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Le forum MEDays, un événement organisé sous le haut patronage de SM le Roi Mohammed VI

BRAHIM FASSI FIHRI

Président de l’institut AMADEUS

EDITO

Au moment où j’écris ces lignes je suis profondément meurtri, choqué et ému par le lâche attentat perpétré à Marrakech.  La Place Jamaa Al Fna, plus que n’importe quel autre lieu au Maroc, est l’expression de la tolérance et de la fraternité. Qu’on soit marocain ou étranger ; musulman, juif ou chrétien, nous sommes tous éblouis par la magie de cette place de tous les possibles. Le Maroc a donc été frappé en son cœur dans un contexte d’euphorie générale, liée à l’évolution majeure que connait notre pays sur le plan politique. Les images des corps démembrés du café Argana sont venues brutalement nous rappeler qu’aucune transition politique ne pouvait malheureusement être menée sans sacrifices ou effusion de sang. Les victimes de l’attentat sont donc les martyres du changement et du progrès. L’évolution démocratique de notre pays est irréversible. Les poches de résistances qui s’opposent à ce nouveau projet de société se sont exprimées de la manière la plus odieuse possible. Ces forces invisibles, qu’elles soient issues de l’intérieur ou de l’extérieur du Maroc, doivent être fortement combattues par tous les démocrates et par tous les marocains épris de liberté. La lutte effrénée contre l’obscurantisme, dans un cadre légal et démocratique, doit être le dénominateur commun rassemblant toute notre société. Toutes les forces vives de la Nation doivent s’unir autour de deux facteurs de mobilisation : la poursuite de la libéralisation politique de notre pays et la sauvegarde de notre patrimoine national qu’est la tolérance et le respect de la diversité. La vie reprendra ses droits. Marrakech et sa prestigieuse place sont immortelles. Le processus de réformes en cours est également immortel. Je suis de ceux qui sont convaincus que ce processus ressortira renforcé de cette tentative de déstabilisation. Les plus grandes démocraties ne sont pas à l’abri d’actions comparables. L’argument de la «  stabilité par la sécurité  » est désormais caduc. Il est important de réaffirmer aujourd’hui plus que jamais que la « stabilité c’est la liberté » ! Les événements en cours dans le monde arabe traduisent une volonté des populations de remettre en mouvement des Etats vitrifiés. Au Maroc, les populations, appelaient à travers des revendications hétéroclites à ré-impulser la dynamique née au début des années 2000. Celle-ci a connu un coup d’arrêt en 2007. Nous nous sommes depuis installés dans un contexte politique de discours sur la réforme, qui se traduit par un immobilisme progressif. SM le Roi Mohammed VI en proposant dans son discours historique du 9 mars dernier, la régionalisation avancée et surtout en annonçant une réforme constitutionnelle globale a mis fin à cet immobilisme. Loin d’être une réponse ponctuelle à des attentes légitimes, cette réponse s’inscrira de façon crédible dans un avant et un après. Cette nouvelle forme de gouvernance annoncée par le Roi a également eu le mérite de donner plus de visibilité à l’action politique. Les marocains qui se

sont installés depuis le début du « Printemps Arabe » dans un double climat marqué d’anxiété et d’ivresse de participer à un mouvement historique, ont aujourd’hui une réponse claire sur une nouvelle forme de gouvernance, où ils seront partie prenante de la construction de leur avenir. Le Souverain, en prenant de court l’ensemble des observateurs, y compris les partis politiques qui se sont installés dans une surenchère politicienne depuis le 20 février, a élaboré une réponse politique courageuse et historique, qui insuffle une relance décisive de ce « Maroc en Mouvement ». Le début de l’année 2011, connait en effet, une multitude de bouleversements, heureux ou malheureux, sans précédents dans notre région. Le monde arabe est en mouvement  ! Un élan de liberté porté par les jeunes générations tunisienne et égyptienne a conduit à une accélération de l’Histoire, sans précédentes dans la région depuis les indépendances. Il est aujourd’hui encore très tôt pour faire le bilan de ces révolutions  qui ont poussé vers la sortie deux dirigeants vieillissants, pourtant bien installés, mais en totale coupure et contradiction avec les réalités de leur pays. Nous manquons certainement de recul pour émettre un jugement objectif sur les événements en cours, mais en tant que politologues nous sommes amenées à faire des lectures les plus précises possibles de l’instant « T ». Privés du luxe de l’analyse, puisque nous ne pouvons avoir la prétention d’anticiper et de nous projeter sur des événements en permanentes accélérations, que nous étions d’ailleurs incapables de prévoir il y a encore un mois, nous nous devons uniquement de relayer les faits. Renforcée par les soulèvements au Yémen, en Lybie et en Syrie, l’idée que le « mur de la peur est tombé » est aujourd’hui une vérité. La rue arabe, souvent caricaturée en Occident se bat aujourd’hui pour retrouver sa dignité. Cet «éveil arabe» est la démonstration absolue que les modalités de gouvernance dans la région ne sont pas incompatibles avec les valeurs universelles de démocratie et de libertés. Ces acquis doivent être préservés et renforcés. Le conflit militaire en Lybie est engagé, la communauté internationale a un mandat pour agir et protéger les populations libyennes. L’échec de la coalition en Libye sonnerait définitivement le glas du « Printemps des peuples arabes ». En Syrie la situation dégénère de jour en jour, les hésitations des puissances internationales ne sont guères rassurantes. Le risque de radicalisation est réel. La mort d’Oussama Ben Laden peut conduire la nébuleuse d’Al Qaeda, renforcée par l’impact de l’attentat de Marrakech, à multiplier ses opérations.

Le Forum MEDays, qui dès sa création en 2008, n’a cessé de mettre en lumière les limites du partenariat en Méditerranée, est en 2011 plus que jamais utile pour solidifier les acquis du « Printemps arabe ». La 4ème édition du Forum international MEDays, qui se tiendra à Tanger du 16 au 19 novembre prochain, aura pour thème principal « Le Sud dans la gouvernance mondiale ». Dans un contexte de reprise économique et de foisonnement des crises et des bouleversements politiques, le constat de l’échec de la gouvernance internationale dans la régulation de la mondialisation et la résolution des conflits est établi. Au Maroc, en plein évolution, ce Forum permettra de regrouper pour la première fois, dans le cadre d’une conférence internationale informelle, les principaux acteurs des changements dans la région avec les principaux décideurs internationaux. En attendant de vous retrouver en novembre à Tanger, je vous propose de découvrir le Rapport 2011 de l’Institut Amadeus, qui met en perspective les principales leçons tirées de la dernière édition du Forum phare de l’Institut Amadeus avec les nouveaux enjeux partagés par l’ensemble des pays du Sud. Loin d’être un simple recueil des actes du Forum MEDays 2010, ce rapport présente les principales lectures de l’Institut Amadeus sur ces questions stratégiques.

MOT DU PRÉSIDENT

Devant ses risques importants, il est plus que jamais nécessaire que les Etats-Unis et l’Union européenne, accompagnent les processus de transitions démocratiques en cours dans la région. L’UPM morte place Tahrir doit être refondée non pas pour uniquement accompagner le processus de démocratisation mais pour favoriser le codéveloppement. Il est donc impératif de créer un nouveau « Pacte pour la démocratie et le développement » basé sur un socle de valeurs partagées et sur un espace économique commun. Tourné vers l’opérationnel, ce processus doit dépasser tous les handicaps identifiés du partenariat euro-méditerranéen depuis 1995.

SOMMAIRE INTRODUCTION - Forum MEDays, Institut Amadeus : présentation succent / 9 - MEDays 2010 : Ils étaient présents en 2010 / 10 - Forum MEDays 2010 - Le Sud : Entre crises et émergence / 12 - La coopération méditerranéenne dans les crises / 20

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CRISE ECONOMIQUE

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- CRISE ECONOMIQUE : UNE PETITE HISTOIRE DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX / 28 - Intégration économique africaine : quelle architecture pour stimuler la croissance ? / 34 - FOCUS : AFRIQUE SUBSAHARIENNE : REPENSER LES INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ETRANGER (IDE) / 40 - Au Maghreb, les changements politiques modifieront-ils la donne pour l’intégration économique ? / 45

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ENERGIE ET CLIMAT

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- NÉGOCIATION INTERNATIONALE SUR LE CLIMAT : PASSER DU CLIVAGE NORD-SUD À L’ACTION CONJOINTE / 54 - DÉSASTRES NATURELS, COOPÉRATION INTERNATIONALE ET RECONSTRUCTION : ÉVITER LES ÉCUEILS DU COURT-TERMISME / 59 - GOUVERNANCE DE L’EAU ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : LE DÉFI VITAL POUR L’AFRIQUE / 61 - LES BUSINESS MEDAYS : DE LA RÉFLEXION À L’ACTION RÉVOLUTIONS ÉNERGÉTIQUES DANS LES MARCHÉS ÉMERGENTS : LES NOUVEAUX ACCÉLÉRATEURS DE CROISSANCE / 68 - LES DÉFIS DE L’ACCÈS DES ÉTATS À L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE CIVILE / 70 - LE FINANCEMENT DES GRANDS PROJETS ÉNERGÉTIQUES : COMMENT FAIRE DES PPP DE VÉRITABLES LEVIERS DE CROISSANCE ET DE COMPÉTITIVITÉ ? / 79 - TRANSPORT ET EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE : QUELLE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE ÉNERGIES FOSSILES ET ÉNERGIES RENOUVELABLES ? / 82 - MMOBILIER ET EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE : COMMENT ÉLARGIR LES MARCHÉS AU SUD ? / 86

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COOPERATION ET DEVELOPPEMENT

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- L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT DANS LA CRISE / 92 - DE LA CROISSANCE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EFFICACE ? / 95 - FOCUS : COOPÉRATION TRIANGULAIRE : QUELLE PLACE POUR DE NOUVELLES INITIATIVES DE COOPÉRATION ? / 98 - FOCUS : SPORT ET DÉVELOPPEMENT / 102 - L’EDUCATION AFRICAINE DANS LA MONDIALISATION / 106 - FOCUS : L’OFFICE MÉDITERRANÉEN DE LA JEUNESSE / 110 - FOCUS : MIGRATIONS ET CIRCULARITÉ / 114

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PREVENTION DES CONFLITS

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- L’IMMENSE DÉFI DE LA PRÉVENTION DE CONFLITS ET DE LA STABILISATION : QUELLE DYNAMIQUE PEUT-ON CRÉER ENTRE LES EFFORTS DIPLOMATIQUES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE ? / 122 - SUD SOUDAN : NAISSANCE à hauts risques / 128 - L’AFGHANISTAN : UN LABORATOIRE DU PEACEBUILDING / 133 - ISRAËL - PA LESTINE : 2011, L’ANNEE DE L’ETAT PALESTINIEN ? / 140 - La diplomatie palestinienne a-t-elle une chance d’obtenir les revendications historiques dans l’enceinte multilatérale ? / 142 - Quel partenaire pour la paix en Israël ? / 144 - Dynamiques électorales en Israël. Quel partenaire pour la paix pour les Palestiniens ? / 146 - Camp David et les paramètres Clinton / 148 - Existe-t-il une solution politique pour Jérusalem ? / 151 - La valeur de l’initiative arabe de paix dans le processus de négociation / 155

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GOUVERNANCE

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- Etablir les structures d’une bonne gouvernance : le paradigme d’une stabilité de long terme / 164 - La mise en place d’organes de lutte contre la corruption / 170 - Le rôle des médias et de l’internet dans la transition démocratique : (R)évolution 2.0 / 173 - Les forces armées dans les pays du Sud : quelle place, pour quelles missions ? / 177 - Pakistan : préoccupation stratégique majeure / 181 - FOCUS : AQMI : Al-Qaïda au Maghreb Islamique / 183

MEDays 2011 Le Sud dans la Gouvernance Mondiale / 189 Auteurs / 191

Cette année encore, les débats ont suscité confrontations d’idées et échanges d’expériences.

Vue d’ensemble de la cérémonie d’ouverture des MEDays 2010

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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:: Le Forum MEDays Les MEDays, forum d’envergure internationale abrité annuellement par la ville de Tanger, porte du Maroc sur l’Europe et le Monde, est l’événement phare organisé par l’Institut Amadeus. Porte-voix du Sud, il se veut avant tout un espace de dialogue, de concertation, de codécision et de cogestion entre tous les décideurs du Nord et du Sud autour des différentes problématiques et thématiques prioritaires du Sud. Le Forum MEDays s’impose aujourd’hui comme la rencontre stratégique des acteurs mondiaux des sphères géostratégiques, politiques, économiques et sociales des pays du Sud et plus précisément des régions Maghreb, Méditerranée, Afrique et Monde Arabe avec une ouverture en 2010 et confirmée en 2011 sur les régions Asie et Amérique latine. Une communauté de plus de 200 intervenants de haut niveau : chefs d’Etat et de gouvernement, décideurs politiques, hommes d’affaires, chefs d’entreprises, représentants d’organisations internationales, experts et représentants de la société civile se retrouvent chaque année et participent à plus d’une vingtaine de panels pour déboucher sur des propositions pratiques et des solutions concrètes et viables, mis en forme dans un document d’engagement: La Déclaration de Tanger. Les MEDays assurent également un rôle pédagogique auprès du grand public marocain concerné par ces enjeux majeurs puisque prés de 2000 participants sont présents dont 300 étudiants.

:: L’Institut Amadeus L’institut Amadeus est un think tank marocain, indépendant, crée en 2008 et basé à Rabat. Il se positionne comme un espace de réflexion et un créateur de débats par excellence. Son ambition première est d’apporter une contribution au débat public marocain et maghrébin dans une perspective de se mouvoir en porte-voix des sujets de préoccupations des pays du Sud. Notre centre de recherche, à travers le challenge quotidien de s’imposer comme un véritable laboratoire d’idées et de propositions sur les scènes nationale et internationale, se lance en 2011 dans une nouvelle phase de développement tout en consolidant ses acquis. Notre défi est de conforter ce rôle de facilitateur de débats et d’échanges tout en apportant une réelle valeur ajoutée intellectuelle aux discussions à travers un ensemble d’analyses produites par nos experts permanents ainsi que ceux associés à l’international. C’est ainsi qu’outre le forum MEDays son événement phare et as opérationnel dont il est l’initiateur et l’organisateur, l’Institut Amadeus s’est distingué depuis sa création en 2008 au travers de l’organisation de divers talks shows et tables rondes portant sur des axes thématiques prioritaires ainsi que ses activités de publication. La dernière en date concerne le mémorandum remis à la Commission Consultative de Révision de la Constitution à titre de contribution citoyenne à ce débat d’envergure nationale.

NOS ORIENTATIONS STRATÉGI Q UES Axes Thématiques - Classe moyenne et mobilité sociale - Croissance économique et intégration régionale - Co-développement : coopération Nord-Sud - Développement durable et efficacité énergétique - Résolution de conflit et sécurité - Bonne gouvernance et citoyenneté

Axes Géographiques - Maroc - Maghreb - Méditerranée - Afrique - Monde arabe - Pays du Sud : les 3A

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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MEDays 2010 :

Ils étaient présents en 2010

Saeb ERAKAT,

SVEN AKALAJ,

Membre du comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine, chef du département des négociations

Ministre des Affaires Etrangères de Bosnie

Cheik Sidi DIARRA,

Secrétaire Général Adjoint de l’ONU, Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique, Haut représentant du secrétaire général pour les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits états insulaires en développement

Cheng TAO,

Miguel Angel MORATINOS

Vice-Président de l’Institut de Politique étrangère du peuple chinois

Ancien Ministre des Affaires Etrangères espagnol

Edmund PHELPS,

Professeur d’Economie Politique à l’Université Columbia de New York, Prix Nobel d’Economie 2006

Abdullah ABDULLAH,

RAJENDRA KUMAR PACHAURI,

Principal chef de l’opposition afghane, ancien ministre des Affaires Etrangères

Président du Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC)

Vuc JEREMIC

Ministre serbe des Affaires Etrangères RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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MEDays 2010 :

Ils étaient présents en 2010

Angelino GARZON,

Marou AMADOU,

Vice-Président de la République de Colombie

Ministre de la Justice, Garde des Sceaux et Porte Parole du gouvernement du Niger

Rodi KRATSA TSAGAROPOULOS Vice Présidente du parlement européen

Suleiman AL HERBISH,

Cécile MAISONNEUVE,

Directeur-général du fonds de l’OPEP pour le Développement

Vice Présidente, International Agenda et Prospective, Areva

ERIC BESSON

Ministre de l’Industrie et de l’Energie de la République française

Keith ELLISON,

Philippe DE FONTAINE-VIVE Vice-Président de la Banque Européenne d’Investissement

Membre du Congrès des Etats-Unis, Représentant du 5ème district du Minnesota, membre de la commission des Affaires étrangères

Grigol Vashaze

Ministre des Affaires Etrangères de Géorgie RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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Forum MEDays 2010 - Le Sud : Entre crises et émergence Les Sud(s) à la croisée des chemins Plus de vingt ans après la fin de la guerre froide, le monde parachève aujourd’hui sa globalisation. Les évolutions technologiques ont ouvert les portes de l’information aux quatre coins de la planète. Tous les Etats du globe ou presque font aujourd’hui partie de l’organisation mondiale du commerce. Presque 5% des droits de votes dans les institutions financières multilatérales ont été transférés aux pays émergents. L’ancien club des pays riches, le G8, s’est ouvert sur le monde pour désormais inclure vingt membres, deux tiers de la population et 85% de la richesse mondiale.  Pour autant, la caravane du monde n’a jamais cessé de s’allonger. Le PIB par habitant d’un Qatari est 250 fois plus élevé que celui d’un Congolais. Une Japonaise peut espérer vivre 45 ans de plus qu’une Zambienne. Un nouveau né suédois a 60 fois plus de chances de survie à un an qu’un nouveau né angolais. Alors qu’une moitié du monde a su mettre son génie humain au profit d’un développement harmonieux et partagé, une autre peine toujours à y parvenir. Cette moitié qu’on appelle un peu rapidement ‘le Sud’, doit faire face à de graves déficits tant dans l’avancement économique que dans le développement humain de ses populations. Il est en première ligne des défis énergétiques, climatiques et environnementaux globaux qui menacent la planète ; mais envers et contre tout, il manque désespérément de moyens pour y faire face.

:: Le Sud en crise Selon Cheick Sidi Diarra, Secrétaire Général Adjoint de l’ONU et Haut Représentant pour les pays les moins avancées, les pays en développement sans littoral et les petits Etats insulaires, «  des progrès significatifs ont été accomplis dans une grande partie du monde en développement. Les pays du Sud ont réalisé des progrès économiques énormes, qui ont eu des

incidences positives sur les indicateurs sociaux de développement humain, notamment sur la réduction de la pauvreté, l’éducation, et la révolution agricole ». Ces améliorations mesurables ne doivent pourtant pas cacher les défis immenses qu’il reste à surmonter. L’aspiration de chaque individu à une vie dans la dignité peine à se matérialiser, avec des écarts de revenus toujours criants entre Nord et Sud. Près de 39% de la population d’Asie du Sud vit avec moins d’1,25 USD par jour ; ce taux monte à 51% en Afrique subsaharienne. A contrario, seul 0,3% de la population européenne se trouve dans une situation de pauvreté équivalente. Les Etats peinent à générer des activités économiques vectrices d’une prospérité partagée ; le chômage d’une jeunesse de plus en plus formée touche tous les pays en développement, particulièrement en Afrique, alors que se développe un phénomène de paupérisation des travailleurs qui ne trouve pas d’issue. Selon un rapport intermédiaire des Nations unies sur le développement, 64% des travailleurs d’Afrique sub-saharienne vivraient dans la pauvreté1, à peine moins en Asie du Sud. La crise est également alimentaire, conséquence du renchérissement du prix des matières premières agricoles. Des émeutes de la faim ont secoué une quarantaine de pays entre 2007 et 2010. Face à la spéculation sur les denrées agricoles, et une demande mondiale croissant plus rapidement que les capacités de production, les pays les plus fragiles sont incapables de nourrir leurs populations. En 2009, le nombre de personnes souffrant de malnutrition dans le monde a de nouveau dépassé la barre du milliard d’êtres humains.

:: D’un Sud à l’autre Plus que jamais, il semble erroné de vouloir parler du Sud comme d’un ensemble homogène ; de deux grands

1- Statistiques incluant aussi l’emploi informel. Rapport 2010 sur les objectifs du Millénaire pour le développement. ONU. RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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ensembles – Nord et Sud –, le monde s’est transformé en un ensemble diffus et complexe, caractérisé par une grande diversité d’acteurs, aux intérêts et aux stratégies différentiées. Derrière les pays développés, un groupe de pays dits intermédiaires a mieux réussi que les autres son intégration dans l’économie mondiale  : la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Inde et l’Indonésie, dont la démographie englobe la moitié de l’humanité, ont su tirer les bénéfices d’un marché mondial des biens, du travail, et des capitaux. Malgré des tensions internes et propres à chacun, ils sont parvenus à enclencher une dynamique de création de richesses, et à en faire profiter une part grandissante de leur population. Derrière eux, un groupe de plus en plus hétérogène de pays reste à la remorque du développement économique et social. Son évolution en marge de la communauté internationale le place dans une position de spectateur d’un monde auquel il ne prend pas part. D’aucuns arrivent à tirer leur épingle du jeu, en jouant sur un équilibre subtil d’intégration économique, d’effort redistributif, et de bonne gouvernance. D’autres ont su tirer parti de leurs positions géographiques et de leur compétitivité salariale pour dynamiser leurs économies. A la traine du monde, un dernier groupe de pays subit complètement l’environnement mondial, sans parvenir à y trouver sa place ; victime de guerres des monnaies qui affaiblissent ses économies, victime collatérale d’une crise financière dont il ignore tout des causes, victime aussi d’un capitalisme débridé qui spécule sur les denrées alimentaires dont il a tant besoin. Dans ce schéma, le continent africain occupe une place à part ; un seul pays africain fait partie du forum de la gouvernance mondiale du G20 – pour 53 pays tout de même – contre 2 à l’Amérique latine (18 pays), et 7 à l’Asie (51 pays). Aussi 48 des 79 pays membres du groupe ACP, définis comme les plus pauvres du monde, se trouvent sur le continent africain. L’Afrique compte les ¾ des 49 pays pauvres les plus endettés de la planète, identifiés en 1996 par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Les pays africains concentrent l’essentiel des problèmes de pauvreté, qu’elle soit humaine ou financière.

:: Développement endogène Face à cette situation, la communauté internationale s’est mobilisée en faveur du développement des régions les plus défavorisées dès les années 1960. Mais malgré des montants alloués à l’aide de plus en plus élevés – de quelques milliards USD au milieu des années 60 à plus de 123 milliards USD aujourd’hui –, le processus de développement du Sud s’est révélé être extrêmement frustrant. Certes, la communauté internationale a connu quelques succès, notamment dans la lutte contre la pauvreté. En 2000, à travers un plan de développement humain sur un horizon de 15 ans – les Objectifs du Millénaire pour le Développement –, les Nations unies ont fourni une grille de lecture multidimensionnelle pour l’évaluer le recul de la pauvreté. Avec l’aide des acteurs de la coopération, des succès majeurs ont été enregistrés : progression de la scolarisation des enfants, amélioration de la condition des femmes, baisse de la pauvreté absolue, et recul de certaines maladies. La communauté internationale s’est notamment révélée très efficace dans l’organisation d‘opérations « coup de poings », arrimées à des objectifs quantitatifs précis. Ce fut le cas des campagnes de vaccination contre la malaria, la tuberculose et bien d’autres maladies, qui ont permis de diminuer drastiquement la mortalité parmi les populations les plus défavorisées. Ces politiques ponctuelles, circonscrites dans le temps et dans l’espace, se sont révélées d’une redoutable efficacité. Mais pour ce qui est d’enclencher une dynamique de développement vertueuse, l’aide internationale a rencontré davantage de difficultés. Durant de nombreuses années, l’idéologie du moindre Etat s’est imposée aux pays en développement via les conditionnalités des bailleurs de fonds internationaux. En réduisant l’Etat à ses fonctions régaliennes pour ouvrir tous les secteurs à la concurrence internationale – y compris dans des domaines comme l’éducation, l’agriculture ou la sécurité sociale –, ces programmes ont mené, là où ils ont été appliqués, à des reculs du développement humain sans précédents.

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Les Objectifs du Millénaire qui restent inachevés sont ceux là même qui nécessitent de mettre en œuvre des logiques plus complexes. La sécurité alimentaire, la lutte contre l’illettrisme, l’accès à l’eau potable ou la réduction de la pauvreté exigent des actions conduites sur des générations entières et une gouvernance nationale forte. Qui plus est un Etat capable de développer sa capacité à écouter les différents groupes sociaux pour trouver des solutions à leurs contraintes. De l’expérience des ajustements structurels, les pays en voie de développement ont néanmoins retenu qu’ils ne devraient plus jamais tomber dans la dépendance, qu’elle soit financière, politique ou économique.

:: Les Etats en développement dans un monde multipolaire La conjoncture actuelle a replacé l’Etat au centre des stratégies nationales pour générer la croissance économique. Aujourd’hui massivement désendettés, que ce soit grâce à leurs excédents commerciaux ou en bénéficiant des programmes d’allègements de dette, bon nombre de pays en développement peuvent de nouveau opérer des choix sur la base de budgets assainis. C’est le cas de nombreux pays africains  ; l’endettement du continent s’est en effet considérablement réduit lors de la dernière décennie. Entre 2001 et 2011, le niveau de dette extérieure de l’Afrique subsaharienne a décru de 40 points pour atteindre 25%. Le commerce africain, encore presque totalement dépendant des matières premières, est cependant dynamisé par la croissance des pays émergents, à peine touchés par la crise économique. Dès 2010, de très nombreux pays africains avaient retrouvé leur niveau de croissance d’avant la crise économique et financière. Cette croissance s’est avérée être le seul facteur efficace de réduction de la pauvreté et la malnutrition dans le long terme. De leur côté les pays émergents, ainsi que les pays exportateurs d’hydrocarbures, se sont affranchis, du cadre de la coopération multilatérale ou bilatérale.

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Ils aspirent à devenir des acteurs du jeu global, à être consultés pour fixer les règles internationales et donc à réformer les institutions de la gouvernance mondiale – les institutions financières et le Conseil de sécurité des Nations unies. Les Etats émergents sont devenus de véritables puissances qui développent leur politique de coopération selon une ligne de politique étrangère indépendante, s’installent dans des logiques d’influence régionale ou même internationale.

:: Autoritarisme, inégalités et développement Dans le processus de développement, la redéfinition du périmètre de l’Etat ne saurait être dissociée de la question de sa forme. Le Sud, qu’il soit en développement, émergent ou intermédiaire, n’est pas uniforme dans sa pratique du pouvoir politique. Une partie se caractérise par un autoritarisme politique, l’autre par l’acceptation de règles plus démocratiques. Certains régimes autoritaires ont bien sûr été capables de mener leurs économies sur la voie de l’intégration dans l’économie mondiale; d’autres encore ont maintenu une relative égalité entre leurs citoyens, quitte à procéder par un nivellement par le bas. Aucun n’a pourtant réussi à concilier son insertion dans le commerce mondial et le maintien d’une certaine homogénéité économique et sociale. La Chine est sans doute l’exemple le plus représentatif de ce groupe de pays émergents et autoritaires. Les caciques du Parti communiste chinois ont su enclencher un mouvement continu d’amélioration des indicateurs de développement humain  ; la pauvreté s’y est considérablement réduite, plus que partout en Asie. Si l’on considère le seuil de 1,25 USD par jour, le pourcentage de pauvreté est tombé de 60% de la population à 16% entre 1990 et 2010 (données Banque mondiale). Toutefois, la moitié des chinois vivent encore avec moins de 2,5 USD par jour et les inégalités se sont fortement accrues au fur et à mesure que l’économie chinoise s’insérait à l’économie mondiale. Auparavant caractérisée par un certain égalitarisme, la société chinoise a désormais intégré le groupe de pays qui affichent un coefficient d’inégalités supérieur.

Graphique 1. Les Etats africains se portent mieux que par le passé grâce à un désendettement soutenu par les annulations de dette, des capacités budgétaires retrouvées et une croissance élevée - toutefois très dépendante des exportations de matières premières. Les excédents budgétaires font même leur apparition en 2005 et 2006, années dans lesquelles les plus importantes annulations de dette ont été faites notamment grâce à l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés) soutenue par la Banque Africaine de Développement, le FMI, la Banque Mondiale et les clubs de Paris et de Londres. Durant la crise, les pays africains ont pu atténuer les principaux effets du ralentissement économique en investissant les excédents budgétaires des années précédentes dans l’économie. L’année 2011 s’annonce une année risquée pour les finances publiques en Afrique notamment si les déséquilibres persistent et les prix des matières premières alimentaires continuent à flamber. Les perspectives de redressement des déficits sont dépendants d’une croissance stable et forte.

Graphique 2. Les pays du Sud se sont dégagés massivement de leur dette externe au cours de la dernière décennie Au début de 2008, à l’orée de la crise financière, la plupart des pays en voie de développement affichent des taux d’endettement externe historiquement faibles. Une des lignes d’action économique des Etats en développement a été de ne plus subir les risques d’un financement de leurs dépenses par des acteurs extérieurs.

Statistiques : FMI

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A l’inverse, les nombreux pays en voie de développement qui ont su rentrer dans le jeu démocratique sont parvenus à réduire très significativement leurs inégalités. Sur le continent latino–américain, de loin le plus inégalitaire de la planète, 14 pays sur 16 ont mieux réparti leurs richesses depuis 2002 - dont 11 très fortement selon le dernier rapport de la CEPALC (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes). A l’échelle du continent, le taux de pauvreté a chuté de 20 points depuis 1990. Ce mouvement relativement récent, intervient sur un passif des inégalités qui s’était creusé tout au long de périodes de gouvernements autoritaires, dans les années 1970 ou 1980. L’Europe de l’Est fournit un autre exemple de ce rapport entre autoritarisme et réduction des inégalités. Si l’ouverture des économies au système capitaliste a entraîné une régression de l’indice des inégalités, ce dernier n’a jamais dépassé le seuil symbolique - 0,4 sur le coefficient GINI internationalement admis comme mesure des inégalités- au-delà duquel on considère que les inégalités deviennent un facteur de très fortes tensions sociales. Dans le même temps, la même transition économique a entraîné une augmentation extrêmement forte des inégalités en Russie et dans ses anciennes Républiques d’Asie de l’Ouest, qui n’ont pas su développer des pratiques démocratiques égales à celles des pays de l’Europe de l’Est. Aucun analyste n’a jamais conclu formellement à un lien de cause à effet entre autoritarisme et progrès social. Un certain dirigisme économique peut même être nécessaire pour impulser un changement de société. Mais le cours de l’histoire tend à prouver qu’il existe un lien structurel entre les deux phénomènes. Dans une logique rawlsienne, une société qui laisse la voix à son peuple sera naturellement portée à travailler à la cohérence du corps social et à s’attaquer au sort de ses plus démunis. Inversement, une société en proie au progrès social verra naturellement naître les aspirations d’un peuple à prendre en main son destin.

:: Un ordre international qui favorise la paix et le développement humain 2011 marque un tournant pour le Sud. Un tournant

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d’abord pour l’Afrique, qui doit arriver à mieux partager les richesses qu’elle crée et à en faire profiter une part grandissante de sa population. Désendettée, riche de sa population et de ses ressources naturelles, elle a aujourd’hui tous les outils en main pour enclencher une dynamique de développement vertueuse. Toutes les nations développées se sont construites autour d’un Etat fort, quelle que soit la doctrine économique à laquelle elles ont par la suite souscrites. Il n’en sera pas différemment pour l’Afrique. A elle de trouver son modèle, en amorçant sa transition démocratique et en renforçant les structures de sa bonne gouvernance. Les bons élèves du continent ont déjà ouvert la voie ; l’Afrique du Sud constitue un exemple de continuité démocratique depuis les années 1990. Le Rwanda, malgré son isolement territorial, a parfaitement réussi son intégration régionale et affiche aujourd’hui des taux de croissance insolents. En Afrique de l’Ouest, le Cap Vert, le Bénin et le Ghana ont poursuivi leurs progrès démocratiques. Le Niger, malgré son énorme retard, vient une nouvelle fois de faire la preuve de sa maturité en écartant le spectre de la dictature et s’oriente sur la voie d’un rattrapage économique. Aux autres de leur emboiter le pas. Tous les pays du Sud seront néanmoins concernés par ces mutations. Bien que plus avancées, les économies émergentes d’Asie et d’Amérique latine ont encore à inventer les mécanismes de redistribution qui leurs permettront de vaincre des inégalités croissantes, inhérentes au développement rapide qu’elles ont connues ces vingt dernières années. L’ordre international devra se montrer capable d’accompagner ce mouvement en incluant plus étroitement ces nouveaux acteurs. Au cours de l’année 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies rassemblera la totalité des BRICs - Brésil, Inde, Russie et Chine -, mais aussi l’Afrique du Sud, et le Nigeria, tous candidats à en devenir des membres permanents - exceptés la Chine et la Russie qui le sont déjà. Dans cette configuration historique, le Conseil rassemblera la moitié des pays membres du G20 et 60% de la population mondiale. L’occasion de progresser vers une gouvernance mondiale qui puisse affronter efficacement les

déséquilibres mondiaux et les défis que posent la résolution et la gestion des conflits à travers le monde, particulièrement en Afrique. C’est ce Conseil qui a déjà autorisé l’emploi de la force pour protéger les populations civiles en Libye par  la résolution 1973. Il aura encore fort à faire pour venir à bout des tensions sur les principaux théâtres de conflits dans le monde, qu’ils soient en Afghanistan, au Soudan, en Côte d’Ivoire, au Pakistan ou en Somalie.

Le forum MEDays s’est construit pour accompagner et suivre ce double mouvement  ; accompagner la croissance en mitigeant les crises et réfléchir aux relations entre les différents piliers du développement. D’abord cantonné aux relations euro-méditerranéennes, le forum s’est peu à peu élargi aux enjeux globaux auxquels fait face l’Afrique. Tout en favorisant le partage d’expérience entre tous les émergents.

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Les Suds – La nouvelle géographie du Monde émergent CARTE 1. Le Sud autoritaire Carte établie selon un indice composite d’indication du degré de ‘démocratie’ des Etats. Les indicateurs retenus sont le pluralisme du processus électoral, la capacité de fonctionnement des gouvernements, le degré de participation politique, la culture politique, et les libertés civiles. En jaune apparaissent les régimes dits « semi autoritaires » et en orange les régimes autoritaires. Dans cette carte est pris en compte aussi le critère du degré de liberté estimé par l’association Freedom house dont les données sont parfois précisées à une échelle moins étendue que les territoires nationaux. Nous avons retenu de représenter exclusivement les Etats dans l’homogénéité de leur territoire.

Statistiques : Democracy index par the Economist Intelligence Unit, Freedom House

CARTE 2. Le Sud des inégalités L’indicateur d’inégalité retenu correspond au coefficient de GINI, mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée. Il se calcule par rapport à la fonction qui associe à chaque part de la population ordonnée par revenu croissant, la part que représentent ses revenus dans le PIB du pays.

Données : OCDE

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CARTE 3. Le Sud du Développement Humain L’indice composite de mesure du développement humain, crée par le Programme des Nations Unies pour le Développement, se base sur trois critères majeurs : l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Les pays qui apparaissent sur cette carte sont ceux qui ont encore de nombreux chantiers à engager pour améliorer leurs indicateurs de développement humain. Seuil de développement humain retenu : >0,7

Données : PNUD

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La coopération méditerranéenne dans les crises Depuis sa création en 2008, l’institut Amadeus s’est positionné comme un think tank du Sud, soucieux de favoriser et accompagner l’émergence d’une coopération euro-méditerranéenne efficace et ambitieuse. En 2010 cependant, il y avait beaucoup de raisons de désespérer de voir se concrétiser l’idéal d’une Méditerranée partagée équitablement autour de valeurs communes et de projets bénéfiques. Du propre aveu de l’une des figures les plus dynamiques de la diplomatie dans la région, l’espagnol Miguel  Angel Moratinos, la coopération euro-méditerranéenne se trouvait fin 2010 dans une impasse. Alors que se tenait le forum MEDays à Tanger, le constat était flagrant: le sommet de l’Union pour la Méditerranée était reporté sine die, les perspectives de coopération étaient en berne entre les pays du Maghreb, et l’établissement d’une zone de libre échange en Méditerranée devenait de moins en moins tenable à l’échéance initialement prévue (2012). Une des principales raisons à cela est l’enlisement des sujets politiques conflictuels. L’Union européenne n’a pas su jouer un rôle déterminant afin de régler les nombreux conflits qui bloquent la coopération méditerranéenne. L’échec des pourparlers israélopalestiniens est patent, à cela on peut ajouter le manque d’avancée des négociations sur le Sahara, ou encore la division de Chypre qui semble s’installer dans les esprits. En ce qui concerne le Maghreb, l’actualité de 2010 a recélé d’articles sur les activités d’AlQaïda au Maghreb Islamique, sources de tensions diplomatiques dans le Sahel, ou encore des déclarations politiques parfois extravagantes du leader libyen Mouammar Kadhafi. 2011 s’apprêtait donc, à l’égal des années précédentes, à être l’année de la continuité dans un monde arabe hors temps, gelé dans des rapports stratégiques rivaux,

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cristallisés sur des lignes de conflits dont il est passé maître dans l’art de les lire et d’en jouer. Tandis que les pays européens dans leur ensemble percevaient mal encore de quelle manière agir sur leur voisinage sans ingérence mais avec l’idée d’un partenariat de transformation.

:: Par deux fois refondé, le processus de Barcelone reste sans résultats certains La coopération euro-méditerranéenne – aussi connue sous le nom de processus de Barcelone - est lancée en 1995 ; elle n’a pourtant jamais eu ni l’ampleur, ni la symbolique de ce que l’Union européenne avait pu faire avec l’Espagne ou le Portugal, puis avec les pays de l’Est qui sont rentrés dans l’UE. Pour une raison évidente, la finalité du processus est différente  : ce n’est pas l’intégration pleine et entière qui est offerte mais tout au plus un partenariat. Après une période durant laquelle un fonds de coopération était clairement dédié à la Méditerranée, l’Europe propose aujourd’hui une enveloppe d’aide d’une douzaine de milliards d’Euros pour appuyer sa politique de voisinage. Cette enveloppe se partage entre les pays méditerranéens, les pays des Balkans, ceux de l’Est et du Caucase. Ces fonds sont dédiés aux réformes structurelles dans les pays récipiendaires et concernent aussi bien la justice que l’éducation et l’appui à la démocratie. Les Etats choisissent d’y postuler pour financer leurs réformes et l’Europe décide de la recevabilité de la demande selon les critères qu’elle a définis. Le Royaume du Maroc en est d’ailleurs le premier bénéficiaire, puisqu’il capte environ 400 millions d’euros par an et dispose d’un partenariat renforcé : le statut avancé. Peu à peu, le processus de Barcelone - lancé à un moment historique où le processus de paix au Moyen-Orient était encore fonctionnel - s’est donc

transformé en une politique de voisinage, moins dédiée à la Méditerranée qu’à mener une politique unifiée, destinée à « assurer la paix et la stabilité aux

incapables d’en évaluer l’impact dans les pays du Sud méditerranéen. De plus, les priorités données à ce partenariat sont bien éloignées de ce que les pays du Sud aspiraient à obtenir réellement d’une coopération avec l’Europe, c’est-à-dire, des investissements, des technologies et des emplois. Les projets d’appui à la société civile ou à la réforme politique ne constituaient pas une priorité pour nombreux d’entre eux. C’est à partir de ce diagnostic que le projet de refonder le partenariat méditerranéen a été recentré autour d’une initiative  : l’Union pour la Méditerranée (UpM). Ce nouveau projet, axé sur des coopérations techniques et financières, s’articule autour d’une idée clef : si la coopération marche à petits pas autour de projets flexibles, alors une meilleure compréhension s’installera entre les différents pays et aboutira sur le long terme à établir un meilleur dialogue régional. En étroite concertation, les pays des deux rives ont identifié des projets utiles au développement et à la protection du bassin méditerranéen. En somme il s’agissait de compléter l’approche de la politique de voisinage par des contenus de projet.

frontières de l’Europe. » La spécificité d’un partenariat méditerranéen a été gommée, les besoins et les caractéristiques particulières des pays méditerranéens étaient moins pris en considération.  Ces politiques de coopération, celle des fonds dédiés comme celle unifiée sous l’instrument de politique de voisinage, sont notablement restées sans effet scientifiquement mesurable. Les pays européens sont

Malgré une volonté affichée d’aborder ces collaborations de manière pragmatique, la politique internationale est rapidement venue mettre à mal le projet, encore trop dépendant des considérations diplomatiques. A commencer par le conflit du Moyen Orient : la guerre de Gaza, lancée par Israël en décembre 2008, a suspendu les rencontres de haut niveau pendant six mois. L’élection de Benyamin Netanyahou en juin 2009 et la nomination d’Avigor Lieberman comme ministre des Affaires étrangères, sont venus renforcer le blocage. Enfin, la politique - la vraie -, le rapport des peuples avec leurs gouvernements, se replace aujourd’hui au centre de la scène méditerranéenne avec le «  réveil arabe ». Les pays d’Europe et ceux de la Méditerranée ont échoué par deux fois à produire des instruments efficaces de coopération : une fois sur les fonds dédiés aux réformes structurelles et politiques, une fois avec une cadre pluri-étatique de gestion de projet.

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:: Refonder la coopération euro-méditerranéenne : la crise tunisienne comme détonateur L’immolation de Mohammed Bouazizi, a déclenché les évènements qui allaient bouleverser entièrement la scène méditerranéenne et les lignes politiques. Dans l’ancien monde - celui d’avant le « réveil arabe » - 2011 devait être une année d’élection présidentielle en Egypte. On pariait sur Gamal Moubarak et l’option de la succession dynastique, ou sur Omar Souleiman le tout puissant chef des services secrets. Quiconque se serait risqué à pronostiquer une élection libre et transparente aurait été taxé de naïveté. Certains analystes politiques regardaient également vers la Tunisie, en se demandant qui pourrait succéder à l’autocrate vieillissant Zine El Abidine Ben Ali, dont on pressentait que la réélection en 2009 laissait un parfum de fin de règne. Ce qui a bouleversé l’Afrique du Nord et le monde arabe, c’est que ces quelques analystes clairvoyants n’étaient visiblement pas les seuls à se poser ces questions  ; le peuple tunisien, lui-même s’est révolté face à l’absence de perspectives de changement. En reversant l’ancien despote, il a pris de court, au passage, toutes les chancelleries méditerranéennes. Personne n’attendait l’étincelle tunisienne. En moins d’un mois, un régime qui reposait sur les acquis de la performance macroéconomique, sur l’ouverture au commerce, sur le tourisme et sur l’investissement étranger, est tombé. Le statut quo du monde arabe, le troc du développement économique au détriment des libertés civiles, était rendu caduc à partir du moment où les populations ne ressentaient pas les effets du premier mais bel et bien cruellement les effets de l’absence de liberté. La détonation tunisienne est intervenue dans un contexte moribond pour la coopération euro-méditerranéenne. Les reports successifs du sommet de l’UPM, celui de juillet puis le report de celui de novembre 2010, ont prouvé que le projet de coopération à géométrie variable n’avait jamais cessé d’être contingent des grandes fractures politiques de la région. Les régimes tunisien et égyptien avaient soutenu dès le départ le projet de l’UpM  ; à l’époque, cela était considéré comme un gage de pérennité. C’est devenu un handicap pour la jeune institution.

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Remarquons toutefois que la Libye et la Syrie, qui ne lui avaient jamais témoigné un grand intérêt, ont été les plus promptes à réprimer leurs populations par la violence. Au contraire, les régimes plus liés à l’économie de l’UE ont été moins violents. En cela, les structures de pouvoir des différents régimes arabes auront prouvé leurs différences et leurs nuances, et montré l‘utilité d’un dialogue méditerranéen. Malgré ce constat, les pays occidentaux paieront encore longtemps leur manque d’exigence en matière d’élections libres et de démocratie. Plus spécifiquement leur offre pour la région est désormais perçue et décryptée comme un grand deal stratégique - gestion migratoire au Sud contre investissement du Nord et stabilité politique contre promesses de développement – ce qui a particulièrement discrédité les gouvernements européens aux yeux des populations arabes. En somme ce jeu de calculs des intérêts de chacun avec l’espoir que ce rapprochement servirait, peut-être, à long terme, de profonds changements, ne peut plus se perpétuer de la même manière. Les pays occidentaux, Union européenne mais aussi Etats-Unis devront trouver l’équilibre entre diplomatie publique et messages plus feutrés. Il s’agira aussi d’éviter le piège de l’arrogance occidentale tout en réaffirmant des valeurs universelles. Côté américain, à cet égard, les mémos diplomatiques révélés par le site wikileaks à partir de novembre 2010 ont constitué tout à la fois un des éléments qui a raffermi les manifestants mais aussi une aide assez inattendue pour la diplomatie américaine dans la région. En effet même si celle-ci demeure très impopulaire, elle est désormais peu suspecte d’avoir été aveugle ou naïve devant les régimes politiques avec qui elle a entretenu des liens assez proches. Parmi les peuples du monde arabe, ces mémos diplomatiques ont révélé aussi que la main de l’Occident n’est pas celle qui oppresse les populations, que leurs parrains occidentaux ne les soutiennent que parce qu’ils estiment qu’ils n’ont de choix qu’entre autocrates et partis islamistes. Les pays européens estimaient en effet que toute prise de pouvoir par des partis islamistes n’engendrerait que contestation politique violente, à l’exemple de l’arrêt du processus électoral en Algérie début 1991. La coopération politique entre Europe et Sud de la Méditerranée se refondera au cours de l’année 2011

autour d’une stratégie occidentale, avec l’Europe et les Etats-Unis, une stratégie plus exigeante en matière de respect des droits de l’homme et des règles démocratiques. Il est vital pour les pays européens d’accompagner les pays en transition politique, certains avaient d’ailleurs engagé des réformes économiques qui leur ont permis de stimuler les investissements internationaux, outils de la mise à niveau de leur structure productive et d’une certaine modernisation de leur économie. Afin de créer des emplois, les pays en transition devront rapidement renouer avec une gouvernance économique et la captation de flux d’investissement qui se sont d’ailleurs réduits depuis la crise financière de 2008.

:: La crise économique et financière : l’impact sur l’investissement en Méditerranée La prospérité des économies des pays du Sud méditerranéen repose principalement sur leur intégration dans l’économie mondiale et des financements qu’elles peuvent espérer en tirer. L’investissement direct étranger (IDE), le transfert de capitaux des nationaux résidents à l’étranger vers leur pays d’origine et les produits des exportations sont les trois grandes sources de capitaux. Peu de pays ont un système financier leur permettant de développer projets et infrastructures d’envergure. En outre, ils ne maitrisent pas encore certaines technologies, comme la recherche et l’extraction du pétrole en offshore, la valorisation de certaines matières premières ou les déterminants de l’amélioration de la productivité du capital humain (informatisation, management). Les IDE recoupent à la fois des transferts de capitaux, mais aussi de technologie ou de savoir faire. Ils permettent d’évaluer l’attractivité d’une région donnée et reflètent la manière dont les investisseurs mondiaux considèrent le potentiel de chaque Etat. Compte tenu du contexte particulier qui résulte de la crise

2- « La Méditerranée entre croissance et révolution », Anima, mars 2011

financière puis économique de 2008, il est intéressant d’observer l’évolution du niveau de l’investissement étranger dans les pays du pourtour méditerranéen. Une crise économique et financière conduit généralement les entreprises à geler leurs projets de développement à l’étranger. Le volume des IDE en Méditerranée a certes baissé, mais il s’est maintenu à un bon niveau par rapport aux quelques cinq années antérieures. La confiance des investisseurs étrangers dans le potentiel des pays méditerranéens se maintient, preuve qu’ils anticipent que leur développement économique se poursuivra. Les chiffres recueillis par l’étude Invest in Med, et la dernière publication produite par Anima-MIPO2, donnent des perspectives intéressantes sur le niveau des investissements étrangers dans la zone méditerranéenne. Les pays méditerranéens ont opéré pour la plupart une ouverture de nombreux secteurs à l’investissement étranger dans les années 1990 et au début des années 2000. L’étude Invest in Med révèle notamment que le nombre de partenariats dans ces IDE est en augmentation et que les secteurs qui bénéficient le plus de cette dynamique sont l’énergie, la banque, le BTP, les télécom et les matériaux. Les plus grands investisseurs dans la zone restent les entreprises européennes, mais de plus en plus de pays émergents se positionnent en Méditerranée. Parmi les tendances qui méritent d’être relevées, il y a le fait que la Turquie devienne de plus en plus clairement un pôle d’attraction sans équivalent dans la région. La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement l’a classée au 15ème rang des pays les plus attractifs au monde. Les investissements qu’elle arrive à capter s’élèvent à des niveaux tout à fait exceptionnels dans la zone. Ce dynamisme économique est d’ailleurs couplé avec une stratégie et une influence politique tout à fait nouvelle à l’international. En juin 2010, la Turquie lançait avec le Brésil une initiative concurrente à l’approche dure des pays Occidentaux visà-vis du programme nucléaire iranien. Elle semble aussi se détacher un peu de son alignement automatique sur les pays de l’OTAN et vouloir s’inscrire de plus en plus comme un maillon de la coopération en Méditerranée entre pays arabes et pays européens ou occidentaux.

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GRAPHIQUE 1. Volumes de l’investissement direct étranger dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.

Données : Anima-MIPO, FMI (WEO 2010)

GRAPHIQUE 2. La distribution des flux d’IDE dans les pays en développement du Sud et de l’Est de la Méditerranée par zone d’émission

Données : Anima-MIPO

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Enfin, la faiblesse de l’investissement entre les pays du Sud de la Méditerranée est une tendance lourde dans la dynamique des investissements régionaux. Cette situation est d’ailleurs porteuse d’une note de pessimisme pour l’avenir, car les investissements croisés sont aussi un gage de la bonne entente politique entre les pays. Les pays sud-méditerranéens s’inscrivent dans une logique de compétition pour capter des IDE extra-régionaux. Ils auraient pourtant tout à gagner à faciliter l’investissement entre voisins. Toutefois et pour nuancer cette petite teinte de pessimisme, ANIMA, constate que le nombre des partenariats noués entre pays du Sud de la Méditerranée a doublé entre 2009 et 2010, tandis que ceux avec les pays du Golfe ont triplé. Les montants des investissements restent faibles et c’est la raison pour laquelle cette progression n’est pas constatée dans les volumes.

:: L’identité méditerranéenne dans l’incertitude En fait, le constat de la coopération euro-méditerranéenne est le celui d’un échec relatif des pays européens et de l’Union européenne en général sur le plan de la construction d’un cadre de dialogue efficace qui permettent de résoudre les grands sujets en question dans la région. La Méditerranée recèlement d’enjeux stratégiques qui font d’elle une région vitale du monde dans lequel le jeu des autres puissances peut complexifier la donne. Quelque 30% du trafic maritime mondial transite par la Méditerranée et environ un quart des fluxs d’hydrocarbures. La mer borde les régions qui recèlent le plus de ressources en gaz et en pétrole sur la planète. Cependant l’Europe a une responsabilité particulière dans la zone, elle borde le Nord de la Méditerranée  ; la trajectoire des pays du Sud est donc pour partie dépendante de la politique qu’elle est capable de formuler dans la zone. Sur des domaines précis tels

que les migrations, l’éducation et la formation, le développement d‘infrastructures énergétiques ou l’accès des produits agricoles aux marchés européens, beaucoup de propositions pourraient être construites. L’enjeu est également de capitaliser sur les réformes politiques du Sud afin de concrétiser des partenariats plus profonds avec certains régimes en pleine transformation. De nombreux pays de la Méditerranée avaient compris l’intérêt et la nécessité des réformes économiques. Et l’on constate à travers l’illustration du dynamisme des IDE que le secteur privé contribue fortement au développement des économies du Sud. Toutefois, ces réformes ne peuvent pas être attribuées spécifiquement au rôle de l’Union européenne en tant que puissance politique dans la zone. Les institutions financières internationales ont peut être bien davantage contribué à l’assainissement des situations financières et à la stabilité des pays de la région. Certes, quelques uns des régimes de la Méditerranée n’ont pas survécu à cette amorce de changement et le temps de la réforme politique a été mis sur le devant de la scène par un enchaînement d’évènements. Mais cela signifie aussi que d’une année de morosité en 2010, le partenariat euro-méditerranéen entame une année de bouleversement qui aboutira à sa refondation, pour construire des politiques d’accompagnement encore plus ambitieuses, de la part de l’Europe mais aussi des Etats-Unis et de nouveaux partenaires dans la région. Enfin la résolution du conflit israélo-palestinien reste l’une des clefs de voute d’une future coopération méditerranéenne. Miguel Angel Moratinos conclura d’ailleurs son intervention à Tanger par un appel appuyé à la reconnaissance d’un Etat palestinien pour septembre 2011.

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CRISE ECONOMIQUE : UNE PETITE HISTOIRE DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX Le monde a bien changé depuis 1944 ; rentrant de Bretton Woods où fut défini l’ordre économique de l’après guerre, John Maynard Keynes se félicitait de l’imposition de restrictions sur les mouvements de capitaux, qu’il considérait comme le succès le plus important arraché à la conférence. Pourtant, depuis la chute du système en 1971, la libéralisation des échanges de capitaux et la modernisation financière ont offert des possibilités de développement économique sans précédent, en permettant aux capitaux générés dans une partie du monde d’aller s’investir dans une autre. Néanmoins, en l’absence de mécanisme coordonné de régulation des changes, cette liberté de mouvement des flux a accentué les déséquilibres planétaires, qui menacent désormais la croissance et le développement harmonieux de la planète. Explications.

:: Source des déséquilibres Les déséquilibres planétaires trouvent aujourd’hui leur source dans l’abdication des Etats du monde à s’accorder sur la fixation du « prix » le plus important: celui de leur monnaie. Au début des années 70, l’accentuation des déséquilibres de balance courante a entrainé l’effondrement du système de Bretton Woods. L’indexation de l’ensemble des monnaies sur le dollar américain, seule monnaie assise sur l’or, laissait la place à un régime de change flottant, où le prix des devises s’établissait par la rencontre de l’offre et de la demande. Selon les économistes de l’époque, le flottement des changes devait naturellement mener à un équilibrage des relations commerciales, tout en permettant aux dépôts des pays excédentaires d’être investis à travers le monde. Les pays déficitaires verraient leur monnaie se déprécier, rendant leurs exportations plus

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compétitives. Au contraire, l’attractivité des Etats excédentaires renforcerait leur monnaie, menant au renchérissement de leurs exportations. Inimaginable dans le système de Bretton Woods ! Jusqu’au tournant des années 2000, ce système a semblé plutôt bien fonctionner. Les déséquilibres mondiaux ont rarement dépassé 3% du PIB mondial, excepté pendant de brèves périodes. Les corrections avaient souvent lieu suite à des variations marquées et abruptes des flux de capitaux et des taux de change. Théoriquement attrayant, le système s’est peu ou prou fissuré par l’introduction de 2 distorsions majeures ;

1 - En abandonnant son adossement à l’or en 1971, l’expansion du dollar - la monnaie de réserve internationale - n’a plus eu de limite. Depuis cette époque, les Etats-Unis ont pu mener une expansion monétaire sans précédent, financée par une demande étrangère quasi illimitée pour leur devise.

leur développement commercial, permettant aux Etats de gonfler artificiellement leur compétitivité. L’intervention de la Chine sur sa monnaie, dont on estime la devise sous-évaluée de près de 40%, joue aujourd’hui un rôle majeur dans le creusement des déséquilibres.

2 - Deuxième distorsion, la manipulation de la valeur de certaines monnaies a favorisé le creusement des déséquilibres macro-économiques. L’arme monétaire est redevenue un outil privilégié d’intervention étatique en faveur de

L’absence de cadre aux interactions financières internationales a mené à un environnement dominé par le chacun pour soi, dans lequel chaque Etat se retrouve à poursuivre ses propres intérêts.

BALANCES COMMERCIALES – ILLUSTRATION DES DÉSÉQUILIBRES MONDIAUX

Données : OCDE, données de 2009

:: Déséquilibres monétaires Au lieu d’équilibrer les interactions économiques et commerciales entre les Etats, la manipulation des changes a causé leur amplification. Les Etats les plus compétitifs dans la production de biens et de services engrangent des surplus commerciaux qui les mettent en position de force pour à leur tour soutenir leur

monnaie à la baisse. Typiquement, un Etat peut ainsi intervenir sur le marché des changes pour influer le cours de sa monnaie. En vendant sa propre monnaie contre des devises étrangères (l’excès d’offre faisant chuter le prix), un Etat peu limiter l’appréciation de sa monnaie, et renforcer d’autant sa compétitivité à

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l’exportation. Une autre méthode consiste à rendre illégal le change de devises à un taux autre que le taux officiel  ; cette possibilité ne s’offre néanmoins qu’aux gouvernements qui exercent un monopole sur l’activité de change. La Chine est l’exemple type du pays poursuivant cette politique. Aux pays en développement, les excédents commerciaux ont permis d’accumuler des réserves de change phénoménales, destinées à se prémunir contre d’éventuels chocs systémiques. Entre janvier 1999 et juillet 2008, les réserves officielles du monde sont ainsi passées de 1615 milliards de dollars à 7534 milliards de dollars. En mai 2010, elles ont atteint un nouveau pic de 8385 milliards de dollars. La Chine s’en taille la part du lion, en accumulant plus de 2450 milliards de dollars de réserves, 30% du total mondial et 50% de son propre PIB. Les pays qui refusent l’interventionnisme monétaire, à l’image de ceux de la zone Euro, du Japon, ou du Brésil, voient leurs monnaies s’envoler. L’afflux de capitaux étrangers sur le marché brésilien a fait grimper le real à des niveaux historiques, obligeant le pays à instaurer une taxe sur les entrées de capitaux spéculatifs. L’euro et le yen restent également très hauts face aux monnaies américaines et chinoises, pénalisant fortement leurs économies déjà fragilisées par la crise. Et si elle paraît parfois plus abstraite, voire virtuelle, la guerre monétaire est tout à fait susceptible de mener à des conséquences sociales aussi dramatiques qu’une guerre chaude. Une brusque réévaluation du yuan pourrait être fatale à la compétitivité des exportateurs chinois et créer un chômage généralisé en Chine. Le dollar bas semble aujourd’hui porter à lui seul le relatif dynamisme de l’économie américaine ; et la crise économique a bien montré combien la planète en dépendait.

:: Explosion des déficits - les dangers de l’austérité En l’absence de mécanisme d’équilibrage des taux de changes, les pays développés – à commencer

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par les Etats-Unis – ne sont pas parvenus à résorber leurs déficits commerciaux. En clair, consommant continuellement plus que ce qu’ils vendaient, ils se sont retrouvés à compenser la différence par du crédit. Pour les financer, ils ont eu recours à leurs meilleurs clients, qui eux, accumulaient les excédents, et étaient à la recherche de placements sûrs. La Chine est ainsi devenue en quelques années le premier bailleur des Etats Unis, détenant aujourd’hui le quart de la dette américaine, soit 906,8 milliards de dollars. C’est cette accumulation d’excédents qui, investis par les pays asiatiques sous forme de bons du trésors américains et diffusés dans la société américaine sous forme de crédits à bas prix, ont été à l’origine de la crise de la dette aux Etats-Unis. En se propageant autour du globe, la crise a contraint les économies développées à s’endetter massivement pour sauvegarder leurs institutions financières et soutenir leurs entreprises. Près de 25.000 milliards de dollars ont été réinjectés dans l’économie mondiale afin d’éviter son effondrement. Une somme qui représente 200 années d’aide mondiale au développement (123,25 milliards USD actuellement), ou six fois la taille de l’économie allemande. La consolidation fiscale parait désormais un préalable essentiel à la croissance. Les experts ont mis en avant l’importance de renouer avec des situations budgétaires plus soutenables, sans mettre en danger les perspectives de croissance. Passée la phase de relance, l’endettement excessif dans les pays développés mène aujourd’hui à une course à la réduction des déficits publics. Plusieurs Etats, dont la Grèce et l’Irlande, ont frôlé l’insolvabilité, incapables de se refinancer sur les marchés internationaux. Leur cas a fait prendre conscience au reste des économies développées de l’urgence à renverser la tendance au creusement de l’endettement public. Pour s’ajuster à ces mutations, le monde en développement doit progressivement adapter son économie en la réorientant vers une consommation domestique, plutôt que destinée à l’exportation. La Chine notamment, a déjà progressé dans cette voie, en augmentant par son interventionnisme, son soutien à la consommation  : prime à l’achat, subventions, et allocations ciblées ont vocation à augmenter le

pouvoir d’achat de la population chinoise. Entre 2004 et 2009, le taux d’épargne des ménages chinois a ainsi chuté de 26% à 12%. Selon une récente enquête du Crédit Suisse, la part de la consommation globale dans le PIB chinois pourrait passer de quelques 5,2% en 2009 à 23,1% en 2020, soit plus que les EtatsUnis dont la consommation globale représente 22,9% du PIB.

Pour autant, tous les pays ne sont pas encore en position de force et ont besoin de temps pour procéder à ces ajustements structurels. Selon les mots de l’ancien Président Lula, « les pays de l’OCDE doivent veiller à ne pas étouffer leur consommation domestique. Faute de quoi, le monde en développement pourrait en faire les frais, avec pour risque d’entrainer dans sa chute l’ensemble de l’économie mondiale ».

L’ENDETTEMENT DES ETATS – PÉRIL EN LA DEMEURE

Données : OCDE

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:: Spéculation agricole Enfin, l’excédent de ressources généré par les déséquilibres mondiaux a conduit à une explosion des comportements spéculatifs. Principale inquiétude : la volatilité des prix des matières premières, notamment agricoles, menace la sécurité alimentaire mondiale. On compte aujourd’hui 925 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, dont 239 millions en Afrique subsaharienne, soit 30% de la population du continent. En 2007-2008, le renchérissement des matières premières agricoles avait mené à des émeutes de la faim dans le monde en développement. Une vingtaine de pays à travers le monde avaient connu des soulèvements populaires violents de populations n’ayant plus accès à des ressources alimentaires à un prix abordable. Plus récemment, la hausse du prix des denrées alimentaires a alimenté le mécontentement populaire au Maghreb, contribuant au soulèvement d’une partie de la population contre des Etats incapables d’y faire face. Si rien n’est fait, ce genre de mouvements pourrait se généraliser.

L’augmentation des prix s’explique par la formation d’une bulle spéculative, liée à l’entrée sur le marché de puissants investisseurs institutionnels comme les fonds spéculatifs, les fonds de pension et les banques d’investissement, mus par les nouvelles perspectives d’investissement plutôt que les fondamentaux du marché agricole. Depuis la déréglementation américaine du début des années 2000 des marchés à terme sur les grains, on a assisté à une explosion – plus 1900% entre 2003 et 2008 – des opérations spéculatives dans ce secteur. L’alerte est donnée puisque selon l’indice FAO 2011 des prix des produits alimentaires, les principaux produits agricoles ont retrouvé leur niveau historique de 2008, et ne semblent pas près de s’arrêter de croître. La question de la spéculation sur les matières agricoles figure d’ailleurs en troisième position sur l’agenda de la présidence française du G20, après… la réforme du système monétaire international. Des mesures urgentes doivent être prises pour limiter les marges de manœuvre des opérateurs non agricoles sur ces marchés.

LA SPÉCULATION AGRICOLE EN CHIFFRES

Données : Standard & Poor’s, AIG

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:: Perspectives L’économie mondiale est devenue un environnement extrêmement complexe  ; les actions des acteurs économiques se caractérisent par l’incertitude quant à leurs conséquences. Ils sont en mesure de prendre des décisions qui affectent profondément la marche de l’économie, sans réellement en comprendre le fonctionnement. La crise a joué un rôle de révélateur en montrant que les marchés ne sont pas parfaits et mènent inévitablement à des excès.  Le rôle des Etats est de fournir un cadre institutionnel pour gérer ces imperfections. Sans la crise, nous ne serions probablement jamais arrivés à ce constat.

Les déséquilibres monétaires sont à la source de toutes les instabilités du système macroéconomique mondial; derrière cela, c’est la manipulation de la valeur des monnaies qui est en cause. Les Etats – y compris la Chine - auraient tout intérêt à laisser flotter leurs devises, puisque la fluctuation joue un rôle essentiel d’ajustement dans les échanges mondiaux. Mais ils devraient introduire des mécanismes pour prévenir les mouvements excessifs. Malheureusement, c’est une question qui n’a pas été abordée par les instances de la gouvernance multilatérale, y compris au récent G20 de Séoul tenu en novembre 2010.

Le Prix Nobel d’Economie Edmund Phelps est intervenu en duplex aux MEDays pour analyser les conséquences de la crise économique et financière sur les économies émergentes.

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Intégration économique africaine : quelle architecture pour stimuler la croissance ? Voilà maintenant trente ans que décideurs politiques et acteurs du développement de par le monde en appellent à une plus grande intégration économique de l’Afrique. On attribue tous les maux à son morcellement, qui épuise économiquement le continent, et l’empêche de sortir de son enlisement. Dès le traité d’Abuja en 1991, les chefs d’Etat de l’Organisation de l’Unité Africaine se prenaient à rêver d’un marché commun continental à l’horizon 2025. A l’échelle de la planète, les exemples de zones régionales qui ont su accroitre leur prospérité en rapprochant leurs économies ne manquent pas. Sans sombrer dans l’afro-pessimisme, le continent fait

néanmoins face à une accumulation de défis singuliers qu’on ne retrouve nulle part ailleurs  : instabilité politique, faible diversification économique et manque d’infrastructures. On ne peut dès lors que se demander si cette course au regroupement du continent au sein d’une vaste zone de libre échange apportera réellement le développement et la prospérité attendus. L’expérience africaine nous pousse à plaider pour une régionalisation avec des objectifs d’intégration plus modestes, axée sur la coopération autour de projets visant à la facilitation du commerce et de la sécurité régionale.

:: Les stades de l’intégration INTÉGRATIONS SOUS-RÉGIONALES EN AFRIQUE

**Kenya : a rejoint la CEN-SAD en 2008

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LES COMMUNAUTés economiques régionales africaines

La réalité est que l’Afrique reste un mille-feuille indéchiffrable de coopérations politiques, sécuritaires et économiques qui se recoupent non seulement dans leurs compétences, mais aussi dans leurs membres. La Banque Mondiale recense pas moins de seize ensembles de coopérations économiques sur le continent  ; un vrai casse-tête. En moyenne, chaque pays africain fait ainsi partie de quatre zones de coopération. Plus encore que leur nombre, c’est l’ambition affichée par ces projets qui frappe. La plupart prévoient autant des éléments d’intégration politique avancée au sein d’organes supranationaux qu’une imbrication économique extrêmement ambitieuse. Tous incluent sous une forme ou sous une autre un projet de marché commun, la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Les huit Communautés économiques régionales reconnues par l’Union Africaine – sorte d’avant-garde de l’intégration économique africaine -, en sont néanmoins à des stades très divers de leur intégration. Deux unions monétaires, vestiges restaurés de l’époque coloniale, coexistent depuis soixante ans sur le continent – l’Union

Economique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC). En plus d’une monnaie commune, elles se caractérisent par des efforts de coordination des fondamentaux macro-économiques, et la mise en place de tarifs douaniers communs à la zone. Sur la façade Est, la Communauté Est Africaine (EAC) vient de parachever son marché commun en 2010. Un vaste projet de zone de libre-échange se dessine, rassemblant dans une union douanière les 27 pays de la moitié orientale du continent (COMESA – EAC – SADC). Dans les faits pourtant, la majorité de ces coopérations restent largement inachevées, faute de volonté politique et de moyens financiers.

:: Examen différencié Depuis 1991, l’intégration semble être comprise comme un appel à la suppression à marche forcée des barrières commerciales. Les affaires économiques fédéralisent bien plus facilement les Etats que tout autre type de coopération – l’Europe en est la meilleure preuve.

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D’aucuns ont tendance à vouloir reproduire en Afrique le modèle d’intégration européen. Dans une région prône aux conflits et à l’instabilité politique, l’intégration économique africaine permettrait, selon la théorie du « liberal peace », d’ancrer le continent dans la paix et favoriserait la bonne gouvernance  ; des conditions essentielles au développement de l’activité économique. Pour autant, comparer l’Afrique du XXIe siècle à l’Europe des années 60 relèverait d’une erreur. Berceau industriel, première puissance agricole mondiale, et dotée d’infrastructures routières, portuaires, et ferroviaires de premier plan, l’Europe avait tout pour tirer parti d’une intégration économique. A bien des égards, le continent africain fait face à des défis qui lui sont propres ; pour des raisons historiques et culturelles, il ne saurait être un terrain de reproduction des expériences d’intégration européenne ou nordaméricaine. La construction d’une gouvernance régionale forte – ne serait-ce qu’économique – relève du tour de force. L’existence d’un Etat fort est un préalable indispensable à toute forme d’intégration, même à minima. Les conditions géographiques et démographiques de l’Afrique, composée d’Etats étendus et faiblement peuplés, aux tracés frontaliers difficilement contrôlables, rend difficile l’application de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Viennent s’y ajouter l’inefficacité administrative et une vacuité règlementaire. L’exemple douanier est flagrant : plus que le niveau des barrières tarifaires - en moyenne à 19%, contre 4,3% pour les échanges Nord-Nord – c’est l’inefficacité et la lenteur des autorités douanières qui remettent en cause la fiabilité du commerce transfrontalier, et renchérissent les coûts de transport. Dans le Sud de l’Afrique, des délais de 24 heures pour le passage d’une frontière sont considérés comme la norme. En deuxième lieu, une des clefs de la faiblesse africaine tient au manque de diversification de son économie, autant en termes de produits que de débouchés. La plupart des économies africaines dépendant d’un faible nombre de produits pour leurs exports. Les produits fossiles et miniers représentent 70% des exportations africaines. La concentration

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atteint 80% si l’on y ajoute les denrées agricoles. Avec des marchés similaires et peu diversifiés, les gains à espérer d’une intégration des marchés sont par nature faibles. Enfin, le mauvais état – voir l’absence – d’infrastructures empêche les acteurs économiques de tirer profit de l’intégration. Selon le département Afrique de la Banque Mondiale, seul 29,7% du réseau routier africain est bitumé au jour d’aujourd’hui. Les infrastructures ferroviaires sont pour la plupart vétustes et peu fiables, rendant leur exploitation impossible pour le transport de marchandises. Ces facteurs contribuent à des coûts de transports exorbitants par rapport au reste du monde. Alors que le transport d’une voiture du Japon à Abidjan coûte en moyenne 1 500 USD, le transport de ce même véhicule d’Addis Abeba à Abidjan revient à 5 000 USD.

:: Difficultés L’intégration économique est une nécessité ; Loin s’en faut de remettre en cause ce constat. Le développement des échanges régionaux, dits Sud-Sud, pourrait être l’un des moteurs majeurs du développement de l’Afrique. Les échanges entre pays en voie de développement offrent de nombreuses possibilités de spécialisation et de gains d’efficience. De récents travaux de l’OCDE montrent que les avantages escomptés d’une libéralisation des échanges Sud-Sud pourraient de fait être au moins aussi importants que ceux que les PVD pourraient espérer d’un meilleur accès aux marchés des pays riches. Mais la libéralisation des échanges ne saurait constituer une panacée. 1- Les règles d’origine des Zones de Libre-échange (ZLE) favorisent les Etats les plus dynamiques et dotés des meilleures infrastructures de transports. L’économie africaine se structure déjà autour de « pays moteur », qui tirent le développement de zones régionales. Aux côtés de l’Afrique du Sud (SADC), le Kenya (EAC) et dans une moindre mesure le Nigéria (CEDEAO) forment un groupe de pays particulièrement dynamiques. Combiné aux effets de

l’agrégation économique – qui veut que les nouvelles activités s’établissent autour de celles déjà existantes – il existe un risque non négligeable de siphonage des économies régionales. En l’absence de mécanisme de redistribution des bénéfices économiques, l’intégration pourrait se faire au détriment des régions enclavées, ou déjà économiquement faibles. Avec quinze pays enclavés – sans accès direct ou indirect à l’océan -, l’Afrique est particulièrement vulnérable aux risques de fuite des richesses vers les littoraux. 2 - L’intégration économique aurait aussi pour conséquence une diminution des recettes douanières, qui affecterait en premier lieu les pays les plus fragiles. L’intégration pourrait constituer une double peine pour ces pays, qui verraient s’ajouter au détournement d’une partie de leur commerce, la perte de recettes douanières. Effet d’autant plus dévastateur lorsque l’on considère que les revenus douaniers représentent une partie substantielle des recettes fiscales pour beaucoup d’Etats africains. A défaut de recettes fiscales, l’intégration économique risquerait de priver les Etats des deux leviers qui leur permettraient d’asseoir les bases d’un développement industriel : l’usage de protections ciblées pour préserver

des industries naissances, et les ressources financières pour mener une politique industrielle volontariste.

:: Intégration par projets Dès lors, l’intégration économique régionale devrait privilégier une approche plus limitée dans ses ambitions, focalisée sur l’opérationnel. Cette stratégie privilégierait une approche par projets, articulés autour des objectifs de facilitation du commerce et du développement d’un régime de sécurité commun, visant à renforcer la bonne gouvernance. Seraient ciblés des secteurs à haute valeur ajoutée, créateur d’emplois, et contribuant à la diversification et au renforcement des capacités productives de l’économie africaine. Adopter une approche régionale par projet permettrait de surmonter les logiques nationales des programmes de développement africains, qui ne tiennent que trop rarement compte des synergies potentielles avec les pays de la région. A l’intégration économique virtuelle ferait place une intégration de fait par un partage des ressources, des compétences, et des infrastructures. Le processus aurait ensuite naturellement vocation à se renforcer par une plus forte intégration économique.

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4 projets de co-développement pour une intégration africaine Axés autour du partage des ressources naturelles et de l’amélioration de l’environnement économique, quatre projets pourraient faire figure de moteur de la coopération régionale africaine. En l’absence de politiques régionales volontaristes et coordonnées, les efforts d’intégration et d’élimination graduelle des barrières douanières resteront vains.

Développement d’une politique africaine de sécurité alimentaire  : trouver les moyens d’assurer une sécurité alimentaire à l’échelle du continent doit plus que jamais être l’enjeu majeur de la coopération africaine. Selon la FAO, plus de 269 millions de personnes souffraient encore de sous-alimentation fin 2010 en Afrique subsaharienne et 340 millions n’ont pas accès à l’eau potable. Malgré un accroissement rapide de sa population, d’une dégradation de la qualité des terres arables et des pressions foncières croissantes, l’Afrique dispose des terres agricoles pour nourrir sa population, pourvu qu’elles bénéficient d’une irrigation suffisante et soient exploitées de manière appropriée. La production agricole doit augmenter, mais avec des méthodes économiquement viables et socialement acceptables. L’enjeu sera de partager les technologies d’une exploitation durable des terres, dans des conditions qui permettent aux générations futures d’en tirer les mêmes bénéfices. Premier chantier opérationnel, la gestion de l’eau doit être au centre des efforts de coopération. Maîtrise des ressources, gestions des crues, assainissement, transport, et surtout stockage sont des thèmes prioritaires. Selon l’ICA (The Infrastructure Consortium for Africa), « l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) est la région qui a la plus faible capacité de stockage – avec environ 43 m³ par personne et par an. A titre de comparaison, l’Amérique du Nord a une capacité de stockage de 6 150 m³ par personne et par an ». Création de corridors commerciaux : les réseaux de transport et de communication sont un facteur essentiel dans la facilitation des échanges régionaux. Pour autant, les efforts d’intégration sous-régionaux restent dramatiquement faibles, à l’image de la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC). Au sein de la zone CEMAC, seules 2 capitales (Yaoundé et Libreville) sont reliées par une route bitumée, et 12% du réseau routier seulement sont considérés comme en bon état. Trois pays sur six n’ont d’autres infrastructures terrestres de transport que les routes.

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Mettre en place des corridors de transports transfrontaliers, alliant transport routier, ferroviaire et/ou maritime, avec des formalités de douane simplifiées, constituerait une réelle avancée. Avec quinze Etats enclavés, l’Afrique est un territoire prioritaire pour ces initiatives de cohésion territoriale. Leadership mondial dans la production d’énergies renouvelables : l’Afrique représente le plus grand gisement d’énergies renouvelables, dotée de ressources solaires, thermiques et hydriques quasiment inépuisables. Dans le même temps, près de 4 africains sur 5 n’ont pas accès à l’électricité, dont le coût est un des principaux freins au développement de l’activité manufacturière et commerciale. L’éparpillement des infrastructures de production et leur manque d’entretien mènent à un coût de production de l’énergie extrêmement élevé en Afrique. Ajoutons qu’un grand nombre des ressources ne se trouve pas forcément à proximité des centres de demande. Ainsi, 61% du potentiel hydroélectrique de l’Afrique se concentre sur deux pays, la RDC et l’Ethiopie. L’exploitation commune des ressources énergétiques et le développement des infrastructures dédiées au transport et au stockage de l’énergie, permettrait de réduire de manière substantielle la précarité électrique du continent. Elle permettrait également de développer des capacités d’exportation, dans un domaine où l’Afrique a tout pour se forger un avantage compétitif. Développement d’un tourisme africain  : l’investissement dans le tourisme, tirant parti de l’énorme potentiel transfrontalier du continent africain, représente une aubaine pour dynamiser les économies locales. Les bénéfices liés au tourisme ne sont plus à démontrer ; création d’emplois, production de revenus, apport en devises, et amélioration de la balance commerciale. Le développement du tourisme tend également à dynamiser le développement des infrastructures, et facilite l’expansion des investissements dans les pays africains. Au niveau mondial, le tourisme représente 12% du PIB et 200 millions d’emplois, dont les pays du Nord s’accaparent encore la part du lion. Ce chiffre pourrait encore exploser, avec l’émergence de nouveaux pays (Chine, Brésil…), et l’arrivée à la retraite de la génération du baby boom.

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FOCUS AFRIQUE SUBSAHARIENNE : REPENSER LES INVESTISSEMENTS DIRECTS A L’ETRANGER (IDE) Les IDE ont grandement bénéficié de la libéralisation des flux de capitaux de ces dernières décennies. Ils constituent aujourd’hui l’une des formes principales de transferts de capitaux à destination des pays en développement.

On leur prête toutes les vertus. Trente années de crises de dette à travers le globe ont fait prendre conscience aux pays en voie de développement (PVD) que les entreprises multinationales pouvaient représenter un moyen de financement moins risqué que l’endettement sur les marchés internationaux  ; elles seraient notamment plus stables et plus prévisibles que les flux de dette et d’investissement de portefeuille. De plus, elles créeraient intrinsèquement une valeur et de l’emploi dans le pays récipiendaire. Pour autant, les récents troubles financiers ont remis en lumière les nombreux inconvénients de la mobilité des capitaux, et font peser des doutes sur la capacité des IDE à permettre un développement stable et durable. L’Afrique notamment, a subi de plein fouet les efforts de consolidation des entreprises multinationales. L’occasion d’engager une réflexion plus large et d’avancer des pistes pour que les investissements étrangers contribuent pleinement au progrès économique et social du continent.

:: Tendances : la part globale du Sud augmente en dépit une conjoncture de crise inquiétante La libéralisation des flux de capitaux depuis les

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années 1980 a permis un essor sans précédent des pays en développement. Ces derniers ont réussi à capter une partie du surplus d’épargne du monde occidental pour financer leur croissance. De quelques 23 milliards de dollars en 1990, les investissements directs à destination du monde émergent ont été multipliés par vingt, pour atteindre 519 milliards de dollars en 2007. Historiquement, les pays développés (définis ici comme membres de l’OCDE) s’en sont toujours taillés la part du lion, captant à eux seuls entre 70% et 90% de ces investissements directs transnationaux. La tendance est néanmoins en train de s’inverser, puisque les IDE à destination des pays en développement n’ont cessé de croître depuis le tournant des années 2000, pour s’établir aujourd’hui à 38% du niveau global. Sur la partie des IDE à destination monde en développement, l’essentiel des flux reste capté par l’Asie du Sud-Est (58%), devançant de très loin l’Amérique latine (20%), la région Moyen Orient Afrique du Nord (env. 14%), et l’Afrique subsaharienne (env. 8%). La crise économique pourrait toutefois jeter le trouble sur ce tableau. Alors qu’elles font face à des chutes de revenus colossales sur leurs marchés traditionnels (les bénéfices des entreprises du CAC 40 par exemple, ont chuté de 50% entre 2007 en 2009), les multinationales se sont vues contraintes de renforcer leurs liquidités, et de se désinvestir de leurs projets les plus risqués. Il s’en est suivi une accélération du rapatriement des profits, voire des désinvestissements, qui pourraient augmenter le stress financier dans les pays en développement.

:: Afrique subsaharienne : marginale dans la captation des flux et soumise à de forts rapatriements de profits La part du montant global de l’IDE absorbée par l’Afrique (3 %) est la plus basse du monde. Mais en termes absolus, la valeur pour l’Afrique de ces flux financiers est importante et augmente rapidement. Selon des estimations de la Conférence des Nations

unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les entrées d’investissements étrangers directs en Afrique subsaharienne ont fait un bond, passant de 11-13 milliards de dollars en 2003-2004 à 30 milliards en 2007. La crise a montré que les pays subsahariens ont été les moins performants pour stabiliser les investissements directs étrangers sur leur territoire. D’après les dernières données de la Banque mondiale, ils ont été les plus affectés par la réduction des investissements étrangers et par la course au rapatriement des profits. Avec environ un an de retard sur les économies développées, la contraction des IDE a touché l’Afrique en 2009, en recul de près de 7% par rapport à leur niveau de 2007. Plus problématique encore sur les vertus stabilisatrices des IDE, sur les cinq dernières années, les rapatriements de profits ont largement excédé les flux entrants, agissant comme un drain net de ressources financières. Ce phénomène n’a fait que s’amplifier avec la crise financière. A peu près équilibrés jusqu’en 2004, les rapatriements ont littéralement explosés depuis 2007, et excèdent maintenant les investissements de quelques 43% - soit 12 milliards de dollars.

Victimes collatérales de la crise, les pays d’Afrique subsaharienne ont subi de plein fouet l’onde de choc dit « effet croissance » - en provenance des économies avancées. La croissance a chuté d’un niveau moyen de 6% par an sur la période 2003-2007 à 2% en 2009. L’accélération des rapatriements de profits a forcé les Etats déjà financièrement fragiles à financer ces nouveaux déficits, et a mis leurs monnaies sous pression.

:: Eléments distinctifs : l’effet de concentration dans les industries extractives Ce qui fait la spécificité des IDE en Afrique subsaharienne, c’est d’abord leur concentration dans les industries extractives. Entre 1970 et 2005, les 22 pays exportateurs de matières premières canalisaient en moyenne des IDE deux fois supérieurs aux autres pays. Selon une estimation souvent citée, 50% des

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IDE en Afrique iraient dans le secteur primaire, contre 3,5% en Asie et 5,7% en Amérique latine. Certes, cette concentration s’explique en partie par l’extraordinaire richesse minérale du continent africain. Ses réserves pétrolières sont les plus importantes au monde après celles du Golfe persique. Le continent noir est le principal gisement mondial de bauxite, de charbon, d’uranium, de cuivre et de nickel. L’Afrique du Nord, le Nigéria et le Gabon ont longtemps été des producteurs importants de pétrole, rejoints aujourd’hui par l’Angola, le Tchad, la Guinée Equatoriale et le Soudan. Mais en termes de développement, cette concentration entraîne deux problèmes majeurs pour l’Afrique : D’une part, malgré la contribution importante des activités extractives aux recettes des Etats, elles ne génèrent que très peu d’emplois et n’entraînent pas par elles-mêmes de diversification de l’économie vers des activités à plus forte valeur ajoutée. Par exemple, en Libye, l’extraction pétrolière constitue 70% du PIB et 90% des recettes publiques, mais ne représente que 5% des emplois formels. Au Botswana, l’industrie minière – et plus particulièrement l’exportation de diamants – constitue un tiers du PIB, mais ne crée quasiment pas d’emplois. Ajoutons à cela que les investissements étrangers dans l’extraction de matières fossiles et minérales sont extrêmement volatils; d’une part à cause de leur forte intensité en capital, d’autre part en raison de leur dépendance du cours des matières premières. L’Afrique en a récemment fait l’expérience  ; le ralentissement de l’économie mondiale qui a fait plonger le prix des matières premières sur les marchés mondiaux entre 2008 et 2010 explique en grande partie le repli de la croissance africaine de 6% à 2% sur la même période.

:: Politiques publiques : optimiser les investissements étrangers Les IDE peuvent clairement jouer un rôle constructif pour attirer capitaux, compétences et savoir-faire.

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Pour autant, la capacité d’un Etat à attirer des entreprises étrangères sur son territoire ne favorise pas automatiquement le développement de cet Etat. Si l’explosion des investissements en Afrique depuis le milieu des années 1990 ne s’est pas accompagnée d’une accélération de son développement, c’est que la contribution des IDE au développement d’un pays dépend également des conditions macroéconomiques et de l’environnement structurel. Concevoir de bonnes politiques en faveur des IDE, c’est d’abord éviter de confondre les moyens de l’intégration avec sa finalité. Un cadre favorable au développement doit prendre en compte les différents canaux à travers lesquels les IDE peuvent impacter, positivement ou négativement, la performance de l’économie domestique, y compris à travers leur impact sur la balance des paiements, sur les marchés financiers locaux, et sur la structure du marché. Il doit fournir les moyens de gérer la cyclicité des investisseurs et leurs tendances moutonnières ; et avant tout s’inscrire dans une stratégie globale d’accumulation du capital et de développement de savoir-faire, qui sont les véritables moteurs de la croissance économique. Pour l’Afrique, cela doit se traduire par une meilleure canalisation des IDE afin de favoriser la diversification de l’économie, et par l’intégration de l’investissement étranger dans une stratégie nationale plus large. Au sein du secteur primaire, les efforts doivent être concentrés sur la diversification autour des activités extractives, y compris par la transformation des matières fossiles ou minières  ; les activités de raffinage liées à l’extraction pétrolière permettent l’exportation de produits à plus haute valeur ajoutée, mais également le développement de compétences et de savoir-faire de pointe. Les IDE doivent aussi venir appuyer une diversification vers des activités manufacturières ou de services, qui offrent un meilleur potentiel en termes de gains de productivité et une meilleure intégration entre secteurs d’activités au niveau national ; c’est la voie qu’ont notamment suivi dans les années 1970 de nombreux pays d’Asie de l’Est et du Sud-est (Corée du Sud et Taïwan dans un premier temps, suivis de près par l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, et la Thaïlande), qui tirèrent

leur extraordinaire ascension économique de leur capacité à capturer des IDE vers des industries manufacturières locales. Ensuite, les Etats doivent se doter d’outils qui maximisent les retours sur investissements, et qui améliorent les retombées positives sur l’ensemble de l’économie. Schématiquement, les politiques publiques africaines ont privilégié jusqu’à aujourd’hui le volume sur la qualité de l’investissement, en se contentant d’ouvrir largement leurs économies et en offrant garanties et avantages aux investisseurs potentiels ; avec l’idée principale que les IDE récoltés, en dynamisant l’économie, entraineraient d’euxmêmes un développement économique et social. Plutôt que de cibler uniquement les volumes, les décideurs africains feraient bien de garder en tête ce qui a fait la spécificité des pays asiatiques qui leur servent de modèle. Certes, ces derniers ont utilisé une large palette d’incitations pour attirer les investisseurs  : subventions, exemptions fiscales, garanties contre l’expropriation, limitation de l’interventionnisme, ouverture à la concurrence ou zones franches. Mais c’est avant tout l’intégration des investissements dans une plus large stratégie nationale qui a rendu possible l’extraordinaire essor industriel des pays asiatiques. Leurs décideurs ont eu recours à des politiques volontaristes, faites de rétroingénierie des biens importés, de règles d’origine strictes, de protections ciblées des industries naissantes et de contrôles des changes. Liées à des objectifs précis en termes de rapatriement de profits et de balance des paiements, ces politiques ont permis des progrès technologiques considérables et la diversification de l’économie par le réinvestissement piloté du capital accumulé.

:: Conclusion Afin que les IDE puissent contribuer pleinement au progrès économique et social, les pays africains doivent développer un ensemble de régulations qui, au-delà de favoriser seulement les investissements proprement dits, leur permettent d’avoir un réel impact sur le développement humain, les infrastructures, et la dynamisation d’un tissu entrepreneurial local ; bref, réunir les conditions pour que les investissements génèrent des retombées économiques positives et contribuent à la diversification économique. C’est ce qu’ils n’ont pas encore réussi à ce jour. Jusqu’au tournant des années 2000, les économies émergentes se trouvaient en concurrence sur un marché mondialisé du capital ; pour se maintenir face aux marchés asiatiques, l’Afrique n’était pas en mesure de dicter ses conditions aux investisseurs. La donne pourrait être en train de changer. L’accroissement de la demande mondiale pour les ressources fossiles et minérales fait à nouveau de l’Afrique un lieu d’investissement privilégié. Depuis 2005, les IDE y ont presque doublés. Si l’intérêt s’est porté d’abord sur les énergies fossiles, il va maintenant largement au delà. La tension sur les marchés de denrées alimentaires a relancé des investissements importants dans les terres arables africaines, notablement sous-exploitées. Les investissements se concentrent désormais aussi sur les secteurs en plein essor que sont les télécommunications, les infrastructures et l’immobilier. L’Afrique est de plus en plus perçue comme un marché de consommateurs, et plus seulement un fournisseur des ressources. Dans cette nouvelle configuration, l’Afrique retrouve une marge de négociation qu’elle avait perdue au profit de l’Asie. Elle a de nouveau toutes les cartes en main pour mener à bien une politique d’investissement volontariste. A elle cette fois-ci, de savoir en profiter.

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Destination géographique des IDE dans le monde en développement

Données : World Bank, Global Development Finance 2011

Flux nets d’IDE et croissance en Afrique subsaharienne

Données : World Bank, Global Development Finance 2011

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Au Maghreb, les changements politiques modifieront-ils la donne pour l’intégration économique ? Face à des défis communs, et dans un environnement de compétition mondiale pour attirer l’investissement, l’intégration maghrébine apparait, depuis la naissance de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) le 17 février 1989, comme une opportunité de s’adapter aux mutations internationales en cours. Les maux qui frappent les cinq pays du Maghreb arabe sont manifestes  : pauvreté, chômage, économies très dépendantes des chocs extérieurs ou trop peu diversifiées. L’exemple de l’Union européenne, qui a progressivement su étendre sa prospérité à une trentaine d’Etats, a constitué un modèle puissant pour les pays du Maghreb, mais également une source de motivation pour s’unir face à cet imposant voisin. Le péril qu’encoure un Maghreb désuni, est celui d’une marginalisation politique et économique dans la mondialisation, de disparaître des radars des investisseurs, à cause de marchés trop fragmentés et trop peu rentables. Au fil des années, le projet de l’UMA s’est transformé. L’idéal d’union politique - qui trouve ses sources dans l’idée d’un destin commun aux peuples du Maghreb - a peu à peu laissé place à un réalisme économique, visant à tirer au mieux parti des complémentarités régionales pour impulser le développement économique de la région. Depuis 2006, un travail de coopération interministérielle a débuté pour activer et accélérer les initiatives de l’Union du Maghreb Arabe; infrastructures, ressources humaines, économie et finances et sécurité alimentaire y font figure de priorités. Mais la question de l’intégration maghrébine n’en demeure pas moins soumise aux soubresauts nationaux et internationaux, et peine à s’imposer comme une exigence à toute la région. Elle a particulièrement souffert à partir de 1994, date à laquelle la tension entre l’Algérie et le Maroc, est portée à son point culminant.

Autour du secrétaire général de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), de dirigeants d’entreprise, chefs de patronats, officiels et experts, les coûts de la nonintégration et le potentiel d’une véritable dynamique économique maghrébine ont été discutés aux MEDays 2010.

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:: Le bilan de l’UMA en 2010 : une union sans sommet de chefs d’Etat malgré des enjeux économiques et sociaux pressants L’UMA bien que réactivée n’a toujours pas tenu de sommet des chefs d’Etat depuis 1994. L’impulsion au plus haut n’existe donc pas et cela se ressent dans l’application des décisions des commissions ministérielles. En comparaison les pays du Golfe, qui ne sont pourtant pas réputés pour leur entente cordiale, n’ont jamais manqué aux rendez vous du «Gulf Council for Cooperation». Une étude financée par la Banque Africaine de Développement estimait en 2008 qu’il y aurait une plus value de 2% de croissance par an pour les pays de l’UMA si il avait une union fonctionnelle. M. Abdelhamid Triki, à l‘époque secrétaire d’Etat tunisien à la coopération internationale estime que cette situation imparfaite depuis de nombreuses années représente 200 000 emplois non créés rien qu’en Tunisie  ; le revenu par tête pourrait même y être de 50% supérieur à ce qu’il est actuellement si l’on additionne ces points de croissance perdus sur une période de dix années. Le coût social de la non intégration est donc énorme, surtout dans cette période de crise qui a entraîné la chute de 20% des exportations tunisiennes. La crainte dominante est que dans un contexte de regroupements régionaux de plus en plus structurés à travers le monde, l’Afrique du Nord cesse d’attirer les investisseurs internationaux. Les pays du Sud de la Méditerranée doivent créer plus de 40 millions d’emplois dans les dix ans rien que pour maintenir leurs taux de chômage actuels. Enfin, il y a 200Mrds USD d’actifs détenus par des Maghrébins à l’étranger et une fuite des capitaux estimée à hauteur de 8 Mrds USD par an, signe que les plus riches maghrébins ont peu confiance dans leurs propres pays ou n’y sentent par une véritable rémunération et protection des investissements. Les bouleversements économiques actuels - et

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notamment la récession - obligent à avancer à plus grands pas vers un Maghreb compétitif et attractif où les pays disposent de règles communes idoines pour l’investissement, étranger ou national, ou pour le commerce. Le fonctionnement actuel de l’UMA, qui avance à pas comptés, mériterait sans doute une réflexion institutionnelle afin de donner à son secrétariat une autonomie décisionnelle et une visibilité susceptibles de dynamiser le processus régional.

:: Les différences sur le Sahara et la démocratisation sont-ils des freins structurels? A l’origine des blocages de l’intégration maghrébine, il y a sans doute deux séries de questions politiques. Tout d’abord, il y a la question des trajectoires différentes des systèmes politiques. La tentative de démocratisation en Algérie en 1991, qui a conduit à une sanglante guerre civile entre islamistes et l’armée, a particulièrement impacté le rapport des systèmes politiques de la région à la démocratie représentative. Au demeurant, il est ardu de trouver une surface commune entre la monarchie marocaine, la république algérienne, le régime tunisien, la Jamahiriya libyenne ou la république islamique de Mauritanie dans une région où la prééminence de l’échelon politique sur le secteur économique est très forte. Qui plus est, une divergence extrêmement conflictuelle sur les frontières du Sahara entre le Maroc et l’Algérie attise les nationalismes et a pour conséquence assez directe la fermeture des frontières entre les deux pays. Situation, il faut le souligner, rarissime au niveau international puisque semblables fermetures de frontières ne sont recensées qu’entre les deux Corée, à Chypre, et entre l’Arménie et la Turquie, et, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le Sahara reste, vingt ans après le cessez-le-feu et le déploiement de la force internationale MINURSO, le seul territoire au monde dont le statut n’est pas encore défini par la communauté internationale. Certains le pensent tout haut, il ne peut y avoir de Maghreb véritablement uni sans ce règlement sur

des frontières internationalement reconnues et une libéralisation politique de la région. Somme toute, la coopération et l’intégration maghrébines restent otages de ces questions. Les questions de développement, et la valorisation

même une démocratisation plus accentuée de la région. Les divergences politiques rappellent que le mode d’impulsion actuel de l’UMA, celui du consensus diplomatique, entre les têtes politiques des cinq pays du Maghreb arabe est un frein. Dans l’état actuel des divergences des systèmes politiques, ce mode de fonctionnement pose une condition quasiment impossible à remplir. Les sociétés civiles sont, elles, réputées bien plus favorables à l’intégration maghrébine que les dirigeants qui ne se rencontrent plus.

:: Les forces vives de l’intégration: les entrepreneurs et la société civile Les patrons de confédération et les entrepreneurs comme M. Boualem M’rakach, présent dans les débats et président de la Confédération Algérienne du Patronat, ont créé des fora régionaux dynamiques (comme l’Union Maghrébine des Employeurs) qui poussent vers la création de politiques maghrébines. La récente Banque Maghrébine de Commerce et d’Investissement, créée en mars 2010, est un aboutissement de cette demande d’accompagnement des projets d’investissement et de développement répétée par les chefs d’entreprises. D’ores et déjà dotée d’un capital de 500 millions d’euros, elle devrait entrer en fonctionnement courant 2011. des complémentarités économiques sont donc bien, par défaut, l’angle sous lequel des progrès de l’intégration maghrébine sont possibles. Et d’aucuns soupçonnent que les différents politiques donnent de formidables prétextes aux dirigeants régionaux pour ne pas avancer sur l’intégration. Les pouvoirs nationaux s’épient et, parfois, les soupçons sont instrumentalisés afin de préserver des rentes économiques, qui servent des personnes bien placées dans l’appareil d’Etat. A un certain point donc, les dissensions politiques et les intérêts économiques forment un bloc cohérent. De même, les rapprochements sur la base d’intérêts économiques communs pourraient sans doute permettre un rapprochement des régimes politiques et peut-être

L’union des banques maghrébines, quant à elle, a formulé de nombreuses propositions allant même jusqu’à celle de la création d’une monnaie maghrébine commune. Dans le domaine bancaire et financier, les accords entre les banques centrales ont permis une relative liberté de mouvement des capitaux pour les différentes filiales d’une même banque. D’autres secteurs stratégiques font montre d’une meilleure collaboration à l’exemple de la stratégie commune de liaison avec le réseau européen et de l’interconnexion électrique, dans lesquels les intérêts réciproques ont abouti à un réel travail en commun. Aujourd’hui, même les compagnies internationales considèrent le Maghreb comme un seul et même marché, et

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calibrent leur offre d’une manière similaire au vue des similitudes sociétales, culturelles et mêmes sociales entre les différents pays. Enfin, un rappel anecdotique mais qui illustre bien à quel point peuples et élites ont des perceptions différentes, le soutien populaire  massif des Marocains à l’équipe d’Algérie lors de la récente coupe d’Afrique des Nations ou de la coupe du monde 2010, montre à quel point les peuples du Maghreb se sentent proches culturellement.

:: 2011 : Perspectives d’un Maghreb uni dans un environnement régional en plein bouleversement politique Entre la fin 2010 et le début 2011, une secousse politique violente pour le monde arabe et l’Afrique du Nord a éclaté. Le régime du président Zine El Abidine Ben Ali est tombé et la Tunisie a initié ce qui sera par la suite appelé le «  réveil arabe  ». En 2011, la Libye présentera très probablement un nouveau visage, le président Bouteflika a levé l’état d’urgence en Algérie et le Roi du Maroc a lancé une réforme de la Constitution. Les cinq pays de l’UMA ont connu des manifestations et des contestations en faveur d’une profonde démocratisation. L’ironie de la situation est peut-être qu’au fond, l’absence

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d’intégration maghrébine a favorisé la chute des régimes autoritaires et a sanctionné leur incapacité à permettre la liberté de mouvement aux populations, la création d’emplois et la circulation des biens et marchandises. Cependant, ce «  réveil arabe  » constitue sans doute une opportunité de donner une nouvelle impulsion à l’union maghrébine. Le manque d’intégration régionale conduit à des aberrations telles qu’elles ne sauraient perdurer dans un cadre démocratique. Telles que les sempiternelles querelles de tracé des mappemondes dans les manuels scolaires. Si les pays maghrébins se dirigent vers des systèmes politiques bien plus homogènes, on constatera bientôt que les structures et les choix économiques diffèrent très fortement. Ainsi la situation particulière de l’Algérie, dont l’économie fortement publique (85% du PIB) et très peu exportatrice -mis à part les hydrocarbures- laisse à penser que de nombreuses entreprises ne sont pas réellement prêtes à affronter la concurrence avec leurs voisines maghrébines, bien plus habituées à la compétition sur leurs marchés nationaux. Une intégration et une liberté de circulation des biens et services pourra donc signifier une destruction d’emplois ce qui soumettra ce processus à de vives critiques. Les intérêts de long terme de l’intégration sont évidents pour les experts économiques  ; cependant il s’agit que les sociétés civiles et les dirigeants en soient convaincus.

Marchés émergents : Comment approfondir ces gisements de croissance ?  En Partenariat avec le New York Forum - Ahmed Réda CHAMI : Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Nouvelles Technologies du Royaume du Maroc - Amadou Niang : Ministre du Commerce de la République du Sénégal - Jean-Hervé Lorenzi : Conseiller du directoire de La Compagnie Financière de Rothschild, Président du Cercle des Economistes de France

MODÉRATION : SYLVAIN ATTAL, PRÉSENTATEUR, FRANCE 24 Depuis New york : - Edmund Phelps : Prix Nobel d’Economie 2006, co-fondateur du centre de recherche sur le capitalisme et la société de Columbia University - Roman Frydman : Professeur d’économie politique à New York University, co-fondateur du centre de recherche sur le capitalisme et la société de Columbia University - Xu Ya : Présidente du China Center - Philippe Camus : Co-directeur du groupe Lagardère, président du conseil de surveillance d’Alcatel Lucent

Modération : Richard Attias, Fondateur et président du New York Forum; président du directoire du centre de recherche sur le capitalisme et la société de Columbia University.

Différence d’impact de la crise économique sur les pays émergents : Quelles leçons en tirer ? -Karim El Aynaoui : Responsable de la Direction des Etudes et des Relations Internationales, Bank Al Maghrib (Banque Centrale du Maroc) - Dr. Okkorie A. Uchendu : Directeur de la politique monétaire de la Banque Centrale du Nigeria - Alex Trepelkov : Directeur, Bureau du Financement pour le Développement, Département des Affaires Economiques et Sociales, Organisation des Nations unies - Preya Sharma : Directrice des marchés émergents, Trésor du Royaume Uni - Michel Juvet : Membre du Directoire, Banque Bordier - Alexandre Kateb : Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, économiste, essayiste et directeur du cabinet Compétence Finance - Fatine Layt : Présidente d’Oddo Corporate Finance

Modération : Torek Farhadi, responsable des programmes Afrique du Nord et Moyen Orient à INTRACEN

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Intégration économique régionale : Les pays maghrébins ont-ils perdu le mode d’emploi ?  - Habib ben Yahia : Secrétaire Général de l’Union du Maghreb Arabe - Boualem M’rakech : Président de la Confédération Algérienne du Patronat - Ahmed Driss : Directeur du Centre d’Etudes méditerranéennes et internationales de Tunis - Mohammed Haitani : Directeur de la coordination bancaire à AttijariWafa Bank - Hasni Abidi : Directeur du Centre d’Etudes et de Recherche sur le Monde Arabe et Méditerranéen (CERMAM) Professeur invité à l’Université Paris I, La Sorbonne - Jawad Kerdoudi : Président de l’Institut Marocain des Relations Internationales

Modération : Philippe Perdrix, rédacteur en chef adjoint, Jeune Afrique hebdo

Infrastructures et nouvelles technologies : Comment accélérer les transferts de connaissance et favoriser les investissements ? - Suk Joon Kim : Président du Science and Technology Policy Institute (STEPI) - Michel Faivre-Duboz : Directeur Général de Renault Maroc - Louis Bedoucha : Directeur de Programme, MIGA-Banque Mondiale (Multilateral Investment Guarantee Agency) - Hamidou OKABA : Directeur Général de l’Economie et de la Législation Fiscale, Ministère de l’Economie, du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme de la République du Gabon - Amadou Niang : Ministre du Commerce de la République du Sénégal - Edwin Tsvangirai : Président de la Fondation Susan Nyaradzo Tsvangirai - Jean-Luc Bernard : Représentant au Maroc, UNIDO (Organisation des Nations unies pour le Développement Industriel)

Modération : Li Xing, rédactrice en chef de l’édition américaine du China Daily

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RECOMMANDATIONS : Afrique - Privilégier une intégration régionale africaine moins ambitieuse mais plus concrète, autour de chantiers qui permettront d’asseoir le développement économique et humain du continent : une politique régionale de sécurité alimentaire, un leadership dans la production d’énergies renouvelables ou création de corridors commerciaux. - Améliorer l’environnement économique et la sécurité règlementaire pour favoriser les investissements étrangers sur le continent.

MAGHREB - Améliorer les rapports de confiance entre Etats au sein de l’union du Maghreb Arabe par des mesures de coopération sectorielle innovante et ambitieuse (éducation supérieure, énergie, coopération industrielle, finances et agriculture sont parmi les secteurs d’avenir en manque de politiques régionales). - Dynamiser la gestion des programmes communs par la transformation du secrétariat général de l’UMA en un organe doté de plus d’autonomie et de moyens.

OCDE - Appeler le FMI à mettre en place des mécanismes d’accompagnement des politiques d’austérité mises en place dans les pays de l’OCDE.

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NÉGOCIATION INTERNATIONALE SUR LE CLIMAT : PASSER DU CLIVAGE NORD-SUD À L’ACTION CONJOINTE La question de la négociation autour sur l’accord sur le changement climatique est symptomatique de la difficulté du système multilatéral à conduire une négociation dans laquelle chaque Etat essaie de préserver son droit au développement et l’avenir de ses générations futures. Deux questions clefs pour les pays du Sud ont été soulevées durant les débats du forum MEDays 2010 qui a réuni experts, négociateurs mais aussi des financeurs de projets : la question du droit au développement et celle d’un nouveau modèle économique déconnecté des dégâts environnementaux.

:: Face à un changement climatique inéluctable En premier lieu, certaines évidences sont bonnes à rappeler  : les vérités scientifiques recueillies et synthétisées par le Groupe d’expert Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) démontrent à travers leur rapport 2007 - à l’issue duquel un prix Nobel a été remis - une irréversibilité du changement climatique et une augmentation des risques liés au réchauffement de la planète. Un document qui en 2010 a fait l’objet de nombreuses tentatives de discréditation. C’est la raison pour laquelle le forum MEDays 2010 a donné une nouvelle occasion au président de cette institution, le Dr. Pachauri, de rappeler les enseignements de ces travaux  : en 2080 le réchauffement climatique pourrait atteindre 2,5 degrés Celsius à 5 degrés selon divers scenarii, couplé d’un réel risque d’emballement incontrôlable. Selon les termes du rapport de 2007, il est avéré à 90% que la cause de ce changement est l’activité humaine. Pourtant, la communauté internationale peine encore à trouver un accord global qui pourrait constituer la charpente de ses efforts pour limiter le réchauffement à 2°C comme elle s’était engagée à le faire dès le sommet de Copenhague en 2009. Autre certitude scientifique : les pays à revenus intermédiaires ainsi que les pays les moins avancés

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sont bel et bien les plus exposés aux conséquences de ce réchauffement du climat.

:: Un sujet politique international Au-delà de la prise de conscience générale, il est indéniable que la problématique climatique est désormais au cœur de l’agenda politique international, devenant un réel sujet politique planétaire comme l’a attesté l’exceptionnelle couverture médiatique des sommets de Copenhague ou de Cancun durant lesquels la présence de nombreux chefs d’Etat aux négociations fut remarquable. Les hommes politiques ont clairement pris le pas sur les techniciens dans les négociations, l’enjeu étant de transformer les

modèles économiques et sociaux de chaque nation dans le but de satisfaire l’intérêt global. Cependant, cette traduction politique signifie aussi que la charge historique des relations internationales et les rapports de force ont fait glisser les négociations climatiques sur un terrain qui n’est plus le terrain scientifique et technique mais beaucoup plus un terrain politique voire géopolitique.

:: La responsabilité historique des pays développés La question de la responsabilité est sans doute celle qui revêt le plus cette charge politique. Les faits démontrent que le réchauffement dû à l’homme est  la conséquence de rejets de gaz à effet de serre  (GES) qui ont eu lieu lors des décennies précédentes, pendant la révolution industrielle des

pays développés. A ce titre, les pays du Nord portent l’indéniable responsabilité de la haute concentration actuelle des GES dans l’atmosphère. c’est la raison pour laquelle les pays en développement réclament aux pays industrialisés un engagement financier et des transferts de technologies. De l’autre côté, les pays du Nord insistent sur le fait que les pays du Sud représentent actuellement 55% des émissions de gaz à effet de serre et que toute négociation climatique n’aurait de sens que si certains d’entre eux, les pays émergents en tête (Chine, Mexique ou Inde) prennent des engagements de limitation des rejets. Mais ces derniers rejettent toute clause obligatoire de cette nature car la situation actuelle est n’est pas de leur responsabilité. S’entrechoquent ainsi deux approches : la dynamique actuelle des rejets pour le Nord, le droit au développement pour le Sud.

Emissions totales de gaz à effet de serre par pays ou continent en millions de Tonnes équivalent carbone en 2007 Chiffres UNFCC)

Emission totales de gaz à effet de serre par habitant de pays ou continent en grammes équivalent carbone par mètre cube et par personne (Chiffres 2007)

Selon que l’on considère les émissions de gaz à effet de serre rapportées à la population ou rapportées aux quantités globales qu’un pays rejette dans l’atmosphère, on pointe du doigt une catégorie de pays ou une autre. S’accorder sur un référentiel commun est prioritaire car dans les négociations internationales, chacun utilise l’une ou l’autre des statistiques pour faire valoir son point de vue.

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:: Le droit au développement contre le « néo colonialisme environnemental » Nul dirigeant du monde en développement ne saurait renoncer au droit à une croissance économique et à un développement plein. Loin d’éluder leurs responsabilités dans les émissions de GES  ; il s’agit là en fait de parler de responsabilité « globale mais différenciée  » pour reprendre la terminologie empruntée aux négociateurs. Les critiques des pays du Sud se posent en effet plus sur les cadres conceptuels et le contenu des programmes proposés. Ces pays sont effectivement particulièrement sensibles aux points de négociation qui touchent leur souveraineté territoriale ou leur développement économique. Certains pays tropicaux africains, contestent par exemple le cadre des accords imaginés pour la protection des massifs forestiers tropicaux. Ceux-ci rejettent l’option de transformer leurs massifs forestiers en rente et échanger la sauvegarde des forêts contre un chèque sous prétexte que ces massifs sont de gigantesques puits de captation du carbone qui ont une incidence mondiale sur le climat. Dans la symbolique des rapports Nord-Sud, cette approche est perçue comme une perte de souveraineté territoriale par les pays forestiers. Elle est assimilée à un néocolonialisme infantilisant le pays dans la dépendance d’une rente qui pourrait d’ailleurs se tarir un jour. Ce que revendiquent les pays du Sud, ce sont les moyens de se développer et ils ont besoin pour cela de connecter leurs populations aux ressources énergétiques.

:: L’énergie est au cœur d’un nouveau modèle de développement L’énergie constitue la base de tout développement économique. Au Sud presque deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité ce qui laisse envisager un développement énorme de la production d’énergie à venir et cela dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles. Les réserves d’hydrocarbures disponibles prouvées ne

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permettront vraisemblablement pas la consommation industrielle au-delà du XXIe siècle y compris selon les prévisions les plus optimistes. Le rythme de la demande mondiale en énergie va en effet augmenter continuellement sous l’effet de la demande des pays en développement. A titre d’exemple, la demande chinoise a crû de 12% en 2010. Le monde entre ainsi dans un cycle économique dans lequel les prix de l’énergie fossile iront en augmentant ; les pays n’ayant pas construit un modèle énergétique déconnectés de cet effet prix paieront de ce fait une facture extrêmement lourde. Il est ainsi facile de comprendre que dans un contexte de raréfaction des ressources, les régions du monde qui bénéficieront de la livraison d’énergies fossiles sont celles qui auront le plus de poids géopolitique et financier. C’est essentiellement pour cette raison que les pays en développement ne peuvent attendre que le système multilatéral aboutisse à un accord global sur le financement avant de lancer leur propre agenda d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique. Il leur faut entamer leur révolution énergétique maintenant car l’énergie ainsi que la maitrise de sa production et de ses sources seront une fois encore au cœur d’un nouveau modèle de développement comme ce fut le cas lors des précédentes révolutions industrielles. Actuellement, seuls les pays émergents, les pays producteurs d’hydrocarbures et les pays développés ont les financements et les technologies pour maitriser ce nouveau tournant; par conséquent ils ont le luxe du temps dans la négociation.

:: L’enveloppe du financement destiné aux pays du Sud est otage du bras de fer entre pays industrialisés et émergents C’est dans ce contexte que les négociateurs discutent d’un transfert financier important des pays développés vers les pays en développement pour financer la conversion des modèles de développement au Sud et y atténuer les principaux effets prévisibles du changement climatique. En parallèle à cette négociation, les pays développés ont entamé des discussions sur l’atténuation des rejets de GES lors du G8 de Pittsburg en 2009 pendant lequel ils

avaient appelé à un redéploiement des subventions aux énergies fossiles dans les pays industrialisés vers un fonds de développement international des énergies

:: Préparer les transferts de technologie Dans ce contexte, les pays en développement ne doivent pas s’attacher aux promesses d’enveloppe financière mais plutôt sur la définition nationale voire régionale de projets de développement énergétique durable doublée d’un ciblage des transferts de savoirs et de technologies nécessaires à la production d’énergie, l’extension des réseaux et à leur indépendance énergétique. Cependant ces transferts de technologie ne doivent pas rester un concept, un jargon de négociateur international. Il faut que les pays du Sud les préparent, les négocient via les coopérations bilatérales, trilatérales, les regroupements régionaux ou encore grâce à la coopération entre pays du Sud. De par leur caractère complexe, il faut leur préparer le terrain grâce à des investissement renforcés en recherche, développement et ressources humaines qualifiées.. Le transfert technologique ne se veut pas une gratuité mais bel et bien un moyen d’utiliser les technologies  et les adapter à la stratégie nationale dans un pays donné.

:: Créer des capacités d’analyse et de gouvernance pour la conduite des stratégies nationales renouvelables. L’enveloppe pourrait représenter environ 100 Mrd USD/an mais l’ensemble de ces financements ne se concrétiseront pas avant que le nouveau protocole de lutte contre le changement climatique ne voie le jour ; ce qui signifie que le désaccord entre pays développés et pays émergents sur la question des réductions obligatoires bloque les financements. En outre, les pays en développement se posent la question de la crédibilité des engagements financiers émanant de la sphère multilatérale. Faut il rappeler que la dernière fois que les pays développés s’étaient engagés collectivement à donner une aide aux pays en développement, les engagements n’avaient jamais été tenu –notamment celui pris en 1981 de consacrer 0,7% du budget en aide au développement ?

Par conséquent le véritable enjeu pour les dirigeants du Sud est bien celui de s’approprier le savoir et les outils scientifiques pour élaborer des stratégies nationales qui permettront de maitriser l’arbitrage entre enjeu de développement et enjeu écologique. L’accès à l’information scientifique ou experte pour anticiper et prévoir les conséquences environnementales du développement est la clef de voûte de la progression vers un développement déconnecté des dégâts environnementaux. Les transferts de technologie sont donc par conséquent des cycles complexes et longs alliant volet scientifique et volet de ressources humaines. La question du changement climatique devient alors une question majeure du développement économique, de la coopération, de l’aide internationale et de l’amélioration des capacités étatiques et de la

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gouvernance dans les pays en développement. Elle ne peut s’envisager comme un chèque octroyé aux pays du Sud en contrepartie de la responsabilité des pays du Nord dans le réchauffement climatique actuel.

Comment développer une « approche projet » pour devancer les résultats de la négociation internationale et le point d’achèvement de la parité réseau ? Pour s’assurer un transfert des connaissances et un appui financier, l’approche par projet s’impose en fait comme la solution la plus séduisante quoique que requérant une évaluation globale des capacités d’un pays à absorber une technologie, en somme un diagnostic des obstacles sociaux, sociétaux ou économiques. Pour s’assurer que l’approche projet soit développée en cohérence avec une stratégie nationale ou régionale, il faut au préalable que celle-ci

Etienne Massard Makaga, conseiller présidentiel et négociateur du Gabon

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Jamil Ahmad, secrétaire général du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, ancien négociateur du Pakistan

soit formulée à un niveau gouvernemental puis que le projet en lui-même réponde aux objectifs prioritaires de cette stratégie. De l’accès à l’énergie dépendent de nombreux autres facteurs de développement humain et économique comme la mobilité, la communication, l’information ou la capacité à travailler ou étudier la nuit. Reste que les ateliers consacrés à la rentabilité de ces projets démontrent que pour l’heure ceuxci ont une rentabilité moindre que la production d’énergie fossile. Il faut donc trouver des sources de financement qui acceptent d’investir dans cette période transitoire -estimée jusqu’entre 2015 et 2020- durant laquelle les énergies renouvelables n’ont pas encore trouvé un prix de production inférieur au prix des énergies carbonées. Dans ce contexte, l’Institut Amadeus a consacré cinq ateliers professionnels, les business MEDays, au développement des énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique dans les pays en développement. (à lire à partir de la page 68)

Bruno Rebelle, directeur du cabinet Synergence et ancien n°2 de Greenpeace international

Slavano Briceno, directeur de la stratégie des Nations Unies pour la réduction des risques

DÉSASTRES NATURELS, COOPÉRATION INTERNATIONALE ET RECONSTRUCTION : ÉVITER LES ÉCUEILS DU COURT-TERMISME Tremblements de terre à Haïti ou au Chili, inondations au Pakistan et en Chine, l’année 2010 a été marquée par de nombreux et meurtriers phénomènes naturels. Ces phénomènes naturels ne sont pas l’exclusive des pays du Sud mais les rapports des climatologues ont clairement démontré que la plus grande intensité des phénomènes climatiques violents tels que les cyclones, les ouragans ou les inondations sera une des conséquences majeures du réchauffement climatique. Les pays en développement sont doublement exposés à ces phénomènes violents  : d’une part les scenarii du changement climatique ont démontré que les phénomènes climatiques extrêmes seront plus fréquents sur leurs territoires, d’autre part la mortalité et les dégâts occasionnés par les phénomènes naturels violents sont plus élevés dans les pays en développement. L’accord de Copenhague en 2009 a pour la première fois inclut un paragraphe sur une aide vers les pays en développement pour qu’ils anticipent les conséquences du réchauffement du climat et réduisent la vulnérabilité des populations. Cette aide en amont peut être d’une grande efficacité pour réduire la mortalité dû aux phénomènes naturels, il y a néanmoins des conditions pour maximiser son efficacité. Les phénomènes naturels sont en fait des révélateurs des capacités d’anticipation des pays qui les subissent. Entre le séisme qui a secoué le Chili en février 2010 et celui qui a ravagé Haïti en janvier 2010, il n’y avait pas d’écart de magnitude ou d’intensité, pourtant dans un cas les victimes se comptent par centaines, dans l’autre par centaines de milliers. A en croire les mots du président haïtien René Préval, «  en Haïti, c’est la misère qui a tué » et il est vrai que le pays a été fragilisé par un ensemble de facteurs qui l’avaient rendu particulièrement vulnérable à une catastrophe naturelle. Pourtant ce n’est pas seulement la misère c’est la mauvaise gouvernance et l’absence de vision stratégique du développement qui a tué. La baisse du revenu agricole et l’absence de services ruraux

avaient provoqué un exode rural et la concentration de la population dans la capitale Port au Prince dans des conditions d’habitat précaires. Au Pakistan, la précarité et la vulnérabilité des populations étaient dues à l’immense flot de réfugiés intérieurs, quatre millions de personnes déplacées qui fuient les zones de guerre.

:: Les autorités publiques doivent créer de la cohérence dans l’action publique pour protéger les populations Ces drames ne s’expliquent pas seulement par le niveau économique plus faible des pays en voie de

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développement mais par la capacité des autorités à anticiper, prévoir, informer et édicter des normes qui sont en mesure de protéger les populations dont elles sont les mandataires. Il existe bel et bien des pays qui ont su parfaitement prendre les mesures et adopter les politiques adéquates. Cuba, le Bangladesh ou la Chine qui ont considérablement réduit la vulnérabilité de leur population par des politiques publiques claires et suivies d’effet. Il n’y a donc pas à proprement parler de catastrophes naturelles, la catastrophe commence lorsque le bâtiment est mal construit, ou au mauvais endroit, c’est donc une catastrophe humaine. Pour une approche positive du problème, il faut en fait comprendre les raisons pour lesquels la plupart du temps les autorités n’ont pas pris les mesures adéquates à la protection des populations. Le problème qui est posé est celui de la transversalité du travail et de la difficulté à faire travailler de nombreux ministères, administrations déconcentrées ou institutions locales en commun et ce dans une optique de long terme. Pour édicter des règles d’occupation du foncier qui empêchent des installations dans des terrains vulnérables, il faut que la législation sur le foncier soit votée, que le système de cadastre fonctionne, que les autorités locales aient un moyen de contrôle et que les populations soient prévenues et sensibilisées sur les risques et sur les moyens de protection. Cette démarche transversale d’organisation et de responsabilisation des autorités publiques ne peut être impulsée que par le sommet de l’Etat pour une cohérence totale entre la stratégie de réduction des risques et l’application par les différents services.

:: L’aide internationale en question : sert elle la reconstruction ? Lorsque la catastrophe survient et qu’elle est dévastatrice, le pays a recours à l’aide internationale sous différentes formes, via les Etats mais aussi via les Organisations Non Gouvernementales soutenues par les dons privés. A contrario du temps long de l’organisation des pouvoirs publics, le temps du don correspond  au temps court de la couverture médiatique et de l’émotion. Dans un premier temps, l’aide humanitaire d’urgence est nécessaire et efficace mais il faut qu’elle se limite à cette première phase et recherche à mettre

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les autorités locales en situation d’assumer la gestion post-catastrophe le plus rapidement possible. Cela constitue également une révolution dans les mentalités des organisations de terrain qui ne doivent pas se substituer aux institutions locales ou nationales. Enfin, l’aide à la reconstruction donné par les Etats ne s’inscrit pas assez dans le long terme et se concentre sur une aide projet qui souvent cherche à rentabiliser médiatiquement le financement apporté. Le pays donateur souhaite avoir une visibilité de son aide, financer la construction d’un hôpital ou d’une école pour communiquer sur cet apport alors que le besoin peut se situer dans des frais de fonctionnement ou de personnel peu visible et moins rentable médiatiquement. Le deuxième écueil auquel peut se confronter l’aide internationale est son inefficacité lorsqu’elle est dédiée à une reconstruction sans stratégie nationale de réduction des risques qui a une assise dans les institutions du pays et qui est partagée et appliquée par ces institutions.

GOUVERNANCE DE L’EAU ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE : LE DÉFI VITAL POUR L’AFRIQUE Alors qu’il existe un commerce international des denrées alimentaires, connecté à l’économie monde et que les céréales ont leur cotation à Londres ou à Chicago, la problématique majeure du développement, notamment en Afrique, reste la question agricole. Le constat parait simple voir simpliste mais il n’en demeure pas moins qu’avec seulement moins 5% des prêts consacrés entre 1990 et 2004, le développement agricole a été le secteur délaissé par les crédits d’aide au développement  ; alors même que 70% de la population africaine en tire ses revenus. Investir dans l’agriculture c’est donc faire d’une pierre deux coups : nourrir les populations et augmenter les revenus des populations rurales. Cette croissance agricole permet également d’atteindre un objectif primordial: la

sécurité alimentaire. Celle-ci ne se conçoit pas comme une production alimentaire autarcique mais comme l’accès des populations à une nourriture diversifiée à un prix abordable, sans nécessairement que les aliments soient produits localement. Cet objectif de sécurité alimentaire est cependant soumis à une équation infernale, celle posée par l’inaccessibilité aux ressources, une démographie en forte expansion et enfin des effets probables du réchauffement climatique. Dans un premier temps il faut bien distinguer le poids de chacune de ces contraintes, en effet, même si le changement climatique est un élément nouveau et qu’il impliquera une modification sensible de la pluviométrie dans de nombreuses régions du monde, il n’est pas le principal défi pour l’Afrique. Les deux contraintes les plus pressantes qui sont posées à l’objectif de sécurité alimentaire sur le continent sont bel et bien la démographie et l’accès aux ressources, et parmi ces ressources: l’eau.

:: Pour une nouvelle approche du développement agricole en Afrique Dans un passé récent les politiques agricoles du continent, obligées en cela par les bailleurs de fonds internationaux et les programmes d’ajustement, avaient centré la production agricole sur la notion d’insertion dans le commerce mondial et d’avantage comparatif. La production agricole africaine a attiré l’aide et l’investissement pour se spécialiser sur certains produits particulièrement compétitifs à l’export sur les marchés mondiaux. Dans ce modèle, les ressources générées par l’exportation devaient servir au développement du pays et aux budgets étatiques. Toutefois ce modèle a créé une dépendance structurelle à des productions non vivrières et une occupation des meilleures terres agricoles par des monocultures d’exportation. En fait, les exportations agricoles africaines ont stagné

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autour de 18 Mrds de USD/an depuis 2000 tandis qu’à la faveur des spéculations, sur les céréales notamment, la facture des importations n’a cessé de croître. En 2010, l’augmentation de la facture des importations pour les pays qui connaissent un déficit de production vivrière est en moyenne de 20% ; les prix sur le marché international du blé ont grimpé de 78% de juillet 2010 à février 2011, de 92% pour le maïs ou encore de 95 % pour le sorgho. Seul le riz garde un niveau stable toutefois 50% supérieur à son niveau moyen d’avant fin 2007. En d’autres termes le modèle de l’agriculture

d’exportation a créé de la dépendance alimentaire dans de nombreux pays d’Afrique, une dépendance qui coûte chère dans sa bataille contre la faim. Depuis 2004 les chefs d’Etat de l’Union Africaine se sont engagés à dépenser 10% de leur budget dans l’agriculture et à tout faire pour que la production agricole croisse de 6% par an. En 2010, le constat est cruel puisque seuls 6 pays ont atteint le premier objectif et 11 pays le deuxième. L’engagement des chefs d’Etat Africains à faire de la sécurité alimentaire une priorité butent sur des nombreux obstacles alors que l’urgence est bien là.

PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES ALIMENTAIRES 2006-2011 Source statistiques : FMI et FAO

Nombre de personnes en sous alimentation dans le monde (Mio)

Source statistiques : FMI et FAO

:: La bombe démographique provoquera une explosion de la malnutrition Environ un milliard de personnes sont considérées en

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état de sous alimentation chronique dans le monde. Même si ce chiffre a baissé proportionnellement à la population mondiale, il reste d’une singulière importance et ne se résorbera pas rapidement  ; bien au contraire il pourrait même exploser si les enjeux ne sont pas saisis, en Afrique notamment.

Tandis que l’Afrique du Nord a accompli sa transition démographique avec un taux de fécondité qui atteint en moyenne 2,3 enfants par femme, l’Afrique subsaharienne est la région qui connaitra la plus forte croissance démographique durant les prochaines décennies ; sa population doublera pour atteindre 2 milliards d’habitants en 2050 selon les estimations, alors même que plus de 269 millions d’Africains sont déjà considérés comme sous alimentés en 2010 soit un quart de la population totale. A l’échelle de la planète on constate par ailleurs que ce sont les mêmes populations qui souffrent de ne pas disposer d’énergie, d’eau et de nourriture en quantité suffisante. C’est donc une véritable révolution agricole adossée à une nouvelle politique de développement qui est nécessaire sur le continent pour atteindre une productivité bien plus forte des terres et enrayer la progression de la malnutrition. Le cœur du défi est donc de développer et drainer des investissements mais aussi de créer avec l’aide de partenaires internationaux un modèle alimentaire plus productif qui s’adapte aux particularités climatiques et géographiques locales.

:: Augmenter la productivité des terres agricoles : l’approche traditionnelle et les nouvelles techniques agricoles Les situations entre les différentes sous régions d’Afrique ne sont pas strictement comparables du point de vue de la production agricole et de la malnutrition. Toutefois quelques constats généraux peuvent être dressés  : les terres cultivables en Afrique sont nombreuses mais pas assez productives; leur productivité chute d’ailleurs d’année en année, ce phénomène étant dû à l’érosion des sols ou à l’avancée de la désertification. Les paysans africains n’ont la plupart du temps pas d’accès aux intrants essentiels que sont l’eau et les engrais. L’Afrique est en effet le continent qui compte le moins de terres irriguées -7% au total, 4% pour l’Afrique subsaharienne – et qui utilise le moins d’engrais minéraux -10kg/ha/an contre 130 en Asie ou 90 au niveau mondial1. Le potentiel de développement

1- Chiffres FAO année 2008

de la productivité agricole est donc énorme lorsque l’on sait que la productivité d’une terre irriguée est trois fois supérieure à celle d’une terre sèche et que la dégradation des sols n’est pour l’instant pas compensée par un apport en minéraux et fertilisants ; essentiellement car le prix des engrais agricoles reste inaccessible. Toutefois les engrais et l’irrigation ne sont pas les seules pistes de solution pour augmenter la productivité, d’autres solutions existent, moins couteuses et plus respectueuses des écosystèmes en place. Ces solutions agro-écologiques combinent notamment les différents végétaux pour permettre aux terres de fixer la couche fertile et de bénéficier d’une symbiose.

:: La gestion de l’eau au cœur du progrès agricole En Afrique trop souvent des périodes de sécheresse succèdent à des périodes dinondations qui sont tout aussi destructrices car elles enlèvent aux terrains leur couche superficielle de sédiments fertiles. L’eau ou son absence sont donc trop souvent subies. L’extension volontariste de l’irrigation maitrisée et le stockage pluriannuel de l’eau doivent être mis en place si le continent veut pouvoir sortir de sa dépendance alimentaire. L’investissement dans l’eau agricole et le stockage sont les principales clefs pour pallier les périodes de sécheresse et de mauvaises récoltes à l’image de ce qu’on prouvé les pays d’Afrique du Nord notamment par leur politique d’irrigation et de barrages qui a résolu des contraintes pluviométriques plus dures encore. Le potentiel hydraulique de l’Afrique, notamment sa pluviométrie, lui permet en de nombreux endroits de développer l’irrigation en utilisant les bassins versant des fleuves ; à l’échelle du continent cinq pays seulement concentrent 70% des terres irriguées l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Egypte, le Soudan et Madagascar. Ailleurs notamment en Afrique de l’Est, fréquemment sujette aux famines, on ne connait qu’une à deux périodes de pluie par saison, et ce sont de nouvelles techniques de captation des eaux de pluie et des méthodes pour un stockage pluriannuel qui sont nécessaires. Pour atteindre cet objectif le continent a besoin d’un appui en recherche et développement pour affiner les techniques appropriées.

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CARTE 01 Développement de l’irrigation dans le monde – exprimée en %age des terres irriguées par zone.

Données : FAO et de l’université de Frankfurt am Main (2006)

CARTE 02 La sous alimentation dans le monde

Source statistique : FAO 2009

Il y a une flagrante correspondance entre les pays dépourvus de cultures irriguées et les pays qui connaissent le pourcentage le plus fort de personnes en situation de malnutrition. Excepté le cas spécifique de l’Inde, qui a une très grande population, à nourrir, les pays qui ont développés l’irrigation sont ceux qui dont le pourcentage de personnes mal nourries est le plus faible.

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:: Une gouvernance de l’eau efficiente Bien que tout le potentiel africain de stock renouvelable n’ait pas été exploité (hormis pour les cas très spécifiques de l’Algérie ou de la Libye qui pompent les nappes non renouvelables à cause du manque d’eau), l’eau deviendra une ressource rare et il convient de l’utiliser avec une efficacité maximale dans ses applications agricoles. En effet l’agriculture utilise 80% à 90% des ressources en eau dans un pays et il est donc important d’organiser les pouvoirs publics afin que les priorités soient bien identifiées, que les projets soient bien calibrés et que les impacts soient connus et anticipés. La politique de multiplication des barrages, notamment les petits barrages dits collinaires, est parmi celle qui a donné d’excellents résultats dans les pays d’Afrique du Nord mais les connaissances accumulées sur leur impact sur les éco systèmes permettront dorénavant d’éviter les principales nuisances ou de bouleverser les cultures maraichères en aval. La gouvernance de l’eau en Afrique devra se tourner en priorité vers les questions agricoles et rurales et imaginer des politiques plus systématiques de gestion de l’eau agricole sans en éviter le gaspillage. L’eau va devenir au niveau mondial une ressource à l’aune de laquelle on mesurera les capacités d’un pays à développer certains types d’industrie car les objets de la vie quotidienne sont produits à partir d’énormes quantités d’eau. Le concept d’eau virtuelle nous permet de l’illustrer ; il faut par exemple plus de 150 litre d’eau pour produire un simple café expresso.

posé en Afrique et que des solutions de recherche et d’innovation puissent être trouvées en partenariat avec les pays africains sur chaque écosystème spécifique. Sans cela il est peu probable que l’objectif d’éradiquer la faim dans le monde tel que défini par les Objectifs du Millénaire ne se concrétise un jour. La révolution agricole asiatique dans les années 1960 et 1970 avait reposé sur la volonté des fondations Ford et Rockefeller de travailler ensemble sur de la recherche et développement de variété à haut rendement, puis sur un modèle très consommateur d’eau et d’engrais dont les limites apparaissent aujourd’hui.

L’Afrique compte relativement moins de plaines alluviales et terres très fertiles et c’est également le continent le plus sec après l’Océanie. Il faudra que les réponses soient adaptées à ces problématiques mais qu’elles évitent sur le long terme les écueils dans lesquels sont tombés les modèles asiatiques ou indien : la surconsommation d’eau et la dépendance aux engrais. A court terme pourtant l’accès à ces deux intrants sera décisif ainsi que les connections par les infrastructures pour acheminer les denrées vers les marchés locaux. En 2009, le nombre de sous alimentés dans les pays en développement avait augmenté pour la première fois depuis une décennie à cause de l’effet de la montée des prix des matières premières alimentaires pendant l’année 2008, or en 2011 est similaire à tous égards. Enfin les régions africaines qui continuent à souffrir le plus de la faim sont celles qui subissent le plus les conflits donc l’incapacité chronique à organiser les pouvoirs publics et les politiques de long terme, soient l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale.

:: Pour une mobilisation internationale pour la sécurité alimentaire africaine Il est fondamental que la communauté internationale prenne la dimension du problème agricole qui est

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Défis climatiques, révolution énergétique et développement durable : quelles réponses à des enjeux globaux ? - Rajendra Kumar Pachauri : Président du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) - Philippe de Fontaine Vive Curtaz : Vice-président de la Banque Européenne d’Investissement - Vuk Jeremic : Ministre des Affaires Etrangères de la République de Serbie - Cheng Tao : Vice-président du l’Institut de la Politique Etrangère du Peuple Chinois - Jamil Ahmad : Secrétaire général adjoint du Programme des Nations Unies pour l’Environnement - Etienne Massard K. Makaga : Conseiller du Président de la République du Gabon pour les affaires environnementales et climatiques

MODÉRATION : Sylvain ATTAL, présentateur, France 24

Sécurité alimentaire et gouvernance de l’eau : quelle feuille de route pour répondre à des défis communs ? - General Abdou Kaza : Ministre de l’Eau, de l’Environnement et de la lutte contre la Désertification de la République du Niger - Moise Kotaye : Ministre de la promotion des Petites et moyennes entreprises, du secteur informel et du guichet unique de la République centrafricaine - Loïc Fauchon : Président du Conseil Mondial de l’Eau - Paolo Lombardi : Directeur du bureau des programmes méditerranéens, World Wide Fund of Nature (WWF) - Abdallah Rattal : Directeur-adjoint du Département de l’Environnement au Secrétariat d’Etat chargé de l’Eau et de l’Environnement du Royaume du Maroc

Modération : Belkacem Boutayeb, consultant

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Catastrophes naturelles : l’aide internationale suffit elle à la reconstruction ? - Marie-Denise Jean : Représentante permanente de la République d’haïti à l’UNESCO - Abdelkrim Bensiali : Directeur de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient à la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (CICR) - Slavano Briceño : Directeur du Secrétariat des Nations Unis pour la Stratégie de Réduction des Désastres Naturels - Pierre Duquesne : Ambassadeur Itinérant de la République française, Représentant pour les questions économiques, de développement et de reconstruction - Bilal Khan : Coordinateur du programme de l’Organisation Internationale des Migrations pour l’enregistrement des personnes déplacées au Sud Waziristan

MODÉRATION : Aurélien Lécina, Directeur pôle affaires publiques de l’Ecole de Gouvernance Economique de Rabat

De Copenhague à Cancun : comment regrouper les initiatives nationales pour éviter un nouveau rendez vous manqué ? - Jamil Ahmad : Secrétaire général adjoint du Programme des Nations Unies pour l’Environnement - Etienne Massard K. Makaga : Conseiller du Président de la République du Gabon pour les affaires environementales et climatiques - Cheng Tao : Vice-président du l’Institut de la Politique Etrangère du Peuple Chinois - Bruno Rebelle : Directeur-général du cabinet Synergence, ancien Directeur du développement à Greenpeace international - Mohammed Saïd Karrouk : Chercheur émérite, climatologue, membre du GIEC - Philippe Lorec : Coordinateur du Plan solaire méditerranéen pour le Gouvernement de la République française

Modération : Nadia Salah, Directrice des rédactions du groupe Eco media

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LES BUSINESS MEDAYS : DE LA RÉFLEXION À L’ACTION RÉVOLUTIONS ÉNERGÉTIQUES DANS LES MARCHÉS ÉMERGENTS : LES NOUVEAUX ACCÉLÉRATEURS DE CROISSANCE Pour la 3ème année consécutive, le Forum MEDays offre un forum parallèle dédié aux entreprises, les «  Business MEDays  »  : des séances plénières, ateliers et rencontres informelles, dédiés aux professionnels. Un espace unique pour créer des opportunités concrètes d’affaires dans les différentes régions concernées par le Forum. Les Business MEDays permettent aux entreprises désireuses de se développer au Maroc, autour du Bassin méditerranéen et sur le continent africain de rencontrer, à travers des séances de travail formelles et des sessions de rencontres informelles, de futurs partenaires (institutionnels, industriels et financiers) ou clients venus des pays concernés par les problématiques traitées. Ce forum est avant tout destiné à créer et consolider des partenariats mais également à appeler à la réalisation des recommandations sectorielles concrètes issues des nombreuses interventions qu’a connu l’édition 2010.

:: L’action gouvernementale nécessaire face aux défis stratégiques La crise économique mondiale de 2008-2009 a plongé dans l’incertitude les marchés énergétiques mondiaux. Les cours des matières premières énergétiques sont perturbés à court terme par l’instabilité politique et sécuritaire d’une région ou d’un pays comme nous le voyons actuellement avec les révolutions arabes et leur influence sur la cotation du pétrole, mais aussi à plus long terme. Il y a aura bel et bien une tendance haussière dûe à la raréfaction des matières premières. Cela contraint les gouvernements à trouver les réponses au double défi du changement climatique et de la sécurité énergétique qui façonneront le paysage énergétique des décennies à venir. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), le prix moyen de pétrole brut devrait atteindre 113 USD par baril d’ici 2035 alors que durant l’année 2010 il s’est

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établi en moyenne autour de 75-80 USD et connait des plafonds à 110 USD début 2011. L’année 2009, d’une part avec le G20 de Pittsburgh et d’autre part avec l’accord de Copenhague, a été marquée par des avancées importantes dans la définition des politiques énergétiques, notamment avec la négociation d’accords internationaux sur le changement climatique et sur la réforme des subventions souvent inefficaces des combustibles fossiles. Ajouté à cela que le développement et l’utilisation des technologies à faible émission de C02 ont été stimulés grâce à l’accroissement des subventions et autres incitations financières adoptées par les gouvernements. Cependant les perspectives énergétiques mondiales à l’horizon 2035 dépendent incontestablement de l’action gouvernementale et de son influence sur la technologie, sur le prix des services énergétiques et sur le comportement des consommateurs finaux. Selon l’AIE dans l’hypothèse de mise en place de politiques nouvelles de la part des gouvernements, la demande mondiale d’énergie primaire augmentera de 36% entre 2008 et 2035, soit un taux de croissance moyen de 1,2% par an contre 2% par an actuellement. Alors que dans l’hypothèse où serait suivie une trajectoire énergétique cohérente avec une limitation de la température à 2°c et de la concentration de gaz à effet de serre, la demande devra être contenue à 0,7% par an. Ces chiffres signifient que pour anticiper une future crise énergétique, lutter contre le changement climatique, sécuriser les approvisionnements, éradiquer la précarité énergétique et promouvoir un nouveau modèle économique durable, les énergies renouvelables sont un complément indispensable aux énergies fossiles.

:: Investissement massif dans les énergies alternatives Le Maroc, à l’instar de nombreux pays en développement

et de surcroît dépendant de ses importations en énergie à hauteur de 95 %, est en train de miser et d’investir massivement sur le développement et l’utilisation des énergies renouvelables pour produire sa propre électricité, puis dans un futur proche celle de ses voisins européens et africains. Sa position géographique, à proximité d’un marché développé et son absence de ressources fossiles le poussent à créer ce nouveau modèle. En effet, le pays prévoit d’augmenter sa production de 2000 MW solaire, 2000 MW éolien et de 2000 MW hydraulique à l’horizon 2020. Ainsi, les énergies renouvelables représenteront, en 2020, 42% de l’énergie produite si les objectifs sont atteints. Il parait évident qu’un mix énergétique, incluant l’emploi des énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biomasse…), de l’énergie nucléaire et des énergies fossiles est le meilleur modèle pour réduire significativement le rejet de gaz à effet de serre et assurer la sécurité énergétique. Par ailleurs, pour se désengager de la dépendance à l’énergie fossile, les économies d’énergie ou ce que l’on nomme l’efficacité énergétique est le deuxième volet d’une action sur le rendement de l’investissement dans l’énergie, avec un rapport coût/ efficacité compétitif. Une politique d’amélioration de l’efficacité énergétique réduisant les émissions de gaz à effet de serre et la facture énergétique. Le Maroc s’est par exemple fixé l’objectif d’améliorer de 12% l’efficacité énergétique d’ici 2020, et de 15% d’ici 2030. Pour aboutir à de semblables objectifs, il faut agir sur les

secteurs qui consomment le plus d’énergie : le bâtiment, pour les pays en développement est le secteur le plus gourmand en énergie, puis vient le transport, un secteur en forte croissance dans les pays émergents. Dans les pays développés, il est le plus consommateur d’énergie, preuve qu’il doit faire l’attention d’une politique préventive de chasse aux gaspillages. La thématique 2010 des Business MEDays1 est ainsi venue poser en plusieurs débats une réflexion sur les contenus pratiques d’une politique qui développe les sources alternatives aux énergies fossiles et qui dans le même temps augmente l’efficacité de l’énergie produite. Ceci pour stimuler une seconde réflexion sur les capacités pratiques pour les pays en développement à convertir cette révolution énergétique en un nouveau modèle économique. Les pays en développement aurontils les capacités d’accéder aux énergies renouvelables ? Peuvent ils trouver des solutions peu couteuses pour développer l’efficacité énergétique  ? Telles sont les questions qui se posent. A cette fin, les ateliers ont abordé les thèmes du développement de l’énergie solaire, des enjeux de la construction d’une filière nucléaire, de l’efficacité énergétique dans le bâtiment ainsi que l’efficacité énergétique dans les transports, mais aussi la question pratique du financement des projets énergétiques par les partenariats publics-privés.

1- « Révolutions énergétiques dans les marchés émergents : « Les nouveaux accélérateurs de croissance, les questions incontournables persistent les RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011 69 pays en développement auront-ils les moyens d’accèder aux énergies renouvelables ? »

POINT SUR LES INCONVÉNIENTS DES SUBVENTIONS AUX ÉNERGIES FOSSILES D’après le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), la suppression de ces subventions permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 6 % par an, tout en contribuant à une augmentation de 0.1% du PIB  mondial.  L’Agence Internationale de l’Energie estime également que cette disparition des subventions permettrait de réduire de 5 % la consommation d’énergie primaire de la planète en 2020 par rapport au scénario actuel. Elle renforcerait aussi la sécurité énergétique et réduirait la pollution atmosphérique. Selon le rapport du PNUE, les subventions aux énergies, loin de favoriser les populations les plus pauvres, financent en fait une énergie moins chère pour les pays riches. Le Fonds Monétaire International a rappelé dans sa revue Finances et Développement parue en juin 2010, qu’au niveau mondial, la hausse du cours du pétrole de 29 dollars le baril en moyenne en 2003 à un plus haut de 145 dollars en juillet 2008, a renchéri les subventions aux produits pétroliers de 54 milliards de dollars en 2003 pour un record annuel de 518 milliards à la mi-2008, dont les deux tiers dans les pays exportateurs (Arabie Saoudite, Russie, Indonésie, Ukraine). Les subventions nuisent donc aux finances publiques des pays qui subventionnent les produits énergétiques d’autant plus qu’elles sont assises sur les cours et par là même dépendantes des fluctuations du marché.

Le deuxième effet négatif est probablement la surconsommation d’énergie, en effet, les pays qui subventionnent l’accès à l’énergie permettent à leur population de consommer plus d’énergie que ce que leurs moyens financiers ne leur auraient permis. Les subventions déconnectent le prix payé par le consommateur du prix de marché et freine l’adaptation des comportements des consommateurs vers une meilleure utilisation de la ressource. L’Afrique est parmi les continents où la prise de conscience et la mise en place de programmes destinés à améliorer l’efficacité énergétique sont les plus faibles. Pourtant, selon la Banque Mondiale, il est possible de générer 19 milliards de dollars par an grâce à la mise en place d’une politique ambitieuse d’économie d’énergie. Le troisième inconvénient est l’impact sur l’émergence des énergies nouvelles. Les prix finaux des énergies fossiles ne représentent pas les prix réels à cause des subventions, il est par conséquent difficile de développer des stratégies ambitieuses d’énergies nouvelles surtout dans les pays producteurs de pétrole et d’autres énergies fossiles. Les pays africains les plus ambitieux dans ce domaine sont ceux qui dépendent le plus des combustibles fossiles. Ainsi, le Maroc qui importe plus de 95 % de son énergie a mis en place une politique volontariste dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique ; cependant il continue de subventionner son énergie, le gaz butane notamment, via une caisse de compensation.

LES DÉFIS DE L’ACCÈS DES ÉTATS À L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE CIVILE : :: Comment répondre aux enjeux de sûreté, sécurité et non-prolifération ? Nous assistons depuis le début des années 2000 à un retour des grands programmes nucléaires, ce qui laisse entrevoir une envolée du secteur similaire à celle des années 1970 et 1980. Ce renouveau des projets nucléaires s’explique à la fois par la croissance de la demande énergétique mondiale et par les avantages compétitifs éprouvés de cette source de production en termes de coût, de sécurité d’approvisionnement et d’indépendance, ou encore d’émission de gaz à effet de serre. Les pays émergents étant les moteurs de cette croissance.

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D’après l’AIEA (Agence Internationale de l’énergie atomique), le nombre de réacteurs en cours de construction serait de 53 dont 20 en Chine, 6 en Russie et 5 en Inde à la fin 2010. D’autres pays émergents portent aujourd’hui un grand intérêt au nucléaire : Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Égypte, Maroc, Turquie, Vietnam. Malgré ce regain d’intérêt et les grands programmes annoncés, le nucléaire connaît une croissance limitée dans le mix-énergétique mondial. Cela s’explique par le grand nombre de barrières techniques et sociétales qu’il faut au préalable franchir pour construire une centrale nucléaire. En amont de tout projet nucléaire, le secteur doit faire face à plusieurs contraintes parmi lesquelles l’enjeu

majeur du respect de normes élevées de sûreté, de sécurité et de non-prolifération. Comment développer l’énergie nucléaire dans les pays émergents en y apportant des garanties efficaces ?

- La barrière financière  : située en amont de tout projet nucléaire, cet obstacle est un des principaux auxquels le nucléaire fait face en termes de développement international. Les investissements initiaux pour la construction

Quelque soit le pays, les conditions suivantes sont nécessaires pour permettre le développement de l’énergie nucléaire  : le respect de la sécurité et de sûreté nucléaire, le financement, l’existence d’une sûreté nucléaire dans les pays d’accueil, avoir les compétences pour passer commande, assurer la construction, le fonctionnement et la maintenance.

:: Le nucléaire doit faire face à de nombreux défis parmi lesquels la nécessité d’assurer la sûreté et la sécurité nucléaire Avec 13,8% de la production électrique totale en 2007, le nucléaire constituerait 10,7% du bouquet énergétique mondial en 2030 d’après les données de l’AIE (World Energy Outlook 2009). L’alternative nucléaire doit faire face à de nombreux défis en particulier dans les pays du Sud parmi lesquels nous pouvons situer quatre types de barrières : - Les barrières techniques  : complexité de la technologie, incertitudes des têtes de série, dimensionnement des centrales pour le réseau des pays émergents, enjeux de sécurité et de sûreté, - Les barrières sociétales en raison des réticences de l’opinion publique, les bailleurs de fonds internationaux rechignent à financer cette source d’énergie dans les pays en développement. Dans les pays développés, certains comme l’Allemagne et la Belgique, ont décidé de l’abandonner. - Les barrières concurrentielles : le développement de l’électricité nucléaire est concurrencée par le développement des énergies renouvelables et du charbon abondant et peu coûteux. A l’horizon 2030 l’AIE pronostique que la part des productions d’energies renouvelables en Europe atteindra 26% en 2030 et plus de 22% dans le monde, et que celle du charbon passera de 41,5% en 2007 à 44,5% en 2030 au niveau mondial.

d’une centrale sont très lourds et sur une échéance non négligeable (5 à 7 ans de construction hors phase d’autorisation contre moins de 2 ans pour une centrale au gaz naturel et 3 à 4 ans au charbon). Se rajoutent à ces facteurs des risques perçus comme élevés en phases de construction et d’exploitation  : retards et dépassements de coûts, défaillance de matériels et arrêts non programmés, temps de retour sur investissement ou de remboursement long, risques de marché et risques réglementaires. Le coût du capital dépendant de l’évaluation des risques par les investisseurs, les marchés financiers exigent un rendement pouvant compenser cette longue durée d’investissement, par le biais d’un taux d’actualisation élevé, et les risques liés au secteur à travers la prime de risque.

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:: La filière évolue vers des standards de construction et de traçabilité renforcés. Le spectre d’un accident nucléaire, au retentissement mondial, tel que celui vécu en 1986 à Tchernobyl alimente la crainte des investisseurs et des Etats à s’engager dans de tels programmes car ils auraient alors à affronter une fronde de la société civile. Ainsi, les principes de sûreté, de sécurité et de non prolifération sont déterminants dans le cadrage des projets nucléaires. Ces risques perçus ont par ailleurs été alimentés par l’éventualité d’attaques terroristes aériennes telles que furent menées les attaques du 11 septembre 2001. Ces enjeux ont amené la filière à rehausser constamment les scenarii de risques et à concevoir de nouvelles générations de centrale hermétiques et durables dans le temps dont la construction résisterait à la fois à un problème interne et à une agression externe. Une des clefs du renforcement de la sécurité est également la gestion du flux de matières fissiles et notamment éviter que le combustible nucléaire ne soit détourné ou transporté dans de mauvaises conditions de sécurité. Préalablement au lancement des projets d’équipement nucléaire la mise en place d’une autorité réglementaire indépendante chargée d’assurer un contrôle strict sur les matières nucléaires, de faire l’inventaire et le suivi des sources radioactives et de veiller à l’application des mesures de sécurité et de sûreté. Le renouveau du nucléaire ne signifie pas un risque accru de prolifération car les exploitants sont dans une démarche pragmatique de transparence et soumettent leurs règles d’exploitation au contrôle international et national.

:: Le rôle de la coopération internationale comme garante du développement de la filière. Le nucléaire est un domaine où la coopération est une donnée essentielle du développement de la filière au regard des enjeux de sécurité qui ne concernent pas

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seulement le pays dans lequel se construit la centrale mais également les pays voisins et plus largement la communauté internationale. Il existe depuis les années 50 une coopération, de type multilatéral où autorités nationales et internationales interagissent avec l’agence intergouvernementale AIEA –agence intergouvernemental de l’énergie atomique- mais aussi avec d’autres organisations non gouvernementales telle que WANO (Word Association of Nuclear Operators). Plus récemment, de nouveaux types de coopération fondée sur la volonté de promouvoir l’accessibilité de la filière nucléaire se mettent en place. Ce sont des coopérations de type bilatéral à l’exemple de celle entre la France et le Maroc. L’AIEA, qui inspecte les sites nucléaires et rédige des rapports d’évaluation et l’association WANO, qui réunit tous les opérateurs du nucléaire, mutualisent les connaissances et les données, et travaillent en étroite collaboration pour accueillir les nouveaux prétendants au nucléaire civil en leur permettant d’acquérir une culture de la sûreté nucléaire. La formation technique et scientifique des ressources humaines est essentielle pour préparer la nouvelle génération de pays nucléaires. Pour se faire, des échanges universitaires et des institutions de formation de pointe comme l’Académie européenne du nucléaire basée à Munich en Allemagne ont été mis en place et constituent le passage obligé des futurs cadres du secteur.

:: Financement et rentabilité des projets nucléaires. Pour accéder à l’énergie nucléaire, la question du financement se pose incontestablement et constitue une des barrières principales comme cela a été précédemment exposé. Cependant, le rapport de ces coûts à la durée de vie d’une centrale nucléaire est très modeste. Aujourd’hui, le coût unitaire d’une centrale nucléaire nouvelle génération d’un site d’une capacité comprise entre 800 à 1600 MW serait de l’ordre de 2 à 4 milliards d’euros pour une durée de vie moyenne estimée à 40 ans. Selon le Ministère français de l’Industrie, en

prenant en compte le coût d’investissement, le prix de l’uranium, les coûts d’exploitation et de maintenance, et aussi les provisions nécessaires aux dépenses futures de démantèlement et de stockage des déchets radioactifs, le prix de revient du kWh nucléaire est inférieur à 4 centimes d’euro. Ce coût est comparable à celui d’un kWh produit à partir du gaz, lorsque celui-ci est à son prix le plus bas, et bien inférieur à ceux des autres modes de production d’énergie. Le grand avantage de la filière est que le prix du Kwh nucléaire dépend peu des conditions des marchés des matières premières compte tenu de la stabilité des cours de l’uranium et des faibles quantités nécessaires pour produire de l’énergie. Par conséquent, lorsqu’une centrale est amortie, après 15 à 25 ans d’utilisation, le prix de revient du kWh nucléaire chute extrêmement bas, environ à 1 centime d’euro le Kwh.   Néanmoins l’investissement initial est très élevé et cela oblige les constructeurs et les exploitants nucléaires à trouver des solutions ingénieuses pour le couvrir. Le financement des projets nucléaires dans les pays émergents peut émaner d’un consortium d’entreprises exploitantes et consommatrices à l’exemple de la Finlande (financement par l’exploitant TVO plus un regroupement de 16 industriels du bois,

du papier et de la métallurgie, grands consommateurs d’électricité). Autre alternative : un système de « Loan guarantees », une garantie de prêt endossée par le gouvernement, est une solution envisageable pour minimiser le taux d’intérêt de l’emprunt. Cette option est possible pour les Etats capables d’apporter des soldes de garanties financières mais il serait même envisager de trouver les mécanismes pour étendre la possibilité de cette garantie à l’échelle internationale pour faciliter l’accès des pays en développement à la technologie. En effet, la Banque mondiale pourrait davantage s’intéresser aux financements des projets nucléaires si le développement de la filière renforce sa crédibilité en tant que source alternative d’énergie. Quant au modèle idéal de management financier de ces projets, chaque pays a un intérêt à s’adapter à sa propre situation selon ses partenaires privilégiés et ses propres capacités. Un modèle de management mixte entre les acteurs privés et publics est la meilleure solution pour conduire ces projets complexes, aux enjeux de développement si aigus. La présence de la puissance publique au capital de l’exploitant ou de la centrale est de nature à constituer une garantie supplémentaire pour que les exigences de sécurité soient respectées et que le dialogue sur les besoins de réglementation de la filière puisse être fructueux.

POINT SUR LES INCONVÉNIENTS DES SUBVENTIONS AUX ÉNERGIES FOSSILES La France et le Maroc ont signé en juillet 2010 un accord pour «le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire», première étape en vue d’éventuels contrats commerciaux. Le royaume marocain compte construire sa première centrale nucléaire entre 2022 et 2024. Cet accord général permettra d’accompagner le Maroc sur le chemin de la préparation à son entrée dans le champ de l’énergie nucléaire. L’accord prévoit une coopération en matière technologique et dans les domaines de la formation et de la sûreté. Cet accord fut précédé par un protocole d’accord signé en 2007 entre AREVA et l’OCP (Office chérifien des phosphates) afin de développer la coopération et la recherche sur l’extraction de l’uranium contenu dans l’acide phosphorique, fabriqué à partir des minerais de phosphates marocains. L’uranium se trouve en très faible quantité dans les phosphates.

La teneur varie de 50 à 200 ppm (parties par million), avec une teneur moyenne de 100 ppm soit cent tonnes d’uranium pour un million de tonnes de minerai de phosphate. L’uranium est extrait de l’acide phosphorique, dans le traitement des phosphates par voie humide. Alors qu’en 2007, pas moins de 13,4% de l’uranium utilisé dans le monde provenait du traitement des phosphates, le Maroc pourrait être dans les années à venir un grand producteur d’uranium. Selon l’AIEA, les ressources d’uranium en sous-produit des seuls gisements de phosphates du Maroc avoisineraient les 6 millions de tonnes, soit deux fois plus que les ressources mondiales connues des gisements d’uranium. La filière nucléaire au Maroc constitue donc l’immense avantage de garantir une indépendance énergétique totale, tant sur la production que sur la matière première.

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POINT  : PRINCIPAUX TYPES DE RISQUES ASSOCIÉS AU FINANCEMENT D’UNE CENTRALE NUCLÉAIRE (SOURCE : OCDE) TYPE DE RISQUE

DESCRIPTION DES RISQUES PRINCIPAUX

DESCRIPTION DES RISQUES PRINCIPAUX

Retards imprévus dans la délivrance des permis de construire ou des licences d’exploitation par les services locaux ; des licences d’exploitation et autres autorisations pendant la durée de vie utile de la centrale.

Exploitants et pouvoirs publics. Nécessité de mettre en place un système réglementaire efficace et prévisible ; les risques seront plus faibles lorsque le système aura été entièrement démontré.

Modification des taux d’intérêt et de la fiscalité ; impossibilité de refinancement des emprunts à des conditions favorables ; risques de change ; coûts et disponibilité d’une assurance responsabilité civile nucléaire et autres types d’assurances ; retards dans l’exploitation.

Exploitants. Réduction des risques par le biais d’instruments financiers ; nécessité de mise en place, par les pouvoirs publics, d’un cadre juridique pour l’assurance responsabilité civile nucléaire.

CATASTROPHES NATURELLES, FORCE MAJEURE

Séismes et autres risques majeurs (selon la région considérée) pouvant entraîner des dommages aux installations et des arrêts forcés ; risques pour la sécurité et menaces terroristes pouvant majorer les coûts.

Exploitants. Contraintes de conception et exigences de la procédure d’autorisation pour la sismicité, etc. ; assurances ; éviter les régions politiquement instables, etc.

RISQUES ASSOCIÉS À L’APPROVISIONNEMENT EN COMBUSTIBLE

Retards de livraison des assemblages combustibles pouvant entraîner une moindre production d’électricité, voire l’arrêt de la centrale ; problèmes de qualité du combustible entraînant des difficultés de manipulation ; augmentation importante et inattendue des coûts associés.

Exploitants. Contrats du cycle du combustible à long terme; mettre les fournisseurs en concurrence; il peut se révéler nécessaire que les autorités publiques passent des accords nucléaires avec les pays fournisseurs.

RISQUES ASSOCIÉS À LA RÉGLEMENTATION ET À LA PROCÉDURE D’AUTORISATION RISQUES FINANCIERS

RISQUES ASSOCIÉS À LA GESTION DES DÉCHETS ET AU DÉMANTÈLEMENT

Impossibilité de mise en place d’une capacité nationale dans les délais prévus, d’où une incapacité à évacuer les combustibles usés et les déchets ; coûts supérieurs aux prévisions à cause des incertitudes politiques et des retards ; exigences accrues pour les provisions liées aux coûts de démantèlement.

Exploitants et/ou pouvoirs publics. Besoin d’une politique claire et cohérente de la part des pouvoirs publics et de mesures adéquates pour la mettre en œuvre.

RECOMMANDATIONS : • Accentuer les coopérations bilatérales en matière de formation technique avec en ligne de mire la mise en place d’un langage et d’une une culture de sûreté commune, à l’exemple du partenariat signé entre la France et le Maroc. • Mettre en place une autorité nationale réglementaire indépendante chargée de veiller à l’application des mesures de sûreté et de sécurité et d’assurer un contrôle étroit sur la matière nucléaire et les sources radioactives. • Encourager les institutions financières internationales à financer l’énergie nucléaire pour accompagner son développement. • Promouvoir à l’échelle nationale une complémentarité entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. • Engager un débat public démocratique nécessaire pour une meilleure acceptabilité du nucléaire civil par les populations.

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:: Le développement de l’énergie solaire dans la région MENA : Quelles technologies pour quelle rentabilité ? La région MENA bénéficie de l’une des meilleures ressources solaires du monde grâce à un taux d’ensoleillement considérable pouvant offrir un rendement de 20 à 30% supérieur à celui des centrales solaires du sud de l’Europe. Plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années pour tirer profit de ce gisement solaire qui est l’un des plus compétitifs au monde. Le projet Desertec, lancé en juillet 2009, est l’une des initiatives les plus connues internationalement, essentiellement pour son dessein gigantesque. Il a pour objectif de garantir 15% de la demande d’électricité en Europe d’ici à 2050 à travers la production d’énergie solaire dans la région MENA et le raccordement au réseau européen. Le Plan Solaire Méditerranéen inscrit dans l’Union pour la Méditerranée a pour objectif quant à lui d’atteindre une capacité de production de 20 GW d’énergies renouvelables dans le bassin méditerranéen à l’horizon 2020 et d’exporter jusqu’à 5 GW du Sud vers l’Europe afin de garantir la rentabilité des projets de centrales. Le pari est de réussir une collaboration exemplaire entre les pays méditerranéens fondés sur les intérêts communs et sur le potentiel des énergies renouvelables et du solaire en particulier, à constituer une réponse à la demande énergétique et à la problématique du changement climatique. De ces initiatives régionales qui ont favorisé la réflexion et l’émergence de nombreux projets nationaux de développement des énergies renouvelables, on peut citer le Plan Solaire Marocain calibré à 2 Giga Watt ou encore le Plan Solaire Tunisien dont les autorités avaient lancé le processus législatif. Il y a cependant de nombreuses interrogations qui restent en suspens pour mener à bien ces projets, notamment la question du coût, du financement

et de la rentabilité de tels projets. Si les pays en développement investissent dans ces technologies il ne faut pas qu’ils se retrouvent avec des parcs surdimensionnés dont la charge de financement grèvera leur budget d’investissement. La technologie solaire en particulier possède la limite particulière de ne pouvoir être fonctionnelle qu’une moitié de journée, le jour, pour une raison aisément compréhensible. Quelles solutions apportent les technologies solaires aux problèmes de coût et d’intermittence ? Quelle technologie est la plus compétitive ?

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:: Les différentes solutions technologiques Pour produire de l’énergie solaire, plusieurs solutions technologiques existent et comportent chacune des exigences techniques, des coûts et des opportunités différentes. L’énergie solaire photovoltaïque est une  énergie électrique produite à partir du rayonnement solaire. L’énergie solaire est directement convertie en énergie électrique via l’utilisation de matériaux semiconducteurs. On distingue principalement deux types d’utilisation, celui où l’installation photovoltaïque est connectée à un réseau de distribution d’électricité et celui où elle est autonome. Les installations photovoltaïques peuvent être connectées à des réseaux de distributions. La possibilité de stockage de l’électricité solaire pour un usage la nuit constitue le principal maillon faible du photovoltaïque. Les méthodes actuelles de stockage, notamment les batteries, représentent pour l’instant une solution trop coûteuse. L’électricité produite à partir d’un système photovoltaïque doit donc être consommée de manière intermittente, à l’instant même de sa production. Le coût de production de cette énergie est cependant extrêmement élevé en comparaison avec le prix moyen de l’énergie. Cependant grâce au progrès scientifique et à la production en série, les producteurs de panneaux solaires espèrent faire baisser les prix de manière très importante dans les

COÛT D’INVESTISSEMENT (M€ * MW)

prochaines années. L’autre grande technologie de production énergétique grâce à l’énergie solaire est le thermodynamique dont le principe est la concentration des rayons du soleil à l’aide de miroirs afin de chauffer un fluide caloporteur qui permet de produire de l’électricité grâce à une turbine mise en mouvement par ce fluide. Ce sont les solutions dites « CSP » pour concentrated solar power. Combiné à une autre source d’énergie qui prend le relais la nuit tombée, le CSP permet de produire de l’énergie en continu et reste actuellement une des solutions les plus compétitives pour cette raison. Le premier pays à se doter de la centrale thermosolaire à cycle combiné en Afrique du Nord a été le Maroc avec la centrale de Aïn Beni-Mathar (472 mégawatts dont 20% en solaire) qui a été inaugurée en mai 2010 et couvre 8,5 % de la production électrique nationale. Des centrales du même modèle sont en projet en Algérie et en Tunisie. Enfin dernière application de la technologie solaire, le chauffe-eau solaire est un dispositif de captation de l’énergie solaire destiné à fournir partiellement ou totalement de l’eau chaude sanitaire. Il est difficile de comparer les différentes solutions puisque chaque technologie a sa propre vie. Elles sont applicables ou non dans un pays en fonction de divers paramètres  : environnement, ensoleillement, chaleur, localisation, rentabilité attendue du capital, taille de l’installation, coût total des systèmes installés ou coût du crédit.

Charges d’exploitation/ investissement

Facteur de capacité

CSP

4-6

1-2%

33 %

PV

3

1-2 %

25 %

EOLIEN

1,3

1,5 - 2 %

33 %

CHARBON

1,4

1-2%

70 % Source : Rapport (IGF France Plan Solaire Méditerranéen)

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:: Une énergie pas encore rentable dans une vision statique mais déjà proche de la parité réseau Alors que le prix de l’électricité d’origine solaire est deux à trois fois supérieur au prix de l’électricité d’origine fossile, de plus en plus de pays, dont ceux en développement se lancent dans des projets de production d’énergie solaire.

L’une des principales raisons de cet engouement pour le solaire est d’ordre économique et stratégique. En effet, la dépendance énergétique, la croissance de la consommation additionnée à la flambée des prix des hydrocarbures fossiles, font que des pays comme le Maroc se trouvent dans une situation intenable d’un point de vue économique et stratégique. Anticiper cette situation constitue un élément de réponse qui justifie le besoin de continuer à alimenter l’économie de l’énergie dont elle a besoin. D’un point de vue stratégique, cette option peut s’apparenter à la sécurisation des approvisionnements en énergie tant recherchée pour l’ensemble de ces pays. D’autre part, la rentabilité ne s’analyse pas uniquement d’un point de vue statique mais de façon dynamique. Lorsqu’on parle de rentabilité dite économique, on y intègre toutes les externalités et la capitalisation d’expérience qui est un investissement qui amène la rentabilité future. Ainsi, pour évaluer tous les avantages financiers du secteur de l’énergie solaire, il est nécessaire de se positionner bien en amont. La rentabilité économique des projets sera atteinte lorsque le coût de l’énergie solaire diminuera pour croiser le coût de l’énergie de marché, soit la « parité réseau ». Toutefois dans le cas spécifique de l’énergie solaire cette parité réseau pourrait ne pas être atteinte avant 2020 selon plusieurs experts ou 2015 selon les plus optimistes.

:: Les techniques de financement des projets solaires : pour une approche dynamique et multiple L’investissement de départ, appelé CapEx dans la terminologie anglosaxonne, reste une étape assez couteuse dans les projets solaires. Le financement et la technique de financement utilisée sont des éléments clef pour assurer la soutenabilité voire la rentabilité à terme des projets solaires pour les compagnies exploitantes. L’enjeu des financements de projet est de réduire au mieux les taux d’intérêt afin de pouvoir rendre ces projets abordables dans l’amortissement annuel des coûts.

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Dans la région Méditerranée, les facteurs qui pourraient assurer la soutenabilité des projets de production d’énergie solaire sont : - Les financements multilatéraux et bilatéraux concessionnels par les institutions internationales et les banques d’investissements. - Les mécanismes carbone comme ressource financière supplémentaire, soit un système de compensation internationale entre le coût du projet solaire et le coût de la centrale fossile, système actuellement existant à un niveau jugé faible par les pays en voie de développement

- Une interconnexion électrique avec un marché de consommation mature et disposant d’un système réglementaire qui favorise l’électricité produite à partir d’énergie renouvelable –comme c’est le cas de l’Union européenne. Cela donne la possibilité d’exporter une partie de la production électrique de la centrale solaire à des prix plus élevés pour stabiliser financièrement le coût d’amortissement de la centrale. - Attirer les fonds d’investissements privés notamment les fonds d’investissement européens dotés de charte d’investissement dans les énergies renouvelables. Cependant pour attirer les fonds d’investissements privés il faudra valoriser la rentabilité du projet.

POINT SUR LE SOLAIRE THERMIQUE (CHAUFFE EAU SOLAIRE) AU MAROC Alors que le Maroc dispose de nombreuses journées d’ensoleillement par an, le taux d’équipement en chauffe eau solaire est moindre par rapport à l’ensemble des autres pays méditerranéens. Néanmoins, les installations ont progressé : aujourd’hui 250 000 m2 de capteurs solaires thermiques sont installés contre quelque 30 000 m2 en 1999, grâce notamment au lancement en 2000 du programme de développement du marché marocain des chauffe-eau solaires (Promasol) mené par le CDER (Centre de Développement des Energies Renouvelables). Pour une installation de base, il faudrait 2 m2 permettant de chauffer 150 litres, soit donc 8 000 DH (environ 750€). Pour une famille marocaine moyenne, le besoin en eau chaude est de l’ordre de 300 litres par jour, soit 4 m2 de capteurs solaires thermiques pour un coût de 16 000 DH (environ 1500€). Quant à la durée d’amortissement de l’installation, elle est variable de deux à trois années si elle est utilisée à la place d’un chauffe-

eau électrique, 5 à 6 années dans le cas où l’installation est utilisée en remplacement du fioul. La raison principale pour expliquer le faible équipement du Maroc en chauffe eau solaire, est sans doute la concurrence du gaz butane subventionné qui permet d’acheter le gaz à un prix qui est inférieur au prix de marché ce qui produit une distorsion de concurrence entre le gaz et le solaire thermique. Cette politique de subventionnement du gaz est essentiellement une politique sociale de résorption de la précarité énergétique qui a provoqué une préférence généralisée pour une énergie fossile. Le Maroc pourrait avoir à revoir rapidement sa stratégie de prix subventionnés d’autant plus que la caisse de compensation qui maintient le prix du butane en deçà du prix de marché pèse lourdement sur les finances publiques. Développer une filière rentable et des emplois liés au développement du solaire thermique parait être une stratégie alternative mais recèle le danger d’abandonner une politique sociale.

RECOMMANDATIONS : • Mobiliser les partenariats financiers des fonds d’investissements privés (acteurs privés) • Favoriser la participation des industriels à la soutenabilité des projets solaires par la réduction des coûts initiaux des infrastructures (Capex) • Développer des financements concessionnels à l’ensemble de l’industrie solaire via des institutions parapubliques pour diminuer les coûts d’amortissement des projets • Inclure les coûts globaux y compris toutes les externalités et la capitalisation d’expérience dans le montant total d’une installation productive d’énergie solaire • Stimuler les discussions intra-européennes pour la mise en place de l’exportation des électrons verts Inciter la démarche personnelle d’investissement de la part de l’usager par la suppression des subventions et la mise en place des crédits d’impôts pour le cas de l’équipement individuel

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LE FINANCEMENT DES GRANDS PROJETS ÉNERGÉTIQUES : COMMENT FAIRE DES PPP DE VÉRITABLES LEVIERS DE CROISSANCE ET DE COMPÉTITIVITÉ ? Les partenariats public-privé (PPP) jouent un rôle de plus en plus important dans le développement de grands projets énergétiques. Ces montages financiers innovants présentent de nombreux avantages pour les pouvoirs publics. Ils faciliteraient et accéléreraient la réalisation de grands projets, permettraient de partager les risques financiers et de limiter les coûts d’investissement et de maintenance supportés par l’État, tout en favorisant une meilleure gouvernance à travers la mise en concurrence et les objectifs de performance.

réguliers dûs à la pénurie d’énergie. Les entreprises s’efforcent de faire face à cette situation en installant leur propre groupe électrogène, ce qui coûte trois à quatre fois plus cher que l’électricité obtenue à partir du réseau électrique. Alors que la précarité énergétique affecte le taux de croissance économique des pays en développement en général, il semble que les PPP peuvent jouer un rôle non négligeable dans les projets énergétiques.

La complexité des contrats de PPP soulève cependant de nombreuses questions. Quel cadre juridique et institutionnel doit-on élaborer pour favoriser un développement des PPP ? Quels choix contractuels adéquats pour minimiser les risques inhérents à l’exécution d’un PPP ? Ou encore comment faire des PPP un outil de développement d’entreprises nationales compétitives à l’international ?

:: Le manque d’infrastructures à l’origine de la précarité énergétique Selon l’étude diagnostique la plus récente sur l’infrastructure en Afrique (AICD) menée par la Banque mondiale au nom du Consortium pour les infrastructures en Afrique, la faiblesse du niveau d’équipement en infrastructures entrave la croissance économique de l’Afrique de 2 % par an et réduit la productivité des entreprises de quelque 40 %. A titre d’exemple, les besoins annuels en investissements dans le seul secteur  de l’infrastructure énergétique en Afrique s’élève à environ 40 milliards de dollars par an. Seul un Africain sur quatre a accès à l’électricité et malgré l’électrification dans certaines villes, de nombreux pays africains connaissent des délestages

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:: Association des compétences privées et publiques Monter un projet en PPP consiste à associer les compétences du secteur privé et du secteur public afin de fournir un service qui est d’une importance cruciale pour la stratégie de développement des Etats. L’utilisation du modèle de financement en PPP permet aux Etats de profiter d’un important effet de levier sur la part de leur budget qui est allouée au financement des infrastructures. L’Etat déconnecte d’une part son budget de fonctionnement des coûts opérationnels des projets et recentre son effort financier sur l’investissement en capital. D’autre part son désengagement de la gestion opérationnelle de la production est aux yeux des institutions multilatérales une démarche qui minimise les risques de mauvais emploi des ressources et cela peut ouvrir la possibilité de recevoir des prêts à taux concessionnels qui allégeront le financement. Pour créer des PPP, l’Etat doit cependant faciliter une réglementation qui permette de distinguer les rôles entre l’opérateur public national et les autres compagnies pour clarifier et faciliter la relation contractuelle entre les deux entités. Jusqu’ici sur le continent africain, seuls l’Afrique du Sud et le Maroc ont une loi sur la libéralisation de la production d’électricité à partir des énergies renouvelables. Ce qui signifie clairement que les opérateurs privés peuvent produire à partir des énergies renouvelables. L’intervention de l’Etat est double. Il intervient en amont du projet pour financer la construction ou partie de la construction de la centrale et appuie de sa garantie financière la recherche de prêts concessionnels pour alléger le coût de l’investissement initial et son amortissement (appelé CAPEX). Mais l’intervention se fait également en aval au travers de l’opérateur d’électricité national, sur le prix plancher de rachat du KWh qui est défini de manière à rassurer les opérateurs financiers sur la rentabilité du marché, ce qui constitue une incitation sur la qualité du compte opérationnel de l’opérateur (soit l’OPEX). Les incitations étatiques sur le marché énergétique

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doivent donc être bien pensées pour garantir un équilibre entre les intérêts financiers et la politique de développement de l’Etat d’une part et ceux des compagnies afin que les opérateurs privés aient un appétit pour répondre à des appels d’offres lancés pour les grands projets énergétiques. L’intervention de l’Etat n’est pas donc pas uniquement financière puisqu’elle permet d’assurer une pérennité des projets énergétiques par une vision politique industrielle et sociale plus globale. Contrairement aux pays européens, les tarifs pré-financés du kWh n’existent pas au Maroc dans le domaine de l’énergie renouvelable ce qui demande une capacité d’imagination considérable afin de trouver des modes de financement par l’achat pour réaliser ces projets. Pour l’heure, le modèle marocain a su attirer des financements concessionnels via les banques multilatérales ou les agences de coopération (BAD, KfW, BEI, banque mondiale) pour le développement des infrastructures d’énergies renouvelables et obtenir un kWh le moins cher possible. Pour garantir la construction et le développement d’une capacité de production importante d’énergie renouvelable, il faudra cependant sécuriser un marché qui permette de financer à terme les coûts opérationnels du projet et l’amortissement de l’investissement.

:: Renforcement des capacités institutionnelles de suivi L’une des problématiques essentielles en matière de PPP est d’avoir un interlocuteur institutionnel ayant un savoir-faire et des capacités suffisantes à la maîtrise de ce type de montage, c’est-à-dire des ressources humaines capables de négocier avec des opérateurs privés et d’avoir la technicité financière suffisante pour conduire une stratégie de rentabilisation du projet. A cet effet, des programmes en matière de renforcement de capacités institutionnelles de la part des bailleurs de fond existent, tel est le cas de la Banque africaine de développement ou encore de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui a lancé, un programme pluriannuel d’assistance aux PPP pour les pays méditerranéens afin de

promouvoir le recours de ces partenariats dans la zone méditerranéenne. D’ici à 2030, ce sont plus de 300 Mds€ d’investissements qui devront être réalisés dans les infrastructures d’utilité collective et on estime que les projets concernant l’énergie en représentent la moitié. Les partenaires méditerranéens devront ainsi développer leur capacité à mobiliser le secteur privé et renforcer leur attractivité aux investissements directs étrangers.  Une assistance technique sera ensuite apportée pour accompagner quelques projets pilotes.  En synthèse, il convient de rappeler que les PPP sont certainement un des moyens les plus intéressants pour optimiser les investissements étatiques dans les pays en développement et dynamiser la concurrence et l’innovation sur les marchés de la production énergétique mais que les contraintes sur le montage de projets en PPP sont d’ordres multiples : financières, politiques et techniques. Au nombre des préalables à la réussite d’un programme de PPP figure l’existence d’un cadre stratégique précis, d’un système juridique qui garantit l’effectivité et le caractère exécutoire des contrats, d’un plan d’investissement à long terme, et d’un cadre opérationnel au sein du gouvernement en vue d’assurer la gestion efficace du processus, toutes choses qui nécessitent un engagement politique ferme, de la transparence, et la stabilité à long terme.

RECOMMANDATIONS : • Adopter un cadre juridique légal disposé à faciliter et à développer les PPP dans les projets énergétiques. • Renforcer des capacités institutionnelles et la formation des ressources humaines nécessaire pour la mise en œuvre des PPP • Intégrer dans les comptes publics, la notion de ce type de partenariat • Avoir un recours accru à des fonds d’investissement dédiés • Favoriser la création de référentiels contractuels afin de créer des habitudes de procédure • Attirer les fonds souverains vers les types de montage PPP

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TRANSPORT ET EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE : QUELLE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE ÉNERGIES FOSSILES ET ÉNERGIES RENOUVELABLES? Dans le contexte du réchauffement climatique, l’efficacité énergétique doit se traduire par un transport moins consommateur de carburant fossile. L’objectif étant de réduire l’impact des véhicules sur l’environnement et réduire ainsi les émissions de CO2. S’ajoute à cette donne, un accroissement futur de la demande énergétique du secteur des transports, sous l’effet de la croissance économique et démographique, particulièrement importante dans les pays du sud qui augure vraisemblablement d’une explosion de la motorisation individuelle. Une question se pose alors : comment concilier l’objectif de freiner la demande d’énergie fossile sans sacrifier les bénéfices apportés par le transport en termes de développement économique et social ? Comment insérer la donne environnementale dans le secteur des transports  ? En d’autres termes, comment faire en sorte d’améliorer l’efficacité énergétique dans le secteur du transport ? Dans les pays du sud, le secteur des transports n’est pas le plus gourmand énergétiquement mais il pourrait bien prendre une place de plus en plus grande comme cela a été observé au cours des décennies de forte croissance des pays développés. A titre de comparaison, le taux d’équipement des ménages en véhicules automobiles au Maroc est de l’ordre de 65 voitures pour 1000 habitants, alors qu’il est de 450 pour 1000 en Europe. Néanmoins, le Maroc a connu une croissance à deux chiffres ces dernières années en matière d’équipement de véhicules pour les particuliers. Au niveau national marocain, le transport représente 15 % du budget de l’Etat, 10 % d’emploi de la population active et 35 % de la consommation énergétique nationale. Le transport est ainsi un secteur clé pour l’économie nationale et les emplois qu’il génère, cependant, une politique globale dans le transport est nécessaire pour alléger la facture énergétique de l’Etat.

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:: Faire des économies d’énergie dans le transport : une véritable politique multidimensionnelle est requise. L’amélioration du secteur des transports dans les pays en développement en termes d’économie d’énergie et du développement économique et social peut se faire sous trois volets : - Par la gestion de la mobilité : restriction sur la vitesse maximale, amélioration du transport de marchandises et des services de transport ferroviaire ou maritime, amélioration du plan d’urbanisation, sensibilisation des conducteurs à la lutte contre le gaspillage par une conduite moins consommatrice. -Par l’optimisation de la consommation énergétique des véhicules : promotion de véhicules éco-énergétiques par des dispositifs de primes et de subventions, introduction d’un dispositif de certification pour les véhicules neufs ; limitations des émissions à 140 g/ CO2/km pour la moyenne des véhicules neufs commercialisés  ; Taxe écologique, taxe sur le fioul ou taxe routière liée aux émissions, prime à la casse des véhicules trop anciens, incitation à l’achat de nouvelles voitures moins consommatrices. - Par la modification de la répartition entre les modes de transport  : campagnes d’information et de sensibilisation  ; extension des transports publics ; amélioration de l’infrastructure de transport grâce à des investissements dans l’infrastructure ferroviaire ; renforcement du système de transports publics par l’acquisition de bus éco-énergétiques, création d’un système de bus scolaires et de couloirs d’autobus  ; soutien au transport à deux roues et aux déplacements piétonniers; modifications de l’aménagement territorial et régional et de quartiers

résidentiels afin d’éviter le trafic, prix des transports collectifs attractifs (bus, tramway, train). Au Maroc, il n’y a pas encore de stratégie politique de transport vert mais un ensemble de mesures sont en passe d’être prises pour améliorer les transports et freiner l’augmentation de la consommation de carburant fossile.

30% du prix du véhicule pour les transporteurs routiers de marchandises et les taxis désireux d’acquérir un véhicule neuf. Depuis le début de l’année, la vignette automobile est désormais plus chère que pour les véhicules les plus puissants et la loi de finance 2011 prévoie une disposition qui promeut l’utilisation de voitures hybrides.

:: Diffuser les meilleures technologies existantes : leviers d’action dans le cas du Maroc

Le développement d’une filière verte dans le secteur des transports par une approche intégrée de

Le rail reste un bon outil d’aménagement territorial en termes de gestion du transport car son infrastructure est moins spacieuse que les autoroutes et il est moins gourmand en énergie grâce à l’évolution technique et sa nature de transport collectif. En train, la consommation moyenne d’un voyageur est de 0,009 litre d’essence au kilomètre alors qu’en voiture elle est multipliée par 1,5 et par 5 en ce qui concerne les camions. Les générations les plus récentes de locomotive utilisent de l’énergie électrique et affichent un coût opérationnel plus attractif, ce qui favorise naturellement l’investissement dans ces nouveaux matériels. Dans le cas du Maroc, on le vérifie avec un réseau dans lequel 75% des 2200 km du réseau ferroviaire sont électrifiés. Cette électrification permet une meilleure efficacité énergétique par rapport aux locomotives fonctionnant au fioul mais son impact environnemental en termes de rejet de gaz à effet de serre dépend alors de la nature de la source d’énergie utilisée pour la production électrique nationale. A moyen terme, atteindre l’optimum entre objectifs d’efficacité et objectifs environnementaux est un des buts de la compagnie nationale qui projette la construction d’un parc éolien pour produire jusqu’à 75% de ses besoins en électricité. Concernant les véhicules automobiles, le Maroc a adopté la norme d’émission euro 4 fixant les limites maximales de rejets polluants pour les véhicules neufs mais également, une prime au changement de véhicule sous forme de subventions à hauteur de

formation universitaire, de laboratoire de recherches, d’appui aux industries est indispensable pour optimiser le paysage énergétique. Il faut également relayer ces connaissances vers les décideurs et notamment les aménageurs publics et les usagers des transports.

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:: Nouvelles motorisations, nouveaux carburants : comment penser leur utilisation dans le cas de l’Afrique du Nord ? A l’heure actuelle, les pays d’Afrique du Nord sont parmi les pays les plus dépendants au monde des énergies fossiles dans leur bilan de consommation primaire d’énergie (en moyenne 95%) et cela nécessite une vraie réflexion sur le secteur du transport, d’autant plus que l’équipement en véhicule individuel explose et que la facture des pays sans ressources pétrolières suivra la même courbe. Le deuxième axe structurel sur lequel les pays en développement pourront fonder l’espoir d’accession au transport et à la mobilité pour chacun est le développement de technologies de motorisation complètement nouvelles, déconnectées des énergies fossiles. La diminution de la consommation du transport routier en améliorant les performances des véhicules ne pourront se faire sans le développement de nouvelles motorisations et notamment de nouveaux types de carburants. De nombreux pays en développement ont entamé une recherche sur l’émergence de nouveaux carburants comme l’éthanol ou l’huile de palme, de véritables filières ont même été créées avec des résultats cependant inégaux. Il n’y a pas de recette universelle à appliquer mais il convient de réfléchir sur les technologies les moins coûteuses pour un pays donné. Pour inciter les industriels, les consommateurs et même le gouvernement  ; l’apport de solutions technologiques doit être un engagement avec des retours sur investissement. C’est la seule garantie pour faire le choix de solutions technologiques plus efficaces. Il est certainement nécessaire de lancer des programmes de recherche dans le développement des véhicules électriques, notamment pour tester ceux utilisant des carburants alternatifs, ou encore pour développer les technologies du long terme comme la pile à combustible (hydrogène).

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Cependant le retard manifeste sur la Recherche et Développement des pays africains doit les inciter à un renforcement de capacités dans les universités et développer des filières vertes par un partenariat Nord-Sud ou Sud-Sud avec des pays émergents qui sur la scène internationale promeuvent d’ores et déjà des technologies particulières comme les biocarburants ou des pays en développement qui sont en capacité de les produire. Une étude géographique et stratégique des principales localisations de la production des énergies alternatives est sans doute nécessaire pour prospecter la possibilité de s’approvisionner et diversifier les sources d’approvisionnement en carburant. A ce titre, certains pays africains subsahariens développent d’ores et déjà des filières de biocarburants qui peuvent à terme se consolider si des acheteurs régionaux ont un intérêt à l’achat de ce carburant et si le coût d’acheminement est compétitif. Toutefois il est peu probable dans le cas particulier des pays d’Afrique du Nord que d’autres sources de carburant soient à court terme plus compétitives que le pétrole. Des options possibles mises en place dans les pays du Nord, pourraient l’être dans les pays émergents et en développement : • Une défiscalisation des véhicules propres; • Une taxation écologique sur les véhicules les plus polluants ; • Une certification et une normalisation technique adaptées aux véhicules propres • La priorité donnée au transport collectif dans les grandes améliorations avec une circulation en site propre et des dessertes périurbaines Ces mesures seraient bien plus efficaces que des aides directes à l’industrie et contribueraient en outre au développement technologique de l’industrie des pays du sud. Il s’agit également de penser le cadre dans lequel des relocalisations de laboratoires de Recherche et Développement peuvent se faire sur les pays en développement ou promouvoir une circularité des profils de chercheurs à haut potentiel dans ce domaine.

POINT SUR LA VOITURE HYBRIDE AU MAROC La voiture hybride a une motorisation associant un moteur thermique à essence et un moteur électrique. L’un et l’autre fonctionnent en alternance ou ensemble selon les besoins. Elle a l’avantage de réduire la consommation et les émissions polluantes de 15 à 50% selon le type de trajet. Depuis 2011, le Maroc promeut l’importation de ce type de véhicule en

réduisant les droits de douanes à 2,5%. Cependant, n’étant pas subventionné par l’Etat, la voiture dite hybride reste chère pour l’acheteur final, le prix de vente restant 20 à 30% plus cher qu’un modèle normal.

RECOMMANDATIONS : • Instaurer une stratégie nationale d’efficacité énergétique dans le secteur des transports • Repenser le transport dans un plan d’aménagement urbain qui inclut la donne environnementale : encourager les transports publics, mettre en place des voies de circulation pour les bus, installer des parcs de stationnement en périphérie ainsi que favoriser les déplacements piétons et cyclables. • Investir dans la Recherche et Développement et développer des partenariats Nord-Sud. • Avoir une vision globale qui intègre les externalités de coûts des énergies renouvelables dans les transports • Promouvoir une politique volontariste d’investissement pour des transports à faible rejet de Co2.

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IMMOBILIER ET EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE : COMMENT ÉLARGIR LES MARCHÉS AU SUD ? Grand consommateur d’énergie, le secteur de l’immobilier représente environ 40% de la consommation totale d’énergie dans la plupart des pays  ; une part en moyenne encore plus importante dans les pays en développement. Alors que le secteur intègre progressivement la nécessité de répondre aux enjeux d’efficacité énergétique et de développement durable, des projets pilotes émergent dans de nombreux pays avec comme objectif le développement à terme de bâtiments à consommation d’énergie quasiment nulle voire producteur d’énergie. Plusieurs normes et certifications évaluant les performances des immeubles en matière d’efficacité énergétique et d’impact environnemental ont vu le jour de par le

monde. Les pays du Sud ont tout intérêt à soutenir le développement de ces nouveaux marchés car l’efficacité énergétique dans les bâtiments est tout à la fois une politique sociale et une politique stratégique d’économie de l’énergie. Quels sont les points clés des réglementations à mettre en place ? Comment peut-on envisager la mise en place de normes et de certifications ? Outre des gains économiques pour les habitants, l’amélioration d’un habitat vers plus d’efficience énergétique va de pair avec l’amélioration de la qualité de vie, un air intérieur plus sain grâce à la mise en œuvre d’une ventilation performante et la réduction de l’utilisation des combustibles de chauffe, un intérieur isolé du chaud et du froid et une eau chaude sanitaire plus accessible. Il est nécessaire de promouvoir de façon dynamique les constructions basse énergie et de développer dans les pays en développement des référentiels de performance énergétique des bâtiments neufs ou existants. Cela implique l’information et la sensibilisation des professionnels de la construction et les collectivités locales.

:: Vers un coût global du bâtiment et une réforme de l’aménagement urbain Lorsque l’on parle d’établir des normes en matière d’efficacité énergétique, il faut prendre en compte non seulement la structure du bâtiment mais également les externalités inhérentes au bâtiment à savoir le choix des équipements et du transport. Ainsi, la consommation d’énergie doit être envisagée de manière globale  : on doit intégrer la façon dont les habitants doivent se déplacer donc la géographie environnante, la proximité des services publics ou des aires commerciales. En d’autres termes, avant la construction, il y a

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une prise en compte de l’ensemble des facteurs de développement durable qui pourront affecter l’exploitation de l’immeuble. Il s’agit principalement du matériel utilisé, de la qualité d’ambiance et d’air intérieur, du confort et de la productivité des utilisateurs, de la consommation d’eau et d’énergie et de l’émission de CO2 minimale.

:: Inciter les propriétaires à l’investissement dans le bâtiment efficace La question du coût global ou même de la consommation énergétique unitaire d’un bâtiment doit être un des fondamentaux des prix du marché immobilier de même que la surface ou l’environnement du bâtiment. Pour créer une transparence de l’information sur la qualité énergétique d’un bien, il faut pouvoir mettre en place une étiquette énergie dans le secteur résidentiel. La performance en matière de chauffage /climatisation et d’eau chaude sanitaire doit à ce titre constituer un moyen de valoriser son bien sur le marché immobilier pour les propriétaires.

:: Informer et sensibiliser les usagers notamment les classes sociales les plus défavorisées Les principales améliorations dans l’efficacité d’un bâtiment ne sont parfois pas même effectuées par les usagers des bâtiments alors qu’elles ont un coût relativement modeste et qu’elles sont vite rentabilisées. Ce paradoxe s’explique par le manque d’information et de communication sur les bénéfices et les avantages à s’équiper. Alors que l’éclairage engloutit près d’un tiers de l’énergie consommée dans les bâtiments, l’utilisation et le développement d’un éclairage moderne et intelligent peut réaliser un potentiel d’économie et répondre à une demande croissante. Une ampoule économique consomme cinq fois moins d’électricité qu’une ampoule normale. Un remplacement des ampoules peut facilement générer des économies de 100 euros (environ 1100

MAD) par an pour un ménage moyen ce qui, dans les pays en développement plus qu’ailleurs est d’une grande importance pour les classes moyennes ou paupérisées. Par ailleurs, l’efficacité énergétique d’un bâtiment ne peut se faire sans une certaine sensibilité des usagers  face aux comportements à adopter. Il est nécessaire de fournir aux occupants d’un logement des informations simples leur permettant de comprendre comment agir sur les installations pour adapter le fonctionnement à leurs besoins, comment maîtriser confort et consommation d’énergie et comment maintenir les installations.

:: Relever les normes du bâti neuf et dynamiser la certification Alors que 36% de la consommation énergétique globale du Maroc sont destinés au secteur du bâtiment, le coût supplémentaire moyen d’une éco-construction n’excède pas 3% par rapport à une construction classique. Le surcoût initial sera récupéré en quelques années, grâce aux économies d’énergie réalisées.  Mais pour mettre en place une filière apte à répondre à une demande d’écoconstruction, l’Etat peut être amené à formuler une incitation sous la forme d’une contrainte réglementaire afin de relever la norme de construction qui doit s’appliquer à chaque bâtiment neuf ou en réhabilitation. Cette contrainte réglementaire peut s’appuyer sur un relèvement des critères minimum d’isolation mais aussi sur un système de certification du type HQE (Haute qualité environnementale), Breeam (BRE Environmental Assessment Method), Leed (Leadership in Energy & Environmental Design) pour créer un marché « très haute efficacité énergétique ». La certification représente un coût important et non négligeable pour le maître d’ouvrage mais elle permet de mettre en place des bonnes pratiques dans la construction des bâtiments et assurer le suivi d’un bâtiment sur le long terme de façon à réduire efficacement l’utilisation d’énergie. Le recours à la certification ne sera

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possible de manière plus fréquente que si un travail de sensibilisation sur toute la filière est mené, depuis les ouvriers de chantier jusqu’au maitres d’ouvrage et aux architectes pour valoriser les méthodes de construction qui sont efficaces du point de vue énergétique.

:: Des bâtiments à énergie positive Les bâtiments intelligents sont non seulement énergétiquement nuls, c’est-à-dire non seulement ils ne consomment peu ou pas d’énergie mais peuvent également être à énergie positive, c’est-à-dire producteur d’énergie. Le «bâtiment à énergie positive», est un des grands thèmes de recherche actuel, en phase avec les exigences de performance énergétique des ouvrages et de réduction des émissions de gaz à effet de serre de plus en plus drastiques. L’enveloppe du bâtiment va ainsi compléter progressivement sa fonction initiale de protection contre l’extérieur avec une nouvelle fonction de production d’énergie, via une utilisation raisonnée de l’environnement local (architecture bioclimatique, éclairage naturel, optimisation des apports solaires, amélioration de l’isolation…) et l’intégration d’innovations techniques récentes ou à venir comme les panneaux solaires, les panneaux photovoltaïques, le micro éolien, les guides de lumière. Au Maroc plusieurs projets pilotes sont en construction en utilisant la technologie de biomasse et la parabole à concentration solaire à des fins d’expérimentation. Par ailleurs, des bâtiments à usage collectif comme les hammams pourraient être

développés pour produire de l’électricité et de l’eau chaude sanitaire pour tout un quartier ; pour l’instant aucun projet pilote n’a été lancé mais l’hypothèse reste séduisante.

:: Promouvoir la formation Toute évolution de la réglementation doit être soutenue par les professionnels de la construction afin de mettre en application des réformes pertinentes. Les professionnels du bâtiment doivent être sensibilisés à l’éco construction, à l’éco gestion pour que la réglementation ait une incidence effective sur les pratiques. Des formations dites HQE et en construction durable pour les architectes, les ingénieurs, les ouvriers et les promoteurs se mettent en place dans de nombreux pays méditerranéens. Il convient cependant de les soutenir soit par l’entremise de fonds de coopération dédiés soit par des investissements gouvernementaux dans les programmes de formation. Par ailleurs, de nombreux métiers pourraient évoluer et se créer dans le domaine de la consultance pour les projets immobiliers, notamment dans le domaine de la mise en conformité et l’appui technique à l’exemple de la tâche de energy manager pour laquelle un réel marché existe au regard du potentiel d’économie d’énergie au sein de chaque hôtel, industrie, bâtiment public. L’emploi d’un salarié dans ce domaine est récupéré avec la première réalisation d’économie d’énergie, de même cette tâche est souvent effectuée par des consultants indépendants. Dans un pays en développement comme le Maroc, on estime que 5000 à 10000 emplois pourraient être créés.

POINT SUR EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE MAROC L’Agence de développement durable et de l’efficacité énergétique (ADEREE) dispose d’un budget de 30 millions de dollars pour constituer un plan d’action en vue de vulgariser l’efficience énergétique dans le bâtiment. Le code de l’efficacité énergétique dans le bâtiment est prêt, toutefois les décrets d’application sont en attente de signature.

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Ce programme a pour objectif l’amélioration  de l’efficacité énergétique des bâtiments au Maroc à travers  l’élaboration et la mise en place d’une réglementation  énergétique pour les bâtiments résidentiels et tertiaires,  et le développement de normes et de guides techniques pour les professionnels du bâtiment. Il prévoit aussi la mise en place d’une stratégie de

mobilisation  des opérateurs publics et privés concernés, et la promotion des investissements en efficacité énergétique dans le secteur immobilier à travers la réalisation d’un portefeuille de projets de démonstration. Le Code de l’efficacité énergétique est un outil qui implique tous les secteurs socio-économiques et financiers du Maroc.. Le ministère de l’Habitat a déjà co-dirigé une étude avec l’ADEREE relative  à la conception d’un Guide des bonnes pratiques de l’efficacité énergétique dans l’aménagement urbain et l’habitat, qui sera mis à disposition de tous les professionnels du BTP. Il faut cependant réalisé que la traduction de la norme à la pratique est longue et ces normes ne pourront être réellement appliquées que lorsque le cahier des charges du donneur

d’ordre, qui est l’Etat pour les logements sociaux, correspondra aux normes édictées. La loi-cadre sur l’efficacité énergétique prévoit une réglementation visant à imposer une étude d’impact énergétique sur les grands projets d’aménagement et un audit énergétique obligatoire à partir d’un seuil de consommation. Cette réglementation aura un surcoût de l’ordre de 2 à 7%, dans le secteur résidentiel, et permettra de réaliser une réduction des besoins de chauffage et de climatisation de 39 à 64% selon la zone climatique. Par contre, le retour sur investissement pour le consommateur final se fera au bout de 6 ans pour les appartements économiques, de 5 ans pour les appartements de standing et 10 ans pour les villas économiques.

RECOMMANDATIONS : • Etablir une norme réglementaire en matière de qualité de la construction • Créer des abattements fiscaux pour l’investissement dans les éco quartiers • Développer des référentiels de l’éco-construction et éco-gestion selon la catégorie du bâtiment dans le neuf et l’existant • Généraliser la notation énergétique des bâtiments et la rendre obligatoire • Promouvoir des formations diplômantes et universitaires à destination des professionnels du bâtiment dans la construction durable • Intégrer dans la notion d’efficacité énergétique toutes les externalités inhérentes au bâtiment (transports, aménagement du territoire) dans les plans d’aménagement urbain • Création d’un guide d’usage des bâtiments à destination des habitants et sensibilisation dans les classes d’écoliers

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L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT DANS LA CRISE L’entrée en récession de l’ensemble de l’économie mondiale a fait craindre une fragilisation accrue des pays les moins avancées (PMA). Fortement dépendants de l’aide internationale, ils figurent au premier rang des victimes potentielles d’un ralentissement de l’économie dans le monde occidental. Rien ne justifie pour autant un scénario pessimiste. L’aide apportée au développement par les pays riches s’est même renforcée dans la crise. Mieux, les perspectives de croissance affichées par le continent n’ont jamais été meilleures ; tout indique qu’on ne devrait pas craindre d’effondrement africain.

:: L’aide au développement dans la crise Avec 123.25 milliards d’USD en 2009, les montants affectés à l’aide au développement n’ont jamais atteint des niveaux aussi élevés. Alors qu’on craignait une forte baisse de l’aide bilatérale avec la contraction des budgets nationaux au sortir de la crise, le montant alloué à l’aide au développement a de nouveau terminé en hausse d’un peu plus de 1% entre 2008 et 2009. Un signe encourageant, qui montre combien la communauté internationale reste

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mobilisée derrière la cause du développement. Ces bonnes nouvelles sont d’autant plus inattendues qu’elles interviennent alors que le processus d’allégement de dette est arrivé à son terme pour un certain nombre de pays bénéficiaires. L’Irak et le Nigéria notamment, ont bénéficié d’importantes remises de dettes entre 2005 et 2006. Dès lors, une diminution du volume d’aide n’aurait pas été surprenante. Pour autant, les principaux bailleurs ont poursuivi leurs efforts budgétaires en faveur du développement. L’aide octroyée par les Etats-Unis, premier bailleur mondial, a augmenté de 6,1% (en USD constants) entre 2008 et 2009. Le budget d’aide de l’Union Européenne a également progressé de 4.5% sur la même période. Même le Royaume-Uni, pourtant engagé dans un programme d’économie budgétaire sans précédent – plus de 81 milliards de livres (130 milliards d’USD) – a maintenu son aide internationale en hausse dans son dernier budget. Désormais, les bailleurs traditionnels sont également relayés dans leur action par de nouveaux acteurs dans le paysage de l’aide internationale. Les pays émergents, forts de leurs performances économiques, assument un rôle croissant dans l’aide au développement globale.

A l’image de l’Arabie Saoudite, de la Chine, de l’Inde et du Brésil, une quinzaine de pays ont développé ces quinze dernières années des programmes de soutien aux pays les moins avancés. L’aide nette fournie par

ces nouveaux acteurs aurait atteint entre 12 et 14 milliards de dollars en 2009 selon l’OCDE, soit 9% de l’aide au développement globale.

AIDE FOURNIE PAR LES PAYS LES PAYS NON MEMBRES DU DIRECTOIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION (DCD-DAC) – OCDE (EN MILLIONS USD)

Données : OCDE, « Beyond the DAC ; The welcome role of other providers of development co-operation », données de 2008

AUTRES : Chypre, Estonie, Islande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Malte, Slovaquie, Slovénie, Hongrie, Roumanie, République Tchèque, Pologne

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:: L’aide publique au développement conserve un rôle essentiel En Afrique, la crise a porté un coup d’arrêt brutal à la croissance, qui est tombée d’environ 6% sur la période 2006-2008 à 2,5% en 2009. Les PMA ont été frappés de plein fouet par l’« effet croissance », conséquence de leur forte dépendance commerciale et la chute de la consommation dans les pays développés. Cet effet s’est accompagné d’un tarissement de l’ensemble des financements privés à destination des pays en voie de développement, d’une diminution des recettes fiscales intérieures, et de l’effondrement des envois de fonds des émigrés. Les effets du ralentissement de l’économie mondiale ont affecté en premier lieu les populations les plus vulnérables, faisant basculer près de 150 millions personnes dans une extrême précarité. Malgré des projections de croissance à nouveau soutenues et une reprise des investissements étrangers vers le continent africain en 2010, l’aide confirme son rôle essentiel dans sa dimension contra-cyclique, faisant office d’amortisseur des fluctuations conjoncturelles. L’aide constitue également un soutien indéniable aux programmes les plus importants dans la lutte contre la pauvreté. Les investissements étrangers qui affluent à nouveau sur le continent se concentrent essentiellement dans les industries extractives, qu’elles soient fossiles ou minières. Les infrastructures développées servent essentiellement à désenclaver les zones d’extraction, et bénéficient peu à la population ou au développement d’un commerce régional. L’aide au développement vient au contraire appuyer des programmes structurants au développement de l’environnement socio-économique des populations locales. Elle constitue une part essentielle des investissements dans les capacités de production agricole, dans les infrastructures, et dans les structures sociales. Elle apporte également un soutien indispensable aux initiatives de promotion de la bonne gouvernance, de lutte contre la corruption, et

1- OCDE, DAC

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contribue de manière immédiate au maintien d’un environnement politique stable. Contrairement aux investissements étrangers, elle procède d’une logique de long terme en s’inscrivant dans la durée. Plus que jamais, l’aide reste essentielle pour conserver l’espoir de réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015.

:: Demi-teinte Les pays en développement sont prompts à reprocher aux pays développés de ne pas s’être tenus à leurs engagements. Il est vrai que voilà plus de quarante ans que les pays riches se sont engagés à consacrer 0.7% de leur PIB à l’aide au développement. S’il est vrai que l’effort de maintien de l’aide au plus fort de la crise financière montre bien l’attachement des pays développés en faveur du développement, ils sont encore bien trop loin de leurs engagements. Autre source d’inquiétude : les plus grosses pressions budgétaires devraient commencer à s’exercer à compter de l’année 2011 sur les économies développées, condamnées à résorber leurs déficits ou à suffoquer dans le surendettement. Le choc économique de 1991 avait déjà mené à une baisse circonstancielle de l’aide publique au développement (APD) pendant une décennie ; une période qui a vu la stagnation, voire la dégradation des conditions de vie dans de nombreux pays, principalement en Afrique. Le volume d’aide s’était contracté de 16% entre 1993 et 1997. On ne peut à ce stade exclure que ce schéma se reproduise. Pour autant, l’émergence de nouveaux acteurs dans le paysage de la coopération est en passe de renforcer les efforts fournis par les pays développés. Par ailleurs, l’aide publique au développement reste encore très inégalement répartie. L’Afrique s’en est adjugée 47.6 milliards USD, à peine un tiers, alors qu’elle concentre le gros des besoins ; 34 parmi les 50 pays les moins avancés (PMA) se trouvent aujourd’hui sur le continent africain. Au niveau global, 20% de l’aide bilatérale globale revient à seulement 5 pays receveurs – l’Afghanistan, l’Ethiopie, le Vietnam, les territoires Palestiniens, et la Tanzanie. En Afrique, ce déséquilibre est encore plus prononcé, avec 5 pays (sur 49) – Ethiopie, Tanzanie, Côte d’Ivoire, RDC, et Soudan – qui accaparent quelques 27% du total de l’APD distribuée1.

DE LA CROISSANCE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT EST-ELLE EFFICACE ? La raréfaction des ressources financières à allouer au développement a relancé le débat sur l’efficacité de l’aide. Certes, on ne peut nier que les 40 dernières années ont vu des progrès substantiels réalisés dans les conditions de vie des populations les plus défavorisées. Depuis 1980, le nombre de personnes vivant avec moins d’un USD par jour est passé d’1,5 milliards à 876 millions. Seuls trois pays ont un indicateur de développement plus faible aujourd’hui qu’en 1970. Les gens vivent globalement plus longtemps, en meilleure santé, sont mieux éduqués, et bénéficient d’un meilleur accès aux services et aux biens de consommation. Peut-on en conclure que l’aide est efficace et que les efforts fournis par les bailleurs bilatéraux et les organisations internationales mènent les PMA sur la voie d’un rattrapage économique  ? L’échange d’expériences croisées aux MEDays entre coopérations brésiliennes, allemandes et tunisiennes a montré qu’à bien des égards, le paysage est en trompe l’œil.

:: Aide et croissance A partir des années 1980, l’aide au développement s’est focalisée sur les mécanismes de la croissance. Libérer l’économie afin de stimuler la croissance économique semblait alors être la voie la plus rapide vers la création de richesses et la résorption des inégalités. Les régressions statistiques montrent que «  la corrélation entre la croissance du PIB par capita et les indicateurs de développement non-monétaires est quasiment nulle ». En d’autres termes, si la croissance mène à un enrichissement de la société dans son ensemble, elle ne contribue pas nécessairement à une amélioration du développement humain. Quelques exemples permettent d’illustrer ce phénomène paradoxal. L’espérance de vie a progressé

par exemple plus rapidement en Tunisie – pays qui a connu une croissance modérée de 3% ces 40 dernières années – qu’en Chine, pays qui a pourtant connu la plus forte croissance mondiale sur la même période. Autres exemples frappants : l’Iran, le Togo et le Venezuela ont connu depuis 1970 et malgré la contraction de leur PIB, une augmentation de leur espérance de vie de 14 ans et une progression de la scolarisation globale de 31%. Cette analyse est renforcée par une étude du PNUD qui met en évidence l’inefficacité de l’aide au développement dans sa capacité à améliorer les performances économiques de l’Etat aidé. Dans son rapport 2010 sur le développement humain, le programme des Nations unies a montré que les pays dont les performances étaient les plus faibles par rapport à leur trajectoire de développement escomptée (qualifiés de sous-performeurs) se caractérisaient notamment par une aide au développement reçue plus importante. On ne peut donc établir de lien de causalité entre aide reçue et trajectoire de développement.

:: Aide et pauvreté Conscients des limites de sa politique d’aide, la communauté internationale a réorienté ses efforts au début des années 90 vers l’éradication de la pauvreté. Conçue au sens large, la pauvreté inclut des indicateurs monétaires (extrême pauvreté définie comme le nombre d’individus vivants avec moins d’un USD par jour), ainsi que des indicateurs de bienêtre, comme l’accès à une alimentation suffisante et à l’éducation. Force encore est de constater que les progrès sont inégaux. En termes de revenus, la situation s’est même dégradée sur le continent africain notamment: 46% de la population vit aujourd’hui avec moins d’un dollar US par jour, contre 44% au début des années 90. A l’échelle de la planète, 400 000 personnes

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ont échappé à l’extrême pauvreté depuis la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire. Pour autant, la quasi-totalité se concentre dans un seul pays : la Chine. Pire, si l’on place le seuil à 2 USD par jour, la pauvreté a augmenté, et concerne aujourd’hui 2,7 milliards d’individus. Plus inquiétant encore, la part de la population mondiale vivant sous le seuil de pauvreté relative (défini à moins de 2 USD par jour), a elle, explosée. Les chiffres de la malnutrition ne sont guère plus engageants. Selon la FAO, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde serait en hausse continue depuis 15 ans, passant de quelques 800 millions de personnes à plus d’un milliard aujourd’hui. En Afrique subsaharienne, 239 millions de personnes

seraient sous-alimentées, et 578 millions en Asie/ Pacifique. L’éducation a connu quelques progrès substantiels et encourageants. En 10 ans, le taux de scolarisation dans le cycle primaire est passé de 84% à 90% dans le monde. S’il ne progresse pas suffisamment rapidement pour garantir que l’ensemble des enfants de la planète termineront un cycle primaire d’ici à 2015, l’amélioration reste néanmoins encourageante. Les disparités régionales demeurent énormes, mais des progrès très significatifs ont été enregistrés, notamment en Afrique. De 58% en 1998, le taux de scolarisation primaire est passé à 76% en 2009. Dans le reste du monde, le taux d’enrôlement dans l’enseignement primaire gravite entre 90% et 95%.

SUIVI DE L’OMD 2 : ENFANTS ACHEVANT UN CYCLE COMPLET D’ÉTUDES PRIMAIRES (PAR ZONE GÉOGRAPHIQUE)

Données : MDG Report 2010, Nations unies

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Alors que l’Asie du Sud et l’Afrique du Nord sont en passe d’atteindre l’objectif n°2 des OMD pour 2015, des efforts importants restent à réaliser en Asie de l’Ouest et en Afrique subsaharienne.

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:: Conclusion Malgré les progrès accomplis, beaucoup reste à faire pour espérer éradiquer la pauvreté dans le monde d’ici à 2015. L’observation empirique ne permet pas de mettre en évidence de modèle d’aide idéal. Des efforts pour favoriser durablement la

création de richesses sont bien sûr souhaitables. Mais la croissance à elle seule ne saurait apporter d’amélioration aux conditions de vie des populations sans politiques publiques redistributives volontaristes.

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FOCUS COOPÉRATION TRIANGULAIRE : QUELLE PLACE POUR DE NOUVELLES INITIATIVES DE COOPÉRATION ? Malgré les quelques 150 milliards USD d’aide consacrée au développement, près de la moitié de l’humanité vit aujourd’hui encore dans des conditions de pauvreté extrême. Depuis les années 90 et la Déclaration de Paris, les acteurs du développement réfléchissent à de nouveaux mécanismes pour augmenter l’efficacité de leur l’aide. La coopération triangulaire (ou trilatérale) s’est imposée dans le débat comme l’un d’entre eux.

Au Sud, un grand nombre de pays s’est engagé dans l’aide trilatérale. En Afrique, l’Egypte, le Maroc, l’Afrique du Sud ou la Tunisie partagent leurs connaissances au biais de coopérations triangulaires. En Asie, on retrouve des pays tels que l’Inde, la Malaisie, les Philippines, ou Singapour. En Amérique Latine, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie ou le Mexique, sont des partenaires actifs au sein de coopérations trilatérales.

:: De quoi parlons-nous ?

Dans la plupart des cas, les pays tiers interviennent auprès de pays de la même région. Mais il existe des exemples de coopérations transcontinentales, comme l’assistance fournie par le Brésil aux pays lusophones d’Afrique et d’Asie – Angola, Mozambique, ou Timor Oriental.

Les coopérations trilatérales sont nées de l’idée qu’un nouveau groupe de pays dits ‘intermédiaires’ – en voie de développement rapide -, pourrait avec succès transférer ses recettes de développement vers des pays moins avancés (PMA), en s’appuyant pour cela sur des financements venus du Nord. Chaque partenaire trouverait son compte dans ce nouveau schéma de coopération. Les pays intermédiaires, ayant fait face à des défis similaires à ceux auxquels sont confrontés les PMA, sont mieux à même de fournir une assistance adaptée aux besoins des pays récipiendaires. Transférer leurs connaissances leur permet également de formaliser et de rationaliser leurs modes opératoires, et éventuellement d’en profiter pour les améliorer. Les pays en développement bénéficient par là d’une assistance technique plus opérationnelle, à moindre coût, et via des partenaires qui leur sont souvent politiquement, économiquement, linguistiquement ou historiquement plus proches. Les pays avancés enfin, maximisent l’efficacité de leur aide financière, en s’appuyant sur l’expertise technique des pays intermédiaires.

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Plus généralement, ces initiatives présentent non seulement l’avantage d’impliquer tous les acteurs de la communauté internationale dans les enjeux du développement, mais également de renforcer la coopération régionale, notamment au Sud.

:: La place de la coopération triangulaire Un nombre croissant de pays reconnait aujourd’hui l’importance de la coopération triangulaire comme instrument de la coopération internationale. Pourtant, les coopérations trilatérales occupent pour l’heure une place relativement modeste dans le paysage de l’aide au développement. En l’absence d’un cadre organisationnel bien déterminé, le paysage de l’aide trilatérale reste assez fragmenté, et se décompose en un grand nombre de petits projets. En volume, on l’évalue à seulement 3% de l’ensemble de l’aide allouée au développement.

:: Les conditions de la coopération triangulaire

par un mais deux géants économiques  ; celle-ci risque alors d’affaiblir l’indépendance, l’autonomie, voire les capacités des structures étatiques.

L’expérience montre que les initiatives de triangulation se sont bâties sur des coopérations bilatérales fructueuses. Elles fonctionnent d’autant mieux s’il y a entre le Nord et le Sud et entre les pays du Sud outre des liens préexistants, des enjeux communs à tous les acteurs qui permettent de débloquer d’autres barrières, notamment politiques.

La coopération triangulaire présente également des coûts de mise en œuvre bien plus élevés que l’aide bilatérale ; la coordination de trois partenaires est nécessairement plus coûteuse et complexe que lorsque seulement deux pays sont impliqués.

La coopération se concentre sur des compétences développées par des pays dits intermédiaires qui méritent d’être transférées à des partenaires moins avancés. Le Brésil partage ainsi son expérience dans la lutte contre le virus du VIH/SIDA en Amérique Latine ; Cuba ses techniques de formation médicale et d’exploitation agricole avec ses voisins des Caraïbes. L’aide doit s’inscrire dans des programmes menés par les Etats, et articulés dans des projets de développement nationaux. Les partenaires les moins avancés insistent sur l’importance d’être traités avec respect et comme de vrais partenaires de coopération. Ils se sentent souvent plus à l’aise dans leurs rapports avec d’autres pays du Sud, jugeant leurs relations avec eux plus équilibrées et moins paternalistes qu’avec les donateurs du Nord. Autre argument souvent mis en avant par les PMA : la capacité de leurs partenaires du Sud à mieux comprendre leurs cultures et leurs défis de développement.

:: Risques et limites L’arbre ne doit pourtant pas cacher la forêt. Alors que les pays les moins avancés exaltent les vertus d’une coopération Sud-Sud annoncée comme plus respectueuse, les donateurs du Sud font, pour la majeure partie, exactement ce que les donateurs traditionnels sont appelés à éviter  : ils fournissent une aide essentiellement bilatérale, et se concentrent sur une aide liée, et par projet. L’aide trilatérale fait également naître un risque de déséquilibre, lorsqu’un Etat « faible » n’est plus aidé

Enfin, le manque d’orientation stratégique pourrait se révéler être un obstacle à la montée en puissance de cette nouvelle forme de coopération. En l’absence de recensement des bonnes pratiques et des compétences transposées, les initiatives ne pourront rester que fragmentées et limitées en volume.

ECLAIRAGE : LA ‘LIAISON’ DE L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT L’aide liée correspond à une pratique ancienne de la part des pays donateurs, qui conditionnent leur aide financière à la manière dont celle-ci sera utilisée par les pays bénéficiaires. Sous sa forme la plus courante, la liaison oblige l’aide à être dépensée en biens et services du pays donateur. Dénoncée depuis longtemps par les pays en développement, l’aide liée mènerait à un renchérissement de l’approvisionnement de 20% à 30% selon l’OCDE (2006)  ; et donc à un affaiblissement de l’efficacité de l’aide  ! Elle reste perçue comme une forme d’impérialisme commercial des pays avancés, qui sous couvert d’altruisme envers le tiers monde chercheraient avant tout à renforcer leurs économies nationales. Le volume de l’aide liée se situerait aujourd’hui entre 40% et 50% du total de l’aide au publique au développement.

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:: Perspectives Le débat international sur l’aide au développement se concentre à raison sur la lutte contre la pauvreté dans les pays les moins avancés. Mais nous devons prendre conscience qu’il existe un développement au-delà du seuil d’1 ou 2 USD par jour. A ce titre, les initiatives trilatérales sont prometteuses puisqu’elles permettent de resserrer les liens non seulement entre pays dits développés et en développement, mais également entre pays développés et « intermédiaires ».

:: Un premier pas vers un partenariat mondial pour le développement

On ne pourra néanmoins faire l’économie d’une enceinte qui devra aider à canaliser les initiatives, en mettant donateurs du Nord, pays-tiers, et pays les moins avancés en relation de manière efficace. Dans la Méditerranée, le Secrétariat de l’UPM ambitionne de jouer ce rôle. Au niveau international, le Forum de Coopération pour le Développement (DCF), crée au sein des Nations Unies en 2005, pourrait également avoir une place dans ce dispositif. Il sera aussi crucial de recenser les bonnes pratiques, et de se mettre d’accord sur un calendrier pour les diffuser parmi les acteurs du développement.

FONCTIONNEMENT DE LA COOPÉRATION TRIANGULAIRE

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PAYSAGE DE LA COOPÉRATION TRIANGULAIRE

Données : OCDE DAC, autres

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FOCUS SPORT ET DÉVELOPPEMENT Depuis une dizaine d’années maintenant, les pays du monde en développement se bousculent pour organiser les plus grandes manifestations sportives mondiales  ; Coupe du Monde et Jeux Olympiques attirent de plus en plus d’intérêt au Sud. Après la Chine en 2008 et l’Afrique du Sud en 2010, le Brésil accueillera successivement deux évènements sportifs majeurs en 2014 et 2016.  Au-delà d’une volonté d’exister, ce nouveau phénomène pose une vraie question : le sport est-il en mesure de jouer un rôle dans le développement économique ? L’existence de bureaux dédiés à la question au sein des plus grandes organisations internationales montre qu’il s’agit là d’un vrai débat ; Le Secrétariat Général des Nations unies, l’UNESCO, ou l’UNICEF, disposent tous de services dédiés à la promotion du développement de l’activité sportive. En Octobre 2002, une équipe inter agences des Nations unies avait conclu à l’impact décisif – et à faible coût – que la pratique du sport pouvait avoir vers la réalisation des Objectifs du Millénaire. Un sentiment partagé par l’Assemblée Générale des Nations unies, qui adoptait en 2003 une résolution en faveur du sport comme instrument de promotion de l’éducation, de la santé, du développement et de la paix ; et en proclamant 2005 Année internationale du Sport et de l’éducation physique. Au cœur du vaste débat qui remet en cause l’efficacité des conceptions classiques de l’aide au développement et de l’actualité qui a placé le Brésil, la Chine et le Maroc au cœur de l’agenda sportif international, le temps était venu aux MEDays de s’interroger sur le véritable rôle du sport dans le développement économique et humain du Sud.

:: Rôle incertain L’engouement autour de l’organisation de ‘mégaévènements’ sportifs a fait couler beaucoup d’encre

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autour de l’idée selon laquelle le sport constituerait un véritable vecteur de développement économique. Même en période d’incertitude économique, les Etats se bousculent pour organiser ces manifestations. Une douzaine de dossiers étaient sur la table pour l’organisation des coupes du monde de 2018 et 2022, et une vingtaine de pays – dont l’Inde, l’Azerbaïdjan, le Maroc, la Hongrie ou la Pologne – se disent déjà intéressés par l’organisation des Jeux olympiques de 2020. Il est indéniable que l’organisation de telles manifestations agit comme catalyseur à l’investissement  et à la modernisation urbaine. Pas moins de 60 milliards de dollars ont été consacrés à l’organisation des jeux de Beijing en 2008. Pour adapter la ville aux exigences de la manifestation – qui ne dure tout de même que 14 jours -, la ville a développé son réseau routier et autoroutier pour désenclaver l’agglomération, construit un boulevard périphérique, trois nouvelles lignes de métro et doublé la capacité de son aéroport international. Dans le même temps, l’Afrique du Sud a investi près de 4 milliards de dollars en prévision du dernier Mondial, répartis entre la construction de stades et la modernisation des infrastructures de transport. Le gouvernement sud-africain n’a pas caché sa volonté d’utiliser l’état de grâce né de l’organisation de la coupe du monde pour initier un vaste programme de « révolution des transports », qui a vu l’accélération du développement des projets en cours et la rénovation du parc existant. On ne peut également négliger la dimension intangible de l’héritage issu de ces manifestations; Que ce soit en termes de cohésion nationale, de production d’idées, de diffusion de valeurs, de notoriété du pays organisateur ou d’acquisition de savoir faire organisationnel… les aspects sont pluri formes. L’héritage culturel est souvent considéré comme central  ; le sport est un vecteur des valeurs universelles de tolérance, de fraternité, et d’ouverture. Dans un pays aussi divisé que l’Afrique

du Sud, le sport a pu contribuer à restructurer les différentes composantes de sa population autour d’une équipe et d’un hymne national, transgressant – du moins temporairement – différences sociales, couleur de peau, ou origine ethnique. En Chine, 400 millions de jeunes écoliers et collégiens auraient été exposés aux valeurs de l’olympisme lors des derniers Jeux Olympiques, et 550 écoles auraient participé à des échanges sportifs et académiques avec d’autres institutions à travers le monde.

locaux, n’est que de courte durée, et porte sur des emplois faiblement qualifiés. Accueillir ce genre d’évènements mène généralement à une hausse des prix, qui affecte en premier lieu les populations les plus défavorisées. De plus, il reste à montrer que les investissements réalisés ne créent pas d’effet d’éviction, en siphonnant des fonds destinés à d’autres secteurs.

Les bénéfices liés à l’organisation de ce genre de manifestations sportives restent pour autant difficilement quantifiables. Par essence, l’ensemble des indicateurs de progrès économiques et sociaux sont ‘pollués’ par les déterminants endogènes du développement du pays  ; Quels progrès sont directement imputables à l’organisation de l’évènement ? Quelle part des investissements aurait été entreprise de toute façon  ? Selon le bureau de l’UNESCO pour la Jeunesse, le Sport et l’Education Physique, l’impact développemental de ce genre de manifestations reste à démontrer.

sportives, mènent à une telle surestimation des bénéfices par rapport aux coûts. La Grèce, à la traine de la remorque européenne, misait gros sur ‘ses’ Jeux Olympiques en 2004 pour redynamiser son économie en pleine déliquescence. Près de 15 milliards de dollars ont été dépensés dans l’organisation des Jeux, dix fois plus que ce qui était initialement prévu. Du faste des Jeux, l’Etat grec ne garde qu’une facture de dépenses d’entretien chiffrée à 500 millions d’euros annuels, et 21 des 22 sites olympiques sont aujourd’hui à l’abandon, faute de repreneurs. Le même sort pend aujourd’hui au nez des dirigeants Sud-africains, et les critiques se font de plus en plus vives sur le projet londonien, la capitale anglaise abritant les Jeux Olympiques d’été en 2012.

La plupart des bénéfices ne perdurent pas dans la durée. L’effet sur l’emploi, qui revient souvent dans les argumentaires des responsables politiques

De tous les évènements mondiaux, rares sont ceux qui, comme l’organisation de manifestations

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Les comités de sélection pour l’organisation de ces grandes manifestations sportives – que sont le Comité International Olympique ou la FIFA – ont un rôle clef à jouer pour favoriser la dimension développementale des évènements qu’ils attribuent. Ils doivent plus que jamais être attentifs à la durabilité des dossiers qui leurs sont soumis, et à leur insertion dans une stratégie de développement nationale. Malgré leur volonté affichée de faire du sport un vecteur de développement depuis deux décennies, cet objectif ne reste pour l’instant guère plus qu’un vœu pieux.

quantité de ramifications dérivées. Au Royaume-Uni par exemple, on estime que la valeur ajoutée des activités sportives représente 1,7% du PIB, le chiffre d’affaire du secteur étant comparable à celui des secteurs automobiles et alimentaires2. Le sport a aussi un réel impact sur le développement humain. En termes d’éducation et toujours selon l’ONU, la pratique de l’éducation physique à l’école

La récente attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar est à ce titre éloquente. Financés par les mannes gazière et pétrolière des deux pays, les Mondiaux semblent avoir été attribués davantage sur des considérations financières que développementales. Face à un calendrier trop serré, la Russie risque fort de connaître un sort similaire aux grecs ou aux sud-africains. La désignation qatarie est encore plus surprenante  ; de l’aveu même du gouvernement, l’organisation de la grande messe footballistique ne devrait pas contribuer de manière décisive au développement des infrastructures de ce micro-Etat sans réelle culture du sport. Les stades seront même démontés à la fin de la compétition, pour être donnés à des pays en développement. Reste à savoir ce que pourront entreprendre les subsahariens avec des stades ultra modernes de 60 000 places, alors que leur population vit encore largement sous le seuil de pauvreté.

:: Approche locale Avoir un impact sur le quotidien des gens est probablement la manière la plus immédiate, opérationnelle et utile de faire du sport un véritable vecteur de développement social. Les bénéfices du sport à travers la société sont multidimensionnels, autant humains qu’économiques. Le sport est reconnu comme un catalyseur de l’activité économique locale. Que ce soit dans la fabrication de matériel sportif, l’organisation de manifestations, les services liés au sport et les médias, il est générateur d’emplois à travers

est un facteur d’amélioration de la concentration, de l’assiduité, et des résultats scolaires dans leur ensemble. Mais la pratique du sport joue également un rôle dans l’épanouissement individuel et d’intégration sociale. Dès lors, tout doit être fait pour améliorer la pratique de l’activité sportive ; en commençant par l’école. La charte de l’UNESCO de 1978 sur l’éducation physique à l’école avait fait du sport « un droit fondamental pour tous ». Pourtant, la faible place laissée au sport dans les projets d’éducation au Sud reflète les doutes sur

2- Selon un rapport 2003 des Nations Unies : « Le Sport au service du Développement et de la Paix : Vers la réalisation des objectifs du Millénaire pour le Développement ».

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ses bénéfices éducatifs. Véritable paradoxe pour les pays du Sud, la jeunesse constitue près de 50% de la population. A tort, elle est souvent perçue davantage comme un frein au développement que comme son principal atout. Le sport pourrait être utilisé comme un biais pour réorienter et organiser la jeunesse, faisant d’elle un acteur actif du développement humain et économique du Sud. L’école, par sa dimension universelle, pourrait à ce titre servir de relais au sport pour sa diffusion à travers la société. D’autres initiatives doivent permettre la diffusion de la pratique sportive à travers la société civile constituée, en la rendant accessible au plus grand nombre. Le Maroc – plutôt précurseur en la matière – s’est ainsi engagé dans la création de « Clubs sociosportifs de proximité intégrés » (CSPI), implantés dans des quartiers populaires souvent dénués

Moncef Belkhayat,

d’infrastructures dédiées à la pratique du sport. Le Royaume ambitionne de lancer 1 000 centres d’ici à 2016, qui devraient bénéficier à près d’un million de jeunes marocains. Conçus comme des lieux hybrides, ils sont autant pensés pour la pratique de l’activité sportive que comme des lieux de rencontre, d’échange et d’apprentissage. A côté des terrains de football et de basketball, on trouve ainsi un espace bibliothèque, un accès gratuit à internet, et une cafétéria. Les clubs incluent également des garderies pour enfants, et des espaces de jeux éducatifs  ; preuve qu’ils ne se destinent plus seulement aux jeunes hommes. Parmi les succès de l’initiative, la fréquentation des établissements par 25% de femmes, qui pratiquent le sport de manière quotidienne pour la première fois de leur vie. Sport rime plus que jamais avec développement !

Poul Hansen,

Ministre de la Jeunesse et des Sports du Royaume du Maroc

François Alla Yao,

Directeur des Sports, Secrétariat Général de la CONFEJES

Chef de Bureau, Bureau du Conseiller Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour le Sport, le Développement et la Paix

Kabando wa Kabando,

Vice-Ministre de la Jeunesse et des Sports du Kenya

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L’EDUCATION AFRICAINE DANS LA MONDIALISATION La mondialisation a accéléré la mutation du monde et révolutionné les circuits de création de valeur. Entre 7% et 8% des activités de production ont été transférées dans un laps de temps très court des pays de l’OCDE vers le bloc émergent. Contrairement aux pays du bloc asiatique - qui ont réussi à capter l’essentiel des activités de production -, les pays africains n’ont pas été capables de trouver leur place dans cette nouvelle répartition des rôles. Leur salut pourrait venir d’un engagement volontaire en faveur de la diversification de leurs économies vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée ; cette diversification ne pourra s’opérer qu’à travers un ajustement de leurs systèmes éducatifs, piliers d’une économie de la connaissance à inventer. Le fossé n’a jamais semblé aussi grand entre formations et opportunités d’emplois. Le chômage dans la région Afrique du Nord/Moyen Orient reste le plus élevé du monde (12,2%), talonné de près par l’Afrique subsaharienne (9,8%). Les jeunes sont les principales victimes du chômage  ; les 15 – 24 ans représenteraient 63% des chômeurs en Afrique subsaharienne, alors qu’ils ne constituent que 33% de la population active. Même son de cloche en Afrique du Nord, où le chômage des jeunes atteint 25% en moyenne. Même les jeunes diplômés peinent à s’insérer sur le marché du travail. Pour arriver à prendre le virage de l’économie de la connaissance, l’Afrique doit rapidement comprendre et s’adapter aux mutations entrainées par l’évolution du monde.

:: Education et développement Inutile de revenir sur une évidence. Le droit à l’éducation est fondamental et reconnu comme tel. Il est garanti par la majeure partie des textes relatifs aux droits fondamentaux et humains ; A commencer par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui affirme dans son article XXVI le « droit de toute personne à l’éducation ». Dans leur agenda pour le

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développement, défini sous la forme des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en l’an 2000, les Nations unies ont également fait d’un enseignement primaire universel une priorité pour le développement (OMD 2). Penser l’éducation pose d’abord la question de son rôle dans une société de plus en plus globalisée. C’est d’abord l’outil indispensable d’un avancement personnel et individuel. L’éducation est une expérience transformative et épanouissante, et un moyen d’accès à une large palette d’avantages économiques, sociaux, politiques et culturels. Mais c’est aussi un outil au service de l’avancement de la société, contribuant à l’harmonie sociale et à son développement économique. Quel que soit l’indicateur de développement retenu, toutes les études montrent un lien avec l’éducation ; Que ce soit l’espérance de vie ou la croissance économique, tous s’améliorent avec la qualité et le niveau de formation des individus. S’ils veulent réussir leur intégration dans l’économie mondiale, les pays africains devront trouver leur place dans une économie de la connaissance. La démocratisation des études supérieures dans le monde – le nombre d’étudiants aura doublé en à peine quinze ans –, montre bien l’ampleur des changements qui sont à l’œuvre  ; de 100 millions en l’an 2000, le nombre d’étudiants croitra à 200 millions en 2015. Mettre les politiques éducatives en adéquation avec les besoins d’une économie de la connaissance sera l’un des défis majeurs du continent africain.   Quelle stratégie pour s’adapter aux mutations en cours ? Bien sur, il y a une question de moyens. Le sous-financement de l’éducation en Afrique est une source chronique d’insuffisance sur le continent, malgré des budgets en hausse et des dons annuels en milliards de dollars de la part des acteurs du développement. Mais le problème va bien au-delà.

:: Passer du « au cas où » au « juste à temps » Les changements technologiques et de productivité ont mené à une transformation radicale des modes de travail. La mécanisation, la révolution numérique et l’avènement des technologies de l’information ont décuplé la productivité individuelle ces 150 dernières années. Ces changements ont mis fin au modèle de l’emploi à vie, qui voyait un individu occuper un même poste pendant toute sa carrière. Les statistiques montrent qu’un individu occupera désormais entre sept et douze emplois au cours de sa vie. Cette mutation doit profondément transformer la manière dont nous concevons l’éducation. De manière réaliste, on ne peut plus attendre d’un système éducatif qu’il prépare un individu pour évoluer dans le monde professionnel de manière continue pendant 40 ans. L’évolution permanente des savoirs et des savoir-faire force le système de formation à s’adapter ; les décideurs politiques doivent modeler les systèmes éducatifs pour qu’ils collent au plus près aux transformations de l’environnement économique.

l’avenir, va clairement dans la bonne direction. Les pays d’Afrique devraient s’en inspirer. Les entreprises, en tant que force d’impulsion de l’économie et pourvoyeur d’emplois, ont un rôle déterminant à jouer dans ce process. Elles doivent être bien davantage associées au sein des formations professionnelles. Certains pays ont déjà pris l’initiative en la matière, en proposant des programmes crées et financés par l’Etat, mais gérés de manière autonome par des professionnels. L’accent doit aussi être mis sur une meilleure synergie entre formation initiale et formation continue. Les Etats doivent se donner les moyens de coller aux mutations rapides de l’environnement. La formation continue est encore – à tort – trop perçue comme une forme de déclassement, réservée aux chômeurs en quête de reconversion. Bien au contraire, elle doit devenir une force.

L’ancien modèle d’éducation « au cas où », qui voyait sortir des universités des masses de diplômés, sans poser la question du contenu de leur formation, a plus que jamais perdu son sens. A la place, nous devons trouver les moyens d’une éducation « juste à temps ». Les formations doivent désormais répondre à un besoin – quasi immédiat – du marché de l’emploi. Sans en revenir à un modèle d’économie planifiée, l’anticipation des besoins reste déterminante dans un environnement par nature mouvant. Les formations proposées doivent s’inscrire dans des plans de développement nationaux  ; en identifiant les domaines de développement prioritaires, les décideurs politiques permettront aux institutions éducatives d’amener sur le marché du travail des gens disposant des qualifications adéquates. L’initiative de l’Union Européenne, qui tente, par son ‘Union de l’Innovation’, d’estimer les besoins des membres de l’UE en termes de compétences dans

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:: Globalisation éducative Parallèlement, le phénomène de globalisation à l’échelle de la planète, s’est accompagné d’une globalisation de la formation et des opportunités professionnelles. Près de 420  000 étudiants chinois suivraient tout ou partie de leur études supérieures à l’étranger. Les Etats-Unis, principal pays d’accueil des étudiants en mobilité, comptent environ 600  000 étudiants étrangers sur leurs campus, soit 20% des effectifs mondiaux3. Les étudiants africains sont loin d’être en reste et comptent parmi les plus mobiles de la planète  ; 200  000 jeunes s’inscriraient chaque années dans des établissements supérieurs hors du continent, soit 10% des étudiants africains. La globalisation des marchés de l’emploi doit nécessairement s’accompagner d’une « globalisation

des individus  », au moins au niveau régional. Des initiatives éducatives doivent accompagner ce mouvement. Avec l’appui européen, l’Office Méditerranéen de la Jeunesse (voir page 110) est une première initiative à aller dans ce sens. Au bénéfice des pays de la rive sud du pourtour méditerranéen, il a pour vocation à faciliter les échanges universitaires dans la région. Les Etats d’Afrique ont une chance ; pour partie, leur système éducatif supérieur est encore à construire. Plus encore que les pays du Nord, ils ont aujourd’hui la possibilité de le modeler en tenant compte de ces nouveaux développements. Si rien n’est gagné, rien n’est non plus perdu. Signe encourageant, le Sud compte de plus en plus de centres d’excellence, et les échanges de savoirs commencent à fonctionner dans les deux sens.

MOBILITÉ DES ÉTUDIANTS SUB-SAHARIENS DANS LE MONDE

Données : UNESCO, « Recueil de données mondiales sur l’éducation 2009 »

3- UNESCO, Bulletin d’information, Secteur de l’Education, Juin-Juillet 2009 RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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DIPLOMATION DES ÉTUDIANTS EN AFRIQUE subsaharienne Les 3 meilleurs et les 3 pires élèves du continent

Diplôme de niveau 5A  : Les programmes de niveau 5A sont principalement théoriques, préparant à la recherche (histoire, philosophie, mathématiques, etc.) ou délivrant les qualifications suffisantes nécessaires à des professions impliquant des compétences de haut niveau (par exemple médecine, dentisterie, architecture). (Définition UNESCO)

Données : UNESCO, « Recueil de données mondiales sur l’éducation 2009 »

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FOCUS L’OFFICE MÉDITERRANÉEN DE LA JEUNESSE Formé en 2010 par l’association de seize pays du bassin méditerranéen, l’Office Méditerranéen de la Jeunesse (OMJ) s’inspire dans son principe des grands programmes d’échanges universitaires existants ; l’OMJ a d’abord pour but de faciliter la libre circulation des étudiants entre pays riverains de la Méditerranée. Mais le programme ambitionne d’aller au-delà du simple échange universitaire. L’Office se veut également être un tremplin opérationnel vers l’emploi, puisqu’il offrira un accompagnement professionnalisant et un accès à une plateforme de stages et d’emplois. Il permettra ainsi à des étudiants venus du Sud non seulement d’étudier, mais aussi d’acquérir une première expérience professionnelle dans un pays du Nord. En favorisant la circularité des compétences, le projet a vocation à contribuer à la mobilisation des talents en faveur du développement de la rive Sud du pourtour méditerranéen. Pourront bénéficier du programme les étudiants au niveau Master et Doctorat (soit bac+4 et bac +6 respectivement). Le projet ciblera des filières d’intérêt méditerranéen, en tenant compte des besoins des marchés du travail des pays membres. Un premier groupe assez large de filières dans des domaines jugés prioritaires pour l’avenir de la région a été défini. Il regroupe des formations en sciences de l’environnement, dans les nouvelles technologies, le génie civil et le tourisme.

membres et de l’Union Européenne, un grand nombre d’entreprises privées implantées dans les pays membres de l’Office contribueront financièrement au projet. Et c’est bien là la véritable innovation ! Une fois n’est pas coutume, les entreprises du Sud sont impliquées tant dans la conception que dans la mise en œuvre du projet. Au stade de la conception, elles interviennent dans la définition des secteurs de formation prioritaires  ; en d’autres termes, à elles d’indiquer de quels talents elles auront besoin pour assurer leur compétitivité dans l’avenir. Miné par un chômage endémique, le Sud de la Méditerranée fait un premier pas décisif pour combler le fossé entre jeunes diplômés et offres d’emplois. Dans la mise en œuvre, les entreprises interviennent à la fois en offrant des bourses de mobilité aux étudiants sélectionnés, mais également en proposant des stages, voire des emplois, aux jeunes talents partis acquérir une expérience à l’étranger.

Pour surmonter les obstacles habituels à ce type d’initiative, les pays membres se sont mis d’accord pour faciliter les conditions d’accès, de séjour, et de travail des étudiants en mobilité, tout en accordant des bourses d’études aux étudiants.

En offrant un parcours balisé aux jeunes, ces derniers voient enfin un réel intérêt à revenir au terme de leur expérience à l’étranger pour mettre leurs compétences au service du développement de leur pays d’origine. Le faible taux de retour des jeunes partis à l’étranger constituait jusqu’à présent le principal frein à la mise en place de programmes d’échanges méditerranéens  ; on estime qu’entre un tiers et 50% des maghrébins partis étudier à l’étranger renonceraient à revenir chez eux. Grâce à l’OMJ, cette barrière est en passe d’être surmontée. L’investissement devient rentable pour les entreprises du Sud qui restent friandes de jeunes talents bilingues, formés à l’étranger, et bénéficient enfin de profils en adéquation avec leurs besoins.

:: Rôle du secteur privé

:: Bon voisinage

Pour assurer son fonctionnement, l’Office s’appuiera sur un financement tripartite  : aux côtés des Etats

L’initiative est un nouveau pas en avant dans la politique de voisinage de l’Union Européenne.

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Consciente de l’intérêt stratégique de la Méditerranée, aussi bien pour sa sécurité que son approvisionnement énergétique, l’UE a intérêt à voir la prospérité s’installer à ses portes. Depuis quelques années, elle multiplie les efforts pour favoriser le décollage économique de ses voisins, à l’instar de sa nouvelle politique de voisinage qui offre depuis 2004 une relation politique et une intégration économique plus poussées. Favoriser la circulation de jeunes compétences entre Nord et Sud correspond à une double volonté : Afin de pérenniser leur développement économique, les Etats européens auront des besoins sans cesse croissants de compétences techniques et scientifiques. Offrir aux meilleurs étudiants du bassin méditerranéen la possibilité d’enrichir les filières universitaires d’excellence du Nord, et d’y acquérir une première expérience professionnelle, correspond à cet impératif. L’initiative marque aussi un renoncement à l’approche clivante du « tout sécuritaire », qui vise à faire face à l’afflux de migrants aux portes de l’Union Européenne en verrouillant les frontières. Privilégiant une approche inclusive, l’Office Méditerranéen de la Jeunesse est un symbole de l’engagement européen à combattre les causes des phénomènes migratoires en contribuant à la prospérité de sa rive Sud.

:: (Trop) Petit-bras Officiellement lancé simultanément dans les 16 pays membres, le projet est actuellement rentré dans sa seconde phase  ; celle-ci touche à la sélection des formations qui recevront le label «  OMJ  », et qui pourront donc accueillir et envoyer des étudiants dans d’autres formations labellisées. Une troisième étape verra la sélection des candidats boursiers par établissement, avant la rentrée universitaire de la première promotion dès Septembre-Octobre 2011. Entre 350 et 700 étudiants devraient bénéficier de ce

système d’échange dans un premier temps. On regrettera néanmoins le manque d’ambition affichée du programme. L’accès aux études supérieures reste encore très inégal entre les rives Nord et Sud de la

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Méditerranée. Le nombre de diplômés du supérieur se maintien en dessous de 10% d’une classe d’âge en âge d’être diplômée dans les pays du Sud de la Méditerranée ; là où les pays européens atteignent en moyenne 35%, voire plus de 50% pour bon nombre d’entre eux - 52% au Danemark, ou 56% en Finlande. Pour espérer donner une impulsion aux pays de la rive Sud, le programme d’échange euro-méditerranéen devra se donner les moyens de ses ambitions, en démocratisant les échanges universitaires. Trois axes méritent d’être creusés  : son périmètre géographique, sa dimension quantitative, et sa dynamique interne.

A son crédit, l’OMJ a le mérite d’inclure des pays riverains de la Méditerranée jusque là laissés en marge de l’intégration européenne. En rejoignant le projet d’échange méditerranéen, quatre pays de l’ex-Yougoslavie (la Croatie, l’Albanie, la BosnieHerzégovine, et le Monténégro) font un pas de plus vers l’intégration et la normalisation de leurs relations avec le reste de l’Europe. Mais sur sa rive Nord, l’OMJ laisse inexplicablement derrière lui une bonne partie du continent  ; à commencer par l’Allemagne et l’Angleterre, qui figurent pourtant en bonne place parmi les destinations favorites des étudiants du Sud. Plus de 5 000 étudiants marocains choisissent chaque année l’Allemagne pour poursuivre tout ou partie de leurs études supérieures, tout comme 1/6

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des étudiants tunisiens étudiant à l’étranger. Les jeunes égyptiens, historiquement plus anglophones, préfèrent le Royaume-Uni à l’Europe continentale pour leurs études à l’étranger. En se restreignant géographiquement aux pays ayant littéralement un pied dans la Méditerranée, l’OMJ se prive de la possibilité de créer une véritable intégration régionale. L’Union pour la Méditerranée (UPM), dont l’éducation et la recherche font pourtant partie des piliers, aurait constitué le cadre de travail idéal à cette initiative consensuelle, en engageant solidairement le continent européen en faveur du développement humain en Méditerranée. Dans ses objectifs quantitatifs, le programme fait également preuve d’un manque d’ambition flagrant. Entre 300 et 700 étudiants devraient bénéficier d’une bourse OMJ au lancement du programme ; une peau de chagrin, compte tenu du nombre d’étudiants désireux de poursuivre leurs études supérieures en Europe. D’autant que l’Office se garde bien de faire des projections chiffrées sur son éventuel élargissement à venir. A titre de comparaison, 3  244 étudiants se sont vus attribuer une bourse lors du lancement du programme Erasmus en 1987. Le programme a ensuite cru de manière exponentielle, pour bénéficier à 20 000 étudiants dans sa 3e année, et 50 000 dès 1992. Bien sur, la complexité des échanges euro-méditerranéens est sans commune mesure avec ceux mis en place entre les pays européens à la fin des années 80 ; une période de rodage est peut être nécessaire – voire même souhaitable – pour s’assurer que le programme apporte bien les bénéfices attendus à toutes les parties prenantes. Mais il est indispensable qu’il soit étendu progressivement à davantage de bénéficiaires. Enfin, on ne manquera pas de souligner l’unidimensionnalité du programme tel qu’il est conçu aujourd’hui. Dans les faits, l’échange euroméditerranéen semble être conçu comme un échange du Sud vers le Nord. Ce mouvement légitime correspond à une aspiration des étudiants du Sud à venir étudier au Nord. Mais pour qu’une véritable dynamique de codéveloppement partagé émerge entre les deux rives de la Méditerranée, les échanges devront se faire à part égale dans les deux sens. Beaucoup reste à faire en la matière. Au jour d’aujourd’hui, si les pays du Maghreb accueillent

bien des étudiants étrangers sur leur territoire, ceuxci viennent avant tout de l’Afrique Sub-saharienne francophone. Sur les 7 029 étudiants étrangers ayant étudié au Maroc en 2007, 853 venaient de Mauritanie, 516 du Sénégal, 429 de Guinée, 357 du Mali et 354 de Côte d’Ivoire. Les étudiants européens eux, restaient bien rares sur les campus marocains.

le 4 avril 2011 une déclaration écrite demandant à la Commission de plancher sur la création «  de programmes «Erasmus» et «Leonardo da Vinci» euroméditerranéens ». Si la base géographique retenue celle de l’Union pour la Méditerranée – semble plus pertinente, son arrivée semble pourtant inopportune à quelques mois du lancement de l’OMJ.

Tout est à construire dans ce programme de mobilisation des compétences ; d’autant que depuis le printemps arabe, les initiatives se multiplient au niveau européen. Jamais à court d’idées, les eurodéputés du Parlement de Strasbourg - sous l’impulsion des eurodéputés Françoise Castex, Franziska Brantner, Vincent Peillon, Cristian Preda et Ivo Vajgl - ont déposé

A ce stade, l’Office Méditerranéen de la Jeunesse reste un projet quasiment unique au monde. Il faudra une volonté politique forte et un accompagnement du programme et de ses bénéficiaires afin d’éviter que les échanges ne mènent à un exode des cerveaux, et qu’ils bénéficient bien au développement des compétences dans les pays du Sud.

L’OMJ EN CHIFFRES

Date de création : 30 avril 2010 Début du programme : rentrée 2011 Nombre d’étudiants : entre 300 et 700 par année universitaire Pays membres : 16 L’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, Chypre, la Croatie, l’Egypte, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Liban, le Maroc, Malte, le Monténégro, la Slovénie, la Tunisie et la Turquie

PAYS MEMBRES DE L’OFFICE MÉDITERRANÉEN DE LA JEUNESSE

Données : OMJ, Commission Européenne

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FOCUS MIGRATIONS ET CIRCULARITÉ Que ce soit sur l’ile de Lampedusa ou à la frontière gréco-turque, l’actualité a remis en lumière les crispations européennes face à la menace d’une vague migratoire sur le Vieux Continent. L’immigration vers l’Europe a pourtant toujours contribué à son enrichissement et à son développement. Dans les années 60 et 70, face à la pénurie de travailleurs, les pays européens ont eu recours à une main d’œuvre étrangère. Près de 4 millions de personnes ont ainsi rejoint la France entre 1945 et 1975. Aujourd’hui encore, l’immigration reste indispensable à une Europe en manque de compétences et en proie à une démographie moribonde. Depuis les années 90, la dynamique des mouvements migratoires serait néanmoins en train d’évoluer. La Commission Globale des Nations unies sur les Migrations Internationales notait en 2005 que de phénomènes de migration permanents, la tendance serait désormais à des migrations courtes, à caractère temporaire. Correctement accompagnée, cette immigration devenue circulaire, pourrait apporter des réponses aux nombreux défis entourant les phénomènes migratoires contemporains. Dans son rapport annuel de 2005, l’OIM soulignait les bénéfices développementaux que les migrations circulaires pouvaient apporter aux pays en développement. L’Organisation encourageait d’ailleurs les pays hôte à ouvrir davantage leurs frontières à des migrations saisonnières ou temporaires, et de favoriser les possibilités de travail répété dans un même secteur. Une position corroborée par la Banque Mondiale, pour qui les migrations circulaires présentent des opportunités importantes pour la promotion de liens commerciaux et d’investissements Nord-Sud, de même que de lutte contre la fuite des cerveaux. Certains Etats, à l’exemple de la France et de l’Espagne, ont choisi d’accompagner ce mouvement en accordant des visas temporaires à des migrants dont les compétences professionnelles peuvent être

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utiles à leurs économies. Retour sur la migration circulaire, nouvelle approche d’un développement partagé.

:: Renouveau On les croyait enterrés. Depuis l’échec des programmes Bracero aux Etats Unis ou Gastarbeiter en Allemagne, les Etats du Nord avaient semble-t-il renoncé à approcher les phénomènes migratoires par la circularité. Entre 1942 et 1964, le programme de migration saisonnier américain bénéficia à quelques 4,5 millions de travailleurs manuels mexicains. Au lieu de canaliser les migrations, l’afflux de travailleurs légaux créa un appel d’air à l’immigration illégale. En poussant à la baisse les salaires des emplois non qualifiés américains, le programme entraina une crispation identitaire de l’opinion américaine et éroda rapidement le soutien du public à l’immigration mexicaine, fut-elle saisonnière. La donne serait pourtant en train de changer ; avec l’idée que les phénomènes migratoires circulaires pourraient constituer un véritable coup de pouce au développement des régions défavorisées. La globalisation de l’économie mondiale a entrainé de profonds changements dans les comportements des migrants. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont permis aux migrants de renforcer les liens qui les unissent à leur communauté d’origine. C’est particulièrement vrai à l’échelle du bassin méditerranéen, dont les Etats riverains ont mis en place des politiques visant à faciliter et encadrer les phénomènes migratoires circulaires. En offrant une alternative à l’immigration illégale, l’Europe s’initie à un nouveau partenariat de développement par la migration. La clef du succès  : un arrangement tripartite mutuellement bénéfique entre migrant, pays d’origine, et pays de destination.

:: Triple entente A l’échelle du bassin méditerranéen, les pays du Maghreb ont été les premiers à réaliser le potentiel qu’ils pouvaient tirer à encadrer et favoriser les phénomènes migratoires circulaires en renforçant leur coopération avec leurs voisins du Nord. D’une part, ils voient revenir leurs nationaux qui ont bénéficié d’une expérience formatrice à l’étranger. Selon la Banque Mondiale, les migrations circulaires sont un outil efficace de lutte contre la fuite des cerveaux. Plus encore, les membres de la diaspora contribuent à l’investissement dans le pays par les ressources financières qu’ils renvoient chez eux. En 20 ans, les transferts financiers de la diaspora sont devenus une ressource économique déterminante pour les pays en développement. A l’échelle de la planète, leur montant atteignait 105 milliards de USD au début des années 2000. Aujourd’hui, ils excèderaient près de 300 milliards USD, près du triple de l’aide au développement versée annuellement. Pour un pays comme le Maroc, les transferts des Marocains résidants à l’étranger (MRE) représentent 7% du PIB (6,4 milliards USD) et 40% des recettes de devises. En Tunisie, les transferts de fonds se chiffrent à 2 milliards USD, soit 5% du PIB. Des chiffres qui ont incités les décideurs politiques maghrébins à s’intéresser de très près aux phénomènes migratoires et à leur diaspora à l’étranger. Certes, les migrants circulaires ne représentent encore

qu’une infime partie de ces transferts. Mais devant les résistances du Nord face à l’immigration permanente, leur part présente aujourd’hui le plus fort potentiel de progression. Les migrants sont également gagnants dans le schéma de migration circulaire. Dans le cadre légal de leur séjour, ils bénéficient souvent en plus d’une couverture sociale et médicale, d’une aide à la réinstallation ou au retour dans leur pays d’origine. La légalité de leur statut leur permet de s’intégrer au sein de leur pays d’accueil ; voire de s’impliquer dans le développement des deux communautés. Pour eux, la possibilité de migration circulaire est souvent vécue comme une chance, quitter son pays définitivement étant rarement un choix facile. La flexibilité offerte par la migration circulaire permet enfin aux pays d’accueil de disposer de compétences complémentaires permettant de pallier à d’éventuelles difficultés de recrutement ponctuelles ; Particulièrement demandeurs, les secteurs de l’agriculture et du tourisme ont des besoins de manœuvre saisonnière bon marché pour faire face à leurs pics d’activité. Politiquement, les formes de migrations circulaires sont mieux acceptées par des opinions publiques européennes, largement récalcitrantes aux phénomènes migratoires permanents. Pour l’Europe, la migration circulaire est aussi vécue comme un moyen de soulager la pression sur les marchés de l’emploi saturés des pays émergents.

Données : Banque Mondiale, Migration and Remittances Factbook 2011

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:: Cadre législatif

:: Les limites

Pour s’adapter à cette nouvelle réalité, les Etats du Sud de l’Europe ont adopté une approche plus flexible pour gérer les flux migratoires vers le continent, en introduisant des permis de travail adaptés. L’enjeu est de trouver la meilleure façon de gérer les flux circulaires dans un cadre légal, au bénéfice de toutes les parties prenantes.

Attrayante en apparence, la migration circulaire ne constitue pas pour autant une panacée. Le caractère temporaire de la migration n’est pas incitatif à l’investissement dans le capital humain  ; les employeurs ont peu d’intérêt à former un employé migrant qu’ils ne reverront jamais. De ce fait, la mobilité verticale des migrants s’en trouve limitée ; même dans le cadre de migrations annuelles, ils ne peuvent espérer occuper des emplois plus qualifiés d’une année sur l’autre. Les Etats eux même ont tendance à se désintéresser du sort individuel des migrants, qui n’ont aucune chance de devenir des membres à part entière de la communauté nationale. Pour le migrant aussi, la dimension temporaire de la migration ne constitue pas spécialement un avantage en termes d’intégration. Selon Elizabeth Collett du Migration Policy Institute, la formule reste difficile à vendre : « Comment faire accepter le message aux migrants : Nous voulons que vous vous appreniez notre langue et que vous investissiez dans notre pays, mais que vous rentriez chez vous au bout de deux ans. Je ne suis pas sûre que cet investissement vaille le retour ». Trouver sa place dans une société que l’on sait être voué à quitter à moyen terme n’est pas aisé. Le migrant sera tenté de se replier vers sa communauté d’origine, alors que les gouvernements souhaiteraient les voir s’intégrer à la communauté nationale.

La France délivre ainsi des permis de travail « saisonniers » pour les ouvriers agricoles. En 2008, 7  026 titres ont été accordés à des travailleurs étrangers, dont la moitié en provenance du Maroc. Des accords de gestion concertée des flux migratoires permettent à des salariés spécialisés d’obtenir des cartes de séjour temporaires, dès lors qu’ils exercent des professions identifiées comme «  en tension  » en France. Quatorze pays sont concernés par ces accords, dont le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, le Congo, le Gabon, l’Ile Maurice, la Russie, le Sénégal, la Tunisie, le Cameroun, le Liban, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie. L’Espagne de son côté, a signé des conventions bilatérales avec divers Etats d’Amérique-Latine, mais également le Maroc. L’accord cadre signé en Janvier 2009 permet à 25  000 marocains – dont 16  500 femmes – de travailler aux récoles de fraises dans les champs du Sud de l’Espagne. La tendance est à la féminisation de ces migrations ; sans s’en réclamer, les autorités accordent les permis de travail avec une préférence aux femmes mariées, rurales et plutôt pauvres. Les travailleuses féminines – et qui plus est les mères –, retourneraient plus volontiers chez elles à l’issue de leur contrat. L’expérience Hispanomarocaine fait aujourd’hui figure de modèle, selon l’aveu même des ONG qui encadrent les migrantes côté marocain. Selon des données recueillies par les fondations CIREM et Orient Occident, 70% des femmes interrogées mettent en avant le changement économique et financier issu de leur expérience ; le travail saisonnier permet à certaines migrantes de vivre toute l’année de leurs économies, de s’investir dans l’aménagement de leur foyer, voire de démarrer une activité économique autonome.

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L’expérience de migration circulaire dans les pays du Golfe nous apprend que l’import de travailleurs qui n’ont pas de possibilité d’accès à la citoyenneté mène à une double société, au sein de laquelle nationaux et non-nationaux partagent au final très peu de choses. Un exemple à méditer, au regard des crispations identitaires qui parcourent aujourd’hui les sociétés européennes.

:: Conclusion Faute de mieux, la migration circulaire est devenue aujourd’hui le symbole d’une migration non pas réussie mais du moins maîtrisée. Cette nouvelle approche apparait comme un outil de gestion et de

régulation des flux migratoires, et de lutte contre l’immigration clandestine. Le modèle circulaire n’apporte pourtant une réponse par bien trop imparfaite aux centaines de milliers de migrants qui risquent chaque année leur vie pour traverser la Méditerranée. On estime à 500  000 le nombre de clandestins qui parviennent à franchir tous les ans les portes de l’Europe. Pour une grande partie d’entre eux, en provenance des zones de conflits d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie de l’Ouest, la migration circulaire n’apporte aucune réponse.

Ces politiques d’ouverture peuvent néanmoins avoir un effet bénéfique dans le voisinage immédiat de l’Europe. Les pays du Maghreb, aux portes de l’Union, aspirent plus que jamais au développement et à la prospérité. A l’Europe de se montrer généreuse et accueillante. A elle de savoir enclencher une dynamique vertueuse, par l’échange de compétences, et de technologies. En n’oubliant jamais qu’elle conserve une grande partie de la misère du monde à ses portes.

RECOMMANDATIONS : • Renforcer la mutualisation et la coopération entre bailleurs multilatéraux et bilatéraux, et mettre en place des mécanismes d’évaluation systématiques et accessibles au public des projets financés. • Renforcer les accords d’échanges et de mobilité internationale pour la formation professionnelle. • Mise en place d’un cadre organisationnel pour favoriser la coopération triangulaire Nord-Sud-Sud.

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Développement économique, Objectifs du Millénaire et Financements innovants : quelle approche inclusive pour assembler le foisonnement d’initiatives autour d’un Nouveau Cycle de Développement intégré ? - Suleiman Al-Herbisch : Directeur-général du fonds de l’OPEP pour le Développement - Cheick Sidi Diarra : Secrétaire-général adjoint des Nations unies, Conseiller spécial pour l’Afrique du Secrétaire général, Haut Représentant pour les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits Etats insulaires en développement - Peter David : Ministre des Affaires Etrangères de Grenade - Fahmi Said Ibrahim : Ministre des Affaires Etrangères de l’Union des Comores

MODÉRATION : Folly Bah Thibault, présentatrice, Al Jazeera English

Panel A2 : Aide au développement : la coopération triangulaire Nord-Sud-Sud peut elle stimuler et réguler le développement ? - Adolf Kloke-Lesch : Directeur de la stratégie et des nouveaux partenariats, GTZ - Moctar Ouane : Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération de la République de Mali - Vince Henderson : Représentant permanent de la Dominique à l’Organisation des Nations Unies - Alexander Trepelkov : Directeur du Bureau du Financement pour le Développement, Département des Affaires Economiques et Sociales, Organisations des Nations Unies. - Aurimar Jacobino de Barros Nunes : Premier Secrétaire, Coordinateur de la cooperation bilaterale et trilatérale, Agencia Brasileira do Cooperação - Abdelhamid Triki : Secrétaire d’Etat à la coopération internationale de la République de Tunisie

MODÉRATION : Erik Nyindu, Directeur de l’information, VOXafrica TV

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Panel B2 : Pékin 2008, Afrique du Sud 2010, Brésil 2014, Maroc 2015, Rio 2016 : le sport est-il un nouveau vecteur de développement ? - Golda El Khoury : Directrice de la section pour la Jeunesse, le Sport et l’Education physique, UNESCO - Poul Hansen : Chef de Bureau, Bureau du Conseiller Spécial du Secrétaire Général des Nations unies pour le Sport, le Développement et la Paix - Moncef Belkhayat : Ministre de la Jeunesse et des Sports du Royaume du Maroc - Kabando wa Kabando : Vice-ministre de la Jeunesse et des Sports de la République du Kenya - François Alla Yao : Directeur des Programmes Education Physique et Sportive, Secrétariat général de la Conférence des Ministres de la Jeunesse et des Sports ( CONFEJES )

MODÉRATION : Nora Fakim, correspondante, press TV

Panel C2 : Emploi, éducation et formation : le capital humain comme moteur pour le développement économique des pays du Sud ? - Sheikha Rasha Al Sabah : Ancienne Sous-secrétaire d’Etat à l’Education du Koweït, Conseillère auprès du Premier ministre du Koweït - Jamal Rhmani : Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle du Royaume du Maroc - Aberrahim Sabir : Coordinateur de la Campagne Stand Up pour les Objectifs du Millénaire, Organisation des Nations unies - Eric Besson : Ministre de l’industrie et de l’énergie de la République française - Najat Rochdi : Directrice-adjointe des Bureaux du Programme des Nations Unies pour le Développement à Genève - Torek Fahradi : Directeur des programmes Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’International Trade Center - Joseph Mifsud : Directeur de l’Université EMUNI -Thami Ghorfi : Directeur l’ESCA

MODÉRATION : SMRITI Vidyarthi, présentatrice, NTV Kenya

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PRéVENTION DES CONFLITS

Prévention des conflits

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L’IMMENSE DÉFI DE LA PRÉVENTION DE CONFLITS ET DE LA STABILISATION : QUELLE DYNAMIQUE PEUT-ON CRÉER ENTRE LES EFFORTS DIPLOMATIQUES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE ? Le concept de prévention des conflits consiste en l’utilisation des procédés de négociation et de médiation afin d’empêcher que les altercations et les conflits localisés propres à toute société ne se muent en conflits armés. Ce procédé cherche aussi à atténuer et à absorber toutes les causes qui provoquent l’engrenage, l’escalade et l’éclatement d’une crise. Souvent, la prévention des conflits est intimement liée aux efforts visant à promouvoir le dialogue et la négociation entre les parties belligérantes. De ce fait, les négociateurs pour la

paix commencent par aborder les causes directes et profondes du conflit tout en limitant les moyens qui permettraient de le faire durer. Depuis vingt ans, de la crise somalienne à celle de la Côte d’Ivoire, la Communauté internationale ne cesse d’améliorer les outils et les mécanismes qui lui permettent de juguler, prévenir et endiguer les conflits naissants. La prévention des conflits commence par l’information, la maîtrise des canaux qui la transporte et surtout la transforme mais aussi par la capacité à identifier les germes qui portent en eux la cristallisation du pire, « cette sorte de phase gazeuse, en attendant qu’elle devienne solide » (Joseph Maîla). En outre, la nature des conflits n’est pas linéaire, comme le suggère leur déroulement dans le temps, mais circulaire avec un risque chronique de rechute qui s’accroit avec le temps passé dans l’expectative et l’analyse, d’où cette opposition entre le temps de la connaissance et celui de l’action. Les conflits et leur prévention posent également un sérieux problème d’observation et d’analyse : le sujet, le déroulement temporel et surtout les faits ou plus communément appelés « les éléments ». Des éléments quantitatifs (altercations, dégradations, troubles de l’ordre publics ou établis, assassinats…), des éléments institutionnels (une suspension de la Constitution, des élections tronquées ou détournées…) mais aussi des éléments déclaratifs (communiqués, gesticulations verbales, discours menaçants ou de haine…) que le cas du Rwanda illustre tragiquement bien. Quand les institutions vacillent ou ne fonctionnent plus, un vide est rapidement créé faisant appel à des individus, formations ou encore organisations pour le remplir, d’où la notion de « Spill-over », sorte d’appel d’air pour les puissances régionales afin qu’elles interviennent.

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La notion de visibilité des conflits est aussi un élément capital en vue de les prévenir, cependant dans un monde de plus en plus informé, des conflits se retrouvent totalement oubliés, gelés et éloignés des écrans radars de la communauté internationale, non pas liés à une violence visible mais plutôt à une violence potentielle tout aussi susceptible de se durcir (le conflit autour du Haut Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie est, à ce sujet, significatif). En l’absence d’une gestion proactive, résultante également d’une exposition médiatique continue, de tels conflits resurgissent invariablement dans le processus politique international à une phase tardive de leur aggravation, rendant ainsi toute intervention ardue puisque réactive.

:: La prévention des conflits, un concept nouveau au niveau international Depuis la chute du mur de Berlin, la scène internationale a profondément changé. Cette transformation s’est principalement illustrée par la diminution progressive des conflits internes ou de basse intensité, dans lesquels de nouveaux acteurs sur l’échiquier mondial – à l’instar des organisations internationales et régionales, des ONG, agences humanitaires, ou même les médias jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion ou encore la prévention des situations conflictuelles. Suite à l’effondrement du bloc soviétique, le monde est ainsi entré de plein pied dans une période nouvelle dans l’équilibre international. Désormais, les interventions internationales pour le maintien de la paix peuvent être validées sans être réflexivement suspectes de favoriser un camp ou l’autre. De ce nouvel ordre international ont émergé un changement de doctrine dans la conduite de la guerre et le concept de prévention des conflits. Face à des risques majeurs de déstabilisation sécuritaire, la notion de prévention des conflits a recueilli un large consensus de la part de la plupart des instances gouvernementales, surtout au niveau du principe, incontestablement moral et humanitaire, qui s’en dégage. Il faut également souligner qu’il existe

une motivation financière pour les grandes puissances, qui insistent sur le faible coût de la prévention comparé au coût des opérations de maintien de la paix, ou même aux opérations de reconstruction postconflictuelles. Les Etats donateurs des Nations Unies, parmi lesquels les grandes puissances, rechignent trop souvent à assumer leur engagement pris au titre du financement des missions de paix (selon l’ONU, 3.72 Milliards de USD étaient toujours non-acquittés par les pays contributeurs concernant les opérations de maintien de la paix fin 2010). Cela démontre la prédisposition de la communauté internationale à agir, tout d’abord sur le plan politique mais aussi sur le plan financier, afin que le potentiel conflictuel ne se cristallise pas en conflit ouvert. Des déclarations comme celle de Bamako ou celle plus récente de Saint Boniface, respectivement émises par l’Organisation internationale de la francophonie en 2000 et 2006, et qui consacrent comme objectifs prioritaires l’aide à l’instauration et au développement de la démocratie, la prévention des conflits et le soutien à l’Etat de droit et aux droits de l’Homme, jumelés à celles de l’ONU, démontrent l’implication grandissante des organisations internationales et des grands Etats dans la prévention des conflits. Ceci s’illustre selon la prise en considération de la rapidité et de la souplesse de réaction aux signaux d’alerte précoces concernant des questions sensibles avant que celles-ci ne débouchent sur une naissance ou une résurgence de conflits. Le fait que les autorités ne parviennent plus à verser les salaires des fonctionnaires, que l’État ne puisse plus assumer ses obligations de service public, ou encore que des militaires commencent à se mêler de la vie politique constituent par exemple de tels précurseurs critiques.

:: Une appropriation régionale et sous-régionale de la nécessité de la prévention des conflits La plupart des conflits sont désormais internes. Confinés au cadre national, leurs répercussions sont néanmoins régionales voire à terme internationales.

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C’est pour cette raison que les politiques de prévention, de construction ou consolidation de la paix et de réhabilitation peuvent être imaginées et conçues à l’échelle régionale dans un cadre interétatique. Face à un conflit de nature nationale, il faut agir dans un contexte plus grand en actionnant les pays ou les organisations capables de constituer une influence à l’intérieur du pays. La gestion régionale ou sous régionale de la prévention des conflits en Afrique est une idée bien établie essentiellement dans le cadre de missions diplomatiques, de médiation ou de mesures d’isolement le cas échéant. On peut tout naturellement signaler l’engagement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Côte d’Ivoire en 2003 avant la mise en place de la mission

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ONUCI, la réussite de sa médiation au Togo en 2005, mais aussi les nombreuses entrées en lice de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), notamment sur les conflits malgaches et soudanais. Parallèlement, un système africain de sécurité collective se constitue depuis la création de l’Union Africaine avec le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de cette même organisation qui n’est cependant pas comparable avec celui de l’ONU, ce dernier restant la seule source de légitimité internationale pour des opérations armées. Le soutien des grandes puissances internationales demeure en fait indispensable au vu du manque de moyens matériels, humains et financiers des pays participants aux opérations africaines.

La coopération et l’intégration régionale peuvent former un ancrage à la culture de la paix, en particulier lorsqu’elles s’articulent autour de ressources et de besoins communs. Mais les positions et mesures venant des grandes puissances étrangères sont nécessaires pour soutenir la coopération à l’échelle régionale et sous-régionale dans des domaines sécuritaires et militaires. Ce soutien doit aussi se faire avec une action et un engagement constants et

la défense des droits de l’homme et des réfugiés ou favoriser les réformes concernant le secteur de la sécurité. La société civile, y compris sa composante économique et financière, a un rôle essentiel à jouer dans le paradigme construction/consolidation de la paix.

:: Consolidation de la paix, équité et réconciliation : l’importance de la question mémorielle Des leçons importantes concernant la fragilité relative de la paix ont été tirées de précédents conflits, tant le risque de résurgence ou d’apparition de nouveaux conflits est grand. Il s’agit, à cet égard, de veiller à ce que les processus de paix diffusent leurs effets dans la population et répondent aux exigences de justice pour ceux dont les droits ont été spoliés afin de prévenir le risque d’éclatement de nouvelles violences. C’est d’un travail sur le consensus national dont il s’agit, qui mette en action une mécanique de l’oubli jumelée à une autre du souvenir car « il faut suffisamment se souvenir pour ne pas recommencer, et il faut suffisamment oublier pour continuer à vivre  », comme le rappelle Joseph Maïla, directeur de la prospective au Ministère français des affaires étrangères et européennes. Lorsque les causes et les conséquences profondes des conflits n’ont pas été traitées de façon adéquate, c’est-à-dire de façon à se prémunir de leur récurrence, un risque important d’explosion pèse sur la construction de la paix. Il est d’une importance majeure que les acteurs régionaux et internationaux comprennent qu’il est tout aussi vital de gagner la paix que de gagner la guerre et pour cela il convient de constater que la paix doit appartenir aux civils, à ceux qui ne se sont pas battus.

fiables afin d’arriver à appliquer une démobilisation, une réhabilitation et un désarmement complets des groupes combattants et solder le conflit. Ces politiques de coopération entre le niveau régional et international peuvent aussi fluidifier les négociations, le renforcement des capacités régionales de maintien de la paix, l’instauration de réseaux régionaux pour

:: Le cloisonnement des négociations nuit à l’issue des pourparlers de paix Les négociations de paix mettent en contact les individus qui ont provoqué ou entretenu un conflit

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et ce, de manière formelle et officielle, alors que la participation de la société civile dans les processus leur fait prendre un tour décisif vers la stabilisation, ce qui a été par exemple constaté en Afrique de l’Ouest. Dans les années 1990, les délégués et participants des processus de paix étaient les factions belligérantes et les partis politiques, avec des observateurs internationaux et des représentants d’organisations intergouvernementales comme la CEDEAO, l’Union Africaine et l’Organisation des Nations Unies.

celui du privé de la région du fleuve Mano (Libéria, Sierra Leone et Guinée), parvient à endiguer la reprise des hostilités entre les trois pays en persuadant les gouvernements de reprendre les pourparlers. Ces évolutions ont ainsi automatiquement donné lieu à l’émergence de réseaux féminins plus étendus et de campagnes de mobilisation des femmes pour la paix, à l’image du Liberian Women’s Mass Action for Peace, acteur clef de l’établissement de la paix au Libéria en 2003.

La conséquence de l’enfermement des pourparlers fut que les conflits armés se sont poursuivis au Libéria et en Sierra Leone, les négociations de paix ne pouvaient pas à elles seules restaurer la stabilité dans les pays. L’incapacité des partis adverses à conclure des accords durables, à l’instar des échecs de l’Accord de paix d’Abidjan de 1996 et du Plan de paix de Conakry de 1997 pour la Sierra Leone, a favorisé un fort engagement de la société civile dans les négociations qui ont suivi. Les acteurs de la société civile affirmaient qu’il fallait prendre en considération le point de vue des populations ordinaires dans les discussions de paix. Les capacités, talents et aptitudes des organisations de la société civile permirent l’établissement de conditions favorables à des négociations, d’installer la confiance entre les parties, d’orienter la conduite et le contenu des négociations et d’influencer la viabilité des accords de paix. Ils veillent aussi à ce que les adversaires puissent s’accorder sur des termes de négociations et à ce que les traités et accords conclus reflètent les attentes et besoins des populations. Ces organisations ont mené, lors des négociations sur la paix, des actions de diplomatie; elles ont incité au compromis et surtout créé, dans bien des cas, un climat de confiance. A la signature des accords de paix, les associations relevant de la société civile se sont attaqués aux questions de la compréhension collective de ces accords en expliquant les termes aux citoyens et en les informant sur les stratégies à venir des dirigeants responsables.

:: Pour une stratégie internationale de soutien à la société civile en période de reconstruction politique

En l’an 2000, le WIPNET, le Réseau des femmes du fleuve Mano pour la paix, une association issue de l’initiative conjointe de femmes occupant des postes importants autant dans le secteur public que dans

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Ainsi, le rôle que joue, avec le soutien international, la société civile dans le cadre de la consolidation de la paix est d’une nature capitale. Il est primordial de soutenir les organisations civiles durant et après les conflits afin de faciliter leur participation à la médiation, aux négociations et aux tentatives d’institutionnalisation du processus de paix. La construction et la consolidation de la paix demandent des connaissances de terrain en ce qui concerne l’économie, la situation sociale et sanitaire. Les acteurs de la société civile sont au fait de ces problématiques et peuvent, de par leur expérience, actionner des stratégies de continuation. Dans le cadre de la reconstruction post-conflit, il est essentiel que les organisations de la société civile soient renforcées et capables d’assumer de larges pans de la vie publique voire des charges politiques, et de donner un nouveau dynamisme local aux politiques de développement. Ces dernières, qui jouent un rôle public plus important en période de conflit, comme médiateurs ou comme un élément d’apaisement, peuvent croire qu’en période de paix, on essaie de les confiner dans un rôle plus marginal. Cela s’explique d’ailleurs par le redéploiement des aides qui leurs étaient acheminés vers les nouvelles administrations officielles. Le renforcement de la position de ces éléments au sein de grandes organisations mixtes, comme celles qui s’occupent des droits de l’homme, des secours, ou encore de

la reconstruction urbaine, est un aspect important du renforcement des capacités. Les processus de construction et de consolidation de la paix devraient faire intervenir les acteurs de la société civile sur tous les niveaux et même en tant que responsables politiques où ils peuvent avoir un véritable magistère de la parole. La promotion du principe de partage des pouvoirs et la mise en place de procédés politiques tangibles et démocratiques ouvrent sur des possibilités de progressions bien réelles dans l’objectif de la réconciliation. Dans cette optique, le tissage des liens entre société civile et organisations régionales ou internationales

est essentiel. A ce titre, de nombreuses initiatives ont été lancées au niveau de l’Union Africaine pour institutionnaliser le dialogue entre société civile et représentants des instances supranationales, notamment ceux du Conseil de paix et de sécurité. Cependant, les récentes législations dans de nombreux pays africains qui exigent des organisations non gouvernementales que leur financement soit pour moitié assuré par des fonds nationaux, portent le risque de la reprise en main de la société civile par les pouvoirs politiques, ce qui constitue une mauvaise nouvelle pour l’avenir des organisations de la société civile africaine.

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SUD SOUDAN : NAISSANCE à hauts risques Avec la présence de M. Salahuddine Ghazi Atabani, conseiller politique du président soudanais, et de M. Lam Akol, Secrétaire général du SPLM-DC, deux hauts représentants soudanais, le forum MEDays 2010 a pu donner écho aux interrogations, incertitudes et espoirs qui entourent le processus de construction de la paix au Soudan. Depuis mi 2010 et au moins jusqu’en juillet 2011, le Soudan fera l’objet d’une attention toute particulière de la part de la communauté internationale, car il engage sa capacité à accompagner un processus de paix. La réflexion entamée depuis  des décennies sur un agenda pour la paix amène le monde à un tournant dans l’ordre international. Plus la communauté internationale est amenée à agir, plus de nouveaux concepts opératoires naissent et ces nouveaux concepts deviennent de plus en plus pressants envers les pouvoirs en place afin d’assurer la sécurité des populations de manière effective.

peuples à disposer d’eux mêmes et le principe de l’intangibilité des frontières coloniales, pose ainsi une équation compliquée aux chefs d’Etat africains, qui tous à un titre ou un autre, connaissent la fragilité de l’équilibre communautaire et des frontières ethniques. Le résultat du référendum en a cependant décidé autrement ; le Sud Soudan sera le 54ème Etat africain, ce qui constitue un évènement sur le continent ; en effet le dernier Etat créé, l’Erythrée en 1991, était jusqu’ici considéré comme un cas à part puisqu’il avait fait l’objet, déjà en 1948, d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. L’indépendance du Sud Soudan crée donc un véritable précédent juridique sur le continent. Pourtant elle est issue, d’un processus politique, les accords de paix prévoyaient qu’au terme de cinq années les Sud Soudanais se prononceraient sur le fédéralisme ou sur l’indépendance ; elle tire donc sa légitimité de ce vote.

Au Soudan, nous sommes en présence d’un processus politique né en 2005, encadré par l’InterGovernemental Authority for Development (IGAD), et validé par l’ONU. Ce processus a abouti le 5 janvier 2011 à un référendum prévu dans les accords de paix qui a acté la séparation du Nord et du Sud du pays par 99% des votants. Durant l’année 2010 la communauté internationale et les Etats Africains ont surveillé de très près ce processus, toutefois il est à noter que sur le cas du Sud Soudan, des Etats africains, et parmi eux des membres du conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, s’étaient prononcés pour le report du référendum contrairement à la majorité des membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies. L’inquiétude a fait jour en Afrique au fur et à mesure que se rapprochait l’échéance du vote soudanais, car plusieurs Etats africains voyaient d’un mauvais œil l’indépendance déclarée du Sud Soudan, porteuse de conséquences sur le tracé de frontières africaines déjà fragiles.

:: Au Soudan: un dialogue chaotique mais ininterrompu

L’opposition entre le principe de la liberté des

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Avant 2005, l’armée sud-soudanaise et le gouvernement du Nord se livraient une guerre épisodique. Cette guerre est l’un des plus longs conflits modernes après le conflit irlandais et le conflit israéloarabe, d’où sa nature circulaire dans laquelle on pouvait observer tantôt des phases «chaudes», tantôt des «refroidissements». L’échéance du référendum laissait craindre alors aux observateurs extérieurs que le conflit ne puisse reprendre au moment du vote. Durant les débats du forum, M. Salahuddine Ghazi Atabani, a néanmoins rappelé que le gouvernement de Khartoum s’est bel et bien engagé à respecter le résultat du référendum. Le conseiller présidentiel revient également sur les causes du conflit : des frontières héritées de la décolonisation, une différence de développement entre un Nord plus développé et un Sud enclavé, mais aussi, et surtout, la faillite de

l’élite politique de Khartoum à proposer un projet de fédéralisme au Sud. Malgré quelques réticences sur la question du calendrier référendaire -y compris parmi

initial. Alors qu’il était prévu depuis cinq années, les élites politiques et les chefs d’Etat voisins ont semblé s’alarmer au dernier moment de ce référendum pas assez discuté entre Nord et Sud. Préalablement au vote de janvier 2011, les autorités n’avaient pas préparé de discussion sur le tracé des frontières, pourtant longues de quelques 2100 kms, alors que cette incertitude peut constituer le motif d’action armée qui aurait pu entreprendre d’en déterminer le tracé par la force. Toutefois, même si l’accord entre les deux parties fut total sur les individus habilités à voter, la question des frontières, des ressources ainsi que celle du statut des ressortissants sud soudanais qui vivent au Nord, n’ont pas été traitées sur le fond dans l’hypothèse d’une séparation. Il reste donc tout un travail à mener pour que le processus d’indépendance du Sud aboutisse, et fait en sorte que le dialogue continue entre les deux pays. La période postérieure au référendum, soit les six mois d’ici à juillet 2011, doit permettre de générer des consensus sur toutes ces questions, sur fond d’un affaiblissement politique du pouvoir de Khartoum et d’une mobilisation toujours existante des milices du Sud.

:: Le Sud Soudan face aux défis de la construction institutionnelle et économique les Sud Soudanais-, les deux parties concernées ont pourtant bien maintenu leurs engagements. L’impréparation du processus référendaire, à l’issue duquel les Sud-Soudanais (mais aussi les ressortissants du Sud-Soudan dans huit pays étrangers) se sont prononcés à 99% pour leur indépendance, avait en effet fait craindre le pire. A la mi-novembre, le processus d’inscription des votants était tout juste entamé, la promulgation de la loi sur le referendum accusait 17 mois de retard et la commission électorale fut constituée seulement en mai 2010. Les délais de préparation ont été sérieusement raccourcis par rapport au calendrier

Etendu sur un territoire de 589 745 km2 contenant une population évaluée entre 8 et 10 millions d’habitants, le Sud-Soudan fournit au pays entier plus de 85% de sa production pétrolière de 470.000 barils par jour, selon les estimations, soit 90% des exportations, et ce malgré les problèmes politiques qui le secouent. Toutefois, la valorisation et l’exportation de cette ressource échappent largement au gouvernement autonome de Juba, au Sud, car c’est le Nord qui abrite les raffineries et les terminaux portuaires pour l’exportation. Sans industrie, l’économie du Sud est essentiellement une économie de subsistance dépendante des capacités techniques du Nord Soudan. Quel chemin vers le développement choisiront les nouvelles autorités sud-Soudanaises ? Et surtout vers quels partenaires se tournerontelles  ? L’enjeu des hydrocarbures a probablement

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surdéterminé les questions liées au processus de paix, et les puissances mondiales, à l’instar de la Chine et des Etats-Unis, qui ont soutenu les sud-Soudanais, pourraient très bien exiger d’être remerciés en contrats d’exploitation. La société civile, qui n’est pas toujours très structurée au Sud-Soudan, ainsi que les organisations internationales devront veiller à ce que l’économie puisse répartir les richesses et profiter à tous. Le pouvoir qui va se mettre en place devra éviter les écueils de l’économie de rente et faire vivre un consensus et une entente entre les différentes tribus du sud-Soudan avec de réels investissements dans le développement, l’éducation ou l’emploi. Un engagement diplomatique fort est tout autant nécessaire après le référendum car certaines interrogations importantes ne sont toujours pas résolues, à l’instar du tracé frontalier disputé de la région d’Abyei et les droits liés à la citoyenneté. Un bon nombre des inquiétudes des populations sont toujours présentes : les tensions risquent d’augmenter le long de la frontière entre le Nord et le Sud entre les communautés pastorales migrantes à la recherche d’eau et de pâturages, et les communautés locales. La question des minorités est elle aussi toujours sur la table,   les Murles, les Kachipos, les Anyuaks, les Jies, les Longarims, les Didingas et les Boyas représentent les principales minorités exposées aux attaques des Dinkas, ethnie dominante. Elles auront besoin d’être assurées que leurs droits seront maintenus et leur sécurité garantie par les autorités des deux pays. La communauté internationale et le futur gouvernement du sud-Soudan seront aussi dans l’obligation d’investir dans la mise en place de forces de police et de sécurité, jusqu’à présent peu formées et mal équipées, ainsi que dans un système judiciaire à même de satisfaire les besoins des plus vulnérables et de garantir au gouvernement l’application de la volonté étatique. Ces aspects sont d’autant plus importants pour la sécurité nationale et la sécurité internationale que le sud-Soudan se situe sur cette diagonale de la déstabilisation sécuritaire entre les vastes espaces désertiques que sont le Sahara et le Sahel d’un côté et la Somalie et le Golfe Persique de l’autre. C’est bel et bien sur cet axe difficile à contrôler que les trafics susceptibles de déstabiliser le plus les Etats Africains s’opèrent, drogues, armes,

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trafics d’êtres humains ou de matières premières.

:: L’enjeu du développement et le rôle de la société civile La genèse du conflit soudanais est née de l’échec de faire vivre une véritable solidarité nationale ainsi qu’une équitable répartition des richesses au sein d’un système fédéral. C’est avant tout la dynamique de l’Etat central et sa capacité à intégrer par un modèle politique et économique qui est en jeu. Car la stabilité d’un Etat dépend de la capacité à rendre attractif économiquement la détention de sa citoyenneté qui engloberait aussi une identification culturelle et une compréhension entre les différentes communautés. Au Soudan ce processus de construction nationale

et étatique n’a pas pu s’enraciner au Sud, à cause, il faut le souligner, du profond désintérêt voire un mépris des populations du Nord envers celles du Sud. La définition nationale de l’identité soudanaise et la structure de l’élite restèrent extrêmement exclusives et restrictives. Ces processus de construction et de stabilisation d’une identité nationale prennent des décennies et dans le cas du sud-Soudan, l’enjeu à venir est la concrétisation d’une indépendance politique en un véritable Etat qui sait inclure toutes les communautés de son territoire.

Après que la communauté internationale ait fait pression pour conserver intact le processus de paix, les organisations de la société civile, qui travaillent, elles, sans recours à la contrainte, doivent prendre le relais. Elles pourront élaborer un accompagnement dans la durée, qui bouclera la dernière étape d’une pacification de la région.  Pour entrer dans une nouvelle logique, trois axes d’action devront être particulièrement étudiés et travaillés : la démobilisation des soldats, le désarmement et la réhabilitation ou insertion des miliciens dans la société civile.

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Ces politiques seront à penser dans le cadre de la création des forces de sécurité de l’Etat sud-soudanais, afin d’inclure les miliciens dans ses forces, mais également de désarmer ceux qui ne les intégreront pas. Enfin la stabilité politique pourrait bénéficier du renforcement de l’intégration régionale entre les économies voisines. Consolider les liens économiques entre les pays de la même sous-région, canaliser les flux migratoires pour stabiliser les équilibres communautaires, et stimuler les échanges commerciaux pourraient sur le long terme renforcer la paix par des perspectives de liberté et de développement plus fortes. Dans le contexte actuel, la construction d’une gouvernance réformée, consensuelle et respectueuse des intérêts régionaux est une priorité pour le Sud Soudan, la communauté africaine dans son ensemble mais aussi pour la communauté internationale.

:: La géopolitique du Sud Soudan. La géopolitique et les intérêts économiques du nouveau pays l’attirent vers son voisin du Nord, dont il vient de se séparer, mais son passé politique récent l’en détournera à coup sûr durant ses premières années d’existence. Sur le moyen et long terme les deux parties de ce qui constituait le Soudan entretiendront probablement des liens économiques très forts. La composante confessionnelle et ethnique du nouvel Etat le poussera à intégrer, lui aussi, le groupement sous régional IGAD (Ouganda, Ethiopie, Kenya, Soudan, Somalie Djibouti) et notamment établir une coopération renforcée avec trois autres des Etats qui composent ce groupement, le Kenya, l’Ouganda

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et l’Ethiopie, dont une partie de la population sont des mêmes ethnies et de la même religion. Au sein de l’Union africaine, très proche d’ailleurs puisque son siège est en Ethiopie, le sud-Soudan aura vocation à être un trait d’union entre les pays arabes africains et les pays d’Afrique noire ; deux groupes qui se sont affrontés, de manière feutrée mais assez significative, lors de la question de son indépendance. Le nouvel Etat du Sud Soudan, sera privé d’accès direct à la mer, élément capital pour l’exportation de matières premières et le développement du pays. Il sera également environné de conflits non résolus et particulièrement déstabilisateurs. Les conflits du Darfour et du Nord Kivu sont dans des phases d’accalmie, mais au Nord, la guerre civile en Libye fait rage, et de l’Est à l’Ouest, une transversale s’est constituée sur laquelle on peut situer de nombreux groupes terroristes islamistes. Que ce soient les groupes AQMI ou AQPA ou encore les Chabab somaliens, tous cherchent à exploiter une zone immense pour y établir refuges et réseaux d’approvisionnement en armes. Le Nord du Soudan, lui, réduira son voisinage à cinq pays dont deux font partie de la Ligue arabe (en vert sur la carte), la Libye et l’Egypte. Enfin le groupement sous régional auquel le sudSoudan adhérera le plus probablement est l’IGAD, Autorité Intergouvernementale pour le Développement sous l’égide duquel s’est construit le processus de paix au Soudan. C’est également le seul groupement sous régional dans lequel collaborent des pays arabes et des pays d’Afrique noire.

L’AFGHANISTAN : UN LABORATOIRE DU PEACEBUILDING En matière de gestion de crises, l’Afghanistan est à bien des égards un cas distinct de la plupart des conflits contemporains. L’intervention de l’OTAN en 2001 est la première intervention unilatéralement décidée, dirigée en premier lieu contre une infrastructure terroriste (Al-Qaïda) et contre le régime qui l’abritait sur son territoire (le régime des Talibans). Pour la première fois également, le déploiement de l’OTAN a été effectué en application de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, qui garantit l’entrée en guerre des alliés pour protéger l’un des signataires agressés. Cette intervention n’a pas été mandaté directement par le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, mais celui-ci avait néanmoins réaffirmé dès le 12 septembre 2001 « un droit à l’autodéfense, individuelle ou collective  »1. Un large consensus international avait consenti à cette opération, qui reposait sur des bases légales notamment sur l’obligation de combattre le terrorisme, de lui couper ses sources de financement et de lui dénier tout refuge territorial, énoncées dans les résolutions 1269 (1999) et 1373 (2001).

guérilla armée des Talibans alimentée dès 2005 en techniques de combat et en hommes par un autre foyer de conflit  : l’Irak. L’intervention de la coalition a remporté un succès rapide sur le terrain les premiers mois mais n’a pas su consolider la paix. Cette intervention pose par extension le problème de la façon dont la communauté internationale peut créer une dynamique pérenne de « peacebuilding », un processus de construction et de solidification institutionnelle pour préparer le départ de l’opération de maintien de la paix. Suite à la victoire remportée par l’OTAN sur le terrain, l’organisation des NationsUnies a décidé de gérer la paix par la procédure classique inscrite au chapitre VII de la charte qui commande les opérations de maintien de la paix. L’International Security Afghan Force (ISAF)2 a été

:: La fin du consensus politique afghan sur fond de problème sécuritaire Dès octobre 2001, la progression des troupes de l’OTAN s’est appuyée sur la création d’une coalition afghane, regroupant une partie des belligérants de la guerre civile (1991-2001) et notamment les troupes de l’Alliance du Nord, composées essentiellement de combattants de l’ethnie tadjike, minoritaire dans le pays. Les accords de Bonn du 5 décembre 2001 ont validé la présidence d’Hamid Karzaï, issu de l’ethnie pachtoune majoritaire, un président réélu en 2009 au terme d’un scrutin contesté. En effet, neuf années après les accords de Bonn, le front uni des chefs de guerre et des multiples ethnies afghanes s’est fissuré sur fond d’une dégradation de la situation sécuritaire. Depuis 2006, le pays connait une renaissance de la

1- Résolution 1368 2- Résolution 1368 du 20/12/2001

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créée dès décembre 2001 sous la forme d’un mandat onusien. Mais dès 2003, à l’initiative des Etats-Unis et du Royaume Uni, le Conseil de Sécurité accepte le principe de la placer sous le commandement unifié de l’OTAN pour en garantir l’efficacité et la réactivité. Le forum MEDays 2010 a réuni un panel d’experts et d’élus afghans, mais aussi américains et pakistanais, afin de cerner les raisons de l’échec relatif de la communauté internationale à consolider un Etat afghan indépendant, soutenu par sa population.

:: Des institutions et des pratiques démocratiques en mal de réforme Parmi les panélistes, le Dr. Abdullah Abdullah leader politique de l’Alliance du Nord, a participé aux gouvernements de coalition en tant que chef de la diplomatie. Il est désormais l’opposant au président Karzaï qui a le plus grand poids politique. Lors de l’élection présidentielle de 2009, il est arrivé en seconde position avec près d’un tiers des votes avant de se retirer de l’élection la jugeant inéquitable et soupçonnant le président sortant d’en avoir trafiqué les résultats; Hamid Karzaï a donc été réélu par défaut. Le scrutin ne sera pas reconduit et la réaction de la communauté internationale n’est pas allée audelà d’un rappel des principes démocratiques, sans qu’elle ne désavoue politiquement Hamid Karzaï. L’analyse de l’opposition afghane est que le cadre de gouvernance appliqué a consacré la déconnexion entre gouvernement et population à cause de la centralisation excessive et le défaut d’équilibre entre les différents pouvoirs. Sabrina Sagheb, députée afghane et panéliste du MEDays 2010 explique que le renversement du régime taliban par la coalition a certes permis aux femmes d’avoir de nouveau un rôle public dans la société afghane, mais qu’elle ne se représentera pas aux législatives prévues depuis octobre 2010 -mais non tenues jusqu’ici- car elle estime que le Parlement est une façade démocratique sans réel pouvoir, situation qu’elle ne souhaite plus cautionner. Le Président dirige par des décrets, qu’il met en application quand bien même le Parlement

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s’y oppose. Cette nouvelle représentativité des femmes et de la société civile est donc suspectée de n’être limitée qu’à un pouvoir de consultation sans pour autant permettre une responsabilité politique du Parlement. L’opposition afghane est donc d’avis qu’une réforme constitutionnelle est nécessaire et qu’elle devra consacrer une responsabilité effective du gouvernement devant le Parlement national. La corruption favorisée par la faible rémunération des autorités administratives sur le terrain est devenue endémique; on estime qu’elle représente 250 Millions USD par an pour l’un des pays les plus pauvres de la planète. Cette situation a pour conséquence directe la fragilisation des représentants du gouvernement central dans les régions et favorise la stratégie des Talibans qui s’en prennent directement aux personnes physiques représentantes de l’autorité publique pour décourager les efforts de reprise en main et paralyser les moyens d’action du gouvernement. Les populations, écœurées par le manque d’efficacité et d’avancée des projets de développement, se tournent de plus en plus vers la force des Talibans. « La désapprobation morale du régime, son absence sur le terrain et la crainte qu’inspirent les forces rebelles, forment la conjonction d’éléments qui favorise la protection des Talibans par la population et le renouveau de la guérilla », déclare notamment Keith Ellison, membre de la commission des Affaires étrangères de la chambre des Représentants des Etats-Unis. Avant de compléter par l’idée d’un sursaut de la politique de développement qui pourrait suivre le sursaut militaire qui a été décidé en 2008 par le Président Obama.

:: Donner la priorité au développement économique L’aspect central d’une vraie politique qui peut diminuer le poids des Talibans est la préoccupation pour le développement économique. Sept afghans sur dix n’ont toujours pas d’accès à l’électricité et cette situation limite la capacité du gouvernement à les soutenir et communiquer avec eux, ainsi que la perception qu’ont les afghans de la progression de leur cadre de vie. Sans électricité, les moyens de

communication radio ou téléphonique n’existent pas, les hôpitaux ne peuvent fonctionner, les techniques agricoles modernes ne peuvent se propager. Ce délaissement favorise en fait le développement de la culture du pavot, ainsi que la famine. Enfin sans éclairage les progrès du système éducatif ou de l’enseignement demeurent limités.

répondre aux besoins de base ; plus de 2000 cas de choléra ont été déclarés dans la capitale sur l’année 2009. En la matière, si la coalition de l’OTAN maintient que son objectif est de consolider le gouvernement afghan, elle devra faire en sorte que de son côté de la ligne de front les populations aient des conditions de vie significativement meilleures.

L’absence d’une véritable stratégie économique de développement et d’un support international pour la reconstruction a d’emblée condamné le gouvernement afghan à fonctionner avec des moyens réduits, et pour tout dire inefficace, afin de lutter contre la paupérisation de la population. Entre 2001 et 2010 on estime que la population de Kaboul a quadruplé sans que les services publics ne puissent

:: Perpétuer un soutien régional et international La stabilité en Afghanistan intéresse le Pakistan pour des raisons internes ; car durant la décennie de guerre civile afghane ce dernier a vu affluer un flot de deux millions de réfugiés afghans. Le pays pourrait par conséquent souffrir à nouveau si la stratégie de sortie de crise de l’ONU ne garantit pas la stabilité de son voisin. Le Pakistan conserve une relation compliquée avec l’Afghanistan, car ses forces de sécurité sont soupçonnées d’avoir entretenu des relations de collaboration avec le régime taliban dans le passé -sans même parler des soupçons que ses liens se soient perpétués aujourd’hui. Politiquement les islamistes sont partie prenante de la vie politique et sécuritaire du Pakistan, et la guerre de la coalition internationale contre eux s’est déplacée dans les « zones tribales » du Nord-Ouest du pays, au Waziristân notamment. Toute l’évolution politique en Afghanistan a un impact au Pakistan. En sus faut il considérer que les montagnes afghanes constituent, aux yeux des militaires pakistanais, une profondeur stratégique dans le face à face avec l’Inde. La vallée de l’Indus, foyer économique du Pakistan, est extrêmement vulnérable à une éventuelle invasion terrestre. Dans les scenarii d’un éventuel conflit conventionnel avec l’Inde, les stratèges pakistanais considèrent comme dangereux qu’un régime inamical puisse s’installer en Afghanistan. Cette perméabilité entre les problèmes de l’Afghanistan et ceux du Pakistan posent un problème stratégique majeur à la communauté internationale, qui a tenté de le solder avec une déclaration conjointe de Kaboul en décembre 2002 dans laquelle les deux pays s’engagent à une non-ingérence dans les affaires de l’autre et à une relation de bon voisinage. En l’absence d’un système de gouvernance fort et crédible, et si le retrait des troupes de l’OTAN est

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achevé en 2014, (tel que prévu par l’organisation), le scénario de la reconquête de l’Afghanistan par les forces talibanes deviendra possible, ouvrant la possibilité qu’un sanctuaire terroriste renaisse. Le Pakistan ou certains des membres de son appareil d’Etat a déjà fait ce calcul. Les objectifs de l’opération internationale en Afghanistan seront dès lors compromis à long

terme. Ces paramètres rendent nécessaires le rétablissement d’un Etat légitime et le déblocage d’un soutien économique international. A l’aune des discussions sur les questions de reconstruction et d’aide internationale, on pourra conclure encore une fois que sans gouvernance crédible et efficace, cette aide sera aussi ruineuse qu’inutile.

Intensité des violences en Afghanistan par région

Sources : icasualties.org, nato.int/ISAF

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Les panels de discussion du MEDays 2010 consacrés à la prévention des conflits, au Soudan et à l’Afghanistan :

Résolution des crises, prévention des conflits et sécurité globale : comment renforcer les institutions régionales ? - Grigol Vashadze : Ministre des Affaires étrangères de la République de Géorgie - Göran Lennmarker : Président du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), ancien député européen, ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe - Moctar Ouane : Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération de la République de Mali - Bakary Fofana : Ministre des Affaires étrangères de la République de Guinée - Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou : Professeur associé à l’Institut des études internationales de Genève, ancien ministre des Affaires étrangères de la République islamique de Mauritanie

MODÉRATION : Raghida Dergham, journaliste et correspondante diplomatique, Al Hayat

Comment renforcer la prévention des conflits et le maintien de la paix en Afrique ? Ghazi Salahuddine Atabani : Conseiller politique du Président de la république du Soudan Lam Akol : Secrétaire général du Sudanese People Liberation Movement for a Democratic Change, ancien Ministre des Affaires étrangères de la république du Soudan Joseph Maïla : Directeur de la prospective au Ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française Ahmedou Ould-Abdallah : Ancien représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest Mauro Garofalo : Représentant du bureau des relations internationales de la communauté de Sant’Egidio

Modération : Erik Nyindu, directeur de l’information, VOXafrica TV

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Peacebuilding: L’Afghanistan est-il un laboratoire à ciel ouvert ? - Abdullah Abdullah : Leader de l’opposition afghane, Ancien ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Afghanistan, - Zalmai Haquani : Professeur à l’université de Caen Basse-Normandie, ancien ambassadeur d’Afghanistan en France et au Maroc - Sabrina Sagheb : Membre du Parlement de la République islamique d’Afghanistan - Khurshid Mahmood Kasuri : Ancien Ministre des Affaires étrangères de la République islamique du Pakistan - Keith Ellison : Membre du Congrès des Etats-Unis, représentant du 5ème district du Minnesota, membre de la commission des Affaires étrangères - Torek Farhadi : Ancien conseiller économique à la présidence de la République islamique d’Afghanistan

MODÉRATION : Abderrahim Foukara, Chef de bureau à Washington, Al Jazeera

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RECOMMANDATIONS : Institutions multilatérales : - Conforter et approfondir les mécanismes de gestion des conflits et de prévention des crises par des stratégies d’appui à la société civile. - Dans la gestion post conflit, systématiser les mécanismes de justice transitionnelle en accord avec la société civile.

Région Afrique du Nord et Moyen Orient : - Organiser une conférence régionale sur le contrôle de la violence armée en Afrique du Nord et Moyen Orient, notamment pour étudier l’impact de la violence armée sur le développement.

- Une conférence entre les pays Africains, l’IGAD, la Ligue Arabe, les pays occidentaux, l’Inde et la Chine pour un appui international à la construction de l’Etat Sud-soudanais, notamment des forces de sécurité. Il faut initier un dialogue régional et international entre les partenaires des deux Soudan pour assurer la pérennité de la paix et de la stabilité.

OTAN et Afghanistan : - En prévision du retrait progressif des forces de l’OTAN, la communauté internationale doit bâtir une stratégie pour le développement en Afghanistan pour compléter le pilier d’appui à la sécurité. L’Etat afghan doit s’impliquer d’avantage dans une véritable politique de développement sur laquelle les efforts de la communauté internationale pourront trouver un support.

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ISRAËL - PALESTINE : 2011, L’ANNEE DE L’ETAT PALESTINIEN ? MEDays 2010 a été l’occasion pour Saeb Erakat de présenter la nouvelle stratégie diplomatique palestinienne pour contraindre Israël à conclure un accord de paix définitif sur la base des revendications historiques des Palestiniens. Pour la première fois, les Palestiniens se détachent de la condition préalable du règlement définitif pour demander leur reconnaissance en tant qu’Etat. L’Institut Amadeus a inclus dans sa déclaration de Tanger un appel aux chefs d’Etat à reconnaitre l’Etat palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem Est comme capitale. Le processus de paix au Moyen Orient n’a pas connu d’avancée réelle en 2010 malgré la pression des membres du Quartette -et des Etats-Unis en particulierpour l’ouverture de négociations. La nouvelle stratégie palestinienne est une conséquence directe de cet état de fait. Pourtant, l’administration Obama avait fait le choix stratégique d’ouvrir le dossier des négociations israélo-palestiniennes dès son investiture, ce qui permettait de déployer une action diplomatique de longue durée jusqu’à échéance de son mandat. Après une année 2010 infructueuse, 2011 est une année charnière à double titre pour Obama, c’est d’abord celle du mi-mandat  ; et, mauvaise nouvelle pour le président américain, les élections de mid-term, en novembre 2010, l’ont privé d’une majorité Démocrate à la Chambre des Représentants. En deuxième lieu, 2011, c’est l’année où le président avait donné rendez vous à la communauté internationale pour la création de l’Etat palestinien. En fait les marges de manœuvre en politique intérieure se sont réduites pour Barack Obama alors que l’année est cruciale pour le Moyen-Orient, les alliés du Premier ministre israélien, essentiellement des élus néo conservateurs, verrouillent désormais d’autant mieux les débats parlementaires à Washington. Au moment même où les Palestiniens réclament la reconnaissance d’un Etat, les élus américains, depuis le Congrès, cherchent à contrer toute velléité de pression sur Israël et tente de freiner la nouvelle stratégie palestinienne, afin

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d’éviter qu’un calendrier ne soit imposé à l’Etat hébreu. Enfin, 2012 sera une année d’élection présidentielle, celle où le président Obama entre en campagne pour un deuxième mandat, et cela signifiera un recentrage sur les questions intérieures, peu propice à ce que la diplomatie américaine s’avance au Moyen-Orient. Dans le processus de paix, les Etats-Unis restent tout à la fois un médiateur incontournable mais plus que jamais contraint politiquement par un Etat israélien qui est une partie consubstantielle de sa vie politique. Et tant qu’ils ne pourront apporter la preuve du contraire, leur relation avec le monde arabe restera ambigüe.

:: La reconnaissance d’un Etat palestinien : un pilier central de l’agenda 2011 au Moyen Orient L’agenda 2011 au Moyen Orient, si cela est possible de prévoir un agenda qui est de plus en plus défini par de nouveaux acteurs1, portera donc en grande partie sur la campagne palestinienne pour la reconnaissance internationale. En effet les Palestiniens ont tiré comme conclusion de l’incapacité du gouvernement américain à stopper la colonisation israélienne qu’il était temps de se faire reconnaitre par la communauté internationale comme Etat membre de plein droit de l’Organisation des Nations-Unies, et ainsi, proclamer de nouveau leurs frontières. La stratégie palestinienne, énoncée par Saeb Erakat, le négociateur en chef, se décline en plusieurs temps respectant le timing et les procédures de la charte de l’Organisation des Nations Unies. Le Secrétaire général des Nations Unies la soumettra au vote du conseil de sécurité, où elle devra remporter 9 votes sur 15 sont nécessaires. Si elle est approuvée l’Assemblée Générale peut l’entériner en réunissant une majorité de deux tiers de ces membres- soit 129 sur 194. Reste l’éventualité d’un blocage notamment par une puissance disposant du droit de veto au Conseil, et de fait, il y a une probabilité très forte que l’administration américaine estime qu’il faille empêcher ce vote en utilisant son veto. Hypothèse probable, car il y a fort à parier que le lobby politique pro-israélien observera de près le vote, et soumettra à des pressions politiques l’administration Obama. Face à ce risque, l’Autorité palestinienne, qui compte bien ne plus dépendre d’aucun veto, exhume une résolution, nommé «  l’Union pour le maintien de la Paix  » -ou résolution numéro 377- qui prévoit que si l’un des membres permanents du Conseil de sécurité oppose son veto, alors que le quorum de

9 voix est atteint, l’Assemblée Générale pourrait se saisir du dossier. La résolution 377, d’ailleurs créée par les Etats-Unis pour contourner à l’époque un veto chinois sur la question de la Corée, donne la possibilité d’étendre les compétences de l’Assemblée en matière de paix et sécurité au cas où le vote d’un membre permanent du Conseil de sécurité bloque une décision nécessaire pour préserver la paix. L’Assemblée générale, peut d’ailleurs se réunir en séance exceptionnelle pour cela et adopter des résolutions à l’encontre du Conseil de sécurité. Si elle échoue dans l’une ou l’autre de ces alternatives, l’Autorité Palestinienne avance deux options : obtenir de l’Organisation des Nations Unies des mandats internationaux sur les territoires occupés,  et en cas d’échec de cette option, prononcer sa dissolution tout en cherchant le rattachement de la Palestine à la 4ème convention de Genève. Cette convention régit le cas de personnes civiles en temps de guerre, et dès lors qu’elle s’appliquera, la charge morale et politique de l’occupation militaire pèsera de facto sur Israël. Cette ultime option constitue probablement une dissuasion afin d’empêcher la diplomatie israélienne d’engager de front une campagne pour faire échouer le vote à l’Assemblée générale. Mahmoud Abbas, le président palestinien a donc entamé une partie de poker en diplomatie internationale et souhaite clairement en faire appel à l’instance onusienne pour démontrer le soutien aux revendications palestiniennes d’une majorité des Etats membres. C’est un recours désespéré via les quelques armes diplomatiques dont il dispose afin de confronter les Etats-Unis à un choix  : la perte de leadership dans la région ou le soutien à la revendication palestinienne. Si Mahmoud Abbas obtient un Etat il sera le héros arabe qui a vaincu par des moyens pacifiques, s’il échoue il sera présenté comme la victime de la duplicité américaine.

1- Comme en atteste la flottille d’aide humanitaire qui est parvenu à porter un regard médiatique plus fort sur le blocus de Ghazza

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La diplomatie palestinienne a-t-elle une chance d’obtenir les revendications historiques dans l’enceinte multilatérale ? :: Un Congrès Américain réticent et un probable veto américain L’évolution du calendrier palestinien a d’ores et déjà mis l’administration américaine en porte à faux avec le Congrès mais aussi avec son camp politique, puisque moins d’un mois après l’annonce de la stratégie palestinienne, la Chambre des Représentants sortante votait la résolution 1765, le 15 décembre 2010. Cette résolution, qui n’a pas valeur contraignante, non seulement « appelle les leaders Palestiniens à cesser de rechercher la reconnaissance internationale de leur Etat mais appelle également le gouvernement des Etats-Unis et ceux des pays étrangers à ne pas reconnaitre l’Etat Palestinien avant un accord final entre Palestiniens et Israéliens ». Le négociateur en chef palestinien Saeb Erakat, déclarera en réaction à ce vote que « il est de la souveraineté de chaque Etat de reconnaitre ou ne pas reconnaitre un autre Etat et que le congrès des Etats-Unis n’a pas à légiférer sur ce sujet. ». Au vue du récent veto américain, le 20 février dernier, à une proposition de résolution de l’ONU condamnant la poursuite de la colonisation israélienne, pourtant votée par 14 membres du Conseil de sécurité et soutenue par 130 Etats, la reconnaissance de l’Etat palestinien pourrait bien recueillir un assentiment majoritaire au conseil de sécurité et à l’Assemblée Générale. Comment ne pas remarquer qu’à l’occasion de ce vote, les quorums nécessaires aux Palestiniens ont été atteint à la fois au Conseil de sécurité et à l’Assemblée ?

:: Les Etats unis en porte à faux entre leur rôle de médiateur et une mise en minorité devant les institutions de l’ONU Pour l’instant, la diplomatie américaine et l’administration Obama de manière générale, ne souhaite pas se prononcer sur la reconnaissance de l’Etat palestinien et indique qu’elle le fera «  en temps et en heure  ». Nonobstant la complexité du déclenchement de la procédure de «  l’union pour le maintien de la paix  », la diplomatie palestinienne a pourtant de bonnes chances d’aboutir par cette voie à ce que l’Assemblée générale vote en sa faveur. Les Etats-Unis eux-mêmes en ont conscience, même si ils accepteront difficilement d’être contournés par l’Assemblée Générale. Aussi puissant qu’ils peuvent l’être, ils n’ont pourtant pas toutes les cartes en main pour contrer cette initiative. Le président Obama le reconnaissait lui-même à mi-voix lors de son discours  à l’Assemblée Générale l’an dernier: «  je sais que nombreux parmi vous sont ceux qui se sentent proches des Palestiniens2…». Certes la diplomatie des Etats-Unis dispose de son veto au Conseil de sécurité pour empêcher toute résolution reconnaissant la Palestine, mais l’utiliser signifiera prendre la responsabilité d’affronter directement et publiquement le vote de l’Assemblée générale et en particulier l’opinion arabe. Au moment même où l’issue du conflit est incertaine en Afghanistan, où l’Etat irakien apparait encore fragile, au moment où les troupes américaines déployées dans les pays musulmans sont nombreuses, les Etats-Unis peuvent ils courir ce risque ? Au-delà, c’est le symbole d’un leadership mondial qui pourrait vaciller, pris dans la politique du « deux poids, deux mesures », stigmatisé

2- Discours de Barack Obama, 24 septembre 2010 devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies

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d’un soupçon permanent d’ambigüité, la politique des Etats-Unis pour étendre la démocratie ou les Droits de l’Homme sera entachée d’un soupçon indélébile.

:: La reprise des négociations est nécessaire La reconnaissance internationale de l’Etat palestinien menace tout autant Israël d’un isolement international et privera l’Etat hébreu d’un levier majeur dans ses négociations avec les Palestiniens. Jusqu’ici, le cadre de contrainte des Israéliens reposait sur une clé majeure : la reconnaissance étatique. Preuve en est l’engagement maintes fois répété des Palestiniens à ne pas chercher la reconnaissance internationale avant la signature de l’accord de paix. Pour autant, pour Israël, cette reconnaissance ne sera pas sa « Nakba », la grande catastrophe, à l’égal de ce que fût la reconnaissance par l’ONU de l’Etat hébreu pour les Arabes en 1948. Car le rapport de force sur le terrain est bel et bien en faveur d’Israël et ses dirigeants ont su démontrer par le passé qu’affronter la communauté internationale ne les effrayait pas. La reconnaissance de l’Etat palestinien pourrait donc ne rien changer à la conception de la paix pour les Israéliens et rien aux réalités du terrain telles que vécues par les Palestiniens.

3- Source rapport de la CNUCED, TD/B/56/3, 7 août 2009 4- Idem

La stratégie diplomatique palestinienne doit donc s’accompagner d’une reprise des négociations pour un accord définitif respectant les intérêts stratégiques de l’Etat d’Israël. En fait, comme le dit lui-même le président palestinien, la reprise des négociations est nécessaire mais à partir de janvier 2011, il souhaite découpler l’objectif de la reconnaissance internationale et l’avancée des négociations de paix. Les Palestiniens, depuis 1992, ont eu à négocier avec cinq gouvernements israéliens différents ce qui a signifié parfois reprendre les négociations du point de départ. Fin 2010, l’Autorité palestinienne contrôle moins de territoires en Cisjordanie qu’en 1996, le PIB par habitant des Palestiniens a décru3 de 1400 à 1330 USD entre 1995 et 2009, la nation est politiquement divisée, le chômage n’a pas diminué depuis 1995 (30% pour tous les territoires et 50% pour la bande de Gaza4). L’arrêt de la colonisation israélienne, seul engagement concret d’Israël indiquée dans la Feuille de Route élaborée par le Quartette, n’a jamais vraiment été complet alors que les violences de la deuxième Intifada ont cessé et qu’une réforme budgétaire et institutionnelle de l’Autorité palestinienne a été menée. Pour ne pas perdre le soutien de sa population assez sceptique sur la volonté israélienne de négocier, l’Autorité Palestinienne est par conséquent contrainte d’élaborer cette stratégie internationale pour obtenir la reconnaissance de ses droits.

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Quel partenaire pour la paix en Israël ? :: Une gauche affaiblie Suite à l’échec des négociations de camp David en 2000, les partis politiques favorables à une paix négociée qui prenne en considération les revendications palestiniennes, sont politiquement très affaiblis en Israël. Ce camp de la paix, qu’on assimile souvent à la gauche, est en miettes. D’une assise électorale de 35%5 en 1992, le parti travailliste s’est réduit à une portion congrue de 10% en 2009. Tandis que le Meretz, la gauche non travailliste, a plongé de 10% à 3%6 sur la même période. Parallèlement, les partis « religieux » ou les partis communautaires, représentant notamment les nouveaux arrivants russophones, ont augmenté leurs scores électoraux. Ces partis appellent parfois ouvertement à renvoyer les Arabes israéliens dans les territoires occupés.

:: Le parti travailliste au gouvernement Netanyahou Daniel Ben Simon, ancien président du groupe travailliste à la Knesset, avance cependant une thèse lors de MEDays 2010  : alors que la gauche israélienne est défaite politiquement, l’acceptation de la paix et de la solution à deux Etats n’a jamais été aussi forte dans la société israélienne. En résumé les idéaux de la gauche se sont infusés dans la société israélienne au fur à mesure de son affaiblissement en tant que force politique, elle se serait en quelque sorte dissoute dans l’âme de la majorité de la population. Les Israéliens se prononcent majoritairement pour la solution à deux Etats dans les enquêtes d’opinion malgré le fait que Ehud Barak en 2000 puis Ehud

Graphique 1. L’érosion de la gauche israélienne. Les partis de la gauche israélienne, favorables à de plus larges concessions pour aboutir à la création de l’Etat palestinien, ont connu un effritement très important de leurs scores aux élections nationales depuis plus de 20 ans. En 1992, sous la conduite d’un parti travailliste dirigé par Yithzak Rabin, ils avaient réussi à obtenir une majorité historique pour la paix. Par la suite la perte de leur influence a été proportionnelle à l’enlisement du processus de paix.

5- Chiffres officiels israéliens, Knesset 6- Idem INSTITUT AMADEUS 2011 RAPPORT

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Graphique 2. La montée du poids des partis religieux au sein de la droite. Après son revers historique en 1999, à l’issue du premier gouvernement Netanyahou, le Likoud, parti historiquement le plus important de la droite israélienne a connu une nette victoire avec Ariel Sharon en 2003. Depuis il compose de plus en plus avec les partis religieux ou communautaires notamment Shas et Israel Beitenou, les plus importants d’entre eux. Les positions du Likoud se sont dès lors durcies notamment vis-à-vis de la colonisation car il en va de sa survie politique en tant que parti à vocation majoritaire.

Olmert en 2008 aient largement clamé qu’ils n’avaient jamais eu un partenaire pour la paix ni en Yasser Arafat, ni en Mahmoud Abbas. Aujourd’hui sans poids politique, le parti travailliste s’est scindé en deux mouvements, sa droite, quatre ministres conduits par Ehoud Barak a intégré la coalition au pouvoir. Sa gauche, huit députés qui ont gardé le nom « travaillistes » a rejoint l’opposition. Le parti travailliste implose du fait de sa participation depuis 2009 à un gouvernement Netanyahou qui n’a pas fait la moindre avancée sur le dossier de la paix avec les Palestiniens. La raison fondamentale qui avait guidé le parti à entrer dans une coalition avec la droite conservatrice, dont Netanyahou est la figure de prou, n’a pas résisté aux faits. En 2009, les travaillistes avaient pensé que seule la droite conservatrice de Netanyahou était capable de rassembler et de faire accepter cette nécessité de la paix à son électorat ; donc qu’elle était la mieux placée pour rassembler à cette idée « toutes les tribus d’Israël », c’est-à-dire les religieux également. Devant le statu quo et à la vue de

cette année 2010 perdue pour la paix, les travaillistes ne cautionnent plus.

:: Kadima : un parti du centre qui se pose en recours pour la paix Depuis les législatives de 1999, la politique israélienne ne se résume cependant plus seulement aux deux grands camps politiques qui l’ont longtemps structurée. La droite autour du Likoud, ou la gauche autour du parti travailliste, ont en fait perdu du terrain face aux partis centristes. En 1999, l’apparition de ce nouvel espace politique est visible dans les chiffres agrégés (cf. graphique 3) mais il est éclaté en différents partis. Lorsque Ariel Sharon lance Kadima en 2005, il capte cette réserve de voix et structure un gouvernement autour de son parti, une alliance se maintiendra au pouvoir jusqu’en 2009 et qui est aujourd’hui encore la première force politique du pays.

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Dynamiques électorales en Israël. Quel partenaire pour la paix pour les Palestiniens ? Graphique 3. Un espace politique qui s’agrandit au centre. Depuis notamment l’élection de 1999, dans laquelle Ehud Barak menait les travaillistes, de nombreux électeurs se sont tournés vers les partis centristes. C’est l’espace sur lequel s’est positionné Kadima lors de sa création. Ariel Sharon, alors Premier ministre élu à la tête du Likoud, avait créé le parti de toute pièce car son retrait unilatéral de Gaza lui avait perdre l’ascendant sur le Likoud.

Graphique 4. La Knesset actuelle Après son revers historique en 1999, à l’issue du premier gouvernement Netanyahou, le Likoud, parti historiquement le plus important de la droite israélienne a connu une nette victoire avec Ariel Sharon en 2003. Depuis il compose de plus en plus avec les partis religieux ou communautaires notamment Shas et Israel Beitenou, les plus importants d’entre eux. Les positions du Likoud se sont dès lors durcies notamment vis-à-vis de la colonisation car il en va de sa survie politique en tant que parti à vocation majoritaire.

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Aux élections de 2009, Kadima se maintient comme la première force parlementaire mais ne parvient pas à établir un gouvernement autour de l’objectif stratégique de faire aboutir le processus de paix. Seul Benjamin Netanyahou a été en position de forger une coalition gouvernementale  ; la droite conservatrice et les partis religieux sont majoritaires dans le pays. Après la sortie de la coalition gouvernementale de huit députés travaillistes, le gouvernement de Benyamin Netanyahou ne tient que par le bon vouloir de ces partis religieux et ultra conservateurs. Politiquement il est impossible de prévoir quelle coalition pourra s’engager clairement dans une négociation pour un accord définitif avec les Palestiniens. Cependant en l’état actuel des choses, il est certain que la seule possibilité d’arriver à un accord de paix sous cette mandature est une alliance de Benjamin Netanyahou avec Kadima, le seul parti qui peut lui offrir une majorité pour la paix. La leader de Kadima, Tzipi Livni, a déclaré être prête à entrer au gouvernement si celui-ci voulait réellement signer un accord de paix avec les représentants palestiniens. Elle a notamment clarifié ses positions sur le processus de paix lors du forum MEDays 2009  : une solution à deux Etats, la reprise des négociations depuis le point le plus avancé et repousser le fait religieux de la solution politique du conflit, notamment pour le cas spécifique de Jérusalem (voir p.151). Toutefois il est peu probable que Benyamin Netanyahou s’engage dans une alliance avec les partis soutenant la paix. Un tel mouvement politique saperait probablement la base électorale de son mouvement politique.

:: Comment impliquer les sociétés civiles pour réaffirmer un processus de paix ? L’échec du processus de paix d’Oslo, c’est aussi, et bien au dessus des considérations tactiques et politiques, l’échec à établir une relation de confiance entre les peuples Palestiniens et Israéliens, et au-delà entre les Israéliens et les Arabes. Dans les rapports quotidiens, il s’établit des murs d’incompréhension voire de haine entre les différentes communautés. Cette peur renforce les aspirations communautaires et le vote de droite en Israël. Elle bouche les perspectives politiques de paix et renforce la frustration de la population palestinienne face à un processus de paix qui n’avance pas depuis quinze ans. Cette situation affaiblit la position des leaders qui sont favorables à la paix négociée et qui en connaissent le prix, notamment l’actuel président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ou encore la gauche israélienne qui a déjà implosé. Pourtant dans de nombreuses études d’opinion, les deux populations se sont exprimées pour une solution à deux Etats (à plus de 70% en moyenne). C’est un paradoxe que de voir les populations favorables à un règlement de paix et les leaders bloqués dans les jeux politiques. Le débat doit dorénavant s’ouvrir entre politiques et sociétés civiles au-delà des temps électoraux. Il s’agit de parler des concessions qui peuvent être portées pour concrétiser cette solution et car c’est bien là le cœur du problème.

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Camp David et les paramètres Clinton Pendant la dernière administration démocrate américaine, celle de Bill Clinton, les négociations avaient échoué à Camp David puis Taba, quelques semaines seulement avant la fin du mandat du président américain. Ultime texte vestige de cette période d’espoir, les « paramètres Clinton » situaient le cadre d’un accord entre Israéliens et Palestiniens. Les négociateurs d’alors s’accordaient à dire qu’il n’aura manqué que quelques semaines pour arriver

Sujet de négociations / initiatives et propositions

Territoires

Sécurité

à un accord final à partir de ces paramètres. En 2003, l’initiative de Genève, qui a réuni des personnalités politiques pour une négociation informelle sous les auspices du ministère des Affaires étrangères suisse, avait conclu un accord sur les bases posées par le président Clinton. Du côté palestinien, le négociateur principal est Yasser Abd Rabbo, membre du bureau exécutif de l’OLP et côté israélien Yossi Beilin, ancien ministre de la justice et président du parti Meretz.

Paramètres Clinton 2000

Entre 96 et 98% de la Cisjordanie ; 100% de la bande de Gaza. Echange de terres pour compenser les concessions en Cisjordanie

100% de la bande de Gaza, 98% de la Cisjordanie. Compensation 1 pour 1 des terres aux frontières de Gaza et de la Cisjordanie.

- Un Etat palestinien sans armée mais une protection des Etats-Unis en cas d’agression extérieure. Des forces de police palestinienne armées.

- Retrait de l’armée israélienne et prise de contrôle en 30 mois. 3 phases : une première étape en 9 mois, deuxième en 20 mois.

- Une collaboration de sécurité avec Israël.

- Un Etat palestinien démilitarisé mais doté de forces de sécurité renforcées et de services de renseignement.

- Pas de troupes israéliennes à la frontière Est de la Palestine (celle d’avec la Jordanie) mais éventuellement une force multinationale.

- Jérusalem Est (Al Qods) capitale de l’Etat palestinien, Jérusalem Ouest (Yerushalim) capitale d’Israël. - Principe général d’un respect de la ligne du 4 juin 1967.

Jérusalem

Lieux Saints

Initiative de Genève 2003

- Vieille ville : les quartiers arabes et chrétiens sous souveraineté palestinienne. Le quartier juif sous souveraineté israélienne.

- Principe d’une souveraineté palestinienne. - Gestion des lieux par les autorités religieuses.

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- Maintien pendant 36 mois d’un bataillon israélien de 800 hommes dans la vallée du Jourdain. Deux stations israéliennes d’alerte rapide en territoire palestinien. - Jérusalem Est (Al Qods) capitale de l’Etat palestinien, Jérusalem Ouest (Yerushalim) capitale d’Israël. - Concession en dehors de la ligne de 1967 : colonies de Ma’al Adummin, Pisgat Ze’ev, Gilo deviennent israéliennes. - Vieille ville : souveraineté palestinienne sur le Haaram a sharif et sur 3 des 4 quartiers de la vieille ville (arménien, chrétien et musulman) mais pas sur le quartier juif. - Souveraineté territoriale palestinienne, gestion déléguée aux autorités religieuses, présence multinationale dont l’OCI pour le contrôle et la gestion des lieux.

:: L’enfermement du processus de paix sur les huis clos politiques En effet le fossé entre ce que les négociateurs peuvent avancer pendant les discussions et les aspirations des populations est extrêmement grand. En janvier 2010, lorsque la chaîne qatarie Al-Jazira et le journal quotidien britannique the Guardian révélaient sur la foi de documents écrits ce que les négociateurs Palestiniens pourraient avoir concédé, notamment sur la question du partage de Jérusalem, les réactions politiques et populaires ont été vives en Palestine mais aussi dans le monde arabe. Les populations palestiniennes n’accepteront pas facilement que des revendications historiques soient mises dans la balance pour trouver un accord de paix global. Pourtant dans ces fuites révélées par le Guardian et Al-Jazeera, il n’y avait rien de nouveau pour les connaisseurs du processus. Les positions palestiniennes exprimées sont les mêmes que celles qui ont été synthétisées dans les «  paramètres Clinton  » de 2000. Cela signifie en fait que les rounds de négociations se sont cantonnés aux têtes politiques, sans démarche d’explication envers les populations. Du côté israélien, certains ne voient pas l’intérêt de concéder quelque chose à des Palestiniens affaiblis par un blocus à Gaza et un contrôle militaire en Cisjordanie. Et pour l’Autorité Palestinienne le débat inter palestinien se cristallise autour de la dénonciation de sa faiblesse dans la négociation. L’OLP et le Fatah, dès lors qu’ils ont renoncé au pouvoir de nuisance de l’action armée et n’ont rien obtenu dans les négociations, sont suspects de trop grande complaisance et d’erreur stratégique.

:: Rendre intelligible les logiques politiques sur le terrain Pour les populations qui supportent les conséquences de l’occupation, les symboles et les faits sont de première importance. Ce sont ces populations qui vivent au quotidien les évolutions in situ du processus

dans leurs déplacements, sur le prix des produits, sur leurs emplois ou sur leur sécurité. La population palestinienne notamment a une idée extrêmement précise de ce qu’elle a à gagner du processus de paix. Son adhésion à l’idée de la paix aux côtés d’Israël est en fait acquise mais les questions demeurent l’échéance, la manière d’y aboutir et les conditions. Les actions militaires d’Israël entre 2002 et 2009 avaient pour but de briser chez les populations palestiniennes l’idée qu’elles puissent arriver à gagner leurs droits par la violence, en somme faire passer un message politique par une action militaire. Cette politique aurait du sens si Israël tirait les leçons sur le terrain politique des évolutions en termes de sécurité. En Cisjordanie par exemple, la situation sécuritaire est désormais moins menaçante et en conséquence, le gouvernement israélien devrait le signifier par un retrait de l’armée sur les lignes qu’elles occupaient avant le 29 septembre 2002 (jour du déclenchement de la deuxième Intifada). Israël doit faire un geste qui signifie sa volonté de dialogue d’autant plus qu’il est le pays en position dominante. Etablir une confiance avec des populations palestiniennes chauffées à blanc par les humiliations quotidiennes et la paupérisation ne sera pas simple, d’autant plus que les réponses militaires disproportionnées en termes de perte humaines civiles, comme à Gaza en décembre 2008 radicalisent les Palestiniens et l’ensemble des populations arabes.

:: Stabiliser les leaderships et les doter d’une légitimité politique forte pour arriver à la paix Chaque camp soupçonne qu’une paix signée avec un exécutif qui est susceptible d’être désavoué par un vote ou par un changement politique radical n’aurait aucune valeur. Cela a été l’expérience des Palestiniens quand ils ont négocié avec Yitzhak Rabin, plus tard assassiné, ou le sentiment des Israéliens lorsque le Fatah et le Hamas se sont violemment disputés le contrôle de la bande de Gaza. Le véritable enjeu de construction de la paix réside donc avant

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tout dans les sociétés civiles mais aussi dans l’émergence de leaders qui expriment légitimement la volonté des populations. C’est à dire des leaders démocratiquement élus qui soient dotés de la légitimité de l’action. Côté israélien, le débat public sur les territoires et les démantèlements nécessaires des colonies doit être guidé, accompagné par les leaders politiques, mais aussi par leurs soutiens internationaux, au premier chef desquels les EtatsUnis d’Amérique. Le président Obama devrait par exemple faire à l’attention du monde juif un discours qui soit un signal aussi fort que le discours qu’il a fait au monde arabe et musulman au Caire en juin 2009. La démission de Saeb Erakat de son poste de négociateur en chef, le 12 février 2011, après les révélations des « Palestine paper » doit faire prendre conscience que le camp de la paix dont le Dr. Erakat est un des représentants historiques, a pris de nombreux risques côté palestinien. Les élections de Cisjordanie sont annoncées pour septembre 2011, ce qui permettra aux Palestiniens eux-mêmes de trancher si les leaders palestiniens avaient mandat pour proposer ces concessions. Si ces concessions sont désavouées, Israël devra faire face à des leaders palestiniens aux marges de manœuvre plus réduites en plus d’un environnement régional probablement un peu plus démocratisé. En 2011, le nombre d’élections en pays arabes sera sans précédent dans l’histoire et la démocratisation des leaderships arabes pourraient leur donner une épaisseur et un poids d’une toute autre nature sur la scène internationale.

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Existe-t-il une solution politique pour Jérusalem ? Jérusalem est le grand tabou des négociations de paix. Jamais une solution de partage n’a été rendue publique par des négociateurs officiels israéliens ou palestiniens. Le partage de la ville n’est guère évoqué que par les gouvernements occidentaux qui déclarent que la ville sainte doit être la capitale des deux Etats, celui de Palestine et celui d’Israël. La ligne verte, qui est la frontière de l’Etat hébreu internationalement reconnue (soit la ligne de front du 4 juin 1967), n’inclut aucune partie de la vieille ville dans le territoire israélien. Toutefois la vieille ville fait partie des paquets de négociation.

:: La vieille ville, un tabou pour les négociateurs L’imaginaire collectif juif qui a survécu à travers les siècles lors de la dispersion des communautés de part le monde a toujours conservé l’image de la ville sainte comme le lieu où la communauté juive pourrait se retrouver. La conquête de Jérusalem en 1967 par les soldats de l’Etat hébreu a provoqué un bouleversement dans le projet sioniste. Lorsqu’ils ont pénétré pour la première fois dans la ville, les soldats de Tsahal ont eu le sentiment d’accomplir un morceau de l’histoire millénaire du peuple juif. Dès lors, le jeune Etat israélien au contact de la ville, a replacé le narratif religieux au cœur du projet politique sioniste. C’est la raison pour laquelle les responsables politiques israéliens considèrent que renoncer au contrôle de Jérusalem est un sacrifice extrêmement douloureux, autant électoralement que symboliquement. Ils savent que les partis religieux, qui ont depuis les années 1970 un poids politique grandissant, s’y opposeront coûte que coûte. Ces « religieux » aspirent notamment à conserver le « mur des lamentations  » mur Ouest de l’esplanade des mosquées, derrière lequel ils pensent que gisent les restes du temple de Salomon ; celui que les Romains détruisirent avant de disperser les Juifs à travers le monde pour les punir de leur résistance. Du côté palestinien également, aucune concession n’est possible sur un partage de la vieille ville et plus particulièrement des lieux saints, le «  Haram a Sharif  »,  où se dresse l’esplanade des Mosquées. L’imaginaire arabe recèle lui aussi des narratifs de sacrifice des Arabes afin de conquérir au reconquérir la ville, de la défendre face aux Croisés chrétiens. Aux yeux du monde arabe tout entier, concéder une quelconque souveraineté sur tout ou partie de cette espace serait un sacrilège. De nombreux dirigeants des pays arabes ont clairement fait comprendre aux dirigeants palestiniens que cette négociation là leur

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était interdite. Toutefois il est su que pour aboutir à un accord de paix, l’Autorité palestinienne a envisagé des concessions à Israël sur la souveraineté d’une partie de la vieille ville, sur le quartier juif notamment, à proximité du mur des lamentations. Pour autant il semble qu’elle n’ait jamais concédé de souveraineté ni sur les lieux saints musulmans ni sur le « mur des lamentations  ». La question du partage de la vieille ville, et le statut du «  Haram a sharif  » est une de celles qui a fait échouer les négociations en vue d’un règlement définitif du conflit à Camp David et à Taba en 2000.

:: En l’absence d’accord, une gestion unilatérale de la ville est à l’œuvre L’absence d’accord de paix définitif a des conséquences catastrophiques pour les populations et le patrimoine arabe de la ville de Jérusalem - « Al Qods » dans la dénomination arabe. Ces populations subissent quotidiennement un véritable isolement et de nombreuses humiliations et vexations. Depuis les quartiers arabes de Jérusalem-Est, les travailleurs luttent quotidiennement pour franchir les nombreux « check-points » de sécurité ou les murs de séparation pour aller se rendre sur leur lieu de travail. Plus de 72% des enfants vivant à Jérusalem-Est ont des conditions de vie indécentes, en dessous du seuil de pauvreté. Le système éducatif à Jérusalem-Est affiche lui une carence de 1000 salles de classe. Cet abandon cultive la colère, voire la haine, des jeunes arabes envers le système de l’occupation israélienne. Plus préoccupant encore, l’administration israélienne de la ville ne consulte ni les populations ni les représentants arabes dans les projets d’aménagement. La croissance de la ville entraine de nombreuses questions d’aménagement à résoudre, les transports, les adductions d’eau ou d’électricité. Mais les intérêts et les quartiers à majorité arabe sont marginalisés dans l’action municipale. Cette politique peut désormais tracer des frontières mentales, économiques mais aussi géographiques et préjuger des accords de paix. Non seulement les barrages

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de sécurité ont coupé le lien entre Jérusalem et la Cisjordanie en allongeant et décourageant les trajets des palestiniens vers Al Qods, mais la politique d’aménagement municipal sépare clairement les quartiers juifs, voire les colonies israéliennes environnantes, et les quartiers musulmans. L’occupation israélienne de toute la ville et la croissance des colonies israéliennes à Jérusalem-Est, font craindre que l’Etat hébreu ne veuille imposer des frontières au-delà de la ligne de démarcation du 4 juin 1967. Cette colonisation pourtant internationalement condamnée trouve un prolongement dans l’action municipale. Le nouveau tramway relie par exemple Jérusalem Ouest aux colonies israéliennes de Jérusalem Est (notamment Gilo au sud-ouest et Neve Yaakov et Pisgat Zeev au Nord Est) sans desservir de nombreux quartiers palestiniens au prétexte de la géographie vallonnée de l’agglomération. Ces deux enclaves, Gilo et Neve Yaakov/Pisgat Zeev, sont une menace à la paix car elles dessinent la carte d’un Grand Jérusalem juif, inacceptable en l’état pour les populations palestiniennes. Par ailleurs, les centres culturels arabes de la vieille ville sont fermés ou détruits par les autorités israéliennes sans que les positions de l’Autorité palestinienne, les sentiments des populations arabes ou les déclarations de la communauté internationale ne soient pris en compte. La ghettoïsation physique est prolongée par une communautarisation des mentalités. Dans la vieille ville les différentes communautés se côtoyaient pacifiquement auparavant, aucun mur réel ne peut d’ailleurs y être érigé mais il y a désormais une quantité de murs invisibles. Chaque groupe se replie sur sa communauté et ne communique plus qu’avec les siens. Cette dynamique favorise l’installation des populations les moins ouvertes à la mixité. Les citoyens israéliens les moins religieux cessent par exemple de vivre à Jérusalem et lui préfèrent TelAviv, plus moderne et plus libérale. La conséquence directe est que les juifs orthodoxes, pratiquants et conservateurs, représentent numériquement une plus grande fraction des habitants israéliens de la ville, ce qui favorise le repli communautaire.

:: La « Jerusalem old city initiative » : une solution d’administration paritaire de la ville La vieille ville représente bel et bien le problème le plus épineux pour les négociateurs. Théoriquement sous souveraineté palestinienne, elle sera probablement un sujet de négociation difficile à cause de sa haute charge symbolique, émotionnelle, culturelle et religieuse. Néanmoins des solutions qui ont le mérite

de ne pas préjuger des accords et de retisser un lien social et politique entre les différentes populations de la ville existent. Un projet de l’Université de Windsor (Canada) et du Middle East Institute, le « Jerusalem old city initiative », propose un schéma qui permettrait d’empêcher ou ralentir un morcellement de la ville préjudiciable à la négociation et à la vie quotidienne des populations. L’ambassadeur Arthur Hughes, ancien secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires du Moyen orient au département d’Etat américain a présenté ce projet durant le forum MEDays 2010. Il s’agit de la création d’un régime spécial pour la vieille ville, qui pourrait être supervisé par l’Etat israélien et l’Autorité palestinienne. Les sites religieux continueront à être dirigés par les autorités religieuses selon les modalités en vigueur actuellement. Ce régime spécial concernerait un service de police international constitué de membres israéliens et  palestiniens mais aussi un conseil de gouvernance supervisant l’administration publique de la vieille ville. Ce conseil de gouvernance aurait une composition paritaire et représenterait l’autorité sur la vieille ville et son aménagement. Cette solution présente l’avantage d’être applicable sans attendre le résultat sur le statut final de ce territoire et de pouvoir réintroduire une participation politique des populations arabes à la gestion municipale. De plus, il est impossible ou absurde d’introduire au sein même de la vieille ville, les délimitations concrètes de souveraineté. Des postes frontières aux portes d’entrée, où à l’intérieur même de la vieille ville consacreraient une absurdité, que ne manqueraient pas d’ailleurs de constater les nombreux touristes qui font vivre les habitants de la ville. De telles solutions créatives permettraient dans les faits de renforcer la ville comme un point de contact et d’ouverture entre les deux Etats.

:: Perspective pour la négociation, comment désacraliser la ville dans la négociation ? Malgré tout, il ne peut avoir de solution pour Jérusalem séparée des autres négociations difficiles.

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La négociation sur les limites des souverainetés sur la vieille ville dépend aussi de la façon dont le compromis est abordé sur les autres dossiers sensibles. Si l’on veut aboutir à une paix durable, il faudra traiter les problèmes les plus durs dans un seul et même paquet de négociations ; cela signifiera trouver une solution pour Jérusalem mais aussi pour les réserves hydriques et l’environnement, les réfugiés et les frontières. Il n’est pas concevable de continuer à séparer les sujets. C’est en substance, l’avertissement que formule Yossi Beilin le coprésident et co-négociateur de l’Initiative de Genève, une initiative qui avait aboutit à un accord informel entre Palestiniens et Israéliens en 2003. Cet accord, qui n’avait jamais été pris en considération par le gouvernement israélien d’Ariel Sharon comme une

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base de négociation solide présentait sans aucun doute l’avantage de renouer avec une pratique de négociations qui favorise la créativité, afin de désacraliser la ville dans les discussions et sortir de l’enfermement mental du conflit. La “Jerusalem old city initiative” est l’exemple d’initiative sur laquelle la communauté internationale peut s’appuyer pour donner corps à des outils nouveaux qui instaureront ce rapport de confiance nécessaire. Cependant ces hypothèses de travail doivent prendre corps et permettre un support des pays arabes et de la communauté internationale sous peine de choir dans des tiroirs dont elles ne ressortiront plus.

La valeur de l’initiative arabe de paix dans le processus de négociation L’initiative arabe de paix formulée au sommet de la Ligue Arabe en 2002 à Beyrouth à l’initiative de l’Arabie Saoudite offre une paix régionale à l’Etat d’Israël de la part de l’ensemble des Etats Arabes. Cette paix globale signifie la  normalisation complète des relations économiques et politiques en échange du retrait de l’armée israélienne de tous les territoires

arabes occupés, donc aux frontières du 4 juin 1967. Elle demande également en contrepartie une solution juste au problème des réfugiés palestiniens, et la reconnaissance d’un Etat palestinien avec JérusalemEst comme capitale. Cette initiative a suscité que ce soit en Israël ou internationalement un intérêt bien moindre comparée à la nature exceptionnelle de son contenu laissait supposer. Par exemple, Marc Otte, représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix, rappela, lors des débats, que l’initiative arabe de paix est un instrument extrêmement intéressant mais que l’Union européenne ne peut seule la soutenir ou la présenter comme tel.

:: Une initiative stratégique historique L’initiative de paix arabe représente en fait la dot des Etats arabes dans la corbeille de l’Autorité Palestinienne afin que celle-ci puisse aboutir à une paix favorable à ses intérêts. En effet, elle soutient explicitement les «  revendications historiques  » des Palestiniens, ce qui renforce leur position, eux qui sont dépourvus de poids militaire et stratégique. Dès lors que la négociation de paix entre Israël et les Palestiniens réussit, la paix pourrait être régionale, incluant l’ensemble des pays arabes de la région, qui représentent un véritable enjeu énergétique, une puissance militaire et un débouché économique. D’un autre côté, l’initiative arabe de paix correspond exactement aux revendications historiques d’Israël exprimées depuis 1948  : avoir un Etat reconnu régionalement et vivant en paix avec ses voisins. D’où vient alors que cette initiative n’ait appelé que de rares commentaires officiels israéliens ou qu’il ait fallu attendre le discours du Caire (en juin 2009) pour trouver mention par un président américain de cette initiative qualifiée alors d’importante ? Pourquoi cette proposition n’a pas réussi à mettre fin au conflit du Moyen-Orient ?

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:: La négociation séparée, une constante de long terme de la diplomatie israélienne En fait, il y a de multiples raisons à cela, la première d’entre elles étant la dynamique de la négociation. Les leaders arabes ont certes dépassé le tabou politique de la normalisation avec l’Etat hébreu pour faire cette offre de paix, mais ils n’étaient pas sans savoir qu’Israël aurait une réticence à s’engager dans un cadre de négociation régional. L’initiative arabe de paix a surtout démontré que l’Etat Hébreu ne souhaitait pas la paix immédiate comme option stratégique. Cette preuve, a été faite par son absence de réponse officielle durant de nombreuses années à une proposition inclusive et explicite. Historiquement, Israël a toujours privilégié les accords de paix bilatéraux à une négociation régionale  ; le cas de figure de la conférence de Madrid en 1991 dans laquelle Israël s’était employé à séparer la négociation syrienne de la négociation jordanienne, et enfin éviter la négociation palestinienne, l’avait clairement révélé. L’initiative arabe renforce bien trop le pouvoir de négociation des pays arabes et des Palestiniens en particulier. Pour aborder le cœur de la négociation sur les territoires, les réfugiés et Jérusalem, il convient bien mieux à l’Etat hébreu de négocier avec des Palestiniens affaiblis plutôt qu’avec l’ensemble des pays arabes.

:: Le doute israélien sur la nature ou l’intérêt de cette paix régionale Concernant les bénéfices immédiats pour lui, Israël pose deux grandes interrogations sur l’initiative arabe de paix. Tout d’abord sur sa valeur en tant que paix régionale; ses pays voisins parmi les plus puissants militairement ont déjà signé un accord de paix. Il en a été ainsi de l’Egypte en 1979 ou de la Jordanie en 1994 ; il ne reste donc plus que la Syrie et le Liban parmi les pays frontaliers officiellement en état de belligérance; en somme des conflits «  gelés  » dans lesquels les coups sont portés essentiellement à travers ou contre le Hezbollah. En deuxième lieu,

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les pays avec lesquels Israël a abouti à un accord de paix se sont toujours contentés d’une paix froide, sans que les relations commerciales ou culturelles ne fleurissent réellement, ou que les peuples n’éprouvent une grande sympathie l’un pour l’autre; une paix qui correspond à l’aspiration des populations sans toutefois les rapprocher. Ces deux observations sont mises en avant dans les réflexions et discussions en Israël pour peindre la paix régionale comme une douce utopie. Qui plus est, la principale ligne de défense d’Israël pour ne pas entrer en négociation sur cette initiative arabe est ce sentiment diffus que les peuples arabes pourraient fort bien désavouer la

proposition de leurs gouvernements. La Ligue arabe a donc été invitée à donner des gages de cette volonté de paix à Israël, à présenter cette initiative d’une manière qui lui donne un tour hautement symbolique et un effet de scène plus solennel. Ainsi cette initiative deviendrait visible, soumise au jugement des opinions publiques. L’exemple historique souvent mentionné est celui du président égyptien Anouar El Sadate, qui en 1979, avait théâtralement mis en scène l’annonce de la paix par un voyage en Israël, ponctué par une allocution à la Knesset afin d’interpeller directement les autorités et le peuple israélien. Des millions d’Egyptiens avaient alors accueilli leur président au retour de son voyage par des cris d’acclamation, notamment «  Aachab Yourid el Salaam  » (le peuple veut la paix).

:: Le texte est il négociable ? Au-delà des considérations sur l’essence ou la nature de la paix proposée, le problème essentiel que porte l’initiative de paix arabe pour Israël, ce n’est pas tant la question des territoires que celle des réfugiés palestiniens. Un des rares commentaires officiels israéliens qui se rapporte au potentiel de l’initiative arabe de paix comme base de négociation et de paix régionales est celui d’Ehud Olmert. Alors que l’initiative avait été réitérée au sommet de la ligue arabe à Riyad en 2007, le premier ministre israélien soulignait le refus d’Israël de permettre le retour des réfugiés palestiniens selon les termes la résolution 194, mentionnée par l’initiative comme base d’une solution juste. Cette résolution, qui date du 11 décembre 1948, est notamment formulée ainsi en son article 11 : « le Conseil de sécurité des Nations-Unies décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers». Ce droit au retour, si Israël l’accepte tel quel, changerait clairement l’équilibre démographique entre Juifs et Arabes au sein de la population israélienne. Ce serait la fin du projet d’Etat à majorité juive sur le territoire d’Israël. Ce droit au retour est par conséquent le facteur de blocage, il complexifie la donne à la fois

pour Israël mais aussi paradoxalement pour l’Autorité palestinienne, et il pose des problèmes d’une extrême complexité dans le cadre d’une paix régionale dont les négociateurs auront du mal à s’affranchir.

:: Les réfugiés inséparables de la paix régionale De part le monde vivent sept millions de Palestiniens réfugiés de la guerre de 1948, soit 70% de la population totale palestinienne. La plupart d’entre eux vivent dans les pays de la région, en Jordanie, ou encore en Syrie ou au Liban. Les gouvernements syrien et libanais n’octroient pas la nationalité de leur pays à ces Palestiniens car ils estiment que leur droit au retour est imprescriptible. La question des réfugiés est donc par nature régionale et les concessions que les Palestiniens sont prêts à faire sur cette question dépendra aussi de l’échelle à laquelle se portent les négociations. Pour l’Autorité palestinienne, dirigée d’ailleurs par un réfugié, Mahmoud Abbas, il s’agit d’obtenir justice pour une population qui contribuera à la construction de l’Etat national même si il est par ailleurs pratiquement impossible de tous les accueillir sur le territoire du futur Etat palestinien. Les populations palestiniennes vivant au Liban ou en Syrie sont majoritairement pauvres et ne constitueraient qu’un problème de développement de plus pour l’Autorité palestinienne, sans même parler de certaines de ces communautés qui se sont radicalisées, et qui sont plutôt favorables à une ligne violente envers Israël. S’il n’y a pas compensation pour ces réfugiés, la sécurité d’Israël, de la Palestine mais aussi des pays voisins pourraient être mise à mal par la colère de ces Palestiniens de l’extérieur majoritairement cantonnés dans des camps, en marge de la société de leur pays hôte sans droit à travailler, ni à voter. L’initiative arabe de paix est sans doute une des bases fondamentales pour régler le problème des réfugiés à sa véritable échelle, l’échelle régionale. Pour qu’Israël accepte de s’engager sur la base de l’initiative arabe de paix, la Ligue arabe devra également élucider si le contenu de l’initiative est négociable ou non notamment sur le nombre de réfugiés qui pourraient

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Réfugiés Palestiniens dans la région

Sources : UNRWA

rentrer en Israël et sur le niveau d’indemnisation des autres. En d’autres termes, l’Autorité palestinienne et la Ligue arabe auraient un intérêt certain à définir un prolongement de cette initiative qui aborde précisément les contours de la négociation sur les réfugiés. Le droit au retour est sans doute, côté israélien, une des lignes rouges de la négociation d’autant plus qu’il impacte directement la question de la négociation sur Jérusalem. En effet, en 1948, de nombreux habitants de Jérusalem Ouest et des villages environnants ont été spolié de leurs biens et si ils obtiennent le droit d’y retourner, ils modifieront alors sensiblement la démographie et la géographie de la ville. La question des réfugiés, de par sa nature, est sans doute une des questions les plus complexes, avec celle de Jérusalem, les négociateurs devront trouver

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des solutions extrêmement novatrices et ingénieuses pour pouvoir la résoudre. Ces solutions n’ont pour l’heure pas été proprement esquissées. Les chiffres officieux qui circulent entre négociateurs laissent à penser que Israël accepterait le retour de 10  000 d’entre les réfugiés tandis que les Palestiniens estiment que un million de réfugiés pourraient rentrer en territoire israélien sur une période de dix années. La question des réfugiés s’associe de facto à la question de la majorité démographique, de la nationalité et du droit de vote dans l’Etat israélien. La montée des partis communautaires et de la droite et du centre droit (dans lequel nous classons Kadima) est la conséquence de la prise de conscience des forces de la démographie dans la société israélienne. Le repli identitaire, sur la religion ou la race, de la société israélienne s’explique aussi par la crainte de perdre le projet d’un Etat israélien à majorité juive.

Les intervenants sur les thématiques Moyen-Orient par panels de discussion :

Quelles nouvelles initiatives pour relancer le processus de paix ? - Marc Otte : Représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Moyen-Orient - Keith Ellison : Membre du Congrès des Etats-Unis, représentant du 5ème district du Minnesota, membre de la commission des Affaires étrangères - André Azoulay : Président de la fondation Anna Lindt, conseiller de sa Majesté le Roi Mohammed VI du Maroc - Saeb Erakat : Négociateur en chef de l’Autorité palestinienne - Daniel Ben Simon : Député de la Knesset, président du groupe travailliste

MODÉRATION : Octavia Nasr, Fondatrice de Bridges Media Consulting, rédactrice de OctaviaNasr.com, ancienne présentatrice à CNN

Jérusalem : existe-t-il une solution politique ? - Arthur Hughes : Conseiller pour le « Jerusalem Old City Initiative » de l’Université de Windsor, (Canada) chercheur associé au Middle East Institute, ancien secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires du Proche-Orient du département d’Etat (USA) - Ahmad Tibi : Député de la Knesset, secrétaire général du parti Ta’al - William Shomali : Evêque du patriarcat de Jérusalem - Daniel Ben Simon : Député de la Knesset, président du groupe travailliste - Yossi Beilin : Co-président de l’initiative de Genève, président de « Beilink international relations », ancien ministre de la Justice d’Israël et ancien président du parti Meretz

MODÉRATION : Charles Enderlin, journaliste, chef du bureau de France 2 à Jérusalem, auteur de nombreux ouvrages sur le processus de paix dont « le rêve brisé », « le grand aveuglement » et « les années perdues »

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Panel E1: Rapport de confiance et dialogue politique : l’Initiative Arabe de Paix peut-elle être décisive ? - Said Hindam : Chef de la planification des politiques et de la gestion de crise au ministère des Affaires étrangères de la République arabe d’Égypte - Robert Danin : ENI Enrico Mattei chercheur senior pour le moyen orient au « Council on Foreign Relations », Ancien chef de cabinet, bureau du représentant du Quartette à Jérusalem - Janos Hovari : Secrétaire d’Etat adjoint, ministère des Affaires étrangères de la République de Hongrie - Bruce Maddy-Weitzman : Marcia Israel chercheur senior à l’Université de Tel Aviv - Gideon Levy : Journaliste chroniqueur, membre de la direction du quotidien israélien Haaretz - Hasni Abidi : Directeur du centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM), professeur invité à l’Université Paris I, La Sorbonne

MODÉRATION : Aziza Nait Sibaha, journaliste, France 24

RECOMMANDATIONS : Communauté internationale : - Une large reconnaissance internationale de l’État palestinien dans les frontières de 1967. - Mettre dans les agendas politique un débat sur l’Initiative arabe de paix, au Congrès des Etats Unis et au Parlement européen ou au Parlement israélien notamment. Animer une synergie des initiatives diplomatiques entre les membres du Quartette, la Ligue Arabe et l’Union Européenne.

Ligue Arabe : - Les États arabes doivent activer un pilotage diplomatique de l’Initiative Arabe de Paix pour une proposition arabe sur les réfugiés.

Union européenne : - L’Union européenne doit formuler une proposition européenne pour la paix qui pourra être un appui aux recommandations du Quartette.

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- Une proposition européenne pour la paix se doit d’approfondir ce que l’Union européenne peut fournir comme incitations, bilatérales ou régionales, pour des mesures de confiance, ou pour régler certaines des questions difficiles, comme celle des réfugiés.

Israël et Autorité palestinienne : - Un retrait unilatéral israélien sur les lignes antérieures au 30 septembre 2002. Ce retrait sera évidemment coordonné avec les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. - Faciliter une gestion administrative paritaire de la vieille ville de Jérusalem entre Palestiniens et Israéliens. - Faciliter des mesures de confiance afin de créer la perspective d’une coexistence côte à côte de deux peuples et de deux Etats.

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GOUVERNANCE

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Etablir les structures d’une bonne gouvernance : le paradigme d’une stabilité de long terme Pour la première fois dans sa jeune histoire, le forum MEDays a abordé la question de la gouvernance, des réformes institutionnelles et de la mise en place d’un cadre démocratique. Pour cela, trois questions ont spécifiquement donné lieu à des débats  : la prévention de la corruption, le rôle des medias dans la construction démocratique et la réforme des forces armées. «  On ne peut indéfiniment brimer le peuple et le maintenir sans liberté d’expression ou de mouvement. Un jour, il souhaitera reprendre sa liberté, par la force s’il le faut.  » Cet avertissement posé par M. Marou Amadou, président du Conseil consultatif national du Niger, lors du Forum MEDays 2010 aura connu une illustration inattendue avec « le printemps arabe » que vivent le Maghreb et le Machrek depuis le début de l’année 2011. Parmi les facteurs sous-jacents à l’origine de ces révolutions, on peut citer entre autres dysfonctionnements  : un manque de participation citoyenne, un accaparement des richesses aux plus hauts niveaux de l’Etat, des élections truquées pour maintenir le régime au pouvoir, une surveillance policière méthodique et une répression violente qui aboutissent à une indignation générale et à un désenchantement. Or, ces pratiques sont de moins en moins tolérées à l’heure de la télévision par satellite, d’Internet et des réseaux sociaux qui permettent aisément la comparaison avec d’autres pays, le contournement de la censure de la presse ou l’échange d’idées de manière relativement anonyme. Face à la soudaineté et l’intensité des mouvements sociaux, la réaction de certains Etats d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient a été de contrôler ou couper Internet et d’autres moyens de communication, espérant que cela empêcherait l’organisation de la contestation. La suspension du média usuellement qualifié de virtuel a révélé qu’il était au contraire bien ancré dans le

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réel. Face au silence de l’écran d’ordinateur, les gens sont tout naturellement descendus dans la rue pour échanger, exprimer leurs ressentiments vis-à-vis de leur régime et bien sûr s’organiser. Autre point commun de ces systèmes désavoués, le

rôle des forces de sécurité dans la montée au pouvoir, la construction des régimes autoritaires ou de leur chute. Egypte, Tunisie, Lybie ou encore Guinée, tous ces Etats ont connu des forces de sécurité qui prennent une place de plus en plus prépondérante dans le système étatique, parfois par un coup d’Etat sans que par la suite l’armée rende le pouvoir politique à une nouvelle autorité civile dans un délai raisonnable ou sous une forme constitutionnelle. A contrario, certains exemples de pays qui ont accompli leur démocratisation ont montré que l’armée peut avoir un rôle dans la bonne application de la Constitution et faire revenir le système dans un cadre démocratique. Ainsi au Chili, la réforme des forces armées a aidé le régime civil à accomplir totalement la transition démocratique, en faisant pression sur le général Pinochet afin qu’il renonce définitivement à son statut de sénateur à vie qu’il détenait encore dix ans après le début de la transition. Au Niger, l’armée a mené des coups d’Etat chaque fois que les gouvernants se sont écartés de la lettre de la Constitution et n’ont pas respecté l’Etat de droit. Ces interventions ont été acceptées par la population car le but est d’éviter la mise en place d’un régime dictatorial. Le dernier coup d’Etat, en février 2010, visait à évincer le président Mamadou Tandja qui souhaitait modifier la Constitution pour renouveler son mandat au-delà de la limite initialement prévue. Il a abouti à une transition organisée et des élections présidentielles tenues sans incident en mars 2011.

:: La complexe mise en place d’une vie institutionnelle partisane et démocratique La révolte et/ou le coup d’Etat peuvent donc trouver des justifications dans des aspirations populaires ou des écrits qui régissent les modalités de la vie politique d’un pays. La stabilité d’un régime, sa capacité à durer, dépend ultimement de la mise en place d’une gouvernance étatique et politique attentive aux règles édictées ou aux revendications de liberté. Cette forme de gestion de la vie publique est généralement dite «  bonne gouvernance  »  ; un concept que l’on peut définir comme un instrument de développement opéré par une rationalisation de l’action étatique. Cela se traduit par une nécessaire

augmentation des standards nationaux en matière de libéralisation politique, de respect de la règle de droit, des droits de l’homme, de la lutte contre la corruption ou encore de la transparence dans l’action publique. Cette démarche participe à la stabilisation du régime par le rehaussement de la confiance de la population et des investisseurs dans un Etat. Une bonne répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif et surtout l’alternance politique participent aussi à cette logique. La possibilité d’un changement pacifique de majorité et la responsabilité des dirigeants devant leurs électeurs obligent les partis politiques à prendre en compte l’intérêt de leur population et de ses composantes sociales dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Ce mécanisme ne peut être efficace que s’il se déroule dans le cadre d’élections transparentes et cela présuppose par conséquent une lutte efficace contre les votes frauduleux et achetés. De même, le pluralisme politique ne constitue pas un handicap dans l’exercice du pouvoir mais peut être au contraire un instrument de médiation sociale important. La diversité politique a un impact majeur sur l’investissement des citoyens dans le système politique et leur acceptation du dit système et de ses règles lorsqu’ils ont le sentiment que leurs idées et intérêts sont défendus par l’une ou l’autre offre politique en présence. Cette revendication est la plus mise en avant par les mouvements civiques, car la bonne gouvernance requiert une concordance entre le résultat des urnes et la couleur politique des dirigeants au pouvoir. Parfois la lutte électorale peut accentuer les clivages sociaux et prolonger la lutte par d’autres moyens. La non-reconnaissance du résultat des urnes par les candidats peut en revanche déstabiliser totalement un pays. Les récents développements guinéens et ivoiriens mettent en évidence ces risques de troubles sociaux qui ont pour conséquence le ralentissement voire une paralysie de l’économie ainsi que la discorde nationale. Malgré ces pratiques néfastes des jeux politiques et électoraux, multipartisme, vote transparent et équilibre des pouvoirs représentent les piliers de ce que les institutions internationales nomment la gouvernance démocratique.

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:: Des instruments internationaux largement ratifiés mais inégalement appliqués

des manifestants de la place Tahrir pour la transition du régime, outre l’élaboration d’une nouvelle Constitution, tournaient essentiellement autour de revendications sociales et politiques que l’on peut rattacher aux deux pactes de 1966.

Les engagements à établir une gouvernance démocratique ont été ratifiés par la plupart des Etats par le biais des instruments internationaux de protection des droits le l’homme. Il s’agit notamment du pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international des droits économiques sociaux et culturels (PIDESC), plus connus sous l’appellation de ‘’pactes de 1966’’. Même s’ils sont largement ratifiés -167 pays ont ratifiés le PIDCP et 160 le PIDESC- leur respect n’est toutefois pas uniforme selon les régions du monde. A titre d’exemple, tous les pays de la région maghrébine et moyen-orientale, à l’exception de l’Arabie Saoudite, les ont signés et ratifiés. Néanmoins, l’effectivité de ces instruments est pour le moins relative, car elle doit se traduire dans des pratiques institutionnelles et politiques nationales. Certains pays utilisent l’argument du relativisme culturel ou religieux pour nier le caractère inextricable du respect des droits de l’homme et de la bonne gouvernance. Ce faisant, ils refusent d’adhérer à ces instruments et dénient de facto ces droits civils et politiques à leurs citoyens. Dans d’autres pays, les dirigeants vont arguer du fait que leur population n’est pas prête pour l’établissement d’une démocratie pleine et entière, du fait de son niveau d’éducation moindre ou du niveau de vie inférieur. Quant aux pays occidentaux, traditionnels promoteurs des notions de démocratie et de droits de l’homme, nombre de dirigeants pensaient que les populations arabes, par exemple, ne seraient pas capables de renverser leur système politique pour exiger l’extension et le respect de leus droits civils et politiques. La croyance selon laquelle les revendications politiques ne pourraient se dissocier du facteur religieux était bien assise. L’hiver 2011 et les révoltes arabes auront été l’occasion de démontrer que pour les pays musulmans, la religion n’est pas fatalement centrale dans leur pensée politique et leur approche de la vie publique. Ainsi, lors de la révolution égyptienne, les revendications

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L’autonomie et la liberté de la presse sont deux points demandés par les manifestants et garantis par l’article 19 du PIDCP, relatif à la liberté d’expression. Cet article énonce que «  ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des idées de toute espèce […], sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix  ». La liberté en matière de presse est une composante majeure de la bonne gouvernance car elle participe à la transparence de l’action gouvernementale, à l’information et à la mise en perspective des différents points de vue. La possibilité pour les journalistes de révéler à l’opinion publique des dysfonctionnements ou de proposer des pistes d’amélioration des politiques publiques ne doit

pas être perçue comme une entrave au processus démocratique. En janvier 2011, un député européen rappelait à un Premier ministre d’un Etat de l’Union européenne que l’information a le devoir de déranger la sphère politique, en ce sens qu’elle fait partie de la structure de la démocratie et qu’elle participe à sa consolidation. Durant les MEDays, Marc Ellenbogen, Président de Prague society, rappelait également le rôle de chien de garde de la démocratie occupé par la presse dans la préservation des valeurs démocratiques. Pour autant, si cette liberté confère aux journalistes des droits, elle impose également des devoirs comme le professionnalisme, l’intégrité ou l’éthique de l’information. Libertés d’association et libertés syndicales, également exigées récemment dans de nombreux pays arabes, sont essentielles dans la mise en place d’une bonne gouvernance, car elles favoriseront l’apparition d’un pluralisme politique et un renforcement du rôle des partenaires sociaux dans les progrès sociaux, conditions nécessaires à la multiplication des réformes institutionnelles. Le premier alinéa de l’article 22 du PIDCP, relatif à la liberté d’association, pose ainsi «  le droit pour toute personne de s’associer librement », avec pour conséquence logique la possibilité de création de partis politiques, et l’étend au «  droit de constituer des syndicats ». Quant à l’article 8 du PIDESC, relatif à la liberté syndicale, il engage les Etats à garantir le libre exercice des activités des syndicats. Ces deux dispositions permettent néanmoins de limiter ces droits pour des raisons d’intérêt national, d’ordre public ou de protection des droits et libertés d’autrui. Il faudra constater que ces trois catégories de motifs font malheureusement l’objet d’une utilisation abusive de la part d’Etats non-démocratiques et ne servent que de prétexte à l’interdiction de la manifestation organisée par des courants de l’opinion publique. Si à court et moyen terme, ces restrictions ont des conséquences limitées, elles peuvent à long terme, déboucher sur une révolte populaire, qui ralentira le pays dans son progrès social et fera vaciller l’ordre politique. Au-delà des droits sociaux et politiques, l’amélioration du niveau de vie est également l’une des composantes

des traités internationaux de 1966, en ce sens qu’elle participe au développement économique, et donc au progrès social. L’article 7 du PIDESC oblige les Etats à reconnaitre aux travailleurs des «  conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment […] la rémunération qui procure, au minimum […] un salaire équitable ». Force est de constater que la mise en place d’une rémunération minimale qui garantit un salaire permettant de satisfaire les besoins primaires est l’une des revendications des manifestations égyptiennes. Remarquons également que c’est la confiscation d’un outil de travail, le stand de vente mobile de Mohamed Bouazizi, qui a débouché sur son immolation, évènement fondateur de la révolution tunisienne. Les politiques économiques visant à mettre en œuvre une justice sociale sont des éléments de pacification sociétale et ne doivent pas être négligées.

:: L’importance du respect des droits de l’Homme Le point faible de la notion de droits de l’Homme est le suivant : qu’ils les respectent ou pas, les Etats vont trop aisément brandir cet étendard afin de se donner une respectabilité sur le plan international. A titre d’exemple concret, il suffit de citer le rapport remis par la Libye à la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples quelques jours avant la révolution de février 2011  : «  La grande Jamahiriya attache une importance particulière au droit du citoyen à s’exprimer librement  » ou encore «  La loi pénale libyenne comporte suffisamment de garanties concernant la protection du droit de la personne à l’intégrité physique et morale  ». Pourtant, sans parler spécifiquement de ce pays, torture, mauvais traitements ou détentions secrètes sont encore trop répandus à travers le monde. A titre d’exemple, le rapport sur la torture 2010 de l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture estimait que plus de la moitié des Etats-membres de l’ONU ont recours à ce procédé. La lutte contre le terrorisme est une justification souvent avancée car la définition même du terrorisme est floue (il en existe plus d’une centaine en droit international). De plus, ce prétexte est utilisé comme blanc-seing pour réprimer

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167

l’opposition politique. Sans aller jusqu’à cet extrême, les mauvais traitements de la part des forces de l’ordre restent encore fréquents dans de trop nombreux pays. Intimidations, violences ou interrogatoires musclés sont des moyens légitimes pour des agents souvent sous-payés et mal formés. Pourtant, il serait faux de penser que la peur du gendarme éradique la critique. Certes, elle la masque mais d’un autre côté, elle ne fait qu’augmenter un ressentiment à l’égard des gouvernants qui sera démultiplié en cas de mouvement social d’ampleur. Toutefois, ce musèlement du débat politique a pu favoriser le soutien populaire à des mouvements terroristes qui ont choisi la voie de la confrontation totale avec les régimes. Ainsi, bien que son soubassement idéologique soit éloigné de l’instauration du règne des droits humains ou politiques, Al Qaida, en tant que projet politique, est née de l’alliance entre des hauts dignitaires du Jihad Islamique Egyptien et du saoudien Oussama Ben Laden. Deux pays où alternance politique, liberté d’expression et respect des droits de l’homme n’étaient pas établis, loin s’en faut. L’argument soulevé par les régimes autoritaires

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

168

selon lequel la répression est légitime lorsqu’elle est menée contre des opposants politiques, soutiens du terrorisme ou éventuellement des terroristes potentiels, a perdu en crédit. Les gouvernements occidentaux, qui pendant de nombreuses années ont acquiescé à l’argument, semblent bel et bien remettre en question cette rhétorique. La justification de l’état d’exception en raison de la menace terroriste pourrait être remise en question très rapidement dans les chancelleries occidentales. Cette prise de conscience ne pourra s’étendre à travers le monde que par le passage des droits civils et politiques vers les droits économiques et sociaux.

:: La bonne gouvernance : prisme d’un cadre économique et politique vertueux Les économistes et les analystes politiques considèrent qu’il y a un lien direct entre la gouvernance démocratique et la capacité d’un pays à conserver ses richesses et à drainer les investissements. Le montant

des prêts bancaires non-performants ou celui des actifs des nationaux placés à l’étranger –autrement appelés fuite des capitaux- renseignent par exemple utilement sur l’état d’un système bancaire, de sa dépendance à l’égard du pouvoir politique ou sur la perception par les populations aisées et éduquées des opportunités économiques dans leur pays. Ces critères permettent aussi de classer les systèmes et les pays entre Etat fort et attractif et Etat faible et autoritaire. Car pour les populations, avoir un gouvernement dont l’action est plus transparente a un impact direct sur la perception qu’elles en ont et sur leurs capacités à conduire un projet d’investissement pour augmenter leur niveau de vie. Elles seront généralement plus enclines à s’acquitter de l’impôt ou à innover et investir. La bonne gouvernance, l’édiction de règles communes qui permettent aux populations de se projeter dans le temps, a donc un effet vertueux qui peut permettre un élargissement de la base fiscale. Acquitter l’impôt est généralement considéré comme le geste le plus symbolique de la soumission volontaire de la population à l’ordre politique. D’autre part, l’élargissement de la base fiscale est un enjeu majeur pour l’Etat afin de garantir son budget, de même que la justice fiscale entre contributeurs et citoyens. De ce budget consolidé dépendra alors sa capacité à investir et à créer des services publics; ce qui favorisera le lancement de politiques plus ambitieuses. Par ailleurs, dans le contexte particulier de la mondialisation économique les autorités publiques sont amenées à prendre des décisions stratégiques rapidement pour capter les investisseurs ; elles sont donc jugées sur un critère d’efficacité. Elles sont également jugées sur leur attractivité économique et les conditions favorables à l’investissement. Toutefois, la confiance des investisseurs étrangers dans l’économie d’un pays est également fonction de la stabilité politique qu’ils y anticipent. Attirer un investissement qui génère les financements de projets et favorise la création d’emplois sur le territoire devient alors une question de structure politique et de calcul de risque sur le long terme. S’il veut capter des

investissements dans les secteurs les moins rentables économiquement mais au service de sa stratégie nationale de développement, l’Etat doit prendre conscience qu’il sera jugé sur sa capacité à faire vivre des pratiques politiques et institutionnelles pacifiées. Un Etat stable, avec des élections démocratiques, un réel débat public et une liberté d’expression aura donc plus de chance de bénéficier d’une croissance pérenne. Il récoltera également d’autres fruits que sont la hausse du niveau de vie, du niveau d’études et donc une augmentation de la protection des droits économiques et sociaux. Le dernier pilier de la bonne gouvernance politique et économique est l’instauration d’une institution judiciaire efficace, neutre, indépendante des influences de l’argent ou des influences partisanes. La justice est non seulement au service de l’arbitrage légal mais aussi au service de l’arbitrage économique. Elle assure une fonction essentielle qui est celle de définir dans chaque cas de conflit ce que l’autorité publique a légiféré et décidé. Elle interprète les lois et fait l’arbitrage selon le curseur précédemment posé par le pouvoir législatif. Le renforcement et la crédibilité du pouvoir judiciaire constitue la condition sine qua non pour enclencher une dynamique positive pour les citoyens afin que le droit soit connu et appliqué. Pour les entreprises, elle permet de régler leurs litiges commerciaux et de protéger leurs actifs. Les possibilités de recours effectif et le double degré de juridiction doivent garantir la cohérence de la chose jugée avec la loi, en droit interne et au regard de la Constitution, mais aussi et enfin l’effectivité des engagements internationaux, tels que les pactes de 1966, dans les systèmes juridiques nationaux. La démocratie n’a donc pas simplement trait au niveau économique et social d’un pays, c’est avant tout un apprentissage permanent et un perfectionnement qui permet de créer les cadres d’un système organisé pour traduire les besoins des citoyens dans des politiques de terrain.

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

169

La mise en place d’organes de lutte contre la corruption Le rapport 2010 de Transparency international sur la perception de la corruption montre que les trois quarts des Etats sont perçus comme étant corrompus. Mais si ce phénomène est un problème identifié par les gouvernants, la réponse politique est

souvent limitée. Pourtant, si la mise en chantier de la lutte contre la corruption n’est pas évidente, elle

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

170

constitue néanmoins une composante essentielle de la quête de la bonne gouvernance car la corruption constitue une privation de l’accès au service public. Pour son édition 2010, le Forum MEDays a donc choisi d’aborder les problématiques de lutte contre la corruption en réunissant le ministre de la justice de la République du Congo, des responsables d’agences de lutte anti-corruption et des experts de haut niveau afin de comparer leurs expériences. Ces échanges ont mis en avant certaines similitudes dans les choix à adopter afin d’éviter que le combat ne soit biaisé entre les circuits de corruption et les institutions de lutte contre la corruption. Tout d’abord, les instruments internationaux fournissent une base de départ dans les moyens à mettre en œuvre, mais cela n’est pas suffisant. La Convention des Nations-Unies contre la corruption, ratifiée par 150 Etats, donne des bases pour identifier les incriminations, mettre en place des stratégies de lutte ou encore associer la société civile. D’autres conventions régionales existent comme en Europe ou en Afrique. Ces instruments montrent une incitation internationale à enclencher une dynamique vertueuse. Pour autant, sa mise en place sur le plan interne nécessite une volonté politique de long terme. Changer les mentalités, que ce soit au sein de l’administration ou dans les rapports commerciaux, n’est pas une logique de court terme mais oblige à une lutte quotidienne. Les acquis en la matière ne sont pas immuables et peuvent disparaitre. A Madagascar, l’instabilité politique qui touche le pays depuis deux ans a eu pour conséquence le retrait des bailleurs de fonds dans le financement de la lutte contre la corruption, et une augmentation du phénomène. Au Kenya, l’agence de répression, si elle a connu de multiples succès ces dernières années, met en garde contre le désintérêt de la classe politique et des citoyens pour cette question. C’est donc une approche de l’action publique qu’il convient de changer.

:: Le choix entre institutions de prévention et de répression

Quant aux autorités spécialisées à proprement parler, elles ont pour vocation la « détection et la répression » de la corruption. Il peut s’agir de forces de police ou de corps de magistrats spécialisés qui ne font que cela et utilisent les moyens de police traditionnels d’enquête et d’investigation. Toutefois, leur succès n’est pas garanti. Notamment si la corruption dans le pays est trop endémique, et qu’elle touche jusqu’à la justice et les forces de l’ordre. L’absence de soutien politique est également cruciale dans l’efficacité de la lutte.

La mise en place de législations contre les malversations dans la passation des marchés publics, d’achats d’agents publics ou d’autres infractions financières est une nécessité. Ceci fait, les gouvernants se doivent d’élaborer une stratégie nationale de lutte et de prévention de la corruption, afin de faire le diagnostic sur l’étendue du phénomène et de choisir les organes adéquats à mettre en place. La convention des Nations-Unies en distingue deux types.

:: Des institutions indépendantes aux moyens d’action multiples

D’un côté, les organes de prévention sont chargés de mettre en œuvre les pratiques de prévention, d’évaluation des instruments juridiques et des mesures administratives ainsi que la diffusion des connaissances sur son domaine d’activité. A l’instar des sociétés les plus démocratiques, cela peut se traduire par l’obligation de déclarations de patrimoine pour les élus nationaux, les ministres et les agents en charge des marchés publics. Obligation qui peut être étendue à leurs conjoints. Le but étant de dissuader les tentations de malversations. Autre type d’action : la confrontation périodique des législations à la pratique, et surtout la communication des résultats au grand public. En effet, l’accès à l’information par la société civile est essentiel car la mise en avant des corps corrompus permet de faire pression sur eux. L’organe peut également transmettre aux autorités judiciaires toute suspicion émanant de leurs travaux ou tout cas qui serait porté à sa connaissance.

Parmi les points communs entre ces deux types d’institutions : le caractère essentiel de l’indépendance de leurs membres. Leur nomination doit s’effectuer dans la transparence. Il est également nécessaire que les membres soient issus de l’ensemble de la société civile. Quant aux ressources matérielles et financières, la Convention préconise de les fournir en fonction des demandes. Toutefois, il n’est pas rare que les directeurs d’agences aient des difficultés à faire passer ce message auprès de leurs gouvernants que ce soit au moment de la création ou en cours d’exercice. Au Maroc, la jeune Instance de prévention se voit opposer les restrictions budgétaires pour geler l’embauche de personnels1. Le cas s’était également présenté en Serbie. Toutefois, la directrice de l’agence serbe a pu débloquer ce point en donnant une conférence de presse sur le sujet.

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Maroc

4,7

N.C.

3,7

3,3

3,2

3,2

3,2

3,5

3,5

3,3

3,4

Serbie

1,3

N.C.

N.C.

2,3

2,7

2,8

3

3,4

3,4

3,5

3,5

Madagascar

N.C.

N.C.

1,7

2,6

3,1

2,8

3,1

3,2

3,4

3

2,6

République du Congo

N.C.

N.C.

N.C.

2,2

2,3

2,3

2,2

2,1

1,9

1,9

2,1

Kenya

N.C.

2

1,9

1,9

2,1

2,1

2,2

2,1

2,1

2,2

2,1

Source : Transparency international

1- Texte rédigé avant l’audience royale du 1er avril 2011 accordée par S.M. Mohamed VI et M. Abdesselam Aboudrar, président de l’instance centrale de prévention de la corruption (ICPC), au cours de laquelle le Souverain a demandé au gouvernement d’étendre lesRAPPORT prérogatives de l’instance et de INSTITUT AMADEUS 2011 171 renforcer ses modes d’actions.

Cette communication ne renforce pas seulement l’indépendance mais fait également gagner en efficacité. Présenter les attributions au grand public et expliciter leur logique permettra de savoir quelles sont les infractions et crimes pouvant être signalés. La présentation des moyens de saisines est également primordiale si l’on veut que la société civile participe à la lutte. Toutefois, la peur de représailles peut décourager certains témoins ; il est donc nécessaire de communiquer sur la possibilité ou non de protéger leur anonymat. Sur ce point, de nombreux pays ont adopté le business keeper monitoring system  ; interface qui permet de dénoncer anonymement des faits de corruption, via une déclaration en ligne. Elle permet également d’utiliser une boite électronique cryptée rendant anonymes les échanges avec les organes. C’est un bon début pour inciter les gens à participer à ce combat, mais ce n’est pas suffisant pour le gagner. Dans les pays où la corruption est banalisée, la sensibilisation de la société civile aux méfaits de la corruption sur l’économie nationale est une priorité. Pour les adultes, il est souvent trop tard car leur perception du phénomène est déjà faite. C’est du côté des futurs citoyens que les chances de succès sont les plus importantes. Les cours d’éducation civique dès le plus jeune âge permettront progressivement de changer les mentalités en y inculquant la culture de l’honnêteté. L’implication des médias pour faire connaître les affaires participe également à cette logique, en montrant que la corruption n’est pas une norme sociale et que la dénonciation de ces agissements peut déboucher sur des procédures judiciaires. La lutte contre la corruption est un combat de longue haleine qui ne pourra aboutir qu’avec le concours inébranlable de la classe politique. La baisse de l’implication politique a des effets néfastes sur la pérennité de la lutte. Une communication régulière

de la part des agences de lutte ou de prévention sur les avancées effectuées contribue à éviter cette tendance, en rappelant les gouvernants à l’ordre à chaque tentative de retour en arrière.

:: L’émergence d’une coopération internationale La coopération internationale favorise également la pression pour une lutte anti-corruption efficace, comme le montre l’exemple du Groupe d’Etats contre la corruption, initié par le Conseil de l’Europe. Ce programme impulse une dynamique en procédant à une étude d’évaluation des législations de tous les membres à l’issue de laquelle des recommandations sont émises. Dix-huit mois plus tard, une étude de conformité est menée pour savoir si les Etats parties ont procédé ou non aux ajustements nécessaires. Cette dernière étude pouvant déboucher sur une procédure dans les cas où les mesures auraient été jugées insatisfaisantes. Quant à la Convention des Nations Unies contre la corruption2, elle dispose d’un mécanisme d’examen quinquennal d’application. Durant cette période, chaque Etat contrôlé devra procéder à une auto-évaluation qui sera ensuite examinée par deux autres Etats parties. Pour les associations de lutte contre la corruption, cette autoévaluation risque de faire apparaître des divergences entre le bilan dressé par le pays et ses examinateurs, et donc d’entretenir le brouillard sur l’étendue réelle du phénomène. Toutefois, on peut considérer que l’examen constitue l’ébauche d’une généralisation par les Etats d’un état des lieux en matière de lutte anti-corruption. Il recense les lois en vigueur et leur efficacité, les difficultés rencontrées, l’identification des besoins d’assistance technique, la promotion de la coopération internationale ou encore l’échange d’expériences. Peut-on espérer y voir les premiers pas vers une bonne gouvernance mondialisée ?

2- A titre informatif, le Royaume du Maroc accueillera en octobre 2011, la conférence annuelle et l’Assemblée générale de l’association internationale

des autorités de lutte contre2011 la corruption, ainsi que la conférence des Etats parties à la Convention des Nations unies contre la corruption. RAPPORT INSTITUT AMADEUS

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Le rôle des médias et de l’internet dans la transition démocratique : (R)évolution 2.0 Les révoltes politiques qui ont secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient depuis le mois de janvier auront rappelé le rôle essentiel des médias dans les processus de démocratisation. Les gouvernants n’ont pas pu lutter efficacement contre le changement de

également révolutionné la manière dont les journalistes pouvaient travailler et faire parvenir des informations d’un pays dans lequel ils n’avaient que peu d’accès.

:: L’entrée progressive des grands médias internationaux dans les foyers du Sud Majoritairement autoritaires à la fin des années 1980, la situation des pays en développement sur le plan de la liberté de la presse était très claire. D’un côté, nous avions des médias faisant office de relais officiels des gouvernements et de l’autre, ceux à la volonté de ligne éditoriale indépendante soumis à l’intimidation et à la censure dans la divulgation de l’information. Dans les pays du Sud, l’argument du développement économique était le principal prétexte à une restriction des libertés politiques empêchant le débat public et l’émergence d’une réelle presse d’opinion. Les années 1990 apportent un changement majeur avec l’entrée de la télévision par satellite dans les foyers. Ce mouvement a coïncidé avec l’apparition de grands médias internationaux, désormais diffusés à l’échelle de continents entiers, qui ont fait perdre à la totalité des régimes politiques la capacité à maîtriser leur image à l’international. La décennie suivante, la multiplication des chaînes d’information régionales a augmenté cette ouverture au monde.

paradigme opéré par l’imprégnation des nouveaux médias dans les populations et le développement de réseaux internationaux d’information. Le forum MEDays avait pressenti le rôle grandissant des medias comme vecteur de transformation politique au Sud et consacré un débat lors de l’édition 2010. Cette intuition avait notamment fait suite aux émeutes de 2009, en Iran qui pour la première fois avaient démontré une capacité d’organisation des manifestations via Internet. Le réseau avait

L’autre front de ce changement est l’essor d’Internet qui, au fil des années 2000, a démocratisé l’accès à une presse internationale indépendante et de ce fait moins complaisante à l’égard des régimes peu regardants sur la situation des droits de l’homme dans leurs pays. Ces évolutions ont favorisé la découverte d’espaces de débat et d’information bénéficiant d’une plus grande liberté de ton. Les Etats ayant perdu la maîtrise de l’information face à des faisceaux satellitaires qui font fi des frontières, le village

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

173

global s’est progressivement révélé, entremêlant informations nationales et internationales. Dès lors, les citoyens ont pu comparer leur classe politique avec celles d’autres pays, voisins ou non. Quant aux journalistes, la possibilité de reprendre des affaires dévoilées par des médias étrangers a pu leur donner le sentiment d’avoir acquis plus de liberté.

:: L’émergence d’un canal citoyen de démocratisation et d’information Toutefois, les gouvernants ont tenté de limiter cette ouverture de l’accès à l’information en bloquant certains sites Internet, en retirant les accréditations de certains journalistes jugés trop désobligeants, en exerçant des pressions sur les annonceurs ou encore en bloquant l’accès à certaines chaînes sur leur territoire national. Parfois, cette censure a pu être paradoxale. Certains Etats interdisent la diffusion papier d’un journal en cas d’article estimé offensant, alors qu’il est possible de le retrouver sur Internet, ce qui laisse apparaître des fissures dans ces systèmes à l’information cadenassée. L’écart manifeste de générations entre les gouvernants et des populations de plus en plus jeunes est également à prendre en compte dans le rôle des médias dans les pays du Sud. Ainsi, en Afrique du Nord, les moins de vingt-cinq ans représentent plus de la moitié de la population, ce qui faisant d’eux autant de nouveaux citoyens qui ont grandi avec ces médias qui leur paraissent naturels. Dans d’autres cas, il a été le vecteur de l’organisation de la contestation sociale. Le sentiment d’impunité dans l’utilisation d’Internet explique en grande partie cette parole décomplexée. La multiplication des sources d’information fait que les citoyens ont désormais accès à une plus large palette de points de vue, amenant à l’avènement d’une société plus critique sur ses médias. La parole officielle n’est plus sacrée mais peut être contredite par des citoyens reprenant des médias non-autorisés. L’appropriation par la société civile et les associations des outils audiovisuels et informatiques débouche également sur une surveillance du respect des droits

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

174

de l’homme dans l’action des agents publics. Pour les ONG, Internet constitue un moyen peu onéreux de faire connaître leurs combats et de lancer des campagnes médiatiques. En Israël, l’association B’Tselem a fourni des caméras aux populations des territoires occupés pour filmer les opérations militaires israéliennes puis les diffuser sur Internet, voire les fournir aux chaînes de télévision en cas d’abus. Au Maroc, des vidéos montrant des gendarmes touchant des pots de vin sur un barrage routier ont abouti à des mesures disciplinaires. En Egypte, une vidéo semblable diffusée sur Internet a semble-t-il été l’une des étincelles de la révolte, notamment après que son auteur ait été retrouvé par la police et molesté. Au Kenya, lors des violents troubles suivant les élections de 2008, des citoyens ont créé un site Internet recensant les violences qui se déroulaient dans le pays, permettant aux habitants d’éviter de s’y exposer.

:: Un acquis synonyme de responsabilisation Au-delà des associations, le citoyen a su trouver sa place dans l’agora en devenant un acteur direct dans la manière de relater des faits. Lors des manifestations iraniennes de 2009 ou de la révolution égyptienne, les médias internationaux ont repris les messages postés sur les réseaux sociaux par des manifestants au plus près de la répression par des forces de l’ordre. Toutefois, si la parole donnée à des témoins directs peut permettre l’information, le fait qu’ils ne soient pas des professionnels peut amener à des déformations sur la réalité des évènements, voire à des supercheries. Ceci doit amener les médias à davantage recouper leurs sources, à ne pas se laisser piéger par la sempiternelle course au scoop et les obliger à être toujours plus professionnels dans le traitement de l’actualité. Car désormais, la quête d’un droit à l’information neutre est vue par les populations du Sud comme un véritable acquis social, une incarnation de l’homo democraticus. Quant aux gouvernements, ils doivent s’habituer à ce que médias et citoyens les rappellent à l’ordre lorsque les lignes rouges sont franchies, ou qu’ils manquent d’efficacité. Sur le plan de la gouvernance, cela ne pourra que renforcer leur crédibilité au niveau national comme à l’international.

Gouvernance, droits humains et réformes institutionnelles : des modèles ou un paradigme ? - Angelino Garzon : Vice président de la République de Colombie - Sven Alkalaj : Ministre des Affaires étrangères de la République de Bosnie Herzégovine  - Gianni di Michelis : Président de l’Institut pour les relations entre l’Italie et les pays d’Afrique, d’Amérique latine, de l’extrême et du Moyen-Orient, ancien ministre des Affaires étrangères de la République italienne, ancien Député européen - Ahmed Herzenni : Président du Conseil consultatif des droits de l’Homme du Royaume du Maroc - Marc Ellenbogen : Membre du Conseil national d’orientation du parti Démocrate des Etats-Unis d’Amérique - Marou Amadou : Président du Conseil consultatif national de la République du Niger - Aimé Emmanuel Yoka : Ministre d’Etat, Coordinateur du pôle de la souveraineté, Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des droits humains de la République du Congo



Modération : David Foster, présentateur, Al Jazeera networks

Expériences croisées du lutte anti-corruption et de la pratique de la bonne gouvernance : Comment installer un arsenal législatif performant tout en garantissant le respect de la règle de droit ? - Zorana Marković : Directrice de l’agence anti-corruption de la République de Serbie - Rabha Zeidguy : Secrétaire générale de l’Instance Centrale de Prévention de la Corruption du Royaume du Maroc - Sarah Leah Whitson : Directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de Human Rights Watch - JEAN-ERIC RAKOTOARISOA : Vice-président de l’Université d’Antananarivo, Professeur au Département droit, Faculté de Droit, d’Economie, de Gestion et de Sociologie - Abdeslam Maghraoui : Professeur de Sciences Politiques à la Duke University - Aimé Emmanuel Yoka : Ministre d’Etat, Coordinateur du pôle de la souveraineté, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Droits Humains de la République du Congo

Modération : Nicholas Kulish, journaliste, New York Times

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

175

Media et internet : Quel rôle dans la transition démocratique et la construction de la citoyenneté dans les pays du Sud ? - Charles Enderlin : Journaliste, Chef du bureau de France 2 à Jérusalem, auteur de « Un enfant est mort - Xing Li : Journaliste au « China daily » et rédactrice en chef de l’édition américaine - Thione Niang : Président des relations internationales des jeunes Démocrates américains - Octavia Nasr : Fondatrice de Bridges Media Consulting, rédactrice en chef de octavianasr.com, ancienne présentatrice à CNN. - Sanaa el Aji : Directrice de la communication et des relations extérieures à Hautes Etudes de Management (HEM), ancienne journaliste pour l’hebdomadaire marocain Nichane - George Sibotshiwe : Directeur du think tank sud-africain “African center for democracy”



Modération : Ignacio Cembrero, correspondant pour le Maghreb, El Pais

RECOMMANDATIONS : Euro-méditerranée - Donner une plus grande dimension au respect des droits de l’homme et à la protection des medias dans la coopération euro-méditerranéenne. - Favoriser la transition politique tunisienne en proposant un statut avancé entre l’Union européenne et la Tunisie.

Pays du Sud - Développer les protections juridictionnelles effectives des citoyens en matière de droits de l’homme à l’échelon national comme à l’échelon sous-régional et régional, à l’exemple de la Cour européenne des droits de l’homme. - Mettre en place des agences de lutte anti-corruption avec des pouvoirs et des moyens financiers effectifs.

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

176

Les forces armées dans les pays du Sud : quelle place, pour quelles missions ? Mauritanie en 2008, Guinée en 2009, Niger en 2010 ; l’actualité politique de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest a été ponctuée par la prise de pouvoir des forces armées. Même si la tendance semble être à une confiscation temporaire du processus démocratique, jusqu’à une période récente, il n’était pas rare de voir les juntes garder le pouvoir pendant plusieurs décennies ; ce qui a eu des conséquences néfastes pour les populations civiles et sur la constitution de réelles sociétés démocratiques. En effet, il n’est pas rare dans les pays en développement que les forces armées aient une forte influence sur le jeu politique. Cela s’explique par le fait qu’elles constituent les institutions les plus structurées du pays, disposant en sus du monopole de la violence légitime, dans des pays où rapports de forces politiques et alternances démocratiques ne s’expriment pas parfaitement dans un cadre pacifique et apaisé. Les missions qu’elles exercent, à savoir la défense de l’intégrité du territoire et, le cas échéant, le maintien de l’ordre public, les placent en situation de force par rapport au pouvoir politique, particulièrement en Afrique où les frontières coloniales ont établi des ambigüités et des tensions militaires entre les Etats. Cette position particulière des forces armées les amène parfois à se considérer comme les gardiennes de la Constitution, et à intervenir pour retrouver un fonctionnement régulier des institutions.

Ce rôle de régulateur est par ailleurs tacitement accepté par la communauté internationale qui pousse néanmoins à l’élection d’un pouvoir civil dans les meilleurs délais. Pour autant, les forces armées n’ont pas pour vocation à interférer avec l’autorité civile et encore moins à gouverner. La question de leur réforme est donc nécessaire pour deux raisons. Institutionnellement, la réflexion sur leur place dans la société et la consolidation de leur contrôle par les forces civiles et politiques est incontournable. Internationalement, la mutation des menaces oblige à une redéfinition dans l’organisation périodique des missions des forces armées.

:: Les gouvernements militaires : des gouvernants désastreux L’histoire moderne laisse apparaître que, dans certains pays, les forces de l’ordre s’arrogent un droit d’intrusion dans le jeu politique en cas de crise institutionnelle majeure. Les nouvelles juntes justifient souvent leurs prises de pouvoir en invoquant une demande expresse de la population et/ou l’échec de la classe politique à maintenir un consensus viable et l’ordre public. Pour certaines, l’intervention militaire se justifie par la violation de la Constitution par les autorités politiques, et propose un retour au fonctionnement régulier des institutions. Sur ce point, l’exemple nigérien du 18 février 2010 est un cas de transition démocratique, car il a donné lieu à l’élection du président Issoufou à peine plus d’un an après la destitution du précédent président par l’armée, au motif que ce dernier voulait se présenter anticonstitutionnellement à un troisième mandat. En l’espèce, la junte n’avait pas pour objectif initial de garder le pouvoir mais au contraire de le rendre au plus vite à de nouvelles autorités civiles démocratiquement élues. Cette éthique s’est notamment manifestée dans le fait que les dignitaires du pouvoir de transition ne se sont pas donnés la possibilité de présenter leur candidature à la magistrature suprême. Pour autant, si les récents exemples africains semblent donner de la consistance à cette théorie du ‘’coup d’Etat juste’’, la probité n’a pas toujours été la norme, loin s’en faut. Les exemples de gouvernements militaires ayant pour caractéristique une irresponsabilité totale des gouvernants envers le peuple ou les autres institutions sont nombreux. Ainsi, au Pakistan, les militaires ayant renversé Zulfikar Ali Bhutto en 1977 ont commencé par retarder les échéances électorales avant d’abandonner progressivement aux islamistes radicaux les missions

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régaliennes sociales et éducatives sur des pans entiers du territoire. Ce faisant, ils ont favorisé la perte de confiance des citoyens dans l’Etat de droit de même que l’implantation d’idéaux fondamentalistes dans la société, via des écoles coraniques. Celles-ci ont créé des générations de nouveaux sympathisants des mouvances terroristes qui défient aujourd’hui l’autorité étatique. Autre exemple, le Chili, où le bilan de la junte (1973-1990) en matière de violation des droits de l’homme a été catastrophique3. Tortures, disparitions d’opposants et autres violations de droits civils et politiques ont empêché l’émergence d’une opposition politique structurée pendant près de deux décennies et ont créé une profonde fracture dans la société. Qui plus est, les choix économiques opérés par la junte ont radicalement différé par rapport à la période démocratique, sans que les populations n’aient pu exprimer par scrutin ni consentement ni rejet. C’est en cela que l’irresponsabilité politique est érigée en principe dans les gouvernements militaires et diffuse une culture sociétale autoritaire et intolérante à la critique et au contrôle démocratique.

Sud, au Chili ou encore au Maroc- qui ne sont pas des organes juridictionnels à proprement parler mais des commissions permettant la manifestation du droit à la vérité pour les victimes, leurs proches et plus largement l’ensemble de la société. Généralement, elles indemnisent aussi les victimes directes ou indirectes. Au-delà du signal fort que cela envoie sur le retour de l’Etat de droit et la fin de l’impunité, c’est surtout une thérapie psychologique pour des sociétés traumatisées. La coopération de l’armée dans ce processus est essentielle car cela montre le retour de la subordination du militaire au civil et la mise en place d’un contrôle démocratique sur l’institution.

N’ayant donc pas vocation à gouverner, les forces armées doivent placer leurs actions sous les directives et le contrôle des autorités civiles et judiciaires. Et lorsque ce contrôle s’exerce dans le cadre d’une transition vers un pouvoir civil, il s’avère particulièrement complexe à mettre en œuvre car il s’agit de réformer à la fois les forces armées et la culture de gouvernement. Dans les cas où les abus du régime militaire ont compromis l’unité nationale et provoqué des fractures politiques ou psychologiques, il est nécessaire de repenser l’institution dans son fonctionnement et dans sa place au sein de la société. La consolidation du socle démocratique passe par un examen sans complaisance des actes qui ont pu être commis sous la junte. Elle peut passer par les juridictions pénales internationales (Cour pénale internationale) ou internationalisées (Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens) ce qui contribue à décrisper les rapports sociaux internes. Parfois, ce processus est organisé au plan national et peut se traduire par la mise en place d’instances de vérité et de réconciliation -comme ce fut le cas en Afrique du

Chikadibia Obiakor, Ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, conseiller militaire du Secrétaire général pour les opérations de paix

3- Suite aux rapports Retting, puis Valech, le nombre de victimes directes du régime recensées est de 1102 disparus, 2095 morts et 27255 178 personnes de tortures et d’emprisonnement politique.

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Ainsi, le pouvoir exécutif reprendra-t-il la maîtrise de son action et pourra lui attribuer de nouvelles missions comme la participation aux opérations internationales de maintien de la paix ou de coopération et d’assistance, voire des missions ponctuelles de protection civile. Le pouvoir législatif concourt également à ce processus en contribuant à l’élaboration de la politique de sécurité nationale, en votant son budget et en contrôlant les activités des forces armées. De plus, le contrôle parlementaire de l’activité des forces armées et la réflexion sur leur devenir contribue à instaurer un dialogue de confiance entre les représentants du peuple et l’Etat-major, raffermissant ainsi le lien avec la société civile. Organisations de défense des droits de l’homme, médias et médiateurs institutionnels doivent également devenir des acteurs de la surveillance de l’action des forces armées, car cela montre l’appropriation de la société civile et la possibilité de révéler des dysfonctionnements dans l’exercice quotidien de leurs missions (violation des droits de l’homme, corruption…). Cela passe notamment par une facilitation, dans la limite des impératifs de sécurité nationale, de l’accès du public aux informations relatives aux forces armées. Toutes ces démarches responsabilisent l’armée dans ses actions. Plus encore, elles répondent à deux défis majeurs  : rapprocher l’armée de sa population et s’adapter pour répondre à de nouvelles menaces.

:: Le changement de l’environnement international et l’apparition de nouvelles menaces Au niveau diplomatique, le renforcement du rôle et du poids des instances régionales et internationales en matière de crise politique majeure a entrainé une baisse du nombre de conflits armés. Pénalement, le renforcement des juridictions pénales internationales, permanentes ou ad hoc, envoie un message fort aux régimes en place : en cas de violations graves et/ou systématiques des droits de l’Homme de la part des forces armées, la communauté internationale mettra en place des tribunaux pour juger les responsables des exactions. Cette systématisation progressive n’est pas parfaite car les juridictions mises en place doivent

souvent surmonter des contraintes budgétaires. Toutefois, ces dernières années, de nombreux chefs militaires et politiques ont vu leur impunité prendre fin (Charles Taylor, Slobodan Milosevic). La mutation des principales menaces explique également les nécessaires restructurations des missions des armées. Le renforcement et la multiplication de réseaux criminels internationaux qui exploitent les faiblesses organisationnelles de certains pays en développement en est une illustration. De même, le terrorisme transnational recentre ses actions vers les Etats du Sud qui leurs servent à la fois de sanctuaire et de zone d’action (ex : Sahel). On observe également un développement des interactions entre activités terroristes et criminelles. Ces mutations obligent les forces armées à développer leurs capacités de renseignement et à se doter de moyens de réaction rapide pour faire face à de nouvelles menaces qui contribuent à déstabiliser leurs systèmes institutionnels. Le faible nombre de personnes utilisées dans la commission d’actes de terrorisme au regard des conséquences matérielles et psychologiques oblige les forces de sécurité à repenser leur organisation et leur déploiement afin de lutter plus efficacement contre eux. Cela passe notamment par la formation d’unités réactives aux effectifs plus réduits et spécialisées dans des opérations de lutte contre le terrorisme- telles l’infiltration de réseaux ou la gestion de prises d’otages. Le développement de la coopération régionale en matière de renseignement et de moyens technologiques entre les forces armées participe à cette logique car les criminels se jouent de frontières souvent poreuses. Pour autant, si cette collaboration présente des avantages budgétaires, elle peut achopper sur des désaccords politiques préexistants qui peuvent nuire à leur efficacité à moyen terme. Ainsi au Sahel, un comité d’Etat-major conjoint a été créé par l’Algérie avec la Mauritanie, le Mali et le Niger pour lutter contre l’instabilité sahélienne. Mais pour le moment, le Maroc, la Tunisie, le Tchad et la Libye n’ont pas été associés à cette initiative. Ce manque de coordination contribue à favoriser la circulation des bandes armées. La mise en œuvre effective d’une coopération Sud-Sud passe également par la participation des Etats du Sud aux

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opérations de maintien de la paix qui s’y déroulent, comme c’est actuellement le cas sur le continent africain, notamment en RDC ou au Darfour (voy. Rapport MEDays 2009, sur la gestion des conflits et la gestion des crises sur le continent africain). Tous ces changements d’environnement et de menace obligent les Etats du Sud à revoir leurs rapports avec leurs forces armées. Mouvements terroristes et réseaux criminels internationaux ont tout intérêt à agir dans des Etats affaiblis. La réponse sécuritaire étatique est

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donc cruciale, car au-delà de faire baisser le risque criminel, elle contribue à raffermir la confiance des populations vis-à-vis de leurs gouvernants. Pour ce faire, il est nécessaire de consolider le dialogue institutionnel, de respecter la règle de droit et de développer la coopération internationale. Ce comportement contribuera à la pérennisation de la construction d’une société démocratique, plus pacifiée, inspirée par la recherche de la bonne gouvernance.

Pakistan : préoccupation stratégique majeure Entre 2002 et 2010, les Etats-Unis d’Amérique ont accordé près de 18 milliards USD d’aide au Pakistan (douze dédiés au militaire, six au le civil) dans le cadre de leur alliance stratégique avec ce pays (voir supra. focus Afghanistan). Malgré une coopération vieille de

plus de huit ans, notamment contre les islamistes radicaux refugiés dans les hauts reliefs situés entre le Pakistan et l’Afghanistan, le pays reste le plus touché par le terrorisme avec 9620 victimes civiles entre janvier 2003 et février 2011. La lutte contre la drogue

n’a pu ni tarir le trafic ni même dévier ses routes de transit ; l’UNODC estime toujours qu’environ 40% des opiacés produits en Afghanistan transiterait ou aurait pour destination le Pakistan. Au classement sur la perception de la corruption, le pays est passé de la 77ème à la 143ème place. Sur le plan politique, les zones tribales et une partie croissante du territoire restent hors du contrôle de l’Etat. Quant au contentieux avec l’Inde sur le Cachemire, il demeure un point de tension planétaire puisqu’il implique trois puissances nucléaires régionales (Inde, Chine et le Pakistan). Outre les tensions internationales qui en dérivent, ce conflit est l’origine, sinon le prétexte utilisé par deux gouvernements militaires pour prendre le pouvoir  ; celui de Zia ul-Haq (1978-1988), puis celui de Pervez Musharraf (1999-2008). La tension extrême qu’implique la situation géostratégique du pays a donné à son armée un poids sans commune mesure dans le système étatique. Actuellement et depuis toujours, l’aide américaine se concentre essentiellement sur le secteur militaire, notamment pour les armements lourds et les formations de haut officiers. Pour les Etats-Unis, l’essentiel est d’obtenir de l’armée pakistanaise un engagement total dans les zones de refuge des islamistes radicaux et des terroristes rattachés à Al Qaïda. Pourtant, la majeure partie des attentats sont commis au cœur des villes pakistanaises. Ce sont donc la police et les services de renseignements qui combattent le terrorisme au quotidien. Or, matériels, personnels qualifiés et techniques d’enquête leur font défaut. Remonter les filières du trafic d’opium, manne financière des réseaux terroristes, s’avère dès lors nettement plus difficile. En conséquence, l’aide technique devrait se concentrer sur la formation des officiers de police, en première ligne dans les enquêtes de contre-terrorisme et de la répression des trafics. Cette coopération souhaitable passe également par le

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renforcement de la formation et de l’équipement des services de médecine légale, afin de pouvoir mener à bien les enquêtes sur des crimes de terrorisme. En 2009, selon un rapport de l’Institute for Social Policy and Understanding, le nombre de laboratoires médicolégaux était d’un par province, ce qui est clairement insuffisant pour répondre aux demandes des services de police du pays. Autre point noir, les personnes détentrices d’informations sur les auteurs d’attentats ne les divulguent pas à la police car elles subissent des représailles qui peuvent aller jusqu’à l’assassinat. Quand elles le font, il n’est pas rare qu’elles renoncent à aller jusqu’au procès. Les suspects sont donc la plupart du temps relâchés. La mise en place d’un programme de protection des témoins effectif est un outil essentiel pour mettre fin à l’impunité dont jouissent les terroristes. Ce mécanisme permettrait de faire émerger le respect de la règle de droit et redonnerait confiance dans le système judiciaire. Sur le plan procédural, les réseaux terroristes pakistanais profitent de la lenteur de la mise en œuvre des notices rouges d’Interpol et font des sauts de puces entre les Etats, pour se réfugier en Afghanistan, où ils corrompraient les autorités pour obtenir la nationalité afghane. Or, le régime de Kaboul refuse d’extrader ses nationaux. Néanmoins, si aucun traité d’extradition entre les deux pays n’a été signé, un rapprochement sur le sujet entre les deux gouvernements semble s’opérer depuis début 2010. La lutte contre le trafic de drogue est l’un des principaux fronts dans la lutte contre le terrorisme. Selon un rapport de l’UNODC de 2009, sur la période

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2006-2007, l’argent de l’opium a permis de financer mouvements terroristes et seigneurs de guerre dans une fourchette de 200 à 400 millions USD. Du fait de leur intérêt commun à affronter un Etat faible, les réseaux s’échangent des protections et se taxent mutuellement, formant ainsi une alliance tacite. Cette faiblesse s’explique par une corruption étendue au sein de la police et des liens parfois étroits d’agents de renseignement avec les mouvements islamistes. Cette situation a créé un déficit de confiance qui a freiné la coopération internationale dans l’échange de renseignements et la coopération judiciaire contribuant ainsi à consolider l’assise des terroristes et des trafiquants de drogues. Enfin, le conflit du Cachemire qui envenime les relations indo-pakistanaises depuis plus de soixante ans a amené les responsables militaires pakistanais à soutenir des mouvements extrémistes, comme Laskhar-e-Taiba ou Jaish-e-Muhammed, dans leur conflit contre l’Inde. Cette contribution à la cause nationale leur a permis d’acquérir une certaine sympathie auprès de la population. Ensuite, ces organisations se sont mises à commettre des attentats sur le territoire pakistanais et en Inde. Depuis la bataille de la Mosquée Rouge en 2007, les services de sécurité, qui leur étaient favorables, ont changé leur positionnement et se sont mis à les combattre. Toutefois, des attentats majeurs se produiront inévitablement, particulièrement en Inde. Régler la question du Cachemire privera une partie des mouvements terroristes d’une rhétorique de combat national et d’un terreau favorable à l’entrainement à la lutte armée.

FOCUS AQMI : Al-Qaïda au Maghreb Islamique Héritière du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien , la nébuleuse Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi), prête allégeance à Oussama Ben Laden en 2006. L’année suivante, elle commet une série d’attentats meurtriers contre l’Etat algérien qui entraine une répression forçant le mouvement à se relocaliser plus au Sud du pays, où le milieu naturel facilite la dissimulation. Actuellement, elle regroupe entre 400 et 600 membres déployés sur tout le Sahel avec une grande concentration sur la parallèle Mauritanie- Mali- Sud de l’Algérie- Niger. Ses objectifs sont la déstabilisation de la région, notamment en exploitant les dissensions entre les Touaregs et les gouvernements locaux, la lutte contre les intérêts économiques et diplomatiques occidentaux, plus particulièrement français, et l’extension de leur déploiement vers d’autres pays de la zone. Pour autant, si l’argument religieux sert au mouvement de légitimation, les modi operandi utilisés depuis quelques années rappellent plutôt ceux utilisés par les organisations criminelles. Certes, les attentats contre les bâtiments officiels, les représentations diplomatiques et les affrontements contre les forces de sécurités sont encore réguliers.

Toutefois, l’extorsion de fond, la contrebande et les trafics illicites internationaux représentent une source importante et croissante de financement. Sur ce point, les experts notent une conjonction de moyens avec le crime organisé due à une communauté d’intérêts à court terme. Cette criminalisation se traduit également par la multiplication d’enlèvements contre rançon de ressortissants occidentaux -depuis deux ans, vingt-trois ont été enlevés, dont quatorze libérés, quatre morts et cinq toujours en captivité en avril 2011. Abu Zaïd, dirigeant d’Aqmi souvent présenté comme un contrebandier opportuniste, est le principal artisan de cette stratégie. La difficulté à combattre ce mouvement tient au fait qu’il s’agit de lutter contre un nombre réduit d’individus, généralement bien intégrés socialement, qui opèrent sur une zone désertique immense en se jouant des frontières. Cet état des lieux leur donne un avantage tactique évident car leur intégration facilite l’obtention de renseignements et une plus grande complicité des populations locales. De même, ils ont pour adversaires des forces armées disposant de dotations budgétaires et d’équipement limités. Les pays occidentaux, également visés, ne peuvent intervenir lourdement car un tel comportement

Dates clés AQMI 11 Septembre 2006 : Rencontre entre Abdelmalek Droukdel (n°1 du GSPC) et Ayman al-Zawahiri (n°2 d’Al-Qaïda). 24 janvier 2007 : Confirmation de la fusion des deux entités. Aqmi est née. Avril-Décembre 2007 : Multiplication d’attentats meurtriers contre des bâtiments officiels en Algérie. 24 décembre 2007 : Assassinat de quatre touristes Français à Nouakchott. 14 décembre 2008 : Multiplication d’enlèvements de ressortissants étrangers dans le Sahel. 9 août 2010 : Communiqué d’Abou Anas al-Chanqiti menaçant les intérêts français en France comme à l’étranger 27 Octobre 2010 : Communiqué d’Oussama Ben Laden condamnant le comportement de l’Etat français vis-à-vis des musulmans et justifiant l’enlèvement des otages d’Areva et de Satom du 16 septembre 2010. 8 janvier 2011 : Mort de deux ressortissants français au Mali lors de leur tentative de libération par les forces armées françaises. Début 2011: Le mouvement profiterait du chaos libyen pour renforcer sa capacité militaire en armement lourd et en véhicules militaires.

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risquerait d’être contre-productif et perçu par les populations locales ou leurs gouvernements comme du néo-colonialisme.

:: Une coopération régionale imparfaite La coopération régionale en matière d’échange de renseignements, initiée par l’Algérie, constitue un progrès dans l’efficacité du combat contre Aqmi mais elle reste imparfaite. Tous les pays concernés par le phénomène n’y sont pas associés tels le Maroc, la Tunisie, le Tchad et la Libye. Ensuite, aucun résultat n’a été communiqué depuis son institution. Son effectivité reste donc à confirmer. Enfin, les actes commis par le mouvement ont plutôt tendance à s’accroitre. Quant à la coopération militaire internationale, elle ne peut être mise en œuvre qu’avec le concours ou à la demande des Etats concernés. Plusieurs initiatives ont été lancées, comme le partenariat transsahélien contre le terrorisme initié par le gouvernement américain avec neuf Etats de la zone (Sénégal, Mauritanie, Maroc, Algérie, Mali, Tunisie, Niger, Tchad, Nigeria). Sur un plan plus opérationnel, des forces spéciales occidentales sont également déployées. Elles interviennent ponctuellement et forment les troupes locales (Mauritanie, Mali, Niger). Autre front majeur du combat contre Aqmi, la lutte contre le trafic des substances illicites et la contrebande qui participe à la déstabilisation des Etats. Les revenus issus permettent d’établir des liens privilégiés avec de hauts responsables locaux qui peuvent déboucher sur des achats d’armes. Cette proximité avec certains de ces officiels contribue également à renforcer la sanctuarisation d’Aqmi dans la zone, et donc la perpétuation de trafics lucratifs.

:: L’insuffisance d’une approche exclusivement sécuritaire Pour autant, la coopération militaire ne constitue qu’une réponse partielle aux problèmes institutionnels

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et sociétaux. La faiblesse de l’autorité de la plupart des Etats de la région facilite la pérennisation d’Aqmi au Sahel et son extension à d’autres pays à ce jour épargnés, comme le Sénégal, le Maroc ou le Nigéria. L’aide économique et technique au développement ainsi que la contribution à l’établissement de gouvernements démocratiques permettront de renforcer les systèmes politiques sahéliens. Elles concourront également à favoriser les conditions d’un développement économique viable. Car pauvreté, faible scolarisation et absence de perspectives économiques chez les jeunes citadins créent marginalisation et désœuvrement ; deux sentiments exploités par Aqmi dans le processus de recrutement

qui se propose d’offrir une alternative pieuse et légitime à l’apathie qu’ils subissent. Toutefois, si ces états de fait existent, au vu du nombre de terroristes, il convient de ne pas généraliser. Enfin, la lutte contre Aqmi passe par une communication régulière afin de contrer les discours des idéologues de l’organisation. Car si les Etats luttent tant bien que mal sur les terrains policiers et militaires, le champ médiatique est trop souvent délaissé, laissant un vide comblé par l’organisation. Il peut même arriver que les gouvernants nient la réalité de la menace. Ainsi, en Mauritanie, le président Ould Abdel Aziz a nié l’implantation d’Aqmi sur son territoire avant de se faire démentir par un communiqué d’Oussama Ben Laden d’octobre 2010 ; démenti confirmé par des tentatives d’attentats déjouées à Nouakchott en février 2011.

:: Une organisation de plus en plus forte face à des Etats fragiles D’une organisation terroriste islamiste traditionnelle, la franchise Aqmi a mué en organisation criminelle transnationale de plus grande envergure. L’accroissement des richesses et un réarmement favorisent le renforcement des effectifs d’Aqmi, notamment du côté des anciens rebelles touaregs. Il faut s’attendre à ce que dans les mois à venir, Aqmi intensifie ses actions contre les forces gouvernementales ce qui entrainera des risques de déstabilisation d’Etats déjà faibles. Ainsi, la dissolution des forces de sécurité tunisiennes suite à la Révolution de Jasmin fait de ce pays une cible de choix pour la commission d’attentats. Quant à la Libye, l’anarchie ambiante qui y règne actuellement constitue un excellent paravent pour le renforcement d’Aqmi dans le pays. Sur un plan plus opérationnel, alors que par le passé le mouvement agissait usuellement dans des zones

peu peuplées, les enlèvements les plus récents montrent qu’il n’hésite plus à frapper en milieu urbain ce qui nécessite une grande assurance ainsi qu’un renforcement des capacités opérationnelles. De même, on observe un plus grand ’’professionnalisme’’ de la part des terroristes dans leurs actions. Lors de l’enlèvement des deux ressortissants français à Niamey le 7 janvier 2011, leurs ravisseurs ont utilisé des procédures militaires pour couvrir leur fuite. De même, leur stock d’armement lourd se renforce. Le mouvement disposerait depuis 2010 de plusieurs mitrailleuses anti-aériennes. D’après RFI, le chaos libyen lui a également permis de se procurer plusieurs véhicules militaires, des missiles et des lance-roquettes. Il n’est donc pas à exclure que les prochains enlèvements incarnent l’émergence d’une véritable force paramilitaire. La hausse significative des demandes de rançons pour les otages occidentaux contribuera, si elles sont versées, à augmenter la trésorerie du mouvement. Toutefois, certains gouvernements occidentaux, notamment la France, commencent à refuser de négocier la libération d’otages. Ainsi, bien qu’ayant été un échec, l’intervention militaire française de janvier dernier lancée pour libérer deux de ses ressortissants enlevés et neutraliser leurs ravisseurs, constitue un message clair envoyé à de potentiels ravisseurs. Désormais, tout enlèvement donnera lieu à une intervention des forces spéciales. Quant aux opérateurs privés occidentaux, majoritairement spécialisés dans la prospection et l’exploitation de ressources naturelles, ils n’ont d’autres choix que d’augmenter le niveau de sécurisation de leurs collaborateurs. Un choix plus judicieux des personnels de sécurité s’avère nécessaire car le risque de transmission d’informations sécuritaires à Aqmi facilitant la réussite de rapts ou d’attaques existe. Si les coûts induits par ces mesures semblent élevés, ils resteront toujours moins chers que le montant demandé pour la rançon. Pour exemple, les 90 millions d’Euros demandés pour la libération des otages d’Areva et de Satom.

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Le contrôle des forces armées : Vers une évolution des missions des forces de l’ordre ? - Marou Amadou : Président du Conseil Consultatif National de la République du Niger - Zafar Ali Hilaly : Analyste en affaires étrangères et politique de défense, ancien diplomate et haut fonctionnaire de la République islamique du Pakistan - Juan Emilio Cheyre : Directeur du Centre d’études Internationales de la Pontifica Universidad catòlica de Chile, ancien chef d’Etat Major des armées chiliennes - Mohamed Benhamou : Président de la Fédération Africaine des Etudes Stratégiques - Chikadibia Isaac Obiakor : Lieutenant-Général, ancien Sous-Secrétaire Général des Nations Unies et Conseiller militaire pour les opérations de maintien de la Paix - Marc Ellenbogen : Membre du Conseil national d’orientation du parti Démocrate Américain



Modération : Erik Nyindu, directeur de l’information, VOXafrica TV

Terrorisme et crime organisé : Quelle nouvelle architecture internationale en terme de sécurité globale ? - Luis Cuesta Civis : Secrétaire général de la Politique de la Défense du Royaume d’Espagne - Marou Amadou : Président du Conseil Consultatif National de la République du Niger - MOHAMMAD-MAHMOUD OULD MOHAMEDOU : Professeur associé à l’Institut des Etudes Internationales de Genève, Ancien Ministre des Affaires Etrangères de la République Islamique de Mauritanie - Jean-Louis Bruguière : Ancien juge anti-terroriste - Raphael Perl : Directeur de la section anti-terrorisme de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe - Jean-Baptiste Carpentier : Directeur pour la France du programme TRACFIN - Hubertus Hoffmann : Président et fondateur du World Security Network Foundation - Geoff Porter : Consultant en sécurité internationale - Zafar Ali Hilaly : Analyste en affaires étrangères et politique de défense, ancien diplomate et haut fonctionnaire

Modération : Souad Mekhennet, Journaliste, New York Times

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RECOMMANDATIONS : Pays du Sud - Mettre en place un contrôle parlementaire effectif des forces armées : discussion du budget, des achats d’armement etc. - Favoriser la participation des armées à des manœuvres régionales communes. - Favoriser l’interopérabilité et la création de groupes de réaction rapide aux menaces terroristes. - Favoriser une culture des forces armées compatibles avec l’Etat de droit, le respect de la personne humaine et de ses droits.

- Favoriser la ratification d’instrument de défense collectif afin de diminuer les tensions régionales et la probabilité de conflit.

Zone sahélienne - Augmenter la coopération interétatique régionale dans la région sahélienne, notamment dans le domaine du renseignement.

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Le Sud dans la Gouvernance Mondiale

Du 16 au 19 novembre prochains, personnalités politiques, experts internationaux, décideurs économiques sur les scènes mondiale et marocaine seront à nouveau présents à Tanger pour la 4e édition du Forum. En 2010, le Forum MEDays s’était largement décentré de la Méditerranée dans lequel il puise ses racines et ses habitudes de travail pour une raison majeure  : la non-exclusivité ou plus précisément le caractère général des problématiques et des enjeux de la région afro-méditerranéenne partagés avec d’autres sphères régionales. C’est cette dimension globale du Forum MEDays instaurée en 2010 et définitivement installée en 2011, qui permettra de pérenniser les MEDays comme la rencontre stratégique des acteurs mondiaux des sphères géostratégiques, politiques, économiques des pays du Sud. Placée sous la thématique « Le Sud dans la gouvernance mondiale », le Forum MEDays permettra de faire un bilan du G20 de Cannes, prévu quelques semaines auparavant et de renforcer la contribution du Sud à l’approfondissement des réformes pour une « croissance forte, durable et équilibrée ». Au cœur du Monde Arabo-musulman en pleine révolutions ou évolutions, le Forum MEDays 2011 permettra de revenir sur les transitions en cours dans la région. Ce Forum qui se veut opérationnel permettra aussi de proposer des solutions pratiques et opératoires, pour la mise en place d’une politique de coopération inclusive et concertée permettant l’échange d’expertises des différents acteurs du Sud sur des questions prioritaires. Ces débats déboucheront sur des recommandations pratiques, mais également sur la définition, en concertation avec les pays du Nord et les membres du G20, d’un protocole de collaboration interrégionale, permettant l’éclosion et la gestion de projets à géométries variables.

:: Les Thématiques des MEDays 2011 Défis climatiques et développement durable : les pays émergents ont-ils toutes les cléfs dans les négociations ? Intégration, coopération Sud-Sud et développement : Quels Sud pour quel émergence ? Printemps Arabe : Nouveau paradigme, nouvelle donne ? Consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit dans les pays du Sud : Quels rôles pour les grandes puissances et les institutions internationales pour garantir la pérennité du socle des libertés ? Emergence de nouveaux risques, sécurité internationale et crises régionales : Vers un nouveau désordre mondial ? Le Sud dans la gouvernance économique mondiale : Quels engagements dans la future architecture financière et monétaire mondiale ?

:: La thématique Business Medays L’Innovation dans la gouvernance économique mondiale : Comment approfondir ce gisement de croissance durable ?

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:: Un format Interactif, innovateur et riche en activités :

5 séances plénières 1 séance spéciale 18 panels Forum Entreprises « Business MEDays » (avec 1 séance plénière et 5 panels) Réunions et rencontres bilatérales 3 MEDays Debates L’Initiative de Tanger Cérémonie d’ouverture et de clôture avec dîner de gala Prix MEDays Cocktails dinatoires Networking Petits-déjeuners de travail Déjeuners -débat Points presse et conférences de presse

Le forum MEDays, plateforme de discussion par excellence

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Auteurs Sous la Direction Générale de :

Brahim Fassi Fihri, Président Younes Slaoui, Conseiller du Président (Business MEDays)

Responsables de la Rédaction :

Talal Salahdine, Responsable Stratégie et Communication Olivier Deau, Coordinateur Centre d’Analyses et de Publication

Equipe de rédaction et de recherche :

Olivier Deau, Coordinateur Centre d’Analyses et de Publication Fréderic Baranger, Coordinateur de Recherches – Pole Economie et Développement Amine Amara, Coordinateur de Recherches – Pole Gouvernance et Gestion des crises Germain Letoullec, Chargé d’études – Pole Gouvernance et gestion des crises Mathilde Daras, Chargée d’études – Pole Environnement et Développement durable

Réalisation et Production :

Nada Chkif, Secrétaire Générale Khadija Ennahdi Idrissi, Chargée de mission auprès de la Secrétaire Générale

Nos sincères remerciements à messieurs

Charles Enderlin, Chef du Bureau de France 2 à Jérusalem et Mahmoud Ould Mohamedou, ancien Ministre des Affaires étrangères de Mauritanie et Professeur universitaire associé au Centre de Politique et de Sécurité de Genève, pour leurs précieuses orientations.

RAPPORT INSTITUT AMADEUS 2011

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