Regard santé TELUS Février 2016
Médicaments : lorsque suivre les directives ne suffit pas Le passionnant domaine de la pharmacogénomique révolutionnera notre façon de comprendre et de traiter les
Brendan Byrne Chef de l’innovation
maladies et de prescrire des médicaments. Le présent article remet en question la prévalence des réactions indésirables aux médicaments et montre comment l’abandon d’une approche uniforme à l’égard des médicaments peut améliorer les soins, sauver des vies et réduire les coûts associés aux hospitalisations et aux visites à l’urgence évitables.
Bien des gens ne savent pas que des erreurs de médication que l’on aurait pu prévenir se produisent fréquemment malgré les directives strictes concernant les médicaments et la compétence exceptionnelle des professionnels de la santé. On pense même que les réactions indésirables aux médicaments pourraient être la quatrième cause de décès aux États-Unis i. Bon nombre des raisons qui expliquent ces incidents sont liées à un manque d’information auquel nous pourrions facilement remédier au moyen de la technologie accessible. En voici des exemples : Un médecin n’a pas accès aux antécédents pharmaceutiques du patient au moment de la prescription; il risque donc de prescrire un médicament qui interagira mal avec un autre. Les outils d’aide à la décision qui montrent les interactions médicamenteuses potentielles ou les médicaments couverts par l’assurance du patient (et que celui-ci peut par conséquent se permettre) ne sont pas accessibles au point d’intervention, ce qui pourrait inciter le patient à se priver des médicaments prescrits. Environ un Canadien sur dix ne se conforme pas au traitement prescrit parce qu’il ne peut pas assumer le coût des médicaments ii. Au Canada, la prescription de médicaments demeure un processus manuel risqué : les ordonnances sont rédigées à la main ou imprimées à partir d’un dossier médical électronique, puis télécopiées ou amenées à la pharmacie, où elles sont de nouveau saisies manuellement dans le système de gestion de la pharmacie.
La pharmacogénomique est susceptible de révolutionner la façon dont les médicaments sont administrés.
Nous pourrions éliminer en partie les causes évitables de réactions indésirables aux médicaments en augmentant la portée des systèmes numériques de gestion des soins et en favorisant une meilleure collaboration parmi les fournisseurs de soins de santé et avec les patients. Au même moment, la pharmacogénomique est susceptible de révolutionner la façon dont les médicaments sont administrés en tirant parti du profil génétique de chaque personne.
L’exemple suivant, qui traite de la poursuite mettant en cause le Clopidogrel à Hawaï en 2014, illustre bien ce point.
Des traitements éprouvés qui ne fonctionnent pas Rudy, pêcheur de quatrième génération d’origine polynésienne, a commencé à souffrir de douleurs thoraciques en tirant ses lourdes lignes de pêche. Au bout de six semaines, ses symptômes l’ont poussé à consulter un médecin. Il a alors reçu un diagnostic de blocage des artères. Son cardiologue a pratiqué une angioplastie, procédé qui vise à ouvrir les artères et à insérer des endoprothèses pour les maintenir en position ouverte. Rudy devait également prendre durant six mois du Clopidogrel, médicament qui empêche la formation de caillots. Tout s’est bien passé au cours des trois premiers mois, mais il a ensuite été pris de graves douleurs thoraciques et amené d’urgence à l’hôpital. Lors du trajet, Rudy a subi un arrêt cardiaque et n’a pas pu être réanimé. Une autopsie a révélé un blocage artériel complet à l’endroit où se situait une endoprothèse. Rendu perplexe par l’inefficacité du Clopidogrel, son cardiologue a demandé au pathologiste de prélever un échantillon de sang post mortem afin de vérifier le profil génétique de Rudy. Il s’intéressait plus particulièrement aux gènes responsables de l’enzyme qui convertit le Clopidogrel en médicament actif. Tout comme 75 % des Polynésiens, Rudy était porteur des gènes associés à une version lente de l’enzyme CYP2C19, ce qui rendait le médicament inefficace. Si ce test avait été effectué avant le traitement, le cardiologue aurait choisi un autre médicament et, selon toute probabilité, la mort de Rudy aurait été évitée. Malheureusement, les cas comme celui-là ne sont pas rares.
Faits surprenants au sujet de l’efficacité des médicaments En réalité, un fort pourcentage de tous les médicaments prescrits ne fonctionnent tout simplement pas chez certains patients. Au Canada, nous dépensons plus de 30 milliards de dollars – soit 15 % de notre budget total de santé – pour des médicaments iii. Pourtant, bon nombre d’entre eux sont à la fois inefficaces et dangereux. Par exemple, l’inefficacité des médicaments prescrits se chiffre à 38 % pour la dépression, 40 % pour l’asthme, 43 % pour le diabète, 50 % pour l’arthrite et 75 % pour le cancer iv. Ces échecs médicamenteux n’entraînent pas tous la mort,
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mais le problème avec les médicaments inefficaces est aussi une question d’innocuité. Même si les médicaments
DI
43 %
AB
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Comment est-ce possible ? Le manque d’efficacité résulte d’une interaction complexe de facteurs, mais
IO N
38 %
surtout, chaque personne métabolise les médicaments différemment et peut donc y réagir à sa propre façon.
ESS
Pourcentage de patients pour lesquels les médicaments sont inefficaces
provoquer une toxicité (et ils le font).
Pour mieux comprendre cela, nous devons examiner le fonctionnement des médicaments, leur métabolisme et
PR
50 %
sont prescrits selon des directives strictes, ils peuvent
40 % ASTH M
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leur élimination du corps.
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75 %
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Pourcentage de patients pour lesquels les médicaments sont inefficaces
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43 % des médicaments Mode d’action ÈT 40 % E AB
L’efficacité et l’innocuité des médicaments dépendent de leur administration à des concentrations situées dans un intervalle E thérapeutique, c’est-à-dire entre le seuil TH M d’efficacité et le niveau auquel des effets secondaires toxiques apparaissent. Tous ASminimal les médicaments sont associés à des intervalles thérapeutiques, dont certains sont plus limités que d’autres. Par exemple, l’anticoagulant Warfarine est notablement associé à un intervalle étroit, et lorsqu’il est absorbé à des concentrations dangereuses, il peut faire courir au patient un risque d’hémorragie mortelle.
Concentration dans le plasma
Métabolisme des médicaments 101
EFFET SECONDAIRE
Pointe de l’effet
Médicaments dangereux
Réaction indésirable INTERVALLE THÉRAPEUTIQUE Réaction souhaitée Durée de l’action DOSE SOUS-THÉRAPEUTIQUE
Médicaments inefficaces
Temps
L’activité des CYP peut être influencée par de nombreux facteurs,
de l’époque médiévale considéré comme le fondateur de la
notamment la présence d’autres substances activatrices ou
toxicologie, affirmait que « c’est dans la dose qu’est le poison », il
inhibitrices. Après la phase I, le métabolisme de nombreux
avait passablement raison. Les concentrations thérapeutiques
médicaments passe par une deuxième phase qui consiste
dépendent d’un équilibre entre la dose ingérée ainsi que
en l’élimination sécuritaire par le corps. Tout facteur augmentant
l’absorption, la distribution et, surtout, le métabolisme et le filtrage d’un médicament.Peak Le métabolisme of effect de phase I de la plupart des
ou réduisant l’activité des enzymes métaboliques a une Dangerous Drugs SIDE-EFFECT incidence sur la concentration du médicament et son intervalle
médicaments est effectué dans le foie par les cytochromes
thérapeutique,
P450 (CYP). Ces protéines membranaires peuvent soit :
et donc sur son
Plasma concentrations
Lorsque Paracelse, médecin suisse d’expression allemande
activer un médicament ; convertir un médicament actif en métabolite actif ou toxique ;
Le défi qui se pose aux médecins efficacité et WINDOW THERAPEUTIC est que les réactions aux médicaments son innocuité. varient considérablement d’une
Desired response personne à l’autre.
convertir un médicament ne pouvant pas être excrété en un Duration of action
SUB-THERAPEUTIC
médicament pouvant l’être ; désactiver un médicament.
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Adverse response
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Ineffective Drugs
Le défi du médecin : l’uniformité ne convient pas à tout le monde
Les trois principaux inducteurs des effets indésirables d’un médicament
Le défi qui se pose aux médecins est que les réactions aux médicaments varient considérablement d’une personne à l’autre.
Les effets indésirables d’un médicament se produisent pour de
L’âge, le sexe, le poids, la fonction rénale et la fonction
nombreuses raisons qui peuvent se résumer en trois catégories :
hépatique sont autant de facteurs qui entrent en ligne de compte. Nous comprenons également de mieux en mieux
1
Les interactions médicament-médicament ;
comment la génétique joue un rôle extrêmement important.
2
Les interactions médicament-gène ;
Quatre-vingt-dix pour cent de la population est porteuse
3
Les interactions médicament-médicament-gène.
d’au moins une variante génétique associée aux enzymes responsables du métabolisme des médicaments.
Les dossiers médicaux électroniques et les systèmes de gestion de pharmacie peuvent être très utiles pour protéger les
Seulement 7 % des patients sont dotés de toutes les variantes normales associées aux cinq principales enzymes
patients contre les interactions médicament-médicament. La
CYP intervenant dans le métabolisme des médicaments .
numérisation des dossiers de patients permet aux praticiens
v
d’accéder plus facilement aux renseignements relatifs à leurs Pour en revenir au cas de Rudy, notons qu’environ 20 % de
médicaments. Toutefois, on estime qu’un tiers des effets
la population générale et jusqu’à 75 % des Polynésiens vi sont
indésirables d’un médicament évitables sont attribuables
porteurs de la version lente du gène de l’enzyme CYP2C19,
à des interactions médicament-gène et à des interactions
qui entraîne l’échec du traitement au Clopidogrel.
médicament-médicament-gène. Aussi la FDA leur attribue-t-elle désormais une importance aussi grande qu’aux interactions
En raison de ces variantes, une même dose de médicament
médicament-médicament et estime qu’il convient de leur
peut se traduire par des concentrations très différentes qui
accorder autant d’attention. Par conséquent, les encarts de
peuvent se révéler inefficaces, thérapeutiques ou toxiques, selon
plus de cent produits contiennent désormais des directives
l’expression génétique du patient. La capacité d’un patient à
de la FDA sur les interactions médicament-gène.
métaboliser un médicament donné sera, d’après son profil génétique, considérée comme faible, normale ou excellente. Pour compliquer le tout, différents médicaments peuvent avoir des effets antagonistes ou synergiques sur une même voie métabolique. S’il ne comprend pas ces effets individuels et cumulatifs, un médecin ne peut pas prédire avec exactitude le comportement d’un médicament.
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Au-delà de l’approche uniforme Il y a encore dix ans, il était trop coûteux de recueillir de tels
La pharmacogénomique peut nous aider à mieux
renseignements au sujet des caractéristiques génétiques
utiliser les médicaments, ce qui améliorera les soins,
d’une personne. Les médecins devaient donc se contenter de
sauvera parfois des vies et réduira les coûts associés
prescrire les médicaments de manière uniforme, avec quelques
aux hospitalisations, aux visites à l’urgence et aux
variantes de dosage selon l’âge, le poids et la fonction rénale.
autres interactions évitables avec le système de santé. Compte tenu de la prévalence des réactions
De nos jours, les renseignements requis pour comprendre
indésirables évitables et des avantages potentiels de
comment un patient réagit aux médicaments peuvent être
la médecine personnalisée sur la sécurité des patients,
obtenus pour 500 $ par patient, et ces frais diminuent
une question s’impose : pourquoi ne profitons-nous pas
rapidement. Des données sûres ont été réunies sur plus
de cette occasion et ne travaillons-nous pas à éliminer
de 80 gènes ayant un effet sur l’innocuité et l’efficacité
systématiquement toute réaction indésirable évitable ?
des médicaments. Lorsqu’elle est appliquée à des populations particulièrement à risque comme les personnes âgées, dont une sur 200 est hospitalisée chaque année en raison d’effets indésirables d’un médicament vii, la pharmacogénomique peut réduire le nombre d’hospitalisations et de visites à l’urgence. En effet, une étude portant sur les personnes âgées prenant trois médicaments ou plus a révélé une réduction de 39 % des hospitalisations et
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de 71 % des visites à l’urgence viii.
i
CARLETON, Bruce C., Pharm. D., et SMITH, M. Anne, MSc, « Drug safety: side effects and mistakes or adverse reactions and deadly errors? », BC Medical Journal, vol. 48, no 7, septembre 2006; et www.fda.gov, « Preventable Adverse Drug Reactions: A Focus on Drug Interactions ». LAW, Michael R., Ph. D., CHENG, Lucy, MSc, DHALLA, Irfan A., M.D. MSc, HEARD, Deborah, B.Sc.A. et MORGAN, Steven G., Ph. D, « The effect of cost on adherence to prescription medications in Canada », Journal de l’Association médicale canadienne, volume 184, no 3, 21 février 2012.
ii
Site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé, « Dépenses en médicaments en 2014, Combien d’argent les Canadiens dépensent-ils en médicaments? ».
iii
SPEAR, B.B., HEATH-CHIOZZI, M. et HUFF, J., « Clinical application of pharmacogenetics », Trends in Molecular Medicine, vol. 7, no 5, 2001, p. 201-204, tel que cité dans le rapport de la FDA « Paving the Way for Personalized Medicine », octobre 2013.
iv
REILING, Mary V. et EVANS, William E., « Pharmacogenomics in the clinic », Nature, volume 526, octobre 2015.
v
WU, Alan HB, WHITE, Marquitta J, OH, Sam et BURCHARD, Esteban, « Personalized Medicine, The Hawaii clopidogrel lawsuit: the possible effect on clinical laboratory testing », Future Medicine, vol. 12, no 3.
vi
Site Web de l’Institut canadien d’information sur la santé, « Hospitalisations liées aux réactions indésirables aux médicaments chez les personnes âgées, de 2006 à 2011 ».
vii
BRIXNER, D., BILTAJI, E., BRESS, A., UNNI, S., YE, X., MAMIYA, T. et al., « The effect of pharmacogenetic profiling with a clinical decision support tool on healthcare resource utilization and estimated costs in the elderly exposed to polypharmacy », Journal of Medical Economics, 2015, p. 1-40.
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