Violences policières : la glaçante compilation

ÉDITORIAL. Françoise Verna. La loi de trop. Un pouvoir débordé par la colère sociale, semant volontairement la confusion entre manifestants et. « casseurs » ...
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La Marseillaise / mercredi 30 janvier 2019

L’ÉVÉNEMENT

Violences policières : la glaçante compilation...

ÉDITORIAL Françoise Verna

La loi de trop

RECENSEMENT Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, des centaines de témoignages de violences policières ont été recensées. Ils contredisent totalement les déclarations du ministre de l’intérieur.

A

llô place Beauvau, c’est pour un bilan ». Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, David Dufresne, ancien journaliste de Libération, documentariste et auteur, recense sur Twitter et Mediapart les témoignages des victimes de violences policières en interpellant le compte du ministère de l’intérieur. Le décompte donne le vertige. À la date du 29 janvier, 357 signalements des quatre coins de la France ont été effectués. Manifestants éborgnés, mâchoires fracturées, lèvres explosées, tempes éclatées : les images de ces violences sont parfois insoutenables. Après avoir fait défiler ce recensement macabre, difficile de souscrire aux propos prononcés par Christophe Castaner, ministre de l’intérieur le 14 janvier dernier : « Je ne connais aucun policier qui ait attaqué des Gilets jaunes » avait-il affirmé. Une donnée interpelle dans cette compilation : 160 person-

Chiffres du ministère de l’Intérieur : 1 900 blessés, 7 000 interpellations, 243 signalements déposés à l’IGPN, 101 enquêtes de l’IGPN et 1 200 blessés parmi les forces de l’ordre. INFOGRAPHIE MEDIAPART

nes ont subi des blessures à la tête, contre 40 aux membres inférieurs et 29 aux membres supérieurs, principalement causés par les lanceurs de balles de défense (LBD 40), souvent appelés « Flash-ball ». Une arme dont l’usage par les forces de l’ordre est encadré par le code de la Sécurité intérieure. Il y est noté que le tireur, « vise de façon privilégiée le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs ». À l’inverse, « la tête

Zineb Redouane, morte le 1er décembre des suites d’un tir de grenade Après la dispersion de la marche pour la dignité le 1er décembre dernier à Marseille, Zineb Redouane, 80 ans, tente de fermer les volets de son appartement situé rue des Feuillants (1er) pour se protéger des gaz lacrymogènes qui saturent l’air. C’est là qu’elle reçoit une grenade en plein visage. Transportée à l’hôpital, elle est opérée, mais décède d’un arrêt cardiaque sur la table d’opération. M.Ri

n’est pas visée », est-il encore précisé.

Marseille pas épargné

Localement, les différentes mobilisations des gilets jaunes ou les marches pour le droit à un logement digne après le drame de la rue d’Aubagne n’ont pas été épargnées par les violences policières. À Marseille, le collectif du 5 novembre a recueilli près de 70 témoignages. Parmi eux, on peut, par exemple, lire celui de Corentin* : « J’ai reçu un violent coup de matraque sur la tête, sans raison. Je me tenais devant les premières banderoles, pacifiquement. Le coup a été porté par des CRS. Les CRS ont chargé après avoir reçu des projectiles et ils ont frappé la foule avec leurs matraques, en aveugle », raconte-t-il. Tous dénoncent l’absence de sommation avant la charge, les tirs de gaz lacrymogènes ou

les coups de matraque. Mati* par exemple : « Un agent de la BAC a sorti une matraque télescopique et a commencé à donner des coups à l’homme âgé à côté de moi. L’homme est tombé par terre et l’agent a continué à le frapper sans pitié… » Yann* y voit : « un défouloir » de la part des forces de l’ordre. « Nous dénonçons une escalade répressive policière [...] qui s’ancre localement dans un contexte de mépris des leviers démocratiques de gouvernance de la cité et de déni du droit à la ville pour les plus pauvres », détaille le site web du collectif. Ce recensement « est une manière de répondre à la banalisation de la répression qu’accompagne l’impunité policière et qui menace directement le droit à manifester ». Marius Rivière

*Les prénoms ont été modifiés

Un pouvoir débordé par la colère sociale, semant volontairement la confusion entre manifestants et « casseurs », au point de qualifier ceux qui descendent dans la rue de « complices » : voilà le triste visage qu’offre la France. Comme le dit très justement le président de la Ligue des droits de l’homme dans nos colonnes, quand il n’y a pas de réponse sociale, la répression prend le dessus et c’est le signe de la très mauvaise santé de la démocratie. Que pèse en effet le « grand débat », ce tour de prestidigitateur d’un président qui entend ainsi reprendre la main, face au décompte des blessés et face à la nature des blessures ? Nul ne doit s’habituer à la répression et aux dérives sécuritaires. Dans l’arsenal des réponses de Macron, cette nouvelle loi dite « anticasseurs » est de trop. Elle parachève un projet de société dont les Français ne veulent pas. Mettre ainsi face à face forces de l’ordre et manifestants, c’est jouer avec le feu. C’est créer aussi, à dessein, les conditions d’une remise en cause du droit de manifester. La société de la division et de la violence, sous toutes ses formes, ne peut faire un projet commun et républicain.

Chronologie de la répression policière en huit dates La création des pelotons de gendarmes mobiles (1921) et des compagnies républicaines de sécurité (1944), spécialisés dans le « maintien de l’ordre », devait remplacer l’armée et arrêter un flot ininterrompu de répressions sanglantes… 8 février 1962. La manifestation à Paris, contre l’OAS, à l’appel de syndicats et de partis de gauche est réprimée sous les ordres du Préfet Maurice Papon. La police charge et poursuit les manifestants jusque dans la station du métro Charronne : 8 morts et 250 blessés. Cette répression

fait directement suite au massacre d’Algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Mai 1968. Mouvement social hors norme dans toute la France et à Paris, les confrontations et affrontements durant des semaines avec les forces de l’ordre, on dénombrera 7 morts, dont certains par balles, et plus de 2000 blessés. 6 décembre 1986. Durant le mouvement contre le projet de Loi Devaquet, le jeune étudiant Malik Oussekine, 22 ans, est poursuivi jusque dans un immeuble par un groupe de policiers « voltigeurs » et mourra sous les coups des matraques. 20 au 22 juillet 2001. La tenue du G8 à Gênes tourne à de violentes

confrontations entre altermondialistes, pacifistes, black blocs et policiers, elles sont marquées par la mort de Carlo Giulani, tué par balle par un carabinier, en « légitime défense », selon la Cour européenne des droits de l’Homme. 26 octobre 2014. Rémi Fraisse, 21 ans, est tué par une grenade offensive tirée par un gendarme mobile lors d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants contre la construction du barrage de Sivens. L’usage de ce type d’armement est depuis interdit. Décembre 2017. Le défenseur des droits demande notamment dans son rapport l’interdiction des Lanceurs de Balles de Défense compte tenu de

« sa dangerosité et des risques disproportionnés qu’il faut courir ». Il met aussi à l’index le manque de formation des unités non spécialisées au maintien de l’ordre appelées en renfort. 1er décembre 2018. Zineb Rédouane, 80 ans, décède à Marseille après avoir reçu une grenade lacrymogène en plein visage alors qu’elle fermait les volets de son appartement à l’étage. 17 novembre à aujourd’hui. Le nombre de blessés parmi les gilets jaunes se compte par centaines, le nombre de personnes grièvement blessées ou mutilées par des tirs de LBD par dizaines. Et 11 décès non directement liés aux affrontements. S.F.