Valérie Manteau : « Il doit y avoir un avant et un après 5

cette ville. Mais tout à coup, le fait de vanter sa différence devenait problé- matique. ... pas pareil », « On n'est pas à Paris ici ! » .... coincés dans les hôtels.
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samedi 19 au dimanche 20 janvier 2019 / La Marseillaise

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L’ÉVÉNEMENT

Valérie Manteau : « Il doit y avoir un avant et un après 5 novembre » matique. Parce que le personnel politique joue cette carte du « Marseille, c’est pas pareil », « On n’est pas à Paris ici ! » pour justifier l’injustifiable. Je ne veux plus entendre ce discours. Moi j’aimerais des immeubles rénovés, des transports en commun qui fonctionnent et des espaces verts dans ma ville, comme à Paris, à Lyon ou Toulouse. On est la capitale de l’indignité. On aimerait être la capitale d’autres choses.

ENTRETIEN Ancienne journaliste de Charlie Hebdo, lauréate du prix Renaudot pour son 2e roman : « le Sillon », habitante de Noailles, Valérie Manteau a accepté d’être présidente du jury du hackathon sur l’habitat indigne organisé par « La Marseillaise » ce weekend. Entretien. La Marseillaise : Pourquoi la question de l’habitat indigne vous mobilise-t-elle tant depuis le 5 novembre ? Valérie Manteau : J’habite Noailles depuis 2012. J’ai vécu en haut et je vis désormais en bas de la rue d’Aubagne, difficile d’être indifférente à ce qui s’est passé le 5 novembre. Comme tout le quartier, j’ai été hypertouchée par le drame. C’est presque de la culpabilité, je passais tous les jours devant le 63 et le 65. Mais, comme souvent, on laisse couler, on se dit « oui bon c’est Marseille ». Et puis après l’effondrement, on y repense et on se dit « non ce n’est pas possible, on est la deuxième ville de France ». Vous aviez tout à coup honte de vivre ici ? V. M : Non, au contraire. Je suis fière de cette ville. Mais tout à coup, le fait de vanter sa différence devenait problé-

Deux mois et demi après le drame, quel bilan faites-vous de la gestion de la crise par les autorités ? V. M : Plus le temps passe, plus la situation empire. État, mairie, Métropole : tout le monde se renvoie la balle, c’est minable. Pendant que les délogés, exténués, sont baladés d’hôtel en hôtel, confrontés à la violence de leurs propriétaires… Le traumatisme psychologique est indéniable. Avec le lancement par l’État de son audit sur l’habitat indigne à Marseille, on peut craindre de nouvelles évacuations. Selon vous, l’incurie des autorités locales est-elle à l’origine du drame ? V. M : Des alertes ont bien été lancées… Par les habitants. Le travail fait par la presse offre une belle documentation. La cartographie de #BalanceTonTaudis le montre bien. Les bâtiments présentant des dangers pour leurs occupants se concentrent dans des quartiers bien précis. On comprend que c’est une logique politique qui est à l’œuvre, pas la pluie. Comment répondre à cette situation ? V. M : C’est à nous de faire en sorte qu’il y ait un avant et un après 5 novembre. Les gens de bonne volonté existent. Je rencontre chaque jour des personnes formidables. Je suis épatée par la solidarité qui s’exprime depuis le drame, par les actions mises en place par le collectif du 5 novembre. #BalanceTonTaudis, le hackathon, les collectes en tout genre…

Impliquée dans le Collectif du 5 novembre depuis le drame, Valérie Manteau appelle tous les Marseillais à se joindre à la manifestation le 2 février. PHOTO DR

Ce qui se fait en ce moment est génial. La question des réquisitions reste fondamentale. La question judiciaire se pose aussi. On va pousser les gens à porter plainte. Mais c’est insuffisant. Il faut que ce mouvement se structure dans la durée. Y compris politiquement ? V. M : Je vais me faire taper sur les doigts, mais je le dis : je souhaite vraiment que l’on remplace ces élus en 2020. Je ne désigne pas de candidats volontaires et je ne compte pas m’impliquer personnellement dans cette bagarre, mais il est impensable que l’énergie déployée après le drame ne pèse pas sur les prochaines élections municipales. À titre personnel, je compte m’atteler à inciter les habitants de Noailles à s’inscrire sur les listes électorales. C’est déjà un début. Certains pensent que les institutions locales comptent sur un essoufflement médiatique et une lassitude de l’opinion publique, c’est votre avis ?

V. M : J’étais présente à la cérémonie de vœux de Sabine Bernasconi (maire (LR) de secteur (1/7), ndlr), le décalage était assez irréel. Il y a eu un effondrement causant la mort de huit personnes sur l’un de ses arrondissements et elle vante le compostage et les transports collectifs… Le sujet est trop grave pour faire semblant de s’y intéresser, il y a urgence à agir. Votre prochain livre se déroulerat-il à Marseille ? V. M : Après mes deux romans, je commence à me faire une spécialité du drame et des morts, je ne suis pas sûre d’avoir envie de remettre le couvert à Noailles. Lors de l’écriture de mon dernier livre, je me suis posé beaucoup de questions déontologiques. En écrivant, est-ce qu’on aide les gens ou est-ce qu’on les instrumentalise ? J’entends tous les jours des histoires que j’ai envie de raconter bien sûr, mais je n’ai tout simplement pas une seconde à moi pour le moment, donc la question ne se pose pas. Propos recueillis par Marius Rivière

MANIFESTATION - Alerte sur la dégradation de l’aide aux délogés Récolte de tickets RTM hier soir pour les sinistrés devant la Cité des associations, l’occasion pour le Collectif du 5 novembre d’alerter l’opinion sur la détérioration des conditions de vie de ces Marseillais coincés dans les hôtels. « La scolarité des enfants est mise en danger du fait de l’éloignement des familles qui montrent des signes de grande souffrance psychologique », souligne Nora de la commission Urgence du Collectif. S’habiller, manger, se laver, se déplacer sont compliqués. « Beaucoup de femmes craquent avec leurs enfants parfois en bas-âge qui restent enfermés dans les chambres. Ils n’ont plus de repères. Ils ont droit au retour, c’est leur identité. Quand est-ce qu’ils peuvent rentrer ? On ne leur répond pas. Ce n’est pas normal au bout de deux mois et demi. Il n’y a rien de pire que d’être dans l’ignorance. Il y a un problème de communication. Ce n’est pas normal de laisser des femmes, des enfants, des personnes âgées ainsi au XXIe siècle. » DC. PHOTO DC