P'tit Dej' avec Haïm Korsia, Grand Rabbin de France - Consistoire

6 oct. 2016 - bale. Les écoles juives furent les premières à intégrer dans les coûts et dans le fonctionne- ment une garde, un dispositif de sécurité et.
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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia P’tit Déj’ exclusif avec Le grand rabbin de France

Haïm Korsia



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Faisons ce que nous savons le mieux faire, à savoir servir l’Éternel dans la joie et l’allégresse

Exclu Actu. J



■ Pour la troisième année consécutive, le grand rabbin de France Haïm Korsia s’est prêté au rituel d’Actualité Juive, celui du P’tit déj organisé en sa compagnie. Un rituel que notre journal avait instauré du temps du grand rabbin Joseph Sitruk, z’l, et auquel nous ne pouvons que rendre hommage encore. Le P’tit déj d’Actualité Juive représente ainsi ce moment convivial qui permet, comme tout un chacun avant les fêtes de Tichri, de faire un bilan de l’action de l’année écoulée et d’esquisser les engagements souhaités pour l’année à venir. ■ Propos recueillis par Laëtitia Enriquez et Catherine Garson ■ Reportage photos d’Erez Lichtfeld, dans le cadre agréable

du restaurant « Le Charkoal », 164 rue de Paris, 94220 Charenton-le-Pont. Tél. : 01 56 29 18 18.

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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia

Le grand rabbin de France Haïm Korsia en compagnie de nos journalistes Laëtitia Enriquez et Catherine Garson.

: Le grand rabbin Sitruk nous a quittés, il y a deux semaines. Vous avez été sans doute son plus proche collaborateur pendant de nombreuses années et vous avez su trouver les mots pour lui rendre hommage. Que garderez-vous de ses enseignements ? Haïm Korsia : Sans aucun doute, son amour incommensurable pour chacune et chacun, comme son désir d’aller à la rencontre de tous. Le grand Rabbin Sitruk z’l, qui fut comme un père pour moi, a su, avec le talent oratoire qui était le sien, placer la Torah au centre de nos vies et guider les fidèles dans l’accomplissement des mitsvot. Je voudrais aussi saluer sa famille et ses proches, auxquels je redis toute mon affection et mon attachement. : Comment, dans vos fonctions de grand rabbin de France, pensez-vous vous inspirer du modèle que laisse le grand rabbin Sitruk ? HK : J’inscris mon engagement d’aujourd’hui dans le prolongement de ce que j’avais entrepris quand je portais modestement une part de l’action du grand rabbin Sitruk z’l lorsqu’il était grand rabbin de France. L’essentiel étant que lui se reconnaissait dans

les positions et les actions que je défendais. J’essaie d’occuper la fonction avec la même humilité et la grande accessibilité qu’a toujours su conserver le grand rabbin Sitruk z’l, lui qui a donné tant d’élan. Je continue sur cette voie, car même si les chemins sont différents, le souffle est toujours là. Au-delà de simplement le consulter, j’ai toujours associé le grand rabbin Sitruk z’l aux grandes décisions que j’ai eues à prendre.

– occulté les Juifs, les policiers et les militaires, tous victimes du même terrorisme. Depuis les attentats de novembre dernier, le dispositif de sécurité a été étendu à l’ensemble de la société, sans oublier pour autant les lieux communautaires. Il faut aujourd’hui s’atteler aux préoccupations politiques globales, sans jamais oublier l’individu. Il s’agit de penser pour la Nation, tout en prenant en compte les besoins spécifi-

don ou une baisse du niveau de protection, mais bien une intégration de la protection à l’ensemble de l’espace public. C’est d’ailleurs la démarche que j’avais prônée, auprès des pouvoirs publics, dès le début de la mise en place de l’opération Sentinelle. Une récente étude de l’IFRI (ndlr : « La sentinelle égarée ? L’armée de Terre face

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« C’est un enjeu majeur pour la société de faire vivre à la fois le collectif et l’individuel » : L’année qui s’achève a encore été marquée par des attentats qui ont touché de manière aveugle toute la société. Comment dans ce contexte, peuton, doit-on, expliquer que la communauté juive représente une cible spécifique ? HK : Il a pourtant hélas fallu le redire. Récemment encore, après l’appel de responsables musulmans publié dans le JDD, qui a tragiquement – de manière consciente ou non

ques de chacun. Cette problématique s’était d’ailleurs déjà posée, dans la Bible, au moment de la sortie d’Égypte, société dans laquelle le collectif écrasait l’individu. Moïse a alors voulu conduire le peuple, en respectant chaque personne au prix de l’occultation du concept de peuple. Il a fallu qu’intervienne Yitro pour le convaincre d’allier les deux logiques, que l’une n’allait pas sans l’autre. Aussi, l’évolution du dispositif aujourd’hui ne signifie-t-elle pas un aban-

Visionnez les Vœux de Roch Hachana 5777 du grand rabbin de France sur

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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia « Je ne veux pas que le judaïsme passe en France par pertes et profits »

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: Au cours de l’année, on a souvent eu le sentiment que certains ont cherché à opposer le judaïsme orthodoxe qui serait rétrograde, au judaïsme libéral autrement plus progressiste…

« J’essaie d’occuper la fonction avec la même humilité et la grande accessibilité qu’a toujours su conserver le grand rabbin Sitruk z’l, lui qui a donné tant d’élan » au terrorisme » d’Elie Tenenbaum – juin 2016) a rappelé la nécessité de prendre en compte la perception de ce dispositif par nos concitoyens, afin de construire durablement le sentiment d’unité dans la sécurité. C’est donc un enjeu majeur pour la société de faire vivre à la fois le collectif et l’individuel. Je l’ai constaté récemment encore lorsque je suis allé rendre visite aux représentants de la communauté chinoise de France, meurtrie par le terrible assassinat de l’un des leurs – ou plutôt devrais-je dire, de l’un des nôtres – à Aubervilliers. J’ai été stupéfait de l’importance que revêtait pour eux ce geste d’amitié et de solidarité. Nous avons connu ce sentiment d’isolement et d’indifférence que nous avons trop longtemps subi et dénoncé ; nous savons plus que quiconque qu’il faut tendre la main à ces concitoyens qui se sentent particulièrement attaqués dans leur identité. : La présence militaire, ultrarassurante pour la communauté, tend pourtant à disparaître des abords des écoles juives… H.K. : Elle ne disparaît pas, elle est plus globale. Les écoles juives furent les premières à intégrer dans les coûts et dans le fonctionnement une garde, un dispositif de sécurité et une vigilance collective. Toutes les écoles y sont aujourd’hui confrontées et organisent des journées de formation à la sécurité. Étant donnée la situation, il est aussi normal que la sécurité soit prise en compte par tous les opérateurs, comme le font déjà le Consistoire, le Crif, le FSJU, le SPCJ et tant d’autres acteurs locaux. : Vous avez cette année dénoncé le vote de la France à l’UNESCO sur les Lieux Saints de Jérusalem. C’était la première fois semble-t-il qu’en tant que grand rabbin de France, vous êtes sorti de votre réserve…

H.K. : Mon mode de fonctionnement n’est pas un mode comminatoire. Le Talmud dit « Maï de ava, ava » qui signifie « ce qu’il y a eu, est ». J’ai contacté le ministère des Affaires étrangères, en me plaçant dans une démarche non pas politique, mais théologique, qui d’ailleurs engage également les Chrétiens ; car ce vote de la France d’un texte qui nie l’existence du Temple à Jérusalem pourrait également renvoyer les Évangiles au néant. Après m’être assuré auprès du Quai d’Orsay que ce vote serait ultérieurement désavoué, il était de mon devoir d’intervenir pour défendre une vérité historique et disons-le simplement, le bon sens. C’est la raison pour laquelle j’ai publié une tribune dans Le Figaro, dans laquelle j’ai donné l’écho des Textes et repris ce verset d’Isaïe: « Pour Jérusalem, je ne me tairai point » (LXII, 1). Dans cette affaire, je ne suis donc pas sorti de ma méthode, mais je suis allé au bout de celle-ci. Il s’agit de défendre le judaïsme chaque fois qu’il est mal compris et de défendre la France chaque fois que l’on oublie ce qu’elle est. La France ne peut pas, en notre nom à tous, signer des déclarations insultantes. : Revenons sur l’appel des quarante-et-une personnalités musulmanes publié par le JDD, qui n’a pas mentionné les victimes juives parmi celles victimes des attentats. Vous êtes intervenu auprès d’eux. Ils ont cherché à faire amende honorable sans pour autant modifier leur texte. Comment comprendre le fait qu’ils ne parviennent pas à citer nommément les victimes juives ? H.K. : Inconsciemment ou non, les signataires ont dû estimer qu’ils allaient faire un geste compréhensible par le plus grand nombre, ce qui a finalement abouti à une cote mal taillée. Comme dit le Talmud, « s’il y a deux personnes pour touiller une soupe, elle n’est ni chaude ni froide, elle est tiède ». Ces responsables musulmans avaient pourtant une idée magnifique : celle de l’engagement des citoyens portant des valeurs républicaines avec un prisme religieux et la volonté de défendre ce que l’on essaie de construire tous ensemble. Mais, à vouloir ne pas s’engager, ils ont en fait, d’une façon presque psychanalytique, commis un acte manqué incompréhensible. Je voudrais toutefois retenir que l’initiative aurait pu être belle et forme le vœu que l’élan soit conservé.

H.K. : Le judaïsme du Consistoire n’est pas un judaïsme « light ». Il doit être le judaïsme de l’accueil, ouvert à tous. Le judaïsme libéral se vit quant à lui comme il l’entend. Je n’ai pas à valoriser ou à minorer le travail qui est fait par les uns et les autres. Je respecte chacun dans son engagement et espère amener tout le monde à une pratique qui corresponde à ce que défend le Consistoire, un judaïsme respectueux de la Halakha et en conformité avec les lois de la République. En outre, s’agissant de conversions ou de divorces par exemple, ce n’est pas parce que l’on dit non à quelqu’un que l’on n’est pas aussi là pour l’aider. Il faut trouver le moyen d’élever les gens, c’est-à-dire leur donner encore à espérer et garantir un ac-

cueil, respectueux, digne et bienveillant. Nous suivons les dossiers et les étudions au cas par cas, tout en suivant des règles qui ont, par essence, une portée générale. Nous ne sommes pas là pour répondre favorablement à toutes les demandes sans les peser et les mesurer. Le cas par cas est justement la force du judaïsme. Cela rejoint encore la notion que j’évoquais tout à l’heure, celle du collectif et de l’individu. Ainsi sommes-nous toujours dans la construction du respect de chacun. C’est ce que je m’efforce de faire modestement depuis que je suis grand rabbin de France : continuer à faire en sorte que chacun, par l’intermédiaire des deux médiateurs que j’ai nommés (Charles Sulman et Dolly Touitou) puisse avoir un recours. Cela me permet alors d’être en position d’arbitrer dans un sens ou dans l’autre. Je tiens d’ailleurs ici à saluer les rabbins et les présidents de communautés, qui font eux aussi un travail remarquable dans ce domaine. : Après cette affaire, la candidature d’Evelyne Gougenheim à la présidence du Consistoire central a provoqué une polémique où l’on a eu l’impression que l’on vous guettait sur le côté libéral, cherchant visiblement à vous prendre en défaut sur ces sujets… H.K. : Je n’ai jamais eu comme ambition d’être reconnu ou aimé de tous. Je fais confiance aux maîtres qui m’ont formé et qui ont contribué à faire de moi l’homme que je suis aujourd’hui. J’ai l’ambition de conduire la communauté juive française dans une dynamique d’action, de progrès et d’engage-

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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia ment, afin qu’elle soit respectée dans le monde. Emeric Deutsch, disait : « L’image de quelqu’un, c’est la somme de toutes les fausses idées que l’on se fait sur lui ». Quant à la polémique autour de la candidature d’Evelyne Gougenheim, j’estime qu’avec la commission juridique du Consistoire, nous avons préservé l’institution et son honneur. Il eut été parfaitement inconcevable de s’opposer à cette candidature, au risque d’aller à l’encontre du droit associatif français. Il n’est pas pour autant question d’abdiquer la règle de Halakha, mais la Halakha – faut-il le rappeler – s’inscrit dans ce que l’on appelle la Hanaga, c’est-à-dire la conduite. Mon travail consiste aussi à arbitrer entre les avis, parfois nombreux et contradictoires, des décisionnaires.

H.K : Il y a une différence entre vouloir quelque chose et en faire un symbole. Si une femme veut réciter le Kaddish pour elle, pourquoi le lui interdire ? Pour autant, on ne va pas chercher à ce que tout le monde y réponde. Il en va de même pour la lecture de la Torah. Il n’y a aucun mal à ce qu’une femme lise, bien au contraire, mais pourquoi aller ensuite demander la présence d’hommes derrière une Me’hitsa ? Et pourquoi ne pas participer tout simplement à nos offices qui sont accueillants et portent la tradition d’un judaïsme authentique ? : Cela fait deux ans et demi que vous êtes grand rabbin de France. Comment esquissez-vous les contours de votre fonction et votre relation avec les autres responsables communautaires ? H.K. : J’essaie de poser des gestes et de dire les choses quand il me semble utile de le faire. Pour autant, je m’inscris dans une dynamique collective. Avec le président du Consistoire, Joël Mergui, nous travaillons en bonne intelligence. Avec le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim, qui assume également, avec la sagesse que nous lui reconnaissons tous, la présidence du Tribunal rabbinique de Paris, nous échangeons très régulièrement et je prête toujours la plus grande attention à ses avis. Sur d’autres sujets, j’envoie au-devant d’autres rabbins qui connaissent bien les dossiers. C’est le cas notamment du grand rabbin Claude Maman s’agissant de la Hevra Kadicha, du rabbin Michaël Azoulay pour les affaires sociétales, du rabbin Moshé Sebbag pour les relations avec Israël ou du grand rabbin Bruno Fizson pour la Chehita. Comme dit Sun Tzu dans l’Art de la Guerre, « quand un général est sur le champ de bataille, c’est lui qui décide ». Je n’ai donc pas vocation à m’attribuer tous les mérites, mais à synthétiser l’expression de tout ce que font les rabbins et tout ce qui émane du judaïsme. Je travaille dans un réel partenariat avec le Crif, le FSJU, l’OSE, le Casip, les écoles et l’ensemble des institutions qui, sur le terrain, portent un dévouement qui force au quotidien mon admiration et mes bénédictions. : Une question revient de manière récurrente chaque année et sur laquelle vous êtes très impliqué. Où en est le problème des examens universitaires qui tombent un jour de chabbat ou de fête ? H.K. : Nous avons réalisé un travail considérable avec le soutien appuyé du ministère. Il n’en demeure pas moins que nous avons essuyé des échecs. J’assume de n’avoir pas toujours su trouver les mots avec les uns et les autres, dans un climat de laïcisme dur qui n’a plus rien à voir avec la laïcité mais avec le rejet de tout ce qui est

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: Au-delà de cette affaire, comment expliquez-vous la crispation d’une partie du Consistoire sur des attitudes de femmes que la Halakha n’interdit pas ?

« Le circuit de consommation de la viande cachère doit produire du bien pour l’ensemble de la communauté »

religieux. Nous sommes donc trop souvent devenus des dégâts collatéraux et je ne veux pas que le judaïsme passe en France par pertes et profits. Nos étudiants concernés par ce problème des examens sont des héros de la République. Ils défendent une laïcité intelligente, celle de la liberté de pratique religieuse. Ils sont aussi des héros du judaïsme. Et c’est un enjeu majeur. Il en va de la garantie pour nos jeunes de pouvoir continuer leurs études en France. C’est un enjeu qui dépasse la question du judaïsme et qui touche à ce qu’est la France. Peut-on oui ou non respecter sa foi et poursuivre un enseignement supérieur dans notre pays ? Ma réponse est clairement positive et je peux vous annoncer que dans la loi université, le zéro éliminatoire va disparaître, ce qui est une avancée fondamentale. : Autre domaine problématique, celui de l’abattage rituel. Doit-on craindre, au-delà des bonnes conclusions du récent rapport parlementaire, que sa pratique soit menacée en France ?

« Le judaïsme s’est toujours engagé dans la construction de la Nation » H.K. : Il faut dire et redire les choses. Le gouvernement, quel qu’il soit, a toujours été d’une aide sans aucune ombre sur ce sujet. Améliorer le traitement des animaux dans leur mise à mort est une nécessité, au regard des scandaleuses vidéos de souffrance animale qui ont circulé, et qui rappelons-le, ne concernaient pas les bêtes abattues rituellement. Rendons aussi hommage à la qualité du travail du grand rabbin Fiszon qui est dans la recherche permanente d’une solution satisfaisante pour tous. Dans son rapport, la commission parlementaire a rappelé sa préoccupation de garantir le bien-être animal et préconisé que les responsables religieux soient parties prenantes aux comités d’éthique des abattoirs. Elle n’a pas rendu obligatoire l’étourdissement réversible ou post-jugulation, ce qui nous satisfait pleinement. Ainsi, les députés ont réaffirmé leur attachement intangible à la laïcité, en préservant l’abattage rituel et le libre exercice

de culte. Pour autant, il nous faut demeurer particulièrement vigilants, car d’autres propositions de loi visant à interdire l’abattage rituel sans étourdissement sont actuellement à l’étude. : Certains grands chevillards de la communauté seraient aujourd’hui tentés d’aller vers d’autres certifications cachères que le Consistoire. Ce qui représenterait un manque à gagner gigantesque pour l’institution…

H.K. : Ce n’est pas au moment où le pouvoir politique va fortement conseiller, pour ne pas dire obliger, à canaliser les ressources de l’abattage rituel musulman vers des besoins communautaires, que nous allons agir en sens contraire. Il faut intégrer les opérateurs qui ont toujours porté une préoccupation du bien commun. Le Consistoire a, en la matière, un rôle central qui doit être équilibré. Il a toujours considéré les besoins de chaque obédience, dans la mesure où celles-ci respectent les règles. La situation et la fragilité de notre système globalisé vont nous obliger à trouver des chemins intelligents. Cela devra conduire à une meilleure péréquation, sachant que ce circuit de consommation de la viande cachère doit produire du bien pour l’ensemble de la communauté. : les 11 et 12 novembre se déroulera le Chabbat mondial. En quoi cet événement est-il important ? H.K. : Ce projet que porte mon conseiller spécial, le rabbin Moché Lewin, avec beaucoup de bénévoles, est une façon de montrer à ceux qui pensent que le Chabbat est

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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia « Je défends toujours le bien-être de la communauté »

« Je suis à la fois dans un rôle de fédération de la communauté juive et en même temps de représentation de ce qu’est le judaïsme pour l’ensemble de la société »

: La déconnexion que permet le Chabbat est-elle une idée que vous souhaitez développer à l’extérieur de la communauté ? H.K : Absolument. Je suis à la fois dans un rôle de fédération de la communauté juive et en même temps de représentation de ce qu’est le judaïsme pour l’ensemble de la société. Quant à cette nécessité de déconnexion, pensez que certains, lors de la COP 21 se sont battus pour obtenir un jour dans l’année sans voiture. Chez nous, il y a soixante jours par an sans voiture si l’on compte les chabbatot et Yom Tov ! Je parle donc aussi à la société. Je veux partager utopie et théorie du bonheur. Le général Foch disait, avant la bataille de la Marne « ma droite est enfoncée, ma gauche cède. Tout va bien, j’attaque ». Nous sommes menacés, nous avons des problèmes… soit, faisons ce que nous savons le mieux faire, à savoir servir l’Éternel dans la joie et l’allégresse. : C’est une année politique qui s’ouvre avec les présidentielles. Comment abordez-vous cette période ? H.K. : Les échéances électorales voient toujours émerger violence verbale, démagogie et tentatives de segmentation de la société. La campagne a d’ailleurs déjà commencé. Comment interpréter la volonté affichée par certains d’interdire les signes religieux dans l’espace public : que penser alors des kipot, tsitsit, chapeaux… que sais-je encore ! Et ce n’est qu’un début, nous n’en sommes qu’au stade des primaires ! Il faudrait pourtant rappeler aux candidats de se concentrer sur l’essentiel, à savoir le choix du modèle de société dans laquelle nous voulons vivre. : Imaginons un scénario catastrophe. Marine Le Pen est élue au premier tour avec plus de 50% des voix… H.K. : Je réponds : « Al tifta’h peh lassatan », ne créons pas une réalité en en parlant outre mesure. Il faut avoir confiance dans notre capacité de sagesse collective à trouver des solutions et à ne pas se laisser perturber par la peur de l’avenir, le rejet de l’autre, la panique de l’Europe. Retrouvons un peu de cette confiance et, ensuite, nous trouverons les réponses justes. Rappelons que le judaïsme s’est toujours engagé dans la construction de la Nation et qu’il saura une fois encore répondre présent, pour faire barrage à ceux qui prônent l’exclusion.

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un temps de contraintes, qu’il est en fait un temps de bonheur. Ce rendez-vous mondial est une façon d’amener des gens à une pratique du Chabbat, ce qui représente quelque chose de vital. De plus, la société a besoin de comprendre l’existence d’une nécessité de déconnexion. Ce à quoi le Chabbat contribue. C’est la raison pour laquelle j’appelle toutes les communautés à préparer dès maintenant cette manifestation exceptionnelle et les fidèles à nous rejoindre toujours plus nombreux. Et je peux vous dire que même l’artiste que le rabbin Lewin fait venir pour le concert de Havdala au Palais des Congrès de Montreuil porte un nom prédestiné, puisque ce sera Shlomi Shabbat…

: Existe-t-il une configuration politique nationale ou locale face à laquelle vous envisageriez où vous pourriez vous imaginer dire à la communauté qu’il faut partir ? H.K. : La France est une aspiration à construire. Notre engagement est dans cette construction, y compris, comme cela a été le cas, dans les heures les plus noires. La question se pose : comment défendre un judaïsme authentique, heureux, tout en défendant ce qu’est la France. Car, nous ne pouvons pas exiger du bonheur que pour nous. Comme il est dit : « Prie pour la paix dans le royaume, parce que de sa paix, dépendra ton bonheur ». : C’est ce que vous diriez à ceux qui vous reprochent de vous soucier plus des relations avec la France que de votre travail communautaire ? H.K. : Je défends toujours le bien-être de la communauté. Mon travail, mon objectif ne sont pas d’aller dans le sens des peurs, des angoisses, mais de les pallier, d’y répondre et de faire en sorte que la réponse soit collective, venant de l’ensemble de la société. Il est vrai que je rappelle en permanence notre attachement à la France. Je maintiens que c’est lorsque l’on rend la France à ce qu’elle a de plus beau, qu’on la rend fidèle à ce qu’elle a toujours promis et assuré aux Juifs. S’il existe un décalage, cela ne fonctionne plus. À ce propos, je rappelle qu’il est de notre devoir de réciter la prière pour la République dans les synagogues ; de pavoiser ces mêmes synagogues lors des fêtes patriotiques. Il est scandaleux que, dans certaines villes, aucun rabbin ne se déplace lors des cérémonies du 11 novembre ou du 8 mai. Je suis persuadé que nous avons une responsabilité particulière. Dans nos textes, il est écrit que nous devons être « ohr lagoyim », une lumière pour les peuples. Nous devons donc être aussi responsables et engagés dans ce qui se passe autour de nous. : Dans un domaine plus communautaire, quels sont vos grands projets pour l’année qui vient ? H.K. : Il y a, tout d’abord, la mise en réseau des batei-dinim, les Tribunaux rabbiniques, sur les questions des agounot. Nous

avons déjà eu quelques modestes réussites ; notamment lorsque nous avons échangé des informations. À ce propos, je veux redire que le Beit-Din de Paris est très proactif en la matière. Certes, chaque cas est insuppor-

table, mais l’engagement des rabbins pour entendre la souffrance est réel et sincère. Je veux, aussi, que l’on accompagne beaucoup mieux les questions de formation, notamment dans le cadre des conversions. Il existe notamment un projet du rabbin Malka de formation des enfants dont le père est juif et la mère ne l’est pas. Cette régularisation est une marque de respect vis-à-vis de ces enfants qui vivent baignés dans le judaïsme et qui doivent seulement faire l’effort d’apprendre et de mettre en pratique ce que, souvent, ils vivent plus ou moins déjà. Cela renvoie à une certaine forme d’engagement. Nous ne pouvons pas juste entériner ce que les gens sont. Il doit y avoir une sorte d’élévation. Or, l’enseignement, c’est l’élévation car, un élève c’est celui qui s’élève. Je crois que l’on oublie trop souvent cette donnée fondamentale. Je voudrais ici rendre hommage au projet d’e-learning du Consistoire, porté par Anne-Marie Boubli et Charles Sulman, qui font un travail remarquable pour que chaque enfant, puisse avoir accès aux enseignements du Talmud-Torah.

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P’tit Déj’ avec le grand rabbin de France Haïm Korsia Je souhaite également, que dans la synagogue, chacune et chacun trouve sa place, ait une responsabilité et un engagement. Le dévouement des présidents et des rabbins que je rencontre partout en France a comme résultat un immense élan de cohésion, de bonheur. Chaque fois que je passe un Chabbat quelque part, je suis enchanté par cette capacité à faire vivre un judaïsme heureux. Et peut-être encore plus, un judaïsme d’espérance, ce dont la société a peut-être le plus besoin. Nous avons, nous, la responsabilité d’instiller l’espérance dans l’avenir à l’ensemble de la société française.

que jette un discrédit sur l’institution consistoriale, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics ? H.K. : Si le Rav Steinemann a réagi, cela montre la sensibilité toute particulière de cette affaire. En tout état de cause, les pouvoirs publics nous ont toujours affirmé qu’ils respecteraient la Halakha, dans ce dossier qui concerne non seulement les Français originaires d'Algérie, mais tout juif conscient du respect que nous devons à nos morts sans aucune distinction. : Pour terminer, quels sont vos vœux pour la communauté ?

H.K. : Dès la parution de l’arrêté du 26 mai dernier relatif au regroupement de sépultures européennes en Algérie, le grand rabbin Claude Maman, mon conseiller en charge de la Hévra Kadicha nationale, a adressé un courrier à l’ensemble du corps rabbinique pour qu’ils puissent diffuser l'information auprès de leurs fidèles. Depuis lors, de nombreuses demandes de personnes originaires d'Algérie installées en France, mais aussi en Israël, aux États-Unis comme ailleurs en Europe, nous sont parvenues. C'est la raison pour laquelle j’ai consulté le Dayan Chanoch Ehrentrau, décisionnaire reconnu mondialement et Av Beth-Din de

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: Depuis le mois de mai un décret français permet l’éventuel transfert des tombes juives en péril, à savoir un peu plus d’un millier qui se trouvent en Algérie. En tant que GRF, quelle est votre position et celle de vos dayanim sur cette éventualité ?

la Conférence des Rabbins Européens, dont je suis le vice-Président. J’attends donc aujourd’hui sa réponse, pour pouvoir me prononcer sur le sujet et rappelle que ce décret est une possibilité d’agir mais non une obligation de faire.

: L’affaire de l’avenir de ces tombes juives en Algérie a été exportée en Israël. Une sommité du monde orthodoxe a même écrit une lettre ouverte au président Hollande. Ne craignez-vous pas que cette polémi-

H.K. : Ce sont des vœux de confiance, de bonheur et de bonne santé. Je pense qu’il faut se sentir bien soi-même pour être en mesure de transformer positivement la société. L’idée fondamentale est de réenchanter ce lien à la France, ce lien d’engagement dans le judaïsme, cette façon particulière du judaïsme français d’être lui-même. Mes vœux sont aussi que cette symbiose si parfaitement représentée par l’exemple de Rachi trouve à s’incarner dans chacune et chacun des membres de la communauté juive française. Dans la joie, la prospérité et dans un lien serein avec Israël. ●

Chana tova oumetouka, puissiez-vous tous ainsi que vos proches, être inscrits dans le Livre de la Vie !