Pilule et dépression : l'omerta

marée est immédiat. Des milliers de femmes répondent au hashtag « My pill story » (« mon histoire avec la pilule », ndlr) partagent leur expérience : certaines ...
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Pilule et dépression : l’omerta La pilule contraceptive, depuis plus de soixante ans, protège les femmes de grossesses non désirées, non sans contreparties. A ses effets secondaires fréquents tels que l’acné, la prise de poids ou la baisse de libido s’en ajoute peut-être aujourd’hui un moins connu : la dépression. Femmes libérées, femmes protégées, mais femmes déprimées. Deux de ces trois adjectifs reviennent souvent, quand il est question de la pilule contraceptive. Une féminité libre, souveraine, qui décide de sa vie sexuelle comme elle l’entend. Mais d’autres adjectifs se glissent de temps en temps dans les discussions : fatiguée, gonflée, énervée… Les effets secondaires de la pilule contraceptive, dus aux hormones, ne sont plus secrets. Les médecins et gynécologues sont nombreux à prévenir une jeune patiente lors de sa première prescription, des désagréments qui pourraient s’y greffer : maux de têtes, baisse ou perte de libido, prise ou perte de poids… Mais rarement d’un risque dépressif… Aujourd’hui se pose pourtant la question d’ajouter un nouvel effet à la liste, avec une étude danoise qui soulève une question capitale : la pilule contraceptive a-t-elle un lien avec la dépression ? Menée par Ojvind Lidegaard, l’étude est sans précédent : un million de dossiers médicaux de danoises prenant la pilule sur une période de treize ans ont été étudiés, mettant de côté les femmes présentant auparavant des troubles dépressifs. Le résultat est sans appel : les femmes prenant une pilule mixant œstrogène et progestérone, deux hormones normalement produite par le corps et reproduite synthétiquement montrent 23% de probabilités de faire une dépression. Cela monte à 34% pour les usagères de pilule contenant uniquement de la progestérone. L’alarme est encore plus forte du côté des adolescentes, qui encourent à 80% le risque de prendre des antidépresseurs en prenant une pilule mixte. Comment un tel constat a-t-il pu rester inconnu depuis 1960, date de la toute première autorisation de mise en vente du contraceptif ? Et ces chiffres sont-ils aussi alarmants qu’ils en ont l’air ? La contraception féminine, un désert médical Holly-Grigg Spall, journaliste et activiste pour les droits des femmes, ne cache pas son exaspération. Depuis Los Angeles, elle bouillonne : « Il y n’y a pas eu, je pense, plus de trente études à ce sujet, au maximum, dans les soixante-dix dernières années. Ce n’est même pas une par an. Quand on pense aux millions de femmes qui prennent la pilule… C’est parce que c’est très

difficile de conduire une telle étude.» Quand elle fait une dépression après la prise de Yasmine, une pilule retirée de la vente, la journaliste décide d’en faire un livre, pour lequel elle rencontre des centaines de femmes dans le même cas : « beaucoup de femmes viennent encore à moi, sur le blog que je tiens sur le sujet, et je reçois encore deux à trois mails par semaine à ce propos ». De notre côté de l’atlantique, Léna est bénévole au Planning Familial du 13e arrondissement, et rencontre toute la journée des femmes à la recherche de conseils concernant la contraception, la grossesse, la sexualité. Sans aller jusqu’à parler de dépression, elle raconte « organiser chaque semaine des réunions sur le thème de la contraception, et entend de temps en temps des femmes qui disent être très tristes, très énervées, avec des sautes d’humeur. » Derrière elle, en retrait, se tiens Lola. Elle a 17 ans et est déjà venue une première fois au Planning Familial, car « elle ne se sentait pas bien ». En fait, autrement que de se sentir mal, Lola plongeait lentement dans la dépression à cause d’une pilule trop fortement dosée. Elle « pleurait tout le temps. J’avais entendu parler de cet effet de sautes d’humeur mais je pensais que c’était seulement quand on venait de commencer à prendre la pilule. Comme je prenais la mienne depuis un an, je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison que cela change. » Mais l’état de la jeune fille ne s’améliore pas, elle se rend d’abord chez son médecin traitant, puis, sur ses conseils, chez une psychologue. « Les deux m’ont dit que ça n’avait rien à voir avec la pilule. Pourtant, j’ai arrêté et tout s’est amélioré. » « Le corps médical ne parle pas aux femmes » Des femmes qui ne se sentent pas écoutées, ou mal comprises. Martin Winckler, écrivain et médecin, confirme, non sans exaspération, que « c’est souvent comme cela, et c’est terrible, parce que c’est toujours pareil. C’est lié au fait que l’attitude des médecins est extrêmement supérieure avec les gens qui ne le sont pas. Il y a une sorte de système de défense. Ils se demandent si ce qu’ils savent peut être questionné ou remis en cause par des non-médecins. » Holly Grigg-Spall acquiesce : « les femmes parlent au corps médical, mais n’obtiennent pas de réponse. En retour, le corps médical ne parle pas aux femmes, ne les préviens pas. » Un silence à propos de la dépression peut-être justifié par le fait que les docteurs considèrent leur mission comme celle de fournir la forme la plus efficace de contraception. En venant pour être protégée d’une grossesse, une femme va recevoir ce qui est le plus efficace,

sans prêter gare aux effets secondaires. Si elle vient pour des règles irrégulières, des crampes, ou de l’acné, un traitement est toujours majoritairement prescrit : la pilule, sans prendre en compte les antécédents ou des effets secondaires comme la dépression. Les adolescentes seraient particulièrement touchées à cause des transformations corporelles à ce moment de leur vie, selon Martin Winckler : « le cortex cérébral n’est terminé qu’à 25 ans. Avant cela, le cerveau ne fonctionne donc pas comme à l’âge adulte : il n’est alors pas étonnant que l’effet des hormones ne soient pas les mêmes ». Pas de prise en compte des risques, ni de prévention : ce serait se tirer une balle dans le pied, pense comprendre Anne Hirsch, écrivain qui a fait une dépression suite à la prise d’une nouvelle pilule. « Lorsque j’en ai parlé à des médecins, ils ont tous apporté la même justification : ils savent que dire aux femmes que la dépression est une possibilité va les mener à subir un effet placebo. Les femmes penseront qu’elles peuvent faire une dépression, et donc en feront une. Ils s’inquiètent des effets psychosomatiques. Personnellement, on ne m’a pas prise au sérieux du tout. » Héloïse, travaille aussi au planning familial parisien et confirme que le manque de prévention de la dépression découle probablement de la peur des médecins et gynécologues de faire peur aux femmes. Selon elle, beaucoup de femmes ne prennent aucune contraception « justement à cause des effets secondaires dont elles ont entendu parler ». Mentionner des risques de dépression serait alors « contre-productif ». Trop rare ? Martin Winckler tempère, justifiant le quasi-silence du corps médical par la rareté de l’effet : « on n’en parle pas probablement parce que ce n’est pas très fréquent. S’il a fallu une étude pour montrer ces effets là, c’est qu’ils sont peu répandus. Suffisamment pour que des gens se posent la question, mais pas tant que ça. ». Pourtant, lorsque en avril 2016, Holly Brockwell, journaliste américaine ayant vécu le silence médical lance sur twitter un appel à témoignages suite à un docteur ne les ayant pas prises au sérieux, le raz-demarée est immédiat. Des milliers de femmes répondent au hashtag « My pill story » (« mon histoire avec la pilule », ndlr) partagent leur expérience : certaines parlent de « transformation », de « pensées suicidaires ». Un grand nombre d’entre elles sont très jeunes, elles ont une vingtaine d’années. Les plus âgées partagent leur soulagement au moment de passer à une contraception sans hormones : l’une d’elles écrit avoir eu « le sentiment de revivre. Avant la pilule, j’étais joyeuse, souriante. Quand j’ai

commencé les hormones, je me suis vue me transformer en une personne déprimée, qui pleurait souvent, j’avais même parfois des idées noires. » A son arrêt de la pilule, tout rentre dans l’ordre. Rien de plus normal selon l’auteur du Chœur des femmes : « A mes débuts, j’ai vu des femmes qui avaient jusque là un stérilet au cuivre (sans hormones, ndlr) et à qui on donnait la pilule sans leur demander leur avis, et qui avaient de forts troubles de l’humeur. C’est évident : la pilule met la femme dans un état hormonal similaire à celui de la grossesse. » Et quand une femme enceinte est noyée par les hormones, elle a des sautes d’humeur. Lors du syndrome prémenstruel comme lors de la grossesse, les hormones chutent, puis remontent, entrainant une souffrance cérébrale : le cerveau n’a plus ses hormones et certaines femmes sont irritables ou migraineuses. Lorsque Michel Lejoyeux, responsable du département de psychiatrie et d'addictologie à l’hôpital Bichat, à Paris, se penche sur l’étude danoise à l’origine des questionnements, il insiste sur l’importance de ne pas confondre « corrélation à la causalité ». En d’autres termes, ne pas « en faire un débat de société qui demande si la pilule déprime ». Pour ce médecin spécialisé dans la dépression, « la première chose à faire au plan scientifique, c’est de refaire cette étude. » Même conclusion du côté du planning familial, qui ne veut trop se prononcer, car « ici, on se réfère par le biais de la surveillance médicale en France. » Des relations trop étroites ? En France justement, la pilule est prise quotidiennement par 50% des françaises, soit environ 17 millions d’entre elles. Un problème de santé publique, donc, auquel peu prêtent attention : après un premier contact avec l’assistante de Marisol Touraine, Ministre du Droit des Femmes jusqu’à avril 2016, qui assure « en avoir discuté plusieurs fois avec des collègues, car c’est effectivement un sujet important » et propose de nous mettre en contact avec la ministre, nous communiquerons finalement avec madame Zina Bessa, sous directrice de la direction générale de la cohésion sociale, « pour connaître les mesures d’information et de précaution ». Nous sommes alors renvoyé par madame Bessa vers l’ANSM, Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ayant pour « mission principale d’évaluer les risques sanitaires présentés par les médicaments, et plus généralement tous les produits de santé destinés à l'homme ») qui refusera de nous répondre. Les pouvoirs publics se ferment alors eux aussi, ne répondant plus à nos sollicitations. Aucune réponse publique non plus : le site du gouvernement propose trois rapports conduits par l’INED, l’Institut

National d’Etudes Démographiques. Nulle part ne sont mentionnés les risques de dépressions. Du côté du Ministère de la Santé, silence radio. Un problème d’influence ? La raison se trouve peut-être dans les relations entre laboratoires pharmaceutiques et médecins. « Souvent, les laboratoires ont des relations étroites avec les médecins. Ils sont payés ou reçoivent des cadeaux. En Europe, on leur demande surtout de participer à des conférences, ils sont invités à des évènements, et ils vont dans de beaux hôtels, on leur offre des voyages … », témoigne Holly Grigg-Spall. Ceux qui ne souffriront pas d’effets secondaires, ce sont les hommes : alors que la contraception hormonale qui leur est destinée est prête, elle ne sera pas mise sur le marché, du moins pas dans les prochaines années. A cause, justement, des désagréments plus ou moins importants qu’ont subi une grosse majorité de ceux qui ont testé cette nouvelle pilule masculine. Comme le dit Héloïse, « soit on nous dit que les effets secondaires concernent vraiment l’archi-majorité, soit les effets secondaires concernent une minorité, et dans ces cas là, on fait face à un double standard entre les femmes et les hommes… ce qui n’est pas étonnant en médecine. » Rafaëlle Dorangeon & Hilal El Aflahi