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de se tourner vers la piraterie.» En effet, la piraterie aux abords de la Somalie reste un métier très lucratif. Les petits pêcheurs, qui ne pouvaient que rarement ...
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SOMALIE

UNE MER D’ESPOIR

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Geneviève Gagné

Longtemps considérée comme l’une des villes les plus dangereuses au monde, la capitale somalienne Mogadiscio renaît finalement de ses cendres après une vingtaine d’années de guerre civile. Une renaissance bien méritée pour sa population qui a vécu toutes ces années tiraillée entre les groupes islamistes et les seigneurs de guerre.

ne paix qui a pavé la voie à un impressionnant boom économique qui a fait bondir le prix des maisons et favoriser plusieurs secteurs. Et ce, grâce à l’expulsion du groupe terroriste Al-Shabaab par les soldats de l’Union africaine en 2011. Sclérosée, l’économie de Mogadiscio était alors sous l’emprise de ce groupe islamiste qui contrôlait toutes les sphères de la société, de la musique à l’économie, en passant par la sonnerie des téléphones mobiles. Depuis leur départ et la mise en place d’un nouveau gouvernement, l’espoir d’une stabilité durable semble plus près du réel que de l’imaginaire, selon l’expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme en Somalie, Shamsul Bari : «Le pays a fait de grands pas en avant depuis les dernières années, allant d’une situation de total désespoir vers une ressemblance de normalité et d’espoir.»

laient constamment leur matériel et aux Shababb qui collectaient le peu d’argent gagné sous forme de taxe. Détenant après Madagascar la plus longue côte de l’Afrique donnant sur les mers Indienne et d’Arabie, la Somalie jouie de la présence d’une grande variété de poissons dont elle doit tirer profit selon l’expert Ernst Jan Hogendoorn, directeur adjoint pour l’Afrique de l’organisation Crisis Group. «Les différentes mers représentent une importante source de revenus pour la Somalie. Elles contiennent des poissons d’une grande valeur comme le thon, par exemple.»

PÊCHE PROSPÈRE

Poisson très prisé par les Japonais, l’exportation du thon sur l’archipel nippon pourrait rapporter gros à l’industrie, estime le spécialiste. Une ressource à prendre en compte pour relancer l’économie du pays et attirer les investissements étrangers.

Un tel espoir qui a su relancer un secteur de l’économie autrefois florissant, celui de la pêche. Après deux décennies, le marché de poissons Hamarwayne de Mogadiscio a retrouvé sa prospérité d’autrefois. L’endroit accueille à nouveau pêcheurs et marchands qui ont dépoussiéré kiosques et bateaux pour y exposer les prises fraîches de la journée. Bien que la pêche ait toujours été un important vecteur économique pour la Somalie, les pêcheurs peinaient à exercer leur travail lors des années tumultueuses. Ils devaient faire face aux pirates qui pil-

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Une option pourrait toutefois être envisagée, celle d’un service de mise en conserve dans le but d’en faire l’exportation à l’étranger. Un débouché intéressant qui règlerait définitivement le problème de fraîcheur, tout en permettant le développement progressif de l’industrie. Un tel choix demanderait technologie et infrastructures neuves, un investissement jugé trop important pour en valoir la peine selon M. Hogendoorn, expert du Crisis Group sur la question. «Les coûts seraient bien trop élevés pour ce genre d’investissement. Des coûts supplémentaires que le Kenya et

« Le pays a fait de grands pas en avant depuis les dernières années, allant d’une situation de total désespoir vers une ressemblance de normalité et d’espoir. »

OBJECTIF EXPORTATION Malgré cette richesse naturelle inestimable, le pays n’est pas encore prêt pour des projets d’envergure comme l’exportation à grande échelle. Il reste de grandes failles concernant l’entreposage du poisson dans des chambres froides et la transportation de la marchandise.

les Seyhelles n’ont pas», explique-t-il. Deux pays africains pour qui la pêche est une importante source de revenus. Le Kenya, par exemple, exporte ses poissons en Europe grâce au matériel de pointe qui assure la qualité et la fraîcheur du poisson. La Somalie part donc désavantagée de cette longueur d’avance des pays plus expérimentés et outillés. Elle prend toutefois au sérieux cet objectif d’exporter à l’étranger, mais vise une exportation à plus petite échelle en misant sur deux pays : Dubaï et la Turquie. La Compagnie Nationale Somalienne de Pêche (Somali National Fishing Industry) s’occupe donc d’acheter, d’emballer et d’envoyer la marchandise vers ces deux partenaires

MARCHÉS AFRICAINS

commerciaux, garantissant la fraîcheur du produit grâce à l’augmentation des vols quotidiens vers Dubaï et la Turquie. Prochain client ciblé par l’organisation : les Pays-Bas.

GARDE CÔTIÈRE Avant toute chose, pour garantir la pérennité de cette industrie qui grandit, il demeure primordial d’assurer un contrôle efficace et dissuasif des eaux somaliennes. Le pays n’a toutefois présentement aucune garde côtière apte à protéger son territoire et empêcher la pêche illégale, trop occupée qu’elle est à gérer ses problèmes «domestiques». «La garde côtière règlemente la pêche disons moins éthique, explique M. Hogendoorn, et décourage certains pêcheurs de se tourner vers la piraterie.» En effet, la piraterie aux abords de la Somalie reste un métier très lucratif. Les petits pêcheurs, qui ne pouvaient que rarement travailler en toute quiétude, se tournaient alors vers la piraterie, qui était bien plus rentable que la pêche commerciale. Pendant ce temps, de l’autre côté, des compagnies internationales munies d’une «protection» contre les pirates

continuaient de pêcher d’énormes quantités de poissons somaliens. Une double réalité, locale et internationale, qui a fait très mal à l’industrie somalienne. Et les pirates en ont profité. «Une fois que le pays aura une garde côtière efficace qui protègera les eaux somaliennes des pirates et de la pêche illégale, et qui permettra de mettre en place une solide industrie de la pêche, ce sera beaucoup plus payant d’être un pêcheur que d’être un pirate», ajoute M. Hogendoorn.

DES HAUTS ET DES BAS L’engouement suscité par la reprise économique du pays a même convaincu plusieurs membres de la diaspora somalienne de retrouver leur terre, leur pays et leur patrie. C’est ce qu’a fait le restaurateur Ahmed Jama en ouvrant The Village, restaurant aujourd’hui connu mondialement qui ne sert que du poisson local. Il a pris la balle au bond et décidé de maximiser cette ouverture économique en quittant Londres pour un aller simple vers Mogadiscio. Il est ensuite devenu le chef-restaurateur somalien le plus connu de la planète.

Malgré le succès du restaurant The Village et le boom économique, Mogadiscio n’est pas à l’abri d’attaques terroristes. Après son séjour en Somalie en mars dernier, le spécialiste de la question des droits de l’Homme Shamsul Bari constate que la capitale se porte mieux, mais admet que la Somalie «n’est pas encore sortie du bois». Il précise que des attaques ont toujours lieu dans le centre-sud du pays, incluant Mogadiscio. Ahmed Jama et son restaurant phare ont d’ailleurs été victimes de l’une de ces agressions. En septembre dernier, The Village a été ciblé par les islamistes Shabaab, un double attentat qui a fait 14 victimes. Son propriétaire a toutefois reçu l’appui de ses collègues restaurateurs de partout sur la planète. Même le très célèbre restaurant danois Noma a lancé un appel pour aider à la reconstruction de l’établissement. Ahmed Jama a depuis lancé d’autres enseignes dans la capitale, un cinquième restaurant devant ouvrir ses portes prochainement. La paix reste donc précaire, mais le pire est passé selon M. Bari. «Il y a des hauts et des bas, mais dans les derniers mois, il y a eu plus de hauts que de bas. J’espère seulement que cette tendance continuera et permettra à la Somalie de laisser son passé trouble derrière elle pour enfin devenir un pays normal.»

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