11 Amiens, 10/12 Rennes, 17/12 Mondorf-lesBains The Charlatans 4/11 Paris, Trabendo Chocolate Genius 24/11 Paris, Boule Noire Clarika 6/12 Paris, Palace Lloyd Cole 5/11 Paris, Alhambra Crystal Castles 30/10 Paris, Cigale.

Da Brasilians Ils sont français, mais leur musique scrute

la west coast de Crosby, Stills, Nash & Young. Premier album début novembre. 11/11 Brest (+ Katerine), 17/11 Paris, Flèche d’Or, 19/11 Alençon (+ Katerine), 20/11 Lille ( + Katerine), 23/11 Strasbourg ( + Katerine), 26/11 Reims (+ Katerine), 30/11 Paris, Bataclan (+ Gush) Einstürzende Neubauten 16 & 17/11 Paris, Cité de la Musique Tiken Jah Fakoly 19/11 Perpignan Elysian Fields 21/10 Marseille, 23/10 Rognes, 28/10 Lausanne Foals 16/11 Lille, 17/11 Nantes, 19/11 ClermontFerrand, 20/11 Bordeaux, 21/11 Toulouse, 23/11 Lyon, 24/11 Strasbourg, 25/11 Paris, Elysée Montmartre Fortune 29/10 Massy, 5/11 Toulouse, 13/11 Reims, 20/11 Paris, Maroquinerie, 9/10 Rennes, 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix Chris Garneau 19/11 Blois, 20/11 Colmar, 25/11 Le Havre Goldfrapp 22/11 Paris, Trianon Gorillaz 22 & 23/11 Paris, Zénith Gossip 9/12 Paris, POPB, avec Metronomy, Hercules And Love Affair Gush 30/11 Paris, Bataclan Hey Hey My My 23/11 Paris, Bataclan I Am Kloot 24/10 Paris, Maroquinerie Inrocks Indie Club 19/11 Paris, Flèche d’Or,

avec The Walkmen, Frangie & The Heartstrings Interpol 16/11 Marseille John & Jehn 22/10 Figeac, 23/10 Cholet, 3/11 Strasbourg, 4/11 Dijon, 9/11 Paris, Flèche d’Or, 10/11 Caen, 11/11 Lorient Camélia Jordana 8/11 Paris, Cigale Junip 28/11 Paris, Cabaret Sauvage Katerine 7/11 Paris, Cigale (Festival Les InrocksBlack XS), 19/11 Alençon, 20/11 Lille, 24/11 Lyon, 7/12 Paris, Casino de Paris, 9/12 SaintEtienne, 10/12 Lausanne Kelis 24/10 Strasbourg Kim 22/10 Paris, Souffle Continu, 19/11 Auch Lady Gaga 23/10 Paris, POPB, 2/12 Lyon La Fiancée 13 & 16/11 Paris, Ciné 13 The Lanskies 12/11 Lille, 19/11 Cherbourg, 11/12 Bordeaux Robin Leduc 17/11 Paris, Zèbre de Belleville The Legendary Tiger Man 20/10 Cognac, 21/10 Dijon Festival Les Inrocks Black XS Du 3 au 9/11 à Paris, Lille, Nantes et Toulouse, avec LCD Soundsystem, Katerine, Anna Calvi, Scissor Sisters, Midlake, Beach House, John Grant, The Acorn, The Drums, Carl Barât, Surfer Blood, The Coral, Local Natives, Warpaint, La Patère Rose, Kele, Monarchy, Villagers,

Theophilus London… Alice Lewis 20/10 Tourcoing, 21/10 Angers, 22/10 Le Havre, 23/10 Rennes, 24/10 Paris, Machine, 26/10 Amiens, 29/10 Nantes, 30/10 Brest Liars 27/10 Rennes, 28/10 Paris, Machine, 29/10 Dijon, 30/10 Vendôme, 31/10 Nantes Lykke Li 2/11 Paris, Maroquinerie Cheikh Lô 9/11 Paris, Divan du Monde Madjo 16/11 Paris, Maroquinerie Florent Marchet 21/10 Montpellier, 23/10 Trappes, 29/10 Miramontde-Guyenne, 30/10 ClermontFerrand, 6/11 Tourcoing, 9/11 Paris, Café de la Danse, 19/11 Rouen, 26/11 Villeurbanne, 27/11 Delémont, 3/12 Cannes, 8/12 Lens, 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2 Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise, 1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux Marina & The Diamonds 30/11 Paris, Alhambra Midnight Juggernauts 20/10 Toulouse Minitel Rose 21/10 Arles, 6/11 Rennes, 20/11 Le Havre, 28/1 Orvault, 6/2 Tours Miossec 20/10 Quimper, 22/10 Bourgen-Bresse, 23/10 Les Mureaux Morcheeba 30/10 Marseille, 31/10 Toulouse, 1/11 Lyon Jean-Louis Murat

23/11 Paris, Alhambra My Bee’s Garden 30/10 Tourcoing, 1/11 Paris, Maroquinerie

Yael Naim Les irrésistibles pop-songs de She Was a Boy, le nouvel album de Yael Naim, seront bientôt dans vos têtes. Et la demoiselle sur scène. 7 & 8/12 Paris, Café de la Danse, 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille, 9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon JP Nataf 8/11 Cébezat, 9/11 Unieux, 13/11 Franconville, 18/11 Avernes, 19/11 Orléans, 20/11 Le Havre, 26/11 Beaucourt, 18/1 Paris, église Saint-Eustache The National 23/11 Paris, Olympia Nuits sonores Du 10 au 14/11 à Toulouse, avec Chloé, Ivan Smagghe, Panta du Prince, El Guincho, Erol Alkan… OMD 25/11 Paris, Casino de Paris La Patère Rose 5/11 Lille, 6/11 Paris, Cigale, 7/11 Nantes, 9/11 Toulouse Raul Paz 22/10 Tourcoing, 5/11 Cherbourg, 9/11 Bordeaux, 11/11 Marseille, 12/11 Toulouse, 13/11 Etaples,

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Dès cette semaine

7/12 Paris, Bataclan, 11/12 Rouen, 15/12 Cébazat, 16/12 Lyon, 17/12 Montpellier, 10/5 Montargis, 13/5 Noyon Petit Bateau x Kitsuné Maison En Vrai ! # 7 3/11 Paris, Boule Noire, dans le cadre du Festival Les Inrocks Black XS, avec School Of Seven Bells, Gold Future Joy Machine, Clock Opera Plan B 16/11 Paris, Bataclan, 17/11 Lille Pony Pony Run Run 12/11 Paris, Zénith, 17/11 Bordeaux Julien Pras 23/10 Guyancourt, 25/10 Vendôme, 30/10 Caen Professor Green

1/11 Paris, Nouveau Casino Puggy 8/11 Paris, Bataclan Festival Rockomotives Du 23 au 31/10, Vendôme, avec Le Prince Miiaou, Chapelier Fou, Gaétan Roussel, Cascadeur, Troy Von Balthazar, The Bewitched Hands… Scout Niblett 12/11 Lille, 13/11 Metz, 14/11 Grenoble, 15/11 Montpellier, 16/11 Lyon, 17/11 Belfort Severin 13/11 Metz, 19/11 Evreux, 20/11 Tourcoing, 24/11 Palaiseau, 25/11 Orléans Sexy Sushi 29/10 Pau, 30/10 Limoges, 5/11 Brest, 6/11 Caen, 10/11 Orléans, 3/12 Paris, Cigale

Youn Sun Nah 6/2 Schiltigheim, 8/2 Cusset, 9/2 Carquefou, 10/2 Lanester Suede 28/11 Paris, Elysée Montmartre Supertramp 27/10 Lille

Tame Impala Ceux qui ont raté le passage de MGMT en France peuvent se rattraper avec les moins connus Tame Impala, qui partagent le même joyeux psychédélisme dans les mélodies. 30/10 Tourcoing, 31/10 Nantes, 1/11 Paris, Maroquinerie These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou

Yann Tiersen 21/11 ClermontFerrand, 22/11 Paris, Elysée Montmartre, 23/11 Marseille Les Trans Musicales de Rennes Du 8 au 11/12 Rennes, avec Funeral Party, Gonjasufi, Stromae, M.I.A, Matthew Dear, Janelle Monaé… Tunng 20/10 Tourcoing, 21/10 Angers, 22/10 Le Havre, 23/10 Rennes, 24/10 Paris, Machine, 26/10 Amiens Two Door Cinema Club 25/11 Paris, Olympia Vampire Weekend 17/11 Paris, Zénith Nibs Van der Spuy 21/10 Paris, Sunset

Nouvelles locations

Suzanne Vega 4/11 Paris, Théâtre Marigny Troy Von Balthazar 22/10 Nîmes, 26/10 Liège, 28/10 Roubaix, 29/10 Vendôme, 31/10 Dijon, 2/11 Lyon, 3/11 Bruxelles, 4/11 Paris, Point Ephémère, 5/11 Rouen, 8/11 Caen V. V. B rown 8/11 Marseille, 9/11 ClermontFerrand, 10/11 Strasbourg, 11/11 Lille, 13/11 Nantes, 15/11 Paris, Bataclan, 17/11 Toulouse Catherine Watine (+ Maud Lübeck + Christelle Berthon) 26/11 Paris, Théâtre de la ReineBlanche Wavves 22/11 Paris, Point Ephémère

En location

Emily Jane White 12/11 Strasbourg, 13/11 Saint-Maixent, 15 & 16/11 Paris, Européen, 18/11 Orléans, 19/11 Toulouse, 20/11 La Roche-sur-Yon, 22/11 Dijon, 23/11 Marseille, 24/11 Périgueux, 26/11 Aubenas Shannon Wright 8/11 Lille, 10/11 SaintNazaire, 11/11 Tours, 12/11 Magny-leHongre, 13/11 Angoulême, 14/11 Toulouse, 15/11 Marseille 18/11 Dundingen (Suisse), 19/11 Mâcon, 20/11 Bourgoin-Jallieu, 21/11 Paris, Maroquinerie, 23/11 Rennes Yeasayer 26/10 Paris, Bataclan Zola Jesus 18/11 Paris, Fondation Cartier

aftershow

Pierre Henry Le 21 octobre à Paris (chez lui) Le concept de concert à domicile est tendance. Et comme souvent, l’illustre compositeur Pierre Henry fut un des pionniers de la chose. Pour la sixième fois, il reçoit les spectateurs-auditeurs dans sa maison du XIIe arrondissement de Paris, son (techno) logis depuis près de quarante ans. Avant de se répartir dans les six pièces sonorisées (on choisira la chambre), la quarantaine de visiteurs en prend plein les yeux : tous les murs sont couverts d’œuvres plastiques de Pierre Henry, à base de morceaux de pianos, de boulons, de composants électroniques vintage. Bienvenue dans une maison-monde, une œuvre en soi, “la maison de sons”, comme est titré le livre de photos qui lui est consacré. Bric-à-brac un peu branque, qui semble vibrer et bruisser avant même que l’“artiste” n’envoie la musique depuis son studio du rez-de-chaussée. Trois œuvres sont diffusées, musique concrète vive et ludique, pelotes de sons qui illustrent les recherches de Pierre Henry sur les relations entre acoustique, images et espace. Chez Pierre Henry, les murs ont des oreilles, aussi grandes ouvertes que la porte. Stéphane Deschamps Concerts Jusqu’au 30 octobre à 18 h et 20 h 30, à l’occasion de la parution du livre La Maison de sons de Pierre Henry (Fage Editions), vendu avec le CD des œuvres présentées. 20.10.2010 les inrockuptibles 95

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Polaroid de jeunes filles Nine Antico rafraîchit l’univers de la BD frenchie et dynamite le rayon girlie avec ses héroïnes drôlissimes, son ton acidulé et son trait vintage.

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’imagines un peu si on était grosses… – Je crois que je le vivrais très mal. – On serait obligées d’être hyper sympa. – Ou drôles…” Ce dialogue au couteau donne le ton de Girls Don’t Cry, le nouvel album de Nine Antico. La jeune auteur de 29 ans y dissèque avec finesse et humour les préoccupations d’un trio de demoiselles impertinentes, Marie, Pauline et Julie. A travers des saynètes en une planche qui finissent par former un récit homogène, elle raconte les relations amoureuses bancales, les petits machiavélismes de l’amitié entre filles. Nine Antico, qui dessine depuis toujours “des gens, des robes, et des

filles en robe”, a longtemps mûri son art. “Je n’ai pas été élevée dans l’amour de la BD. Chez nous, il y avait deux Astérix et trois Lucky Luke. C’est arrivé au fur et à mesure. Je croquais mes copines, les bêtises qu’on se racontait. Un jour, j’ai commencé à découper un dialogue et c’est venu tout doucement, comme ça”, se rappelle-t-elle. Cette fan de rock aime dessiner ses idoles en concert, qu’elle montre dans son fanzine Rock This Way, dans le recueil Too Drunk to Do the Show. Devenue attachée de presse aux éditions Cornélius, elle découvre Charles Burns, Ludovic Debeurme, Daniel Clowes. En 2008, elle choisit de se consacrer pleinement à la BD

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en marge

l’art ou la vie ?

Hélène Giansily

Régis Jauffret, Larry Clark, Michel Houellebecq… Parce qu’inspirés par le réel, ils sont attaqués. Une négation de l’art récurrente.

avec Le Goût du paradis, un roman (autobio)graphique plein d’esprit, sélectionné au Festival d’Angoulême. Après avoir étoffé sa narration dans Coney Island Baby, biographie croisée et fantasmée de la pin-up Betty Page et de l’actrice porno Linda Lovelace, elle affirme aujourd’hui son style, subtil et raffiné, dans Girls Don’t Cry – deux titres empruntés au rock, le premier à Lou Reed, le second à Cure, parce que Nine aime “le pouvoir d’évocation des chansons”. Avec Girls Don’t Cry, on est loin des stéréotypes et des situations convenues de la bande dessinée “de fille”. Ici, pas de mièvreries à la Bridget Jones. Ses héroïnes ont la langue bien pendue, assassinent leurs camarades de cours en deux mots, sont pestes entre elles, acerbes et désenchantées avec les garçons. Mais elles ne sont pas écervelées, ne surjouent pas leur rôle de fille. Girls Don’t Cry est aux antipodes de la production actuelle et de ses personnages clichés, où Nine Antico ne se reconnaît pas : “C’est exactement là où on nous attend. On dirait du marketing pour magazine féminin.” Sa hantise ? Etre “cucul” et classée dans les BD “girlie” à la Fnac. Ce qui rend sa nouvelle œuvre si élégante tient dans cette façon qu’a Nine Antico de seulement suggérer. De Marie, Pauline et Julie, aux visages esquissés, aux corps déliés, on ne sait pas grand-chose. Elles ne sont pas accrochées à leur portable, ne chatent pas sur MSN, sont soucieuses de leur apparence sans être accro du shopping, sans fantasmer devant des marques “glamour” ou des séries US. Nine Antico laisse du blanc, de l’espace autour de ses personnages, faisant ainsi de la place à l’imagination. “Je voulais que ce soit intemporel pour que ça ne se démode pas. Géographiquement, j’essaie de localiser le moins possible, parce que ce n’est pas important. Est-ce qu’elles habitent seules,

chez leurs parents ? J’aime que cela reste incertain.” Le côté hors du temps de Girls Don’t Cry est renforcé par son dessin rétro, par ses couleurs (qu’elle a faites elle-même pour la première fois) aux magnifiques teintes automnales. Les préoccupations de Marie, Pauline et Julie tournent souvent autour de la séduction (vais-je lui plaire ? teinture vénitien suprême ou vénitien glossy ? comment gérer le lendemain matin ?…), mais il y a de la distance et de l’ironie dans le propos. “Mes héroïnes ont un côté méchant. Mes personnages sont très inspirés de mon entourage et de moi-même. Je sais que j’ai mauvais esprit, je vois un peu le mal partout”, rit-elle. Nine Antico observe, capte l’air du temps, enregistre les répliques imparables. Elle s’en amuse : “Dans mes carnets, je note quand j’ai passé la nuit avec quelqu’un. Même si ça a été pourri, je sais que je vais pouvoir en tirer un truc que je pourrai injecter quelque part…” Comme Riad Sattouf avec ses adolescents pris sur le vif, Nine fait parler Marie, Pauline et Julie avec naturel et sans affectation. Mais derrière les remarques acides et les moqueries, il y a aussi une réflexion sur la féminité aujourd’hui : comment concilier le fait d’être un esprit libre et de vouloir plaire, dans quelles limites peut-on faire des concessions pour séduire ? “Je voulais parler de femmes qui avaient choisi de jouer de leur séduction et d’en faire un métier. C’était une extrapolation de mes préoccupations : quand tu es une femme et que tu séduis, qu’est-ce que tu renvoies comme image, est-ce celle que tu as envie de transmettre ? Moi, quand j’étais plus petite, je ne pensais pas que je serais une jeune femme mettant des jupes, du rouge à lèvres, du vernis. Comment en arrive-t-on là ?” Anne-Claire Norot Girls Don’t Cry (Glénat), 56 pages, 13 €

La famille Stern assigne en justice les éditions du Seuil et Régis Jauffret, demandant purement et simplement le retrait du roman, Sévère, neuf mois après sa sortie. Soit il faut neuf mois à la famille Stern pour lire un livre, soit leur visée est autre : bloquer, par exemple, l’adaptation du livre en film et en interdire, en s’attaquant à sa source, la production. On notera au passage, entre autres absurdités de l’affaire, que le Seuil ne détient pas les droits cinématographiques, et que le producteur n’est pas inquiété. Bref, les Stern demandent le retrait d’un roman où le nom de Stern n’est jamais mentionné, et où l’auteur met explicitement en garde le lecteur, arguant qu’il s’agit d’une fiction. Pourtant, ça n’a jamais empêché les menaces de censure, au contraire même, comme s’il était plus aisé de s’attaquer à un romancier qu’à un journaliste d’investigation. Et c’est au fond toujours la même soupe rance qu’on nous sert : l’art doit mijoter avec les ingrédients du conte de fées, pas ceux du réel. Que Jauffret se soit inspiré, en le réinventant au gré de son écriture romanesque, d’un fait divers (la mort du banquier Edouard Stern) est indubitable. Qu’il en fasse autre chose dans son roman est un fait – qui ne concerne plus la famille Stern. Récemment, un problème pas si éloigné s’est posé pour Larry Clark : inspirées du réel de la vie des adolescents, entre sexe et drogue, ses photos sont interdites aux moins de 18 ans, soit aux ados réels, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Quant à Michel Houellebecq, il aurait plagié Wikipédia… Ces affaires témoignent d’un commun acharnement à nier le fondement même de l’art et le geste des artistes : utiliser des outils existant dans la réalité en les réinventant. Ça s’appelle l’inspiration. Et il faut être assez con pour croire qu’elle provient d’une muse.

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La Cité Frochot, dans le IXe : l’antre de Fantômas

aux portes de la fiction Où habitent les personnages de roman ? Didier Blonde enquête sur leurs adresses, véritables intersections entre imaginaire et réel, dans un bel essai et un livre-répertoire.

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ves Saint Laurent, en quittant la mode en 2003, avait eu cette phrase bouleversante : “Tout homme, pour vivre, a besoin de fantômes esthétiques.” Les siens furent, entre autres, La Recherche… de Proust et Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson. Didier Blonde fait partie de ces êtres hantés par ces fantômes esthétiques sans qui la vie n’aurait presque plus de sens, et c’est à les traquer, les ressusciter, qu’il a consacré tous ses livres. Enquêtes pour faire (re)vivre les personnages et acteurs des films muets, dont les beaux Fantômes du muet et Un amour sans paroles. Un peu Sophie Calle, surtout très Patrick Modiano, il fouille aujourd’hui cet interstice où la fiction rencontre la réalité, formant une sorte de vie autonome qui ne serait ni vraiment réelle ni totalement fictive : les adresses où vivent les personnages de roman. Ces adresses intéressent Blonde par leur pouvoir magique : ce sont elles qui vont achever d’incarner un personnage,

de le rendre vraisemblable, en devenant pour lui comme un “certificat d’existence”. Arsène Lupin vit au 95, rue Charles-Laffitte à Paris : “A partir de cet instant, le 95, rue Charles-Laffitte est devenu le numéro d’une passe magique qui a fait d’Arsène Lupin un être bien vivant, qui fréquentait mon quartier, que je pourrais rencontrer, le soir surtout (…).” Véritable Rouletabille de la fiction, Didier Blonde va sillonner les rues de Paris à la recherche de ces adresses qui parfois n’existent plus – dès lors le roman imprime un plan de Paris en palimpseste au Paris présent – ou qui souvent n’ont jamais existé. Rien de plus beau que ces “ter” ou ces “bis” qui agrémentent les adresses des personnages et qui n’ont pourtant aucune réalité : “J’ai vite appris à suspecter ces petits bis si élégants, un peu désuets, ajoutés trop facilement mais qui font tellement vrais, et détournent l’attention. Précision ironique d’un simple clin d’œil de l’auteur qui me met en alerte. L’exposant mathématique fait bégayer les chiffres – et signale une fois sur deux le lieu manquant.”

Renaud Monfourny

où vivent-ils ? Fantômas (in Juve contre Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain) “Cité Frochot, IXe, le deuxième hôtel à droite, après la grille d’entrée de cette voie privée, sous le nom de docteur Chalek.” M. et Mme Verdurin (in La Recherche du temps perdu de Proust) Rue Montalivet, VIIIe, “un magnifique rez-de-chaussée avec entresol donnant sur un jardin”. Frédéric Moreau (in L’Education sentimentale de Flaubert) “Rue Saint-Hyacinthe (aujourd’hui rue Paillet, Ve) près de la Sorbonne où il suit paresseusement des études de droit, chambre au 2e étage d’un hôtel garni” (l’auteur, quand il était étudiant comme son héros, a habité au 29 de la même rue en 1842).

Si l’adresse d’un personnage lui confère une aura de réalité, un chiffre qui se répète nous fait basculer dans les territoires de la fiction : ce qui n’existe pas “pour de vrai” mais duplique pourtant le monde réel, ou plutôt le “bis(se)”. Toute la fiction, tout le roman giseraient là, dans ce petit “plus”  du réel – tous nos rêves vivent dans la maison “en plus”, semblent nous dire ces adresses, cet “espace de l’imaginaire” comme l’indique Blonde. “Ce sont des adresses de rêve pour des êtres en fraude, des faux vivants, qui donnent le change et mettent le roman au coin de la rue.” Un roman lu par d’autres êtres en fraude – qui, s’ils ne l’étaient pas, s’ils n’avaient pas besoin de ces fantômes pour se sentir vivants, n’auraient pas besoin de littérature. Car après tout, quelle est la véritable adresse des personnages de roman ? La nôtre. C’est toujours à nous, lecteurs, que la fiction s’adresse à l’infini. Nelly Kaprièlian Carnet d’adresses (Gallimard/L’un et l’autre), 117 pages, 1 7,90 € Répertoire des domiciles parisiens de quelques personnages fictifs de la littérature (Editions la Pionnière), 120 pages, 18,50 €

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HORS-SÉRIE 20 monstres sacrés qui ont marqué la vie littéraire américaine du siècle passé.

Obsession sécuritaire, totalitarisme sanitaire… Juli Zeh dénonce les atteintes à la liberté dans un roman d’anticipation et un essai. Coup double corrosif. maginez un monde où le sport est obligatoire, où fumer une cigarette ou boire un verre de vin constitue un crime et tomber malade, un acte de terrorisme. L’enfer, non ? Pour son troisième livre, l’Allemande Juli Zeh, remarquée en 2007 pour l’excellent La Fille sans qualités, s’essaie au roman d’anticipation dans une fiction à mi-chemin entre 1984 et Le Meilleur des mondes. Nous sommes en 2057 et la vie des citoyens est régie par La Méthode, sorte de petit livre rouge antibactérien qui édicte les préceptes d’une dictature ultrahygiéniste. Dans ce système totalitaire où le culte du corps tient lieu d’idéologie et qui en cela peut rappeler le nazisme exaltant la vigueur physique des Jeunesses hitlériennes, quelques individus résistent. Regroupés au sein du DAM (“Droit à la maladie”), une organisation clandestine, ils sont considérés comme des terroristes. A priori, rien ne prédestine Mia Holl, biologiste et adepte docile de La Méthode, à prendre la tête de la révolte. Mais la mort de son frère Moritz, rebelle attachant et sacrifié, la transforme, malgré elle, en Antigone. D’une écriture froide et clinique, Juli Zeh, narratrice à l’omniscience très “Big Brother”, suit Mia dans son combat, qui la mène au tribunal, puis en prison. Malgré quelques imperfections (des dialogues un peu nombreux, un ton parfois démonstratif), Corpus delicti, comme tout bon roman de science-fiction, explore moins les virtualités du futur que les maux et les dérives du présent en leur offrant un miroir grossissant. “Fumer tue”, “manger cinq fruits et légumes par jour” : l’obsession sanitaire a d’ores et déjà ses slogans et ses fanatiques. En prétendant agir pour le bien des individus, La Méthode

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Marc Melki

total contrôle réduit leurs libertés à néant, annihile le concept même de sphère privée. L’Etat contrôle tout, de la concentration de sucs gastriques dans les eaux des toilettes jusqu’à la compatibilité immunologique des partenaires sexuels. Bien sûr, nous n’en sommes pas là, mais la société de surveillance décrite dans le roman s’échafaude chaque jour sous nos yeux, dans une indifférence presque totale. Juriste de formation, Juli Zeh rend compte de cette réalité insidieuse dans Atteinte à la liberté, un essai qui paraît en même temps que Corpus delicti, contrepoint éclairant et édifiant à la fiction. Avec l’écrivaine bulgare Ilija Trojanow, Zeh répertorie avec précision et humour les attaques menées contre les droits fondamentaux depuis les attentats du 11 Septembre, aux Etats-Unis mais aussi en Europe, sous prétexte de lutte contre le terrorisme : prolifération des caméras de surveillance, possibilité d’épier nos correspondances privées, flicage de nos moindres déplacements. Le démantèlement des libertés est en cours et l’actuelle psychose “Vigipirate” vient fort à propos étayer la thèse de Juli Zeh selon laquelle des Etats démocratiques gouvernent aujourd’hui par la peur. Finalement, de la fiction ou de la réalité, on ne saurait dire ce qui est le plus effrayant. Elisabeth Philippe Corpus delicti – Un procès de Juli Zeh (Actes Sud), traduit de l’allemand par Brigitte Hébert et Jean-Claude Colbus, 240 pages, 20 € Atteinte à la liberté – Les Dérives de l’obsession sécuritaire de Juli Zeh et Ilija Trojanow (Actes Sud), traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, 200 pages, 1 9 € 20.10.2010 les inrockuptibles 99

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Bret Easton Ellis OJack Kerouac OPhilip Roth OJ. D. Salinger OWilliam Burroughs OJames Ellroy OJohn Fante O Saul Bellow OAllen Ginsberg ORichard Brautigan OTruman OCapote O Joan Didion OHubert Selby Jr OSusan Sontag OToni Morrison OJim Harrison ODon DeLillo ORaymond Carver OJay McInerney OWilliam T. Vollmann

+ CD 8 titres

Sufjan Stevens, John Cale, Matmos ...

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Philippe Lopez/AFP

king Karl Il apparaît dans les romans de Michel Houellebecq, de Marie Nimier ou de Régis Jauffret. Plus qu’un figurant de luxe, Karl Lagerfeld insuffle le Zeitgeist à la littérature.

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première vue, le Roi de la Mode ressemblait à l’image qu’il donnait de lui dans la presse, en plus chaud ou plus moelleux peut-être, plus velouté. Il dégageait en vrai, si l’on peut parler de vérité à cet endroit, une immense propension à se faire aimer.” Le “Roi de la Mode”, avec des lettres capitales pour plus de majesté, c’est évidemment Karl Lagerfeld, couturier souverain et fil rouge haute couture de Photo-Photo, le dernier roman décousu de Marie Nimier, où il est question, pêle-mêle, d’une séance photo, d’un sosie à Baden-Baden et d’Huguette Malo, qui voue un culte au créateur allemand et collectionne les “karleries”, de l’emballage d’une bûche de Noël dessinée par le maître à la peluche à son effigie.

Figure iconique, le Kaiser Lagerfeld règne sur la mode, mais aussi sur le champ médiatique par son omniprésence. Il est partout : à la télévision, dans les magazines, les campagnes de prévention de la sécurité routière ou sur les bouteilles de Coca-Cola, avenue Montaigne ou chez H&M, et même dans des romans, personnalité à la fois unique, protéiforme et énigmatique. Avant d’apparaître chez Marie Nimier, Karl a fait une incursion dans l’univers de Michel Houellebecq, figurant de luxe dans La Possibilité d’une île. On le retrouve aussi dans Tibère et Marjorie de Régis Jauffret qui vient de paraître, apparition fugace et incongrue qui se mêle au souvenir du couple. Un jour, à Roissy, il les a pris en photo “comme un paparazzi avant de filer dans le salon des première classe”.

Photographe, Karl Lagerfeld se donne lui-même à voir comme un cliché. Hypervisible, il se cache paradoxalement derrière l’objectif comme derrière son éventail et, plus encore, derrière le personnage qu’il a façonné avec la même méticulosité qu’un tailleur Chanel : catogan poudré, lunettes noires, mitaines, débit mitraillette et réparties vipérines. Il avance masqué, prenant soin de nimber sa biographie de mystère, et c’est peut-être, en partie, ce qui nourrit la fascination des écrivains : le désir de le démasquer, de le révéler, comme on parle de révélateur en photographie, quitte à le recréer de toutes pièces, comme l’a fait Houellebecq. Dans La Possibilité d’une île, Karl Lagerfeld, invité d’un brunch chicissime, est décrit comme un “sauvage authentique” se ruant sur la nourriture, à mille lieues du control freak qu’il incarne : “J’ai soudain pris conscience qu’il aurait suffi d’enlever au couturier sa chemise à jabot, sa lavallière, son smoking à revers de satin, et de le recouvrir de peaux de bêtes : il aurait été parfait dans le rôle d’un Teuton des origines”, raconte Isabelle, l’un des personnages du livre. Mais même hors de tout roman, Karl Lagerfeld est un personnage romanesque, une fiction auto-créée. Ambitieux balzacien prêt à conquérir le monde comme l’a peint la journaliste anglaise Alicia Drake dans son enquête Beautiful People ou mondain proustien - Charlus échappé d’A la recherche du temps perdu –, Lagerfeld est aussi, voire surtout, un être éminemment warholien, image démultipliable à l’infini comme une sérigraphie sur laquelle peuvent se projeter toutes sortes de fantasmes. A l’instar de Kate Moss, autre icône mode absolue, il est un signe du temps et au-delà, une “mythologie” du XXIe siècle au sens où l’entendait Barthes, que Karl Lagerfeld a d’ailleurs pu croiser sur la piste du Sept ou du Palace. Karl incarne l’univers de la mode, ce reflet de l’époque beaucoup moins frivole qu’il n’y paraît et, en s’emparant de lui, les romanciers saisissent un peu du Zeitgeist, cousent leur œuvre à même la peau du contemporain. Elisabeth Philippe

la 4e dimension Martin Amis, pas très sexe Aveu d’impuissance. Dans une interview au Times, le romancier anglais explique qu’écrire une scène de sexe qui ne soit pas ridicule relève de la mission impossible. “La preuve, dit-il, il existe un prix des pires scènes de cul (“Bad Sex in Fiction Award”), mais pas un qui récompense les meilleures.”

à vomir

coup de jeune au Goncourt Le Goncourt plagierait-il le Goncourt des lycéens ? On n’a jamais vu autant de jeunes auteurs dans sa sélection : Maylis de Kerangal, Mathias Enard, Olivier Adam, Virginie Despentes… Remise du prix le 8 novembre.

L’ultraréac Renaud Camus compterait se présenter à la présidentielle, pour son “parti de l’In-nocence”. Son programme : lutter contre la “société pan-petite-bourgeoise et ultra-antiraciste”.

J.K. Rowling, reine d’Angleterre Plus forte que Victoria Beckham. La créatrice de Harry Potter a été désignée femme la plus influente du Royaume-Uni par la National Magazine Company, qui réunit les rédacteurs en chef des plus grands magazines du pays.

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le retour d’Agatha La reine du detective novel n’avait pas livré tous ses secrets. L’écrivain John Curran a passé les archives de la romancière au tamis pour en extraire des pépites. Les Carnets d’Agatha Christie et plus feront ainsi suite aux Carnets secrets d’Agatha Christie parus en février. A découvrir, trois nouvelles inédites dont l’une met en scène Miss Marple, la version originale de La Mystérieuse affaire de Styles et les notes du roman auquel travaillait Agatha Christie avant de mourir à l’âge de 85 ans, en 1976. Sortie mondiale en septembre 2011.

murder party Dans un pastiche sophistiqué en forme d’hommage à l’œuvre d’Agatha Christie, Antoine Bello ausculte à nouveau les rapports entre le réel et le langage. Un casse-tête vertigineux.

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hez Antoine Bello, la vérité est toujours ailleurs, incertaine, disséminée dans une quatrième dimension entre réel et fiction. Déjà dans Les Falsificateurs et Les Eclaireurs, les deux volets de son brillant roman d’espionnage,

le “Consortium de falsification du réel” infléchissait le cours de l’Histoire en inventant des histoires. Les récits élaborés par cette organisation secrète se substituaient à la réalité, la travestissaient en supercherie. Dans Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet, la vérité se cache de nouveau entre les lignes.

Emilie Brunet, jeune héritière richissime, s’est volatilisée avec son professeur de yoga et amant. Fugue ? Suicide ? Assassinat ? Pour élucider cette affaire, le détective Achille Dunot s’en remet entièrement à Hercule Poirot, son maître et modèle, et pense trouver la solution dans l’un des romans d’Agatha Christie – grille de lecture monomaniaque à travers laquelle il appréhende le monde, les êtres et les faits. Si, comme Poirot, Dunot se trouve doté de “petites cellules grises” en parfait état de marche, il souffre d’une étrange forme d’amnésie : d’un jour sur l’autre, il oublie tout, ce qui le contraint à consigner les éléments qu’il recueille pour son enquête dans un carnet. Ses notes, dont certains paragraphes sont étrangement raturés voire caviardés, constituent le roman que l’on a entre les mains, pastiche affiché et assumé du detective novel à l’anglaise, et plus particulièrement de l’univers d’Agatha Christie, idole de Dunot et reine absolue du genre : un style un peu guindé, des protagonistes très upperclass, des domestiques à l’ancienne, et surtout l’art du raisonnement et de la déduction plutôt que le terrain et l’action. Evoluant vers un duel cérébral entre l’enquêteur et son principal suspect – Claude Brunet, mari d’Emilie et éminent neurologue –, le livre ressemble à une partie

d’échecs où les mots remplacent les pièces. Et la narration, brouillée, cryptée, semble suivre la diagonale du fou. Car cette histoire, vertigineuse mise en abyme aux accents borgésiens tourne au Cluedo schizophrène, absurde et burlesque à la fois, et même au petit traité de phénoménologie. Au fur et à mesure qu’il écrit, Dunot s’interroge sur le rapport entre les mots et les choses, sur la capacité du langage, “prisme déformant”, à représenter le réel : “(…) la question essentielle, celle dont dépend au fond le succès de notre entreprise : serais-je capable de transcrire fidèlement mes impressions ?” Dunot a-t-il tout inventé ? Transcrit-il une enquête ou écrit-il son premier roman ? Et si la clé de l’énigme se dissimulait dans les béances de son récit ? Ou dans d’autres récits, dans les textes palimpsestes d’Agatha Christie, abondamment cités, ou dans ceux d’Edgar Allan Poe, autre référence ultraprésente dans le livre ? Casse-tête sophistiqué, drôle et intelligent, Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet se lit aussi comme un hommage érudit à la littérature policière et donne envie de (re)lire les chefsd’œuvre du genre. E. P. photo Brigitte Baudesson Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet (Gallimard), 256 pages, 1 7,50 € 20.10.2010 les inrockuptibles 101

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à venir

mercredi 20

On compare les vertus des différents sex-toys avec Régis Jauffret, invité de Pascale Clark pour son dernier roman, Tibère et Marjorie (Seuil), divagation burlesque sur la misère sexuelle et affective où il est beaucoup question de godes. Mais pas seulement. Comme on nous parle > France Inter > 9 h 10

Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? (Editions de l’Olivier) Jeune auteur américain à succès, découvert avec son premier roman Tout est illuminé, Jonathan Safran Foer s’interroge sur la condition des animaux dans nos sociétés occidentales et montre pourquoi il faut cesser de les manger, dans un essai qui a fait du bruit lors de sa sortie aux Etats-Unis. A travers ces questions, il livre avant tout une réflexion sur le sens de l’engagement de chacun à l’égard de ses idéaux, et sur la manière dont cet engagement prend forme dans sa vie personnelle. Ou de l’éthique comme pratique quotidienne. Sortie le 6 janvier 2011

Bastille, à 18 h, pour se plonger dans le New York de la fin des années 1960 avec l’icône rock Patti Smith, qui vient de publier Just Kids (Denoël) ; soit au Théâtre de l’Odéon pour écouter, à partir de 19 h, l’écrivain britannique Hanif Kureishi, invité du Festival Mediapart.

Philippe Matsas/Opale/Seuil

très belles rencontres et un choix jeudi 21 Deux cornélien. On file soit à L’Arbre à Lettres

Régis Jauffret

L’Arbre à Lettres, 62, rue du Faubourg-Saint-Antoine, Paris XIIe  ; www.mediapart.fr

vendredi 22

On complète sa collection avec la parution du troisième et dernier volume des nouvelles du maître de l’anticipation J. G. Ballard (Tristram), qui rassemble trente-neuf histoires publiées entre 1972 et 1996, dont sept textes inédits et des nouvelles cultes comme “Mythes d’un futur proche”. Nouvelles complètes, vol. 3 (Tristram), 704 pages, 29 €

Jonathan Coe Maxwell Sim (Gallimard) Jonathan Coe reviendra en janvier avec un grand roman sur la solitude inouïe d’un homme pourtant contemporain d’internet. Maxwell Sim n’a que soixante-dix amis sur Facebook, mais cela n’est pas le plus grave : sa femme l’a quitté, emmenant leur fille ; son père, au chevet duquel il se rend en Australie, ne l’aime pas, et, quand il commence à fouiller dans son passé à la recherche de ce que ses proches pensent vraiment de lui, il découvre que ceux-ci ne l’aiment pas plus, qu’il les a déçus. D’où le très beau titre en VO, The Terrible Privacy of Maxwell Sim, d’un roman sorti en GrandeBretagne en mai dernier. Sortie en janvier 2011

samedi 23

On redécouvre sous l’œil du romancier américain Henry James la littérature française de la fin du XIXe siècle. A Paris, James a fréquenté Flaubert, croisé Maupassant et Zola. Ces auteurs et d’autres, comme Balzac, lui ont inspiré des articles rassemblés dans La Situation littéraire actuelle en France (Seuil, 304 pages,23 €)

voyage dans l’histoire dimanche 24 On estonienne, âpre et violente,

J. G. B allard

avec la romancière finlandaise Sofi Oksanen, l’une des révélations de cette rentrée, qui vient parler de son superbe roman Purge, évocation puissante de l’occupation soviétique. Cosmopolitaine > France Inter > 14 h 05

Richard Yates Easter Parade (Robert Laffont)

Sofi Oksanen

est content de retrouver Will Self en un seul morceau. mardi 26 On Pour la première fois, les meilleures nouvelles de l’écrivain brit – dont celles du recueil La Théorie quantitative de la démence –, satires souvent absurdes et magistrales du quotidien, sont rassemblées en un seul volume, en VO, sous le titre The Undivided Self – Selected Stories (Bloomsbury), avec une préface signée par l’Américain Rick Moody. En bonus, un texte inédit.

Toni Härkönen

lundi 25

La Turquie ? New York ? Les deux, si on veut, avec les sorties en poche de La Maison du silence (Folio, 480 pages, 7,70 €) d’Orhan Pamuk, tableau sensible des cent dernières années de l’histoire turque, et de deux romans du New-Yorkais Jay McInerney, Moi tout craché et Toute ma vie (Points, 344 pages, 7 € et 220 pages, 6 €).

Connu pour son roman Revolutionary Road, devenu La Fenêtre panoramique en VF et Les Noces rebelles au cinéma, l’Americain Richard Yates s’éteignait en 1992 à l’âge de 66 ans, laissant toute une œuvre à traduire. Observateur aigu de l’intime et de la cruauté des rapports amoureux ou familiaux, Yates signait en 1976 ce magnifique Easter Parade, ou la trajectoire de deux sœurs, dont l’une a choisi le mariage et la vie de famille, l’autre l’indépendance financière et la liberté sexuelle. Sortie le 26 octobre

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Pierre-Oscar Lévy, Frederik Peeters Château de sable Atrabile, 96 pages, 17 €

America, America Entre l’humanité enregistrée par Studs Terkel et l’individualisme revendiqué par Peter Bagge se dessinent deux visions radicalement différentes de la société américaine.

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e qui fascine dans l’Amérique, c’est que tout y est amplifié. Les routes sont plus larges, les maisons plus grandes, les drames plus poignants, les cons plus cons. Et la bande dessinée, avec son effet de loupe, est le vecteur idéal pour traduire ces excès de l’Amérique réelle. Homme de radio, Studs Terkel a passé sa vie à recueillir les témoignages oraux de ses compatriotes, le plus souvent des inconnus, acteurs minuscules et anonymes de l’histoire. En 1974, il publie Working, un recueil qui dresse un tableau composite de la condition des travailleurs américains. Deux ans après la disparition de cet entomologiste social, une adaptation en bande dessinée redonne vie à ces témoignages simples et édifiants d’un facteur, d’une prostituée, d’un coiffeur… Ni pamphlet misérabiliste, ni document choc à la Michael Moore, Working frappe par son humanité et, surtout, son actualité.

La modernité narrative et graphique des différentes contributions, d’Harvey Pekar à Peter Kuper, souligne en effet combien, en près de quarante ans, les situations ont pu changer mais pas les préoccupations. Ces travailleurs désabusés et fatigués que sut écouter Studs Terkel, Peter Bagge les traiterait sans doute de râleurs et de feignants. Dans Tous des idiots sauf moi, ce libertarien (en France, on dit anar de droite) compile lui aussi ses reportages sur la mosaïque sociale américaine. Amusante cinq minutes, sa “lucidité”, qui n’épargne personne finit par écœurer car Peter Bagge est lui-même un de ces intégristes qu’il dénonce. La liberté individuelle est son seul critère d’appréciation, la Constitution américaine une table de la loi indépassable. Dans Apocalypse Nerd, il imagine les conséquences de la destruction atomique de Seattle. Derrière les péripéties loufoques, le message est prévisible, simple et triste : chacun pour soi. Jean-Baptiste Dupin

Un récit de SF angoissant et touchant. Sombre obsession que celle de la fuite du temps. Apollinaire figeait le cours de la Seine sous le pont Mirabeau et, par ses mots, son amour perdu pour Marie Laurencin ; Pierre-Oscar Lévy, au contraire, précipite la plage des Asturies de ses souvenirs d’enfant dans une temporalité frénétique, et ses indolents plagistes vers une vieillesse précoce. Inconscients, impuissants, les badauds s’agitent, en vain ; la mort s’annonce pour la nuit tombée. Entre La Quatrième Dimension et Buñuel, l’univers oppressant de Château de sable repose sur une angoisse sincère, une morale simple et quelques protagonistes incarnés. Dommage, l’emphase graphique de Frederik Peeters entame parfois la crédibilité des personnages. Leurs expressions, affectées en permanence, tendent à estomper les nuances psychologiques – un peu comme la surenchère chez les acteurs. Reste un touchant récit de SF, teinté de mélancolie, habité par la peur de la vacuité. Stéphane Beaujean

Studs Terkel – Working (Ça et Là/Editions Amsterdam), 224 pages, 22 €. A lire également Race – Histoires orales d’une obsession américaine de Studs Terkel (Editions Amsterdam) Tous des idiots sauf moi et Apocalypse Nerd de Peter Bagge (Delcourt, 120 pages, 17,50 € et Editions Rackham, 100 pages, 16 €) 104 les inrockuptibles 20.10.2010

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Exposition à la Fiac du 21 au 24/10. Courtesy Galerie Lovenbruck, Paris

Lang/Baumann, Beautiful Steps #3, 2010

et si l’art repiquait sa crise ? vernissages Pierre Huyghe Après avoir suscité rumeurs et jalousies, tant le tournage a été tenu secret, Pierre Huyghe présente à la galerie Marian Goodman son tout dernier film, The Host and the Cloud, réalisé au cours de trois soirées dans l’ancien musée national des Arts et Traditions populaires. Du 23 octobre au 27 novembre à la galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, Paris IIIe, www.mariangoodman.com

Larry Gagosian Annoncé depuis près d’un an, Larry Gagosian s’installe à Paris, dans un hôtel particulier du VIIIe arrondissement. Et inaugure en fanfare la 37e édition de la Fiac avec une exposition consacrée au designer Jean Prouvé. Galerie Larry Gagosian, 4, rue de Ponthieu, Paris VIIIe, www.gagosian.com

Christophe Lemaitre Aux passages à niveau, on peut lire ce message : “un train peut en cacher un autre”. La devise de l’exposition de Christophe Lemaitre à la Zoo Galerie pourrait être : “une image peut en cacher une autre”. Jusqu’au 4 décembre à la Zoo Galerie, 49, chaussée de la Madeleine, Nantes, www.zoogalerie.fr

Entre l’arrivée à Paris du galeriste Larry Gagosian et l’interdiction de l’expo Larry Clark, drôle d’ambiance dans le monde de l’art contemporain à quelques heures de l’ouverture de la Fiac.



i l’on y regarde de près, c’est dans un contexte assez particulier que s’ouvre la Fiac (Foire internationale d’art contemporain) cette semaine. D’un côté, un marché de l’art qui va son train, qui cherche à nous faire croire que tout est reparti “en avant comme avant”, aussi florissant qu’une sculpture manga de Murakami dans les ors de Versailles, et affichant à Paris sa bonne santé économique. La preuve avec l’arrivée du grand galeriste Larry Gagosian, qui ouvre un espace dans le VIIIe, ou l’ouverture par Steve Rosenblum, pdg de Pixmania, d’un espace privé dans le XIIIe où montrer sa collection aux invités VIP de la semaine. D’un autre côté, tout autre ambiance : des associations liées à l’extrême droite manifestent contre l’expo Murakami à Versailles ; Luc Ferry, Marc Fumaroli et Jean Clair reprennent la parole pour dénoncer la nullité de l’art contemporain ; le gouvernement flatte l’opinion d’extrême droite ; des journaux prennent le relais, et Valeurs actuelles titre en une “L’art des bouffons” ; l’exposition Larry Clark est censurée à la Mairie de Paris par crainte des procès : non, vous n’êtes pas en 1995, en pleine “crise de l’art contemporain”, mais en 2010. Comme si quelque chose était en train de se rejouer. D’une sortie de crise à l’autre, celle du marché immobilier à la fin des années 1980, celle des subprimes et des marchés boursiers en 2008.

Alors on refait le match ? Pas vraiment, et il faut suivre avec attention la manière dont les termes se déplacent. En 1995, on dénonçait l’insignifiance de l’art contemporain. Aujourd’hui c’est sa réussite faramineuse qui est conspuée par les mêmes voix indignées. Dans une tribune publiée dans Le Monde, Jean Clair réadapte son discours au contexte de cette crise, et il est facile d’être d’accord quand il accuse un paysage artistique trop largement conduit par les puissances financières et par un marché de l’art plus arbitraire que jamais dans ses choix. Mais on lui opposera plusieurs réalités de cet art contemporain qu’il s’obstine à méconnaître pour mieux le rejeter. D’abord l’évidence selon laquelle il n’y a plus un seul marché de l’art, mais des économies très variables d’une galerie à une autre, d’une foire à une autre, d’où leur nombre. Et surtout, on voit depuis quelques années déjà émerger des artistes qui, de Tino Sehgal à Benoît Maire, avaient senti venir le pli de la spéculation et se sont écartés du tout-spectaculaire et de l’argent massif. Loin d’adopter des positions esthétiques réactionnaires et de jouer aux néo-fauves des années 80, ils continuent d’expérimenter et tracent leur chemin radical dans un paysage marqué par la crise, à l’écart des autoroutes payantes. Jean-Max Colard Foire internationale d’art contemporain Du 21 au 24 octobre à Paris, au Grand Palais et au Louvre

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Courtesy Le Crédac

mausolée mobile Matériaux pauvres, nomadisme, fragilité : l’art de la Géorgienne Thea Djordjadze voyage dans des conditions précaires.

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raison funèbre au Crédac, à Ivry. Adossés au mur, déposés au sol, tapis dans un recoin de salle, les objets de Thea Djordjadze pourraient constituer le butin d’une opération de pillage. Sauf que, chez cette Géorgienne exposée pour la première fois dans une institution française, le mausolée saccagé n’est autre que le sien, celui qu’elle trimballe de Tbilissi (où elle ne vit plus) à Varsovie (où elle exposait l’hiver dernier), en passant par Berlin (où elle a élu domicile). Résolument nomade, cette artiste internationale, qui parle cinq langues sans en maîtriser aucune, réinvente sans cesse un répertoire de formes proto-archaïques constituées de matériaux sans qualité – glaise, grillage, métal et matelas de mousse poussiéreux – qu’elle assemble et désassemble au gré des expos. Prenez par exemple cet d’échafaudage bancal dont l’armature métallique rappelle étrangement la géométrie orientale de l’alphabet cyrillique, et qui

renferme en son sein un carré de mousse jauni. A la galerie Castillo Corrales, où Thea Djordjadze est également exposée jusqu’au 27 novembre, on retrouve à peu de choses près les mêmes matériaux, cette fois dans une configuration totalement inédite, une version augmentée qui confère à cette sculpture en stéréo le statut de fantôme – à moins que ce ne soit l’inverse. Si bien que les objets de Thea Djordjadze n’ont plus l’air si morts qu’ils y paraissaient au départ. Comme si, à travers ces déplacements infimes, l’artiste faisait ressurgir le potentiel performatif des objets qu’elle manipule. Comme si, même mort, même figé, le cœur saillant de ces objets-là battait encore. “La matière vérifie l’activité de l’esprit” : cette hypothèse – formulée par l’artiste Jean-Luc Moulène, également présenté dans l’exposition Mental Archeology du Credac, en compagnie de l’Allemand Matti Braun – fonctionne à plein régime chez Thea Djordjadze. De la même manière

que Moulène, avec ici une série de petits formats virtuoses (monochromes au feutre, série de “montres” dessinées sur une édition du New York Times et bouteille de plastique contractée au contact du feu), semble traduire en continu et sans perte ses élucubrations mentales, chez Djordjadze il s’agit de faire de la sculpture le témoin d’actions préalables. Comme si les objets qu’elle présente et qu’elle assigne, au propre comme au figuré, dans ses expositions, portaient en creux leur propre performativité, leur mémoire vive. A l’image de ce tas de glaise peu bavard, recroquevillé sous une table d’inspiration moderniste : entaillé par plusieurs sillons formant des angles droits, il porte en lui l’impact de la tranche d’un livre ouvert. Claire Moulène Mental Archeology Jusqu’au 19 décembre au Crédac, 93, avenue Georges-Gosnat, Ivry-sur-Seine, www.credac.fr Thea Djordjadze Jusqu’au 27 novembre à la galerie Castillo-Corrales, 65 rue Rébeval, Paris XIXe, www.castillocorrales.fr 20.10.2010 les inrockuptibles 107

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Agathe Poupeney/Fefephoto

à nos amours En faisant des Chaises une ode au désir de vivre, Luc Bondy transcende avec brio la farce ironique d’Eugène Ionesco.

N   première Salves conception Maguy Marin Sur le fil de l’émotion, de la révolte, de la peur, de l’épuisement. De l’euphorie également. Fragmenté comme un explosif, un spectacle d’une richesse inouïe. Du 26 au 30 octobre au Théâtre des Abbesses, Paris XVIIIe, tél. 01 42 74 22 77, www.theatredelaville.com

réservez Pond Way/Second Hand/ Antic Meet/Roaratorio chorégraphie Merce Cunningham Un an après la disparition de Merce Cunningham, le Festival d’automne à Paris revient sur son répertoire dans un programme qui retrace les grandes périodes de sa recherche. Du 3 au 13 novembre au Théâtre de la Ville, Paris IVe, Festival d’automne à Paris, tél. 01 53 45 17 17, www.festival-automne.com

o man’s land désert enchâssé dans un immense cube de voiles funéraires, le plateau du théâtre, parsemé de quelques flaques d’eau, est un noir champ de lave aux allures de rivage désolé, d’où la mer pour toujours se serait retirée. Comme des crabes, deux petits vieux y trottinent l’un derrière l’autre en suivant un invisible chemin délimitant les pourtours de la scène. Franchouillarde baguette de pain sous le bras pour lui, clope fumante au bec pour elle, leurs deux corps ne font plus qu’un. Tressautant de concert, ils semblent former l’ébauche d’une de ces improbables chenilles que les fêtards improvisent comme un dernier baroud d’honneur capable à lui seul de relancer l’ambiance en fin de soirée. Inscrivant sa mise en scène des Chaises sur le territoire métaphorique d’une mort omniprésente, Luc Bondy s’amuse de l’écriture d’Eugène Ionesco pour défier la faucheuse sur le terrain de l’humour noir. Avec lui, la plaisanterie est sans limites et, puisqu’il s’agit d’une “farce tragique”, pourquoi ne pas oser deux cordes tombant des cintres en forme d’invite faite à nos petits vieux de venir s’y pendre tout de suite ? C’est en affrontant l’ironie roublarde du prétendu “théâtre de l’absurde” que Luc Bondy triomphe avec élégance et par le rire de l’impossible équation posée sur le papier par Ionesco en 1952… Soit, devant un parterre de chaises vides, l’ultime soirée d’un couple, l’homme

Bondy s’amuse de l’écriture d’Ionesco pour défier la faucheuse sur le terrain de l’humour noir

et la femme ayant respectivement 95 et 94 ans. Deux presque centenaires qui, avant de se jeter dans la mer par la fenêtre, convoquent une armée de fantômes à assister à leur suicide. A travers le choix de deux jeunes acteurs pour jouer les vieux, Luc Bondy prend le parti d’enfermer l’énergie intacte de la vie au cœur même de la boîte de Pandore conçue par Ionesco. Là réside son trait de génie… Celui d’affirmer l’éternité de la jeunesse des humains derrière l’enveloppe des peaux ridées des visages, des coiffures de cheveux blancs et des corps déformés par l’âge. Un pied de nez aux idées reçues qui lui permet, en toute liberté, de transformer le cérémonial cynique en une ultime parade de désir entre deux amants qui n’ont jamais ni baissé les bras, ni renoncé au plaisir. A ce jeu, Dominique Reymond et Micha Lescot sont formidables, et le spectacle qu’ils nous offrent est extraordinaire de sincérité et d’émotion. L’apparition magique d’un vrai théâtre et celle d’un jeune rockeur aphone (Roch Leibovici) n’y feront rien, ce sont eux les seules vraies stars, tour à tour clowns d’un cirque dont les agrès sont les cordes des pendus, amants furtifs excités par le fantasme de se lutiner devant des invités invisibles, ou artistes de music-hall s’enivrant d’un dernier tango. Hymne à une jeunesse des âmes pour laquelle il n’est pas de retraite, la vision qu’a Luc Bondy des Chaises est d’abord une dédicace à cette vie terrestre dont la saveur jusqu’au bout se révèle sans prix. Patrick Sourd Les Chaises d’Eugène Ionesco, avec Dominique Reymond, Micha Lescot, Roch Leibovici, mise en scène Luc Bondy, jusqu’au 23 octobre au Théâtre Nanterre-Amandiers, Festival d’automne à Paris, www.nanterre-amandiers.com

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tickets to ride Le voyage, en retour ou en aller simple, comme centre d’une réflexion sur l’identité, dans deux pièces miroir jouées aux Francophonies en Limousin. e 30 septembre Mumbu, on suit le monologue manger, circuler, dernier, aux commérer, faire la fête, et il intérieur d’une journaliste Francophonies, concerne tout le monde. kinoise de 34 ans, lors de on pouvait Des fonctionnaires non payés son voyage en avion jusqu’à entendre les aux shegués (enfants des Paris. Un aller simple, récits de deux rues), des passants croisés au départ d’une ville aimée mouvements parallèles dans les bus aux kadogos au point de devenir l’autre – ou comment construire (enfants-soldats), l’absurde personnage de la pièce, son identité par le biais imposé par les dirigeants concrétisée par la présence d’un voyage, tendu par du musicien Benoist Bouvot du pays est retourné la mémoire, seul bagage à l’envoyeur sous la forme aux côtés d’Alvie Bitemo. à même de supporter d’un récit d’une insolente Vol d’exil pour faire revivre, le poids de l’ailleurs. liberté de ton. Lucide, fragmenté et éparpillé, Seul en scène avec critique, drôle. le quotidien des “RDçois”, Fabienne Arvers son accordéon, Sébastien entendez les citoyens de la Bertrand raconte comment, RDCongo. L’article 15 (ou Francophonies en Limousin à 35 ans, il décide de partir sens de la débrouille) règne Compte rendu. www.lesfrancophonies.com pour Beyrouth et de en maître pour se saper, retrouver l’orphelinat où sont venus le chercher Samantha à Kinshasa ses parents adoptifs, des Vendéens qui lui transmettent l’amour de leur culture et de ses traditions. Ecrit avec Yannick Jaulin après un voyage au Liban qu’ils ont fait ensemble, ce Chemin de la belle étoile nous mène au cœur de la construction de soi, de l’amour reçu enfant, et en fait le plus bel hommage rendu à sa famille. Avec Samantha à Kinshasa, de Marie-Louise Bibish

Patrick Fabre

L

une affaire de femmes Bruno Bayen relève les accents féministes du théâtre de Molière à la Comédie-Française : une petite machine très drôle et bien réglée.

S

us à l’envahisseur ! Curieux comme chez Molière les familles sont sujettes à l’intrusion d’éléments extérieurs perturbants. Sauf que, comme on le sait, ces fâcheux déstabilisateurs de l’harmonie familiale ont en réalité un allié intérieur. Dans Tartuffe, c’est Orgon, le père de famille. Avec Les Femmes savantes, c’est une bonne partie de la maisonnée qui en pince pour Trissotin, sinistre versificateur pédant et rasoir. L’acteur Pierre Louis-Calixte en fait ici un roué pouvant à l’occasion se montrer brutal. Trissotin exploite sans vergogne l’engouement de Philaminte (Clotilde de Bayser) pour les choses de l’esprit. Engouement a priori louable et d’ailleurs partagé – une de ses filles, Armande, et sa belle-sœur, Bélise, y participent

activement. Sauf que, trop passionnées, ces dames perdent toute mesure. Une servante est virée pour un simple solécisme… Et l’on entend nettoyer le français de toutes ses syllabes choquantes : “cu”, “con”, “vit”… Pire, Philaminte veut marier Henriette, sa seconde fille, à Trissotin contre l’avis du père, Chrysale. Lequel n’ose tenir tête à son épouse. Un peu lourdaud, il picole sec pour se donner du courage et récupérer, en vain, quelque autorité. La pièce aurait presque des accents féministes… C’est en tout cas ce que suggère cette amusante mise en scène, précise et rondement menée, de Bruno Bayen. Hugues Le Tanneur Les Femmes savantes de Molière, mise en scène Bruno Bayen, jusqu’au 7 novembre à la ComédieFrançaise, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe, tél. 01 44 39 87 00 20.10.2010 les inrockuptibles 109

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semaine critique de la mode illustration Alexandra Compain-Tissier

Baptiste Giabiconi, égérie et artiste

Amateur de microshort et de philosophie ordinaire (“je vais à Chanel”), le Marseillais Baptiste Giabiconi, égérie de Karl Lagerfeld depuis deux ans, a décidé d’étendre son champ de rayonnement. Il vient de sortir Showtime, un single de dance-music s’inscrivant parfaitement dans l’héritage de David Guetta. A la fin de l’année, il y aura carrément un album. On préférait vous en parler avant que vous ne l’appreniez, un peu brutalement, par la radio.

All Star, mais basses

de l’esthétique du vélo

On a tellement vu de paires de Converse All Star mal portées ces cinq dernières années qu’il nous semblait inconcevable d’éprouver à nouveau pour elles la moindre envie. Bah, on se trompait. Dans sa version basse, en blanc ou écru, la All Star s’inscrit parfaitement dans la tendance “authentique, décontracté et américain” du moment. Comme elle a pour autre avantage d’être bon marché et assez facile à trouver, on ne voit pas de raison de s’en passer. Marc Beaugé

Cela fait un moment que les mecs cool ont revendu leur Vespa, pour rouler à vélo (n’importe lequel, tant qu’il ne s’agit pas d’un VTT Décathlon). Très au courant des caprices de l’air du temps, Mark Ronson a fait de cette tendance une chanson, qui cartonne en Angleterre depuis plusieurs semaines. Et nous fait, par là même, un peu tiquer : le succès commercial de The Bike Song ne marque-t-il pas, au fond, le début de la fin pour la tendance “on roule à vélo et on est cool” ? M. Be.

Géraldine de Margerie

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La légende de Jean-Michel Basquiat rapportée entre underground new-yorkais et célébrité, fulgurance artistique et vie brûlée.

grande surface

Luc Boegly

La marque H&M a confié à l’architecte Jean Nouvel le soin de concevoir son nouveau magasin des Champs-Elysées.

e 5 octobre dernier, l’enseigne de mode H&M avait convié le Tout-Paris à l’ouverture de sa douzième boutique parisienne, au 88 de l’avenue des Champs-Elysées. L’événement était de taille : la conception de ce flagship store a été confiée au Français Jean Nouvel, l’architecte le plus médiatisé au monde. Sa signature aura permis à la société suédoise d’obtenir l’autorisation de s’implanter sur les Champs, jusqu’alors refusée par la Mairie de Paris, en lutte contre la “textilisation” de “la plus belle avenue du monde”. Aménagée dans un ancien bâtiment des années 1960, la nouvelle boutique se veut parisienne et industrielle, selon l’architecte. Ce dernier en a recouvert les sols, murs et plafonds ainsi que les façades extérieures de pierre de Paris, tandis que les étagères, les portants, les supports d’éclairages sont en métal brun foncé. Le mobilier monté sur rails ou sur roulettes est flexible, et le magasin pourra faire évoluer sa scénographie au fil des saisons de mode. Autres surprises, de larges cabines collectives, ou la noirceur impeccablement mate des escalators. Cerise sur le gâteau : les écrans plasma mobiles traversant verticalement les trois niveaux de la boutique. Alors que jusqu’à présent les grands noms de l’architecture n’étaient sollicités que pour la conception de boutiques de luxe comme Prada ou Vuitton, ou de concept-stores, voilà que les marques populaires ont elles aussi enfin droit à de la considération. A travers le choix de Jean Nouvel, l’enseigne suédoise confirme l’efficacité de sa redoutable politique de marketing, dont une des facettes visibles est la valorisation de la marque par des people : on se souvient de la très médiatique collection dessinée par Karl Lagerfeld. Les créateurs Stella McCartney, Victor & Rolf, Jimmy Choo l’ont suivi, tandis qu’Alber Elbaz pour Lanvin est attendu en novembre. Si le résultat n’est pas à la hauteur des 51 millions d’euros investis – on a connu Nouvel plus audacieux et, hélas, son projet est noyé dans les impératifs marketing de la marque, caractérisée par la saturation de portants et de vêtements –, le projet n’en demeure pas moins valorisant pour le milieu architectural et démontre l’importance de l’intervention d’auteur. Sophie Trelcat

L la mode selon Pellegrin Photographe aux huit World Press (la Palme d’or du photojournalisme), Paolo Pellegrin est plus familier des zones de guerre que des défilés. C’est pourtant à lui qu’a été confiée la livraison 2010 du Fashion Magazine. Le concept de cette revue lancée en 2005 par Martin Parr est simple. Chaque année, un photographe de l’agence Magnum réalise en totalité un magazine, des séries de mode aux pubs en passant par les portraits. Architecte de formation, Pellegrin se joue des conventions de la presse glamour pour dévoiler un regard d’une noirceur peu commune. Maria Bojikian

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+ CD 12 titres extraits de la B.O. du film culte d’Edo Bertoglio “Downtown 81” Liquid Liquid, Suicide, The Lounge Lizards, Gray, DNA, etc.

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Eric Hazan, écrivain et éditeur

Antonio Negri, philosophe et essayiste

idées

vers le postcapitalisme Comment reconstruire l’identité perdue de la gauche ? Des intellectuels et militants dessinent, dans Après la gauche, sur la chaîne Planète, les voies possibles d’une nouvelle utopie.

à lire Jacques Généreux, La Grande Régression (Seuil) Armand Mattelart, Pour un regard-monde, entretiens avec Michel Sénécal (La Découverte) Antonio Negri, Inventer le commun des hommes (Bayard), Spinoza et nous (Galilée) Susan George, Leur crise, nos solutions (Albin Michel) Robert Castel, La Montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, (Seuil) Jean Ziegler, La Haine de l’Occident (Albin Michel)



omme si c’était l’enjeu crucial du moment, le débat public sur l’état de la gauche tourne autour des querelles partisanes et des stratégies individuelles : Strauss-Kahn ira-t-il au combat ? Hollande devancera-t-il Aubry aux primaires ? Mélenchon leur prendra-t-il des voix à la présidentielle ?... Même si la politique se joue en partie sur la scène politicienne (polissonne et vilaine), l’essentiel, plus que jamais, se passe – ou devrait se passer – ailleurs : dans les têtes d’où émergent les idées, sur le terrain des luttes, dans les colloques universitaires... Peu importe le nom du futur Prince s’il ne s’appuie sur rien d’autre que son envie aveugle de régner pour régner. C’est tout le problème qui se pose aujourd’hui à la gauche française : le décalage entre ses ambitions et ce pour quoi elle existe. A quoi bon reconquérir le pouvoir si c’est encore pour passer à côté de la transformation

sociale, son horizon historique ? Après des années marquées par quelques traumas, dont l’acmé fut atteinte le 21 avril 2002, l’identité de la gauche est à nu, à reconstruire. Certes, divers think tanks produisent des rapports et dessinent de nouvelles pistes d’avenir pour une gauche dispersée et “plurielle” comme on disait du temps de Jospin. Mais, étouffées par les règles de la société médiatique, ces idées manquent de visibilité et de clarté. C’est dire l’heureuse surprise de découvrir, dans les marges télévisuelles, sur la chaîne Planète, un documentaire dense qui se frotte à la question, Après la gauche, pendant que sur les grandes chaînes les leaders politiques s’affrontent dans des débats où rien ne vit sinon l’excitation vaine pour la quête du pouvoir. Ecrit et réalisé par trois trentenaires, Jérémy Forni, Geoffroy Fauquier et

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au poste

le silence des emails

l’invention d’une nouvelle utopie. “Il faut réinventer le futur” suggère Negri, alors que Plenel convoque “l’éternité de Spartacus” et du “camp des dominés” que la gauche a délaissé. Au cœur de ce projet, les voix diffèrent évidemment les unes des autres entre réformisme radical et radicalisme fortifié. Si Hazan, dans une pure logique insurrectionnelle, appelle à “lutter par tous les moyens pour le renversement de l’ordre actuel”, Stiegler, lui, voudrait que la gauche réinvente la “sublimation et le savoir-vivre”. Mais par-delà les engagements propres à chacun, un socle commun d’idées partagées se profile. Quelques principes d’action fondamentaux forment l’ossature d’une gauche du futur qui doit repenser les questions écologique, sociale, démocratique, culturelle. Développer un autre rapport à la nature, respectée plutôt qu’exploitée, favoriser la valeur d’usage contre la valeur d’échange, étendre la démocratie au bénéfice de la liberté de chacun, promouvoir la “multicularité”, pour que toutes les cultures participent à une conception commune de l’humanité : les pistes dessinées par le sociologue et militant altermondialiste François Houtart font écho à celles de Robert Castel qui défend une société de “semblables”, dans laquelle chacun devrait posséder des droits, des protections et des ressources lui permettant de ressembler aux autres, malgré la différenciation sociale. L’après de la gauche, dont les contours se dévoilent ici, s’incarne dans ce que l’économiste Jacques Généreux appelle dans son nouveau livre une “nouvelle Renaissance” : aux années 80 et 90 de la “Grande Régression” pourrait succéder cette “nouvelle émancipation de l’humanité qui passe par une refondation anthropologique de nos conceptions de la liberté et de la société”. La gauche est morte, vive la gauche. Jean-Marie Durand

Dix jours après l’envoi des premiers mails Hadopi par les fournisseurs d’accès internet, les internautes malchanceux ne se bousculaient toujours pas pour se faire connaître. Un appel lancé via Twitter et Facebook par Les Inrocks n’a rien donné. Le site Hadopi-data.fr, de Numerama, annonçait 17 témoignages, sans plus de précisions. Un concours organisé par La Quadrature du net a recensé deux personnes, dont le gagnant, un certain TuNi54. Mais où sont donc passés ces mails que l’Hadopi promettait, il y a peu, d’envoyer au rythme de 10 000 par jour ? D’abord, on ne sait pas combien d’avertissements ont été envoyés. Ni l’Hadopi ni les opérateurs n’ont clairement communiqué à ce sujet. Ces mails sont-ils parvenus à leurs destinataires ? Ils ont pu être envoyés à l’adresse mail par défaut que procurent les FAI aux internautes, mais ceux-ci, souvent utilisateurs d’autres comptes, la consultent-ils ? Pas sûr. Ou bien, les internautes avertis se tairaient-ils par honte de s’être fait choper ? Dans un monde où tout est prétexte à raconter sa vie dans les médias, se vanter d’avoir reçu le message pourrait pourtant être le début de la starification. Ce silence est donc étonnant mais, pour l’Hadopi et le gouvernement, peu importe que 2 ou 10 000 abonnés aient reçu l’avertissement. Ce qui compte, c’est que l’on parle le plus possible de l’Hadopi et de la réponse graduée, afin d’effrayer les internautes. Les nombreux articles, les interviews d’Eric Walter, son secrétaire général, ont déjà commencé à remplir cette entreprise de dissuasion, tout comme cette déclaration à l’express.fr de TuNi54, dont l’Hadopi a dû se réjouir : “Je compte sérieusement stopper tout téléchargement pour un bon moment, ce mail m’a carrément refroidi.” En l’absence d’éléments clairs sur la sécurisation des connexions, la communication reste la meilleure arme de l’Hadopi.

Après la gauche, jeudi 21 octobre à 20 h 40 sur Planète.

Anne-Claire Norot

Edwy Plenel, journaliste

Gaël Bizien, qui se définissent comme des enfants “de la génération Mitterrand”, l’enquête mêle au poids des héritages trahis le point aveugle de l’avenir de la gauche. A l’image de l’expression “postcapitalisme”, c’est le “post” de la gauche qu’interroge avant tout le film au regard de ses combats passés, de ses idées originelles qui ne demandent qu’à être reformulées pour répondre aux enjeux de notre époque. “Que signifie être de gauche aujourd’hui ?”, demandent les auteurs. La candeur du questionnement ouvre des pistes de réflexion multiples que le film aborde intelligemment par le biais d’une lecture nourrie de la réflexion d’intellectuels et militants. De Bernard Stiegler à Jean Ziegler, de Robert Castel à Antonio Negri, de Susan George à Christophe Aguiton, de François Houtart à Eric Hazan, d’Edwy Plenel à Armand Mattelart, le casting des intervenants dessine le paysage composite d’une gauche orpheline d’idées neuves, encore marquée par le désenchantement de ses expériences passées. Interrogés dans le cadre crépusculaire d’une usine désaffectée de la banlieue parisienne – un lieu de mémoire ouvrière –, ces témoins avisés “refont” le film des errements de la gauche depuis le milieu des années 80, contaminée par les dogmes néolibéraux, fer de lance de la “pensée unique des années 90”. Simple gestionnaire du néolibéralisme, passant à côté de la question sociale, elle échoue à marquer fortement sa différence avec la droite, aussi bien sur les questions économiques et sociales que sur les sujets liés aux frontières, à l’immigration, à la liberté de circulation… Evoquant les uns après les autres les chapitres de cette décomposition idéologique jusqu’aux premières fissures du dogme libéral à la fin des années 90 (Seattle en 1999, les luttes altermondialistes, les critiques généralisées du système financier…), le film pose comme nécessaire

A quoi bon reconquérir le pouvoir si c’est encore pour passer à côté de la transformation sociale ?

Hadopi communique plus dans les médias que par mails d’avertissement.

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portraits

et moi émois Avec sa dernière page dévolue à la découverte d’une personnalité, Libération a réactivé l’art du portrait dans la presse. Un livre consigne ses plus grandes rencontres.

A  

ucun autre journal que Libération n’a instauré aussi fortement ce rite étrange selon lequel on commence la lecture d’un journal par la fin. Libé a imposé ce mode inversé de feuilletage avec l’invention, en 1994, du portrait de la “der”. Une fois le journal en main, le lecteur, avant de plonger dans le cœur de la bête, se fait aspirer par sa fin, comme si l’urgence d’une découverte s’y déployait plus que tout. La découverte d’un quidam autant que d’un people : la politique de cette page défend sa vocation démocratique. Chacun, riche ou pauvre, célèbre ou invisible, gentil ou méchant, intelligent ou stupide, a droit d’y raconter son histoire. Mais à quoi tient ce plébiscite, sachant que l’art du portrait est aussi vieux que le journalisme luimême ? C’est moins la technique d’écriture du portrait que l’art d’en faire un “objet” familier du quotidien qui forme l’indice de son succès, au point que sort un livre réunissant près de 150 textes parmi les 3 000 parus depuis quinze ans. Où l’on relira avec le recul de l’histoire des portraits autant inscrits dans leur présent que prémonitoires, d’Eric Besson à Nicolas Sarkozy, encore jeunes ambitieux, de BHL à Jacques Derrida, de Guillaume Dustan à Pete Doherty, de Michel Houellebecq à

Claude Lanzmann, de Rocco Sifredi à Françoise Cohen, chômeuse deux fois portraitisée, de Raoul Vaneigem à Jean-Luc Godard… Par-delà la qualité des plumes ellesmêmes et des responsables du service (Marie Guichoux, Luc Le Vaillant, Marie Colmant, Philippe Lançon, Judith Perrignon, Pascale Nivelle, Sabrina Champenois…), l’effet de signature tient surtout à quelques règles communes que chacun se réapproprie selon son style. A partir d’une règle de base – une rencontre, une vraie, frontale, longue, qui dépasse le quart d’heure de (fausse) célébrité –, la “der” de Libé restitue à la tradition du portrait sa vocation “romanesque”. Au modèle ambitieux du magazine américain Vanity Fair qui pousse ses journalistes dans de longues investigations, Libération oppose le modèle “sensible” : une manière de dévoiler une personnalité et ses secrets à partir d’une forme d’analyse “sauvage”, fondée sur une perception subjective, validée par quelques témoignages recueillis auprès des proches de l’intéressé.

Contemporain de l’apparition de l’autofiction dans le roman français au milieu des années 1990, de la tendance générale de la confession sans concession dans l’espace public, le succès des portraits de Libé tient sans doute, souligne Luc Le Vaillant, chef du service, “à la vogue psychologisante qui ballotte les récits de soi dans l’écume du narcissime”. “L’explication par le papa méchant et la maman marâtre devient sans doute un pont aux ânes puéril que la der a beaucoup emprunté, il faut bien l’avouer. Sans parler de la recherche bateau et assez mécaniste de la ‘faille’ originelle ou de la blessure déterminante.” L’attraction de ces portraits stylistiquement soignés, renforcée par une belle signature photographique, s’origine dans ce double souci : le souci de soi, manifeste chez chacun d’entre eux, le souci des autres, manifeste chez chacun des lecteurs. Parlant d’eux, ces gens, importants ou pas, parlent aussi de nous. Par effet d’accumulation de touches personnelles, les portraits de la “der” dessinent le paysage général d’une époque où le moi met en émoi.

parlant d’eux, ces gens, importants ou pas, parlent aussi de nous.

Jean-Marie Durand Libération : portraits 1994-2009 (La Table Ronde), 376 pages, 35 €

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blogosphère

Premiers baisers, actuellement rediffusée sur AB1

Hélène et les sitcomologues Alors que s’annonce le come-back d’Hélène et des Mystères de l’amour, une nouvelle “science sociale”, la sitcomologie, décrypte les années AB Production. Geekissime !

 V

ous fredonnez Un amour de vacances en boucle, avalez des carafes de jus d’orange, ne ratez aucune redif’ de Premiers baisers ? Peut-être êtes-vous un rippertiste qui s’ignore. Un fan de Christophe Rippert alias Luc dans la série, bellâtre objet de vos premiers émois qui enflammait le flipper de la cafète à grands coups de reins. Rippertistes, les chercheurs en sitcomologie le sont tous. Sur leur blog, ils s’attachent à décrypter “le phénomène le plus marquant des années 90”, les sitcoms AB. Les Filles d’à côté, Hélène et les garçons, Le Miel et les Abeilles, ces séries ringardes avant l’heure faites de chemises à fleurs et de rires préenregistrés. Toute une génération d’enfants sacrifiés. Ces internautes un brin barrés et geeks du sitcom ont créé, il y a un an, Le Blog de la sitcomologie. L’esthétique est aussi cheap que les séries, “parce qu’à force d’avoir regardé Premiers baisers on a eu des problèmes oculaires irrémédiables, donc les couleurs, c’est fini”, justifie Alexis Houël, 25 ans, principal auteur du blog. Les sitcomologues, “des insomniaques, des branleurs, des no-life... des étudiants”, sont tous tombés dans l’univers AB au début du troisième millénaire à la faveur des rediffusions nocturnes d’AB1. “On voit quand même ces séries comme des nanars et on est conscients de leur nullité intrinsèque”, à la différence des sites de fans “plutôt fréquentés par des mères de familles dépressives”. Complètement accros quand même, les faux chercheurs citent souvent Dominique Pasquier, vraie sociologue et auteur d’un essai sur la question, La Culture des sentiments, l’expérience télévisuelle des adolescents (1999), interviewent Camille

Raymond, la Justine de Premiers baisers. Enfin, plutôt son homonyme, une illustre inconnue, qui dézingue la comédienne. Et on sent fort l’influence durkheimienne : “Il est vrai que Salut les musclés n’était pas une série destinée à une quelconque épistémologie de la philosophie post-moderniste (quoique), mais elle avait le mérite de poser les bases d’une monumentale œuvre sitcomesque, qui va connaître son apogée dans les années 90, dans une sorte de ‘mystique stakhanoviste azouléenne’.” Car l’ombre de Jean-Luc Azoulay, célèbre producteur des sitcoms AB, plane sur le blog. “C’est notre dieu, s’incline Alexis. On a plein de questions à lui poser. Par exemple, à un moment, un bébé vient agrandir la famille Girard, famille récurrente des sitcoms AB. Mais il disparaît trois épisodes plus tard. On aimerait savoir s’ils l’ont enterré ou mangé au petit déjeuner.” Dans le monde très codifié d’AB, le petit déjeuner occupe une place de choix. Comme le jus d’orange, seule drogue autorisée sur les plateaux. Un univers impitoyable donc, dans lequel Azoulay utilisait la vie privée de ses acteurs pour écrire les scénarios. Dans Premiers baisers, la rupture entre Joël et Annette, la blonde à la voix aussi douce qu’un modem des années 1990, correspond à leur propre séparation dans la vie réelle. Cynique Azoulay. Ou peut-être précurseur. Pour les sitcomologues, les séries AB, c’est un peu “la préhistoire de la télé-réalité”. Aurore Lartigue et Emilie Helmbacher http://www.sitcomologie.com

“le phénomène le plus marquant des années 90” 20.10.2010 les inrockuptibles 115

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invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS expo

Fresh Hell Carte blanche à Adam McEwen, au palais de Tokyo, Paris XVIe, du 19 octobre au 16 janvier. L’artiste britannique basé à New York fait dialoguer la sculpture médiévale avec l’art conceptuel… A gagner : 5 places pour deux personnes. Appeler le 01 42 44 15 62, le lundi 25 octobre entre 12 h 30 et 13 h.

DVD

Le Monde sur le fil Un film de Rainer Fassbinder. Le docteur Stiller est nommé à la tête de l’Institut de recherche en cybernétique et futurologie, où il mène le projet Simulacron. Lors d’une soirée, Stiller assiste à la disparition du chef de la sécurité… A gagner : 15 DVD. Appeler le 01 42 44 15 62, le mardi 26 octobre entre 12 h et 12 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 14/10/10 19:28

grande gueule

la banalité du mâle

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Eastbound and Down, comédie trash et mélancolique sur une ancienne star du base-ball en pleine déchéance. Avec Will Ferrell à la production.

e manière étrange, Eastbound and Down est d’abord passée quasiment inaperçue lors de la diffusion des six épisodes de sa première saison sur la chaîne câblée HBO, en février 2009. Ce n’est que depuis le début de sa deuxième levée, programmée à la suite de Boardwalk Empire depuis le mois de septembre, que l’affaire a réellement décollé, à la fois en termes d’audience et de buzz. Etrange, parce que le duo de réalisateur-producteur qui figure au générique, Adam McKay et Will Ferrell, représente une sorte de panacée de la comédie américaine nouveau genre, comme des cousins un peu plus bruyants de Judd Apatow – avec qui ils travaillent régulièrement. McKay réalise les films dans lesquels Will Ferrell laisse exploser son désir de brosser un portrait bizarroïde du mâle occidental contemporain, à la fois plein de testostérone et ambigu. La liste de leurs collaborations dessine une cartographie parallèle parfois mésestimée mais absolument nécessaire : La Légende de Ron Burgundy, Talladega Nights, Frangins malgré eux et récemment Very Bad Cops, pour ne parler que du versant cinéma. Si Eastbound and Down n’est pas à proprement parler leur œuvre (le scénariste

Jody Hill est showrunner de cette série de 26 minutes), l’esprit de McKay et Ferrell flotte au cœur de cette histoire de Kenny Powers, ancien champion de base-ball autrefois soûlé de gloire (et de stéroïdes) qui tente de faire le deuil de son passé en fomentant d’improbables come-back. Will Ferrell fait même plusieurs apparitions hilarantes en vendeur de voitures indigne dans la première saison. Mais la star, c’est une grande gueule d’une arrogance insupportable, interprétée par Danny McBride. Kenny Powers avance dans la vie comme une créature extraterrestre : il se montre incapable d’avoir une conversation normale, parle de lui-même à la troisième personne, se croit beau avec ses frisottis tout pourris et son ventre de boucher, s’enfile ligne de coke sur ligne de coke. Bref, c’est une loque au comportement de superstar. En plus trash, il est une sorte de pendant masculin et beauf du personnage le plus intéressant de Glee, la prof de gym odieuse, Sue Sylvester, interprétée par la géniale Jane Lynch. Cette (relative) gémellité se retrouve aussi dans un thème qu’Eastbound and Down explore mine de rien avec une finesse supérieure : la dépression, ou comment un être humain s’écroule derrière la somme de masques qu’il se fabrique.

Il y a deux ans, Sans Sarah rien ne va !, un beau film produit par Judd Apatow, montrait un héros en plein dénuement après avoir été largué par sa copine. Le Kenny Powers de Eastbound and Down se révèle tout aussi inconsolable de ne plus être celui qu’il fut. La série enregistre avec une simplicité imparable l’éternel retour de sa souffrance, trouant une tonalité générale burlesque et ironique de moments profondément cafardeux. Après avoir éradiqué toute forme d’amour auprès de lui durant la première saison, Kenny s’exile au Mexique dans la saison 2. Bientôt, le cow-boy vitupérant redevient un triste sire que l’on voudrait prendre par la main. Et puis finalement non. Et puis finalement si. L’acteur Danny McBride donne à ce rôle tout en exagérations et subtilités mêlées l’épaisseur nécessaire. Habitué à l’extrême et sans crainte du ridicule, ce second rôle fabuleux (Drillbit Taylor, Supergrave, Tonnerre sous les tropiques, etc.) crève l’écran dans ses maillots trop serrés. Eastbound and Down se regarde aussi pour lui. Cela commence à faire un tas de bonnes raisons de s’y pencher. Olivier Joyard Eastbound and Down, saison 2. Le dimanche sur HBO. Bientôt sur Orange Cinéma Séries.

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brèves

invitations réservées aux ABONNÉS DES INROCKS

SOA en 4e vitesse

DVD

“On reviendra pour une saison 4, motherfuckers !” C’est par ces mots que Kurt Sutter, le turbulent créateur de la turbulente Sons of Anarchy, a annoncé sur Twitter la suite de sa série par la chaîne FX. Tant mieux : on aime beaucoup cette héritière des Soprano.

Lola Un film de Brillante Mendoza. A Manille, deux vieilles femmes se trouvent confrontées à un drame commun : le petit-fils de Lola Puring a tué celui de Lola Sepa. L’une se bat pour faire sortir son petit-fils de prison alors que l’autre a besoin d’argent pour offrir des funérailles décentes au sien. Déambulant dans les rues de la ville, elles luttent infatigablement pour le salut de leur famille respective… A gagner : 20 DVD. Appeler le 01 42 44 15 62, le lundi 25 octobre entre 12 h et 12 h 30.

Les Simpsons à la chaîne

do it yourself

Le générique de l’épisode de la série animée mythique diffusé le 10 octobre dernier était signé par l’artiste graffeur anglais Banksy, qui a profité de l’occasion pour attaquer avec un humour inquiétant et acerbe les studios Fox, diffuseurs du show, en les comparant ouvertement à une prison fabriquant des objets de merchandising à la chaîne. Du Godard version djeuns, à voir un peu partout sur le net.

Pour son prochain projet, le créateur des Sims lance un appel aux internautes. Bluff ou révolution ? Les auteurs de “fanfictions” en ligne et ceux qui auraient tant voulu écrire eux-mêmes l’épisode final de Lost vont-ils être vengés ? Notre cœur balance entre The Walking Dead joie et méfiance devant l’information boudée dévoilée le 8 octobre dernier par la jeune La nouvelle série de la chaîne chaîne américaine Current TV (dont l’un AMC, inspirée d’un emballant des fondateurs se trouve être l’ancien comic plein de zombies vice-président Al Gore), qui va mettre en signé Robert Kirkman et dont le pilote a été réalisé par préparation une série en impliquant le cinéaste Franck Darabont, fortement les téléspectateurs. Bar Karma, fait envie à beaucoup. c’est son petit nom, aura la particularité Elle commence le 31 octobre d’être conçue en partie par quiconque sur AMC et dès la semaine se sera préalablement inscrit sur le site suivante dans cent vingt pays… www.current.com/barkarma et aura mais pas en France. Aucune soumis des propositions d’histoires ou chaîne n’a souhaité s’engager des idées de direction artistique en amont et il faudra donc intéressantes. Une équipe de attendre plusieurs mois. professionnels se chargera de faire le tri Ou pas. et de coordonner la fabrication. Le projet demeure pour l’instant assez flou. Rien n’a filtré sur les personnages envisagés, ni sur le genre d’intrigue. Si le communiqué évoque “les confins de l’univers”, le sujet définitif de cette série en épisodes de trente minutes ne sera arrêté qu’après les En analyse (Série Club, le 24 à 22 h 45). premières contributions des internautes. L’adaptation par HBO de la série israélienne BeTipul se déroule presque entièrement Un système de votes serait même prévu. dans le cabinet d’un psy et rend Bonne nouvelle, le cocréateur de parfaitement accro. Séances de rattrapage Bar Karma n’est autre que Will Wright, alors que la saison 3 commence aux USA. père du jeu vidéo de simulation sociale Les Sims, qui a développé une plate-forme Desperate Housewives (M6, le 26 spécifique et espère ainsi “réunir les à 20 h 50). Avec Lost, c’était LA série gamers et les amateurs de séries télé”. du milieu des années 2000. Après Prévue pour être diffusée à la fois à la six saisons, la surprise est éventée télévision, sur le net et sur les mobiles, mais l’écriture reste souvent la série devrait, en cas de succès, ouvrir à la hauteur. En guest, cette année, une brèche. Le rôle des fans a la fascinante Drea de Matteo. radicalement changé avec internet et il n’est pas illogique que certains souhaitent Newport Beach (TF6, le 25 à 15 h 20) Trois franchir le pas. En auront-ils le talent ? O. J. épisodes à la suite de la saison 2 de notre

agenda télé

Bar Karma. Bientôt sur Current TV. Inscription : www.current.com/barkarma

soap intelligent préféré, par le créateur de Gossip Girl, ça ne se refuse pas. 20.10.2010 les inrockuptibles 117

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scènes

Score Xavier Boyer

Will Wright, des Sims à Bar Karma

Un spectacle de Yuval Pick avec la Cie The Guests, du 27 au 29 octobre au CND de Pantin (93). Avec Score, Yuval Pick utilise le langage chorégraphique pour dresser un portrait métaphorique d’Israël et de son peuple. A gagner : 20 places pour deux personnes pour le vendredi 29 octobre. Appeler le 01 42 44 15 62, le vendredi 22 octobre entre 11 h et 11 h 30.

cinéma

Lenny Un film de Bob Fosse avec Dustin Hoffman. Lenny Bruce et sa compagne Honey, stripteaseuse, écument les cabarets du nord-est des Etats-Unis. Ensemble, ils créent un duo qui flirte avec le politiquement incorrect, et Lenny devient le comique le plus célèbre et le plus controversé des Etats-Unis des années 1960. Un film qui met au jour la personnalité complexe du comique, dévoré par une sexualité débridée et une forte dépendance aux drogues. A gagner : 15 places. Appeler le 01 42 44 15 62, le vendredi 22 octobre entre 11 h 30 et 12 h.

DVD

Kinatay Un film de Brillante Mendoza. Peping, étudiant en criminologie à Manille, est engagé par un vieil ami en tant qu’homme à tout faire au service d’un gang local. Cette activité lui permet de gagner de l’argent facilement pour faire vivre sa jeune fiancée, qu’il a décidé d’épouser. Peping s’engage alors dans une “mission spéciale”, particulièrement bien rémunérée… A gagner : 20 DVD. Appeler le 01 42 44 15 62, le vendredi 22 octobre entre 12 h et 12 h 30.

Si vous souhaitez bénéficier chaque semaine des invitations et des nombreux avantages, reportez-vous au coupon d’abonnement. 14/10/10 19:39

émissions du 20 au 26 octobre Basquiat dans son atelier à New York en 1985

Documentaire de José Vieira. Mercredi 20 octobre, 20 h 35, France Ô

toile filante

Mes deux seins (journal d’une guérison)

Evocation parlante de Jean-Michel Basquiat où seule manque sa voix.

Documentaire de Marie Mandy, 21 octobre, 22 h 50, France 2

A  

Parcours du combattant d’une cancéreuse vu par elle-même Le cancer est un sujet rarement abordé dans un documentaire autobiographique. La réalisatrice raconte sa maladie, ses espoirs, ses craintes, sa recherche du chirurgien ad hoc, son intérêt pour diverses méthodes alternatives, puis sa résignation à se faire opérer, qui aboutit à l’amputation d’un sein. Un film extrêmement clinique, sans fausse pudeur, mais aussi intime et poétique. Lyrisme parfois envahissant avec ses paysages carte postale et sa musique emphatique. C’est néanmoins un film courageux, où Marie Mandy se met à nu au propre et au figuré pour mieux comprendre et partager son désarroi…

près le pop art, il y a eu l’artiste pop star, inventé par Dali et Warhol, dont la figure a connu son apogée avec le dandy Jean-Michel Basquiat, graffeur too much too soon, qui explosa sur le marché de la peinture en quelques années et disparut dans un flash. Alors qu’a lieu une grande rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, on compte déjà quatre films à sa gloire : d’abord un biopic de Julien Schnabel, puis Downtown 81 (où il sert de fil rouge), le documentaire The Radiant Child, sorti le 13 octobre, et enfin celui-ci (incluant des passages de Downtown 81). Peu de grands artistes ont eu un destin aussi fulgurant. C’est sans doute parce que Basquiat, qui a hanté la scène musicale new-yorkaise dans les années 1980 (avec son groupe Gray), a vécu et est mort comme une rock star – overdose à 27 ans, comme Morrison, Hendrix, Joplin, etc. Si l’on se fie à ses proches, notamment sa compagne Suzanne Mallouk, Basquiat travaillait aussi à la façon d’un musicien, jouant de son pinceau frénétique comme d’un saxo, en fonction des états seconds provoqués par la coke et l’héro. Le film n’est pas parfait, avec ses scansions beethovéniennes un peu déplacées, ses ralentis. On est aussi frustré de n’entendre la voix nonchalante de Jean-Michel Basquiat qu’une seule fois, et encore (il est incapable de dire ce qui le met en rage). Malgré cela, le film de Jean-Michel Vecchiet, déjà auteur d’un beau documentaire consacré à Andy Warhol (Vies et morts d’Andy Warhol, en 2005), met parfaitement en évidence les influences conjointes qui ont produit ce petit miracle d’art brut et sophistiqué à la fois, conjuguant pour la première fois le graffiti urbain, le pop art, les racines afro-américaines, et un néoexpressionnisme qui éclatait partout au même moment – en France aussi, avec la Figuration libre. Vincent Ostria Basquiat, une vie documentaire de Jean-Michel Vecchiet, jeudi 21 octobre, 21 h 35 France 5. Le film sort aussi en DVD chez Arte vidéo

V. O.

La vie des Roms au jour le jour dans des camps de la banlieue parisienne Commencé en 2008, ce documentaire arrive à point nommé. Il illustre clairement ce qui fait quotidiennement débat en France depuis trois mois : le cas des Roms. Sarkozy et son équipe n’ont pas fait que des dégâts. Ils ont rendu visible une minorité qu’on ignorait. Ce film chaleureux sur quelques campements (et leur démantèlement) permet de comprendre que comme beaucoup d’immigrés clandestins, ces Roumains viennent en France pour échapper à la misère qui règne dans leur pays. C’est aussi simple que ça. V. O.

Arte Video night #2 Magazine.Dimanche 24 octobre à 23 h, Arte

Panorama de l’art vidéo, englobant peinture, danse, dessin animé, etc. Deuxième édition d’Arte Video Night, un “musée éphémère dans votre salon jusqu’à 2 heures du matin”. On constate que la notion d’“art vidéo” reste très vague. Pour notre part, aux peintures et aux photos platement animées (souvent au ralenti, tic du genre), on préfère les triturations de la matière électronique, le malmenage de pixels. Dans ce registre, notre préférence va au Suisse Peter Aerschmann, qui compose de fabuleux tableaux, à la fois figés et animés, à partir de séquences documentaires où il prélève des éléments réels. L’art du sampling et du collage sonore appliqué au cinéma… V. O.

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Archives nationales de la photographie

2010, The Estate of Jean-Michel Basquiat, New York Photo: Lizzie Himmel. 2010, ProLitteris, Zurich

pop star

Le Bateau en carton

Archives nationales de la photographie et des documents audiovisuels, Saint-Pétersbourg

L’Age d’or de Chostakovitch à Leningrad en 1930

Dictature, paranoïa, famine : bienvenue en Corée du nord Documentaire d’Alexandre Spalaikovitch et Jean-Christophe Brisard. Dimanche 24 octobre 22 h 45 , M6

radio Moscou Pour l’année France Russie, France Culture propose un programme slavophile.

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urant la seconde quinzaine d’octobre, France Culture devient (presque) Russie Culture. Au centre de cette programmation spéciale se trouve une soirée (20 octobre) en direct et en public de la Cité de la musique, qui accueille l’exposition Lénine, Staline et la musique jusqu’au 16 janvier 2011. On poursuit en musique avec une émission, Vendredis de la musique (22 octobre) portant sur Eugène Onéguine, l’opéra de Tchaïkovski et “Rock and Russe” (20 octobre), un épisode passionnant de Sur les docs consacré au rock en Russie des années 1960 à nos jours. Par ailleurs, Sur les docks propose (22 octobre) une enquête à Krasnoïarsk, en plein cœur de la Sibérie, à la recherche du cinéma d’auteur – un cinéma dont l’un des plus éminents représentants, Alexandre Sokourov, dévoile ses Affinités électives (30 octobre) au micro de Francesca Isidori. Jérôme Provençal

France Culture du 16 octobre au 1er novembre

Pop 1 000 Emission présentée par Thomas VDB et Franck Lascombes. A partir du samedi 23 octobre à 19 h 30, Comédie

L’émission pastiche mais pas fastoche sur les hits. Top 50, le retour. A travers dix modules de 20 minutes, Pop 1 000 replonge dans les ambiances poisseuses du hit parade des années 1980 : un projet déjanté au cœur duquel on retrouve l’excellent Thomas VDB et les créateurs de la chanson Coup de boule. Au menu : des faux classements de singles tout pourris, interprétés par Franck Lascombes. D’interviews salées en plateau en clips très moches, les deux lascars détournent l’esthétique et les codes de la musique mainstream. Sous son vernis potache, Pop 1000 rend un hommage amical à Marc Toesca en même temps qu’il brocarde les vedettes usurpées de la chanson populaire. JMD

Le Monde en marche Emission présentée par Hervé Chabalier, Mardi 26 octobre à 20 h 35, France 5

Chabalier on the road again Fondateur de l’agence Capa, Hervé Chabalier repart sur la route, comme à l’époque de ses pérégrinations de grand reporter. Structurée autour d’une enquête de 52 minutes et de plusieurs reportages plus courts, sa nouvelle émission de décryptage de l’actualité internationale, Le Monde en marche, se penche sur les déboires d’Haïti, neuf mois après le séisme. A quelques semaines de l’élection présidentielle, Chabalier et ses équipes éclairent les enjeux de cette île souvent maudite par l’histoire. Au sommaire également : “Obama, la fin d’un rêve ?”, entretiens avec des web correspondants dans le monde entier… L’actualité géopolitique analysée sous toutes les coutures. JMD

Visite touristique en Corée du Nord où rien ne dépasse Moins théorique que l’Enquête Exclusive spécial Corée du Nord d’il y a deux ans, ce reportage est dû à des journalistes embedded dans un groupe de touristes français visitant ce riant pays plombé. Le documentaire est certes édifiant, mais plus centré sur les touristes et leurs réactions que sur leurs accompagnateurs ou les rares autochtones croisés dans ce pays dévitalisé, où des écoliers dressés font des shows millimétrés pour étrangers béats. Sur le sujet, il est conseillé de lire le livre de Barbara Demick, Vies ordinaires en Corée du Nord (Albin Michel) qui sort le 4 novembre. V. O.

Dragons et princesses Série d’animation de Michel Ocelot. Du 25 octobre au 5 novembre, du lundi au vendredi à 20 h 15, 10x13 min, Canal+ Family

Suite inspirée du délicat Princes et princesses, sommet de l’animation en ombre chinoise Auteur reconnu de Kirikou et la sorcière, un des plus beaux succès de l’anime française, Michel Ocelot propose une suite à son splendide Princes et princesses avec cette nouvelle série de contes, Dragons et princesses, qui reprend le principe ancestral de l’ombre chinoise. Un raffinement extrême, tant dans la finesse des silhouettes que dans le travail plastique : arrière-plans détaillés en couleurs, personnages et premiers plans noirs. Cela illustrant des contes situés dans des univers plus exotiques les uns que les autres. Féerie idéale pour enfants lassés des jeux vidéo et cartoons tonitruants. V. O. 20.10.2010 les inrockuptibles 119

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Laurent Bazart

hégémonie

fight the power(point) Le logiciel de présentation visuelle de Microsoft PowerPoint a imposé sa grammaire dans tous les esprits. Ou comment un média de masse appauvrit la pensée.



ne projection PowerPoint a valeur d’une “scène primitive” de notre époque : tous les salariés du monde sont aujourd’hui familiers des présentations réalisées par des consultants dans une salle terne où brillent sur l’écran magique des “souliers” et des “bullet points”. C’est l’hégémonie nouvelle de ce logiciel de Microsoft, créé à l’aube des années 1990, devenu un média universel, qu’analyse Franck Frommer dans une originale et brillante enquête, La Pensée PowerPoint. La “powerpointisation” du monde est l’indice selon lui de l’impact du logiciel sur la manière de réfléchir. “Ce qui est au départ un simple support de présentation visuelle a accompagné, accéléré et parfois initié des transformations fondamentales dans le domaine de l’information et

Un formatage de la pensée qui contamine tous les espaces sociaux jusqu’à l’école

du savoir”, écrit-il. Déployé à un moment clé de l’histoire des organisations et du capitalisme néolibéral, le logiciel permet aux consultants d’imposer aux entreprises leur pensée prémâchée sur le management par projets, les contrats d’objectifs, l’excellence opérationnelle… Aux principes directeurs des nouveaux modèles d’organisation, PowerPoint s’adapte en tous points et “porte en lui les qualités demandées aux néomanagers” : il permet d’aller vite, de produire à faible coût une présentation claire, lisible, accessible à tous. Simplification, réductionnisme, mise en scène destinée à capter le public, aptitude à appliquer une recette à l’infini… : PowerPoint est l’arme absolue des managers modernes, le manuel de survie sans lequel ils ne sauraient plus quoi dire. Leur langage et leur mode de représentation, inventé par des informaticiens, sont devenus la “langue véhiculaire” des cols blancs. L’usage de PowerPoint a ainsi engendré un type de discours “épidictique”, qui blâme ou loue, sans nuances, recourt à l’hyperbole et à l’amplification, invite aux raccourcis… Cette hégémonie culturelle a produit un

formatage général de la pensée, appauvrie, normée, dépersonnalisée, qui excède le territoire de l’entreprise pour contaminer tous les espaces sociaux, jusqu’à l’école. La standardisation de la façon de proposer, d’échanger et de décider s’enracine dans le succès du logiciel-roi de Microsoft qui “catalyse tous les mirages sur lesquels se constitue la société du début du XXIe siècle”. Pire que la télé, longtemps cible privilégiée parmi les médias de masse, PowerPoint a inventé la grammaire des temps présents, en renouvelant la manière de raconter des histoires. A la fois langage, forme narrative et mise en scène, PowerPoint constitue le baromètre de notre époque autant qu’il en conditionne les dérives. Résister à la “powerpointisation” des esprits : l’invitation argumentée de Franck Frommer porte en elle la lucidité d’une nouvelle critique sociale. Où la question du langage reste l’un des ultimes territoires à défendre, pour sauver les esprits de la lessiveuse insidieuse. Jean-Marie Durand La Pensée PowerPoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide par Franck Frommer (La Découverte), 258 pages, 17 €

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in situ

borné face à l’emploi “Détendez-vous, nous vous cherchons un emploi.” Après avoir répondu à quelques questions en ligne, le site laborne.org se charge de votre recyclage professionnel. “Entameur de discussion, briseur de rêve ou gratteur de nez” figurent parmi les propositions. Chaque poste est détaillé et comprend les témoignages vidéo des gens du métier. Avec Denis Podalydès en guest star. la-borne.org

goût kitsch Allez dire bonjour à Miss Bad Taste. Cette jeune styliste érige sur son blog le moche au rang d’œuvre d’art. Située “entre pink et punk”, La Gazette du mauvais goût aime aussi : les poupées vulgaires aux cheveux fluo mal colorés, les cartes postales qui clignotent en musique et les petits poneys sataniques. lagazettedumauvaisgout.blogspot.com

web killer Grâce à cette petite application, on peut enfin tout dégommer sur internet. Un lien déplaisant, une pub mal placée, un site mal foutu ou trop bien rangé ? Feu à volonté ! Mais méfiance  : bientôt les sites que vous haïssez le plus seront aussi rangés dans vos favoris. erkie.github.com

les craypion d’or sont lancés ! Les craypion d’or récompensent les pires sites du web. La cérémonie aura lieu à Paris en décembre. Et déjà quelques favoris se démarquent dans leur domaine, comme Désirs d’avenir de Ségolène Royal ou l’Association sportive de Meudon. A chacun de voter ou d’envoyer de nouvelles propositions. lescraypiondor.com

la revue du web New Yorker

Slate

Eco 89

à demain

blondes & blondes

case placard

La procrastination touche tout le monde, même les plus brillants. Ainsi George Akerlof, prix Nobel d’économie, qui remet sans cesse au lendemain l’envoi d’un simple colis. Ce phénomène intrigue de nombreux scientifiques, des psychologues aux philosophes… qui nous apprennent que laisser traîner les choses, pour se détendre ou ne penser à rien, n’est pas aussi négatif qu’on pourrait le croire. tinyurl.com/28sdz75

Depuis quand les blondes sont-elles idiotes ? Un article sérieux nous apprend que cette mauvaise réputation remonte à 1868, quand une troupe de théâtre fit sensation à New York avec ses quatre blondinettes au physique “vertigineux”… Puis, en 1925, Loreilei Lee apparaît dans le livre Les hommes préfèrent les blondes” adapté au cinéma avec Marilyn, qu’on retrouve aujourd’hui dans l’expo Brune/Blonde. tinyurl.com/27etly7

A l’école on pouvait être mis au piquet. Dans la vie professionnelle, on appelle ça le placard : le salarié se sent totalement inutile. Deux victimes de cette véritable “mort sociale” témoignent : “Le premier réflexe du placardisé, c’est le déni. Parfois, il fait croire qu’il est très occupé pour cacher sa situation.” Une mise à l’écart très dure à supporter. Et démissionner sans garantie de retrouver un travail n’est jamais évident. http://tinyurl.com/3xgce4o 20.10.2010 les inrockuptibles 121

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Zii e Zie de Caetano Veloso Son dernier album est un exemple de syncrétisme musical ; lequel, allié à une clarté formelle, sert une virtuosité et une profondeur vocale qui en fait l’une des voix masculines actuelles que je préfère. Au-dessous du volcan

Swanlights Antony And The Johnsons Un album onirique et engagé, peuplé de fantômes.

Petite sœur, mon amour Joyce Carol Oates Une descente aux enfers au cœur de l’inconscient familial américain.

Old Joy de Kelly Reichardt Je voue un culte particulier à l’amitié. Rien n’est plus déplaisant que de sentir qu’une relation ancienne devient impossible alors que l’affection, l’amour, sont toujours présents mais que cette amitié ne trouve pas à s’exprimer dans un paradigme social nouveau. Kelly Reichardt traite ce sujet avec originalité et élégance. recueilli par Stéphane Deschamps

La Vie au ranch Sophie Letourneur Portrait aiguisé d’une bande de filles bien contemporaines par une jeune cinéaste douée.

Au fond des bois Benoît Jacquot La troublante passion sexuelle d’une jeune bourgeoise et d’un hypnotiseur très fruste.

Kaboom Gregg Araki Chronique très high du quotidien sexuel et défoncé de la vie de campus. Du cinéma drôle, désirant et déjanté.

Philippe Lebruman

The Social Network David Fincher La rencontre réussie du génial scénariste Aaron Sorkin et de la puissance visuelle de Fincher.

de Malcolm Lowry Un édifice immense, un monticule grouillant de bestioles, saturé de lumière et de prières, de sensualité et de larmes. L’éthylisme, la chaleur, la fatalité, le panache, l’amour s’y trouvent célébrés et envoyés au bûcher, ça hurle de partout. Le lire est une expérience hors du commun, une vie presque de vertige et de mal de mer.

Bertrand Belin Bertrand Belin vient de sortir son troisième album, Hypernuit. En tournée jusqu’en décembre.

Hypernuit Bertrand Belin Une curieuse chanson française, aux textes magnifiques et aux origines nomades.

Aou Amwin Danyel Waro Un album tellurique du plus grand interprète de mayola, blues de La Réunion.

Carl Barât Carl Barât L’album solo romantique et sans guitares de l’ex-moitié des Libertines. Introspectif.

Coffret Lisandro Alonso Quatre films de l’esthète argentin. Ce cher mois d’août de Miguel Gomes Un grand film récent assorti d’excellents bonus. Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog Un beau remake du chef-d’œuvre de Murnau.

Vice caché de Thomas Pynchon Situé en 1970, en pleine fin du rêve hippie, le nouveau livre de Pynchon rend à la fois parano et hilare. Le plus accessible et le plus sexy des romans de l’auteur américain.

Fragments Marilyn Monroe Des carnets intimes bouleversants de lucidité qui livrent un portrait morcelé de la star.

Indignation Philip Roth Avec son acuité au vitriol, le grand écrivain démonte les étapes qui mèneront un jeune homme à la mort.

Le Passage aux escaliers Vincent Vanoli Visite émouvante dans l’universalité de l’Est de la France.

Asterios Polyp David Mazzucchelli L’odyssée désespérée d’un brillant intellectuel qui fait le point sur sa vie, par l’hyperdoué Mazzucchelli.

Wilson Daniel Clowes Le destin pathétique et drôle d’un misanthrope. Clowes au sommet de son art.

Les Chaises Eugène Ionesco mise en scène Luc Bondy Festival d’automne, Théâtre NanterreAmandiers Hymne à une jeunesse des âmes pour laquelle il n’est pas l’heure de la retraite.

L’Image Samuel Beckett mise en scène Arthur Nauzyciel CDN d’Orléans Arthur Nauzyciel transforme Lou Doillon en passeuse de mots pour dire la scène initiale dans laquelle Beckett découvre le sexe.

La Cerisaie de Tchekhov mise en scène Julie Brochen Théâtre de l’Odéon, Festival d’automne La Cerisaie est réinventée dans un univers onirique qui doit autant à Freud qu’à Tchekhov.

Gabriel Orozco Centre Pompidou L’artiste mexicain s’offre une rétrospective libérée des contraintes muséales. Ludique et enchanteur.

Roman Opalka Galerie YvonLambert, Paris Une œuvre radicale et vouée à l’inachèvement.

La galerie est heureuse… Galerie Bugada & Cargnel, Paris Une farce plastique qui interroge le système de l’art.

Halo - Reach sur Xbox 360 Nouvelle version de la saga Halo aux allures de best-of testamentaire.

Last Window – Le Secret de Cape West sur DS Enquête obsessionnelle et mélancolique.

Dead Rising 2 sur PS3, Xbox 360 et PC Fidèle à l’esprit des films de Romero, un jeu d’action intelligent.

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