NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE REVUE
La prolongation de l’activité médicale par la gestion de cas : une condition favorable au développement du suivi à domicile de patients âgés en perte d’autonomie chez les résidents en médecine familiale The extension of the medical practice through case management: a favorable condition for the improvement of home follow-up of frail elderly patients in family medical residents Yves Couturier1, François Aubry2, Philippe Maubant1, Julie Nicolas3, Serge Dumont4 1
Université de Sherbrooke, Centre de recherche sur le vieillissement Institut de recherche sur la santé et la sécurité du travail 3 Université de Montréal, École de santé publique 4 Université de Montréal, Département de médecine familiale et de médecine d’urgence 2
Correspondance : Yves Couturier Chaire de recherche du Canada sur les pratiques professionnelles d’intégration de services en gérontologie Centre de recherche sur le vieillissement Centre de santé et des services sociaux Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke 1036, rue Belvédère Sud Sherbrooke, Québec, J1H 4C4 Canada
[email protected] Article reçu le : 27 avril 2012 Article accepté le : 29 septembre 2012 Vol.1 n°4
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NUMÉRO UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE Résumé Le présent article propose une revue des facteurs du désintérêt des jeunes médecins pour le suivi à domicile qui se cristallise très tôt pendant leur période de résidence, ainsi que la façon dont ce phénomène prend racine dans le fait que ce mode de pratique exige de leur part de consacrer davantage de temps à des activités non médicales. Ces données nous incitent à orienter la problématique non pas en termes d’attitudes favorables ou d’incitatifs au suivi à domicile, mais bien en termes d’organisation du travail. L’articulation efficace de la pratique médicale à domicile avec des professionnels dédiés à la coordination représente une piste très prometteuse pour le développement de cette importante pratique, dans un contexte de vieillissement général de la population. Summary
The present paper shows how young physicians’ disinterest in the follow-up of patients at home crystallizes itself very early during their residency and how this phenomenon takes root in the fact that this mode of practice requires them to devote more time to non-medical activities. This specific problem must be comprehended not in terms of attitudes or incentives to perform follow-up at home, but in terms of work organization. An efficient articulation between physicians performing follow-ups at home and professionals dedicated to coordination appears to be a very promising condition for the development of this important practice in the context of an ageing population.
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SHERBROOKE Le suivi à domicile, une pratique médicale attendue
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n raison de l’importance des enjeux
centrée des services. Ce modèle évolue depuis
découlant du vieillissement global
quelques années vers un modèle dit domicilo-
de la population, notamment l’aug-
centré, mieux adapté aux problèmes chroniques
mentation du nombre de personnes vivant un
et multidimensionnels caractérisant ce temps
temps de leur vie en perte d’autonomie, il ap-
de la vie. De plus, la reconnaissance du désir
paraît essentiel de s’interroger sur l’adéquation
des personnes âgées de vivre à domicile ou, à
des pratiques professionnelles aux besoins de
tout le moins, selon un style dit Homelike [3], est
cette population. À ce propos, il faut rappe-
maintenant au cœur des modèles conceptuels
ler qu’en 2025, le Canada se situera parmi le
de la qualité des services [4] et de la formation
groupe des pays les plus vieillissants [1]. L’al-
médicale [5]. En ce sens, les bonnes pratiques
longement de la durée de vie moyenne est sans
professionnelles doivent s’inscrire dans une
conteste une bonne nouvelle, mais cela a pour
perspective patient centered-care [6] favori-
corollaire l’allongement de la durée de la vie en
sant ainsi le maintien de l’autonomie de la per-
perte d’autonomie, avec l’augmentation de la
sonne. De façon importante, cela évite que des
prévalence des problèmes de santé et sociaux
ressources coûteuses, comme les urgences,
multidimensionnels et chroniques qui la carac-
soient mobilisées pour des besoins qui trou-
térisent. Malgré leur perte d’autonomie, les per-
veraient une réponse plus adéquate en mode
sonnes âgées souhaitent majoritairement vivre
domiciliaire [7].
à leur domicile le plus longtemps possible [2].
Les écrits scientifiques semblent una-
La prise en compte publique de ce souhait, tout
nimes quant à la pertinence clinique de la pra-
comme celle des risques nosocomiaux pour les
tique médicale de suivi à domicile. Selon Abbey
personnes âgées en perte d’autonomie, appelle
et ses collègues [8], les étudiants en médecine
une transformation de l’organisation hospitalo-
ont une représentation a priori positive de cette
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SHERBROOKE forme de pratique. Pour les patients, on note
(sans rendez-vous et urgences) [16]. Boling et
une augmentation de la qualité des soins [9]
ses collaborateurs [17] proposent trois types de
ainsi qu’une plus grande satisfaction chez eux
déterminants de la désaffection du suivi à do-
et leurs proches aidants à l’égard des services
micile. Premièrement, il existe des représenta-
reçus [10]. Des revues systématiques des écrits
tions négatives de la clientèle âgée, notamment
ont établi une réduction de la mortalité et des
l’aspect routinier et peu stimulant intellectuelle-
hospitalisations pour des patients âgés [11] ou
ment et le caractère parfois » répugnant » ou
souffrants de maladies chroniques [12]. Pour
difficile des pratiques à effectuer, et des résul-
les médecins, cette pratique favoriserait une re-
tats cliniques moins gratifiants. Deuxièmement,
lation de confiance avec les usagers et permet-
les auteurs identifient des facteurs produisant
trait une meilleure familiarité avec des aspects
de la résistance à l’égard du suivi à domicile,
non médicaux mais tout de même pertinents
dont un sentiment d’incompétence, et la peur
pour les soins [13]. De plus, ce contexte serait
de l’inconnu relatif à cette clientèle. Finalement,
également bénéfique à la collaboration interpro-
ils ont noté des « gratifications » qui seraient
fessionnelle [14].
moins présentes dans ce contexte, comme l’au-
Malgré la reconnaissance large de la va-
tonomie dans la prise de décision.
leur de cette forme de pratique, peu de jeunes
Pour agir sur le sentiment de compé-
médecins choisissent d’effectuer sur une base
tence, des interventions au niveau de la forma-
régulière du suivi à domicile [5]. Cette carence
tion représentent une piste intéressante pour
serait en partie due à la pénurie de médecins
influencer la future pratique [17] et les attitudes
de famille, renforcée par le désintérêt des étu-
des médecins [18]. L’exposition en stage à des
diants pour cette façon de pratiquer [15]. On ob-
visites à domicile influence positivement les re-
serve même un déplacement de la médecine de
présentations des pratiques de suivi [13]. L’in-
famille traditionnelle, où la prise en charge glo-
térêt envers cette clientèle pourrait alors être
bale importe, vers une pratique dite de contact
stimulé par une interaction positive précoce
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avec les aînés [19]. Certains auteurs soulignent
spécialisés de formation portant sur les clien-
l’importance de la précocité de l’exposition à
tèles gériatriques [21]. Cependant, des doutes
cette pratique en début de formation médicale
ont été émis sur l’influence réelle de ce type
[20], tout comme la présence de programmes
d’interventions sur le choix de carrière [22].
Mieux comprendre l’exposition des résidents à la pratique de suivi à domicile Nous avons focalisé notre attention sur les atti-
2) la représentation des résidents des sa-
tudes des médecins en formation à l’égard du
voirs et compétences transmis par les su-
suivi à domicile pour comprendre la genèse du
perviseurs lors de la formation pratique ;
sentiment d’incompétence en contexte de suivi
3) l’adéquation de la formation des rési-
à domicile. Alors même que la formation médi-
dents aux besoins d’une pratique de
cale est généralement estimée de très haute
suivi à domicile ; et
qualité, il est légitime de penser que se cache derrière ce sentiment une explication plus fon-
4) certains déterminants tirés de la recension des écrits.
damentale. Pour explorer cette question, nous
Nous avons également réalisé deux
avons réalisé cinq entrevues avec des super-
groupes de discussions auprès de résidents en
viseurs dans un lieu de formation pratique à
médecine familiale. Le premier regroupait six
Montréal, associé avec un établissement ayant
résidents de 2e année complétant leur forma-
une mission CLSC. Ces entrevues furent de
tion. La collecte de données fut concentrée sur
type semi-directif et portaient sur quatre objets
l’expérience des suivis à domicile, sur les condi-
centraux :
tions de cette pratique et sur le sentiment de
1) la représentation de la médecine fami-
compétence ou d’incompétence perçu à l’égard
liale et de son rapport avec certains
du suivi à domicile. Le second groupe regrou-
champs de pratique (urgences, méde-
pait cinq résidents de 1re année au début de leur
cine interne, obstétrique, etc.) ;
formation pratique. Nous leur avons posé les
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avons sollicité la participation de cinq résidents,
mais elles furent construites en termes d’at-
soit quatre en fin de résidence de 2e année et
tentes puisque les premiers n’avaient pas eu
un en fin de 1re année de résidence, pour des
d’expériences de suivi à domicile. Enfin, nous
entretiens compréhensifs.
Résultats : une cristallisation rapide et dense de la trajectoire En phase avec notre recension des écrits, le
ment négative. Leurs choix post-résidence se
suivi à domicile est largement représenté chez
portent alors plutôt sur l’urgence, l’hospitalisa-
les acteurs interrogés comme une pratique peu
tion et les diverses formes de médecine sans
attractive, du fait notamment de nombreuses
rendez-vous, ainsi que sur les spécialités pé-
contraintes qu’elle contient. Ce point de vue né-
diatrique et obstétrique. Ce constat révèle une
gatif est l’effet d’un changement de la représen-
perte d’intérêt pour toute forme de médecine de
tation des résidents concernant le suivi à domi-
suivi, renforcée par le caractère domiciliaire de
cile. Ce changement est rapide et apparemment
la pratique auprès des aînés :
durable, et se produit très tôt durant la formation
« Je pars pour l’obstétrique, c’est vrai-
pratique. Nous avons en effet pu documenter un
ment mon intérêt premier, celui que j’ai depuis
important décalage entre les représentations du
le début de la résidence, et la résidence m’a
suivi à domicile chez les résidents en début de
permis de comprendre que c’est vraiment ça
1re année de résidence et chez leurs collègues
que je voulais faire et pas autre chose. Je n’ai
en fin de 2de année. Une détérioration rapide et
absolument pas le goût de faire du suivi. […]
apparemment irrévocable de l’image du suivi à
c’est trop de contraintes (R 2). »
domicile se produit entre les deux périodes. En
Les étudiants en seconde année de rési-
effet, tous les résidents de 2e année affirment
dence affirment clairement que leur choix de ne
n’avoir aucun intérêt pour le suivi à domicile, et
pas faire de suivi à domicile a peu de chance de
que leur expérience s’est révélée essentielle-
se modifier, et qu’ils préfèrent se tourner vers
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SHERBROOKE d’autres domaines de la médecine familiale qui
médecins pour le suivi à domicile. Si l’intérêt n’est
sollicitent des compétences qui leurs paraissent
pas nécessairement inexistant au début de la rési-
davantage propres à la médecine :
dence, l’expérience, perçue rapidement comme
« Le suivi, ce ne sera jamais une possibilité pour moi, je suis honnête parce que ça ne m’intéresse pas et je ne pense pas que ça m’intéressera un jour. Quand on fait de l’hospitali-
négative, apparaît comme responsable de la cristallisation rapide et durable de leur désintérêt. Les superviseurs expriment également un tel désintérêt à l’égard du suivi à domicile :
sation, on acquiert une compétence spécifique,
« J’ai fait du suivi durant ma résidence, di-
alors après, ça semble difficile de changer de
sons qu’à ce moment-là c’était quelque chose de
pratique […]. Je ne le ferai pas non plus en mi-
normal de faire du suivi, c’était il y a vingt ans…
neur, parce non ça ne m’intéresse pas (R 2). »
Mais j’ai choisi de ne pas en faire par la suite, j’avais
Il est intéressant de noter que la repré-
d’autres intérêts pour d’autres spécialités. Mais de
sentation du suivi à domicile des étudiants de
toute façon, vous n’en trouverez pas beaucoup de
première année de résidence n’est pas néga-
médecins qui ont choisi de faire du suivi à domi-
tive a priori. Pour eux, le choix du suivi à domi-
cile ! (Superviseur). »
cile est une possibilité au même titre que les
L’une des raisons évoquées par les super-
autres, et trois d’entre eux avouent réfléchir
viseurs pour expliquer leur désintérêt pour cette
sérieusement à la possibilité de s’orienter vers
pratique se trouve aussi dans le sentiment d’un
une telle pratique :
manque de compétences pour bien la faire. Cet
« Je suis intéressé par le suivi, je pense que
argument pose la compétence pour cette pra-
j’en ferai. Mais je dis ça, sans avoir fait vraiment de
tique particulière comme élective, voire aléa-
pratique pour l’instant (R 1). »
toire, et non essentielle au corps de compé-
Ainsi, il semble que l’expérience des rési-
tences qu’il importe de transmettre pendant la
dents durant ces deux années de formation soit
résidence. Ce caractère électif d’une portion de
le moment fondateur du désintérêt des jeunes
la compétence requise est décodé par les rési-
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SHERBROOKE dents comme un appel à faire un choix de spé-
nomie. Ce ne sont donc pas les caractéristiques
cialisation qui les éloigne de ce champ de pra-
de la clientèle âgée qui surdéterminent le désin-
tique, sans égard aux besoins populationnels.
térêt pour la pratique de suivi à domicile, que
Puisque le choix est possible et nécessaire,
se cache-t-il alors derrière l’argument en partie
choisissons…
faux de l’incompétence ? La forte désaffection
« Je n’avais pas le goût à la fin de ma
des résidents s’explique selon nous davantage
résidence de faire du suivi à domicile ; alors j’ai
par l’hypothèse de la présence de conditions de
décidé de ne pas en faire et de m’intégrer dans
travail expérimentées pendant le stage :
une autre spécialité, qui demandait d’autres compétences. (Superviseur). » Il y a cependant contradiction formelle entre l’argument du libre choix et celui du
« Je ne voulais pas faire de suivi, mais ce n’est pas à cause de la population à suivre […] mais plus de tout ce qui fait que la tâche en suivi est trop complexe (R 2). »
manque de compétences, puisque ledit choix
L’argument de la complexité des problé-
aurait pu appeler une stratégie de formation
matiques géronto-gériatriques peut étonner au
visant à combler ce besoin. En fait, nous pen-
regard du prestige inhérent à la logique de spé-
sons qu’il y a un tiers caché dans cette équation
cialisation qui prévaut en médecine, où la com-
bancale. Serait-ce une forme discrète d’âgisme,
plexité est en général source de prestige. En
si répandue dans toutes les professions du soin
fait, l’idée de complexité ne renvoie pas ici à la
[22] ? Il faut remarquer à ce propos le nombre
maîtrise d’une technique compliquée, comme
de résidents et de superviseurs exprimant leur
la neurochirurgie, au cœur de l’idéal-type
prédilection pour l’obstétrique ou la pédiatrie.
médical, mais à la multi-dimensionnalité des
Mais plus fondamentalement, plusieurs affir-
tâches en situation domiciliaire. Cela montre
ment préférer l’urgence, la médecine de contact
un écart entre les modèles conceptuels globa-
et la médecine hospitalière, là où justement se
lisants et patient-centered, enseignés comme
retrouvent les personnes âgées en perte d’auto-
des valeurs suprêmes de la médecine actuelle,
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SHERBROOKE et la capacité réelle des médecins à gérer en
tients souffrent d’un grand nombre de maladies,
situation clinique domiciliaire la synergie des
puisque les médecins les soignent une par une
comorbidités, et d’organiser les services pour y
dans d’autres contextes de soins, que du fait
répondre, sachant qu’une part de ces services,
qu’ils doivent prendre en considération au do-
bien qu’essentiels, ne sont pas médicaux au
micile leur imbrication dans l’expérience vécue
sens strict du terme. Il y a donc une forme de
par l’usager, expérience étant par nature beau-
complexité particulière au suivi à domicile qui
coup plus large que dans sa seule définition
ne produit pas le caractère prestigieux que
médicale; elle est notamment opérationnelle, en
nous venons d’évoquer. La complexité de la si-
termes d’organisations des services à domicile.
tuation clinique domiciliaire résiste au projet de
D’ailleurs, les problèmes liés au suivi à domi-
mise en séquences de l’intervention, comme
cile sont toujours comparés, dans les discours,
c’est le cas aux urgences ou à l’hôpital, où le
aux vertus de la pratique à l’hôpital, même si
médecin peut focaliser son intervention sur un
cela va à l’encontre des modèles conceptuels
problème précis, et expérimenter un succès
de la qualité pour les personnes âgées en perte
observable rapidement.
d’autonomie.
« En suivi, on trouve des personnes ex-
« Les personnes demandent à être soi-
trêmement atteintes, avec plusieurs maladies
gnées […] Oui, je veux bien vous aider, mais
combinées. Alors ça donne qu’on doit regarder
qu’est-ce que je peux faire à domicile ? » C’est
toutes les atteintes de la personne, et souvent
évident qu’on n’a pas tous les éléments avec
des maladies chroniques […]. C’est aussi des
nous pour aider la personne (R 2). »
personnes de ce type qu’on voit à l’hôpital. Mais
Paradoxalement, la majorité des per-
à l’hôpital, on ne doit pas s’occuper de tout, di-
sonnes interrogées note que le suivi à domicile
sons qu’on priorise plus facilement (R 2). »
n’est pas une pratique assez active ou offrant
La complexité clinique en contexte domi-
des défis cliniques suffisamment stimulants. En
ciliaire provient donc moins du fait que les pa-
suivi à domicile, le soin se réduit souvent au
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SHERBROOKE processus de maintien de l’état de santé, alors
sortir de son habitation, notamment vers l’hôpi-
même que la complexité de la perte d’autono-
tal, pour faire l’objet d’une évaluation spécifique.
mie condamne la personne à ne pas retrouver
Les résidents se sentent démunis lorsque les
un état optimal.
personnes âgées réclament d’être soulagées
« C’est moins challengeant de faire des
sans pour autant se mobiliser pour recevoir les
soins à domicile, parce qu’on a l’impression de
soins et tests requis. Cela confronte l’idéal mé-
rendre les fins de vie plus confortables. Et je
dical du médecin avec la réalité domiciliaire du
doute que les jeunes qui viennent faire le métier
soin. Et cela peut, d’une certaine façon, enga-
de médecin, ils aiment ça, car c’est comme si on
ger sa responsabilité. Le fait pour le médecin
leur donnait des limites (Superviseur). »
de devoir se déplacer, d’attendre les résultats
Cela peut sembler paradoxal au fait que
de laboratoire, de coordonner des services non
ce sont les mêmes patients, avec les mêmes
médicaux à domicile, entre autres, constitue les
pathologies, qui sont vus soit au domicile, soit
barrières les plus importantes au suivi à domicile
à l’hôpital. Les médecins apprennent très tôt en
que nous avons documentées. Cette complexité
résidence que, si la prise en compte de la globa-
traduit une problématique de type « coordination
lité du patient est une bonne chose en principe,
de parcours de soin » que les médecins identi-
elle semble dans les faits impossibles à respec-
fient justement à une tâche de gestion de cas
ter à domicile, à conditions de travail constant ;
plutôt qu’à une pratique médicale.
ce sont donc les conditions opérationnelles du
« Beaucoup de résidents arrivent avec
travail médical qui feraient la différence. Pour
l’idée que le suivi ça va être un moment de soins
favoriser ce type de suivi, il faudrait donc créer
complets à domicile, alors c’est vrai qu’il y a cette
certaines conditions, dont les plus importantes
partie-là, mais la majorité du temps, c’est prin-
viseront à réduire la surcharge de travail qui
cipalement de la gestion de cas, si je peux dire
concerne le péri-médicale. Par exemple, la per-
ça, savoir si on doit pousser le malade à l’hôpital
sonne âgée à domicile a parfois des difficultés à
ou non, négocier avec les avis de chacun. C’est
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SHERBROOKE moins médical qu’à l’hôpital, et en même temps
se rapprochant des tâches habituelles des infir-
ça en devient moins intéressant (Superviseur). »
mières, voire des travailleurs sociaux, où le soin
Plus encore, la pratique du suivi à domi-
est plus géré et négocié que prescrit.
cile déqualifie symboliquement la médecine en Conclusion Au regard de nos données, l’implantation effi-
appelle à détourner le regard des approches
cace de dispositifs professionnels de coordina-
traditionnelles visant l’individu médecin, soit en
tion des dimensions périphériques de la tâche
termes de bonnes attitudes ou d’incitatifs (voire
médicale en contexte domiciliaire, comme
de contraintes). Des dispositifs de coordination
la gestion de cas ou le suivi systématique en
s’implantent un peu partout au Québec depuis
sciences infirmières, constitue une condition
au moins 2004. Mais force est de constater que,
potentiellement positive du développement de
pour l’instant, leur effet est insuffisant du point
la pratique médicale de suivi à domicile. Cela
de vue des résidents.
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