Scandale financier au Mozambique: le silence ... - Domaine Public

15 mai 2017 - ... menés sous ma direction à l'Institut de science politique de l'Université de ... de Zurich, arrive à des conclusions similaires: les propositions ...
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DP2164 Edition du 15 mai 2017

DANS CE NUMÉRO Fiscalité des entreprises: PF17 après RIE III (Jean-Daniel Delley) Après le refus du 12 février, un compromis sur l’imposition des dividendes est nécessaire La Landsgemeinde, mieux que les médias sociaux (Wolf Linder) La vraie démocratie suppose d’assumer son opinion et de la confronter à celle des autres Développement durable: l’état de la situation (René Longet) Vingt-cinq ans après le Sommet de la Terre, vers une économie de la durabilité (2/2) Scandale financier au Mozambique: le silence assourdissant de Credit Suisse (Rédaction) L’intervention d’Actares lors de l’assemblée générale des actionnaires de la banque Les ambivalences de la mobilité à l’échelle européenne (Michel Rey) Vincent Kaufmann, Ander Audikana, «Mobilité et libre circulation en Europe. Un regard suisse», Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Editions Economica, Paris, 2017

Fiscalité des entreprises: PF17 après RIE III Après le refus du 12 février, un compromis sur l’imposition des dividendes est nécessaire Jean-Daniel Delley - 13 mai 2017 - URL: https://www.domainepublic.ch/articles/31505

Après la campagne référendaire animée et l’échec cuisant de la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), c’est le calme plat. Les craintes exprimées à propos d’un rejet du projet ne sont pas concrétisées. Ueli Maurer a rangé aux oubliettes sa menace de présenter dès le lendemain du scrutin un programme drastique d’économies en cas d’échec. La fuite des multinationales devant l’insécurité juridique consécutive au rejet de la réforme ne s’est pas produite. La prédiction du grand argentier vaudois selon laquelle il faudrait tout reprendre à zéro, ce qui prendrait plusieurs années, s’est également révélée erronée. En réalité, le département fédéral des finances a très rapidement mis en place un organe de pilotage (cantons et administration) chargé de mener les consultations en vue d’un nouveau projet intitulé Projet fiscal 17. Et, leçon tirée de la défaite du 12 février dernier, villes et communes sont étroitement associées dans un processus qui doit montrer un «haut degré de transparence» et «présenter les conséquences financières de la réforme». En juin déjà, le Conseil fédéral devrait avaliser les grandes lignes du projet.

Au lendemain du 12 février, la gauche victorieuse a préconisé une solution rapide impliquant des ressources fiscales supplémentaires pour financer la baisse de l’imposition des entreprises et une réduction des déductions prévues dans le projet refusé. A droite par contre, on semble privilégier un processus en deux phases. D’abord, et en urgence, une imposition transitoire abaissée durant cinq ans en échange de la suppression des statuts spéciaux. Puis la recherche d’un compromis sur l’importance des déductions admises et des rentrées fiscales supplémentaires. Les directeurs des finances des cantons et des villes s’accordent sur un resserrement des possibilités de déduction et une diminution du cumul possible de tous les allégements disponibles. Ils consentent également à une taxation accrue des dividendes. C’est précisément sur ce dernier point qu’un compromis se révèle difficile. Dans le cadre d’une précédente réforme de l’imposition des entreprises (DP 1763), les gros actionnaires (10% et plus du capital) ont obtenu un abattement fiscal: imposition de 60% seulement de leurs dividendes au niveau fédéral et de 50% en moyenne au niveau cantonal avec de fortes variations selon les cantons. 2

Dès lors que le taux d’imposition du bénéfice de toutes les entreprises baisse de manière substantielle – conséquence de la suppression des statuts spéciaux et de l’égalité de traitement entre toutes les entreprises –, il paraît équitable que les gros actionnaires contribuent à la compensation de la baisse des ressources fiscales qui en résulte. La baisse du taux d’imposition du bénéfice conduit à une augmentation du bénéfice des entreprises jusqu’ici imposées au taux normal. Elever le taux d’imposition des dividendes permet de récupérer cette plusvalue bénéficiaire. Il s’agit de déterminer dans chaque canton la réduction de l’abattement permettant au fisc de récupérer le bénéfice additionnel généré par la baisse du taux d’imposition normal. L’Union suisse des arts et métiers (Usam) s’y oppose fermement. Les patrons de PME seraient pénalisés. En effet le traitement fiscal privilégié des dividendes ne s’applique qu’aux gros actionnaires (10% et plus du capital, une situation typique de l’entreprise familiale). Alors que la répartition du capital des grandes entreprises empêche une telle concentration dans les mains de quelques actionnaires. On

peut donner raison à l’Usam sur ce point. Mais par contre cette organisation passe sous silence un avantage non négligeable de la taxation privilégiée des dividendes. Plutôt que de se verser un salaire complet pleinement taxé, les patrons de PME préfèrent se rémunérer partiellement ou totalement en dividendes, faiblement taxés et

exemptés des cotisations AVS. Par ailleurs, lorsque l’Usam dénonce une double imposition – le bénéfice, puis les dividendes –, elle ne convainc pas. En matière fiscale, la taxation multiple à différents moments est pratique courante. Ainsi un acheteur dont le revenu a déjà été taxé paie à nouveau la TVA sur ses achats et le revenu accumulé

est soumis à l’impôt sur la fortune, ainsi que les rendements qui en découlent. Un compromis sur une augmentation de la taxation des dividendes paraît pourtant indispensable pour compenser une partie du manque à gagner fiscal de la réforme et asseoir la crédibilité du nouveau projet.

La Landsgemeinde, mieux que les médias sociaux La vraie démocratie suppose d’assumer son opinion et de la confronter à celle des autres Wolf Linder - 08 mai 2017 - URL: https://www.domainepublic.ch/articles/31490

Durant de longues années, je ne comptais pas parmi les fervents admirateurs de l’institution de la Landsgemeinde, partageant un scepticisme très répandu: dans de telles assemblées, le secret du vote n’existe pas. Chacun peut voir comment et pour qui vote son fils, son voisin ou son employé. Le talent oratoire d’un Landamman peut influencer l’avis de l’assemblée. Le décompte d’une courte majorité est presque impossible lors d’un vote à main levée. On se souvient encore de l’entêtement des Appenzellois des Rhodes-Intérieures qui ont refusé à plusieurs reprises le droit de vote à leurs femmes. Il a fallu qu’une poignée de vaillantes Appenzelloises portent la cause jusqu’au Tribunal fédéral pour obtenir

en 1990 les droits politiques dont les autres Suissesses bénéficiaient depuis longtemps. A cette époque, j’aurais voté comme les Nidwaldiens et les Appenzellois des RhodesExtérieures qui ont aboli leur Landsgemeinde dans les années 90. Aujourd’hui, seuls les cantons de Glaris et d’Appenzell Rhodes-Intérieures connaissent encore une assemblée annuelle du corps électoral qui élit ses autorités, se prononce sur les finances et sur les questions importantes – telle l’interdiction de la burka, refusée dimanche 7 mai 2017. Seraient-ils donc les derniers à célébrer ce folklore et à tenir à cette vieille tradition n’ayant plus de place à notre époque? Mes premiers doutes sont apparus il y a une dizaine d’années lors d’une discussion 3

avec Marianne Kleiner, première conseillère d’Etat d’Appenzell RhodesExtérieures, puis conseillère nationale (PRD). Celle-ci s’est battue sans succès pour réintroduire la Landsgemeinde à Trogen et Hundwil (AR), échouant malgré un argumentaire remarquable. Et en 2006, à Glaris, une motion de jeunes socialistes proposant la fusion des 25 communes du canton en trois nouvelles communes fut acceptée par la Landsgemeinde. Une année plus tard, la même assemblée faisait de Glaris le premier canton – et toujours le seul – à connaître le droit de vote à 16 ans. Il s’agissait donc de bien autre chose que de folklore. Par la suite, deux travaux de recherche menés sous ma direction à l’Institut de science politique de l’Université de

Berne ont parachevé mon revirement d’opinion. Le premier, la thèse de doctorat de Hanspeter Schaub, compare la qualité de la démocratie telle que pratiquée dans la Landsgemeinde d’une part, et par le vote dans les urnes d’autre part, dans six cantons; le second travail interroge un millier de citoyens glaronnais sur leur expérience de la Landsgemeinde, afin de savoir de quelle manière les débats à l’assemblée ont contribué à former leur propre opinion. De plus, il s’agissait de vérifier l’intensité du soutien à la démocratie d’assemblée. Les deux travaux montrent une image nouvelle et fascinante de cette institution. Le vote dans les urnes voit l’initiative et le référendum contre les décisions du parlement se substituer à l’assemblée des citoyens. Un tel système permet une plus grande indépendance de la justice et accroît la capacité d’action du gouvernement. Par contre, la démocratie «radicale» de la Landsgemeinde élargit les possibilités de choix du peuple et permet aux citoyennes et aux citoyens de véritablement décider sur un plus grand nombre de dossiers. La Landsgemeinde permet également de mieux clarifier la responsabilité du gouvernement. Mais le plus surprenant est la qualité démocratique des débats tenus dans l’enceinte de la Landsgemeinde, révélée par les deux études. Certes, un quart seulement du

corps électoral participe à l’assemblée. Mais les Glaronnais sont fiers de leur institution et perçoivent les décisions prises comme particulièrement crédibles. Et à raison, car l’assemblée est le théâtre de réels et vifs débats sur les questions de politique cantonale. L’étude détaillée de deux objets soumis à votation a montré qu’une bonne partie des participants ont formé leur avis au cours de l’assemblée. Les nouveaux arguments lancés dans le débat ont influencé la formation de l’opinion. Les personnes interrogées accordent une forte crédibilité aux propositions formulées par les personnes directement concernées par le problème discuté et par des citoyens sans mandat électif. Si leur point de vue est bien argumenté, il peut emporter l’adhésion. Une étude plus ancienne, portant sur la révision du plan général d’affectation des sols dans 60 communes du canton de Zurich, arrive à des conclusions similaires: les propositions véritablement nouvelles émergent lors de l’assemblée communale censée adopter le nouveau plan, soit à la fin du processus de révision, et non lors des étapes précédentes qui passent par la consultation des partis ainsi que des associations et des groupes d’intérêts concernés. Ces avantages devraient contribuer à expliquer pourquoi certaines communes suisses alémaniques ont aboli les conseils communaux introduits dans les années 4

1970. Dans les villes, le vote à l’urne devrait rester, pour des raisons pratiques, la seule solution possible. Mais les communes pour qui l’assemblée fonctionne bien n’ont pas de raison de se «moderniser» en lui substituant un conseil élu. En outre, nous devrions éviter de monter les systèmes l’un contre l’autre. Selon Schaub, les deux ont leurs avantages et leurs inconvénients et s’avèrent en de nombreux points comparables en termes de qualité du système démocratique local. L’absence de secret lors du vote en assemblée générale pose encore un réel problème – que le recours au smartphone permettrait de résoudre. Mais quelles sont, alors, les raisons de la grande qualité des débats dans une démocratie d’assemblée, non seulement dans les Landsgemeinde mais également dans les centaines d’assemblées communales à travers le pays? Tout d’abord, se lever pour soumettre une proposition à une assemblée requiert du courage: son auteur sait qu’elle ne va pas plaire à tout le monde. Ce courage ne va pas de soi; j’ai participé à des assemblées où j’en ai moi-même manqué, ce que j’ai regretté ultérieurement. Ce courage se retrouve dans la plupart des assemblées où les propositions de ces valeureux intervenants sont probablement appréciées tout comme dans le «ring» glaronnais. En outre, la liberté

d’expression dans le cadre d’une assemblée publique ne constitue pas seulement un droit mais impose un devoir envers soi-même. On doit répondre de ce qu’on dit. Voilà la grande différence avec l’anonymat de ces médias sociaux où règnent scandales et fausses informations et où se

mobilise une communauté virtuelle d’individus partageant des opinions analogues – mais dont personne ne répond ni de ses propres affirmations ni des «informations» qu’il partage généreusement. Enfin les propositions présentées en assemblée se doivent d’être justifiées dans les faits. Elles

aboutissent à une discussion du pour et du contre, indispensable pour une décision démocratique où ne s’impose aucune certitude, ni du bien, ni du juste. Une première version de cet article a paru en allemand dans l’hebdomadaire Die Weltwoche.

Développement durable: l’état de la situation Vingt-cinq ans après le Sommet de la Terre, vers une économie de la durabilité (2/2) René Longet - 03 mai 2017 - URL: https://www.domainepublic.ch/articles/31465

De nombreuses organisations œuvrent à l’introduction de la durabilité ou d’éléments de durabilité dans le quotidien des acteurs économiques. On peut citer le World Business Council for sustainable development, créé à l’occasion du Sommet de la Terre de 1992, le Global Compact, lancé en 2000 par Kofi Annan, Ashoka, Balle ou BCorp, regroupements d’acteurs progressistes de l’économie (voir l’article précédent dans DP 2163: Développement durable: revenir aux fondamentaux). Des entreprises se sont organisées en vue de soutenir une politique climatique responsable. Et dès l’élection de Donald Trump – quatre jours après l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris (4.11.2016) –, 640 acteurs économiques américains, et non des moindres, lui ont demandé de ne pas dénoncer cet accord…

Par ailleurs, pratiquement pour tous les biens et services, on trouve aujourd’hui des offres de qualité durable, garanties par des labels: bois (FSC), pêche (MSC), agriculture (bio), énergie (tarifs privilégiant les énergies renouvelables), bâtiment (certifications de performance énergétique ou de qualité écologique et sanitaire des matériaux), investissements (fonds éthiques et verts, impact investment, etc.), extraction «responsable» de matières premières ou encore huile de palme «durable».

Des engagements globalement insuffisants Il faut bien voir que ces initiatives comportent deux limites majeures: d’une part, leur niveau d’exigence (et de vérification) est variable et, d’autre part, elles demeurent le choix d’une minorité, tant de 5

producteurs que de consommateurs. Ceci dit, le grand mérite de ces initiatives reste de fournir la démonstration de la faisabilité des exigences de la durabilité. C’est là qu’il faut s’interroger sur le rôle des Etats. Depuis que la commission Brundtland a rendu son rapport, la notion de développement durable a été déclinée dans de nombreux documents faisant foi, du niveau international au niveau local. Toutefois, les gouvernements restent pour la plupart prisonniers de la croyance en la capacité d’autorégulation de l’économie, qui fonctionnerait d’autant mieux que l’on n’intervient pas. Ils se montrent très frileux dès qu’il s’agit d’imposer des exigences écologiques et sociales aux acteurs économiques. De plus, ces mêmes gouvernements tolèrent un

modèle d’affaires permettant d’ignorer largement les dommages qu’une activité inflige à des tiers, à l’environnement ou aux générations futures – à savoir les externalités. Dans ces conditions, pas grand-chose ne se fait pour passer des marchés de niche et des actions volontaires à un standard établi pour tous. Du coup, producteurs et consommateurs responsables sont plus ou moins laissés à eux-mêmes.

Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme édictés en 2011 par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme n’ont pas de force obligatoire, pas plus que les Principes directeurs pour les entreprises multinationales établis en 2015 par l’OCDE. Les conventions de l’OIT fournissent d’excellentes bases pour une régulation globale, mais ne sont pas non plus appliquées avec grand empressement.

Une lutte trop timorée contre le dumping écologique et social

Et en Suisse?

La mondialisation n’est ainsi pas régulée comme elle le devrait. Paradis fiscaux soutenant une économie financière hors-sol et bénéficiant à un petit cercle au lieu de s’investir dans l’économie réelle, délocalisations à la faveur de législations environnementales et sociales laxistes faussent fortement le marché. Les entreprises transnationales profitent tout particulièrement de ces facilités. Dans le sillage des résolutions adoptées aux Nations Unies, telles celle du 6 juillet 2011 du Conseil des droits de l’homme comprenant l’invite «à une mondialisation socialement durable», l’Afrique du Sud et l’Equateur ont proposé un traité sur la responsabilité des sociétés transnationales, demande acceptée par le Conseil. Actuellement en effet les Principes directeurs des

La Suisse peut légitimement s’enorgueillir d’une conscience environnementale solide et éprouvée. Néanmoins, notre empreinte écologique reste entre trois à quatre fois trop élevée. Si de nombreux efforts ont été faits, il convient de rappeler que deux législations majeures datant des années 1980, celles sur l’environnement et sur l’énergie, ont dû être obtenues de haute lutte et contre une résistance forte des lobbies les plus divers. Tout récemment encore, le Parlement refusait tout contreprojet à l’initiative «pour une économie verte», afin de pouvoir en découdre directement avec elle; c’est d’ailleurs ce qui arriva en septembre 2016 après une campagne virulente d’Economiesuisse (DP 2132). Et le débat actuel sur la Stratégie énergétique 2050 se déroule selon les mêmes schémas argumentaires, quoique le nombre de ses

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partisans semble à ce jour suffisamment élevé pour l’emporter. A diverses reprises, le Conseil fédéral a été questionné sur sa position pour une économie respectueuse des dimensions environnementales et sociales. Si le gouvernement fédéral admet qu’il convient d’améliorer nos façons de faire, il se refuse à légiférer et continue à miser sur les engagements volontaires. A ce titre, le troisième rapport concernant l’état d’avancement et la mise en œuvre des recommandations du Rapport de base matières premières du 27 mars 2013 constitue un chef-d’œuvre de pusillanimité et d’ambiguïté. En date du 22 février 2017, notre gouvernement répondait à la conseillère aux Etats jurassienne Anne SeydouxChriste, s’agissant du respect des droits de l’homme par les entreprises, qu’il n’avait «effectué ni analyse qualitative, ni analyse quantitative des mesures volontaires prévues dans le plan d’action national» – tout en concluant qu’il «s’attend à ce que les mesures adoptées aient un impact positif»… Il est clair qu’on ne pourra en rester là et qu’il demeure indispensable de procéder rapidement à un état des lieux des initiatives et standards volontaires, de leurs perspectives, pertinence et efficacité. C’est même la première étape de toute prise en charge de ces enjeux au cœur de l’intérêt public.

Scandale financier au Mozambique: le silence assourdissant de Credit Suisse L’intervention d’Actares lors de l’assemblée générale des actionnaires de la banque Rédaction - 04 mai 2017 - URL: https://www.domainepublic.ch/articles/31477

En décembre dernier, nous avons publié la lettre ouverte du Conseil pour la politique économique et sociale (Contrepoint) à Credit Suisse au sujet de l’implication de la banque dans un scandale financier au Mozambique (DP 2145). Credit Suisse n’a pas cru bon de réagir. Lors de la récente assemblée générale des actionnaires, Actares – Actionnariat pour une économie responsable – est revenu à la charge. Et la direction de Credit Suisse a encore éludé ses questions. Nous reproduisons ici l’intervention de son représentant, Thomas Kesselring (traduction DP), également disponible en vidéo (dès 2h17 après le début de l’enregistrement). En 2013, Credit Suisse Londres et la banque russe VTB Londres ont négocié des crédits avec de hauts responsables gouvernementaux du Mozambique, le neuvième pays le plus pauvre de la planète. Il s’agissait de paiements secrets de plus de 2 milliards de dollars pour des «objectifs de défense». CS a financé l’un de ces crédits au moyen d’obligations en le présentant aux acheteurs comme un investissement pour une flottille de pêche au thon promis à des rendements

supérieurs à la moyenne. En réalité, cette flottille devait servir de paravent aux objectifs militaires. Comme les acheteurs se sont retrouvés floués, il a fallu procéder à une restructuration de la dette en 2016. Il apparaît que dans cette affaire CS Londres n’a pas rempli son devoir de diligence. Ce qui a conduit plusieurs autorités de surveillance au Mozambique, en GrandeBretagne et aux Etats-Unis à ouvrir des enquêtes. Peut-être également de la part de la Finma (l’autorité helvétique de surveillance des banques)? Permettez-moi quelques questions concernant les conséquences non juridiques de cette affaire. La banque centrale du Mozambique, les pays donateurs, la Banque mondiale comme le Fonds monétaire international n’ont pas été informés de ces prêts. M. Thiam, je sais qu’à cette époque vous n’étiez pas encore CEO de CS. Mais lorsque vous avez pris la direction de la banque, dans quelle mesure avez-vous poursuivi cette politique du secret jusqu’à la restructuration du crédit fin mars 2016? Il était pourtant prévisible que le FMI et les pays soutenant le budget 7

mozambicain réagiraient d’autant plus sèchement que durerait cette politique du secret. Lorsque le secret fut éventé, de pays exemplaire le Mozambique devint le mauvais élève de la classe. Le FMI et les pays donateurs interrompirent leur aide financière, indispensable au développement du pays. S’ensuivirent inflation, chute de la monnaie et caisses publiques asséchées à tel point que l’Etat a dû se déclarer en faillite à fin octobre 2016. Les hôpitaux manquent de médicaments importants et de matériel médical, la mortalité augmente. Les écoles ne disposent plus du matériel le plus simple, les salaires pourtant très modestes sont encore réduits. M. Rohner, M. Thiam: pouvez-vous assumer la responsabilité d’avoir saboté la coopération au développement au Mozambique avec vos crédits? L’objectif n° 8 du Millénaire des Nations unies (de même que les Objectifs du développement durable 16/17) vise l’édification d’un «système financier et commercial prévisible», d’une «conduite gouvernementale responsable», la «résolution des problèmes d’endettement» et la «réduction de la pauvreté». Au

Mozambique, la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Le scandale des prêts a fait augmenter le poids de la dette de 20% (la Sonntagszeitung parle même de 35%), ce qui fait du Mozambique le pays le plus endetté d’Afrique. Par rapport à sa capacité économique, son service de la dette se montera à deux fois et demie le prix que devra payer la GrandeBretagne pour sa sortie de l’Union européenne, et cela chaque année. M. Rohner, M. Thiam, votre banque s’oppose-t-elle aux objectifs de développement ci-dessus mentionnés? Qu’allez-vous faire pour la réalisation de ces objectifs? Ces crédits ont été utilisés entre autres pour l’achat d’armes testées dans le pays lui-même. Un fils du président en a pris la responsabilité. A cette époque le Frelimo et le Renamo se combattaient à nouveau (pour la première fois depuis 1991). Des milliers de civils ont fui dans les pays voisins. En avril 2016, le Malawi abritait 15’000 réfugiés mozambicains. De nombreuses

personnes continuent de quitter le pays à cause de conditions de vie difficilement supportables. M. Rohner, M. Thiam: CS et ses affaires contribuent-ils aux flux migratoires? Que comptez-vous faire en guise de réparation? Pour ces crédits, CS a exigé une garantie de l’Etat. Cette garantie aurait dû être avalisée par le parlement mozambicain qui n’a pourtant pas été consulté. Votre banque a prêté la main à une violation de la Constitution et de la loi. M. Rohner, M. Thiam: comment CS justifie-t-il cela alors qu’elle proclame respecter intégralement les lois et règlements en vigueur dans tous les pays où elle est active? Les pays donateurs se refusent à financer l’amortissement de la dette mozambicaine. Ce pays se tourne maintenant vers l’Inde, la Chine, la Russie notamment. Il a récemment obtenu un crédit de 200 millions de dollars de la Banque islamique de développement dont le siège est en Arabie saoudite, un Etat qui promeut des centres de

formation islamique dans les pays tiers. M. Rohner, M. Thiam, ce transfert du partenariat de développement de l’Europe vers l’Asie et l’Arabie saoudite est-il souhaitable? Depuis que le scandale a été rendu public. CS n’a jamais reconnu publiquement son implication. Si vous faites une recherche sur Google avec les mots «Mozambique», «dette» et «Credit Suisse refuse de commenter», vous trouvez de nombreux articles de la presse mondiale – du Wall Street Journal au Financial Times, au Business News, au Guardian, jusqu’à la NZZ – qui parlent du silence de la grande banque. M. Rohner, M. Thiam: une entreprise qui consacre autant d’énergie dans la rétention de l’information ne mine-t-elle pas sa crédibilité, son crédit? Votre enseigne «Credit Suisse» vous impose pourtant plus de transparence! Une dernière question: avezvous lu la «lettre ouverte à la direction de CS» publiée par Contrepoint le 8 décembre 2016? Quand trouverez-vous le temps de la lire?

Les ambivalences de la mobilité à l’échelle européenne Vincent Kaufmann, Ander Audikana, «Mobilité et libre circulation en Europe. Un regard suisse», Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Editions Economica, Paris, 2017 Michel Rey - 09 mai 2017 - URL: https://www.domainepublic.ch/articles/31499

Le 9 février 2014, les citoyens suisses ont dit «non» à plus de mobilité en acceptant

l’initiative «contre l’immigration de masse». Le même jour pourtant, ces 8

mêmes citoyens ont dit «oui» à plus de mobilité en plébiscitant le Fonds pour le financement et

l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire (FAIF). Ces résultats soulèvent, dans toute leur complexité, les paradoxes de la mobilité. Certaines formes de mobilité sont perçues comme des menaces, tandis que d’autres apparaissent comme le sésame de la liberté. Cette votation a conduit Vincent Kaufmann, professeur associé à l’EPFL dont il dirige le Laboratoire de sociologie urbaine, et son collègue espagnol Ander Audikana à s’interroger sur la gouvernance de la mobilité dans nos sociétés, en particulier au sein de l’Union européenne. Dans un ouvrage publié par la Fondation Jean Monnet, Mobilité et libre circulation en Europe. Un regard suisse, ils soutiennent que la Suisse constitue un laboratoire dont les travaux méritent d’attirer l’attention de l’Europe. Les auteurs définissent la mobilité comme «l’intention, puis la réalisation d’un franchissement de l’espace géographique impliquant un changement social». Cette mobilité est au cœur de notre vie économique et sociale. Elle a explosé avec le développement des nouvelles technologies de la communication, la mise en place de moyens de transport plus performants, la libre circulation des capitaux, des biens et des services. Les déplacements des personnes témoignent aussi de cette explosion, avec la forte augmentation du nombre des migrants, des pendulaires, des

frontaliers, sans oublier le développement des voyages souvent lointains pour des vacances et loisirs.

La mobilité au cœur de la construction européenne Le projet européen est indissociable de l’explosion de la mobilité. Construire l’Europe consiste en fait à créer de la mobilité. Les deux auteurs font l’hypothèse que cet édifice repose sur une volonté politique consciente de promouvoir la mobilité à travers les quatre libertés de déplacement des personnes, des capitaux, des biens et des services. Ils considèrent le continent européen comme une grande métropole, avec ses quartiers plus ou moins riches ou pauvres, avec ses centres et ses zones périphériques. La vision de la mobilité promue par l’UE s’apparente à une forme d’idéologie. Elle propose de facto une mobilité généralisée qui ne fait pas l’objet d’une véritable réflexion sur l’ancrage territorial et social. Or, les effets de la mobilité se révèlent d’une grande ambivalence. Elle peut être un vecteur de renforcement de la cohésion, mais aussi, à l’inverse, s’avérer être une cause de tensions et de conflits. Les débats autour de l’élection présidentielle française ont bien fait ressortir la problématique des territoires gagnants et perdants. C’est dans ce sens que les votes suisses constituent aussi un signal de défiance à l’égard de l’injonction généralisée prononcée par l’UE. 9

Depuis 2000, les crises de l’Europe apparaissent liées à l’incapacité des autorités européennes et nationales à élaborer des mesures permettant de réguler de façon satisfaisante les mouvements, surtout ceux des hommes et des capitaux. Assurer la régulation des mobilités, c’est à la fois en «promouvoir» certaines et en «restreindre» d’autres. Les débats mettent en évidence une opposition fondamentale: les uns considèrent la mobilité à la fois comme une forme de liberté, une force créatrice et comme une réponse prioritaire aux problèmes de société; les autres, au contraire, éprouvent la mobilité généralisée comme une menace, une force déstabilisante et comme une source de multiples problèmes. En fonction de l’attitude adoptée par rapport la mobilité, les positions en matière de régulation peuvent varier entre deux extrêmes. La position ultra libérale se situe largement en faveur des différents types de mobilité. La position isolationniste, défendue par les opposants à toute forme de mobilité, plaide pour un ancrage formalisé, de part et d’autre des frontières. Entre ces deux positions extrêmes, des positions plus ou moins interventionnistes visent à réguler ou non l’une ou l’autre mobilité. L’avenir de l’Europe dépendra largement des combats idéologiques en matière de mobilité et de la façon dont les différents flux seront

effectivement maîtrisés. Différents scénarios sont possibles avec des gains et des risques potentiels. La tendance politique actuelle est manifestement celle d’un retour aux frontières. Il s’agit d’une réaction en partie identitaire et en partie sécuritaire face à la généralisation des flux de mobilité de toutes sortes. Il faut créer des périmètres isolés, mis à l’écart des flux. C’est l’objectif principal de ce type de politiques, afin d’assurer la cohésion interne et de renforcer la sécurité.

La Suisse, terre d’accueil de toutes les mobilités La situation de la Suisse est différente. Difficile d’imaginer un scénario helvétique à l’écart des flux de mobilité. Une sorte d’enfermement de la Suisse par rapport à l’extérieur n’est pas impossible. Mais l’ouverture du pays reste l’un de ses traits caractéristiques, sa raison d’être même. Sa perméabilité financière et économique mais aussi son plurilinguisme plaident en faveur de cette ouverture. On peut par contre imaginer que la mise à l’écart ne concerne que les flux de mobilité des personnes. La cohésion et la stabilité ont été atteintes avec une stratégie d’ouverture. Les flux européens de marchandises d’abord et les flux financiers ensuite ont

contribué à rassembler le pays en dépit de ses divergences internes. C’est parce qu’elle assume sa centralité par rapport aux flux européens, mais aussi mondiaux, que la position de la Suisse semble consolidée. La composante identitaire et culturelle joue un rôle majeur. La mobilité des personnes à l’intérieur du pays n’est pas condamnée, elle est même valorisée socialement. Les deux auteurs parlent d’une «injonction à la mobilité». La mobilité transfrontalière devrait, par contre, être limitée pour des raisons de dumping social. La Suisse est fortement métropolisée, son territoire relativement équilibré et bien desservi par ses voies de communication. Aucune région ne devrait être pénalisée par l’explosion de la mobilité. Avec son tunnel de base du Gothard, le plus long tunnel ferroviaire du monde, la Suisse contribue aussi à la construction de la métropole européenne. Une autre évolution se dessine en Suisse en matière de mobilité: un ralentissement progressif des flux de mobilité et une valorisation de la proximité. Une politique de la lenteur vise à revoir les équilibres entre mobilité et ancrage au profit de ce dernier. On favorise les pratiques lentes, les transferts de la

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route au rail, les mouvements slow. Ce n’est pas une stratégie d’isolement dans la mesure où elle cherche un rythme plus adéquat pour maîtriser la mobilité à l’interne et la valoriser.

Les difficultés de la régulation des mobilités Au sein de l’UE comme en Suisse, la régulation fait face à une double difficulté. La maîtrise des mobilités exige de nombreuses mesures qui sont de la compétence de différentes instances publiques. Difficile dans ces conditions d’avoir une approche coordonnée. Comment harmoniser les politiques concernant les flux de personnes et celles qui se proposent d’encadrer les flux financiers et de services? Comment coordonner la conception et la mise en œuvre de mesures qui relèvent à la fois de la Confédération, des cantons et des communes? Par ailleurs, la valorisation de la lenteur demande à être appuyée par les politiques fiscales, d’aménagement du territoire, du logement, le tout en vue de favoriser l’ancrage territorial des entreprises et des personnes. Des politiques qui font largement défaut au niveau fédéral, car elles relèvent des cantons qui cultivent chacun bien plus la concurrence entre eux que la collaboration.

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