Pharmaciens sous influence

cartel – entre Sandoz et Mepha, seules firmes qui ont les moyens de proposer des rabais élevés. «Les autres fabricants de génériques sont en train de se faire ...
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42∑santé groupe capitole

sandoz Les génériques de Sandoz sont en tête des ventes dans les pharmacies Amavita, avec une part de marché de 63,9%. Galenica, qui possède Amavita, aurait conclu un accord avec la filiale de Novartis pour distribuer ses produits en priorité.

Mepha La situation est inversée dans les officines du groupe Capitole où ce sont les médicaments de Mepha qui dominent le secteur des génériques, avec 67,4% de parts de marché. Ici aussi, un contrat lierait les deux parties.

janine jousson|dr

dr|sabine papilloud

pharmacies amavita

pharmaciens sous influence médicaments. Des officines touchent des rabais cachés sur certains génériques. Problème: elles ne vendent plus les préparations de la concurrence, moins chères. julie zaugg

Actuels

L

a vieille dame entre dans la pharmacie et pose son ordonnance sur le comptoir. Son médecin lui a prescrit un générique de la marque Helvepharm, le moins cher. «Nous ne l’avons pas en stock, dit la pharmacienne. En revanche, nous avons celui de Sandoz.» Ce qu’elle omet de préciser, c’est qu’il coûte bien plus cher. En Suisse, la différence de prix entre le générique le plus et le moins cher peut atteindre 40%. Cette scène est loin d’être exceptionnelle. «Dans 60% des cas, mon patient ne reçoit pas le médicament que je lui ai prescrit», a calculé le Dr Björn Riggenbach, médecin généraliste à Neuchâtel. A la pharmacie, tous les stratagèmes sont bons pour dissuader le client d’exiger la prépa-

ration qu’on lui a prescrite: médicament pas en stock, commande qui peut prendre plusieurs jours et nécessité de commencer le traitement au plus tôt. Pourquoi cet acharnement? C’est que certaines officines ont conclu un accord avec une firme pharmaceutique, leur garantis-

sur le marché suisse), alors que le groupe Capitole serait lié à Mepha (numéro 1).

Position dominante. Indices de

ces accords, Sandoz détient 63,9% du marché auprès des pharmacies Amavita (contre 38,7% en moyenne nationale) et Mepha 67,4% auprès du «Pour cacher les rabais, groupe Capitole (contre 45,1% en moyenne la facture différait nationale), selon des du bulletin de livraison.» chiffres calculés par Un ex-employé d’une firme de génériques Helsana. Cas particulier, Sunstore a vraisemblasant des avantages matériels si blement conclu un accord avec elles vendent ses produits en Mepha (sa part de marché y est priorité. Selon plusieurs sources de 48,2%), mais il devrait être travaillant au sein de la branche résilié puisque Sun­store a été pharmaceutique et des caisses racheté par Galenica en août maladie, le groupe Galenica (qui dernier. Les autres producteurs possède les pharmacies Amavita (Spirig, Helvepharm, Streuli, et Sunstore) aurait passé un tel etc.) détiennent des parts de contrat avec Sandoz (numéro 2 marché minimes.

Vérification faite par L’Hebdo, qui a tenté de se procurer le générique du Fluimucil, un médicament contre la grippe, auprès de cinq pharmacies Sunstore ou Amavita: aucune n’avait le produit le moins cher (Helvepharm) en stock. Une seule a dit pouvoir le commander. En revanche, on nous a systématiquement proposé Sandoz ou Mepha. Une grande discrétion entoure le contenu de ces accords. Il arrive que la pharmacie reçoive un rabais sur le prix du médicament ou une commission, qui dépend du chiffre d’affaires réalisé sur la marque en question. «Une chaîne de pharmacies a promis une prime de fin d’année plus élevée à ses employés s’ils privilégiaient systématiquement les produits d’un des grands groupes pharmaceutiL’Hebdo 17 décembre 2009

santé∑43 Génériques: des différences de prix importantes

Etiquettes foehnées. Les avan-

tages peuvent aussi être distribués «en nature». «Il nous arrivait de proposer des rabais allant jusqu’à 50%: vous achetez une boîte et on vous en offrait une seconde. Pour que cela ne se voie pas, nous établissions une facture différente du bulletin de livraison», explique un exemployé d’une société de génériques. Celui-ci se souvient d’un cas où un pharmacien genevois, qui venait d’ouvrir son officine, a reçu 10 000 francs de médicaments gratuits de la part de Mepha. Les pharmas distribuent parfois des échantillons gratuits, munis d’une étiquette qui en interdit la commercialisation: «Les pharmaciens la décollent à l’aide d’un foehn et les mettent en vente», indique cet exemployé. Il n’est pas non plus rare que les pharmas prennent en charge les frais de formation continue des pharmaciens, ce qui en fait une forme de rabais caché. «Ils en profitent pour présenter toute la gamme de leurs produits lors de ces séminaires», précise cette source. Plus subtil encore, il arrive que ces rabais soient déguisés en paiements pour une prestation fournie par la pharmacie (placement de produits en vitrine, gestion des stocks, commandes groupées). Toute la question ici est de savoir si ces prestations ont été payées au juste prix. «On considère que le pharmacien qui rend ces services à son fournisseur a droit à un petit rabais commercial, détaille Joseph Hunkeler, spécialiste des médicaments auprès du Surveillant des prix. Mais celui-ci ne devrait pas excéder 10%.» Et rien n’empêche une pharmacie de surfacturer ses espaces publicitaires... Est-ce grave? C’est en tout cas illégal: la loi sur les produits 17 décembre 2009 L’Hebdo

Oméprazole (20 mg/56 comprimés), un médicament contre l’acidité gastrique Fluoxétine (20 mg/100 comprimés), un antidépresseur

Original

Sandoz

Mepha

Antramups (Astra-Zeneca): 132 fr.

108 fr. 80

non disponible

87 fr. 05

85 fr. 25

Fluctine (Eli Lilly): 212 fr. 50

153 fr. 65

153 fr. 65

147 fr. 70

145 fr. 35

thérapeutiques (LPTh) interdit aux personnes qui remettent des médicaments de percevoir ou de solliciter des avantages matériels. La Loi sur l’assurance maladie (LAMal) exige, elle, que tout rabais perçu par le pharmacien soit répercuté sur le payeur final, le patient ou son assurance. Il en va des coûts de la santé. Ces rabais – qui atteignent en moyenne 30 à 40% – représentent 20 à 30 millions de francs par an, selon une estimation de Helsana.

Création d’un cartel? La santé

du patient est également en jeu. «Lorsque je prescris un générique plutôt qu’un autre, j’ai en général de bonnes raisons, note le Dr Björn Riggenbach, soit que le patient le supporte mieux ou qu’il nécessite une forme galénique particulière.» Un malade qui a de la peine à avaler aura par exemple besoin de comprimés effervescents plutôt que de pilules. Enfin, ces rabais risquent d’aboutir à terme à la constitution d’un duopole – voire d’un cartel – entre Sandoz et Mepha, seules firmes qui ont les moyens de proposer des rabais élevés. «Les autres fabricants de génériques sont en train de se faire tuer par ce système, note une employée d’un autre groupe. Dans un cas, nous avions calculé qu’il nous faudrait vendre nos produits à perte pendant neuf mois si nous voulions renchérir sur l’offre faite par l’un de ces géants.»

Streuli Helvepharm

Molécules en promotion. Que

chez Capitole et Sunstore, ils seraient à mettre sur le compte de la qualité de son assortiment. Le groupe Capitole n’a pas voulu s’exprimer. Pharmasuisse, l’association faîtière des pharmacies, dit exiger de ses membres qu’ils respectent la loi, mais rappelle que la LPTh prévoit des exceptions. «Des rabais peuvent être accordés pour autant qu’ils soient conformes aux règles de la branche, justifiés économiquement ou en rapport avec la pratique de la pharmacie», indique son porte-parole Marcel «Ce système est en train Wyler. Et qu’est-ce que signifie? «L’interpréde tuer les autres firmes ça tation de la loi actuelle de génériques.» est tout sauf claire, Une employée de la pharma admet-il. Il faudrait définir une bonne fois marché». Galenica privilégie les pour toutes quels rabais sont marques qui disposent d’une admis et lesquels ne le sont pas.» gamme de produits étendue et Une révision de la LPTh allant qui peuvent lui fournir «un sou- dans ce sens est en cours. tien dans le domaine de la for- Car actuellement, la seule voie mation». Auprès de Sandoz, on est celle des tribunaux. Swissnie aussi l’existence de rabais. La medic a porté une douzaine de firme propose en revanche des cas devant la justice et distribué «promotions» saisonnières sur quelques amendes. Elle attend certaines molécules, ainsi que désormais une décision du Trides formations pour le person- bunal administratif fédéral qui nel des pharmacies. fasse jurisprudence, car ses Chez Mepha, on indique que «la amendes sont fréquemment coopération avec certains grou- contestées et les tribunaux canpes de pharmacies se fait dans le tonaux hésitent à se saisir de cadre de campagnes définies, ces cas par manque d’expertise. telles que des décorations de La solution viendra peut-être vitrines, et ceci indépendam- de la Migros, qui veut se lancer ment de leur chiffre d’affaires. dans la vente de médicaments. Les quelques rabais accordés se Et qui promet de se concentrer font dans un cadre légal.» Quant sur les préparations les moins aux très bons résultats de Mepha chères...√ répondent les producteurs de génériques et les pharmacies concernées? «Les pharmacies du groupe Galenica (Sunstore et Amavita) n’ont jamais eu de contrats de rabais avec Sandoz par le passé et n’en ont pas actuellement», dit son porteparole Christian Hertig. Elles fournissent en revanche aux entreprises pharmaceutiques des prestations de marketing ou de logistique (vente d’espaces publicitaires, stockage des produits, etc.) «facturées au prix du

Actuels

ques», a appris une employée d’une autre firme.