NUMÉRO UNIVERITÉ DE
SHERBROOKE
NOUVELLE
Agir pour prévenir et réduire l’absentéisme lié à la maladie mentale Preventing and reducing absenteeism linked to mental illness Marc Corbière1,2, Marie-José Durand1,2 1 2
Centre de recherche du CSSS Champlain-Charles-Le Moyne École de réadaptation, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke
Correspondance : Marc Corbière, PhD Professeur agrégé Centre de recherche du CSSSCCLM Campus de Longueuil - Université de Sherbrooke 150 Place Charles-Le Moyne Longueuil (Québec) J4K 0A8 Canada 450 463-1835 poste 61601
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1er mai 2012 4 octobre 2012
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A
u sein de notre société mo-
travail. Pour celles et ceux qui présentent un
derne, des changements orga-
trouble mental grave (ex. schizophrénie, trouble
nisationnels et économiques
bipolaire) et qui sont en rupture du marché
ont des répercussions sans équivoque sur la
du travail ordinaire, la réintégration au travail
santé mentale des employés. Ces répercus-
s’avère ardue. L’implantation de programmes
sions représentent un fardeau tant sur le plan
de soutien à l’emploi, reconnus comme des
humain que financier. Comme l’indique l’Orga-
pratiques fondées sur les données probantes,
nisation mondiale de la santé [1], un quart de la
permet à environ 60 % des participants ayant
population mondiale sera touché à un moment
un trouble mental grave de réintégrer le mar-
de sa vie par des problèmes de santé mentale
ché du travail ordinaire [3]. Ces résultats sont
et la dépression sera une des premières causes
sans conteste significatifs pour l’efficacité de
d’incapacité au travail d’ici moins d’une décen-
ces programmes, mais peu de participants
nie. Par conséquent, les organisations et leurs
maintiennent leur emploi après un semestre [4].
employés ne peuvent plus ignorer la problé-
Qui plus est, la non-participation au marché du
matique de la santé mentale en milieu de tra-
travail a des répercussions considérables sur la
vail. Plusieurs études montrent d’ailleurs que le
santé de la personne, sans compter ses retom-
taux d’absentéisme dû à des troubles mentaux
bées, comme l’isolement social, la perte d’une
courants (ex. dépression, anxiété, trouble de
identité socioprofessionnelle et d’un pouvoir de
l’adaptation) s’exprime par plus de 30 % des ab-
consommation et, enfin, la pauvreté.
sences au travail toutes causes confondues [2].
L’Organisation de coopération et de déve-
Il convient de noter que de nombreux travailleurs
loppement économiques (OCDE) [5] souligne
sont encore en emploi, alors qu’ils font preuve
sans ambages le contexte particulier de ces
de présentéisme, c’est-à-dire qu’ils éprouvent
deux groupes de personnes aux prises avec un
de la difficulté à maintenir une vie active au
trouble mental : les personnes avec un trouble
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mental courant, qui éprouvent des difficultés
l’ouvrage collectif intitulé Du trouble mental à
à reprendre leurs activités professionnelles,
l’incapacité au travail [8] a pris forme.
et celles qui présentent un trouble mental
Dans cet ouvrage, Corbière et Durand [8]
grave, évincées du marché du travail ordinaire.
proposent de passer en revue les éléments-
L’OCDE [6] a d’ailleurs publié une mise en garde
clés nécessaires à un retour/réintégration au
contre l’utilisation des notions d’incapacité au
travail d’une personne avec un trouble men-
travail et de handicap, car ces dernières sclé-
tal courant/grave. L’assise de cette publication
rosent les personnes concernées ou du moins
majeure dans le domaine de la santé mentale
nuisent à leur mobilisation au regard du travail.
et du travail est constituée par de solides fon-
La plupart des pays industrialisés suggèrent de
dements théoriques et empiriques : ces der-
s’attaquer à la faible participation au travail des
niers suggèrent que la plupart des facteurs qui
personnes ayant un trouble mental. Dans une
entravent le retour ou la réintégration au travail
perspective économique, mais aussi axiolo-
sont peu associés à la maladie originale, mais
gique, l’OCDE propose de revisiter la législation
sont surtout liés à des facteurs environnemen-
anti-discriminatoire à l’endroit des personnes
taux et psychosociaux [7]. Cette refonte de la
concernées, les pratiques de suivi des maladies
compréhension des causes de l’incapacité au
et les prestations d’invalidité. Elle offre ainsi de
travail a permis de passer d’un modèle concep-
transformer l’incapacité ou le handicap en capa-
tuel dit « médical », mettant l’accent sur le trai-
cité. Autrement dit, à l’heure actuelle, de nom-
tement de la maladie, à un modèle de type
breuses politiques et procédures ont tendance
biopsychosocial, où il importe surtout de consi-
à demeurer axées sur ce que les personnes ne
dérer la complexité de l’être humain et de son
peuvent pas faire plutôt que sur leur capacité
environnement [9,10]. Ainsi, l’intervention visant
de travail [7]. C’est d’ailleurs dans cette orienta-
une reprise au travail ne repose plus stricte-
tion humaine, axiologique et économique, que
ment sur la réduction de la déficience ou des
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symptômes du trouble mental, mais plutôt sur la
et enfin, l’intervenant qui facilite le retour/la réin-
réduction de l’incapacité au travail. Par ailleurs,
tégration au travail appartenant à l’un de ces
Corbière et Durand [8] préconisent la concerta-
quatre systèmes (excepté personnel et social),
tion des divers acteurs concernés par le retour
selon le contexte dans lequel il œuvre. La dyna-
et la réintégration au travail de personnes aux
mique et les liens de ces systèmes empreints
prises avec un trouble mental. En ce sens, leur
d’un cadre socioéconomique, politique et cultu-
cadre théorique (illustré à la Figure 1) met, au
rel particulier, illustrés par l’interaction des divers
centre de leur intérêt, la personne avec une ca-
acteurs, vont faciliter ou gêner la participation au
pacité de travail partielle ou réduite, due à un
travail de la personne ayant des capacités de tra-
trouble mental. Cette personne, lorsqu’elle se
vail réduites dues à un trouble mental (Figure 1).
trouve en processus d’interaction avec le marché
Dans l’optique de comparer la situation
du travail (intégration, réintégration et retour au
de travail des personnes avec des troubles men-
travail, maintien en emploi), est partie prenante
taux dits graves ou courants, l’ouvrage collec-
d’un contexte sociétal qui prend la forme de
tif [8] met en relief leurs éléments spécifiques,
quatre grands systèmes : assurance, organisa-
mais aussi et avant tout, ceux qui demeurent
tionnel, santé, lesquels sont arrimés au système
communs. En ce sens, plusieurs chapitres font
personnel et social. Les acteurs-clés principaux
état des déterminants de la reprise du travail
de ces systèmes peuvent être la famille et les
ou encore des services de prévention des pro-
amis (système personnel et social), l’employeur,
blèmes de santé mentale en milieu de travail,
le supérieur immédiat, les collègues de travail,
des services de retour et de réintégration au tra-
les représentants syndicaux (système organisa-
vail de personnes avec un trouble mental. Un
tionnel), le médecin ou le psychiatre ainsi que
chapitre « boîte à outils » est destiné aux inter-
les membres de l’équipe traitante (système de
venants pour faciliter la participation au travail
santé), l’agent assureur (système d’assurance)
de leurs clients. Les rôles, attitudes et actions
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Figure 1. Cadre théorique de la participation au travail
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de plusieurs acteurs de la problématique santé
L’une des grandes recommandations de
mentale et travail, tels que les supérieurs immé-
cet ouvrage multidisciplinaire est sans conteste
diats, le coordonnateur de retour au travail, le
celle qui touche à la nécessité, pour les divers
conseiller en emploi spécialisé, sont exposés.
acteurs concernés par le retour/la réintégra-
Des chapitres sont aussi consacrés aux aspects
tion au travail au sens large, de faire preuve
économiques et épidémiologiques, pour offrir
d’écoute et de vigilance quant aux facteurs qui
un portrait de la situation, ainsi qu’à la présen-
provoquent, maintiennent ou détériorent les
tation des lois et mesures favorisant l’intégration
capacités au travail des personnes aux prises
au travail. Enfin, d’autres chapitres sur la stig-
avec un trouble mental. Pour finir, la participation
matisation envers les troubles mentaux et des
au travail des personnes avec un trouble mental
témoignages de reprise au travail permettent au
n’est plus un vœu pieux ; le contenu et les mes-
lecteur de mieux saisir les enjeux et défis que
sages de cet ouvrage reposent sur de nouvelles
peuvent vivre les personnes ayant un trouble
connaissances et orientations qui permettent de
mental, engagées dans un processus de parti-
mettre en place des balises pour la réflexion et
cipation au travail.
l’action.
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SHERBROOKE Références 1.
World Health Organization. Mental health policies and programmes in the workplace. Genève: Organisation mondiale de la Santé (OMS). 2005.
2.
Corbière M, Negrini A, Dewa C. Mental health problems and mental disorders - Linked determinants to work participation and work functioning. In P. Loisel., H. Anema et al. (Eds.), Handbook of work disability: prevention and management. New York: Springer. In press.
3.
Bond GR, Drake RE, Becker DR. An update on randomised controlled trials of evidence-based supported employment. Psychiatric Rehabilitation Journal 2008; 31(4): 280-290.
4.
Corbière M, Lecomte T. Vocational services offered to people with severe mental illness. Journal of Mental Health 2009; 18(1): 38-50.
5.
OCDE. Mal-être au travail ? Mythes et réalités sur la santé mentale et l’emploi. Paris, FR: Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 2011.
6.
OCDE. Maladie, invalidité et travail: surmonter les obstracles. Canada: des possibilités de collaboration. Paris, FR: Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) 2010.
7.
Loisel P, Durand MJ, Berthelette D, Vézina N, Baril R, Gagnon D et al. Disability prevention: the new paradigm of management of occupational back pain. Disease Management & Health Outcomes 2001; 9(7): 351-360.
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8.
Corbière M, Durand MJ. Du trouble mental à l’incapacité au travail : une perspective transdisciplinaire qui vise à mieux saisir cette problématique et à offrir des pistes d’intervention. Presses de l’Université du Québec (PUQ) 2011.
9.
Durand MJ, Loisel P. La transformation de la réadaptation au travail d’une perspective parcellaire à une perspective systémique. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé (PISTES) 2001; 3(2): www.unites.uqam.ca/pistes/v3n2/articles/v3n2a5. htm.
10. Laisné F, Lecomte C, Corbière M. Biopsychosocial predictors of prognosis in musculoskeletal disorders: a systematic review of the literature. Disability and Rehabilitation 2012; 34(5): 355-382.
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