7 Ecrits de la marge Mai ok

paléo-anthropologie : à partir de quand une espèce peut-elle être admise dans ... techniques, je sois en mesure de m'interroger sans cesse sur leur bienfondé ...
9MB taille 6 téléchargements 426 vues
Les Écrits de la marge: “Humain, non humain…’’ Par Xavier LAINÉ «  Être, vraiment être, ce n’est jamais se situer comme simple «  étant  » déjà donné, c’est toujours un élan vers un état d’être.  » François Cheng

«  Le rôle, c’est le cadre des conduites assignées par les règles culturelles, c’est la trame sociale où se tissent les comportements. Désormais, ce n’est plus le biologique ou le psychologique qui organisent les comportements, c’est la règle sociale qui impose une conduite, qui induit une psychologie et peut même modifier un métabolisme.  » Boris Cyrulnik
 Plus que trois jours et pas un mot. Pourtant l’idée me taraude depuis que vous me suggérâtes d’écrire sur le thème : «  remettre de l’humain dans notre métier  ». Ça tourne, ça se retourne, je cherche, je ne sais.

L’humain, qu’est-ce que c’est? Alors je me dis qu’il faudrait déjà savoir ce que c’est, l’humain !

Je reviens au livre de Vercors, «Les animaux dénaturés». Je ne vous dévoile rien de l’intrigue, le livre est disponible. Mais je viens à la fin : «  On n’est pas un homme par une sorte de droit de nature, mais au contraire il faut, avant d’être reconnu comme tel par les autres hommes, avoir subi, pour ainsi dire, un examen, une sorte d’initiation. «  L’humanité ressemble à un club très fermé : ce que nous appelons humain n’est défini que par nous seuls. Nos règlements intérieurs ne sont valables que pour nous seuls. C’est pourquoi il était tellement nécessaire qu’une base légale fût établie, tant pour l’admission de nouveaux membres, que pour l’instauration de règlements applicables à tous.  »

C’est tout le questionnement de la paléo-anthropologie : à partir de quand une espèce peut-elle être admise dans le cercle étroit de la catégorie Omo ? On peut ainsi observer plusieurs tendances à faire démarrer l’homme à partir de sa bipédie, de son acquisition du langage, de ses modes d’organisation socioculturelles. Mais en même temps, nous explique Pascal Picq si «  nous naissons pour être de formidables bipèdes, à condition d’apprendre à le devenir  , …  sans lien social et sans amour, ni marche debout, ni langage. «  Ce qui fait que l’humain commence par les pieds et le désir d’avancer dans le monde et vers les autres  ».

Actu’Alizé N°45 - Mai 2017

15

Il nous faut donc appréhender toutes ces caractéristiques avec curiosité, pour commencer à envisager une définition jamais

Comment intégrer cette dimension humaine à nos pratiques? aboutie de l’humain. Alors, comment introduire quelque chose d’indéfinissable dans nos pratiques ? Quelles questions me pose l’humain derrière le symptôme, le pathologique et le soin nécessaire ? De Galien à Claude Bernard, l’idée domine d’explorer les symptômes, de les faire coïncider avec des pathologies. La réflexion philosophique est assez mal vécue. On a la prétention à faire de la médecine une science à part entière, ce qui permet indéniablement d’importantes découvertes.

Nous avons hérité de cette vision des choses. Pour faire science, nous allons jusqu’à examiner chaque cellule, chaque muscle, à la recherche d’une compréhension irréfutable du pathologique. En nous focalisant sur le détail, nous en oublions que chacun est partie d’un tout ; nous en omettons les interférences, les effets de résonances. Notre recherche de causalité se limite à une démarche différentielle qui sépare et disjoint. Or, nous savons désormais qu’en système complexe, il peut s’avérer périlleux d’en rester à cette causalité directe. Puis-je considérer l’organisme non comme une juxtaposition d’organes, mais comme un tout sous contrôle d’une plasticité neuronale qui ne se résume pas à ses seules synapses, mais contribue à l’apparition de phénomènes émergents qui sont constitutifs de fonctions utiles à la vie quotidienne ? Ce pourrait être en ceci que ma vie tend vers l’humain. En l’absence de définition convaincante,

j’adopterais celle évoquée par Vercors : «  Confondu avec la nature, l’animal ne peut l’interroger… L’animal fait un avec la nature. L’homme fait deux. Pour passer de l’inconscience passive à la conscience interrogative, il a fallu ce schisme, ce divorce, il a fallu cet arrachement. N’est-ce point la frontière justement ? Animal avant l’arrachement, homme après lui ? Des animaux dénaturés, voilà ce que nous sommes.  » Il faudrait donc qu’en sus de faire la preuve de mes connaissances techniques, je sois en mesure de m’interroger sans cesse sur leur bienfondé, leur pertinence eu égard aux réseaux complexes qui se cachent derrière chaque symptôme ? Oui, c’est à cet instant que, peutêtre, nous nous grandissons en humanité. C’est le constat que dresse Mme Néandertal, dans son «  Adresse à Homo Sapiens  »: «  Le problème récurrent des sociétés humaines réside dans leur incapacité à se poser des questions sur le limites de leur succès  ». Mieux même,

Actu’Alizé N°45 - Mai 2017

16

forts de nos indéniables succès, nous tendons à chercher leur reproduction à l’infini sans plus discerner qu’à un même effet, les causes étant indiscernables, le succès peut sombrer. C’est à dire que nous oublions que le propre du pharmakon est d’être à la fois remède et poison. A l’administrer mécaniquement, il peut s’avérer la ruine de notre succès. «  Il faut réfléchir, pour avoir une véritable intelligence de ce qu’il en est de l’intelligence, sur ce que l’on est en train de faire au moment même où l’on réfléchit ainsi, en tant que l’on est soimême une intelligence individuelle prise dans un processus qui la dépasse, et qui forme une intelligence collective.  » (Bernard Stiegler) Nous mettre en route vers plus d’humanité, à défaut d’introduire de l’humain indéfinissable, nous invite à apprendre que, «  quels que soient les soins et les traitements qu’on délivre, nul n’a le pouvoir de guérir les autres. Qu’il s’agisse d’une pneumonie, d’une dépression ou d’une leucémie, quand la guérison survient, c’est toujours le patient qui guérit. Avec ou sans l’aide des soignants.  » (Martin Winkler)

Pour en savoir plus, bibliographie sommaire : Ve r c o r s , L e s a n i m a u x dénaturés, Le livre de poche Pascal Picq, La marche, Sauver le nomade qui est en nous, éditions Autrement, Collection Les Grands Mots Histoire de la Médecine, de la pharmacie, de l’art dentaire et de l’art vétérinaire, 8 volumes, éditions Albin Michel/Laffont/Tchou Bernard Stiegler, Prendre soin de la jeunesse et des générations, éditions Flammarion Pascal Picq, Le retour de Madame Neandertal, éditions Odile Jacob Martin Winkler, Les brutes en blanc, éditions Flammarion François Cheng, Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie, éditions Albin Michel Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien, éditions Hachette Littératures, collection Pluriel

Une opportunité nous est donnée, devenant par décret une profession jugée à Bac+5, de donner à nos formations un contenu différent, ne reprenant pas le moule et carcan des études médicales et de leur élitisme suranné. Acquérant à la fois les connaissances scientifiques et les humanités, nous pourrions devenir les architectes d’une médecine à dimension «  humaine  ». Manosque, le 28 mai 2017 Xavier Lainé

Actu’Alizé N°45 - Mai 2017

17