Ugo Palheta

21 févr. 2019 - vre évoque le cas français. La Marseillaise : Il y a des trajectoires étranges. Comment expliquez-vous que. Gilbert Collard, aujourd'hui député.
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jeudi 21 février 2019 / La Marseillaise

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L’ÉVÉNEMENT

Ugo Palheta : « Le fascisme n’est plus un épouvantail »

ENTRETIEN « La possibilité du fascisme », paru en novembre 2018, est un ouvrage dédié à Ibrahim Ali. Son auteur, Ugo Palheta, évoque la banalisation de la haine et livre son analyse de la montée du fascisme. Ugo Palheta est sociologue et maître de conférences à l’université de Lille. Son livre évoque le cas français. La Marseillaise : Il y a des trajectoires étranges. Comment expliquez-vous que Gilbert Collard, aujourd’hui député Rassemblement national (RN), ait été l’avocat de la famille Ali ? Ugo Palheta : Cela image une tendance : la banalisation du RN, qui fait croire qu’il a changé. Dans les années 90, on aurait jamais eu de débat sur le fait qu’il puisse être convié ou non à un rassemblement contre

l’antisémitisme comme celui d’hier. Fondamentalement, son programme et son électorat sont les mêmes. Ils ont simplement « nettoyé » le parti de ceux qui faisaient des déclarations antisémites. Pour faire court, le RN a substitué l’antisémitisme par l’islamophobie. C’est sa stratégie électorale.

nal ? » Pourquoi les gens voteraient pour un grand parti comme celui de Valls s’ils veulent un État autoritaire ? Ils peuvent davantage se fier au RN pour ça. Il y a une lame de fond qui sert au RN, les partis actuels et leurs décisions font leurs affaires. C’est pour cela que je dis que la République ne va pas nous sauver.

Vingt-quatre ans après l’assassinat d’Ibrahim Ali, on observe aussi une banalisation de la haine… U.P. : C’est la conséquence du contexte socioéconomique dans lequel les gouvernements successifs nous ont plongés. Ils ont tenté de gagner en popularité ce qu’ils avaient perdu avec des politiques autoritaires et xénophobes. Ça a été le cas de Sarkozy et de Valls. Plus personne ne croyait en leurs politiques économiques et sociales, ils ont donc construit un ennemi commun pour se donner une légitimité, celui du jeune immigré de banlieue qui est une menace pour la laïcité et la République. Les grands partis perdent contact avec leur électorat ce qui entraîne une montée de l’abstention et du RN. Dans ce contexte, Macron a particulièrement été mal élu.

Vous accordez la montée du fascisme au libéralisme. Quel est votre raisonnement ? U.P. : Les politiques néolibérales ont semé un terreau propice à son développement. En cassant les acquis sociaux, elles ont délégitimé les représentants politiques. La droite et la gauche ont perdu une partie de leur électorat quand le RN en a gagné. Dans le même temps, il n’existe pas d’alternative. Les partis de gauche ne se sont eux pas développés. La France insoumise a seulement freiné le RN au premier tour des élections présidentielles. Autrement dit, il n’y a pas de socle. Cette absence de solution à gauche est, historiquement, un élément de la montée du fascisme. C’est d’ailleurs un slogan antifasciste : « Leurs avancées sont dues à nos reculs. »

Lorsque vous présentez votre livre, vous dîtes que le fascisme est vu comme abstrait et non pris au sérieux. C’est-à-dire ? U.P. : Le fascisme n’est plus un simple épouvantail ou quelque chose d’abstrait. Il n’est pas extérieur à la politique française : il est le produit de la politique libérale. Quand la République devient inégalitaire, autoritaire et xénophobe, le fascisme s’installe. Quand Valls utilise des lois autoritaires, il y a des conséquences. Jean-Marie Le Pen a dit, il y a longtemps : « Pourquoi préférer la copie quand on peut avoir l’origi-

Toujours dans la présentation de votre livre, vous dites déconstruire de fausses idées. Avez-vous un exemple à mettre en exergue ? U.P. : Il y a une idée qui veut que Macron ait pour objectif de moderniser la société. C’est faux. Son objectif est de rattraper le retard de la France dans l’imposition de politiques néolibérales. Entre autres, cela veut dire moins de taxes pour les grands patrons et rupture avec les acquis sociaux. Propos recueillis par Étienne Estarellas

« La possibilité du fascisme ». Éditions la Découverte, 276 p. 17 euros.

À la Savine, 24 ans après : « Le lien qui unissait les habitants a été détruit » REPORTAGE

naissance de quelques nouveaux bâtiments, fermées, avec digicodes. Le projet se poursuit au ralenti en raison de la découverte d’amiante dans les bâtiments à détruire.

Pour les habitants de la Savine, impossible d’oublier ce jour funeste où l’un des leurs s’est fait assassiner dans le dos en raison de sa couleur de peau. 24 ans après, la colère a fait place à l’aigreur.

Division au lieu de mixité

e la colline sur laquelle est D juchée la Savine, la vue sur la baie de Marseille est imprenable. Mais le panorama se mérite. La cité est excentrée à l’extrême nord de la Ville. L’unique moyen d’y accéder en transports en commun : le bus n°30 au départ du métro Bougainville. Dernier horaire ? 20h52. Celui-là même que tentait d’attraper Ibrahim Ali le soir où il a été assassiné. « Quelque chose a changé ce jour-là. On était dans notre bulle,

Un nouveau centre social est en construction, il sera situé en bas de la cité et non plus au cœur comme aujourd’hui. PHOTO M.RI.

on ne connaissait pas le racisme. On est entré dans l’âge adulte subitement », explique Yasmine Ibrahima, qui a grandi avec Ibrahim Ali. Depuis ce triste 21 février

1995, la cité est passée de 6 000 à 2 000 habitants. Le grand projet de rénovation urbaine mis en avant par les élus locaux successifs a vu la démolition de plusieurs immeubles et la

« Les jeunes de la Savine mentent toujours sur leur CV lorsqu’ils ont un entretien d’embauche », soupire Béatrice Bodjole, présidente d’une association de distribution de produits frais et qui donne des cours d’alphabétisation. « Les choses se sont dégradées. Ils n’ont pas seulement détruit des bâtiments, ils ont détruit le lien qui unissait les habitants », ajoutet-elle. Tous les habitants croisés confient leur nostalgie du temps d’avant. Et Soly M’Baé de lâcher : « Les élus n’ont que le vivre-ensemble à la bouche, mais ce n’est qu’un slogan de campagne ».

M.Ri.

ÉDITORIAL Françoise Verna

Ibrahim Ali, tué par la haine

Ibrahim Ali aurait eu 41 ans aujourd’hui. Il serait peut-être père, artiste ou pas. Il aimerait toujours la musique et se remémorer, avec ses amis, ses parents, son enfance à la Savine... Mais cette vie d’homme et les souvenirs qui vont avec, le jeune marseillais en a été privé, à l’âge de 17 ans, ce soir du 21 février 1995 où, rentrant d’une répétition de musique et de théâtre, il croisa la route de ses bourreaux, ivres de haine. Des racistes collant des affiches du Front national l’ont abattu d’une balle dans le dos. Nous sommes en pleine campagne électorale et le FN vomit son discours xénophobe à tous les coins de rue. Des mots qui ont armé les tueurs. Quelques jours après l’assassinat de l’adolescent, des milliers de Marseillais défilent au cœur de la ville. Réclamant justice pour Ibrahim. Alors oui, il y eut procès, en 1998, mais l’acte raciste ne fut pas reconnu ! Justice n’est donc toujours pas rendu à Ibrahim et, au-delà de lui, à Marseille. Chaque 21 février, depuis cette nuit funeste, la famille, les amis, des citoyens, se donnent rendez-vous pour qu’Ibrahim ne tombe pas une seconde fois : dans le trou noir de l’oubli. Et pour continuer à réclamer justice et reconnaissance. À savoir une plaque officielle à Marseille. Un rectangle de métal bleu qui ne réglerait pas tout mais signifierait que la ville reconnaît tous ses enfants. À la Savine, comme dans tous les quartiers populaires, le sentiment d’être des citoyens de seconde zone est prégnant. Ils vivent au quotidien la relégation. Ibrahim faisait partie de ces minots qui enchantaient la vie. Une idéologie raciste, qui métastase toujours la France, l’a fauchée en plein envol. Ni pardon, ni oubli.