Le Monde des Livres - Hortense Raynal (parutions en print dans l'hebdomadaire papier ainsi que sur le web sur lemonde.fr version pour abonné-e-s)
Roman. Le ventre La Femme brouillon, d’Amandine Dhée, La Contre Allée, 96 p., 13 €. Comme dans ses précédents romans parus à La Contre Allée, Amandine Dhée s’inspire ici de sa vie : La Femme brouillon est le fruit de son expérience de la grossesse. Dans un style sans artifice, elle en livre les étapes avec une lucidité parfois grinçante. Entre quelques touches d’ironie malicieuse (« Les femmes intelligentes sont lesbiennes, c’est bien connu ») se cachent des constats amers : « Il y a toujours un moment où on rappelle à une femme le sens profond de son existence : procréer. » Le livre évoque donc ici des questions sociétales actuelles, comme les rôles sexués qui dressent d’invisibles frontières, le féminisme qui faiblit à la naissance du premier enfant (quand il ne s’agit plus de théorie, mais de pratique), le ventre de la femme enceinte qui devient un objet public… Enfin, c’est sur l’identité – ou plutôt les identités – que l’écrivaine met l’accent. Elle n’est pas une femme telle que la société la construit, elle est encore un brouillon, pleine d’incertitudes, et c’est tant mieux. Hortense Raynal Hebdo du 26 janvier 2017 Lien : http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/01/26/livres-enbref_5069294_3260.html#W8fOIJhaD1uQvC8d.99
Récit. Un mois de deuil Novembre, de Philippe Le Guillou, Gallimard, 88 p., 12 €. Philippe Le Guillou écrit Novembre à la mémoire de son père, Marcel Le Guillou, décédé de maladie dans sa chambre d’hôpital, à Morlaix, peu après les attentats de novembre 2015. « Y a-t-il quelque chose à dire de cette douloureuse concordance, l’agonie de la mort d’un vieil homme perclus de souffrance et le basculement du pays et du siècle dans l’horreur abyssale ? » Un portrait, un livre de souvenirs et une révérence, ce récit est tout cela à la fois. Portrait d’un homme droit, que l’écrivain désire brosser avec le plus grand soin, en cherchant « une forme sobre, belle ». Livre de souvenirs que le fils, se remémorant les moments heureux, écrit au bureau du disparu, acte émouvant. Révérence, enfin, que l’homme fait à son père, dans un style dépouillé qui marque le respect profond qui l’unit à lui. Novembre est ainsi un texte d’adieu et l’aveu d’un vertige, sans doute partagé, celui créé par la perte brutale de la certitude que le monde va bien. Hortense Raynal Hebdo du 9 février 2017 Lien : http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/02/09/livres-enbref_5076955_3260.html#iwrVmMmwlP93oRhT.99
Roman. Paroles de la forêt Enfance d’un chaman, d’Anne Sibran, Gallimard, « Haute Enfance », 240 p., 19,50 €. « Ecoutons, pour une fois, ceux qui parlent doucement. » Tel est l’axiome d’Enfance d’un chaman, d’Anne Sibran. Le récit, tout en lenteur, livre le dialogue entre la narratrice et Lucero Tanguila, le chaman équatorien, dont il retrace l’apprentissage. Chemin faisant, il dévoile aussi l’autre dialogue, inépuisable, que celui-ci entretient avec la forêt tropicale. Le lecteur navigue ainsi au fil des pages, amènes et sans hâte, comme dans une pirogue sur un fleuve paisible. L’histoire de l’« enfant-tigre » se situe au carrefour du Royaume de ce monde, d’Alejo Carpentier (Gallimard, 1954), et d’un conte de Grimm, auxquels Sibran aurait ajouté une réflexion sur la force des mots, qui se cueillent dans la nature en compagnie du chaman. Par son écriture éclatante, la romancière narre la découverte de ce monde qui paraît simple, mais se révèle pourtant si complexe, jusqu’à évoquer des enjeux géopolitiques essentiels, comme l’implantation de l’industrie du pétrole, dans l’est de l’Equateur, qui détruit la forêt et ses populations. Son texte prend force doucement, et son sens caché nous apparaît de façon progressive – comme le font les mythes immémoriaux. H. Ra. Hebdo du 6 avril 2017 Lien : http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/04/06/livres-enbref_5106720_3260.html#eBBsBiOI2yVaePzK.99
