1917

Chemin des Dames : lieu de promenade des filles du roi Louis. XV, il s'agit d'une route d'environ trente kilomètres de long entre les rivières Aisne et Ailette.
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Souvenirs et Notes d’un cuirassier Jacques Pavard ( 29-12-1890 / 02-02-1959 ) Brigadier du 3ème Escadron 12ème régiment de cuirassier de la Cavalerie

Copyright 2009

CARNETS I.

Septembre 1914 au 17 mai 1916.

II.

27 mai 1916 au 9 novembre 1916.

III.

26 novembre 1916 au 9 février 1917.

IV.

25 février 1917 au 4 juillet 1917.

V.

14 juillet 1917 au 5 octobre 1917.

VI.

21 octobre 1917 au 5 février 1918.

VII.

Février 1918 au 16 août 1918.

VIII. 31 août 1918 au 29 décembre 1918. IX.

Janvier 1919 à avril 1919.

Glossaire.

Le carnet de Guerre équivaut au journal intime. Au jour le jour, du moins quand c’est possible, le soldat y relate son expérience de la guerre au quotidien. La transcription de ces carnets n’est pas exempte d’erreurs. Les lieux et les noms peuvent être parfois erronés. Les … remplacent des mots illisibles et les ___ représentent les vides laissés par l’auteur. Peu de mots ont été retirés ou ajoutés permettant une meilleure compréhension même si parfois le sens peut encore nous échapper. En italique, les discours ou ordres copiés par Jacques Pavard. Certaines pages ou carnets n’ont pas été retranscrits notamment, les listes de courses pour la cuisine et la liste des escadrons dont les noms ont été barrés au fur et à mesure des décès. Les coupures entre chaque carnet correspondent en général à une période de permission.

PREMIER CARNET

1914 SEPTEMBRE 1914 18 septembre. Nous embarquons à Rambouillet à 125 hommes et 140 chevaux, emmenés par un vieux lieutenant de réserve et les maréchaux des Logis Berthelot et Javin, Rivoux et Coquinot. Il pleuvait lorsque nous étions sous le hangar de la gare. Tous ces officiers restant à Rambouillet, étaient là pour faire les adieux réglementaires. J’embarquais mon cheval dans un wagon où étaient déjà ceux de Lavaud, Tournemy, etc., anciens camarades de peloton pendant la quinzaine précédente, où nous étions sur l’Ourcq. Je fis mes adieux à Richoux qui était venu commander une équipe d’embarquement et à Henri, gendre de Chevallier, le camionneur de Dourdan qui prenait les factions à la gare de Rambouillet. Perrin, Rabourdin, Signolle, etc., du 12ème escadron voyageaient en queue de train alors que nous étions en tête. Nous passâmes la nuit pendant le trajet sur la ceinture, et le lendemain matin, j’allais prendre une place dans le wagon de Signolle qui était seul dans un wagon et ses chevaux de complément; et je fis le restant du voyage avec lui. Après avoir passé quelques heures à la gare régulatrice de Noisy-le-Sec, nous partons par la ligne de l’Est. Personne ne savait où nous allions, seul le chef de train. Il était difficile de dévoiler les secrets et c’était pour cette raison majeure que l’on ne le disait pas. Nous passons par Nogent sur Seine, Troyes, Chaumont puis la nuit étant venue, à moitié endormis, nous entendons crier Saint Michel et enfin au petit matin, nous étions à Verdun. Le 20, c’est là que nous devions débarquer, il aurait été plus facile de passer par Châlons pour venir de Paris à Verdun mais la ligne n’était pas encore rétablie depuis le passage des boches au début

de septembre. A Verdun, un adjudant et un brigadier nous attendaient sur le quai. Ils étaient tous deux du troisième escadron auquel je devais appartenir mais n’en sachant rien, je ne leur causais pas. D’ailleurs, ils reconnaissaient quelques réservistes et causaient plus familièrement avec eux. A huit heures, tous les chevaux sont débarqués et nous nous mettons en route pour rejoindre le régiment. Nous sortons de Verdun où le canon grondait assez fort et partons par le Sud-Est. En passant devant le fort, on vit des 102, du 103, du 130ème, j’essayais au passage d’avoir quelques nouvelles de Robert mais personne ne pouvait m’en fournir, tous ces hommes fatigués de leur retraite de Charleville, travaillaient aux abords du fort posant des fils de fer barbelés, creusant des tranchées. Au bout d’une quinzaine de kilomètres, nous remontons le bivouac* du convoi. C’est là que l’on devait nous verser dans les escadrons. Tout d’abord les réservistes qui avaient fait leur temps au 12ème retournaient dans leur escadron d’autrefois. Voyant notre ancien peloton disloqué, j’attendais. L’officier me demanda où j’avais fait mes classes et enfin l’adjudant Moures reconnaissant ma jument Jeannette comme étant du dressage de 5 ans du troisième escadron, je fus versé au troisième escadron. J’en avisais Perrin et Rabourdin qui vinrent se placer à côté de moi et nous restions définitivement au 3ème escadron. L’ordre arriva vers cinq heures pour savoir où nous rejoignions le régiment, nous voilà repartis, nous sentions nos cuirasses que nous avions depuis le matin, manteaux chaussés dessus. Enfin, nous arrivions en haut d’un village où devait cantonner le régiment. C’était Mouilly. Comme le cantonnement était étroit, nous devions bivouaquer dans les rues. Mal reçus par les habitants dans tous les pays et ceux qui suivent. La Meuse était pourrie par les espions. La réception des 125 hommes, presque tous réservistes, ne fut pas épatante de la part des hommes de l’…. .

Certes depuis un mois et demi que durait la guerre, ils en avaient moins fait à Rambouillet que tous ces hommes qui avaient parcouru l’Argonne et la Vienne. C’était une chose assez logique pourtant que nous devions rester au moins un mois en quartier pour nous remettre en selle et pour dresser quelque peu les chevaux de réquisition qui tous n’étaient pas fait pour la cavalerie…certains auraient mieux fait dans les brancards d’une voiture qu’avec une selle sur le dos. Mais ces hommes de l’active* ne comprenaient pas cela. Nous devions manger notre dernier repas froid partis de Rambouillet avec trois jours de vivres. Tout allait y passer quand le jeune Court, brigadier d’ordinaires dans son peloton, vint nous trouver et en qualité d’anciens camarades de Chartres, il nous fît cadeau d’une douzaine d’œufs durs. Fleury, le camarade de lit de Perrin était parti de son côté arracher quelques patates et nous dînions à peu près potablement avec Pierrot et moi. Pour se coucher, nous n’avions pas de grange. Sur la route était restée une voiture couverte d’une bâche trouée. Perrin, Fleury et moi nous en fîmes notre dortoir. Les habitants de ce village avaient eu les boches quelques jours auparavant, les dégâts consistaient en un bureau délabré qui avaient été brûlé et il n’y avait aucune provision dans les maisons. Nous voilà donc installés dans notre voiture blottis les uns sur les autres afin de n’avoir pas froid, et nous nous endormons. Vers une heure du matin, nous étions réveillés par la pluie, impossible de rester sous cette bâche qui laissait tout passer. Nous mettons nos paquetages sous la voiture, et nous installons dessus. Le 21, dès six heures du matin, je pars au premier peloton où je suis affecté, très content de me trouver avec Court. Je fais connaissance avec mon nouvel officier Mr Mac Carthy, mon sousofficier De Guibert, les brigadiers Ternisien, Court, Stahmann et Janson. Sur les quatre, deux parisiens et deux réservistes avec qui

je fais vite connaissance, et Fleurentin, celui qui est venu nous chercher à Verdun. Perrin et Rabourdin sont au 2nd peloton, Berthelot au 3ème peloton, nous restons pour pas mal de camarades ensemble. Nous retrouvons Winterdorff parti quelques jours avant nous de Rambouillet. Nous voilà en route, passons près de Troyon près du fort qui faisait parler de lui 4 jours auparavant et où les boches avaient fait des pertes. Voilà comment on racontait l’affaire : « Le fort bombardé depuis quelques jours assez violemment tenait encore, mais les boches avançaient. Le Commandant du fort fit en haut de la colline un grand feu, les boches croyant le fort abandonné s’élancèrent et à cinquante mètres les mitrailleuses dissimulées fauchèrent plus de cinq vagues d’assaut !? » Nous mettons pied à terre près de là, toute la division réunie, j’en profite pour aller dire bonjour à Mr Sallatin, mon ancien officier de peloton à Cambrai. A cheval, nous voilà repartis. Les boches sont à l’est de nous, Nord-Est de Saint Mihiel et Est de cette ville. Près d’un bois, nous mettons pied à terre, combat à pied. L’artillerie de la division dans la vallée tire sur les Boches sur une route et nous de l’autre côté ! Aplatis à terre, nous voyons le spectacle mais ne pouvons pas tirer. De là, nous allons à la crête du bois de Saint Mihiel. Là, nous devons passer le restant de la journée. Repas froid qui consiste en un morceau de bœuf bouilli et une demi-boulee de pain. Mes conserves rapportées de Rambouillet vont y passer. Vers une heure passe un cavalier du 11ème cuir. blessé grièvement au ventre, d’une balle qui a traversé la cuirasse. Le soir, nous entendons le canon gronder à droite et en arrière de nous, nous descendons sur Saint Mihiel. Le voyage est triste, défense de causer, de fumer, évidemment les boches ne sont pas loin, nous sommes conduits par un officier forestier et nous arrivons à Saint Mihiel. Là, nous cantonnons dans la caserne des

chasseurs à cheval. Le soir, je pars avec Court aux provisions dans la ville, nous achetons des conserves et des côtelettes de porc pour le peloton*. Nous remplissons nos sacoches et nous dînons assez bien en dehors du quartier avec Rabourdin et Perrin. Au Nord-Est de Saint Mihiel, les boches bombardent violemment, le village qui s’y trouve brûle et de Saint Mihiel on voit dans cette direction la sinistre clarté rouge qui éclaire presque toutes les nuits de septembre dans la Meuse. Le 22 au matin, la moitié du peloton part en patrouille avec l’officier, après une bonne nuit passée sur une paillasse que l’on n’a pas sans difficulté, nous partons avec le régiment. Nous traversons la Meuse, passons près du champ des Romains puis revenons au trot sur la route d’Apremont, les boches sont arrivés à Saint Mihiel. Un homme de notre escadron qui s’est fait porter malade est maintenant prisonnier. Nous allongeons l’allure vers le Sud, Rabourdin part avec une patrouille de trois hommes, Wintersdorff avec un autre. Nous descendons dans Apremont après être passés devant le général de Division (en ce moment le Général D’Urbal). Nous attendons à l’ouest du village et mettons pied à terre. Rabourdin revient avec sa patrouille. Ayant vu les boches à cinq cent mètres en bordure d’un bois, il rend compte puis Ergot revient annonçant que Charles est blessé et que Wintersdorff a fait la culbute avec son cheval étant tous trois tombés dans une embuscade boche qui les canarda à moins de dix mètres. Charles passe sur un caisson des chasseurs cyclistes qui tiennent Apremont, une balle dans le pied. Il souffre assez fort. Puis deux heures après, on voit arriver Wintersdorff, très pâle sa carabine à la main. Son cheval a été tué sur un coup tiré de l’embuscade, un boche s’est avancé pour voir si le cavalier était touché mais Winter ayant vite repris ses sens lui octroie une balle en plein visage et se sauve. On le croyait déjà perdu. L’après-midi, une

patrouille du 1er escadron revient sans son officier (Mr de Saint Germain.). Celui-ci est prisonnier après que l’on est certifié sa mort ! Pendant ce temps, les boches bombardent Apremont, nous partons au trot, je rencontre ensuite Letourneau qui est Maréchal des Logis aux 1er chasseurs de Châteaudun, ….qui fait partie de notre division, et nous allons faire l’abreuvoir à Loupmont. Dans ce village, une patrouille de uhlans* est passée le matin. Venue jusqu’à l’extrémité du village, elle est retournée vers l’Est. Il est 4 heures du soir et il faut plus d’une heure pour faire l’abreuvoir. Tous ces villages de la Meuse ont des abreuvoirs épatants. L’eau y est claire et certes on la boit volontiers. Nous arrivons à 6 heures à Girauvoisin, où nous devons cantonner. Mais avant d’être logés, il faut attendre près de 2 heures sur la route. Comme il est fatiguant d’être debout en cuirasses, on s’assied à deux, dos à dos et chacun a son dossier. Nous partons le 23 au matin, au sud de la forêt d’Apremont, pied à terre, là nous attendons. Les boches bombardent Liouville avec des 420* et le fort ne tient plus en trois jours avec leurs mortiers, les boches démolissent le fort. Les pierres sont transportées dans la forêt à côté. Nous nous étendons à terre, étant cuirassés et dormons volontiers, quand nous sommes réveillés en sursaut, un obus de gros calibre est tombé à vingt mètres de nous, la terre très molle l’a enterré et il a fait explosion à près de moins de six mètres sous terre faisant un entonnoir gigantesque. Les mottes de terre nous tombent sur la figure. On aperçoit derrière nous sur la crête un berger avec des moutons blancs et noirs, et dans le ciel un Taube*, on a été trahi par ce bonhomme, il est arrêté et nous remontons à cheval en vitesse. Il tombe à ce moment un obus dans un carré d’arbres en bordure de la route de Girauvoisin à Apremont où sont les chevaux du

général de brigade. Personne n’est touché. Les gros obus sont plus faits pour démolir que pour tuer. Un dragon du 7ème en reçoit un en plein corps, on retrouve sa tête à plus de 200 mètres de la tête de son cheval. Un peloton de 30 chasseurs en reçoit en plein milieu de sa formation en bataille, 14 tués, 7 blessés !!! Mais ce sont de rares exceptions mais par contre les ouvrages bétonnés du fort de Liouville sont démolis en trois jours et maintenant on n’entend plus que le fort de Gironville. Un artilleur de ce dernier fort a même si bien pointé un avion boche que l’on croyait celui-ci descendu mais il n’en est rien. Nous reprenons nos cantonnements à Girauvoisin très fatigués. A onze heures pour que chaque homme se lève, le cuisinier gueule aux armes dans la grange, de suite, on saute et c’était pour donner la soupe. Au fond c’est très bien car personne ne se lèverait et pourtant c’est la seule nourriture que nous prenons. Mais… à deux heures du matin, alerte, on revire aux armes cette fois-ci personne ne veut se lever croyant à une distribution quelconque pourtant l’alerte est vraie et aux coups de fusil entendus, tout le monde est debout. Ergot qui était de faction à la barricade avait allumé une cigarette en pleine nuit et une partie des cavaliers boches tira sur lui, il est atteint d’une balle au mollet. De suite, nous allons à la barricade du côté du cimetière, on tire quelques coups de fusil et pendant le temps du combat à pied où nous étions un homme sur deux, l’autre cavalier selle les deux chevaux. C’est pourquoi dans la cavalerie il y a toujours eu les camarades de lit, s’il faut un homme sur deux qui combat à pied, l’un va combattre, l’autre selle les chevaux. On voit passer Ergot sur une civière, un camarade du 4ème escadron qui lui demandait de ses nouvelles se voit engueulé de la part d’un officier qui lui dit : « Si vous lui causez, je vous brûle la gueule !». C’est une des seules menaces que j’ai entendue mais la première fois, cela vous refroidit un peu.

C’est le 24 au matin, la journée se passe pied à terre près de la forêt d’Apremont. D’autres escadrons font des patrouilles. Le soir, nous allons cantonner à Commercy. Nous en sommes tous contents car on peut se réapprovisionner en conserves pour les repas du matin. Nous goûtons à la spécialité du pays, les madeleines. Le lendemain matin, on en voyait une boîte dans la main de chaque cavalier et enfin nous allons coucher au manège. 25 septembre le lendemain matin, nous repartons du côté du fort de Liouville, traversons la Meuse inondée et large de près d’un kilomètre. Il fait très froid. Passant aux pieds du fort bombardé, nous allons en file d’escouades*, par 4 au galop. Les groupes séparés de 10 mètres les uns des autres afin que la casse soit moins grande si les mortiers boches toujours à Montsec arrivaient à nous toucher. Nous allons dans un bois où nous installons nos chevaux, on desselle les plus blessés, mais il est défendu de se décuirasser. Le général de Division habite au milieu des 11ème et 12ème cuirassiers. Dans l’après-midi, il remet la médaille militaire à trois cavaliers du 11ème cuirassier qui ont ramené avec leurs chevaux un 75 dont les canonniers étaient tués ou disparus. Le soir, nous repartons en reconnaissance, Ternisien, deux hommes et moi du côté d’Apremont que les boches occupent. Sur la route, près de la ferme de Bricourt étaient trois batteries de 75 qui tiraient sur la forêt d’Apremont, les lueurs des obus couraient sur le faite des arbres et dans la nuit nous avons bien du mal à tenir nos chevaux. Enfin nous allons à la ferme Bricourt où nous devons passer la nuit. Cette ferme habitée par des espions se trouve entre la forêt d’Apremont et le fort de Liouville. Le 2 septembre, on arrêtait le patron de la maison. Le soir de cette journée on arrêtait sa femme, et les deux enfants continuaient à télégraphier aux boches. On arrêta les deux gosses le lendemain mais déjà le fort de Liouville était endommagé !!!

Tout autour de nous, ce ne sont qu’incendies. Arrivés sous le hangar de la ferme, après avoir fait boire nos chevaux dans des seaux tirés du seul puit de la ferme, nous nous couchons sans avoir été ravitaillés, la bride au bras, nous sommes plutôt assis les uns contre les autres et nous devons passer la nuit ainsi. A 9h, trois chasseurs cyclistes sont blessés en patrouille sur Apremont, le lendemain matin, nous reprenons le chemin des bois. Nous sommes heureux de retrouver nos huttes confectionnées avec de la mousse où nous nous reposons plus que pendant la nuit. Par bonheur Court a trouvé une livre de beurre et nous faisons notre cuisine dans nos gamelles individuelles. L’après-midi, nous retournons en lisière du bois d’Apremont, l’artillerie ennemie tire sans cesse sur le fort de Liouville et nous voyons défiler deux régiments de coloniaux qui doivent attaquer Loupmont. Un des deux régiments attaque et reprend Apremont, le général Marchant commandant cette brigade leur a demandé d’être à Montsec à 5h du soir. L’attaque part à 2h mais arrivés devant Loupmont, pas assez soutenus par les méridionaux du 163…, qui sont à leur gauche, les coloniaux se font esquinter en prenant Loupmont. Ils arrivent à prendre la moitié du village, les 75 pas prévenus assez tôt tirent encore à l’entrée du village, alors c’est une certaine débandade, d’hommes abattus par leur propre artillerie !!! et canardés aussi par devant. Ils passent la nuit en plein champs sans être ravitaillés. Nous non plus d’ailleurs. Nous traversons une plaine avec de l’eau jusqu’au mollet et arrivons dans un petit bois où nous devons rester la nuit pour soutenir l’attaque. C’est là que nous entendons les plaintes des blessés, pas encore relevés le lendemain de l’attaque, après avoir passé une nuit froide dehors et pourtant nous ne pouvons pas les secourir, car nous devons rester là. Le lendemain nous touchons nos rations de deux jours, du singe* et du potage condensé. Nous sommes relevés par le 1er demirégiment de chez nous et nous retournons retrouver nos huttes de

mousse. Par bonheur, un troupeau de mouton est venu échouer là, nous en attrapons et nous faisons des rôtis avec des gigots et des épaules encore chaudes. Je laisse les cervelles et les rognons aux officiers et sur un bon feu de bois avec broche une trique de bois vert, nous faisons d’excellents rôtis. Le soir, le ravitaillement se fait à la ferme Bricourt, bombardée on ne peut mieux mais où personne ne reste, nous passons encore une journée dans les bois, ce jour là le Général D’Urbal nous quitte et est remplacé par le Général Hély d’Oissel. Le soir, nous allons à Frémeréville, nous nous décuirassons enfin !! Voilà 6 jours et 5 nuits que l’on n’a pas quitté notre arme défensive. Le lendemain nous retournons dans les bois, le soir, 4 heures de faction à une barricade. Je vais avec Persat à l’extrême pointe du bois vers l’est où nous portons à dîner un frugal repas à un commandant, nous ne le trouvons pas et revenons au bivouac de l’escadron installé à la ferme Brichomont, autre ferme de prisonniers. Le soir, personne ne tient à aller au ravitaillement, tellement la fatigue prend tout le monde et pourtant il faut manger et faire manger nos chevaux. Nous couchons dehors et nous sommes réveillés par le froid, à cinq heures du matin une gelée blanche couvrait les couvertures installées par tas informes et sous lesquelles les hommes sont couchés. A huit heures du matin, nous partons. On chuchote que l’on embarque, personne ne le sait enfin nous arrivons à Commercy dans l’après-midi. Là nous installons nos chevaux dans la cour du quartier de Dragons et nous avons le droit de sortir. Je rencontre André avec lequel je dîne. Nous rentrons coucher dans les chambres de la caserne. Par malheur, l’après-midi des chambres nous avaient été désignées, mais le soir ce n’étaient plus les mêmes, de là dispute entre deux officiers, Perrin risque de se faire fiche dedans quant à moi je prends une paillasse et je vais me coucher tranquillement.

Le lendemain, nous savons dès le matin que nous embarquons, nous nous ravitaillons pour deux ou trois jours de chemin de fer. Je retrouve André avec qui je déjeune à midi et à 1 heure commence le départ pour Sorcy. Nous traversons Commercy prenons à gauche de la Meuse et arrivons à la gare. Embarquement habituel, les gardes d’écuries désignés, nous montons dans un wagon aménagé, il est une heure quand le train démarre. OCTOBRE 1914 Le 3 octobre, nous arrivons au petit jour aux environs de Paris. Partout dans les gares la croix rouge est d’une générosité envers nous, c’est à la volée que l’on reçoit les pains, pâtés, cigarettes etc, etc. Aussi passant si près du pays, le cafard nous prend de ne pouvoir aller à la maison. Nous savons que nous filons vers le Nord mais par quel chemin !! La nuit nous prend à Pontoise et nous arrivons à Rouen tard le soir. Nous passons à Etaples, trop tôt pour voir la cousine (Mme Sauvage) à la gare, puis la mer, Boulogne et enfin nous bifurquons, Saint Omer où les paquetages sont défaits, les manteaux roulés sur les quais, Hazebrouck et Armentières. Là, c’est du délire, pendant l’après-midi du dimanche 4, personne ne travaille, on nous acclame, on apprend que les 1er et 2ème escadrons se sont battus en descendant du train, aussi nous débarquons à la hâte. Les gens du pays nous offrent toutes sortes de choses, tabac, allumettes, briquet, etc, etc… Je pars avec le chef Mentin et l’adjudant Moures, Magalon et deux cavaliers, en patrouille vers Houplines sur la place d’Armentières, 2 gendarmes conduisent un prisonnier boche, ils nous demandent de l’aide car la population veut écharper le boche !! Nous ne pouvons leur porter secours, nous mettons sabre à la main, et nous voilà partis vers Houplines. Nous croisons le deuxième escadron qui vient de poursuivre les cavaliers boches, perdant deux hommes et un brigadier !! Thomas

sait comment, Bouteloux est tombé !!! Pourtant en le croisant, il portait une lance boche comme s’il était le vainqueur de la journée. Les boches se sont repliés de l’autre côté de Commines, nous couchons à Houplines dans une filature. La température est plus clémente que dans la Meuse, il ne fait plus froid. Je trouve logement dans une voiture de déménagement installée dans l’usine, il est interdit de sortir dehors. D’un côté le poste de police est établi, de l’autre La Lys qui fait la frontière avec la Belgique mais on nous empêche de faire le mur !!! Pourtant avec Court lui brigadier d’ordinaire, je suis l’homme de corvée et nous voilà tous deux partis. L’on comprend pourquoi la consigne est si sévère, les habitants sont trop généreux, la bière ne coûte rien et comme il faut avoir l’œil, on nous défend la sortie. Partout de la porte des cafés, on nous arrête et les Estaminets* sont nombreux dans le Nord. Je retrouve le patois que j’ai connu autrefois au quartier à Cambrai !!! Court ne peut pas boire les chopes de bière. Nous forçons la consigne, passons par un viaduc en fer qui passe le chemin de fer, arrêtés par un chasseur cycliste, nous passons et de l’autre côté du front, nous sommes en Belgique. Profitons de l’occasion pour acheter du tabac, chocolat, 28 sous la barre et c’est du chocolat suisse au lait. Enfin nous revenons avec nos acquisitions j’avais même rapporté un briquet à Perrin, partout on ne voulait pas recevoir d’argent. Le lendemain matin, nous allons à la barricade à l’Est d’Houplines sur la route de Frelinghien. Le 30ème d’artillerie passe, pour la première fois depuis la guerre, le canon tonne près d’Armentières, c’est le 5 octobre !!! Pendant la faction que nous prenons près d’un estaminet, les gens d’Armentières nous gâtent. Nous nous reposons dans le fossé et ce ne sont que seaux de bière, et bidons de vin avec de la bistouille (café additionné de genièvre).

La circulation est interdite. Un boche prisonnier passe, un grand hussard de la mort, beau blond l’air fatigué. Puis il en passe un dans la voiture du maire d’Armentières Mr Chas. Nous étions dans son usine. Puis nous partons à cheval direction le pont rouge. Nous mettons pied à terre. Le 2ème peloton part à Commines en patrouille. Nous mettons pied à terre près d’une usine qui a appartenu à un boche, de chaque côté de la route sont les maisons des douaniers. Le 1er escadron tient la barricade sur la route du Quesnoy. 4 boches (dragons) s’avancent au trot sur leur barricade mais à 300 mètres ils s’arrêtent, alors feu de sabre, un cheval est abattu, un autre cavalier démonté et son cheval harnaché arrive à la charge sur nous. Les deux cavaliers démontés sont pris en croupe par leurs camarades et filent à toute allure en direction de leur ligne. On apprit le soir que ces deux cavaliers étaient rentrés dans une ferme et avaient réquisitionné deux montures pour eux !!! Vers les deux heures de l’après-midi, nous partons vers le nord, nous passons la frontière belge. Là nous rencontrons pour la première fois des soldats belges, nous croisons une patrouille de gendarmes belges cyclistes et nous atteignons la grande route de Dunkerque à Lille, à 1 kilomètre de la frontière belge car nous revenons vers l’ouest. Nous ajustons la chaîne qui barrait la route aux fraudeurs de tabac avant la guerre, quelques-uns uns couchent dans la cabane du douanier qui sur le côté de notre barricade, faite de trois tombereaux* et de la chaîne qui est quelques mètres en avant. Nous mettons nos chevaux à l’abri dans l’estaminet. Nous étions environ la moitié du peloton, une escouade* (Stathmann) est sur une route qui conduit à Neuve-Eglise et le reste du peloton avec l’officier reste au village moitié belge moitié français, la route faisant la frontière. Après être installés, Court nous fait préparer à souper, nous commençons à prendre nos factions, quand une voiture vient des

environs de Dunkerque. Le bonhomme qui est dans cette voiture avait été arrêté par les boches mais il pût continuer. Il nous apprend que la nuit précédente 300 pionniers allemands ont fait sauter la ligne Dunkerque Lille à la gare de Steenwerck et que le maire de Neuve Chapelle a été fusillé !!!!! Vers dix heures du soir, on vient nous chercher. Nous partons retrouver le peloton, nous traversons Ploegsteert où le reste de l’escadron nous attend et nous retournons à Armentières. Nous sommes heureux de retrouver notre voiture car nous sommes fatigués. D’ailleurs une fois le ravitaillement fait, il est plus d’une heure du matin. Le lendemain 6 octobre, nous avons l’ordre de laver notre linge. C’est une aubaine, dans l’usine on trouve l’eau chaude, le savon et même un séchoir !!? Tant pis pour la pudeur, à moitié déshabillés, on lave le linge que l’on a sur le corps et on va le faire sécher, le lavoir est sous bonne garde, car les curieuses ouvrières…on ne sait jamais. Mais voilà qu’à 10 heures : à cheval !! On enfile les chemises ou caleçons non séchés, des matelassures mouillées à peine tordues, et nous voilà partis. Le linge se sèchera sur nous. Nous arrivons à la ferme Des Treilles. Toujours par La Lys, cette ferme est complètement entourée par la rivière. Le ravitaillement est difficile, rien dans la ferme, Court va au Quesnoy en compagnie du chef Mention, il nous rapporte de quoi manger et garnir nos sacoches. Pendant ces deux jours de mon côté, je ravitaille Perrin et Rabourdin. Le service dans cette ferme est assez dure. Courte, la nuit car il y a des guetteurs et des patrouilles qui doivent aller voir jusqu’au Pont Rouge qu’aucun bateau ne soit mis en marche et que tous les chalands doivent être sur la rive française. Chaligne est tué en faisant une patrouille en bicyclette avec le Sergent Josan qui est blessé. Dans l’après-midi du 7, nous quittons la ferme pour s’installer près d’un camp belge ou dans un estaminet se trouvant dans un

coin de ce carrefour. Les boches sont venus dans la nuit et ont brisé tout dans l’estaminet après avoir fait leur ripaille habituelle. Nous installons une barricade sur le côté de la Belgique, le 2e peloton garde une autre route et nous prenons notre cantonnement dans une tuilerie. Avec les paillassons qui servent à couvrir les tuiles des intempéries, nous couvrons un certain espace de terrain afin d’y passer la nuit. Levoy nous fait la cuisine dans une ferme voisine. La nuit se passe en garde, nous ne sommes pas tourmentés par l’ennemi mais le froid est vif. Comme nous nous étions couchés sur une pente de la tuilerie nous nous réveillons les uns sur les autres dans le bas de la pente. Le lendemain à la grande stupéfaction de tous, nous partons. Nous traversons Armentières à toute allure, les gens du pays continuent à être généreux. Les femmes donnent leur repas habituellement emporté à l’usine. Nous traversons le passage à niveau où un soldat belge nous présente les armes et nous arrivons à Pétillon près de Béthune. Nous nous arrêtons dans une mairie. Pour la première fois, nous rencontrons des anglais, c’est une certaine joie pour nous, nous nous installons en lisière d’un bois pour être prêts à faire du combat à pied. Le 20ème Chasseur part pour Lille en reconnaissance, il devait défendre la ville avec une grande énergie mais pas un ne revint sur les 3 escadrons partis, tous les hommes furent tués, blessés ou prisonniers aux barricades de la ville, ayant eu soin de garder leurs dernières cartouches pour leurs chevaux qui furent tués dans les rues. Pendant le combat à pied, les schrapnells* pleuvent, le Guillou est blessé à la joue, nous quittons la position par 4 à une certaine distance les uns des autres et nous nous reformons derrière le village, nous sommes entourés par trois feux sur la droite en face et sur la gauche, un peloton du 2e escadron passe 2 jours à Armentières, fait du dégât chez les Boches et revient avec 14 chevaux ennemis, Manille fait parti de ce peloton. Sur la route

de gauche des cuirassiers du 11ème poursuivent des uhlans à toute allure. La nuit tombe, nous nous apprêtons à mettre pied à terre près d’une ferme, quand des coups de fusil nous partent dans les jambes, personne n’est blessé, nous remontons à cheval et nous prenons notre cantonnement 1 kilomètre plus en arrière. Barricade toute la nuit, le 10, à cheval puis combat à pied, beaucoup de civils ont évacué Lille, les Allemands les ont poursuivis à coups de canon. Beaucoup sont restés sur la route. Ce n’est pas gai. Près de nous une ferme brûle. Nous revenons près de Fleurbaix où nous installons une barricade au coin de 4 routes près d’une chapelle. Service dur. Patrouilles et vedettes sont doublés, on ne dort guère, les chevaux ne sont pas dessellés, nous pas décuirassés. On arrête toutes voitures craignant les espions. 11 octobre 1914 Lettre au Maréchal commandant les forces Britanniques au Général Commandant les Armées du Nord « Je tiens à vous exprimer mes très vifs remerciements et félicitations pour l’excellente besogne accomplie par la cavalerie française à la fois entre les 2 et 3 C.A.* anglais et à la gauche du 4ème CA. Sa coopération avec mes troupes a été des plus considérables et des plus effectives. » Le lendemain matin, 11 octobre, le peloton part en patrouille, nous sommes dépassés par une patrouille de goumiers*. Nous traversons Richebourg-l’Avoué, de l’autre côté du village, le sousofficier arabe vient nous demander secours, un homme de sa patrouille a été tué, près d’un arbre renversé en travers de la route. Combat à pied, les boches se sauvent. Nous prenons le cadavre du goumier, frappé d’une balle en pleine tête. Les ennemis lui ont volé son porte-monnaie et sa carabine. Nous arrêtons deux civils habitant la dernière maison, qui, à la demande du sous officier Gournin, avaient répondu qu’ils n’avaient rien vu, et laissèrent

tuer ce pauvre arabe, alors qu’un quart d’heure avant les dragons allemands s’étaient arrêtés chez eux et avaient oublié l’une de leurs lances !!!! Emmenés à la division, l’un est fusillé, l’autre emprisonné. Puis nous emmenons le cadavre de l’Arabe afin de le faire enterrer dans le cimetière, il reste dans le village trois sœurs congréganistes, nous sonnons chez elles et d’abord, elles n’osent ouvrir puis après avoir causé avec notre officier, elles se décident à faire la toilette du mort et de le faire enterrer au cimetière, nous présentons les armes et nous laissons au goumier le soin d’enterrer leur camarade. Nous rejoignons l’escadron sur la grande route de Lille. Là je rencontre mon ancien régiment, des bonjours autant que j’en voulais. Je regrettais de ne pas être avec eux. Puis vers dix heures du matin, combat à pied, nous emportons chacun notre fagot et en bordure d’une prairie, nous faisons feu. On aperçoit les boches dans des maisons à cinq cent mètres, on tue à qui mieux mieux, chez nous Fenpied reçoit une balle dans le bras. Nous restons là une bonne partie de la journée, les boches tirent bien au-dessus de nous, sur notre droite, une mitrailleuse crache le mortier et nous sommes tranquilles. Nous remontons à cheval, et couchons à la Couture, village tout en longueur. Nous n’avons pas trop de ravitaillement, aussi est-on heureux de partager un pain à dix car la fermière est partie en laissant une dizaine de pains encore chauds. Le lendemain à cheval, on traverse Richebourg Saint Vaast, un cheval boche tué pendant la nuit nous barre la route, on arrête pour prendre la bride du cheval. Les habitants nous disent que deux boches sont cachés, l’un, le cavalier du cheval mort, l’autre blessé et démonté. Celui-ci se rend tout de suite. L’autre habillé d’une chemise et d’un pantalon civil, essaie de se sauver. Le 1er chasseur étant près de là, une escouade lui envoie une salve et le

bonhomme tombe à pas cent mètres du village, il n’est que blessé mais grièvement. L’après-midi, soutien d’artillerie, nous nous arrêtons près de deux maisons, plus d’habitants, les obus tombent sur Richebourg nous nous réapprovisionnons en porc salé, en pain. Sur la droite de nous, les 9 et 4ème cuirassiers sont au combat à pied. Près d’eux, je cause avec l’adjudant Dubois, rengagé pour la guerre. Le soir, repos près de Mont-Bernanchon, à côté d’une église où nous sommes ravitaillés. Nous tombons sur la paille de lin. Puis le lendemain matin, départ de la patrouille de Mr Doucerclin, les boches les tirent à bout portant, officier blessé Destiangues meurt des suites de ses blessures. Visuge tué, enterré par les Anglais. Nous suivons la patrouille, entrons dans un village où des écossais ont installé un poste de secours. Nous nous arrêtons dans une prairie d’une ferme brûlée. Le 1er et 2ème escadron passent au galop sur la route, nous faisons du combat à pied. Les boches nous tirent de près et hier le Gouallec prend une balle dans la tête, nous suivons le fossé, les balles passent au-dessus de nos têtes, je rencontre Signolle puis nous nous mettons à l’abri derrière une maison !! Là nous veillons, le soir nous allons à la ferme du Marais au Paradis. Nous laissons nos cuirasses qui sont vraiment malcommodes pour cet exercice, et en bordure d’un champ de tabac nous prenons nos factions. Notre artillerie tonne dur du côté de Merville, les Boches sont repoussés, les chasseurs cyclistes en tuent 30 dans une ferme et prennent leurs bicyclettes car nous avons devant nous de la cavalerie et leurs cyclistes. Nous avançons, je prends le petit poste avec Ternisien et à dix heures nous sommes relevés, nous reprenons nos chevaux et nous allons cantonner au Paradis. Près de nous, on emmène des prisonniers boches, les uns blessés les autres valides.

14 octobre 1914 « Que les blessés français se rendent chez nous, ils seront bien soignés » Ce sont les paroles entendues par un blessé français dans un très bon français. A cet appel, quelques blessés pouvant marcher ont répondu et dès qu’ils furent relevés, l’ennemi dirigea sur eux une violente fusillade. Le Général appelle l’attention de tous sur cette odieuse pratique de l’adversaire qui n’est qu’un assassinat déguisé. » Le lendemain matin, nous reprenons nos avant-postes, nous voyons un vieux qui vient de vivre deux jours avec l’ennemi dans une ferme, les boches ont oublié d’emporter leurs vivres, nous prenons leurs jambons !!! Dans la cour, des cadavres sont alignés, plus à droite ils ont laissé plein une lessiveuse de légumes épluchés. C’est là que les bicyclettes sont, nos cyclistes en font bonne fortune, les boches ne sont pas encore enterrés mais ont de la paille sur leurs cadavres. On reconnaît les hussards de la mort et des dragons et uhlans. Ce fut une bonne journée. Pour la première fois, on voit leur système de tranchée. Ils voyaient toute la plaine et nous on ne voyait rien. Ce midi, on nous apporte la soupe sur ces emplacements et à deux heures, nous sommes relevés par le 4ème cuirassier. Je revois des amis. Vers deux heures de l’aprèsmidi, en route pour la Belgique. Nous traversons Merville où nous croisons les goumiers, nous reconnaissons dans le groupe 4 hommes restés de la patrouille puis nous traversons Hazebrouck. Pendant ce trajet, nous rencontrons les deux régiments de dragons de Versailles, les cuirs de Paris etc, etc, et aussi de l’artillerie anglaise, un officier anglais nous photographie !!! Nous cantonnons le soir, 19 octobre à Hondeghem. Ce pays m’était déjà connu, je demande des nouvelles d’un nommé Spament qui fit son service avec moi. J’avais cantonné deux ans auparavant dans ce village, en revenant des grèves de Dunkerque (juillet 1912).

La bière coule à flots, d’ailleurs nous sommes heureux d’avoir un peu de repos. Le lendemain à cheval, nous traversons la Flandre, laissons Cassel à gauche puis nous arrivons à Roesbrugge, premier pays belge sur cette frontière qui pendant près de deux kilomètres est faite par la route. Nous voyons Ypres après avoir traversé Poperinge et nous cantonnons à Oostvleteren. Nous apprenons qu’à Ypres, cinq cent cavaliers boches sont restés deux jour, ont grillé quelques feux et sont repartis en apprenant notre arrivée. Nous voilà dans un pays où on ne parle pas français, les Flamands nous reçoivent parce que c’est la force des choses mais sans enthousiasme, en causant allemand on se fait comprendre !!! La guerre ne leur pèse pas encore, personne chez eux n’est soldat, ils ne sont pas sympathiques vis à vis de nous. Arrivés dans cette ferme, le peloton est diminué, on ne garde que les bons chevaux et après ces marches beaucoup n’en peuvent plus, Jeannette commence à blesser à l’épaule mais ça ira. Nous nous ravitaillons bien, je fais cuir des œufs et du porc pour nos sous-officiers. Nous repartons le lendemain au matin et nous nous arrêtons autour de l’Eglise de Woesten. Les boches bombardent Merkem, les habitants évacuent, nous voyons pour la première fois un guide belge. Les boches ont encore fait des leurs à Merkem, une jeune femme est dans une brouette, traînée par son frère, elle a été violentée par 7 brutes !!! Le 30ème d’artillerie prend positions, ils ont deux tués, nous revenons cantonner dans une ferme de la commune de Merkem. Le 18 au matin, par patrouilles nous apprenons que Merkem est évacué, nous entrons dans le village, quelques habitants sont encore là. Un de ceux-ci fait le généreux, dans la boutique de son voisin !!En offrant cigares, tabac, bière etc, etc, on ne paie pas, il y a des clients. Vers 9h, nous repartons, notre officier va en

patrouille dans la forêt d’Houthulst, nous suivons l’escadron, et nous prenons la route de Staden. Sur la route à droite et à gauche notre peloton est en avant garde, nous fouillons les maisons, et nous trouvons quelques boches blessés ainsi que des infirmiers. L’un d’eux est fusillé à Staden après avoir fait 4 kilomètres sur un fourgon automobile. Il était porteur de pendules et de bijoux volés. Nous continuons notre route vers Staden, on trouve un cheval abandonné, de suite surnommé « le boche ». Par les renseignements pris, nous savons que la veille une troupe d’ennemis est passée sur cette grande route (10 000 hommes) se dirigeant sur Dixmude. Les paysans qui n’avaient jamais vu de troupes aussi conséquentes, estimaient qu’ils étaient au moins 100 000 !!! Toute la journée et la nuit, ils passèrent. Vers midi, nous arrivons vers Staden, nous sommes tous heureux de reprendre ce pays aux boches, quelques infirmiers et blessés sont ramassés. Pour nous comme pour les habitants, c’est la joie. Les bières coulent à flots, les cigares, le tabac ne font pas défaut. A deux heures à cheval, nous partons vers Hooglede, … Arrivés dans le village, où personne ne cause français, nous apprenons que deux uhlans sont dans le clocher, l’un est tué, l’autre qui faisait le guet au pied de la tour se sauve. La nuit précédente, un régiment d’uhlans a cantonné dans le pays. Ce soir, ce sera le tour au 11 et 12ème cuirs. Nous installons nos barricades. Je prends la garde à la Mairie. Le maître d’Ecole est très aimable et sa jeune fille fait notre dîner. On arrête trois anglais déguisés en civil qui ont pu partir des lignes allemandes. Sur la droite, on aperçoit les clochers de Roulers. Nous passons une nuit très tranquille, regrettant de ne pas avoir poussé les boches plus loin car ils partent sur le Nord. Dans ce village, les habitants nous reçoivent bien. Le 19 au matin, nous partons, quelle désillusion, juste une patrouille part dans la direction de Bruges, les autres restent au

sud du pays, en soutien d’artillerie. Nous apprenons que Roulers où était la 4ème division est attaquée avec d’énormes forces et se replie. Nous, à midi, nous devions en faire de même. Les artilleurs envoient des obus sur la route de l’autre côté du village, les boches avancent en rangs serrés, 4 par 4, les trous faits par les obus sont de suite bouchés et ils avancent toujours !!!! Cette après-midi de retraite, les boches nous prirent les 4 kilomètres qui séparent Hooglede de Staden, avec des effectifs énormes et aux prix de sacrifices lourds. Les dragons, les chasseurs cyclistes, les chasseurs à cheval ou les cuirassiers se repliaient, étant échelonnés tous les 200 mètres, l’artillerie tirait en plein dans l’ennemi, et ils avançaient toujours. Sur la route de Roulers, l’artillerie prend position, laisse avancer l’ennemi et à trois cent mètres ouvre un feu d’enfer mais ils avançaient encore. Pendant ce temps, la 4ème division se repliait au trot, le 16ème dragon avait perdu beaucoup de monde, beaucoup de chevaux sont traînés par des cyclistes. Le soir commence à venir, la route est encombrée par les troupes et par des réfugiés. Le 30ème avec un obus incendiaire fait d’une ferme une torche qui éclaire la plaine, les boches surpris par la lueur et vus comme en plein jour se font canarder de tous côtés. Pendant ce moment de répit, les canons partent et nous fermons la marche. Derrière le dernier du peloton, on ferme la barricade de Staden. Dans ce village où nous avions été et si bien reçus la veille, tous les habitants se sauvent en hâte, la rue est encombrée par des carabiniers belges. Les boches tirent dans les toits. Puis à la barricade à la demande de la sentinelle (chasseur cycliste) on répond « Deutsch Patrouille » aussitôt c’est une salve qui nous répond. Nous quittons le village pour aller cantonner à Poelkapelle. Les boches ne devaient le prendre que le lendemain dès l’aube. Arrivés à Poelkapelle, avec Court nous cherchons un endroit pour dîner, tout l’escadron est au bivouac dans la prairie d’une ferme. Nous retrouvons des réfugiés de Hooglede car le

pays a été presque entièrement évacué. Après avoir dîné avec du porc pas dessalé et qui vous emportait la bouche, nous allons nous coucher près de nos chevaux. Inutile de chercher une grange, pas de place nulle part, et nous sommes 6 ou 700 cavaliers dans le village !!! Le 20, debout à 4 heures du matin, l’aspirant De Guibert nommé sous-lieutenant la veille est blessé. Etant couché, un cheval s’est détaché et est monté sur lui, lui cassant une côte. Nous nous retrouvons en lisière d’un bois au sud de Staden, de là nous découvrons la plaine et jusqu’à Roulers, nous voyons les routes où les boches avancent. A 1800 mètres d’abord, une escouade qui se trouve à notre gauche fait feu, nous avons laissé nos chevaux à un kilomètre et demi en arrière et sans cuirasse ni casque, nous combattons à pied. Enfin après des.., car un peu de brouillard vient de se lever, nous tirons sur les boches à 350 mètres. Notre feu se poursuit avec intensité, à notre gauche les mitrailleurs du 11° ont du boulot. En moins d’un quart d’heure, nous brûlons toutes nos cartouches, soit sur les ennemis dans la plaine, soit sur un groupe qui sortait d’une maison. Nous allons retrouver nos chevaux dans l’allée d’un château. A peine à cheval, nous sommes canardés, aussitôt, nous partons rechercher des munitions. Puis vers dix heures, de nouveau combat à pied dans une tranchée nouvellement faite. Comment nous en sommes tous revenus vivants ?? Personne ne le sait, nos c… ne s’en font pas et bouffent de la confiture dans un coin, un sous officier 11ème cuir passe, blessé, et nous revenons vers nos chevaux. Nous trouvons là trois jeunes gens qui pendant le combat faisaient marcher les ailes d’un moulin qui se trouvait derrière nous, ils passent au conseil. Enfin à 10 heures, après avoir traversé un village et avoir mis encore deux fois pied à terre, nous nous installons dans une ferme. Nous remplissons les musettes de nos chevaux soit avec de l’avoine ou du blé !!! Personne n’est

plus dans la ferme, nous prenons les patates cuites et destinés aux cochons et nous nous en régalons. Le maréchal commence à remettre des clous, quand tout de suite, à cheval et en route, les boches avancent toujours et sont près de Poelkapelle !! Nous repartons et l’on s’aperçoit qu’il manque le maréchal et l’homme dont on ferrait le cheval qui nous rejoignent dans la soirée. Nous nous dirigeons sur Langemark. Nous voyons les premières tranchées et les boches ne doivent plus passer coûte que coûte. Dedans sont installés les territoriaux, une division bretonne. Nous traversons le village et le passage à niveau où nous croisons un train blindé anglais conduit par les petits belges comme il y avait écrit sur une banderole !!! Dedans un wagon de la croix rouge où nous voyons de gentilles frimousses…que viennent-elles faire là ??? Nous nous reposons dans un champ. Couchés dans nos cuirasses, la terre paraît moins fraîche puis nous prenons nos cantonnements dans Langemark. Les habitants quittent la ville le plus vite possible, le canon tonne près. Voilà trois jours que les Anglais devaient venir nous relever et nous ne les verrons que demain encore nous resterons avec eux. Notre cantonnement est dans un ancien estaminet. Nous pouvons dîner sur ce que les habitants ont laissé…nous remplissons nos bidons avec du vin du Rhin !!! De la bière on n’en prend pas, le vin change un peu. Quelques-uns uns prennent des cigares, de quoi demain sera t’il fait ? L’un d’eux, Persat, attrape 15 jours de prison pour une boîte de cinquante cigares, c’est cher. A huit heures du soir, à peine couchés sur un tas de charbon, à cheval, c’est un charivari dans le village, les boches attaquent, les territoriaux s’en vont. Seuls les chasseurs à pied restent, toute la brigade et cuirs s’en va en pagaille et une demi-heure après, on reprenait nos cantonnements, on apprenait alors qu’un traître ennemi à cheval avait attaqué les tranchées en criant « H… » les territoriaux voyant le feu pour la première fois étaient partis et tout s’en était suivi. Enfin, je prends la garde dans un café, couché sur des chaises, les officiers donnent des cigares !! Et nous passons le reste de la nuit, tranquilles.

Le lendemain matin 21, les 1er et 2ème escadrons font des patrouilles et nous, nous restons près du moulin de Langemark avec le colonel. Nous sommes dans une prairie où la veille les Anglais étaient installés, ils étaient partis pendant l’alerte de la veille, abandonnant les pierres et les cordes qui servaient à attacher leurs chevaux !! Une voiture dans un fossé. Nous relevons la voiture et les officiers anglais nous donnent du corned beef pour la peine et des conserves de confiture. Lavand revient d’une patrouille, il a reçu une balle dans la mâchoire. Les boches attaquent Langemark mais les Anglais arrivent après une marche forcée. Les Boches ne devaient pas prendre le pays, ils profitèrent malgré cela des anglais qui à cinq heures prenaient leur thé comme en tant de paix et au besoin quittant leur poste, pour cela. Au bout de huit jours, ce n’était plus pareil. Quelques camarades qui avaient pris des bouteilles bien bouchées, furent volés, c’était un vieux muscat et par le trot des chevaux le dépôt des bouteilles avait rendu le reste inutilisable. Du 4ème escadron, deux hommes furent tués par des obus près du passage à niveau. Puis nous allâmes en arrière, après où une journée où nous rencontrâmes beaucoup d’anglais. Nous cantonnons dans une ferme du territoire de Langemark. Le soir, du renfort arrivait de Rambouillet, au peloton nous avions Chouquet, le maréchal lieutenant Berthelot passait au premier peloton avec Picard, Byasson passe cabot*, Wintersdorff sous-officier ainsi que Ternisien et Lamarque. Le 22 au matin à cheval, nous traversons de l’artillerie anglaise et nous nous trouvons dans une ferme occupée par les cyclistes. Sur notre gauche, des écossais sont dans les fourrés du bois. Dans la ferme, il y a trois boches prisonniers. Les cyclistes sont entourés dans la ferme au-dessus car les Ecossais d’un côté, de l’autre les dragons se sont repliés, leurs camarades les voyant resserrés sans leurs bécanes les chargent à la baïonnette et reprennent leurs vélos. La situation devient intenable dans la ferme, des obus tombent dans la cour, nous partons 4 par 4, en fourrageur* à

travers les prairies de cette ferme de Kortekeer, offrant une cible épatante aux boches, au galop nous traversons des kilomètres, nous nous mettons à l’abri à l’escadron, un homme blessé et deux chevaux dont celui de Levoy. Wintersdorff, le Garff et Bernier vont chercher le blessé sous une pluie de balles et le ramènent avec nous. En repartant derrière le bois, le peloton qui nous suit voit son officier tombé de cheval, celui-ci s’est pris les pattes dans un fossé d’assainissement de pré. Personne ne descend pour le relever sans l’ordre du maréchal. C’est une des conséquences de ne pas être aimé de ses hommes. On enterre un dragon, triste cérémonie. Le soir, nous suivons la ligne de chemin de fer jusqu’à Boesinghe et nous prenons nos cantonnements à Vlamertinge dans un estaminet. Trois jeunes filles de Dixmude évacuées de leur ville sont là. Nous passons une bonne soirée, espérant bientôt aller au repos !!! Il n’en est rien, le lendemain à cheval, nous allons au Nord d’Ypres d’où nous voyons les clochers et nous restons une partie de la journée derrière une ferme. Toute la journée on fait du café. Le soir, nous allons coucher dans une ferme près d’Elverdinge non sans peine car le cantonnement n’est fini qu’à minuit, nous nous étions trompés de ferme !!! Sur la route, nous rencontrons de nombreux convois d’anglais et de fantassins français. Le 24, nous partons dès le matin derrière une forêt, à droite et à gauche arrivent de nombreux fantassins français. Nous allons coucher dans une ferme isolée, entourée d’eau, nous nous ravitaillons de beurre et de porc, laissés dans les tonneaux de la cave. Le 25, nous retournons derrière les bois, revenons cantonner à Elverdinge.

Le 26, au matin, départ pour la liaison. Nous passons devant le poste du général de Division et nous nous retrouvons au poste du commandant de Villantroys qui commande le 66° d’infanterie. Le régiment avait déjà beaucoup donné à la Feu Champinoise un mois avant. Dans l’après-midi, Magalon est blessé par un 75 français !!! Le soir, je vais porter un ordre au colonel du 11ème cuir, qui se trouve à Langemark qui passe par le poste du général de Division, un colonel du 12 où je vois Mr Mac Arthy à qui je donne des nouvelles de Magalon. Je croise un officier du 17ème cuir qui me fait mettre la carabine sur la cuisse et avec ordre de ne laisser revenir personne en arrière, les obus tombent sur la route, les territoriaux veulent tous aller à la cuisine et je dois tous les ramener, ils sont affolés car n’ont jamais vu cela et pourtant plus tard ils étaient cités à l’ordre de l’armée pour avoir tenu ces tranchées là pendant un mois et demi et c‘était justice car ils furent braves. Je reviens de Langemark au galop sur Jeannette et me retrouve à … Morteldje, poste de secours du 66ème. On doit tenir coûte que coûte à Langemark, le 66ème attaque Poelkapelle. Jouanin perd son cheval et va le rechercher le lendemain. Fleurentin, Denis et Pape sont au poste du 129ème avec le Maréchal Lieutenant Destouches. Nous couchons à la ferme la plus proche, nous nourrissant de lapin. Il pleut toute la nuit, les chevaux pas dessellés attachés à une haie, nous sommes traversés au pied de la maison. Le lendemain, le 66 attaque encore, Poelkapelle doit être prise pour midi, nous portons les ordres aux chefs de bataillons et au lieutenant colonel l25 qui commande la brigade, les mitrailleuses crachent, un canon du 30° envoie 210 obus sur le clocher de Poelkapelle !! Derrière nous, plus de 30 pièces à dix mètres les unes des autres font un chahut !! Mais à cinq heures, Poelkapelle n’est pas pris, le 66ème a perdu beaucoup de monde, Chouquet chez nous est blessé, Destouches aussi. Le soir, nous couchons dans la grange de la ferme, des balles traversent le toit. Berthelot parti toute la nuit.

Le lendemain avec nos chevaux nous retournons au poste du 129 et du 66. On ne rencontre que des blessés. Le 4ème cycliste vient donner la main. Les boches ont aussi beaucoup de pertes. Dans un fossé avancé, ce n’est que des cadavres. Nous sommes remplacés par des 11 cuir, relevés des tranchées de Langemark où ils étaient avec les territoriaux, nous prenons du ravitaillement à un compagnon du 66ème qui a perdu la moitié de son effectif et nous ramenons les chevaux des hommes blessés, Jalives ne se sent pas des deux balles qu’il a dans la cuisse. Le général de Division vient voir le Colonel de Villantroys, nous partons de là avec d’excellentes notes car le général de brigade nous félicitent en passant. Le cimetière de In Het Morteldje a de nombreuses tombes et avant hier il y en avait qu’une seule. Nous retrouvons notre escadron à la ferme de Canditroère. Le capitaine nous donne des cigares etc, etc.. On apprend la mort de Winterscheld et que le capitaine du 4ème escadron est blessé. Le soir nous allons coucher à la ferme Derck. Le lendemain matin et tous les jours suivants, nous allons au rassemblement du régiment. Le premier jour, à l’heure de la décision, nous apprenons que nous sommes cités à l’ordre du Réglt Ordre du 29 octobre 1914 Le colonel porte à l’ordre du Réglt les Mt de Lt Berthelot, Destouches (blessé), le Ber Fleurentin, les cavaliers Magalon, Chouquet (blessé) Beguint, Pape, Denis, Jouanne, Pavard, Lahayen le Bastant, Cancher, Le Lannec, Picart et Pichont du 3ème escadron qui durant les journées du 26, 27 et 28 octobre ont assuré la liaison entre les 66ème et 129 Régiment d’Infanterie dans des conditions particulièrement dangereuses. Les gradés et cavaliers sont rentrés au régiment avec la mention suivante du chef de Bataillon Commandant le 66 d’infanterie : « Se sont conduits comme des héros ».

Le colonel leur adresse ses félicitations sans s’étonner autrement d’un courage et d’un dévouement dont le régiment lui a donné tant de preuves depuis le commencement de la guerre. Il prescrit que le présent ordre soit inscrit à l’historique du 12ème cuirassier. Le colonel et le 12ème Rgt de cuirassier Signé ……r Après le rassemblement du régiment, nous faisons la promenade des chevaux soit vers Boesinghe ou dans les faubourgs d’Ypres afin d’y trouver un abreuvoir. Le 29 au soir, nous sommes bombardés dans la ferme. Le cheval de Pierre Raboud est blessé au cou. Un commencement d’incendie se déclare, qui est vivement éteint. Pour la première fois, j’entends le bruit des obus tombant dans l’eau semblable à celui d’un fer rouge que l’on trempe dans l’eau froide mais les obus éclataient quand même. Le lendemain, les artilleurs prennent notre place et nous allons à la ferme de Canditroère avec le 4ème escadron. NOVEMBRE 1914 Pour la première fois de l’année, le 1er novembre nous avons de la neige, je m’installe à la cuisine avec Court, Billa, Perrin, Rabourdin, nous passons nos soirées assez gaiement nous demandant parfois comment il se fait que nous soyons encore là. Les premiers jours, les avions se font la chasse continuellement, nous devons rentrer dans les granges au signal d’une trompette, nous avons dans la même ferme une centaine de territoriaux qui sont dans les tranchées voisines. Dans le Nord, les bombardements sont violents et vers Ypres on entend les obus boches qui vont détruire tant de belles choses. Cela n’empêche pas le rassemblement du régiment qui se fait à la ferme de Corteker, parfois les obus tombent près de nous, seul le 12 fut néfaste ce jour là, trois 105 autrichiens à balles de schrapnells éclatèrent au

dessus de nous, 2 hommes tués, 4 blessés, 6 chevaux enterrés tous dans le même trou d’obus. Ce jour là, le 66° était relevé des tranchées après avoir fait preuve d’un courage qui valut la croix de guerre à son drapeau. Ils furent remplacés par des troupes du midi, entre autres un lieutenant du 96° qui se rendit avec toute sa section (Lieutenant Mathieu). Un jour, un soldat du 1115° d’infanterie vient nous demander de l’eau. On lui demanda le nom de son pays « Le midi » répondit-il, on lui fit observer qu’il avait une mauvaise renommée ce à quoi il répondit avec l’accent de l’Hérault : « ils se foutent un peu de leur réputation les gens du midi, est-ce-que vous croyez que nous sommes venus ici pour nous faire casser la gueule !!!». C’est encourageant pour les autres. Notre capitaine apprend la mort de son frère tiré à Dixmude, étant capitaine de Frégate aux fusiliers marins. Tous les jours des obus tombent autour de la ferme, le ravitaillement se fait le soir à cinq cent mètres de la ferme, ce n’est pas un petit boulot, un soir la ferme des territoriaux brûle. Le lendemain le 11° cuir est bombardé dans une ferme voisine de la notre, un cheval se sauve ayant ses tripes au vent et se prenant les pattes dedans !!! Le lendemain, cette ferme brûle. Le 2 novembre, nous assistons à une messe en plein air à la ferme de Brabender, tout le régiment est présent. Les habitants de cette ferme sont à moitié boches, à partir du 12, jour où nous sommes bombardés, ils peuvent partir mais ne doivent jamais revenir, défense à eux de sortir la nuit. Ordre du Jour 8 novembre 1914 « Soldats ! La lutte qui se poursuit opiniâtre sur tout notre front depuis 15 jours a brisé l’offensive d’un ennemi qui se flattait d’avoir raison de votre vaillance ! Il sait maintenant ce qu’il en coûte de se mesurer avec vous, et ne lutte plus que pour masquer

l’échec définitif de ses plans. Je connais vos fatigues, vous avez au cours de ces rudes journées, fourni des efforts considérables. Je vous en demanderai d’autres pour achever ce que nous avons entrepris. Ils ne seront pas au-dessus de votre courage et de votre amour pour votre pays. Tous pour la France! » Signé Général d’Urbal Ordre du Corps de Cavalerie n°21 – 14 novembre 1914 « Dans la matinée du 9 novembre, au cours d’une attaque dirigée contre le 96° d’infanterie dans la région de Langemark, la 12° compagnie de ce régiment commandée par le sous-lieutenant Mathieu appelée à renforcer les unités engagées en première ligne, se rendit sans avoir été attaqué et sans avoir tiré un coup de fusil. En portant à la connaissance des troupes sous ses ordres un pareil fait, le général commandant le 2° C.C. ne saurait trop flétrir la lâcheté d’une semblable attitude, la 12° Cie du 96ème s’est déshonorée en commettant un crime contre la Patrie. Sa conduite infâme mérite la plus sévère des sanctions, en croyant échapper à un danger, l’officier et les gradés qui commandaient cette compagnie un triste mais faux calcul, car ils ne sauraient se soustraire aux châtiments mérités qui leur sera réservé en France au retour des prisons de l’ennemi. Cet acte de lâcheté ne saurait entacher l’honneur du 96° qui dans cette journée s’est vaillamment comportée et a perdu au combat la moitié de son effectif. » Signé De Mitry Le 15, alerte, un coup de feu dans la nuit, on recherche et on découvre un pauvre territorial devenu fou qui tire n’importe où. Pas d’eau dans la ferme, tous les jours une corvée va chercher de l’eau à Ypres, là on rencontre beaucoup de soldats anglais, vieilles femmes fumant la pipe bourrée à la manière flamande, c’est à dire par-dessus bord.

Enfin, le 17, nous laissons la place, nous quittons cette ferme maudite où dans un rayon de 100 mètres alentours on aurait pu compter plus de cinq cent trous d’obus. Les fermiers furent victimes de leur rapacité, ils avaient peur que nous prenions tout et étaient restés là exprès. Tous les matins, nous prenions du lait et des pommes de terre, un jour on achetait de la volaille et le lendemain un cochon etc…Le soir même de notre départ, la ferme fût bombardée par des obus incendiaires et brûlée, on retrouve les cadavres des fermiers le lendemain (nous le sûmes quelques jours après). Le 17, nous quittions donc cette ferme, éclairés par des fusées que les boches lançaient, ma jument Jeannette était au convoi et j’avais hérité du Boche, le cheval trouvé à Staden pour faire l’étape. Nous partons de Brabender à huit heures du soir, nous passons par Sint Jan d’Ypres, commune dont faisait partie les fermes où nous étions auparavant, nous traversons Ypres, encombrée par des convois d’anglais, dans un bivouac près de notre passage, les Ecossais enterrent un des leurs et c’est leurs chants de mort que l’on entendait ainsi, nous passons le canal sur un pont fait par plusieurs chalands réunis, et nous voilà partis au repos. On passe Elverdinghe, Poperinge, Roesbrugge, où je sais que Robert Chabrol est, mais il est une heure du matin, la salle d’école est éclairée comme en plein jour, ce sont les télégraphistes qui sont là. Nous arrivons enfin à Hondschoote, j’ai usé un pied à mon cheval, qui marche sur trois pattes depuis plus de 40 kilomètres !! Et cette étape fut dure. Il est 4 heures quand nous arrivons ; de suite on prépare à manger et pour se reposer après mais à midi nous repartons. Nous croisons des troupes belges. On apprend ce jour là, la nomination de notre officier au grade de capitaine. Nous repartons d’Hondschoote, laissons le mont Cassel à notre gauche et nous arrivons à Echinghen tard le soir. Nos cantonnements ne sont pas définis, bivouac mais toute la nuit il

tombe de la neige, et au lieu de dormir, on se réchauffe autour des feux faits en plein air. Nous sommes heureux d’être en France, on n’entend plus les canons. Peut-être va t’on se reposer. Nous restons à Echinghen du 19 novembre au 4 décembre. Décision du 20 novembre 1914 « Le 12 novembre à 5 heures, une colonne allemande se portait à l’attaque du pont de Diegertchen défendu par le 1er zouave, en poussant devant elle des zouaves prisonniers et en criant « Bataillon, cessez le feu » Un instant nos soldats et leurs mitrailleuses interrompent leur tir, lorsque des rangs allemands par ce cri poussé par un de nos zouaves prisonniers « Tirez donc Nom de Dieu !! » Une décharge générale part alors de nos rangs couchant à terre les assaillants et l’héroïque soldat dont le dévouement avait permis aux nôtres de déjouer leur ruse. Si le nom de ce brave reste inconnu, du mois le 1er zouave gardera le souvenir de son sacrifice qui honore le régiment à l’égal des plus beaux faits d’armes de sa glorieuse histoire. Honneur à sa mémoire. » Signé Général d’Urbal. Nous lisons des journaux et alors nous apprenons que cette bataille de l’Ypres est le nom donné à celle où nous venons de prendre part et que la cavalerie avait fait une retraite magnifique en maintenant les boches de l’autre côté du canal jusqu’à l’arrivée de l’infanterie. 21 novembre 1914 Général commandant l’armée de Belgique au Général Commandant le 21°Corps de Cavalerie. « Le 2 CC n’a cessé de rendre à l’armée sous votre énergique impulsion des services auxquels je suis heureux de rendre hommage jours et nuits, au combat depuis 30 jours, chefs et soldats ont rivalisé d’entrain et de dévouement. Vos escadrons à pied, dans une tâche nouvelle pour eux ont fait preuve des plus

solides qualités. Je compte que dans l’avenir comme dans le présent, cette troupe d’élite continuera à maintenir le bon renom qu’elle s’est acquis. La cavalerie française peut être justement fière des combats de l’Yser, ils sont dignes des plus brillants souvenirs de son glorieux passé. » Nous nous installons à Echinghen comme chez nous, Ternisien fait bande à part, mais avec Court, Berthelot, Fleurentin nous prenons possession de la cuisine, le matin promenade des chevaux, je reste chez cette brave femme qui est Madame Debarlaine. Un jour pour voir si nous ne nous endormons pas, il y a une alerte mais deux heures après nous revenons dans nos cantonnements, à cheval nous faisons des promenades vers Cassel. Le dimanche, personne ne manque la messe et déjà on parle de la fin de la guerre. Les uns disent pour Pâques, mais un seul pense à plus d’un an !! Ce que nous devions être déçus pourtant. Le maréchal-Lieutenant Berthelot grave une pipe en mettant dessus 1914-15-16-heureusement qu’il n’a plus de place. Et pourtant il allait avoir raison. Nous reprenons des mines satisfaisantes, chocolat, thé, café, rien ne nous manque, de l’eau de vie tous les jours au ravitaillement. J’apprends la nouvelle manière pour faire du café au lait : faire bouillir le lait et le passer ensuite dans le filtre, pour faire du café fort : faire bouillir de l’eau de vie et la passer dans le filtre. Robert vient au peloton et à six nous couchons dans la cuisine, deux fois, mon pantalon bleu de cuirasse prend feu étant couché trop près du poêle. A partir de cette époque, nous apprenons les disparitions qui ont lieu dans nos familles et dans nos amitiés. L’après-midi, on creuse des tranchées, chez nous, nous faisons un trou de 4 mètres carrés, sorte de poste de commandement mais nous partons trop vite pour l’achever, Ternisien se civilise et ne s’attrape plus qu’avec Stathman. Le soir, quelques fois avec le maréchal-Lieutenant Berthelot, nous allons au deuxième peloton

faire une bavaroise, plat du Nord. C’est du chocolat délayé dans de l’eau et mélangé ave beaucoup d’eau de vie. Je rencontre de cette façon Perrin assez souvent. Notre officier ne nous quitte pas mais le sous-lieutenant Bouquenot vient prendre le commandement du peloton. Il arrive avec un sermon qui fait voir que ce n’est pas un copain enfin nous verrons bien. Au bout de dix jours, nous sommes de la famille, Suzanne jeune demoiselle de douze ans n’est plus effarouchée et ses deux frères, gosses de six ou sept ans montent sur nos chevaux. J’apprends que Favier est arrivé et est affecté au 4ème escadron. On refait les contrôles de peloton, je garde Pape comme camarade de lit et au bout de 12 jours, Jeannette est guérie. Charpentier, De Janville est pris dans les jambes, Ternisien n’est pas son copain, c’est l’homme de corvée du peloton. DECEMBRE 1914 Nous partons de Echinghen le 4 au matin, sûrs que nous ne retrouverons pas de cantonnement semblable !! et dans l’aprèsmidi nous nous installons dans une ferme isolée de la commune de Oudezeele. Je suis à 5 minutes de chez Anneux, j’ai des nouvelles de Cattvers qui était près de là et de Pieters dont le père est notre voisin. D’ailleurs, de trouver des copains un peu partout ça fait l’épatement de Stathmann, et pourtant ayant servi à Cambrai où beaucoup de flamands font leur service, forcément j’en connaissais quelques-uns uns. Le capitaine et Mr Mac Carthy restent au canon sur la grande route de Cassel à Wormhout, les autres pelotons sont dans les fermes entre les nôtres et la route. Nous sommes installés chez des gens très aimables, ne refusant rien, le père Deschordt est égayé de voir de la jeunesse, parfois il nous chante une vieille chanson du pays. Sa femme, brave femme tout à fait, offrant le café dix fois par jour, c’est l’habitude du pays, ses nièces, Anna très sérieuse, les deux autres regrettant un peu les 10 chasseurs partis

la veille. Dans cette maison, on fait la prière en famille. Le soir, notre officier va en coucou* deux fois par jour, on ne le voit guère. Ternisien qui affole les jeunes filles !!! On le prend pour un nègre et il leur fait peur. Nous couchons dans la maison sur un matelas mis en travers, les pieds au feu, Ternisien s’installe sur des chaises. Le matin, debout à 6 heures, c’est matinal surtout pour Berthelot. La ferme est la vraie ferme du pays, d’une propreté extraordinaire dans la maison, rien ne traîne, la laiterie est éclairée par les reflets des vitres sur les seaux et les pots à lait qui sont neufs. Mais la cour !! Dégoûtante, les cochons se baladent sur le fumier. Comme on ne veut pas avoir de feu dans la grange, tous les soirs le peloton fait la partie dans la grande cuisine. Le 8, départ aux tranchées à Hondshoote tous les pelotons partent sauf 4. Je reste avec Robert, qui fait l’approvisionnement, Florentin et Charpentier. J’en profite pour faire un tour à Wormhout, d’où je rapporte des commissions pour tous, je reviens avec du Kummel* cher à Ternisien et je profite de rencontrer Robert sur la route pour lui prendre son cheval. Jubert arrive avec l’escadron à pied, je vais le voir à Oudezeele, je rencontre d’autres d’anciens camarades qui ont fait la Maine avec moi. Le lendemain 10, les camarades reviennent des tranchées, il n’y a rien de trop pour eux, la mère Deschodt fait allumer un grand feu pour qu’ils se réchauffent après avoir dit toute la journée « Pourvu qu’ils reviennent tous ». Ils reviennent tous en effet. Ils ont pris les tranchées à la sortie du village de Nordschote, les uns en deuxième ligne dans une maison où il restait un piano, les autres dans la boue en bordure de l’inondation de l’Ypres. Nous quittons cette ferme qui fut pour nous la maison du bon Dieu. Le 12 décembre, on prend l’adresse car on écrira, on promet toujours !! Et on ne tient pas souvent sa promesse. Pourtant on

écrivit à Oudezeele et nous reçûmes comme réponse, certainement envoyée par bonnes intentions de la part d’Anna une prière qui devait faire la boule de neige, c’est à dire que celui qui recevait la prière devait l’envoyer à sept autres personnes et chacune de ces sept personnes à sept autres et ainsi de suite. Là dessus, nous avons arrêté nos correspondances. Nous traversons encore la frontière du côté de ____ et nous arrivons à Isenberghe. Les routes belges qui sont mauvaises car juste une voiture peut passer de chaque côté de la boue où les chevaux s’enfoncent jusqu’au genou. Nous sommes installés assez peu confortablement chez le père Coopeman à qui appartient le moulin à vent. Nous sommes revenus de nouveau chez les Flamands belges, ils se fichent de la guerre car ils n’espèrent rien perdre et n’ont personne de partis. Tous les soirs le bombardement est violent, les boches arrivent à bombarder Lo près d’Isenberghe. Nous sommes dans le village avec de nombreux soldats belges. Le 18 décembre, nous prenons les tranchées sur les bords d’Yser. Pour cela, on part à midi d’Isenberghe et à cheval nous faisons 29 kilomètres, nous descendons au pied d’un moulin qui n’a plus qu’une aile et nous prenons les tranchées sur les bords de l’Yser. De l’eau, pas de traces !! De la boue à chaque pas, on enfonce pardessus le genou et nous sommes harnachés comme pour monter à cheval, couverture en bandoulière, gros manteau avec pèlerine, sac confectionné avec une musette et un surfaix. De chaque côté de nous, les fusiliers marins. A gauche, le 19 au matin, ils attaquent un bois puis ils reviennent, il manque une compagnie entière. Partout, c’est dévasté. Le lendemain soir, on fait les 25 kilomètres heureux de retrouver son cantonnement. Le 24 au soir, nous fêtons Noël, tous, nous sommes gais, on chante et on boit, c’est le principal. Le 25, nous retournons aux tranchées, nous passons, après être descendus de cheval la gare de Lizerne, et nous sommes sur les bords de l’Yser, en face

Bixschoote, 3 pelotons vont en première ligne passant le canal sur une échelle, les maisons sont démolies, partout des tombes où les bérets à pompons rouges dominent dans cette plaine boueuse. Il fait froid. Les schrapnells cassent la glace du canal. A notre gauche, il y a la maison du passeur, ça cogne dur. Sur un pont, les cadavres de boches ne sont pas enterrés. Les 3 pelotons dans lesquels sont Perrin ont été conduits par un sous lieutenant dont un fusilier marin a rigolé car il avait une frousse !!! L’escadron à pied est à gauche et reçoit le baptême du feu. On nous défend l’eau de vie mais pas aux tranchées car avec les repas froids ce n’est pas ce qui nous ferait tenir, d’ailleurs pour 20 bonhommes et 24 heures on en a 10 litres. Je couche dans un abri avec Stahtmann et Ternisien. La 1ère ligne veut creuser sa tranchée mais impossible, ils déterrent les morts avec leurs pioches alors que dans le village les boches les déterrent avec leur obus. Nous sortons de là le 26 au soir, de nouveau 25 kilomètres à cheval, il manque un homme du 4ème escadron qui a été tué. Nous repassons par Oostvleteren et Westvleteren où nous laissons Pichon qui a un commencement de gelure de pied, il revient deux jours après. Il part une dizaine d’hommes avec les fusiliers marins comme agents de liaison. Nous avons maintenant les journaux, dans ce village ils nous sont vendus par des réfugiées de Gand, Court, toujours jeune et gai, nous fait rire avec elles. Dans ce village, on a trouvé le moyen de moudre le café au moulin à vent, quand on fait le café, c’est pour toute la famille. Nous couchons à six dans la cuisine, il y a huit enfants aussi de six à huit heures le matin c’est un petit ménage !!! Rachel est seule assez gentille, elle comprend le français mais elle se fait battre par sa mère. Le père Coopmann, vieil avare, le 30 décembre veille de notre départ, voyant le maréchal Lieutenant Berthelot écrivant encore à minuit se leva, croyant que nous partions pour réclamer cent sous d’une porte pourrie que nos chevaux avaient abattue !!! Dans ce pays, pas de bois, on brûle les pieux des prairies.

Dans la ferme au-dessus, le patron est mobilisable mais en convalescence chaque fois qu’il voit le major belge prêt à venir chez lui, il se fiche des coups de marteau sur le pied afin de boiter. Somme toute, le village est gentillet. Les gens pas affolés entendent bombarder Ypres, mais rapiats. On voit que des troupes nombreuses sont déjà passées. De plus, des évacués de Bruxelles où la vie est facile et des autres industriels de Charleroi ou du port d’Anvers en font déjà une ville près du front comme beaucoup seront plus tard. Le coiffeur du village se sert encore du plat à barbe, on se fait raser rien que pour voir cela. Il passe la savonnette et ensuite fait mousser le savon avec ses doigts pendant que vous tenez le plat sous le menton. L’église du village a recueilli des réfugiés dont le côté gauche est plein de paille où couchent les habitants des bords de l’Yser. Un de ceux-ci a installé un estaminet et lui a donné le nom de la rivière connue en si peu de temps. 30 Xème 1914 Depuis 3 mois, les attaques violentes et désespérées des allemands ont été impuissantes à nous rompre. Partout nous leur avons opposé une victorieuse résistance. Le moment est venu de profiter des faiblesses qu’ils accusent alors que nous sommes renforcés en hommes et en matériel. L’heure des attaques a sonné après avoir contenu l’effort allemand, il s’agit maintenant de la briser, de libérer définitivement le territoire national envahi. Soldats ! La France compte plus que jamais sur votre cœur, votre énergie, votre volonté de vaincre à tout prix. Vous avez déjà vaincu sur la Marne, sur les Vosges, sur l’Yser, en Lorraine. Vous saurez vaincre encore jusqu’au triomphe définitif » Signé J Joffre Enfin, le 31 décembre on reçoit l’ordre de partir, on traverse la frontière et nous sommes heureux de passer les fêtes de fin du Jour de l’An en France. Ce jour là Ternisien quitte les fonctions de

chef de peloton, Ricard les prend, Berthelot s’en va au 4ème peloton, avec Picard, nous les regrettons tous deux car on passait de bons moments ensemble, après les déjeuners ou dîners, où les filets de bœuf frigorifiés faisaient le plat unique mais pas sans valeur !!! Nous sommes installés après avoir fait les poireaux pendant une demi-journée aux cinq chemins d’Oost-cappel, dans la ferme du père Verschaeve, sur la commune de Bambecque…

1915 JANVIER 1915 Nous avons à faire avec un vieux flamand, brave homme, il a ses trois fils dans l’infanterie. Nous sommes chez lui la moitié du peloton, l’autre moitié est chez le père Laseure avec l’officier. C’est la vraie vie de famille, la patronne est aimable, brave femme, lui fait la causette tous les soirs avec le commandant. Tous les hommes passent des journées entières dans la cuisine car il ne veut pas voir fumer dans sa grange. Le dimanche, j’ai une place dans le cabriolet, et je vais à la messe à Bambecque où l’on dit la prière en flamand. Après la messe, réunion au café. J’y vois souvent Perrin. Le bonhomme a deux commis, l’un évacué de Belgique, jeune garçon gentil, l’autre un petit rossard. La bonne Marie, grosse fille rouge en a vu de drôles avec nous mais a laissé un bon souvenir. Nous commençons à revivre la vie de quartier, le 1er janvier on boit le champagne, mais dès le lendemain revus de cantonnement, de chevaux, d’effets, d’armes etc, etc…au bout de quinze jours nous changeons d’officier. Mr Bourquenot s’en va au ravitaillement et nous avons Mr D’Aillières. Pour nous c’est une joie mais aussi une déception, car nous changeons de cantonnement. Le père Verschaeve qui s’entend parfaitement avec Ternisien ne veut pas et en cause au commandant. Rien à faire, on s’en va à 500 mètres de là. Le peloton est séparé en 4 fermes et il y a 4 lits !!! Dans l’un, Ternisien est installé, on sent le froid qui

existe entre lui et Ricard, dans l’autre Stahtmann et Court, dans le troisième, Ricard et dans le 4ème Robert qui prend possession du lit et le partage avec moi. Je me rappellerais longtemps ce premier lit que je trouvai en campagne dans une grande chambre froide. Toute la famille, dont le père, était mobilisée, passait par-là le soir en nous disant bonsoir. Je ne regrettais plus la ferme Verschaeve et pourtant le premier dimanche, nous allâmes lui rendre visite à la Kruystraëte. Dans ce nouveau cantonnement, nous étions sur trois communes, l’une de Bambecque, d’Oost-Cappel et de Rexpoëde. Le dimanche, on allait à la messe à Oost-cappel, je continuais à aller à Bambecque, avec Court et Rabourdin que je prenais en passant. Déjà, ça allait mieux au peloton, l’officier était connu et aimé, les classes à pied consistaient en jeux au ballon dans une prairie d’où l’on découvrait le Mont Cassel le mont des Cats. La ferme où étaient Court et Stahmann était tenue par une femme belge, âgée d’une trentaine d’années mais qui fut bonne pour nous. Celle où nous mangions appartenait à une famille dont certainement un grand-père devait être le pithécanthrope* !! Mais bien braves gens, deux jeunes filles nous faisaient la cuisine. La ferme où était Ternisien, était tenue par une vieille femme belge pas intéressante. Enfin, où je couchais avec Robert, une brave femme dont le mari était dans l’artillerie à Dunkerque. Leur fille Hélène très gentille, fiancée à un fantassin. On se sentait en France, on était accueillis et reçus comme des Rois. Vers le 20, nous touchons des couvres cuirasses bleues : encore un … embarrassant. Tous les jours, on fait des patrouilles sur les routes. Un jour Viver arrête deux espions. Partout on regrette de nous voir partir car ce sont les Anglais qui viendront prendre nos places. Les Boches envoient des avions sur Rooshugge où est l’état major du général d’Urbal, nous suivons les flocons blancs mais pas un ne touche le Taube.

Enfin le 24, nous partons et nous nous installons dans deux fermes de l‘autre côté de Wormhout. Court a quitté les ordinaires et les a passés à Stahtmann. Pour une bêtise, ils se fâchent. Nous sommes dans une ferme à moitié chemin d’Oudezeele à Wormhout, j’en profite pour aller voir les parents d’Aumeux au Kikipeck. Je suis avec Stahmann et nous sommes reçus on ne peut pas mieux. J’ai des nouvelles d’Henri Aumeux, passé sous-officier au 9ème cuirassier, ses parents me grondent car je ne suis pas venu les voir quand j’étais à Oudezeele, pensez donc un camarade d’Henri !! Je quitte la maison, et la mère de mon camarade en a gros sur le cœur, car c’est comme si son fils était revenu. Le 25 au matin, départ, nous traversons Wormhout, déjà de belles femmes !!! font la porte des estaminets, la ville est remplie d’a….s, on sent un quartier général. Nous arrivons au-dessus de Bollezeele à Eringhem, nous n’avons pas de cantonnement par tiers, nous sommes placés dans les 2, ou 3 ou 4ème peloton. Je tombe dans ce dernier, nous trouvons une petite maison avec un lit. Le sous-officier le prend, je regrettais le lit de Rexpoëde, à peu près sûr de n’en jamais retrouver. Nous sommes chez de pauvres gens, aimables au possible, la patronne nous donne une paire de drap, avec de la paille rentrée dans la maison, nous faisons un lit où nous couchons à trois, Robert, Stahtmann et moi. Ordre du jour 25 janvier 1915 « Soldats ! L’inaction vous pèse et vous brûlez de courir à de nouveaux combats. J’espère que vos vœux seront bientôt satisfaits. L’ennemi semble en ce moment préparer une attaque, voulant dit-on célébrer par une victoire, la fête de son empereur. Il a donc oublié que trois fois en un mois ses efforts n’ont abouti qu’à prouver son impuissance, qu’il vienne donc ! S’il lui plaît de tenter une fois de plus le sort des armes et qu’une fois de plus les destins s ‘accomplissent. » Signé d’Urbal

Le 27, nous partons pour élargir notre cantonnement, le peloton se retrouve dans une ferme près du moulin de Bollezeele, nous restons une journée, et le lendemain 28, nous sommes à Bollezeele. Nous sommes installés dans une ferme dont la patronne Philomène n’est guère agréable, elle trouve qu’on lui brise tout, de plus il ne faut pas la contrarier car elle est dans un état intéressant*. Elle travaille quand même, et nous embête !!! Ce n’est rien de le dire. Le pays est divisé en deux, les gens sont tous catholiques mais ne peuvent pas pratiquer car leur curé est un drôle de bonhomme. Court qui a trouvé un plumard dans la maison où il est cantonné m’emmène coucher, nous sommes à 4 dans une mansarde, deux par lit. Les gens sont gentils, la patronne raconte toujours « Que de misère !! ». Et au fond, elle dit la vérité. Une gentille pâtissière qui habite le village fait des affaires d’or, de plus c’est là que se trouve l’Etat Major du 2° C.C.*. et de là, les escadrons à pied prennent les tranchées de St Georges et la mer en Belgique. Ils partent en autobus. FEVRIER 1915 Nous restons dans ce village jusqu’au 5 février, quelques types partent dans l’infanterie. Ce sont tous des sous-officiers qui passent sous-lieutenants en changeant d’arme. A partir de cette époque, il devait en partir beaucoup. Savin et Morel partent tous les deux de l’Escadron. Nous quittons Bollezeele, au retour du 124 escadron qui passa dix jours à Roesbrugge pour former la garde de l’Etat major du Général d’Urbal. D’une étape, nous traversons St Omer où nous rencontrons de nombreux anglais et nous arrivons à Audincthun d’où les Anglais sont partis le matin. Nous avons fait l’étape au pas, près de 40 kilomètres, c’est assez fatiguant. Les gens de ce village ont été contents des soldats qui les quittent alors que l’on disait que les anglais ne se gênent pas.

Ici, on les regrette presque. D’ailleurs ils ont laissé selon leurs habitudes de nombreuses conserves et pas mal d’effets encore bons. Tous les gosses ont des bandes molletières* et des casquettes Kakis. Nous en partons le lendemain matin 7 et après avoir passé par Hesdin et Fruges, nous arrivons à Wail. Le pays est accidenté, bonne route, malheureusement toujours au pas. Nous sommes cantonnés dans une ferme, tous les chevaux sont dans des écuries. Dans ce village, le 4° cuir est resté pendant 6 semaines au repos. La patronne de la maison est très aimable pour nous, laisse jouer du piano aux sous-officiers et ne refuse rien aux poilus. Nous en repartons le 8 au matin et nous arrivons à Maisons Ponthieu. Dans ce village où nous devions rester cinq semaines, nous sommes seulement deux escadrons. Tout le monde est au large, la cuisine est installée chez Blanche. Bacons le sous-off, Cabot et moi nous mangeons tous ensemble. C’est la vie de famille. Stahtmann trouve un bon lit et nous couchons tous les deux pendant la durée du cantonnement. Les habitants qui logent des soldats pour la première fois depuis le début de la guerre sont aimables, rien ne nous est refusé. La vie n’est pas trop chère et l’on trouve tout ce qu’on veut. Avec Blanche, habite sa belle sœur Antoinette dont nous gardons un bon souvenir, et que Ricard a dû regretter !!!! Ordre n°60 – 9 février 1915 « Au moment où les éléments qui ont fait partie du groupement de Nieuport regagnent leur D.C. Le Général tient à les remercier tout spécialement pour les services qu’ils ont rendus et à signaler leur brillante conduite à tous les 2 CC.C. Le général de Bifère, le Colonel Enonique ont su par leur ténacité, leur esprit de méthode, leurs connaissances approfondies de la tactique des autres armes mener à bien les opérations si délicates dont ils avaient la lourde

responsabilité et obtenir des éléments les plus divers qui leur étaient confiés, les résultats les plus brillants. La réputation des groupes cyclistes n’est plus à faire cette fois encore, les chasseurs aussi bien, sur les digues de Saint Georges que dans les dangereux couloirs des dunes ont su s’attirer l’admiration de tous par leur courage, leur entrain, leur endurance dans les situations les plus difficiles. Ils ont perdu un chef remarquable, le capitaine Gualimont qui comme le Cap. Rubbers tué en août à Ser…lles a tenu jusque dans la mort à servir d’exemple au groupe qu’il avait formé. De création récente, les groupes des escadrons à pied se sont montrés dès le début dignes des troupes d’infanterie à côté desquelles ils avaient l’honneur de combattre sous les ordres de chefs énergiques, vaillants, sachant s’adapter d’une façon remarquable à un rôle tout nouveau pour eux. Les escadrons ont rempli avec succès toutes les missions délicates qui leur étaient confiées faisant preuve des plus belles qualités militaires dans l’offensive comme dans la défensive. Dans une phase de la guerre où la cavalerie ne trouve pas d’emploi qu’elle rêvait, les troupes à pied renforcés d’escadrons pied-à-terre lui ont permis de soulager l’infanterie dans la rude et glorieuse tâche qui lui incombe, et de ne pas rester inactive loin des champs de bataille. Au prix de gros sacrifices, les groupes à pied ont montré qu’on pouvait tout attendre d’eux, conscients des grands services qu’ils ont déjà rendus et qu’ils sont appelés à rendre encore dans toutes les circonstances de la lutte, ils ont le droit d’être fiers. Dès maintenant comptent parmi les éléments les plus solides du C.C. devant le plus beau mépris du danger, les sapeurs cyclistes se sont prodigués pour ouvrir la voie aux troupes d’attaque pour consolider les positions acquises. Les cavaliers télégraphistes ont su dans les conditions les plus difficiles, avec un héroïsme d’autant plus admirable qu’il n’a pas de témoins, construire un réseau des plus complets et en assurer le fonctionnement. L’artillerie des D.C. qui ne connut pas le repos a encore par son activité inlassable et une liaison étroite avec l’infanterie donné à

tous l’appui le plus efficace. Le Général en Chef a tenu à venir lui-même donner aux groupes à pied et cyclistes des D.C. un éclatant témoignage de satisfaction pour leur belle conduite au combat de Nieuport. Cavaliers à pied, Chasseurs Cyclistes, soyez fiers de cet honneur que vous avez payé de votre sang et qui rejaillit sur le C.C. tout entier. Je compte que tous auront à cœur de se montrer dignes dans les rudes combats que le C.C. aura encore à soutenir. » Signé De Mitry. La première semaine, la morve* se déclare au peloton, on abat douze chevaux. Presque tous ces chevaux étaient là depuis le début de la campagne, heureusement des chevaux américains arrivent du dépôt pour les remplacer. Je vois Parine et Dubut qui sont venus les amener. La vie est tranquille, le matin à cheval, l’après-midi on joue au football comme nous sommes dispersés, on ne vient pas souvent nous voir. Les habitants, lorsqu’ils sont à Ablenlle ou à Auxi-le-Château nous font des commissions. Lescot passe sous-off au peloton. Nous passons nos trois semaines dans un vrai repos puis de là, on va aux tranchées à Rivière près d’An.. par autobus. 10 hommes par peloton, le tour ne viendra pas vite et juste nous rions tous une seule fois. Pierrot qui est logé dans le haut du village près du château ne s’ennuie pas. Dans son cantonnement ça va mais à son départ peut-être qu’il y aura des grincements de dents. Ricard fait sa demande pour partir dans l’infanterie, ayant la main un peu forcée, il est vrai qu’il veut en faire sa carrière. Deux fois nous sommes vaccinés contre la Typhoïde, plusieurs sont légèrement malades, les gens du village nous font nos dîners. L’officier nous fiche une paix royale, on ne demande que cela. Lorsque nous partons de Maisons Ponthieu, pendant deux jours on a entendu une forte canonnade, les Anglais ont attaqué près Neuve-Chapelle mais n’ayant pas la cavalerie là, n’ont pu aller plus loin, nous allons donc avec eux. Les gens du pays nous

regrettent, on pourra revenir, nous serons toujours bien reçus. Nous sommes connus chacun de nos quartiers. Signolle est revenu du dépôt de chevaux d’Aire-sur-la-Lys. MARS 1915 Enfin le 12 mars, nous partons. Si on nous regrette, nous regrettons également le bon temps passé. Nous traversons Auxile-Château et nous allons cantonner six kilomètres de là, à Quoeux, d’où les dragons sont partis le matin. Nous sommes dans une ferme abandonnée, dans l’intérieur 4 paillasses, ma foi, on passe une bonne nuit. Nous en repartons le lendemain et nous arrivons à Eps. Dans une ferme sale où le purin forme une grande mare qui n’a pas d’écoulement, nous restons là deux jours. Les chevaux ne boivent que sur le bas de la colline dans un ruisseau, ils ne sont pas habitués comme les chevaux de la ferme à boire dans la mare qui est immonde, et pourtant nous sommes sur une colline remplie de sources. Le 15 mars, nous partons de là sans regrets et nous arrivons à Bergueneuse, les autres pelotons sont à Heuchin. Nous sommes installés dans une grande ferme appartenant à Mr Boutillier, toute nouvelle, électricité fournie par un moulin. Le patron, ami de la bouteille, est assez rapiat, de plus l’habitude du marché de Saint Pol fait rendre ses produits hors de prix. Le beurre vaut 45 sous la livre. Certains jours, ayant prié quelques hommes pour faire marcher la batteuse, il leur octroya à chacun un verre de cidre, aussi le lendemain, il n’en trouvait plus pour les embaucher. Pourtant sa maison est presque envahie, dans trois chambres, trois officiers sont logés, dans une autre pièce la cuisine et le bureau de l’escadron. On laisse la laiterie et juste une pièce pour les habitants. Il est vrai que nous ne prenons que la place des anglais, la seule différence c’est que les officiers entraient dans la maison

mais la troupe hindoue n’entrait jamais. Le temps est relativement beau. Dans les premiers jours, nous avons de la neige et ensuite le printemps commence à se faire sentir. Aussi la …. communale marche tous les jours et la route est polie comme une glace. La garde qui est montée à Heuchin pour le général de division est en tenue ordinaire. A Bergueneuse, il faut entasser les cuirasses. C’est pourtant fatigant et ensuite un cuirassier à pied fait un triste effet. Au bout de quelques jours de nouveaux départs dans l’infanterie. Ricard part aux Zouaves* comme sous-lieutenant. Nous avions d’abord continué à manger ensemble mais un jour l’adjudant vida Baudry et Byasson de notre popote. Court était installé dans une petite maison au-dessus avec Robert. Pour remplacer Ricard comme sous-officier, on nous envoie Berthelot du 4° peloton. Nous ne demandions que cela, il était comme de nous et tous nous l’avions regretté la fois qu’il était parti. Nous sommes vaccinés pour la troisième fois, l’adjudant se trouva malade, il «bat les champs » comme dit Vinir en venant nous apprendre qu’il était en digue-digue*. Le 20 mars, départ aux tranchées. Ceux-là ne devaient pas revenir à Bergueneuse car nous en partions le 28 avec leurs chevaux en main. Nous les retrouvons à Erquières où nous passons la nuit. Arrivés assez tard, nos chevaux sont logés dans un grand hangar où Jeannette se crève un œil. Le cheval de Byasson, américain venu à Maison-Ponthieu meurt de coliques, c’est le deuxième américain qui est tué, Lescot avait fait passer le sien sous un autobus en allant au ravitaillement, quinze jours avant. Nous sommes dans une ferme sale, la paille est abondante mais la nuit est froide et dans le grenier on se lève la nuit pour se réchauffer. On part le lendemain pour Domart, nous passons à Yvrench près de Maison-Ponthieu dont on aperçoit le cloche, et nous arrivons à

Domart, village situé à mi-coteau le 30 mars. L’étape de 40 kilomètres est faite sur une route remplie de poussière, ce qui ne fait que d’aggraver l’œil de Jeannette. Nous sommes cantonnés dans le bas du village dans une grande ferme isolée de la ville. Près de la ferme passe une rivière et une chute d’eau alimente la ferme d’électricité. La source qui se trouve non loin de là est abondante en cresson d’où la ferme a pris le nom de « La Cressonnière ». Le patron est mobilisé, étant divorcé, une bonne conduit la ferme à laquelle on voit qu’il manque la main du maître. Il y a soixante bêtes à cornes, qui sont dans la pâture. Nous prenons un coin de ce pré pour faire un terrain de footbaal. Aussitôt arrivés dans le village, nous trouvons un lit près de la ferme où je couche avec Robert. C’est dans une maison de blanchisseuse qui vient de perdre son mari à Vauquois. AVRIL 1915 Nous sommes tous très bien installés quand un jour le patron de la ferme, Mr Helluin arrive en permission. Du jour au lendemain, c’est un changement à vue d’œil, un réfugié du Nord qui d’ailleurs tenait compagnie à la bonne et couchait à la maison, s’en va à l’écurie. Le patron est très gentil, avec son autorisation, on joue du piano le soir jusqu’à des heures tardives. Au 2° peloton on commence à jouer au poker. Le patron passe sa permission de 15 jours avec nous, c’est un ancien de l’institut de Beauvais, donc un ancien à Lescot. Il s’occupe de sa ferme et avec un vacher bulgare, il marque toutes ses bêtes. Le beurre que l’on fait est excellent aussi à notre départ aux tranchées, la grosse Georgette gérante de l’établissement nous en octroie. Nous prenons les autobus à la place même de Domart, tous ceux qui ne sont pas allés encore à la Rivière, y vont cette fois-ci. Nous passons par Doullens installés dans des confortables autobus parisiens. Nous débarquons à 14 kilomètres des tranchées. Jusqu’à Beaumetz on peut causer, après c’est le silence. On voit l’Eglise

de Rivière et enfin on passe 4 jours en première ligne en face le moulin de Ficheux dont on aperçoit une aile figée en terre. Derrière nous est Wailly complètement démoli, une usine où se fait notre cuisine. Sur la gauche on aperçoit le Mont Saint Eloi. Je passe ces 4 jours avec Court et Pierrot puis les 4 derniers jours nous allons en seconde ligne. Nous sommes dans une carrière de craie où sont enterrés un boche et un territorial. Les abris sont construits dans la craie profondément en terre et la carrière fait face à l’ouest. Mais sur les hauteurs où passe la route d’Arras, il ne faut pas se montrer. Après avoir passé 4 jours dans la carrière, nous passons la nuit à Rivière et dès 2 heures du matin nous nous mettons en route. Nous repassons par Beaumetz où l’on réveille tous les habitants par nos chansons de route car ce jour là il y a beaucoup d’entrain et nous arrivons à _____ où nous retrouvons nos autobus. Je vois l’escadron à pied (Flourain, Jubert, Paissre, Pato etc…). Nous revenons à Domart où nous restons encore une quinzaine de jours. Jeannette étant évacuée, ma nouvelle jument se nomme Impulsion, elle ressemble un peu à Jeannette. Berthelot est nommé sous-lieutenant et part au dépôt à son grand regret. Court passe sous-off et prend les baguettes de fournier, Perrin passe le même jour. Robert est évacué sur le dépôt ayant eu une petite histoire au ravitaillement. Wintersdorff passe sous officier du peloton. MAI 1915 Le 4 mai, nous partons le soir, il y a des pleurs et des grincements de dents, j’en sais une qui regrette Pierrot. Nous arrivons à Montigny-les-Jongleurs près de Maison-Ponthieu après avoir fait une étape de nuit. Il n’y a rien de long comme ces marches où il est défendu de causer et de fumer mais enfin on doit attaquer et tous espérant que ça hâte à la fin, on est plein de sang. Nous sommes cantonnés dans une ferme abandonnée, les puits sont profonds de cinquante

mètres et c’est tout ce qu’on a comme abreuvoir, dire que le 11° cuir est resté là trois semaines !! Il y a dans ces villages de nombreux enfants de l’assistance publique, les uns sont bien élevés mais la majorité traîne les rues, à partir de seize ans les jeunes filles sont les coquettes des villages !! Heureusement nous ne restons qu’une journée et dès le soir après avoir évacué les hommes souffrants et malingres nous repartons. Nous arrivons à Estrée-Wamin le 6 au matin, l’étape s’est passée plus vite, je crois que j’ai dormi sur mon cheval car nous avons fait les quarante kilomètres au pas. J’ai dégotté un sommier mais nous couchons au grenier et il ne fait guère chaud. Nous sommes près de Frévent, j’apprends qu’un de mes camarades de Cambrai nommé Deneuville et qui est de ces parages a été tué au début de la guerre… Nous sommes installés dans une maison très hospitalière mais les chevaux sont au bivouac, il y a tellement de cavalerie. Nous sommes tous sur le qui-vive pendant six jours, le matin on part emportant le repas d’une journée et deux heures après on revient. Le canon tonne dur sur les tranchées au bord d’Arras. C’est un roulement de tambour qui ne s’arrête pas. Signolle qui est cantonné près de moi vient faire des parties de poker avec Perrin et Husson. Les soirées paraissent moins longues. L’après-midi, nous avons un temps épatant, nous en profitons pour prendre des bains dans la rivière qui est à deux cents mètres de là. Nous espérions dormir mais l’attaque ne produit pas son effet, pourtant nous avions modifié notre paquetage. Nos chevaux emportent à partir de maintenant huit kilos d’avoine au lieu de deux et les deux sacs formés par cette avoine se trouvent pendants derrière la selle attachés aux courroies des manteaux. Notre linge est dans les sacoches avec deux jours de vivres de réserve, toile de tente, imperméables etc, etc…le cheval en a sa claque !!

Après avoir été alertés pendant onze jours, nous partons de là, Berthelot nous avait rejoint la veille, je quitte mon tablier de cuisinier voyant venir l’été, ça va bien l’hiver mais l’été il fait trop chaud. Je pense maintenant soigner seulement ma jument, étant à peu près connu au peloton, j’ai la paix la plus complète, de plus, m’entendant parfaitement avec Pape, ça va tout seul. Le 18 mai, nous arrivons à Remaisnil. La fermière ne nous reçoit que de bien mauvaise humeur, mal lui en a pris car nous sortons sa machine à battre et nous installons les chevaux. Nous sommes à proximité de la forêt et nous faisons de gentilles promenades, tous les jours nous allons faire l’abreuvoir, il y a trois kilomètres sans selle, deux fois par jour, on a les fesses en compote. Il y a un magnifique château habité par le directeur des mines de Bunay qui y passe sa vieillesse dans les draps d’une jeune maîtresse au dire des gens du pays !! Je n’y suis pas allé voir. André Guilbert vient me voir pendant ce temps là aussi nous allons trinquer chez la seule beauté du village, une gentille boiteuse !!!! Nous partons de là pour Bernâtre en passant par Frohen-le-Grand et le-Petit. Le 22 mai, deux escadrons sont au large dans Auxi-le-Château, nous autres trois pelotons sont dans la même ferme, inutile de chercher un plumard. Nous sommes cantonnés chez une dilettante qui veut bien nous faire la cuisine pour nous deux avec Husson. La ligne de chemin de fer passe là et de nombreux trains tous venant d’Auxi-le-Château et se dirigeant vers Abbeville. Tous les jours, service en campagne, nos chevaux font beaucoup de chemin, on fait l’abreuvoir une fois par jour à la rivière d’Auxi, le soir on tire l’eau des puits pour les chevaux. Les chevaux étant légèrement malades, ils sont tous mis au bivouac dans la prairie. L’après-midi, classes à pied et voltige, évidemment l’allure du quartier reparaît. Un dimanche tous les chênes sont rasés. Le dimanche, la messe est chantée par les officiers et la fille du

châtelain de Maison-Ponthieu dont nous sommes séparés par quatre ou cinq kilomètres. La patronne chez qui nous sommes a une vieille cousine qui nous fait des petits plats, de plus Husson rapporte ce qu’il nous faut d’Auxi-le-Château. JUIN 1915 Jusqu’au 16 juin nous restons là, je rencontre dans un convoi deux anciens du 4ème cuir qui sont au train des équipages. Un dimanche nous demandons la permission d’aller à Maison-Ponthieu où nous allons déjeuner chez Blanche. On se serait cru chez soi, tout le monde était gai, et tous nous étions contents de se revoir, de plus que déjà on avait raconté que Lescot et moi nous étions tués et la petite Georgette avait déjà pleuré !!! Nous avions pendant cette quinzaine un temps splendide, la place où je couchais n’était pas très confortable. De plus des rats énormes se baladaient toutes les nuits aussi j’en profitais pour coucher dehors, les nuits n’étaient pas trop fraîches. Vers le 12, on décore Marcille et un officier des deux premières croix de guerre du régiment grande prise d’armes. Le matin parfois, au lieu de monter avec l’escadron, je vais à Auxi copier la décision. Je vois Bouvart et Guérin qui sont arrivés avec les mitrailleurs deux mois auparavant. Nous partons le 16, et la veille je suis nommé brigadier, naturellement je prends le livre des ordinaires et me voilà en maître à la cuisine où j’étais un mois auparavant comme cuisinier. Nous passons par Frévent ; j’ai des nouvelles de Didi, je sais qu’il est dans les parages mais je ne le rencontre pas. Nous cantonnons à Honval, pays pauvre. Le soir, nous faisons la soupe pour toute la journée du lendemain car pendant cinq jours de suite, nous sommes dans une prairie où tout le régiment ensemble attende l’heure de marcher. Court part de là chez les chasseurs à pied comme sergent, il se trouvait trop inactif chez nous et il choisit

une arme où il ne s’endormira pas ; d’ailleurs directement il rejoint son bataillon sur le front. Notre commandant nous quitte les larmes aux yeux, il a passé l’âge de la retraite et il est rappelé à un poste plus sédentaire et plus en rapport avec son âge. Tous les matins, nous allons donc dans cette prairie, parfois passant par Estrée-Wamin où nous passons devant notre ancien cantonnement. Il est impossible de trouver un légume et pour ce, on va à Frévent, distant de deux ou trois kilomètres. Pendant la journée, on joue aux cartes ou bien on fait des corvées pour trouver soit des conserves soit de la bière pour tout le monde. On a attaqué sur le Labyrinthe et tous les jours passent des convois de prisonniers peu nombreux, jamais plus d’une dizaine. Nous menons cette vie pendant trois jours enfin le 19 nous partons, passant par Frévent où nous voyons de nombreuses corvées de boches balayer les rues sous la vigilance de territoriaux. Nous passons à Auxi où reste le corps de cavalerie puis dans le lointain sur la gauche on reconnaît le clocher de Maison-Ponthieu. Cette brave Antoinette sachant que nous passions ici est venue nous dire bonjour. Nous arrivons à Fontaine-sur-Maye. Tout le peloton dans la même ferme, près de la grande route d’Abbeville au croisement des routes se tient un café où une gentille blonde nous reçoit assez bien. Comme je ne trouve pas de plumard, je me paye le culot et vais en chercher un à 700 mètres de là dans un autre village appelé Froyelles. Ce lit !!! Je ne sais pas comment m’y coucher en long ou en travers, on est bien sur tous les côtés. La famille où j’ai demandé l’hospitalité se compose du père et de la mère Vasseur et d’une nombreuse famille, puis Alfredine Germaine, Olga et Florent de 8 à 10 ans. Tous les soirs nous

bavardons jusqu’à dix heures du soir. A Fontaine, tout se passe pour le mieux la vie des cavaliers est agrémentée du balayage des routes !! Donc il faut faire du village un jardin anglais ! Et ce n’est pas rien. Le matin à cheval, nous allons à Maison-Ponthieu d’où nous ne sommes séparés que par huit kilomètres. J’en connais même qui y allaient le soir mais une fois, tout casser et…… des pleurs et des grincements de dents. J’y vois Jubert pour la dernière fois, ce pauvre devait être tué à Neuville-Saint-Vaast le surlendemain avec ce pauvre Patte qui devait revenir avec une jambe de moins. Le cinquième jour que nous étions là vers le 21 juin, Pape vient me réveiller à deux heures, nous partions deux heures plus tard pour Raye-sur-Authie. Mais après avoir passé une journée là-bas, on revenait à Fontaine, on n’avait pas trouvé de quoi loger les officiers !! Voyant que nous restions là quelques jours, je profitais du lundi pour aller à Crecy-en-Ponthieu faire mon marché pour les ordinaires. Je vais aussi de temps en temps à ____ près de la forêt de Crécy où nous faisons nos corvées de bois. Nos chevaux sont repris en main, tous les jours nous les habituons à passer ces tranchées sur un terrain à mi-distance de Crécy où eu lieu la bataille autrefois, car une vieille croix y rappelle l’héroïne du roi de Bohème. JUILLET-AOUT 1915 Vers le 1er juillet, nous touchons une cuisine roulante, quelle innovation !! Heureusement pour les jours où nous ne sommes pas aux tranchées, on ne s’en sert pas. Le 8, départ aux tranchées à Calonne, le 13, nous recevons nos croix de guerre, quelle fête au peloton !!! Sur trente croix distribuées, il y en a 8 au peloton et 5 la recevront en revenant des tranchées. Pour cela, il y a eu une prise d’armes et nous reçûmes notre décoration de l’autre côté de Crécy dans la prairie d’une

grande ferme. On parle de permission, aussi la question de tous est de savoir comment marche le tour, les Anglais en ont depuis plus de six mois. Nous restons dans ce village où réellement nous étions bien le 19 juillet. Nous arrivons à Béalencourt, village perché sur un plateau qui borde la Ternoise. Là, nous avons perdu au change, nous ne trouvons plus de légumes et nous sommes forcés de les faire venir par le ravitaillement. Pour l’abreuvoir, nous descendons à Blingel mais les chevaux lorsqu’ils ont fait l’aller et le retour ont aussi soif et pourtant les puits sont là à une centaine de profondeur, pas moins de 35 mètres. Il y a près de nous une fermière qui réellement n’est pas commode, elle ne s’entend pas avec les officiers et bien que petite elle leur tient tête. Le dimanche, comme désœuvrement il y a concours hippique installé dans une grande ferme de Blingel. Perrin y a quelques succès avec sa jument qui est admirable. Mais à cette époque on apprend à lancer des grenades il y a un certain nombre de grenadiers par peloton. Le village n’est pas très riche, on y cultive beaucoup de tabac et profitant que le fixe a été moins sévère, les habitants ayant des feuilles en réserve, nous en faisons des cigares. Le travail devient intéressant pour les chevaux même pour nous, car nous faisons des exercices de nuit, combat à pied. Nous partons de Béalencourt sans regret pour Blangy à 4 kilomètres de là. Je vais un jour chercher la cuisine roulante près d’Azincourt où était l’escadron à pied, je vois Thomain à Blangy nous sommes réellement bien, nous continuons à prendre deux fois les tranchées à Calonne, je n’y vais à aucune fois car il n’y a qu’un brigadier à chaque fois. Quemère se trouve blessé d’un éclat d’obus. Je crains l’échappé bel. Nous allons prendre des douches à Auchy-lesHesdin. J’y rencontre un camarade du 4ème cuirassier parlant que

Didi n’est pas loin, je cherche à le voir mais c’est impossible par contre je rencontre Cugnot par deux fois et l’aîné ….. qui est à Anvin …. A Béalencourt, le maire ayant rouspété, le colonel lui fait faire des excuses publiques entouré de tous les officiers du 12. Où je fais la cuisine, assez bien installé, il y a trois jeunes filles peu farouches mais une a été lâchée par un cuir du 10° alors qu’ils cantonnaient là et donc elle n’est plus aussi commode. Je n’aime guère le curé de Blangy qui fait le poseur. Où j’habite avec Perrin, la brave femme a installé 4 lits. J’y prends mes repas avec Husson. Perrin part en permission et me rapporte des nouvelles. Un soir nous sommes réveillés par un coup de carabine, Deguenne de mon peloton s’est suicidé, il devait vingt francs et avait fait des dettes pour une femme d’Hesdin ??? Se suicider à cet âge pour ce motif ??? Je rencontre Brivois qui fait fonction de sous-officier de ravitaillement aussi, il me donne des tuyaux et je trouve facilement des légumes par la suite. Husson passe à la popote des officiers, je reste seul, car Pierrot est toujours éloigné de moi. Il a un bleu !!dans son escouade qui vient d’arriver, c’est De Lastapine, un homme de trente ans dix fois réformé mais engagé pour la durée de la guerre, il ne tient pas debout, d’ailleurs au bout de deux mois il s’en va et est réformé définitivement. Nous prenons des bains dans la Ternoise, qui a pourtant un courant assez rapide, on fait même des essais pour passer avec des armes et complètement équipés. Le 24 août voilà qu’on nous apprend que nous remontons à Béalencourt, pourtant nous ne repartons plus aux tranchées et nous ne devons plus rester longtemps dans ces parages. D’ailleurs nous sommes reçus froidement après l’histoire de maiRe, il fallait s’y attendre.

Le 30, nous partons, direction l’inconnu mais au bout de six kilomètres, on s’installe au bivouac, au Pariq. On s’aperçoit de l’utilité de la cuisine roulante. Le 31 nous arrivons à Ageridier dans une grande ferme. Je couche dans un plumard avec Baudry qui s’est disputé avec Louvy pour l’avoir. Nous sommes repassés près de Fontaine et au croisement des routes, la blonde nous envoie des baisers. Je rencontre le père Vasseur qui plus chanceux que moi a vu Henri. Nous sommes dans un village forestier mais malheureusement le lendemain départ. SEPTEMBRE 1915 Nous passons près d’Amiens dont on aperçoit la cathédrale ; personne ne sait où l’on va, d’ailleurs le campement ne part que lorsqu’il y a déjà un certain nombre de kilomètre de fait. Nous rencontrons de nombreux hindous et anglais c’est à eux qu’on laisse la place. Nous arrivons à Saint Sauveur sous une pluie battante. Les chevaux sont au bivouac. La ville, qui est remplie d’usines, a le caractère de ces villes noires, la débauche y est grave. La nuit je couche avec un camarade et dans la chambre voisine deux femmes vinrent coucher, c’est l’habitude dans le pays d’ailleurs mon camarade et moi étions tous deux ensemble. Le lendemain Stahtmann qui avait tenu la conversation avec sa voisine de chambre m’amusa pendant l’étape. Ces femmes ont toutes du caractère anglais. On va jusqu’à la limite mais halte là ! Nous partons le lendemain, traversons la Somme qui coule rapidement dans ces parages….où est la fabrique à Saint Frère et où tout un état major anglais nous regarde passer car avec nos cuirasses nous avions grande allure ; nous arrivons à Tilloy-lesConty. C’est une limite où les boches vinrent pendant leur attaque de l’an dernier. Nous sommes installés dans une ferme où habitent également des réfugiés d’Albert. Je trouve une place dans le lit à

Perrin, lit de fortune installé dans l’école même au milieu des bancs. Malthuy qui fait la cuisine pendant la permission de Le Meil est bien avec la grosse blonde et même un jour en riant elle faillit se casser un membre en tombant du haut d’une voiture de foin. Par contre Bosseux ayant fait une farce de mauvais goût est sorti de la maison avec fracas. Un seul café pour trois escadrons, c’est peu. Deux jeunes filles, l’une pesant plus de cent kilos, l’autre assez gentille font le service, elles disent « cependant » à tous propos, aussi c’est ainsi qu’on les nomme. Le pays est assez gentil mais la vie est monotone, on sent que quelque chose se prépare mais où ? Le 11 septembre, nous embarquons après avoir été prévenus peu de temps à l’avance. Les permissions se trouvent suspendus. Je n’ai pas de chances, j’étais dans les premiers à partir. L’embarquement se fait de nuit, je rencontre à la gare des camarades du 4ème Cuir. dans le train d’équipage. Le voyage se passe parfaitement, connaissant les commodités des wagons où il y a peu de chevaux. Dans un où trois chevaux sont embarqués, je m’y installe avec Rabourdin. Nous passons par Pontoise, Massy, Juvisy et nous prenons la ligne de l’Est, nous débarquons à Nogent sur Seine le 12 par une chaleur torride. Tout de suite à cheval et traversant un gué, on profite pour faire boire nos chevaux. Partout nous rencontrons des gosses et nous arrivons à Conflans sur Seine le soir. Nous sommes au bivouac car le 11 cuir a pris tout le pays pour lui tout seul. Notre peloton est dans un atelier de carrière. Je trouve près de là une maison où les gens fort aimables nous reçoivent bien, une jeune fille fiancée depuis le début de la guerre et qui devait se marier le 4 août est dans cette maison. Comme il fait toujours une grande chaleur, tous les jours nous allons prendre des bains dans la Seine qui

forme près du pont comme une plage. On s’exerce en prévision de passer le Rhin !! Deux fois je vais à Romilly, gentille petite ville assez animée, on y remarque que toutes les couturières ont sorti leurs machines à coudre, au moins comme cela on n’a plus besoin de tirer le rideau pour voir, les femmes sont tellement curieuses. Un jour en allant chercher des légumes, notre cheval s’emballe en arrivant au marais et Vivier prend un coup de botte, ça se passe vite et une friction énergique de la part de la maraîchère, il est complètement guéri ! Le matin nous montons à cheval par régiment et nous manœuvrons à travers la plaine car toutes les récoltes sont rentrées. Le dernier dimanche, il y a manœuvre de division, nous sommes seulement deux cuirassiers à avoir gardé la culotte rouge mais nous ne la garderons plus longtemps maintenant. Le lendemain, on nous enlève nos cuirasses et nos civières de casque avec la houppette et la crinière. Les uns la regrettent comme Stahtmann qui sans elle, aurait eu l’épaule brisée, d’autres en sont contents. Au bout de huit jours tous sont contents de l’avoir quitté, on ne savait pas ce que c’était sans cuirasse surtout qu’ayant conservé nos étuis carabines, nous n’avons plus rien sur le dos. Nous partons le 20 à 2 heures du matin, nous longeons les bords de la Seine à Marcilly et nous arrivons à Thaas. La nuit est froide et l’étape assez dure aussi en arrivant le seau de café est le bienvenu. Nous sommes dans une grande ferme, la batterie marche toute la journée, avec des femmes !!! aussi trois ou quatre sont contents de cette aubaine. Nous changeons de tenue et tous nous sommes en bleu ciel !!quelle différence !! Pape et ses camarades sapeurs ont des tenues mises de côté car voilà déjà huit

jours qu’ils sont partis pour préparer les ponts qui nous serviront à passer les tranchées. Nous allons à Mailly où nous logeons au camp. Nous partons dès le soir à 10 heures nous arrivons à Dommartin-Lettrée dont l’église a un vitrail qui se souvient de la retraite. Dans la ferme où nous sommes, un obus est resté dans un coin du mur. Sur le bord des routes nous voyons par ci par là quelques tombes, vestiges de la Marne, toutes entretenues avec soin. Nous partons le lendemain matin de très bonne heure car nous arrivons à Vésigneul-sur-Coole. dès 6 heures du matin. Le village dont il ne reste plus qu’une vingtaine d’habitants et de réfugiés est très triste. Nous sommes à 2 escadrons et 1 esc du 11 cuirassier. Nous logeons dans une ferme abandonnée. Le 24, le colonel qui est à Faux-sur-Coole nous réunit tous entre les deux villages et là il nous lit l’ordre du jour du général Joffre. Nous savons que toutes les correspondances sont suspendues, un sous-off va à Vitry-le-François pour faire des achats de conserves car nous devons en avoir plein nos sacoches, si nous arrivons à crever les lignes ennemies nous serons peut-être plusieurs jours sans ravitaillement. On forme une équipe de sapeurs destructeurs et de grenadiers qui portent trois grenades dans une grande cartouchière. Le 24 au soir, nous partons pour ?? on ne sait pas, nous passons près de l’Epine et nous arrivons à 5 heures du matin au camp de la Noblette près de Clappe. Dès le matin nous apercevons les lueurs de la canonnade qui est très furieuse en face de nous…Partout il y a de la cavalerie, nous nous installons au bivouac. Dès midi à cheval, on fait l’abreuvoir en passant à La Cheppe tous au trot on sent quelque chose d’anormal car de toutes les routes arrivent de la cavalerie. Tout le monde est de bonne humeur. Nous traversons Suippes après être venus à bonne allure notre officier tombe de

cheval mais ne se blesse pas gravement. Nous sortons de Suippes par la gare et nous arrivons derrière les canons lourds qui grondent encore. Là sont parqués déjà de nombreux prisonniers boches, nous prenons nos sapeurs en passant, je suis content de retrouver Pape et nous arrivons au bois carré près du bois sabot. Là toujours un nombreux défilé de boches et aussi de blessés, algériens et de la coloniale. Ils ont un grand carré de toile blanche cousue au dos de leur capote car ce sont les troupes qui ont attaqué. On apprend que le général Marchand vient d’être blessé grièvement, il passe près de nous sur un chemin où était un régiment de spahis* qui lui présentent les armes. Les boches prisonniers ramènent les blessés de chez nous car les infirmiers ont beaucoup d’ouvrage. Les boches ont déjà reculés de 7 kilomètres, nous sommes près de Sommepy mais la cavalerie ne part pas encore. Nous allons faire l’abreuvoir dans un endroit retiré et c’est un hasard que personne n’y soit resté. Nous revenons au bois carré et nous couchons là. Le 26 nous allons faire l’abreuvoir dès le matin et nous touchons le ravitaillement sur la route de Perthes à Suippes. L’après midi les escadrons à pied partent et attaquent à la tranchée de la Vistule. Ils s’emparent de trois lignes de tranchées mais ont de nombreux prisonniers de fait parmi eux. Le 27 après avoir couché encore dehors par une pluie battante et avoir fait sécher nos effets auprès des feux que nous faisons tous les matins, nous partons dans la plaine. Tout le monde est fou de pouvoir marcher, l’ennemi est enfermé dans la ferme Navarin dont nous tenons tout le tour et nous avons percé à l’Epine de Vedegrange. Le 16 dragon essaie de passer mais c’est impossible, déjà des chevaux reviennent blessés, nous retournons au bois carré. Le canon tonne toujours violemment c’est le roulement de tonnerre.

Le soir nous passons les tranchées et nous allons dans la plaine, nous sommes derrière les anciennes premières lignes allemandes qui ont été comblées par le bombardement. Nous restons là sous la pluie puis nous revenons encore au Bois Carré. Le 28 nous allons faire notre ravitaillement sur la route de Perthes, l’abreuvoir dans le Suippes. Sur la gauche est un château brûlé qui fut habité par l’empereur d’Allemagne au moment de l’attaque sur Paris. Nous restons ainsi jusqu’au 29. Nous revenons au camp de la Noblette car la cavalerie gène l’artillerie et l’infanterie. Le camp de la Noblette ou camp d’Attila est le point où fut livré la bataille des francs contre les huns. OCTOBRE 1915 Nous passons la nuit du 29 au 30 et le 30 nous partons pour Vésigneul. Nous restons jusqu’au 4 octobre, puis nous retournons au camp de la Noblette. Il y a déjà quelques chevaux de blessés sur le dos car souvent ils sont sellés avec un dos mouillé par la pluie. Perrin se trouve souffrant et Brichard apprend la triste nouvelle de la mort de son père. Nos lettres n’arrivent pas mais nous les recevons de chez nous. Le 7, nous partons du camp de la Noblette pour Vésigneul, on commence à connaître le chemin où nous restons la journée du 8. Le 9 nous partons pour Villiers-Herbisse dans l’Aube. De là ? le 10 nous arrivons à Thaas où nous étions passés quinze jours auparavant, tout le monde est revenu de chez nous, le 11ème a eu quelques tués et blessés par le bombardement. Les escadrons à pied ont eu plus de mal que nous tous. Perrin est promu chef. Nous repartons de Thaas le 11 pour la Celle. Ma jument étant blessée assez fortement sur le dos, je fais l’étape sur un fourgon. Nous sommes revenus sur Conflans-sur-Seine. Les permissions reprennent et le 19, je pars jusqu’au 26.

En passant à Conflans, je rencontre toute la famille qui m’avait logé à Romilly. Où nous prenons le train, il y a de nombreux blessés de la Champagne. Pendant ma permission, le régiment part de la Celle et arrive à Chouilly où je le rejoins après avoir passé par Gaye et Aulnizeux et avoir traversé les marais de St Gond. A Chouilly, gentil village, plein, au milieu des vignes de grands crus, ce qui vaut que les hommes boivent un peu plus surtout que les commerçants n’achetant pas de vins c’est la troupe qui l’achète chez l’habitant. Je trouve un bon lit. En arrivant, la moitié du régiment part aux tranchées pour remplacer deux escadrons de dragons qui ont été asphyxiés. Ils prennent les tranchées près de la ferme des Marquises sur la route de Reims à Vouziers. Je vais voir Marcel qui se trouve à Pierry près d’Epernay. NOVEMBRE-DECEMBRE 1915 Je prends les tranchées le 7 novembre nous passons par Courmelois après être descendus des autobus près de Sept-Saulx et Thuisy nous passons à la gare de Thuisy-Wez et nous prenons les tranchées au pied du Mont Cornillet. Il fait un froid de canard et un très vilain temps. De plus, quatorze heures de faction… Nous avons amené les derniers arrivés du dépôt entre autres Ridons et Chevallier. Nous sommes plutôt mal nourris les premiers jours mais après ça va. Pour avoir de l’eau, il faut aller à la maison du garde qui est sur la route de Nauroy à cinq cent mètres en arrière de notre première ligne. Les boyaux sont toujours plein d’eau, on y travaille beaucoup. Nous revenons à Chouilly le 19. Là, nous avons la vie tranquille mais de temps en temps le cafard. Je suis chez une femme qui a une langue de pipelette et tous les jours il y a dispute entre elle et son mari. Pierre Rabourdin va aux tranchées avec les mitrailleurs. Le jour de Noël, nous faisons un petit banquet où la gaieté ne manque pas. Nous y buvons du champagne, c’est un peu forcé quand on est dans le pays.

1916 JANVIER 1916 Nous reprenons les tranchées du 28 décembre au 5 janvier, nous sommes d’abord dans un abri creusé près d’une nappe d’eau et un beau matin on se réveille avec de l’eau au fond de l’abri. Nous quittons cet abri et nous allons près du 11ème cuirassier. Là nous avons de bons abris avec des braseros, il fait une chaleur à n’y pas tenir. Je fais la corvée de soupe trois fois par jour mais j’ai ma nuit complète pour me reposer. Nous buvons le champagne le premier janvier. Les boches sont assez tranquilles ? pourtant il y a un petit bombardement de temps à autre. Le 5 nous rentrons à Chouilly et ainsi tous les 10 jours, part la moitié de l’escadron. On va donc aux tranchées à peu près une fois sur deux. Un cheval de mon peloton casse la patte d’un autre en pleine nuit. Réveillé, je vais réveiller à peu près tous ceux que ça intéresse et le lendemain le cheval est abattu. Tous les jours nous faisons la promenade des gradés, on va par Avige où dans les champs c’est assez intéressant… Puis les camarades reviennent des tranchées la nuit du 25 au 26 mais la même nuit une attaque par zeppelins* au dessus d’Epernay font le feu à Mardeuil départ des piquets d’incendie à cheval et un seau attaché au sabre. FEVRIER 1916 Je reprends les tranchées du 5 au 15 dans la tranchée11 bis. Il fait un très mauvais temps et les boyaux bien que arrangés sont bien mauvais par place. Je fais le vaguemestre* et un jour je vais voir Pierrot à sa pièce. Nous revenons à Chouilly le 16 février. Marcel vient me voir. Je dois partir en permission mais je dois aussi repartir aux tranchées avec la cuisine roulante. Le 20, un zeppelin signalé est abattu à Bar-le-Duc, on ne voit que des projecteurs toute la nuit. Les 21, 22

et 23 passage de troupe très important. Des gros mortiers de 220, des canons longs de 199 et des autobus plein d’infanteries. Les permissions sont suspendues car les boches attaquent à Verdun. Je pars aux tranchées le 24 au matin avec la cuisine roulante. Nous passons par la gare d’Oiry où passent de nombreux trains chargés de troupe à Mareuil où les deux ponts ont été coupés lors de la retraite de 1914 et nous arrivons à Villers-Marmery. Le village situé en flanc de coteau de la montagne de Reims face au nord est un pays de vignes. C’est le cantonnement habituel des escadrons à pied. Nous ne restons que 5 jours aux tranchées que je passe au bois des cuisines. Nous revenons à Chouilly en passant par Villers-Marmery. MARS-AVRIL 1916 Au cantonnement pour faire passer notre cafard, nous jouons aux cartes, bridge ou poker même aux tranchées, nous ne les oublions pas. C’est le meilleur passe temps. Le curé du village nous fait faire la retraite pascale mais il n’a pas grand succès, il est vrai que son prédicateur nous faisait l’apologie de Voltaire ! Nous jouons au foot baal tous les soirs dans les prairies au bas de Chouilly. L’hiver, la Marne déborde et les prés sont toujours inondés à une assez grande hauteur aussi nous ne pouvons jouer avant le mois d’avril. Car la Marne déborda six fois dans l’hiver. 16 mars 1916 « Des agents ennemis ont réussi à introduire dans des sacs d’avoine destinés aux chevaux de l’armée des fourchettes pointues susceptibles d’amener des accidents mortels. Ils ont même osé dissimuler dans des boîtes de conserves et dans des quartiers de viande frigorifiées des crochets métalliques terminés en pointe d’hameçon qui doit entraîner une mort douloureuse. De tels procédés sont dignes d’un adversaire qui massacre les femmes et les enfants, achève les blessés sans défense, pille et incendie

partout où il passe ne reculant jamais devant une trahison ou devant une cruauté. Ces nouvelles infamies doivent être connues de tous afin que chacun s’efforce de les déjouer par une vigilance plus continue et plus active. Il faut aussi qu’elle nous arme d’une énergie plus inébranlable pour la victoire prochaine. » De Mitry. Je repars aux tranchées pour dix jours du 29 mars au 5 avril. Je reste une journée au bois des cuisines et je reviens à VillersMarmery. J’y passe mes jours suivants. Je vois les escadrons à pied et je rencontre de nombreux camarades entre autres Thomain avec qui je vais dîner au milieu de tous les sous-officiers de l’escadron à pied. A Villers-Marmery est cantonné le 332 d’infanterie, tous les deux jours il y a musique, il faut bien distraire les militaires. Un soir nous assistons à un violent bombardement car tous les legumes italiens comme français sont passés ici. Nous avons un temps splendide dans la journée sur la hauteur de Villers-Marmory. On découvre les tranchées françaises et boches jusqu’à Nauroy et Nogent-l’Abesse. On voit même un clocher de St André de Reims. Tous les soirs nous portons le ravitaillement aux tranchées et dans la soirée du 1er avril il y a alerte au gaz. C’est un bombardement sur toute la ligne. En arrivant à Villers-Marmery , tout le monde a mis son masque heureusement ce n’est pas grave. Ici tous les habitant en sont munis. Les gosses jouent avec leurs masques en bandoulière tous comme les soldats d’ailleurs tous sont en calots. Nous revenons le 5 avril. Voyant que nous restons quelques temps encore, car la moitié reste aux tranchées à chaque fois pour travailler, nous plantons des salades derrière notre maison. On soigne les chevaux comme on peut car nous allons plus nombreux aux tranchées et il en reste toujours aux travailleurs. De plus, un escadron de pionniers, un escadron de pontonniers sont formés. On pousse aussi l’instruction des signaleurs et des grenadiers assez activement. Les

boches s’acheminent sur Verdun, peut-être allons nous pousser ailleurs et défoncer leurs lignes !! et alors ce sera la fin de la guerre que l’on demande depuis si longtemps. Le 10 avril, le général d’Urbal, revenu par ici et logé à Epernay, a la visite d’un avion boche qui fait deux trous mais ne blesse personne. Je vais de temps en temps faire mon marché à Epernay. Entre autre, un jour en ramenant un peu de bière pour l’escadron, un bonhomme qui était avec moi, Briard, la laisse tomber de la voiture, la bière s’est répandue dans le ruisseau !! Je me serais encore bien passé de cela !! Nos casques sont changés. Nous avons maintenant les mêmes coiffures que les biffins*. Il y a un roulement pour retourner au dépôt mais personne ne tient à y aller. De ceux qui sont partis, ils vont ensuite dans l’infanterie ou à Dakar pour instruire les sénégalais. De nous autres, quelques uns partent aux chasseurs cyclistes entre autres Pichon et Trompette. On me raconta une histoire qui m’eut été écrite. Les gens de l’Epine village près de Châlons dont leur cathédrale est une preuve de leur profonde croyance, espèrent que la fin de la guerre aura lieu cette année et même d’ici peu car le 27 mars une cloche se détacha du clocher. Pareil fait s’était produit en 1830 et trois mois après la guerre finissait. En 1870, trois mois avant la fin de la guerre, une cloche se détacha également du clocher et comme cela s’est passé le 27 mars, les gens croient que la fin de la guerre sera pour le 27 juin. Qui vivra verra ! Le dimanche 16 avril au départ des tranchées alors que le peloton se trouvait au croisement des routes de Nauroy à Thierry et de Suippes à Reims, les Boches envoient quelques 77. Total Byasson a une balafre à la joue et Quéméné deux doigts d’écrasés. Le samedi 22, Byasson part aux zouaves sur sa demande. C’est regrettable de perdre un bon copain mais lui avait été trop désappointé aux dernières nominations de sous-off où des bleus -

pour lui jeune de la classe 19 mais qui depuis le 1er août était en campagne alors que les autres n’étaient arrivés qu’un an après l’avaient devancé. Il part le cœur léger mais regrettant les camarades qu’il laisse ici. Le 29 avril départ pour les tranchées, nous restons cinq jours à Billy-le-Grand, village près de Villers-Marmery. De là tous les soirs, les cavaliers vont aux tranchées soit en péniche soit en fourgon et font le travail dans la deuxième ligne. Le matin, je vais à Mourmelon-le-Petit en passant par Livry-Louvercy et l’après midi je vais à Villers. L’escadron logé dans les baraquements nouvellement construits est avec l’escadron du onzième où je retrouve Paul Doulette. MAI 1916 Le 1er mai, une escadrille de Boche sort d’un nuage, il fait d’ailleurs beau temps et vont bombarder Mourmelon. Ils partent au moins à 25. Le 4, je rejoins Villers-Marmery et le soir nous prenons les tranchées à M. près de Source. Le secteur est plus à droite de notre ancienne place entre le fort de Nogent-l’Abesse et celui de Moronvilliers, tous deux aux Boches. Sur la gauche à une centaine de mètres, je trouve la ferme des Marquises !! chef d’œuvre de destruction, un peu plus loin est le fort de la Pompelle où ça cogne dur à tout moment. Notre nouveau secteur est pourvu de vermine, on s’occupe à le désinfecter, les boches bombardent assez fort et pourtant il n’y a qu’un dragon de tué mais le pauvre !!! on ne lui retrouve qu’un bras. Les boches bombardent Villers deux jours de suite sans grands dommages mais nous nous promettons quelque chose à l’amande amère qui se trouve dans nos premières lignes. Nous rentrons à Chouilly le 15 par une pluie battante.

Le 16, réunion de l’escadron soit disant pour inspecter nos chevaux. Le 3ème escadron se rend à Mareuil. Là, le général d’Urbal nous annonce que nous sommes démontés !! Le cafard prend beaucoup de cavaliers surtout dans les gradés, les hommes sont assez contents surtout s’il est décidé que nous restons tous ensemble. Beaucoup ont le cafard surtout de quitter les chevaux et pourtant beaucoup moins d’ouvrage pour tous, il est vrai que la bonne saison arrive et nous aurions peut être fait quelques bonnes promenades. Les officiers et sous officiers se regarden,t tous ont des figures consternées, combien d’entre eux, s’ils avaient vu !!! Le 17 je fais ma dernière promenade à cheval, j’en profite pour passer tous les obstacles du terrain d’Epernay car le soir je pars en permission.

DEUXIEME CARNET Le 27 mai, je rentre de permission à Chouilly, craignant pourtant que le régiment fut parti, je me renseigne à la gare d’Epernay auparavant. En arrivant au cantonnement, ma jument est partie depuis trois jours au 6ème cuir, aussi le matin je ne monte plus à cheval. Le 31 nous changeons tous nos manteaux de cavaliers contre des capotes de fantassins, nous touchons un sac neuf mais qui ne tiendra jamais autant d’effets que les sacoches. JUIN 1916 Le trois juin, un cuirassier (paraît-il !, enfin nous avons le dos large et nous sommes déjà des « chouillats ») aurait écrit au maire une lettre dans laquelle, se posant comme inspecteur de l’institut Pasteur, il passerait vers cinq heures chez Salreaux prendre de jeunes chats et jeunes chiens au prix de trois à cinq francs. Dès le matin, le tambour fit répandre ce bruit dans la ville au son de caisse. Et à cinq heures, nombre de chouillats, flairant la bonne aubaine, se tenaient devant le café Salreaux, voulant tirer profit de leurs animaux domestiques mais l’inspecteur ne vint pas et naturellement on nous mit la farce sur le dos…plainte du maire au colonel etc… Les cuirassiers ont bien ri ! Les gens de Chouilly auraient bien ri aussi, mais ils avaient peur des quolibets des gens des pays voisins. Le lendemain les camarades des tranchées reviennent au cantonnement. Tous les jours suivants, on vient choisir nos chevaux de tous les régiments encore à cheval et aussi de l’artillerie. Le 9 et le 10 en deux trains, on embarque le reste des chevaux dans la direction de V… où la grande bataille en avait besoin.

Le 10, nous quittons Chouilly, les adieux sont assez touchants entre les militaires et les civils, naturellement on vide les bouteilles du pays pour faire disparaître nos regrets et nos émotions… Dans le haut du village, les autobus nous attendent, quelques civils viennent nous accompagner jusque là. Nous traversons Mareuil que le 11ème cuir a quitté également et nous arrivons à Villers-Marmery. Le pays pour moi n’est pas inconnu puisque j’y avais passé un séjour de dix jours pendant une période de tranchées. Je retrouve mon ancien cantonnement et sur une paillasse me voilà le plus heureux des hommes, il en faut peu !!! Le 11 nous recevons des chasseurs du groupe cycliste en renfort et pour compléter notre bataillon. L’accueil est froid, pourtant il ne devrait pas y avoir l’animosité qui existe ente deux armes différentes, la plupart étant d’anciens cavaliers. Enfin au séjour des tranchées, le tout s’est assez amalgamé, les chasseurs étant bretons et rencontrant au régiment beaucoup de leur pays. Le 12 et le 13, nous passons notre temps à voir le terrain des tranchées que l’on aperçoit à perte de vue sur la montagne de Reims, le 13 nous descendons dans le secteur des Marquises. Pour nous c’est une nouveauté, on fait le ravitaillement sur des rails de C.B.R. ou plutôt de Décauville*, C.B.R. voulant dire Compagnie de la Banlieue de Reims. JUILLET 1916 Le 26, nous sommes un peu plus à droite, changeant de soussecteur, la vie est toujours la même. Pendant trois jours, il y a un bombardement assez violent et le 2 on fait un coup de main*, ramenant dans nos lignes une mitrailleuse boche, ex-mitrailleuse russe qui vaut au 12ème les honneurs du communiqué. Le 4 juillet, nous revenons au repos à Villers pas pour longtemps, des bruits de départs circulent déjà.

Le 7, départ après avoir vidé force bouteilles de Villers « vin généreux et excellent », il n’y a que ça pour nous remettre et nous venons cantonner à Bouzy où nous arrivons à minuit, c’est la première étape à pied, le lendemain à deux heures de l’après midi départ pour Mareuil, étape peu longue mais dure à cause de la chaleur et à Mareuil nous apprenons que le lendemain un train nous attend à la gare. Aussi les plus enragés vont voir Chouilly et leurs habitantes !! Quelques unes de celles-ci viennent à Mareuil et dans ce pays en qualité de cousinage du onzième, nous sommes reçus à bras ouverts, les cuirassiers sont grands et forts mais pas méchants et partout en général, ils laissent une bonne réputation. Pendant les quelques jours où nous restons là, nous faisons des promenades dans le pays assez gentil, l’Eglise Saint-AndréFarivillers assez curieuse avec son christ en bois et ses inscriptions autour des murailles. Le 13, je vais faire mon marché à Breteuil, village assez gentil mais où les prix des denrées sont excessifs. Le 14, fête nationale pour ne pas rendre oisifs les hommes qui n’ont plus de chevaux à soigner, on organise des jeux. Depuis les premiers jours que nous devions être démontés, les hommes soignaient leurs chevaux sans goût et je crois que maintenant ils n’y tiennent plus du tout, ils préfèrent jouer aux cartes et ne plus avoir les ennuis d’un ravitaillement et du pansage. L’idée n’est pas également prise chez les sous-officiers qui regrettent leurs montures et souhaitent tous les jours que leurs officiers respectifs leur laissent un cheval à monter. Pendant ce séjour, je rencontre mon beau-frère Marcel Pecheux qui est cantonné près de là. Le 15 petite étape jusqu’à Troussencourt. Vie monotone où nous passons notre temps à jouer aux cartes, aller chercher du bois dans la forêt et deux visites à Breteuil.

AOUT 1916 Le 23 juillet, nous quittons Troussencourt pour Maulers étant définitivement aux ordinaires, je fais l’étape avec les voitures. A Maulers, nous sommes dans une grande ferme habitée par des belges, les hommes donnent un coup de main à faire la moisson. Dans la journée, nous jouons au footbaal et le soir une partie de croquet sur un terrain de paume qui existe dans presque tous les villages. De temps en temps, je vais à Beauvais faire des achats, la vie est assez agréable pendant ce séjour. Le premier dimanche, a lieu dans l’église la bénédiction des fanions des escadrons. J’attends la visite de mon plus jeune frère au 4ème cuirassier qui ne se trouve pas loin de moi mais en vain, car il ne peut obtenir de permission pour venir me voir. Par contre la visite de Mme Perrin, venue voir son mari René. Le 16 août, nous quittons Maulers, traversons Beauvais et nous arrivons à Saint-Léger-en-Bray presque la Normandie puisque Gisors n’est qu’à vingt kilomètres de distance. Le pays ressemble d’ailleurs beaucoup à la Normandie, beaucoup de prairies où les pommiers poussent à l’aise. Le 17, nous embarquons à St Paul, sur la ligne de Gisors à Beauvais, on doit prendre un secteur de tranchées, où ?? toujours dans l’inconnu… Nous débarquons à Rethondes, à l’ouest de Soissons et nous venons cantonner à Cuise-la-Motte. Le 20, nous montons aux tranchées, nous traversons le canal de l’Aisne et le château d’Offemont et de là, nous allons dans le secteur d’Ecafaut. Avec les cuisines, nous sommes installés près de la ferme d’Ecafaut, dans une énorme grotte que les mortiers allemands ne défonceraient pas. Les camarades en ligne subissent un violent bombardement de torpilles. Le secteur qui se trouve entre Moulin-sous-Touvent et Tracy-le-Val est assez mouvementé, la bataille a fait rage au printemps 1916.

Le 23, au moment de monter en ligne, j’apprends une triste nouvelle. Mon sous officier de peloton, Wintersdorff serait tué, Lescot gravement blessé, Fleurentin et de Sarcey légèrement. C’est tout mon peloton qui perd du monde. Je monte en ligne en chemin, je rencontre ce brave Lescot que l’on emmène sur une civière, la gorge ouverte et à qui l’opération est pressante et plus loin sur une civière également, ce pauvre Winter couvert par une toile de tente que l’on emmène à son dernier repos, Berthelot l’accompagne, c’était un bon camarade aimé de tous et laissant une jeune veuve avec deux bébés. Arrivé en ligne, je vois la cagna* sinistre où furent tués ou blessés mes bons camarades, le chien Tom est resté couché, Fleurentin reste à son poste et tous les hommes du peloton sont atterrés de la perte cruelle. Pendant la soirée, le petit Coute tombe également tué par une torpille. Je passe la nuit à veiller les corps de mes amis dans la chambre du lieutenant Berthelot et où celui-ci a fait la toilette funèbre de Winter. Dans ces moments pénibles où on sent la mort tourner autour de vous et ravissent tant de jeunes gens, on est saisi par une sorte d’épouvante et même chez ceux qui ne croient pas en Dieu, on prie. C’est une chose qui m’est arrivée plusieurs fois et c’est une consolation de se savoir soutenu par la foi. Ceux qui n’ont pas la foi dans ces moments là, sont semblables aux autres et je me rappellerai toujours la descente du corps d’un camarade dans un abri où tout un peloton habitait. Le sous-officier, nommé Lamarque, commença une prière et tous la récitèrent avec ferveur. C’est un sentiment où ceux qui ont la foi sont forts et où ceux qui ne l’ont pas le deviennent. Que la vie est une petite chose quand on pense à cela. Ainsi dans cet abri où étaient sept hommes, celui qui meurt est le plus âgé, père de famille, enfin le dernier à partir et c’est lui qui s’en va. Une consolation pour nous tous c’est qu’il avait la foi, c’était un croyant, Pauvre Winter.

Le lendemain je le conduis à sa dernière demeure, je représente mon peloton car personne des première lignes ne peut venir. Il se trouve dans un grand cimetière militaire, dans le bas d’Offemont près de lui repose Court et d’autres trop nombreux hélas! Le 28 nous quittons ce secteur, les nouvelles que nous avons de Lescot ne sont pas fameuses. En arrivant au camp de Goulvent où nous devons passer la nuit, on nous dit qu’il y a autant de chances de le sauver comme de le perdre. On lui a remis la médaille militaire et la croix de guerre. Le 29, nous embarquons à Rethondes et nous revenons à SaintLéger-en-Bray après avoir débarqué à Saint Paul. Pendant quelques jours la popote n’a plus cette gaieté d’autrefois. Pourtant, chacun s’efforce d’oublier. Pendant cette guerre, il faut être dur et ne pas se laisser impressionner. SEPTEMBRE 1916 Le 4 septembre, nous quittons Saint Léger pour Hardivillers, pays peu intéressant et le 5, nous nous revenons à Bois Renault. Là, nous retrouvons notre gaieté d’antan. Nous avons de très bonnes nouvelles de Lescot, guéri et sauvé, mais probablement aphone. Pendant notre séjour, nous faisons des parties de cartes enragées, d’Armaillé nommé aspirant, gai comme un pinson, relève la note. Plusieurs dîners où les invités, ex sous-officiers de la popote, nous font voir la vie en rose. Prudhomme passe adjudant. Un beau jour de dîner, je me brûle le bras avec une soupe plutôt tiède !! Ce pauvre Fortris en prend plein sa tenue neuve. Nous passons ainsi presque un mois jusqu’au 29. Deux jours, nous entendons la musique du régiment, chose nouvelle pour nous. La volonté de départ pour l’infanterie prend quelques camarades en suivant un cours spécial.

Le 29 septembre, nous partons pour Saint-Léger-en-Braye d’une seule étape, les hommes partent sans sacs et après avoir mangé la soupe de midi près de Tillé, ils arrivent à 5 heures du soir à SaintLéger. OCTOBRE 1916 Un ordre subit arrive le 1er octobre, nous devons prendre un secteur dans la Somme. Le 2 je pars avec les voitures par une pluie torrentielle et nous arrivons à Bulles. Nous rencontrons près de Beauvais une équipe de prisonniers boches occupés dans une forêt. Arrivés à Bulles, je dégotte un bon plumard quoique nous soyons arrivés assez tard. Le lendemain nous quittons Bulles pour Welles-Pérennes où nous bivouaquons dans l’enceinte d’un ancien château. Le 4 nous arrivons au Quesnel pays pleins de boue !! je rencontre sur mon chemin près d’un bivouac d’artillerie un pays* nommé Pézy ancien voisin. Au Quesnel en arrivant, je rencontre un nouveau pays, de mes meilleurs camarades, le lieutenant Marchand. Il est affecté à l’Etat Major. Le 6 nous prenons les tranchées au sud de Chaulnes près de Chilly. Avec les cuisines, je reste dans un bivouac près de Beaufort. Le chef Perrin, mon grand copain de cette guerre reste également au convoi. Une seule fois par jour ou plutôt par nuit, on peut porter le ravitaillement. Comme on ne peut pas trotter sur les routes, on passe la moitiée de la nuit dehors. De Beaufort, on traverse Warvillers, Vrély où restent encore quelques habitants et Meharicourt qui tous les jours se trouve démoli de plus en plus. Les camarades sont dans un secteur plutôt dur. Surtout un peloton se trouvant à la barricade, subit des pertes assez sérieuses. Pendant ces six jours, ayant mon après-midi à moi car nous dormons le matin en revenant du ravitaillement jusqu’à

midi, je profite pour visiter le château de Beaufort, incendié voilà plus de six semaines et l’église. Dans cette dernière, un obus boche a fichu sur le pavé les orgues.

Le 14 nous revenons au Quesnel au repos, le village est toujours aussi boueux, je vais visiter près de là une grosse pièce de 4OO qui est un peu là* !! Notre repos finit le 20 et nous retournons au secteur de Chilly. Toujours la même vie. Mais pendant ces six ravitaillements, aucune fois la lune nous favorise et nous avons de la chance de ne pas laisser une voiture dans les chemins de terre remplis de trous d’obus et d’ornières. Le 26 nous revenons au Quesnel. Le 27, on arrose les galons de sous lieutenant de Lamarque et sa croix de guerre.

Le 28, départ, nous traversons Caix qui a une église et nous arrivons à Harbonnières. Le soir, je vais faire le ravitaillement à la carrière Parison près de Lihons . Le 29, je retourne le matin à Parison. Il y a de la boue !! de telle sorte que du bivouac où nous sommes nous nous installons dans une maison abandonnée. Le 30, toujours de la boue et le vent, deux fois à Parison. Le 31, de l’eau, le matin. Le soir, au second ravitaillement, les boches nous sonnent quelques chose !! Ils encadrent les routes avec leurs obus. Un de ceux-ci nous couvrent de terre et les chevaux sont difficiles à tenir pendant tout le parcours. NOVEMBRE 1916 Le 1er, rien d’extraordinaire. 2 fois à Parison où une corvée de soupe se fait sonner en venant, trois blessés dans le même peloton. Le 2, toujours la même vie, les poilus qui viennent au ravitaillement des premières lignes ne sont que boue ! c’est honteux de voir ça ! Le 3, les camarades reviennent aux cagnas près des 320 qui tirent tous les jours. Le 4, repos. Toujours dans la boue, les saucisses* sont sorties en nombre. On parle de prochaines attaques ; des zouaves montent en ligne et les chasseurs à pied cantonnés à Harbonnières se préparent. Le 4 et le 5, les camarades vont aux travailleurs en ligne. On porte le ravitaillement du matin à Parison. Le soir, ils reviennent à Harbonnières. Un bataillon du régiment va à Rosières dont le clocher et les cheminées d’usine apparaissent dans la plaine. Le 5, les chasseurs à pied profitent du dimanche pour se faire beaux. Dame, sur ces trois bataillons d’ici, deux ont droit à la fourragère*. Le soir, au salut, l’église d’Harbonnières est archi comble. Le 6, l’attaque est décidée pour demain. Les grenadiers sont restés à s’exercer, les autres vont aux travailleurs à midi à Parison. Il fait

un vent terrible. Dans l’après-midi, les grenadiers montent aux lignes, assez gais, la plupart étant volontaires. On les bourre de vivres. Les grosses pièces ne cessent de tirer. Dans la nuit, le bombardement est violent. Au Nord d’Harbonnières, on distingue un violent incendie. Le 7, l’attaque est décidée pour le matin, le bataillon est en réserve et se tient prêt à monter. L’attaque a lieu malgré un vilain temps à 9 heures, on a de suite de bons résultats. Dans l’aprèsmidi, on apprend la prise d’Ablaincourt- Pressoir, ça a bien marché mais les convois de blessés sont nombreux. Il est vrai que tous passent ici. Les boches prisonniers arrivent aussi, quelques uns blessés, très démoralisés et n’ayant plus figure humaine. Quelques uns paraissent avoir seize ans. Tous sont pleins de boue, français et boches. A cinq heures, arrive un de nos grenadiers qui fût blessé au Pressoir à midi, une balle dans la cuisse, il est très content, a laissé les autres à l’ouvrage tous en bonne santé à ce moment là. Le bombardement cesse de partout. On s’attend à partir en ligne, il fait toujours un temps affreux. Le 8, nos grenadiers sont revenus dans la nuit, tous contents. Des pertes malheureusement au 2ème et 3ème Brigadiers entre autre Planson. Les boches bombardent Harbonnières. Le soir en partant à Parison, un 210 éclate sous les pieds des deux chevaux de notre voiture. Ces derniers font un écart et partent à droite dans un champs, une corvée de territoriaux ne sait plus où se mettre. En arrivant à Parison, tir de barrage violent à Harbonnières, je rencontre Herbault. Le 9, les boches bombardent toujours, les copains sont en ligne dans des trous d’obus, le soir les boches survolent le patelin et envoient des bombes, ce n’est qu’éclatement dans les nuages, les vaches ne tirent pas loin.

TROISIEME CARNET Le 26 au soir, revenant de perm, arrive au Plessier, lendemain matin Hangest, le régiment est parti, je prends les autobus du 2nd B et je rejoins le soir à Hogueville. 27 Hogueville village ouvrier près de Liancourt. 28 id 29 On parle de Salonique ?? ou Soissons ? Préparatifs de départ. 30 Nous partons le matin passons par Creil. Arrivons à Chamant. Froid infernal. Dégotte un lit. DECEMBRE 1916 1er décembre. Partons de Chamant près de Senlis arrivons à Baron. 2 Baron. Passons à Versigny où habitait Magnard, artiste tué par les Boches en sept 1914. Passons près de Forfry où nous avons passé en septembre 1914 et arrivons à Marcilly. Un plumard visité. 3 Quittons Marcilly de bonne heure, froid de canard. Passons par Barcy, Varreddes et arrivons à Ussy, sur la Marne, gentil pays, un bon lit. 4 Quittons Ussy, passons par la Ferté-sur-Jouarre, arrivons à Saacy-sur-Marne au bord de la rivière. J’en profite pour prendre un bon bain. Pays de fabrique, vie un peu légère, braves gens, un bon lit. 5 Nous faisons nos préparatifs de départ pour les tranchées. Le lendemain en autobus, on doit nous emmener dans le secteur de Soissons. 6 Départ en autobus dès le matin, passons par Château-Thierry, arrêtons à Noyant. Nous cantonnons à Courmelles, nous sommes à 6 kilomètres des lignes et pourtant on n’entend rien. 7 Le pays est calme, on ne s’aperçoit pas plus de la guerre que dans un secteur d’arrière au repos. On parle d’un obus qui est tombé voilà quinze jours.

8 Même cantonnement même aspect. Il pleut. Nous passons notre journée à jouer le bridge. L’Eglise du village est bizarre, le tour du chœur vu de l’extérieur est assez joli. 9 Préparatifs pour les tranchées, le secteur que nous devons prendre est calme. Nous traversons Soissons le soir, on aperçoit que la flèche d’une des tours de la cathédrale manque. Le pays est calme, cependant des gens déménagent, on croise encore quelques civils. Nous arrivons à Villeneuve, pays qui devait être aisé. Rien que la proximité de Soissons devait l’aider pour vivre. Toutes les maisons sont abandonnée. Les habitants réfugiés quelques uns à Soissons. Nous sommes installés dans une maison comme des princes. Lit sans draps naturellement et les boches sont à peine à six kilomètres d’ici, on n’entend rien. 11 Pays toujours aussi tranquille, le village est bien abîmé. Les habitants habitent les faubourgs de Soissons et viennent de temps en temps voir si les obus n’ont pas démoli complètement les maisons. Dans celle où j’habite, le propriétaire a laissé sa carte de visite et dans la chambre où je couche, il y a deux couronnes de cimetière qui sont certainement là depuis longtemps. Je vais voir mon capitaine à son poste de commandement de la Balastière. C’est au milieu d’un marais. Les cagnas sont construites sur les bords, assez bien aménagées et les tranchées sont pleines de graviers surmontant l’eau. Les petits postes sont au bord de l’Aisne, on aperçoit Bucy le Long, Crouy. 12 Je mange une friture de l’Aisne, il fait un vilain temps. 13 Je vais à Soissons. Toutes les maisons ont plus ou moins souffert du bombardement, la tour de la cathédrale est abîmée, toute la couverture de la nef est tombée dans l’intérieur. Une tour de Saint Jean des Vignes est abîmée au faîte. Le pays est triste, on y rencontre peu de civils. La vie pourtant n’est pas chère, moins chère que dans les cantonnements où les mercantis ont accès. 14 Journée froide. Je fais un bon feu dans notre cheminée. 15 Rien d’extraordinaire, les boches sont toujours calmes.

16 On devait être relevés ce soir mais nous restons jusqu’au 26. Je vais me promener en ligne. 17 Je monte à Berzy le Sec passant par Soissons, il fait froid. 18 Toujours à la même place, les boches sont calmes, je vais en ligne et chose vraie, on ne se croirait plus en guerre, les boches causent avec nous. Descendant de la Somme, ils sont contents de trouver un secteur tranquille ; ils parlent de ficher leur empereur à l’eau. D’après eux, la guerre ne doit plus durer longtemps. Le 19, Le secteur est toujours aussi calme, les Boches de plus en plus en confiance causent et racontent leur misère. Je vais me promener à Soissons. 20 Nous nous préparons à la relève, le soir nous rejoignons le cantonnement à Berzy le Sec. 21 Berzy le Sec sur une haute colline d’où l’on découvre Soissons et les environs, on voit même la colline au nord de Soissons où sont encore les Boches. Un reste de vieux Château féodal assez curieux, une église ancienne. Il fait un vent à tout casser. 22 Rien d’extraordinaire. 23 La vie de cantonnement est très monotone, nous passons notre temps à jouer aux cartes. Du pays, nous avons une bien jolie vue et peut être de belles promenades mais il est impossible de sortir. 24 On se prépare pour la Noël. 25 Noël, jour plutôt triste, vilain temps, on ne s’aperçoit que le soir à la popote qu’il y a une fête. On boit déjà cinq bouteilles de champagne sur le pari de la fin de la guerre qui hélas ne sera pas finie avant la fin de l’année. Pourtant, les journaux ne parlent que de la médiation des Etats-Unis. 26 Rien de neuf, toujours dans le même village. 27 Les boches bombardent Soissons assez violemment ainsi que le 28.. 29 30 31 Préparatifs pour le nouvel An. Le pari est perdu définitivement. La guerre n’étant pas finie, j’ai perdu !

Pages d’un carnet de Jacques Pavard

Jacques PAVARD et Pierre RABOURDIN

Jacques PAVARD en haut à gauche

Jacques PAVARD à droite

Jacques PAVARD deuxième à droite

Jacques PAVARD à droite

Jacques PAVARD à droite

Les tranchées

Un 320

Les américains en France

Tirailleurs prisonniers (Carte Postale)

Jacques PAVARD en blanc tout en haut qui se reçoit un seau.

Jacques PAVARD debout, 6ème en partant de la droite.

Jacques PAVARD debout 4ème à partir de la droite.

1917 JANVIER 1917 1er janvier, on fait des souhaits à tous et pourtant que nous réserve la nouvelle année ? Personne ne le sait. 2 Quelques camarades partent au cours de Saacy pour devenir Chef de Section. 3 Nous nous préparons à monter aux tranchées le soir même. Le secteur est devenu moins calme et il ne fait plus bon causer avec les boches. 4 Journée brumeuse, les boches sont calmes, la Villeneuve aussi !! Tout l’escadron est en réserve dans le patelin. Aussi, nous installons une popote, les ustensiles de cuisine ne manquent pas et la pièce où nous mangeons est garnie par d’anciennes draperies et glaces d’un manège de chevaux de bois ! Pauvre manège qui servit tant de fois à égayer les fêtes et qui aujourd’hui, gît au milieu de la cour. Les cuivres restent à peu près seuls, les chevaux ont des pattes cassées et certains ont servi certainement à alimenter des feux dans un autre coin, les barques où on peut encore lire les noms des villes écrits sur leurs côtés !!! 5 Journée mouvementée. Dès 7 heures du matin, les boches envoient une salve près de la maison où j’habite. Personne de touché, quoique les corvées de jus soient déjà aux cuisines. Je vais faire un abri pour la cuisine en dehors de Villeneuve quand vers deux heures, les salauds se mettent à tirer terriblement. J’ai un cuisinier de blessé légèrement. Au poste du commandant, les Boches ont envoyé plusieurs 105. Un cycliste est tué ainsi que le maréchal des Logis Bellanger, artificier du Baron. Ils continuent à bombarder le P.C.*. Le hangar où se trouve la cuisine n’est pas touché. Près de là, dans une place où on épluchait habituellement les patates, il en tombe deux et ainsi de suite. 6 La journée est plus calme. D’ailleurs, un brouillard assez épais empêche de voir. 7 Journée calme, les fantassins boches sont toujours calmes, chez nous aussi. D’ailleurs, l’Aisne étant montée de 90 centimètres de

l’eau dans les boyaux*, il faut mieux ne pas les embêter. Il est vrai que chez eux, la crue doit également se faire sentir. 8 Quelques gens de Villeneuve viennent voir leurs maisons. Le temps est clair, aussi, il ne faut pas faire de fumée trop épaisse. 9 Vilain temps froid, de la neige dans l’air. Le matin, un poilu du premier escadron se noie dans le canal. Pourtant c’est un breton de Pont l’Abbé, nageur épatant, sûrement pris par la congestion. 10 Journée maussade froide. 11 Rien de nouveau, le secteur toujours calme, on arrête à Soissons un déserteur caché là depuis septembre 1914, il n’est jamais sorti de sa cave, aussi sa figure est blême et ses cheveux lui tombent sur les épaules. 12 Journée de cartes, il neige et fait très froid ; les permissions seraient-elles suspendues ?? On se dépêche pour que dans ces quatre derniers mois tout le monde y soit allé, mais après ?? Quel cafard si jamais elles arrêtent, on ne pense qu’à cela, avoir une semaine de tranquillité en étant son maître. 13 La neige est fondue. Nous voilà dans une boue !! Il fait meilleur en sabots qu’en bottes quoique ce soit défendu. D’ailleurs, c’est si bon de faire quelque chose de défendu !! Dans les journaux, les Russes ont l’air de partir. Est-ce la grande offensive ?? En tout cas, ça ne saurait tarder. 17 Journée calme, la rivière l’Aisne monte toujours. Le parc est inondé et les caves du patelin aussi. 15 On parle d’une attaque boche ?? Sur Soissons d’après les témoignages de deux boches faits prisonniers ?? Sur le qui vive. 16 L’attaque n’a pas lieu. Journée froide. Nous passons notre temps à jouer dans un abri plutôt froid, il est vrai que l’amitié réchauffe. 17 De la neige en abondance, nous ne sommes pas relevés, il court des tuyaux invraisemblables. 18 Toujours mauvais temps, il fait un froid de canard, la neige n’est pas fondue.

19 Nous sommes relevés ce soir, la neige fond et l’eau monte de plus en plus dans le parc de Villeneuve. Nous allons encore traverser ce soir Soissons peut-être pour la dernière fois, car nous devons partir du secteur. 20 Nous voici arrivés à Berzy Le Sec. la route n’est qu’une glace, et de Berzy à Courmelles on pourrait s’en servir comme d’une piste à tobbogan. la neige s’est tassée sous les pieds et a gelé. Il en est tombé de nouveau et ce n’est qu’un verglas, aussi il est très malcommode de marcher. J’ai retrouvé un bon plumard et malgré les bruits de départ, j’en profite toujours. 21 Journée froide, de la neige, impossible d’aller se promener. Dans la nuit, légère activité d’artillerie sur Vignolles, d’ailleurs cela ne m’empêche pas de dormir. 22 Le matin, de la neige, on sable la rue du pays car les chevaux ont beaucoup de mal à marcher. 23 Journée froide. D’ailleurs sur cette hauteur, il ne peut pas en être autrement et nous entendons vaguement causer de départ pour les tranchées. 26 Tout le monde se prépare à partir, on doit prendre les tranchées à Pernant au Nord-Ouest de Soissons. Le secteur est calme paraît-il - mais il fait très froid. Nous partons à Berzy à cinq heures du soir, nous arrivons à Missy-aux-Bois à 7 heures. La route n’est qu’une glace et nous ne partirons pas de Missy avant onze heures du soir. Nous arrivons à Pernant vers 1 heure du matin, nous aurions du nous arrêter dans le haut près du château mais n’ayant pas d’ordre, je descends la voiture à Pernant. Le paysage est joli et la neige fait ressembler la vallée à un paysage suisse, toute la plaine est blanche de neige. 27 Nous nous installons à Pernant dans les maisons. On fait du feu partout car le manque de fenêtres et de portes par ces temps-ci n’est pas réchauffant. Je vais en ligne. Pour cela, on traverse Pernant en entier. L’autre côté du village est assez abîmé. Le clocher en a pris également. On voit de l’autre côté de la rivière Pommiers le premier village occupé par les Boches dont les

maisons n’ont pas l’air démolies, sur la droite on aperçoit les tours de Soissons. 28 Nous nous habituons au froid. D’ailleurs je dégotte une petite chambre dans laquelle tous les soirs auprès d’un bon feu, on fait un bridge. 29 Toujours la même vie, en ligne on aperçoit quelques boches. 30 Une vingtaine d’obus sur le pays. Toujours très froid. 31 Les permissions ne sont pas suspendues ce soir, il en part pas mal, peut-être le mois prochain sera mon tour. FEVRIER 1917 1er Il fait un froid glacial tout gelé. Les patates sont comme des cailloux. On rapporte qu’un escadron est allé chercher son vin dans des sacs à terre !!! Tellement la glace était épaisse. 2 On voit moins 18 degrés au thermomètre, aussi on ne reste guère dehors. 3 On voit moins 20 degrés. Ca ne va pas mieux., avec cela nous sommes en pleine lune et le froid est dur. Dans la journée, le soleil réchauffe peu. 4 On apprend le soir par télégramme que les Etats-Unis ont rompu les relations diplomatiques avec l’Allemagne. Si ça fait finir la guerre plus vite tant mieux. Moins 19° au thermomètre. 5 Belle journée, je vais me promener en ligne, le matin il a fait moins 22 degrés. On n’a jamais vu un hiver si dur depuis bien longtemps. 6 Temps plus doux. 7 Belle journée, le secteur est toujours calme. 8 On doit être relevé demain mais nous restons dans le village de Pernant comme travailleurs. 9 Nous déménageons de 200 mètres.

Chanson faite le jour où nous avons été mis à pied : Un beau jour le ministre Consultant ses registres S’est dit c’est épatant ! J’vais refaire des régiments Il y a un tas de gras frères Qui feront bien mon affaire Et qui tout le monde l’a su N’ont jamais rien foutu Refrain : Si les cuirs ont perdu leurs éperons C’est pas de leur faute C’est pas de leur faute Si les cuirs ont perdu leur éperons C’est de la faute d’un vieux…. Va falloir qu’on se ballade Avec un tas de grenades Avec un grand fusil Et un gros sac aussi Mais on ne pourra pas dire Qu’ils n’ont pas le sourire Car un cuir peut toujours Faire la guerre et l’amour Refrain

QUATRIEME CARNET J’arrive le 25 à Vierzy, gare desservant la région de Soissons. Il est tard et comme un embarquement est aménagé, j’y passe la nuit.

Je pars le lendemain matin pour Missy aux Bois, là je retrouve le bureau de mon escadron. On doit repartir le lendemain. Néanmoins, je vais à Pernant le soir chercher la roulante. Vers une heure du matin, nous partons à Missy, embarquons à Longpont, passons Noisy le Sec et arrivons à Provins après avoir passé Longueville. Voyage peu agréable, mauvais wagons. De Provins, nous nous mettons en route à pied, repassons à Longueville !! et nous arrivons le 27 au matin vers deux heures à Savins. Gentil pays où aucun soldat n’a logé depuis le guerre !! Le lendemain je vais au marché à Provins, la gelée a tout ravagé, on paye un chou 20 sous !! et impossible de trouver autre chose que des légumes secs.

MARS 1917 4 mars. Nous sommes installés comme des rois, j’ai une maison où logent mes cuisiniers et moi, une grande chambre et un bon lit. Les gens, aimables voisins, m’ont confié la clef car la propriétaire est à Paris. Le temps est assez froid. La vie est chère, on ne trouve pas de pommes de terre à moins de 65 sous, les 100 Kgs. 7 Je vais à Provins déjeuner avec Marcel. Nous devons partir le lendemain au lieu d’être vaccinés. Il tombe de la neige. 8 Nous partons par un temps abominable et nous arrivons à Fontenay-de-Bossery, pauvre pays de cinquante habitants. 9 Toujours un vilain temps, de la neige et de l’eau et très froid. De plus, nous sommes coupés fréquemment par des colonnes de cavalerie. Nous arrivons à Gélannes, pays d’usines, bien reçus. 10 Le temps s’est adouci. L’étape est longue jusqu’à St Oulph près de Mery-sur-Seine. Il est vrai qu’on suit la vallée de la Seine et c’est très joli. 11 Beau temps, nous arrivons à Vaupoisson, pays plein de boue. 12 Repos à Vaupoisson. 13 Nous nous rapprochons du camp de Mailly et nous cantonnons à Vaucogne. 14 Approche du régiment sur le camp. 15 Repos. 16 Marche de bataillon. On apprend la démission du général Lyautey. Révolution russe. 17 Marche du bataillon. En Russie, la crise est sérieuse. 18 Manœuvre de division sur le camp de Mailly. On apprend la prise de Péronne etc… 20 Manœuvre de division. Prise de Chauny et Ham. 21 Manœuvre d’escadron. On doit partir demain. 22 Nous quittons Vaucogne pour Bessy. Défilé dans Arcis. 23 Vais au marché. 24 Idem. 25 Vaccination

26/27 Vaseux. Malade. 28 Sale temps. Vais à … voir Marcel. 29 Les effets de la piqûre sont mauvais. Il est vrai que les cantonnements sont plutôt moches et on n’a pas idée de piquer dans des conditions semblables. 30/31 Rien de neuf. AVRIL 1917 1 Vilain temps. 2 Id. 3 On parle de quitter la région. 4 Prise d’armes, on décore les poilus du coup de main de Soissons sous le commandement du lieutenant Berthelot. 5 Rien de neuf. 6 On parle de départ ! 7 On doit partir demain. 8 Jour de Pâques ? On va cantonner à Salon. J’apprends la mort de mon grand-père. 9 Impossible d’avoir une permission. Nous arrivons à FeréChampenoise. 10 Journée de repos à Feré-Champenoise. L’église est criblée de trous de schrapnells. Les vitraux ont été brisés par les balles. On doit partir demain en autobus. 11 Nous restons à Féré-Champenoise toute la journée. Les Anglais travaillent bien. 12 Nous quittons Féré-Champennoise le matin, nous traversons la champagne pouilleuse ou beaucoup de tombes sont semées dans la plaine. Des villages détruits depuis septembre 1914 pas encore reconstruits. Nous traversons Vertus puis Chouilly, notre cantonnement de l’an dernier où les habitants font fête puis Epernay. Enfin, nous voilà sur la route de Reims qu’on aperçoit dans le fond d’une énorme cuvette. 13 Nous cantonnons à Germigny, sale pays pourtant en pleines vignes. Très serrées. Je vois Marcel.

14 Toujours à la même place. Beaucoup d’avions dans la journée. 15 Le matin nous quittons Germigny pour le camp de Bourgogne au sud de Roucy. Le bombardement est d’une violence extrême, on couche sous la tente avec le vilain temps. 16 Dès le matin, on part pour Roucy, attaque à 8 heures du matin.. Ca marche bien. A midi, on apprend la prise de Corbeny et de Craonne, nous devons être engagés à partir d’Amifontaine. A 4 heures, nous arrivons à Rouc. Les boches passent prisonniers et beaucoup de blessés. Ça a cogné très dur et ils ne fichent pas le camp. Le soir, je rentre au camp de l’Orne. Les routes sont en très mauvais état. 17 Nous partons dès le matin rejoindre le régiment au camp de Bourgogne où il est revenu en passant à Ventelay. Les boches tirent. Dans l’après-midi au camp, Perrin l’aîné vient voir son frère et Maurice Marchand vient ensuite mais ne nous voit pas. 18 Dans l’après-midi, nous quittons le camp et sa boue pour Courcelles Larzicourt. Les routes sont encombrées, nous mettons plus de 7 heures pour faire le trajet. Il fait mauvais temps. 19 Nous partons le lendemain matin pour Chaumuzy. Le 20, nous arrivons à Tauxières au Nord d’Epernay. Le 21, départ pour Ludes. Nous partons le soir car, pour aller sur le versant nord de la montagne, nous sommes sur des lignes boches. 22 Nous restons à Ludes, gentil pays, ressemblant à VillersMarmery, rien que des vignes. Du haut du village, on a une vue sur le front depuis Brimont jusqu’à Auberive. Ca cogne terriblement sur le Cornillet à droite. 23 Toujours à Ludes. On voit se promener quelques russes qui ont le secteur de Reims. A l’attaque du 17, ils ont eu beaucoup de pertes. Au moment où ils sortaient des tranchées, les boches sortirent aussi et ils s’entrégorgèrent sous un feu d’artillerie. Les habitants du village de Ludes en logèrent et n’ont pas eu à s’en plaindre. Ils sont encore un peu sauvages et ils ne doivent pas boire de vin, la boisson les rendant assez violents.

25 Ludes. Joli village situé sur le versant nord de la montagne de Reims. Les habitants couchent dans leurs caves par précaution des bombardements et donnent leurs lits sans matelas aux militaires. Très affables pour tous. 29 Dimanche. Temps splendide. Comme il y a repos, les Boches voyant des promeneurs dans Ludes en profitent pour envoyer une salve de 105 fusant ! Un gosse de sept ans est blessé. 30 Attaque sur Moronvilliers assez réussie. On voit à la jumelle les fantassins sortis des tranchées. La nuit, on entend des avions qui vont bombarder soit Germain, soit Epernay. MAI 1917 2 Toujours à Ludes, rien de neuf, on doit partir aux tranchées demain. 3 On a de mauvaises nouvelles d’Epernay où les avions boches ont bombardé le quartier de la gare et les hôpitaux. Tous les habitants veulent s’en aller. On monte aux tranchées ce soir. Le soir, bombardement de Ludes. Arrivés à la ferme Couraux, sud de la Pompelle. Les boches nous bombardent dur. 4 Journée calme, nuit bombardement violent, le caisson de la roulante est brisé. Les boches bombardent aussi Ludes et Puisieulx. 5 Journée calme sauf à notre droite, nous avons changé notre abri et ma foi nous passons une nuit plus tranquille. 6 Le temps est orageux, vers le soir, il y a un bombardement violent à notre droite et avec cela des éclairs du tonnerre. Ce n’est pas la vie de château. En 1ère ligne, ça va. 7 Toujours à la même place. C’est plus calme. 8 Fort bombardement sur le Fort et Taissy, pas mal d’amochés au Fort dont Thomas. 9 On quitte ce soir les tranchées. La journée a été trop calme et la nuit s’annonce mauvaise. D’ailleurs, il doit y avoir des espions sur la montagne de Reims pour prévenir les Boches de la relève. Attaque par les Boches sur la Pompelle, liquides enflammés,

deuxième bataillon soutient le coup. Nous arrivons à Ludes bombardés, nous couchons avec les habitants dans les caves. 12 D’Armaille passe sous-lieutenant. 13 J’ai des nouvelles de Didi blessé et soigné à Nantes. Je demande une permission. 17 Je pars à Nantes. Le soir, le bataillon monte à la Pompelle. 22 Je quitte Nantes pour ?? 24 J’arrive à Ludes et le soir je monte aux tranchées. 25 Chaleur terrible. Bergot se noie !! dans le canal. 26 Toujours aussi chaud. 27 28 29 Calme. 30 Bombardement de la Pompelle. Hubert est grièvement blessé le matin à 8h. Deux brancardiers viennent le chercher sans brancard !! ensuite il est amené à la ferme Couraux. Il perd beaucoup de sang, une jambe est détachée, l’autre grièvement touchée. On attend l’auto qui doit l’emmener à Ludes, mais l’auto ne vient pas ! il expire à dix heures. Il n’a pas perdu connaissance et s’est rendu compte dans son attente que peut-être, s’il avait été soigné aurait-il été guéri !! D’ailleurs, l’auto ne vient que le soir. Ce n’est pas la peine qu’il y ait tant de sections sanitaires automobiles si une fois qu’il y a un blessé grave à la ferme Couraux, on ne puisse l’emmener à Ludes, à sept kilomètres où il y a un chirurgien etc, etc… C’est honteux. Surtout que la journée a été calme sur les seconde et troisième lignes. JUIN 1917 2 Relève habituelle. 3 Nous touchons le fameux prêts, dit « haute paye » des tranchées dont la moitié en timbres collés sur notre carnet de pécules. Malheureusement, la plupart des poilus ont le cafard et le noient dans le vin. On sent que cela ne va guère bien nulle part. Les permissionnaires reviennent avec de fâcheuses impressions de chez eux. Réellement, la guerre dure trop longtemps pour tous. Et personne n’en voit la fin.

4 Calme. Temps orageux. Bonne période de repos. 10 Nous faisons la relève le soir, toujours dans le secteur de la Pompelle. Les anglais ont fait du beau travail. 11 Calme. Temps orageux. Rien de neuf. L’escadron est au fort 12 13 14. Calme. Ca va, on voit pas mal d’avions. Il fait très chaud. 15 Toujours à la même place. Le bombardement a donné aujourd’hui. Le 3ème bataillon doit faire un coup de main. 16 Le coup de main a réussi, presque tous les volontaires sont revenus.. Ils ont ramené deux boches prisonniers, jeunes gens de la classe 18 du 443. Ce sont des brandebourgeois et d’après leurs renseignements, ils se savent fichus mais ils vont jusqu’à la fin. Ces boches avaient subi un bombardement ... par là !! 17 Rien de neuf. Il fait une chaleur accablante. Je monte avec le chef payer le prêt. A part cela, on nous parle d’économies !! La dernière période, l’adjudant du bataillon a reçu 100 litres de pétrole alors qu’en ligne ils n’ont pas de lampes. Inutile de leur donner du pétrole ? Et bien, on les a forcé à en prendre dans des boites non fermées… Cet adjudant d’ailleurs soucieux toujours des économies fait faire sa cuisine à l’alcool solidifié. Il est vrai que c’est un ancien enfant de troupe, qu’il touche une solde variant entre 250 et300 francs par mois. 18 Journée calme. Très chaud, temps orageux, nous voilà à la moitié de notre période de tranchées. L’escadron monte en première ligne. 20 Deux aéros français sont descendus à cinq ou six mètres de nos cuisines, les aviateurs sont partis aussitôt n’étant pas blessés et ont laissé leurs appareils dans le champ. Aussi les boches tirent dessus toute la journée. Vers midi, je vais chercher les objets les plus indispensables et ayant quelque valeur avec un sous-officier. Les boches abîment plus les appareils depuis qu’ils ont atterri. Le soir même répétition que le 17. 21 Les boches bombardent le fort et les environs à la torpille. L’artillerie s’en mêle et ça cogne dur. Pas de casse.

24 Rien de neuf. Le matin, les boches bombardent la ferme. Dans la journée, on voit sur une voiture tirée à bras par deux cuirassiers, 2 fauteuils, une glace, une table de toilette, des rideaux etc… choses qui vont meubler un abri d’officier en bordure de la voie ferrée. Tout ce mobilier sort d’une maison de Taissy. Il y a là une façon de prendre plutôt fâcheuse, surtout que tout le monde peut la commenter. 25 Rien de neuf. Journée calme. 26 Relève qui se passe tranquillement. Dans la journée, en ligne, un obus boche a déterré un pauvre vieux encore habillé de culotte rouge et coiffé du képi. En le déterrant, on retrouve son portemonnaie contenant trois pièces d’or mais impossible de trouver soit une plaque soit son numéro de régiment. 27 Ca bombarde fort en ligne. 28 Rien de neuf. 30 Ludes. Nuit du samedi au dimanche 1er. Les boches attaquent sur le bataillon mais sont arrêtés. Il y a de la casse au 5ème escadron. Le départ des indésirables pour ?? le Cambodge paraîtil. JUILLET 1917 4 Départ en permission.

CINQUIEME CARNET 14 Rentré de permission. Je monte aux tranchées le soir même. 15 Secteur toujours peu tranquille ; les torpilles ont fait leur apparition et les boches en envoient quelques unes. D’ailleurs, des crapouillots* sont arrivés chez nous également. 16 Toujours pareil, Chesnel est tué par une torpille. 17 Rien de neuf. Le peloton du c. d. m. Berthelot s’en va à Ludes pour se préparer. Pendant cette relève, les Boches envoient des crapouillots : 3 tués et 3 blessés au 6ème escadron. Choufrin, Kernnés, le Boulanger, l’adjudant chef Martin sont cités. 18 Rien de neuf. 19 Le coup de main a lieu le soir. La préparation d’artillerie n’est pas forte et pourtant les Boches sont partis de la première ligne et aucun ennemi est ramené, juste que quelques renseignements. 20 Jour de la relève, les Boches font une préparation terrible de crapouillots sur les cyclistes et sur nous. Ce ne sont que fusées et trajectoires de torpilles que l’on voit, un bruit d’enfer mais les Boches ne sortent pas car le barrage est déclenché. Nous sommes relevés vers onze heures. En descendant à Louvois vers 2 heures, on évite de nouveau le bombardement. Le lendemain matin, on a des renseignements, les Boches ont remis ça et ont peu réussi chez nous car ils ne sont pas rentrés. 21 Louvois. Gentil village sur le versant sud de la montagne de Reims, le son du canon arrive très lointain. On se croirait bien loin du front si de temps en temps un aéro boche ne nous rappelait à la réalité. Le village est gentil. 21-28 Repos complet. 25 Concours de sport, on remonte le 28 au soir. La relève se fait sans encombre mais la première nuit, les boches nous sonnent. Les jours suivants, calme complet. AOUT 1917 2 Le soir, les Boches nous remettent ça toujours à peu près au même endroit. Nous allons acheter nos légumes à Taissy où

quelques civils travaillent encore leurs jardins. Il fait un temps affreux, même froid pour la saison. 4 En allant à Taissy, je pousse jusqu’à la ferme des Monts Fournois où habite un ancien dourdannais Mr Mauclair que je n’ai pas la chance de rencontrer. 5 Vilain temps, orage tout l’après-midi, on parle de relève de secteur ?? Choupin est blessé. 6 Rien de neuf. 7/8 Desgranges est tué dans la nuit par un obus, la relève est sûre et on doit aller au grand repos. La chaleur est accablante. Avec les abris qui sont très froids, beaucoup de poilus sont indisposés. 10 On relève dans la nuit du 9 au 10. Relève très calme, nous passons par le château de Romont et nous cantonnons à Verzy sur le plancher. 11 Nous passons toute la journée et le lendemain nous partons pour Bouzy. A Verzy, nous étions bien d’ailleurs la veille. Le 2ème bataillon qui a cantonné dans le pays l’an dernier a laissé un bon souvenir et c’est pourquoi nous sommes bien accueillis. Le point de vue sur les monts de Moronvilliers est épatant du haut de la montagne. Nous partons le 11 au matin pour Bouzy où nous avions cantonné une nuit l’an dernier. Nous sommes très nombreux, tout le régiment et les trois groupes cyclistes. 12 Je vois ce vieux Bernard qui est venu me rendre une visite. Notre escadron est désigné pour aller dans un centre d’instruction, nous devons embarquer le 15 à Epernay. C’est aujourd’hui dimanche aussi il y a de la musique. De tous les côtés, des personnes sont venus voir leurs amis. Trop de cantonnement aux environs où de bons souvenirs ont été laissés. On se rappellera toujours de la Champagne depuis Chouilly jusqu’à la Pompelle. 15 Nous embarquons à Oiry, la même gare où nous avions embarqué l’an dernier. Trois wagons sont accrochés à un train de petite vitesse. Nous arrivons tard dans la soirée à Noisy-Le-Sec où nous passons le reste de la nuit assez bien, pas trop serrés car une

vingtaine de poilus de l’escadron sont restés à Bouzy pour faire un coup de main avec Mr Berthelot. Le16 vers midi, nous débarquons à Bethisy-St-Pierre et de là, nous allons cantonner à Bethisy-St-Martin au bord de la forêt de Compiègne. On voit un escadron du 11ème cuirassier déjà arrivé qui doit manœuvrer avec nous. Nous devons apprendre à faire les attaques en compagnie des tanks qui sont dans un camp près d’ici. Le 17, chargé de ravitaillement, je vais à Champlieu au camp des tanks où on ne peut passer qu’avec une autorisation spéciale. Les hommes cantonnés dans ce camp sont la plupart très jeunes. On les appelle les as, à cause de l’abréviation survenue depuis la guerre et qui désigne l’Artillerie Spéciale, A.S. ou Artillerie d’Assaut. Les tanks au premier abord ne font pas une impression extraordinaire. Ce sont des autos recouverts d’une carapace blindée. Dans l’intérieur un canon, deux mitrailleuses et pour rouler une chaîne sans fin assez large et munie de crampons. A la marche, ils passent dans des tranchées, trous etc, etc, il paraît que ces monstres doivent devenir une arme moderne assez terrible. 18 Nous commençons à nous habituer avec les tanks, d’ailleurs la plupart sont d’anciens cavaliers démontés comme nous. Je vais à Crépy deux fois par semaine. 24 Je rencontre mon frère Pierre qui est à Crépy. Je l’emmène dîner avec nous et le ramène le soir. 25 Je pars dans l’après-midi pour Dourdan où je vais passer 24 heures. Je vois mon frère Henri en permission de vingt jours. 28 Il arrive tout un bataillon du 11ème cuirassier. Parmi eux se trouve Soulette. Rien de neuf. Après avoir eu un beau temps toute la semaine dernière, il fait un temps affreux. Aussi on ne peut plus prendre de bains dans la tourbière. C’est un grand dommage. Nous y allions deux fois pas jour. 30 Nous allons faire une partie de football avec une première équipe de l’A.S. Bon entraînement. Le temps n’est toujours pas beau. On a des nouvelles des poilus restés en Champagne pour faire le coup de main. Le lieutenant Berthelot a la légion

d’honneur. Kerseillant et Tunnel sont blessés légèrement par le 75. Le coup de main ne donne aucun résultat. Notre artillerie tirant juste dans les premières lignes boches et empêchant les nôtres de descendre dans les tranchées boches. 31 Rien de neuf. SEPTEMBRE 1917 1 Nous reprenons notre vie habituelle de Béthisy-Ballon. Bains tous les jours d’ailleurs une bonne température et un beau temps. 6 Nous allons à Duvy chez Madame Lemoine, tante de Perrin. Avec Prud’homme, nous faisons une bonne partie de tennis. Et reçus admirablement, on oublie la guerre pour un après-midi passé aussi agréablement. 8 Je pars pour Belleville. Le matin, je rencontre Marcel qui était venu de Versailles et Henri avec une prolongation de moisson. 10 Equipe de football épatante. 11 Vagues bruits de départ pour la fin de semaine. Il court tellement de tuyaux. D’abord, peut-être l’attaque avec les tanks qui ont coûté assez chers pour qu’on s’en serve. Ensuite on rejoindrait le régiment car notre mois est à peu près complètement passé. Enfin, rien de bien sûr…Et tâchons de rester encore quelque temps ici. J’ai des nouvelles de Court ; il est près d’ici, soigné pour une entorse et vient d’avoir la légion d’honneur. 16 Les nuits de départ sont à peu près sûres, aussi comme on donne encore des 24 heures, j’en profite pour aller faire l’ouverture à Ablis. 17 On part demain dans la journée pour Verberie. Notre séjour nous paraît trop court, car nous étions très heureux. Enfin on regrette tout et pour le dernier jour, malgré la température, nous allons prendre un bain. 18 Le voyage se passe bien sans encombre et nous arrivons à Ludes le 19 au soir. Les vendanges sont finies en partie. Malgré cela, le pays est très animé.

19 Nous retrouvons toutes nos connaissances, aussi il faut goûter le produit des vendanges. Le vin des premiers jours n’est qu’un jus de raisin fort sucré. Partout, on travaille autour des pressoirs. On a hâté la vendange et le raisin a été cueilli un peu vert. Les gosses ramassent les marrons d’Inde pour les porter à la mairie où on les achète. On doit s’en servir pour la défense nationale !! 23 Le théâtre aux armées vient faire une séance pour les troupes de Ludes. C’est un passe-temps agréable qui fait oublier la guerre. 26 Cette nuit, notre bataillon est revenu. Nous sommes un peu jalousés, par les autres escadrons, de notre chance. Ils redescendent de vingt six jours consécutifs, c’est très long et beaucoup paraissent fatigués. Le secteur a été calme pendant cette période. Pour l’instant les journaux parlent beaucoup d’affaires étranges, un député même est poursuivi !! Quelle pourriture surtout pendant la guerre. Le pape a fait une proposition de paix !! Tout le monde la veut, mais les accords sont loin d’être faits !! Pourtant les américains se hâtent et dès le printemps prochain ça marchera !! Vivons dans l’espérance. En attendant la perspective d’un quatrième hiver n’est pas agréable. Nous passons notre séjour le plus agréablement possible mais les jours de relève sont changés et le 3 au soir nous montons aux tranchées. Nous sommes installés sur les bords du canal de l’autre côté de la ferme. OCTOBRE 1917 Le 4 au matin, les boches déclenchent un tir assez violent sur nos premières lignes, il y a de la casse au 1er escadron et au 6ème. Chez nous, Gastebois abruti par une torpille tombée près de lui est évacué. Les boches font le coup de main au 8ème cuirassier. La journée est calme, les poilus du 2ème escadron qui habitent les cagnas près du canal font du canotage*. Le soir, bien qu’il fasse un temps de chien, ça cogne dur du côté de Cornillet. Le 5 journée calme, vilain temps. L’hiver approche, il fait froid. Denis se blesse à la cuistance* mais n’est pas évacué. Il se

promène avec une figure enveloppée dans des linges. Vers le soir, bombardement du côté de Reims. D’après les tuyaux, les Boches fichent le camp de l’autre côté de Nogent-l’Abbesse !! Est-ce bien vrai ? On parle de repos pour le régiment, car notre séjour à Béthivy n’a pas empêché les camarades de prendre les tranchées. D’ailleurs les boches ne sont pas tranquilles et le front est jalonné de fusées. Il est vrai qu’il fait très noir, la lune étant dans les derniers quartiers. Enfin, je dois partir en permission d’ici deux jours et lorsqu’on est à l’approche d’un congé de dix jours, on ne vit plus. Les journaux nous apprennent encore des choses peu agréables, un ancien ministre est compromis. Il y a une boue dans ce parlement. Par ici les poilus trouvent que tous ces gens là devraient venir faire un stage à la Pompelle. Il est vrai que cette pourriture dégoûte, quand on pense que tous les jours on risque sa peau et que par derrière on est vendu par des gens qui devraient savoir nous défendre mais non pas nous vendre.

SIXIEME CARNET 21 Je rentre de permission le 21. Mon bataillon est au repos à Ludes et je vais encore avoir toute ma semaine à rester ici. 22 On entend un roulement de canon sur la gauche, vers Croanne. Ici, le pays n’a pas changé, mais comme repos !! Rien que des travailleurs partout. Les poilus préfèrent les périodes de tranchées, si ce n’est le temps de changer de linge et de se nettoyer. Pourtant les soirées sont occupées, un cinéma fonctionne tous les soirs dans le bas du village. De plus, les cantonnements sont bien aménagés. 23 On apprend le soir par télégramme l’avance faite à Laffaux. 26 Les journées se ressemblent toutes. Hier soir pour changer la monotonie, nous sommes allés à la salle de cinéma qui ce soir-là, était transformée en salle de café-concert, fait par des artistes du régiment. Très gaie et assez réussie surtout pour une première fois. Nous apprenons la mort de Fortris parti de l’escadron l’an dernier, fait prisonnier en Champagne et mort en captivité des suites de ses blessures. Le village de Ludes, si gai et si propre cet été, n’est plus qu’une boue. Il est vrai que les galoches sont animées et ma foi on s’en porte bien. Nous montons aux tranchées demain soir. 27 La relève se fait dans des conditions normales, d’ailleurs la lune est assez claire et on voit où l’on marche. Nous sommes à droite du fort. 28 Rien de neuf. La journée est calme, froid vif le matin. Le soir ravitaillement versé, un peu la pagaille. 29 La journée est très calme. Dans la nuit du 29 au 30, vers deux heures, bombardement violent et coup de main des boches. Ils essaient de sortir sur C où sont les cyclistes qui les reçoivent à la grenade. Pendant le bombardement, il y a de la casse au 1er escadron au 6ème cuirassier et au ch. Cyclistes. Entre autres d’Aillières, le frère du capitaine, est blessé. Chez nous, pas de casse. On sait que les boches ont eu de la casse également. Descendus dans la première ligne chez les cyclistes, alors que

ceux-ci se trouvent toujours en pareil cas dans la tranchée de doublement, les boches y ont laissé du matériel de pansement, deux brouettes sur lesquelles ils avaient amené des crapauds pour faire sauter les fils de fer. De plus, on voyait également des flaques de sang. 30 Dans la matinée vers 9 heures, un aéro-boche est descendu vers Prunay à notre droite par canon. Vers midi, un second est descendu vers le bois de la Cuche. Un aviateur français le mitraille de dix ou douze balles et l’aéro-boche tombe en feu. L’observateur boche saute de l’appareil et vient s’écraser sur la terre, enfonçant de 10 centimètres, l’aviateur est carbonisé. 31 Calme. NOVEMBRE 1917 3 Nous déménageons et allons en deuxième ligne près de Taissy. Les boches tirent tous les après-midi. Les journaux nous amènent des drôles de nouvelles d’Italie. 5 Les boches bombardent près de notre nouvel emplacement les abris. Personne n’est touché mais les arbres du canal n’ont plus de feuilles, le camouflage naturel n’existant plus, nous sommes vu de Berru ou de Nogent l’Abbesse. 6 Dans la matinée, les boches nous bombardent à nouveau et blessent légèrement un homme épluchant des patates. 9 Un coup de main à gauche vers Taissy, on ne voit que des fusées vertes et rouges. C’est un véritable feu d’artifices. Nous en subissons le voisinage du coup de main. 10 Les nouvelles d’Italie ne sont toujours pas bonnes et la Russie est de nouveau en révolution. On se demande ce qui sortira de tout cela. Il est vrai que nous autres aux tranchées, nous tenons toujours le coup. 12 Nous sommes relevés ce soir, mais avant la relève, les boches nous envoient un bombardement plutôt sérieux, pas de casse, c’est le principal. Certains boyaux sont comblés. Sur la route un ou deux chevaux se sauvent en pagaille mais pas de bobo, c’est le

principal. Nous arrivons de ce fait assez tard à Ludes. Il fait très froid. Casse-croûte de retour assez gai, encore huit jours de repos en perspective, il n’en faut pas plus. 13Les boches remettent ça sur la Pompelle, nous apprenons le lendemain que c’est un bombardement d’obus à gaz. Nous nous habituons à notre vie de repos. Ludes n’est pas trop dans la boue. D’ailleurs depuis le temps, on connaît le monde et à chaque fois, nous sommes bien reçus. 15 Le ministère est en bas, tout cela à cause d’une bande noire qu’on ferait bien de fusiller. On lit les journaux par habitude, mais tous les jours c’est un scandale nouveau. De tout cela rien de clair, sauf que la guerre existe et que ces gens de l’arrière ne sont pas à la hauteur de leurs mandats. Pourquoi ne les fait-on pas venir ici un jour de barrage ou de coup de main ?? Cela leur remettrait les idées en place. Nous les haïssons mais on ne peut guère contre eux. En attendant, voilà déjà la moitié de la période de repos passée. Lesellier quitte la roulante et rentre fourgonner. Mon régime va être un peu bouleversé pour quelques temps. Mais ça ce n’est pas grave quand les nouveaux seront au courant, cela va aussi bien. Les permissions marchent très bien. Je compte encore deux tours de tranchées, deux semaines de repos et de nouveau ce sera ma permission. D’ailleurs on ne pense qu’à cela et pour nous, ces affaires politiques sont peu de chose à côté de ces dix jours tant attendus. J’ai reçu une carte de Court, toujours plein de vie, content d’avoir eu la légion d’honneur et d’avoir réussi la dernière attaque du Nord de Soissons 17 Petite séance de théâtre par les poilus du 12°. Le Gal de Don y assiste et même chante au refrain de la Madelon. 20 Nous montons aux tranchées ce soir, toujours à la compagnie A. Voilà bientôt la période des coups de main boches. Il fait un vrai temps d’automne, brouillard. Du 20 au 28, la période a été très calme. A droite, le 25 ça cognait assez fort. Assez vilain temps, beaucoup de boue. Les boches sont très tranquilles, il est vrai qu’ils sont peut-être occupés sur

Cambrai. Je rencontre près de mon emplacement un de mes anciens camarades de régiment. Jex, il est sous-officier aux autres canons de la 5ème DC bonne place et ne se plaint d’ailleurs pas. Le 28, nous allons entre la ferme Couraux et Taissy DECEMBRE 1917 2 Nous sommes bombardés le soir par obus asphyxiants. Pas de mal et d’ailleurs les boches n’en envoient pas trop. 3 Rien de neuf. Les boches tirent pas mal. Un déserteur boche annonce une attaque aux environs de Reims. Est-ce vrai ?? En attendant chez les braves habitants de Taissy restés chez eux, on va tuer un porc. 4 Rien de neuf. Calme. On attend des boches de pied ferme, il fait déjà très froid. Voici deux nuits qui nous rappellent l’hiver dernier de Soissons. Tous les poilus travaillent la nuit et en passant, je leur paye un coup de jus qui certes est le bienvenu !! Enfin, on compte déjà notre tour de permission, voilà la moitié de passer et encore deux mois, ce sera mon tour !! Les russes ont l’air de signer la paix !! Quels lâcheurs et quels lâches !! En Italie, les boches sont arrêtés, les anglais ont failli prendre ce vieux Cambrai et malheureusement se sont arrêtés aux portes. Quel plaisir ce serait pour nous que deux ans passées ont fait presque un Kimberlot* !! Pourtant on aime peu sa ville de garnison. 5 Le matin dans un coup de main le 3è Bataillon ramène deux boches blessés. Toujours les mêmes tuyaux. 6 Nous devrions être relevés ce soir mais nous faisons un jour de rabiot*. Les Russes ont signé une amnistie, c’est la pagaille chez eux. 7 Nous sommes relevés. Les Boches nous sonnent un peu sur les routes. Il fait très froid. Pour la première fois le pinard a gelé dans un tonneau resté dehors. Petit festin en arrivant toujours très gai, on est si content de se retrouver à la popote tous réunis.

8 Repos. Monotone, la vie de Ludes passe inaperçue. Le ravitaillement vient maintenant à la gare et ce n’en est pas plus mal. 10 Perrin revient de perm. 11 Perrin va repartir pour un mois, le veinard. Une séance de théâtre aux armées jouée par des acteurs de Paris, très entraînant assez intéressant, comme de juste, on chante la Madelon qui fait fureur depuis le 11 juillet quand les chasseurs à pied défilèrent à Paris. Le secteur est très nerveux. On craint une attaque boche, où se sont les boches qui craignent une attaque de chez nous. D’ailleurs, je crois que les boches tomberont sur un bec !! Le bombardement est violent du côté de Reims, on parle de 25 divisions boches massées derrière Reims. Et pendant un tir de barrage, la chanteuse qui tient les planches chante de plus belle !! 12 Perrin est parti ce matin. Trente jours, c’est long au début mais ils seront encore bien vite passés. A l’intérieur c’est le raffut. Le Portugal devient révolutionnaire, par contre la bande à Caillaux, le patron en tête, est menacée d’arrestation, quelle époque !! Et c’est pour la continuation ou la fin de cette guerre. Pourtant ? si tout avait marché raisonnablement, il y a longtemps que les boches seraient fichus !! Demain ? on doit remettre les croix de guerre. Danse à la Pompelle, ce ne fût pas rose tous les jours et il y aura pas mal de décorés. Il est vrai que trois ans de guerre devraient suffire pour établir la citation. Nous vivons dans l’attente d’une alerte qui je crois ne viendra pas. Les aéros sont très actifs. Les Boches bombardent Verzenay et de la montagne, Puiseux a l’air de prendre quelque chose. Plus ça va, plus la guerre devient terrible Et la fin ??? Les uns disent trois mois, les autres trois ans, depuis le temps et l’on a été si souvent déçus. 13 Nous sommes vraiment gâtés pendant notre période de repos. Ce soir, théâtre par la troupe du 12. On y joue « Pompelle Revue » faite par un mitrailleur. Pleine d’esprit, très gaie, blaguant tous les excès, enfin bien française. Puis les comiques. Quelques uns

trouvent que le moral est assez bas et que ces réunions sont faites pour le remonter. Evidemment, la guerre dure encore, l’hiver arrive, les russes ont signé leur amnistie, mais je suis sûr que ce n’est pas chez les cuirassiers à pied une raison pour détruire leurs hautes idées et leur bon esprit. Et ce serait les calomnier que de dire qu’il faut des artistes gais pour remonter le moral. 15 Nous montons aux tranchées, c’est calme et il fait très froid. 16 La journée se passe dans le calme le plus plat, pas un coup de canon, quelques avions dans l’air. 17 En nous réveillant, nous trouvons de la neige en assez grande quantité, d’ailleurs ça tombe toujours. Un poilu s’est noyé ce matin dans le canal, par accident. 18 Rien de neuf. Toujours très froid. La neige ne fond pas. Denis est évacué pour un coup de hache reçue à la lèvre. 19 Dans la nuit dernière, les boches ont envoyé des torpilles et grenades à gaz. Quelques évacués. Il fait toujours très froid. On parle de relève ?? pour le 25. Pour le même jour, le Kronprinz* a, paraît-il, décidé de déjeuner à Châlons !! ça, ce sont des tuyaux un peu exagérés. 20 La neige ne font pas, il fait toujours froid mais beau temps. Avec les gaz d’hier, il y a plus d’évacués que l’on ne croyait tout d’abord. 21 Ca bombarde depuis midi assez fortement. 23 C’est dimanche, il fait un temps épatant. Beaucoup d’avions. Vers dix heures, un boche est descendu magistralement et vient s’écraser devant le fort, déjà ce matin un avion boche fut descendu sur Nogent l’Abbesse. 24 Nous sommes arrivés à Taissy, prenons cantonnement dans les caves. Bon cantonnement de deuxième ligne, très tranquilles. Nous réveillonnons dans une maison ouverte à tous les vents !! Il tombe de la neige à grande quantité. C’est un vrai Noël. 25 Toujours de la neige, c’est une sombre image de voir un village aussi riche que Taissy, des tentures de salon sont tout esquintés, les murs sont tombés. Et puis pour faire du feu, les poilus se

servent des poutres brisées, bois de charpente plein d’éclats. Un piano dans plusieurs maisons et l’on entend chanter. Pourtant ce matin, un aviateur boche muni d’un certain culot est venu bombarder les travailleurs. 26 On parle de déménager le soir pour aller à Romont !! Nous passons l’après-midi sur les bords de la Vesle et le chien Médor nous ramène des poules d’eau qu’il prend dans les grandes herbes sur les bords gelés de la rivière. 28 Nous sommes arrivés hier soir à Romont, il fait très froid et nous avons trouvé des chambres depuis longtemps inhabitées sans carreaux aux fenêtres, sans poêle. Enfin, tant bien que mal on s’installe. L’aile gauche du château est abîmée. Dans la ferme, quelques bâtiments ont été bombardés. Dans le parc, il est impossible d’y aller, défense pour tous les poilus. Nous passons ainsi les derniers jours de l’année dans la neige, le verglas et le froid. Le 31 au soir, nous descendons à Ludes. Réveillon, car ce soir le petit repas des relèves se trouve être juste à minuit. Tout le monde est très gai et danse, on souhaite la fin de la guerre.

er

1918

1 JANVIER 1918 !!! Nous voici donc en 1918. Sera-ce la dernière année ?? Espérons le, mais je crains que nous soyons encore déçus !! Dans Ludes, on se souhaite la bonne année, la bonne santé, quelle ironie !! Car dans huit jours, nous serons remontés à Pompelle où l’on ne sait jamais si nous en reviendrons… 9 Ce matin, en plein jour un coup de main fait par le 2ème bataillon, les poilus, parmi eux Thomain nouvellement promu adjudant, sont habillés tout de blanc. En dix minutes, aller et retour, ils ramènent deux boches chipés dans leur poste d’écoute. L’année commence bien. Mais dans la nuit, le canon cogna dur du côté de Cornillet.

6 Voilà déjà notre période de repos passée et pendant cette période, j’ai eu la désagréable surprise de me voir pris de gale de paille !! Sale histoire. Tous les jours, bains frottés au bouchon et là dessus de la pommade qui fait jouir !! En prenant un de ces bains, j’ai la visite de Marcel revenu à la S.S. du corps. On parle vaguement du grand repos. Pour nous ce ne serait pas joli. 7 La journée du dégel, il pleut et la neige fond mais dès le soir il retombe de la neige et de nouveau, nous voici dans dix centimètres de neige !! Temps froid. 8 La relève dans la neige qui n’arrête pas. S’il fait très mauvais à marcher sur les routes, les chevaux ne sont pas heureux avec leurs charges !! Enfin, on arrive tant bien que mal à notre emplacement. Le 7ème escadron est près de là et le soir je vais aller comme la période dernière passer mes soirées avec le Lieutenant Lamarque, vieux copain du 3ème escadron. Il fait toujours très froid. 11 Dégel intense, il fait presque une température de printemps, mais de la boue !! 12 Coups de main ce matin à notre droite, le bombardement est violent. Du côté de Reims, ça cogne également. Dans la matinée un aéro descend en flamme du côté des Marquises. Est-ce un français ? ou un boch ? On parle de départ au grand repos du côté de Provins, il circule les tuyaux les plus fantaisistes, mais enfin il y a un peu de vrai dans tous ces racontars. De plus, de la paix, on en cause plus que jamais, après les Anglais, les Américains voici notre ministre des affaires étrangères qui dit ses buts de paix. Pendant ce temps là, les Russes s’entendent avec les Boches et de leur côté la guerre est réellement finie !! 13 Les Boches tirent sur le fort avec du gros !! Il est retombé un peu de neige. La relève est de plus en plus probable pour dans quelques jours. 15 Dégel complet, les boyaux s’effondrent des deux côtés, ce n’est qu’une boue. 17 Nous sommes relevés ce soir par des coloniaux pour aller vers le camp de Mailly. Quelques étapes en perspective, avec le vilain

temps, ça n’aura rien d’agréable. Nos remplaçants sont épatés de voir nos abris si peu solides et émerveillés de voir l’électricité dans les cagnas. Evidemment, ce ne sont pas des salons mais nous avons l’électricité. Nous arrivons à Ludes le soir. 18 Dès le matin, on rassemble ses affaires. Ce n’est pas une voiture qu’il faudrait à un escadron lorsqu’il quitte un cantonnement comme Ludes ou pendant plus de huit mois il était cantonné, mais quatre ou cinq. Nous arrivons à Bouzy, petite étape dans la boue. 19 Nous partons de Bouzy dès midi après avoir pu se reposer toute la matinée. Arrivons à Champigneul. Etape dans la boue, un peu plus longue. La Marne est inondée sur plus de trois kilomètres, tout le terrain entre Tours-sur-Marne et Athis est inondé. Nous devions aller à Plivot et Athis mais Plivot est était trop près de Chouilly pour le premier bataillon et fort probablement, on avait peur pour l’appel du soir. A Champigneul, le pays est triste, habité par beaucoup de réfugiés des Ardennes qui depuis trois ans attendent là pour revenir chez eux. Le cantonnement est bien aménagé. 20 Nous partons de Champigneul pour Chaintrix sur la route de Châlons à Vertus dont on aperçoit la colline à notre droite. 21 Il tombe de l’eau toute la journée. Nous déménageons cependant pour Vatry où nous arrivons traversés. Cantonnement plutôt moche. A Vatry, on voit la tombe des cinq soldats du 13 escadrons fusillés par les boches. Sur le mur, existe encore la trace des balles. 22 Nous partons pour le camp de Mailly où nous nous arrêtons définitivement. Pourtant, avant d’arriver au camp, étant dans Mailly, on nous fait passer par Poivres !! Parce que les prisonniers boches empiètent une centaine de mètres de route. Nous arrivons à notre camp assez paumés, sale installation, enfin ça se tassera. Dès les jours suivants on s’installe, il fait un temps magnifique tous les après-midis, mais les nuits sont très froides. Et dans nos baraques mal jointes, ça serre dur.

25 Nous formons définitivement une division de cuirassiers à pied avec le 5 et le 8ème cuirassier. Nous avons notre artillerie etc, etc… Nous sommes tous cantonnés dans le nouveau camp. Au vieux camp construit en briques, vont les officiers de la D.C.P. et les Américains. Nous changeons les noms de nos unités par compagnies et sections, enfin c’est l’infanterie en plein. Les journaux nous donnent la réponse des Autrichiens et des Boches à l’invitation du président Wilson. Presque tous sont d’accord. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Les boches craignent que les Autrichiens les lâchent et chez eux tout n’est pas rose, il est vrai que nous allons aussi avoir la carte des 300 grammes de pain par jour. Les Américains qui sont au camp de Mailly font une drôle d’impression. Ils seront peut-être très bons soldats mais n’ont pas l’air de connaître la guerre. La garde se ballade en sifflant, leur tenue est loin d’être aussi chic que les Anglais du début, moins propres que ceux-ci mais assez forts gaillards. Ils fraternisent facilement avec nous autres. Dans le camp, existent également des Boches qui font les corvées du camp. Ils ne trouvent pas les américains à leur goût et soit par dépit, soit par jalousie, disent d’eux que ce sont de mauvais soldats !! Le village de Mailly n’est plus qu’une formidable épicerie dont tous les mercantis auraient un comptoir. Les uns de débit de boissons, les autres d’épicerie et légumes. La vie est chère, cela n’empêche pas les affaires de marcher et tous les soirs, il y a foule partout. A la Casbah !! Deux postes, un français, un américain. Ceux-ci n’ont pas le droit d’y aller, aussi quelques-uns empruntent une capote et un casque. Ce qui se passe là est honteux. Pendant toute la soirée, ce n’est qu’un défilé ignoble, les hommes ont presque des numéros, on voit là des nègres, car pour eux ce doit être une grande distraction et les femmes à ce métier là ne doivent pas résister longtemps. Triste vie pour celles qui vivent à l’intérieur de cette maison, mais ceux qui vont là sont des tristes gens aussi.

J’ai eu la visite de Pierrot revenu du D.D.U. et qui partait en permission tout de suite étant encore de l’ancien tour. Quand au nouveau tour, il approche et j’espère bientôt partir également. 26 27 Wooz apprend la mort de son frère tué dans un accident d’aviation. Perrin apprend la naissance d’un garçon chez lui. Tristes coïncidences de la vie. On a la même popote depuis plus de deux ans, nous vivons ensemble à dix, il faut qu’à la même heure l’un soit dans la peine et l’autre dans la gaieté ! 28 On commence l’entraînement par la méthode Hébert, course à la grenouille, à quatre pattes etc, etc !!! 31 Je vais à Vitry-le-François, ville assez propre, on rencontre pas mal de militaires. Dans la nuit, des aéros boches sont allés sur Paris et ont fait quelques dégâts. Pas trop de tuyaux. FEVRIER 1918 On apprend le raid des Boches, assez de casse mais les points de chute des bombes sont méconnus de nous. 2 A Mailly, petite soirée amusante, avec quelques camarades. 5 Partant en permission, je vais à Mailly dès l’après-midi. On voit dans les cafés qui sont de véritables bouges soit des cuirassiers apaches* de Paris, soit des américains de qualité très inférieure qui se battent même au couteau.

SEPTIEME CARNET A Châlons, existe une cantine américaine qui mérite réellement qu’on s’y trouve. Un véritable dortoir puis une salle de lecture, une salle à manger où l’on trouve tout et une salle de récréation avec cinéma. Il est vrai que tous les permissionnaires attendant leurs correspondances ne doivent pas sortir de là. Ce sont des américains qui dirigent tout et réellement ce grand hall qui servait autrefois aux marchandises est vraiment aménagé. Tout y est d’une grande propreté. Il est vrai que les hommes de Corvée (indo-chinois) ne manquent pas. Au camp de Mailly, pas de changement notable en quinze jours, la période de beau temps a enfin fait sortir l’eau du terrain et il fait sec. Ca ne durera pas. 25 toujours à Mailly pas de changement notable. Nous allons toucher des masques contre les gaz absolument semblables aux masques boches même les étuis !! Nous voici dans la neige depuis le début du mois, il est impossible de sortir. La neige tombe toute la matinée et dans l’après-midi, les routes ne sont qu’une boue liquide. Avec cela, les baraques mal closes et froides !! Aussi, tout le monde est plus ou moins enrhumé. Les Boches travaillent quand même, il est vrai que le vieux territorial qui les garde est bien là aussi, et même nous autres, allons même à la manœuvre des tanks !! A quand la fin de tout cela ? Dans les journaux, les boches rentrent de Russie et les Bolcheviks seront forcés de plier bagages. Par contre, la Pompelle, notre ancien secteur, a pris un coup dur. les Boches se seraient avancés jusqu’aux ouvrages près du fort, mais n’ont pas pu les garder. Et nous pendant huit mois, nous avons été considérés comme ayant un secteur peinard !! Il est vrai que depuis décembre on s’attendait à quelque chose par là.

Avant hier, il y eut le feu dans le camp. Dans la nuit, on le voyait d’assez loin mais le lendemain on n’entendait parler de rien. Qu’est-ce qu’un feu d’une baraque à côté de ceux du début de la guerre où l’on voyait sept ou huit incendies tout autour. Alors on ne s’épate plus pour si peu, et à part les hommes de service, personne ne s’est dérangé. Il est vrai qu’il faisait un temps abominable. MARS 1918 Au début du mois, une grande discussion eut lieu au sujet des soldes des sous-officiers qui étaient augmentés. Cela se chiffre par des deux cents francs par mois. Nous autres, avec nos 42 centimes par jour !! A un grade de différence, nous n’avons qu’à nous taire. La vie est chère mais les prix ne diffèrent pas avec les grades et ce que nous voulons acheter, on nous le vend aussi cher qu’à tous. Il est vrai que le poilu ne touche que 25 centimes !! Alors, je n’ai plus rien à dire si ce dernier ne se plaint pas. Nous avons fourni une équipe de football rugby, le passe-temps est agréable mais il faut attendre que la neige soit partie. Il vient d’arriver un renfort d’ouvrier d’usine. Jeunes gens la plupart de la classe 14. Evidemment, ce ne sont pas des grévistes, mais ils auraient pu l’être et maintenant, ils vont voir l’énorme différence de vie entre Saint Etienne et la vie militaire. D’après eux, ce n’est pas leur faute et ils sont unanimes à accuser les femmes avec lesquelles ils travaillaient. Eux, seraient des petits martyres mais il est assez logique que ces jeunes soient remplacés dans leurs emplois par des vieux pères de famille, plus pacifiques vis à vis des grèves et c’est à souhaiter vis à vis des femmes. Si nous revenons, qu’est-ce qu’on retrouvera après la guerre ? 16 Encore une semaine écoulée dans un véritable temps d’été. Mais il y a eu une ombre, un vaccin, petit il est vrai.

17 Nous matchons au rugby l’AS de Poivres. Le soir, la compagnie doit partir à Lhuître arranger les routes aussi nous la rejoignons en voiture le soir. Dans l’après-midi, on apprend le prochain départ du régiment. 18 Nous nous attendons à partir toute la journée. C’est dommage, car nous sommes bien cantonnés. 19 Nous n’avons pas encore pas d’ordres. Les 2 autres bataillons sont partis, le notre part demain. 20 Partirons-nous, oui ou non ? Toujours, tout est prêt et nous nous posons tous la même question. Notre adjudant-chef est parti au C.I.D.*. Grand dommage, c’était un bon camarade. 21 Toujours pas d’ordres de départ. 22 Nous partons ce soir. Embarquons à Mailly et nous allons rejoindre le bataillon vers Suippes. Ca cogne assez dur vers le front. Notre capitaine s’en va aux cuirassiers à cheval. Voilà plus de trois ans que nous étions ensemble. Et qui va le remplacer? Dans le même mois, le commandant, capitaine et chef de section, quel changement ! Nous allons presque regretter Lhuître car nous n’étions réellement pas mal. Un lit médiocre mais des draps blancs. C’est toujours autant de pris. 23 Nous embarquons dès midi à Mailly direction Saint-Hilaire-auTemple. A 7 heures du soir, nous ne sommes encore qu’à Coolus. Il est vrai que les deux nuits précédentes, les Boches sont venus de nuit à Chalons faisant des victimes et des dégâts. On dit même qu’ils seraient allés sur Paris ce matin. Attendons des nouvelles qui confirmeraient cela. Ce qu’il y a de certain, c’est que la semaine dernière, lors des deux raids sur Paris, il y eut des victimes et dans la capitale les dégâts sont nombreux. Partout où ça tombe, ça touche. Les parisiens ont le moral élevé et je ne crois pas que ce soit de cette façon que les Boches arriveront à la détruire. On rencontre quelques trains d’Américains descendant de Soissons, il paraît qu’il ne fait pas bon dans ce coin du Chemin des Dames* ?? Ils parlent déjà de la guerre bientôt finie. Pourvu qu’ils disent vrai !!!! Les Boches ont attaqué les Anglais, pas

grandes nouvelles dans les journaux. Nous embarquons donc à midi de Mailly. A huit heures du soir, nous sommes entre Coolus et Châlons. Notre train est arrêté car les avions boches bombardent Châlons très sérieusement. Nous passons Châlons à dix heures. Sur notre plateforme, nous voyons des dégâts non loin de la ligne. A deux heures, nous débarquons à Saint-Hilaire-auTemple. A ce moment, les boches étaient encore à Chalons. On voyait les tirs de barrage et les éclatements des torpilles Boches. 24 Nous arrivons à la ferme de Bouy à 4 heures du matin. Nous passons notre journée au camp. Rien de neuf. Les boches ont assez violemment touché les Anglais mais pas de nouvelles de ce côté là. Dans les journaux, on annonce qu’un canon boche a bombardé Paris de 6 heures du matin à 4 heures du soir, de quart d’heure en quart d’heure !! 110 kilomètres de trajectoire, c’est incroyable. Je crois que c’est plutôt des avions, enfin attendons les nouvelles. La pièce* a encore bombardé Paris, les Boches ont attaqué les Anglais et ça ne va pas fort. Nous arrivons demain. 25 Arrivés à Hans, village sur la route de Sainte-Menehould. La moitié du pays a été détruit en 1914. Les Boches en avion bombardent le pays en arrivant. Un territorial tué. 26 Dans notre camp, nous sommes avec notre S.S*. tous américains. Il y a dans le village des Tonkinois et des Italiens, artilleurs ayant planqué, paraît-il, leurs pièces pendant la retraite l’année dernière. Ici, on les emploie à construire des baraques. Déjà à Lhuître, on voyait la légion polonaise. On voit tout à la guerre. On a quelques tuyaux sur le bombardement de Châlons. De malheureux civils réfugiés dans une cave ont été noyés par une conduite d’eau crevée par une bombe !! Quant au canon sur Paris, il tire tous les jours. Dans la soirée, on reçoit l’ordre de partir demain en camion. Où va-t’on ? On parle de la Somme. Attendons les évènements. 27 Nous partons l’après-midi pour Bussy près La Cheppe. Arrivés là, nous allons à la Cheppe, on donne la soupe et de suite, je pars avec les voitures. On ne doit pas revoir le régiment tout de suite.

Les Boches ont pris Péronne, Bapaume et avancent. Nous allons à Juvigny dans la nuit. 28 Dès le matin, nous laissons à Juvigny les vivres de réserve et les cartouches des caissons puis nous partons cantonnés à Dizy/Magenta près d’Epernay. Il fait très chaud, beaucoup de poussière sur les routes car les convois sont nombreux. L’air nous cuit la figure et nos lèvres brûlent et se gercent. Bon cantonnement à Dizy, il va pleuvoir. 29 Nous partons pour une étape de quarante kilomètres. Comme temps de vraies giboulées de mars, c’est le premier Vendredi Saint que je mange de la viande. Il est vrai qu’à la halte repas, il tombe de la grêle et nous faisons pénitence en mangeant notre saucisson et en recevant en même temps de la grêle dans la figure. Ceux qui mangent une truite saumonée à Arhenonville ou au café de Paris ! Nous passons à Châtillon autour de la statue d’Urbain II pendant une éclaircie et nous jouissons du joli panorama qu’est la vallée de la Marne entre Epernay et Dormans. Pas grandes nouvelles de la guerre. On dit que Montdidier serait pris !! On dit également que les cuirs de la 1e DCP* se sont battus héroïquement. Nous passons la nuit à Coulonges après avoir rencontré pas mal de convois. 30 Partons de Coulonges d’assez bonne heure, passons Nesles où existe encore la fameuse tour, puis Fère-en-Tardenois. Il fait un temps de chien. Nous arrivons à Louâtre complètement traversés. Sommes sans nouvelle du régiment. Sur les journaux, meilleures nouvelles, on aurait avancé au-delà de Montdidier. Les Boches ont attaqué au dessus d’Arras, on aurait tenu le coup. Enfin, ils ont bombardé avec leur fameux canon, appelé le canon fantôme, une église des environs de Paris, tuant 75 personnes. Pour un Vendredi Saint, c’est bien boche !!! Pâques 1918, j’espère que ce ne sera pas oublié ! 31 Nous traversons la forêt de Compiègne et arrivons à la Brinaire. Dans la nuit les avions boches tapent dans Compiègne.

AVRIL 1918 1er Nous arrivons à Sacy-le-Petit. Cantonnons. Dehors, les gens évacuent. Pas de nouvelles du régiment. 2 Bonne étape, passons par Saint-Just évacué, et arrivons à Catillon. 3 Nous arrivons à Guignecourt, le régiment est en ligne depuis 3 jours. 4 Les boches attaquent en masse. Le 5ème cuir a des pertes. Notre bataillon est bombardé dans le bois Sénécat et a pas mal de pertes. Je crois que la crête qui tient la ligne d’Amiens et la vallée de la Noye sera dure à tenir, les Boches ont assez avancé. 5 Notre bataillon attaque le bois. Le départ était merveilleux. Beaucoup de blessés et de tués. Dans notre compagnie, plus qu’un officier, à la 1ère aucun. Notre nouveau capitaine est blessé. Je perds beaucoup de camarades. Pierre Rabourdin a disparu en allant faire une corvée d’eau. Peut-être est-il blessé et il aurait été évacué par un autre poste de secours ? Il arrive beaucoup d’artillerie, les Boches sont contenus et n’auront pas la ligne pour l’instant. Il y a encore beaucoup d’artillerie anglaise. 6/7 Notre bataillon tient la première ligne et est relevé le 7 au soir avec pas mal de pertes, il va en 3ème ligne. 8 Calme pour la 3ème ligne, nous sommes à Estrées et ravitaillons tous les jours les camarades. Ravitaillement difficile pour les poilus qui n’ont plus ni sac ni musettes, il fait un temps abominable. A quand la relève? Il faut peut-être que les autres bataillons aient les même pertes que le notre, plus de 50% !! Pour la compagnie, on compte depuis le 4 une quinzaine de tués et soixante blessés !! deux disparus. La première division de cuirassiers s’est battue à Noyon, pas grandes nouvelles d’eux. D’ailleurs, on ne voit aucun journal. On apprend la mort de notre ancien commandant !! Il va manquer des cuirassiers dans ces deux semaines de Pâques. A quand la relève ?? 9 On parle de relève par des régiments arrivés d’Italie. La vie étant agréable là-bas, le changement sera plus brutal.

10 Le bataillon est relevé et va à Dommartin, le long du chemin de fer dans le talus. 11 Dans le bois derrière Cottenchy, nous avons des tuyaux des uns et des autres. Les Anglais ont accepté Foch comme Général en Chef. Il faut qu’ils reconnaissent leur faute. Nous avons près de nous la Légion Etrangère. Les Boches ont, le 4, attaqué le 5ème et 8ème cuirassiers, ceux-ci furent forcés de reculer. D’ailleurs, dans le plus grand ordre et faisant payer cher le terrain où les Boches avançaient, le 12ème en position au bois Senécat (1er bataillon) tint les boches en respect mais dut se replier aux abords du bois, abandonnant ce dernier et Castel, les cuir gardant Rounel. Le 2ème bataillon étant à Merville au bois. Le 5, notre bataillon attaque et reprend presque tout le bois sauf un coin. Vrai nid de mitrailleuses. C’est sur ce point que furent touchés la plupart de nos copains. Enfin la relève en 3ème ligne et départ dans les bois de Cottenchy les 11, 12 et 13. Le 12, une pièce de la batterie derrière le bois saute et tue trois poilus. Notre commandant va au 8ème cuir, notre colonel remet des médailles militaires a un sous-officier qui faisait le capitaine de sa compagnie et se sert de sa canne comme sabre. A notre compagnie, il reste un officier, cinq sous-officiers et trois brigadiers. Ce sont ces derniers qui ont eu le plus de pertes. Montés à 144, il y a 13 morts et 57 blessés, la plupart légèrement, enfin deux disparus dont ce brave Prumir. 13 Nous avons des nouvelles de quelques blessés. Entre autres Pierre Rabourdin qui est soigné à Château-Thierry. Nous faisons une petite étape jusqu’à Neuville-Lès-Loeuilly. La réputation des cuirs a grandi et je crois que maintenant, il ne ferait pas bon charrier les cuirassiers à pied. 14 Nous allons à Monsures, passons près de Tilloy-Les-Conty. 15 Arrivons à Sentelie pour quelques jours. Mauvais cantonnements. On ne trouve pas de ravitaillement. Il y a quelques réfugiés, la vie est très chère.

18 Il arrive un renfort du CID, pourquoi faire ? allons-nous remettre ça ?? 19 Nous repartons avec le convoi conduit par un officier qui ne mérite pas ce nom, ivrogne et grossier. C’est dommage. Nous passons à Bois Renault, notre cantonnement d’il y a deux ans. 20 Arrivons à Rouvillers, nous tournons autour de Montdidier et suivons la ligne des saucisses* qui représente à peu près la ligne de feu. Où allons-nous ?? Je crois que ce n’est pas le grand repos !! 21 Nous arrivons à Pierrefonds. Les habitants, vers les 6 heures du soir, s’en vont avec des paillasses et des couvertures coucher dans les carrières des environs de la ville ou dans les caves du château. Tous les enfants et vieillards suivent. La guerre n’est pas gaie pour ces gens-là, car toutes les nuits les avions boches viennent bombarder le village. Le gens louent leurs maisons aux troupes de passage et alors nous profitons d’un lit. Tant pis pour les avions. 22 Ma foi nous avons bien dormi. Les Boches ne sont pas venus. Nous allons loger à Corcy après avoir traversé les forêts de Compiègne et Villers-Cotterêts. 23 Partons de très bonne heure et après une bonne matinée, nous déjeunons sur les trottoirs de Fère-en-Tardenois. Arrivons à Cierges et nous logeons à la ferme de Reddy où existe un observatoire. La ferme est assez gentille mais on voit au milieu des prés un bois de sapins et le bétail d’ailleurs n’est pas de race et peu en état. 24 Partons de Reddy et arrivons à Fismes dans des baraquements. Nous devions trouver le régiment, ma foi personne !!! 25 Le régiment nous retrouve aux baraquements. Ville assez gentille mais habituée à la troupe. 28 Restons quelques jours, aujourd’hui arrivent des jeunes de la classe 18 !! 29 Nous partons demain, direction Soissons. 30 Départ de bonne heure, passons Braine et logeons à Sermoise dans les carrières de la ferme Saint Jean. L’étape n’était pas

longue mais à l ‘arrivée, une côte d’un kilomètre et plus d’un bleu est resté en route paquetage complet, c’est dur pour la première fois. Nous sommes à l’emplacement des deuxièmes lignes françaises de 1915-16. De la ferme, il ne reste que les murs. MAI 1918 1e mai, nous longeons les anciennes lignes françaises, traversons Soissons, et pour la première fois, nous allons sur le territoire que les Boches ont perdu en 1917. Passons Pommiers, assez abîmé et nous arrivons à Chavigny. Il ne reste pas une maison debout, des murs et c’est tout. Tous les arbres fruitiers sont arrangés car les Boches avant de partir leur avaient flanqués quelques coups de hache à 50 cm au dessus du sol. Quelques uns repousseront, les autres sont déjà morts. Sur toutes les routes on rencontre des Italiens travaillant à la réfection des trottoirs et des chaussées, tous sont nonchalants et ne font pas grand chose. 3 Les avions boches viennent descendre une saucisse près de Chavigny. L’aviateur boche n’est pas très adroit car il se prend à plusieurs reprises pour envoyer ses balles incendiaires. L’observateur ne descend que lorsque le feu s’est déclaré au bord de la saucisse. 4 Je vais à Soissons. Des habitants sont repartis. Il y a cependant plus de monde qu’en hiver 1916-17 lorsque nous étions à Villeneuve. 5 On parle de prendre les tranchées. Ce sera le baptême du feu des bleus de la classe 18. Il y en a déjà quelques uns d’évacués qui étaient très fatigués après les deux étapes du 30 et du 1e mai !! Il fait très lourd, temps orageux. Nous avons fêté les Saint Philippe et Saint Jacques avec le même entrain que l’an dernier. C’est autant de pris quand nous nous retrouvons tous ensemble. 7 Le bataillon monte en ligne et doit se rendre aux environs de Guny dans les grottes. Je vais avec les voitures afin d’assurer le ravitaillement. Encore le campement qui nous attend. Deux civiles sont revenues faire un tour, car elles n’ont pas encore le droit de

revenir définitivement. Elles habitent les baraques en planches faites par l’Etat car de leurs maisons, il ne restait que les murs. 8 Notre bataillon parti hier soir se trouve dans les grottes de Guny. Nous sommes au bivouac à Vézaponin. Le soir, nous faisons le ravitaillement aux cuisines. Perrin étant monté, il faut un gradé. Très beau temps, nous vivons sous la tente dans les bois. 9 A Vézaponin, il ne reste pas une maison debout. D’une sucrerie installée à l’entrée du village, tout est bouleversé et Epagny est semblable. Sur la route de Soissons, les villages sont tous en mauvais état. Ce sont les Boches qui ont fait ces dégâts avant de partir l’an dernier. On met en vente dans les coopératives des cartes postales où sont photographiés les cuirassiers avec en tête « Français, souvenez-vous ». Je crois que les habitants de ces villages se souviendront longtemps ! Le secteur a l’air calme. Les nuits sont très noires. Par endroit avec les voitures, on risque de se ficher dans des ravins assez profonds. Quelques récompenses arrivent. Le Larmec a la médaille militaire, c’est l’as de notre compagnie. 12 Nous relevons ce soir pour aller en première ligne à Guny. La creute* commençait à être malsaine, beaucoup de fiévreux et c’est général dans ce coin-là. L’escadron est à Guny. Beaucoup de marécages. Je reste à Vézaponin, avec mon boulot de cabot de ravitaillement montant en ligne tous les soirs. 15 Toujours beaucoup de fiévreux qui montent à 40°, puis ça se passe très vite. Aujourd’hui dans la nuit, nous nous faisons sonner dans Guny. Il est vrai que les artilleurs ne les laissent pas tranquilles et c’est l’infanterie qui trinque. Avec cela, pas d’abri pour les premières lignes !! Aussitôt qu’on creuse à 30 cm, c’est l’eau !! Toutes les nuits, les avions boches sortent. Nous voici avec la nouvelle lune et cela leur est facile. D’ailleurs, c’est le chemin le plus court pour Paris. Ah, les rosses ! Des explosions éclatent non loin d’ici. En face, chez les Boches, nos aéros font le même travail et bombardent même les premières lignes.

19 Il fait depuis quelques jours une grande chaleur. On est malaise, c’est la première fois de l’année que les chaleurs sont si fortes. En ligne, toujours beaucoup de fiévreux. La fièvre des marées et quelques uns sont réellement malades. 22 Tous les jours, je vais à Guny chercher des bricoles laissées là au moment de l’avance d’avril. On trouve de tout. Déjà, nous nous sommes faits un abri et les chevaux sont à l’écurie!! Hier soir, il y avait un coup de main. Ma foi, je devrais y aller pour chercher quelques planches, mais là c’était un peu risqué car les Boches auraient répondu. Dans les rues du patelin, avec les chevaux de frise* qui se trouvent de tous côtés, on risquait de démolir notre voiture. 27 Nous sommes bombardés dans notre bivouac et les obus ne sont pas petits. 28 Nos chefs sont descendus. Nous montons ce soir. Je vais à Soissons et là j’apprends l’attaque de Reims. A Soissons, on évacue tous les civils. Ça ne va pas mieux ! Nous sommes toujours bombardés au bivouac. Je devais monter, mais contrairement aux ordres, la roulante descend même. Nous ravitaillons la compagnie sur le chemin de la ferme Bonnemaison aux grottes de Guny. 29 Nous montons encore à la ferme Bonnemaison pour ravitailler. Le bataillon a pris coûtant depuis la ferme Moreuil. Tout l’aprèsmidi, les Boches ont avancé fort sur notre droite, et nous sommes forcés de quitter nos positions. 30 Le bataillon fait la retraite depuis la ferme Bonnemaison jusqu’à la ferme Saint Léger. Pas mal de pertes. Husson est tué, Marlion est blessé, deux autres officiers sont tués. Nous avons quitté Vézaponin et passant par Morsain sur des routes assez bombardés, nous allons à Chevillecourt. Il passe pas mal de blessés sur la route de Vic-sur-Aisne. Nous devions ravitailler sur le plateau de Nouvron mais nous ne trouvons pas notre bataillon. Le colonel du 273 artillerie veut nous faire partir avec les roulantes de l’autre côté de l’Aisne !! Et cependant, pendant trois

jours encore, nous serons sur le plateau et l’infanterie le conservera encore longtemps.

JUIN 1918 1e Toujours à Chevillecourt, notre bataillon est relevé dans la journée, les creutes sautent un peu partout. Nous n’avons plus beaucoup d’artillerie sauf de l’autre côté de l’Aisne, on ne voit pas d’aviateur français. Quelques éléments de fantassins 70-71 s’en vont mais sont arrêtés sur la route et remontent en lignes. Le soir, la compagnie est ravitaillée entre Hautebraye et Berry. 2 Nous devons porter la soupe dès le matin puis nous avons un contre-ordre, nous rejoignons le T.C à la ferme du Patard près de Vic-sur-Aisne. Dans la journée, nous sommes bombardés et nous allons près de Vic complètement évacué, assez démoli par les bombes d’avions. Un aviateur boche nous mitraille sur la route et blesse un conducteur. De plus, nous avons du gaz asphyxiant. Nous devions ravitailler à Berry, mais les Boches sont à Hautebraye, et le bataillon étant relevé, nous donnons la soupe le 3 au petit jour dans la côte de l’autre côté de l’Aisne. Les poilus

nous rapportent des sardines trouvées dans une coopé évacuée ! Nous allons cantonner à Longavesne. 4 Nous restons à Longavesne, touchons du renfort en poilus. Ce n’est pas encore le grand repos. Dans la nuit du 4 au 5 nous déménageons pour faire place au premier étranger et nous allons à Beragne. 5 Nous restons la journée à Beragne et le soir, nous allons dans le ravin de Montgobert en bordure de l’étang, après avoir passé plus de la moitié de la nuit dehors. 6 Dès le matin, départ. Nous allons dans un ravin de Coeuvres, sur la route Soucy à Coeuvres. Le soir, nous ravitaillons notre compagnie à la creute près de la ferme du Chaufort près de Dommiers. La route est bombardée dans le bas de Saint-PierreAigle et dans le haut de la forêt de Villers-Cotterêts. D’ailleurs, il y a deux ou trois jours que la bataille faisait rage et tous les morts du 273 et du 75 ne sont pas encore enterrés. 7, 8, 9 Le secteur est très calme. Le ravitaillement se fait tranquillement pourtant toute la journée, les Boches tirent sur tous les carrefours de route. 11 On entend le canon au Nord, les Boches ont attaqué entre Noyon et Montdidier et semblent ne pas avancer comme entre Reims et Soissons. 12 Dès 2h30, un tir de barrage soigné. Nous venons de quitter la grotte et sur la route, nous roulons vite avec notre cuisine. Les obus à gaz et à phosphore pleuvent à gauche à droite, devant, derrière. Nous passons des nuages de gaz asphyxiant et nous arrivons au bivouac où il ne reste personne. Les chevaux dételés, nous allons nous mettre dans la plaine au Nord, car les gaz asphyxiant sont dans toute la vallée. A 6h le matin, nous allons chercher notre matériel et nous partons à Vivières. Sur la gauche, les Boches ont atteint Laversine. Devant nous, des cuirs tiennent quoique bien fatigués. Nous allons le soir ravitailler au NE de Montgobert mais personne ne vient chercher la soupe.

13 Les boches attaquent encore. Dans la soirée, la compagnie est relevée. La 1ère section est faite du reste de la 1ère cavalerie (21 poilus), les 3 autres sections ont eu beaucoup de prisonniers. Pierre Rabourdin, blessé et resté dans la creute, doit être prisonnier. Les quatre sections de chez nous sont fondues en trois. Encore 75 hommes à la compagnie, Fleurentin a été tué. A la section la plus éprouvée, il reste 10 hommes. Notre officier (Mr Aubi) a la légion d’honneur. Nous ravitaillons à Soucy. 14 Nos quittons Vivières, allons dans un carrefour de la forêt au rassemblement des bataillons. La journée, repos. Dès le soir, nous partons à Vaumoise. 15 Tout le monde embarque en auto. Nous suivons par la route. Je fais le campement à cheval, voilà plus de deux ans que cela ne m’était pas arrivé. Nous cantonnons à Bouillancy. Rencontre Mr Martin, évacué d’Antilly. 16 Etape de Bouillancy à Borest. 17 Etape de Borest à Liancourt. 18 Etape de Liancourt à Lafraye où nous retrouvons la compagnie, déjà presque reformée. 19 Vais à Beauvais faire des achats. La ville est un peu amochée, mais peu peuplée. La vie est très chère. 20 Journée de repos, nous préparons un repas pour demain. 21 Le matin, messe des morts. A midi, on arrose la décoration de l’officier. Voilà la guerre, deuil et gaieté ensemble. On doit oublier nos misères et n’en reparler que quand la guerre sera finie. Avant cela, il faut élever le moral et pourtant dans ces jours derniers, nous en avions plein le dos. Je crois que les cuirs à pied ont fait leur devoir. Il est vrai qu’on nous a donné un troisième liseré jaune au col de façon à reconnaître les cuirs à pied des cuirs à cheval et le surnom donné par les boches eux-même à nos divisions à pied c’est « la garde de Clemenceau ». Espérons que la fin sera proche maintenant. 27 Nous avons passé une bonne semaine de repos. Quelques voyages à Beauvais qui est un peu amochée par les bombes

d’avions. D’ailleurs depuis deux soirs, les gothas* passent audessus de Lafraye. On parle de départ par embarquement. 28 Partons à 11 heures du soir. 29 Embarquons à Saint-Paul, près de Beauvais, pour une direction inconnue. Passons Epluches, Versailles, Massy, Villeneuve-SaintGeorges, puis Melun, Fontainebleau, La Roche, irions-nous en Alsace ou en Italie ?? Nous remontons vers Saint-Dizier et nous débarquons à Vaubecourt où les Américains font le service des trains. Arrivons à Rembercourt. Ces villages sont complètement démolis depuis 1914. Quelques baraques en planche. JUILLET 1918 3 Le baraquement est assez agréable. Les gens sont aimables. Le pays : Rembercourt-aux-Pots (Dérivé de Poteaux) car c’est l’ancienne frontière entre la Lorraine et la Champagne. L’église est jolie. On touche en renfort des chasseurs à pied. Nous devons monter en ligne demain soir, secteur des Eparges. Nous allons revoir notre pays de guerre de 1914. Déjà à Rembercourt est enterré le premier cuir du 12ème tué. Ce soir, nous allons à Neuville sous Verdunnois. Nous partons le 4 à la nuit et passons la Meuse vers 1 heure du matin. Il fait un brouillard épais et froid. Nous restons sur les ponts des bras de la Meuse jusqu’au jour. Nous arrivons au camp de Nobillette à 5h 30. A 6 heures nous partons pour les lignes, traversons Mouilly où j’avais rejoint le régiment en 1914. Le pays est dévasté, il y a un cimetière immense datant des combats des Eparges. Nous prenons le secteur de la tranchée de Calonne. C’est calme. On dit craindre une attaque mais sur tout le front on en dit autant. Nous sommes dans les bois, il y a énormément de rats et de mouches, vermine que nous n’avions pas pendant notre vie au grand air de la rase campagne. 6 Le secteur est calme, mais on est en alerte comme d’ailleurs à peu près sur tout le front.

Le 7, relève dès le petit jour. Nous allons au camp de Bernadant, près de la route « tranchée de Calonne ». Passons la journée dans les bois puis le soir, allons au milieu des bois d’Ambonville au camp de Guillaumont. Assez mal installés mais tranquilles. 8 Journée tranquille toujours dans les mêmes bois. Nous touchons des officiers d’infanterie et chasseurs à pied revenus dans leur ancienne arme. Nous voici de nouveau au grand complet. 12 Toujours dans la même forêt, très tranquilles, il faudrait que les boches se dépêchent car ils nous avaient promis de nous faire passer la Meuse avant le 14. Mes cuistots et le conducteur de la roulante sont cités. 14 Calme. Le régiment a une citation à l’armée. On ne sait pas si c’est un rappel de la Somme ou de l’Aisne ?? Si c’est pour la première, il est possible que nous ayons la fourragère*!! Mais rien n’est moins sûr. 15 Depuis ce matin, on entend un violent bombardement à notre gauche. Est-ce la grande offensive ?? Fort probablement oui. Alertés dans l’après-midi, nous partons dès le soir en camions. Direction ?? Nous voyageons la nuit par Dieue, Souhesmes la Grande et la Petite, Rampont. Sur le bord de la route, entre les deux derniers villages, dans un petit cimetière près de l’hôpital « les Glacys » gît le corps de René de Plas, un de mes camarades de jeunesse, tué en 1916 au moment des combats de Verdun. J’ai à peine le temps de reconnaître sa tombe. 16 Nous arrivons au jour dans les bois de St Pierre près de Blercourt où nous passons la journée. Près de nous dans un camp, il y a des nègres américains. On a de bonnes nouvelles sur l’attaque. Les boches ont passé la Maine vers Dormans mais ont peu avancé, de Reims à Massiges, ils ont à peine pris les premières lignes. 17 Nous repartons le 16 au soir pour les bois Chana/Fromeréville, passons la journée du 17 au milieu de forts de Verdun. Calme. Partons ce soir pour Chattancourt. Un temps abominable, un orage

ayant crevé au-dessus de nous. Arrivons aux cuisines secteur de Le Morthomme. 18 C’est une véritable désolation, pas un coin qui ne soit labouré par les obus. La bataille a fait rage dans ce quartier là en 1916. Du village de Chattancourt, il ne reste plus rien. Les arbres sont tués par le bombardement, aucune feuille. L’herbe commence à repousser sur le chaos que forme le terrain. 19 Calme. On n’a de bonnes nouvelles sur l’offensive. 22 Notre secteur est vraiment calme. Avant hier, trois obus et c’est tout. Ca barde du côté de Soissons et Château-Thierry où nous avançons pas mal. 28 Nous avons changé de place sans changer de secteur, un peu à gauche et vers les premières lignes. De là, nous découvrons la cote 304 et dans le fond de la cuvette les ruines d’Esnes. Les Boches sont sur les hauteurs de Montfaucon. A notre gauche, ce sont des Américains, la plupart de Chicago et tous noirs. Peu causent le français. Ils essayent d’apprendre et cherchent à se faire comprendre. Tous sont animés de bonnes intentions surtout vis à vis de nous et des Italiens. Pour les Anglais, ils les ont en estime moins grande. 30 Notre secteur est toujours calme. Aussi tous les soirs, on se paye une partie de trolley* sur la voie de O.U. Quelques bûches mais pour aller au ravitaillement ? C’est vraiment plus commode que les chevaux. Aujourd’hui à la division, on voit que les gardes d’écurie sont responsables des accidents et seront punis même s’ils sont innocents. Pauvre république !! La citation du régiment est sortie, on vante le régiment car on nous attribue l’arrêt des boches sur le plateau de Rounel et nous avons conservé Amiens. 31 Les boches ne veulent pas finir le mois sans grabuge, aussi cette nuit un coup de main devant nous et les Américains. AOUT 1918 6 Nous avons changé de coin sans changer de secteur. Nous voilà maintenant dans le ravin de Morval, face à Montfaucon.

Maintenant, il ne se passe plus un soir sans coup de main. Les Boches sont restés à 15 chez les Américains à leur dernier !! On a de bonnes nouvelles sur Soissons et Château Thierry. Ça va dans ce coin là et la ligne Paris-Châlons va remarcher d’ici peu. A quelque chose près, ce sont les mêmes lignes qu’en 1915. Les permissions ne vont pas fort vite. 10 Nous sommes relevés ce soir. Direction ?? probablement la Woëvre afin de retrouver notre division. Les Boches prennent la piquette* du côté d’Amiens. Je crois que ça va comme ça n’a jamais été. Les Américains sont un peu là, les noirs qui sont pour l’instant près de nous sont pleins de sang. Ils n’aiment guère les Anglais, mais les Boches pas du tout et espèrent la fin pour bientôt !! 11 Dès la nuit, nous sommes aux Bois-Bourrus. Nous y passons la journée et le soir nous allons au camp du Moulin-Brûlé près de Neuville. 12 Nous passons toute notre journée au camp. Nous avons de bonnes nouvelles de la guerre. Avons repris Montdidier, sommes aux portes de Chaulnes Lassigny et Roye?? Ca marche vraiment bien et le moral est bien plus élevé qu’en juin. Voyageons de nouveau pendant la nuit. Après Dugny, un train télescope notre convoi. Personne n’était à la garde de la barrière, une chance qu’il y ait eu que deux blessés car le caisson a fait une culbute !! Arrivons à Récourt le 13 au petit jour. 16 Passons quelques jours tranquilles, dans Récourt-le-Creux. Je pars en Perm le 16. Passons Epernay, Château-Thierry. Epernay assez amochée, Port-à-Binson, Dormans etc, etc. Très abîmés. Le long de la voie ferrée, on voit les abris qui furent les petits postes voilà un mois. Quelques tombes le long de la voie. D’ailleurs, nous n’allons pas vite car tous les signaux ne sont pas réparés.

HUITIEME CARNET Je rejoins le régiment par la ligne Château-Thierry/Epernay. Déjà les maisons se reconstruisent, la moisson est faite. La gare de Favresse est transformée. Au lieu des toiles d’il y a quinze jours maintenant des baraquements partout. 31 Arrivée de Sommedieue et de suite départ aux tranchées. Je rencontre Giroux, jardinier dans les cantonnements du secteur. SEPTEMBRE 1918 1er Nous sommes dans les bois, sur les Hauts de Meuse, près d’Haudiomont. De là, on voit toute la plaine de la Woëvre, les cheminées du bassin de Briey ne cessent de fumer. On voit même ces villes d’Etain, Briey, quelques-uns mêmes disent voir les clochers de Metz !! Joli panorama. 3 On voit des Américains peu ici, peu. Mais les quelques-uns qui sont là vont probablement nous relever. Ils enragent de voir cette belle plaine française encore aux ennemis, et je crois qu’il leur en faudrait peu pour y aller. Le moral est très bon. Il est vrai que les boches prennent la piquette du côté de Douai, Noyon etc, etc. un peu partout. Il est vrai qu’à l’arrière, à aucune permission, je n’avais vu les gens avec une telle idée de la guerre. Vivement la fin pourtant car voilà le cinquième hiver qui approche et dans ces pays de Meuse, il est plus hâtif que dans notre région banlieusarde !! 6 Nous sommes relevés par des Américains. Tous ont le moral très élevé, aimant le Français et haïssant le Boche. Nous en rencontrons pas mal pendant la nuit, et dès le petit jour, nous arrivons à Troyon. 7 Nous passons la journée à Troyon. Le soir, nous repartons aux tranchées, en avant de Lacroix-sur-Meuse. Nous sommes tous dans des bois. Quelques tirs indirects et les balles nous sifflent aux oreilles. Le secteur a l’air calme. Nous sommes près du village de Seuzey occupé par les boches. Toujours de bonnes nouvelles du

front, les voilà repartis sur la ligne de St Quentin et tout ce qui a été fait par eux depuis mars est détruit par nous. 10 Il fait un temps affreux, de l’eau en quantité. Pourtant, on parle de plus en plus du coup dur prochain. Dans cette boue, c’est la misère en perspective, à moins que ça marche bien ce que nous espérons tous. 11 D’après les derniers tuyaux, ce serait pour demain !! Nous ravitaillons dès le soir à la Cloche. Ordre de la troisième compagnie 11 septembre 1918 « Chers camarades, La compagnie sera demain à l’honneur, nous ferons partie de la grande et glorieuse bataille, celle qui nous conduit à la victoire. Nous continuerons les succès commencés et nous assurerons au régiment une nouvelle page de gloire. Fier d’être à votre tête et de vous commander. Je sais ce que vous avez toujours fait et ce que vous ferez. J’ai confiance en vous comme vous avez confiance en moi. Vengeons nos chers camarades qui sont tombés au champ d’honneur au Sénécat et à Dommiers et de tout cœur travaillons ensemble à foncer hors de notre belle France le Boche qui agonise. Courage et en avant. Vive La France, Vive la troisième Compagnie ! Que Dieu vous protège et bonne chance à tous » Signé Pilot, Lieutenant Commandant la troisième Compagnie 12 Dès 1 heure du matin, pendant notre retour à Woimbey les pièces tirent. Nous ravitaillons le soir près de Seuzey. Là, nous avons des tuyaux sur l’attaque. Bien menée sans trop de casse, à la compagnie : 1 tué et 8 blessés et nous voici à la deuxième ligne boche. Devant nous, il y avait des Hongrois, et nous avons pas mal de prisonniers. 13 Dès le matin, en route après avoir déblayé les fils de fer qui étaient sur la route et bouché les tranchées de Seuzey faites avec des pierres du village. Nous passons Deuxnouds, brûlé dans la nuit et arrivons à la nuit vers Vigneulles-lès-Hattonchâtel, dont la

plupart des maisons brûlent encore. Les Boches se sont débinés en vitesse. 14 La première section de chez nous va à Woël où elle reprend le contact avec les Boches mais enlève le village quoique 20 contre 1 bataillon et demi, il y a encore pas mal de civils. 15 Nous allons à Viéville-sur-les-Côtes. Nous habitons des baraquements dans un camp boche bien compris et qu’ils n’ont pas eu le temps de brûler. Dans Viéville existait une coopérative boche, aussi nous nous approvisionnons. 15 septembre 1918 « Chers amis, vous avez tous répondu à l’appel que je vous avais adressé le 11 au soir. Vous avez été magnifiques, votre entrain et votre courage ont fait l’admiration de tous ceux qui vous ont vu partir. Je vous remercie de tout cœur de l’effort que vous avez donné. J’étais fier de vous commander, j’étais fier d’être à votre tête. Vous avez peiné, vous vous êtes donné du mal pour me montrer votre confiance et votre sympathie. Merci. Je ne vous oublierai pas. D’autres efforts nous seront demandés, je suis sûr que vous ne faiblirez pas à votre belle tâche et bientôt le Boche sera réduit à merci. Une de nos sections, la première, s’est trouvée dans une situation délicate, et sous les ordres du sous lieutenant Prudhomme, ils se sont couverts de gloire. Je le savais. Celle-là comme les autres, vous auriez fait tous pareil. Vous serez récompensés comme vous le méritez et je vous promets de faire ce que je pourrais en votre faveur. Courage, jusqu’au bout, jusqu’à la victoire finale. Vive la France et la belle et splendide troisième compagnie. Je pouvais compter sur elle, sur l’énergie de vos chefs. Section, sur la bravoure de tous ceux qui l’ont secondée dans leur lourde mission. » Signé Pillot, Lieutenant Commandant la troisième compagnie.

17 Les civils doivent aller à l’arrière. Ici, nous n’avons aucune nouvelle. Nous comptons avec les Américains et nous ne savons rien que les boches en face de nous sont dans leur ligne de résistance. On boit du vieux vin de Côte de Meuse. Car les civils partent à l’arrière et ils avaient caché ces bouteilles dans leur jardin quoique n’ayant rien récolté depuis trois ans. Leurs vignes sont à peu près fichues. D’où nous sommes, nous apercevons le clocher de Metz avec une vue sur la Woëvre épatante. Les Boches se sont sauvés assez vite car ils ont laissé pas mal de matériels assez bons. 20 Nous sommes complètement installés dans les baraquements Boches. Leurs cabanes sont froides mais dans toutes il y a un poêle. Les Américains font déjà marcher les trains Decauville sur les voies de 60. La plupart des civils sont évacués sur l’intérieur et on recommence la guerre de tranchée en attendant mieux. La nuit, les Boches bombardent. 26 Bombardement de partout. Cette nuit, le 5ème cuirassier en ligne fait une trentaine de prisonniers. 27 Les Boches ont fait un coup de main et laissé 85 poilus chez nous. 28 De bonnes nouvelles de partout, la Bulgarie demande la paix. Ca avance en Maudoin Palestine, Nord de Verdun, Chemin des Dames vers Cambrai. 29 Nous montons en ligne ce soir à Woël. De l’eau, un sale temps. Les Boches envoient quelques obus. 30 Sommes à Woël, le village n’est pas trop abîmé quoique les obus tombent assez dru depuis 8 jours. Les inscriptions Boches sont effacées et il ne reste plus de leur passage que des baraquements de prisonniers et des salles de récréation. Plus aucun civil. Mauvais temps, assez dur pour les trous individuels. Hier soir les Boches ont envoyé des gaz. Aujourd’hui, quelques obus dans le village surtout autour du clocher qui, quoique peu élevé, domine toute la Woëvre. Toujours de bonnes nouvelles dans les journaux, la Somme complètement libérée, les Ardennes

entamées. Nous avons toujours devant nous des Hongrois. Avanthier l’un d’eux s’est rendu, ayant eu les oreilles tirées par son officier !! Pour se battre, moins courageux que les Boches. Nous avons retrouvé ici les paillasses en papier, la toile doit faire défaut par là-bas. Metz prend quelque chose avec les avions. OCTOBRE 1918 1 Les Boches bombardent de minuit à 5 heures. Calme dans la journée. 2 Le 3ème bataillon fait un coup de main. On reste dans nos caves au petit jour. Le temps redevient beau. Les saucisses boches nous voient. Bonne nouvelle. L’Armistice signé avec la Bulgarie. Prise de Saint Quentin. 5 Journée calme, la nuit a été assez dure, un bombardement soigné. 6 Nuit à peu près tranquille, un obus est tombé à la porte de notre cagna. Les boches demandent la paix !! 7 Sommes relevés ce soir et ne regrettons pas le patelin si sonné de Woël. 10 Les boches demandent l’Armistice. De bonnes nouvelles de partout. Cambrai, Saint Quentin sont pris. Ici ça va. Les boches bombardent les premières lignes à l’Ypérite*. Nous habitons leurs baraques pleines de puces dans la forêt des Cotes. Le moral est bon. 13 Vouziers est pris, les boches sont mal partis. Aurions-nous la paix ?? Nous n’osons pas y croire. Mais nous nous réjouissons des bonnes nouvelles de partout. A l’intérieur, beaucoup de grippe espagnole, sale maladie, espérons qu’elle finira vite, on parle de Laon presque atteinte !! Les boches sont vraiment foutus !!! 14 Laon est pris. 17 Nous déménageons, et allons où ?? De bonnes nouvelles des Flandres, il fait pourtant un temps abominable. De l’eau, et il ne doit pas manquer de boue en Belgique.

18 Nous avons marché toute la nuit, traversant les anciennes lignes boches et françaises, et plusieurs patelins bien démolis. Lavignéville, Spada, Dompcevrin etc… dont aucune maison n’est intacte et nous sommes arrivés dans des baraquements assez moches près de la ferme Louvent. L’étape était très dure. Partis à minuit, nous ne sommes arrivés qu’à 9 heures. Je ne sais pas ce que nous allons faire. Verdun ou Nancy ? Ou bien allons nous quitter les Américains, aller en Flandre car là-bas ça marche. Lille, Douai, Ostende sont pris !! Un joli communiqué, les boches vont peut-être accepter la paix ! 20 J’apprends par dépêche la mort de Maurice à Angoulême des suites de la mauvaise grippe. Impossible d’obtenir une permission, un beau-frère, ça ne compte pas chez les militaires !! 23 Pas de grandes nouvelles de chez moi. De l’intérieur, tous les journaux réclament des médicaments contre la grippe qui fait de grand ravage. Valenciennes est pris. 25 Partons dès ce matin, traversons St-Mihiel et Sampigny, arrivons à Lérouville. Bon cantonnement, vais à Pont-Su- Meuse voir Henri Sevestres qui est major du cantonnement. 27 Partons dans l’après-midi en camion, arrivons à 2 heures du matin à Somme-Yèvre, pays propre et beau temps. 30 La roulotte est arrivée par la route. Mes cuistots ont rencontré Léon mais pour une fois que je vais à la colonne, ce n’est pas de chance. Mauvaise nouvelle de l’intérieur, grippe partout. Perds deux bons camarades et mon oncle Petit. 31 Partons dans l’après-midi pour Hans. Arrivons à la nuit. NOVEMBRE 1918 1er Partons dès le petit jour pour Wargemoulin. Y passons la journée. Le soir partons pour Gratreuil passons par Ville sur Tourbe, Fontaine en Dormois dont il ne reste rien du tout. C’est la désolation, presque comme Verdun. 3 La Turquie a plaqué la guerre, sans condition. On lui pose les nôtres, assez dures et acceptées.

3 Je vois plus de 200 avions en l’air et ensemble assez joli. 6 L’Autriche accepte toutes nos conditions et flanche. Il n’y a plus que les Boches. Partons du camp de Gratreuil, traversons des anciens pays dont il ne reste rien !!! Arrivons dans le parc du château de Bermont. C’est de là que les Boches ne voulaient pas décoller et 200 avions en dix minutes les expédièrent dans un monde meilleur. 7 Partons vers Juniville. Traversons des pays complètement brûlés sauf Ville Sur Retourne où je vois pour la première fois des civils ardennais restés chez eux. Arrivons à Juniville, complètement brûlé. Il ne reste rien. Les Boches ont mis le feu dans toutes les maisons. Et dernièrement car l’on sent encore l’odeur de l’eau tombée sur la suie et le bois brûlé. Quelques boches habitent le village et arrangent les routes, ils sont minables. A la nuit, part de partout un feu d’artifice. Les poilus ont découvert des dépôts de fusées boches qui fêtent l’arrivée des parlementaires boches ! Vivement la fin. 8 Traversons l’Aisne où les boches ont fait sauter les ponts. Du beau travail, oh les salauds !!Arrivons à Amagne-Lucquy. Quelques mines sautent encore dans toutes les directions, et les ponts, routes ou maisons s’envolent en cendre. Pourtant la fatigue est forte et nous couchons quand même dans le village. Hier Vervins a été pris. Aujourd’hui, pas de nouvelles. 9 Partons d’Amagne-Lucquy dès l’après-midi. Longeons la voie ferrée coupée tous les 10 mètres, les arbres fruitiers sont sciés par place sur les bords des routes et dans les jardins. Arrivons de nuit à Mazerny. 10 Village occupé par de nombreux civils. Le pays n’a pas souffert du bombardement. Les gens sont heureux de nous revoir et nous reçoivent bien. On entend le canon vers Mézières et Sedan. Aujourd’hui dimanche, c’est une vraie fête. C’est le premier dimanche passé dans le village avec des troupes françaises et la population nous reçoit très bien. Le matin, le curé, dans un sermon, explique ses malheurs car il y a encore des jeunes

filles du village emmenées chez les Boches soi-disant pour soigner les bestiaux, sans compter les hommes et les jeunes gens. L’après-midi, musique militaire et présentation de l’étendard à la population civile. Les jeunes filles remettent à notre colonel un bouquet. On se souviendra souvent de ce dimanche au village de Mazerny. Partons le soir et arrivons à la nuit aux Ayvelles, village situé à 4 kilomètres sud de Mézières. 11 (1562ème jour de la guerre) Le canon tonne encore par intervalle. Dès le petit jour, on sait que l’Armistice est signé et que les hostilités cessent à 11h. Dans l’après-midi, on se rend sur la voie ferrée où sont encore de nombreux wagons boches pleins de matériels, où l’on prend farine et avoine et où les civils restés nombreux dans le village se montent en ustensile de ménage. De l’autre côté de la Meuse, sont les Boches. On en voit une cinquantaine essayant de causer car le pont est détruit. Mais de notre part ce ne sont qu’injure car les civils sont avec nous et vident leur cœur plein d’amertume. Nous restons ici le 12, on ne peut pas s’habituer à ce que la guerre soit finie !! 14 Toujours aux Ayvelles. J’en profite pour aller à Mézières. La ville a souffert des bombardements du 10 au 11. La dernière nuit, l’hôpital est brûlé et tous les ponts de la Meuse ont sauté. La ville ouvrière est encombrée de soldats travaillant sur les places pour refaire les ponts. Les jeunes gens emmenés par les Boches en colonne de travailleurs reviennent dans leur ville. Les femmes du pays qui fréquentaient les soldats ou officiers boches, mouchardant et espionnant les autres civils, ont les cheveux coupés. Une même avec un couteau. C’était la femme d’un officier français autrefois en garnison à Mézières !! Et traînée à la caserne par les gosses de 16 ans car ce sont de vrais gosses. Dire ce que les civils de ces pays-ci ont souffert est inimaginable ! Les boches pourront payer, ils n’arriveront jamais à combler la note. 16 Partons pour la Bochie*. Sommes à Etion au-dessus de Charleville, il fait très froid. Passons la Meuse à Nouzon devant de l’ex-château du Kronprinz de Belair. Arrivons en Belgique.

Sommes reçus au son de la Brabançonme et de la Marseillaise. Partons de bonne heure demain. Les gens sont fous de joie, ils se plaignent amèrement des Boches. Quoique ayant eu un régime particulier qui leur faisait payer un impôt de guerre aux Boches mais leur laissant tous leurs bétails et leurs récoltes. 18 Traversons la magnifique vallée de la Semoy et arrivons et à Carlsbourg, village où se trouve une école de jésuites, maîtres du village. Il est resté un officier boche et 15 hommes pour passer la consigne de 500 mitrailleuses d’après les clauses de l’Armistice. Les gens se plaignent moins des boches que dans le Nord de la France où les civils étaient vraiment maltraités. Les prix des marchandises furent très élevés ainsi une vache fut vendue 7000 marks et une paire de chaussure valait 350 frs ! 19 20 Passons deux jours de repos à Carlsbourg. Les Boches ayant passé la consigne de leur mitrailleuse s’en vont le 20- escorte21 Et là arrivons à Libin, sommes reçus comme des libérateurs, on ne regrette pas les boches à Villance à deux kilomètres. Un dépôt de casques boches, on a garni le mur de l’Eglise. La réception est chaleureuse. On nous vend la volaille mais autant dire qu’on nous la donne. Restons le 23 à Villance après une fausse alerte. Nous apprenons qu’à Paris ce fut excessivement fêté. 23 Bonne étape. Traversons Saint-Hubert et la belle forêt de sapins. Arrivons à Ramont près de Tenneville 24 Partons de bon matin et arrivons à Bamonprè où nous sommes vraiment bien reçus. 25 Partons de très bonne heure, traversons Houffalize où toutes les maisons ne sont que décorations et sapins, arc de triomphe…Traversons Tavigny, puis nous voilà dans le Grandduché. On y cause plus le français. A Asselborn, accueil assez froid 26 Passons Troisvierges, village plein de drapeaux luxembourgeois. Bonne étape sur de très mauvaises routes. Arrivons à Weiswampach. Accueil chaleureux, village très décoré et pourtant on cause boche et nous ne sommes plus qu’à deux

kilomètres de l’Allemagne. Je crois que l’on a dû faire la leçon aux habitants. Les Boches ont dû médire de nous. Aussi, nous faisons peur et la plupart des gens, surtout dans les petits villages, se cachent à notre arrivée. Après à l’argent, on leur annonce que le mark vaut 0,65 au lieu de 1,25 et alors c’est le conciliabule dans leur jargon. On leur montre une cartouche contre tank ! Alors elle fait le tour de la salle et contemplée par tous. Nous passons pour vraiment forts, avoir battu les boches qui dominaient tous ces peuples ! Nous voilà près de la Bochie. Peu de prisonniers ont été faits. Sur le long des routes, les boches ont laissé un grand nombre de matériel et de chevaux. On ne rencontre plus de prisonniers alliés rentrant en France. DECEMBRE 1918 5 Toujours à Weiswampach, nous devions partir en Prusse Rhénanie dès le 1er -Xère mais les Américains et les Anglais nous ont devancés, et embouteillent, paraît-il, les routes de l’Allemagne. Plusieurs tuyaux courent. On doit être démontés et aller à Versailles puis on doit aller quand-même en Allemagne puis revenir en France arranger les routes. Enfin, on ne sait pas alors de l’armée Italienne on se retrouve rattacher à une armée Française, de là aux Américains, puis de nouveau aux Français, enfin on ne sait pas. Nous commençons à être du pays, les civils reprennent leurs travaux des champs conduisant des vaches en place des chevaux, comme bêtes de trait. Les civils commencent aussi à s’habituer à nous, leurs mines sont moins rébarbatives. D’ailleurs pour avoir des soldats de tous temps, ils préfèrent ne pas changer et conserver les mêmes. Les permissions reprennent pour 20 jours, ça ne va pas vite au gré de tous car pour y aller en quatre mois, il faudra faire vite. Nous commençons à revoir les journaux, j’ai eu le plaisir de voir Pierre venir me trouver ici en pleine nuit. 9 Toujours beaucoup de brouillard, nous devons partir et nous restons.

10 Nous partons définitivement pour le Rhin avant de passer la frontière, petit speech. Traversons une bien jolie région mais pas riche. Cantonnons à GrossKampenberg. Dans la maison, dix gosses, l’aîné a douze ans. En voilà encore qui préparent l’aprèsguerre. Nous allons faire un tour à la mairie où sont les deux otages qui répondent de la tranquillité des habitants. On leur fait décrocher et mettre au feu les images de Guillaume II et de Bismark. Pour eux, c’est risible !! Ils ont tous des âmes plates de valets, acceptent tout sans sourciller. 11 Partons pour Bleialf. Le pays qui est l’Eifel* est toujours bien joli. A Bleialf, les hommes réunis à la mairie sont renvoyés par le Lieutenant Colonel après avertissement, sauf les otages que nous conservons à la mairie dans tous les villages. Les gens sont aussi plats que partout dans ce pays. Les gens se mettent en quatre pour nous, nous donnent leur lit pour coucher dans la paille, cirent nos chaussures tous les matins. Pourtant, il fait mauvais et nous avons beaucoup de boue. Ah, pour ceux des pays envahis de France, c’est une belle vengeance, tous doivent saluer nos officiers et notre étendard et il y a déjà des chapeaux de feutre à poil qui ont fait connaissance avec la boue. 12 Bien vilain temps, nous arrivons à Waxweiler pays qui doit être assez riche. En arrivant, les hommes de la ville réunis tête nue devant la mairie reçoivent les ordres qu’ils doivent exécuter pendant notre séjour. Ici, les habitants sont très chauvins et ventent que plus dur pour eux. Déjà quelques Américains sont dans le village pour la police et empêcher le pillage. Mais ces policemen n’ont pas eu de mal comme nous en avons eu dans nos provinces. C’est dur d’être vaincus, mais il faut leur faire voir qu’ils sont battus et pour longtemps. Sans quoi, ils pourraient croire que nous sommes faibles et que nous doutons de notre force. « Souvenons-nous » écrivait-on il y a deux ans sur toutes les cartes postales représentant des villages envahis. Et bien, il faut se souvenir et venger toutes les personnes qui ont souffert.

D’ailleurs les soldats français sont choisis pour ce travail et quatre ans de guerre ne nous ont pas rendus tendres. 13 Nous partons de Waxweiler par une route très montagneuse. Joli pays mais bien mauvais temps. Traversons Bitburg, mauvaise impression, les Américains d’occupation, la plupart Boches de famille ou de descendance, font cause commune avec la population. Nous arrivons tard à Mötsch, petit village assez gentil, sommes reçus, après attente. 14 Les Américains font leurs excuses à cause de l’incident de Bitburg. Nous arrivons à Welschbillig. Deux tours d’un vieux château fort ont du voir les français voilà plus de cent ans. Demain nous allons près de Trèves (Trier) où enfin, nous aurons repos. 15 Arrivons de bonne heure à Ehrang à six kilomètres de Trèves, petite ville gentille. A la sortie de la messe, on voit les nouveaux libérés de l’armée allemande. Un type de la mairie a encore son casque à pointe. 16 Restons à Ehrang toute la journée. Les Américains sont toujours trop bien avec la population. Défendant aux civils de saluer même les officiers et l’étendard. Hier, malgré cela, pas mal de Boches durent mettre chapeau bas. Nous touchons des marks, la valeur du mark est à 0,70. C’est une belle baisse pour la banque boche. 17 Traversons la Moselle et une belle vue sur les coteaux de vignobles assez renommés. Petite étape, sommes chez de bien braves gens. 18 Partons par un pays très accidenté où les voitures ne nous suivent pas. Nous avons un temps abominable. Les routes sont très abîmées par les autos. Nous cantonnons dans un petit village, tout au haut d’une crête où souffle un vent plein de neige près de Morbach. 19 Partons de bonne heure, nous recevons de la neige pendant toute l’étape. La route que Napoléon avait prise allant en Russie et qui s’appelle la Voie Napoléonienne est bien saccagée. Arrivons dans un pays plein de bois de sapins. Cantonnons à Hirschfeld.

Nos voitures ne sont pas encore arrivées. Nous allons toucher le ravitaillement à Oberkleinich. Passons la nuit à Hirchfeld. N’ayant pas de pain, nous avons fait la réquisition et en une demi-heure de temps à la mairie, trois cent kilos de pain étaient réunis. A part ça, les boches crevaient de faim ?? Dans ces villages, ils n’ont manqué de rien. 20 Partons de bon matin d’Oberkleinich, traversons un pays de bois de sapins, sans trop de côtes mais nous avons eu de la neige depuis trois jours et les chemins sont bien mauvais. 21 Repos, restons à Rödelhausen. Sommes chez l’instituteur qui joue du piano pour nous faire plaisir. C’est le vrai boche, plat et craintif. Le temps s’est remis au beau mais il tombe encore de la neige pendant que le soleil donne. Encore deux étapes pour Coblence. 22 Une petite étape. Pourtant, notre commandant nous trompe et nous faisons six kilomètres de trop. Beau temps. Dans la soirée de la neige. Avons passé à Kastellaun où sont de vieilles ruines d’un burg. Nous partons demain matin pour le Rhin que nous devons descendre de Boppard à Weiler. 23 Bonne étape, nous arrivons au Rhin !!Que c’est joli, dès le haut des crêtes lorsqu’on voit le fleuve, la musique se met à jouer et vraiment c’est bien joli. Dommage que le temps ne soit pas propice. Malgré cela, dans les éclaircies, nous voyons les coteaux de la rive droite pleins de vigne, de rochers, quelques vieux burgs. Nous passons Boppard et remontons le Rhin jusqu’à Salzig. Là, nous montons sur les crêtes de la rive gauche où nous trouvons Weiler. Nous y buvons du vin du Rhin. Quelle joie pour nous d’être venus jusqu’ici. On ne peut être plus heureux pour un français d’arriver au Rhin dans une semblable occasion. On parle de dislocation. Ma foi, maintenant c’est la démobilisation et nous retournerons chez nous avec plaisir. 25 Nous passons le Noël à Weiler. Le réveillon avec les civils boches. Les jeunes filles chantent des cantiques en montant leur arbre de Noël, pendant que nous jouons aux cartes. Pour aller à la

messe de minuit, nous avons la neige qui tombe assez drue. Dès le matin, la neige sur les vignes et les rochers du Rhin fait un effet assez joli. Nous aurons de la neige toute la journée. 26 Sommes restés ces deux jours à Weiler à jouer avec les gosses au « schlittelbahn », sorte de luge assez drôle. Les gosses de par ici habitués à l’hiver, sont exercés à ce sport amusant. Nous partons demain par le bateau jusqu’à trente kilomètres sud de Mayence. Il ne fera pas chaud. Puis ensuite, la permission. 27 Contre-ordre dans la nuit, nous ne partons pas. Nous allons refaire de la luge avec tous ces gosses boches, les filles avec leurs doubles nattes sont aussi enragées que les garçons. De temps en temps, elles prêtent leurs traîneaux aux soldats français - ne se souvenant pas que peut-être leurs pères ou leurs frères étaient un ennemi détesté voilà deux mois. Maintenant c’est le petit régime, ces gens-là s’habituent à nous. Tout d’abord, on leur avait dit que les Français étaient des bandits et nous passons nos soirées ensemble à chanter ou à leur apprendre le français. Ils veulent bien devenir français, mais nous ne voulons pas d’eux. Sachant trop par l’exemple de l’Alsace ce qu’est le régime d’un peuple non habitué aux exigences d’une nouvelle patrie et forcés au régime par des vexations. Une seule chose les effraye, c’est la note à payer. Ah certes, quand les gosses qui jouent avec nous en criant « Achtung !! » sauront qu’ils ont une existante perdue par leurs seigneurs de la guerre empereurs et hobereaux* et qu’il leur faut trimer dur toute leur vie pour payer les fautes de ces gens-là. Alors peut-être, ces seigneurs n’auront plus droit à la place d’honneur dans la maison car dans chaque maison, au milieu des photos de la famille se trouve toujours l’empereur et sa famille. On enlève cette photo dans la pièce où nous restons continuellement mais elle est rangée, prête à être remise aussitôt notre départ. 28 Restons à Saint Goar n’ayant pas de bateau pour nous embarquer. Joli pays, au milieu des légendes du Rhin, le burg de Rheinfels a un drapeau français. Que de drapeaux les boches

auraient mis s’ils avaient été vainqueurs, des mats devant toutes les maisons. Dans la soirée, la vue sur Saint Goarhausen est vraiment jolie. 29 Nous embarquons dès le matin sur le Stolzenfels. Une traversée épatante. Montant le Rhin jusqu’à Mayence, il fait un temps splendide pour l’hiver et nous profitons comme les voyageurs d’été de la vue et de la beauté des bords du Rhin. A Mayence, nous abordons pour prendre notre musique. Puis nous repartons vers Oppenheim, où nous devions aller. Le Rhin est en crue depuis Russelsheim, les rives sont moins jolies, beaucoup de vignobles. Nous descendons à Nierstein, et cantonnons à Nackenheim. Nous faisons dans Nackenheim de l’occupation d’une façon pacifique. Les gens, il est vrai, donnent tout ce qu’ils peuvent, et font leur possible pour nous rendre service. Nous goûtons encore par ici les bons vins du Rhin, le Riesling est un des crus de par ici. Nous partons en permission de Nackenheim. D’ailleurs, nous ne savons pas combien de temps nous serons pour arriver en France. Nous descendons par Worms, Ludwighafen, Strasbourg, Nancy, voyage de trois jours complets.

DERNIER CARNET JANVIER 1919 28 Après un retour par Metz, je retrouve ma compagnie à Mayence en garnison à « Elisabeth Kasern ». Tous se plaignent de la vie de caserne et regrettent la gentille ville de Nackenheim. Beaucoup de garde soit en ville soit à la gare. Les gens sont sympathiques mais par force. Nous prenons nos repas chez un …. qui trouva le moyen de nous faire signer son livre de maison où chaque personne hébergée doit mettre une notice. Ce brave homme a deux fils dont l’aîné est passé de l’autre côté du Rhin par peur des français. Dans les cafés, on ne voit que des soldats français, beaucoup de femmes, trop même. On joue partout les airs français. L’orchestre entame la Madelon que toutes fredonnent au refrain. On danse dans les petits cafés. Les officiers, dans certaines maisons de thé, ne s’ennuient guère non plus. Lorsque l’on va à la coopérative et que des meules de gruyère sortent de la maison, tous ces Boches ouvrent des yeux d’envie. La ville est propre. Les bords du Rhin toujours jolis. Les ponts sur le fleuve, la promenade, tout doit faire un joli jardin d’été. Nous quittons Mayence pour Dexheim par bateau car nos régiments doivent être dissous. Pendant le séjour à Mayence, notre seconde citation est sortie et nous avons la fourragère. Quant à moi, j’ai également un rappel. Deux jours en perspective à ma prochaine permission. FEVRIER 1919 1er Il fait très froid. Nous arrivons à Dexheim, pays de vignobles où nous sommes vraiment bien reçus. Tous les soirs, nous faisons du Schlittelbahn, glissade sur la neige avec des traîneaux. Les gens du pays nous laissent volontiers leurs traîneaux et même nous accompagnent. Pour la première fois, je vois un traîneau attelé. De temps en temps, nous allons à Mayence faire nos courses et nous allons à Nackenheim renouer nos

connaissances avec les premières personnes chez qui nous étions il y a un mois. Le pays est magnifique quoique sous la neige. Malheureusement, la grippe sévit encore terriblement et nous laisserons des camarades dans cette terre allemande. La dissolution du régiment est décidée, notre amitié de cinq années avec certains camarades va se trouver rompue car pour la plupart nous ne nous reverrons pas. Jusqu’à la classe 1906, tous partent à Rambouillet, les jeunes partiront dans le Nord de la France et en Belgique. De la 3ème compagnie, nous sommes tous réservés à la 6ème compagnie. Nous passons ces derniers jours très tranquillement. A la popote, il en manque. Beaucoup sont grippés et parfois nous ne sommes que trois. Pourtant, Mention nous est revenu. Un jour, nous avons invité deux personnes de Mayence qui viennent chercher leurs vivres à la campagne car les villes sont vraiment malheureuses. Le 8, nous partons dans deux directions, les uns vers Oppenheim, car les veinards retournent en France. Nous allons à Nackenheim, notre premier séjour près de Mayence. Je loge chez le père « Sans VII », car dans ce pays, il y a de nombreux « Sans » et au lieu de prendre les prénoms, on prend un chiffre que l’on ajoute à chacun. Très bien reçu comme la première fois. Tous les jours, le patron offre le Riesling. Il est vrai qu’il a quatre filles à marier, Anna, Eva, Lina, Franciska, et serait heureux de voir un français devenir son gendre. Moi, je me laisse soigner et n’ai point d’autre ambition. Je comprends à peu près et surtout je me fais comprendre. Nous dansons avec toutes ces boches les jeudis et dimanches et pour danser, les jeunes filles viennent de Bodenheim et des autres villages environnants car il n’est plus défendu de se promener après dix heures du soir. Certes, Aubré était plus sévère mais

maintenant nos officiers viennent eux-mêmes ouvrir le bal. Deux genres d’occupation, l’un sévère, l’autre peut-être trop bon. Nous quittons ce pays en laissant des regrets !! Oh combien, et nous prenons le chemin d’Oppenheim. Dans des wagons à bestiaux, par un froid de –15°, nous partons pour Dunkerque. Je fais l’approvisionnement et je voyage dans un grand wagon avec deux sous-officiers. Nous voyageons de concert avec le Rhin, car jusqu’à Aix-la-Chapelle nous sommes sur la rive gauche. En passant par Nackenheim, des mouchoirs s’agitent. Nous gardons la porte du côté du Rhin ouverte afin de jouir encore une fois des beautés de notre voyage. A Bingen, les gens très nombreux patinent sur la Lahn, car la glace est épaisse. Même le Rhin par place est pris sur ses rives et le fleuve charrie de jolis morceaux de glace. Repassons Bacharach, Saint Goar et les jolis châteaux, les roches déjà vues, la Lorelei, etc, etc. Arrivons à Coblence, passons sur la Moselle mais la nuit vient et nous n’avons pas la chance d’être éveillés pour voir Aachen ou plutôt Aix-La-Chapelle car on cause français. Nous nous réveillons à la frontière belge. Là, nous nous débarrassons de nos derniers pfennigs qui devaient nous servir pour avoir quelques cartes en chemin. Passons Liège, Louvain, arrivons à Bruxelles à 8 heures du soir. Passons la nuit dans nos wagons et le lendemain matin, n’étant pas encore partis, nous allons faire un tour dans la capitale belge. Jolie ville. Comme nous n’avons que peu de temps, nous passons les boulevards Anspach, Adolphe Max, la Place Royale et le Manneken-Pis qu’aucun français n’a pas vu s’il est allé à Bruxelles. Nous restons toute la journée en gare de Schaerbeek. Aussi à 6 heures du soir quand nous démarrons, il manque 150 poilus qui nous rejoindront à Dunkerque.

14 Nous arrivons à Dunkerque, cantonnons à Rosendaël. Mauvaise saison pour les bains de mer et la plage de Malo nous voit peu souvent. Dunkerque a plus souvent notre visite, surtout que les tramways sont vraiment commodes. Puis nos cinq compagnies doivent se disséminer, l’une à Dunkerque, l’autre soit à Lille ou en Belgique. MARS 1919 Pour nous, échoue le sort de la Belgique. En pleine Flandre, à Rumbeke à quatre kilomètres de Roulers. La ville a été à peu près détruite par les Boches, le clocher sauté à la mine. Les gens ne nous voient pas d’un bon œil, ville très religieuse, et pour eux ne pas aller à la messe tous les jours, et au moins à trois offices le dimanche, c’est une faute envers Dieu !! Les Boches pour se faire bien voir le faisaient paraît-il. Nous, ce n’est pas notre goût. Nous allons à la messe quand bon nous semble. Pourtant Rumbeke est ainsi. Roulers, Ingelmunster etc sont plus vivantes, et peut-être trop. Le 16, je vais me promener à Bruxelles et le 25 mars je vais faire des achats à Dunkerque en auto. Nous sommes passés à Dixmude, Staden, Westrozebeke. Terrible pays dans ce coin là et l’on danse à Roulers ! Les poilus se plaignent qu’après avoir fait la guerre comme fantassins, on les force à soigner maintenant jusqu’à dix chevaux pour un poilu, c’est un peu exagéré ! AVRIL 1919 Nous partons de Belgique pour Aire-sur-la-Lys, cantonnons à Poperinge après être passés à Langemark et Poelkapelle. Depuis notre cantonnement de 1914, les villes sont anéanties et il est impossible de les reconnaître, seul l’emplacement de la gare de Langemark est reconnaissable par les carcasses de plusieurs

wagons qui ont brûlé là. Après anéanti !! puis repassons nos anciens pays de novembre 14, Elverdinge et Poperinge… Enfin un dimanche le 6, nous déménageons pour la France et arrivons à Aire-sur-la-Lys. Bientôt en permission qui j’espère sera la dernière. A Aire-sur-la-Lys, nous sommes assez bien avec les Anglais et peut-être de là, nous serons démobilisés. Tous les jours nous allons à Saint Omer. FIN

GLOSSAIRE Active : A l'époque de 14-18, il y a encore 3 types d'armée: L'armée d'Active (professionnels), l'armée de Réserve (civils jusqu’à 36 ans) et l'armée Territoriale (civils après 36 ans). Apache : les Apaches (ou Gang des Apaches, Apaches Gang) sont un gang parisien composé de jeunes membres du début du XXème siècle. Battre les champs, battre la campagne : divaguer, s’éloigner du sujet. Biffin : fantassin, soldat d'infanterie. Bivouac : station de troupes dans un campement en plein air ou le Campement lui-même. Bochie : Allemagne. Boyaux : tranchées enterrées ou chemins très étroits. C.A. : Corps d’Armée. Cabot d’ordinaire : caporal de service s’occupant des cuisines et du ravitaillement. Cagna : abri dans une tranchée (argot militaire). Canotage : Promenade en canot, sport du canot. Chemin des Dames : lieu de promenade des filles du roi Louis XV, il s’agit d’une route d’environ trente kilomètres de long entre les rivières Aisne et Ailette.

Chevaux de frise : type de barrière utilisée depuis le Moyen-Age formée de poutres assemblées en croix. C.I.D. : collège interarmées de défense. Coucou / Aller en coucou : dans le langage familier, se dit de Petites voitures à quatre ou six places, qui parcourent les environs de Paris. Coup de main : opération militaire menée par surprise. Crapouillot : petit mortier utilisé dans les tranchées. Creute : cavités souterraines des plateaux calcaires du Soissonnais et du Laonnois. Avec la Première Guerre mondiale, par vulgarisation du mot, toutes les grottes et carrières ont été indifféremment baptisées « creutes ». Cuistance : Terme désignant la cuisine (préparation culinaire). D.C.P. : Division de Cavalerie à Pied. Décauville : de son inventeur Paul Decauville (1846-1922), type de voie de chemin de fer de faible écartement (40 à 60 cm) formée d'éléments entièrement métalliques qui peuvent se démonter et transporter facilement. Digue-digue / Etre en digue-digue : se trouver mal, s'évanouir, être assommé, choqué, être en état de malaise, de folie, d’ébriété. Drachen : ballon captif de forme allongée et équipé d’un empennage, qui était utilisé pendant la Première Guerre mondiale

pour l'observation. L'équivalent français est le mot « saucisse », bien que le mot allemand ait aussi été utilisé par les poilus. Eifel : région de collines en Allemagne occidentale, au sud de Cologne, et à l'est des cantons de l'est de la Belgique. Estaminet : Salle de café où l’on peut fumer en même temps que boire. Venant du wallon estaminé servant à désigner une salle munie de poteaux de soutènement caractéristique des salles de cafés et bars de Wallonnie. Etre un peu là : être bien présent (ironique). Fourragère : cordon porté sur l'épaule gauche, constituant une distinction conférée à certains corps de l'armée. Fourrageur : Celui qui allait sur le terrain ennemi pour enlever le fourrage. Cavalier d'un peloton qui combattait en ordre dispersé. Goumier : soldat d'un goum, troupe recrutée par la France parmi les peuples maghrébins à l'époque colonialiste. Gotha : famille de bombardiers biplans allemands durant la Première Guerre mondiale. Hébert : méthode d'entraînement du corps créé par Georges Hébert dit Hébertisme (marche, course, saut, grimper, lever, quadrupédie, lancer, équilibre, défense, natation). Hobereau : (Péjoratif) petit gentilhomme campagnard. Intéressant / Etre dans un état intéressant : être enceinte.

Kimberlot : cambrésien (de Cambrai). Kronprinz : Guillaume de Hohenzollern, Prince héritier de l'empire d'Allemagne. Commandant des hussards de la mort pendant la 1ère GM. Kummel : alcool au cumin. Mercanti : en Afrique du Nord, marchand de bazar. Usage familier : péjorativement commerçant malhonnête. Molletière : bande de toile qui couvre le mollet. Morve : maladie des chevaux et des ânes. Pays, payse : personne du même village que quelqu’un d'autre. P.C. : Poste de Commandement. Pièce : canon. Piquette/ Prendre la piquette : recevoir des reproches, des coups ; être réprimandé ; subir un châtiment, une remontrance. Pithécanthrope : homme fossile, archanthropien aux traits proches de ceux des grands singes anthropoïdes actuels. Rabiot : dans le langage militaire, excédent de vivres ou temps supplémentaire que doit faire un soldat qui a été puni de prison. Saucisse : ballon dirigeable, aéronef d'observation français utilisé entre autres pour le réglage des tirs d'artillerie.

Schrapnell : type d'obus chargé de balles qui sont projetées à l'explosion. Singe : bœuf de conserve. Spahis : soldat d'un corps de cavalerie indigène formé dans l'Afrique française. S.S. : Section sanitaire. Surfaix : large bande de cuir ou d’étoffe employée soit pour fixer une couverture sur le cheval soit pour maintenir les quartiers de la selle. Taube : avion autrichien monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires. Tombereau : charrette à deux roues destinée au transport de marchandises. T.C. : Train de combat. Trolley : trolleybus. Uhlan : cavalier armé d’une lance dans les armées germaniques, similaire au lancier des armées françaises. Vaguemestre : militaire chargé de la gestion de l'agence postale. Ypérite : gaz moutarde qui a été particulièrement utilisé comme arme chimique pendant la Première Guerre mondiale. Il est aussi nommé parfois ypérite (dérivé du nom de la ville d'Ypres (Ieper) en Belgique où il fut pour la première fois utilisé au combat le 11 juillet 1917).

Zeppelin : ballon dirigeable, aéronef d'observation allemand utilisé entre autres pour le réglage des tirs d'artillerie. Zouave : soldat d’un corps d’infanterie coloniale. 420 : artillerie allemande Obusier géant de 420 mm Krupp. 75 : calibre des canons mortiers. Unité

Constitution Constitué de 2 divisions de cavalerie ou plus, Corps de cavalerie commandé par un général de division ou un maréchal. Constituée de 2 brigades, parfois de types Division différents et commandée par un général de division. Constituée de 1 à 4 régiments de cavalerie Brigade généralement du même type et commandée par un général de brigade. Constitué de 2 à 10 escadrons et commandé par Régiment un colonel. Constitué généralement de deux compagnies et Escadron commandé par un chef d'escadron (commandant). Constituée de 2 pelotons et commandée par un Compagnie capitaine ou lieutenant faisant fonction Groupe de soldats commandé par un sousPeloton lieutenant ou adjudant-chef Fraction d’une compagnie ou escadron sous les Escouade ordres d’un caporal ou d’un brigadier.