Souvenirs de guerre(s) de Gaston Jarrossay (né en1896)

petites voitures porte-brancard ne servaient que bien mal aux évacuations. ..... avons pas eu le temps d' installer des lits que nous recevons l' ordre de filer sur ...
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"Le petit poilu de moins de vingt ans des années 15-16-17-18-19, de la classe 16 dite des BLEUETS.... Photo faite par sa mère à l' occasion de sa première brisque d' un an de front en 1917 lors d' une permission de détente" remise par sa soeur Marguerite lors d' une visite à St Aubin-le-Cloud en 1974

Souvenirs de guerre(s) de Gaston Jarrossay (né en1896) "ce cahier est pour Michel, qui un jour m' en fit la demande !... connaître la guerre de 14-18 et un peu l' autre." A Michel, je dis que c' est bien tard pour que le Pépé lui fasse le plaisir de raconter ses souvenirs de 14-18. Il doute de sa persévérance à commencer en cette année 1976. Alors, en très raccourci et pour cause, car il va avoir en fin d' année ses quatre vingt ans !!! La bonne volonté aidant, tâchant de faire au mieux, et qu' il le sache lire, en avant donc.

Souvenirs de 1914, avant la mobilisation d'Août (feuille rajoutée) C' était ma première place d' élève en Pharmacie, terme qui était en usage alors. Donc j' avais quitté Mr Ricordeau où j' avais fait mon apprentissage de 14 à 17 ans. Je voulais gagner de l' argent et je m' étais arrangé en causant aves les représentants (qui venaient surtout pour placer les accessoires et différentes choses au patron) pour qu' ils m' avertissent en cas de demande d' élève. Celle ci m' enchanta car elle était pour Angers et maman et Marguerite étant à Beaugé , je trouvais que ce serait épatant. Mais j' avais dû faire un mensonge en faisant savoir que j' allais sur mes 18 ans. Mr Ricordeau ne fit aucune objection à ce que je le quitte ; alors, sur les bons renseignements qu' il donna , l' affaire fut vite enlevée à ma grande satisfaction. Car déjà alors j' étais un mordu du vélo et les distances kilomètriques ne me faisaient pas peur. De plus, c' était le début de 1914, et rien ne laissait prévoir ce qui devait se produire en Août. Mais voilà mes deux patrons qui sont mobilisés. Mr Ricordeau me rappela donc au détriment de celui d' Angers et me revoila à Conlie, cette fois rémunéré aux conditions du moment, et même un peu plus, à tenir son officine. Mais les événements allaient vite et je fus convoqué pour le conseil de révision de ma classe 16. Je n' avais donc cette fois qu' à m' y rendre. Déclaré " Bon pour le service armé " je n' eus pas longtemps à attendre ma mobilisation , et ma feuille de route fut pour la 24° Section d' Infirmiers Militaires de Versailles et en caserne à suivre les programmes d' alors pour connaître les rudiments du fantassin et du Lebel.Le reste, brancard etc et toutes les autres obligations du métier. Fort heureusement, j' avais été désigné pour suivre les cours du "Caducée" à l' hopital Dominique Larey. Dans l' intervalle , il y avait beaucoup de mutations, et un beau jour arriva une demande du Génie de 2 volontaires pour le service des gaz du camp de Satory spécifiant "étudiants ou élèves en pharmacie". Je fus donc muté et devins un sapeur affecté à la chambre à gaz et à la vérification des masques avant les entrées, ce qui, vu que les spécimens d' alors ne s' ajustaient guére bien, le bromure d' éthyle faisait déjà des siennes. Eh oui! Même de petites intoxications qu' il fallait soigner au plus vite et l' infirmerie du camp était loin du plateau. Les derniers essais se faisaient avant les départs des renforts qui devaient être accélérés vu les besoins des combats. Puis vint, aprés ce long séjour au camp, mon envoi à une formation qui eut des grosses pertes à St

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Vauttion (?). Emission contrariée par sautes de vent et gaz trop lourds... que je connus moi aussi suivant les accidents de terrain, car les lignes n' étaient pas rectilignes et d' autres faits impossibles à prévoir contrariaient les émissions qui partaient de petites sapes en avant de la ligne de tir des fantassins. Ce fut mon devoir d' être là où etaient les dangers. (fin du rajout) En Août 14, il n' a pas 18 ans , étant né le 27 Décembre 1896 à Mayet-Sarthe. Faire ce récit 62 ans plus tard n' est certes pas facile, alors voilà ! Elève en pharmacie à Angers, son patron d' apprentissage , mobilisé, le rappelle pour tenir sa pharmacie à Conlie. La petite ville va très vite installer un hopital auxiliaire et ce seront les débuts de ce que va être un peu plus tard sa vie militaire: faire des brancardages et soigner des blessés qui arrivent par train. En Janvier 15, il reçoit sa convocation au Conseil de Révision à Beaugé où habitent sa mère et sa soeur Marguerite. Il en sort "Service Armé"et ce sera début Avril sa mobilisation pour la 24° Section d' Infirmiers de Versailles, bien qu' ayant demandé les chasseurs cyclistes. Il y fait des classes mixtes d' infanterie-infirmerie, et en même temps suit les cours du "Caducée" au grand hopital militaire de Versailles et aura droit à l' insigne au col de la tunique et au calot. C'est alors qu' il va changer d' arme et passer au 1° Génie qui cherche 2 volontaires ("étudiant ou élève en pharmacie") pour le service des Compagnies "Z" qui se forment au camp de Satory. Il va y rester jusqu' à fin Juin 16 où il partira en renfort pour une compagnie qui a perdu beaucoup d' hommes lors d' une émission malheureuse. Du séjour à Satory où son rôle était de s' occuper des hommes avant le passage à la chambre à gaz ou sur le terrain, de soigner au mieux les intoxications qui se produisaient et étaient déjà parfois mortelles - l' infirmerie du camp étant trop éloignée du terrain et de plus les masques bien peu efficaces il faut l' avouer. Il avait une attribution de lait ainsi que son camarade, mais il n' aimait pas le lait! Ce début est en quelque sorte la préface qui dés ce moment va être très décousue (surtout quant aux dates, sauf certaines qui sont plus marquées que d' autres , ou reviennent à sa mémoire , assez touchée lors de son attaque d' hémiplégie en 69). Le temps a passé et voici le moment où il va connaître les tranchées et boyaux et biens sûr les arrivées d' obus et celà tout près de Vic-sur-Aisne. Il est affecté à la 1° section remplaçant un brancardier évacué. Dès les premiers jours, il a la chance d' être avec un infirmier beaucoup plus âgé de 20 ans. Celui-ci a l' expérience des secteurs et le fait bénéficier de conseils qui s' avèreront bien bénéfiques pour les jours qu' il devra vivre avec cette compagnie dont il ne sait encore pour ainsi dire rien. Il est toujourd désireux d' apprendre ce qu' il ne faut surtout pas faire si l' on tient à sa peau et qu' on veut éviter de se faire moucher par celui d' en face. Je lui dois ma reconnaissance la plus complète et ne l' ai jamais oublié. Il fut relevé du front par suite de sa situation de famille et versé dans la réserve territoriale. Il était du centre de la France et m' appelait "mon petit". Voici ce qu' est le travail de ces formations " en ligne ". Il se faisait essentiellement la nuit. Les hommes montaient avec carabine d' artillerie, cartouchières, pelle et pioche avec en plus les planches nécessaires au coffrage des petits abris qui, le moment venu, recevraient les bouteilles de gaz, bien sûr, en principe, tout à la fin. Celà étant dit, voilà à peu près ce qu' était mon rôle: d' abord, porter la musette à pansements qui n' était pas légère; mais c' était surtout le brancard qui pesait le plus bien que nous soyions à deux ; j' allais oublier le bidon d' eau toujours réglementaire, qui servait le plus souvent à se laver les mains lors des pansements à faire car en plus des balles, des obus, il y avait de petites blessures dues au travail.

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Je vais esssayer de décrire celui-ci. Partant de la banquette de tir du fantassin en ligne, creuser sur environ 0m,75 au carré et profond d' 1m,50 , ensuite sous l' avant de la ligne, établir un abri sape de 2m carrés, hauteur 1m,80 , étayer de montants et de planches et chapeauter le plafond de madriers.Tout ce matériel venait d' un dépôt qui était souvent assez loin des 3° lignes. Naturellement il fallait evacuer par sacs à terre, pierres etc etc, ce qui se faisait soit en avant de la tranchée, lorsqu' il y avait des trous d' obus ou derrière suivant les cas. De tout façon, cette terre enlevée devait être camouflée au mieux, celà va sans dire. Il y avait certains postes qui étaient avantagés selon le terrain et le travail pour d' autres était très pénible. Sans y être obligé, il m' arrivait de donner un coup de main, car je ne devais pas quitter ma section tant qu' il restait des sapeurs en ligne. Normalement, il fallait deux à trois semaines de ce travail puis venait le transport des tubes (bouteilles de gaz) qui se faisait tout en dernier, avec deux bâtons, sur les épaules des hommes, le tube étant au milieu. Cela demandait beaucoup de précaution des porteurs, et se faisait la nuit, sans bruit si possible. Lors des arrêts, il était interdit de fumer et pour certains, c' était une véritable corvée. Mais il y avait mieux, c' était l' attente du jour "J" de l' émission, les sapeurs restant en tranchée, l' infanterie passant en deuxième ligne. Seules les mitrailleuses nous couvraient et bien sûr, le "75" toujours présent. "Attendre..." était le moins prisé des hommes, et ce vent bien capricieux dont la vitesse suivant certains postes jouait des tours lorsque l' ordre était donné d' ouvrir ou qu' il y avait des fuites aux raccordements du tube central. Celà occasionnait des accidents au manipulateur dans l' abri et il fallait le remonter tant bien que mal. Ces risques étaient constants et si l' artillerie s' en mêlait lorsque l' alerte était déclenchée chez les boches, la surprise faisait son oeuvre. Ce qui n' empêche que nous avion en plus des évacués par "nos" gaz. L' infirmier-brancardier fut néanmoins assez heureux durant toute la fin de l' année 16, et il passe au début de 1917.

1917 Revenant d' une émission de la Ville-au-Bois près de Craonne, il va être au repos près de Soissons, et là va commencer une période difficile car sa compagnie va prendre position sur le flanc gauche du Chemin des Dames où se trouvent réunies presque toutes les compagnies "Z". Et c' est l' hiver terrible de 1917 où nous sommes dans des grottes (anciennes carrières) pas aménagées et de plus fortement humides. la rigueur de l' hiver se fait sentir dans tous les domaines et pour monter en ligne, le chemin est long, long...jamais encore connu pour lui. Pour ses camarades, le début du travail est à peine croyable, le sol est gelé à plus de 70 cm. De ce fait, le travail n' avance pas puisqu' il faut chaque nuit reprendre à zéro malgré les manches de pioches brisés et toujourds cette température sibérienne. Chaque jour nous avons des gelures d' oreille, de nez, de pied. Chaque matin, de nouveaux éclopés. Pour l' infirmier, le travail ne manque pas à l' infirmerie de la grotte. Les rangs s' éclaircissent et il faut malgré ça activer le travail. De plus, le ravitaillement est souvent en retard pour amener du pain, du vin, de la viande gelés, et celà sans désemparer. La "roulante" a aussi des problèmes : nous sommes sur un plateau et en vue des Allemands et de leurs "saucisses" d' observation. Tout est recouvert de neige glacée lorsqu' on arrive dans les boyaux et les tranchées. Malgré toutes les précautions et les ordres nous faisons du bruit aussi les mitrailleurs et artilleurs d' en face sont à la fête pour nous recevoir! Mais impossible d' y remèdier. Un détail à mentionner : nous devions graisser nos godillots avec de l' huile de foie de morue; ça non plus, ce n' était pas drôle, car ça puait dans les grottes surtout dans l' atmosphère confinée, bien que nous ayons fait des cheminées d' aèration, mais pas en quantité suffisante. Bien sûr, tout en allant, nous avions perçu des passe-montagne à mettre sous le casque. Nos moustaches, par la respiration étaient blanches avant l' heure. C' est à cette période que j' eus la

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surprise en ouvrant mon sac de trouver un nid de souris qui avaient grignoté ma réserve de chocolat et petits beurre sans compter linge, chaussettes etc..Et pourtant lorsque vint Avril, les abris-sapes pouvaient recevoir les gaz et nous etions prêts pour émettre. Mais nos travaux avaient été repérés par l' ennemi et ne purent servir lors de l' attaque frontale du Chemin des Dames en Avril 17, attaque qui n' aurait pas dû être faite et eut lieu malgré une tempête de neige. Nous étions, en ce qui me concerne sous le bombardement des crapouillots d' en face et pourtant l' etat-major devait le savoir. Notre plan était éventé et cette bataille qui nous fit tant de pertes en hommes n' aurait pas dû être livrée dans ces circonstances et eut une influence terrible sur le moral du poilu.Dans notre secteur, avant de reculer sur leur fameuse ligne Hindenburg - qu' ils avaient établie autour de St Quentin- en fortifiant de blockhaus (d' une épaisseur que j' eus l' occasion de voir lors de ma venue pour y travailler en 1921). Aussitôt que nous eûmes nettoyé tout notre secteur des obus et des torpilles, qui nous causèrent encore des pertes dans 2 abris-sapes de ma section d' où nous retirâmes les pauvres types qui avaient les bretelles de cartouchières, les ceinturons, les godasses, bref , tout en poussière! Quant au reste, méconnaissable. Après le rude hiver que nous venions de passer, le moral était plus que bas... et pourtant, nous fîmes à pieds, non pas à la poursuite des Allemands puisqu' ils s' étaient retirés sans être poursuivis... et me voici pour la première fois dans un secteur de réfugiés ( Mr Mme Balet, un peu à droite sur Benay-Rtaucourt )pour y préparer une émission qui fut , d' après les Allemands une "réussite, en nous faisant savoir que nous avions asphyxié de nombreux civils qui n' avaient pas été évacués. Car seuls ceux de la ville avaient quitté St Quentin. Nous étions donc en quelque sorte des assassins. ça, on s' en doutait, car nous avions, pour la première fois, utilisé un nouveau gaz plus léger pour la première fois, et qui avait été mis au point pour la grande préparation à l' attaque directe du Chemin des Dames qui ne put se faire. Nous avons trouvé un chemin où tous les arbres avaient été coupés à I mètre du sol, les toitures des maisons presque toutes démolies; une vraie désolation.J' allais oublier qu' après un hiver si rude,nous eûmes pendant tous nos travaux, un été torride et que nous étions couverts des fameux "totos" à croix gammée, au point que nous devions, aussitôt que nous le pouvions, nous épouiller, car si nous connaissions bien les rats, cette vermine là était encore plus mal supportée. De plus, nous étions plus que de raison bombardés des arrières et leurs repèrages étaient rudement exacts. Plus tard, nous apprîmes à nous camoufler, car "ils" avaient installé un observatoire dans la basilique qui découvrait le secteur presque jusqu' à Laon. Pourtant ils avaient l' astuce de monter leurs saucisses d' observation sur les pourtours de la ville. Mais pour nous qui devions comme toujours travailler de nuit, nous ne pouvions savoir que les camions de ravitaillement qui apportaient les matériaux au dépôt du génie, le plus près possible des lignes, étaient bien repérés malgré les changements d' heure d' arrivée, et éprouvions souvent des tirs d' obus de 105 lorsque nous descendions des lignes, nous croyant hors de vue au petit matin. Une seconde émission fut faite encore avec moins de réussite. Puis nous revoilà, fin Octobre, dans le secteur du Chemin des Dames pour la reprise du fort de la Malmaison. Cette fois, nous avons un autre dispositif de lancement des gaz, paraît-il Anglais. Ce ne fut guère concluant. Ce que je me rappelle bien, c' est que c' était par tube dans lequel était l' obus à gaz et que le déclanchement se faisait électriquement. De mon jugement et malgré que l' orientation devait être bien calculée, nous préfèrions même nos bouteilles " à dos ", certes à découvert aussi mais très nettement plus efficace. De ce coin, il me souvient que pendant toute la durée de la bataille il fit un vrai temps de chien, et nous montions dans 30 cm de boue, et tout s' embourbait, même nos petites voitures porte-brancard ne servaient que bien mal aux évacuations. Et ce fut là, dans la grotte d' Astel, que nous fûmes emmurés deux jours pleins, risquant l' asphyxie de trois escouades : un gros percutant nous avait bouché l' entrée, et pas de sortie de secours, les bougies s' éteignaient faute d' oxygène, heureusement que la cheminée d' aération fonctionnait encore tant bien que mal. C' est de là que, lorsqu' on fut au repos, nous avions tout des chinois, et ceux qui partirent en permission de 10 jours furent à peine reconnus par leurs parents. C' est alors que nous remontâmes dans la région

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de St Quentin, sur la ligne d' Amiens, vers Ham. Le secteur était plus calme et nous commençâmes les travaux, mais nous fûmes remplacés par les Anglais. En faisant cette fois le grand déplacement par chemin de fer, ( 3 jours dans le train ) pour arriver par le froid et la neige en Champagne Pouilleuse, terrain que nous ne connaissions pas, et cette fois nous relevions les Italiens. Nous dûmes patauger toute la nuit, chercher les baraques Hadrien pour les trouver sans fenêtres ni poêles, ou celui qui y était, démoli. A peine avions nous pu le remettre en route que nous recevions l' ordre de déguerpir, ce n' était pas là le cantonnement affecté ! De plus la cuisine roulante perdue dans le vent et la neige qui n' arrivait pas. Par conséquent, rien de chaud,...biscuits, boîtes de singe. Après une nuit et une matinée, nous étions trempés et gelés, tout ça pour apprendre que dans ce secteur, notre travail était de relever les tranchées et boyaux dans un état de délabrement impossible à décrire. Ah ces Macaronis, si ils chantaient tout le temps, ils ne faisaient guère d' entretien et par dessus le marché, ceux qui étaient restés au cantonnement étaient plus douillets que des femmes. Nous étions au début de 1918 et je ne me rappelle plus combien de temps nous sommes restés dans ce sale coin désolant au possible. Soudain nous apprîmes que nous devions remonter dans le nord ( les Anglais avaient été bousculés par une attaque allemande sur une grande profondeur) toujours par le train pour faire le tour de Paris, ensuite par camions . Mission : aider à consolider le front et faire des débuts de tranchées en posant des fils de fer barbelés pour ralentir l' avance allemande. Nous étions cette fois en pleine guerre de mouvement. C' est là que j' ai vu les premiers Américains et que les Australiens avaient colmaté la percée. Puis le front se stabilisa en partie, et l' armée française remplaçante des Anglais du secteur, qui était et devait être le leur, avait rétabli le front. Ce fut vers ces moments là que se situe la reprise de la ville de Montdidier où ma compagnie monta en ligne pour établir des passerelles sur les petites rivières du bas de la ville pour en faciliter l' attaque, qui fut terrible, le coin étant farci de mitrailleuses boches et nos petits chasseurs alpins terriblement décimés. J ' en ai gardé vision à jamais gravée pour le restant de mes jours. Je fus là moi-même à deux doigts d' être fait prisonnier. La chance était pour moi encore et les conseils que j' avais reçu de mon vieux camarade m' évitèrent d' être victime des traquenards que les casemates allemandes renfermaient et qui furent fatals à bien des nôtres. C' est également en cette ville que jevis une grande fosse commune où des soldats étaient empilés, revêtus d' une chemise de papier . Drôle de spectacle que cette fosse qu' ils n' avaient pas eu le temps de finir. Ce fut ensuite après une permission de détente que je retrouvai ma compagnie en Champagne, après avoir été mal dirigé par la gare régulatrice du Nord. Mais les compagnies Z, ces petites unités, ne comptaient certainement pas beaucoup dans les effectifs des déplacements. Cette fois, ce n'était plus la terre crayeuse que j' avais connue un an auparavant. Le secteur était en pleine effervescence, ça sentait l' attaque proche et nos sapeurs ne firent plus guère usage des gaz, devenus de vulgaires terrassiers au service des petits tanks Renault pour la traversée des tranchées allemandes à l' aide de plans inclinés. Car ces petits engins pourvu de chenilles légères et sans doute trop légers devaient être aidés. Là; pendant les préparatifs, nous eûmes les premières attaques de la grippe dit espagnole qui fit de grands ravages dans nos rangs, ce qui n' empêcha pas le déclenchement de l' attaque. Chaque matin et parfois l' après-midi, des dizaines de bombardiers survolaient les tranchées allemandes déversant des tonnes de grosses bombes qui pourtant ne furent pas de grand rendement. Car les Allemands avaient fait de petits blockhaus où ils avaient mis de pauvres types enchaînés, qui avec leurs mitrailleuses tirèrent des monceaux de cartouches avant d' être vaincus ou tués. Ils firent presque échouer l' attaque des petits tanks dont beaucoup furent cloués au sol et enflammés devant eux. Encore un spectacle qui ne s' oublie pas. Et pourtant, avant d' être dans le secteur , en arrivant à Angers et prenant le petit train de Beaugé, je surpris les voisins de compartiment en disant : " qu' est ce que j' entends là ?"; C' étaient les cloches de léglise tout près de la gare, et ce fut rapporté à ma mère par ceux qui étaient présents. Bien plus tard, je me suis rappelé que lors d' une explosion toute proche qui m' avait projeté, je me relevais

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intact, mais fortement choqué sans qu' il en paraisse et pourtant était. Cette fois, nous approchions de la fin car après une résistance farouche, ce fut la retraite et le recul, et je me retrouvai le 11 Novembre sur la route de Charleville après avoir passé Rethel. Mais cette fois, c' étaint les prisonniers Allemands qui remplissaient les entonnoirs qu' ils avaient fait sauter aux carrefours des rues de villages pour retarder notre avance et ce fut là le jour où je me dis : "Ouf! C' est la fin , mais sans le fêter comme il aurait dû être, car pour les camarades nous n' avion pas de "pinard", ni même de bière - par contre de la choucroute trouvée sur place dans des wagons démolis, mais satisfait pourtant de voir le résultat tant attendu de tous et qui malgré tout nous apparaissait parfois si irréel.

Après l' Armistice La compagnie s' est vue nantie de nombreux prisonniers qui furent employés à aider les sapeurs à poursuivre la réfection des routes, ce qui était très important pour ravitailler les unités qui devaient continuer à fonctionner, bien sûr sans combattre mais se réorganiser pour l' avenir et l' occupation. Au début de 1919 nous fûmes au grand repos dans les environs de Reims à Cormontreuil, où était le fameux stade créé par ....? , l' un des premiers je crois de France avec piscine, piste de course....enfin supérieurement aménagé? Très vite je fus à remplacer le cabot infirmier qui fut un des premiers à être démobilisé. De plus, j' étais le seul à aider le Major au service civil des malades du coin. J' ai en souvenir une photo avec le Major et les infirmiers qui me secondaient. Car nous avions à faire le tour de 2 ou 3 forts de Reims, presque chaque jour, où étaient casernés des prisonniers Allemands qui étaient malades. Quelle discipline était la leur. Lorsque le Major entrait dans la chambre, tous sautaient du lit, et au garde-à-vous malgré nos consignes pour ceux qui avaient de la fièvre. Mais rien à faire, les gradés faisaient semblant de l' ignorer. Bref, étant le plus jeune, je pensais rester ainsi près de mes camarades plus anciens. Mais je ne sais comment le "service de Santé" me dénicha pour m' envoyer à St Avold , en Lorraine, pour y faire l' inventaire de deus hopitaux ( pour les médicaments qui y étaient entreposés), en subsistance, bien seul, sans aucun de mes camarades de guerre, en attente de ma démobilisation..... et j' en termine là. P.S. Pour être exact sur la période de sa vie de jeune homme, laissant de côté les souffrances physiques du soldat tout comme d' autres de son âge, il me faut mentionner celles du moral qui me sont encore bien pénibles. Celles, par exemple d' avoir connu les désertions face à l' ennemi d' hommes qu' il connaissait pour avoir vécu ensemble; qui eut une crise de cafard lorsqu' il fallait remonter en ligne, chaque soir comme c' était l' habitude , pensant ou croyant que ce serait la dernière.... sans plus réflèchir et pourtant sachant bien ce qu' étaient les ordres formels de se faire tirer dessus par les camarades.... Que de drames , bien jeune il eut connaissance en cette période qui pour certains fut si courte et si longue et pénible à d' autres, et à moi en particulier. Pour en terminer sur une note meilleure, en Octobre 1919 date de sa démobilisation, il n' eut rien de plus pressè que de reprendre sa place dans sa profession. Il fut bien aidé par un pharmacien de Nice qu' il avait connu, tout jeune à Conlie, étudiant, lorsqu' il y venait faire des remplacements. Il lui écrivit en l' invitant fort gentiment à venir et l' aida à trouver un emploi à Grasse, où tout en reprenant sa place dans le civil il put soigner une pharyngite tenace qu' il avait rapportée du front.

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Et il s' y retrouve , plus de 60 ans plus tard , pour y passer ses jours de retraite. Fait ce 27 Juin 1976 pour son beau-fils Michel Signé : Gaston Jarrossay

P.S. 2 Autres souvenirs 14-18 Sur cette époque déjà bien lointaine. Ce que furent les hommes qui eurent à s' adapter à cette vie. Ils vont vivre longtemps dans les tranchées en plusieurs lignes entrecoupées de boyaux qui communiquaient avec les sapes (abris souterrains), de perpétuelles alertes dans la boue , la pluie et l' hiver, le froid; sans omettre la pouillerie (inévitable vermine). Alimentés d' irrégulières et vagues nourritures, parfois sans pendant plusieurs jours , sous les bombardements, guettés par la mort et séparés de la vie. Derrière leurs réseaux de barbelés des jours, des semaines, des mois, des années . Le plus beau de leur jeunesse, de leur bel âge dans ce monde mutilé, déchiqueté et plein de souvenirs hallucinants et de morts quotidiennes. Héros anonymes ignorés de presque tous ceux de l' arrière et s' ignorant eux mêmes, reculant les limites de l' imagination et de la misère humaine. Plus tard, c' est mon cas, vêtu de bleu horizon après avir été en pantalon rouge et képi à bande rouge en attendant le casque d' acier lourd et si mal ajusté aux têtes des Poilus - sous les obus de tous calibres et ensuite ceux à ailetttes des crapouillots de tranchées ( après 1916 où les directives étaient de fouiller profondément) - puis les mines qui avaient déjà très employées mais trop longues et souvent éventées - puis ce furent les gaz asphyxiants en nappes (arme inventée per les boches) - puis les liquides enflammés, tout celà des plus inhumains. Brève fut sa période d' instruction de sapeur "Z" au camp de Satory d' Octobre 1915 à Juin 1916 où il partit en renfort auprès d' une compagnie la 32-32 qui avait perdu plus de 110 hommes à la bataille de la Somme - du fait d' une émission malheureuse - ce qui arrivait. Et pourtant, le pépé qui écrit ces lignes est encore de ce monde et approche de ses 80 ans.

La seconde mobilisation : 1939 Mon fascicule de mobilisation porte que le 8° jour je dois me rendre à Amiens. Etant caporal-chef dans la réserve, je suis désigné pour Beauvais avec 10 hommes, lieu de rendez-vous: établissement de l' Ecole Normale d' Institutrices. Beauvais est le centre de l' H.O.F. de l' armée du nord, où se trouvent de nombreux hopitaux en formation. Son hopital doit être en mesure de fonctionner très vite pour recevoir 200 blessès. Ses priorités sont de faire que la stérilisation marche au plus tôt, ensuite la pharmecie, enfin il est bien normal que je me retrouve chef de l' équipe de défense contre les gaz. L' hiver se passe normalement, rien de spécial à mentionner. Arrive Mai et le désastre de l' armée du Nord qui entraîne avec elle le repli de nombreux civils et bien sûr ceux de St Quentin! Pour accentuer le désordre arrive le bombardement d' Amiens où se trouvent mélangés civils et militaires ; nous fonctionnons à plein pendant 6 jours. Puis arrivent l' ordre de repli et un autre bombardement de la ville... Au début de Janvier, j' avais été nommé sergent. Me voici avec ceux de mon âge à prendre la direction de Rouen point de rassemblement où l' on distribue les lieux de repli. Je suis désigné pour Le Neubourg petite ville de derrière la Seine où nous devrons mettre en état une école d' agriculture. J' ai avec moi un autre Major et un sous-lieutenant. En plus nous avons des Espagnols

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révolutionnaires de la guerre civile. Malheureusement l' armée allemande n' a pas de mal à franchir la Seine et après avoir fonctionné 3 jours, nouveau repli, cette fois-ci en direction de Caen. J' ai réquisitionné des vélos pour mes gars, mais suis seul avec eux , et ils ne sont guère habitués à faire du vélo...Finalement j' arrive à Caen pour me voir attribuer un autre lieu près de Falaise. Nous n' avons pas eu le temps d' installer des lits que nous recevons l' ordre de filer sur Nantes où je pars avec deux sergents dont l' un sait que sa femme se trouve dans les environs de Sablé, Sarthe. Pendant le parcours nous passons à la Ferté-Macé -où j'ai habité tout jeune - et y apprenons que les blindés allemands sont déjà passés filant sur Rennes. Pendant toutes ces épreuves j' ai su que mon beau-frère Gaston a emmené ma fille et ma femme et doivent être dans la région avec les réfugiés du Nord et en particulier de St Quentin. Pendant que mon camarade est parti à la recherche de sa femme nous sommes arrêtés à Sablé, et j' apprends qu' il y a des réfugiés de St Quentin à un petit village des environs. Je m' y rends en laissant la consigne à celui qui reste avec la voiture de faire savoir que si je ne suis pas revenu le lendemain, c' est que j' aurai trouvé les miens. De toute façon, je n' aurais pu les rejoindre : au petit jour des avions boches bombardent la petite ville et des colonnes motorisées défilent sur les routes où il n' y a pas de troupes pour les arrêter . C' est là que se termine ma vie militaire de cette seconde guerre ! Aprés avoir entendu l' annonce de l' armistice de Pétain ma fille et ma femme m' empêchèrent de me rendre dans un hôpital de Sablé où je risquais d' être fait prisonnier, même étant de la Croix-Rouge. L' ennui c' est que je n' avais pas droit au ravitaillement des réfugiés, et le maire de Juigné ne fit rien dans ce sens. Fort heureusement je pus me débrouiller en prenant un poste de pharmacien qui, lui, était resté réquisitionné dans le Calvados. Dans la petite ville de Brûlon , lorsque je me rendis à la gendarmerie, j' appris que ma classe était rendue à la vie normale. Et vers l' approche de l' hiver 1940, nous décidions de rentrer à St Quentin en faisant une escale à Paris près de ma soeur Marguerite qui avait son mari prisonnier en Allemagne. Thérèse avait une filleule de Montbrehain qui leur laissa la libre disposition d' un petit appartement à Paris jusqu' à ce que je me retrouve à St Quentin où je voulais rentrer, même contre l' interdiction allemande. et je dus passer la ligne de démarcation en barque, au risque de me faire tirer dessus, ( ce qui était courant ). Je fis le trajet à vélo depuis Ham pour apprendre que ma pharmacie n' était pas rouverte. Mais en me rendant à l' Hôtel-Dieu, l' hopital où j' étais bien connu y ayant fait depuis longtemps des remplacements du préparateur, un ami de longue date. Celui-ci n' étant pas rentré, c' étaient les soeurs qui faisaient de leur mieux pour suppléer au pharmacien.... Puis vers la fin de l' année, Thérèse et Arlette me rejoignirent dans notre maison de la rue Denfert-Rochereau. Une année encore mouvementée. Pour finir, je fus requis pour faire partie de la "Défense Passive" jusqu' à la fin de la guerre. Mon poste était à l' hôpital de l' Hôtel-Dieu et je devais m' y rendre lors des alertes, la pharmacie Flayelle étant toute proche.